(Moniteur belge n°338, du 4 décembre 1842)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse communique les pièces de la correspondance.
« Plusieurs habitants de Bruxelles réclament contre la répartition des impôts et prient la chambre de s’occuper du projet de loi sur la contribution personnelle. »
Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet, et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.
La chambre, sur la proposition de M. Verhaegen, en ordonne en outre l’impression au Moniteur.
« Le sieur Behr, administrateur de la société des Brasseries Belges à Louvain, prie la chambre de rejeter toute majoration de centimes additionnels sur le principal de l’accise des bières. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.
« Des brasseurs de la banlieue de Bruxelles présentent des observations contre les projets de loi tendant, l’un à majorer les centimes additionnels sur les bières, et l’autre, à modifier les bases de 1’impôt sur cet article. »
« Mêmes observations des brasseurs d’Eeekeren, Poperinghe et communes environnantes, St.-Amand, Hal, Borheim, du district de Verviers, de la ville de Namur, de Termonde et de ses environs. »
M. Dedecker. - M. le secrétaire vient de présenter l’analyse d’une pétition des brasseurs de Termonde et des environs de cette ville. Il paraît que la proposition des 10 centimes additionnels sur l’accise des bières, et le projet spécial modifiant les bases de l’impôt sur cet article, a produit dans cet arrondissement la fâcheuse impression qu’elle a faite dans le reste du pays. Je ne m’étendrai pas sur les considérations que les pétitionnaires font valoir, elles vous ont été présentées dans les pétitions émanées d’une foule d’autres localités, elles sont donc suffisamment connues de vous tous ; je demanderai seulement que, conformément à une décision antérieure, la chambre fasse imprimer cette pétition au Moniteur, et en ordonne le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens, ainsi que le renvoi à la section centrale, qui sera chargée de l’examen du projet de loi sur les bières.
M. Lys. - Je fais la même demande pour la pétition des brasseurs de Verviers.
M. Brabant. - Et moi, pour la pétition des brasseurs de la ville de Namur.
M. Henot. - Et moi, pour la pétition des brasseurs de Bornhem et de St-Amand.
M. Verhaegen. Je demande que la décision s’applique à toutes les pétitions de l’espèce.
M. Lys. - Je demande qu’elle s’applique aussi aux pétitions que la chambre a reçues hier, entre autres, à la pétition du canton de Herve.
M. le président. - Il n’y a pas d’opposition, je pense, à ce que les pétitions relatives à l’accise sur la bière soient déposées sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens, et renvoyées à l’examen de la section centrale qui sera chargée de l’examen du projet de loi sur les bières. (Non ! non !) Ainsi, ce dépôt et ce renvoi sont ordonnés. Maintenant il s’agit de statuer sur l’insertion de toutes ces pétitions au Moniteur.
M. de Garcia. - Je demande la parole. Messieurs, je conçois l’utilité qu’il peut y avoir à renvoyer les pétitions, soit à la commission, soit aux sections centrales, chargées de l’examen des matières auxquelles ces pétitions se rapportent ; mais je ne vois pas quel intérêt peut présenter l’insertion de toutes les pétitions dans le Moniteur. Si nous continuons à faire insérer au Moniteur toutes les pétitions qui nous sont présentées, les colonnes ordinaires du il ne pourront plus suffire, et la feuille officielle se transformera en une brochure volumineuse pendant toute la durée des sessions, et deviendra dès lors une grande charge pour le pays. Il entre déjà tant de choses inutiles dans le Moniteur qu’on ne le lit guère ! Je m’opposerai dorénavant à l’insertion de toute pétition dans le Moniteur, à moins que des raisons toutes spéciales ne commandent cette insertion.
- La chambre consultée décide que les pétitions relatives à l’accise sur les bières ne seront pas insérées au Moniteur.
« Le conseil communal de Wonck et les autorités des communes environnantes demandent que la route de Liége à Maeseyck passe par Wonck, au lieu de passer par Bassenge. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Bruxelles prient la chambre d’aviser au moyen de faire contribuer aux charges publiques la fortune de chaque propriétaire. »
Renvoi à la commission des pétitions.
Par dépêche en date du 30 novembre 184, M. le ministre de la guerre (M. de Liem) transmet des explications sur les pétitions du soldat réformé Blavier.
- Pris pour notification.
M. Mast de Vries dépose le rapport de la section centrale qui été chargée d’examiner les modifications à la loi des boissons distillées.
- La discussion de ce rapport, qui sera imprimé et distribué, sera ultérieurement fixée.
M. David. - Nous sommes saisis d’un projet conçu par MM. les ministres de l’intérieur et des finances, qui amène des changements sur les droits d’entrée en Belgique de diverses matières.
A diverses reprises, dans cette chambre, j’ai signalé, messieurs, l’opportunité qu’il y aurait à augmenter le droit à la sortie du pays sur les peaux et cuirs frais indigènes.
Jusqu’à présent je n’avais présenté cette opportunité que sons le rapport de l’intérêt commercial et industriel ; aujourd’hui, que nous nous occupons à créer de nouvelles ressources, je trouve dans ma proposition un double avantage, celui de venir en aide aux finances.
L’exportation au taux actuel de sortie sur les cuirs indigènes favorise les tanneries de France, d’Angleterre et de Prusse, à notre véritable détriment. La France surtout, qui en tire la plus grande quantité, nous les renvoie fabriqués, et d’un autre côté frappe notre production similaire d’un droit prohibitif à son entrée chez elle.
Maintenant, messieurs, l’objet de ma motion d’ordre est de savoir si M. le ministre des finances a songé à faire étudier la portée de ma proposition. Je désirerais que, soit à la discussion des droits d’entrée, soit peut-être à celle des voies et moyens, qui nous occupe en ce moment, M. le ministre des finances se déterminât à demander une augmentation considérable à la sortie des cuirs du pays.
Avant de pousser mes observations plus loin, je demanderai à la chambre et à M. le ministre en particulier, s’il paraît plus convenable d’aborder la question lors de la spécialité du changement des droits proposés, ou bien à la discussion des voies et moyens. J’espère que, par la même occasion, on pourra frapper aussi d’un droit double de ce qu’il est aujourd’hui les os à l’exportation. C’est une mesure reconnue comme parfaitement utile à notre agriculture. Je crois que M. le ministre des finances en est lui-même un acte partisan,
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, le gouvernement a proposé une augmentation de droit sur la sortie des os. Quant à la question des cuirs, elle se rattache également au projet qui a été présenté à la chambre, relativement à l’abolition de certains droits de sortie, de manière qu’elle ne pourrait pas être discutée maintenant Du reste, nous nous sommes occupés de cette question, nous ferons même une communication à la section centrale.
M. David. - Je désire qu’on fasse étudier cette question ; elle est très importante.
M. Savart-Martel. - Je désire savoir si en votant le projet qui nous est soumis, ce sera sans préjudice de l’amendement que j’ai déposé.
M. le président. - Mon intention était, après la lecture de article personnel, de rappeler l’amendement de M. Savart et de consulter la chambre sur ce qu’il fallait faire cet égard, soit pour le discuter immédiatement, soit pour en remettre la discussion à un autre moment. Ainsi, nous allons passer à l’article personnel.
« Personnel
« Principal, fr. 7,727,720
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 772,772
« 10 cent. additionnels extraordinaires pour 1843 : fr. 772,772. »
La section centrale admet les deux premiers numéros et n’adopte pas le troisième.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, d’après le vote d’hier, je déclare renoncer aux propositions de centimes additionnels sur les articles personnel, patentes et bières. Nous nous réservons de vous faire, s’il y a lieu, d’autres propositions.
M. Delfosse. - Je demande la parole.
M. le président. - Je dois rappeler ici l’amendement de M. Savart. La chambre entend-elle le discuter immédiatement, ou en renvoyer la discussion à un autre moment ?
C’est un paragraphe additionnel à l’art. 1er ; il est ainsi conçu :
« Les chevaux employés habituellement à l’agriculture ne sont point soumis à l’impôt, sauf le cas où ils seraient attelées à une voiture suspendue. »
M. Delfosse. - Le vote d’hier est un fait inouï dans les fastes parlementaires ; dans aucun temps, dans aucun pays, je pense, on n’a vu un ministère se trouver absolument seul pour appuyer une proposition et ne pas rencontrer dans la représentation nationale une seule voix amie ; après un échec aussi humiliant, le ministère, s’il avait le moindre sentiment de dignité, ne devrait pas se borner à retirer les projets, il devrait se retirer lui-même ; si la même situation se présentait en France ou en Angleterre, la démission des ministres ne se ferait pas attendre vingt quatre heures.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, c’est au ministère d’apprécier, comme il le juge convenable, le vote qui a été émis hier (oui ! oui !), et chaque membre de la chambre l’appréciera également.
M. Verhaegen. - Messieurs, ce qui se passe en ce moment prouve que j’avais raison hier, et que les observations, tout au moins déplacées de M. le ministre de l’intérieur, n’avaient aucun fondement. J’ai parlé d’une comédie qu’on faisait jouer à la législature et dans laquelle je ne voulais pas prendre de rôle ; l’événement a prouvé que j’ai bien vu, car si le ministère avait pris la chose au sérieux, le vote d’hier était le signal de sa retraite.
M. de Garcia. - Je ne prends pas la parole pour rencontrer les observations qui viennent d’être faites ; cela n’en vaut pas la peine. La chambre et les ministre savent ce qu’ils ont à faire par suite du vote qui a été émis hier. Si l’on veut provoquer une question de cabinet, on doit la poser directement.
Quant à l’amendement de l’honorable M. Savart-Martel, je regrette ne pas pouvoir l’appuyer.
M. le président. - L’amendement n’est pas en discussion.
M. de Garcia. - Je le sais, M. le président ; mais j’ai demandé la parole précisément à propos de la question de savoir, s’il était opportun d’examiner cet amendement dans le moment actuel.
Je commence par dire, que je partage au fond l’opinion de l’honorable M. Savart-Martel. Mais je dis qu’à l’occasion d’un budget, on ne peut pas changer une loi.
Il y a une loi sur le personnel, et les chevaux y figurent dans un article spécial qui a déjà été amendé sous le ministère de l’honorable M. d’Huart. L’amendement de l’honorable M. Savart-Martel tend à apporter un changement à une loi. Or, ce n’est pas par une proposition au budget qu’on peut modifier une loi…
M. le président. - Je ferai observer à l’orateur qu’il s’agit pour le moment de la seule question de savoir si l’on mettra l’amendement en discussion ; si la disposition est mise en discussion, chaque membre de la chambre sera libre de faire telle proposition qu’il jugera convenable.
M. Demonceau. - Messieurs, je devrais peut-être attendre que M. Savart ait développé sa proposition avant de prendre la parole, cependant je crois devoir dire maintenant quelques mots en réponse aux paroles des honorables MM. Delfosse et Verhaegen.
M. de Mérode. - C’est inutile !
M. Demonceau. - Je dois dire que si, dans cette circonstance, j’ai cru devoir faire opposition au ministère, ce n’était certainement pas pour m’associer à eux.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous verrons dans quelques jours qui a joué la comédie ; quand il s’agira de mettre à l’ordre du jour l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire et de fixer l’époque où elle aura lieu, nous verrons quelle opinion émettra l’honorable M. Verhaegen.
M. le président. - Est-on dans l’intention de discuter maintenant la proposition de M. Savart ?
M. Dubus (aîné). - Je crois que c’est le moment de s’occuper de cette proposition, puisque nous abordons le chiffre de l’impôt personnel et qu’il s’agit d’expliquer la loi concernant cet impôt. La discussion est tout à fait opportune. Je demande que la parole soit donnée à l’auteur de la proposition. Mon intention est de l’appuyer.
- La chambre, consultée sur la proposition de savoir si elle s’occupera de la proposition de M. Savart maintenant ou lors de la discussion de l’art. la renvoie à la discussion de l’art. 1er.
« Personnel.
« Principal : fr. 7,727,720
« Additionnels : fr. 772,772
« Ensemble : fr. 8,500,492. »
- Adopté.
« Principal : fr. 2,614,616
« Additionnels : fr. 261,461
« Ensemble : fr. 2,876,077 »
- Adopté.
« Principal : fr. 187,000
« 10 centimes ordinaires pour non-valeurs : fr. 18,700
« 5 centimes pour frais de perception : fr. 10,285
« Ensemble : fr. 215,985 »
Douanes (Proposition du gouvernement.)
« Droits d’entrée (16 cent. add.) : fr. 9,537,172
« Droits de sortie (id.) : fr. 400,000
« Droits de transit (id.) : fr. 90,000
« Droits de tonnage (id.) : fr. 350,000
« Timbres : fr. 37,000
« Ensemble : fr. 10,414,172 »
Douanes (Proposition de la section centrale)
« Droits d’entrée (16 cent. add.) : fr. 9,300,000
« Droits de sortie (id.) : fr. 550.000
« Droits de transit (id.) : fr. 150,000
« Droits de tonnage (id.) : fr. 360,000
« Timbres : fr. 37,000
« Ensemble : 10,397,000 »
M. le président. - Les motifs des propositions de la section centrale sont expliqués dans le rapport. J’appellerai d’abord l’attention de la chambre sur ce que la section centrale propose de renvoyer à une autre loi séparée l’augmentation du droit de douane sur le café.
M. le ministre se rallie-t-il à cette proposition ?
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je pense que l’augmentation sur le café pourrait être discutée immédiatement. La section centrale en a proposé le renvoi à la discussion qui doit avoir lieu sur les droits différentiels. Rien n’empêche de modifier les tarifs maintenant ; il est important que les recettes se fassent. D’ailleurs rien n’est préjugé, on pourra voter une modification au droit quand on s’occupera des droits différentiels, dans l’intérêt de nos relations avec les puissances étrangères.
M. Osy. - Vous savez que M. le ministre demande une augmentation de 2 fr. sur les cafés. Les sections se sont déjà occupées du projet de loi sur les droits d’entrée, et plusieurs sections ont demandé que la discussion de ce projet fût ajournée jusqu’a la discussion du rapport de la commission d’enquête. Si nous allons aujourd’hui nous occuper de l’augmentation de droit sur le café et la discuter, nous anticiperons sur la discussion du projet de loi relatif aux droits d’entrée et au rapport de la commission d’enquête. Si aujourd’hui vous augmentez de 2 fr. le droit sur le café, dans un mois peut-être vous serez obligés de bouleverser ce que vous aurez fait, Je crois qu’il faut attendre la discussion du projet de loi sur les droits d’entrée ; alors on décidera si on doit attendre la discussion du rapport de la commission d’enquête.
Je propose d’ajourner la proposition de M. le ministre des finances.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Voici la marche que l’on propose. Le ministère a demande une augmentation sur le café au budget des voies et moyens, comme ressource nécessaire, à partir du 1er janvier prochain. Il est vrai que la chambre est saisie d’un projet de loi spéciale d’augmentation de droits d’entrée. Dans ce projet, on a rappelé cet article du café, mais seulement pour que l’ensemble du projet fût connu et pour rendre la disposition permanente. On demande le renvoi de l’article du budget à cette loi spéciale ; mais ce n’est pas tout, on vous prévient qu’alors on vous demandera un nouveau renvoi, le renvoi à la discussion de la question des droits différentiels. Je ne sais pas alors quand on s’occupera de la discussion de cet article. (Interruption.) Je sais que le café est un des objets qui tombent dans le domaine des droits différentiels. L’essentiel, il ne faut pas le perdre de vue, c’est qu’il faut des ressources, à partir du premier janvier prochain. Il vous a semblé que le café était susceptible d’une augmentation de droit. Nous en avons proposé une bien légère. Il s’agit d’une augmentation de deux francs, vous renvoyez ce article à la discussion du projet de loi sur les droits d’entrée, je vous préviens qu’on demandera alors le renvoi à la discussion de la question des droits différentiels. Je vous demande ce que devient alors la ressource qu’il nous faut, à partir du 1er janvier prochain.
