(Moniteur belge n°81, du 21 mars 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et quart.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les habitants notables de Roulers prient la chambre d’empêcher que la langue hollandaise soit substituée à la langue flamande dans l’enseignement public et dans la traduction des lois et des arrêtés du gouvernement. »
M. Rodenbach. - Messieurs, les bourgmestre et échevins et notables habitants de la ville de Roulers m’ont chargé de déposer une requête tendant à protéger la langue nationale. Les pétitionnaires disent, entre autres choses, qu’on publie les arrêtés et les lois dans une langue qui n’est pas la leur. Ils demandent que la représentation nationale ne protège pas cette langue parlée outre-Moerdyck. Je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport, d’autant plus que le rapporteur est déjà nommé et qu’un grand nombre de pétitions ayant le même objet nous ont été adressées.
M. de Haerne. - J’appuie d’autant plus la proposition de faire un prompt rapport, que j’apprends de bonne source que bon nombre de pétitions en sens contraire de celle-ci seront bientôt envoyées à la chambre. On pourra les discuter ensemble.
- Le renvoi avec invitation de faire un prompt rapport est ordonné.
« Plusieurs habitants de la Flandre orientale demandent le retrait de l’arrêté royal sur le transit des bestiaux. »
M. de Naeyer. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission, avec invitation de faire un prompt rapport. On se plaint de tous côtés dans les Flandres de l’arrêté royal. On ne comprend pas qu’il ne soit pas encore révoqué. Les Flandres ne se plaignent pas sans motifs, mais seulement quand leurs intérêts sont lésés et profondément lésés.
C’est ici le cas. Depuis la mise en vigueur de cet arrêté, les engraisseurs ne trouvent plus moyen de se défaire de leur bétail ; il y a même presque impossibilité de se procurer le bétail maigre, par suite de cet arrêté. Je demande donc un prompt rapport, et j’espère qu’il sera fait en ce sens que le gouvernement sera invité à retirer cette mesure désastreuse pour les Flandres.
- Le renvoi avec invitation de faire un prompt rapport est ordonné.
« Les cultivateurs et préparateurs de lin de Tourinnes-Lagrosse et des communes environnantes demandent un droit d’entrée sur le lin. »
- Renvoi à la commission d’industrie.
Par message en date du 19 mars, le sénat informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi ouvrant divers crédits supplémentaires au département des travaux publics.
- Pris pour notification.
Personne ne demandant la parole sur l’ensemble de la loi, il est passé immédiatement à la discussion des articles.
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à effectuer le remboursement au pair des titres non encore amortis et des inscriptions nominatives :
« 1° De l’emprunt de 100,800,000 fr. à l’intérêt de 5 p. c., contracté en vertu de la loi du 16 décembre 1831 (Bull. off., n°344)
« 2° De l’emprunt de 1,481,481 fr. 48 c., émis en vertu d’un arrêté royal du 21 mai 1829, pour l’érection de l’entrepôt d’Anvers.
- L’article est adopté.
« Art. 2. Toutefois les porteurs de titres et les propriétaires d’inscriptions nominatives des emprunts prémentionnés ont la faculté d’en réclamer la conversion au pair, en rentes 4 1/2 p. c. ; la jouissance de l’intérêt à 5 p. c. sera conservée, jusqu’au 1er novembre 1844, aux porteurs d’obligations ou d’inscriptions qui n’en auront pas demandé le remboursement.
« Des obligations à l’intérêt de 4 1/2 p. c. seront émises en remplacement des titres ou inscriptions à rembourser.
« Le payement des intérêts aura lieu en Belgique. »
M. le président. Le sénat a introduit à cet article un amendement consistant à ajouter au 3ème § ainsi conçu : «Le payement des intérêts aura lieu en Belgique », la disposition suivante : « Le gouvernement est autorisé à l’effectuer également à Paris, sous la réserve que la dépense qui résultera de cette mesure n’excédera pas une somme annuelle de 15,000 fr. »
La section centrale propose l’adoption de l’amendement.
- L’article amendé est adopté.
« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à convertir en dette consolidée une valeur effective de dix millions de la dette flottante, au moyen d’une ou de plusieurs émissions d’obligations à 4 1/2 p. c. »
« Les émissions de bons du trésor auxquelles le gouvernement est autorisé en vertu des lois antérieures, seront réduites en proportion des émissions d’obligations à 4 1/2 p.c. qui auraient lieu pour leur consolidation. »
« Art. 4. Les porteurs d’obligations ou propriétaires d’inscriptions de l’emprunt de 100,800,000 fr., qui, dans les trente jours, à partir de la date des dispositions qui seront prises arrêté royal pour l’exécution des deux articles précédents, n’auront pas réclamé le remboursement desdites obligations ou inscriptions, seront considérés comme ayant accepté la conversion rendue facultative par l’art. 2.
« L’échange des obligations à 5 p. c. contre les nouveaux titres à l’intérêt de 4 1/2 p. c., se fera sans frais à Bruxelles et dans chaque chef-lieu de province, ainsi qu’à Paris.
« Cet échange se fera en obligations de 2,000 fr., 1,000 fr. et 500 fr.
« Les fractions qui ne pourraient pas être liquidées au moyen de la conversion seront remboursées en numéraire.
« Le gouvernement est autorisé à émettre, à un taux qui ne soit pas inférieur au pair net, des obligations nouvelles à 4 1/2 p. c., jusqu’à concurrence des sommes partielles à rembourser, ou à pourvoir à ce remboursement par les moyens indiqués à l’article suivant. »
« Art. 5. Il pourra éventuellement être émis des bons du trésor pour faire face aux remboursements à effectuer. »
« Art. 6. L’exercice du droit de remboursement au pair des nouvelles obligations à créer est suspendu pendant huit ans, a partir du 1er mai 1844. »
« Art. 7. Il sera consacré à l’amortissement du nouveau fonds une dotation annuelle d’un pour cent de son capital, indépendamment des intérêts des obligations qui seront successivement amorties. »
« Art. 8. L’amortissement se fera par le gouvernement, à Bruxelles ou à Anvers.
« Son action sera suspendue, lorsque les obligations seront cotées au-dessus du pair aux bourses de ces deux villes.
« Les fonds de la dotation de cet amortissement qui, par suite de la disposition qui précède, seront restés sans emploi, serviront à la réduction de la dette flottante jusqu’à son entière extinction, et ultérieurement à telle autre destination qui sera déterminée par la loi.
« Il en sera de même des fonds de la dotation de l’amortissement des emprunts autorisés par les lois du 26 juin 1840 (Bulletin officiel, n°264) et du 29 septembre 1842 (Bulletin officiel, n°827), qui, en conformité des stipulations des contrats passés avec les bailleurs, n’ont pas été employés au rachat de la dette, ou ne le seraient pas à l’avenir. »
« Art. 9. Les nouveaux titres à créer seront, préalablement à leur émission, soumis au visa de la cour des comptes. »
« Art. 10. Un crédit de quatre-vingt mille francs 80,000 fr. est ouvert au département des finances, pour couvrir les frais de matériel et de confection des titres qui seront créés en vertu des dispositions de la présente loi. »
« Art. 11. Le ministre des finances rendra aux chambres un compte détaillé de l’exécution des dispositions de la présente loi. »
- Ces articles sont adoptés sans discussion.
Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.
Le projet est adopté à l’unanimité des 53 membres qui ont répondu à l’appel nominal. En conséquence, il sera transmis à la sanction royale.
Ont répondu à l’appel : MM. d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Huveners, Jadot, Jonet, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Lys, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Simons, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert, Brabant, Castiau, Cogels de Chimay, de Corswarem, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, De la Coste, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Nef, de Renesse, de Saegher, Desmet, et Liedts.
« Art. 53. La condamnation à une peine infamante emporte la privation de la pension ou du droit à l’obtenir ; la pension pourra être rétablie ou accordée en cas de grâce, et sera rétablie en cas de réhabilitation du condamné, le tout sans rappel pour les quartiers échus.
« Dans les cas prévus par le paragraphe précédent, il sera payé sur le trésor public, à la femme ou aux enfants mineurs du condamné, une pension équivalente à celle qu’ils auraient reçue de la caisse des veuves et orphelins, s’il était décédé. Cette pension cessera lors du décès du condamné, ou de l’établissement de sa pension. »
- Adopté.
« Art. 54. Tout magistrat, fonctionnaire ou employé, révoqué de ses fonctions ou démissionnaire, perd ses droits à la pension ; cependant le gouvernement pourra lui en accorder les 2/3, lors de la révocation, s’il est dans l’un des cas prévus par le titre premier de la présente loi.
« Si le démissionné ou démissionnaire est remis en activité, les années de service antérieures lui seront comptées. »
- La section centrale propose de rédiger cet article de la manière suivante
« Art. 49. Tout magistrat, fonctionnaire ou employé, révoqué de ses fonctions ou démissionnaire, perd ses droits à la pension ; cependant le gouvernement pourra l’y admettre ou lui en accorder les 2/3 de la révocation, s’il est dans l’un des cas prévus par le titre Ier de la présente loi.
« Si le démissionné ou démissionnaire est remis en activité, les années de service antérieures lui seront comptées. »
- L’art. 54 est mis aux voix et adopté avec la rédaction de la section centrale, à laquelle le gouvernement déclare se rallier.
« Art. 55. Les pensions des veuves et orphelins sont à la charge de la caisse à laquelle le défunt a contribué. »
M. d’Elhoungne. - L’art. 55 dont M. le président vient de donner lecture me fournit l’occasion de signaler à la chambre une lacune que le projet de loi sur les pensions me paraît présenter, et qu’il y aurait peu de justice et d’humanité à ne pas combler.
Le système absolu que le projet introduit relativement aux pensions des veuves et des orphelins, se résume tout entier dans la disposition de l’art. 55, portant que : « Les pensions des veuves et orphelins sont à la charge de la caisse à laquelle le défunt a contribué » et dans la disposition de l’art. 34 qui pose en règle que : « Ces caisses seront alimentées au moyen de retenues exercées sur les traitements et suppléments de traitement, et que dans aucun cas, elles ne pourront être subsidiées par le trésor public. »
Ainsi, d’après le projet de loi, les pensions des veuves et des orphelins ne peuvent, dans aucun cas, grever le trésor public. Dans aucun cas, elles ne peuvent être considérées comme constituant une dette du pays. Elles doivent être exclusivement acquittées par les caisses de pensions. Elles sont soumises à toutes les vicissitudes, à toutes les fluctuations des caisses de pensions mêmes. Elles doivent, en un mot, partager leur bonne et mauvaise fortune, exactement et intégralement payées si les caisses de pensions sont dans un état prospère, inexactement payées, ou même réduites, aussi souvent que les ressources des caisses de pensions cesseront d’être au niveau des charges qui pèsent sur elles.
Certes je ne viens pas, messieurs, remettre en question le système que sanctionne le projet de loi. Quand même il ne serait pas consacré déjà par le vote de la chambre sur les dispositions des art. 34 et suivants, je n’hésiterais pas à reconnaître que, dans la situation de nos finances, le système du projet est prudent et rationnel, et qu’il n’a, en thèse générale, rien d’injuste.
Mais il est une exception, une exception unique heureusement et très rare, que, selon moi, le, projet doit admettre ; une exception, messieurs, qui doit faire fléchir par des considérations d’équité, d’humanité, voire même d’intérêt public bien entendu, la rigueur de la règle générale posée par l’art. 55.
Cette exception, je la trouve dans le cas où un fonctionnaire ou employé succombe à une mort violente dans l’exercice de ses fonctions, ou lorsqu’il meurt à la suite de blessures reçues dans l’exercice de ses fonctions.
Le pays, dans ce cas exceptionnel, contracte une dette sacrée. Le pays, et par conséquent, le trésor public doit une pension à la veuve de ce fonctionnaire, qui meurt victime de son dévouement et de son zèle ; le pays doit une pension aussi aux enfants que la mort de ce fonctionnaire rend orphelins.
C’est ainsi que la loi du 25 mai 1838 sur les pensions militaires accorde une pension à la veuve et aux enfants du soldat tué sur le champ de bataille ou dans un service commandé.
Evidemment les motifs de décider sont les mêmes, lorsque c’est un fonctionnaire ou employé civil qui est tué dans l’exercice de ses fonctions, ou qui meurt à la suite de blessures reçues dans l’exercice de ses fonctions. Je dis que la veuve et les enfants du défunt ont les mêmes titres à une pension dans les deux hypothèses ; car je ne saurais comprendre que le fonctionnaire civil qui est tué dans l’exercice de ses fonctions, ce qui est son champ de bataille, à lui, fût considéré moins favorablement que le soldat mort sur le champ d’honneur. L’un et l’autre ont bien mérité de la patrie ; ils ont les mêmes droits à la sollicitude du législateur.
C’est ainsi, par exemple, que l’employé du chemin de fer qui est tué durant son périlleux service, que le douanier qui tombe sous les coups des fraudeurs, que le pilote côtier qui se dévoue, par héroïsme, au salut d’un navire, ont des titres à la reconnaissance du pays, ont un droit incontestable à une pension pour leurs veuves et pour leurs enfants. Si la conscience et la raison ne le disaient pas, une sage et prévoyante politique nous ordonnerait de l’inscrire dans la loi, parce qu’il importe d’encourager le zèle, le dévouement et l’héroïsme des fonctionnaires publics. Je pense donc, messieurs, qu’il faut admettre l’exception que je viens de signaler au principe trop absolu de l’article 55, relatif aux pensions des veuves et orphelins. Je le pense d’autant plus que, par l’art. 5, vous avez décidé que :
« Tout magistrat, fonctionnaire ou employé qui, par suite de blessures reçues ou d’accidents survenus dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, aura été mis hors d’état de les continuer et de les reprendre ultérieurement, aura droit à une pension, quels que soient son âge et la durée de ses services. »
Et par l’art. 9 que :
« Dans le cas prévu par l’art. 5, la pension sera réglée à raison du quart du dernier traitement, augmenté de 1/60 pour chaque année de service au-delà de cinq. »
Et que : « Si l’intéressé a donné, lors de l’accident des preuves de courage ou d’un dévouement extraordinaire, la pension pourra être portée au tiers en maximum du traitement, indépendamment des années de service au-delà de cinq. »
Or, je vous le demande, messieurs, n’y aurait-il pas une espèce de contradiction à dire, d’une part, que tout fonctionnaire qui a reçu, dans l’exercice de ses fonctions, des blessures qui le mettent hors d’Etat de continuer son service, a droit à la pension, quel que soit le nombre de ses années de service ; et d’une autre part, que sa veuve et ses orphelins n’ont pas droit à une pension lorsque le fonctionnaire, au lieu de simples blessures, a reçu la mort dans l’exercice de ses fonctions ?
En principe donc, il n’y a point de doute : une pension est due par le trésor.
Mais ceci posé, se présente la question de savoir si cette pension doit être accordée à charge du trésor, indépendamment de la pension que la veuve du fonctionnaire ou les orphelins pourraient avoir à charge de la caisse des pensions, et si ces deux pensions peuvent être cumulées ? Je pense, messieurs, qu’il ne peut y avoir de doute sérieux sur cette question. Pour la résoudre, il suffit de se demander à quel titre et de quel droit les veuves et les orphelins touchent une pension sur la caisse des pensions ? C’est évidemment à raison des versements faits à cette caisse par le fonctionnaire décédé, ainsi que des chances aléatoires auxquelles il s’est soumis. La caisse, en servant ces pensions, paye sa propre dette.
Le gouvernement qui ne contribue en rien à cette caisse des veuves et orphelins, qui n’en est que le tuteur, ne peut prétendre qu’en servant ces pensions, la caisse paye la dette de l’Etat. Dès lors, la dette de l’Etat, cette dette sacrée, messieurs, subsiste tout entière. Le gouvernement ne peut se dire libéré de la pension qu’il doit par celle que paie la caisse des veuves et orphelins. Par conséquent, les deux pensions doivent être payées en même temps : les titulaires doivent pouvoir en cumuler la jouissance.
C’est en ce sens aussi qu’on interprète la loi sur les pensions militaires. Car, indépendamment de la disposition que j’ai eu l’honneur de citer déjà, et qui accorde une pension à charge du trésor à la veuve et aux enfants du militaire tué sur le champ de bataille ou dans un service commandé, il existe encore pour l’armée une caisse des veuves et orphelins sur laquelle une seconde pension est accordée cumulativement avec la pension à charge du trésor.
Enfin, messieurs, c’est un cas tout exceptionnel et heureusement très rare que celui sur lequel je viens d’appeler votre attention. Par cela même, il ne grèvera guère le trésor public ; et en lui consacrant, comme je crois avoir démontré qu’il fallait le faire, une disposition spéciale dans la loi des pensions, vous ferez, sans grands sacrifices, un acte de justice et d’humanité.
C’est par ces motifs que j’aurai l’honneur de proposer la chambre l’amendement suivant ; ce sont deux paragraphes additionnels à l’article en discussion :
« Néanmoins, lorsqu’un fonctionnaire ou employé aura péri dans l’exercice de ses fonctions, ou sera mort à la suite de blessures reçues dans l’exercice de ses fonctions, dans ce cas la veuve et, à défaut de celle-ci, ses enfants mineurs auront droit à une pension à charge du trésor public, indépendamment de celle qu’ils pourraient avoir à charge de la caisse des veuves et orphelins.
« Cette pension à charge du trésor sera calculée d’après le dernier traitement et le nombre d’années de service du défunt, conformément aux dispositions de l’art. 9 ci-dessus ; elle sera, de même que les pensions à charge de la caisse des veuves et orphelins, soumise aux dispositions des articles 56 et 61 du présent chapitre. »
L’amendement de l’honorable M. d’Elhoungne est appuyé.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, l’institution des caisses de pensions des veuves et des orphelins aura pour résultat, si la loi est votée par les deux chambres, d’assurer le sort de toutes les veuves et de tous les orphelins mineurs des serviteurs de l’Etat.
Faut-il aller plus loin ? Faut-il, dans un cas déterminé, prendre à la charge de l’Etat la pension des veuves et des orphelins ? Telle est, messieurs, la question que soulève l’amendement présenté par l’honorable M. d’Elhoungne.
Je comprends le sentiment d’humanité, d’équité et, en quelque sorte, d’obligation morale qui a dicté cet amendement ; mais il m’est difficile d’en comprendre l’utilité.
