(Moniteur belge n°26, du 26 janvier 1844)
(Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et quart.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur de Sebille présente des observations concernant le projet de loi sur les tabacs. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi sur les tabacs.
« Les fermiers cultivateurs du canton d’Antoing présentent des observations contre le projet de loi sur les céréales. »
« Mêmes observations, les membres conseil communal de Landen, de Wamont, des habitants de Balatre. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet.
« Le sieur Parent, premier commis archiviste au ministère des finances, demande la place de bibliothécaire de la chambre. »
- Renvoi au bureau, chargé de former la liste des candidats.
M. le ministre des finances transmet à la chambre les explications demandées par les conseils communaux de Lanaken, Canne, Vroenhoven et Veltweselt ayant pour objet d’obtenir une prolongation du délai accordé, pour le recouvrement de la contribution foncière arriérée depuis 1840. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. de Man d’Attenrode informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance.
- Pris pour notification.
M. Cogels. - Messieurs, on vient de vous donner l’analyse d’une pétition relative au projet de loi sur la fabrication des tabacs. La chambre ne pense-t-elle pas qu’il serait utile de faire insérer au Moniteur cette pétition ainsi que toutes celles qui nous arriveront sur la matière ? On a suivi le même mode dans d’autres circonstances.
Je pense qu’il serait d’autant plus utile d’insérer ces pétitions au Moniteur qu’il n’y a pas eu d’enquête. Elles ne peuvent qu’éclairer la chambre et préparer d’autant mieux l’instruction de l’affaire, lorsqu’elle viendra à la section centrale et ensuite en discussion.
- La proposition d’insertion au Moniteur est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur les articles du budget de l’intérieur. Nous en somme arrivés à l’art. 1er du chap. XVII. Dans la séance d’hier, l’assemblée a adopté les deux premiers litt.
A la fin de la séance d’hier, M. le ministre de l’intérieur a demandé que le subside aux communes, en faveur des écoles et ateliers d’apprentissage, 30,000 fr., qui, dans le projet de budget, avait été transféré au chapitre XVIII, fût rétabli dans l’article en discussion.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, c’est-à-dire, que je me rallie à la proposition de la section centrale. De cette manière, l’ensemble le l’article se monte à 210,000 fr.
M. de Saegher. - Le subside aux communes en faveur des écoles et ateliers d’apprentissage, qui, l’année dernière, se trouvait porté au chapitre de l’industrie, a été porte au projet de budget de cette année au chapitre de l’instruction publique. La section centrale, d’accord avec la sixième section, n’a pas adopté ce transfert par le motif, vous dit-elle, « que ce crédit a peu de rapport avec l’instruction primaire, qu’il a une destination en quelque sorte spéciale, qu’il doit tendre principalement à opérer une mutation dans le travail des fileurs et des fileuses, et, par conséquent, être considéré comme destiné à soulager les familles qui vivaient de l’industrie linière. »
M. le ministre de l’intérieur est venu nous dire hier que cette instruction se combine ordinairement avec l’instruction primaire. Cela, messieurs, n’est pas entièrement exact, du moins en ce qui concerne une partie de la Flandre orientale. En effet, messieurs, les établissements dont il s’agit ne sont pas des écoles proprement dites, mais de véritables ateliers de travail. Le but de l’institution a été de venir au secours d’un grand nombre de fileuses qui se trouvaient sans travail, afin d’opérer une mutation dans leur travail, afin de leur procurer un autre métier, soit celui de dentellière, soit celui de la fabrication des gants de peau.
Ordinairement, messieurs, l’instruction dans ces ateliers se borne au catéchisme, à la lecture et quelquefois à l’écriture. M. le ministre de l’intérieur est venu nous dire qu’il ne s’opposait pas au transfert, pourvu que ces écoles fussent soumises à l’inspection prescrite par la loi sur l’instruction primaire, chaque fois qu’elles donnaient l’instruction prescrite par l’art. 6 de cette loi, c’est-à-dire, chaque fois que dans ces ateliers on apprenait la lecture, l’écriture, le système légal des poids et mesures, les éléments du calcul et les éléments de la langue flamande.
Je pourrais, messieurs, me contenter de cette déclaration ; mais l’année dernière, le subside n’a été accordé dans la Flandre orientale que sous la condition expresse que ces manufactures fussent soumises à l’inspection ; on n’a fait aucune distinction entre les écoles où l’on apprenait simplement les éléments de la lecture et l’écriture, et les écoles où l’instruction primaire était instituée de la manière que le prescrit la loi ; on n’a donné ni le subside du gouvernement ni le subside voté par les provinces aux autres écoles. C’est ainsi que je connais des écoles manufactures qui se sont soumises à l’inspection et qui cependant, j’en ai la conviction, sont loin de pouvoir se conformer à l’art. 6 de la loi sur l’instruction primaire.
Qu’en résulte-t-il ? c’est que les inspecteurs, en inspectant ces écoles, pourront les obliger à régler leur instruction de la manière prescrite par la loi. Or, de cette manière, on faussera en partie le but que l’on s’est proposé, de venir au secours de l’industrie linière.
Il y a d’autres écoles qui ne se sont pas soumises à cette condition, et à celles-là on n’a pas accordé le subside. Cependant il est impossible, du moins jusqu’à présent, que toutes les écoles instituées dans ce but se soumettent à l’inspection. Car lorsqu’elles ont été instituées en faveur des fileuses, comme je l’ai dit, on a été obligé d’y recevoir des filles de quinze, seize et jusqu’à 18 ans, et dont la principale occupation, depuis le matin jusqu’au soir, est d’apprendre le métier de dentellière, ou celui de la fabrication des gants.
Vous sentez que, dans le principe, il est impossible de donner à ces ouvrières l’instruction prescrite par la loi sur l’instruction primaire.
D’après ces considérations, messieurs, je prie M. le ministre de l’intérieur de nous dire s’il est bien entendu : 1° que l’on ne soumettra au régime d’inspection que les écoles qui se trouvent dans les conditions de l’art. 6 de la loi sur l’instruction primaire ; 2° que l’on ne soumettra pas au régime d’inspection, comme condition du subside que l’on accordera, les écoles où jusqu’ici l’on apprend simplement le catéchisme, la lecture et quelquefois l’écriture.
Je sais qu’il serait à souhaiter que toutes les écoles pussent se soumettre à la loi sur l’instruction primaire. Mais dans le principe et pour le moment cela est impossible, et cependant d’après ce qu’on a suivi dans la Flandre orientale l’année dernière, beaucoup de ces écoles ont été privées d’un subside dont elles avaient impérieusement besoin.
M. Dedecker. - Messieurs, je veux appeler l’attention du gouvernement sur un point qui concerne l’organisation de ces écoles et ateliers d’apprentissage ; j’entends parler de la fabrication des gants de peau.
Messieurs, la fabrication des gants de peau est une industrie toute nouvelle pour le pays ; c’est une industrie qui pourrait représenter, tant pour l’exploitation du marché intérieur que pour l’approvisionnement des marchés anglais et hollandais, un capital de 3 millions.
La majeure partie des gants de peau nous viennent aujourd’hui de France. Cette industrie mérite d’autant plus la sollicitude du gouvernement, que les trois quarts de ses produits représentent la main-d’œuvre, c’est-à-dire, que sur trois millions, il faut compter que deux millions resteraient dans le pays pour la main-d’œuvre.
Qu’arrive-t-il aujourd’hui ? C’est que nos fabricants indigènes de gants ne peuvent soutenir la concurrence avec les gants de France, et cela, par suite d’une véritable anomalie qui s’est conservée dans notre tarif de douanes. La France vient chercher en Belgique les peaux dont elle a besoin pour la fabrication des gants, et elle nous rapporte, après avoir gagné la main-d’œuvre, ces mêmes peaux comme objet fabriqué.
Je demanderai que M. le ministre de l’intérieur veuille bien proposer l’augmentation des droits de sortie, aujourd’hui de 6 p. c., sur les peaux de chevreau. De cette manière pourra se développer dans le pays une industrie qui convient merveilleusement pour les écoles et ateliers de nos campagnes où les jeunes filles peuvent en faire l’apprentissage, sans se réunir dans ces centres d’industrie et nuisibles à la morale et à la santé des enfants.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable préopinant me permettra de reprendre la discussion au point où l’avait laissée le premier orateur. Ses observations figureront au Moniteur, et le gouvernement verra ce qu’il y a à faire dans l’intérêt des industries qu’il a nommées.
Dans le cours de la discussion qu’a soulevée la question linière, j’ai plusieurs fois rendu hommage au clergé. J’ai dit que le concours du clergé était indispensable, pour détruire certains préjugés qui existent dans les campagnes contre toute innovation. J’ai ajouté aussi que c’était le clergé qui avait établi les écoles locales d’apprentissage. Mais il ne faut pas, messieurs, que ces actes si louables deviennent un moyen d’éluder l’exécution de la loi du 23 septembre sur l’instruction primaire.
Voici, en effet, ce qui pourrait arriver : Une école locale d’apprentissage est établie dans une commune. Il s’agit, par exemple, d’apprendre soit la fabrication des dentelles, soit la fabrication des gants. Comme il est presque impossible d’occuper toute la journée par ce seul apprentissage, comme d’ailleurs les ouvriers et les ouvrières qui se présentent sont dénués de toute autre instruction, on y joint, et on fait très bien, la lecture, l’écriture (interruption) ; on y joint enfin une grande partie du programme, sinon le programme tout entier de l’art. 6 de la loi du 23 septembre. Eh bien, je dis que, dans ce cas, cette école tombe ordinairement sous le régime de la loi. (Interruption.)
Je n’hésite pas à dire que lorsque ces circonstances se présentent, il faut franchement reconnaître que l’on tombe sous l’application de la loi du 23 septembre.
Sans doute, messieurs, lorsque l’enseignement se borne à l’apprentissage d’un métier, de la fabrication des gants ou des dentelles, lorsque toute instruction proprement dite en est éloignée, ce qu’on nomme improprement l’école reste en-dehors de l’application de la loi organique de l’enseignement primaire ; mais lorsqu’on y joint l’instruction de la majeure partie des branches comprises dans le programme de la loi du 23 septembre, alors il y a un établissement mixte qui présente au même degré le caractère d’apprentissage et celui d’école proprement dite. Ce n’est pas tout, messieurs ; très souvent l’établissement d’écoles semblables fait cesser les écoles communales elles-mêmes ; je regarde même ces écoles comme satisfaisant à tout ce qu’on peut attendre de l’instruction primaire ; c’est, selon moi, le plus grand progrès de l’enseignement primaire ; je voudrais que dans toutes les communes il pût y avoir une école ayant ce caractère mixte, étant à la fois école et atelier ; je ne verrais aucun inconvénient, par exemple, à ce qu’à l’école communale il fût annexé un atelier de menuiserie. Mais cette circonstance, qu’il existe auprès de l’école un atelier de menuiserie, dispenserait-elle l’école de se trouver sous l’application de la loi du 23 septembre dernier ?
C’est donc là, messieurs, une question de fait. Je pourrais me borner à renvoyer l’honorable préopinant aux explications que j’ai données au milieu du bruit, à la fin de la séance d’hier, mais répondant directement à ses questions, je dirai que le gouvernement, en donnant un subside n’y mettra pas pour condition absolue que l’atelier d’apprentissage se soumettra à l’inspection. Quand est-ce que cette condition est légalement nécessaire ? C’est lorsque l’établissement présente un caractère mixte, c’est-à-dire, qu’il est à la fois atelier d’apprentissage et école proprement dite, qu’on y enseigne les matières comprises dans l’art. 6 de la loi organique de l’instruction primaire. Le gouvernement tiendra aussi compte de la question de savoir si l’établissement de l’école ne fait pas cesser les autres écoles communales. Dans ce cas, la commune pourrait adopter l’école ou la désigner pour servir d’école de pauvres.
M. Desmet. - Je n’examinerai pas, messieurs, la question de droit ; sous ce rapport, M. le ministre de l’intérieur pourra trouver des arguments pour la soutenir ; nous avons voté une loi, et nous devons subir cette loi. C’est pourquoi je n’ai jamais aimé la loi sur l’instruction primaire, parce que j’ai vu qu’elle porterait de graves atteintes à la liberté d’enseignement et que nous y avons donné un pouvoir exorbitant au gouvernement, et dont je crains de grands abus, et des abus qui pourraient un jour détruire la liberté pour l’enseignement, qui est si clairement écrite dans notre constitution.
Je ne sais pas cependant si ces écoles de pauvres, qui sont bien plutôt des ateliers de travail, doivent être soumises au régime de la loi sur l’instruction primaire. Ces écoles sont établies dans le but de donner du travail aux enfants pauvres ; c’est seulement d’une manière accessoire qu’on y donne quelque instruction en fait de lecture, d’écriture et de calcul ; si vous voulez faire subir l’inspection à cette espèce d’écoles, beaucoup de personnes ne voudront plus demander de subsides pour les soutenir, parce qu’on ne voudra pas subir l’instruction gouvernementale, parce qu’on voudra conserver la liberté d’enseignement proclamée par la constitution. J’appelle sur ce point toute l’attention de M. le ministre de l’intérieur, et je le prie d’examiner mûrement la question. Il devra reconnaître que les légers subsides que le gouvernement accordera à ces écoles de travail dans les campagnes ne devront et ne pourront pas apporter avec eux l’inspection des agents du gouvernement. Que le gouvernement fasse tout ce qui est en lui pour faire agrandir ces intéressantes écoles de travail et qu’il ne les gêne point par des inspections qui ne peuvent avoir d’autre effet que de paralyser la liberté et l’élan dans ces écoles !
M. de Saegher. - M. le ministre de l’intérieur a commencé par dire qu’il rendait hommage aux intentions du clergé, mais qu’il ne voulait pas que la fondation des écoles dont il s’agit pût devenir un moyen d’éluder la loi sur l’instruction primaire. Ces paroles, messieurs, pourraient faire croire que le but de mon interpellation serait de soustraire une partie des écoles primaires au régime d’inspection établi par la loi. Telle, messieurs, n’a pas été ma pensée, et j’ai eu soin de m’en expliquer ; j’ai eu soin de faire connaître l’instruction qui se donne dans plusieurs de ces écoles, ou plutôt de ces ateliers ; j’ai dit qu’on n’y enseigne que la lecture et l’écriture, et j’ai ajouté que, dès lors, il me semblait que ces institutions ne devaient pas être soumises à l’inspection. Je conviens avec M. le ministre que lorsqu’on enseigne dans ces écoles une très grande partie des matières comprises dans le programme de l’art. 6 de la loi sur l’instruction primaire, que lorsqu’on y enseigne, par exemple, les éléments du calcul et les éléments de la langue flamande, alors il convient de soumettre ces écoles ou ces ateliers, quel que soit d’ailleurs le nom qu’on leur donne, de les soumettre à l’inspection.
J’ai dit plus, messieurs ; j’ai dit que j’espérais que plus tard on pourrait soumettre tous ces ateliers au régime de l’inspection. Mais dans quelle position nous trouvons-nous aujourd’hui dans la Flandre orientale ? Dans la Flandre orientale on a institué depuis peu de temps des écoles destinées principalement à donner du travail aux ouvrières fileuses ; pour venir efficacement au secours des pauvres, ces écoles prennent dans chaque famille un certain nombre d’enfants ; elles admettent des filles, même de 16 à 18 ans, auxquelles on apprend le métier de dentellière, afin de les mettre ainsi à même de venir en aide à leur famille. Eh bien, messieurs, il me semble que dans le moment actuel il est impossible de soumettre ces écoles au régime de la loi sur l’instruction primaire, car si vous les y soumettiez, les inspecteurs exigeraient peut-être qu’elles comprissent dans leur enseignement le programme de l’art. 6 de la loi.
Voilà, messieurs, à quoi tendait mon interpellation. M. le ministre a déclaré qu’il accorderait des subsides, même à des ateliers qui ne seraient pas soumis à l’inspection, pourvu que la plus grande partie du programme de la loi n’y fût pas enseignée. Je suis satisfait de cette explication.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vois que l’honorable préopinant, dans ses observations, avait encore un autre but, c’était de savoir si nécessairement on imposait dans tous les cas le programme de l’art. 6. On n’impose pas ce programme, à moins que l’établissement n’ait un caractère mixte, qu’il ne soit à la fois atelier d’apprentissage et école proprement dite, et qu’il ne remplace l’école communale. Du reste, messieurs, n’exagérons rien ; il ne faut pas croire que l’inspection soit acceptée avec répugnance. Il ne faut pas se faire un monstre de l’inspection ; l’inspection n’est refusée par personne. D’ailleurs, messieurs, qu’y a-t-il de plus naturel que de savoir ce que deviennent les subsides du gouvernement, alors même qu’il ne s’agit que d’un atelier d’apprentissage ? Car quand on vient dire : donnez-moi de l’argent pour créer un atelier d’apprentissage, pour enseigner soit la fabrication des dentelles, soit la fabrication des gants, il faut bien savoir si l’atelier existe, si les procédés sont convenables. Y a-t-il ici attentat à la liberté constitutionnelle ?
M. Vilain XIIII. - Je désire, messieurs, adresser une simple question à M. le ministre de l’intérieur. Dans la Flandre orientale, il y a un grand nombre d’écoles libres dirigées par de religieuses ; l’enseignement de ces écoles comprend tout le programme de l’art. 6 de la loi sur l’enseignement ; ces écoles sont complètement libres, elles ne reçoivent aucun subside et ne sont pas adoptées par les communes. A ces écoles on adjoint des ateliers d’apprentissage, dans le but d’occuper les heures de loisir des enfants. Pendant les deux années précédentes, le gouvernement a bien voulu faire don à ces écoles de quelques instruments de travail, de rouets, par exemple ; c’était là un très grand bienfait pour ces ateliers d’apprentissage, mais je demanderai à M. le ministre de l’intérieur si le seul envoi de ces cadeaux peut soumettre les écoles auxquelles ces ateliers d’apprentissage sont annexés au régime de la loi sur l’instruction primaire et les obliger à subir l’inspection.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.
M. Vilain XIIII. - En ce cas je me déclare satisfait.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Evidemment l’envoi de ces objets ne peut avoir pour résultat de soumettre les écoles dont il s’agit au régime de la loi sur l’instruction primaire ; il est probable que, maintenant que des comités locaux sont établis, ces comités locaux voudront savoir ce que, par exemple, ces rouets sont devenus ; mais ce n’est pas ici un subside donné à l’établissement entier, et dès lors il ne peut en résulter, pour les écoles dont il s’agit, l’obligation de soumettre à l’inspection permanente.
M. de Foere. - Je demande à M. le ministre de l’intérieur, s’il considère comme écoles du gouvernement celles qui ont reçu une seule fois un subside pour les aider à couvrir leurs premiers frais d’établissement ; je demanderai à M. le ministre de l’intérieur, si, par ce seul fait, ces écoles doivent être considérées comme soumises à l’inspection gouvernementale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je sais, messieurs, qu’en effet plusieurs fois un subside unique a été accorde à des écoles sans que le gouvernement ait attaché à ce subside la condition d’une inspection continue. On s’est simplement enquis de ce que la somme devenait. Du reste, il y a déjà longtemps que ces subsides ont été accordés, et je crois qu’ils ne l’ont été que dans des cas tout à fait spéciaux.