M. Eloy de Burdinne. - Je crois aussi qu’en votant la suppression des centimes additionnels, je l’ai votée, non pour déverser un blâme sur le ministère, mais bien pour éviter une augmentation sur les contributions directes, que je crois aujourd’hui suffisamment élevées. Non. mon intention n’a pas été du tout de dire au ministère qu’il se retire. Le ministère tel qu’il est composé me convient. S’il se trompe, c’est ce que tout homme est sujet a faire. Quel est celui de vous qui ne peut pas se tromper ? Vous en conviendrez, le ministère est trop occupé, harcelé, chicané, vexé, pour qu’il lui reste le temps convenable pour soigner les intérêts du pays. Voilà ma pensée, je la dis avec autant de franchise que ceux qui ne pensent pas comme moi.
Messieurs, si j’ai voté contre les centimes additionnels, c’est par le motif que je crois qu’on peut trouver le moyen de procurer des ressources au pays, ressources qui pèseraient en partie sur les producteurs étrangers en même temps qu’elles pèseraient sur les consommateurs, et principalement les consommateurs de denrées introduites par l’étranger, c’est-à- dire par la classe aisée.
Je l’ai déjà dit dans la discussion générale, cherchons à améliorer notre situation en frappant les produits venant de l’étranger. Quand on propose une augmentation sur tel ou tel produit, on s’écrie aussitôt : prenez-y garde, la fraude viendra introduire dans le pays, elle la perdra plus qu’il ne pourrait gagner.
Voilà l’argument que l’on emploie contre les propositions d’augmentation d’impôt sur les produits étrangers. Saris doute, il faut éviter la fraude ; mais nous avons des moyens pour éviter la fraude. Ayons une loi sévère contre les fraudeurs, que moi j’appelle des voleurs ; prenons des mesures pour flétrir la conduite des hommes bien placés qui ne se font pas scrupule d’employer des malheureux pour voler le gouvernement. Vous avez, dites-vous, le commerce interlope, mais c’est un métier de voleur. Qui vole son pays, ou un pays voisin, est toujours un voleur. Telle est ma pensée ; je la dirai toujours franchement.
Je vous le demande, est-il plus permis de voler l’étranger que ses propres concitoyens ?
On concevra toutefois que lorsqu’on prive le gouvernement d’impôts qu’il est en droit d’exiger, c’est en définitive les particuliers que l’on vole. Or, je le demande, si un Belge prenait dans la poche d’un Français une somme quelconque, ce belge, ne serait-il pas poursuivi devant les tribunaux. Attachons-nous donc, messieurs, à flétrir cette industrie immorale, ce sera déjà là un moyen puissant d’empêcher la fraude.
On invoque toujours la nécessité de ne pas encourager la fraude, mais on n’a pas craint la fraude, messieurs, lorsqu’on a frappé le sel de droits qui équivalent à quatre fois la valeur de cet objet ; je suis de ceux, messieurs, qui veulent favoriser les industries du pays, mais je favoriserai toujours celles qui s’alimentent des produits du sol avant celles qui s’approvisionnent de matières premières venant de l’étranger. Une industrie que je favoriserai toujours volontiers, c’est l’industrie cotonnière ; cependant je ne voudrais la favoriser que pour autant qu’elle puisse exporter ses produits, et l’intérêt que nous portons à cette industrie ne devrait pas nous empêcher d’imposer le coton brut à l’entrée, parce que ce serait là un impôt qui pèserait sur ceux qui veulent user de coton. Remarquez-le, messieurs, le coton a fait un tort immense, à l’industrie linière, il a fait abandonner les toiles de lin, de chanvre et d’étoupes, pour les vêtements, le linge de table, etc. Or, je le demande, messieurs, faut-il ruiner une industrie toute morale comme l’industrie linière, pour favoriser une industrie qui ne produit pas le quart des avantages que produit l’industrie linière.
Il y a, messieurs, un autre motif qui doit nous engager à frapper les produits étrangers, c’est que nous devons encourager avant tout la consommation des produits, de notre pays. J’ai déjà dit plusieurs fois, et je le répéterai à satiété, la balance commerciale est ruineuse pour la Belgique ; vos importations dépassent d’environ 50 millions vos exportations, et comme je le disais encore il y a deux jours, il est bien certain que la consommation de produits étrangers doit considérablement réduire le numéraire qui se trouve dans le pays. Or, une nation, comme un particulier, ne doit dépenser que ses revenus, et les revenus d’une nation sont ses exportations, tandis que ses importations constituent sa dépense.
Au surplus, messieurs, les droits d’entrée sur les produits étrangers sont supportés par les nations chez lesquelles il y a trop plein de ces produits ; cela est si vrai que les industries de notre pays ne cessent de demander des traités de commerce pour obtenir l’abaissement des tarifs étrangers qui frappent leurs produits.
Remarquez-le bien, messieurs, il vous serait très facile de porter à 30 millions environ le revenu des douanes qui ne donne aujourd’hui que 10 millions, En Angleterre le revenu des douanes équivaut à 37 fr. par tête ; eh bien si nos douanes rapportaient 30 millions, cela ne représenterait que 7 francs de centimes par tête. Vous voyez donc que mon système est bien modéré, si on le compare au système adopté chez nos voisins.
Je recommande à l’attention du gouvernement et de la chambre les considérations que j’ai présentées, à plusieurs reprises, relativement aux douanes. C’est sur les produits étrangers surtout que nous devons nous procurer des ressources. Je sais que cela ne conviendra pas à certaines industries, ni à certain comme ce qui gagne une commission sur les produits étrangers importés dans le pays ; mais vous ne porterez aucune loi fiscale qui ne déplaise à l’une ou à l’autre industrie, qui ne dérange l’une ou l’autre position. Il est une chose que nous devons considérer avant tout, c’est l’intérêt du trésor, et nous devons, comme nos voisins les Anglais et les Français, chercher à faire peser autant que possible nos impôts sur les producteurs étrangers. Si l’étranger a un excédant de marchandises, il faut qu’il déverse cet excédant quelque part, et il va naturellement le déverser dans le pays où les droits d’entrée sont le plus faibles. En suivant le système que je propose, nous empêcherions les nations qui sont nos rivales en industrie de déverser leur trop-plein sur notre marché ; nous procurerions au trésor un revenu de 30 millions sur les douanes, et nos droits d’entrée seraient encore loin d’être aussi élevés que ceux qui se perçoivent en France et en Angleterre.
J’adopterai donc, messieurs, toute proposition qui aura pour but d’imposer les produits étrangers, tels que le café, le tabac, les bois étrangers. En Angleterre, on perçoit sur les bois de construction et de teinture 41 millions On dira que les bois de teinture soit une matière première ; mais celui qui voudra porter des vêtements teints avec du bois du Brésil, par exemple, paiera l’impôt dont le bois sera frappé ; je ne vois pas quel inconvénient il y a à cela.
Ainsi messieurs, je demande que l’on se hâte d’apporter des modifications à nos lois de douanes ; je voudrais même que l’on s’en occupât toute affaire cessante. Nous procurerions ainsi au trésor des ressources bien plus que suffisantes pour remplacer les centimes additionnels demandés sur les contributions directes.
M. Delfosse. - L’honorable M. Eloy de Burdinne vient de reprocher à l’opposition de faire perdre du temps à la chambre par des discussions inutiles ; ma réponse à l’honorable membre sera brève ; si quelqu’un fait perdre du temps à la chambre, ce n’est certes pas moi, qui parle rarement, mais c’est l’honorable M. Eloy de Burdinne, dont les discours sont dix fois plus nombreux que les miens ; si quelqu’un fait perdre du temps à la chambre, ce n’est pas moi, qui ne parle guère plus d’un quart d’heure à la fois, mais c’est l’honorable M. Eloy de Burdinne qui parle jusqu’à trois jours de suite sur une seule question.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, il est inexact de dire que j’ai parlé pendant trois jours. J’ai parle dans trois séances, mais non pendant trois jours ; j’ai eu la parole à la fin de la séance du premier jour et j’ai terminé au commencement de la séance du troisième jour, et la question que j’ai traitée alors valait bien la peine d’y employer le temps que j’y ai employé. Du reste, le temps qui est consacré au développement d’un système tel que celui que je viens de développer, ne peut pas être considéré comme du temps perdu ; si le gouvernement fait attention à ce système, ce temps, ainsi employé, rendrait infiniment plus de service au pays que des discours proférés souvent dans cette enceinte par quelques collègues que je ne désignerai pas et que je ne nommerai pas, et qui n’ont et ne peuvent avoir d’autres résultats que de faire quitter les places occupées par les ministres, en vue peut-être de les occuper soi-même.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, nous discutons le n° 1 de la partie du tableau qui concerne les douanes ; ce numéro est intitulé : « Droits d’entrée », et il est en rapport avec l’art. 5 du projet de loi, qui est ainsi conçu :
« A partir du 1er janvier 1843, le droit sur le café sera perçu, en principal, à raison de 10 fr, par 100 kilog. déclarés en consommation. »
C’est-à-dire qu’il y a augmentation de 2 francs par 100 kilog. de café.
Le chiffre qui figure au projet du gouvernement est de 9,537,172 francs. Ce chiffre a été calculé dans la supposition de l’adoption de l’art. 5 du projet de loi. La section centrale propose de retrancher l’art. 5 ; elle propose aussi une réduction sur le chiffre ; mais cette réduction sur le chiffre n’est pas présentée comme la conséquence du retranchement de l’art. 5 du projet ; la réduction qu’elle propose, est une véritable rectification ; elle dit, page 9 de son rapport :
« Quant au droit d’entrée, elle réduit le chiffre de 257,172 fr., réduction égale, ou à peu près, à la perte que le trésor éprouve sur les droits d’entrée dont étaient frappés les vins étrangers avant l’adoption des conventions faites avec nos voisins. »
La section centrale réduit donc le chiffre de 237,172 fr., réduction qui se rattache au changement fait au tarif des douanes, quant à l’entrée des vins étrangers.
J’ai dit qu’elle retranchait l’art. 5 du projet de loi. Mais ne faut-il pas encore faire ici une nouvelle réduction ? Le gouvernement comptait, par suite de l’augmentation sur les droits d’entrée pour le café, sur une recette nouvelle de 300,000 fr. environ, Ne faudrait-il donc pas retrancher du chiffre une somme de 300,000 fr., lorsqu’on admet, avec la section centrale, qu’il ne faut pas statuer dès à présent sur l’augmentation de droits, quant au café. Je désire avoir une explication sur ce point. Comment maintenez-vous les prévisions du gouvernement, en ne maintenant pas l’art. 5 du projet de loi ? Comment justifie-t-on encore le chiffre de 9,300,000 francs ? Ce renseignement nous est indispensable.
Nous persistons à croire que l’on peut sans inconvénient voter l’article 5 du projet de loi, et accorder au trésor public cette nouvelle ressource, à partir du 1er janvier prochain. Si on ne le fait pas, on laisse tout dans le vague. Nul ne peut dire quand la loi qui consacrera le système des droits différentiels sera votée, ou au moins quand il sera appliqué. Il est possible que cette loi, si elle est votée, ne reçoive pas son application immédiate.
M. Rodenbach. - Je pense, messieurs, que le droit sur le café est susceptible d’une augmentation ; et ce n’est pas de cette année que j’ai cette opinion. Car sous le précédent ministère, j’ai moi-même proposé une augmentation ; au lieu de 10 fr., j’avais proposé le chiffre de 12 fr., et il ne s’en est fallu que de 4 ou 5 voix que ma proposition fût adoptée. Ainsi, il ne s’agit pas ici du ministère passé ni du ministère présent. Je reste convaincu qu’on peut porter le droit sur le café à 12 fr., mais puisque la proposition n’en est pas faite, j’adopterai le chiffre de 10 fr.
Messieurs, j’ai développé, l’année dernière, mon amendement ; j’ai voulu convaincre la chambre que le droit de 12 fr. ne serait pas même un obstacle au commerce interlope. En effet, je pense qu’en Europe il n’y a que la Suisse où le café soit moins imposé qu’en Belgique. Ainsi, lorsque toutes les puissances voisines imposent infiniment plus le café, qui est, d’ailleurs, une matière très imposable, je ne vois pas pourquoi nous refuserions de le frapper d’un droit de 10 fr. Cela ne fait que 10 centimes par kilogramme ; ce n’est donc pas là un droit exorbitant ; je le trouve même très faible ; lorsque l’on discutera la question des droits différentiels, il est plus que probable que les droits sur cette denrée, importée par navires étrangers, seront portés à 12, 13 ou 14 fr. Je l’espère, quant à moi, et je serais disposé à donner mon appui à la proposition qui en serait faite.
L’augmentation de droits peut rapporter 300,000 francs. Nous sommes, d’un autre côté, en présence d’un déficit qui existe sous ce ministère comme sous le précédent ; il faut combler ce déficit par tous les moyens qui ne froissent pas l’intérêt général du pays. Or, je crois que le café est un des premiers articles que l’on peut imposer.
Messieurs, je crois que nous ne pourrons aborder la discussion de la question des droits différentiels avant deux mois ; car nous devons avant tout voter les budgets. Mais on peut détacher la question du café du grand projet de la commission d’enquête et le discuter séparément. On peut faire pour le café comme pour les sucres. Toutes les opinions ont demandé que l’on discutât promptement la loi des sucres. Eh bien ! là, la question des droits différentiels se présente également. Il n’y a donc pas plus de motifs pour ajourner la discussion de la question des cafés que pour ajourner la discussion de la question des sucres.
Messieurs, puisque nous sommes en présence d’un déficit de 2 à 3 millions, une augmentation de ressources de 300,000 fr. n’est pas à dédaigner ; aussi voterai-je pour la proposition du gouvernement.
M. Demonceau, rapporteur. - Messieurs, je commencerai par donner quelques explications relativement au travail de la section centrale ; j’ai cru m’apercevoir que M. le ministre de l’intérieur ne l’avait pas très bien compris.
Voici comment la section centrale a établi son tableau. Elle a procédé d’après la législation actuellement en vigueur. Or, d’après cette législation, le café n’est imposé que d’un droit de 8 fr. Elle a supposé, d’après un document communiqué aux chambres, sous le ministère de l’honorable M. Mercier, que l’introduction du café en Belgique serait de 12 millions de kilogrammes. Nous nous sommes dit que 12 millions de kilogrammes, à 2 fr. par cent, ferait 240,000 fr. Eh bien, nous avons déduit 257,000 fr. du chiffre propose par le gouvernement.
Comment avons-nous constaté le chiffre de 9,300,000 fr. ou plutôt celui de 10,397,000 fr. pour l’ensemble de l’article douanes ?
