(Moniteur belge n°214, du 2 août 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse procède à l'appel nominal à midi et demi.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la précédente séance dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Jean Jacques, marchand de viandes à Berchem, né à Teuffelen (Suisse), demande la naturalisation ordinaire. »
Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les négociants en vins de Namur demandent qu'on leur accorde sur les quantités de vins qu'ils ont dans leurs magasins, et pour lesquels les droits sont acquittés, un dégrèvement de droit égal à la diminution que te tarif va subir. »
« Même pétition des négociants de vins de Courtray. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la convention avec la France.
« Les secrétaires communaux de l'arrondissement d'Ypres demandent que des dispositions de nature à améliorer la position des secrétaires communaux soient introduites dans le projet de loi modifiant la loi communale. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi, et ensuite renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
« Les membres d'une société flamande dite Met tud en vlyt appellent l'attention de la chambre sur les pétitions qui lui ont été adressées en faveur de la langue flamande. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur.
« L'administration communale de Cappellen présente des observations concernant le projet de loi tendant à fixer les limites entre cette commune et celle d'Eeekeren. »
- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi.
« Le sieur Vandenbossche, fermier, demande une indemnité du chef des pertes qu'il a éprouvées par suite du débordement de la rivière la grande Ghète. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Trouwers, secrétaire du parquet au tribunal de Hasselt, demande qu'une augmentation de traitement lui soit accordée par la loi sur les traitements de l'ordre judiciaire. »
« Les commissaires de police de l'arrondissement de Courtray demandent une augmentation de traitement. »
- Même renvoi.
« Plusieurs pharmaciens réclament une mesure qui mette un terme au débit des médicaments par des personnes étrangères à la pharmacie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Première section :
Président : M. de La Coste
Vice-président : M. Lebeau
Secrétaire : M. Vilain XIIII
Rapporteur des pétitions : M. Van Hoobrouck
Deuxième section :
Président : M. Pirson
Vice-président : M. Osy
Secrétaire : M. de Villegas
Rapporteur des pétitions : M. Manilius
Troisième section :
Président : M. de Behr
Vice-président : M. Lange
Secrétaire : M. Cools
Rapporteur des pétitions : M. Vandenbossche
Quatrième section :
Président : M. Duvivier
Vice-président : M. Delfosse
Secrétaire : M. Sigart
Rapporteur des pétitions : M. Van Cutsem
Cinquième section :
Président : M. Demonceau
Vice-président : M. Thienpont
Secrétaire : M. Delehaye
Rapporteur des pétitions : M. de Potter
Sixième section :
Président : M. Raikem
Vice-président : M. Hye-Hoys
Secrétaire : M. Simons
Rapporteur des pétitions : M. Zoude
M. de Mérode. - Nous avons, je pense, à remplir un devoir de haute convenance et de reconnaissance nationale. Après-demain on célèbre à Paris les funérailles du prince qui vint deux fois au secours de la Belgique, avec une armée française que signala la plus admirable discipline.
Le duc d'Orléans, dont la mort a produit sur nous tous une si pénible impression était frère d’une reine qui mérite tout notre attachement et à laquelle nous ne pouvons trop témoigner la part que nous prenons à ses profonds regrets.
Je propose qu'un service solennel soit aussi célébré après-demain dans l'église de SS. Michel et Gudule pour feu S. A. R. le duc d'Orléans, et que la chambre y assiste en corps ou par députation, comme elle le jugera a propos.
- La chambre consultée adopte la proposition de M. de Mérode ; elle décide qu'elle se rendra en corps au service ; elle charge le bureau de prendre les mesures nécessaires pour que ce service ait lieu le plus tôt possible.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) présente un projet de loi tendant à ratifier une convention signée à La Haye, et relative au canal de Meuse et Moselle.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet de loi et de l'exposé de ses motifs et les renvoie à l'examen des sections.
M. Mercier. - Je demande que la chambre s'occupe d'abord des conclusions prises par la section centrale sur la pétition des marchands de vins, parce que si le gouvernement, d'accord avec les chambres, veut prendre une disposition dans le sens de cette pétition, il serait désirable que la loi, qui sera votée, fût mise à exécution en même temps que la convention.