Les caisses des veuves et orphelins sont instituées pour qu’il existe une association mutuelle entre tous les fonctionnaires de la même catégorie, afin d’assurer, contre des événements déterminés, en cas de décès d’un fonctionnaire, l’avenir de sa veuve et de ses enfants.
D’après le texte de la loi, les circonstances dans lesquelles le fonctionnaire aura péri pourront être prises en considération, pourront être posées comme l’une des conditions du contrat en vertu duquel la caisse sera constituée. Dès lors, dans les statuts, on fera naturellement des dispositions exceptionnellement favorables pour le cas très rare où un fonctionnaire aura péri dans l’exercice de ses fonctions, et pour le cas où il aura reçu des blessures qui auraient occasionné la mort.
En thèse générale donc, l’amendement me paraît inutile.
Si j’ai bien compris l’honorable membre, il en a d’abord défendu l’utilité en supposant qu’un jour les caisses qui serait instituées, pussent se trouver dans l’état d’obération où se trouve aujourd’hui la caisse du département des finances. Mais déjà les explications qui ont été données, à plusieurs reprises, dans cette discussion sur le mode de constitution de ces caisses, sur les chances d’avenir qu’elles présentent, sur leur viabilité incontestable, paraissent avoir levé cette objection. Je ne crains donc pas que la seule éventualité dans laquelle l’amendement puisse présenter quelque utilité se réalise dans l’avenir.
S’il en est ainsi, messieurs, faut-il, pour ces faits très rares, alors que d’autres remèdes se présentent naturellement et seront naturellement aussi admis ; faut-il, dis-je, faire tout un code (car réellement l’amendement et ceux qui nous sont promis plus tard, si celui-ci passait, formeraient tout un code) pour le cas de mort causée au fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ? On arriverait d’ailleurs à ce singulier résultat, d’autoriser le cumul de deux pensions en dehors des principes généraux que nous avons déjà adoptés.
Sans doute, la dette de l’Etat est distincte de la dette de la caisse des veuves et orphelins ; mais, messieurs, si par les statuts de cette caisse, le cas dont on s’occupe est prévu, s’il est l’objet d’un privilège ou, pour mieux dire, d’une exception favorable, la dette est complètement payée, et il ne faut pas en imposer une nouvelle au trésor.
Si d’ailleurs, il se présentait, dans une circonstance donnée, quelque acte de grand dévouement, quelque grand danger couru par un fonctionnaire, et qui puissent constituer, soit pour lui-même, soit pour sa veuve ou ses orphelins, des titres à une rémunération nationale, la voie est toujours ouverte et les précédents sont là pour prouver que les chambres apprécient de pareilles considérations.
M. d’Elhoungne. - L’honorable rapporteur de la section centrale a reconnu, messieurs, que l’hypothèse prévue par mon amendement se réaliserait très rarement. Dès lors je dois croire que le motif qui a déterminé l’honorable rapporteur à combattre cet amendement n’est pas déduit des conséquences ruineuses ni onéreuses que l’adoption de l’amendement pourrait entraîner pour le trésor, mais prend sa source dans la frayeur que l’honorable rapporteur éprouve de voir surgir, dans le chapitre en discussion, tout un code sur les pensions des veuves et orphelins, code nouveau qui serait de nature à donner à la section centrale et à son honorable rapporteur un surcroît de travail tout à fait imprévu.
Que l’honorable M. Malou se rassure, messieurs, ce n’est pas tout un code que je n’ai ni l’honneur, ni le désir de présenter à la chambre, mais un amendement aussi facile à comprendre que simple à exprimer, parce qu’il se borne à consacrer un principe de justice et d’humanité. Or, il serait peu digne qu’un principe aussi salutaire fût omis dans la loi, ou fût exclu de la loi.
Je répondrai donc à l’honorable M. Malou que si mon amendement prévoit un cas extrêmement rare, c’est là une raison déterminante, une raison décisive de ne pas le rejeter. Un principe qui n’est que généreux et juste, sans être onéreux, peut-il rencontrer et chez l’honorable M. Malou, et dans la chambre, autre chose que de la bienveillance ?
Mais, ajoute-on, l’amendement est inutile. Messieurs, L’honorable M. Malou a démontré lui-même à la chambre que l’amendement est loin d’être aussi inutile qu’il le dit ; en effet, il a dû reconnaître que ce n’est pas la dette de l’Etat que paie la caisse des veuves et orphelins et dès lors mon amendement, qui donne au gouvernement le droit, comme la justice lui impose le devoir, de payer une pension aux veuves et aux orphelins des fonctionnaires tués dans l’exercice de leur fonctions, mon amendement, dis-je, vient évidemment combler une lacune du projet de loi. Grâce à cet amendement, le gouvernement pourra acquitter sa dette en même temps que la caisse des veuves et orphelins acquittera la sienne. Et ce ne sera pas un double emploi, messieurs, car les deux dettes sont distinctes par leur origine comme par leur caractère. Ce sera, il est vrai, un cumul ; mais soutiendra-t-on qu’il y a cumul, et un cumul qu’il faut se hâter de proscrire, lorsque la veuve d’un fonctionnaire jouira à la fois d’une faible pension sur la caisse des veuves, parce que son mari y aura contribué par des retenues périodiques sur son traitement, et d’une pension modique à charge du trésor de l’Etat, parce que son mari aura péri, en servant son pays, d’une mort violente et prématurée ?
Mais, continue l’honorable M. Malou, l’amendement est inutile ; car il est conçu dans la prévision que la caisse des veuves et orphelins pourra, quelque jour, se trouver sans ressources, hypothèse impossible désormais.
Messieurs, je répondrai d’abord que cette hypothèse, si elle est impossible aux yeux de l’honorable M. Malou, n’est nullement improbable lorsqu’on consulte l’histoire du passé. Je répéterai ensuite que, dès l’instant où l’amendement consacre la possibilité du cumul de deux pensions, l’une à charge du trésor, l’autre à charge de la caisse des veuves, cet amendement a une portée très réelle. Il ajoute une nouvelle sécurité, une nouvelle garantie d’existence pour les veuves et orphelins, à la sécurité, à la garantie que leur présente la caisse des pensions.
Je ne sais si je ne me trompe, messieurs ; mais je ne puis, pour mon compte, trouver rien d’étrange dans ce cumul de deux pensions que je voudrais voir consacrer par la loi, pour le cas exceptionnel sur lequel j’ai eu l’honneur d’appeler l’attention de la chambre.
L’honorable M. Malou, au contraire, croit que ce serait là une étrange anomalie ; mais la même disposition existe déjà dans la loi sur les pensions militaires.
Or, je ne puis comprendre comment une disposition juste et rationnelle dans la loi sur les pensions militaires, deviendrait une étrange anomalie dans la loi sur les pensions civiles, où les mêmes motifs la justifient, où les mêmes faits réclament impérieusement qu’elle soit consacrée, où les mêmes principes seraient blessés par son omission. Messieurs, je suis heureux de pouvoir le faire remarquer à l’honorable M. Malou, mon amendement se présente appuyé déjà par le vote que la chambre a émis dans la loi sur les pensions militaires. Cette autorité sans doute, n’est pas la réponse la moins concluante aux objections spécieuses de l’habile rapporteur de la section centrale.
M. Malou, rapporteur. - Je n’éprouve, messieurs, nulle crainte d’un surcroît de travail. Le travail utile me plaît beaucoup, et si je pouvais voir une utilité réelle dans l’amendement de l’honorable M. d’Elhoungne, loin de le combattre, je l’appuierais de toutes mes forces.
J’ai omis tout à l’heure de discuter l’antécédent de la loi des pensions militaires. Mais, messieurs, la loi relative aux pensions militaires consacre un système tout à fait spécial. Dans cette loi toutes les dispositions se lient. Je conçois parfaitement des dispositions exceptionnelles pour les veuves et les orphelins des militaires tués sur le champ de bataille ; mais je ne les considérerais pas pour cela comme utiles dans une loi qui a pour objet principal d’assurer indistinctement le sort de toutes les veuves et de tous les orphelins.
En effet, messieurs, l’honorable préopinant n’a pas répondu à l’argument principal que j’ai fait valoir. Les circonstances rares dont il parle, devront naturellement être prises en considération par les statuts des caisses de prévoyance qui seront formées ; et s’il en est ainsi, si c’est une des clauses du contrat, la dette sera payée.
Je ferai remarquer, eu outre, que la pension de la veuve devra nécessairement être proportionnelle, soit au dernier traitement du mari, soit, avec plus de raison, je pense, à la pension à laquelle le mari aurait eu droit ; et dès lors les dispositions qui ont été adoptées aux articles 5 et 9 réagiront favorablement sur le sort de la veuve et des orphelins du fonctionnaire tué dans l’exercice de ses fonctions.
M. Dumortier. - Messieurs, je viens appuyer l’amendement de mon honorable collègue, M. d’Elhoungne. Cet amendement ne me paraît pas aussi déraisonnable qu’il le paraît à l’honorable rapporteur.
M. Malou, rapporteur. - Je n’ai pas dit qu’il était déraisonnable, j’ai dit qu’il était inutile.
M. Dumortier. - Cela résulte de vos paroles. Ne mettez pas d’amour-propre dans ce que vous faites, ni dans ce que vous dites.
Je dis donc que l’amendement présenté n’est pas déraisonnable. Et, en effet, de quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une véritable question d’humanité ; il s’agit de la position où se trouveraient la veuve et les orphelins d’un fonctionnaire d’ordre inférieur qui aurait été tué dans l’exercice de ses fonctions ? Je vous le demande, n’est-ce pas là véritablement le cas de faire fléchir la loi ?
Messieurs, je ne suis pas partisan des mesures exceptionnelles ; mais, je le répète, c’est ici une véritable question d’humanité. Comment ! un simple douanier est occupé à la frontière à empêcher la fraude ; il est assassiné par des fraudeurs ; eh bien, s’il n’a pas un nombre considérable d’années de services, sa veuve et ses orphelins seront sans pension ou n’auront qu’une pension insignifiante.
Un employé du chemin de fer est occupé à recueillir les bulletins et vous savez quel est l’exercice que cet employé doit faire pour cela ; il est écrasé sous un waggon. Il n’a qu’une ou deux années de service ; la veuve n’aura droit à aucune pension ? Mais c’est une véritable monstruosité !
Je pense, messieurs, que l’amendement de l’honorable M. d’Elhoungne est extrêmement raisonnable, et que dans le cas dont il s’occupe, vous devez agir envers la veuve et les orphelins d’une manière autre que dans les cas ordinaires. Il me paraît qu’il serait on ne peut plus injuste de laisser dans une position misérable la veuve et les orphelins d’un fonctionnaire qui leur aurait été enlevé par suite d’une mort occasionnée par des services rendus à la chose publique. Si vous accordez des pensions pour des services qui n’ont donné lieu à aucun danger, à plus forte raison devez-vous en accorder pour des services qui ont occasionné la mort. J’appuie donc de tous mes moyens l’amendement de notre honorable collègue.
Je sais bien ce qui peut effaroucher quelques personnes ; c’est la double pension ; mais il me semble qu’il ne devrait pas y avoir une double pension ; qu’il faudrait, dans le cas prévu par l’honorable M. d’Elhoungne accorder une pension unique sur le trésor public. Encore une fois, le cas ne peut se présenter que pour certains employés subalternes dont la vie est souvent en danger.
M. Malou, rapporteur. - Il me répugne beaucoup, en général, de prendre la parole pour des faits personnels. Cependant, je ne puis pas laisser passer sans réponse les expressions que m’a attribuées l’honorable préopinant. Il n’entre pas dans mes habitudes de me servir de semblables expressions. J’ai dit que je considérais l’amendement de l’honorable M. d’Elhoungne comme inutile, mais je ne l’ai pas traité de déraisonnable. J’ai cherché, de la meilleure foi du monde, à démontrer que l’amendement était inutile, et je persiste à le considérer comme tel.
Quant à une autre expression, je désirerais que l’honorable membre voulût bien la retirer. Je n’ai pas non plus l’habitude de mettre de l’amour-propre dans ce que je dis, ni dans ce que je fais ; je dis ce que je crois juste et vrai ; je fais ce que je crois être mon devoir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, si l’amendement de l’honorable M. d’Elhoungne s’applique aux cas ordinaires, il est dangereux ; il fausse tout le système de la loi. Si, au contraire, il ne s’applique qu’aux cas extraordinaires, il est superflu. (Interruption.) Je dis que si l’amendement s’applique aux cas ordinaires, il fausse tout le système de la loi ; en effet, il faut malheureusement admettre qu’il y a des métiers où l’on s’expose à perdre la vie. C’est précisément pour cela qu’on institue des caisses de pensions pour les veuves et orphelins ; c’est pour cela qu’on a institué, entre autres, une caisse au chemin de fer. On a considéré, par exemple, la position des machinistes : les machinistes courent les plus grands dangers, c’est pour cela que l’on a institué une caisse pour les veuves et orphelins,. C’est ainsi encore que l’on a institué des caisses pour les ouvriers mineurs. Les ouvriers mineurs courent des dangers, ce sont les chances du métier.
Ne concluez cependant pas de mes paroles qu’il ne puisse pas arriver qu’un employé du chemin de fer, par exemple, vienne à périr en se plaçant dans une circonstance tout extraordinaire, en montrant un dévouement rare, parce que non seulement il a rempli son métier de machiniste, mais parce que, en outre, il a cherché à sauver la vie à d’autres personnes. Je dis que dans ce cas il y aurait lieu à proposer une loi spéciale pour donner à la veuve et aux orphelins de ce machiniste une pension à la charge de l’Etat, indépendamment de la pension qui leur est assurée par la caiss., Ce sont là des cas extraordinaires qu’il ne faut pas prévoir dans la loi.
Je ne puis assez répéter, qu’en appliquant l’amendement de l’honorable M. d’Elhoungne aux cas ordinaires, on fausserait tout le système de la loi. Quant aux cas extraordinaires, il ne faut pas les prévoir dans la loi.
Néanmoins, je sais gré à l’honorable M. d’Elhoungne d’avoir appelé l’attention de la chambre sur ce point. Il restera entendu que si un agent public, dans un emploi quelconque, venait à périr par suite d’un dévouement extraordinaire, il y aurait à examiner si, outre la pension due à sa veuve et à ses orphelins par la caisse spéciale, il n’y aurait pas lieu de leur allouer par une loi particulière une pension extraordinaire et supplémentaire.
M. de Mérode. - Ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur est favorable jusqu’à un certain point aux observations présentées par l’honorable M. d’Elhoungne. Il restera entendu, dit M. le ministre, que malgré la pension assurée aux veuves et orphelins par la caisse de retraite, le gouvernement peut encore en accorder une autre, lorsque le fonctionnaire aura péri par suite d’un acte de dévouement. Mais, messieurs, il ne serait pas logique d’accorder une pension à la veuve et aux orphelins de celui qui meurt sans avoir fait preuve de dévouement. On a cité tout à l’heure les ouvriers des mines ; celui qui travaille dans les mines sait qu’il s’expose à y trouver la mort ; celui qui est employé au chemin de fer est dans une position analogue. S’il n’a posé aucun acte de dévouement pourquoi voulez-vous le récompenser, alors que vous ne récompensez pas celui qui travaille dans les mines ?
M. Lejeune. - Messieurs, je suis tout disposé à voter en faveur du principe de l’amendement de l’honorable M. d’Elhoungne, mais je crois que l’honorable membre va trop loin lorsqu’il veut autoriser le cumul de deux pensions. Il me paraît que dans le cas prévu par l’amendement on devrait mettre la veuve et les orphelins dans la position où se trouverait le fonctionnaire lui-même s’il avait survécu à l’événement qui l’a frappé. La veuve et les orphelins auront une pension sur la caisse de retraite ; il faudrait seulement ajouter à cette pension un supplément égal à la différence qu’il y a entre la pension payée sur la caisse des veuves et orphelins, et celle à laquelle le fonctionnaire décédé aurait eu droit lui-même s’il s’était trouvé dans le cas prévu par l’art 5. De cette manière, je pense que la dette de l’Etat serait payée. Cette disposition aurait l’avantage de ne pas trop compliquer la loi ; il y aurait seulement un amendement à l’article en discussion, et il ne faudrait en changer aucun autre.
Je proposerai donc, messieurs, de modifier l’amendement dans ce sens que, dans le cas dont il s’agit, il serait accordé un supplément de pension égal à la différence qu’il y a entre la pension payée par la caisse des veuves et orphelins, et celle à laquelle l’employé décédé aurait eu droit, s’il s’était trouvé dans le cas prévu par l’art. 5.
M. d’Elhoungne. - Je crois, messieurs, devoir déclarer avant tout que l’honorable M. Dumortier a véritablement exagéré les expressions dont l’honorable M. Malou s’est servi lorsqu’il m’a fait l’honneur de me répondre. L’honorable rapporteur de la section centrale n’a point l’habitude de qualifier de déraisonnables les observations de ses collègues ; il s’applique toujours à observer plus scrupuleusement les convenances parlementaires ; et j’ai la conviction que, tout en me répondant avec chaleur, l’honorable rapporteur n’a en recours ni ne s’est laissé aller à aucune expression désobligeante.
L’honorable M. Malou m’a reproché de n’avoir pas répondu à son principal argument, qui consiste à dire que dans les statuts de la caisse des veuves et orphelins on aurait égard aux cas prévus par mon amendement, et que l’on accordera, dans ce cas, une pension plus élevée. Messieurs, ma réponse est facile. L’honorable M. Malou a perdu de vue, qu’en imposant une pareille charge à la caisse des veuves et orphelins, on commettrait une véritable injustice. En effet, c’est déjà une chose onéreuse pour la caisse des veuves et orphelins ; lorsque, contrairement à l’ordre naturel des choses et par suite d’un accident, elle doit payer une pension à la veuve d’un fonctionnaire que la mort vient de frapper dans la fleur de l’âge, bien longtemps avant le terme probable et prévu de sa carrière ; mais vouloir, en outre, que, dans ce cas déjà si onéreux, la caisse des pensions paye encore à cette veuve une pension beaucoup plus élevée ; c’est enter une injustice sur un malheur.