- Le chiffre est adopté.
L’ensemble de l’art. 1er est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art.2. Musée de l’industrie, traitements, frais de voyage, impression du Bulletin, modèles et essais, collection d’épures, bibliothèque ; atelier de dessinateurs, collections d’échantillons et bureau de renseignements ; appropriation de locaux, ameublements, frais du laboratoire, etc., etc. : fr. 40,000 »
- Cet article est adopté.
Art. 3. Primes et encouragements aux arts mécaniques et à l’industrie, aux termes de la loi du 25 janvier 1817, n°6, sur les fonds provenant des droits de brevets ; publication de brevets, et tous frais d’administration et de délivrance de brevets (personnel et matériel) : fr. 33,000 »
- Cet article est adopté.
« Art. 1er A. Traitements des fonctionnaires et employés des deux universités : fr. 621,800 »
M. Fleussu. - Messieurs, le chap. XVIII du budget renfermant les trois degrés d’enseignement, est de nature à fournir matière à des réflexions nombreuses et intéressantes.
On pourrait, par exemple, faire un rapprochement assez curieux entre ce qui se passe en France et ce qui se passe en Belgique, relativement à la liberté d’enseignement. Le même principe est consacré dans les deux pactes constitutionnels, je veux parler du principe de la liberté d’enseignement, et si même je ne me trompe pas, la constitution belge a puisé cette disposition dans la charte française, car vous savez que la charte française a servi de modèle à la plupart de nos dispositions constitutionnelles.
Ce principe est cependant compris d’une manière bien différente dans les deux pays en Belgique, le principe de la liberté de l’enseignement est entendu de la manière la plus absolue, l’enseignement s’y développe de la manière la plus large. Dès qu’un établissement d’instruction s’ouvre, le gouvernement n’a pas à y intervenir, il ne peut, ni surveiller la méthode qui y est suivie, ni s’enquérir du régime de l’établissement, ni même s’assurer des doctrines qui y sont enseignées.
Il n’en est pas de même en France : On pense, là, que la liberté d’enseignement n’est pas exclusive du choix de surveillance de la part du gouvernement ; que le droit de la cité ne doit pas être sacrifié entièrement aux droits de la famille ; on pense enfin que lorsque le gouvernement exige une autorisation de sa part pour l’exercice de certaines industries qui peuvent compromettre la sûreté ou la salubrité publique, le gouvernement peut aussi avoir le droit le surveiller une industrie qui touche de si près aux plus hauts intérêts de la société.
Toutefois, mon intention, messieurs, croyez-le bien, n’est pas d’examiner, à l’occasion d’un chiffre de budget, des questions de cette importance. Je ne veux constater qu’une seule chose c’est qu’en Belgique, le principe de la liberté de l’enseignement, consacré par la constitution, reçoit l’application la plus large ; mais de ce fait résulte, à mes yeux. une obligation d’autant plus pressante pour le gouvernement d’élever des établissements d’instruction qui puissent soutenir la concurrence, en d’autres termes, d’entrer dans la lutte avec la volonté d’y obtenir des succès.
Mais pour cela, messieurs, il faut que le gouvernement sache cependant reprendre l’influence qui lui appartient, il faut qu’il ressaisisse l’action qui est le droit du pouvoir exécutif, il faut que ceux qui entrent dans la carrière de l’enseignement y trouvent des moyens d’une existence honnête ; il faut non seulement que des moyens d’existence soient assurés au professorat, mais il faut encore que le professorat soit honoré, soit respecté ; il faut enfin que les établissements du gouvernement soient tels, qu’ils donnent satisfaction aux pères de famille les plus exigeants.
Est-ce là ce que le gouvernement a fait pour l’instruction ?
Je me garderai bien de dire que le gouvernement n’a pas de sollicitude pour l’enseignement, qu’il ne montre aucun intérêt pour le professorat ; il serait injuste de lui adresser ce reproche ; dans une circonstance récente, à laquelle on a fait allusion dans la discussion générale, j’ai eu des preuves que le gouvernement porte intérêt à l’instruction, et je dirai même que M. le ministre de l’intérieur fait, en cette occasion, tout ce qui dépendait de lui, pour empêcher que l’université de Liége ne perdît un de ses meilleurs professeurs.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Et cependant on a dénaturé cet acte.
M. Fleussu. - Si M. le ministre de l’intérieur avait fait un appel à la connaissance que j’avais de cette affaire, je me serais empressé de lui rendre la justice que je lui rends en ce moment.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne me crois pas le droit de faire un appel à des correspondances particulières.
M. Fleussu. Puisqu’on parle de correspondance, il faut bien que je dise ce qui en est.
Le bruit s’était répandu dans la ville de Liège, qu’on faisait des démarches pour attacher à l’université de Louvain un de nos professeurs. Quand ce bruit parvint à ma connaissance, et comme c’était le quatrième professeur qu’on cherchait à nous enlever, j’ai écrit à M. le ministre de 1’intérieur, et je lui ai demandé d’employer tous les moyens qui sont à sa disposition pour empêcher que ce professeur ne se laissât séduire par les offres avantageuses qui lui étaient faites, et je dois dire que, courrier par courrier, j’ai reçu de M. le ministre de l’intérieur une lettre qui donnait satisfaction à ma demande.
Cependant, quoique je reconnaisse que le gouvernement fait quelque chose pour l’instruction, je suis cependant obligé de dire qu’il est des mesures qu’il aurait dû prendre et qu’il n’a pas prises ; qu’il en est d’autres, au contraire, qu’il a prises et qu’il n’aurait pas dû prendre.
Je vais m’expliquer sur ces deux points.
Vous comprenez, messieurs, que, quand je parle des mesures que le gouvernement aurait dû prendre et qu’il n’a pas prises, je veux vous entretenir de la formation du jury d’examen.
Comme conséquence de la liberté d’enseignement, une loi a décrété l’existence d’un jury d’examen. Le gouvernement aurait pu prétendre que le jury ne devait être établi que pour soumettre à des examens les élèves des universités libres ; il aurait pu soutenir que les professeurs des établissements de l’Etat ne devaient pas être dépouillés d’un droit dont ils avaient joui jusqu’alors, de décerner des diplômes aux élèves sortant de ces établissements. Je demande si, alors qu’on réclamait avec tant d’instance la liberté d’enseignement sous l’ancien gouvernement, je le demande, si l’autorité supérieure avait fait une pareille concession, aurait-on pu s’en plaindre et dire qu’elle n’était pas suffisante ? Cependant le gouvernement actuel n’a pas fait obstacle, il a consenti à ce que les élèves sortant des universités de l’Flat fussent soumis à un jury commun.
Il y a, je l’avoue, quelque avantage à cette manière d’agir, c’est que la concurrence est mieux établie ; on voit par là quels sont les élèves qui ont fait le plus de progrès, quels sont les élèves les plus capables ; l’application de ce système soutient le zèle des professeurs dans les différentes universités et l’assiduité des élèves des universités de l’Etat. Sous ce point de vue donc, il n’y a pas de mal à ce qu’il y ait un jury commun pour toutes les universités.
C’est principalement sur la formation de ce jury, que j’ai des observations à présenter.
La loi du 27 septembre 1835 a disposé (art. 41) que le jury serait formé de la manière suivante : deux membres sont nommés par la chambre, deux par le sénat, et trois par le gouvernement.
Il est évident, messieurs, que dans cette circonstance, le gouvernement a consenti à perdre ses véritables prérogatives, qu’il s’est laisse dépouiller d’un droit qui lui appartient, comme pouvoir exécutif.
Messieurs, je suis, moi, très jaloux des prérogatives de la chambre, mais je crois aussi qu’il est de notre intérêt bien entendu, que la chambre n’entreprenne rien sur les prérogatives du gouvernement. Or, je dis que c’est faire de l’administration dans la chambre que d’attribuer à la chambre la nomination d’une partie des membres du jury d’examen. Aussi, remarquez que ce n’était qu’à titre d’essai que la loi avait été votée ; aux termes de l’art. 41, le mode de nomination du jury n’était que provisoire, et seulement pour le terme de trois ans. La troisième année expirait le 31 décembre 1838. Le gouvernement a-t-il songé à ressaisir son action ? Nullement, messieurs, par des lois consécutives, la disposition de l’art. 41 de la loi du 27 septembre 1835 a été prorogée…
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ceci s’adresse à tous les ministres.
M. Fleussu. - Je n’entends pas m’adresser seulement à M. le ministre de l'intérieur actuel ; sans cela, j’aurais pris part à la discussion générale et j’aurais pu lui dire les choses plus piquantes.
Je dis donc que la loi du jury expirait le 31 décembre 1838, et elle a été renouvelée pour l’année 1839, par la loi du 21 mars 1839, pour l’année 1840, par la loi du 27 mars 1840, pour l’année 1841, par la loi du 6 mars 1841, pour l’année 1842, par la loi du 25 février 1842, et enfin pour l’année 1843, par la loi du 10 février 1843. Et cependant, messieurs, cet état de choses avait soulevé beaucoup de réclamations. Il y avait des abus réels. Jetez les yeux sur le tableau de la composition du jury depuis que ce mode de nomination existe, et vous verrez que ce sont lesmêmes personnes qui ont été presque continuellement nommées ; qu’en résulte-t-il ? C’est qu’il s’établit une certaine jalousie parmi les professeurs. En outre, les jurés interrogeant sur les matières qui leur sont les plus connues, ont des questions qui roulent presque toujours dans le même cercle ; il en résulte, que les élèves, connaissant les matières favorites des membres du jury, étudient principalement ces matières et négligent les autres.
Voilà, messieurs, des abus, et des abus réels ; on a réclamé de toutes parts, moi-même, dès les premiers jours de ma rentrée dans cette chambre, j’ai fait des réclamations sur cet objet ; on nous a promis une loi tous les ans, et cette loi se fait encore attendre, et à l’heure qu’il est, nous ne sommes encore saisis d’aucune proposition, et je crains beaucoup que le gouvernement, d’ici à quelques jours, ne vienne encore nous demander le renouvellement du mode de nomination du jury d’examen établi par l’art. 41 de la loi d’instruction supérieure.
Eh bien, je le déclare, je m’opposerai de toutes mes forces à la prorogation d’une pareille loi. Et si, au contraire, le gouvernement présentait une loi par laquelle il ressaisirait une attribution qui lui appartient, je l’appuierais également de toutes mes forces.
Je viens de vous expliquer ce que le gouvernement aurait dû faire et qu’il n’a pas fait.
Je vais maintenant vous parler des mesures qu’il a prises, et que, selon moi, il a prises avec le plus grand tort, sans qu’aucune raison pût justifier ces mesures, et je dirai qu’elles semblent avoir été prises en défiance du corps professoral. Je ne sais si vous avez ouvert un volume considérable et fort intéressant qui vous a été adressé par M. le ministre de l’intérieur. A la page 1104, vous trouverez un arrête relatif aux attributions des conseils académiques. C’est de cet arrêté que je vais vous entretenir. Je le considère comme subversif de la loi sur l’instruction et même comme attentatoire, sous un certain point de vue, à nos institutions constitutionnelles, en ce sens que cet arrêté a restreint le principe de la loi en ce qui concerne l’existence des conseils académiques, y a dérogé, et, par cette dérogation, a enlevé aux conseils académiques des universités le droit de pétition. C’est ce que je vais chercher à établir.
D’après l’art. 21, § 2, de la constitution, les autorités constituées ont le droit d’adresser des pétitions, en nom collectif, et ce droit n’appartient qu’à elles. D’un autre côté, la loi sur l’enseignement supérieur, dans son art. 16, détermine quelles sont les autorités académiques, et range parmi elles le conseil académique. Le conseil académique est donc une autorité constituée par la loi. Cette loi va plus loin ; elle dit dans le même art. 16 ce que c’est que le conseil académique. Le conseil académique, d’après cet article, se compose des professeurs assemblés sous la présidence du recteur. Remarquez ces expressions : dès que ces deux conditions existent, il y a conseil académique.
De ce simple rapprochement résulte cette proposition : les professeurs, assemblés sous la présidence du recteur, forment une autorité constituée ; aux termes de la constitution, ils ont le droit d’adresser à la chambre des pétitions en nom collectif. Il ne me paraît pas qu’il y ait, en termes de droit, de proposition plus formelle, plus positive.
Ce qui est tout aussi évident, c’est que le droit incontestable du corps professoral lui est enlevé par l’arrêté dont je viens de rappeler la date.
Cet arrêté porte :
« Art. 1er. Les professeurs d’une université de l’Etat, réunis en assemblée, constituent un conseil académique lorsqu’ils ont été convoqués à l’effet de délibérer sur les objets mentionnés à l’art. 3 ci-après.
« Le conseil et les autres autorités académiques ne peuvent siéger ni délibérer hors de l’enceinte de l’université.
« Les autorités académiques des universités de l’Etat ne correspondent d’une université à l’autre que par l’intermédiaire du commissaire du gouvernement, administrateur-inspecteur.
« Le recteur et le collège des assesseurs ont seuls qualité pour représenter le conseil académique ; il ne peut leur être substitué de députation nommée par les professeurs. »
Je pourrais vous citer d’autres dispositions de l’arrêté, vous faire ressortir qu’on tient le corps professoral dans une position en quelque sorte humiliante. (Dénégation de la part de M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb).) Mais ce n’est pas là l’objet que je veux traiter.
L art. 3 de cet arrêté porte :
« Art. 3. Le conseil académique délibère ordinairement sur les objets suivants :
« 1° La rédaction du programme semestriel des cours de l’université ;
« 2° La désignation annuelle de deux candidats pour les fonctions de secrétaire du conseil ;
« 3° La nomination du receveur des inscriptions ;
« 4° La fixation du tantième qui revient au receveur.
« Le conseil académique délibère extraordinairement sur les objets suivants :
« 1° Sur l’application des peines disciplinaires, en conformité de l’art. 24 de la loi ;
« 2° Sur la délivrance du diplôme honorifique ;
« 3° Sur les questions ou projets dont il est régulièrement saisi par l’autorité supérieure.
« Il n’y a lieu à convoquer d’urgence que dan le cas où le conseil doit délibérer extraordinairement.
« La présence aux réunions du conseil académique est obligatoire pour tous les professeurs. Les procès-verbaux font mention des absents. »
Voilà donc quand les professeurs, réunis sous la présidence du recteur, peuvent être considérés comme conseil académique ; ce n’est que dans les cas qui viennent d’être déterminés par l’arrêté. Hors ces quelques cas assez rares, comme vous avez pu le reconnaître, les professeurs ne sont plus conseil académique ; ainsi ils n’ont plus cette qualité quand ils s’occupent de pétitions à adresser aux chambres.
Vous savez que quelquefois aussi le corps universitaire a des intérêts à défendre devant vous. Par exemple, quand vous vous êtes occupés des lois sur l’enseignement supérieur et sur les pensions, des pétitions vous ont été adressées par les professeurs des universités de Gand et de Liége. Dans ces pétitions, il y avait beaucoup de choses que vous devriez prendre en considération. Pourquoi veut-on nous priver des lumières que nous pourrions recevoir des corps universitaires ? Cependant, lorsque les professeurs voudraient adresser une pétition à la chambre du nom collectif, ils ne le pourraient plus, ils cessent d’être autorité constituée hors les cas prévus. Ainsi, si, au sujet d’une loi sur l’enseignement, le corps professoral vous adressait une pétition, ce ne pourrait être comme autorité constituée, ce ne pourrait être comme conseil académique. Il faut bien distinguer entre le corps professoral et le conseil académique. Le corps professoral, tous les professeurs réunis peuvent adresser des pétitions à la chambre, mais comme toutes personnes qui se réunissent pour adresser une pétition à la chambre, tandis que quand le conseil fait une pétition, il la présente en nom collectif, dans l’intérêt de tous les professeurs. Dès lors, si les professeurs adressaient à la chambre une pétition en nom collectif, on pourrait refuser de la recevoir, en prétendant qu’elle n’est pas dans les termes de la constitution qui n’admet que les autorités constituées à faire des pétitions en nom collectif.
Je ne sais véritablement, quand je vois les résultats de l’arrêté, si M. le ministre de l’intérieur a bien mesuré toute la portée de cet arrêté. Je ne puis croire, en effet, qu’il aurait voulu porter la défiance envers un corps aussi haut placé, au point de lui interdire tout accès dans cette chambre, de lui interdire de nous faire parvenir l’expression de leurs vœux et de leurs besoins, de nous éclairer sur certaines matières qui seraient à l’ordre du jour. Je ne conçois donc pas par quel motif on aurait voulu enlever ce droit aux autorités universitaires. Ce droit, cependant, leur est enlevé par l’importance que l’arrête attache à distinguer les cas où les professeurs forment un conseil académique et ceux où leur réunion n’a pas ce caractère.
Que cet arrêté blesse les droits des professeurs, que même il soit une violation de la loi, c’est ce qui, selon moi, n’est pas douteux, puisqu’il enlève au corps professoral un droit que la constitution lui garantit.
Mais il convient de dire avec précision où est le siège de l’illégalité qui a été commise, elle se trouve dans la violation de l’art. 16 déjà cité de la loi sur l’enseignement supérieur. Cet article est ainsi conçu :
« Art. 16. Les autorités académiques sont : le recteur de l’université, le secrétaire, les doyens des facultés, le conseil académique, et le collège des assesseurs.
« Le conseil académique se compose des professeurs assemblés sous la présidence du recteur.
« Le collège des assesseurs se compose du recteur, du secrétaire, du conseil académique et des doyens des facultés. »
Ainsi pour que le conseil académique existe, d’après la disposition de la loi, il ne faut que deux conditions : assemblée de professeurs et présidence du recteur. Ce qui suffisait d’après la loi sur l’enseignement ne suffit plus d’après l’arrêté. Aux deux conditions de la loi, l’arrête en joint une troisième, à savoir que l’assemblée ne revêt le caractère de conseil académique que lorsqu’elle statuera sur certains objets déterminés.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Lisez l’art. 17.
M. Fleussu. - J’y viendrai.
Il y a donc eu excès de pouvoir, il y a eu violation directe de la loi sur l’enseignement ; il y a, par voie de conséquence, une attaque indirecte contre la constitution, puisque l’arrête prive le corps professoral du droit de pétition, que, comme autorité constituée, il peut exercer.
M. le ministre de l’intérieur me dit : Lisez l’art. 17 de la loi sur l’enseignement ; j’avais prévu l’objection qu’on peut en tirer ; voici, si je ne me trompe, sous quelle forme elle nous sera probablement présentée.
Cet art. 17 porte :
« Art. 17. Les règlements arrêtés par le Roi, pour l’exécution de la présente loi, détermineront les attributions des autorités académiques, le mode de nomination du recteur, du secrétaire de l’université et des doyens des facultés.
En portant cet arrêté du 22 novembre 1843, le Roi, dira-t-on, n’a fait qu’user du droit que lui donne la loi.
Je crois que M. le ministre me rendra la justice de dire que j’ai saisi d’avance son observation.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - En partie.