M. Angillis. - Ce qu'il y a de plus naturel, c'est de commencer par le commencement. Le commencement c'est le projet de loi présenté par le gouvernement. La pétition des marchands de vins, c'est un incident. Ou s'en occupera incidemment. Je demande formellement qu'on commence la discussion par l'ordre du jour. L'ordre du jour, c'est la discussion du projet de loi relatif à la convention de commerce conclue avec la France.
M. Mercier. - Il ne s'agit pas en ce moment de prendre une décision quant au fond sur la réclamation des marchands de vins, S'il en était ainsi, je comprendrais l'observation de l'honorable préopinant. Mais il s'agit seulement d'appeler l'attention du gouvernement sur l'objet de cette pétition ; il est utile de connaître le plus promptement possible ses intentions sur cet objet. En effet, si la convention est mise à exécution, sans qu'il ait été statué sur la réclamation qui nous a été présentée, de grandes quantités de vins peuvent être introduites dans le pays sous ce nouveau régime, et il deviendra difficile, si pas impossible, de les distinguer des vins qui sont maintenant en magasin et qui ont été soumis à des droits plus élevés.
Je répète qu'il ne s'agit de rien décider sur le fond de la réclamation. On l'examinera quand le gouvernement présentera son rapport. Je ne conçois pas que cela puisse donner lieu à aucune discussion. C'est pour qu'il n'y ait pas de perte de temps que je propose le renvoi immédiat de la pétition à M. le ministre des finances, avec demande d'explications et de renseignements suivant les conclusions de la section centrale.
M. Rodenbach. - Il me semble que la proposition de l'honorable M. Mercier est très admissible. Il demande si personne ne s'oppose à ce que la pétition soit renvoyée à M. le ministre des finances avec demande d'explications. Il demande si la chambre adhère sur ce point aux conclusions de la section centrale. Mai, il ne demande pas de discussion. Cela ne peut retarder la discussion de la convention.
M. Zoude. - Je demande qu'on mette aux voix les conclusions de la section centrale. Comme les renseignements demandés au ministre sont très nombreux, il est désirable que la pétition lui soit renvoyée le plus tôt possible.
M. Pirson. - J'adopté la proposition qui est faite. Mais il est bien entendu que la question principale ne sera pas pour cela ajournée. Tout le monde reconnait qu'il y a urgence à décider la question principale. Le gouvernement verra les conséquences qu'aura la convention quand elle aura été sanctionnée. C.est au gouvernement à faire la proposition qu'il jugera convenable.
M. Manilius. - Tout ce que demande l'honorable M. Mercier, c'est qu'on statue sur les conclusions de la section centrale relatives à la pétition. Je demande que M. le président mette ces conclusions aux voix.
M. le président. - Avant de mettre ces conclusions aux voix, je dois consulter la chambre sur la proposition de M. Mercier,
M. le ministre des finances (M. Smits) - Il n'y a aucun inconvénient à statuer d'abord sur la proposition de l'honorable M. Mercier. Mais je dois faire remarquer que les importations de vins ne sont nullement à craindre, tant que vous n'avez pas pris une décision sur la réclamation des marchands de vins ; car les marchands de vins n'importeront pas tant que vous n'aurez pas pris une décision formelle sur cet objet.
- La proposition de M. Mercier et les conclusions de la section centrale sont successivement mises aux voix et adoptées ; en conséquence la pétition des marchands de vins est renvoyée à M. le ministre des finances avec demande d'explications et de renseignements.
M. le président**.** - La section centrale a proposé à l'art. 2 du projet de loi un amendement auquel M. le ministre des affaires étrangères s'est rallié. La discussion est donc ouverte sur l'ensemble du projet de la section centrale.
La parole est à M. Lys.
M. Lys. - Messieurs, je manifesterai toujours le désir de voir le mot prohibition biffé de notre tarif ; et de voir admettre en Belgique les produits étrangers, pourvu que les autres pays fassent subir la même réforme à leurs tarifs ; et remplacent la prohibition absolue par des droits convenablement établis.