L’honorable ministre de l’intérieur a aussi combattu mon amendement. Il a aussi soutenu que ma proposition était dangereuse si elle s’appliquait aux cas ordinaires, et qu’elle était inutile si elle s’appliquait aux cas extraordinaires. Appliqué aux cas ordinaires, a-t-il dit, elle est dangereuse, parce qu’elle grève le trésor d’une dette qu’on ne peut reconnaître, même en principe, l’employé qui accepte des fonctions dangereuses ayant fait, en quelque sorte, d’avance le sacrifice de sa vie ; selon M. le ministre, le gouvernement, en le nommant à ces fonctions, achèterait, je ne sais par quelle sorte de marché, l’existence de ce fonctionnaire ; ce serait pour cela même que le gouvernement a institué les caisses des veuves. Or, comme le gouvernement a prévu que cet employé peut mourir, doit mourir dans l’exercice de ses dangereuses fonctions, dit M. le ministre de l’intérieur, l’hypothèse prévue par l’amendement n’est plus qu’un cas ordinaire, rentrant dans le cours naturel des choses ; c’est un cas que le fonctionnaire a dû lui-même prévoir dans ses calculs et qui ne peut donner ni à sa veuve, ni à ses enfants aucun droit de demander une pension extraordinaire. Tel est, messieurs, le raisonnement de M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Considérablement exagéré.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, en faisant ce raisonnement, M. le ministre de l’intérieur a fait non la critique de mon amendement, mais la critique de la loi sur les pensions militaires. En effet, elle consacre le même principe, cette loi ; elle porte la même disposition. Or, s’il est une catégorie de fonctionnaires condamnés, en quelque sorte, à périr dans l’exercice de leurs fonctions, s’il est une catégorie de fonctionnaires dont on puisse dire qu’ils ont d’avance fait à la patrie le sacrifice de leur vie, n’est ce pas la classe si nombreuse des fonctionnaires militaires ; n’est-ce pas l’armée tout entière ? Cependant on admet que lorsqu’un militaire est tué au champ d’honneur, en combattant pour son pays, sa mort honorable est un titre pour sa veuve et pour ses enfants, qui leur assure une pension sur le trésor public. Et il serait dangereux, et il ne serait pas juste d’appliquer le même principe quand c’est un fonctionnaire civil qui trouve une mort violente en servant son pays ?
Messieurs, je m’en rapporte à la raison supérieure de M. le ministre de l’intérieur, à son coup d’œil si pénétrant, si rapide, si sûr, et je lui demanderai si c’est là de la logique ?
Voilà, messieurs, pour ce que M. le ministre appelle les cas ordinaires et qui sont heureusement assez rares. Restent les cas extraordinaires, c’est-à-dire ceux où le fonctionnaire ne se borne pas à se faire tuer, mais déploie un héroïsme plus brillant. Pour ces cas extraordinaires, dit M. le ministre, l’amendement est tout à fait inutile.
En effet, dans ces cas-là, on peut proposer à la chambre une loi extraordinaire pour récompenser extraordinairement un acte de dévouement et de courage extraordinaire ! Vraiment, messieurs, j’espère que le dévouement et le courage ne sont pas, en Belgique, choses si extraordinaires. Dès lors, je pense que nos lois imposent déjà assez de travail aux chambres ; que déjà, les chambres sont surchargées d’assez de projets de lois, pour ne pas leur créer à plaisir des occupations nouvelles. N’est-il pas plus simple, ne sera-t-il pas plus utile d’insérer dans notre loi générale des pensions, qui est le code de la reconnaissance nationale, cette disposition si morale et si juste ; cette disposition d’une politique si prévoyante et si élevée, que je n’ai eu l’honneur de vous proposer qu’après l’avoir puisée dans une loi émanée de vous ?
Messieurs, les observations que je viens de vous soumettre répondent suffisamment, je pense, à ce qui a été dit par l’honorable comte de Mérode. Cet honorable membre trouve aussi qu’il n’est point logique, qu’il n’en point juste, d’accorder une pension extraordinaire à la veuve d’un employé qui a péri d’une mort violente dans l’exercice de ses fonctions. D’après lui, cet employé a dû prévoir qu’il pouvait périr de cette manière, et l’honorable membre a cité l’exemple des machinistes du chemin de fer. Mais je le demanderai à l’honorable comte de Mérode, lorsqu’un machiniste est tué par suite d’un accident, sans qu’il y ait le moindre reproche d’imprudence ou d’impéritie à lui adresser, est-il juste oui ou non, d’accorder une pension à charge du trésor à sa veuve et à ses enfants, tout comme il aurait eu une pension lui-même s’il n’eût été que blessé, que mutilé ? Après cela, messieurs, comment dire, avec M. le ministre de l’intérieur et M. de Mérode, que l’amendement que j’ai présenté est un amendement inutile : n’eût-il que son but moral, que son but d’humanité, il faudrait l’accepter ; il serait fâcheux pour le pays que les fonctionnaires puissent penser que, par le rejet de l’amendement, la chambre a entendu méconnaître leurs services, et repousser le principe salutaire qui impose à la nation le devoir de les rémunérer dignement.
M. le président. - M. Lejeune propose à l’amendement de M. d’Elhoungne le sous-amendement suivant :
« Un supplément de pension égal à la différence entre la pension accordée sur la caisse des veuves et orphelins et celle à laquelle l’employé décédé aurait eu droit, s’il s’était trouvé dans le cas prévu par l’art. 5. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je me permettrai de faire remarquer à l’honorable M. d’Elhoungne qu’en bonne politique, il ne faut jamais exagérer ; je crois qu’il a un peu exagéré certaines considérations que je vous avais présentés.
Je n’ai pas dit qu’il est des positions où l’employé vend sa vie au gouvernement, mais j’ai dit qu’il est des positions où l’employé expose sa vie ; les chances qu’il court, il les connaît, elles sont inhérentes à la position même ; il ne peut pas se faire illusion. Faisant ensuite une comparaison entre l’administration et les professions libres, j’ai dit que de la même manière, l’ouvrier mineur courait des chances et qu’il le savait ; c’est même à raison de ces chances que se calcule le salaire ; le salaire se calcule à raison de ces chances, et dans les professions libres et dans les positions assignées par le gouvernement à certains agents.
Poursuivons la comparaison.
Les ouvriers mineurs sont de tous les ouvriers ceux qui sont les mieux payés ; j’en appelle aux membres de cette chambre qui habitent les pays houillers. Les machinistes, au chemin de fer, sont de tous les employés subalternes, ceux qui reçoivent le salaire le plus élevé. J’ignore le taux actuel de leur salaires ; mais je sais qu’à l’époque où j’étais à la tête du département des travaux publics, les machinistes avaient généralement jusqu’a 10 francs et plus par jour.
M. Brabant. - Ils ont aujourd’hui cinq francs.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les machinistes avaient dans le temps jusqu’à 10 francs ; mais n’importe ; cinq francs, c’est encore un beau salaire ; mon assertion n’en reste pas moins vraie, c’est que le salaire ou le traitement de ces agents se calcule à raison des chances qu’ils courent.
Je ne crois donc pas avoir manqué à l’humanité, en disant que certaines chances que courent les employés, dans certaines positions, sont inhérentes à la position même, que ces chances sont connues à l’avance, et qu’on les prend en considération (c’est ce que j’ajoute maintenant), pour fixer le taux des salaires ou des traitements.
Cela posé, je suis forcé de répéter que les risques que court l’employé dans certaines positions sont au nombre des cas ordinaires ; mais j’ajouterai de nouveau, comme je l’ai dit tout à l’heure, que je n’entends pas repousser d’une manière absolue toutes les considérations qui ont été présentées par l’honorable M. d’Elhoungne. J’admets avec lui qu’un agent, au chemin de fer, par exemple, peut périr dans des circonstances tellement extraordinaires que sa mort sorte des chances ordinaires de sa position. Il est constaté qu’un machiniste aurait pu se sauver, s’il l’avait voulu ; eh bien, il n’a pas voulu se sauver, ou bien, comme un capitaine de navire reste à bord de son bâtiment qui est sur le point de périr, le machiniste est resté sur sa locomotive. Ou bien encore, il ne l’a quittée, après l’avoir arrêtée, que pour chercher à sauver des voyageurs qui faisaient partie du convoi ; il périt : ici, vous devez une récompense à la famille de l’homme qui est mort victime de ce dévouement extraordinaire ; sa veuve et ses orphelins ne toucheront pas seulement la pension ordinaire qui leur est assurée sur la caisse spéciale, mais une loi particulière vous serait présentée pour accorder une rémunération, en quelque sorte, extraordinaire à cette famille.
Voilà comment je me mets, je crois, d’accord avec l’honorable M. d’Elhoungne, en admettant ce qu’il y a de vrai dans les considérations qu’il a présentées. Je le répète, je sais gré à l’honorable membre d’avoir soumis ces considérations à l’assemblée, parce que maintenant l’attention de la chambre est éveillée sur ce point, Je ne m’effraie pas du surcroît de besogne que pourraient donner à la législature des lois semblables. Des lois de ce genre ne soulèveront jamais de longues discussions dans cette chambre. Un machiniste du chemin de fer périrait dans une circonstance extraordinaire, et il est très probable que la loi qui serait présentée pour récompenser la famille de cet employé serait votée sans discussion.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je partage les sentiments d’humanité qui ont inspiré l’honorable auteur de l’amendement, cependant des raisons d’économie ne me permettent pas d’adopter cette disposition.
L’honorable membre a raisonné dans deux ordres d’idées différents.
D’abord je crois qu’il a été dominé par la crainte que la caisse ne pût faire face à toutes les pensions. Sur ce point, je répondrai que l’expérience nous a suffisamment éclairés sur l’institution des caisses de pensions ; nous savons aujourd’hui à quelles conditions ces caisses peuvent suffire à tout événement. La crainte exprimée par l’honorable membre n’est donc pas fondée.
L’honorable membre a pensé ensuite qu’outre la pension payée aux veuves et aux orphelins, en vertu des règles ordinaires sur les caisses établies par la loi, il faudrait encore leur accorder une seconde pension. Eh bien, l’honorable rapporteur de la section centrale a très bien répondu que ces veuves et orphelins se trouvaient favorisés en vertu même de la loi, puisque dans les cas où les employés viendraient à être mis hors du service par suite d’accidents survenus dans l’exercice de leurs fonctions, ils auraient des droits à une pension, quoique n’ayant pas le nombre d’années suffisant, et que s’ils avaient donné une preuve de courage ou d’un dévouement extraordinaire, leur pension serait augmentée. Une conséquence de ces dispositions, c’est que la pension des veuves et des orphelins sera également augmentée.
Mais, dit l’honorable membre, ce sera une injustice, que de faire cette augmentation sur les caisses des veuves et des orphelins, puisque ces caisses ne sont formées qu’au moyen d’une contribution payée par les fonctionnaires.
Je ferai observer à l’honorable membre que c’est la loi elle-même qui détermine les pensions des fonctionnaires et que c’est la loi encore qui impose une retenue ; il n’y a pas d’injustice dans la retenue qui est imposée ; il n’y en a pas non plus dans le surcroît de charges que subirait la caisse, par suite de dispositions prévues par la loi.
L’on a tiré argument de ce qui s’est fait pour les militaires. Mais, messieurs, les caisses pour les veuves et les orphelins des militaires ne sont pas établies par la loi ; d’un autre côté, il faut observer que les militaires n’acceptent pas volontairement la position qu’ils occupent ; la loi les force de servir, tandis que les fonctionnaires publics qui embrassent une carrière qui offre des dangers, y entrent volontairement.
M. Castiau. - Ce n’est pas pour prolonger la discussion et pour appuyer l’amendement de M. d’Elhoungne que je prends la parole. Cet amendement a été développé de manière à n’avoir par besoin d’appui, et j’espère que la majorité rendra hommage au sentiment qui l’a dicté, en l’adoptant.
Mon seul but est de rectifier une erreur de fait dans laquelle vient de tomber M. le ministre de l’intérieur, erreur sur laquelle il a basé une partie de son argumentation contre l’amendement.
M. le ministre s prétendu que le salaire des classes ouvrières était en raison des dangers qu’elles avaient à courir, et il vous a cité l’exemple des ouvriers mineurs qui, plus exposés que les autres, recevraient, en ce moment, un salaire qu’il porte à cinq francs.
Je désirerais bien vivement, dans l’intérêt des ouvriers mineurs, que l’assertion de M. le ministre fût exacte. Malheureusement il n’en est rien, et la misère qui, trop souvent, désole les pays houillers, est une protestation assez énergique contre cette assertion.
M. le ministre a fait appel, à l’appui de ses paroles, aux membres de cette chambre qui habitent des districts houillers. Eh bien, je viens de consultera à l’instant même deux de ces honorables collègues. Il résulte de leur affirmation que la moyenne du salaire des mineurs, dans la province de Liége, n’excède par en ce moment 1 fr. 50 c., et dans l’arrondissement de Charleroy 2 fr. Il y a loin de ce chiffre à la somme citée par M. le ministre.
Ors sait très bien qu’il est impossible d’apporter une règle absolue et invariable pour les salaires des ouvriers mineurs. Ces salaires, comme tous les autres, varient suivant l’importance du travail et l’activité de l’industrie. Mais si l’on prend en considération les chances qui pèsent sur cette industrie et les longs chômages auxquels elle n’est que trop souvent condamnée, on pourra se convaincre que la moyenne du salaire des ouvriers mineurs n’est généralement pas plus élevée que la moyenne du salaire des autres industries, et que s’ils font le sacrifice de leur vie, le sacrifice, est loin d’être trop généreusement payé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, cette rectification n’est pas une réponse directe à mes observations ; que l’honorable préopinant me permette d’en faire la remarque : la somme de 5 francs a été citée par l’honorable M. Brabant, qui m’avait interrompu, comme le salaire actuel des machinistes au chemin de fer ; j’ai ajouté que les machinistes anglais recevaient même une somme supérieure à 5 francs, et je me rappelle fort bien que lorsque j’étais à la tête de l’administration du chemin de fer, les machinistes anglais avaient jusqu’à 10 francs par jour. C’est donc a propos des machinistes du chemin de fer qu’on a cité des sommes précises.
Voici ce que j’ai dit des ouvriers mineurs :
J’ai affirmé que leur salaire était plus élevé que celui des ouvriers ordinaires, assertion que je maintiens. J’ajouterai que le couvreur reçoit un salaire plus élevé que le paveur, attendu que le couvreur s’expose sur les toits à des dangers que ne court pas le paveur qui reste dans la rue.
M. Malou, rapporteur. - je ferai d’abord une réserve pour la place à assigner à l’amendement, s’il était adopté. Le chapitre dont il s’agit est exclusivement relatif aux pensions des veuves et orphelins. Si on adoptait une disposition quelconque, je demanderais qu’au deuxième vote l’article fût reporte ailleurs. J’ajouterai un mot au sujet de l’argument que l’honorable M. d’Elhoungne a fait valoir en dernier lieu. Il y aurait, dit-on, injustice envers la caisse des veuves à lui faire payer une dette de l’Etat. Il y a deux réponses à faire à cet argument.
La première est que pour les caisses où se trouveront compris des fonctionnaires dont les fonctions présentent des dangers, ces dangers seront des conditions prévues par les statuts. La seconde réponse consiste en ce que les traitements étant proportionnés aux chances dangereuses des fonctions et les retenues étant proportionnées au traitement, il est juste que la caisse accorde une pension plus forte aux veuves et orphelins des fonctionnaires ou employés qui périssent dans l’exercice de leurs fonctions.
- La discussion sur l’amendement est close.
Le sous-amendement de M. Lejeune est mis aux voix. Il n’est pas adopté.
L’amendement de M. d’Elhoungne est ensuite mis aux voix. Il n’est pas adopté.
M. Jonet. - Messieurs, sur l’art. 55, j’ai une observation à faire. On y parle de pensions de veuves et d’orphelins. La loi ne dit pas ce qu’elle entend par des orphelins. Elle pourra faire naître la question si l’enfant majeur peut être considéré comme orphelin. Je sais que le dictionnaire de l’Académie définit ce que l’on entend par orphelin, ce sont les enfants en bas âge. Mais les mots en bas âge sont vagues. Est-ce 10 ans, est-ce 15 ans, est-ce 18 ans ? Le dictionnaire ne le dit pas, ni la loi non plus. Je voudrais qu’on définît ce qu’on entend par orphelins. Je proposerai l’amendement suivant il consiste à ajouter les mots : âgé de moins de 21 ans. Quand un enfant mineur a perdu son père, il est orphelin à mes yeux.
M. Malou, rapporteur - L’honorable membre avait bien voulu me communiquer son doute : et j’avais cherché à le lever au moyen de l’imposante autorité de l’Académie française, d’après laquelle le mot orphelin ne s’applique qu’aux enfants en bas âge. Dès lors l’état d’orphelin ne peut pas se prolonger au-delà de la majorité. Je ne verrais pas de difficulté à insérer une fixation d’âge, si cette fixation ne devait pas avoir pour résultat d’obliger toutes les caisses à aller jusqu’au même point.
Dans les statuts des caisses que j’ai eu occasion de consulter, on définit la condition de l’orphelin. Dans la plupart, on dit que les enfants âgés de moins de 18 ans sont réputés orphelins. Si l’honorable membre voulait considérer la définition donnée par l’Académie comme suffisante, et laisser aux statuts le soin de définir s’il faut aller jusqu’à la majorité, il pourrait retirer son amendement comme inutile.
M. Orts. - Ce que j’avais prévu arrive encore ici. A propos de l’art. 41, qui abandonne à des arrêtés royaux une foule de garantie pour la collation des pensions, je faisais remarquer qu’il convenait que la loi fixât certaines conditions. On m’a dit, les arrêtés royaux fixeront cela. Mais à la fin du compte, que faisons-nous ? Il me paraît que la question dont il s’agit est assez grave pour être fixée par la loi. On dit : on est orphelin jusqu’à 18 ans. Où trouve-t-on cela ? Y a-t-il une seule loi qui dise jusqu’à quel âge on est réputé orphelin ?
