(Moniteur belge n°13, du 12 janvier 1844)
(Présidence de M. Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et demi.
- La séance est ouverte.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Louis-Joseph Paul, négociant en dentelles à Bruges, né à Honechy (France), demande la naturalisation ordinaire. »
« Mêmes demandes du sieur Jean-François Colas, propriétaire, à Stoumont, né en Prusse, et du sieur Ambroise-Auguste-Joseph Ménétrier, répétiteur de mathématiques à Merbes-le-Château, né en Belgique d’un père français et d’une mère belge, mais qui a négligé de faire la déclaration prescrite par l’art. 9 du code civil. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les bourgmestres du canton de Beeringen demandent que les habitants de ce canton soient à l’avenir affranchis des logements militaires. »
M. de Theux. - Messieurs, ce que demandent les pétitionnaires, c’est que les communes du canton de Beeringen ne soient plus accablés de logements militaires pendant la période du camp. Depuis que les casernes de cavalerie ont été incendiées, une grande partie de la cavalerie qui se trouve au camp est répartie dans les communes environnantes, ce qui constitue une charge très lourde pour ces communes. Comme cet objet concerne le département de la guerre, je demanderai que la pétition soit renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du budget de ce département.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs propriétaires de la commune de Hamèche présentent des observations contre le projet de loi sur les céréales. »
« Mêmes observations des habitants d’Enines et de Moxhe, de St.Léliger, des propriétaires et cultivateurs du canton de Jodoigne, de celui de Looz, de la commune de Hannut et de plusieurs autres communes des provinces de Liége et de Limbourg. »
M. Desmet. - J’ai examiné ces pétitions avant la séance, et j’ai vu qu’il en est une qui renferme des raisonnements et des calculs très intéressants. Je demanderai qu’elle soit insérée au Moniteur.
M. le président. - Un grand nombre de pétitions de cette nature ont été renvoyées à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi qu’elles concernent, il s’agit de savoir s’il y a des motifs pour s’écarter de ce précédent.
M. Desmet. - Je n’insisterai pas.
- La pétition est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur les céréales.
« Le sieur Jamar, chef d’institution à Anderlecht, demande la place de bibliothécaire de la chambre.
« Même demande des sieurs Janssens, sous-chef de bureau au ministère des affaires étrangères, et Gustave Oppelt, employé au ministère des finances. »
- Ces pétitions sont renvoyées au bureau de la chambre qui dressera une liste de tous les candidats.
« Plusieurs exploitants d’ardoisières de Vielsalm demandent une majoration de droits d’entrée sur les ardoises étrangères. »
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, cette pétition concerne une des industries les plus importantes de la province de Luxembourg. Je demanderai qu’elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec invitation de nous faire un très prompt rapport. Je suis certain qu’elle appuiera la demande des pétitionnaires.
M. le président. - Je dois faire remarquer que les demandes d’augmentation ou de diminution de droits d’entrée et sortie sont toujours renvoyées à la commission d industrie.
M. d’Hoffschmidt. - Alors je demanderai que cette commission soit invitée à faire un prompt rapport.
M. David. - J’appuie, messieurs, la proposition de l’honorable M. d’Hoffschmidt. Je puis affirmer ce que dit la pétition, que les ardoisières de ce pays-là sont véritablement dans la détresse. C’est littéralement vrai ; on peut se servir de cette expression. Les ardoisières dont il s’agit n’ont pas même de routes ; les communications sont d’une difficulté extrême. Les frais de transport constituent la plus grande partie du prix des ardoises.
On dira peut-être que, tous les jours, nous nous livrons à de nouveaux actes d’hostilité contre les produits étrangers…
M. le président. - Je dois faire observer à l’orateur qu’en ce moment il s’agit uniquement du renvoi de la pétition ; si vous voulez parler de l’objet même de la pétition, vous pourrez le faire lorsque la commission aura fait son rapport.
M. David. - J’aurais voulu donner connaissance à la chambre d’un fait qui la disposerait peut-être à accueillir favorablement la demande.
M. le président. - Vous faites partie de la commission d’industrie ; vous avez donc l’occasion de lui présenter vos observations. Vous pourrez d’ailleurs reproduire ces observations lorsque la chambre sera appelée à se prononcer sur les conclusions du rapport.
- Le renvoi de la pétition à la commission d’industrie, avec demande d’un prompt rapport, est mis aux voix et adopté.
« Des fabricants de vinaigre artificiel demandent la décharge du droit d’accise sur le genièvre employé dans leur fabrication. »
M. Delfosse. - Messieurs, les fabricants de vinaigre artificiel ont déjà adressé un grand nombre de pétitions à la chambre. Elle a renvoyé ces pétitions à M. le ministre des finances, qui a promis d’examiner la réclamation et d’y faire droit, s’il y a lieu. Je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur la requête dont on vient de présenter l’analyse ; il est temps qu’on en finisse.
M. Rodenbach - Déjà une douzaine de pétitions de fabricants de vinaigre artificiel ont été renvoyées, avec demande d’un prompt rapport, tant à la commission des pétitions, qu’à la commission d’industrie ; je crois que, sous le ministère précédent, la question a été mûrement examinée et qu’il a été décidé qu’un projet de loi serait formulé. Si je suis bien informé, le ministre actuel se propose de présenter ce projet. Je pense donc qu’il devient tout à fait inutile de demander de nouveaux rapports, car, je le répète, il en a déjà été fait 12 ou 13, et je me borne à recommander cet objet à toute l’attention du gouvernement. Déjà une douzaine de familles ont été ruinées par suite de la législation qui concerne les vinaigres artificiels. C’est ainsi que nous voyons tomber tour a tour une foule d’industries, tantôt c’est l’une, tantôt c’est l’autre. En attendant, il nous arrive des pétitions de toutes parts, mais malheureusement on n’a pas égard à ces pétitions. J’engage le gouvernement à s’occuper avec plus de soin qu’il ne l’a fait jusqu’à présent des réclamations de l’industrie.
- La requête est renvoyée à la commission des pétitions.
Par dépêche en date du 10 janvier, M. le ministre de l’intérieur transmet à la chambre 100 exemplaires d’une brochure contenant, entre autres, le compte rendu de la distribution des prix aux lauréats du concours universitaire et du concours de l’enseignement moyen de 1843, ainsi que l’arrêté qui règle les conditions du concours des athénées et collèges pour 1844.
- Dépôt à la bibliothèque et distribution à MM. les membres de la chambre,
« Il est fait hommage à la chambre par la commission administrative du Musée de l’industrie de 2 exemplaires ou bulletin dont la publication a lieu sous sa surveillance. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Mast de Vries informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance.
- Pris pour information.
M. de Roo, rapporteur. - Messieurs, par pétition du 11 décembre 1843, les pétitionnaires exposent, et avec raison, qu’il est désormais impossible de concourir avec les éleveurs hollandais sur le marche de Lille, qui est le principal débouché pour la Belgique, et où ils menaient annuellement de 5 à 600 vaches ; que l’arrêté susdit n’a d’autre avantage que d’être utile à la ville d’Anvers, et de rapporter au chemin de fer ; mais que cette utilité et les frais de transport sont payés par eux ; que c’est une prime allouée de fait, pour l’exportation des bestiaux de la Hollande. Car les bestiaux, qui se rendaient primitivement de la Hollande vers Lille par Dunkerque, coûtaient 35 francs par tête, rendus à Lille, abstraction des droits de douanes et de ville, communs aux deux parties. Or, le transport par le chemin de fer ne coûte que 10 francs, il reste donc un bénéfice pour les Hollandais éleveurs de vaches de 5 francs par tête ; c’est cette somme que l’éleveur belge est obligée de perdre par l’effet de la concurrence sur le marché français. En d’autres termes, nous remboursons aux Hollandais les 10 francs qu’ils ont payés pour leur passage par la Belgique et nous leur payons 15 francs de prime pour venir nous faire concurrence.
Ceci, messieurs, se trouve corroboré par les renseignements statistiques, fournis par M. le ministre des finances, d’après lesquels il conste, que depuis le 3 septembre 1843, date du prédit arrêté, jusqu’à ce jour, le transit du bétail, d’Anvers par le chemin de fer, a été de 6 bœufs, 411 vaches, 7 veaux, 18 moutons.
Donc pour ces trois mois et demi plus de deux tiers que fournissaient les pétitionnaires, pendant l’espace d’une année il est donc hors de doute, et prouvé à l’évidence, que le susdit arrêté doit causer un préjudice considérable au commerce de bétail de la Belgique.
La commission vous propose le renvoi de cette pétition et autres semblables à M. le ministre des finances, avec demande d’explications.
M. Malou. - Je demanderai que la discussion de ce rapport soit fixée immédiatement après le vote du budget de la justice. D’ici là, les membres de la chambre pourront prendre connaissance du rapport et de la pétition qui seront insérés au Moniteur comme faisant partie du compte-rendu de la séance.
M. Vilain XIIII. - Il est possible que le budget de la justice soit voté dans une heure. Dans ce cas, on ne pourrait pas examiner le rapport, qui ne se trouvera qu’au il de demain,.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Alors la discussion aurait lieu à l’ouverture de la séance de demain.
M. Delehaye. - Il est impossible que nous puissions examiner les pièces avant l’ouverture de la séance de demain, car le Moniteur ne se distribue qu’à onze heures ou midi. Je pense qu’il vaudrait mieux fixer définitivement la discussion à lundi. D’ici là chacun de nous pourrait se former une opinion sur la question.
M. Cogels. - Je ne pense pas qu’il y ait ici des pièces à examiner, car il n’y a pas des pièces à imprimer, si ce n’est pas le rapport, qui est très court, et la pétition. Voilà les deux seules pièces qui seront insérées au Moniteur. Je pense qu’il sera très facile d’en prendre connaissance avant l’ouverture de la séance de demain.
D’ailleurs, messieurs, la commission propose simplement le renvoi à M. le ministre avec demande d’explications ; la chambre ne pourra donc, en aucun cas, prendre une résolution définitive. Il me semble dès lors qu’il n’y a aucun motif de ne pas fixer la discussion à l’ouverture de la séance de demain.
M. Delehaye. - Indépendamment des deux pièces dont on vient de parler, il y en a une troisième à examiner, c’est le rapport de M. le ministre des finances.
Lorsque j’ai soulevé, la première fois, cette question dans la discussion de l’adresse, j’ai été combattu par les honorables députés d’Anvers. En effet, Anvers attache une haute importance à cette question, mais elle n’est pas moins importante pour les Flandres. Je crois donc qu’on ne peut pas nous refuser le temps de prendre connaissance des pièces. Ce n’est pas pour moi que je fais cette demande, car j’ai étudié la question depuis longtemps, mais il faut bien que tout le monde puisse se former une opinion.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne m’oppose en aucune manière au renvoi avec demande d’explications, proposé par la commission ; mais je ferai remarquer que la pétition devrait également être renvoyée au département de l’intérieur, puisque l’arrêté que cette pétition concerne, a été pris par MM. les ministres de l’intérieur et des finances.
D’un autre côté, je pourrais dès à présent fournir des renseignements à la chambre mais il me paraît qu’il est plus opportun de les donner lors de la discussion du budget du ministère des finances.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous ne nous opposons pas aux conclusions du rapport.
M. Malou. - Je comprends fort bien que MM. les ministres ne s’opposent pas au renvoi de la pétition avec demande d’explications ; mais je demande à pouvoir préciser les points sur lesquels ces explications devront porter. C’est précisément pour pouvoir préciser ces points que j’ai demandé qu’il y eût un jour fixé pour la discussion. Puisque MM. les ministres ne s’opposent pas au renvoi de la pétition avec demande d’explications, il est préférable, dans l’intérêt de la discussion, que l’on s’en occupe immédiatement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Précisez-les.
M. Malou. - Je demanderai alors qu’on m’accorde la parole pour quelques minutes. Je serai aussi court que possible.
- La chambre consultée décide qu’elle discutera immédiatement les conclusions du rapport de la commission.
M. Malou. - Messieurs, il a déjà été plusieurs fois question de l’arrêté du 23 septembre 1843. Cet arrêté n’a été apprécié jusqu’à présent que sous le rapport du préjudice qu’il doit causer à une industrie nationale.
Il est une autre question qui n’est pas moins digne de la sollicitude de la chambre. Cette question consiste à savoir si l’arrêté du 23 septembre 1843 est légal. C’est un premier point sur lequel les explications qui ont été promises par MM. les ministres des finances et de l’intérieur doivent porter.
L’arrêté est base sur la loi du 28 mars 1843, qui proroge jusqu’au 31 décembre prochain la loi du 18 juin 1842, dont l’art. 1er est conçu en ces termes :
« Le gouvernement pourra apporter au régime d’importation et de transport des marchandises en transit direct et en transit en entrepôt, telles modifications qu’il jugera favorables au commerce et compatibles avec les intérêts du trésor et de l’industrie nationale. »
Ainsi, messieurs, la loi n’a pas donné au gouvernement le droit de prendre à l’égard du transit telles mesures que bon lui semble, elle n’a pas donné un blanc-seing au gouvernement, elle a limité expressément son action, en exigeant que les mesures que le gouvernement prendrait fussent, non pas séparément, mais cumulativement favorables au commerce et compatibles avec les intérêts du trésor et de l’industrie nationale. Cette preuve doit être fournie, pour qu’il soit démontré que l’arrêté du 23 septembre 1843 est une application légitime de la loi de 1842, qui a été prorogée par celle du 28 mars 1843.
J’arrive ainsi à la question de fait.
Cet arrêté est-il favorable au commerce, compatible avec les intérêts du trésor et de l’industrie nationale ?
Je pense qu’il me sera facile d’établir que la disposition n’est pas compatible avec les intérêts de l’industrie nationale, qu’elle est au contraire incompatible avec les intérêts d’une industrie très importante.
Et d’abord, l’on s’est fondé sur le peu de développement qu’a acquis le transit du bétail hollandais. Je fais à cet égard un raisonnement bien simple ; je dis : Ce transit restera, à l’avenir, insignifiant, comme il paraît l’avoir été jusqu’à présent ; ou il prendra un très grand développement. Si le transit reste insignifiant, je me demande en quoi le trésor est intéressé à ce que la mesure soit maintenue. Il y a en tout environ 500 têtes de bétail ; quel revenu cela a-t-il pu produire ? Cette goutte d’eau jetée dans l’Océan des chemins de fer peut-elle être mise en comparaison avec la lésion d’une industrie aussi importante que l’est celle de l’élève du bétail ?
Je suppose, au contraire, que le transit prenne un développement immense ; alors la lésion causée à cette industrie sera proportionnelle au développement que prendra le transit ; plus le transit sera considérable, plus on s’éloignera des conditions imposées par la loi à l’action du gouvernement.
Il est encore plusieurs autres points de fait qui doivent être éclaircis. L’on conçoit qu’une mesure de ce genre ne produise pas tous ses effets le jour même où elle est prise. Les habitudes, en matière de commerce, ou d’exportation, sont presque tout ; et elles se forment lentement. Je voudrais donc connaître, non pas le nombre absolu de têtes de bétail qui ont été transportées jusqu’à présent, mais la progression, en quelque sorte, de ce mouvement ; je voudrais voir s’il y a un développement constant.
Je désire connaître, en second lieu, si toutefois il est possible au gouvernement de fournir ce renseignement, quel était, avant cette mesure, le prix moyen sur les marchés du département du Nord ; et quelle variation il a subi depuis plusieurs mois. Il m’a été affirmé de très bonne source que la seule présence de ce nouvel élément de concurrence pour la vente, a opéré une réaction fâcheuse sur les prix.
Je désire connaître encore quel a été le mouvement de l’exportation vers la France, lorsque l’exportation du bétail hollandais se faisait seulement par eau, pour pouvoir le comparer à celui qui a eu lieu par le chemin de fer.
Il faut aussi qu’on constate quelle est la différence du prix entre le transport tel qu’il se faisait avant l’arrêté du 23 septembre 1843, et le transport qui est autorisé par cet arrêté.
Ce sont là, messieurs, les principaux points qui me reviennent en mémoire dans ce moment et sur lesquels j’appelle l’attention de MM. les ministres des finances et de l’intérieur.
Il est une considération morale que je ne puis pas m’abstenir de présenter encore.