Nous savons tous, messieurs, au moyen de quels immenses sacrifices notre régénération politique s'est opérée ; le commerce et l'industrie étaient auparavant dans l'état le plus prospère ; le gouvernement savait faire respecter les intérêts de l'industrie, en usant de représailles, frappant de mesures restrictives et de prohibition certaines provenances d'un pays qui se montrait alors peu favorable aux convenances commerciales.
A peine la Belgique était-elle organisée, après la révolution de 1830, qu'elle n'eut rien de plus empressé que de lever immédiatement plusieurs restrictions au tarif, à la frontière de France. La Belgique entrait ainsi, la première, dans des voies de conciliation. Plus tard nous poussâmes l'obséquiosité au point de lever la prohibition sur l'entrée des draps français en Belgique. Nous faisions ainsi disparaître du tarif l'exception qui frappait la France, exception qui n'en était pas une, puisque la France nous payait de réciprocité. Quatre années se sont écoulées depuis, et la France, loin de nous imiter en levant la prohibition sur l'entrée des draps belges, a continué à la laisser subsister, sans accorder à la Belgique un équivalent quelconque et loin de suivre notre exemple, en exécutant loyalement les concessions consenties, la France, par un arrêté du 26 juin dernier, frappe d'une augmentation de plus du double les droits d'entrée des toiles de Belgique en France.
Le traité qu'on soumet à votre ratification prouve par lui-même qu'il n'y avait aucune nécessité de recourir à une pareille augmentation vis-à-vis de la Belgique.
Le gouvernement s'est soumis à toutes les exigences de la France sans faire la plus légère démonstration de représailles ; c'est bien sans doute mettre de côté l'indépendance nationale, compromettre l'honneur et les intérêts du peuple belge.
Qu'aurez-vous à l'avenir à opposer à la France, lorsqu'elle voudrait vous imposer de nouvelles concessions, pour le maintien des droits actuellement établis pour l'entrée de vos fers et de vos houilles, lorsqu'aujourd’hui elle vous a dicté la loi au point de régenter les administrations de nos villes pour leurs octrois ?
Comment parerez-vous au déficit de plus d'un million que ce traité occasionne ? Remarquez-le bien, messieurs, l'impôt sur le vin et sur la soie pesait sur le riche, et vous le remplacerez probablement par des centimes additionnels ou toute autre contribution qui accablera aussi la classe si nombreuse des petits commerçants et des prolétaires, déjà si maltraitée par la cherté du pain et des objets de première nécessité.
N'aviez-vous pas à opposer à la France une augmentation proportionnelle sur ses étoffes de laine, sur ses vins, ses eaux-de-vie, ses bronzes, sa quincaillerie, objets pour lesquels la Belgique est pour elle un débouché considérable.
Par cette convention, c'est l'intérêt de deux provinces qui se trouve avantageusement traité, ou qui au moins ne sera pas sacrifié ; c'est pour elles que vous réduisez vos voies et moyens de plus d'un million annuellement. La France vous ordonne d'avoir le courage de prohiber en Belgique le transit des fils et toiles de provenance tierce, d'établir les mêmes droits à votre frontière autre que celle limitrophe de la France, que le tarif français a fixé ; cette mesure, dit le ministère, dans l'exposé des motifs, inhérente à toute exception, en faveur de nos produits liniers, était en outre commandée par la nécessité d'accorder à l'industrie nationale la protection qui lui est due. Mais l'industrie lainière n'est-elle pas tout aussi nationale que l'industrie linière ? n'est-elle pas tout aussi digne des soins du gouvernement ? ne fait-elle pas tous ses efforts pour soutenir la concurrence avec l'étranger, sans demander ni subside ni prohibition.
Faites-vous pour cette industrie ce que vous proposez pour l’industrie linière ? Non. Cependant elle ne vous demande aucun sacrifice quelconque ; elle ne sollicite aucune prohibition, et vous l'avez néanmoins si peu protégée jusqu'à présent, qu'à partir de 1839, vous n'avez pas craint de lui nuire, en levant la prohibition sur les draps français. Quel est le fruit qu'on a retiré de cet acte de faiblesse ? La France a maintenu sa prohibition sur les draps belges, et vous voyez à quel prix vous devez racheter le maintien des concessions consenties, en ce qui concerne les fils et tissus de lin. Continuez ainsi, messieurs, à vous rapporter à la bonne foi de la France, c'était aussi le langage du ministère en 1837 ; il nous disait alors qu'il y avait tout lieu d'espérer qu'elle nous ferait des concessions. Comment cet espoir s'est-il réalisé. ? La prohibition de nos draps a été maintenue, et l'arrêté du 26 juin nous impose un sacrifice annuel de plus d'un million . Vous recueillez aujourd'hui de votre confiance des fruits bien amers, et vous vous préparez, grâce à la faiblesse du gouvernement, à une récolte semblable dans l'avenir.