Après avoir distrait 240,000 fr. du chiffre droit d’entrée ; nous n’avons pas cru devoir supposer l’adoption du projet que le ministère avait présenté, qui a pour but de diminuer les droits de sortie sur plusieurs articles ; nous avons donc rétabli le chiffre pour les droits de sortie tel qu’il serait si le projet dont je viens de vous parler n’était pas adopté. Aussi, au lieu de fixer ce chiffre à 400 mille francs, comme le proposait M. le ministre des finances, nous l’avons rétabli à 550 mille francs.
Vous voyez que nous avons procédé logiquement. Nous n’avons, d’une part, pas voulu adopter, en recettes, des droits basés sur une loi non adoptée ; d’autre part, nous n’avons pas voulu admettre des diminutions basées sur une loi non adoptée.
Maintenant voulez-vous savoir comment nous sommes parvenus au chiffre de 10,397,000 fr. Nous avons pris pour base les deux derniers mois de l’exercice 1841 et les 10 premiers mois de l’exercice 1842, et en défalquant une somme de 230,000 fr. environ que nous avons supposé devoir être la diminution à résulter sur les droits d’entrée pour les vins étrangers, nous sommes arrivés à un chiffre absolument égal à celui que nous vous avons proposé.
Voici le chiffre des 2 derniers mois de l’exercice 1841 et des 10 premiers mois de l’exercice 1842. Il est, sauf erreur, pour l’ensemble du chapitre douane de 10,670,000 fr.
J’arrive maintenant à la question relative au café, et je dirai ce qui s’est passé sur ce point au sein de la section centrale.
La section centrale a pensé différemment que l’honorable M. Osy. La majorité a cru que l’on pourrait discuter une loi relative à l’augmentation des droits sur les cafés, sans aborder pour cela le projet entier de la commission d’enquête. Elle a pensé que l’on pourrait s’occuper des droits sur les cafés lors de la discussion du projet de loi qui a pour but d’augmenter les droits d’entrée sur certains articles. Si, d’un autre côté, la section centrale avait eu à émettre une opinion sur le fond, je crois qu’elle aurait adopté le chiffre proposé par M. le ministre des finances, et que peut-être même ce chiffre aurait été majoré. Je ne puis toutefois rien dire de précis à cet égard ; mais un membre aurait voulu le droit de 15 fr., d’autres auraient voulu celui de 12, d’autres peut-être n’auraient pas voulu d’augmentation. Mais je dois résumer les opinions, et si je fais attention que, dans une circonstance très rapprochée, plusieurs de mes honorables collègues de la section centrale avaient voté des droits supérieurs à 10 francs, je dois avouer que le droit de 10 francs aurait été admis, sinon majoré, par le plus grand nombre.
Mais voici les motifs pour lesquels la majorité de la section centrale a demandé que cette augmentation fît l’objet d’une loi spéciale. Vous savez que, dans l’opinion qui a toujours prévalu à la chambre, le budget des voies et moyens n’est que l’application des lois en vigueur au moment de l’exercice et chaque fois que l’on a fait une proposition spéciale applicable au budget des voies et moyens, on a toujours eu soin d’en faire des lois séparées.
Ainsi, par exemple, si dans ce moment vous adoptiez l’art. 5 du projet du gouvernement, et si, à l’ouverture de l’exercice 1844 vous n’adoptiez pas une loi spéciale pour régler le droit d’entrée sur les cafés, vous devriez renouveler cette disposition, parce que le budget est une loi annale, tandis que les lois de douane existent jusqu’à révocation.
C’est la chambre à savoir si elle veut, dans cette circonstance, s’écarter de tous les précédents. Je la préviens que, quelle que soit sa résolution, il faudra qu’elle s’occupe du projet de loi relatif aux droits d’entrée, comprenant un droit sur les cafés, si elle veut qu’à l’avenir le café supporte un droit supérieur à celui existant.
M. Angillis. - L’honorable M. Eloy de Burdinne s’est livré à une discussion un peu longue sur les lois futures. Les lois présentées à la chambre ne sont pas à l’ordre du jour. Comme l’honorable membre a dit de très bonnes choses, je l’ai écouté avec beaucoup d’attention ; mais je lui demanderai la permission de lui faire observer que ces discussions prématurées prolongent nos séances, sans résultat.
Venant à la question en discussion, je pense qu’il n’y a aucun inconvénient à adopter dès à présent la proposition du gouvernement. Il y aurait au contraire des inconvénients à ne pas l’adopter. En effet, de quoi s’agit-il ?
Ce sont des évaluations. Ces évaluations viennent se modifier en plus ou en moins. Moi, j’espère que ce sera en plus, parce que nous voterons les lois qui ont été présentées. Pour mettre le gouvernement à même de faire face à toutes les dépenses, après le rejet des nouveaux centimes additionnels demandés, j’espère que la chambre s’occupera le plus tôt possible de la discussion de ces lois. Si l’on attend que les lois soient votées pour modifier les évaluations, il en résultera qu’il faudra un temps plus ou moins long pour que ces lois produisent leurs effets. Je demande donc que la chambre adopte de suite la proposition du gouvernement.
M. Mercier. - Dans la section dont je faisais partie, la majorité a voté, sur le café, un droit de 15 fr. Dans la section centrale, nous avons été unanimes pour repousser l’augmentation, bien que nous ne l’ayons pas été sur les motifs du rejet. Pour ce qui me concerne, je ne me suis réuni à mes collègues que parce que j’espérais que la chambre, mieux éclairée sur les besoins du trésor après la discussion des lois de budget, reconnaîtrait l’insuffisance du chiffre de 10 fr. Je sais tout ce qui a été allégué contre un droit plus élevé sur le café. Je me rappelle très bien que M. le ministre des finances soutenant, il n’y a pas très longtemps que le droit de 8 fr. était la limite extrême, qu’on ne pouvait dépasser sans anéantir le commerce interlope, qualifié tout à l’heure par l’honorable M. Eloy de Burdinne.
Quoi qu’il en soit, sans rien préjuger pour l’avenir, je ne veux pas entraver le vote du chiffre proposé aujourd’hui. Je le crois insuffisant en raison de nos besoins ; je le voterai cependant. Comme la proposition que je ferais d’un droit plus fort n’aurait pas l’appui du gouvernement, je m’abstiendrai de la produire. Un droit de 15 fr. ne serait pas d’ailleurs fatal à ce commerce dont on a parlé ; car dans tous les Etats voisins, sauf la Hollande, la moyenne du droit perçu en France en 1840 est de 94 fr. les 100 kil. ; le droit en Angleterre est d’environ 125 fr. ; il est de 48 fr. dans l’union douanière allemande. Je ne conseille pas d’établir des droits aussi élevés ; mais je tenais à donner à la chambre ces renseignements qui pourront être utiles dans la discussion du projet de loi de douanes.
M. Manilius. - Je pense avec l’honorable M. Angillis, que le vote que nous allons émettre sur un chiffres du tableau des voies et moyens ne préjuge rien sur la question des cafés. S’il en était autrement, je pourrais répondre à l’honorable M. Eloy de Burdinne, qui a traité cette question. Mais je pense que mes observations seront mieux placées dans la discussion de la loi sur les cafés. Seulement je répondrai à une assertion relative aux contributions qui devraient peser, d’après lui, sur d’autres matières.
Il a dit que le coton devrait payer un droit à l’entrée. Je crois que cela serait vrai, si l’industrie cotonnière était mise dans la même position qu’en France et en Angleterre il est certain que dans ces deux pays le droit sur les cotons est d’un grand produit ; mais aussi, dans ces deux pays, l’industrie cotonnière est efficacement protégée ; elle possède seule le marché intérieur ; les Anglais et les Français sont maîtres chez eux ; leurs exportations sont favorisées. Si l’industrie belge était dans cette position, on conçoit qu’un droit sur la matière première ne l’effrayerai pas.
Je répondrai à l’honorable M. Eloy de Burdinne que je le crois dans l’erreur lorsqu’il considère l’industrie cotonnière comme une industrie immorale ; qui a détruit en partie l’industrie linière. Vous êtes tous convaincus du contraire. Car il y a des établissements d’industrie cotonnière dans plusieurs localités où il y a beaucoup d’ordre, et qui ne souffriraient pas d’immoralité ; s’il y e des exceptions, ce n’est pas la règle.
L’honorable membre a ajouté que l’industrie linière était une industrie très morale et que l’industrie cotonnière lui faisait grand tort. Je suis fâché de devoir répondre à cela. Je me rappellerai que quand l’industrie linière était aux abois, avant que le gouvernement fût venu à son secours, quand elle n’avait plus à occuper ses ouvriers, c’est l’industrie cotonnière qui leur a donné des ressources et du travail.
Puisque j’ai la parole, je dirai aussi quelques mots concernant la douane. Je ne répéterai pas ce que j’ai dit à cet égard l’an passé. Tout est resté debout ; nous sommes dans la même position qu’alors ; on peut me répondre encore qu’il y a un projet de loi ; je répondrai à mon tour que le gouvernement pourrait en presser la discussion. Le gouvernement n’ignore pas que la chambre est très complaisante, quand le gouvernement veut presser la discussion d’un projet de loi. Dans ce moment, le rapport est prêt. Je suis convaincu que si le gouvernement témoignait le désir qu’il fût mis à l’ordre du jour, la chambre ne manquerait pas de s’y prêter.
M. Mercier. - Il a été convenu avec l’honorable M. Fallon qui préside les deux sections centrales réunies, chargées comme commission de l’examen du projet de loi relatif à la répression de la fraude et de la question de l’estampille, que ces deux sections se réuniraient au premier jour, pour entendre la lecture du rapport qui est terminé. Ainsi, au commencement de la semaine prochaine, le rapport pourra être déposé.
M. Eloy de Burdinne (pour un fait personnel). - Je regrette que l’honorable M. Manilius ait mal entendu mes paroles. Je n’ai pas voulu adresser à l’industrie cotonnière le reproche d’un moralité. Si j’ai été mal compris, ou si je me suis mal expliqué, de manière à ce que l’on pût me supposer cette intention, je tiens à m’en expliquer. J’ai dit que l’industrie cotonnière nuit à l’industrie linière, qui est une industrie toute morale. Ce n’est pas dire que l’industrie cotonnière soit une industrie immorale. J’ai regretté que la toile ait été remplacée par les tissus de coton.
Quand j’ai parlé d’immoralité, je n’avais en vue que de signaler le commerce interlope dont on vient de parler et que je considère comme une fraude et comme un vol.
M. Hye-Hoys. - Si l’intention du gouvernement est de se contenter du droit de 10 fr. sur le café, je n’ai rien à dire. Mais s’il veut élever le droit à 15 ou 18 fr., je dirai que c’est inopportun, vu que nous aurons à nous occuper de droits différentiels, qui seront probablement à l’ordre du jour dans cette session.
M. d’Huart. - Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point, que le café est une matière éminemment imposable. Déjà récemment, sur ma proposition, vous avez doublé le droit sur cette denrée ; vous avez porté le droit de 4 à 8 francs. Maintenant on vous propose d’ajouter, à dater du 1er janvier prochain, 2 fr ce droit. Je crois cette demande très modérée ; je l’appuierai tous mes efforts. Soyez persuadés qu’un droit de 2 francs de plus sur le café ne sera rien pour le consommateur, qu’il ne s’en apercevra, en aucune façon. En effet, lorsque vous avez doublé le droit, cela n’a pas réduit la consommation. Après que vous avez eu porté le droit de 4 à 8 francs, la consommation a plutôt augmenté ; c’est-à-dire que cela n’a rien fait du tout. L’aisance du consommateur continuant, il a continué à user et à abuser du café comme par le passé. Je dis donc que nous pouvons accepter comme minimum un droit de 10 francs sur le café.
On oppose à cela une question de forme ; on dit qu’il faut proposer cela dans une loi spéciale et non dans la loi annale du budget. D’abord, la section centrale propose des dispositions qui sont aussi spéciales.
Ainsi, dans un nouvel article 3, on propose d’autoriser le gouvernement à vendre certaines rentes et parcelles domaniales. C’est aussi une disposition spéciale. On pourrait prétendre dès lors avec autant de fondement que cette disposition ne doit pas trouver place dans le budget des voies et moyens, Je pourrais indiquer dans le budget des voies et moyens de chacune des années précédentes des dispositions analogues celle qui est soumise en ce moment à la chambre, relativement au café. Il n’y a donc rien de disparate à admettre un droit de 10 fr. sur le café dans le budget des voies et moyens.
Mais un grand avantage dont la considération doit engager la chambre à adopter, à partir du 1er janvier, la disposition qui est proposée, c’est que vous empêcherez les approvisionnements qui ne tarderaient pas à se faire et qui tourneraient au profit, non pas du consommateur, mais de quelques grands négociants qui feraient venir à temps de grandes masses de café et qui gagneraient les 2 c. par kilog. dont vous frapperiez cette denrée en plus. Tous les motifs se réunissent donc pour que cette augmentation pèse sur cet article, au moins à partir du 1er janvier prochain.
Au reste, la nouvelle disposition concernant l’article café serait reportée dans le tarif dont on a parlé. Lors de la discussion de ce tarif, ceux qui pensent qu’un droit de 10 fr. n’est pas suffisant, en proposeront un de 11 ou de 12 fr. ; la chambre examinera alors s’il y a lieu d’aller au-delà d’un droit de 10 francs. Quant à moi, je déclare à l’avance que je serai opposé à un droit très élevé sur le café qui est aujourd’hui un objet de première nécessité parmi les gens du peuple.
Messieurs, on a parlé du sucre. On a demandé pourquoi on ne portait pas de ce chef un chiffre plus élevé. Mais la question est toute différente. On n’est pas encore d’accord sur le mode d’impôt, ni sur le taux du droit qu’il y aurait lieu d’établir sur cette denrée. Il n’y a dès lors aucune comparaison à faire ici entre le sucre et le café.
J’appuierai donc de tous mes efforts l’art. 5 du projet du gouvernement.
M. de Garcia. - Messieurs, je voterai aussi la proposition du gouvernement quant au café. Cependant je dois reconnaître que ce mode d’impôt n’est pas régulier ; je partage l’opinion de l’honorable M. Demonceau, et les raisons qu’on a fait valoir pour réfuter cette opinion n’ont pas porté la conviction dans mon esprit. Je regarde comme contraire à une bonne administration, d’établir incidemment des impôts par voie de budgets. Je reconnais toutefois que dans le cas spécial dont il s’agit maintenant, et comme nous sommes saisis d’un projet de loi tendant à imposer le café d’une manière permanente, jusqu’à concurrence des chiffres portés an budget ; je reconnais, dis-je, qu’on peut faire une exception à la règle générale que j’ai indiquée.
Messieurs, je regrette que le gouvernement n’ait pas satisfait au programme qu’il nous a fait connaître dans le discours du Trône. Le gouvernement avait promis de réviser le tarif de tous les droits d’entrée ; je vois avec peine qu’il n’a proposé cette révision que pour un très petit nombre d’articles, tandis que les fabriques de toute espèce jettent des cris de détresse sur tous les points du pays, tandis que le trésor est dans un véritable état de misère.