Pour toute la zone de notre territoire qui, dans la Flandre occidentale, touche au territoire français, l’élève du bétail est l’industrie principale, dans l’arrondissement de Furnes, plus encore que dans celui d’Ypres. Ces populations se sont alarmées de la mesure qui a été prise par le gouvernement à la fin de l’année dernière. Je suppose un instant, et très gratuitement, que ce transit intéresse jusqu’à un certain point le port d’Anvers ; et je demande si un léger accroissement dans le mouvement de la navigation, que nécessite le transport du bétail, peut être mis en compensation avec les conséquences fâcheuses, avec le désaffectionnement que peut provoquer une mesure que les populations regardent, à bon droit, comme leur étant fort nuisible. Nous savons tous qu’en administration il ne faut pas seulement tenir compte des faits, mais qu’il faut encore quelquefois avoir égard à des préjugés ; si donc vous n’avez pas un intérêt grave, national, à maintenir cette mesure, en admettant, malgré les faits, qu’elle n’est pas immédiatement préjudiciable, il faut y renoncer, n’y eût-il même ici que des préjugés.
M. Cogels. - Messieurs, s’il s’agissait de prendre aujourd’hui une résolution sur l’arrêté qui est attaqué par les pétitionnaires, je m’étendrais sur le fond de la question. D’après les conclusions de la commission, je crois que cela est inutile. Je pense donc pouvoir me borner à relever quelques inexactitudes qui se trouvent dans la pétition.
On dit d’abord que l’arrêté n’a été favorable qu’à la ville d’Anvers. Eh bien, la ville d’Anvers n’a absolument rien à faire dans cet arrêté ; je crois même que le transit se fait sans qu’il entre une seule tête de bétail dans la ville d’Anvers. L’intérêt ne pourrait donc exister que pour la province. On a voulu mettre la province d’Anvers en hostilité avec les Flandres, et cependant, pour la question qui nous occupe, un même intérêt les lie, et je crois qu’après la province des Flandres, c’est la province d’Anvers où l’élève du bétail est le plus considérable.
M. Desmet. - Je demande la parole.
M. Cogels. - Dans les prairies des poldres de la province d’Anvers, on trouve une très grande quantité de bétail qui y est engraissé. Ce bétail est peut-être le plus beau du pays, et peut lutter quelquefois avec le bétail hollandais.
Vous voyez donc que si l’on a pris l’arrêté du 23 septembre 1843 spécialement dans l’intérêt du trésor, la mesure peu aussi avoir été prise dans l’intérêt du consommateur en général. En effet, il y a encore ici une question à examiner : il faudrait voir s’il est bien dans l’intérêt du pays de favoriser considérablement l’exportation du bétail ; si la viande n’est pas déjà trop chère, si par conséquent, en favorisant l’exportation du bétail, on ne nuit pas un intérêts du pays en rendant les moyens d’existence du peuple plus onéreux.
On parle de la grande influence que le transit dont il s’agit a exercée sur le prix du bétail dans les Flandres. Ceci me parait impossible, car ce n’est pas une aussi faible quantité de bétail proportionnellement à la consommation totale du pays, qui peut exercer une grande influence sur les prix.
Je crois donc que le gouvernement, tout en fournissant les renseignements demandés par l’honorable M. Malou, doit non seulement rechercher quelle a été la baisse dans les parties du pays dont on a parlé mais dans tout le pays, car il est possible que la baisse ait été générale ; il faut encore qu’il nous dise quelles sont les quantités de têtes de bétail consommées dans le pays, et quelles sont les quantités qu’on a transitées, et enfin quelles sont les quantités qui ont été exportées de cette manière, nous pourrons établir un calcul exact quant à l’influence que le transit peut avoir exercé sur le prix du bétail en général.
M. Desmet. - Il résultera des renseignements que prendront MM. les ministres de l’intérieur et des finances, que la mesure dont il s’agit froisse un triple intérêt. Comment se fait le commerce dans notre pays ? Il se compose de trois éléments : l’un de ces éléments est le bétail hollandais qui entre en France. Ce dernier bétail se vendait primitivement sur le marché de Malines. A présent ce marché est diminué parce que le transit de ce bétail pour la France se fait directement de Hollande vers Lille.
Nous courons risque de perdre le commerce de bétail engraissé. La Hollande pouvant faire arriver son bétail presque sans droit sur le marché de Lille, nous y fera concurrence. Si on veut s’enquérir du préjudice que le Furnembach et tout le paye a éprouvé quant à l’exportation du bétail depuis que le transit du bétail hollandais est autorise, on verra que ce préjudice est très grand.
M. Delehaye. - Si les pétitionnaires se plaignent de ce que l’arrêté du 23 septembre 1843 a été pris dans l’intérêt de la province d’Anvers, c’est parce qu’ils ont vu que le transit de bétail ne pouvait avoir lieu que par cette voie. Je dirai avec l’honorable M. Cogels, que la province d’Anvers est autant intéressée que les Flandres au retrait de l’arrêté dont il s’agit.
L’honorable membre vient de dire que la question à examiner est celle de savoir s’il n’est pas dans l’intérêt de l’industrie que la viande soit à bon marché. C’est sous ce rapport que j’examinerai la question, et je prouverai que l’intérêt de l’industrie belge n’exige pas qu’on autorise le transit du bétail hollandais. En effet, au moyen de ce transit, le bétail hollandais peut être livré à la consommation française à beaucoup plus bas prix que s’il était transporté par mer. Quand il est transporté par mer, il perd une grande partie de ses qualités ; ensuite le transport de Dunkerque à Lille entraîne des frais considérables. Le transit est favorable à notre rivale en industrie, à l’industrie française. Or, en permettant le transit du bétail hollandais, vous fournissez à l’industrie française un élément de bon marché qu’elle n’avait pas.
Il est un autre point sur lequel je dois appeler l’attention de la chambre. Pour moi, il m’importe peu de savoir si le prix de la viande a baissé ou non depuis qu’on a autorisé le transit du bétail hollandais. Ce transit est une faveur que vous accordez à la Hollande pour des objets de son industrie. Sommes-nous en position d’accorder des avantages à la Hollande qui ne nous en accorde pas pour le moment. La Hollande avait besoin de ce transit, c’était un moyen d’en obtenir en échange d’autres faveurs ; vous auriez pu obtenir des concessions. Je suis persuadé que si le gouvernement avait bien mené cette affaire, il en aurait retiré de grands avantages.
Comme l’a dit l’honorable M. Castiau, la Hollande est un des pays avec lesquels nous pouvons traiter le plus avantageusement, on ne doit donc pas être si facile à lui accorder des avantages sans demander des compensations. Quand cette question sera mise à l’ordre du jour, je ferai voir que l’arrêté dont on se plaint est contraire à l’industrie du pays et aux dispositions de la loi.
M. Rodenbach. - Déjà on a longuement discuté sur cette question, déjà dans d’autres séances on s’en est occupé ; aussi me bornerai-je à ajouter quelques mots à ce qui a été dit.
L’essentiel pour nous est de savoir si nos exportations sur le marché de Lille diminuent. Si nous y envoyons moins de bétail depuis que le transit du bétail hollandais est permis.
M. le ministre des finances, quand on discutera son budget, pourra nous dire si l’exportation du bétail, notamment de la Flandre occidentale, de Furnembach et de l’arrondissement d’Ypres, a diminué, car chaque semaine ces localités envoient du bétail sur le marché de Lille. Toute la question est là. Je désire savoir aussi si depuis que le transit du bétail hollandais est autorisé, le marché de Courtray, qui est un marché hebdomadaire où l’on achète du bétail pour le diriger sur Lille, si ce marché a diminué d’importance. Si ce marché a diminue d’importance, si nos exportations ont été moindres, malgré tout ce qu’on pourra dire, que 5 à 600 bêtes seulement sont entrées dans le département du Nord, je soutiendrais que la mesure qu’on a prise nous est nuisible. Je ne conçois pas qu’on puisse protéger une industrie étrangère au détriment du commerce indigène. Les arrondissements de Furnes et d’Ypres sont lésés dans leurs intérêts, et cela désaffectionne les populations.
- La chambre consultée renvoie les pétitions à M. le ministre de l’intérieur, avec demande d’explications.
« Art. 2. Subsides à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et à des hospices d’aliénés : fr. 120,000 fr. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Lors de la discussion générale du budget de mon département, on a agité différentes questions relatives au traitement des aliénés ; je ne pensais pas qu’on serait revenu sur cet objet qui me paraissait en quelque sorte épuisé. Néanmoins, puisque l’honorable M. Castiau a cru devoir revenir sur cet objet, force m’est de le suivre de nouveau sur le terrain où il s’est placé.
Je lui dirai d’abord que j’éprouve tout autant de sympathie que lui pour les infortunés dont il prend vivement à cœur les intérêts. Je désire aussi vivement que l’honorable membre voir améliorer le sort des aliénés. Toute la différence entre lui et moi, c’est que je veux avoir recours à des moyens pratiques, à des moyens réalisables, de manière à atteindre d’une manière plus sûre et plus prompte le but que nous nous proposons l’un et l’autre.
L’honorable membre se borne à nous parler de système, de théorie qu’il expose, je dois le dire, avec beaucoup d’éloquence. Mais il est difficile, pour ne pas dire impossible, dans l’état actuel des choses, en présence des dispositions législatives qui nous régissent, de pouvoir réaliser promptement le système dont il a parlé.
La question du traitement des aliénés est une question très vaste, c’est une question qui mérite d’être l’objet de sérieuses méditations ; une question qui ne peut être assez approfondie L’honorable membre voudra bien reconnaître qu’il m’eût été bien difficile, depuis que je suis au ministère, alors que je suis chargé d’autres branches également importantes, que j’ai dû également étudier, qu’il m’eût été bien difficile, dis-je, d’approfondir la question du traitement des aliénés, de manière à pouvoir saisir la chambre d’une proposition définitive. Cette question, je l’étudie, et j’espère, pour l’année prochaine, pouvoir présenter un projet à la chambre qui soit de nature à satisfaire à toutes les exigences.
Je dois dire quelques mots du projet de la commission dont a parlé l’honorable M. Castiau. J’examinerai sommairement ce projet et je ferai quelques observations sur les inconvénients qu’il me paraît présenter. Mais avant de passer à cet examen, je dois rassurer l’honorable membre sur les craintes qu’il a manifestées, relativement à l’arbitraire dont serait entourée la séquestration des aliénés. Comme j’ai eu l’honneur de le dire, les aliénés sont séquestrés, soit en vertu de déclarations du conseil de famille, s’il y a eu interdiction, soit en vertu d’un ordre émané du bourgmestre de la commune, quand il n’y a pas d’interdiction prononcée.
L’article 95 de la loi communale prescrit cette marche, et cette marche est suivie. Cet article ne se borne pas à donner au bourgmestre le droit de faire séquestrer l’aliéné, elle l’oblige à en donner connaissance au procureur du Roi et au juge de paix. Le procureur du Roi ou le juge de paix se rend dans la maison où l’aliéné est séquestré, et s’assure soit par lui-même, soit par des hommes de l’art, de l’état mental de la personne dont on demande l’incarcération. Ensuite il fait, à diverses époques, des visites dans les maisons d’aliénés et s’assure s’il n’y a pas d’arrestation ou de séquestration illégale, ou arbitrairement et illégalement prolongée.
Maintenant, je vais examiner aussi brièvement que possible le projet de la commission dont a parlé l’honorable M. Castiau, car les idées qu’il a émises hier, le système qu’il a mis en avant, ce système se trouve formulé dans le projet de la commission, instituée près du département de la justice ; de manière qu’en examinant le projet, en montrant les inconvénients qu’il présente, je répondrai à ce qu’a dit l’honorable membre.
Messieurs, tout en rendant hommage au zèle et au talent des membres composant la commission qui a fait ce travail, tout en ayant pleine confiance dans leurs lumières et leur expérience, il doit cependant m’être permis d’émettre quelques doutes sur les moyens que ces messieurs proposent pour arriver au but que nous devons tous désirer d’atteindre, l’amélioration du sort des aliénés.
J’examinerai d’abord si ce projet ne présente pas des inconvénients assez sérieux, non pour le faire rejeter, mais pour en faire un examen ultérieur, afin d’obtenir d’autres lumières que celles qui jaillissent déjà du rapport de la commission. Et dans la supposition qu’aucun inconvénient n’existe, j’examinerai ensuite si ce projet est maintenant réalisable, et si c’est à l’aide de ce projet qu’on peut le plus promptement parvenir à améliorer le sort des aliénés.
Messieurs, le projet de la commission consacre une innovation et une innovation importante qui me semble de nature à amener de graves inconvénients.
Cette innovation consiste à diviser les aliénés en curables et incurables. Le nombre des aliénés, en Belgique est, terme moyen, de 5000. Pour éviter la création d’hospices destines à les recevoir tous, création que la commission elle-même aurait sans doute reconnue être actuellement impossible, elle a proposé une division, et a classé ces infortunés en deux catégories, les curables et les incurables. D’après la commission, sur les 5,000 aliénés, il n’y en a que 1,700 qui sont considérés comme curables ; les 3,300 autres sont considérés par elles comme incurables. C’est uniquement à ces 1,700 privilégiés qu’elle réserve toutes ses sympathies.
Quant aux 3,300 autres, elle n’en tient guère compte ; elle les relègue dans les anciens locaux qu’elle condamne, si sévèrement ; déclarés incurables, ils ne seront plus l’objet des mêmes soins ; cette déclaration semble même écarter l’emploi de moyens efficaces pour tâcher de les guérir. Voilà où me semble conduire la division proposée par la commission. Cette conséquence me paraît de nature à faire repousser ce système ; il est peu conforme aux principes d’humanité et présenterait le danger de l’exécution la plus arbitraire. Je demanderai d’abord, où sera la limite qui séparera les deux catégories ? Quel sera le juge qui décidera sans appel que tel individu est incurable, où sera la preuve de la bonté de la décision rendue ? Comment ! un individu arrivera dans un hospice d’aliénés ; après qu’il aura subi quelque temps un traitement, le médecin pourra le déclarer incurable, et cette déclaration que connaîtra sa famille, aura pour résultat de lui faire retirer les soins dont il était l’objet, et de le faire placer dans un établissement où, d’après sa propre distinction, les moyens curatifs ne seront plus employés.
Un tel système me paraît difficilement pouvoir être admis, je le répète, tous les principes d’humanité le repoussent.
Les aliénés, quelle que soit leur position, ont les mêmes titres à notre sollicitude. Que cette sollicitude ne les abandonne pas, sur une simple déclaration qu’il n’y a plus pour eux d’espoir de guérison. La science est-elle infaillible ? peut-elle même dire avec certitude : tel individu est incurable. La maladie peut avoir résisté à tout traitement pendant quelques mois ; mais ne pourra-t-on pas finir par la vaincre ? Des efforts infructueux doivent-ils faire renoncer à tout espoir ?
Ces premières observations sont déjà de nature à faire réfléchir sérieusement ; quant à moi, j’ai peine à croire qu’il convienne d’admettre la classification proposée ; cette innovation ne me paraît pas heureuse ; et en vue d’obtenir les moyens de traiter mieux une certaine catégorie d’aliénés, de pouvoir leur bâtir de vastes hospices, je ne pense pas qu’il faille renoncer, en quelque sorte, à s’occuper de l’autre catégorie de ces malheureux.
Le système de la commission présente encore d’autres inconvénients.
La commission manifeste l’intention de supprimer tous les établissements existants, puisqu’elle soumet le maintien de ces établissements à l’existence de conditions qu’elle déclare positivement (page 20, chapitre VI) ne se rencontrer dans aucun de ceux qu’elle a visités.
Maintenant les individus frappés d’aliénation mentale devront-ils forcément être placés dans les hôpitaux créés par le gouvernement ? Comme je l’ai dit dans une précédente séance, cela me paraît absolument impossible. Des particuliers ou des communes devront-ils, de par la loi, envoyer les aliénés dont ils sont chargés dans les hospices à ce destinés ? Comment ! ne sera-t-il plus permis à un parent, qui le désire, de soigner son parent aliéné, de l’entourer de ses soins et de son affection ? Sera-t-il permis d’arracher cet aliéné à sa famille, et pour l’envoyer dans un hospice ? Comment ! on forcera les administrations communales à faire transporter tous leurs aliénés dans les hospices du gouvernement ; on ne leur permettra plus de les laisser dans leur famille recevoir les soins de leurs parents ? Mais qu’on y réfléchisse, si le traitement à domicile est interdit, les charges des communes augmenteront dans une grande proportion, car l’ouvrier jouissant d’une modeste aisance peut bien être en état de garder son parent chez lui ; mais s’il doit l’envoyer à l’hospice, il ne pourra pas supporter les frais de son entretien. Cet entretien retombera donc aux frais de la commune, qui verra ainsi, je le répète, ses charges considérablement augmentées. Imposer ces nouvelles obligations paraît donc impossible, et ne pas les imposer laissera probablement les nouveaux hospices à peu près déserts.