Mais l'industrie lainière n'a pas jeté des cris de détresse comme l'industrie linière ; elle n'a fait aucune démonstration publique, elle s'est bornée, et cela remonte déjà à 1840, à vous démontrer que le gouvernement pouvait venir à son secours, sans prohibition aucune, sans qu'il en coutât un centime à l'Etat, sans qu'il renonçât à la perception d'aucun imp6t.
Cette demande a été renouvelée le 13 mars dernier, et votre commission d'industrie et de commerce a été d'avis que la demande faite par la chambre de commerce de Verviers était fondée. Sa demande se borne à solliciter la majoration des droits d’entrée sur mes fils et tissus de laine.
Ne pensez pas, messieurs, que je fasse ici de l'intérêt de clocher ; car sur plusieurs points de la Belgique se trouvent des établissements où les étoffes de laine se fabriquent, et si je parlais même du seul district de Verviers, une localité qui a 75 millions en capitaux engagés et 50 mille âmes, que son industrie salarie, mérite bien quelque considération.
Si, comme le disent messieurs les ministres, ils entendent accorder à l'industrie nationale la protection qui lui est due, pourquoi ne présentent-ils pas, en ce moment, le projet de loi de protection pour nos fabriques de fils et tissus de laine que sollicite depuis deux ans la chambre de commerce et des fabriques de Verviers, qui, je le répète, ne demande pas une prohibition des fabricats étrangers, mais seulement, de voir majorer les droits d'entrée, en frappant les tissus de laine ou de poils unis ou façonnés et étoffes de toute espèce, où ces matières dominent, d'un droit de 250 francs par 100 kilog., et laissent toujours subsister la disposition par laquelle les provenances du pays ou il est accordé, sur les articles de l’espèce, des primes d'exportation, sont frappées d'un excédant de droit, égal au montant de ces primes.
En adoptant pareil droit d'entrée, messieurs, il n'y a pas lieu de craindre des représailles de la part de nos voisins, car, d'un côté, la France frappe ces objets de prohibition, et de l'autre, c'est le même droit d'entrée qui existe déjà dans les Etats allemands pour les tissus de laines, purs ou mélangés, sans distinction.
Le gouvernement voit la protection que la France accorde à ses fabriques de fils et tissus de laine ; c'est la prohibition pour l'étranger. Il voit la protection qu'elle accorde à ses fabriques de fils et tissus de lin ; elle n'a pas hésité de porter le droit d’entrée à un taux équivalant à une prohibition. Elle nous fait acheter bien cher le maintien de la tolérance qu'elle avait consentie en notre faveur.
Pourquoi la Belgique n'accorderait-elle pas à ses fabriques de tissus de laine semblable protection que l'Allemagne a établie depuis longtemps ?
Si, par ordre de la France, nous appliquons à l'Angleterre le tarif français en ce qui concerne les fils et tissus de lin, n'aurons-nous pas le courage de lui appliquer aussi le tarif allemand, en ce qui concerne les fils et tissus de laine ? L'Angleterre, beaucoup plus que la France, inonde la Belgique de ses produits en ce genre.
En augmentant l'impôt existant, nous pourrions aussi offrir une exception à la France, et, en échange de cet avantage, le gouvernement français s'engagerait à réduire ses droits établis sur le fer, sur la houille ou tout autre produit de la Belgique. Elle en agit ainsi à notre égard pour l'industrie linière.
Le silence que garde le gouvernement, sur le rapport de l'honorable M. Desmet, lui renvoyé depuis le 14 juin dernier, rapport que constate l'appui, que porte votre commission d'industrie et de commerce, à la modification à porter au tarif, demandée par la chambre de commerce de Verviers, me fait douter qu'il prenne la même mesure, vis-à-vis de l'Angleterre, pour nos fils et tissus de laine, qu'il veut exécuter, par ordre de la France, pour les fils et tissus de lin.