M. Fleussu. - En partie !... Je répondrai à l’autre, quand elle me sera connue ; pour la partie que j’ai saisie, voici la réponse qu’on peut faire :
L’arrêté ne se borne pas à déterminer les attributions de l’autorité académique, il fait plus, il prescrit des conditions d’existence, il prescrit des conditions d’existence pour une autorité déjà constituée, pour une autorité à laquelle la loi a donné existence complète et qui, sous ce rapport, n’a plus rien à attendre des règlements. L’arrête ne se borne pas a faire ce que la loi avait laissé à faire, il refait ce que la loi avait fait, et il le refait autrement. Il n’exécute donc pas la loi, mais il fait violence, il se substitue à la loi, il se met a sa place.
La disposition générale qui définit ce qu’on doit entendre par conseil académique, est restreinte par l’arrêté à quelques cas particuliers, c’est-à-dire, qu’alors que la loi avait défini ce qu’on entendait par le conseil académique, sans y ajouter aucune condition, l’arrête stipule que la réunion des professeurs sous la présidence du recteur ne formera conseil académique que dans des cas déterminés. Ainsi l’arrêté restreint la disposition indéterminée de la loi. Je désire que le gouvernement puisse me donner des explications qui fassent disparaître mes doutes et donnent à l’arrêté une portée autre que celle que je lui attribue, car il serait presque injurieux pour le corps universitaire de se voir refuser des droits que d’autres autorités bien moins haut placées peuvent faire valoir. Il ne faut pas aussi facilement enlever des droits politiques à ceux qui doivent enseigner à nos enfants les principes relatifs à l’exercice de ces mêmes droits.
J’ai cherché vainement quels ont pu être les motifs qui ont placé le corps enseignant, envers lequel le gouvernement doit avoir tous les égards possibles, dans une espèce de suspicion.
Je ne terminerais pas si je voulais vous dire comment le corps enseignant est traîné à la remorque des agents du gouvernement attachés auprès de l’université. Vous croyez que dans les cérémonies la préséance est donnée au recteur, qu’il a le droit de marcher à la tête du corps auquel il appartient ? Pas du tout, c’est l’agent du gouvernement qui précède le recteur. On me répondra : C’est peu de chose, ce n’est là qu’une question de convenance ; mais c’est par le rang qu’on lui attribue, qu’on juge en général de l’importance de l’emploi.
Il me semble que si on avait fait pour ces agents du gouvernement ce qu’on a fait pour les officiers du parquet près des tribunaux, on aurait assez fait. Dans les cérémonies auxquelles assistent les corps de magistrature, le parquet vient à la suite du tribunal ou de la cour, il ne s’en croit pas offensé ; un procureur-général, pour marcher après le dernier des conseillers, ne se croit pas descendu de son rang. Il me semble qu’il aurait été de la dignité du professorat qu’on lui donnât le pas sur les agents du gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est l’exécution d’un ancien arrêté.
M. Fleussu. - Je ferai remarquer que c’est une discussion générale que j’engage pour établir la conduite du gouvernement vis-à-vis du corps enseignant : ce n’est pas à un acte isolé que je m’attache. Veuillez vous rappeler la discussion de la loi sur l’enseignement, vous verrez que le rang de l’agent du gouvernement devait être inférieur à celui de professeur de l’université. C’est à ce point, si je me rappelle bien, que l’honorable M. Dechamps a déclaré qu’un professeur de l’université ne voudrait pas accepter ces fonctions. Cependant on fait marcher l’inspecteur en tête de l’université. Il est vrai de dire que le gouvernement a fait choix, pour ces fonctions, d’hommes éminents par leur position et par leurs connaissances, mais ce n’est pas une raison pour favoriser ainsi l’emploi au préjudice du professorat.
Croiriez-vous que, quand le conseil académique s’assemble, il faut qu’il prévienne M. l’inspecteur de l’université ? Croiriez-vous que l’inspecteur, qui n’a pas le droit d’assister à la réunion, a droit de se faire remettre un procès-verbal de la séance ? Croiriez-vous que le recteur d’une université ne pourrait pas correspondre avec son collègue d’une autre université, sans l’intermédiaire de M. l’inspecteur ? voilà, il faut en convenir, des dispositions qui témoignent d’une singulière défiance envers les professeurs. Je ne pense pas que jusqu’à présent les professeurs aient donné lieu à être mis, en quelque sorte, en état de suspicion. Cependant le gouvernement montre par-ci par là quelque velléité d’être généreux envers le professorat ; c’est ainsi qu’au budget de cette année, M. le ministre demande une augmentation de 15 mille fr. J’applaudis à sa demande. Je l’appuie de toutes mes forces. Bien des considérations doivent nous déterminer, messieurs, à voter ce crédit. Je ferai un appel aux discussions de la loi sur l’enseignement ; lorsqu’on a fixé le traitement des professeurs des universités, plusieurs membres se plaignaient de ce que le taux n’était pas assez élevé, d’autres ont fait observer que les minervalia doubleraient presque leur traitement, qu’on s’attendait à voir s’élever à 10 ou 12 mille fr. Depuis lors, deux universités libres sont venues s’établir à côté des universités de l’Etat, les élèves se sont divisés dans les quatre universités et les minervalia ne répondent pas à ce qu’on en attendait pour fixer le traitement des professeurs.
Sous ce rapport, je crois que puisque l’expérience a démontré l’erreur des calculs sur lesquels on a basé les traitements des professeurs, il ne faut négliger aucune circonstance d’améliorer leur position.
D’un autre côté, vous avez une quantité de professeurs extraordinaires. La plupart d’entre eux remplissent leurs fonctions depuis nombre d’années, on ne peut pas les laisser perpétuellement dans une position inférieure. La plupart sont des hommes de mérite qui sont entrés dans la carrière honorable mais ardue de l’enseignement, où l’on acquiert de la science, des connaissances, mais non des richesses ; la plupart, dis-je, y sont entrés dans l’espoir d’obtenir un jour une place de professeur.
Je ne crois pas me tromper en disant qu’il en est qui remplissent leurs fonctions depuis trois, quatre ans, et même depuis le vote de la loi sur l’enseignement. D’un autre côté, nous sommes en présence d’établissements libres qui ne sont pas gênés par la loi du budget quand un homme leur convient, ils peuvent faire tous les sacrifices pour l’attirer à eux ; les universités de l’Etat ne sont pas dans une position aussi avantageuse, restreintes quelles sont par les chiffres du budget.
J’espère que ces considérations vous détermineront à voter l’augmentation demandée. Quant à moi je la voterai, sans pourtant prendre par là l’engagement de voter le budget de l’intérieur, car jusqu’à présent je ne suis pas disposé à lui donner un vote favorable.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, dans le rapprochement que l’honorable préopinant a fait entre la constitution belge et la charte française sa mémoire lui a fait faute. Il a supposé que la Belgique avait puisé dans la charte française, les dispositions sur l’enseignement. La charte française ne proclame pas le principe de liberté de l’enseignement ; elle ne renferme qu’une promesse ; il y a sous ce rapport une grande différence entre la constitution belge et la charte française. La constitution belge porte, art. 17 : « L’enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite. La répression des délits n’est réglée que par la loi. »
Le principe de la liberté d’enseignement est donc posée d’une manière absolue, avec exclusion de toute mesure préventive, et ce principe a pu recevoir immédiatement son exécution ; en effet, il ne faut pas de loi organique pour rendre possible l’exécution d’un principe qu’on pose d’une manière absolue, en déclarant que toute mesure préventive est interdite. Dans la charte française, au contraire, il est dit, aux dispositions transitoires : Art. 69. « Il sera pourvu par des lois séparées aux objets suivants :
« 8° L’instruction publique et la liberté d’enseignement. »
Ce n’est donc qu’une promesse qui existe en France, promesse qui peut-être un jour recevra son exécution ; mais le législateur français ne se trouvera pas lié par des dispositions comme celles de la constitution belge ; il pourra soumettre à des mesures préventives l’introduction du principe de la liberté de l’enseignement.
L’honorable préopinant, après avoir posé comme point de départ et comme un fait accompli la liberté de l’enseignement en Belgique, en a conclu qu’en présence du développement qu’a pris ce principe, la sollicitude du gouvernement doit être grande pour les établissements qui sont entretenus aux frais de l’Etat. Je partage entièrement son opinion. J’ajouterai que, pour que cette sollicitude ne soit pas un vain mot, il faut, de la part du gouvernement, une action directe, fort et incessante sur les établissements publics. (Exclamations ; interruption.)
La position des établissements de l’Etat est devenue beaucoup plus difficile, la responsabilité du gouvernement bien plus grande, par cela même qu’il existe des établissements libres qui leur font concurrence. Autrefois, cette concurrence était impossible ; rien n’était plus facile que d’administrer les universités de l’Etat. Vous aviez des moyens d’action qui aujourd’hui vous manquent ; vous aviez des moyens d’action sur les professeurs qui ne trouvaient de position que dans les universités de l’Etat ; vous aviez surtout des moyens d’action sur les élèves qui ne pouvaient recevoir l’instruction que dans les établissements de l’Etat.
Il faut donc éviter, messieurs, que la liberté de l’enseignement ne conduise de fait à la liberté complète des études, en ce sens qu’une désertion continuelle s’établisse entre les établissements libres et les établissements de l’Etat.
Vous voyez, d’après ces réflexions, combien la position est changée par l’existence des établissements libres. Arrêtons-nous à un seul cas. L’élève exclu avant 1830 pouvait trouver la carrière de l’enseignement fermée. Aujourd’hui, messieurs, un élève étant exclu, qu’en résulte-t-il ? Les établissements libres lui sont ouverts. Que dis-je ? l’élève exclu de l’une des universités de l’Etat peut être admis à l’autre université de l’Etat ; rien ne l’interdit. Le conseil académique de l’autre université peut le recevoir ; la loi le permet, et le gouvernement ne pourrait s’y opposer. Chaque université, dit l’avant-dernier paragraphe de l’art. 24 de la loi organique a le droit de refuser l’inscription de l’élève exclu par l’autre université. Chaque université a le droit de refuser, donc elle a le droit d’admettre. Je ne veux pas aller plus loin.
Pour juger la conduite du gouvernement, il y a, dit l’honorable préopinant des mesures qu’il aurait dû prendre ; il y en a d’autres qu’il aurait dû s’abstenir de prendre.
Au nombre des mesures qu’il aurait dû prendre, c’eût été d’introduire un mode définitif pour la nomination des jurys d’examen, en rendant je le suppose, une plus grande action au gouvernement. C’est anticiper, messieurs, sur une discussion que vous savez prochaine et que nous ne chercherons pas à reculer ni à éviter. Un projet de loi vous sera présenté, et la discussion que l’honorable préopinant a déjà abordée aujourd’hui, deviendra alors l’objet principal de vos débats. Je ne crois pas devoir anticiper sur cette discussion ; je me borne à déclarer que je crois le moment venu de saisir la législature d’un projet définitif.
Après avoir indiqué cette mesure que le gouvernement aurait dû, selon lui, prendre depuis longtemps, il vous a dénoncé un seul acte dont le gouvernement aurait dû s’abstenir ; contre cet acte, il a élevé les plus graves objections.
Le gouvernement, messieurs, a de grands devoirs à remplir, précisément parce qu’il existe des établissements libres qui lui font concurrence, il a une grande responsabilité ; il vous répond des établissements que vous avez créés aux frais du trésor public. C’est le gouvernement qui administre ces établissements, ce ne sont pas les professeurs. Aussi, messieurs, l’organisation des universités est-elle, sous ce rapport, beaucoup plus forte au point de vue gouvernemental que ne l’était l’organisation avant 1830.
Avant 1830, on avait accordé aux autorités académiques des attributions qu’on ne leur accorde plus. Aujourd’hui le gouvernement administre directement ; il a pour intermédiaire, et pour seul intermédiaire, l’administrateur inspecteur, fonctionnaire éminent, car il représente le gouvernement, et dont on a été jusqu’à critiquer le rang fixé par un arrêté déjà ancien.
On a compris qu’en chargeant, par exemple, une commission sons un nom quelconque d’administrer les universités de l’Etat, ou bien en confiant ce soin, en tout ou même seulement en majeure partie, au corps professoral lui-même, on pourrait gravement compromettre la position des universités elles-mêmes.
L’arrêté du 22 novembre dernier consacre-t-il une innovation ? Non, messieurs. Dans cet arrêté, je me suis borné à réunir, en quelque sorte en un seul cadre, les attributions des conseils académiques, telles qu’elles résultent de la loi organique et de plusieurs arrêtés d’exécution ; je n’ai rien fait de plus ; j’ai voulu seulement rappeler les dispositions existantes et leur donner une sanction qui manquait jusqu’à présent, et que tout le monde, je n’hésite pas à le dire, désirait ou devait désirer.
L’honorable préopinant vous a cité l’art. 21 de la constitution sur le droit de pétition, et l’art. 16 de la loi organique de l’enseignement supérieur sur l’institution des autorités académiques.
Examinons ces textes.
L’art. 16 de la loi organique porte :
« Le conseil académique se compose des professeurs assemblés sous la présidence du recteur.
« Les autorités académiques sont : le recteur de l’université, le secrétaire, les doyens des facultés, les conseils académiques et le collège des assesseurs. »
L’art. 21 de la constitution dit :
« Les autorités constitués ont seul le droit d’adresser des pétitions en nom collectif. »
Ici, messieurs, nous retrouvons la question qui se présente à l’égard de toutes les autorités constituées.
Que signifie ce § 2 de l’art. 21 de la constitution ? Est-ce à dire que les autorités constituées ont le droit de faire des pétitions en nom collectif sur tous les objets quelconques, même sur les objets qui ne rentrent pas dans leurs attributions ? Voilà la question. Pour ma part, j’ai toujours soutenu, au ministère comme hors du ministère, et dans quelque position que je puisse me trouver, je soutiendrai que l’art. 21, § 2, doit s’entendre dans ce sens, que les autorités constituées ont le droit d’adresser des pétitions en nom collectif sur tous les objets pour lesquels elles sont des autorités constituées ; que, hors de là, elles ne sont plus autorités constituées, que les membres qui forment ces autorités deviennent alors de simples citoyens ; et je leur laisse tous les droits de citoyens, je ne prétends pas les leur enlever. (Exclamation ; interruption.)
On invoque, à côté de moi les conseils communaux. Oui, messieurs, je veux bien le reconnaître, j’admets les mêmes doctrines pour les conseils communaux, pour les conseils provinciaux. Le droit de pétition collective est aussi pour eux une exception ; ce droit est accordé aux conseils communaux chaque fois que l’exercice de ce droit porte sur des objets pour lesquels ils sont des autorités constituées.
M. Lebeau. - Et les pétitions à l’occasion du traité de paix ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous faites bien de le dire : les pétitions à l’occasion du traité de paix. Je serai très franc ; à mes yeux, ç’a été un malheur que les conseils provinciaux, que les conseils communaux se soient occupés d’une question semblable. Ils n’obéissaient d’ailleurs pas en cela aux excitations du gouvernement ; ils cédaient à un mouvement irrésistible auquel presque personne n’a pu se soustraire. Cet acte, déplorez-le avec nous, mais ne le citez pas comme un précédent ; faites-en une exception, exception que vous rejetterez avec moi dans l’histoire, car cette exception se rattache à un événement extraordinaire qui intéressait l’existence nationale, l’existence du pays lui-même.
Mais, messieurs, si vous donniez au § 2 de l’art. 21 la signification étendue que veut lui donner l’honorable préopinant, toutes les autorités constituées du pays deviendraient de véritables assemblées délibérantes auxquelles il serait permis de discuter, même publiquement. toutes les questions quelconques comme autorités constituées. Je dis que cette interprétation est inadmissible ; je suppose même que l’honorable préopinant, qui siège dernière moi et qui m’a interrompu, n’a cité le précédent du pétitionnement sur la question territoriale, que comme un acte dont il fait un grief au ministère d’alors et qu’il blâme au fond.
Ainsi, messieurs, je pose en principe que les autorités constituées n’ont le droit de pétition collective que pour les objets à l’égard desquels elles sont autorités constituées. Hors de là, le droit de pétition leur reste ouvert ; mais ce n’est plus que le droit individuel de pétition ; je n’enlève rien à personne ; je laisse à chacun, comme citoyen, l’exercice du droit commun.
M. Fleussu. - Ce n’est pas la même chose.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On me dit : ce n’est pas la même chose. Mais c’est précisément parce que ce n’est pas la même chose que je fais la distinction. Croyez-vous que si c’était la même chose, je m’attacherais à faire la distinction ? Je sais que la pétition en nom collective, délibérée quelquefois publiquement, a une toute autre valeur morale qu’une pétition signée individuellement.
Cela posé, messieurs, la seule question pour apprécier l’arrêté du 22 novembre dernier est celle-ci : « Quelles sont les attributions des conseils académiques ? » Les attributions sont strictement définies, les unes par la loi organique, les autres par des règlements. Les conseils académiques ont certaines attributions qui sont indiquées dans la loi organique. Ce sont, entre autres, les attributions disciplinaires. Ils ont d’autres attributions qui leur ont été dévolues par des arrêtés organiques. Et ici, messieurs l’honorable préopinant a eu, selon moi, le tort de ne pas insister sur l’art. 17 de la loi organique.
Cet art. 17 porte : « Les règlements arrêtés par le Roi pour l’exécution de la présente loi détermineront les attributions des autorités académiques. »
M. Fleussu. - Mais qu’est-ce qui constitue l’autorité académique ? Voilà ce qu’il faudrait savoir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On me demande ce qui constitue l’autorité académique. Voici ce que porte le § 2 de l’art. 16 : « Le conseil académique se compose des professeurs sous la présidence du recteur. »
Je devine l’argument, un peu subtil cependant.
L’honorable préopinant conclut de ce paragraphe que dès qu’il y a réunion des professeurs sous la présidence du recteur, il y a conseil académique. Oui, à la condition que les professeurs soient réunis pour exercer les attributions qui leur sont dévolues par la loi ou en conséquence de la loi. Il est évident qu’on ne peut pas attribuer un autre sens au § 2 de l’art. 16, sinon les attributions du conseil académique seraient indéfinies, le conseil académique serait légalement constitué du moment où il y aurait de fait, réunion des professeurs sous la présidence du recteur.
Les attributions du conseil académique sont déterminées, les unes par la loi organique, les autres par des arrêtés pris en vertu de l’art. 17 de cette loi. Dans l’arrêté du 22 novembre dernier, je me suis borné à transcrire dans le préambule toutes les dispositions soit de la loi organique, soit des arrêtés d’exécution, qui règlent les attributions du conseil académique.
J’en ai ensuite tiré une conséquence qui me semble inévitable ; Je n’ai pas cru qu’il fallût donner au conseil académique des attributions nouvelles ; j’ai pensé qu’il fallait se borner à lui conserver ses attributions anciennes, telles qu’elles résultent de la loi organique et des arrêtés pris en exécution de cette loi ; j’ai donc déclaré que les professeurs étaient constitués en conseil académique lorsqu’ils étaient réunis sous la présidence du recteur pour s’occuper d’objets compris dans les dispositions rappelées dans le préambule de l’arrêté.
Je n’ai donc pas interdit au conseil académique l’exercice du droit de pétition que chacun de ses membres peut exercer individuellement : ce droit leur appartient, comme citoyens belges ; mais lorsqu’ils se réunissent en conseil académique, ils sont dans le cas de toutes les autorités constituées ; ils ne peuvent exercer le droit de pétition, collectivement, qu’à l’égard des objets pour lesquels ils sont autorités constituées.