Quel mal y aurait-il à fixer positivement l’âge auquel sera attachée la qualité légale d’orphelin, car ne nous y trompons pas, il y a le dictionnaire de la langue et celui de la loi ; quand on puise dans le dictionnaire de la langue pour interpréter une loi, on est souvent dans le cas de se tromper. La loi fixe les choses d’une manière positive. La chose est simple ; il suffit d’ajouter deux mots à l’article, et alors vous avez une garantie légale que les choses se passeront comme on entend qu’elles se passent. Si on trouve que l’âge de 18 ans n’est pas assez élevé, qu’on adopte celui de 21 ans. J’insiste pour que ceci ne soit pas abandonné aux arrêtés royaux promis par l’art. 41, mais écrit en toutes lettres dans la loi.
M. d’Huart. - Il me semble que l’amendement proposé ne peut être admis. Car si on disait les orphelins âgés de moins de 21 ans, ce serait supposer qu’il peut y en avoir de plus de 21 ans. L’expression ne me paraît ni conforme à la définition de l’Académie, ni à ce qu’on doit entendre par la qualification d’orphelin. Je pense qu’il convient de laisser cet objet comme on en a laissé beaucoup d’autres plus importants aux règlements à faire par le gouvernement. Du reste, comme on l’a déjà dit, de nombreux statuts existent, et c’est dans ces statuts, qui sont le résultat de propositions faites par les intéressés, que s’établira l’âge des orphelins. En décidant cette question dans la loi, vous pourriez nuire à la bonne composition du règlement des caisses de prévoyance ; car le même âge ne peut pas être adopté pour toutes les catégories de fonctionnaires, et il est probable qu’on prendra un échelle proportionnelle pour l’âge des orphelins.
Je pense donc qu’il faut laisser cela à la rédaction des règlements, et que les observations de l’honorable M. Jonet et la réponse de M. le rapporteur consignées au Moniteur, suffiront pour indiquer qu’on entend par orphelins ceux qui sont âges de 18 ans ou même de moins de 21 ans. Veuillez vous rappeler qu’il a été dit, que les intéressés seraient appelés à proposer la rédaction des règlements d’admission à la caisse des veuves et orphelins.
M. Jonet. - Je conçois qu’il y aurait une espèce d’opposition à conserver le mot orphelin avec ceux âges de moins de 21 ans, car il n’y a pas d’orphelin majeur. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il faut fixer l’âge auquel les enfants du fonctionnaire décédé n’auront plus droit à la pension, et non laisser cela à l’arbitraire du gouvernement ; sans cela, vous verriez, dans un cas, l’orphelin ne plus être admis à la pension à 18 ans, dans tel autre ne plus l’être à 15. Je demande que l’âge auquel la pension cessera d’être due à l’orphelin soit fixé dans la loi.
- La discussion est close.
L’amendement est mis aux voix. Il n’est pas adopté. L’art. 55 est adopté.
« Art. 56. Aucune pension ne sera accordée que par un arrêté royal, rendu sur le rapport du ministre au département duquel ressortit la caisse. »
Adopté.
« Art. 57. Les pensions prennent cours à dater du premier du mois qui suit le décès. »
« Les dispositions des articles 48 et 49 ci-dessus leur sont applicables. »
- La section centrale substitue aux numéros 48 et 49, ceux 43 et 44.
« Art. 58. Nulle pension ne peut excéder la moitié du traitement du défunt, ni un maximum de fr. 4,000. »
M. Malou, rapporteur. - Dans une précédente séance, on s’est déjà occupe du principe de cet article ; je tiens à faire une réserve. L’art. 58 assure à la veuve une pension qui ne peut excéder la moitié du traitement du défunt ni un maximum de 4,000 fr. ; mais on ne peut induire de là que les pensions des veuves seront nécessairement fixées d’après le traitement du défunt. C’est un maximum absolu, en ce sens qu’on ne pourra accorder au-delà de la moitié du traitement ; mais on pourrait aussi proportionner la pension des veuves et orphelins à la pension à laquelle le mari aurait eu droit.
- L’article 58 est mis aux voix et adopté.
« Art. 59. Les dispositions de l’art. 52 sont applicables aux veuves et orphelins pensionnés. »
Même article, projet de la section centrale :
« En cas de non résidence des veuves dans le royaume, il sera fait une retenue d’un tiers sur toute pension de 1,500 fr. et au-dessus. »
M. le ministre des finances (M. Mercier) - C’est une conséquence de l’article voté hier. Je ne puis donc, pour le moment, m’opposer à son adoption.
M. Malou, rapporteur. - Quant à cette disposition, je me trouvais de la minorité de la section centrale. Il m’avait paru que l’on ne pouvait appliquer aux veuves et orphelins les dispositions relatives à la résidence admises pour les fonctionnaires pensionnés ; qu’on ne pouvait assimiler ces pensions à celles des fonctionnaires qui sont une rémunération de l’Etat. J’ai voté, par ce motif, contre l’article 59 de la section centrale.
- L’amendement de la section centrale est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
M. Malou, rapporteur. - Mon observation subsiste contre l’article du projet du gouvernement. Il y a plus, c’est qu’on empêcherait des orphelins de jouir de leur pension, lorsque leur tuteur serait à l’étranger, ce qui est inadmissible.
(erratum Moniteur n°82 du 22 mars 1844 :) - L’art. 59 est mis aux voix, il n’est pas adopté.
M. d’Huart. - On pourra revenir sur la disposition adoptée hier, afin qu’il y ait harmonie dans la loi.
« Art. 60. Toute veuve qui se remarie perd ses droits à la pension. »
- Adopté.
« Art. 61. La femme qui se marie avec un pensionnaire ou avec un magistrat, fonctionnaire ou employé démissionné ou démissionnaire, et les enfants issus du mariage, n’ont aucun droit à la pension. »
M. Verhaegen. - Jusqu’à présent, dans ma manière de voir, au lieu de faire une loi, nous n’avons fait qu’un cadre que le pouvoir exécutif va remplir. Ce qui me donne cette conviction, c’est qu’un amendement fondé en équité, en logique et en droit, celui de mon honorable ami M. Jonet, vient d’être rejeté.
Messieurs, vous venez de décider que la femme qui se remarie perd ses droits à la pension, mais cette disposition n’est pas complète ; en effet, que ferez-vous des orphelines jouissant de pensions si elles viennent à se marier, abandonnerez-vous encore leur sort au pouvoir exécutif ?
M. Donny. - La question posée par l’honorable membre est extrêmement simple à résoudre. Les statuts organiques de chaque caisse décideront jusqu’à quel âge la fille d’un fonctionnaire décède doit être considérée comme orpheline. Tant qu’elle n’aura pas atteint cet âge, elle jouira de la pension qui lui est dévolue, qu’elle se marie ou ne se marie pas. Car il n’entre dans l’intention de personne de lui ôter sa pension en cas de mariage, et le projet ne contient aucune disposition qui puisse avoir cette portée.
M. Verhaegen. - Je suppose que les statuts fixent à 18 ans l’âge auquel une fille cesse d’être majeure, si cette orpheline se marie à 15 ou 16 ans, conservera-t-elle sa pension, alors que la veuve qui se remarie la perd ? Ce serait une absurdité inconcevable !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce sera sa dot.
M. Malou, rapporteur. - Le mot absurdité est tout à fait immérité, quant à l’art. 61, j’espère le démontrer. Dans l’art. 61 il ne s’agit pas de la veuve d’un fonctionnaire, mais de la femme d’un ancien fonctionnaire. Ainsi l’art. 60 décide que la veuve qui se remarie perd ses droits à la pension, et l’art. 61 dit qu’on ne peut acquérir des droits à charge de la caisse des retraites, au moyen de mariage postérieur à la révocation, à la démission, ou à la mise à la pension.
Ce sont deux ordres d’idées entièrement différents. Il a fallu porter cette disposition pour rendre possible l’existence des caisses. Les pensionnaires puisent leur titre dans les retenues qu’ils ont subies. Mais il ne faut pas qu’ils puissent imposer des charges, pour ainsi dire, posthumes à la caisse des retraites ; il faut que le compte de chacun soit établi franchement et loyalement.
De même (je suis charmé de pouvoir expliquer ce cas), dans le cas où il s’agirait d’un mariage avec un employé démissionné. Supposez, en effet, qu’un employé démissionné se marie avant de rentrer en fonctions, cet article ne sera pas applicable. Lorsqu’il sera rentré en fonctions, il subira de nouveau la retenue ; c’est à ce titre que sa veuve aura droit à la pension.
L’art 61 se lie à une disposition déjà adoptée. L’art. 39 autorise les magistrats, fonctionnaires ou employés démissionnés ou démissionnaires, à conserver à leurs femmes et leurs enfants mineurs des droits éventuels à la pension, en souscrivant l’engagement, dans le délai qui sera assigné, de continuer les versements à la caisse, et en opérant ces versements.
L’art. 61 dit que les droits doivent être nés avant que le mariage ait eu lieu. Voilà la liaison entre les deux articles. En un mot, dans le cas de l’art. 39, on peut conserver des droits, parce que la démission est postérieure au mariage. Dans le cas de l’art 61, on ne peut en acquérir, parce que le mariage a été postérieur à la démission.
L’article ainsi défini, il me paraît évident qu’il est tout à fait inapplicable aux pensions des orphelins. Il ne s’agit ici ni de veuves, ni d’orphelins. Ainsi les statuts qui seront établis détermineront d’une manière absolue jusqu’à quel âge un orpheline aura droit à la pension.
M. Verhaegen. - La réponse est loin d’être satisfaisante : il faut prendre l’art. 61 non pas isolement, mais en rapport avec l’article 60 portant que « toute veuve qui se remarie perd ses droits à la pension. » En sera t-il de l’orphelin qui se marie comme de la veuve qui convole en seconde noces, c’est ce que la loi ne dit pas, c’est ce qu’elle devrait dire, car il y a identité de motifs.
Ce sera la dot de l’orpheline, a dit M. le M. le ministre de l’intérieur. Si l’Etat doit doter les orphelines des fonctionnaires publics oh ! alors je n’ai plus rien à dire, mais ce n’est là, sans doute, qu’une plaisanterie.
M. Malou, rapporteur. - Les observations de l’honorable membre se rapportent à l’art. 60 qui a été voté. L’esprit de l’art. 60 est facile à saisir. Notre législation, dans l’intérêt des enfants, s’est souvent appliquée à restreindre les seconds mariages. C’est le but de l’art. 60. Il est, en général, de l’intérêt des enfants que le deuxième mariage n’ait pas lieu. Voilà pourquoi l’art. 60 ôte tout droit à la pension à la veuve qui se remarie. Ainsi que l’a fait remarquer M. le ministre des finances, cette disposition se trouvait également dans le règlement de 1822.
- L’art. 61 est mis aux voix et adopté.
« Art. 62. Lorsque, par suite d’un changement d’attributions, pour une ou plusieurs catégories de fonctionnaires, il y aura lieu à liquidation entre deux caisses, un arrête royal en fixera les bases et les conditions. »
- Adopté.
« Art. 63. Les pensions inscrites actuellement à la charge de la caisse de retraite du ministère des finances et de l’administration des postes, seront acquittées par le trésor public, à dater du premier jour du mois qui suivra la promulgation de la présente loi.
« Elles seront sujettes à révision. »
M. le président. - Paragraphe additionnel à l’art. 63, proposé par M. Jadot.
« La réversion d’une portion de ces pensions stipulée en faveur des veuves et orphelins des fonctionnaires dans les cas prévus par les règlements est maintenue. »
M. Jadot. - Les pensions qui seront accordées, aux termes de la loi que nous discutons, si elle est adoptée, seront éteintes au décès des fonctionnaires qui les auront obtenues par la conséquence nécessaire de ce qu’elles ne seront plus comminées à leurs veuves ou à leurs orphelins.
Mais il n’en sera pas de même de celles qui auront été accordées au jour de la promulgation de cette loi ou qui devront l’être ultérieurement sur le pied du règlement actuellement existant. Celles-là ne sont pas gratuites, elles ont été acquises par les fonctionnaires, non seulement pour eux-mêmes, mais encore pour leurs veuves ou orphelins qui, à leur décès, sont appelés à en recueillir une portion, par droit de réversion, dans les cas prévus par le règlement existant.
Par l’adoption de ce paragraphe, les retenues faites sur les traitements des fonctionnaires pensionnés, lesquelles retenues ont dû former le fonds des pensions de leurs veuves et orphelins, seront employées, conformément aux conditions des règlements qui les imposent ; la nouvelle caisse des veuves n’aura aucune charge à supporter du chef des pensions auxquelles auront droit les veuves ou orphelins des fonctionnaires aujourd’hui pensionnés, lorsque ceux-ci viendront à décéder, parce que le gouvernement qui a reçu, ou, si l’on veut, qui est censé avoir reçu le capital de ces pensions, est tenu d’en faire le service.
Le même principe devrait être appliqué aux pensions qui, à raison des droits acquis et conformément à l’art. 61, devraient être liquidées sur le pied des règlements existants, et il faudrait l’invoquer par un paragraphe à ajouter à cet article 64.
Le paragraphe que j’ai l’honneur de proposer est destiné à remplir une lacune que l’on ne peut laisser subsister.
Il servira d’ailleurs à faire connaître quelles sont les charges à supporter, d’une part, par l’ancienne caisse de retraite ou le trésor ; d’autre part, par la nouvelle caisse, la caisse des veuves, à laquelle on ne peut imposer l’obligation de servir des pensions acquises antérieurement à son institution.
- Sur la proposition de M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb), en attendant le retour de M. le ministre des finances qui est appelé au sénat, la chambre passe à l’art. 65 ainsi conçu :
Article 65 (Rédaction nouvelle proposée par M. le ministre de l’intérieur)
« Art. 65. § 1er. Les professeurs et autres personnes attachées actuellement aux universités de l’Etat pourront réclamer le bénéfice du règlement du 25 septembre 1816. »
« Nonobstant l’institution de la caisse des pensions, en conformité du titre II, seront liquidées d’après les bases de l’art. 84 du même règlement, et resteront à la charge du trésor public, les pensions des veuves et orphelins des professeurs qui viendront à décéder dans les cinq mois de la promulgation de la présente loi. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cet article est divisé en deux paragraphes.
Je m’occuperai d’abord du premier paragraphe. Il s’agit, dans ce paragraphe, des professeurs. Vous avez admis deux genres d’éméritat : l’éméritat à raison de l’âge, l’éméritat à raison de la durée des fonctions, en considérant, dans le premier cas, l’âge comme condition principale, dans le deuxième, la durée des fonctions comme condition principale.
L’éméritat, à raison de l’âge, d’après la loi qui vous est soumise, serait à l’avenir acquis à 70 ans. C’est aussi l’âge qu’exigeait le règlement de 1816, mais vous avez introduit dans le projet du loi une garantie qui manquait dans le règlement de 1816. Ce règlement exigeait seulement l’âge de 70 ans, sans indiquer un minimum de service. La loi exige à l’avenir 25 ans de service au moins, c’est-à-dire, que pour obtenir le premier éméritat il faudra avoir 70 ans d’âge et au moins 25 ans de services académiques. La loi nouvelle sera donc, en ce point, moins favorable que le règlement de 1816 (interruption) ; je le répète, ce règlement n’exigeait pas d’années de service.
Je vous propose, messieurs, d’accorder aux professeurs actuellement en fonctions la faveur de pouvoir demander l’éméritat à raison de l’âge, sans égard à la durée des fonctions, pourvu que cet âge soit de 70 ans, comme si le règlement de 1816 était resté en vigueur.
Il ne faut pas, messieurs, nous exagérer la portée de cette disposition transitoire. Si elle devait s’appliquer à un grand nombre de professeurs, je ne vous l’aurais pas proposée. Mais j’ai fait faire la statistique du personnel des universités, relativement à l’âge et à la durée des services, et j’ai constaté qu’il n’y a que trois professeurs en ce moment en fonctions dans les universités de l’Etat, qui soient dans le cas d’avoir 70 ans d’âge sans avoir 25 années de service. L’un arrivera à 70 ans et n’aura que 17 années de service ; le second arrivera à 70 ans et aura 21 années de service, le troisième arrivera à 70 ans et aura 20 années de service.
Vous voyez, messieurs, que la faveur que je vous demande est extrêmement limitée. Il s’agit aussi d’un intérêt scientifique. Il faut qu’à 70 ans, si le ciel leur permet d’atteindre cet âge, ces fonctionnaires ne soient pas forcés, eu quelque sorte par intérêt, à conserver leurs fonctions.
Je me bornerai pour le moment à ces observations. Nous nous occuperons tout à l’heure du second paragraphe.
- Personne ne demandant plus la parole, le 1er § de l’article tel qu’il est proposé par M. te ministre de l’intérieur est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous passons à la discussion du second paragraphe.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est nécessaire messieurs, que je vous donne lecture de l’art. 87 du règlement de 1816 sur les pensions des veuves des professeurs.
Cet article est ainsi conçu :
« Art. 87. Lorsque des professeurs ou des lecteurs, en mourant, laisseront une veuve ou des enfants mineurs, la première jusqu’à l’époque d’un second mariage, et les derniers jusqu’à leur majorité ou l’exercice d’un état lucratif, jouiront d’une pension de 500 florins, augmentée de la moitié du surplus auquel le défunt aurait eu droit, bien entendu néanmoins que la pension ne pourra jamais excéder le double de la somme fixe de 500 florins. »
Vous voyez, messieurs, que le règlement de 1816 assurait aux veuves et enfants mineurs des professeurs une pension dont le maximum était fixe à 500 florins. Cette pension devait être à la charge du trésor public et elle l’a été jusqu’aujourd’hui. Néanmoins, l’art. 88 du règlement entendait qu’il pourrait être institué une caisse de retenue, en ajoutant toutefois que les pensions ne seraient à la charge de cette caisse qu’en tant que les fonds de celle-ci seraient suffisants. La pension restait donc en principal à la charge du trésor public.
Voici comment l’art, 88 est conçu :
« Art. 88. La dépense occasionnée au trésor public par les dispositions des articles précédents sera supportée, autant que possible, par un fonds pour les veuves à former de la manière qu’il est d’usage pour les employés ministériels, c’est-à-dire, en y faisant contribuer annuellement les professeurs, au moyen de leurs émoluments ou de toute autre manière. »
Ainsi, messieurs, la pension des veuves et des orphelins des professeurs doit être considérée, d’après le règlement de 1816, comme une dette du trésor public, bien qu’il soit dit qu’il sera institué une caisse pour subvenir à cette dépense, puisque ce même règlement décide que si la caisse est insuffisante, la dépense sera à charge du trésor public.