D’après le projet de la commission, un plan général et uniforme est adopté ; il y aura 4 hospices pour tout le pays ; ces hospices devront contenir chacun de 3 à 400 personnes. Cette réunion nombreuse d’aliénés dans un même local pourra avoir les conséquences les plus graves et les plus désastreuses pour les aliénés eux-mêmes. Les médecins paraissent en général d’accord, qu’une telle agglomération de personnes atteintes de maladies mentales, est nuisible au traitement de ces maladies. Les affections mentales dépendent de mille causes et exigent pour la plupart des traitements différents. Un malade doit être traité dans sa famille, doit jouir du bonheur de voir ses parents, ses amis ; à un autre, il faut au contraire éviter les émotions ; tel aliéné doit être séquestré, tel autre doit être laisse en liberté, et sans égard pour ces différences, on voudrait n’en faire aucune à l’égard de tous ces infortunes, on voudrait les renfermer tous dans des hospices, les isoler de leurs parents, de leur famille, de leurs amis.
Je doute que ce moyen soit bien convenable ; je doute que cette création de vastes hospices soit de nature à avoir les résultats favorables qu’en espère l’honorable M. Castiau.
Messieurs, si les établissements actuels cessaient d’exister, je craindrais également pour l’existence de la colonie de Gheel, et la destruction de cette colonie serait une véritable calamité pour cette classe infortunée dont l’honorable M. Castiau plaide si chaleureusement les intérêts. Cet établissement est mieux apprécié à l’étranger, que dans notre pays même.
A Gheel, comme vous le savez tous, les aliénés jouissent, lorsqu’ils ne sont pas furieux, d’une entière liberté. Ces aliénés sont recueillis par des paysans de la commune qui les traitent, les soignent, leur donnent quoique ouvrage et vivent en commun avec eux. Ce régime a des résultats favorables. Il y a à Gheel des guérisons assez nombreuses ; certes, le régime de Gheel est susceptible d’être amélioré. Déjà, il l’a été considérablement depuis 1839 ; je m’occupe d’y apporter encore de nouvelles améliorations. J’espère y parvenir ; mais toujours est-il que cette colonie présente déjà maintenant de grands avantages, et que je regarderais sa suppression comme un véritable malheur.
A l’appui de ce que je viens de dire de l’établissement de Gheel, permettez-moi de vous lire quelques passages d’une lettre extrêmement intéressante, écrite par un médecin de l’hospice de Bicêtre, M. Moreau, qui a visité Gheel. Je peux, je pense, invoquer avec plein confiance l’opinion que ce docteur exprime sur cette colonie ; voici cette opinion :
« Est-il vrai ainsi que cela m’a été dit à Gheel, que le gouvernement belge songe à supprimer la colonie, et que les malades seraient transférés dans un vaste hospice dont on projette la construction ? La Belgique possède déjà plusieurs asiles dont quelques-uns sont dirigés par des médecins d’une haute distinction.
« Je suis loin, assurément, de contester l’utilité de pareils établissements. Ancien élève de la maison royale des aliènes de Charenton, médecin de Bicêtre, l’un des hospices les plus remarquables et les mieux administrés de l’Europe, je suis à même, autant que qui que ce soit, d’apprécier tous les avantages que présentent les asiles consacrés au traitement des aliénés ; mais cela ne doit altérer en rien l’indépendance de mes opinions, ni m’empêcher de voir et louer le bien partout où il se trouve, sous quelque forme qu’il se présente.
« C’est avec un vif regret que j’apprendrais que la colonie de Gheel a cessé d’exister ; non pas que je m’imagine que tout y soit pour le mieux, que toutes les exigences relatives à l’habitation, au traitement des malades, y soient satisfaites. Mais s’il s’y trouve des imperfections, des vices, il faut améliorer et non détruire. »
Le même docteur ajoute plus loin :
« Avant de clore ces détails sur la colonie d’aliénés de Gheel, il resterait à examiner une question d’un bien grand intérêt. Serait-il possible de créer en France un ou plusieurs établissements de ce genre ? Je n’ai point à revenir sur leur utilité médicale ; elle ressort de tout ce que nous avons dit précédemment sur Gheel, et il est évident que le système de colonisation réalise, et au-delà, les idées théoriques les plus hardies émises par les hommes célèbres dont le nom fait autorité en thérapeutique mentale. Sous le point de vue économique, les avantages de la colonisation ne sont pas moins incontestables. Ici, point de frais onéreux d’achats de terrain, de construction, d’administration d’employés de toute sorte, etc., etc. »
Il examine alors la question de savoir si l’on pourrait établir en France quelque chose d’analogue à la colonie de Gheel, dont il préconise l’établissement et les avantages.
Je pense, messieurs, que ces considérations dans lesquelles j’ai cru devoir entrer, et qui, je le répète, n’emportent pas un blâme et un rejet du projet de la commission, mais qui font simplement voir les inconvénients qui peuvent en résulter et qui m’engagent à méditer ultérieurement cette matière ; je pense, dis-je, que ces considérations sont de nature à établir que l’on ne peut sur cette matière rien proposer à la légère, et qu’il y a lieu de s’occuper sérieusement d’un objet aussi important avant d’en saisir définitivement la législature.
Mais, messieurs, les inconvénients que j’ai cru remarquer n’existeraient pas, ce projet serait aussi bon que, sous quelques rapports, il me paraît être défectueux, serait-il possible et pourrais-je maintenant, avec quelque espoir de succès, le proposer à la chambre ? Serait-il, en d’autres termes, possible de réaliser le vœu de la commission ? Formuler un système, sans se préoccuper des moyens d’exécution, est chose facile sans doute ; mais un ministre doit examiner si, en pratique, et non pas en théorie, il y a moyen d’arriver à un résultat.
J’ai dit que la dépense qui serait occasionnée par les hospices à créer se monterait à 4 millions. L’honorable M. Castiau m’a dit que je n’avais mis ce chiffre en avant que pour effrayer la chambre et que ce n’était pas 4 millions que ces hospices devraient coûter, mais seulement 2,700,000 fr.
Messieurs, je m’étais appuyé sur ce qu’avait avancé la députation d’un conseil provincial ; j’avais et j’ai encore pleine confiance dans ce que cette députation avait dit, et j’ai été étonné de voir l’honorable M. Castiau révoquer en doute l’exactitude de son rapport.
Mais quoi qu’en dise l’honorable M. Castiau, il me sera facile, sans même avoir recours à ce qu’a dit cette députation permanente, d’établir que les quatre hospices devraient coûter au moins quatre millions.
Il existe, messieurs, dans le rapport de la commission un plan. Ce plan devrait en effet, d’après le devis de l’architecte, ne coûter que 2,700,000 fr. Mais l’honorable M. Castiau voudra bien remarquer qu’il ne s’agit uniquement dans cette évaluation que de la bâtisse, et en aucune façon de l’appropriation des bâtiments à l’usage auquel on les destine, de l’acquisition du mobilier et des frais de premier établissement, De manière qu’il est évident qu’en admettant que ce devis soit exact, et ne soit pas dépassé, il faudrait en outre une somme extrêmement considérable et pour l’appropriation et pour l’ameublement.
Mais il y a plus : dans le rapport même de la commission, se trouve à côté de l’opinion de l’architecte qui a fait le devis, l’opinion de M. le docteur Pinel, qui s’est beaucoup occupé de cette matière, et qui évalue la dépense nécessaire pour la construction d’un hospice à 3000 fr. par individu, Or, il résulterait des évaluations de ce docteur, que ce ne serait pas 4 millions, mais 4,200,000 fr. que devrait coûter les quatre hospices, sans compter les frais d’appropriation et d’ameublement.
Il me semble donc qu’en présence de ces renseignements que j’avais puisés dans le rapport de la commission, et qui se trouvaient corroborés par l’opinion d’un corps administratif respectable, j’ai pu avancer, sans l’avoir fait pour effrayer la chambre, que la dépense totale s’élèverait à au moins 4 millions.
Et je vous prie de remarquer que lorsque je parle de ces 4 millions, c’est uniquement pour venir en aide à 1400 malheureux insensés, et qu’il en resterait environ 4000 pour lesquels on ne ferait plus rien. Car si la commission parle d’améliorer les bâtiments pour les insensés incurables, il est évident qu’en présence des sommes employées pour la construction des nouveaux hospices et de leur entretien, on se trouvera dans l’impossibilité de rien faire pour les autres établissements.
Messieurs, ce n’est pas tout, jusqu’ici je n’ai parlé que des frais de construction ; et je ne pense pas les avoir évalués trop haut en les fixant à une somme de 4 millions ; mais il faudra d’abord s’occuper de l’achat du terrain ; et notez, je vous prie, que, d’après le projet de la commission, il ne faut pas moins de dix hectares de terrain par hospice. Certes cela augmenterait encore singulièrement la dépense.
Vous voyez donc quelles sommes exigeraient ces constructions, et je ne pense pas qu’il soit possible maintenant de les obtenir de la chambre.
On a bien senti, du reste, de combien de difficultés était entourée la réunion des fonds nécessaires à la construction de ces hospices, et qu’a-t-on fait pour y parvenir ? On a proposé de faite un emprunt qui serait hypothéqué sur les bâtiments des hospices. C’est l’idée mise en avant dans le projet de la commission, et qu’a défendue également hier l’honorable M. Castiau.
Mais, messieurs, pour pouvoir acquitter cet emprunt, que propose-t-on ? On propose d’élever le taux des journées d’entretien, de manière à pouvoir non seulement satisfaire aux besoins des hospices mais encore à avoir un fonds d’amortissement à l’aide des sommes provenant du paiement des journées d’entretien. Mais ce serait élever ces journées d’une manière telle, que véritablement les communes, qui ont déjà de lourdes charges à supporter, ne pourraient y faire face.
Messieurs, ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, établit, me paraît-il, que le projet de la commission est entouré de difficultés bien réelles, qu’il modifierait singulièrement les obligations des communes, qu’il porterait en quelque sorte atteinte aux sentiments de famille, et qu’il consacrerait un arbitraire que l’honorable M. Castiau lui-même, sans doute, sera le premier à repousser.
Est-ce à dire, messieurs, qu’il n’y ait rien à faire ? Est-ce à dire qu’il n’y ait pas de mesure à prendre et qu’il faille toujours suivre servilement la voie qu’on a suivie jusqu’à présent ? Est-ce à dire qu’il n’y ait pas d’améliorations à désirer et qu’il n’y ait possibilité d’en réaliser aucune ? A Dieu ne plaise que je tienne ce langage. Certes, je reconnais, et j’ai reconnu déjà, lors de la première discussion, qu’il y avait quelque chose à faire, et je me suis engagé formellement à étudier la question de manière à présenter à la chambre des mesures acceptables. Je renouvelle ici le même engagement.
Mais jusque-là que faudra-t-il faire ? Il faudra, paraît-il, ne pas s’écarter de ce qui a été fait jusqu’ici. Il faudra donner des subsides aux établissements qui en demanderont ; il faudra donner des subsides, comme nous l’avons fait à Gheel, en mettant des conditions à l’obtention des subsides, et en parvenant ainsi à améliorer les établissements. C’est ainsi que récemment encore un subside a été accordé à une commune de la Flandre orientale, la commune de Baesel. dans laquelle, grâce au généreux et philanthropique concours du bourgmestre, on vient d’établir un nouveau local pour le traitement des aliénés. Nous avons donné, pour aider à cette œuvre, un subside, et nous avons prescrit des conditions d’après les indications que le docteur Gilain, de Gand, a bien voulu nous fournir.
Je pense de cette manière pouvoir améliorer insensiblement le sort des aliénés. En agissant ainsi, je ne ferai pas une œuvre brillante, mais je ferai une œuvre utile et durable et c’est, messieurs, principalement par des actes durables et utiles que je désire pouvoir signaler ma présence au ministère.
M. Castiau. - Messieurs, avant de m’occuper des explications qui viennent d’être fournies par M. le ministre de la justice, j’aurai une réponse à adresser à l’honorable orateur qui a parlé l’un des derniers dans la séance d’hier, j’avais demandé hier la parole, dans l’espoir de pouvoir répondre immédiatement à son discours, il me tardait d’expliquer quelques-unes de mes paroles qui paraissaient avoir été mal comprises. J’aurais voulu pouvoir à l’instant même détruire la supposition, qu’il aurait pu y avoir quelque chose de peu bienveillant dans les observations que je lui avais adressées. S’il en avait été ainsi, si quelque chose dans mes paroles avait pu justifier le reproche, je me serais empressé de désavouer des expressions qui auraient trahi ma pensée. Je dois le dire, personne plus que moi n’éprouve de sympathie pour le caractère, pour le talent de cet honorable orateur, pour les services surtout qu’il a rendus à la cause du pays, à la cause de la révolution.
Je n’avais pas besoin non plus de la déclaration qu’il a faite pour avoir la certitude qu’il s’intéressait à toutes les causes nobles et généreuses, non seulement à la cause de l’art, mais encore à la cause de l’humanité qui, pour moi, était bien supérieure à la cause de l’art. Cependant, c’est avec bonheur, je dois le dire, que j’ai reçu l’assurance que nous pourrions compter sur son appui, que nous pourrions compter sur son concours pour la réalisation de quelques-unes des améliorations populaires dont il croirait la réalisation praticable. Cette assurance, je l’ai reçue avec bonheur, j’en ai pris acte, et l’occasion se présentera sans doute plus d’une fois d’y faire un loyal appel.
Mais cet honorable orateur me permettra de répondre à un autre reproche qu’il m’a adressé et que je crois également peu mérité, celui de m’être occupé dans cette discussion d’intérêts purement matériels, de m’être constitué en quelque sorte le représentant du matérialisme social, et d’avoir oublié en cette circonstance des intérêts plus élevés, les intérêts moraux de la société.
Je crois, messieurs, je le répète, ne pas avoir mérité ce reproche. De quoi s’agissait-il, en effet, dans cette discussion ? Il s’agissait de défendre la cause de la dignité humaine, de la raison humaine, de l’intelligence humaine, de l’infortune et de la misère. Ce sont là, ce me semble, des intérêts moraux, et des intérêts moraux de la nature la plus élevée et la plus respectable.
Mais tout en me passionnant peut-être pour ces intérêts de l’humanité, je n’ai pas cependant poussé le vandalisme jusqu’à énoncer des pensées hostiles pour l’art qui m’ont été prêtées par l’honorable orateur. Je ne suis que trop disposé, au contraire, à partager l’enthousiasme de l’honorable orateur pour les créations, les merveilles et les pompes des arts. En présence de ces palais et de ces monuments, j’oublie aussi parfois tout ce qu’ils ont coûté à élever ; j’oublie qu’ils ont coûté souvent non seulement des sacrifices pécuniaires, mais quelquefois bien des larmes aux classes populaires qui en ont fait les premiers frais. Je n’oublie que trop souvent, dis-je, ces froides et glaciales considérations pour n’être dominé, à mon tour, que par un sentiment d’admiration et d’enthousiasme.
Loin donc d’avoir émis, dans cette enceinte, des pensées d’hostilité pour l’art, je voudrais au contraire, je voudrais de tous mes efforts, populariser, vulgariser l’art ; je voudrais le faire descendre, si je puis m’exprimer ainsi, jusque dans les entrailles de la société ; ou plutôt je voudrais pouvoir élever toutes les classes de la société à ces jouissances artistiques qui sont aujourd’hui, il faut le reconnaître, le privilège du petit nombre, le monopole de quelques esprits d’élite. Aussi, messieurs, croyez-le bien, s’il s’était agi, dans cette circonstance de la conservation de ces monuments, que l’on m’a presque prêté la pensée sacrilège de menacer, eh bien, j’aurais été le premier à voter tous les crédits qui auraient été demandés dans l’intérêt de cette conservation. Mais d’après le peu de renseignements qui nous étaient fournis, il ne s’agissait pas d’une question de conservation ; il s’agissait de terminer des tours inachevées et de s’occuper de restaurations purement artistiques. Ici le besoin, il faut en convenir, c’était plus aussi impérieux et l’on pouvait, ce me semble, mettre un peu moins de précipitation dans les demandes d’allocations faites pour cet objet.
Du reste, je ne me suis pas même opposé au vote de ces allocations ; j’ai seulement fait remarquer la facilité avec laquelle, préoccupé, passionné par des considérations d’art, on votait tout ce qui était réclamé dans l’intérêt du luxe artistique et la difficulté, au contraire, avec laquelle on obtenait quelques sacrifices pécuniaires en faveur d’améliorations morales, réclamées par les souffrances de certaines classes de la société. Dois-je maintenant répondre à l’espèce de défi qui m’a été porté, de sortir enfin de la sphère des théories pour formuler dans cette circonstance une idée pratique et susceptible d’une réalisation immédiate. Mais toutes les observations que j’avais présentées avaient précisément pour but d’arriver à la réalisation immédiate de la réforme que j avais défendue.