L’honorable préopinant s’est ensuite attaché à quelques dispositions de détails de l’arrêté du 22 novembre. Il a trouvé d’abord un grand acte de défiance dans la disposition de l’article 4, qui porte :
« Le commissaire du gouvernement, administrateur inspecteur, reçoit avis du jour, de l’heure et de l’objet de chaque réunion du conseil académique. L’administrateur inspecteur n’assiste point au conseil académique ; mais il peut toujours réclamer copie des procès-verbaux des séances. »
Cet article renferme-t-il une disposition exorbitante ? Comment ! l’administrateur-inspecteur est chargé de la surveillance générale de l’université, et il ignorerait que le conseil académique s’est réuni pour discuter l’une ou l’autre question, pour exercer l’une ou l’autre de ses attributions ? Pourquoi donc voulez vous qu’il soit dans cette ignorance ? Pourquoi ne pas lui permettre d’exercer l’influence qui lui est attribuée ? Pourquoi même ne pas le mettre en position de prévenir des discussions, et peut-être des conflits ?
M. Fleussu. - Il fallait l’admettre dans le conseil académique.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant dit qu’il fallait l’admettre dans le conseil académique. Eh bien, c’est là une disposition qu’on aurait repoussée. Mais j’aurais désiré assigner à l’administrateur inspecteur devant le conseil académique une position à peu près semblable à celle du gouverneur devant le conseil provincial. J’aurais voulu qu’il ne pût pas y avoir de réunion du conseil académique sans la présence de l’administrateur-inspecteur.
On m’a fait entrevoir de graves objections, et j’ai cru devoir me borner à la disposition qui exige que le commissaire du gouvernement soit prévenu de la réunion et de l’objet de la réunion, et qu’il reçoive communication du résultat, ne fût-ce que pour mettre le gouvernement à même d’apprécier la résolution qui pourrait avoir été prise par le conseil académique. Je suis presque convaincu, sans toutefois suspecter en rien la bonne foi de l’honorable préopinant, que si la disposition qu’il m’indique avait été insérée dans l’arrêté, on y aurait fait une objection de légalité. (Interruption.) Voici en effet , ce qu’on aurait pu dire : « En exigeant dans tous les cas la présence du commissaire inspecteur, vous mettez le conseil académique dans l’impossibilité d’exercer ses attributions en l’absence du commissaire inspecteur ; or la loi porte d’une manière absolue que le conseil académique exercera telle et telle attribution ; elle ne dit pas qu’il ne pourra exercer ces attributions qu’en présence du commissaire inspecteur, la loi n’exige pas cette condition. » Voilà, messieurs, l’objection que l’on n’aurait pas manqué de faire.
L’honorable préopinant a critiqué une autre disposition portant qu’on ne peut établir de correspondance d’une université à l’autre. Mais, messieurs, c’est là une disposition qui se trouve dans la loi provinciale, en ce qui concerne les conseils provinciaux. J’ignore pourquoi l’on ferait aux universités une autre position.
Je disais, messieurs, que je m’étais borné à reproduire dans cet arrêté les anciennes dispositions sur les attributions du conseil académique. Je me trompe, j’y ai inséré une disposition nouvelle, disposition très générale et dont le gouvernement usera avec la plus grande confiance, c’est la disposition qui porte que le conseil académique délibère extraordinairement sur toutes les questions ou projets dont il est régulièrement saisi par l’autorité supérieure. Croyez-vous donc que le gouvernement au premier vœu qui lui en serait exprimé par le doyen de l’une ou l’autre faculté, ou par le recteur, ne s’empresserait pas de soumettre aux délibérations du conseil toutes les questions qui tiennent au haut enseignement ? Jamais le gouvernement ne s’y refusera. Quoique déjà les universités aient fait connaître depuis longtemps leur opinion sur la question des pensions, par exemple, quoique j’aie fait droit à leurs réclamations, je me propose néanmoins, maintenant qu’un nouveau projet de loi sur les pensions est présenté, d’envoyer ce projet aux universités pour leur demander si ce projet est conforme aux réclamations qu’elles m’ont précédemment adressées.
M. Delfosse. - Vous devez le savoir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce projet fait, en effet, droit aux anciennes réclamations, mais je vais plus loin, comme ces réclamations sont anciennes, qu’elles datent déjà de trois ans, je veux savoir si maintenant que ce projet est formulé, il n’y a pas d’observations à faire soit sur le principe, soit sur les détails du projet. Je ne refuserai jamais de recevoir les avis qui me seront régulièrement adressés.
Messieurs, j’ai mis tout à l’heure en présence les universités libres et les universités de l’Etat. Il faut prendre garde que les universités libres ne trouvent pas une supériorité sur les universités de l’Etat précisément dans leur mode de gouvernement. Les universités libres, malgré cette dénomination, sont soumises à un gouvernement beaucoup plus fort que les universités de l’Etat. Il est telle université libre qui est gouvernée par un seul homme ; c’est une espèce de monarchie absolue. Eh bien, messieurs, il y a certaines garanties dans ce mode de gouvernement, et il ne faut pas qu’en présence d’universités libres gouvernées d’une manière aussi forte, il ne faut pas admettre pour les universités de l’Etat des principes dont l’application les placerait dans un état d’infériorité.
Vous portez, chaque année, au budget des sommes très fortes pour les universités de l’Etat ; vous portez le plus grand intérêt aux universités de l’Etat ; Je suis sans inquiétude sur leur avenir, mais à une condition, c’est qu’elles restent sous l’action du gouvernement central. Sans cela il n’est pas de responsabilité possible pour le gouvernement. Ceci est tellement vrai, qu’au moindre accident, qu’au moindre événement qui survient dans les universités de l’Etat, on s’en prend au gouvernement central Mais soyez donc conséquents ; si vous voulez que le gouvernement central soit responsable, laissez-lui l’action la plus directe et la plus forte.
Je ne jette aucun discrédit sur le corps professoral. Comme le mot l’annonce le corps professoral n’est pas un corps administratif ; c’est le gouvernement qui administre, qui gouverne les deux universités de l’Etat. Les professeurs sont institués pour donner leurs cours et, exceptionnellement, pour exercer, comme conseil académique, certaines attributions qui leur sont dévolues d’une manière expresse, soit par la loi, soit par les arrêtés d’exécution. Le corps professoral n’est pas une corporation à la fois enseignante et administrative.
Je n’ai rien fait de nouveau, je n’ai fait que reproduire les anciennes dispositions ; j’y ai ajouté une sanction qui leur manquait jusque-là. Je n’ai rien voulu faire d’injurieux pour le corps professoral. Je lui porte le plus grand intérêt, et je le prouve précisément en proposant au budget une augmentation que l’honorable préopinant est disposée à voter.
Récemment, par exemple, il est survenu un embarras momentané : dans une université de l’Etat, les élèves désertaient un cours ; on s’est adressé au gouvernement, beaucoup de personnes se sont adressées au gouvernement, lui ont demandé son intervention. Mais cette intervention ne se trouve pas écrite dans la loi ; c’était le conseil académique qui devait trouver le moyen de faire cesser cet embarras. Heureusement, je lui en rends grâces, il y est parvenu.
Je respecterai donc les attributions dévolues au conseil académique, par exception, selon moi, comme corps administratif ou disciplinaire soit par la loi, soit par les arrêtés d’exécution ; hors de là, c’est, selon moi, le gouvernement qui administre les universités de l’Etat, et c’est parce qu’il les administre qu’il reste responsable.
J’espère, messieurs, qu’on ne trouvera dans mes explications rien de désobligeant pour le corps professoral ; le corps professoral a toute ma confiance. Mais je désire que les attributions soient comprises de part et d’autre ; il a ses devoirs, moi les miens.
M. Devaux. - Messieurs, je n’ai pas l’intention de vous entretenir de la liberté d’enseignement, je n’ai pas l’intention de parler des attributions des corps constitués ; je n’ai pas non plus celle de remonter à l’administration des prédécesseurs de M. le ministre de l’intérieur. La chambre aura remarqué que plusieurs fois, lorsqu’un honorable préopinant parlait d’un acte de l’administration de l’intérieur, M. le ministre de l’intérieur déclarait qu’il n’y était pour rien, que c’était le fait de ses prédécesseurs. Je crois que les députés ont le droit de s’occuper de tous les actes de l’administration, même de ceux que n’a pas posés M. le ministre de l’intérieur ; cependant dans les observations que je présenterai, je parlerai uniquement de l’administration de M. le ministre actuel.
Le premier acte de M. le ministre de l’intérieur, en fait d’instruction, a été le présage de tout ce qu’il a fait depuis en cette matière.
M. le ministre de l’intérieur a trouve son département organisé par ses prédécesseurs d’une manière uniforme, quant à l’instruction, c’est-à-dire, qu’il y avait à la tête de l’instruction un homme de capacité, qui portait le titre d’administrateur de l’instruction publique.
Ce poste fut d’abord rempli par un ancien professeur qui fut ensuite chargé d’une chaire de littérature à l’université de Liége. Depuis, un honorable représentant, qui a été élu plus tard membre du sénat, a occupé cette place. Lors de la retraite de M. de Theux, l’honorable M. Dellafaille, persuadé sans doute qu’il fallait une sympathie complète entre le ministre et l’administrateur, donna sa démission. Il a été remplacé sous l’administration qui remplaça celle de M. de Theux. Lors du changement du ministère de 1840, la personne qui avait été nommée à la place de M. Dellafaille imita les errements de son prédécesseur, se retira avec le ministre. Ce sont, pour le dire en passant, deux honorables exemples de loyauté politique donnés par deux hommes d’opinions différentes.
Que fit M. le ministre de l’intérieur ?
Il y avait à remplacer un administrateur, C’était une place administrative importante à remplir. M. le ministre trouva le moyen de ne nommer à cette place personne qui pût déplaire à qui que ce fût, il résolut la question à sa manière ordinaire ; il supprima l’emploi d’administrateur ; il n’avait dès lors pas à se prononcer. Je dis que ce premier acte devait déjà faire augurer de la manière dont allait être traitée l’instruction en général. Elle ne valait plus un administrateur et devenait l’affaire des chefs de bureau. Il en est résulté une espèce de lutte mesquine de jalousie entre les bureaux et les professeurs d’universités.
Il en est résulté encore d’autres abus qui dénotent une grande légèreté. Je pourrais vous en citer qui vont jusqu’au ridicule. Peut-être aurai-je occasion d’en parler dans la suite de cette discussion.
Messieurs, j’ai dit dans la discussion générale que M. le ministre de l’intérieur a suivi, pour les universités, la même marche qu’il avait suivie pour l’administrateur de l’instruction publique.
Evidemment, le premier besoin de toute université, c’est de posséder un certain nombre d’hommes éminents qui donnent le ton à l’université, qui font sa réputation et qui exercent sur les élèves un grand ascendant. Eh bien, je l’ai déjà dit, M. le ministre de l'intérieur a eu trois occasions d’enrichir le corps universitaire. Qu’a fait M. le ministre de l’intérieur ? Il a supprimé les trois places vacantes. Au lieu d’enrichir le corps professoral, il l’a appauvri.
M. le ministre m’a répondu qu’il avait agi dans l’intérêt des professeurs, qu’il avait réparti les traitements disponibles entre les professeurs existants. Je ne blâme pas le ministère de chercher à améliorer le sort des professeurs, pourvu qu’il ne le fasse pas aux dépens de l’enseignement ; le premier intérêt de l’université, c’est l’enseignement ; vouloir servir les intérêts des professeurs aux dépens de l’enseignement, c’est manquer à ses devoirs.
M. le ministre de l’intérieur a fait allusion tout à l’heure à certains désordres qui avaient eu lieu dans une université, il a parlé des menaces de désertion de la part des élèves. Si je ne me trompe, c’est précisément à raison des nominations nouvelles, ou plutôt à raison du défaut de nominations nouvelles, que ces désordres ont eu lieu.
Je blâme ces désordres, mais je dis aussi qu’il est du devoir du gouvernement de mettre à la tête des différentes branches de l’enseignement, non seulement des hommes de mérite, mais des hommes préparés à donner les cours qu’on leur confie.
Si la position des professeurs exigeait un surcroît de dépenses, il fallait avoir le courage de demander des fonds à la chambre, et il ne fallait pas pour cela appauvrir l’enseignement par la suppression de trois places de professeurs.
Messieurs, j’en viens à la mesure qui vous a été signalée par l’honorable M. Fleussu, à l’arrêté qu’a pris, au mois de novembre dernier, M. le ministre de l’intérieur, arrêté qui, bien qu’il concernât l’administration générale du royaume, n’a pas reçu de publicité, n’a pas été inséré au Moniteur, contrairement aux prescriptions de la constitution. C’est en quelque sorte par hasard que nous l’avons découvert dans l’immense volume qui nous a été distribué il y a quelques jours. Voici en résumé la portée de cet arrêté.
M. le ministre de l’intérieur défend à la réunion des professeurs, qui a reçu le nom de conseil académique, de s’occuper même des matières d’enseignement, même des intérêts domestiques de l’université, si le conseil n’a été préalablement autorisé ou appelé par lui à délibérer sur ces matières. Je demande si une pareille mesure est justifiable. M. le ministre de l’intérieur se rejette sur une discussion de principe. Je ne veux pas examiner à ce propos si les corps constitués ont droit de faire des pétitions sur des objets qui sortent de leurs attributions spéciales. Je ne consens pas à déplacer ainsi la question. M. le ministre de l’intérieur a défendu implicitement, par son arrêté, conçu en termes extrêmement vagues, défend, dis-je, aux professeurs, réunis en conseil académique, de s’occuper même de matières d’enseignement, si le gouvernement ne l’y a pas autorisé.
Ainsi, toute initiative est refusée aux professeurs des universités en matière d’enseignement. Il s’est trouvé, je pense, une seule fois que M. le ministre de l’intérieur avait fait une nomination qui paraissait ne pas être son but, et qu’il a dû en quelque sorte annuler après. Le conseil académique lui a très humblement, par une députation, fait connaître l’état des choses. Une autre fois, les professeurs des universités de l’Etat, à l’instar des universités libres, ont adressé des observations à la chambre sur la loi de l’enseignement supérieur. Sont-ce là des démarches bien coupables ? Nous nous montrons si peu difficiles, que nous accueillons même les observations des universités libres, bien qu’elles ne soient pas des corps constitués ; nous les accueillons à la chambre, comme si elles émanaient de corps légalement constitués, parce que nous désirons être éclairés. Et l’on veut interdire aux professeurs des universités de l’Etat, réunis en corps reconnu par la loi, de nous communiquer leurs observations sur les lois qui les intéressent. Il y a plus : on va jusqu’à leur interdire de prendre l’initiative près du ministre de l’intérieur : ils ne peuvent s’occuper que des objets dont ils sont saisis par M. le ministre de l’intérieur.
Je demande aux membres de cette chambre qui appartiennent à des administrations communales, s’il leur est jamais venu dans l’esprit de défendre aux professeurs d’un collège de se réunir, et pour indiquer à l’autorité communale les améliorations qu’ils désirent ou les mesures qu’ils trouvent nuisibles à l’enseignement. Voilà cependant ce que M. le ministre de l’intérieur défend aux conseils académiques, corps solennellement constitués par la loi de l’enseignement supérieur. Si je voulais traiter la question constitutionnelle, je dirais qu’un corps reconnu par la loi a le droit de pétition, que vous ne pouvez pas le lui enlever. Il peut y avoir dissentiment sur les limites du droit, mais en lui-même le droit n’est pas contestable.
Messieurs, s’il est des fonctionnaires qui méritent d’être traités avec égard, qu’on doive entourer de considération dans tous les pays, ce sont les professeurs d’universités ; je dis que dans tous les pays, même sous les gouvernements absolus, la position des professeurs d’universités est respectée, est honorée.
S’il doit en être ainsi sous ces gouvernements, il le faut bien plus chez nous, par les considérations même qu’a fait valoir M. le ministre de l’intérieur. Non, les professeurs n’ont plus aujourd’hui sur les élèves l’empire qu’ils avaient sous l’ancienne organisation universitaire ; les professeurs ne peuvent plus forcer les élèves à suivre leurs cours ; ils ont perdu cet ascendant qui résultait du fait de l’existence du monopole et de ce que les professeurs eux-mêmes accordaient les diplômes ; les élèves peuvent déserter une université et se présenter dans une autre ; mais par cela même il faut agrandir l’ascendant moral des professeurs sur les élèves, et comment le pouvez-vous ? Vous n’avez pour cela que deux moyens : nommer des hommes de grand mérite qui exercent toujours une puissante influence sur les élèves, et relever la dignité de leur caractère de professeur. Or, vous allez en sens contraire, vous humiliez les professeurs en les mettant sous la bureaucratie.
Je n’ajouterai plus qu’un mot.
M. le ministre de l’intérieur nous a annoncé d’une manière positive une nouvelle loi sur le jury d’examen. Nous sommes à discuter le budget du ministère de l’intérieur, à examiner l’esprit du gouvernement ; eh bien, puisque le gouvernement a pris une décision sur l’objet dont il s’agit, puisqu’on a cru devoir en entretenir vaguement beaucoup de personnes dans des conversations particulières, je désirerais savoir officiellement quels sont les principes du gouvernement sur le jury d’examen ; je désirerais savoir s’il est vrai, oui on non, que le gouvernement veuille proposer de conférer au pouvoir exécutif seul le droit de nommer les membres du jury, ou s’il conserve dans le projet l’intervention des deux chambres. J’espère que, dans cette circonstance, M. le ministre de l’intérieur ne reculera pas de nouveau devant l’énonciation de son opinion, puisque l’on dit qu’on est décidé à prendre une mesure, qu’elle est prochaine. Je pense que c’est une occasion pour le gouvernement de nous faire connaître le système définitif qu’il a adopté.
Messieurs, je voterai pour la majoration de crédit. Je crois que nous voulons tous que le gouvernement soit à même de soutenir la concurrence avec les universités libres. Je ne pense pas que personne dans cette assemblée veuille que, lorsqu’une autre université fait concurrence à l’Etat, en ce sens qu’elle offre aux professeurs des universités de l’Etat des traitements supérieurs à ceux dont ils jouissent, l’Etat se trouve complètement désarmé. Pour moi, je veux la liberté d’enseignement, je l’ai toujours voulue, je la voudrai toujours, mais je veux que le gouvernement ait les moyens de soutenir cette espèce de lutte qu’on engage contre lui. Je pense que tout le monde l’a entendu ainsi. Comme les 15,000 fr. d’augmentation demandés peuvent être considérés comme une réserve pour de pareilles circonstances, je les voterai.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’avoue que j’avais compté sur l’appui de l’honorable préopinant pour la défense du système que j’ai énoncé sur ce que j’appelle le gouvernement des universités de l’Etat ; j’avais espéré que ces idées seraient soutenues par lui ; car je crois avec lui que les universités de l’Etat peuvent et doivent être maintenues ; je suis sans inquiétude sur leur avenir, à condition que chacun comprenne ses devoirs, et que le gouvernement soit réellement fort et responsable. Pour qu’il le soit, il faut qu’il administre véritablement les universités de l’Etat. Les conseils académiques ne sont que l’exception. Le principe du gouvernement par l’Etat reste sauf, intact ; c’est le ministre de l’intérieur qui administre ou fait administrer. Quels sont donc les faits, dit l’honorable préopinant, qui peuvent vous avoir alarmé. Je le sais, ajoute-t-il, un jour une députation de professeur est venue vous trouver pour vous dire qu’un tel enseignait mal. Est-ce que vous approuvez une semblable démarche ?