Tout cela, messieurs, va être changé pour l’avenir. Les caisses de retenue n’ont pas été instituées ; elles le seront puisque par le projet elles deviennent obligatoires pour toutes les catégories de fonctionnaires publics.
Il est à remarquer, messieurs, que les professeurs se sont trouvés, depuis 1816, dans une position tout à fait exceptionnelle. Ce sont les seuls fonctionnaires publics dont les veuves aient eu des pensions à la charge du trésor public ; de fait ou de droit, tel a été l’état des choses.
Les traitements des professeurs des deux universités ne s’élèvent pas à 400,000 fr. En les supposant fixés à cette somme et en exigeant même une retenue de 2 1/2 p. c., ce qui serait une retenue très forte, on n’aura une dotation suffisante que dès la sixième année.
Je propose donc à la chambre de continuer au corps professoral pendant cinq ans la faveur suivante : c’est que les pensions de veuves et d’orphelins qui viendraient à échoir dans les cinq années seront encore à la charge du trésor public Si vous agissiez autrement il pourrait arriver que des pensions de veuves et d’orphelins viendraient absorber le montant des retenues avant que la dotation eût eu le temps de se former.
Cette faveur, messieurs, sera peut-être très peu de choses. Car il se peut que, pendant ces cinq années, il n’y ait pas de décès ou qu’il n’y ait que très peu de décès ; la transition se fera sans qu’il y ait une grande charge pour le trésor. Mais en accordant cette faveur au corps professorat, vous le rassurerez complètement sur le sort de la caisse elle-même.
Je tiens, messieurs, à ce qu’il soit bien entendu que la caisse sera immédiatement instituée, que cet article ne restera pas, quant au corps professoral, sans exécution, comme l’a été l’art. 88 du règlement de 1816. La caisse sera instituée immédiatement, mais les pensions ne seront à sa charge qu’après un terme de 5 années.
M. Malou, rapporteur. - Il n’entre point dans mes intentions, messieurs, de contester cette dernière faveur à accorder au corps professoral, mais il me paraît que l’on pourrait simplifier la rédaction de l’amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur. Cette disposition placée parmi les articles transitoires ne dérogerait aucunement aux dispositions générales en vertu desquelles les caisses doivent être instituées, on pourrait donc se borner à dire :
« Les pensions des veuves et orphelins des professeurs qui viendront à décéder dans les cinq années après la promulgation de la présente loi seront liquidées d’après les bases de l’art. 87 du même règlement et resteront à la charge du trésor public. »
Il y a d’autre différence entre cette nouvelle rédaction et celle qui a été présentée par M. le ministre de l’intérieur, que la suppression de la mention tout à fait inutile, selon moi, de l’obligation de créer dès à présent une caisse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est une garantie que je voulais inscrire dans la loi afin que le corps professoral sût bien que la caisse devra être immédiatement instituée. Puisque cela résulte suffisamment de la discussion, je ne m’oppose pas à l’adoption de la rédaction proposée par l’honorable rapporteur de la section centrale.
- L’amendement de M. le ministre de l’intérieur, tel qu’il est modifié par M. Malou, est mis aux voix et adopté.
M. Huveners, secrétaire, secrétaire, donne lecture de l’arrêté royal suivant qui vient d’être transmis au bureau :
« LEOPOLD, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Vu notre arrêté du 31 janvier dernier, déléguant à notre Ministre des affaires étrangères la signature du département de la guerre, pendant la durée de l’indisposition du chef de ce département ;
« Attendu que les motifs qui ont déterminé cette délégation sont venus à cesser ;
« Sur la proposition de notre Ministre de la justice,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Notre arrêté du 31 janvier 1844 est rapporté.
« Notre Ministre de la justice est chargé de l’exécution du présent arrêté.
« Donné au château d’Ardenne, le 19 mars 1844.
« LEOPOLD
« Par le Roi
« Le Ministre de la justice,
« Baron J. D’ANETHAN »
- Pris pour notification.
M. le président. - La chambre reprend la discussion du projet de loi sur les pensions. Elle en est arrivée à l’art. 66, ainsi conçu :
« Art. 66. Le temps d’interruption du culte catholique, sous le gouvernement de la république française, comptera dans la supputation des années de service des ministres de ce culte. »
- Cet article est adopté sans discussion.
« Art. 67. Les dispositions de la présente loi sont applicables aux ministres des différents cultes qui, à raison de leur âge ou de leurs infirmités, ont cessé leurs fonctions depuis la publication de la constitution, et à ceux dont les pensions n’auraient pas été liquidées auparavant.
« L’inscription et le paiement de ces pensions n’auront lieu qu’à partir du 1er du mois qui suivra la promulgation de la loi. »
- Adopté.
M. Malou, rapporteur. - M. le ministre des affaires étrangères étant présent, nous pourrions peut-être examiner maintenant l’article 60 qui concerne le pilotage. (Assentiment.)
M. le président. - Voici la nouvelle rédaction de l’art. 60 proposée par la section centrale :
« Art. 60. A dater du 1er du mois qui suivra la promulgation de la présente loi, la caisse du pilotage est supprimée, et les pensions inscrites à sa charge seront acquittées par le trésor public.
« L’actif de cette caisse est acquis au trésor. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) déclare se rallier à cette proposition.
- L’art. 60 tel qu’il est proposé par la section centrale est mis aux voix et adopté.
M. Huveners, secrétaire, donne lecture d’un message du sénat, qui transmet à la chambre le projet de loi sur l’emprunt, dans lequel il a introduit un amendement.
- La chambre renvoie ce projet à la section centrale qui l’a déjà examiné, avec prière de s’en occuper immédiatement.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, dans la séance d’hier, M. le ministre des finances a présenté une disposition transitoire ainsi conçue :
« Les magistrats, fonctionnaires et employés qui n’ont contribué jusqu’à présent, à aucune caisse de retraite de veuves et orphelins, qui sont célibataires ou veufs sans enfants mineurs, et qui seront âges de plus de 55 ans au moment de la promulgation de la présente loi, ne seront point tenus à contribuer à la caisse de retraite instituée en vertu de l’art. … de la loi, pour les administrations auxquelles ils ressortissent.
« Un délai de trois mois, à dater de l’institution, de la caisse qui leur aura été assignée, leur est accordé pour déclarer leur intention d’user de la faculté que leur laisse le paragraphe précédent. »
La section centrale, après avoir examiné cet amendement, l’a admis à l’unanimité, pour les motifs que je vais avoir l’honneur de vous exposer.
Les caisses qui seront fondées à l’avenir doivent constituer des associations entre les divers fonctionnaires. Il est sans doute impossible que les chances de tous ceux qui prennent part à ces associations soient identiquement les mêmes, mais il faut éviter au moins d’y faire concourir des fonctionnaires qui, à raison de leur position actuelle, ont des chances que l’on peut appeler nulles ; ce serait, quant à eux, ce qu’on appelle en droit une association léonine, où toutes les chances de bénéfice seraient d’un côté et toutes les chances défavorables de l’autre.
Une objection a néanmoins été faite : on a dit qu’en fixant un âge déterminé, il en résulterait une grande inégalité entre deux fonctionnaires qui seraient à peu près dans la même position personnelle. Mais, messieurs, il est indispensable de fixer une limite quelconque.
On s’est demandé encore quelles seraient les conséquences de cette exception. D’abord, veuillez remarquer, messieurs, que c’est une simple faculté accordée aux fonctionnaires, que ceux qui auront droit d’invoquer le bénéfice de la disposition pourront contribuer à la caisse et assurer ainsi des droits à leur veuve et à leurs orphelins éventuels. Pour ceux qui ne contribueront pas, et ils seront en petit nombre, il n’y aura d’autre inconvénient, sinon que leurs veuves, s’ils se marient dans un âge plus avancé, n’auront aucun droit sur la caisse de retraite.
M. Malou, rapporteur. - Je suis chargé également, messieurs, de vous faire rapport sur, la proposition qui vous a été soumise par un de nos honorables collègues au sujet de la pension des ministres. Je donnerai une nouvelle lecture de cette proposition. Elle est ainsi conçue :
« Tout chef de département qui, depuis les événements de 1830, comptera deux années de fonctions ministérielles, aura droit à une pension de 4,000 fr.
« La pension sera augmentée de 500 fr par chaque année ultérieure de fonctions ministérielles et pour chaque année antérieure ou ultérieure d’autres fonctions d’un soixantième du traitement qui leur est affecté.
« Elle ne pourra, en aucun cas, dépasser le maximum de 6,000 fr. »
Trois questions ont été posées à la section centrale, la première est la question de disjonction : Faut-il séparer la loi que nous avons presqu’entièrement votée, de la question relative aux ministres ?
La section centrale a été unanime pour l’affirmative, sauf une réserve qui a été faite par un des membres présents.
La majorité a pensé que les pensions des ministres seraient accordées dans des conditions tellement différentes de celles des pensions des autres fonctionnaires qu’il n’y a pas de connexité nécessaire entre cette partie de la loi et les autres dispositions déjà adoptées.
En allant au fond des choses, il faut d’ailleurs considérer les pensions de ministre bien plus comme des traitements d’attente que comme de véritables pensions. Le plus souvent c’est une espèce d’interim qu’on fait. (On rit.)
La disjonction n’a pas été admise, en ce sens qu’on ajournerait à une époque éloignée la discussion sur cette partie du projet ; mais l’on a pensé que, sauf la fixation d’un ou de deux objets urgents, l’on pourrait agir en cette circonstance comme on a agi pour la loi relative à l’emprunt et à la conversion, c’est-à-dire faire deux projets distincts dont la discussion successive aurait lieu dans un très bref délai, si elle ne pouvait avoir lieu immédiatement.
La réserve qui a été faite par l’un des membres de la section centrale tendait à ce que cette discussion des deux projets fût immédiate dans tous les cas ; la majorité, au contraire, a considéré comme plus urgentes d’autres lois qui ont déjà été fixées à l’ordre du jour.
La deuxième question posée par la section centrale, consistait à savoir si la proposition de nos honorables collègues serait seulement admise pour le passé.
Un des membres de la section centrale a d’abord proposé de faire entre le passé et l’avenir cette distinction que, pour le passé, il suffirait de deux années de fonctions ministérielles, que pour l’avenir on en exigerait trois, en maintenant, d’ailleurs, le projet. Ce sous-amendement a été rejeté par 4 voix contre 2. Ensuite, la question a été résolue affirmativement par trois voix contre deux, un membre s’étant abstenu.
La majorité a pensé que les dispositions exceptionnelles pour les années qui se sont écoutées depuis 1830 pouvaient aisément se justifier par les circonstances mêmes que le pays a eu à traverser pour se constituer. Elle n’a pas voulu pour l’avenir admettre le même principe. Déjà, sous ce rapport, plusieurs motifs sont indiqués dans le travail de la section centrale.
L’on a dit qu’il répugnait à toutes les idées reçues en matière de pensions, de les accorder à des hommes qui pouvaient encore consacrer utilement leur temps au pays, ou qui pourraient déployer leur activité dans d’autres carrières qu’offre la société ; que s’il pouvait y avoir des circonstances tout exceptionnelles où l’impossibilité morale d’accepter des fonctions vînt à se produire, ces circonstances ne seraient que temporaires, qu’ils trouveraient d’autre remède qu’une disposition générale, relative à la collation des pensions.
Un membre a ajouté qu’il n’admettrait non plus cette exception que dans le cas où il y aurait insuffisance de fortune personnelle, et que dés lors on se trouverait amené à proposer des lois spéciales pour chaque cas. Cependant d’autres membres n’ont pas admis cette éventualité, parce qu’il leur a paru impossible de discuter ici des faits spéciaux lorsqu’un ministre aurait été renversé ou se serait retiré devant un fait parlementaire ; qu’il n y aurait pas de juge qui pût décider un pareil cas.
Par suite de ces résolutions, la majorité de la section centrale propose de modifier de la manière suivante, le premier paragraphe de la proposition :
« Tout chef de département qui, depuis le 1er octobre 1830, jusqu’à la promulgation de la présente loi, aura exercé des fonctions ministérielles pendant deux années, aura droit à une pension de 4,000 francs... (Le reste comme à la proposition). »
La troisième question dont la section centrale s’est occupée concernait l’avenir.
Vous avez sous les yeux les propositions primitives du gouvernement et le projet de la section centrale.
L’art. 14 du projet de la section centrale porte que « le temps passé à la tête d’un département ministériel, à partir de 1830, sera compté triple dans la liquidation de la pension. »
La section centrale a maintenu cet art. 14. Ainsi, toute personne qui, depuis 1830 (et nous avons précisé la date en indiquant le 1er octobre), toute personne qui aurait été à la tête d’un département ministériel, soit que sa pension soit liquidée exceptionnellement, comme pension de ministre, soit que cette personne rentre dans les conditions communes à tous les fonctionnaires publics, pourra compter triple le temps qu’elle aura passé au ministère.
La section centrale a également soumis à un nouvel examen l’article 15 de son projet. Cet article a dispensé les ministres de la condition de l’âge, en continuant à les assujettir à la condition du temps de services ; mais pour que cette dispense fût accordée d’après la proposition primitive de la section centrale, il fallait que la condition du temps de service s’accomplît au moment où l’on se trouvait encore à la tête d’un département ministériel.
Cette condition pouvait donner lieu à des bizarreries, nous l’avons reconnu ; mais tous les systèmes exceptionnels donnent lieu à des bizarreries en cette matière. Cependant, pour corriger, autant que possible, ce vice commun à tous les systèmes exceptionnels, la section centrale propose d’accorder la dispense d’âge à toute personne qui aura, à quelque époque de sa carrière que ce soit, rempli 3 années au moins des fonctions ministérielles.
Le nouvel article 15 serait ainsi conçu :
« Quiconque, à partir du 1er octobre 1830, aura été pendant 3 années au moins à la tête d’un département ministériel aura droit, quel que soit son âge, à une pension liquidée conformément à la 2e section du chap. Ier, s’il se trouve, quant à la durée des services, dans l’une des positions prévues par la première section du même chapitre. »
Si la motion de disjonction était adoptée, il resterait à reproduire dans la loi spéciale les dispositions de la loi générale qui concerne le cumul des pensions, ainsi que les dispositions générales du chap. Ier du titre III.
De cette manière, il n’y aurait aucun inconvénient à séparer les deux lois, et je pense qu’il est de l’intérêt des deux lois qu’elles soient séparées.
M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, je mets en discussion la disposition transitoire que propose M. le ministre des finances, et sur laquelle, entre autres, M. Malou vient de faire un rapport. Cette disposition transitoire est ainsi conçue :
« Les magistrats, fonctionnaires et employés qui n’ont contribué, jusqu’à présent, à aucune caisse de retraite de veuves et orphelins, qui sont célibataires ou veufs sans enfants mineurs, et qui seront âgés de plus de 55 ans au moment de la promulgation de la présente loi, ne seront point tenus à contribuer à la caisse de retraite en vertu de l’art. … de la loi, pour les administrations auxquelles ils ressortissent.
« Un délai de trois mois, à dater de l’institution de la caisse qui leur aura été assignée, leur est accordé pour déclarer leur intention d’user de la faculté que leur laisse le paragraphe précédent. »
M. Jonet. - Messieurs, si j’étais ici pour moi personnellement, je remercierais M. le ministre des finances d’avoir proposé l’amendement qui est maintenant soumis à notre discussion.
Je le remercierais, parce que cet amendement, s’il est adopté, me donne, à moi, tout ce à quoi je puis avoir le droit de prétendre, à tout ce que je pouvais demander.
Mais je ne suis pas ici pour mon compte, je suis représentant du pays ; je suis député de la nation.
En cette qualité, j’ai des devoirs à remplir, l’honneur et la délicatesse m’obligent à demander pourquoi la disposition présentée par le ministre des finances serait restreinte aux personnes âgées de plus de 55 ans, il me semble que des personnes âgées de 50 ans, de 40 et même de moins peuvent avoir les mêmes droits et que ces droits sont aussi sacrés que ceux des personnes âgées de plus de 55ans.
Je vais donc soumettre à la chambre une question sur laquelle elle sera appelée à se prononcer, et que je la prie d’examiner.
En conséquence, je propose, par sous-amendement, de supprimer la condition d’âge, c’est-à-dire de supprimer ces mots du projet de M. le ministre des finances, « et qui seront âgés de plus de 55 ans au moment de la publication de la présente loi. »
Si ce sous-amendement est adopté, vous serez justes envers tous les fonctionnaires dont parle l’amendement de M. le ministre ; s’il n’est pas adopté, vous ne serez justes qu’en partie.
M. Malou, rapporteur. - L’amendement présenté par M. le ministre des finances consacre une exception qui me paraît justifiée et qui ne sera que temporaire, puisqu’elle ne s’applique qu’aux fonctionnaires âgés de 55 ans. Les motifs de justice que j’ai invoqués me paraissent incontestables, mais en ôtant à la disposition son caractère temporaire, on revient sur l’article 35, et on n’est pas recevable, car il a été décidé que la contribution serait forcée ; c’est même là toute la loi. Si la contribution était facultative, il n’y aurait plus de caisse. Cela a été démontré à la dernière évidence. J’appuie donc l’amendement de M. le ministre des finances comme exception, justifiée par des circonstances particulières dont les effets ne seront pas durables et ne porteront aucun préjudice à l’existence et à la prospérité des caisses, mais je ne puis admettre un amendement qui tend à renverser une disposition qui est, en quelque sorte, le nerf, l’essence de toute cette partie de la loi.
M. Verhaegen. - J’ai vu avec plaisir qu’on a fait droit, en partie au moins, aux observations que j’avais faites dans une séance précédente, et M. le rapporteur de la section centrale sera bientôt d’accord avec moi. Il n’y a, en effet, qu’un instant que cet honorable membre nous disait que l’amendement de M. le ministre des finances se justifie par la position spéciale dans laquelle se trouvent placés les magistrats fonctionnaires et employés auxquels il s’applique. Il ne serait pas juste, a-t-il dit, que les magistrats et fonctionnaires dont les chances sont en quelque sorte nulles, soient forcés à contribuer à une caisse de retraite. Ce serait une véritable société léonine. Avec de pareils sentiments, j’espère que l’honorable rapporteur voudra bien aller un peu plus loin.