Ce n’était pas en effet une idée théorique, une sorte d’utopie que je venais jeter dans cette enceinte, en demandant l’établissement d’hospices-modèles pour les aliénés. C’était une pensée pratique par excellence et tellement pratique que l’initiative en appartient au gouvernement lui-même ; c’est le gouvernement qui, le premier, avait signalé la nécessité de cette réforme ; c’est lui qui, le premier, avait institué une commission pour constater l’état déplorable des hospices d’aliénés, et indiquer les principales réformes à y introduire. Et même je pense que c’est au ministère dont faisait partie l’honorable M. Rogier que l’honneur de cette initiative appartient ; c’est ce ministère qui a en le mérite, j’oserais même dire la gloire, de sentir qu’il y avait un grand scandale social dans la situation actuelle des maisons d’aliénés. C’est ce ministère qui a senti le besoin de mettre un terme à ce scandale, et tous les amis de l’humanité lui sauront gré de cette généreuse initiative.
M. Van Volxem. - C’est une erreur, c’est moi.
M. Castiau. - Messieurs, la déclaration inattendue de l’honorable M. Van Volxem me surprend. Puisque j’ai commis une erreur je m’empresse de reporter sur M. Van Volxem les félicitations que j’adressais à son prédécesseur. Je suis enchanté qu’il y ait au moins un acte, un seul acte de son ministère dont nous puissions faire l’apologie.
Eh bien, messieurs, quel que soit le ministre qui a institué cette commission, elle n’en était pas moins composée des notabilités médicales et scientifiques du pays et de quelques-uns des membres les plus distingués de cette chambre. Cette commission s’est livrée à des études théoriques et pratiques de toute espèce ; elle a consulté l’expérience et l’exemple des autres pays.
C’est à la suite de cet examen consciencieux qu’elle a formulé des idées qui me paraissaient, à moi, immédiatement réalisables. C’est cette commission qui, pour faciliter même la tâche du ministère, avait terminé son travail par la rédaction d’un projet de loi, qui, s’il avait été présenté à la chambre, aurait reçu vraisemblablement sa sanction. Cependant, messieurs, c’est du banc ministériel que partent les premières attaques, et de vives attaques, contre cette commission et ses travaux. Eh bien, l’honorable M. Van Volxem, qui vient de revendiquer l’honneur de la création de cette commission, qui a adopté l’œuvre de cette commission, qui l’a jetée avec fracas dans le public, sous le patronage du gouvernement, l’honorable M. Van Volxem me viendra sans doute en aide pour défendre la commission et son travail contre les attaques assez peu réfléchies de son successeur. Et il lui sera facile sans doute de prouver que l’autorité de savants et de médecins sur des questions de science et de médecine vaut bien celle d’un ministre de la justice.
En attendant le secours que doit inévitablement me prêter, en cette circonstance, M. Van Volxem, je vais très rapidement répondre à quelques-unes des critiques les plus irréfléchies adressées à une commission qui, pour prix de son zèle, avait droit à une autre récompense qu’à des accusations et à des attaques.
On a reproché, avec une sorte d’amertume, à cette commission d’avoir réservé toute sa sollicitude pour les aliénés curables et d’avoir repoussé les autres avec une froide insensibilité. Je force peut-être les expressions dont s’est servi M. le ministre, mais je crois exprimer fidèlement sa pensée. Ce reproche est dur ; mais est-il fondé ? Non, car la commission, dans de nombreux passages de son travail, se préoccupe également de la nécessité d’améliorer le sort des aliénés incurables ; M. le ministre lui-même a été forcé d’en convenir. Je crois même, si mes souvenirs sont fidèles, je crois que l’établissement de Gheel, dont on vient de faire une si brillante apologie, devait, dans la pensée des membres de la commission, servir précisément à cette catégorie d’aliénés. La colonie de Gheel paraissait convenable pour réunir des aliénés qui n’offraient aucune chance de guérison.
S’il en est ainsi, que penser du reproche qui lui a été adressé, d’avoir négligé l’un des principaux devoirs de sa mission ?
Puisque nous en sommes à l’établissement de Gheel, il faut bien que je fasse justice du tableau par trop pompeux qu’on a tracé de cette colonie. En comparant les guérisons qu’on y obtient à celles obtenues dans des hospices habilement dirigés, on trouve qu’il est, à cet égard, dans un état d’infériorité intolérable.
Ainsi, le nombre des individus qui obtiennent à Gheel la guérison n’est guère que de 1 sur 10, tandis qu’à Gand, où existe la concentration tant blâmée par M. le ministre de la justice, les guérisons s’élèvent à 52 pour 100. Voilà, messieurs, la différence qui existe dans la position des aliénés, selon qu’ils sont ou non confiés aux soins de la science et de l’expérience.
Quant à la question économique dont M. le ministre a tant parlé, savez-vous, messieurs, ce qu’est la question économique à Gheel ? Eh bien, l’entretien d’un aliéné à Gheel coûte quelquefois 24 fr. par an. C’est là un fait cité également par la commission. Eh bien, messieurs, je vous le demande, est-il possible, avec une pareille somme, de fournir à ces malheureux, non pas les secours de l’art, mais seulement le pain nécessaire pour leur subsistance ? Serait-il étonnant d’apprendre que la faim a dû faire parfois parmi eux plus de ravages que la maladie dont ils sont atteints ? Dans l’état actuel des choses, quel contrôle existe pour empêcher de tels excès et d’aussi grands malheurs ?
Au lieu donc d’aller chercher dans les journaux et les revues de France, au lieu d’aller puiser dans les livres étrangers l’éloge de la colonie de Gheel, il serait à désirer que M. le ministre de la justice voulût bien faire examiner par ses agents ce qui se passe dans cette colonie et quels sont les moyens d’améliorer le régime des aliénés qui s’y trouvent.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - C’est ce qui se fait.
M. Castiau. - J’arrive maintenant, messieurs, à une erreur mais à l’erreur la plus matérielle commise par M. le ministre dans cette discussion. Pour trouver de nouvelles critique à adresser à la commission, qu’il aurait dû ménager, ne fût-ce que par égard pour M. Van Volxem, M. le ministre de la justice a prétendu que cette commission venait proposer la suppression de tous les établissements privés qui pouvaient exister dans les pays. Eh bien, messieurs, il n’y a rien de pareil dans les propositions de la commission. La commission, au contraire, maintient les établissements privés, seulement elle les soumet à certaines formalités, à certaines règles, à l’intervention du gouvernement, à des visites et à un régime sanitaire convenable. C’est, en effet, là le résultat des dispositions des art. 15, 16, 17, 18 et 19 du projet de loi formulé par la commission. Je ne sais donc où l’honorable ministre de la justice été prendre cette pensée, que la commission proposait la suppression des établissements privés, lorsque nous la voyons, au contraire, consacrer plusieurs chapitres de son travail à l’amélioration et aux garanties que doivent offrir ces établissements.
Quant à la question scientifique, messieurs, qui a été traitée avec une admirable assurance, devant vous, par M. le ministre de la justice, j’avouerai ma complète impuissance pour la traiter d’une manière complète et convenable. M. le ministre de la justice, après avoir fait la critique des principales dispositions du travail de la commission, a également fait la critique du système dont elle proposait l’adoption. Je ne répondrai pas à cette critique qui pourrait bien n’être pas plus fondée que les autres. Je le répète, je n’ai pas mission, en ce moment, pour soutenir un tel débat ; je ne suis pas initié, moi, à tous les secrets de la science et de la médecine. Je préfère m’en reposer, j’ai cru pouvoir m’en reposer, à cet égard, sur le témoignage et les déclarations des notabilités médicales, non seulement des notabilités médicales de la Belgique, mais des notabilités médicales de la France, de l’Angleterre et des principaux pays de l’Europe ; car c’est sur leur autorité réunie que s’est basée la commission pour prendre les conclusions qu’elle a adoptées. On sait, en effet, que s’il existe encore quelque divergence entre les hommes spéciaux sur quelques points de détail, il y a maintenant accord entre eux sur les règles fondamentales qui doivent présider au traitement des aliénés susceptibles de guérison.
Je n’en dirai pas davantage, sur cette dernière question, messieurs, nous pourrons la traiter d’une manière plus complète et plus approfondie, lorsque la promesse que M. le ministre vient de nous faire sera réalisée. M. le ministre de la justice a déclaré que dans le courant de la session prochaine, au plus tard, il nous présenterait un projet de loi tendant non seulement à améliorer le régime des aliénés, mais encore à écarter l’arbitraire qui préside aujourd’hui à leur séquestration. Je me contente donc de prendre acte, en terminant, de cet engagement de M. le ministre, et je ne pense pas qu’il sera nécessaire de le lui rappeler.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Ce ne sera pas nécessaire du tout.
M. Van Volxem. - Ainsi que j’ai eu l’honneur de le faire connaître tantôt, messieurs, c’est moi qui ai institué la commission dont émane le travail auquel on a fait allusion. Tout en rendant hommage au zèle et aux talents des membres de cette commission, je dois déclarer que j’ai éprouvé, à la lecture de son travail, la même impression qu’a éprouvée mon honorable successeur. C’est par ce motif que je n’ai pas fait à la législature une proposition dans le sens des conclusions de ce rapport. Je considère la chose comme inexécutable en elle-même ; et alors même quelle serait exécutable sous les autres rapports, je crois qu’il serait dans tous les cas impossible d’obtenir de la législature les sommes considérables que son exécution exigerait.
- L’art. 2 est adopté.
« Art. 3. Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 175,000. »
« Art. 1er. Frais d’entretien, d’habillement, de couchage et de nourriture des détenus, frais d’habillement et de couchage des gardiens et gratifications aux détenus : fr. 1,135,000 »
« Art. 2. Traitements des employés attachés au service domestique : fr. 350,825 »
« Art. 3. Récompenses à accorder aux employés pour conduite exemplaire et actes de dévouement : fr. 3,000 »
« Art 4. Frais d’impression et de bureau : fr. 13,000 »
- Ces articles sont adoptés sans discussion.
« Art. 5. - Constructions nouvelles, réparations, entretien des bâtiments et du mobilier : fr. 450,000 »
M. Castiau. - Messieurs, quoique la discussion à laquelle je viens de me livrer m’ait extrêmement fatigué, et qu’elle ait, sans doute, fatigué davantage encore la chambre, je réclamerai encore pour quelques moments sa bienveillante attention. Il s’agit encore ici d’un de ces intérêts assez graves pour qu’on n’hésite pas à leur faire le sacrifice de son amour-propre et, au besoin de sa santé.
Messieurs, je m’abstiendrai de renouveler les débats qui ont eu lieu à l’occasion de la question du système pénitencier ; je viens seulement m’efforcer de tirer une conclusion de ces débats, et si je reprends la parole, c’est pour arriver enfin à l’un de ces résultats d’application qui doivent être dans la pensée de tous les membres de cette chambre, jaloux d’arriver à des réformes utiles.
Je ne reviendrai donc pas sur les accusations qui ont été dirigées contre notre système pénitencier actuel. Tout a été dit, en effet, sur la démoralisation qui existe actuellement dans nos prisons. Je n’entends pas rendre l’administration de ces prisons responsables de ces désordres. J’aime à reconnaître chez elle tout le zèle et tout le dévouement possible pour faire disparaître des abus révoltants ; mais ces abus ne dépendent pas du zèle des hommes, ils sont en quelque sorte imposés par la force irrésistible des choses et dépendent de la fatale organisation de nos prisons.
Ces abus, dont l’existence n’a trouvé qu’un seul contradicteur dans cette enceinte, sont malheureusement attestés par des faits irrécusables, par l’expérience de tous les temps et de tous les lieux ; ils sont consignés dans les annales des cours d’assises, et si M. le ministre les avait consultées, il aurait trouvé que les crimes les plus odieux contre les personnes et contre les propriétés étaient commis par des hommes que le séjour des prisons et des bagnes avaient flétris et démoralisés.
Il est donc constaté par des expériences assez nombreuses et assez douloureuses que la réunion des condamnés, que leur communauté d’existence était une cause permanente de désordre et de démoralisation ; que cette réunion était le plus grand des dangers pour la société et l’ordre public.
Le moyen de tarir cette source impure des récidives, c’est évidemment de chercher à isoler les condamnés les uns des autres, de les empêcher, non seulement de se communiquer, mais encore de se connaître et de se voir ; c’est de substituer à cette influence d’un démoralisateur chaque jour plus active, à cette atmosphère pestilentielle dans laquelle vivent les détenus, des influences moralisantes qui feraient descendre le repentir et la vertu dans leur cœur et qui permettraient de les rendre sans danger à la société, à l’expiration de leur peine.
A ces considérations, qui ont été développée à satiété déjà, qu’a répondu M. le ministre de la justice ?
Il a d’abord répondu par quelques hésitations, par des incertitudes, par de la réserve et de la prudence. Il a annoncé que la question devait être étudiée, qu’elle ne l’était pas assez pour être jugée. Enfin, pressé par les interpellations qui lui étaient adressées, M. le ministre de la justice a formulé son système ; il vous a dit que, quant aux grandes prisons de l’Etat, il ne voyait autre chose à faire que de séparer les détenus pendant la nuit, en admettant toutefois la continuation de la communauté pendant le jour, subordonnée seulement à la condition d’un silence absolu. Puis, passant aux maisons d’arrêt, aux maisons de prévention, M. le ministre vous a déclaré que, pour ces maisons, il consentait à adopter les rigueurs du régime cellulaire, que pour ces maisons il reconnaissait la nécessité d’une séparation complète, absolue entre tous ceux qui doivent y être détenus.
Déjà l’on a fait remarquer que c’était là précisément prendre à rebours la reforme pénale ; que les dangers signalés n’étaient pas principalement dans les maisons où le gouvernement voulait introduire son système pénitentiaire, que le danger existait surtout dans les bagnes, dans les maisons centrales, que c’était de là que sortaient les hommes les plus dangereux pour la société ; que c’était, en conséquence, dans ces maisons qu’il était le plus urgent d’appliquer le remède et le remède le plus énergique.
Chose étrange ! tout en rejetant le système cellulaire pour ces maisons centrales, M. le ministre de la justice a cependant rendu lui-même un éclatant hommage au bienfait de ce système.
Il vous a cité l’exemple de l’Angleterre, pour nous mettre en contradiction avec les faits que nous avions invoqués dans la discussion générale.
Il vous a dit que l’Angleterre avait adopté le système cellulaire comme moyen de purification ; qu’elle s’en servait pour moraliser les détenus et les envoyer ensuite à la colonie de Botany-Bay.
Ainsi, M. le ministre reconnaît la nécessité du système cellulaire comme moyen de purification. Si donc les détenus dont il est question en ce moment ne sont pas condamnés à séjourner à tout jamais dans les prisons, s’ils subissent seulement des peines temporaires, je demanderai à M. le ministre si ce n’est pas précisément à ces détenus qu’il faut appliquer le moyen de purification dont il parle, et si notre sécurité mérite moins de sollicitude que n’en inspire à l’Angleterre une colonie lointaine. Il me semble, au contraire que c’est ici une question qui touche à tous les intérêts de la société et de l’ordre public, car il s’agit de la défense de la propriété, de l’ordre, de l’existence même des citoyens chaque jour menacés par l’accroissement des récidives. Il est donc étonnant qu’après avoir reconnu l’efficacité du système cellulaire, on ne croie pas nécessaire d’appliquer ce système, alors qu’il s’agit, à l’expiration de la peine, de rejeter les condamnés au sein de notre société qu’ils viennent ensuite épouvanter par de nouveaux forfaits.
M. le ministre de la justice a cru réaliser en quelque sorte l’idéal du système pénitentiaire dans les grandes prisons de l’Etat, en établissant parmi les condamnés un système de silence absolu et perpétuel.
Messieurs, est-ce bien sérieusement qu’on peut soutenir devant vous la possibilité de l’application d’un tel système ? Est-ce bien sérieusement qu’on peut croire qu’on aura assez d’influence pour imposer la loi d’un silence perpétuel, non pas seulement pendant quelques heures, mais pendant des jours, mais pendant des mois, non pas seulement pendant des mois, mais pendant des années, mais pendant une vie entière, pour imposer, dis-je, le silence à perpétuité entre des hommes qui vivent ensemble, qui passent leurs journées ensemble, dont les poitrines se touchent, dont les haleines se confondent en quelque sorte ? C’est impossible, cent fois impossible ; il faudrait enchaîner leurs lèvres, il faudrait leur arracher la langue.