Cependant, nous avons les mêmes motifs que la France pour en agir ainsi.
Cette mesure est commandée à la Belgique par la nécessité d'accorder à l’industrie nationale la protection qui lui est due.
Comme la France, la Belgique doit dire :
Que l'augmentation du droit a été reconnue nécessaire, pour arrêter l'invasion des fils et tissus de laine étrangers, dont l'importation, toujours croissante, a atteint un chiffre très considérable, et menace de jeter la perturbation dans l'industrie nationale.
Comme la France, fa Belgique peut exprimer la pensée qu'une exception pourrait être faite en faveur des fils et tissus de laine français.
En effet, les conditions de la fabrication sont à peu près les mêmes en France et en Belgique.
Et à la différence de la France, qui prohibe entièrement l'entrée chez elle, même vis-à-vis de la Belgique, qui depuis longtemps a fait cesser le système de prohibition, celle-ci laissera, non seulement entrer les fabricats français au même droit que les autres, mais offrira au besoin des avantages, tout en lui disant cependant, comme elle nous le dit aujourd'hui, que maintenir les droits tels ils existent, par exception spéciale, alors que le droit est double vis-à-vis des autres nations, ce ne serait pas conserver le statu quo, ce serait créer un régime de faveur, au profit exclusif de la France, et ce régime de faveur, nous lui en demanderions le prix.
Je viens de me servir, messieurs, en faveur de la Belgique, des motifs que le gouvernement fait valoir dans son exposé, comme étant le langage de la France ; ne sont-ils pas tout à fait applicables à la position dans laquelle se trouve notre industrie lainière ? Comment se fait-il donc que le gouvernement tarde de vous proposer d'accorder à cette industrie la protection qu'elle sollicite et qui est commandée par la nécessité, de jour en jour plus urgente.
Si tout le pays doit venir au secours de l'industrie linière, dans l’intérêt de deux provinces (et que je ne conteste pas), comment se fait-il que le gouvernement néglige de proposer une mesure si avantageuse à la province de Liége et à beaucoup d'autres localités de la Belgique et notamment au bourg de Mouscron, où un grand nombre de fabriques sont en activité et luttent avec celles de Roubaix et Tourcoing, qui sont dans le voisinage, avantageuse aussi aux villes de Gand et de Tournay pour les fils de laine. Si le gouvernement me donne quelqu'apaisement à cet égard, et mû d'ailleurs par le désir de voir disparaître la ligne de douanes entre la France et la Belgique, désirant voir établir entre ces deux pays dans leur intérêt commun, pareille association à celle qui fait aujourd’hui la prospérité de l'Allemagne, dans l'espoir que ce dernier traité sera un acheminement à cet avenir de bonheur, pour les Français et pour les Belges, je voterai pour sa ratification, quoiqu'il porte avec soi la preuve que notre indépendance n'est que de nom, car elle n’est pas en fait ; s'il en était autrement, le gouvernement belge, sans aucune mesure préalable de réciprocité, n'aurait pas consenti à des conditions déshonorantes ou ruineuses. Notre indépendance, messieurs, ne peut pas plus souffrir d'une union douanière avec la France, que n'en souffrent les petits Etats de l’Allemagne, qui font partie de l'union allemande, dite Zollverein, cette union fait au contraire leur force, il en sera de même pour notre indépendance lorsqu'elle sera protégée par l'appui de la France.
M. Angillis**.** - Messieurs, le coup mortel que l'ordonnance française porte à la principale industrie des deux Flandres me chagrine mais ne m'étonne pas ; je l'ai prévu depuis longtemps, et j’en ai même dit quelques mois dans la discussion qui s'est élevée à l’occasion de la construction du canal de l’Espierre.
En général, les grandes puissances, lorsqu'il s'agit de traiter avec elles, accordent aux petits Etats qui les environnent de légers avantages pour obtenir de grandes concessions. Ces sortes de traités sont ordinairement des traités de dupes pour la partie la plus faible. C’est toujours leur intérêt bien ou mal entendu qui fait leur loi suprême. Le bon voisinage, les liens de famille ne sont rien, l’intérêt est tout.