Les célibataires qui meurent en état de célibat ne laisseront-ils donc aucun droit à leur père et mère dans la misère, et ici j’en reviens à cette observation que j’ai faite l’autre jour. Pourquoi un fonctionnaire reste-t-il célibataire ? Le plus souvent parce qu’il a des parents qu’il doit soutenir au moyen d’une partie de ses appointements. Et cependant vous allez le forcer à contribuer à une caisse de retraite.
Et voyez l’injustice, ce fonctionnaire célibataire a à côté de lui un autre fonctionnaire riche qui touche autant d’appointements que lui, et qui est marié, le célibataire qui est pauvre meurt, son père et sa mère, qu’il soutenait n’ont rien, et le fonctionnaire marié, qui est riche, laisse en mourant une pension à sa veuve et c’est le fonctionnaire pauvre qui était à côté de lui, qui aura contribué à faire cette pension !
Maintenant, messieurs, je m’empare des arguments qu’a fait valoir M. le rapporteur pour appuyer l’amendement de M. le ministre, même pour l’étendre : il serait injuste de faire contribuer des fonctionnaires célibataires à une caisse de retraite qui ne leur laisserait aucune chance, alors qu’ils meurent en état de célibat. Invoquant certaines dispositions de règlement concernant les professeurs, qui nous ont été lues par M. le ministre de l’intérieur, je voudrais qu’il en fût des fonctionnaires célibataires comme il en est, aux termes de ces dispositions, pour les professeurs, qui, s’ils mouraient en état de célibat, laissent leur mère, à leur sœur, la pension qui leur est réservée. Puisqu’on en revient à des idées de justice sur ce point et que les observations que j’ai faites dans une séance précédente viennent d’être sanctionnées, je demande qu’on aille un peu plus loin et qu’on donne aux fonctionnaires qui ont un père ou une mère à soutenir en compensation de la retenue qu’on leur impose, la perspective de laisser quelque chose après leur mort à ce père et à cette mère qu’ils soutiennent.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - La proposition que nous avons soumise à la chambre est une exception tout à fait transitoire, qui ne s’appliquera qu’à ceux qui se trouveront dans les conditions voulues au moment même de l’institution de la nouvelle caisse. Il fallait, du reste, s’arrêter à un âge quelconque. Il nous a paru que l’âge de 55 ans est celui auquel, selon toute probabilité, le magistrat ou fonctionnaire ne contractera pas mariage, où il n’a pas de chance qu’il laisse une veuve ou des orphelins participant à la caisse. C’est dans cet ordre d’idées que nous avons proposé notre amendement, mais les raisons qu’a fait valoir l’honorable M. Verhaegen sont contre l’institution elle-même des caisses des veuves, parce que souvent les célibataires trouveront avantageux, soit par de faux calculs, soit par imprévoyance, soit même par les motifs que vient d’alléguer l’honorable membre, mais le plus souvent par imprévoyance ou par égoïsme, de ne pas contribuer à la caisse. Adopter la proposition de M. Verhaegen, c’est renoncer au principe de la création de caisses de veuves et d’orphelins. Telle est la différence qui existe entre la proposition que nous vous soumettons et celle de l’honorable préopinant. Je dirai même qu’un célibataire de 45 ans, par exemple, a plus de chances de laisser par la suite une veuve et des orphelins profitant de la caisse qu’un père de famille qui a une femme âgée et des enfants qui touchent à la majorité. Pou ceux-là, l’honorable membre ne propose pas d’exception. Ce père de famille contribuerait, et il aurait la presque certitude que ses enfants du moins ne jouiraient jamais des avantages de la caisse de retraite. Je me résume, en repoussant la proposition en ce sens qu’elle attaque l’institution des caisses dans son principe, tandis que la disposition que nous proposons rentre parfaitement dans le système de la création de ces caisses.
M. Savart-Martel. Je me suis prononcé déjà contre la retenue forcée pour la caisse des veuves et orphelins. Au moins l’exception devrait être faite en faveur de ceux qui certainement ne profiteront jamais de la caisse. J’indiquerai entre autres les veufs n’ayant que des enfants majeurs.
Je pense aussi que l’âge de 55 ans est trop avancé, et que si on veut fixer un âge, on devrait le fixer vers 40 ans.
Appelons chaque chose par son nom ; ce qu’on exige aujourd’hui, c’est une diminution du vingtième de traitements qu’on a reconnus cent fois être insuffisants.
Ce titre entier, qui traite de pensions des veuves et orphelins, devrait être rejeté, quant à présent, saut à faire une loi spéciale qui contiendrait toutes les garanties et les dispositions nécessaires pour que les droits et obligations soient connus, ce qui n’existe pas à ce jour où l’on veut forcer les employés à des versements pour l’obtention de pensions vagues, indéterminées dont le règlement est à faire.
Je demande qu’au moins ces fonctionnaires célibataires, qu’on force de concourir à la constitution des caisses de retraite, puissent en retirer un avantage éventuel quelconque, c’est-à-dire qu’à l’instar de ce qui se fait pour les professeurs d’après les règlements dont on vous a donné lecture, on dise que les fonctionnaires célibataires verseront comme tous les autres, mais qu’on ajoute que, s’ils meurent en étai de célibat, ils transmettront à leurs père et mère le droit qu’auraient eu leurs veuves et orphelins, c’est-à-dire qu’on remplace les veuves et les orphelins par les pères et mères des célibataires. Je ne porte par là aucune atteinte à la constitution des caisses de retraite.
Voici comment je proposerai mon amendement :
« Des magistrats fonctionnaires et employés qui auront contribué à une caisse de retraite de veuves et orphelins transmettront à leurs père et mère, s’ils meurent en célibat, les droits qu’auraient eus soit leur veuve, soit leurs orphelins, s’ils avaient été engagés, dans les liens du mariage. »
M. Malou, rapporteur. - L’amendement de l’honorable M. Verhaegen n’est pas une disposition transitoire ; c’est une disposition fondamentale qui se rattache à l’art. 34. Je ferai remarquer que la chambre s’occupe en ce moment des dispositions transitoires du projet et que le principe de l’art. 34 est voté. C’était le moment, quand il a été discuté, de proposer des exceptions.
Si nous n’exécutons pas notre règlement, les discussions seront interminables.
Il n’y a qu’un seul grief sérieux contre l’amendement, mais il est inévitable : c’est qu’une limite est toujours arbitraire.
M. le président. - Si l’honorable rapporteur oppose à l’amendement présenté la question préalable, il est inutile qu’il en discute le fond.
M. Malou, rapporteur. - C’est de l’amendement de M. le ministre des finances que je m’occupe.
Je disais que la limite doit nécessairement être arbitraire et invariable. Mais si vous appréciez la généralité des faits, vous reconnaîtrez que cette limite est bien posée. Ainsi, peut-on contraindre à participer à la caisse des retraites, un magistrat célibataire ou veuf sans enfants, âgé de 78 ans ? Il est évident qu’il viendrait dans cette société sans la moindre chance d’en recueillir les avantages. Il est évident que quant à lui, l’on pourrait dire que c’est une société léonine.
Je ne puis adhérer à l’amendement de l’honorable M. Verhaegen par le motif que j’ai indiqué. Je me réserve néanmoins d’en dire un mot, si la question préalable n’était pas adoptée.
M. Verhaegen. - Il est fâcheux que l’on vienne me répondre par une fin de non-recevoir. Lorsque nous avons discuté l’art. 34, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour éclairer la chambre. Mais je ne connaissais pas alors les beaux sentiments de l’honorable M. Malou, tels qu’il les a manifestés aujourd’hui.
Il ne serait pas juste, a dit l’honorable M. Malou, de faire concourir à la formation d’une caisse, de retraite des individus qui, en définitive, ne pourraient en retirer aucun avantage, ce serait créer une véritable société léonine. Ces observations, messieurs, m’ont frappé, et elles m’ont déterminé à présenter mon amendement.
Maintenant on m’oppose la question préalable. C’est évidemment à tort. Nous discutons les dispositions transitoires, et celle que je propose a un rapport direct avec l’amendement du ministre des finances ; si la question préalable repousse mon amendement, elle repousse aussi celui du ministre.
- La question préalable sur l’amendement est mise aux voix et adoptée.
M. de Garcia. - Les exceptions à un principe général sont toujours fort dangereuses, surtout quand elles sont improvisées en forme d’amendement.
Quant à moi, je touche à un âge où je dois jouir de l’exception. Cependant je regrette qu’elle soit introduite dans la loi. Cette exception doit donner lieu, sous divers rapports, à des objections sérieuses. Déjà l’honorable M. Savart en a présenté une à laquelle il n’a été répondu rien de solide.
Mais il est une autre objection qui naît de la rédaction même de l’amendement et qui n’a pas été signalée. A propos de la discussion d’un article précédent, l’on a déjà parlé des orphelins et l’on s’est demandé quelle portée l’on devait donner à ce mot dans la loi. L’on a invoquée l’autorité de l’Académie, mais en résultat l’on n’a pu se fixer ni s’entendre d’une manière positive sur le sens à donner à ce mot. L’on a semblé vouloir s’en référer à ce qui serait réglé par le gouvernement, dans les arrêtés qu’il devra prendre à l’égard de l’établissement des caisses de pension des veuves et orphelins. Après cette réserve, voilà tout à coup qu’on change de système et qu’on parle d’enfants mineurs dans l’amendement proposé. Cet amendement veut que le fonctionnaire ou magistrat âgé de plus de 55 ans, mais qui a des enfants mineurs, fussent-ils âgés de 18, de 19 et même de 20 ans, soit soumis à la retenue. Evidemment vous décidez ce que vous ne vouliez pas décider tout à l’heure. Vous décidez nécessairement que la qualité d’orphelins sera attachée à tous les individus non majeurs. Vous liez le gouvernement dans les arrêtés qu’il pourra prendre à cet égard. Il serait irrationnel et absurde de soumettre à une retenue un fonctionnaire âgé de plus de 55 ans et dont les enfants ne pourraient pas venir prendre part à la caisse de pension. On le voit, messieurs, les exceptions à un principe général sont dangereuses et conduisent souvent où l’on ne veut pas aller.
Quant à moi, je crois qu’il vaudrait mieux rejeter toutes les exceptions. Je ne vois pas qu’il y ait là de société léonine ; c’est un argument qu’on a fait valoir ; je ne l’admets pas ; dans les pensions aux veuves et orphelins, je vois l’accomplissement d’un devoir d’humanité. C’est un impôt mis sur les fonctionnaires dans un intérêt général et d’humanité. Si vous admettez l’argument, que ce serait une société léonine, les héritiers d’un homme qui ne serait pas marié, qui ne serait pas dans le cas de la loi, devraient aussi pouvoir réclamer ; l’argument tiré de la comparaison qu’on fait de la mesure actuelle à une société léonine, est applicable à ce cas comme à tous les autres.
Il faut envisager la question de plus haut ; il faut envisager le principe général de la loi comme une mesure d’ordre public, une mesure d’intérêt général dictée par des raisons d’humanité, et rejeter la disposition transitoire proposée.
- L’amendement de M. Jonet tendant à retrancher de la disposition les mots « et qui seront âgés de plus de 55 ans, au moment de la promulgation de la présente loi » est mis aux voix et rejeté.
La disposition transitoire proposée par M. le ministre des finances est mise aux voix ; l’épreuve est douteuse ; elle est renouvelée ; la disposition est adoptée.
M. le président. - La chambre passe à l’art. 63 et à la disposition additionnelle proposée à ce paragraphe par M. Jadot. (Voir plus haut.)
M. de La Coste. - Je viens demander une simple explication à M. le ministre des finances ; elle est provoquée par une pétition dont vous avez ordonné le dépôt sur le bureau pendant la discussion, elle émane du sieur Van Hamme qui soutient que sa pension n’a pas été réglée conformément aux règlements. Ce fonctionnaire a été employé sous ma direction et a rendu de grands services au commerce d’Anvers, par la célérité qu’il a imprimée aux opérations du port. Je ne m’étendrai pas davantage sur les détails de cette pétition, mais la question de droit sur laquelle je demanderai une explication à M. le ministre des finances est celle-ci Le dernier § de l’art, porte « Elles (les pensions) seront sujettes à révision. » Cette révision pourra amener des réductions. Le pétitionnaire demande si elle ne pourra pas amener la rectification des erreurs commises au préjudice des pensionnaires. Je prie M. le ministre des finances de vouloir bien s’expliquer à cet égard.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Il ne serait pas équitable d’entendre la disposition de l’art. 63 en ce sens, que de la révision il ne pourrait résulter que des réductions. Si la commission chargée de la révision reconnaît qu’une erreur a été commise dans la liquidation de la pension, il est évident qu’elle aura soin de rectifier cette erreur.
M. Verhaegen. - Personne ne demandant la parole sur l’amendement de l’honorable M. Jadot, je dois croire qu’il ne rencontre pas l’opposition. Cependant, s’il pouvait y avoir doute à cet égard, il serait dangereux de clore la discussion.
L’amendement de M. Jadot est une conséquence de ce que nous avons dit précédemment sur la caisse de retraite. Si j’ai bien compris la proposition de l’honorable membre, il demande qu’on assure aux veuves des anciens fonctionnaires qui ont versé à la caisse de retraite le droit de réversibilité qui leur était assuré par l’arrêté de 1822.
M. Jadot. - Aux veuves de ceux qui sont pensionnés maintenant et de ceux qui seraient pensionnés en vertu de l’article 64.
M. Verhaegen. - Je pense que l’honorable membre a raison, et que son amendement doit être adopté tel qu’il le propose.
L’ancienne caisse de retraite avait été établie non seulement pour assurer une pension aux fonctionnaires des finances et des postes, mais encore à leurs veuves et orphelins.
Messieurs, les retenues 2 p. c. jusqu’en 1836, celles de 3, 4 et jusqu’à 5 p. c., faites depuis, les retenues extraordinaires de 7, 8, 9 et 10 pour cent devraient avoir pour résultat de faire assurer une pension et aux fonctionnaires et à leurs veuves et orphelins. Vous venez d’assurer, plus ou moins, le sort des fonctionnaires eux-mêmes. Vous avez considéré leurs droits comme des droits acquis, mais vous ne vous êtes pas occupés de leurs veuves et orphelins ; les droits de ceux-ci ne seraient-ils pas aussi sacrés que ceux des maris ?
Je demanderai à M. le ministre des finances dans quel sens est proposée la disposition du projet. On a assuré les droits des fonctionnaires, en mettant leurs pensions à charge de l’Etat. Consacre-t-on le même droit pour les veuves des fonctionnaires pensionnés ou à pensionner à raison des versements faits par eux en exécution des anciens règlements ?
Si on enlevait les droits à ces veuves et orphelins, ce serait une injustice. On n’aurait rien fait du tout pour les anciens fonctionnaires ou au moins on n’aurait fait que la moitié de ce qu’on devait faire.
J’appuie donc l’amendement de l’honorable M. Jadot et je prierai M. le ministre des finances de vouloir nous dire quelle est la portée de la disposition de l’art. 63.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, l’art. 63 ne fait pas mention de la pension des veuves et orphelins ; mais l’honorable M. Jadot nous fait une proposition qui les concerne.
Je crains que la chambre ne veuille pas adopter cette proposition telle qu’elle est conçue. Il me semble qu’il faudrait faire une distinction entre les veuves et orphelins des employés déjà pensionnés et ceux des employés qui le seront à l’avenir.
Quant aux veuves et orphelins des employés et fonctionnaires qui sont déjà pensionnés, la rétrocession de la pension doit être matériellement établie en leur faveur, d’après le régime des anciens règlements ; mais pour ce qui concerne les veuves et orphelins de ceux qui ne sont pas encore pensionnés, la loi que nous discutons donnant à ceux-ci un avantage de conserver tous leurs droits acquis jusqu’au moment de la promulgation de la loi, leurs veuves et orphelins auront un avantage qui résultera de celui qui est conféré aux fonctionnaires eux-mêmes ; en effet, dans les règlements qui seront faits, la pension de la veuve et des orphelins devant être proportionnée à celle du fonctionnaire lui-même, la veuve et les orphelins profiteront de la faveur faite à celui-ci.
Je crois donc qu’il serait convenable de faire cette distinction dans l’amendement de l’honorable M. Jadot, et que s’il le maintient, il y aura lieu de demander la division.
M. de Brouckere. - Messieurs, adopter l’amendement de l’honorable M. Jadot, en ce qui concerne les fonctionnaires du département des finances, actuellement pensionnés, serait incontestablement un acte de justice. Mais ce serait une justice incomplète. Il faut que l’amendement aille plus loin, et, pour vous le prouver, je vous demanderai s’il serait juste d’exclure de la même faveur les employés qui, par exemple, auraient aujourd’hui 60 ans d’âge et 30 années de service. Quelle différence y a-t-il entre ces employés et ceux qui sont pensionnés ? C’est que ceux qui sont pensionnés ont usé de leur droit de réclamer la pension et que ceux qui sont encore en fonctions, n’ont pas usé de ce droit que cependant ils ont incontestablement.
Il ne faut pas, messieurs, que ces derniers soient posés dans une condition moins avantageuse que ceux qui ont la pension.
Vous avez entendu que M. le ministre des finances trouve lui-même qu’il est de toute justice d’admettre l’amendement dans toute sa généralité ; et s’il a insisté particulièrement pour qu’une partie de l’amendement fût adoptée, c’est dans la crainte de ne pas réussir pour l’autre partie.
Quoi qu’il en soit, je crois qu’il conviendrait de renvoyer cet amendement à la section centrale, et d’inviter celle-ci à faire un rapport. Nous pourrons alors savoir quelles seront les conséquences de cet amendement, et jusqu’où il faut étendre sa portée.
Je propose donc formellement le renvoi à la section centrale.
M. Malou, rapporteur. - Je pense que l’amendement de l’honorable M. Jadot peut assez facilement se comprendre, pour que la chambre ne doive pas en prononcer le renvoi à la section centrale, au moment où nous touchons à la fin de la loi.
L’amendement est parfaitement clair en principe ; quant aux conséquences financières, ni l’honorable M. Jadot, ni personne, je pense, dans cette chambre, ne peut les apprécier.
En principe, l’art. 63 porte à la charge de l’Etat le service des pensions qui sont actuellement inscrites à la charge de la caisse de retraite. Voilà donc le premier point, quant aux fonctionnaires, et seulement en ce qui concerne les pensions actuellement inscrites.