M. Devaux. - Oui !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous approuvez qu’une députation de professeurs vienne dire au gouvernement qu’un tel enseigne mal ; où irez-vous avec un principe semblable ? Je dois apprendre cela par l’intermédiaire de l’administrateur inspecteur officieusement et non officiellement. La députation elle-même croyait qu’elle ne serait pas reçue, et quand je l’ai reçue, elle a commencé par dire qu’elle reconnaissait qu’il y avait excès de pouvoir. Comment ! le choix des professeurs serait soumis à l’agréation de leurs collègues ! Non, l’honorable préopinant n’y pas bien réfléchi. Où donc en viendrez-vous avec ces doctrines ? Les professeurs se réuniraient pour juger un de leurs collègues, et bientôt les élèves pour juger leurs professeurs. Où vous arrêterez-vous ? Un professeur nommé est censé bien nommé. La présomption existe en sa faveur. Si le gouvernement s’est trompé, il doit apprendre qu’il a été dans l’erreur, non par l’intermédiaire de pétitions faites par les élèves, non par l’intermédiaire de démarches officielles du corps professoral, mais par l’intermédiaire de l’administrateur inspecteur. Si les élèves ou les professeurs ont des observations à faire, ils doivent les faire officieusement et avec réserve à celui qui est, près de l’université, le représentant du gouvernement. Je dis que si vous admettez un principe contraire, le gouvernement des universités de l’Etat devient impossible.
Un autre fait que signale l’honorable préopinant, a pu, dit-il, m’alarmer : ce sont les observations faites par les universités sur le projet de révision de la loi sur l’enseignement supérieur.
Cela ne m’a pas alarmé. Je n’ai pas l’intention d’empêcher un fait de ce genre. Si on trouve dans l’arrêté royal cette disposition générale et vague, que le conseil peut se réunir extraordinairement pour examiner les questions qui lui sont régulièrement dévolues par l’autorité supérieure en-dehors de ses attributions fixés, c’est précisément parce qu’il entrait dans mes intentions de consulter les conseils académiques sur toutes les questions qui sont du domaine de l’enseignement supérieur.
Il faut, messieurs, que le corps professoral ne dégénère pas en assemblée administrative et politique. C’est le principe qu’il ne faut pas perdre de vue. Le terrain, je n’hésite pas le dire, est quelquefois très glissant.
Selon l’honorable préopinant, l’article 21 de la constitution prévaudrait même sur l’arrête royal du 22 novembre dernier, et subsisterait en ce sens que les conseils administratifs auraient le droit de se saisir par voie de pétition collective de toutes les questions, et d’adresser leurs observations, soit aux chambres, soit au gouvernement. J’ai dit tout à l’heure que, chaque fois qu’une question viendrait à se présenter, je ne me refuserais jamais à consulter les conseils académiques. Il suffira aux professeurs d’en exprimer le désir à l’administration, soit directement, soit par l’intermédiaire du recteur ou des doyens.
Je serais étonné de voir adopter par l’honorable préopinant l’interprétation extensive que l’honorable M. Fleussu a donnée à l’art. 21. Je ne le crois pas, je crois avoir mal compris ; je ne puis admettre que lui approuve cette interprétation.
Si vous admettez cette interprétation, je dis qu’il n’y a plus rien de fixe dans la constitution d’aucun pouvoir en Belgique ; chaque assemblée, en vertu du droit de faire des pétitions collectives, les magistrats des cours, les conseils communaux et provinciaux, les corps des ingénieurs des ponts et chaussées et des mines, toute agrégation quelconque de fonctionnaires publics, dès qu’un objet d’intérêt commun se présentera, se constitueront en assemblées délibérantes, donneront de la publicité à leurs délibérations, et vous aurez autant d’assemblées délibérantes, non seulement qu’il y a de corps constitués, mais qu’il y aura d’agrégations de fonctionnaires du même ordre.
Je crois que l’arrêté du 22 novembre dernier se justifie parfaitement. Cet arrêté ne consacre aucune innovation. C’est la reproduction d’anciennes dispositions législatives et réglementaires.
J’aborde d’autres griefs que l’honorable préopinant a énumérés pour juger l’esprit de mon administration. J’exprimerai de nouveau tous mes regrets de voir de grandes questions rapetissées à de mesquines questions de personne. Pour me juger, l’honorable membre a commencé par une question de personne. Il m’a reproché d’avoir supprimé la place de directeur de l’instruction publique et d’y avoir substitué un simple chef de division. Le ministre doit-il compte à la chambre du choix des agents de ses bureaux ? N’est-ce pas moi qui suis responsable ? Et de ce que le chef de ce service au ministère de l’intérieur porte aujourd’hui le titre peut-être plus humble de chef de division, concluez-vous qu’il y a tout un système dans ce changement de dénomination ? Il fallait probablement, selon l’honorable préopinant choisir un homme politique, en lui conférant un titre plus éclatant. C’est précisément ce que je n’ai pas voulu, surtout alors, et ce que je ne croyais pas devoir faire dans les circonstances ou l’on se trouvait.
J’ai pensé qu’il fallait plus que jamais que le ministre fût directement responsable et non qu’il interposât entre lui et les chambres ce qu’on a appelé un administrateur ayant un caractère politique ; j’ai cru agir avec plus de franchise en me conduisant de la sorte.
L’honorable préopinant nous dit que c’est parce qu’il n’y a plus au ministère de l’intérieur un chef de service portant le nom de directeur, que les affaires sont faites avec beaucoup de négligence. Cette accusation, je dois la repousser. L’instruction publique est une de mes occupations quotidiennes, incessantes. Si l’honorable préopinant s’est permis ce reproche contre moi, c’est qu’il veut insinuer qu’on ne fait rien pour l’instruction publique.
Depuis deux ans et demi, jamais on n’a autant fait pour l’instruction publique, on ne s’est jamais occupé au ministère de l’intérieur des détails de l’instruction publique avec autant d’activité qu’on le fait depuis deux ans et demi. Si le chef de service qui se trouve à la tête de cette branche de service, sous ma responsabilité et sous ma direction, ne porte pas un titre plus éclatant, c’est qu’on n’a pas voulu lui faire franchir plusieurs degrés de la hiérarchie administrative, mais non parce qu’il serait indigne de ce titre. Voilà ce que je me fais un devoir de dire ici publiquement.
L’honorable préopinant nous a rappelé que deux fois les chefs de service à la tête de l’administration de l’instruction publique au ministère de l’intérieur, portant le titre de directeurs, s’étaient retires par des motifs politiques. J’ignore s’il veut en conclure qu’il doit en être ainsi à chaque changement ministériel. Je suis loin de blâmer ces actes ; mais, je dis que ce serait un malheur si ce principe devenait général. Je n’hésite pas à dire que si l’on exigeait que les chefs de service eussent un caractère politique, de manière qu’à chaque changement ministériel, non seulement les six ministres disparussent mais encore tous les chefs de service, il en résulterait une grave perturbation, toutes les traditions seraient perdues, l’administration même deviendrait impossible.
Moi, je veux, au contraire, qu’autant que possible les ministres seulement aient un caractère politique, que ceux qui sont à côte d’eux vivent dans l’intérieur des bureaux, inconnus du public, sans caractère politique.
En faisant cette réserve, je ne blâme pas la démission de deux honorables fonctionnaires, j’exprime le vœu que ces deux précédents ne fassent pas règle pour l’avenir. Si vous n’avez pas la stabilité politique, ayez au moins la stabilité administrative.
Un autre grief, c’est que trois fois j’aurais pu nommer de nouveaux professeurs, et trois fois, au lieu de faire des nominations nouvelles, j’aurais donné les cours vacants à d’autres professeurs en fonctions. J’ai trouvé ainsi des sommes disponibles et un moyen d’augmenter un certain nombre de traitements.
Je répète que quiconque veut examiner avec attention le personnel existant dans les deux universités, doit trouver que ce personnel est énorme, et que, dans ces trois circonstances, j’ai pu le restreindre sans inconvénients. J’ai fait acte de bonne administration et de bienveillance envers le corps professoral. Je l’ai fait, sans nuire au corps professoral, sans nuire aux universités mêmes, parce que j’ai trouvé dans le corps enseignant des hommes en état de remplacer ceux qui avaient malheureusement disparu.
Je ne dis pas que si des hommes éminents s’étaient présentés, je n’aurais pu agir autrement ; mais ces hommes éminents ne se sont pas présentés. Il est certain que si une grande notabilité s’était présentée, je n’aurais pas hésité à lui accorder le cours qui était vacant : mais si des hommes éminents ne se présentant pas, j’ai trouvé dans les universités mêmes de quoi remplir très convenablement la lacune qui se produisait.
Ainsi les deux grands griefs contre mon administration, griefs à raison desquels on veut me taxer d’insouciance et de négligence, c’est d’abord d’avoir fait choix d’un simple chef de service n’ayant aucun caractère politique, de lui avoir donné un titre plus modeste que celui que portait le précédent chef de service. Le deuxième grief, c’est, par trois fois, de ne pas avoir nommé de nouveaux professeurs, d’avoir donné leurs cours à des professeurs déjà en fonctions. Voilà les deux grands griefs.
Reste l’arrêté du 22 novembre, que j’ai déjà justifié.
En attaquant mon administration, on se garderait bien de citer d’autres actes qui datent de mon administration, par exemple, l’établissement des concours universitaires, qui a contribué à relever le haut enseignement, à donner une très bonne position aux universités de l’Etat. On néglige de citer cet acte et d’autres, parce qu’on n’a qu’un but, de rabaisser mon administration, de lui donner un caractère qu’elle n’a pas.
Je terminerai, en insistant de nouveau sur ce principe, que si vous voulez que le gouvernement soit responsable des deux universités (je m’adresse à vous comme chambre belge, sous ce rapport je puis dire vos deux universités), vous devez mettre le gouvernement à même de les administrer sous sa responsabilité, repousser les doctrines développées par les deux honorables préopinants et surtout cette idée que les professeurs pourraient être juges de leurs collègues, que les élèves pourraient être juges de leurs professeurs, enfin les uns et les autres juges des actes du gouvernement.
M. Fleussu. - Cette discussion est déjà bien longue ; je serai court dans mes observations.
Lorsque j’ai parlé d’un singulier rapprochement qu’il y aurait à faire entre la France et la Belgique relativement à la liberté de l’enseignement, j’ai dit que le même principe déposé dans la charte française et notre constitution s’interprétait différemment. Je sais bien que nous avons comme garantie acquise ce qui, en France, est encore à l’état de promesse ; mais aujourd’hui qu’on réclame l’extension de cette promesse, les esprits s’agitent, s’inquiètent, et déjà plus d’un orateur a fait au gouvernement les recommandations les plus pressantes pour qu’il défendît ses prérogatives et son droit de surveillance en matière d’instruction. Le même principe peut être consigné dans deux pactes fondamentaux, sans être exprimé dans les mêmes termes.
Je reviens à l’arrêté sur les attributions du conseil académique, que je considère comme ayant porté atteinte aux droits et à la dignité des corps universitaires.
Est-il vrai qu’il n’y ait qu’une question à examiner, celle résultant de l’art. 17 de la loi de 1835 sur l’enseignement ? Est-il vrai que l’article 17 ayant réservé au pouvoir exécutif le droit de régler les attributions des conseils académiques, le gouvernement a pu les régler de manière à restreindre, si je puis m’exprimer ainsi, l’existence de ces conseils ?
A entendre M. le ministre de l’intérieur, le pouvoir exécutif aurait pu déterminer les attributions du conseil académique, de telle manière qu’il aurait pu lui enlever un droit que lui donne la loi. C’est ce que je ne puis admettre. Autre chose est de changer les conditions d’existence du conseil académique, autre chose est de régler ses attributions. Vous avez pu, en vertu de l’art. 17 de la loi, déterminer les attributions du conseil académique ; mais vous n’avez pas pu déroger à la loi. L’art. 16, § 1er décide que, pour constituer le conseil académique, il n’y a que deux conditions : la réunion des professeurs et la présidence du recteur. Vous ajoutez d’autres conditions ; par conséquent, vous restreignez la loi sur l’enseignement, vous portez atteinte à la constitution, qui permet à toute autorité constituée de présenter des pétitions aux chambres.
Mais prenez-y garde, me dit-on, si toute autorité constituée peut présenter des pétitions aux chambres, c’est toujours pour des objets qui se trouvent dans le cercle de sa compétence. On a étendu le cercle de la discussion par cette assertion du ministre. Comment ! quand il s’agit d’une garantie constitutionnelle, vous voudriez restreindre le droit que la constitution accorde aux autorités constituées ! où avez-vous trouvé cette restriction à la disposition constitutionnelle ? C’est ajouter à la loi une disposition nouvelle, c’est subordonner l’usage d’un droit sacré à une condition que le congrès, confiant dans la prudence des autorités constituées et dans l’appréciation de la législature, n’a point voulu imposer.
Je sais qu’il est de l’intérêt actuel de M. le ministre d’élever cette prétention. Ainsi qu’on vous l’a fait observer, lorsque les conseils communaux ont adressé des pétitions à la chambre pour la cession d’une partie du territoire, le gouvernement d’alors (je crois que l’honorable M. Nothomb en faisait partie) ne s’est pas plaint de ce qu’ils excédaient leurs attributions ; il n’a eu garde de demander l’annulation de ces pétitions, sous prétexte que la question des droits du royaume excédait la compétence des pétitionnaires.
Lorsque les conseils communaux, qui ont intérêt à la bonne administration du pays, ont pétitionné à l’occasion de certaine mesure réclamée, on sait dans quelle circonstance, c’était bien différent. Ils étaient sortis de leurs attributions ; il fallait annuler leurs pétitions ; il ne fallait pas les recevoir.
Voilà comment, d’après les circonstances, on change d’opinion.
Je dis que quand il s’agit de garanties constitutionnelles, de droit constitutionnel, vous ne pouvez ajouter à ce droit ; or, ce serait y ajouter que de dire que les autorités constituées ne peuvent pétitionner que dans le cercle de leurs attributions.
J’admettrai, si l’on veut, jusqu’à un certain point, cette doctrine de M. le ministre de l’intérieur ; mais je dis que l’arrêté irait encore beaucoup trop loin ; car les corps universitaires pourraient avoir à vous présenter des pétitions dans le cercle de leurs attributions ; par exemple, en fait d’enseignement, si les matières d’enseignement exigeaient trop de temps pour que les études pussent être approfondies, ne pourraient-ils pas, si leurs réclamations n’étaient pas admises par le gouvernement, vous présenter des observations pour que la loi fût changée ? Cela est bien dans le cercle de leurs attributions. Cependant, aux termes de l’arrêté, ils ne pourraient vous adresser de telles réclamations.
Je suppose qu’il s’agit de leurs traitements, ils ne pourraient pas plaider leur cause devant vous.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je la plaiderais pour eux.
M. Fleussu. - Soit ; mais si un ministre, moins chaleureux que vous pour la défense de leurs intérêts était aux affaires, leurs intérêts ne pourraient-ils pas être compromis ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est une question de responsabilité.
M. Fleussu. - On croit avoir répondu à tout lorsqu’on vous dit : Je laisse aux professeurs le droit de pétitionner comme individus. Assurément, je n’ai jamais prétendu que M. le ministre de l’intérieur voulût aller jusqu’à leur interdire ce droit ; j’ai même reconnu qu’en leur enlevant un droit comme conseil académique, on leur laissait un droit individuel. Mais il y a une grande différence (M. le ministre l’a reconnu), entre des pétitions adressées par des professeurs comme individus et celles adressées par un conseil académique.
Il n’y a rien de changé à ce qui existait, dit M. le ministre, je n’ai fait que réunir les arrêtés sur les attributions. Je vous demande pardon ; s’il n’y avait rien de changé, je ne me plaindrais pas. Jusqu’à présent les conseils académiques avaient toujours pu pétitionner ; on ne leur avait pas contesté ce droit ; il leur est contesté par l’arrêté du 22 novembre. Il y a donc innovation ; vous avez ajouté à la loi, par une défiance, que je ne puis comprendre, envers les professeurs.
On nous a dit : Mais pourquoi, alors qu’on défend aux conseils communaux et provinciaux de correspondre entre eux, ne pourrait-on pas faire la même défense aux conseils académiques ? Quoi ! on met sur la même ligne des corps politiques et des corps savants ! Il y a peut-être quelque danger pour le gouvernement à ce que les corps politiques correspondent entre eux, parce qu’ils pourraient s’entendre sur des mesures, ou contraires aux vues du gouvernement, ou favorables exclusivement à telle ou telle opinion. Mais des corps savants, qui s’occupent de science, qui ne s’occupent pas de politique, pourquoi leur défendre de correspondre entre eux, autrement que par l’intermédiaire de l’agent du gouvernement ?
En vérité, messieurs, c’est là une marque de défiance dont il m’est impossible de me rendre compte, et qui me semble, je le répète, injurieuse pour les corps savants.
Voyez, nous a-t-on dit, ce qui est arrivé : une université s’est trouvée dans un grand embarras ; des élèves refusaient de suivre le cours d’un professeur. A l’instant même et de toutes parts on s’est adressé au gouvernement : le gouvernement s’est trouvé désarmé. C’est le conseil académique qui a trouvé l’heureux moyen de rétablir l’ordre.
Eh bien, ce conseil académique, d’après votre arrêté, est sorti de ses attributions. Car regardez votre arrêté ; je viens de le relire, et je vous défie d’y trouver une disposition qui permette au conseil académique de rétablir l’ordre dans un cas semblable à celui que vous venez d’indiquer.
M. Devaux. - Messieurs, M. le ministre de l’intérieur me reproche de réduire la question à des proportions mesquines ; je lui réponds que nous entrons dans les détails du budget et dans des questions administratives. Je n’ai jamais refusé de suivre M. le ministre de l'intérieur sur un terrain plus politique. Mais c’était alors M. le ministre de l’intérieur qui se proclamait homme d’affaires et niait la politique. Maintenant que nous nous occupons de questions d’administration, je le prie d’accepter la discussion dans ces proportions ; l’administration vit de détails.
Messieurs, je dirai que je n’ai pas reproché à M. le ministre de l’intérieur de ne pas avoir mis un homme politique à la tête de l’instruction publique. Je ne vois pas la nécessité absolue de mettre un homme politique à la tête de l’instruction publique ; Ce que je désire y voir, c’est un homme capable et sympathique aux progrès des sciences et de l’enseignement. Mais j’ai loué comme un fait honorable que lorsque des hommes qui avaient des opinions politiques se trouvaient remplir la place d’administrateur de l’instruction publique, ils se retirassent lorsque les ministres qui avaient leurs sympathies politiques quittaient le pouvoir. J’ai trouvé cet exempte très honorable. Je ne veux pas dire que tout le monde doive suivre cet exemple ; je ne suis pas aussi exigeant ; le ministre de l’intérieur, à cet égard, ne doit pas être très effrayé ; je crois que l’exemple, qui paraît ne pas lui plaire beaucoup, ne sera pas très avantageux.