On doit donc reconnaître que c’est là l’utopie la plus étrange que je puisse concevoir en matière de régime pénitentiaire. Et si, par impossible, l’on parvenait à imposer cette loi du silence perpétuel, cette loi outrageante pour la nature humaine, et qui mutile l’homme dans l’un de ses principaux organes, vous ne parviendriez pas encore à empêcher toute communication entre les détenus.
La pensée ne se manifeste et ne se traduit pas seulement par des paroles, elle se manifeste encore par le regard, par le geste, par des signes. Eh bien, dans les prisons auxquelles on a fait allusion, dans cette prison d’Auburn, qu’on nous a citée comme une prison modèle, malgré les traitements les plus atroces, malgré les coups dont on écrase les détenus, dont on leur mutile les membres, on n’a pu parvenir encore à étouffer cette langue de convention que les détenus ont créée pour s’affranchir des rigueurs du règlement.
Ainsi donc, le programme de réforme que M. le ministre de la justice croit pouvoir réaliser, est impossible dans l’application, et dans tous les cas, s’il était possible, il ne pourrait être réalisé que par des moyens odieux et outrageants pour l’humanité et la morale.
Au surplus, quel que soit le système auquel on s’arrête, qu’on adopte le système du silence perpétuel dont a parlé M. le ministre de la justice, qu’on adopte, au contraire, le système cellulaire, je crois que ces questions ne sont pas des questions de droit administratif. Je ne pense pas qu’il appartienne au gouvernement de les résoudre. Ce sont des questions de haute législation, des questions de pénalité. Et depuis quand donc serait-il permis à un gouvernement de venir ainsi briser toute l’échelle des pénalités, d’introduire des supplices nouveaux, sans l’assentiment des chambres, sans même les consulter sur l’application de ce système ?
J’insiste sur cette observation, parce que l’honorable ministre de la justice a annoncé l’intention d’appliquer le système cellulaire, qu’il repousse pour les grandes prisons de l’Etat ; d’appliquer, dis-je, ce système aux prisons ordinaires, de sorte qu’avec ce système, ceux-là qui sont condamnés à un simple emprisonnement correctionnel éprouveraient les tortures de ces emprisonnements solitaires, et seraient cent fois plus violemment frappés que les détenus des bagnes, par exemple. Dans les bagnes, au moins, il y aurait encore des consolations, et les jouissances de la sociabilité et d’une captivité subie en commun ; les détenus correctionnels, qui n’ont été condamnés que pour des délits légers, seraient, eux, soumis à toutes les rigueurs du système cellulaire !...
Et ce ne sont pas seulement les condamnés correctionnels, les personnes condamnées à 6 mois d’emprisonnement seulement, que M. le ministre de la justice entend recevoir dans les prisons auxquelles il destine les rigueurs du système cellulaire : ce sont encore des prévenus ; M. le ministre l’a dit : il entend enfermer les prévenus dans ses cellules et les y livrer à l’isolement complet ; ceux-là qui sont encore protégés par la présomption d’innocence, qui, quelques mois après peut-être, vont être rendus à la société, à qui la société devrait rigoureusement une indemnité pour les avoir injustement soupçonnés ; ce sont ces hommes qui vont être livrés à toutes les tortures du régime cellulaire ! Est-ce là de l’équité, est-ce là de la justice ?
Et n’oubliez pas, je vous prie, messieurs, que ces détentions préventives ne sont pas seulement de quelques jours, qu’elles peuvent durer des mois, une année même ! Est-il juste, est-il équitable, je le répète, que des hommes qui ont pour eux la présomption d’innocence, qui, peut-être, ne seront pas même mis en accusation, ou que la magistrature ou le jury acquittera, subissent un supplice qu’on n’applique qu’avec effroi aux individus condamnés pour les plus grands crimes ?
Et ce ne sont pas seulement aux prévenus, mais encore aux détenus pour dettes qu’on appliquera la torture du régime cellulaire, car ils sont renfermés jusqu’ici dans les mêmes prisons. Voilà donc les détenus pour dette qui vont subir le régime cellulaire, et pour un condamné à des dommages-intérêts qui sera dans l’impossibilité de faire face à la condamnation, ce sera une condamnation à une prison perpétuelle ! Quel bouleversement et que d’aberrations !
Impossible, messieurs, d’abandonner de tels intérêts et de telles questions à l’arbitraire du gouvernement. Il ne dépend pas de l’arbitraire administratif de résoudre, sans les chambres, d’aussi graves problèmes, des problèmes qui présentent les plus grandes difficultés, qui soulèvent les plus hautes questions de législation criminelle, qui modifient notre système pénal tout entier. Pour changer notre système pénal, il faut que ceux-là qui sont appelés à faire la loi interviennent.
Déjà des illégalités choquantes ont été commises sous le gouvernement hollandais en cette matière ; aujourd’hui on veut introduite un bouleversement plus grand encore, on veut substituer un supplice à un autre, créer des peines intolérables sans la garantie, sans le contrôle des chambres ! Nous ne pouvons pas, encore une fois, tolérer de telles prétentions et un aussi révoltant arbitraire. Aussi ferai-je cette fois une proposition formelle. Je demande que tout ce qui est relatif à la construction de prisons nouvelles soit détaché du budget pour faire l’objet d’un projet de loi spécial. Je demande que M. le ministre de la justice témoigne de son respect pour la prérogative de la chambre en lui soumettant les questions de droit criminel qui se rattachent à l’article dont nous nous occupons. J’espère donc qu’il ne s’opposera pas à la proposition que j’ai l’honneur de faire.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, j’avoue que je ne m’attendais pas à me voir ramener à l’examen de la question des prisons. Je pensais qu’après ce que j’avais eu l’honneur de dire à une précédente séance, on aurait trouvé la question suffisamment éclaircie, qu’on ne serait pas revenu sur les mêmes arguments, qui me semblaient avoir été réfutés par moi.
L’honorable M. Castiau me fait un grief d’avoir dit que le système d’emprisonnement cellulaire de jour et de nuit n’était pas jugé. Il a dit que j’avais proposé (il est dans l’erreur, car je n’ai rien proposé), l’emprisonnement cellulaire pendant la nuit et le travail en commun pendant le jour, en exigeant le silence, était une monstruosité. Il a dit qu’il était impossible de condamner des individus réunis au silence ; il a dit que c’était une chose monstrueuse que d’empêcher les détenus de se parler, et tout en trouvant monstrueux qu’on impose le silence à des individus dans un intérêt de haute moralité, il ne trouve pas monstrueux de les mettre entre quatre murailles et de les y laisser pendant toute leur vie.
L’honorable M. Castiau m’a prêté un système que je n’ai pas défendu. Il a l’air de dire que j’aurais proclamé la supériorité du système d’Auburn. Je n’ai pas dit un mot de cela ; j’ai dit que le système d’Auburn et celui de Philadelphie n’étaient pas jugés, que dans l’état actuel de la question, dans l’état de nos prisons centrales, il n’y aurait qu’une chose possible : c’était d’établir l’emprisonnement cellulaire la nuit et de laisser le travail en commun.
Voilà ce que j’ai dit, et ce qui est, je crois, plus pratique que ce qu’a dit l’honorable membre, car pour réaliser ses intentions sur lesquelles il croit que tout monde est d’accord avec lui, excepté moi, il faudrait raser toutes nos prisons et en construire de nouvelles ; il est, en effet, impossible d’établir dans nos prisons le système cellulaire de jour et de nuit, de manière que ce que demande M. Castiau est impraticable, à moins de demander aux chambres les fonds nécessaires pour créer toutes nouvelles prisons. Je ne dis pas que, dans quelques années, cette demande ne sera pas faite quand l’expérience aura démontré quel système doit l’emporter, si je suis encore au ministère, je ne reculerai pas devant une demande de fonds, parce que, quand je croirai que l’utilité d’une dépense est bien démontrée, et que la morale, que bien du pays, en un mot, est intéressé à ce que tel système soit adopté, je ne reculerai pas, dis-je, devant une proposition quelque opposition quelle puisse rencontrer ; je saurai remplir un devoir, la chambre alors remplira aussi le sien.
Quant à présent, le système n’est pas jugé, je le répète, le système de Philadelphie rencontre en France de nombreux et chaleureux contradicteurs ; au lieu de gagner des partisans, il voit tous les jours surgir de nouveaux adversaires. Je ne vois pas, en présence de tout ce qui se publie sur les prisons, comment il est possible de dire que cette question est jugée.
M. Castiau. - Et les faits !
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Les faits ne sont pas favorables au système que vous préconisez. Vous invoquez les faits, mais en Amérique les deux systèmes sont en présence, de manière que les résultats que vous attribuez à l’un peuvent aussi bien appartenir à l’autre. En France vous ne pouvez pas dire que votre système soit adopté, car il n’est appliqué qu’à la seule prison de la Roquette où il existe seulement depuis 3 ans, par conséquent sans qu’on puisse en apprécier les résultats.
Pour établir que le système est loin d’être jugé, je demanderai la permission de lire à la chambre quelques passages d’une lettre de M. Léon Foucher, insérée dans les journaux français :
« L’emprisonnement cellulaire de jour et de nuit n’est pratiqué depuis plusieurs années qu’aux Etats-Unis et en Angleterre ; on ne connaît pas un seul peuple, après ceux-là, dont l’expérience mérite d’être invoquée. Si le système pennsylvanien a obtenu dans l’une ou l’autre de ces contrées le succès auquel la commission de la chambre des députés paraît croire, je comprends que l’on tente de l’importer et de l’acclimater chez nous, mais si les essais qui ont été faits en Amérique et en Angleterre ont produit jusqu’à présent des résultats funestes, on m’accordera qu’il y aurait imprudence et danger à se jeter dans la même voie. »
« L’Angleterre s’était d’abord passionnée pour l’emprisonnement solitaire, et le gouvernement britannique se proposait de l’appliquer dans toutes les prisons. Mais l’expérience n’a pas tardé à dissiper cet engouement irréfléchi. On fit d’abord l’épreuve du système dans le pénitencier de Millbanck : en dix-huit mois quinze détenus y succombèrent et perdirent entièrement la raison. »
« M. de Tocqueville emploie toutes les ressources de son talent à pallier ce qu’il y a d’accablant dans ces faits pour le système de l’emprisonnement solitaire ; mais la cause qu’il défend était trop désespérée pour qu’on pût la relever par les prestiges de l’esprit. La méthode de M. de Tocqueville consiste à comparer des situations qui n’ont aucun rapport entre elles. »
« La dépense d’entretien est encore un chapitre à considérer. Là-dessus, le rapport de la commission ne présente en faveur du système pensylvanien que des présomptions et des espérances. Voici les faits dans toute leur sincérité. De 1827 à 1842, la prison de Philadelphie a coûté à l’Etat, en-dehors du produit des travaux exécutés dans l’établissement et pour entretenir moins de 500 détenus, la somme de 320,008 dollars (1,612,000 fr.) Dans la même période, les cinq prisons de Wethersfield, d’Auburn, de Sing-Sing, de Charles-Rown et de Colombus. conduites selon la règle d’Auburn, avaient rapporté, toutes dépenses payées, pour une moyenne de onze ans, la somme de 438,245 dollars (2,344,610 fr.),
« Au reste, les défenseurs du système ont recours à toute espèce d’expériences pour en atténuer l’horreur. A Pentonville, l’emprisonnement solitaire s’appelle la discipline d’épreuve ; dans le rapport de la commission il prend le nom d’emprisonnement séparé ou individuel. »
Messieurs, je le déclare de nouveau, je ne me constitue pas l’adversaire du système de l’isolement complet de jour et de nuit. Je déclare que ce système n’est pas encore jugé, de manière que je ne crois pas devoir proposer à la chambre une dépense de 20 millions pour le réaliser.
M. Castiau. - Vous aviez dit 14 millions.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - L’honorable M. Castiau me fait observer que je n’avais parlé d’abord de 14 millions. Cela me prouve qu’il fait attention à mes paroles ; mais je lui dirai que depuis la dernière séance j’ai pris des renseignements ultérieurs près de personnes compétentes, pour savoir ce que coûteraient de nouvelles prisons centrales. On m’a dit que je m’étais beaucoup trop avancé en disant 14 millions, que la dépense s’élèverait à 20 millions au moins ; je le dis à la chambre non pour l’effrayer, mais pour lui dire la vérité, que je tiens toujours à lui faire connaître.
Je me suis donc expliqué relativement à l’impossibilité d’introduire le système d’isolement complet quant à présent, tout en réservant sur ce point mon opinion définitive.
On a renouvelé le grief qu’avait articulé l’honorable M. de Brouckere en se servant des mêmes expressions, en disant que j’avais commencé le système pénitencier à rebours. A la dernière séance, j’ai invoqué des autorités qui étaient de nature à faire voir que je ne m’étais pas trompé, que je n’avais pas fait une chose monstrueuse, insolite, en annonçant l’intention qui avait déjà été réalisée par mon prédécesseur, d’établir pour les prévenus, non pas l’isolement absolu, mais la séparation des détenus entre eux tous, en maintenant les visites des membres de la famille ; d’introduire ce système dans les maisons d’arrêt pour les prévenus et les condamnés à des peines légères ; dans ces maisons, où trop souvent encore les individus prévenus de crimes très graves se trouvent confondus avec les individus condamnés pour des délits de peu d’importance ou avec des individus détenus préventivement pour délits.
J’ai établi que ce système était préférable dans ces maisons, et j’ai établi, par des pièces, que tous les criminalistes, même les partisans du système d’Auburn, étaient partisans du système d’isolement pour les prisons préventives. Là, il est d’autant plus nécessaire qu’il n’y a pas de travail ; si l’on n’y établissait pas l’isolement, il en résulterait un contact continuel entre des individus dont la moralité est différente, les uns condamnés pour une première faute, les autres souillés de plusieurs crimes.
J’ai cité différents passages du rapport de M. de Tocqueville et des ouvrages de MM. Lucas et Ducpetiaux, sur la question. Je vais maintenant (c’est la meilleure réponse que je puisse faire à l’honorable M. Castiau) vous lire un passage du rapport de M. de Rémusat, ministre de l’intérieur en France, lorsque ce travail a été présenté. Je crois que ce travail répond suffisamment à toutes les objections qui ont été faites : on y lit :
« Il est donc aussi juste que nécessaire d’introduire dans les prisons de prévention, toutes les précautions qui peuvent y détruire la contagion du mal. Si ces concessions semblent coûter quelque chose à la liberté, l’absence de ces précautions coûte bien plus encore à la morale. On sait que, dans le nombre total des prévenus, soixante sur cent seulement sont condamnés, et qu’ainsi quarante sont ou renvoyés de la plainte, ou acquittés. Quant aux soixante coupables, on ne saurait avoir aucun scrupule à les soumettre à une discipline sévère qui prévienne entre eux tout commerce de corruption et d’infamie. Quant aux acquittés, certes ils ne sont pas tous innocents ; mais fussent-ils innocents, il n’en serait que plus nécessaire de les préserver d’un contact humiliant lorsqu’il n’est pas corrupteur, et de les isoler au milieu de cette société indigne où les jette passagèrement un hasard fatal. Ce ne sont pas ceux-là, sans doute, qui se plaindront de la solitude à laquelle nous proposons de les astreindre. »
Ce passage, joint à ceux dont j’ai eu l’honneur le vous donner lecture à une autre séance, prouve, je pense, qu’il est convenable d’introduire le système pénitentiaire dans les maisons de prévention dans ces maisons où se subissent des peines légères.
J’avoue que je ne conçois pas l’opposition de l’honorable M. Castiau ; car enfin il désire, nous dit-il, l’amélioration des prisons : il s’agit d’en faire une nouvelle ; j’entre dans ses vues ; je veux adopter pour cette prison un système conforme à celui qu’il a préconisé. D’où vient donc son opposition ? Que veut-il ? Que je commence par les prisons centrales, j’ai prouvé que ce n’est pas possible. A Liége (les honorables députés de cette province peuvent le dire), il est indispensable d’avoir une nouvelle prison. Maintenant si je voulais rester dans l’ancienne ornière, si je proposais une prison sur l’ancien modèle, j’exciterais les plaintes, les récriminations de l’honorable membre lui-même.
Nous faisons insensiblement les améliorations, à mesure qu’on peut les faire ; à mesure qu’il y a des prisons à construire, nous y introduisons le système qui est reconnu bon.
C’est ainsi que, sous le ministère de M. Van Volxem, on a fait la prison de Tongres ; je me propose de faire de même pour la prison de Liége. C’est le système adopté en France pour les maisons préventives également. C’est le système adopté pour la prison de Tours dont j’ai le plan, et pour toutes les prisons préventives nouvelles.