Je suis étonné que, dans l’intérêt de l’industrie et dans l’intérêt du trésor, le gouvernement n’ait pas satisfait aux promesses qu’il avait mises dans la bouche du Roi ; je suis étonné d’avoir entendu M. le ministre de l’intérieur nous déclarer qu’en dépit du programme ministériel, la révision générale du tarif ne serait pas prochaine. Mais, messieurs, cette déclaration est vraiment désolante pour l’industrie. Déjà l’honorable M. Manilius a exprimé ses regrets de la lenteur qu’on met à discuter les lois qui ont pour objet la répression de la fraude ; je m’associe à ces regrets, et je déplore qu’on ne songe pas à protéger par des droits modérés l’industrie nationale. Je n’en dirai pas davantage pour le moment sur cet objet ; j’y reviendrai lorsqu’on s’occupera de la discussion de la loi spéciale concernant les droits d’entrée.
En attendant, je convie le gouvernement à nous présenter un ensemble de dispositions à cet égard ; je n’admets pas les motifs sur lesquels il s’appuie pour différer la présentation de ces dispositions ; il dit que l’ajournement est motivé sur la discussion prochaine de la question des droits différentiels, ainsi que sur les traités qui sont en voie d’être négociés.
Messieurs, ces raisons d’ajournement n’en sont pas pour moi. Une règle générale doit être posée avant les exceptions. Or, les droits différentiels, les traités sont des exceptions au tarif général ; si donc vous voulez établir vos droits différentiels d’une manière nette, négocier des traités avec fruit, il faut commencer par poser des règles positives dans le tarif général. Il y a quelques jours, nous discutions le projet de traité avec l’Espagne. Que répondait-on aux interpellations que j’adressais au gouvernement ? On disait : Il y a un tarif général en Espagne, et le traité soumis à votre sanction est une exception à ce tarif. Eh bien, messieurs, mettons-nous en position de tenir un semblable langage aux nations qui veulent traiter avec nous.
J’adjure donc de nouveau le gouvernement de nous présenter le plus tôt possible un projet de loi complet sur les droits d’entrée de toute nature.
M. Demonceau, rapporteur. - Je dirai à l’honorable M. d’Huart que j’ai fait chaque année partie de la section centrale du budget des voies et moyens, du moins depuis que je siège dans cette chambre, et jamais nous n’avons proposé à la chambre des lois spéciales à l’occasion de ce budget. Il est vrai que, chaque année, nous avons été obligés de renouveler une loi spéciale, mais c’est là précisément l’inconvénient que nous avons signalé. Ainsi, nous proposons de renouveler encore cette année une loi spéciale, parce que sans cela le gouvernement ne pourrait plus continuer de percevoir les droits qui en résultent au profit du trésor public. Et le danger est si grand que le gouvernement avait perdu cette loi de vue, et que si la section centrale ne l’avait pas reproduite, le gouvernement aurait ouvert l’exercice de 1843 sans être armé de la faculté de percevoir ce à quoi il a droit. La disposition à laquelle je fais allusion concerne les provinces et les communes qui n’ont pas souscrit d’abonnements administratifs pour la poste aux lettres.
L’honorable M. d’Huart pense que la section centrale avait dérogé au principe que je viens de proclamer, en proposant de donner pour cette année l’autorisation au gouvernement de vendre des rentes et des domaines. Mais c’est précisément parce que c’est une autorisation spéciale que nous la portons dans une loi spéciale. Nous ne voulons pas accorder au gouvernement le droit d’aliéner tous les domaines, nous lui désignons les domaines qu’il peut vendre, et nous lui disons : Vous appliquerez le produit de cette vente à l’exercice 1843.
Maintenant, la chambre veut-elle déroger à ses précédents. Quant à moi, je n’attache à cela aucune importance ; mais je déclare cependant que si, avant l’ouverture de l’exercice 1844, vous n’avez pas pris une disposition à propos de l’article café, vous serez encore obligés de renouveler cette disposition.
Voulez-vous, messieurs, que je vous signale tout le danger qu’il y a pour le gouvernement à faire de semblables dispositions ? C’est que si la section centrale n’était pas restée conséquente avec elle-même, le gouvernement se serait vu dans la nécessité de se défendre contre des propositions qui lui seraient venues de la section centrale ; en effet, si le gouvernement pense qu’un droit de 10 fr. est suffisant (et M. le ministre des finances, pour peu qu’il se souvienne de ses précédents, doit être convaincu de cette suffisance, car il faut toujours être vrai), et si la majorité de la section centrale eût proposé un droit de 12 fr., le gouvernement aurait dû, dans ce cas, faire de l’opposition à la section centrale. Voilà où existe le danger pour le gouvernement qui peut se voir déborder. Le conseil que la section centrale a donné au gouvernement, est un conseil d’administration régulière, et je répète de nouveau que si le gouvernement ne veut pas être débordé, il doit s’abstenir de faire des propositions de ce genre.
Et voyez donc quelle proposition le gouvernement est venu intercaler dans le budget des voies et moyens. Cette proposition ne tend à rien moins qu’à changer entièrement les droits en matière de succession.
Mais, messieurs, cette question est très délicate, et le gouvernement veut la trancher à l’occasion d’un article du budget des voies et moyens ; mais qu’il y prenne garde, on pourrait bien présenter un amendement, dont l’approbation, loin d’être favorable au trésor, lui serait préjudiciable.
Puisqu’il faut indispensablement créer des ressources pour faire face aux dépenses de l’Etat, je m’associe à mes collègues qui ont exprimé au gouvernement le regret de ce qu’il n’ait pas pris de résolution à l’égard des droits d’entrée dont devaient être frappés certains tissus étrangers. L’industrie ne vous crie-t-elle pas de toutes parts qu’elle n’a pas le marché intérieur ? On vous dit : « Le commerce et l’industrie languissent, ils ne sont pas protégés ; nous sommes exclus de tous les marchés voisins, et nous recevons les produits de tous les pays voisins. » L’honorable M. Manilius nous a dit avec raison que nous sommes entourés de nations qui établissent des droits d’entrée sur les matières premières, mais qui accordent des primes supérieures aux droits. Ainsi nous avons à nos portes un État puissant qui grève d’un droit énorme l’entrée des laines, et qui établit à la sortie des primes qui sont le double du droit d’entrée établi chez nous. Il est certain que les tissus de laine étrangers entrent en Belgique avec une prime supérieure au droit d’entrée qu’on nous paie. Ainsi, quand un changement au tarif sur ce point n’aurait d’autre résultat que de protéger l’industrie, ce serait déjà là un très heureux résultat ; mais supposé même que l’industrie ne fût pas protégée par ces modifications, le trésor public en profiterait au moins.
Dans la discussion générale, je me suis borné à indiquer un seul article, l’article des tissus de laine. J’ai dit que si l’introduction étrangère ne dépassait pas les proportions de l’importation d’aujourd’hui, avec un droit qui, en moyenne, serait inférieur à celui qui existe chez nos différents voisins, le trésor public belge recevrait annuellement 500,000 fr. de plus.
J’appelle donc de nouveau toute l’attention du gouvernement sur ce point, et j’espère qu’il ne laissera pas la session se clore sans nous faire des propositions à cet égard.
M. Verhaegen. - Messieurs, j’adopte à tous égards l’opinion de l’honorable M. d’Huart. Je voterai le droit sur le café ; je voterais même un droit plus élevé, s’il était proposé. J’ai voté sous le ministère de M. Mercier un droit de 14 francs, et à plus forte raison voterai-je le droit de 10 francs qu’on nous demande aujourd’hui. Dans ma manière de voir, le café est une matière essentiellement imposable ; je ne le considère pas à proprement parler comme la boisson du pauvre ; cette boisson pour le pauvre n’a que le nom de café, car elle se compose presque en grande partie de chicorée, L’augmentation proposée sera imperceptible pour le pauvre. Sous ce rapport donc j’ai mes apaisements, et je le répète, la matière par elle-même est de nature à procurer des ressources au trésor.
Ici s’offre pour moi l’occasion de répondre à un reproche que me faisait tantôt l’honorable M. Nothomb. Il me disait : Mais vous votez constamment des dépenses et vous ne voulez pas accorder au gouvernement les moyens d’y faire face. Nous verrons dans quelques jours, ajoutait-il, ce que fera M. Verhaegen, quand il s’agira de l’augmentation du traitement des membres de l’ordre judiciaire. Vous voyez, messieurs, que je ne tourne pas l’objection, je la rencontre de front. Je suis d’accord avec M. le ministre qu’en votant des dépenses, nous devons donner au gouvernement les moyens d’y faire face ; mais c’est au gouvernement à choisir de bons moyens et à ne pas nous en présenter de mauvais. Je crois que le vote d’hier nous a donné la conviction que les moyens proposés étaient des plus mauvais, que le gouvernement n’avait pas été heureux dans son choix, car, sauf les quatre ministres, personne n’a voulu des centimes additionnels. Le reproche qui m’a été adressé est donc dénué de fondement.
On propose un droit sur le café, je l’adopte, j’adopterais même un droit plus fort. Il y a ici une différence entre M. le ministre de l’intérieur et moi, c’est qu’il avait voté sous le ministère Lebeau contre l’impôt auquel moi j’ai donné alors et je donne encore aujourd’hui mon approbation. Ma conviction n’a pas changé ; un changement de ministère n’influe en rien sur ma détermination. Je reste d’accord avec moi-même. Je désire que MM. les ministres puissent expliquer leur revirement d’opinion.
L’occasion se présentant, pour chacun de nous, de faire connaître quels sont les moyens de faire face aux dépenses, je dirai d’abord, avec mon honorable ami M. Delfosse, que tout d’abord il faut viser à des économies, à beaucoup d’économies, mais que, pour les dépenses reconnues indispensables, il se présente des voies et moyens en masse.
Comme je l’ai dit il n’y a qu’un instant, je ne refuse pas l’impôt sur le café, je ne refuse pas non plus l’impôt sur le sucre, ni celui sur le tabac, sauf le monopole dont je ne veux pas. (Erratum Moniteur belge n° 340, du 6 décembre 1841 :) Je suis loin de refuser des augmentations sur les droits d’entrée. En procurant des ressources au trésor, en consentant à une augmentation du tarif des douanes, je resterai d’ailleurs d’accord avec le système que j’ai développé dès mon entrée dans cette enceinte ; j’ai toujours pensé que nous devons donner protection à certaines industries et leur assurer le marché intérieur.
Je voterai les centimes additionnels sur l’enregistrement, les hypothèques, les droits de greffe et de succession, à condition que ces centimes conservent leur destination spéciale.
Veut-on d’autres ressources, je ne me refuserai pas à imposer des droits sur les titres de noblesse, sur les lettres de naturalisation ; veut-on des ressources plus grandes encore, quoique celles que je viens d’indiquer soient suffisantes déjà pour le présent, en un mot veut-on des ressources pour l’avenir, qu’on revoie les dispositions relatives au degré successible, qu’on examine s’il n’y a pas moyen de le réduire ; il y a, en effet, quelque chose d’exorbitant dans un droit qui s’étend à un degré où l’on ne se connaît plus (au 12ème degré.) On trouverait là beaucoup de ressources pour le trésor.
Ainsi, en me résumant, moi qui ai proposé des dépenses, j’indique des matières imposables à l’égard desquelles mon vote est acquis au gouvernement, mais je lui fais la recommandation de choisir de bons moyens. Si j’ai voté naguère contre l’augmentation des droits existants sur les eaux-de-vie indigènes et si je vote encore aujourd’hui contre celle concernant la bière, c’est que j’ai cru et que je crois encore que ce n’étaient pas des matières imposables que l’industrie et l’agriculture ne permettaient pas de frapper ces objets. Sous ce point de vue, je reste d’accord avec moi-même, Depuis l’augmentation du droit sur les eaux-de-vie indigènes, la fabrication a presque disparu ; si on en fait autant à l’égard de la bière, on arrivera peut-être aux mêmes résultats. Les reproches de M. le ministre étaient donc dénués de fondement. On voit de quel côté est la contradiction.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - L’honorable préopinant prétendu que mon honorable collègue M. le ministre de l’intérieur et moi nous étions en contradiction avec nous-mêmes. Il nous a pris à partie pour le vote que nous avions émis l’année dernière, et il l’a comparé à la demande que nous faisons cette année sur le café. Je dois faire observer à l’honorable membre que cette prétendue contradiction n’existe aucunement. L’année dernière, qu’avons-nous fait ? Nous avons voté contre un droit sur les cafés qui avait été proposé per le ministère d’alors à 20 fr., et lorsqu’il s’est agi du vote, le ministère n’a pas voulu descendre au-dessous de 14 fr. Ce chiffre-là a été effectivement rejeté par nous. Mais ce chiffre se trouve plus élevé que celui que nous proposons aujourd’hui.
Je le répète, le chiffre d’aujourd’hui n’a pas été proposé l’année dernière.
Ainsi, vous voyez que nous sommes loin d’être en contradiction avec nous-mêmes. Si le cabinet n’a proposé qu’un droit dé 10 fr., c’est précisément parce qu’au-delà de ce chiffre il ne nous serait plus permis de faire le commerce d’infiltration dans les pays voisins, commerce qu’une différence assez grande entre nos droits d’entrée et ceux de l’étranger permet seul de pratiquer. Je n’entends pas préconiser le commerce interlope, je t’ai toujours trouvé en principe blâmable. Mais alors que nos puissants voisins, qui nous entourent, ferment leurs portes à nos produits et pratiquent largement le commerce interlope à notre égard, il me paraît que nous devons riposter par les mêmes moyens.
Tout le monde le sait, cela a été prouvé l’année dernière, d’une manière irréfutable, que les importations de café dans le pays qui, après avoir acquitté les droits d’entrée, servent aux infiltrations dans les pays voisins, sont plus considérables que la consommation intérieure. Par conséquent, si vous éleviez trop le droit, ces infiltrations n’auraient plus lieu, et au lieu de recevoir plus, on recevrait moins. Il faut donc être prudent. C’est de cette prudence que nous avons voulu user en proposant le droit de 10 fr.
M. de Mérode. - Je regrette qu’on n’adopte pas la proposition de M. Mercier, de mettre sur le café un droit plus élevé que celui proposé par le gouvernement, malgré ce qu’on dit du commerce interlope. Il y a une si grande différence entre le droit de fr. et le droit payé dans les pays voisins, que la spéculation aurait encore assez à gagner pour ne pas cesser les infiltrations sur lesquelles on compte pour avoir un plus grand revenu.
Quant à moi, je n’ose pas faire seul la proposition d’élever le droit à 12 fr. ; mais si quelque autre membre voulait s’unir à moi pour cela, je la ferai très volontiers, et je suis persuadé que le commerce interlope n’y perdrait pas. Le trésor aurait 600 mille fr., au lieu de 500, ce qui serait un grand avantage.
M. le ministre des finances (M. Smits) - En matière de douane, on le sait, deux et deux ne font pas toujours quatre. L’honorable M. d’Huart a rappelé qu’en 1836 le droit sur le café a été porté au double de ce qu’il est en Hollande, de 4 à 8 fr. Ces droits étaient déjà très considérables ; car bien que les Etats qui nous entourent, la France et l’Allemagne, laissent encore par leurs droits de la marge pour le commerce interlope, nous avons une autre crainte à avoir, c’est celle des infiltrations par la Hollande en Belgique.