Mais ce qui est certain, c’est qu’en retranchant une place d’administrateur de l’instruction publique, on a enlève à l’administration un homme de mérite. Il est certain que, pour une place de cette importance, entourée d’une telle considération, ayant un tel traitement, on pouvait avoir dans l’administration un homme de mérite de plus, et qu’on s’en est privé volontairement.
Et sans vouloir m’occuper des personnes, sans vouloir leur faire aucun reproche, je dirai qu’il est naturel que l’administration s’en ressente. Si l’on supprimait, par exempte, le ministre dans un ministère, et qu’on fît diriger ce département par un secrétaire-général, quelle que fût la capacité de ce dernier, il n’en est pas moins vrai qu’il y aurait un homme de moins, un chef de moins, une capacité de moins.
Par la suppression de trois places de professeurs, il n’est pas contestable non plus que M. le ministre de l’intérieur ait appauvri l’enseignement. Les arrangements financiers qui améliorent la position de certaines personnes pourraient être un résultat désirable qui n’aurait rien de fâcheux en lui-même, s’il n’entraînait pas la suppression de places. Mais il est certain qu’en supprimant les places de professeurs dans des universités, dont la position réclame, au contraire, quelques hommes éminents de plus, on appauvrit l’enseignement.
Mais, dit M. le ministre de l’intérieur, si des hommes éminents s’étaient présentés, je les aurais nommés. Ah ! oui, si les premières notabilités scientifiques avaient couru les antichambres, et étaient venus assiéger les députés et leur demander de les recommander à M. le ministre de l’intérieur, M. le ministre de l’intérieur alors aurait pensé à eux. Mais M. le ministre devrait savoir que les grandes notabilités scientifiques, les hommes à grande réputation ne se présentent pas, qu’il faut aller les chercher, les solliciter. Mais d’ailleurs, il se présentait des hommes de mérite ; j’en connais personnellement.
Dire qu’il ne se présentait pas de notabilités, ce n’est pas répondre. Il fallait, au besoin, faire comme on a fait en d’autres temps et comme font d’autres universités ; il fallait se mettre en quête d’hommes supérieurs, dans le pays et en-dehors du pays. C’est ce qu’a fait une université libre dans une occasion récente, lorsque le gouvernement a été averti qu’on allait lui enlever un professeur de mérite d’une de ses universités. Les universités libres n’attendent pas que les hommes de mérite se présentent, elles vont les chercher.
M. le ministre de l’intérieur a dit que j’oubliais de rendre justice à un acte de son administration qui date déjà de quelque temps, je crois, les concours universitaires ; messieurs, l’établissement des concours universitaires me paraît une bonne mesure ; mais je dirai que cette mesure ne suffit pas pour couvrir les fautes d’administration de M. le ministre de l’intérieur dans l’instruction publique. Le concours universitaire est loin d’avoir l’importance que lui donne M. le ministre de l’intérieur. Il y a une notable différence, par exemple, entre les concours universitaires et les concours des établissements d’instruction moyenne. Les concours des établissements d’instruction moyenne s’adressent à des classes entières, à un grand nombre de jeunes gens, tandis que, dans les concours universitaires, il y a deux ou trois concurrents par chaque branche, quelquefois un seul. La mesure agit ainsi dans un cercle trop restreint pour avoir une influence un peu importante sur l’enseignement. Cependant, je suis loin de vouloir la blâmer, je sais gré à M. le ministre de l’intérieur d’avoir mis à exécution cette partie de la loi de 1837.
Messieurs, on essaie toujours de déplacer la question, quant à l’arrêté du mois de novembre dernier. D’abord, reconnaissons qu’il ne s’agit pas ici d’un corps politique. Je crois qu’il n’y a pas de corps de fonctionnaires en Belgique moins politique que celui des professeurs des universités de l’Etat, qu’il n’y a pas de corps qui s’occupent moins de politique que les conseils académiques. Je ne crois pas qu’ils s’en soient occupés une seule fois depuis que les universités existent.
Il s’agit donc d’une question qui n’intéresse que l’enseignement d’une question tout à fait administrative, d’une question de corps professoral.
M. le ministre de l’intérieur s’indigne de ce qu’une députation de professeurs soit venue lui dire qu’un cours laissait à désirer, qu’il avait commis une erreur en chargeant de donner ce cours un professeur qu’y n’y était pas préparé et avait une autre spécialité. Est-ce là ce que vous voulez ? me dit M. le ministre de l’intérieur. Mais oui, messieurs, c’est à ce que je veux ; c’est là un fait que je trouve naturel ; vous commettez une erreur, vous ne voulez pas qu’un corps académique vienne vous dire humblement : vous avez été induit en erreur, en voilà les preuves ; nous vous prions, dans l’intérêt de l’enseignement, de réparer l’erreur commise. Il fallait s’adresser à l’administrateur, dites-vous.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ou à moi, officieusement.
(Moniteur belge n°27, du 27 janvier 1844) M. Devaux. - Officieusement ! mais je ne sais ce que vous entendez par ce mot officieusement. Ce n’est pas de la franchise ; et j’exige la franchise dans les rapports entre les fonctionnaires et leur supérieur ; je n’admets pas qu’un professeur puisse dire en secret du mal d’un autre, c’est de la délation, de l’espionnage, peut-être. Mais un conseil académique, où le professeur a le droit de faire entendre sa vois, peut très bien signaler au ministre les lacunes ou les défauts de telle ou telle branche d’enseignement. Il n’y a pas là inconvenance. C’est un devoir pour le conseil académique de faire connaître les besoins de l’université au ministre, non pas publiquement, avec ostentation, mais respectueusement, comme il convient d’inférieur à supérieur.
Si je ne me trompe, M. le ministre, qui se récrie contre la démarche faite auprès de lui, a trouvé la réclamation si juste, qu’il a fait ce que la députation lui demandait.
Il fallait, dit-on, s’adresser à l’administrateur. Et si par hasard (ce que je ne sais pas dans le cas dont il s’agit, mais ce qui peut et doit même arriver) si c’était l’administrateur qui avait induit le ministre en erreur ? L’administrateur d’une université est-il donc un fonctionnaire tellement puissant qu’il n’y ai pas moyen de recourir contre ses erreurs à aucune autorité supérieure ? Je dis que je ne vois pas d’inconvénients à de pareilles démarches, qu’il n’y a là qu’avantage pour l’université.
Les délibérations des corps universitaires sont très utiles dans l’intérêt de l’enseignement, très utiles dans l’intérêt des professeurs, parce qu’il n’est pas bon pour les professeurs que le gouvernement intervienne toujours et à la première difficulté. C’est chose bien plus conciliante, bien moins humiliante pour eux, que, s’il se commet quelque léger écart, s’ils se laissaient aller à quelque négligence, si leur enseignement laissait à désirer, ils reçoivent sous le sceau du secret, en famille en quelque sorte, dans le conseil académique qui ne siège pas publiquement, des avertissements de leurs collègues, que de se voir officieusement, comme dit M. le ministre de l’intérieur, dénoncés au gouvernement.
Faut-il donc, s’écrie M. le ministre de l’intérieur, que le gouvernement apprenne par les élèves quels sont les professeurs qu’il doit nommer ? Personne, messieurs, ne demande le droit de pétition en faveur des élèves. On demande le droit de réclamation, le droit de remontrance pour les professeurs et non pour les élèves. C’est pour relever le professeur et pour soumettre davantage les élèves, que l’on demande que le professeur soit respecté par le gouvernement ; car si vous traitez les maîtres comme des écoliers, les écoliers ne tarderont pas à vouloir faire les maîtres. L’administrateur de l’université est un fonctionnaire que je crois très utile, mais c’est un fonctionnaire qui a, à mon avis, un caractère conciliant entre le gouvernement et les professeurs, et entre les professeurs et les élèves. C’est dans ce sens que nous avons fondé cette place ; mais je ne crois pas que nous l’ayons créé, ce fonctionnaire, pour mener les professeurs à la baguette. Je crois que ce n’est pas dans cette voie que le gouvernement doit le pousser.
J’avais fait, messieurs, une question à M. le ministre de l’intérieur, à laquelle il a oublié de répondre et que je lui rappelle. Je lui avais fait observer qu’à l’occasion du budget de l’instruction publique, il paraissait que c’était le moment de nous faire connaître quels étaient les principes du gouvernement sur la question des jurys d’examen, sur laquelle il nous a annoncé une loi prochaine. Je répète la même question ; j’espère que M. le ministre de l’intérieur voudra bien y répondre, et y répondre autrement qu’en m’ajournant à la présentation de la loi.
(Moniteur belge n°26, du 26 janvier 1844) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cependant, ce n’est pas autrement que je répondrai, parce que ayant une fois admis une marche, je ne veux pas en dévier.
M. Devaux. - Vous êtes toujours le même.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant dit que je suis toujours le même. C’est précisément pour cela que je réponds avec la même réserve, c’est parce que je veux rester le même. (On rit.)
Très prochainement, le gouvernement vous présentera, par mon organe, un projet de loi sur les jurys d’examen. Ce projet de loi consacrera un mode définitif de nomination. Le gouvernement vous fera connaître alors toute sa pensée. Je ne veux pas anticiper aujourd’hui sur ces débats ; quelles que fussent d’ailleurs les explications que je donnerais aujourd’hui, elles n’influeraient pas sur le vote de l’honorable préopinant, quant à l’ensemble du budget de l’intérieur. (On rit.)
M. Devaux. - Vous devez des explications à la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous dites que je dois des explications à la chambre. C’est vous qui me demandez des explications et je ne pense pas que ces explications importent en ce moment à la chambre. Le projet sera présenté prochainement à la chambre, et alors je donnerai des explications. Je ne puis pas dévier de cette marche. Demain, ceux qui me reprochent ma réserve, en ce qui concerne les droits différentiels, demanderaient que je m’explique aussi sur cette question. C’est une marche adoptée par le gouvernement, c’est une marche que j’ai suivie dans beaucoup de circonstances ; je n’ai fait connaître l’opinion du gouvernement que lorsque le projet de loi était là portant tous les caractères nécessaires pour qu’on puisse en saisir la chambre. Vous qualifierez cette conduite comme vous le voudrez, vous l’appellerez manque de franchise ; je n’y vois qu’une réserve nécessaire, j’y vois de plus une précaution dans l’intérêt de nos débats.
M. d’Huart. - C’est très vrai.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Dans les griefs de l’honorable préopinant, il y a d’abord un grief de personnes. « Vous auriez dû mettre à la tête de l’instruction publique, un homme ayant un titre plus élevé, un homme sympathique aux sciences et à l’enseignement. » J’ignore, messieurs, pourquoi le chef du service actuel ne serait pas sympathique aux sciences et à l’instruction.
M. Devaux. - Vous dénaturez mes paroles.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vous avoue qu’alors je ne vous comprends pas. J’ai un chef de service.
M. Devaux. - Vous avez supprimé une place.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a un directeur des beaux-arts et un chef de division pour l’instruction publique. Autrefois l’instruction publique était réunie aux beaux-arts sous un même administrateur. Aujourd’hui ces deux branches sont séparées ; les beaux-arts ont un chef de service portant le titre de directeur ; l’instruction publique a un chef de service portant le titre de chef de division. Je demande maintenant quel grand intérêt vous pouvez attacher à cette question de titres et de personnes ? J’ai été ministre des travaux publics pendant plus de trois ans, et vous-même avez souvent rendu hommage à mon administration ; eh bien, je n’avais alors que des chefs de division. Tous ceux qui me connaissent savent qu’ordinairement je n’ai eu pour chef de service que des chefs de division ; je tiens à être responsable, non pas seulement sous le rapport politique, mais aussi sous le rapport des travaux administratifs.
Je suis à me demander si le titre fera désormais le mérite de l’homme ; le titre ne fait pas le mérite de l’homme ; j’irai plus loin ; je ne veux pas d’un personnage s’interposant entre moi et la chambre.
M. Lebeau. - Et pour les beaux-arts ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est là, quant à la position, une chose absolument insignifiante. Celui qui est chef de service aux beaux-arts porte le titre de directeur. (Interruption.) Ce sont là des discussions sans exemple devant cette chambre. Comment ! on viendra me faire un grief de ce que j’ai pour chef de service de telle branche d’administration un fonctionnaire portant le titre de directeur, tandis que pour telle autre branche d’administration, j’ai un chef de service qui porte le titre plus modeste de chef de division Mais cela tient souvent au nombre d’années de service, parce qu’on ne veut pas avancer trop rapidement un fonctionnaire dans la hiérarchie administrative. Je dis, messieurs, que la question est insignifiante, à moins que vous ne vouliez qu’il y ait entre le ministre et la chambre un homme politique.
Le deuxième grief, messieurs, c’est que je cherche à déconsidérer l’enseignement supérieur. Et pourquoi ? Trois places de professeurs sont devenues vacantes ; j’ai pu confier des cours à d’autres professeurs déjà en fonctions, et la somme disponible a été répartie entre un certain nombre de professeurs. Par là j’ai, dit-on, appauvri l’enseignement ; je n’ai pas appauvri l’enseignement, j’ai tout bonnement réduit le nombre des professeurs. Faites-vous consister la valeur de l’enseignement supérieur dans le nombre de professeurs ?
M. Devaux. - Vous aviez l’occasion de nommer un homme de mérite, et vous avez supprimé la place.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai donné les cours à des hommes de mérite ; ces cours sont très bien donnés.
Je n’ai pas appauvri l’enseignement supérieur, trois places sont successivement devenues vacantes, j’ai pu donner ces cours à d’autres professeurs. Je dis plus, je dis que le nombre des professeurs pourrait encore être réduit ; je vais jusque-là, mais je respecte les positions acquises, je laisse en fonctions ceux qui sont en fonctions, et je désire que le ciel les y laisse le plus longtemps possible. (Interruption.) Si je m’exprimais différemment, on en conclurait probablement que je souhaite la mort de l’un ou de l’autre des professeurs. (On rit.)
Enfin, le dernier grief, c’est l’arrêté du 22 novembre ; l’honorable préopinant approuve une démarche faite par les professeurs de l’une des universités. Je n’admettrai jamais que le corps professoral, ou même une faculté, puisse se réunir pour délibérer sur la question de savoir si un professeur donne bien ou mal son cours ; je ne puis pas admettre cette doctrine ; elle serait subversive, anarchique ; elle introduirait au sein du corps professoral un germe de désorganisation ; elle ferait naître des conflits incessants d’amour-propre, des combats de jalousies, et si l’honorable préopinant voulait y réfléchir, il reculerait lui-même.
M. Devaux. - C’est une inconvenance.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce n’est pas une inconvenance, vous allez bien plus loin dans vos attaques. Le gouvernement a auprès des universités un représentant, c’est lui qui doit s’enquérir, par tous les moyens légitimes, honnêtes, si le professeur nommé donne bien son cours. Il peut s’enquérir sans espionnage, auprès des professeurs, auprès des élèves même, mais officieusement, avec toute la réserve possible. C’est alors à l’administrateur-inspecteur à faire connaître au ministre si l’enseignement de ce professeur n’est pas satisfaisant ; c’est l’administrateur-inspecteur qui sert d’intermédiaire entre le gouvernement et l’université.
Voilà, messieurs, comment les choses doivent se passer ; sans cela le conseil académique pourrait se réunir pour délibérer sur chaque nomination faite par le gouvernement. S’il en était ainsi ; il vaudrait beaucoup mieux dire que c’est le conseil académique qui nomme les professeurs. Je repousse cette doctrine de la manière la plus absolue. Je désire qu’on sache bien que je la repousse, car, quoi que dise l’honorable préopinant, j’ai le courage de mes opinions.
Je n’ai enlevé aucune attribution au conseil académique. J’ai résumé les dispositions qui étaient éparses, je les ai résumées dans un seul acte ; j’ai donné une sanction aux dispositions qui les déterminaient. Ce dernier arrêté était devenu indispensable, afin que la position fût bien connue de part et d’autre, et je suis sans la moindre inquiétude sur la manière dont cet acte sera apprécié dans l’avenir ; j’ai suivi un principe que je crois fondé, le gouvernement a usé d’un droit, et il en a usé précisément pour que vous puissiez invoquer contre lui la responsabilité qui lui incombe.
- L’art. 1er est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Frais des jurys d’examen pour les grades académiques et dépenses du concours universitaire : fr. 79,100 »
- Adopté.
« Art. 3. Frais d’inspection des athénées et collèges : fr. 7,300 »
(Moniteur belge n°27, du 27 janvier 1844) M. de Foere. - Messieurs, dans la séance de vendredi dernier, à laquelle je ne pouvais assister jusqu’à la fin, j’ai eu l’honneur de demander à la chambre autorisation de faire insérer au Moniteur un discours que je m’étais proposé de prononcer, dans cette même séance, contre l’arrêté du 1er janvier 1844, sur l’enseignement de la langue flamande dans les établissements d’instruction publique. J’ai ajouté que M. le ministre de la justice aurait eu l’avantage de méditer mes objections contre cet arrête. Je demande maintenant à M. le ministre de la justice qu’il veuille bien s’expliquer sur cette question, telle que je l’ai posée. J’ai examiné l’arrêté du 1er janvier sous le rapport de son objet, sous celui de sa constitutionnalité, sous celui de la nationalité et enfin sous celui de la politique intérieure.
(Moniteur belge n°26, du 26 janvier 1844) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’honorable M. de Foere a donné à la question qu’il vient de reproduire, des proportions qu’elle ne comporte pas.
L’honorable M. de Foere a été jusqu’à dire qu’en proposant au Roi, de signer l’arrêté du 1er janvier, j’avais fait un coup d’Etat. (On rit.) Ce sont les expressions qui se trouvent dans le discours que l’honorable membre a fait insérer au Moniteur.
L’honorable membre a prétendu que l’arrêté était non seulement mauvais, que l’arrêté était non seulement inopportun, mais il m’a adressé un reproche beaucoup plus grave et qui m’est beaucoup plus sensible, il a dit que cet arrêté était inconstitutionnel. C’est principalement pour répondre à cette partie de l’attaque de l’honorable M. de Foere, que j’ai cru devoir prendre la parole, et je pense pouvoir établie en peu de mots que l’arrêté du 1er janvier 1844 est très constitutionnel et très opportun. Pour le démontrer, il me suffira, messieurs, de développer quelques considérations basées sur le texte et l’esprit de la constitution et des lois.
Le 19 septembre 1831 a été portée une loi dont l’art. 2 est ainsi conçu :
« Les lois seront insérées au Bulletin officiel, aussitôt après leur promulgation, avec une traduction flamande ou allemande, pour les communes où l’on parle ces langues ; le texte français demeurant néanmoins seul officiel, etc. »
Ainsi, messieurs, d’après cette loi que le gouvernement était chargé d’exécuter comme il est chargé d’exécuter toutes les lois, le gouvernement devait faire faire une traduction flamande ou allemande de la loi suivant les localités.
Le texte officiel est le texte français. Ce texte est arrêté définitivement par le pouvoir législatif ; le style, l’orthographe, employés par ce pouvoir, ne peuvent sans doute être changés ou modifiés par le gouvernement ; mais cette mission remplie, c’est le pouvoir exécutif qui est chargé de faire faire une traduction flamande du texte français.