On veut, quand nous avons une prison à construire, que nous abandonnions ce système, que nous construisions à Liège une prison, dont on demanderait dans quelques années peut-être la démolition.
Une autre question a été traitée par l’honorable M. Castiau, c’est la question de légalité. Il nous dit que toutes les questions relatives à l’échelle des peines doivent être résolues par une loi ; en cela, il a raison. S’il s’agissait de créer une peine nouvelle, personne ne contestera qu’une loi ne soit nécessaire, mais il ne s’agit pas de créer une peine, il s’agit de mesures administratives à prendre dans les prisons. Toutes ces mesures (le code pénal en fait foi) sont abandonnées au pouvoir exécutif. Il ne s’agit pas de créer une peine nouvelle, pas même de changer les peines existantes, mais de les faire subir d’une manière conforme aux intérêts de la société et des condamnés.
Du reste, des règlements seront portés de manière à ne pas rendre cet isolement trop absolu. Cet isolement est sollicité comme un bienfait par tous les détenus à la pistole. C’est ce bienfait de la pistole que nous voulons établir pour les maisons de prévention.
L’honorable M. Castiau a parlé des détenus pour dettes. Cet isolement ne leur est pas applicable, Il y a pour eux un quartier spécial ; ils réclament presque toujours une chambre à part ; mais ils ont un préau commun, où ils peuvent se promener, quand le local permet de les séparer ; car dans certaines prisons, cette séparation n’existe pas encore. C’est un vice, un mal réel, que je cherche à faire disparaître partout.
Pour en revenir encore à la question de légalité, je crois que la chambre est réellement saisie de cette question au moins d’une manière indirecte, car j’annonce formellement à la chambre ce que j’ai l’intention de faire à Liège ; je demande des fonds pour construire une prison à Liége, d’après un plan qui comporte l’isolement de jour et de nuit, non pas l’isolement complet, mais la séparation des détenus, avec la faculté de voir, à des jours et heures déterminés, leur famille, leurs défenseurs, de recevoir les visites de l’aumônier de la prison , etc. etc.
Je crois qu’ainsi la chambre aura ses apaisements, qu’elle n’hésitera pas à voter le crédit demandé, crédit indispensable dans l’état de la prison de Liége ; car il fait réellement gémir l’humanité.
M. Castiau. - Que la chambre se rassure. Mon intention n’est pas de suivre M. le ministre dans le vaste champ qu’il vient de parcourir et d’examiner toutes les questions qui se rattachent à la réorganisation du système pénitentiaire. Ce n’est qu’incidemment et d’une manière très superficielle que j’avais non pas traité, mais indiqué ces diverses questions. Je ne l’ai fait que pour faire ressortir la difficulté, la gravité de toutes ces questions, pour faire sentir qu’il y a une sorte d’irréflexion, d’étourderie administrative à vouloir les résoudre sans même communiquer à la chambre les renseignements, les plans, les documents, les autorités qui lui sont nécessaires pour qu’elle prenne une décision en connaissance de cause. Je me contenterai donc, en ce moment, de répondre au reproche de contradiction qui vient de m’être opposé par M. le ministre. Nous avons admis le système cellulaire pour les condamnés comme moyen de moralisation ; nous l’avons repoussé pour les prévenus, parce que le système cellulaire, même avec les modifications indiquées par M. ministre de la justice, n’en est pas moins pour les prévenus une terrible aggravation. Il faudrait au moins laisser aux prévenus la faculté d’accepter ou de repousser ce système d’isolement, qui, d’après les explications de M. le ministre de la justice, devait être complet ; c’est en effet ce qu’a déclaré M. le ministre de la justice en répondant à mon premier discours.
Pour moi, je déclare que si la loi autorise la détention préventive, rien ne donne au ministre de la justice le droit d’imposer l’isolement complet à un prévenu. Il n’a pas ce droit pour un condamné, le fût-il à perpétuité ; comment l’aurait-il pour de simples prévenus toujours protégés jusqu’au jour du jugement par la présomption d’innocence ?
Toutes les questions, en ce moment, doivent s’effacer devant la question préjudicielle que j’ai eu l’honneur de poser, celle de savoir si M. le ministre pourra bouleverser tout notre système de pénalité sans consulter la chambre, ou en ne la consultant que pour mémoire en quelque sorte. La question est de savoir s’il pourra, seul et dans le huis-clos de ses bureaux, résoudre toutes ces questions de législation, et s’il pourra les résoudre sans même prévenir la chambre de la solution qu’il leur donnera. Mais dans quel pays et sous quelle forme de gouvernement vivons-nous donc pour le prétendre ?
Quoi ! il s’agit de questions de liberté, de questions de pénalité, de questions de constitutionnalité même, car c’est la constitution qui flétrit hautement toutes les peines qui ne seraient pas sanctionnées par la loi, et l’on pourrait se dispenser de soumettre à la législature l’examen et la solution de toutes ces questions.
Vainement, pour justifier l’arbitraire qu’il réclame, M. le ministre a-t-il prétendu que le système cellulaire, loin d’être une aggravation, était au contraire un adoucissement de pénalité. Il n’en est pas ainsi, messieurs ; c’est une aggravation, et la plus terrible aggravation de l’emprisonnement.
C’est en tête de toutes les pénalités du code de la Louisiane que figure l’emprisonnement solitaire.
Cet emprisonnement n’est en définitive que la peine de la gène, que la constituante avait établie, et que le code pénal de 1810, tout draconien qu’il était, a formellement repoussée.
C’est, sous une autre forme, cette peine du secret contre laquelle se sont élevés avec tant de force les principaux criminalistes français.
Et l’on prétendrait qu’il n’y a pas là une peine nouvelle et une peine plus dure que les principales pénalités du code de 1810 !
Et l’on viendrait appliquer des peines non seulement à des condamnés, mais à des prévenus réputés innocents, à de simples détenus pour dettes et pour dommages-intérêts, quand ce n’est qu’avec une sorte de défiance, que pressé par la nécessité sociale, nous venions en réclamer l’application pour les plus grands criminels !
C’est impossible, encore une fois. Car ce serait nous rejeter en-dehors des lois et de la constitution ; car ce serait violer les plus importantes prérogatives du pouvoir législatif !
Daignez vous le rappeler, messieurs, on n’avait pas dit un mot, pas un seul mot, dans les développements du budget, du système qu’on voulait établir dans cette prison de Liége. Il a fallu les interpellations des membres de l’assemblée pour amener M. le ministre de la justice à formuler le système qu’il voulait y introduire. Personne, dans l’assemblée, n’était informé des ambitions du gouvernement à cet égard. Du reste, aucun renseignement n’a été fourni sur toutes ces questions à la chambre. Je demande donc que la question, vu sa gravité, soit séparée du budget, qu’elle ne soit pas résolue d’une manière incidente, mais qu’on s’environne de toutes les lumières possibles, qu’on étudie cette redoutable question avec toute la maturité nécessaire et en conciliant les droits de la vindicte publique avec les exigences de l’humanité.
N’est-ce pas, du reste, la marche qu’a suivie la France ? car nous en sommes venus, en matière d’arbitraire administratif, à chercher des garanties dans les exemples de la France. Le ministère français, qui, lui aussi, cependant a ses idées de pouvoir fort, qui aura à décider dans son omnipotence toutes ces graves questions devant lesquelles reculent les criminalistes les plus distingués, le ministère français a eu la prudence de venir présenter aux chambres ses doutes, de venir leur demander leurs lumières. Il a reconnu que, lorsqu’il s’agissait d’établir un système nouveau pour les prisons comme pour les bagnes et les maisons centrales, il y avait là des questions de légalité et de pénalité que le pouvoir législatif seul pouvait résoudre.
Il est vraiment étrange, encore une fois, que ce soit en Belgique, sur cette terre de légalité et de constitutionnalité, que nous trouvions des répugnances lorsqu’il s’agit de consulter franchement, loyalement les intentions de la chambre sur une matière aussi grave !
Ma proposition, d’ailleurs est basée sur des précédents dans ce pays. Lorsqu’il s’est agi d’établir un pénitencier à Saint-Hubert, il a fallu une loi et une loi formelle ; c’est la chambre, si je ne me trompe, qui a examiné toutes les questions qui se rattachaient à ce premier essai de système pénitencier.
Je pense que la chambre saura maintenir ses prérogatives, qu’elle saura supposer à ces tentatives d’invasion ministérielle qui commencent à devenir inquiétantes. Pour la dernière fois, aucune innovation en matière de pénalités ne peut être établie sans l’assentiment des chambres. Je demande, avec toute l’énergie de mes convictions, qu’on fasse ici l’application de ce principe de constitutionnalité.
Je persiste donc à demander que le crédit destiné aux prisons cellulaires soit détaché du budget, qu’il fasse l’objet d’un projet de loi spécial, et que la chambre maintienne son droit et résolve ces questions dans l’omnipotence de ses prérogatives.
M. Lys. - Je ne croyais pas prendre la parole dans cette discussion, parce que je ne voyais aucune opposition de la part de la chambre aux propositions ministérielles. Mais la proposition d’ajournement que vient de vous faire l’honorable M. Castiau, tendant à faire ajourner les nouvelles constructions pour les prisons, je dois réclamer pour quelques instants votre attention afin de pouvoir vous démontrer qu’un pareil ajournement ne peut pas être adopté. Je dois d’autant plus m’opposer à cet ajournement, qu’il tendrait encore à reculer le moment où la construction d’une nouvelle prison à Verviers serait commencée, prison reconnue nécessaire depuis une quantité d’années.
Déjà l’honorable M. Fleussu vous avait démontré la nécessité, et cela sans qu’on pût rien lui opposer, d’établir une nouvelle prison à Liége. Les motifs que vous a allégués mon honorable ami, pour cette construction, peuvent être invoqués en faveur de la prison à construire à Verviers. Il y a même un argument de plus à faire valoir, c’est que la prison actuelle de Verviers ne présente aucune sécurité contre les évasions des détenus, elle est d’ailleurs insuffisante et dans un délabrement complet. Elle est établie dans une partie d’un ancien couvent, qui est aussi destiné au tribunal civil, ainsi qu’aux bureaux du commissaire de district. Le local servant de prison n’est donc pas isolé, il ne remplit aucune des exigences que l’on peut et que l’on doit demander en pareil cas.
D’ailleurs, messieurs, cette prison est dans un tel état de délabrement, qu’il serait impossible de se borner à de simples réparations.
En 1837 déjà, M. le ministre de la justice avait fait visiter le local de la prison de Verviers par M. l’administrateur des prisons et par son secrétaire général. Un rapport avait été fait, et par l’instruction qui en a été la suite, la nécessite d’une nouvelle prison a été reconnue, et le plan en a été arrêté.
Malheureusement, messieurs, divers obstacles sont venus arrêter l’exécution du projet et une première difficulté a été de trouver un emplacement. Ensuite, lorsque l’emplacement a été trouvé, les travaux du chemin de fer sont venus établir une nouvelle difficulté car la voie passait précisément sur le terrain qui était désigné. Pour y remédier, ou y a établi un tunnel ou viaduc, et c’est sur ce tunnel que doivent se faire aujourd’hui les constructions.
On ne peut, messieurs, arrêter l’exécution de ce projet dont la nécessite et l’urgence se font sentir chaque jour davantage. Remarquez, messieurs, que depuis 1830 on promet à l’arrondissement de Verviers une nouvelle prison, et que ce n’est pas la première fois qu’on vient vous demander un crédit de 30,000 fr. pour commencer les travaux ; déjà pareil crédit a été porté à plusieurs budgets et admis par vous, mais toujours il est reste sans emploi.
J’espère que cette fois l’allocation sera utilisée et que l’arrondissement de Verviers possédera enfin une prison qui réponde aux nécessités et à l’importance de cette localité. Si l’ajournement proposé par l’honorable M. Castiau était adopté, il en résulterait que les travaux ne pourraient être commencés cette année, ni même peut-être l’année prochaine.
Je voterai donc contre l’amendement qui tend à retarder, pour longtemps encore une construction jugée nécessaire depuis plusieurs années.
M. de La Coste. - Les courtes observations que j’avais avoir l’honneur de présenter, n’ont d’autre but que de préciser le sens de la décision qui va être prise par la chambre ; elles expliqueront au moins la part que j’y prendrai.
Nous devons rendre grâce à l’honorable député de Tournay d’avoir fixé, à plusieurs reprises, l’attention de la chambre sur des questions très importantes, sur des questions plus importantes à mes yeux que certaines autres auxquelles nous consacrons quelquefois beaucoup de temps ; nous devons lui rendre grâce, notamment dans cette occasion, d’avoir abordé une question qui devra, selon moi, nous occuper plus amplement encore, que nous aurons à régler définitivement. Car ce que vous a dit M. le ministre de la justice lui-même, les objections qu’il a présentées contre l’adoption complète du régime d’isolement prouvent que si le gouvernement, au lieu d’hésiter à l’admettre, y était décidé dès à présent, ce serait une chose très grave, que de le laisser introduire, sans le concours des chambres, ces innovations d’une manière générale.
Je partage donc complètement l’opinion que c’est là un point que la chambre devra régler.
Mais, messieurs, il faut observer qu’il s’agit ici de prisons dont l’état paraît être très défectueux, qu’il y a urgence, à ce qu’il paraît, d’y pourvoir. Il faut encore observer que les personnes qui se sont occupées de cette question, sont d’accord qu’il est bien plus facile de convertir, si la nécessité en était reconnue, des prisons construites eu vue du régime d’isolement en prisons propres au régime actuel que des prisons telles que celles que nous possédons maintenant en prisons propres au régime cellulaire. Par conséquent, messieurs, la prudence conseille, puisqu’on doit procéder à la construction de nouvelles prisons, de les établir dans le système cellulaire.
Je crois donc que la chambre, si elle écarte la proposition d’ajournement faite par l’honorable M. Castiau, laissera intacte la question à laquelle il attache le plus d’importance ; c’est-à-dire, le concours de la législature dans la décision de la question générale ; que la chambre aura seulement décidé qu’il y a urgence, qu’il est dans l’intérêt, de l’humanité de bâtir des prisons dans les localités dont il s’agit, et qu’il est avantageux de les construire de la manière dont le propose M. le ministre de la justice.
Au surplus, l’introduction du régime cellulaire pour les délits de peu d’importance est nécessairement liée, selon moi, à l’examen de celle de savoir s’il ne faut pas l’introduire jusqu’à un certain point pour les délits les plus graves. Car, sans cela, vous établiriez une nuance de sévérité plus forte dans la répression des délits de peu d’importance que dans la répression de ceux d’une importance plus grande, et vous aggraveriez encore l’inconvénient qui existe déjà maintenant, savoir, qu’on préfère quelquefois subir une peine plus grave qu’une peine moindre.
Ceci me confirme encore dans l’opinion que la chambre devra être saisie d’une proposition formelle tendant à modifier notre échelle de pénalités, dans laquelle on pourra introduire, au moins dans certains cas et dans certaine mesure le système d’isolement. C’est sous ces réserves que je me déciderai à voter le crédit demande.
M. le président. - L’amendement de l’honorable M. Castiau consiste à terminer le libellé de l’article par ces mots : « Sauf à régler par une loi spéciale ce qui est relatif an système à établir dans les prisons nouvelles. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Je déclare que je dois m’opposer positivement à l’amendement de l’honorable M. Castiau ; car ce serait ajourner, je ne sais quelle époque, la construction des prisons de Liége et de Verviers.
M. Delfosse. - Je désirerais savoir quelle est la portée de l’amendement de l’honorable M. Castiau. L’honorable membre entend-il que l’on ne pourra pas commencer les travaux des prisons de Liége et de Verviers, avant que la loi dont il parle soit intervenue ? Si telle était le but de la proposition de l’honorable membre, je devrais le combattre.
M. Castiau. - Messieurs, je pense que la marche la plus logique et la plus naturelle eût été de commencer par présenter à la chambre le système que l’on était dans l’intention de suivre, et de construire ensuite en exécution de ce système. Malheureusement, on est souvent obligé, dans les discussions, d’arriver à des transactions pour éviter de froisser et de soulever les intérêts locaux. C’est pour arriver à faire disparaître cette opposition, que je ne donnerai pas à mon amendement un sens absolu, et que j’avais supprimé de l’amendement ce qui était relatif à la construction, pour m’en tenir au système, le seul point intéressant pour moi.
Maintenant, je dois dire que ce n’est pas à moi, mais à la chambre qu’il appartient d’interpréter le vote qu’elle pourra émettre. C’est à elle à déclarer si elle entend suspendre la construction jusqu’à l’adoption du nouveau régime pénal par la chambre, ou si elle autorisera la construction en attendant le projet de loi qui lui sera inévitablement soumis.