La France consomme 11 millions de kilogrammes de café. D’après le tableau officiel, les importations en France sont plus considérables, mais la consommation annuelle est de 11 millions, En Belgique, les importations sont de 16 millions, en moyenne, qui, bien certainement, ne se consomment pas dans le pays. La consommation étant en France de 11 millions, il est impossible que quatre millions de Belges consomment autant de café que 36 millions de Français. Aujourd’hui le droit est payé sur toute la quantité ou partie, c’est-à-dire sur les 16 millions. Si vous élevez le droit, si vous forcez le négociant à déclarer le café en entrepôt, qu’il n’ait plus la libre disposition de sa marchandise, la taxe ne portera plus sur 16 millions, mais sur la consommation réelle seulement, donc sur une quantité beaucoup moins forte. Le droit sera élevé, mais la recette diminuera. C’est pour prévenir cette conséquence qu’il faut procéder avec prudence et circonspection.
Si l’expérience nous prouve que le droit de 10 fr. n’a pas porté une atteinte fâcheuse au commerce, nous pourrons modifier le tarif. En attendant, il est prudent de procéder graduellement et, comme je le disais tout à l’heure, avec beaucoup de prudence et de circonspection.
M. Rogier. - Il importe à la chambre, et surtout au commerce, d’être fixé sur la portée de l’article en discussion. S’agit-il d’une mesure purement temporaire, ou d’une mesure permanente ? s’agit-il d’admettre pour plusieurs années, ou pour un an seulement, une augmentation de 2 francs sur le café ? Je ne pense pas que ce soit là l’opinion du ministère. Si telle n’est pas son opinion, je demanderai au moins s’il a l’intention de se tenir pour l’avenir au chiffre de 10 francs, au-delà duquel un membre du cabinet vient de déclarer qu’on ne pouvait aller sans anéantir une branche de commerce assez intéressante.
On vient de nous dire que, l’année dernière, on a repoussé le droit sur le café, parce qu’il s’agissait de le porter à 12 francs, que si on l’admet aujourd’hui, c’est qu’il ne s’agit plus que d’un droit de 10 francs. D’où il faut conclure que si l’on proposait une nouvelle augmentation de 2 francs, l’opinion contre l’augmentation se reproduirait dans toute sa force. Je suis d’avis d’accorder un droit de 10 francs, j’irai même plus loin ; j’accorderai au besoin 12 fr. Mais ce que je demande, c’est que le droit que vous allez établir soit fixe, que le commerce sache à quoi s’en tenir, qu’on ne vote pas aujourd’hui 10 fr. et, dans 3 mois, 14 ou 15 fr. Il est impossible que des opérations commerciales se basent sur une pareille instabilité législative.
Remarquez que, comme l’a fait observer l’honorable M. d’Huart le droit sur le café a été porté, sur sa proposition de 4 à 8 fr. Il y a deux ans, en présence des nécessités du trésor, nous avions fait en quelque sorte le sacrifice de notre opinion pour porter le droit sur le café à 20 fr. Ce droit a été repoussé. Un droit de 12 fr., proposé par l’honorable M. Rodenbach fut également repoussé. Si dans 3 mois on doit admettre une nouvelle augmentation, il vaut mieux adopter de suite une augmentation plus considérable et définitive.
Quant au droit en lui-même, du moment qu’il sera entré dans le budget des voies et moyens, je demande qu’il y reste ; car, pour 1843, ou je me trompe fort, ou l’augmentation de droit sera illusoire, à raison des approvisionnements considérables en café qui se feront en Hollande, et des cafés maintenant en entrepôt qui seront déclarés en consommation avant le premier janvier prochain.
Je demande donc à M. le ministre des finances, qui vient de dire que l’impôt devait être augmenté graduellement, s’il entend graduer le droit sur le café de manière que dans quelques mois ce droit subisse une nouvelle augmentation.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Dans notre pensée, le nouveau droit sur le café doit être permanent. Cependant il n’y a rien de permanent d’une manière absolue, en matière de douane. Un tarif se rectifie d’après les circonstances, les nécessités de l’industrie et du trésor. Nous ne pouvons d’ailleurs préjuger la décision que prendra la chambre sur la question des droits différentiels ; quel sera le système qu’on adoptera pour faciliter les relations directs avec les pays étrangers ? On craint que, quand il s’agira des droits différentiels, le tarif sur le café ne doive subir une modification ; nécessairement il devra la subir, car il y aura des droits différents pour les arrivages directs par navire national et par navire étranger, pour les arrivages des ports européens sous les deux pavillons. Ainsi les arrivages directs par navires belges seront plus favorisés et les navires étrangers paieront nécessairement plus. Toutefois, sauf les circonstances qui peuvent modifier notre opinion, le droit de 10 fr. est un droit que nous considérons comme devant être permanent.
M. Verhaegen. – La question prend un caractère assez grave. A la manière dont les choses se présentent, la législature se lierait en quelque sorte ; elle prendrait la résolution de ne pas frapper le café d’un droit de plus de 10 fr. Cependant nous sommes tous d’accord que le café est une matière éminemment imposable. Puisqu’on nous fait le reproche de ne pas vouloir voter les ressources nécessaires, nous devons bien expliquer comment nous voulons faire en aide du trésor.
Il vaudrait mieux renvoyer la question à la discussion d’une loi spéciale, que de nous lier d’une manière permanente ; car le trésor y perdrait trop.
En 1841, on avait proposé de porter le droit sur le café de 8 à 20 fr., puis à 14 fr. L’honorable M. Rodenbach avait proposé un amendement tendant à le porter à 12 fr. Les membres qui siègent au banc des ministres ont voté contre toutes ces propositions. On vous disait tout à l’heure que les deux membres du cabinet auxquels j’ai fait allusions n’avaient voté que contre les 14 fr. ; ils ont vote aussi contre les 12 fr. Lisez les discours de ces messieurs ; vous verrez notamment que l’honorable M. Smits trouvait que si l’on augmentait l’impôt sur le café, ce commerce serait détruit et que la fraude emporterait le tout. J’ai sous les yeux le discours de l’honorable M. Smits. Depuis lors sa position est changée, et par suite il a cru devoir changer de système.
L’honorable M. Smits qui trouvait qu’une augmentation de droits serait la mort du commerce et que la fraude emporterait le tout, vous propose maintenant un droit de 10 fr. Il se donne ainsi un démenti à lui-même. Mais qu’il aille un peu plus loin ; qu’il propose un droit de 12 fr. Puisque le trésor a besoin de fonds et qu’on trouve une matière imposable, ne reculons point. Si l’on veut que le droit soit permanent, il faut de suite le fixer à 12 fr.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je tiens à constater que je ne suis nullement en contradiction avec moi-même. L’opinion que j’ai émise sur la question du café, je la professe encore. Je crois toute augmentation exagérée plutôt défavorable qu’utile au trésor. J’ai raisonné l’année dernière dans l’hypothèse d’une augmentation plus considérable que celle que j’ai proposée. De 10 à 12, il y a une grande différence ; c’est 50 p. c. Sur une matière pareille, c’est quelque chose. Si nous avions pensé qu’un droit de 12 fr. pût être proposé, nous l’eussions proposé. C’est parce que nous croyons ce droit trop considérable que nous proposons un droit de 10 p. c. Il n’y a donc rien de contradictoire entre la proposition que je soutiens et l’opinion que j’ai émise l’année dernière.
M. Mast de Vries. - Il est évident qu’il y aurait des inconvénients à frapper le café de droits trop élevés. Dans mon opinion, ce n’est pas un droit de 12 fr. que nous devons mettre sur le café, mais un droit de 10 fr. Voici pourquoi il y aurait, dis-je, des inconvénients à élever le droit de 8 à 12 fr., parce qu’avec la facilité que l’on a de faire venir des cafés de la Hollande, on ferait des approvisionnements considérables, et il n’y aurait pas de droits du tout. Si l’on fixe le droit à 10 fr., qu’arrivera-t il ? il n’en sera pas de même, parce que la différence n’est pas assez grande pour donner matière à spéculation. Je voterai donc pour le droit de 10 fr. et non pour celui de 12 fr. Je voterai pour ce dernier droit, l’an prochain, s’il est proposé, et en cela je serai très conséquent avec moi-même.
Quant au commerce de fraude, il y a deux écueils. D’un côté, nous devons éviter la fraude à l’entrée en Belgique. D’un autre côte nous devons éviter d’entraver le commerce interlope ave les pays voisins. Ce n’est pas un droit de 10 ou de 12 francs qui entravera le commerce interlope, ou qui offrira une prime à la fraude en Belgique.
Je saisirai cette occasion de déclarer que depuis un an la fraude a singulièrement diminué. Dans la localité que j’habite, il y a des maisons qui recevaient en fraude, en un seul mois, jusqu’à cent ballots d’étoffes de Hollande, et où il n’en est pas arrivé depuis longtemps.
La fraude du bétail, qui était immense il y a quelques années, n’existe presque plus ; tellement la douane est améliorée, tellement la fraude doit se faire sur un plus petit pied.
Quant au café, je le répète, je crois qu’on peut fort bien se borner à voter cette année un droit de 10 fr,, sauf à voter l’année prochaine celui de 12 fr., et cela sans inconséquence.
M. Rogier. - Messieurs, M. le ministre des finances vient de nous dire que le droit de 10 fr. resterait le même, jusqu’à la discussion des propositions de la commission d’enquête, quant aux droits différentiels. Mais il y a une proposition du ministère ; c’est un projet de loi établissant l’augmentation de certains droits d’entrée et la diminution de certains droits de sortie. Eh bien ! dans ce projet de loi, par une espèce de double emploi, on a compris le café avec le droit de 10 fr. Je demande si, lorsque la discussion de ce projet arrivera dans six semaines ou deux mois, le droit de 10 fr. que nous allons introduire dans le budget, sera maintenu ; si le commerce peut compter au moins sur une année de fixité.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Certainement, on l’a dit.
M. Rogier. - On s’en est pas expliqué.
J’aimerais mieux adopter dès maintenant le droit de 12 fr. et donner de la fixité aux opérations commerciales, que de le porter aujourd’hui à 10 fr. et dans deux mois à 12 fr. Cette marche me paraît de la mauvaise administration, très fâcheuse pour le commerce.
S’il est bien entendu, que lorsque la discussion sur le projet de loi relatif aux droits d’entrée et de sortie se présentera, messieurs les ministres s’opposeront à toute augmentation nouvelle, je voterai en sécurité le droit de 10 fr. Mais si le gouvernement allait adopter, en cédant à l’initiative de quelques membres, une nouvelle augmentation, je déclare que dès maintenant j’appuierai l’ajournement de toute la discussion jusqu’à celle sur le projet de loi d’entrée et de sortie. Cela me semble indiqué par la prudence. Je demande donc à messieurs les ministres un engagement formel sur ce point.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, en reportant dans le projet de tarif dont vient de parler l’honorable M. Rogier, le droit de 10 fr. sur le café, nous avons désiré avoir un tarif d’ensemble, si je puis m’exprimer ainsi. Mais ce n’est pas là un double emploi.
Notre intention est de maintenir le droit de 10fr, et de le maintenir ainsi en permanence jusqu’à ce que nous ayons acquis la conviction qu’il pourrait être modifié dans les intérêts réciproques du commerce et du trésor.
M. Mercier. - Je ne crois pas que ce soit sérieusement que l’on vienne soutenir qu’un droit de 12 francs offrirait de grands dangers pour le commerce, tandis qu’un droit de 10 francs n’en présenterait pas. Je ne sais si je dois réfuter sérieusement une pareille assertion.
On craint, dit-on, les infiltrations de la Hollande. Mais quelle différence y a-t-il entre le droit de 4 fr. et celui de 12 fr. ? une différence de 8 fr. Et on craint les infiltrations de la Hollande. D’un autre côté, on craint la diminution du commerce interlope, alors qu’il resterait, entre le droit de 12 fr. et celui de 94 fr. perçu en France une différence de 82 fr. On semble redouter la diminution du commerce interlope vers la France, et on prétend qu’un droit de 12 fr. favoriserait la fraude de la Hollande. Tâchez donc de concilier ces deux assertions. Ainsi, les Hollandais seraient assez adroits pour introduire du café en Belgique, moyennant une prime de 8 francs et nous ne pourrions continuer le même commerce interlope avec une prime de 82 fr.
Il en est de même en ce qui concerne la frontière de l’Allemagne bien que, par rapport à ce pays, la différence soit moins grande, elle est toutefois beaucoup plus considérable que pour la frontière de Hollande ; car la différence entre le droit de 48 fr. établi en Allemagne et celui de 12 fr est encore de 36 fr.
Les craintes que l’on a manifestées sont donc illusoires ; et en présence des besoins du trésor, en présence de la pénurie de ses ressources, je ne comprends pas comment on ne propose pas un droit plus élevé sur le café.
M. Demonceau, rapporteur - Messieurs, cette discussion justifie complètement la section centrale de la prudente qu’elle a mise à proposer un projet de loi spécial, et je tiens à constater que dans cette circonstance la section centrale a agi avec sagesse et dans l’intérêt bien entendu du commerce et du trésor.
J’entends toujours invoquer l’intérêt du commerce. Mais pourquoi n’invoque-t-on pas un peu l’intérêt du consommateur ? Est-ce que le café n’est pas la boisson du pauvre ? Vous en parlez facilement ; mais l’ouvrier boit du café. Vous avez fait attention aux plaintes de MM. les brasseurs mais nos pauvres ouvriers, nos pauvres campagnards ne boivent que de l’eau et du café. Le droit que vous demandez au sucre ne vient pas à 10 fr. ; et vous voulez demander au café un droit qui dépasse 10 fr
Messieurs, voyez votre législation sur les sucres ; il s’introduit en Belgique 25 millions de kil, de sucre ; je réduis, si vous le voulez, le chiffre 20 millions de kil., sur lesquels vous établissez fictivement un droit de 40 fr. environ. Vous êtes donc censés recevoir sur le sucre un droit de 4 millions de fr. Eh bien ! voyez ce qui sort de votre trésor ; vous trouverez qu’il ne vous reste que 600,000 fr.
Et savez vous combien vous produira le café, si vous adoptez les 10 fr. ? Le café vous donnera 1,400,000 fr.
Un membre. - Ce n’est pas beaucoup.
M. Demonceau, rapporteur. - Ce n’est pas beaucoup dites-vous. Mais je me permettrai de répéter encore aujourd’hui ce que je disais dans la discussion générale relativement au droit que vous établissez sur d’autres matières, sur la bière, par exemple ; c’est encore trop. Comparez le droit sur le café à celui qui vous reste sur le sucre, et voyez la différence.
Au reste, messieurs, je n’attache aucune importance à voir que dans cette circonstance, vous n’adoptiez pas le système que je persiste à défendre, bien que je regrette que le gouvernement ne l’admette pas, et voici pourquoi : le gouvernement a proposé un projet de loi qui apporte plusieurs changements à notre tarif de droits d’entrée. Si vous adoptez la fraction de ce projet, relative au café, peut-être n’examinera-t-on pas le projet entier ; j’aurais voulu quant à moi, qu’on l’examinât, de manière à ce qu’il pût être mis en vigueur au 1er janvier prochain. Qu’aura gagné le gouvernement à avoir un chiffre supérieur de 300,000 fr., au lieu que, par le système que je voudrais voir adopter, il en aurait obtenu 600,000. Pourquoi ne discuterait-on pas aussi bien l’article café lorsqu’il s’agira du projet dont je viens de parler, qu’aujourd’hui qu’il s’agit du budget des voies et moyens ? Je n’y vois aucun avantage ni pour le gouvernement ni pour le trésor.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Je n’occuperai pas longtemps la chambre ; je veux seulement répondre à une observation que vous a faite l’honorable M. Mercier.