Ce que je dis des grandes puissances en général, s'applique bien spécialement à la France. Cette puissance nous a toujours été hostile en fait de douane ; elle a bien vite oublié la communauté de notre origine politique, pour se souvenir seulement de tout le parti qu’elle pouvait tirer, pour son intérêt matériel, de notre émancipation.
La France, par ses mesures restrictives, lui avait attiré des représailles de la part du gouvernement des Pays-Bas ; des surtaxes énormes furent établies sur plusieurs de ses produits. Sous l'empire de cette législation, nous étions en mesure de traiter avec elle, de traiter d’égal à égal, parce que nous pouvions faire des concessions réciproques. Aussi en 1834 et 1835, il y a eu des négociations d’où sont sorties des réductions des deux côtés, mais ce contrat bilatéral qui devait lier les deux parties, comment a-t-il été exécuté ? La Belgique seule y est restée fidèle.
Tout ce que la Belgique a promis de faire en faveur de la France est exécuté à la lettre, respecte et maintenu, tandis que presque rien de ce qui a été fait par la France en notre faveur n'a été conservé, et remarquez-le bien, ce sont les dispositions qui nous intéressaient le plus qui ont été retirées.
La Belgique a fait toutes les concessions possibles, elle a semé et elle n’a rien recueilli : elle espérait, et avec raison, qu’en accordant à la France de grandes faveurs de tarif, elle obtiendrait en échange des avantages commerciaux équivalents ; mais la France a retiré une à une toutes les concessions qui étaient le prix, l'échange, la compensation des concessions faites par la Belgique.
Les réclamations que nous avons à faire pour obtenir l'équivalent de nos concessions, par notre loi du 7 avril 1838, sont si Justes, si bien fondées, que l'on espérait, en Belgique, qu'une politique plus sage, plus juste et plus équitable ramènerait la France à de meilleures voies, et à cet espoir si bien fondé la France a répondu par son ordonnance du 26 juin dernier.
Tous nos vœux ont constamment tendu vers des modifications des tarifs propres à multiplier des rapports mutuellement avantageux ; la Belgique a fait excessivement dans ce but ; la France, comme je viens de le dire, a fait quelque chose, mais elle a successivement retiré presque tout ce qu'elle a concédé, non pas gratuitement mais en compensation de nos nombreuses concessions, et c’est dans cet état de chose, qu'elle frappe son dernier coup.
Nous aurions dû suivre une autre politique envers ce pays qui traite la Belgique comme sa vassale. Si nous avions traité la France sur le même pied qu'elle nous traite, elle aurait bien vite abandonné son système restrictif pour revenir à des mesures plus justes envers un pays où elle trouve d'importants débouchés pour les produits de ses principales industries. La France sachant que nous avons les moyens de la traiter aussi durement qu'elle nous traite, et voyant que nous étions disposés à agir de la même manière que le gouvernement des Pays-Bas, elle aurait de suite changé de conduite, parce qu’elle aurait compris qu'il faut donner pour obtenir. Elle aurait compris que la réciprocité est le principe de tout traité de commerce, le point de réunion de tous les intérêts passés, présents, et futurs.
Après ce préliminaire, qui trouve naturellement sa place dans la discussion qui nous occupe, je dirai en peu de mots ma pensée tout entière sur l'objet en question.
La France, par son ordonnance du 26 juin dernier, a placé une grande partie de la Belgique sous une violence morale : elle a porté son dernier coup à la principale industrie des deux Flandres ; et, pour frapper avec succès, elle a choisi le moment le plus opportun, c'est-à-dire quand, par la cherté excessive de toutes les denrées alimentaires, le manque absolu des pommes de terre, nourriture indispensable de nos ouvriers et la situation fâcheuse de l'industrie linière, nos malheureux tisserands et fileuses trouvaient à peine les moyens de se procurer du pain. Aussi dès que cette nouvelle mesure fut connue, il s'éleva un cri d'alarme qui retentit dans les deux provinces de l'une extrémité à l'autre ; les ouvriers que la mesure ne pouvait point atteindre directement crièrent également, et l'on s'adonna à une sorte de transport qui aurait pu compromettre la tranquillité publique. C'est alors que plusieurs citoyens honorables crurent de leur devoir de se rendre en députation auprès du gouvernement, et que l'on a donné une publicité extraordinaire aux plaintes de nos ouvriers. Cette manière d'agir n'a peut-être pas été conseillée par la prudence, mais elle est complètement justifiée par les circonstances.