L’art. 64, au contraire, se rapporte aux pensions qui seront liquidées à l’avenir.
Quant aux veuves, faut-il disposer dans l’ordre des idées dont s’occupent les deux articles ?
Veuillez remarquer, messieurs, quel est l’esprit, quelle est la portée de la transaction qui fait l’objet de ces deux dispositions.
L’Etat liquide la caisse de retraite actuellement existante, il respecte ce qu’on peut considérer jusqu’à un certain point comme un droit acquis, à raison des versements faits avant la promulgation de la loi nouvelle.
Si l’on se place au point de vue de la loi et de l’équité, il me paraît incontestable qu’on peut, qu’on doit même adopter l’amendement de l’honorable M. Jadot, en tant qu’il a pour objet de conserver aux veuves des pensionnaires actuels les droits que leur accordait le règlement de 1822. Le motif en est très simple. Si sous ce rapport l’amendement n’était pas admis, la veuve du fonctionnaire, qui serait décédé la veille de la promulgation de la loi, aurait une pension inscrite à la charge de la caisse de retraite, laquelle pension, en vertu de l’article 63, passerait à la charge du trésor, tandis que le décès qui arriverait plus tard laisserait la veuve sans droit à l’égard du gouvernement et de la caisse nouvelle, puisque déjà son mari était pensionné avant que cette nouvelle caisse fût constituée.
J’adhère donc entièrement à l’amendement, en tant qu’il stipule, au passif du trésor, la réversibilité des pensions des veuves des fonctionnaires déjà pensionnés actuellement.
Mais par les mêmes motifs, je ne puis admettre qu’après la constitution d’une caisse, l’Etat continue à payer des pensions aux veuves et aux orphelins. Et veuillez remarquer qu’en rejetant cette deuxième disposition de l’amendement de l’honorable M. Jadot, vous ne réduisez pas ces veuves et ces orphelins à la misère. Les fonctionnaires qui seront pensionnés après la constitution de la caisse nouvelle, y auront contribué, et les veuves et les orphelins auront droit à la pension sur cette caisse. La distinction qui a été indiquée par M. le ministre des finances, est non seulement utile, mais nécessaire, elle rentre dans l’esprit de la transaction qui fait l’objet des articles 63 et 64.
M. Donny. - Messieurs, je viens appuyer la proposition de l’honorable M. de Brouckere, tendant à renvoyer à la section centrale l’amendement de l’honorable M. Jadot. Cet amendement n’est pas aussi simple qu’il le paraît à M. le rapporteur. L’amendement comprend deux cas ; il statue d’abord sur le sort des veuves futures des employés actuellement pensionnés. Quant à cette catégorie de veuves, l’amendement ne peut présenter aucune difficulté. Il faut bien que vous chargiez le trésor de remplir vis à-vis de ces veuves l’office de l’ancienne caisse de retraite ; car si vous ne le faisiez pas, ces malheureuses n’auraient, lors du décès de leurs maris, aucun recours à exercer contre personne. En effet, d’une part, vous ne leur donnez aucun droit à charge du trésor, et, d’autre part, elles n’auraient aucune prétention à former sur la caisse nouvelle que vous voulez créer, puisque leurs maris n’auraient rien versé dans cette nouvelle caisse. Elles seraient donc repoussées et par cette caisse et par le trésor. Ce n’est pas là ce que vous pouvez vouloir.
L’amendement règle ensuite la position des veuves des fonctionnaires qui sont encore aujourd’hui en fonctions, et, quant à celles-là, la question est beaucoup plus compliquée. L’honorable M. Jadot veut aussi leur donner des droits à charge du trésor ; mais si cette proposition était admise, je lui demanderais ce qu’on ferait des retenues qui devront être opérées sur le traitement de leurs maris, encore aujourd’hui en fonctions. Ces retenues profiteront-elles à la caisse nouvelle des veuves du département des finances ? et serviront-elles, par conséquent, à payer les pensions des veuves des fonctionnaires futurs ? Mais cela serait injuste. S’il fallait mettre à la charge de l’Etat les pensions des veuves des fonctionnaires actuels, il faudrait aussi, pour être juste, faire verser dans trésor les retenues que l’on fera encore sur les traitements sur leurs maris. C’est là, dans tous les cas, une question qui doit être examinée.
Vous voyez, messieurs, que pour cette catégorie de veuves l’amendement de M. Jadot n’est pas simple du tout et qu’il y a lieu à le renvoyer à la section centrale.
M. Verhaegen. - Je pense aussi, messieurs, que la question est beaucoup plus compliquée qu’on ne le croit, peut-être sera-t-il nécessaire d’apporter un léger changement à l’amendement de M. Jadot. Il ne s’agit pas seulement des fonctionnaires pensionnés et de ceux qui ne le sont pas ; il y a une troisième catégorie. D’après l’art. 64, les fonctionnaires et employés ressortissant au ministère des finances ou à l’administration des postes, actuellement en fonctions, conservent la faculté de faire liquider éventuellement leur pension d’après les bases de l’arrêté royal du 29 mai 1842. Eh bien, messieurs, si un fonctionnaire qui aura usé de cette faculté vient à mourir lorsque la liquidation de sa pension aura été ordonnée, sa veuve n’aura plus aucun droit. C’est là une position intermédiaire entre les deux positions auxquelles l’amendement de M. Jadot fait allusion. Il me semble réellement que la chose est assez compliquée pour qu’on ordonne le renvoi à la section centrale.
M. Jadot. - Mon amendement, en ce qui concerne l’art. 64, a particulièrement pour objet les veuves et orphelins des fonctionnaires qui ont plus de 30 ans de service et plus de soixante ans d’âge, qui devront dès maintenant se faire liquider Leur pension d’après les règlements actuels dont les bénéfices leur sont acquis tout aussi bien qu’aux fonctionnaires déjà admis à la pension.
Je crois que j’aurais pu me dispenser de présenter mon amendement ; en le présentant, j’ai voulu donner satisfaction aux fonctionnaires dont les pensions sont réversibles sur leurs veuves, afin que la loi consacre leurs droits à la réversibilité.
Je dis plus : si mon amendement était rejeté, je ne craindrais pas de saisir les tribunaux de la question de savoir si les pensions acquises par les fonctionnaires pour eux et pour leurs veuves, qu’ils soient pensionnés ou à pensionner, sont réversibles sur leurs veuves aux termes des règlements en vertu desquels ces pensions ont dû être accordées à leurs maris.
- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix et adopté.
« Art. 64. Les fonctionnaires et employés ressortissant au ministère des finances ou à l’administration des postes, actuellement en fonctions, conservent la faculté de faire liquider éventuellement leur pension d’après les bases de l’arrêté royal du 29 mai 1822. Toutefois, les services postérieurs à la présente loi ne seront pas pris en considération pour dépasser les limites établies par l’art. 12 ci-dessus.
« Ceux qui ont des services admis au termes de l’art. 60 du règlement du 29 mai 1822, ou admissibles de plein droit suivant l’art. 59 du même règlement, sont maintenus dans la jouissance des droits qu’ils ont acquis de ce chef. »
M. le président donne lecture de l’amendement :
« Nous avons l’honneur de proposer de substituer aux mots : Toutefois, les services postérieurs, etc., ceux-ci : Les services postérieurs à la présente loi seront pris en considération conformément aux base nouvelles, et pourront ainsi avec les services antérieurs, dépasser les limites fixées par l’art. 13 ci-dessus.
« (Signé) Verhaegen et Orts. »
M. Verhaegen. - Messieurs, cet amendement est encore une fois la conséquence de tous les principes que nous avons développés, quant à l’ancienne caisse de retraite. On paraît être d’accord maintenant qu’il faut réserver aux fonctionnaires et à leurs veuves et orphelins les droits qu’ils ont acquis d’après les anciens règlements, et la disposition de l’art. 64 du projet fait en partie droit à nos justes réclamations, mais il laisse quelque chose à désirer, en ce sens que les services postérieurs à la loi ne sont comptés pour rien.
Les fonctionnaires et employés du ministère des finances actuellement en fonctions conservent la faculté de faire liquider éventuellement leur pension d’après les bases de l’arrête royal du 29 mai 1822. Par là on réserve à ces fonctionnaires les avantages qu’ils ont acquis et qui ne sont, en définitive, que le résultat d’un véritable contrat ; mais pour les services postérieurs à la promulgation de la loi actuelle on ne leur donne plus rien ; ils ne sont pas même mis sur la même ligne que les autres fonctionnaires qui rendront des services sous l’empire de la loi nouvelle. Ceux-ci seront rémunérés pour tous leurs services, tandis que pour les autres on ne tient aucun compte des services qu’ils rendront postérieurement à la promulgation de la nouvelle loi. C’est là, messieurs, enlever à ces fonctionnaires un droit acquis, car d’après les anciens règlements ils ont droit à voir compter tous leurs services sans distinction.
L’honorable M. Coghen me dit que je reviens sur la discussion de l’art. 13 ; mais, messieurs, lorsque nous nous sommes occupés de cet article nous avons fait nos réserves et il a été entendu alors que nous pourrions revenir sur l’art. 13 dans la discussion de l’art. 64.
D’après l’art. 13, le maximum de la pension des fonctionnaires ne peut pas dépasser 6,000 fr. et le maximum de la pension des comptables ne peut aller que jusqu’à 4,000 fr. C’est cette disposition que j’attaque ; on ne peut pas imposer cette limite aux anciens fonctionnaires qui ont acquis des droits en vertu d’un véritable contrat.
Je demanderai ici à M. le ministre des finances et à M. le rapporteur de la section centrale pourquoi les comptables sont moins bien traités que les autres fonctionnaires, pourquoi le maximum de la pension des comptables est fixé à 4,000 fr., tandis que les pensions des autres fonctionnaires peuvent aller à 6,000 fr. J’ai toujours pensé que lorsque la responsabilité est plus grande, les avantages doivent aussi être plus grands. Quoi ! un comptable expose tous les jours sa responsabilité ; il doit donner un cautionnement et un cautionnement assez considérable, il a des charges que n’ont point les autres fonctionnaires, et vous le traitez moins bien qu’aucun fonctionnaire ! Vous fixez le maximum de la pension des comptables à 4,000 fr., tandis que les pensions des autres fonctionnaires peuvent s’élever à 6,000 francs !
Je vous avoue, messieurs, que je ne comprends pas cette distinction. Il me semble, au contraire, que, s’il devait y avoir une différence, il faudrait fixer à 4,000 fr. le maximum des pensions en général et à 6,000 fr. le maximum de la pension des comptables.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ferai remarquer à l’honorable membre que nous en sommes à l’art. 64. Or, il discute l’art. 13.
M. le président. - Dans la discussion de l’art. 13 il a été fait une réserve, il a été entendu que les questions soulevées par l’art. 13, restaient intactes en tant qu’elles se rattachent à l’art. 64.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - En tant qu’elles s’y rattachent.
M. Verhaegen. - Eh bien, je ne reviens sur l’art. 13 que pour ce qui concerne les anciens fonctionnaires dont il s’agit dans l’art. 64. Je demande que, pour ces fonctionnaires, la pension puisse dépasser les limites fixées par l’art. 13.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable M. Verhaegen suppose, que dans aucun cas, la pension des comptables ne peut pas aller au-delà de 4,000 fr. C’est là une erreur. Dans le cas de l’article 64 les comptables pourront obtenir une pension supérieure à ce chiffre ; leur pension pourra atteindre 6 ou 7 mille francs. Seulement lorsqu’au moment de la promulgation de la loi que nous discutons la pension s’élèvera à 4,000 fr. ou au-delà, il n’y sera rien ajouté du chef des services rendus postérieurement.
M. Verhaegen. - Voilà déjà une concession.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Cela résulte de la loi.
M. Verhaegen. - Mais cela ne suffit pas ; les services postérieurs à la loi nouvelle doivent compter pour les fonctionnaires dont il s’agit, comme pour tous les fonctionnaires en général. M. le ministre ne veut pas que les services que les fonctionnaires continueront à rendre soient pris en considération. Mais c’est là une injustice criante et, en même temps, il y a du danger à opérer de la sorte. Si on veut que les fonctionnaires exercent leurs fonctions avec zèle et assiduité, il faut leur tenir compte de leurs services futurs comme on leur tient compte de leurs services passés. C’est à ce point de vue que je traite la question des droits acquis, et c’est ainsi que je reviens sur l’article 13.
Je soutiens donc que les services postérieurs devant entrer en ligne de compte, la pension à liquider à raison de ces services postérieurs ajoutés aux services antérieurs, doit pouvoir dépasser les limites fixées par l’art. 13.
Je suis donc parfaitement dans la question. Eh bien, sur cet article 13, je demande à M. le ministre des finances et à M. le rapporteur pourquoi il faut une différence de 2,000 fr. entre le maximum des comptables et celui des autres fonctionnaires.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je ne répondrai qu’à la partie des observations de l’honorable préopinant qui se rattachent directement à l’article en discussion.
L’honorable membre voudrait qu’alors même qu’en vertu de cet article, la pension serait liquidée au-dessus des maximums fixes par l’art. 13, les services postérieurs fussent pris en ligne de compte, et vinssent encore augmenter la pension.
L’honorable membre attaque ici le principe même de la loi qui établit des maximums. L’art. 13 qui n’est plus en discussion détermine des maximums pour tous les fonctionnaires. Or, lorsqu’un fonctionnaire aura atteint son maximum avec 20 années de services, les services postérieurs qu’il rendra, seront sans utilité pour lui pour sa pension. Pourquoi voulez-vous accorder un avantage de plus aux anciens fonctionnaires, alors que déjà vous leur tenez compte de tous leurs services antérieurs, en leur appliquant le règlement actuel ? Il me semble que nous nous montrons assez justes, en reconnaissant les droits acquis jusqu’à la promulgation de la loi, et, pour ma part, je témoigne, au nom les employés du département des finances, ma reconnaissance à la chambre pour la faveur qu’elle a bien voulu leur accorder.
M. Dumortier. - Messieurs, je partage l’opinion de l’honorable M. Verhaegen, lorsqu’il vient dire que tous les services des fonctionnaires publics doivent être comptés, même les services postérieurs à la présente loi. Il me semble que ce système doit s’interpréter d’après la loi : les services postérieurs peuvent compter aux agents comptables pour la pension, comme les services antérieurs, mais toujours dans les limites de la loi, pourvu que ces fonctionnaires obtiennent une position supérieure à celle qu’ils occupaient. Ainsi, si un receveur obtient un grade supérieur, les services postérieurs à la promulgation de la loi lui serviront à augmenter sa pension.
Et pourquoi la chambre a-t-elle voulu qu’il y eût un maximum pour chacune des fonctions de l’ordre administratif et financier ? C’est pour éviter l’abus qui s’est reproduit à diverses reprises les années précédentes, dans l’administration des finances. On y a vu plus d’une fois, un fonctionnaire d’un grade supérieur, demander à descendre de grade, pour pouvoir obtenir une pension plus forte. C’était un abus réel qui augmentait la charge des pensions et qui jetait une véritable perturbation dans le ministère des finances, en le privant des services des fonctionnaires souvent les plus capables, de fonctionnaires rompus à l’administration. Cet abus ne sera plus possible par suite des dispositions adoptées dans la loi.
M. Jadot. - Je ne sais réellement ce qu’il faut penser du gouvernement qui consent à recourir à une injustice pour remédier à un abus qu’il dépendait de lui d’empêcher, car si des employés supérieurs ont demandé à descendre de grade afin d’obtenir une pension meilleure, il a dépendu du gouvernement de refuser, et s’il ne l’a pas fait, il a donc reconnu qu’ils avaient droit d’obtenir une amélioration de sort par ce moyen.
Mais il y a plus : tous les comptables ne sont pas arrivés aux grandes recettes par ce moyen, et il y a une injustice criante à les rendre victimes d’une mesure qu’ils n’ont pas provoquée puis ils n’ont jamais cessé d’être comptables, et ils payeront les plus fortes remises sans pouvoir prétendre au maximum de la pension, et ces retenues sont destinées à payer des pensions à des veuves de je ne sais qui, à des veuves qui recevront des pensions de faveur, qui n’auront pour base que le rang qu’occupait leur mari. Cela est vraiment pitoyable.
M. Orts. - M. le ministre des finances a fait cette objection :
Pourquoi faire une différence entre les anciens fonctionnaires qui ont versé dans la caisse de retraite et les fonctionnaires nouveaux ? La raison en est bien simple. Pourquoi, demanderai-je à mon tour, avez-vous fait dans le premier paragraphe de l’art. 64 une différence pour les anciens fonctionnaires des finances jusqu’à la promulgation de la loi ? Parce que vous vous êtes dit que c’est en vertu d’un contrat que les anciens fonctionnaires qui ont versé dans la caisse de retraite ont un droit à des pensions qui peuvent dépasser 4,000, 6.000 et 7,000 fr. C’est un véritable contrat, consistant en ceci : Les fonctionnaires de 1’administration des finances ont subi, sur leurs traitements, pendant un grand nombre d’années, des retenues dont le chiffre est toujours allé en croissant, afin de s’assurer, lorsqu’ils seraient dans les conditions requises pour obtenir une pension, des avantages proportionnés aux versements qu’ils auront faits. Et voilà pourquoi, par le premier paragraphe de l’article qui consacre une règle d’éternelle justice, vous avez déclaré que ces fonctionnaires conservera la faculté de faire liquider la pension sur le pied de l’arrêté royal de 1822.
Maintenant vous faites suivre ce premier paragraphe d’une autre disposition ; pour les services que ces fonctionnaires rendront dans l’avenir, vous ne leur donnez plus rien. Je ne conçois rien à une pareille manière d’agir. Parce que vous consacrez dans le premier paragraphe de l’article un droit fondé sur un contrat, il va en résulter que, pour tout ce que les fonctionnaires feront après, ils seront des parias, ils n’auront plus rien.
Maintenant, pour la catégorie des fonctionnaires de l’administration des finances qui auraient droit à une pension de 6 mille francs, l’argument est encore plus fort, en ce qui concerne les comptables qui sont réduits à 4 mille francs. S’ils n’étaient pas de cette catégorie, la loi leur permettrait d’aller jusqu’à 6 mille francs, mais parce qu’ils ont pris part, comme comptables, à la caisse de retraite, ils n’ont pas même le bénéfice de pouvoir combiner leurs anciens services avec leurs services nouveaux, pour arriver au chiffre de 6 mille francs que les autres fonctionnaires peuvent atteindre, après avoir rempli les conditions d âge et d’années de services.