Eh bien, messieurs, le gouvernement a rempli cette obligation depuis 1830, mais il n’avait pas de principes fixes quant à l’orthographe à adopter. Pendant quelques années, on a suivi le système que préconise et que recommande l’honorable M. de Foere, le système de Desroches.
Plus tard, l’on a suivi un autre système, le système proposé par une commission que le gouvernement a instituée, et auquel s’est rallié, avec quelques modifications, un congrès convoqué à Gand, sous le nom de Tael-Congres.
Une nouvelle modification a été apportée à la traduction flamande, sous mon honorable prédécesseur ; il a désiré qu’on mît des accents sur différentes lettres dans les traductions du Bulletin.
Messieurs, ces différentes traductions ont été faites, comme je l’ai dit tout à l’heure, sans qu’un arrêté royal soit venu prescrire l’orthographe à suivre, et sans qu’une nouvelle loi ait modifié la loi du 17 septembre 1831. Le gouvernement a trouvé son devoir tracé dans la loi, il l’a exécutée comme il en avait la mission, seulement l’orthographe a varié d’une manière arbitraire, suivant l’opinion du chef du département de la justice.
Aussi voyons-nous que sous les différents ministres l’orthographe a été changée et modifiée.
Maintenant, comment est-il possible de trouver dans l’arrêté du mois de janvier 1844 la moindre atteinte à la constitution ? Ne me suis-je pas borné à faire exécuter une loi que tous mes prédécesseurs avaient exécutée avant moi sans recourir à la législature ? Seulement j’ai régularisé et fixé ce qui n’était que provisoire, de manière à faire cesser toute bigarrure dans le journal officiel.
L’honorable M. de Foere, dans les observations qu’il a fait imprimer au Moniteur, attaquant avec une certaine violence ce qu’il appelle un coup d’Etat, a invoqué l’art. 23 de la constitution, qui porte :
« L’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif, il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires judiciaires. »
Messieurs, lorsqu’on se reporte à l’époque où cet article 23 a été voté, quand on songe aux motifs qui ont dicté cette disposition, il sera évident pour tout le monde que cet article n’a eu aucunement en vue le cas dont s’occupe l’honorable M. de Foere. L’on avait encore présents à la mémoire ces arrêtés qui avaient imposé une langue étrangère, une langue que les Belges ne voulaient pas parler, et c’est uniquement pour prévenir le retour d’une injustice aussi vexatoire que l’on a inséré l’art. 23 dans la constitution.
Maintenant, messieurs, l’article 23 de la constitution a reçu son exécution par la loi du 17 septembre 1831, l’emploi des langues usitées en Belgique a été réglé par cette loi, qui porte : « La langue française constituera le texte officiel du journal, et il y aura une traduction flamande » ; mais la loi n’a pas dit : on emploiera telle ou telle orthographe, ou se servira d’un y au lieu de deux i, de ue au lieu de deux u, etc. Il n’est pas entré dans la pensée du législateur qu’il fallait une disposition pour consacrer le système d’orthographe qu’on emploierait. Le choix de l’orthographe est une mesure d’exécution, c’est par un arrêté royal (si même un arrêté royal était nécessaire), que ce point doit être réglé.
Messieurs, la loi du 19 septembre 1831 devait recevoir, comme toutes les lois, une exécution. Cette exécution était confiée au gouvernement. La loi n’a pas plus prescrit le système d’orthographe qu’il fallait suivre, qu’elle n’a indiqué le format, les caractères à employer. La loi, sous ce rapport, s’en est rapportée au gouvernement, et nous n’avons fait que suivre les prescriptions de la loi.
Je pense donc que la question soulevée par l’honorable M. de Foere doit être tranchée dans le sens de la constitutionalité de l’arrêté du 1er janvier 1844, qui a été porté en exécution de la loi.
Je demande maintenant la permission de dire quelques mots, pour justifier l’opportunité de la mesure.
Le Bulletin officiel devenait tellement volumineux que les recherches qu’on devait y faire étaient de plus en plus difficiles. J’ai pensé qu’il était convenable d’adopter une division. J’ai classé dans une première partie les lois et les arrêtés généraux intéressant tout le pays, et j’ai placé dans une autre partie tous les actes qui n’ont pas ou caractère d’intérêt général ; j’ai consulté à cet égard les administrations provinciales et les procureurs-généraux,et tous ont été d’avis que cette classification faciliterait les recherches qu’on devait faire dans le Bulletin. (Interruption.)
J’entends dire derrière moi que l’attaque de l’honorable M. de Foere n’est pas sérieuse, s’il en était ainsi, je n’insisterais pas.
M. de Foere. - Mon attaque est très sérieuse.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Dans ce cas, je continue.
Un membre. - Allez-vous faire de cela une question de grammaire ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Je répondrai à l’honorable membre qui m’interrompt que je ne fais pas une question de grammaire, mais je crois que, d’après les courtes explications que je vais donner, l’honorable membre deviendra lui-même partisan de l’arrêté du mois de janvier 1844.
Messieurs, les académies ont été consultées, et les académies nous donnent raison. Je dirai plus, il y a unanimité dans les conclusions des rapports que j’ai reçus des administrations provinciales. MM. les gouverneurs ont consulté les sociétés de rhétorique, les sociétés littéraires, tous les corps enfin qui, par la spécialité de leurs travaux, pouvaient utilement donner leur avis. Tous ou du moins presque tous ont reconnu qu’il fallait adopter la nouvelle orthographe. Il s’est présenté, je pense, deux personnes qui ne sont pas de cet avis, c’est un littérateur, nommé Behaegel et l’honorable M. de Foere. (On rit.)
(Moniteur belge n°27, du 27 janvier 1844) M. de Foere. - Messieurs, l’honorable ministre de la justice, dans sa défense, a établi une question de principe et une question de fait.
La question de principe, c’est celle de la constitutionnalité de l’arrêté du 1er janvier ; la question de fait, c’est, selon lui, l’unanimité, moins deux hommes dans le pays, avec laquelle on aurait adopté l’orthographe hollandaise, préalablement à l’arrêté du 1er janvier, par lequel M. le ministre de la justice prescrit l’emploi de cette orthographe dans la traduction flamande du Bulletin des lois et arrêtés.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Je proteste contre cette expression orthographe hollandaise.
M. de Foere. - Je justifierai cette expression.
M. le ministre de la justice a cherché à rapetisser la question en prétendant qu’il ne s’agissait que de la différence d’une voyelle à une autre, d’une consonne à une autre. Je prouverai que la question est entre la langue hollandaise et la langue flamande.
M. Dedecker. - Je demande la parole.
M. de Foere. - J’entends de tous côtés autour de moi confirmer l’opinion que je viens d’énoncer. Oui, messieurs, c’est une question entre le dialecte hollandais et le dialecte flamand, et non une question réduite aux futiles proportions que M. le ministre a cherché à lui donner.
Je continuerai de soutenir que l’arrêté du 1er janvier 1844 est inconstitutionnel ; qu’il est antinational (dénégations et approbations) ; qu’il froisse les plus chères affections des populations flamandes ; que c’est précisément contre cette langue, que l’arrêté du 1er janvier rétablit dans la traduction prétendument flamande des lois et arrêtes, que toute la Belgique flamande a élevé, avant la révolution, des réclamations unanimes.
Messieurs, je commencerai par citer le texte de l’art. 23 de la constitution. Cet article porte :
« L’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la loi et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires de l’ordre judiciaire. »
S’il est incontestable qu’un arrêté est un acte de l’autorité publique et que, par cet arrêté, cette autorité règle l’emploi d’une des langues usitées en Belgique dans la traduction du Bulletin des lois et arrêtés ; s’il est encore incontestable que cette traduction et le Bulletin des lois et arrêtés sont deux autres actes de l’autorité publique, il est évident que l’arrêté du 1er janvier a usurpé la place de la loi et que, par conséquent, son inconstitutionnalité est flagrante.
D’après ce simple raisonnement, M. le ministre de la justice est-il bien fondé en droit lorsqu’il cherche à rapetisser cette question afin d’échapper aux conséquences accablantes qui, sous le rapport de la constitution, pèsent sur son acte du 1er janvier ?
Ce sont les huit règles de la commission qu’il a adoptées dans la traduction flamande des lois et arrêtés. Cette commission s’est fait nommer elle-même et elle a été juge et partie de sa propre cause. Ces huit règles sont toutes puisées dans la langue hollandaise ; elles détruisent presqu’entièrement le caractère distinctif de la langue flamande et transforment cette langue en langue hollandaise, et le ministre prétend que sa traduction est flamande !
Du reste, j’invoque, sur la question constitutionnelle, les lumières des jurisconsultes de la chambre pour établir, oui ou non, si l’arrêté du premier janvier est inconstitutionnel. Je soutiens que l’emploi d’une des langues usitées en Belgique est réglée par arrêté, pour un acte de l’autorité publique, et que la constitution veut que cet emploi soit réglé par une loi et non par un arrêté.
L’honorable ministre a argumenté de ce que la traduction flamande, dans les lois et arrêtes, était faite sans principes, qu’il n’y avait pas de principes arrêtés. Messieurs, la langue flamande, telle qu’elle a été fixée avant la domination hollandaise, était généralement en usage dans le pays, et c’est l’usage seul qui fixe les langues. La langue flamande a été réduite à des règles fixes et uniformes par le savant Desroches, un des membres les plus illustres de l’Académie de Bruxelles.
M. Dedecker. - Il était Hollandais !
M. de Foere. - Il était Hollandais ou il ne l’était pas ; le fait est que, sous Marie-Thérèse, il était membre distingue de l’Académie de Bruxelles, et alors il était Belge. Il a fixé la langue flamande alors que toutes les autres langues ont été fixées par d’autres savants dans les autres pays. Il a reçu cette mission de fixer la langue flamande probablement de l’Académie de Bruxelles même.
Le ministre de la justice pouvait et devait trouver, comme ses honorables prédécesseurs, dans les principes de Desroches et dans l’usage de la langue flamande, les règles fixes de traduction ; il pouvait les trouver dans la traduction des lois et arrêtés, telle qu’elle était faite avant qu’il y eût substitué le dialecte hollandais.
M. le ministre a prétendu que l’article de la constitution n’avait pas été rédigé par le congrès d’une manière applicable au fait qu’il a posé. Il est incontestable que c’est dans cette intention, ouvertement exprimée, et dans ce but direct, que l’art. 23 de la constitution a été rédigé et adopté par le congrès. Il ne pouvait être question que de deux langues, la langue flamande et la langue française. L’article constitutionnel n’a pu avoir d’autre but que le maintien de ces deux langues nationales et celui de nous garantir des abus des arrêtés. Quels étaient les abus qu’on craignait ? Les provinces flamandes avaient énergiquement réclamé contre l’emploi de la langue hollandaise que le roi de Hollande voulait imposer la Belgique flamande. C’est pour nous garantir contre cet abus que l’art. 23 de la constitution a été rédigé et adopté par le congrès.
Eu égard aux intentions formelles du congrès, au vœu bien prononcé du pays, et au texte clair et positif de la constitution, il est impossible que le ministre de la justice puisse soutenir autrement que par des vétilles la constitutionnalité de son arrêté.
La loi de 1831, que M. le ministre a invoquée, est subordonnée à la constitution, et cette loi a seulement statué que le texte français serait le texte officiel et qu’il y aurait une traduction flamande. Cette loi même condamne le ministre. La traduction qu’il a substituée à l’ancienne n’est pas une traduction flamande, elle est hollandaise.
Messieurs, en abordant la question d’opportunité, l’honorable ministre a dit qu’avec l’approbation des autorités provinciales, il avait établi un autre ordre, une autre classification dans le Bulletin des lois et arrêtés. Cet ordre, cette classification ne concerne en rien la question. Il a prétendu que toutes les académies du pays s’étaient prononcées en faveur du système d’orthographe qu’il a adopté. J’ai soutenu dans le premier discours que vous m’avez autorisé à insérer au Moniteur, et je le soutiens encore, que c’était une véritable minorité ou majorité factice, une majorité mensongère, composée de ces mêmes hommes qui avaient provoqué les arrêtés précédents et qui avaient prononcé dans leur propre cause, et que M. le ministre n’a pas eu égard à l’usage presque général du pays. Il n’a pas non plus entendu ceux qui professaient une opinion contraire. Il a même soutenu qu’il y avait majorité moins deux hommes, M. Behaegel et moi.
Examinons la valeur de cette assertion. Je citerai des faits nombreux, des faits incontestables, qui établiront que la majorité du pays est contraire au dialecte, contraire au système d’orthographe hollandais que le ministre a adopté.
D’abord, messieurs, les régences du pays sont, sans doute, des autorités compétentes à émettre une opinion dans cette question. Or il n’existe, que je sache, aucune régence dans tout le pays qui se soit prononcée en faveur du dialecte hollandais ; tandis qu’il existe plusieurs régences de grandes villes, de petites villes et de communes qui ont pris une décision contraire. En premier lieu, la capitale maintient dans toutes ses écoles le système véritablement flamand, celui de Desroches, qui seul constitue la langue flamande.
La ville de Bruges a eu à délibérer entre l’orthographe flamande et hollandaise qu’il fallait adopter pour indiquer, sur les écriteaux, les noms des rues : il y a eu discussion pour l’une langue et l’autre ; la majorité de la régence de Bruges a décidé que la langue flamande, et non la langue hollandaise, serait employée. Le même fait a eu lieu à Louvain, et la régence de Louvain maintient dans ses écoles l’enseignement de la langue flamande et non celui de la langue hollandaise. Ensuite, messieurs, il y a d’autres villes et communes, telles qu’Arschot, Gheel, Ixelles, St-Jooris-Winghe, Lubeck et une foule d’autres qui ont pris la décision de n’employer que la langue flamande.
C’est la première brèche faite à l’assertion véritablement inconcevable lancée par le ministre, qui a dit que, moins deux hommes, il y avait unanimité dans le pays en faveur de son système.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Deux littérateurs !
M. de Foere. - Nous viendrons tout à l’heure aux littérateurs, c’est-à-dire, aux poètes et aux romanciers.
Aussitôt que le produit de la commission eut été connu de l’opinion publique, il s’est élevé dans le pays une foule de réclamations et de protestations, parmi lesquelles un grand nombre d’hommes qui ont fait des études classiques, et dont l’opinion vaut certes bien celle de quelques poètes et romanciers. En premier lieu, il est sorti de la ville d’Anvers une protestation publique qui portait 125 signatures, parmi lesquelles se trouvait un grand nombre d’hommes classiques.
M. de Brouckere. - La ville d’Anvers ! des habitants de la ville d’Anvers et non la ville. Elle a 80,000 habitants.
M. de Foere. - Je dis que la ville d’Anvers a fourni une protestation qui portait 125 signatures ; il va de soi que je ne parle pas de toute la ville, Au bas de cette première liste se trouvait cette note :
«Cette liste doit être suivie d’un grand nombre d’autres adhésions. »
Voilà la seconde brèche portée à l’assertion de l’honorable ministre qui a dit que c’était à l’unanimité, moins deux hommes, que son système d’orthographe a été admis.
Il existait et il existe encore à Bruxelles une société de langue et de littérature flamande, expressément instituée pour maintenir la langue flamande contre les intrigues et menées de ceux qui veulent rétablir le dialecte hollandais. L’honorable président de cette société M. Peeters, juge de paix à Bruxelles, est en possession d’une foule de protestations et de réclamations contre les huit règles que la commission a adoptées, règles qui après ont été adoptées, avec fracas, par le fameux Tael-Congres, tenu à Gand, et composé d’une vingtaine de membres seulement. Troisième brèche.
Il existe à Bruges une semblable société. Ce sont, sans doute, ces sociétés que M. le ministre de la justice a décorées du titre d’Académies, lorsqu’il a dit que toutes les académies du pays se sont prononcées en faveur de son système d’orthographe. Il n’existe dans le pays qu’une Académie, et ce corps ne s’est pas prononcé. Cette société de Bruges a aussi protesté contre les huit règles de la commission, contre l’introduction de ce dialecte hollandais, et la protestation a été signée par son président, par M. Maertens, notre honorable collègue à la chambre, M. l’avocat de Net, M. le notaire Van Caillie, le savant grammairien Behaegel, M. Benninck, président d’une autre société de littérature flamande, M. Vanhuyshuys, cure de St-Jacques. D’autres membres de cette société, habitant à l’intérieur de la province, ont adhéré à cette protestation, parmi lesquels nous comptons notre honorable collègue M. Wallaert, que nous avons l’honneur de voir siéger dans cette chambre.
Telle est encore l’unanimité de M. le ministre de la justice, moins deux hommes !
Un membre de la commission même a reconnu lui-même, dans un article qu’il a fait insérer dans l’Indépendant que les huit règles de la commission ont été loin de réunir tous les suffrages. M. Ledeganck, aujourd’hui inspecteur provincial de la Flandre orientale, a avoué dans son article que le système de la commission a trouvé un assez grand nombre d’adversaires, surtout dans la Flandre occidentale.
Ce sont les propres termes de M. Ledeganck, membre de la commission et du Tael-congres. Il a dit : « surtout dans la Flandre occidentale » ; mais alors, c’était en 1840, il connaissait déjà la protestation d’Anvers et un grand nombre d’autres qui avaient surgi dans le pays.
Vous voyez que les membres mêmes de la commission contestent l’assertion de l’honorable ministre de la justice.
Il y a plus, voici un volume (l’honorable membre tient un gros volume in-8°) ; il coexiste un autre du même format et de la même épaisseur, Dans ces volumes sont recueillis tous les écrits qui ont été publiés dans le pays contre les huit règles de la commission, et toutes les réclamations qui se sont élevées dans les diverses parties du pays contre ce système d’orthographe puisé dans la langue hollandaise.
Et M. le ministre de la justice prétend qu’il y a unanimité pour ce système, moins deux hommes !
Voici un autre volume (l’honorable membre tient un volume in-folio) de correspondances adressées à un seul homme du pays. Il est à moitié rempli des correspondances des personnes qui se sont élevées contre ces huit règles de la commission.
Et M. le ministre de la justice prétend qu’il a unanimité, moins deux hommes !
Mais vous avez entendu, messieurs, l’interruption de cet honorable ministre. Il vous a dit que les littérateurs sont unanimes. Je vous donnerai la valeur de cette interruption. Il existait avant la révolution, dans le pays, quelques poètes, quelques romanciers, qui ont favorisé de tout leur pouvoir l’introduction de la langue hollandaise dans le pays, que le roi de Hollande voulait nous imposer. Je vous ai déjà dit que des pétitions ont été envoyées en grand nombre au gouvernement et aux états-généraux de la part des provinces qui parlent le flamand et que l’on porte le nombre des signatures à 150 mille.
Quelques poètes et littérateurs étaient les seuls qui ne se soient pas joints à ce mouvement de pétitionnement. Ils écrivaient déjà en hollandais. Leurs chefs ont été rémunérés ; ils ont reçu des places en récompense de leur dévouement. Ce sont ces mêmes hommes qui ont mis tout en œuvre pour créer des partisans de leur système et pour faire des dupes, afin de ne pas devoir revenir sur leurs pas, ou pour sortir du défilé où ils s’étaient engagés. Ce sont ces mêmes hommes, avec leurs dupes, qui ont surpris la religion de M. le ministre de la justice l’arrêté du 1er janvier, et qui veulent imposer aujourd’hui leur ancienne opposition antinationale au pays tout entier.