Dans cet état de choses, que restait-il à faire ? Quelle marche était à suivre par le gouvernement ? Il y avait à choisir entre deux moyens, savoir : prendre une grande mesure de représailles, une mesure énergique, ou faire ce qu'il a fait. Il n'existait pas un troisième moyen.
Le premier moyen, bien que le plus rationnel et qu'on aurait dû prendre lorsque le gouvernement français par l'interprétation du 6 mai 1841, a placé la Belgique dans une situation infiniment plus mauvaise qu'avant les négociations de 1835, n'aurait dans le cas présent amené aucun résultat immédiat ; il aurait fallu un temps plus ou moins long pour qu'il produisit son effet, et cependant les circonstances étaient pressantes, les ouvriers furent congédiés, un grand nombre se trouvait sans travail et par conséquent sans pain, l'inquiétude était générale ; le peuple ne raisonne pas dans des moments critiques. Il fallait de toute nécessité calmer cette inquiétude et faire des sacrifices pour continuer le travail. Placé dans cette nécessité, le gouvernement ne pouvait pas balancer, toute autre mesure, qui n'aurait pas amené un soulagement immédiat, aurait été une grande imprudence. Force a donc été de subir la loi de la nécessité. Le gouvernement a adopté ce dernier moyen, et il a bien fait.
La convention prise isolément n'est pas aussi avantageuse aux Flandres comme plusieurs personnes le pensent. La France donne peu de chose, et elle obtient beaucoup. Elle nous place ou plutôt elle nous laisse dans la même position qu'avant l'ordonnance du 26 juin, et l'on sait que par suite de l'interprétation du 6 mai, les avantages qui résultaient pour l'industrie linière de la loi française de 1836, nous ont été presque tous enlevés. Mais je considère cette convention sous un autre point de vue, je la considère comme un premier pas fait dans une voie nouvelle pour arriver à des résultats satisfaisants et avantageux aux deux pays. Alors la Belgique n'aurait pas à regretter la perte que la convention actuelle aurait occasionnée au trésor.
A cette occasion, je dois rappeler à l'assemblée que le moment est venu de songer à la révision de notre système douanier, jusqu'à que nous ayons été constamment dupes de nos principes libéraux en matière de douane. Tous les Etats nut élevé entre eux des barrières artificielles, toutes leurs relations avec les pays étrangers sont protégées par des droits différentiels très élevés : nous devons donc faire comme tous nos voisins et établir un bon système protecteur. Je voterai pour la loi, non par amour, mais par nécessité.
M. Rodenbach**.** - Messieurs, les deux honorables préopinants ont parlé en faveur du projet qui nous est soumis ; il paraît qu'aucun député ne se propose de parler contre ; je pourrai donc me dispenser de vous présenter les observations que j'aurais fait valoir en réponse à ceux qui auraient attaqué ce projet. Mais, puisque j'ai la parole, je ferai observer qu'il y a déjà plusieurs années, j'ai, avec plusieurs de mes collègues, demandé des tarifs protecteurs pour la Belgique. Malheureusement, à cette époque, beaucoup de députés ainsi que le ministère voulaient le système dit : de la liberté de commerce. Aujourd'hui il me semble qu'on revient de ce système. Et pourquoi en revient-on ? C'est parce que, comme je l'ai dit constamment, nous devons avoir un tarif protecteur élevé. Car alors, si vous traitez avec vos puissants voisins, vous pourrez offrir des diminutions de tarifs et obtenir ainsi des concessions. C'est ce que vous ne pouvez faire avec le système soutenu jusqu'aujourd'hui par la chambre et par tous les ministères qui ont précédé celui-ci ; car on a été jusqu'à soutenir qu'il fallait la liberté illimitée du commerce, qu'il ne fallait pour ainsi dire pas de douanes.