Cet honorable membre vous a demandé si c’était bien sérieusement qu’on ne voulait pas porter un droit de dix fr. à douze, c’est-à-dire, si c’était bien sérieusement qu’on ne voulait pas augmenter de deux fr. un droit de dix fr. Mais, messieurs, deux fr. sur dix font d’abord 20 p. c.. et comme déjà, par notre proposition, nous portons le droit de huit fr. à dix, ce qui présente une augmentation de 25 p. c., je m’étonnerai à mon tour de ce que M. Mercier ait pu présenter un pareil argument comme sérieux.
Je sais que l’honorable M. Mercier voudrait, de cette manière, arriver à son système, c’est-à-dire au droit de vingt fr., parce que, une fois arrivé à douze fr., il dirait, en suivant le même système d’argumentation : « Mais 2 fr. d’augmentation sur 12, c’est, relativement, encore moins que 2 sur 10, puisqu’ici la majoration est le cinquième du droit, et que pour 12 fr. une augmentation de 2 fr. n’est que le sixième ; il faut donc aller à 14 fr. Il irait ainsi à seize et jusqu’à vingt, droit qu’il nous avait proposé, et qui, tout en ruinant notre commerce, aurait atténué en outre les recettes de l’Etat par suite de la grande diminution des importations qu’il aurait amenée.
Mais ce n’est pas ainsi, qu’il faut considérer la question ; il y a ici, comme en toutes choses, une limite extrême à trouver et qu’on ne saurait dépasser, sans risquer de compromettre nos intérêts commerciaux. Nous considérons le droit de dix fr. comme étant cette limite. En d’autres termes, c’est là un droit que nous considérons comme maximum et au-delà duquel les infiltrations en pays étrangers, au profit de notre commerce, pourraient être, selon nous, fortement compromises.
- La clôture de la discussion est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Je crois qu’il y a lieu de voter d’abord sur l’art. 5, puisque c’est d’après le vote qu’émettra la chambre sur cet article, que l’on pourra fixer le chiffre qui doit figurer au tableau. Cet art. est ainsi conçu :
« Art, 5. A partir du 1er janvier 1843, le droit sur le café sera perçu en principal à raison de 10 francs par 100 kilogrammes déclarés en consommation. »
La section centrale propose le renvoi de cet article à une loi spéciale. C’est une question d’ajournement que je dois d’abord mettre aux voix.
- La chambre, consultée, rejette l’ajournement et adopte l’art. 5, proposé par le gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Smits) - D’après le vote que la chambre vient d’émettre, je proposerai de rétablir le chiffre du gouvernement, c’est-à-dire celui de 9,537,172 fr. Voici messieurs, comment ce chiffre a été établi : les recettes réelles se sont élevées à 8,071,700 fr. ; le droit sur le café doit produire 320,000 fr. de plus ; de ces deux sommes réunies, il faut retrancher 135,000 fr. du chef de la réduction opérée sur les vins de France, et 51,000 fr. du chef de la diminution du droit sur les soieries venant du même pays ; il faut ensuite ajouter à la somme qui reste 1,315,000 fr. du chef des centimes additionnels, et vous obtiendrez ainsi le chiffre de 9,537,172 francs, que nous avons eu l’honneur de vous proposer.
- Le chiffre de 9,557,172 francs est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous avons maintenant les droits de sortie qui figurent au projet du gouvernement pour 400,000 francs ; mais la section centrale propose le chiffre de 550,000 fr.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je crois, messieurs, qu’il convient de maintenir le chiffre de 400 mille fr., puisque nous avons l’espoir que la loi réduisant les droits de sortie sur divers objets sera adoptée, et que le chiffre de 400 mille francs a été calculé dans cette prévision.
M. Demonceau, rapporteur. - Si vous adoptiez, messieurs, l’opinion de M. le ministre des finances, il faut convenir que vous feriez un singulier budget. Admettre le chiffre de 400,000 francs, ce serait préjuger l’adoption de la loi dont vient de parler M. le ministre ; or, c’est ce que vous ne pouvez pas faire. Je puis prouver que cette loi ne convient nullement, un autre peut démontrer la même chose. Vous ne pouvez donc pas calculer dès à présent un chiffre du budget dans la prévision de l’adoption de cette loi. D’après la législation actuelle, les droits de sortie donnent 550,000 francs ; eh bien, vous ne pouvez avoir égard qu’à la législation actuelle. Mais, si vous suiviez la marche indiquée par M. le ministre des finances, vous devriez donc aussi majorer de deux millions le chiffre de l’accise sur les sucres, parce que l’honorable M. Mercier suppose que la loi sur le sucre fera rentrer deux millions de plus dans la caisse de l’Etat. De cette manière vous auriez bientôt fait un budget fictif, et c’est alors que vous en viendriez à une situation à laquelle vous ne comprendriez plus rien. Il n’est pas étonnant que vous ayez majoré le chiffre des droits d’entrée : vous veniez de voter une disposition qui augmente le droit sur cette denrée, de 2 fr. par 100 kilog, dès lors vous deviez nécessairement élever le chiffre du budget dans la même proportion ; mais ce n’est pas parce que vous êtes saisis d’un simple projet tendant à séduire certains droits de sortie, que vous pouvez abaisser le chiffre du budget qui concerne ces droits. Un budget doit, autant que possible, se rapprocher de la réalité.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, un budget se compose de prévisions, et en établissant ces prévisions, il faut nécessairement tenir compte des résultats des lois soumises à la chambre.
Les droits de sortie ont produit, en 1842, 547,000 francs ; mais le gouvernement vous a proposé un projet de loi tendant à réduire quelques-uns de ces droits ; il faut nécessairement déduire du chiffre de 547,000 francs ce que le trésor percevra en moins par l’adoption probable de ce projet. Si la chambre n’adoptait pas le projet, eh bien alors, la recette dépassera la prévision du budget, et je ne vois pas quel inconvénient il peut en résulter.
M. Mercier. - Messieurs, l’art. 1er de la loi du budget des voies et moyens maintient les impôts existants et l’art. 6 porte : « D’après les dispositions qui précèdent, le budget de l’exercice 1843 est évalué à la somme de … ; le tout conformément au tableau ci-annexé. » Le tableau fait donc partie inhérente de l’article. Or, les propositions dont parle M. le ministre des finances ne sont pas encore converties en loi, et dès lors vous ne pouvez en tenir compte dans la fixation des chiffres du tableau du budget. Ce tableau doit être établi d’après les loi existantes, et non pas d’après des lois futures ou éventuelles. Cela serait contraire à la saine raison et à toute idée d’ordre et de régularité. J’entends dire ici qu’il ne s’agit pas d’une somme considérable ; mais le principe est le même pour cent mille francs que pour des millions. Si le gouvernement avait proposé un projet de loi tendant à procurer deux millions au trésor, il faudrait donc aussi porter ces deux millions au budget, même avant l’examen du projet de loi ? Evidemment, messieurs, cela n’est pas soutenable.
M. Osy. - Je dois appuyer les observations de l’honorable M. Demonceau. Si nous adoptions l’opinion de M. le ministre des finances, nous préjugerions l’adoption de la loi relative aux droits de sortie. Mais, dans ce cas, je proposerais de revenir sur le chiffre qui vient d’être adopté ; nous voulons tous une augmentation du droit, sur les tabacs, par exemple ; eh bien, nous devrions alors augmenter le chiffre des droits d’entrée d’après la prévision d’une loi frappant les tabacs de droits plus élevés, et, de cette manière, nous compenserions la réduction que nous aurions opérée sur le chiffre des droits de sortie. Mais une semblable marche, messieurs, serait irrégulière, et je crois que nous devons adopter le chiffre de la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, nous n’attachons pas une très grande importance à ce chiffre ; ce n’est pas à une somme de 100,000 fr. sur un budget de 105 millions que nous devons singulièrement tenir. Cependant je ferai remarquer à l’honorable M. Mercier que nous avons supposé que le projet concernant les droits de sortie serait adopté avant le 31 décembre ; or ; dans ce cas, le chiffre dont il s’agit aurait bien réellement été établi d’après les lois existantes au moment le la promulgation de la loi du budget ; quoi qu’il en soit, puisqu’on s’oppose au chiffre de 550,000 fr., je n’y tiens pas.
- Le chiffre proposé par la section centrale est mis aux voix et adopté.
« Droit de transit : fr. 150,000 »
- Adopté.
« Droit de tonnage : fr. 360,000 »
- Adopté.
« Timbres : fr. 37,000 »
- Adopté.
« Droits de consommation sur les boissons distillées : fr. 1,080,000. »
La section centrale propose le chiffre de 960,000 fr.
- Ce dernier chiffre est mis aux voix et adopté.
« Sel (26 centimes additionnels) : fr. 4,000,000. »
- Adopté.
« Vins étrangers (id.) : fr. 1,850,000. »
- Adopté.
« Eaux-de-vie étrangères (sans addit.) : fr. 240,000. »
- Adopté.
« Eaux-de-vie indigènes (sans addit.) : fr. 4,800,000. »
- Adopté.
« Bières et vinaigres (26 centimes additionnels) : fr. 6,411,000 fr. »
M. Henot. - J’avais demandé la parole pour combattre la proposition du gouvernement tendant à augmenter de 10 centimes additionnels extraordinaires l’accise sur les bières ; mais M. le ministre des finances ayant déclaré qu’il retirait cette proposition, j’y renonce.
M. Lange. - Je voulais aussi combattre les nouveaux centimes additionnels dont le gouvernement proposait de surcharger les brasseurs ; mais puisque le gouvernement a retiré sa proposition, je renonce à la parole.
- Le chiffre de 6,411,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Sucres (26 centimes additionnels) : fr. 1,140,000 fr. -
La section centrale propose le chiffre de 640,000 le.
M. le ministre des finances (M. Smits) déclare se rallier à la proposition de la section centrale.
- Le chiffre de 640,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Timbres sur les quittances : fr. 1,389,500 »
« Timbres sur les permis de circulation : fr. 14,000 fr. »
La section centrale propose de réduire le premier chiffre à 1,300,000 fr.
M. Demonceau, rapporteur. - Je n’ai pas la certitude, messieurs, que le chiffre de 1300,000 fr. soit mathématiquement exact ; mais nous avons calculé la réduction de 89,300 fr. que nous proposons d’après les réductions que nous avions opérées sur les bières et sur les sucres, et qui ont été adoptées par la chambre.
M. le ministre des finances (M. Smits) déclare se rallier à la proposition de la section centrale.
- Cette proposition est adoptée.
« Droits de marque des matières d’or et d’argent : fr. 150,000. »
- Adopté.
« Droits d’entrepôts, y compris ceux de l’entrepôt d’Anvers : fr. 150,000 »
« Recettes extraordinaires et accidentelles : fr. 12,000. »
« Ensemble : fr. 162,000. »
- Adopté.
« Enregistrement (30 p. c. additionnels) : fr. 11,000,000. »
Le chiffre adopté par la section centrale est le même que celui proposé par le gouvernement.
M. Angillis. - Messieurs, j’ai déjà voté contre les nouveaux additionnels aux contributions foncière, personnelle, patentes, bières et vinaigres, et maintenant je voterai contre les 4 nouveaux additionnels sur l’enregistrement, greffe, hypothèque et successions. Je refuse ces secours extraordinaires, parce qu’ils ne me paraissent pas strictement nécessaires pour l’exercice prochain dans la supposition même que les dépenses soient presque toutes allouées, encore que paraît-il que la majoration que l’on demande n’est pas indispensable. J’ai aussi fait mes calculs, je ne les exposerai pas ; on en a tant exposé ; il me suffit qu’ils m’ont donné la preuve de ce que j’avance.
Je voterai donc aussi contre les 4 extraordinaires sur l’enregistrement et compagnie. L’enregistrement, messieurs, est un impôt accablant, il supporte déjà une subvention extraordinaire de 26 p. c.
Je dis que l’enregistrement est un impôt accablant, car rien n’échappe à son contrôle ; il frappe toutes les mutations et partages des propriétés mobilières et immobilières ; il suit le mouvement de tous les capitaux ; il lève un impôt sur toutes les actions sociales, et à l’aide de la loi sur les successions, le fisc n’abandonne son homme que 6 mois et 12 semaines après son décès.
La loi du 24 mai 1824 a doublé plusieurs droits fixes, qui frappent principalement la classe ouvrière ; celle du 30 janvier de la même année a rendu les transcriptions hypothécaires obligatoires, de facultatives qu’elles étaient. Sous le gouvernement belge. le prix des timbres a été considérablement augmenté, ainsi que les solidarités, et les amendes et les transcriptions hypothécaires doublées, et les droits sont encore augmentés par le renouvellement des inscriptions ; un impôt aussi exorbitant, qui pèse sur toutes les relations de la société, qui est perçu avec une rigueur inouïe, on voudrait encore l’augmenter.
Une autre considération, messieurs, c’est que les droits d’enregistrement devront porter sur les transactions de toute nature entre les hommes. La loi qui en règle la perception est nécessairement subordonné aux lois civiles ; or la loi du 22 frimaire an VII, qui est de beaucoup antérieure à la promulgation du Code civil, loi qui été faite pour une législation qui existait en l’an VII, ne peut s’appliquer que très difficilement et par de simples analogies, souvent sans application à notre législation actuelle. De cet état de choses résultent des contestations nombreuses pour régler les droits, des procès ruineux pour les contribuables et scandaleux pour le fisc.
Toutes ces causes, les difficultés continuelles de l’application d’une loi faite pour un autre temps, ainsi que de nombreuses décisions bien ou mal rendues, aux cas particuliers, la rigueur de l’interprétation, et les procédures poursuivies presque toujours par l’administration jusqu’en cassation, sollicitent, non pas une aggravation de l’impôt, mais une bonne révision de cette matière importante.
Quant aux droits sur les successions, ces droits sont déjà très élevés et mal établis. Mais ce qu’il y a de plus fort, c’est que les revenus de l’enregistrement commencent à se mettre au-dessus de la loi, en rejetant des déclarations toutes les dettes qui ne sont pas justifiées par des actes ! Vous savez, messieurs, que la loi du 27 décembre 1817 admet la déduction des dettes sans exiger aucune justification. Cependant, les agents de l’enregistrement, qui, probablement, ne connaissent d’autres lois que l’opinion bien ou mal fondée de leurs chefs, rejettent toutes les déclarations qui ne sont pas justifiées par des titres, dont ils se réservent encore le droit de les admettre ou de les rejeter. Voilà, messieurs, comment les employés du fisc exécutent la loi. M. le ministre des finances, désirant donner une teinte légale aux exigences illégales de ses agents, vient de vous présenter un projet de loi tendant à n’admettre dans les déclarations des successions aucune dette qui ne soit pas justifiée par des actes authentiques, absurdité sans exemple ! Selon moi, un tel projet mérite l’honneur d’un vote négatif sans de grands développements. Mais je ne veux pas anticiper sur la délibération ; j ai voulu faire connaître à l’assemblée que non seulement la loi est onéreuse pour le public, mais que l’exécution de cette loi est encore très vexatoire.