Dans tous les cas, M. le ministre de la justice peut rendre cette discussion sans objet. Il peut la rendre sans objet en laissant ce qu’il aurait dû faire des le début de la session, en soumettant à la chambres l’examen du nouveau régime qu’il voulait introduire dans les prisons. Si, sous ce rapport, M. le ministre de la justice a manqué, je puis le dire après la persistance de son refus, s’il a manqué aux égards qu’il devait à la chambre, en lui enlevant la connaissance de ce projet, s’il est sorti, dans cette circonstance, de la légalité, c’est à la chambre à l’y rappeler, et c’est ce qu’elle fera en adoptant ma proposition et en maintenant ainsi ses prérogatives contre les envahissements ministériels.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Je pense, messieurs, que je n’ai manqué en aucune manière aux égards que je dois à la chambre, et je serais bien fâché que la chambre pût avoir cette idée. Toujours, les prisons ont été construites au moyen des fonds votés pour cet objet par les chambres, mais jamais on n’a soumis à la législature le plan d’une prison. Tous les ans, le budget porte pour les constructions de cette espèce, une somme de quatre cent et autant de mille francs. Le ministre de la justice applique ces fonds suivant les besoins des localités. Depuis 1830, des engagements ont été faits à toutes les prisons du royaume ; il en a été fait notamment à Gand, il en a été fait à Vilvorde, où l’on en fait encore en ce moment et où l’on établit le système d’isolement pendant la nuit. De nouvelles prisons ont même été construites, et les travaux se sont toujours faits sans que les plans eussent été soumis aux chambres. Jamais cependant les chambres n’ont pensé que le ministre manquât, sous ce rapport, aux égards qu’il leur devait. Je suis donc extrêmement étonné que l’honorable M. Castiau puisse penser qu’en agissant comme l’ont fait tous mes prédécesseurs, j’aurais manqué à ce que je dois à la chambre, dont je tiens, au contraire, à respecter toutes les prérogatives.
M. de Garcia. - Je demanderai à l’honorable M. Castiau, si d’après lui il y aura deux systèmes : un système pour les prisons nouvelles et un système pour les prisons anciennes. Ce serait là une chose extrêmement bizarre, et pourtant telle est la portée et tel serait le résultat de sa proposition : les prisonniers qui seraient enfermés dans les prisons actuelles seraient dans une position tout autre que ceux qui seraient enfermés dans les prisons nouvelles ; il y aurait en Belgique deux régimes de prisons.
M. Castiau. - C’est à M. le ministre de la justice à présenter un système.
M. de Garcia. - Pour que la proposition fût complète, il faudrait nécessairement qu’elle eût pour objet de provoquer une loi qui fût applicable à toutes les prisons et maisons de détention du pays.
Qu’il me soit permis de présenter une observation générale sur la matière.
Ces discussions sur les prisons ont souvent occupé la chambre ; elles ont occupé beaucoup d’écrivains célèbres à juste titre mais je vous avoue franchement, messieurs, que je m’explique difficilement la philanthropie qui domine dans leurs ouvrages et dans leurs vues. Ils font reposer toutes leurs sympathies sur le rebut et sur les individus moins dignes de la société, et ce au détriment des classes les plus estimables, qui doivent supporter les charges de l’Etat. ils veulent constamment que l’on vienne au secours de ces hommes qui troublent la sécurité publique et font le désordre de l’état social. Je laisse à d’autres le soin de qualifier une philanthropie semblable ; quant à moi, je vous dirai en peu de mots ce que je voudrais qu’il fût fait.
La question du système des prisons se présente sous deux faces : il y a une question matérielle et une question morale. Quant à la question morale, je veux que l’on fasse tout ce qui est possible pour que les prisonniers sortent des cachots meilleurs qu’ils n’y sont entrés ; mais quant à la question matérielle, y a-t-il quelque chose de plus à faire que ce qui a été fait ? je ne le pense pas ; et loin de là, je pense que le sort des condamnés est meilleur qu’il ne devrait être. Ne voyons-nous pas tous les jours des repris de justice se faire condamner une seconde fois pour être plus heureux qu’ils ne le sont dans la société ?
En effet, les prisonniers sont mieux traités que la plupart des contribuables, les prisonniers sont mieux logés, mieux nourris, miens vêtus que la plupart des contribuables. Je le déclare, j’appuierai toutes les propositions qui auront pour but de rendre les peines meilleures au point de vue moral ; mais j’appuierai aussi toutes les propositions, qui tendront à faire traiter avec sévérité ceux qui ont contrevenu aux lois de la société, qui ont attenté aux personnes ou aux propriétés.
Quant à une distinction entre les prévenus et les condamnés, je l’admets ; je crois que les prévenus ne doivent pas être traités sévèrement comme les condamnés ; l’on doit même avoir des égards pour eux jusqu’à la condamnation ils sont réputés innocents. Quant aux condamnés, je le répète, j’appuierai toute proposition qui tendra à améliorer leur état moral, mais je m’opposerai à toute proposition ayant pour objet de les rendre, sous le rapport matériel, plus heureux que la plupart des contribuables, qui sont évidemment plus dignes de notre sollicitude que les misérables qui minent sans cesse l’état de la société.
M. Delfosse. - L’honorable M. Castiau paraît croire que les députés de Liège et de Verviers seraient en ce moment sous l’influence d’un sentiment de localité. Vous conviendrez, messieurs, qui ce sentiment, s’il existe, n’est pas très vif, car nous avions gardé le silence dans cette discussion, nous avions été loin de prendre dans cette discussion la part que l’honorable membre a prise dans la discussion du canal de Mons à Condé.
Messieurs, ce n’est pas au nom des sentiments de localité, c’est au nom des sentiments d’humanité, auxquels l’honorable membre fait avec tant d’éloquence de fréquents appels, que nous demandons l’adoption du chiffre proposé par le gouvernement. Si nous avons gardé le silence, c’est que la cause de l’humanité, qui est la nôtre, comme elle est celle de l’honorable M. Castiau, avait été bien défendue par M. le ministre de la justice.
M. Delehaye. - Il est certain, messieurs, que l’emprisonnement cellulaire est une véritable aggravation de peine. Cela est si vrai que l’isolement est établi dans les prisons pour punir les délits commis par les prisonniers ; c’est là la seule mesure à laquelle on ait recours pour réprimer les délits qui se commettent dans les prisons.
Un membre. - C’est le cachot.
M. Delehaye. - Oui, c’est le cachot, qui n’est autre chose que l’isolement. Il est donc incontestable que l’isolement est une aggravation de peine. Eh bien, le gouvernement, peut-il établir une aggravation de peine sans que les chambres l’y autorisent ? Evidemment non ; la loi seule peut établir les peines, la loi seule peut les aggraver.
Si nous envisageons la question sous le point de vue de l’économie, nous devons reconnaître encore que le gouvernement ne peut pas construire des prisons cellulaires sans qu’une loi ait été votée à cet égard ; car, si plus tard, les chambres repoussaient le système d’isolement, alors les prisons cellulaires qui auraient été construites devraient être changées, et les fonds qui y auraient été dépensés l’auraient été en pure perte. Je voudrais bien que M. le ministre de la justice me dît ce qu’il ferait des prisons de Liège et de Verviers qu’il veut construire d’après le système cellulaire, si plus tard il était reconnu que ce système est mauvais. Evidemment, si ce système était condamné par la chambre, vous auriez fait une dépense inutile. Je pense donc qu’il faut suspendre le vote des crédits demandés pour la construction de prisons nouvelles, jusqu’à ce qu’une loi ait détermine le système pénitencier qui devra être suivi.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Certainement dans le cas prévu par l’honorable M. Delehaye, les fonds qui auront été employés à la construction des prisons cellulaires ne seraient pas perdus, car, ainsi que l’a dit l’honorable M. de La Coste, rien n’est plus facile que de faire d’une prison cellulaire une prison ordinaire ; mais le contraire n’est pas possible, ii n’est pas possible de convertir une prison ordinaire en prison cellulaire.
Ainsi, messieurs, sous le rapport de l’économie, il vaut mieux faire des prisons cellulaires que des prisons construites d’après l’ancien système. Du reste, je ne crains pas que la chambre revienne de la résolution qu’elle pourra prendre aujourd’hui à cet égard d’une manière indirecte, en votant le crédit demandé, car, en ce qui concerne les maisons préventives le système est jugé ; les avantages du système cellulaire sont généralement reconnus pour cette espèce de prisons.
- La clôture est demandée et prononcée.
L’amendement de M. Castiau est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’article est ensuite mis aux voix et adopté.
M. le président. - La section centrale a proposé un article additionnel ainsi conçu :
« Réparations d’entretien (n°3 de l’art. 69 de la loi provinciale dont le gouvernement se charge par suite d’abonnements contracté par les provinces), : fr. 19,608. »
M. Savart-Martel, rapporteur. - Je dois ici quelques mots d’explications, ainsi que je l’ai dit à la chambre, en faisant le rapport verbal sur cet article additionnel ; c’est ici une dépense qui ne grève point le trésor.
La somme de 19,000 fr. dont il s’agit, a pour cause le paiement de certaines dépenses relatives aux prisons que la loi met à charge des provinces. Plusieurs administrations provinciales ont contracte avec l’Etat un abonnement annuel calculé sur le dixième de leur dépense des années précédentes. Les 19,000 fr. dont il s’agit seront donc rembourses par ces provinces.
Mais comme le budget des voies et moyens a déjà été arrêté par la chambre, pareille somme devra être perçue sur les recettes accidentelles.
M. de Garcia. - Ainsi, (erratum, Moniteur belge n°14, du 14 janvier 1844 :) il est bien entendu que la somme est portée au budget des voies et moyens.
M. le président. - C’est dans ce sens que l’article est proposé.
- L’article additionnel est mis aux voix et adopté.
« Art. 6. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 900,000 »
M. Rogier. - Messieurs, dans le budget des voies et moyens. il est porté à l’article des remboursements une somme de 1,165,000 francs pour recouvrement d’avances faites pour achat de matières premières dans les prisons. Cette somme est supérieure de 265,000 francs à celle qui est portée au budget des dépenses pour achats de matières premières. Je demanderai à M. le ministre de la justice sur quelle ressource il compte pour pouvoir porter au budget des voies et moyens 1,165 000 fr. en recouvrement pour achat de matières premières alors qu’il ne porte au budget des dépenses que 900,000 fr. pour le même objet.
Voici pourquoi je suis porté à faire cette observation. En diverses circonstances, le budget des voies et moyens a subi de ce chef des déficits assez considérables. Ainsi, d’après le compte-rendu de la situation du trésor public pour 1841, l’administration avait porté au budget des voies et moyens, comme recouvrement, une somme de 1,320,000 francs, tandis que les sommes réellement recouvrées ne se sont élevés qu’à 800,000 fr. Il y a donc eu de ce chef un mécompte de 520,000 fr. pour 1841. Si un pareil mécompte devait se reproduire pour l’année 1844, on aurait encore de ce chef une nouvelle source de déficit entre nos recettes et nos dépenses.
Il serait utile que M. le ministre de la justice s’assurât de l’équilibre qui doit exister sous ce rapport entre les recettes et les dépenses.
D’autres exercices présentent également un déficit. J’ai sous les yeux le budget de 1836. A cette époque, l’évaluation pour recouvrement d’avances n’avait été fixée qu’à 990,000 francs ; et cependant il y a encore eu sur ce chiffre un déficit de 106,000 francs.
Pour l’exercice de 1842, on a porté une somme d’un million pour recouvrement, et à la date du compte-rendu, on n’avait encore recouvré sur cette somme que 100,000 francs, Il est donc possible que pour 1843 nous éprouvions encore un mécompte semblable.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’on a porté, cette année, au budget des voies et moyens une somme de 1,160,000 francs, somme correspondant, non seulement aux 900,000 fr. pour achats de matières premières, mais encore aux 170,000 francs pour gratifications aux détenus, aux 8,000 fr. pour frais d’impression et de bureau, et aux 87,500 francs pour traitements et tantièmes des employés.
Nous pensons, messieurs, que la somme portée au budget des voies et moyens sera réellement atteinte par la vente ces différents objets confectionnés dans les prisons, d’où résultera que tout le service de travaux sera payé par les bénéfices des ateliers.
L’honorable M. Rogier a mis en rapport ce qui était porté au budget des voies et moyens avec ce qui est réellement recouvré, et il a signalé la différence existante entre ces sommes. Mais il est à remarquer que les recouvrements sont toujours en rapport avec les dépenses que nous avons réellement faites pour achats. Nous avons demandé, il est vrai, l’année passée, un million pour achat de matières premières, mais ce million n’a pas été dépensé ; de manière que si la recette est moins forte, la dépense est moins élevée aussi. J’ai sous les yeux le tableau des dépenses qui ont été faites pendant plusieurs exercices. Prenons pour exempte l’année 1841. Le gouvernement a demandé une somme de 1,140,000 francs, mais n’a impute sur ce crédit qu’une somme de 655,000 fr. de manière qu’il faut diminuer la somme qui a été demandée de celle qui n’a pas été dépensée, de manière que ce qui se trouve au budget des voies et moyens répond positivement à ce qui a été dépensé.
- Personne ne demandant plus la parole, le chiffre est mis aux voix et adopté.
« Art. 7 (devenu art. 8). Gratifications aux détenus : fr. 170,000 »
« Art. 8. (devenu art. 9). Frais d’impressions et de bureau : fr. 8,000 »
« Art. 9 (devenu art. 10). Traitement et tantièmes des employés : fr. 87,500 »
- Ces articles sont successivement mis en délibération et adoptés sans discussion.
« Art. 1er. Service des passeports : fr. 20,000 »
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne renouvellerai pas, à l’occasion du chapitre frais de police, les discussions que nous avons eues les années précédentes ; il serait parfaitement inutile d’y revenir, d’après les dispositions de la chambre ; je me réfère donc à ce que j’ai dit précédemment à cet égard.
Toutefois je suis dans l’obligation de faire une interpellation à M. le ministre de la justice.
La police est destinée, entre autres, à protéger la liberté individuelle ; il a été signalé à l’attention du pays, il a été signalé à l’attention de la presse tout entière, un fait très grave sur lequel il importe qu’on s’explique.
Dans un établissement religieux, plusieurs demoiselles de bonne famille auraient été séquestrées, et retenues malgré elles et malgré leurs parents.
Si mes renseignements sont exacts, le fait aurait été constaté, mais aucune poursuite n’aurait eu lieu contre les auteurs de cette séquestration.
Je demande à M. le ministre de la justice si quelque chose de semblable est parvenu à sa connaissance ; et en cas de négative, je désire qu’il prenne des renseignements ; il pourra les obtenir dans la ville de Namur.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, je n’ai aucune connaissance du fait dont parle l’honorable M. Verhaegen. Je m’empresserai de prendre des renseignements à cet égard.
- Personne ne demandant plus la parole, l’article est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Autres mesures de sûreté publique : fr. 48,000. »
- Adopté.
« Article unique. Dépenses imprévues, 5,000 »
M. Verhaegen. - Messieurs, un bruit s’était accrédité dans le public ; on disait que le ministre aurait proposé la législature une loi pour réparer, autant que possible, l’erreur judiciaire dont les malheureux Bonné et Geens, condamnés naguère, par une cour d’assise, à la peine de mort pour un crime commis par d’autres, avaient été l’objet. Ces hommes, comme vous le savez, avaient d’abord subi une très longue détention préventive et après de graves et solennels débats ils avaient été condamnés à la peine capitale. Enfermes aussitôt dans le cachot des condamnes à mort, ils y sont restés pendant trois mois, attendant de jour en jour qu’on vînt leur annoncer leur heure dernière, en un mot ils ont été en butte à toutes les angoisses d’une longue agonie ; plus tard la peine de mort fut commuée en travaux perpétuels avec exposition, et cette exposition eut lieu !
Cependant Bonné et Geens étaient innocents, et leur innocence fut proclamée.
Il importe à la législature de ne pas rester inactive en pareille circonstance ; les victimes d’une erreur judiciaire, indépendamment de la réhabilitation, ont droit à une indemnité, et je viens la réclamer, messieurs, de votre justice et de votre humanité.
Il est déjà assez malheureux qu’un homme poursuivi doive subir une détention préventive, en attendant qu’un jugement l’acquitte.
« Innocent, oublie tes maux, ils ont été nécessaires à la société. » C’est ce qu’on se borne à lui répondre pour toute satisfaction, mais l’innocent, qui a été condamné et exposé, a droit à plus, il a droit à une réparation, à une indemnité.