Il me paraît que, pour rétablir ici un principe que je dirai de justice distributive, pour ne pas mettre cette classe intéressante de fonctionnaires en quelque sorte hors de la loi, il conviendrait d’accueillir l’amendement qui consiste à dire que pour le futur on traitera ces fonctionnaires comme les autres.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, les fonctions de rapporteur m’ont mis en relation avec un grand nombre de ceux que l’honorable préopinant considère comme des parias, je les ai trouvés tous satisfaits de la transaction qui fait l’objet des art. 63 et 64, et dans mon opinion, ils ont grandement raison d’en être satisfaits.
Messieurs, la caisse de retraite a été fondée pour être une société d’assurance entre tous ceux qui y contribueraient. L’Etat s’était engagé à fournir à la caisse un subside annuel de 30.000 florins or. Si l’Etat venait dire maintenant : « je vous donne votre subside de 30.000 florins, payez vos pensions de fonctionnaires, de veuves et d’orphelins, comme vous l’entendrez. » Voilà, où serait le droit rigoureux, l’extrême justice ; l’arrêté de 1822 à la main, le gouvernement pourrait tenir ce langage.
Que fait-on au lieu de cela ? L’Etat se charge à l’avenir du paiement de pensions dont le montant s’élève à 1,416,000 fr.
Je regrette vraiment d’avoir à faire la contrepartie des arguments des honorables préopinants. J’y suis forcé par la nécessité de la défense du projet et par l’imprudence même des honorables membres.
Que fait-on encore ? On respecte, au-delà des maximums établis par la loi, le calcul des services rendus antérieurement à la nouvelle loi. Ainsi, messieurs, en présence de cette caisse vide dont l’Etat accepte le passif, dont il ne retirera rien, il va liquider les pensions des employés du ministère des finances, à raison des années de services antérieurs à la loi, d’après le règlement de 1822. Quelle est la restriction que l’on apporte ? Quelles sont les conditions onéreuses pour les fonctionnaires ? La clause la plus importante, et je me hâte de la signaler, c’est de ne pas pouvoir réclamer les versements faits par eux ; c’est-à-dire que ceux qui pendant 25, 30 années, auront alimenté cette caisse continuellement vide, n’auront pas plus de droit que les autres fonctionnaires de l’Etat qui vont constituer une caisse nouvelle. C’est là une clause onéreuse du contrat ; mais la loi ne commet aucune injustice lorsque, divisant le passé, elle l’accepte tel qu’il est ; et pour l’avenir fait rentrer dans la règle générale. C’est une grande tolérance que de dire : je continuerai dans 10 ans, dans 20 ans à liquider la pension de tel fonctionnaire au-delà du maximum de six mille fr. et c’est là ce que fait l’article.
J’indique les bases de la transaction, parce que je désespère de faire comprendre à mes honorables contradicteurs ce qu’elle a d’avantageux : Maintenant je suis entré dans le vif de la question.
Le résultat est produit, je n’en suis pas responsable.
Le 1er § de l’article 64 se justifie par cette considération que les services qui ont été rendus antérieurement à la loi nouvelle l’ont été sous la foi de la législation consacrée par l’arrêté de 1822. Ces services ont été soumis à une retenue, retenue qui est perdu pour ceux qui l’ont subie. Dans de telles circonstances, il est juste, il est de l’intérêt de l’administration pour l’avenir d’accepter ce passé quelqu’onéreux qu’il soit, mais dont les fonctionnaires ne sont pas coupables.
M. Verhaegen. - C’est le gouvernement qui en est coupable.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Personne n’est coupable.
M. Malou, rapporteur. - Nous avons discuté les bases de l’opération, j’en ai signalé les vices, on ne m’a pas réfuté, on n’a pas trouvé que cette caisse fût constituée viable. Les coupables, si l’on veut absolument en trouver, sont ceux qui ont signé et contresigné l’arrêté de 1822.
Un membre. - Ils sont morts.
M. Malou, rapporteur. - Paix à leurs âmes. D’après le § 1er de l’art 63, on respecte tellement ce qu’on appelle abusivement droit acquis, que le fonctionnaire qui aujourd’hui aurait droit à une pension de 8,000 francs, dût-il continuer à servir l’Etat pendant longtemps, le jour où son droit à la pension s’ouvrira, sera admis à la pension même de 8 ou 10,000 fr. ; mais qu’il soit admis aujourd’hui ou plus tard, il ne pourra plus, à raison des services rendus depuis la loi, dépasser le maximum auquel il a droit actuellement d’après le règlement de 1822, si ce maximum est plus élevé que celui posé par la loi nouvelle ; si la loi ne peut pas régir l’avenir, pourquoi donc faisons-nous des lois ?
J’ai exposé sommairement les bases de ce que j’appellerai la transaction des articles 63 et 64, qu’il me soit permis d’exprimer de nouveau le regret d’avoir dû exposer ces faits.
M. Donny. - Je comprends parfaitement la manière de raisonner de nos honorables collègues MM. Orts, Jadot et Verhaegen. Ces honorables membres admettent comme constant qu’il existe un contrat entre l’Etat et les employés des finances. Ils admettent encore comme constant que ces employés ont des droits à la charge du trésor ; et lorsqu’ils admettent ces deux points, je conçois parfaitement les conséquences qu’ils en tirent. Mais je ne puis admettre les bases fondamentales de leur argumentation : dans ma manière de voir, il n’y a jamais eu de contrat ; un contrat ne pourrait même se concevoir dans cette affaire, il n’y a pas non plus eu d’autres droits en faveur des employés que ceux résultant de la promesse faite par le chef de l’Etat, de fournir annuellement un subside de 30,000 florins pour l’ancien royaume tout entier ; ainsi, pas de contrat et pas d’obligation pour le trésor ; celui-ci ne doit rien. Tout ce qu’il accorde aux employés des finances est un bienfait, un acte de munificence, dont on peut fort bien établir la convenance, mais qu’on ne peut exiger à titre d’obligation positive. Je veux bien m’associer à l’acte de munificence qu’on a formulé dans la loi ; mais, qu’on le sache bien, en cela je crois faire beaucoup ; aussi je ne veux pas aller plus loin. Je ne veux surtout pas admettre qu’il y ait des droits acquis, qu’il y ait un contrat, qu’il y ait des obligations à charge du trésor.
J’entends dire que le gouvernement est la cause de la situation, que lui seul est le coupable. J’ai déjà contesté ce fait et je vais vous prouver, en vous citant quelques chiffres, que ce reproche n’est pas fondé, ne peut pas être fondé.
Pendant 12 ans l’on a payé en pensions 11,347,000 fr. Dans ces 11 millions sont comprises les pensions des veuves et des orphelins pour 3,649,000 fr.
Les honorables membres ne soutiendront pas que, dans la collation de ces pensions-là, il y a eu un abus de la part du gouvernement. Les pensions des veuves s’ouvrent d’elles-mêmes. Je déduis le montant de ce qui a été payé aux veuves et aux orphelins de la totalité des pensions payées, il me reste 7,698,000 fr. Les quatre dixièmes de ces pensions sont la conséquence des dispositions absurdes du règlement, qui font rémunérer, par la caisse, des services à raison desquels on n’a jamais subi la moindre retenue. Certes le paiement de ces quatre dixièmes, paiement fait par application des règlements, ne constitue pas non plus un abus de la part du gouvernement, de ce chef je retranche 3,079,000 fr., et il me reste 4,619,000 pour les pensions accordées à des employés et fonctionnaires pour service sous le régime précédent et sous le régime actuel. Je vais maintenant supposer l’invraisemblable, l’absurde, l’impossible ; je vais supposer que ces 4,619,000 fr. renfermant des pensions accordées, tant sous le régime précédent que sous le nouveau régime, que tout cela n’ait été payé que par suite d’abus, que de ce chef le gouvernement n’aurait pas dû accorder un centime ; eh bien, dans cette hypothèse absurde, l’Etat n’aurait encore fait aucun tort à la caisse de retraite ; car, dans l’espace de douze années, le trésor a versé dans cette caisse une somme d’au-delà de 6,148,000 fr., tandis qu’il ne devait y verser que 360,000 fr. aux termes du règlement. Si de ce versement total de 6,148,000 fr,, l’on retranche ces 360,000 et les 4,619,900 fr. hypothétiquement payés par abus, il reste encore un excédant de 1,169,000 fr., dont l’Etat a enrichi la caisse. Qu’on dise maintenant encore que c’est par des abus que la caisse a été appauvrie et se trouve dans l’état de détresse où nous la voyons ; la chambre saura faire justice de cette allégation.
M. Verhaegen. - Je ne comprends plus la manière dont on discute dans cette enceinte. C’est une imprudence, dit-on, que de soulever encore la question relative à l’ancienne caisse de retraite car, ajoute-t-on, une discussion approfondie pourrait compromettre la position des fonctionnaires dont vous soutenez ces droits. Le mot imprudence est au moins déplacé. Quant à moi, qu’on le sache bien, je ne suis pas ici pour rendre des services, mais pour remplir mon devoir. Si je défends les droits des anciens fonctionnaires qui ont contribué à la caisse de retraite, c’est que je les crois fondés et je ne m’inquiète pas des conséquences que peut amener le système que je défends. Si la discussion qui va s’engager d’une manière plus approfondie pouvait me convaincre que les fonctionnaires dont je veux assurer le sort, n’ont aucun droit à faire valoir contre le gouvernement, loin de continuer à élever la voix en leur faveur, je m’empresserais de combattre leurs réclamations, et en le faisant, je n’aurais aucun regret, car j’obéirais à ma conscience. Je conjure donc chacun de mes honorables collègues qui ont étudié la question de m’éclairer et je prends d’avance l’engagement de me rallier à leur opinion s’ils parviennent à me convaincre. Je prie l’honorable M. Malou, et surtout M. le ministre des finances, de croire que je répudie tout esprit de camaraderie et que je ne suis guidé ici, comme toujours, que par un sentiment de justice ; or, dans cet ordre d’idées il n’y a pas d’imprudence à vouloir s’éclairer.
En attendant je continue à soutenir que les fonctionnaires dont il s’agit ont des droits acquis et que l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer est à tous égards fondé. Dans la discussion générale, j’ai parlé déjà de la caisse de retraite et des principes qui ont servi de base à sa constitution ; des débats assez longs se sont engagés à cet égard ; d’un côté, ou a soutenu que c’était un contrat auquel on a obligé les fonctionnaires, à prendre part, en les forçant à venir faire des versements ou à subir des retenues ; d’un autre côté, on repousse toute idée de contrat : les mots sont assez indifférents : que ce soit un contrat ou quasi-contrat, un simple fait, n’importe le nom qu’on lui donne, du moment que le gouvernement, par ce fait, a encouru une responsabilité, il faut qu’il en subisse les conséquences.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pour 30 mille florins.
M. Verhaegen. - Non pas seulement pour 30,000 florins mais pour toutes les obligations attachées à la constitution de l’ancienne caisse de retraite, dirigée et administrée par le gouvernement, En effet, quelle était la position de cette caisse en 1830 ? Il y avait un boni, et je n’ai pas à m’occuper, pour le moment, du chiffre de ce boni. Puis, qu’était devenue l’ancienne caisse française ? Qu’avait-on fait de cette caisse, fondée en exécution de la loi de l’an IV ? Jamais on n’en a rendu compte ; eh bien, en 1831, au lieu d’un boni, on a trouvé un déficit de 3 à 400 mille fr., et ce déficit a augmenté d’année en année !
Puisqu’en 1831 la caisse était en déficit, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas dit aux anciens fonctionnaires : La caisse de retraite est en déficit, en état de faillite, arrêtons-nous, liquidons ? Oh, si le gouvernement avait tenu un semblable langage, les observations de l’honorable M. Malou et de M. le ministre des finances auraient eu quelque apparence de fondement et alors seulement la question traitée par l’honorable M. Donny aurait pu se présenter. Mais le gouvernement, au lieu d’en agir ainsi, a forcé les fonctionnaires à continuer leurs versements depuis 1831 jusqu’à ce jour ; ainsi pendant treize années, et ces versements out été de 3, 4, 5 et même, certaine époque, de 10 p. c.
Je ne pense pas que le gouvernement ait voulu tendre un piège à la bonne foi de ses subordonnés, et cependant il faudrait le dire si le système de la section centrale pouvait prévaloir. Quoi, la caisse de retraite était en faillite ; il y avait un déficit considérable déjà en 1831 et le gouvernement a forcé les fonctionnaires publics à subir des retenues, à faire des versements de 2 à 10 p c., et il pourrait rendre tous leurs droits illusoires, en soutenant qu’il n y a de sa part aucun contrat, aucune obligation formelle !
Mais s’il pouvait être vrai qu’il n’y a pas eu de contrat d’après les termes rigoureux du droit, il y a eu au moins de la part du gouvernement des faits qui ont engagé sa responsabilité ; et en effet, n’est-ce pas le gouvernement qui a usé et abusé de la caisse ? n’est-ce pas lui qui l’a administrée, n’est-ce pas lui qui, en définitive, a accordé les pensions ; n’est-ce pas lui qui, en mettant à la retraite, sous le prétexte d’infirmités, des fonctionnaires très bien portant, et ce, avec les 3/4 de leurs traitements, a épuisé toutes les ressources ?
Qui donc, si ce n’est le gouvernement, pourrait être responsable de cette mauvaise administration à laquelle il n’était pas même permis aux intéressés de mettre fin ? Qui donc, de 1831 à 1844, a forcé les fonctionnaires à continuer des versements qui leur étaient si onéreux ?
Si un employé des finances, chargé des intérêts de la caisse de retraite, avait pris la fuite emportant l’avoir de cette caisse, le gouvernement aurait donc aussi pu dire aux intéressés : « Je ne suis pas responsable ; c’est une caisse de retraite qui ne me regarde pas, c’est la vôtre. » Arrangez-vous avec des principes semblables, il n’y a plus de droit, rien n’est plus sacré.
Messieurs, je me résume en peu deux mots : s’il n’y a pas de contrat proprement dit, il y a au moins des faits qui engagent la responsabilité du gouvernement. On ne peut, sans commettre une grande injustice, refuser aux fonctionnaires qui ont subi des retenues ou ont fait des versements à la caisse de retraite, les conséquences qui y étaient attachées d’après la législation alors en vigueur.
S’il y a eu imprudence, dans le sens de l’honorable M. Malou, à présenter des observations qui étaient de nature à éclairer la chambre, nous sommes prêt à en subir les conséquences. Mais il n’en est rien, nous avons rempli un devoir sacre ; en éclairant la chambre et le pays, nous croyons avoir fait acte de bon citoyen.
M. Malou, rapporteur (pour un fait personnel). - Je désire qu’on ne se méprenne pas sur la portée du mot imprudent. La question de la caisse de retraite est très difficile ; il me paraît qu’elle a été résolue dans l’intérêt, bien entendu, du gouvernement et de la législature. C’est dans ce sens que j’ai dit que les honorables membres qui voulaient plus, me paraissaient être imprudents. Je n’ai, du reste, voulu inculper en aucune manière leurs intentions.
M. Cogels, au nom de la section centrale chargée de l’examen du projet de loi d’emprunt de 84,656,000 fr., amendé par le sénat, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et fixe demain la discussion du projet de loi.
M. le président. - La chambre a mis à l’ordre du jour de demain le projet de loi relatif au mode définitif de nomination des membres des jurys d’examen ; entend-elle maintenir cet ordre du jour ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On a renvoyé à la section centrale de la loi des pensions un amendement ; le rapport sera, je suppose, fait demain. Nous aurons donc à l’ordre du jour de demain : 1° la loi de capitalisation ; 2° l’art. 64 sur lequel on n’a pas voté ; l’amendement relatif a l’art. 63, renvoyé à la section centrale. Reste maintenant une autre question, celle de la pension des ministres ; la section centrale a proposé la disjonction. Le gouvernement ne peut l’accepter qu’à une seule condition c’est que la discussion sera immédiatement continuée sur ce deuxième projet. A cette condition, je ne vois aucun inconvénient à la disjonction. (Adhésion.)
Ainsi l’on est d’accord : le troisième objet à l’ordre du jour serait le projet de loi sur les pensions des ministres. Cette loi spéciale peut très bien nous être distribuée ce soir. Quoique l’honorable rapporteur ait de nouveau pris une large part à la discussion, je connais ses habitudes laborieuses, et je suis persuadé qu’il pourra faire distribuer ce soir la loi spéciale. Nous n’exigeons pas le rapport ; il se trouvera dans le Moniteur de demain. Mais le projet de loi spécial pourrait être imprime et distribué ce soir. On est, je crois, encore d’accord. (Oui ! oui !)
La loi relative aux jurys d’examen serait renvoyée à vendredi. (Réclamations.)
On pourrait statuer demain sur ce point.
Plusieurs membres. - A lundi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous déciderons cela demain, si nous n’avons pas épuisé notre ordre du jour. (Réclamations.)
Je ferai demain une proposition relative à la fixation de l’ordre du jour. La chambre décidera.
M. Dumortier. - Il serait bien plus simple de terminer de suite la loi des pensions, d’en fixer le vote définitif à vendredi. Si vous renvoyez ce deuxième vote après la loi relative aux jurys d’examen, la discussion recommencera. On pourrait ainsi mettre à lundi la discussion de la loi relative aux jurys d’examen.
M. de La Coste. - Comme rapporteur de la loi du jury, je suis tout à la disposition de l’assemblée, désireux de voir commencer et de voir finir la discussion. Mais je pense qu’il conviendrait de fixer cette discussion à lundi. Ainsi l’on n’interromprait pas la discussion de la loi des pensions, et l’on donnerait aux membres absents, et qui seraient avertis par les journaux, le temps de revenir pour le commencement de la discussion On n’a jamais suivi une autre marche.
- La chambre consultée, fixe à lundi la discussion du projet de loi relatif au mode définitif de nomination des membres des jurys d’examen.
M. Dumortier. - J’ai demandé que le deuxième vote de la loi des pensions ait lieu immédiatement.
M. le président. - On statuera sur ce point quand la loi sera terminée.
- La séance est levée à 5 heures.