Un honorable membre de cette chambre, M. Van Volxem, a résisté constamment à leurs intrigues, lorsqu’il était ministre de la justice. Son prédécesseur, l’honorable M. Leclercq, a fait de même. Et voilà que M. le ministre de la justice vient appuyer son arrêté ; sur quoi ? sur l’unanimité du pays, moins deux voix ?
Consultez, en outre, tous les actes notariés, tous les mémoires et documents judiciaires écrits dans les provinces flamandes et toutes les correspondances, il vous sera démontré que les 99/100 de ces écrits sont encore aujourd’hui rédigés dans notre langue flamande, et non pas dans le dialecte hollandais. Et voilà que M. le ministre de la justice s’appuie sur l’unanimité ! N’est-ce pas l’usage qu’il fallait consulter, l’usage qui seul fixe les langues ? Fallait-il briser les sympathies flamandes, les mœurs flamandes ? Fallait-il frapper les provinces flamandes dans leurs plus intimes affections ? N’était-ce pas cette langue que les Flamands ont sucée dans leur enfance, cette langue qu’ils ont entendu parler sur la tombe de leurs pères, de leurs mères, de leurs frères et de leurs sœurs !
Vous imposez un dialecte étranger, contre lequel nous avons réclamé à la presqu’unanimité. Cette réclamation, nous l’avons faite avec les provinces wallonnes ; nous avons soutenu ces provinces afin de faire tomber un des griefs les plus énormes qui ont provoqué la révolution, grief qui a été si bien compris par la diplomatie, appelée à décider sur le sort du pays.
Ceux qui sont initiés dans les secrets de cette diplomatie savent que le roi de Hollande n’a pu se justifier à cet égard, aux yeux des puissances, comme il n’a pu se justifier, sous le même rapport, aux yeux de l’Europe. Et maintenant n’est-ce pas exposer, aux yeux du monde entier, le pays au ridicule et au mépris ?
Je vais aller plus loin, et vous comprendrez l’importance immense de cette question.
M. le président. - Je ferai remarquer à l’honorable orateur que cette discussion ne peut avoir aucun résultat.
M. Rodenbach. - M. de Foere est dans son droit ; il attaque un acte du gouvernement.
M. Orts. - Tout en partageant l’opinion de l’honorable M. de Foere, je désire rattacher la question au budget de l’intérieur.
M. le président. - On ne peut interrompre l’orateur, à moins que ce ne soit pour demander un rappel au règlement.
M. de Foere. - M. le président, la chambre m’a autorisé à faire insérer mon premier discours au Moniteur, avec la condition que la discussion aurait lieu au chapitre où nous sommes parvenus. (Parlez ! parlez !)
M. de Brouckere. - Si l’on traite la question à fond, nous en avons pour huit jours.
M. de Foere. - Un homme d’Etat hollandais qui, il n’y a pas longtemps, a exercé dans le pays des fonctions diplomatiques s’est exprimé plusieurs fois sur l’espèce de ridicule dont la Belgique se couvre aujourd’hui.
Voici le langage qu’il a tenu, en plusieurs circonstances, sur l’esprit ridicule de contradiction dont, selon lui, les Belges étaient doués : « Ils adoptent aujourd’hui, disait-il, la langue qu’ils ont repoussée avant la révolution, Ils en ont fait un grief énorme, et aujourd’hui ce grief est un bienfait. Alors l’uniformité était proposée, aujourd’hui on veut établir cette uniformité, lorsque nous nous sommes séparés. »
Il est très probable que l’honorable M. Devaux avait eu connaissance de ce fait ; car dans un discours qu’il a prononcé le 11 août 1842, dans lequel je crois même qu’il relevait les paroles du diplomate hollandais, l’honorable membre s’est exprimé en ces termes :
« Vous avez un singulier esprit de contradiction ; quand le gouvernement voulait vous imposer la langue hollandaise, vous avez jeté les hauts cris, et aujourd’hui vous voulez tout publier en hollandais, ou en idiome presque semblable. »
Pour vous prouver l’antipathie presque générale des provinces où la langue flamande est en usage (les deux Flandres, le Brabant, Anvers et le Limbourg), je reporterai vos souvenirs sur une fameuse société que le gouvernement hollandais avait particulièrement instituée pour faire adopter la langue hollandaise. Cette société portait le nom de société : Tot niet van ‘t algemeen.
Cette société a été frappée, comme vous le savez tous, de la réprobation générale. La mission que Van Maanen avait donnée à cette société, était principalement de faire prendre dans les provinces flamandes le dialecte hollandais. L’honorable président du tribunal de Bruges a été victime de son dévouement ; lorsque la révolution a éclaté, sa maison a été saccagée et incendiée.
M. de Brouckere. - Parce qu’il avait adopté cette orthographe !
M. de Foere. - En grande partie, et probablement pour cette seule cause qui, seule, était connue par le peuple parce qu’il s’était fait signaler par son dévouement à la langue hollandaise.
Je le répète, la répugnance contre cette société était telle, que le président du tribunal de Bruges, qui était aussi président de cette société, a été victime de son dévouement à la volonté de Van Maanen. Tous les habitants de Bruges pourraient l’attester. C’est ce même dialecte, c’est cette même langue que l’honorable ministre de la justice vient de rétablir dans la traduction de son Bulletin des lois.
Voici, messieurs, où nous mènent les conséquences de cet acte. Les inspecteurs provinciaux pour l’instruction primaire qui sont dévoués à ce dialecte, peuvent avoir déjà très inconstitutionnellement, selon moi, influencé directement ou indirectement les instituteurs des écoles primaires, pour le leur faire adopter. Je sais pertinemment qu’un d’eux a exercé ces influences. Aujourd’hui ils diront aux instituteurs qui restent encore dévoués à la langue flamande : Vous voyez que c’est l’orthographe du gouvernement, que le gouvernement l’adopte. Les instituteurs, craignant de perdre leur place, se laisseront influencer par ces violences morales ; tandis qu’on les laissera ignorer que, d’après l’art. 23 de la constitution, ils ont le droit de continuer à enseigner l’orthographe de la langue flamande.
Messieurs, je crois avoir suffisamment établi l’inconstitutionnalité de l’arrêté du 1er janvier , je crois aussi avoir établi que cet arrêté n’était pas opportun, et que M. le ministre de la justice a été trompé par la faction qui veut introduire dans le pays la langue hollandaise.
On s’est appuyé sur la majorité. Mais cette majorité n’est autre chose que cette faction elle-même qui a demandé à l’honorable ministre de l’intérieur de se constituer en commission. C’étaient tous hommes qui étaient favorables au dialecte hollandais ; ils étaient juges et parties dans leur propre cause ; et l’ambassadeur hollandais qui a assisté non pas au Tael-Congres, mais à la fête bruyante qui l’a suivi, a applaudi au zèle de ces poètes et au succès de la langue hollandaise.
Messieurs, je dois vous communiquer des faits excessivement importants contre l’arrêté du 1er janvier.
La tendance directe de cette faction, messieurs, est d’exclure les habitants des provinces wallonnes, non seulement de toutes fonctions dans les provinces où le flamand est en usage, mais encore du conseil des ministres et même de la cour, où la langue française est parlée.
Voici, messieurs, en premier lieu, la traduction du texte flamand des paroles qui ont été prononcées à la tête du Tael-Congres :
« O frères ! marchez en avant, méprisez les âmes abjectes qui font encore sur le sol de la Flandre dorée, entendre leur voix francisée. Pensez comment un jour les démons tombèrent devant le glaive flamboyant de Michel qui les envoya à l’enfer. Cependant, non ! pas de vengeance, non, pour ceux qui étaient nos frères et qui, un instant, ont renié la langue de la patrie flamande. Non ! ils retourneront un jour, et se réuniront, le repentir dans le cœur, au lien des frères. »
Voici maintenant des extraits écrits en flamand dans le Kunst et Letterblad de Gand :
« Ah ! la malédiction est votre lot !
« La postérité dispersera un jour vos ossements,
« Traîtres à votre patrie, vous adorâtes un Dieu étranger.
« Puisse notre patrie posséder un O’Connell,
« Un autre Artevelde en qui le peuple trouvât de nouveau courage
« Et espoir ; car, comme l’Irlande est méconnue des Anglais,
« La Flandre l’est de l’engeance gallomane !
« Debout ! debout ! ô race des Belges valeureux !
« Ne vous laissez pas plus longtemps vous détruire par l’étranger !
« Plus de Français autour du trône, plus de Français dans le conseil !
« Si vous ne voulez pas avec eux blasphémer vos pères :
« Levez-vous donc ! La cour vous abâtardira.
« Levez-vous, ou vous périssez ! ! »
Les déclamations suivantes sont dirigées contre les Bruxellois :
« Les descendants de Marnix et d’Anneseens (les Bruxellois), sont devenus les plus abjects parias qu’aucun pays puisse produire, C’est une engeance qui vraiment paraît être frappée de la malédiction de Dieu. Elle ne connaît pas sa langue maternelle, et ne comprend pas mieux la langue de nos oppresseurs. Aussi voit-on les Bruxellois peu exceller dans les arts et les sciences, ce sont les ÉTRANGERS les WALLONS et les FRANCAIS qui donnent le ton partout. »
Telle est la tendance directe et bien connue des partisans du dialecte hollandais. Ne doit-on pas craindre de les voir semer la discorde dans le pays entre les Flamands et les Wallons ? Dès lors l’arrêté du 1er janvier est-il bien politique sous cet autre rapport ? N’a-t-il pas été surpris à la religion de M. le ministre de la justice, qui bien certainement a ignoré tous ces faits que j’ai allégués ?
Certes, messieurs, et c’est aussi mon opinion, les justiciables et les autres intéressés des provinces flamandes peuvent réclamer qu’ils soient compris de l’autorité administrative et judiciaire ; mais on devait laisser au gouvernement le soin d’apprécier cet intérêt dans les nominations qu’il fait dans les provinces flamandes. Il ne doit pas nommer des juges qui ne pourraient comprendre la langue des justiciables et des témoins, ainsi que les mémoires et instructions qui leur sont adressés. Mais est-ce cela un thème pour semer la discorde entre les deux grandes fractions du pays ?
Il est une opinion dans le pays, qui exprime ses craintes. Elle croit découvrir une impulsion étrangère dans ces moyens de semer la discorde dans le pays.
Sous le rapport politique, vous savez quelle immense importance, depuis les Grecs et les Romains jusqu’aujourd’hui, les gouvernements et les nations ont toujours attaché à la possession d’une langue propre, d’une langue nationale. Eh bien ! ce principe de tout homme d’Etat est ouvertement méconnu par l’arrêté du 1er janvier. Vous savez quelle était l’importance que les chefs de l’empire français attachait à rendre la langue française universelle, non pas seulement dans un but d’uniformité et de centralisation, mais dans un but d’asservissement.
Vous savez quelle était l’importance qu’y attachait le roi de Hollande, dans le même but.
Toutes les nations ont toujours repoussé tout idiome étranger, toute langue étrangère qu’on voulait leur imposer. Vous savez, messieurs, que la langue des Romains, dont la domination a été presqu’universelle, forme encore aujourd’hui le caractère principal de la langue française, de la langue espagnole, de la langue portugaise, de la langue italienne, de la langue anglaise même ; la langue belge seule est restée tout a fait indépendante de cette influence de ces dominateurs du monde.
Messieurs, je crois en avoir assez dit pour prouver que l’arrêté est inconstitutionnel, qu’il est impolitique, antinational. Cet arrêté repose sur une base fausse ; la majorité du pays est très décidément contraire aux huit règles que la commission a voulu imposer, et qu’elle a fait adopter par M. le ministre de la justice.
Je demande formellement le retrait de cet arrêté. Je demande que la traduction des lois et arrêtés dans le Bulletin officiel soit faite en langue flamande. Cette langue est connue, elle a des règles fixes et uniformes. C’était la même langue qu’en 1798, le célèbre Lambrechls, qui était alors ministre de la justice à Paris, avait adoptée pour la traduction des lois et arrêtés. L’arrêté du 1er janvier 1844 est une violence exercée contre la nation flamande tout entière. La langue d’un peuple est son patrimoine et vous ne pouvez pas la lui enlever par un simple arrêté ; vous ne pouvez pas, par un acte semblable, nous arracher la langue de nos pères.
J’attache, messieurs, une telle importance au retrait de cet arrêté que c’est pour moi une opinion politique qui me portera à soutenir ou ne pas soutenir le ministère.
M. Orts. - J’ai uniquement demandé la parole pour adresser une interpellation à M. le ministre de l’intérieur. La question soulevée par l’honorable M. de Foere, je la trouve, moi, très importante, je la rattache directement au budget de l’intérieur et spécialement à l’instruction publique.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - A l’instruction primaire.
M. Orts. - A l’instruction primaire et à l’instruction moyenne, en ce qui concerne les collèges où l’on enseigne la langue flamande.
Voici, messieurs, ce que je voudrais savoir de M. le ministre de l’intérieur, qui nous a déclaré tantôt encore qu’il est responsable de tous ses actes ; je voudrais savoir si des injonctions ont été faites aux instituteurs des écoles normales du gouvernement et des écoles primaires supérieures, si des injonctions leur ont été faites dans le sens de l’arrêté pris par M. le ministre de la justice , si on leur a enjoint qu’ils aient à adopter aussi ce système nouveau du Tael-Congres, qui doit bouleverser de fond en comble notre langue flamande, je désirerais savoir si l’on veut en revenir petit à petit à la langue hollandaise ? Voilà, messieurs, les questions que j’adresse à M. le ministre de l’intérieur. Si ce système devait prévaloir, les conséquences en seraient immenses ; elles seraient terribles pour les instituteurs dont pas un ne s’est initié à cette langue.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je crois qu’on a eu tort d’abord de rattacher l’arrêté du 1er janvier, contresigné par M. le ministre de la justice, au budget de l’intérieur, non pas qu’il n’y ait pas solidarité entre tous les membres du cabinet, mais parce que je prouverai tout à l’heure que cet arrêté ne peut pas se rattacher à l’instruction publique. En second lieu je crois qu’on a eu tort d’agrandir outre nature la question.
M. le ministre de la justice est chargé de la publication du Bulletin officiel, il est évident, il faut qu’il adopte une orthographe quelconque pour la traduction flamande qui doit être insérée dans le Bulletin. L’orthographe qu’il a adoptée doit-elle être qualifiée d’orthographe hollandaise ? c’est là une pure question littéraire. (Interruption du côté où siège M. de Foere.)
Je déclare à l’honorable M. de Foere que je l’ai très attentivement écouté. Il ne doit pas croire que j’ai pris part aux interruptions qui ont pu le gêner pendant son discours. Je le prie donc de vouloir m’écouter également.
Je le rends attentif à une distinction. Sans doute on conviendra que M. le ministre de la justice avait le droit d’adopter une orthographe pour la traduction flamande qui doit accompagner dans le Bulletin officiel le texte des lois et arrêtés : évidemment il avait ce droit. En fait, il a donné la préférence à l’orthographe nouvelle ; a-t-il eu tort ? C’est là une deuxième question, et cette deuxième question est purement littéraire.
J’arrive, messieurs, au budget de l’intérieur. L’honorable M. Orts a eu raison de m’adresser l’interpellation qu’il a faite. Cette interpellation toutefois ne prolongera pas, j’espère, la discussion incidente soulevée par l’honorable M. de Foere. L’article 9 de la loi sur l’instruction primaire est ainsi conçu :
« Les livres destinés à l’enseignement primaire sont examinés par la commission centrale et approuvés par le gouvernement. »
Voici probablement ce que l’honorable M. Orts veut nous demander : Le ministre de l’intérieur est appelé par la loi à approuver les livres destinés à l’enseignement primaire, quelle est la portée qu’il donne à ce droit d’approbation ?
Entend-il en conclure qu’il a le droit d’écarter de l’enseignement primaire tout livre qui ne serait pas orthographié de la manière nouvelle ? Eh bien, messieurs, j’ai examiné cette question, et je crois que le gouvernement doit y apporter la plus grande réserve. Je crois que l’on peut contester que le gouvernement ait le droit d’écarter d’une manière absolue tout livre qui ne serait pas écrit dans une orthographe plutôt que dans une autre.
J’ajoute qu’eût-il ce droit, il ne devrait l’exercer qu’avec la plus grande circonspection. Aussi, comme ministre de l’intérieur, je me suis opposé jusqu’à présent à ce qu’il fût pris pour l’instruction primaire une décision absolue quelconque à cet égard. (Interruption.) On consultera les localités ; il n’y a pas d’autre moyen d’en sortir. (Nouvelle interruption.) Vous voulez donc que le gouvernement quitte la position qu’il a conservée jusqu’à présent ; vous voulez qu’il prenne une décision absolue ?
Un membre. - Il a le droit d’approuver ou de ne pas approuver les livres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Mais voyons quel est l’esprit de l’art. 9 de la loi sur l’instruction primaire. L’approbation dont il s’agit dans cet article concerne spécialement la partie morale ; il s’agit là bien plutôt du fond que de l’orthographe du livre. Voilà bien évidemment le sens de l’art. 9.
Je dis donc que la question soulevée au sujet de l’arrêté du 1er janvier 1844 n’a rien de commun avec la question soulevée par l’honorable M. Orts. Cette dernière se rattache au budget de l’intérieur, et quant à cette question, je le répète, le gouvernement n’a pas prescrit une règle absolue à cet égard, il doit s’en rapporter à l’usage dominant dans les localités. (Interruption.) Que l’on soit au moins conséquent avec soi-même ; on dit que le gouvernement doit introduire une orthographe uniforme ; mais si vous lui donnez ce droit, prenez-y garde.
Un membre. - C’est la loi qui doit le faire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dis, messieurs, que vous ne voteriez pas une semblable loi. Je vais plus loin, je dis qu’il y aurait imprudence à soumettre une telle loi à la chambre.
Un membre. - Je ne sais pas le flamand.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Et quand vous sauriez tous le flamand, vous ne voteriez pas cette loi, parce que vous craindriez de froisser bien des susceptibilités, bien des habitudes, bien des intérêts, vous ne voteriez pas cette loi, et vous devez me savoir gré de la réserve avec laquelle je me suis exprimé tout à l’heure. Je le répète donc : la véritable question sur laquelle on doit interpeller le gouvernement est celle-ci : Vous êtes appelé à approuver les livres destinés à l’enseignement primaire, est-ce que vous inférez de l’article 9 de la loi, que vous avez le droit d’écarter d’une manière absolue les livres qui ne sont pas rédigés d’après telle ou telle orthographe ? Je crois que le gouvernement ne doit pas et ne peut pas attacher cette conséquence au droit d’approbation qui lui est donné par l’art. 9 ; je dis qu’il doit procéder à cet égard avec beaucoup de réserve, consulter les habitudes locales, tenir compte des vœux des localités.
Voilà comment le gouvernement doit procéder, et je le répète, de nouveau en présentant une loi il n’amènerait pas la solution de la question ; cette question doit être résolue par le temps, c’est une question de majorité, non pas une question sur laquelle on consulte la majorité d’une assemblée, mais une question de majorité qui se résolue dans le sein des populations par le temps.
Voilà messieurs, la marche que je me propose de suivre, et je suis convaincu que vous l’approuverez.
- La séance est levée à 5 heures.