C’est dans ce but que je propose, de concert avec mon honorable ami M. Castiau, de majorer de mille francs le chapitre des dépenses imprévues, en fournissant ainsi le moyen à M. le ministre de la justice de donner un secours aux malheureux Bonné et Geens, en attendant qu’il nous présente une loi réparatrice.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, certes, personne ne compatit plus vivement que moi au sort malheureux de Bonné et Geens, condamnés par la cour d’assises du Brabant et dont l’innocence a été reconnue par la cour d’assises d’Anvers, par suite de l’arrêt de la cour de cassation qui les avait renvoyés devant cette cour. J’ai fait pour ces malheureux tout ce qu’il m’était possible de faire dans les limites de mon budget, dès l’instant où l’arrêt qui condamnait les véritables auteurs du crime a été rendu, du moment où l’innocence de Geens et Bonné n’a plus été douteuse, je les ai fait mettre à la pistole, je leur ai fait donner une nourriture meilleure et les vêtements dont ils manquaient.
Voilà tout ce qu’il m’a été possible de faire dès l’instant où le malheur de ces infortunés a été connu, qu’il a été prouvé qu’ils étaient victimes d’une erreur judiciaire. J’ai fait ensuite tout ce que la loi me permettait de faire quant à la réhabilitation morale. Cette réhabilitation est complète ; il n’y a plus rien à faire cet égard. L’innocence a été reconnue et proclamée d’une manière formelle, il n’y a plus lieu de la proclamer ultérieurement. Quant à la question matérielle, tout se réduit à savoir si les sieurs Bonné et Geens sont dans une position plus malheureuse qu’avant leur condamnation. Avant leur condamnation, ils étaient colporteurs, ils vivaient assez misérablement ; depuis lors, ils ont repris leur état, de plus ils ont reçu des secours, et grand nombre de personnes charitables qui se sont empressées de leur venir en aide. Je ne dis pas cela pour m’opposer à la proposition qui est faite ; je déclare au contraire que je verrais avec plaisir la chambre me donner le moyen d’accorder quelques secours à ces malheureux, victimes de dépositions qui ont été maintenues même devant la cour d’assises de la province d’Anvers, après la condamnation des véritables coupables.
Mais je pense qu’il faudrait faire un article spécial, car il est difficile de considérer comme imprévue une dépense en vue de laquelle des fonds sont demandés. Si l’honorable M. Verhaegen veut faire de sa proposition un article séparé, je serai charmé, je le répète, que la chambre me fournisse les moyens de venir en aide à ces malheureux qui ont moralement beaucoup souffert.
M. Verhaegen. - La conduite de M. le ministre de la justice mérite notre approbation ; il a fait tout ce qu’il pouvait en faveur des malheureux Bonné et Geens, il les a fait réhabiliter. J’en conviens, il a donné à l’instruction du procès toute la célérité que permettait la justice, il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour réparer un grand malheur, et je lui en rends grâce ; ce que je désire maintenant pour achever l’œuvre, c’est que la législature, au nom du pays, contribue aussi à cet acte de réparation. Je n’ai proposé qu’une somme de 1000 francs à titre de secours provisoire, pour que ma proposition eût plus de chances de succès. J’ose donc espérer qu’elle ne rencontrera pas d’objections.
M. de Garcia. - Je compatis autant que qui que ce soit au sort des malheureux dont l’honorable M. Verhaegen vient de prendre la défense. Mais introduire une mesure contraire à tous les principes de notre législation, à propos d’un fait spécial, c’est ce que je ne puis admettre, C’est, selon moi, poser un antécédent fâcheux. Dans le système anglais, on accorde une réparation pour toutes les poursuites qui ne sont pas trouvées fondées. Je ne concevrais pas comment vous donneriez une indemnité à celui qui aurait subi une condamnation étant innocent, quand vous la refuseriez à celui qui aurait été poursuivi pendant six mois, un an, mis au secret et reconnu ensuite innocent. Pour les résultats, les hypothèses sont identiques. Le prévenu est victime d’une erreur de la police judiciaire, et le condamné d’une erreur du pouvoir judiciaire. Si vous accordez une indemnité, peu importe la longueur de la durée de l’injustice ; si une poursuite injuste, non fondée, a été exercée, vous devez la réparer. Si vous posez aujourd’hui un précédent, ce précédent pourra vous entraîner plus loin, d’occasionner de grandes dépenses.
Sans vouloir me prononcer aujourd’hui sur le sort d’une loi qui aurait pour objet d’accorder des réparations à ceux qui ont été victimes de poursuites non fondées, je voudrais que la question fût posée d’une manière générale et non pour un cas particulier.
Je ne pourrais donc donner mon approbation à une proposition isolée, telle que celle qui vous est faite à l’occasion des victimes de la justice.
M. Savart-Martel. - Je ne suis pas d’accord avec l’honorable M. de Garcia, je ne puis pas admettre que pour avoir été poursuivi en justice, on ait droit à une indemnité. Mais pour le cas particulier dont il s’agit, le précédent qu’on poserait n’est pas à craindre, car il s’agit de personnes condamnées par un premier arrêt, qui ont subi leur perte, qui ont été exposées et ont ensuite été reconnues innocentes. Ce précédent-là, je l’espère, ne se rencontrera plus, du moins, il ne peut se rencontrer que fort rarement. Le danger, si danger il y a, se présente donc d’une manière tellement éloigné qu’il est permis de fermer les yeux.
Comme ces malheureux sont au nombre de trois, je proposerai de porter la somme à 1,500 fr. au lieu de 1000, afin qu’ils puissent avoir chacun 500 fr.
M. Orts. - J’avais demandé la parole pour répondre à l’honorable M. de Garcia et faire observer qu’il y a une différence énorme entre l’individu acquitté, parce que le juge n’a pas acquis la conviction de sa culpabilité, qui n’a éprouvé que les inquiétudes, les angoisses, si l’on veut, de la prévention, et celui qui, comme ceux dont il s’agit, a subi sa peine non seulement l’exposition, mais les travaux forcés. Le cas est tout à fait différent.
J’espère que vous ne serez pas appelés souvent à donner des indemnités pour de pareils malheurs. Heureusement pour l’humanité ses exemples sont rares. Mais je crois que toutes les fois que des cas semblables à celui dont il s’agit se présenteraient, la législature n’hésiterait pas à accorder des indemnités.
M. Coghen. - Messieurs, j’ai demandé la parole parce que je ne partage pas l’opinion de M. de Garcia. Je ne crains pas que la proposition qui est faite fasse précédent ; heureusement les erreurs judiciaires sont rares : or donc elles ne sont pas à craindre. Dans la position où se trouvent les malheureux Bonné et Geens, il est du devoir du pays de leur accorder une réparation. Ces malheureux ont été condamnés à la peine de mort, ils ont séjourné dans le cachot destiné aux condamnés et, chaque matin, quand ils entendaient le bruit de leurs verrous, ils craignaient qu’on vînt les chercher pour les conduire au supplice, tout innocents qu’ils étaient. Si j’avais eu l’honneur d’appartenir à la magistrature ou au jury, j’aurais prononcé comme on l’a fait, car c’est sur des dépositions malheureuses que la condamnation a été prononcée. Mais aujourd’hui, que l’innocence est reconnue, que la justice a reconnu l’erreur c’est un devoir d’équité nationale de les dédommager de la condamnation qu’ils ont si injustement encourue. Ils ont protesté de leur innocence quand on les conduisait à l’échafaud pour les mettre au carcan. Veut-on reculer devant l’idée de leur donner une faible indemnité ? Je voterai pour la somme de 1,500 fr. proposée par M. Savart comme secours provisoire, en attendant que le gouvernement vienne nous faire une proposition qui leurs fasse une position supportable dans le monde.
M. de Garcia. - Je partage l’opinion de MM. Savart et Orts, qu’il y a une différence entre de condamnés et des prévenus. Cependant ils devront convenir qu’un homme qui reste huit mois, un an en prévention d’un crime, est aussi victime d’une erreur, si pas d’une erreur judiciaire, au moins d’une erreur de police judiciaire. Il éprouve un tort fort grave. Quand j’ai parlé d’une loi ayant pour objet de réparer les erreurs judiciaires et les erreurs de police judiciaire, j’étais guidé par le souvenir de ce qui se passe en Angleterre, où un homme poursuivi et reconnu innocent a droit à des indemnités.
Malgré tout ce qui a été dit, je persiste à penser qu’il faut une réparation dans tous les cas, ou qu’il n’en faut pas dans le cas spécial dont il s’agit. Au surplus, y a-t-il des motifs plausibles de prendre une mesure particulière pour l’espèce actuelle ?
M. le ministre de la justice à très bien présenté la question ; il a envisagé le point de vue matériel et le point de vue moral. Au point de vue matériel, a-t-il dit, la position des malheureux dont l’innocence a été reconnue, est la même qu’avant la condamnation. Au point de vue moral, est-ce votre argent qui réparera le dommage causé ? Non, sans doute, et toutes les résolutions que vous pouvez prendre à cet égard, ne feront qu’un double emploi avec la déclaration de l’autorité judiciaire, qui a proclamé l’innocence de Bonné et consorts, ils ont été ainsi vengés aux yeux de la société. Ce ne sera pas les 1,500 fr. d’indemnité que vous pouvez leur donner, qui ajouteront à la position sociale de Bonné et Geens.
M. Verhaegen. - L’honorable M. de Garcia ne me comprend pas. Il serait en-dessous de nous, de nous borner à un secours de 1,000 fr. J’ai exprimé le désir que M. le ministre de la justice fît mieux, qu’il fît une proposition : ce n’est qu’en attendant cette proposition, que j’ai demandé une allocation de 1,000 francs, Ma proposition est en des termes tels qu’elle ne fait pas précédent. Je mets M. le ministre de la justice à même de faire ce qu’il jugera à propos au moyen des 1,000 francs d’augmentation portés à son budget.
Je me borne à ce libellé : « D’après les considérations que j’ai fait valoir, je propose à la chambre d’augmenter de 1,000 fr. le chapitre des dépenses imprévues. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Un mot seulement relativement à l’amendement de M. Verhaegen. Cet honorable membre m’engage à proposer un projet de loi. Messieurs, si l’amendement était adopté, si je pouvais disposer d’une somme de 1,500 fr., je pense qu’il ne faudrait rien faire de plus, que cela suffirait amplement pour dédommager Bonné et Geens de la perte de leur travail, pendant leur détention.
Quant à la réparation morale, elle est obtenue, il faut s’occuper uniquement de la réparation matérielle.
M. Malou. - Je suis obligé de faire une observation. Je désire que l’on fasse quelque chose pour des malheureux, mais je désire que l’article soit libellé de manière que la cour des comptes puisse, sans déroger à tous ses précédents, viser les mandats de payement.
M. Verhaegen. - La discussion suffira pour faire connaître le sens de l’article.
M. Malou. - La discussion ne suffit pas, parce que la moi n’est pas faite par la chambre seule.
M. de Mérode. - La cour des comptes ne montrera pas un tel puritanisme. Si le sénat ne vote pas l’augmentation il faudra aviser à un autre moyen. Mais s’il la vote, je suis persuadé que la cour des comptes ne refusera pas de viser les mandats de payement.
- L’augmentation de 1,500 francs, préposée par M. Savart (proposition à laquelle M. Verhaegen déclare se rallier), est mise aux voix et adoptée.
Le chapitré XII est mis aux voix et adopté, avec le chiffre de 6,500 francs.
« Article unique. Pour solde de dépenses arriérées concernant des exercices dont les budgets sont clos : fr. 20,000 »
- Adopté.
M. Savart-Martel, rapporteur. - Je crois que c’est le moment de faire, au nom de la section centrale, rapport sur la pétition du sieur Marchal, qui lui a été renvoyée. Voici ce rapport :
« Avant de se séparer, la section centrale a pris communication de la requête du sieur Marchal, avocat à Bruxelles, laquelle a été renvoyée à cette section par décision de la chambre, du 7 décembre courant.
« Cette requête a pour but qu’il soit alloué au pétitionnaire une indemnité pour le préjudice que lui a causé la suppression du tribunal de St.-Hubert, près duquel il exerçait ses fonctions d’avoué.
« On sait que, par suite de la séparation de la Belgique d’avec la Hollande, les arrondissements des tribunaux de la province de Luxembourg furent morcelés, et celui de St.-Hubert supprimé ; mais la loi de suppression de ce tribunal a autorisé les officiers ministériels à exercer près de celui de Neufchâteau.
« Il se conçoit que cet état de choses ait pu nuire considérablement, même au sieur Marchal, c’est un titre peut-être pour obtenir un office de judicature ou autre dépendant des ministères, si son grand âge le permet.
« Mais la section centrale ne pense point que l’Etat, qui confère gratuitement les fonctions d’officiers ministériels, puisse rien devoir en pareil cas. Or, c’est une indemnité que réclame le pétitionnaire, ce qui supposerait un droit préexistant que la section ne peut reconnaître.
« La section centrale n’a pas cru pouvoir présenter aucun chiffre à cet égard, mais la pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion, d’autant qu’il résulte des explications fournies par le pétitionnaire qu’il réclame moins une indemnité qu’un secours. »
Le pétitionnaire est âgé de 75 ans. Je crois qu’il y aurait lieu de lui accorder un secours.
M. Zoude. - J’ai eu l’honneur de déposer un amendement que M. le comte de Mérode a fait sien et qui tendait à accorder au pétitionnaire un secours de 300 fr. C’est un vieillard de 75 ans ; il exerçait les fonctions d’avoué près le tribunal de St-Hubert, lorsqu’on a sacrifié le Luxembourg à la politique. On a dit alors qu’on indemniserait toutes les victimes de la séparation ; on a accordé une indemnité à la ville de St-Hubert ; on a conservé à tous les fonctionnaires leur traitement. Je demande qu’on accorde un secours à une autre victime de la séparation.
M. le président. - L’amendement a été retiré, je ne puis rien mettre aux voix.
M. de Mérode. - J’ai retiré mon amendement, parce qu’on m’a objecté que ce n’était pas le moment de le présenter ; on m’a ajourné à la fin du budget. Je demande maintenant qu’on accorde au pétitionnaire une indemnité de 1200 fr. ou un secours annuel de 300 fr. Je ferai remarquer qu’il s’agit d’un cas tout à fait spécial, d’un vieillard privé de son emploi par la suppression d’un tribunal.
M. le président. - Je ne puis mettre cela aux voix ; ceci devrait faire l’objet d’une loi spéciale ; chaque membre peut user de son droit d’initiative en faisant à cet égard une proposition. Je ne puis que mettre aux voix l’ordre du jour proposé implicitement par la commission.
- L’ordre du jour est prononcé.
« Art. 1er. Le budget du département de la justice, pour l’exercice 1844, est fixé à la somme de 10,983,723 fr., conformément au tableau ci-annexé. »
- Adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de se promulgation. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet de loi de budget.
67 membres sont présents.
3 (MM. Verhaegen, de Garcia et Delfosse) s’abstiennent.
64 prennent part au vote et se prononcent pour l’adoption.
La chambre adopte.
On voté pour l’adoption : MM. Thyrion, Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Vandensteen, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Brabant, Cogels, Coghen, David, de Baillet, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de Florisone, de La Coste, Delehaye, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, Deprey, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Huveners, Jadot, Jonet, Lange, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Malou Manilius, Meeus, Mercier, Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart-Martel, Scheyven, Sigart, (erratum Moniteur belge n°14, du 14 janvier 1844 :) Simons, Thienpont.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à en faire connaître les motifs.
M. Verhaegen. - Messieurs, je n’ai pas voulu voter contre les allocations pour la magistrature, qui est loin d’être trop bien traitée. Mais je n’ai pas voulu non plus approuver les allocations pour le culte, et sanctionner, par mon vote, les 351 succursales nouvelles qui ont été créées. Je me suis donc abstenu.
M. de Garcia. - Messieurs, le département de la justice laisse à désirer des réformes et des améliorations. Je citerai notamment la haute cour militaire, qui constitue une anomalie au milieu de nos principes politiques Souvent, j’ai attiré l’attention du gouvernement sur cet objet, et jusqu’à ce jour, rien n’a été fait. Je n’ai pas voulu, par mon assentiment au budget, consacrer des mesures et un état de choses qui réclament des réformes et des améliorations. Voilà les motifs de mon abstention.
M. Delfosse. - Messieurs, j’aurais voulu voter pour le budget de la justice, mais j’aurais voulu voter contre le budget des cultes, d’abord parce qu’on n’a pas établi pour les dépenses du culte les spécialités convenables et ensuite parce qu’on ne nous a pas communiqué les arrêtés qui érigent de nouvelles succursales.
Les deux budgets étant réunis, force m’a été de m’abstenir.
- La séance est levée à 4 heures et quart.