M. Delfosse. - Comme l’honorable M. Angillis, je voterai contre les quatre centimes additionnels extraordinaires qui sont demandés sur les droits d’enregistrement ; comme lui aussi, je ferai du rejet de cette augmentation la condition de mon vote sur l’ensemble du budget ; je suis ici en désaccord avec mon honorable ami M. Verhaegen, qui a déclaré qu’il voterait pour ces quatre centimes additionnels ; c’est une preuve à ajouter à celles que nous avons déjà données, que chacun de nous vote consciencieusement et non par esprit de parti.
Ce qui engage mon honorable ami à voter pour ces quatre centimes additionnels, c’est qu’ils sont destinés à couvrir l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire. Je crois que mon honorable ami est dans l’erreur. Tous les revenus portés au budget des voies et moyens, y compris les quatre centimes additionnels dont il s’agit, sont absorbés par les allocations déjà portées aux budgets des dépenses, et il y a en outre un déficit ; ces quatre centimes additionnels ont donc une autre destination que celle qui est indiquée par mon honorable ami.
Mais en supposant même qu’ils eussent cette destination, ce que je n’admets en aucune manière, je les refuserais encore ; je ne veux pas préjuger en ce moment le sort qui attend le projet de loi relatif aux traitements des membres de l’ordre judiciaire, mais il y a deux moyens de faire face à l’augmentation de ces traitements, si elle est admise par la législature. On peut y faire face par un accroissement d’impôts ou par la suppression de dépenses inutiles ; quant à moi, je préfère le second moyen ; je crois que l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire serait bien plus populaire, si on la couvrait par des économies sur d’autres dépenses, au lieu de la couvrir par de nouveaux impôts.
Je prie la chambre de ne pas perdre de vue que les droits d’enregistrement pèsent toujours sur le vendeur ; celui qui veut acheter un immeuble calcule le prix qu’il peut en donner, et plus il doit donner au fisc, moins il donne au vendeur ; or, celui-ci est presque toujours dans le besoin, c’est quand on est dans le besoin qu’on est réduit à vendre, c’est donc encore le pauvre que vous allez frapper.
S’il faut absolument de nouvelles ressources, ce que je conteste, puisque des économies sont possibles, on peut en trouver de plus justifiables que celle-là.
M. Rodenbach. - Messieurs, je partage l’opinion qui a été exprimée par l’honorable M. Angillis et l’honorable M. Delfosse, et je m’associe aux motifs exposés par ces messieurs, pour repousser la majoration demandée.
Le ministère a déclaré que ces 4 nouveaux additionnels étaient destinés à augmenter les traitements des membres de l’ordre judiciaire ; mais, messieurs, c’est là préjuger le vote de la loi qui n’a pas encore été discutée. Pour ma part, je ne crois pas que, dans un moment où nous sommes en présence d’un déficit de 3 à 4 millions, l’on puisse songer à accorder cette année, une augmentation de traitement aux membres de la magistrature. Je l’ai déjà dit, et je le répète, je suis convaincu que la magistrature belge a trop de patriotisme et trop de délicatesse pour vouloir accepter en ce moment une augmentation de traitement, au prix d’une surcharge d’impôts pour le peuple.
Je me suis opposé, l’année dernière, et je m’oppose encore cette année-ci à cette augmentation. J’ai demandé et je demande encore un ajournement. Dès que nos finances seront dans une situation plus favorable, je serai le premier à voter une augmentation pour certains magistrats. Il y a d’autres catégories d’employés et de fonctionnaires du gouvernement qui ont les titres les plus fondés à une augmentation de traitement ; je citerai, entre autres, les percepteurs de contributions, dans les campagnes ; depuis la révolution, on a diminué leurs traitements qui sont tellement minimes, qu’ils ne peuvent pas suffire à leur existence, et l’on s’étonne que parmi eux il se trouve des hommes qui commettent parfois des actes d’improbité !
Quant aux traitements des membres de l’ordre judiciaire, ils ont été augmentés depuis la révolution ; et si le projet de loi dont nous sommes saisis est accepté, nos juges auront un traitement double de celui dont jouissent les juges en France. Ainsi, il n’est pas exact de dire qu’on a traité nos juges avec lésinerie depuis la révolution.
M. Verhaegen. - Messieurs, l’honorable M. Rodenbach s’oppose, comme à l’ordinaire, à ce qu’on fasse pour la magistrature, ce que depuis plusieurs années, ou aurait dû faire pour elle, c’est-à-dire à ce qu’on lui rende justice, car elle ne demande que cela.
L’honorable M. Rodenbach vient de parler des percepteurs de contributions. Il ne manquerait plus que de faire un autre parallèle et de parler des douaniers, des gardes-champêtres, etc. Tout ce que je puis dire, c’est que la comparaison n’est pas heureuse. Si les percepteurs des campagnes méritent nos sympathies, et je n’hésite pas à leur accorder la mienne, ce n’est pas une raison pour renvoyer aux calendes grecques les membres de l’ordre judiciaire. Je n’entrerai pas dans l’examen du mérite du projet de loi concernant la magistrature, dont vous êtes saisis, ce serait prendre inutilement votre temps. Ce projet a été mis à l’ordre du jour, et je dois exprimer mon étonnement de ce que cet ordre du jour, fixé solennellement, ait été interverti. Il avait été convenu que le projet de loi relatif au traitement de l’ordre judiciaire serait discuté immédiatement après le vote du budget des voies et moyens Par la lecture du procès-verbal, j’ai vu qu’on avait interverti cet ordre pour intercaler le budget de la justice.
Quant aux quatre centimes additionnels, dont il s’agit pour le moment, je ne me dissimule pas la difficulté de ma position, et je vais la dessiner nettement. Je comprends la position de mon ami M. Delfosse, et je respecte son opinion sur les centimes additionnels. Il ne les votera pas, il a pour cela des motifs et sans doute des motifs très plausibles. Ma position est différente, mais elle est difficile, j’en conviens. Je voudrais bien voter les 4 centimes additionnels pour autant que je les considère comme nécessaires pour subvenir aux dépenses que nécessitera le projet de loi auquel je fais allusion. Mais quelle garantie puis-je avoir qu’ils auront cet emploi ? On ne peut pas donner une affectation spéciale à ces centimes, parce qu’il faudrait pour cela que le projet sur la magistrature fût adopté. J’aurais beau proposer une addition à cet article du budget, il serait difficile de l’admettre, parce que légalement parlant, on ne peut pas prononcer l’affectation d’une recette à une dépense qui n’est pas encore votée. Si je refuse de voter les 4 centimes, quand le projet de loi sur la magistrature sera adopté, on me dira que les moyens de faire face à la dépense pour l’année 1843 ne sont pas faits, et par cela même, l’honorable M. Rodenbach obtiendrait gain de cause.
Il entrait dans mes intentions, pour éviter ce prétendu reproche d’impopularité, adressé au projet de loi par M. Rodenbach, de mettre à côté de la dépense des voies et moyens spéciaux. Je m étais dis qu’autrefois la justice faisait face à ses dépenses, qu’elle se payait elle-même au moyen des épices. Cela présentait, il est vrai, des inconvénients. Mais je voulais remplacer les épices par quelque chose d’analogue, je voulais obtenir le même résultat en parant aux inconvénients. Mes épices étaient celles-ci : Les tribunaux, les cours, etc., par suite de la besogne qui s’y fait journellement donnent au trésor des ressources considérables : la justice produit plus qu’elle ne coûte.
On demande une augmentation de traitement pour la magistrature. (Il n’est pas juste de dire, comme l’honorable M. Rodenbach, que les appointements de la magistrature ont été augmentés, mais au contraire diminués depuis la révolution. On a réduit les appointements des conseillers et des avocats généraux) Je disais : puisqu’il faut augmenter les appointements de la magistrature, augmentons les ressources que procure au trésor l’ordre judiciaire. J’avais donc proposé d’augmenter les droits d’enregistrement, de greffe, d’hypothèque.
Le petit aperçu que j’avais fait de ces ressources allait au-delà de la dépense d’augmentation.
Le gouvernement était entré dans ces vues, et je désire qu’il y persévère.
Je demanderai donc à M. le ministre des finances de vouloir à cet égard me donner une explication franche ; je ferai la même demande à M. le ministre de la justice : Entre-t-il dans les intentions du gouvernement de faire droit aux justes réclamations de la magistrature, et d’employer les quatre centimes dont il s’agit à faire face aux dépenses que nécessitera cette mesure ?
Je ne puis, je le sais, leur demander un engagement formel, je ne puis que me rapporter à la réponse qu’ils voudront bien me faire, et qui sera consignée au Moniteur. Je me réserve alors de faire ce que commanderont les circonstances
J’ai exposé d’une manière franche et nette ma position. Je crois que mon honorable ami, M. Delfosse aura la conviction qu’il m’était impossible d’agir d’une manière autre, pour ne pas être en désaccord avec mes précédents.
M. le ministre des finances (M. Smits) - S’il n’était pas entré dans les intentions du gouvernement d’augmenter les traitements de l’ordre judiciaire, il ne serait pas venu vous présenter un projet de loi. Ce projet était accompagné d’un autre projet tendant à majorer de 4 c. les droits d’enregistrement, de succession, etc. Cette augmentation était destinée, dans notre pensée, à couvrir la dépense devant résulter de la loi proposée par le ministre de la justice. D’après notre projet, l’excédant du budget de 1843, devait servir à cette destination, car nous ne pouvions pas faire figurer la dépense au budget, la loi n’étant pas votée.
La section centrale a proposé un autre budget des voies et moyens. Par là le projet du gouvernement est venu à disparaître. Dans son système les 4 centimes que nous voulons réserver doivent être affectés aux dépenses générales du royaume. Maintenant, c’est à la chambre à décider si les 4 centimes doivent recevoir cette destination.
M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) - L’honorable M. Verhaegen a demandé à M. le ministre des finances et au ministre de la justice, si leur intention était de faire enfin droit aux justes réclamations de la magistrature. M. le ministre des finances a déjà répondu que le gouvernement a cette intention, puisqu’il a présenté un projet de loi dans ce but.
Je ne puis que me référer à ce qu’a dit M. le ministre des finances. Je déclare que je suis prêt à discuter le projet de loi que j’ai eu l’honneur de présenter, quand la chambre voudra le mettre à l’ordre du jour ; j’ajouterai que quand cette discussion aura lieu, on aura à examiner, d’après l’état du budget, s’il y a possibilité ou quand il y aura possibilité de mettre la loi à exécution.
M. Demonceau. - La position du rapporteur de la section centrale est excessivement délicate. Vous comprenez que, magistrat, il ne pouvait rien faire pour compromettre la position de ses collègues, mais étant avant tout représentant de la nation, en voyant la situation du trésor, il a dû s’exprimer en représentant de la nation, il a été obligé de présenter un rapport admettant les 4 centimes, niais pour être affectés aux dépenses générales du pays. Ce n’est pas que, dans l’opinion du rapporteur, il faille postposer la discussion importante sur le traitement de la magistrature.
Il est vrai qu’à la section centrale plusieurs collègues pensaient que la magistrature devait attendre.
M. Rodenbach. - Moi, j’ai été de cette opinion.
M. Demonceau. - Nous n’avons pas discuté longuement, mais je connais trop bien leurs sentiments, pour dire qu’ils ne consentent pas à changer la position de la magistrature.
Ainsi, je me permettrai de dire à l’honorable M. Rodenbach que les juges de paix ne sont certainement pas payés comme ils devraient l’être. Eh bien, savez-vous la part qu’ils prennent dans l’augmentation proposée ? Au-delà de la moitié.
Quant aux tribunaux de première instance et aux cours d’appel, ne vous effrayez pas beaucoup de l’augmentation qui devrait en résulter. Je ne sais si j’exprime ici l’opinion de tous les membres de la magistrature, mais je pense qu’une fois qu’une décision sera prise définitivement, la magistrature s’imposerait, s’il le fallait, des privations, en considération de la position actuelle de nos finances. Mais au moins qu’on adopte une loi qui ait ses effets à dater d’une époque à fixer. Du reste, mon opinion est que la magistrature soit payée sur les fonds généraux de l’Etat.
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’entrer dans de longs développements pour justifier la proposition de la section centrale. Il fallait absolument faire de l’argent. Vous avez voulu toutes les dépenses votées. Vous pourrez sans doute faire quelques économies sur les budgets de dépenses ; mais vous n’en trouvera pas beaucoup parce que les augmentations frappent principalement le budget qui ne supporte pas de réduction, celui de la dette publique. Vous ne pouvez pas vous dispenser de payer les intérêts de vos emprunts et les rentes mises à votre charge.
Ainsi, de quelque manière que vous envisagiez la question, il faudra nécessairement que vous constatiez un déficit bien supérieur à celui constaté par la section centrale, ou que vous admettiez les 4 centimes additionnels sur l’enregistrement. Pour moi, j’admettrai volontiers les centimes additionnels sur les hypothèques, aussi bien que sur les autres produits.
M. Delehaye. - Puisque les observations de l’honorable M. Rodenbach se rattachent en grande partie à un projet de loi mis à l’ordre du jour, je pourrais peut-être me dispenser de lui répondre. Cependant, comme rapporteur, je crois devoir répondre à la comparaison entre les magistrats et d’autres fonctionnaires. Je crois, si vous comparez les traitements des magistrats à ceux de quelques fonctionnaires que ce soit, vous serez frappés de l’exiguïté des traitements des premiers.
L’honorable membre a parlé des receveurs ; à mon tour, je parlerai des juges de paix, et je demanderai à l’honorable membre s’il ne pense pas qu’il faudrait faire une meilleure position aux juges de paix ; il y a un grand nombre de juges de paix des cantons ruraux qui n’ont que de 1000 à 1100 francs de traitement, il y en a qui n’ont pas 1,000 francs de traitement. Peut-on comparer un juge de paix de cette catégorie à un receveur des contributions ? assurément non ; car il n’y a pas de receveur, si minime que soit sa recette, qui n’ait un traitement supérieur.
L’honorable membre vous a dit : « Faisons un appel à la délicatesse des membres le la magistrature. » J’ai la conviction intime que si l’on invoquait auprès des membres de la magistrature la pénurie du trésor, ils renonceraient à l’augmentation de traitement à laquelle ils ont droit. Mais il y a cependant un sentiment auquel ils doivent obéir, c’est le sentiment de la paternité. Il y en a qui n’ont pas de quoi élever dignement leur famille. D’un autre côté, ce n’est pas seulement dans l’intérêt de la magistrature, c’est dans l’intérêt de la société qu’il faut rétribuer convenablement la magistrature.
L’honorable membre est dans l’erreur, lorsqu’il croit que tous les membres de l’ordre judiciaire ont vu leur position s’améliorer depuis la révolution. Il a cité les membres des cours d’appel ; je citerai encore les juges de paix, dont les minimes traitements n’ont reçu aucune augmentation depuis la révolution.
Puisque j’ai la parole, je demanderai une explication ; car, vraiment je doute des bonnes intentions du gouvernement, pour l’ordre judiciaire. J’avais cru que 4 c. additionnels étaient affectés à l’augmentation des traitements de la magistrature. Si l’on fait entrer 4 c. dans les fonds généraux, il y aura donc 8 c. additionnels (Dénégation au banc de MM. les ministres.) Je suis heureux d’avoir provoqué cette explication. D’après cela, mon observation vient à tomber. il est entendu que le projet de loi spécial relatif aux 4 c. additionnels présenté l’été dernier, est retiré.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a une espèce de changement de système. Les 4 centimes additionnels avaient été proposés l’été dernier, avec une destination spéciale pour 1842. Mais tout cela est changé. Il faut au moins comprendre la portée du vote d’hier. C’est un système que vous avez voté hier ; c’est l’ensemble des propositions de la section centrale. La section centrale a dit : « Je vous propose un budget présentant un déficit de 1,073,000 fr. ; mais ce déficit ne m’effraie pas, parce que diverses lois de finances sont présentées. » Mais, pour réduire ce déficit à 1,073,000 fr., la section centrale a compris dans les ressources ordinaires, les 4 centimes additionnels à l’enregistrement, et n’a pas compris dans les dépenses à faire la somme nécessaire pour l’augmentation des traitements des membres de l’ordre judiciaire.
M. Rogier. - Mais le projet de loi n’est pas retiré !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non ; mais reste l’examen des moyens d’exécution.
M. Delehaye. - Et le projet de loi des 4 centimes additionnels spéciaux ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Celui-là est retiré. En cela, l’honorable M. Delehaye a raison. Mais il a tort de croire que les 4 centimes additionnels conservent définitivement la destination qu’on leur donnait l’été dernier. Si l’on adopte les 4 centimes additionnels, il n’y a rien de préjugé, quant au vote de la loi relative à l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire. Mais quant à l’exécution il faudra aviser à d’autres moyens que ceux proposés l’été dernier. Il faut être d’accord là-dessus. C’est ce qui avait été dit par les ministres des finances et de la justice.
M. Malou. - La chambre avait mis à l’ordre du jour, immédiatement après le budget des voies et moyens, le projet de loi relatif à l’augmentation de traitement des membres de l’ordre judiciaire. C’est sur la proposition que j’ai faite en déposant le rapport sur le budget du département de la justice, qu’on a postposé cette discussion. Les motifs qui m’ont guidé sont très simples.. J’ai pensé que, nous trouvant à une époque très avancée de l’année, il était de l’intérêt des travaux de la chambre de donner aux budgets dont les rapports ont été déposés, la priorité sur tous autres projets.
J’ai pensé aussi que, dans l’intérêt même de la magistrature, nous ne devions pas aborder, en ce moment, l’examen du projet de loi. J’ai regretté que le jour de la discussion ait été fixé lorsque le rapport a été présenté.
Les observations qui ont surgi à l’occasion du budget des voies et moyens m’ont confirmé dans cette opinion. Déjà il a été question des lois d’impôt qui seront discutées après le budget des voies et moyens. Il me semble que la discussion de ces lois devrait précéder celle de la loi relative aux traitements des membres de l’ordre judiciaire.
En discutant cette dernière loi, nous examinerons les droits des magistrats à une augmentation de traitement. Aujourd’hui la question se réduit à savoir s’il y a lieu d’admettre des centimes additionnels sur les droits d’enregistrement. Toute la question est là. Jamais il n’a été question d’affecter ces centimes additionnels à une destination spéciale. Je connais le projet qui a été présenté ; il ne s’agissait pas de faire un fonds spécial ; ces 4 centimes additionnels se confondaient avec les autres recettes de l’Etat ; le projet n’avait d’autre but que de maintenir l’équilibre entre les recettes et les dépenses.
Il est évident qu’un changement de système a été introduit par suite de la proposition de la section centrale du budget des voies et moyens et du vote unanime de la chambre. Mais ce changement ne doit exercer aucune influence sur la décision à prendre relativement à l’augmentation de traitement de membres de l’ordre judiciaire En effet, les différentes lois d’impôt qui sont proposées doivent couvrir, et au delà, le déficit qu’il y aura d’après la proposition faite à la chambre. Lorsque nous aborderons l’examen de la loi relative à l’augmentation des traitements des membres de l’ordre judiciaire, nous apprécierons les droits des magistrats, et nous verrons si les fonds généraux dans lesquels seront compris les 4 centimes additionnels, suffiront pour couvrir cette dépense nouvelle. Nous examinerons donc si la dépense est justifiée, et après l’avoir admise, nous déciderons comment elle sera couverte. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de cela. Il ne faut pas créer de préjugés, ni pour, ni contré la loi.
M. de Garcia. - La discussion avait pris une tournure un peu excentrique et telle que je désirais prendre la parole sur le projet de loi concernant l’augmentation des traitements des membres de l’ordre judiciaire. Mais d’après les explications données par l’honorable M. Malou et par le gouvernement, je renoncerai à la parole. Le moment de discuter cet objet se présentera lors de l’examen de la loi qui nous est soumise.
M. de Mérode. - Récemment nous avons entendu parler d’une pétition des médecins qui demandent à être assimiles aux avocats, quant à la patente. Je crois que les médecins savent bien que le trésor public a besoin de ressources, et qu’on ne peut les dégrever de leur patente. D’autres disent que leur intention était plutôt que les avocats fussent assimilés aux médecins, afin d’obtenir des ressources pour le trésor public. Il me semble que ces ressources seraient parfaitement applicables à l’augmentation des traitements des membres de la magistrature, qu’elles pourraient figurer dans nos recettes et faciliter l’adoption de la proposition qui vous est faite.
Du reste, il me semble que les explications que vient de donner l’honorable M. Malou doivent suffire pour le moment, et je ne veux rien préjuger ni pour, ni contre le projet de loi sur les traitements des membres de l’ordre judiciaire.
M. Verhaegen. - Messieurs, c’est encore une plaisanterie de l’honorable comte de Mérode ; je ne sais s’il entre dans l’intention de l’honorable comte de faire payer la magistrature par l’ordre des avocats. Si c’est là ce qu’il veut, je ne lui répondrai pas, car je pourrais être intéressé dans la question.
Je remercie les deux membres du cabinet qui viennent de prendre la parole de la réponse qu’ils ont faite à mon interpellation. Au moins je sais maintenant à quoi m’en tenir ; ma ligne de conduite est dès lors tracée, et le parti que j’ai à prendre est tout différent de celui que j’aurais pris dans l’incertitude où je me trouvais tantôt.
Je prie la chambre de bien vouloir me donner quelques instants d’attention. Je ne serai pas long.
L’on convient que l’on avait proposé 4 centimes additionnels sur l’enregistrement, le greffe, les hypothèques, les successions, le timbre et les amendes, pour subvenir aux besoins qui auraient été le résultat du vote du projet concernant la magistrature. M. le ministre de l’intérieur nous l’a dit, M. le ministre de la justice nous l’a confirmé par un signe de tête, et on avait reporté, comme on le devait, ces 4 centimes additionnels dans le budget des voies et moyens.
Sur une interpellation de mon honorable ami M. Delehaye, on vous a déclaré que ce n’était pas un double emploi, qu’il ne s’agissait que de voter une fois et non deux fois ces 4 centimes additionnels qui avaient été demandés par M. le ministre des finances, par un projet de loi spécial comme corollaire du projet présenté par son collègue M. le ministre de la justice. Le budget des voies et moyens présentait, vous a-t-on dit, un ensemble. C’était un système complet, mais un système mauvais d’après le vote d’hier, puisque tous les centimes additionnels ont été rejetés. Mais maintenant voici où nous arrivons parce qu’on a présenté un mauvais système, parce que tous les centimes additionnels ont été rejetés, il faut maintenant formuler un système nouveau, et les 4 centimes additionnels qui avaient une destination fixe dans la première opinion de M. le ministre des finances, doivent être fondus dans l’ensemble du budget et doivent servir à couvrir le déficit. Tel est bien le système du gouvernement.
Mais, messieurs, la magistrature, pour laquelle je ne réclame pas de faveur, quoi qu’on en dise, mais dont je soutiens les droits, se trouve maintenant dans une position bien plus défavorable que si l’on n’avait fait aucune proposition dans le principe, car on vient retirer les ressources qui lui étaient destinées pour les attribuer à d’autres besoins. Je prie M. le ministre de justice de se mettre d’accord avec son collègue des finances ; qu’il ne le perde pas de vue, l’adoption du système de son collègue des finances est le rejet de sa proposition concernant la magistrature.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je demande la parole.
M. Verhaegen. - Là où il n’y a pas de ressources, il est impossible de satisfaire à des besoins ; il faut que les besoins soient couverts par les ressources. Vous l’avez dit vous-même ; il y avait un équilibre entre les recettes et les dépenses concernant la magistrature ; mais maintenant qu’est-ce qui arrive ? Il arrive que vous conservez les ressources et que vous rayez les dépenses. Car vous ne portez rien à votre budget en faveur de la magistrature.
Le projet de loi de M. le ministre des finances disparaît ; dès lors le projet de M. le ministre de la justice, n’ayant plus son corollaire indispensable, disparaît aussi. Le système vient à tomber par sa base ; l’équilibre n’existe plus.
Je demanderai à mes honorables collègues de la section centrale et surtout à l’honorable rapporteur, pourquoi, si les 4 centimes additionnels dont il s’agit n’ont plus une affectation spéciale, on les accorderait de préférence à ceux qui nous avaient été demandés sur le foncier, sur le personnel et sur les patentes, et qui ont été rejetés à l’unanimité.
Veuillez remarquer, messieurs, que l’enregistrement paie déjà 26 c. additionnels. Pourquoi augmenteriez-vous encore ces 26 p.c. de 4 nouveaux centimes ? Il y a, messieurs, je le dis avec conviction, moins de raison de frapper de 4 nouveaux centimes additionnels les droits d’enregistrement, de greffe, d’hypothèques et de successions qu’il n’y en avait de frapper le foncier, le personnel et les patentes.
Il y a plus, et ici je réclame encore un moment votre attention. Vous avez refusé les centimes additionnels sur le foncier, et vous allez le frapper d’une manière bien plus forte en grevant outre mesure les droits d’enregistrement ; vous allez frapper le malheureux au détriment du riche. Le propriétaire qui est dans l’aisance, qui conserve ses propriétés, ne paiera pas d’additionnels extraordinaires, tandis que le malheureux qui est dans le besoin, qui doit vendre ses propriétés, en paiera. Car c’est toujours le vendeur qui paie les droits d’enregistrement. Est-ce là de la justice distributive ?
Je le répète, il y a moins de motifs pour frapper d’additionnels les droits d’enregistrement, de greffe, d’hypothèque, etc., qu’il n’y en avait pour en établir sur le foncier, le personnel et les patentes. Jusqu’à ce que l’honorable collègue auquel je me suis adressé, m’ait dit la raison de la différence, quant aux diverses propositions de la section centrale, je ne puis que persister dans l’opinion que le rejet des centimes additionnels sur le foncier, le personnel et les patentes doit nécessairement entrainer le rejet des centimes additionnels sur l’enregistrement, bien entendu abstraction faite des besoins pour la magistrature.
Pour me résumer donc, les 4 centimes additionnels demandés avaient une destination spéciale ; cette destination spéciale, on la met de côté ; le corollaire du projet de M. le ministre de la justice venant à disparaître, ainsi que MM. les ministres eux-mêmes l’ont avoué, le projet principal disparaît aussi, et autant vaudrait que M. le ministre de la justice le retirât. Au moins le gouvernement serait conséquent avec lui-même. Laisser subsister le projet principal, alors que le corollaire vient à disparaître, c’est un leurre, c’est tromper la magistrature ; c’est lui faire entrevoir une augmentation possible de traitement, tandis que le ministère est convaincu qu’il ne sera rien fait.
M. Dumortier. - Les avocats sont là.
M. Verhaegen. - Je ne réponds pas à des plaisanteries.
Ce n’est pas seulement de l’intérêt de la magistrature qu’il s’agit ici ; c’est, comme vous l’a dit mon honorable collègue M. Delehaye, de notre intérêt à nous tous ; il faut que la magistrature conserve sa condition d’indépendance, qu’elle ne soit pas obligée de changer cette condition d’indépendance en celle de dépendance, et de se mettre à la merci du gouvernement. Je le répète, c’est dans l’intérêt générait que je parle.
Maintenant, sachant à quoi m’en tenir, et ma position devenant plus nette, je propose l’amendement suivant :
« Je propose de réduire les 30 centimes additionnels à 26, et de surseoir au vote des 4 centimes additionnels restants jusqu’après le vote sur le projet de loi concernant la magistrature. »
On me dira qu’il y a un déficit qu’il faut combler ; mais d’après les propositions de la section centrale, il y a aussi un déficit ; il sera un peu plus grand, et voilà tout. Pourquoi d’ailleurs ne pas couvrir ce déficit par les ressources que nous avons indiquées, par les droits sur les sucres, sur le café et par une augmentation de droits d’entrée que tout le monde réclame. On n’aura pas besoin d’absorber une ressource spéciale qui avait été proposée dans l’intérêt de la magistrature.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, je dois deux mots de réponse à mon honorable collègue M. Verhaegen. Je pense qu’il se trompe lorsqu’il envisage l’observation que vous a faite l’honorable M. de Mérode comme une plaisanterie ; je la regarde, quant à moi, comme très sérieuse. Il ne me paraît pas qu’il doive y avoir de privilège pour personne en Belgique ; la constitution veut qu’il n’y ait pas de privilège en matière d’impôts. Or, je n’ai jamais compris comment il se faisait qu’une classe d’industriels de la société était exempte de payer sa part d’impôts.
Les médecins ont demandé d’être assimilés aux avocats ; ils ont eu raison de réclamer sur ce point. Si vous ne faites pas payer de patente aux avocats, il faut supprimer celle des médecins. Il me semble conséquent qu’ils soient placés sur la même ligne.
Ce n’est pas tout. Vous avez là un moyen de vous créer des ressources. Mais n’en avez-vous pas d’autres ? Ne pourriez-vous pas augmenter les frais de justice ? Vous trouveriez là les moyens de faire face à tous les besoins, même pour satisfaire à l’augmentation de traitement des membres de l’ordre judiciaire, et surtout de ceux des juges de paix qui réclament cette augmentation, et qui la réclament avec justice.
M. Verhaegen. - Messieurs, j’ai dit à l’honorable M. Dumortier, lorsqu’il m’interrompait, il n’y a qu’un instant, qu’il plaisantait, et je maintiens ce que j’ai dit.
M. Dumortier veut frapper d’une patente toutes les professions libérales, il veut mettre les avocats sur la même ligne que les médecins, qui, d’après moi, ont droit de se plaindre. Eh bien, nous examinerons en temps et lieu cette proposition. Mais qu’on y prenne garde. Si tous ceux qui reçoivent quelques émoluments commue équivalents des services qu’ils rendent à leurs concitoyens, doivent payer patente, on ira beaucoup plus loin qu’on ne le pense, et surtout qu’on ne le veut. Certains individus privilégiés aujourd’hui, qui jouissent de tous les droits de citoyens, et qui sont soustraits à toutes les charges, devraient par la même raison payer patente. Je n’ai pas besoin d’en dire davantage ; on me comprendra du reste.
De toutes parts. - A lundi.
Plusieurs membres. - A 2 heures.
- La chambre décide qu’elle ne se réunira lundi qu’à 2 heures.
La séance est levée à 4 heures et un quart.