Messieurs, on dit que le traité est onéreux, qu'il coûtera un million à la Belgique. je dois l'avouer, il est dur, il est cruel de souscrire à une pareille convention ; mais c'est-un devoir, une nécessité, car 300,000 hommes dans les deux Flandres doivent vivre de l'industrie linière.
On dit que la convention est un avantage incalculable pour les deux Flandres, parce que l'Angleterre exportait en France pour 35 à 40 millions de toiles et de fils et que la Belgique remplacera l'Angleterre sur le marché français. C'est encore là une exagération. Nous exportions autrefois pour 30, 35 ou 40 millions de toiles en France ; aujourd'hui nos exportations sont tombées à 20 millions. Il est des personnes qui croient que, par suite de la concession que nous fait la France, elles remonteront à 40 millions. Je le répète, c'est une exagération, si elles allaient à 30 millions, nous regarderions ce résultat comme très favorable, surtout pour notre ancienne industrie linière. Quant à la mécanique, elle est puissante par elle-même ; elle n'a pas besoin de protection ; ce sont nos malheureuses fileuses qui ont besoin d'une protection efficace.
On a dit aussi que les filatures à la mécanique allaient se multiplier considérablement et que dans quatre ans (car la convention n'a qu'une durée de quatre ans) on viendrait jeter des cris bien plus alarmants.
Je ne partage pas ces craintes ; je ne crois pas qu'il va s'établir par enchantement une quantité de filatures à la mécanique. D'abord il n'y a maintenant qu'une demi-douzaine de filatures à la mécanique en Belgique, et déjà, malgré la protection de 7 p. c. qu'elles ont sur les fils qui arrivent de l'Angleterre, leurs actions subissent une perte de 40 p. c. On ne doit donc pas craindre de voir s'établir trop de filatures à la mécanique. D'ailleurs la création de tels établissements exige une dépense de 2 à 3 millions, et nos négociants sont trop prudents pour engager de pareilles sommes sur une éventualité et alors qu'il est possible que, dans quatre ans, la France nous ferme ses frontières ; ils ne voudront pas, en présence d'un pareil avenir, donner trop d'extension à la filature à la mécanique.
Je reconnais, messieurs, que le traité est onéreux pour la Belgique, puisqu'il impose au trésor un sacrifice annuel d'un million de francs.
Peut-être pourrions-nous couvrir cette perte du trésor en augmentant le tarif sur plusieurs articles. Lorsque des puissances étrangères, soit la France, soit d'autres, nous offriraient des avantages, nous pourrions à notre tour baisser nos droits ; mais en attendant il nous faut un tarif protecteur, car avec notre système de liberté de commerce et par suite de notre position géographique, les puissances étrangères nous tiennent en quelque sorte le pistolet sur la gorge et nous forcent à signer tous les traités qu'elles veulent nous imposer.
M. d’Hoffschmidt**.** - Messieurs, mon but, en prenant la parole, n'est pas de me livrer à une longue discussion sur les avantages et les inconvénients de la convention qui vous est soumise. Je sais que de graves intérêts s'opposent à ce que notre discussion se prolonge trop longtemps. Je ne me propose donc, messieurs, que de vous soumettre quelques observations sur une des clauses du traité. J'adopterai, du reste, la convention, à cause des avantages qu'elle procure à une de nos grandes industries, à l'industrie linière, qui, par son importance, par le nombre considérable d'ouvriers qu'elle fait vivre, mérite toute la sympathie de la chambre et du pays entier. Mais, messieurs, il faut qu'il s'agisse d'un intérêt aussi grave, d'une industrie aussi importante pour que je sois favorable à un traité qui nous impose des conditions si dures, qui nous fait acheter si chèrement les avantages qu'il nous procure.
L'art, 4, relatif aux ardoises, est celui sur lequel je me propose de présenter des observations ; je sais que la clause que renferme cet article est une des moins importantes du traité ; il n'est point dans mes intentions d'en exagérer la portée, qui est d'ailleurs beaucoup moindre que je ne l'aurais cru d'abord ; c'est du moins ce qui résulte des explications données par M. le rapporteur de la section centrale, qui contenait parfaitement toutes les questions qui se rattachent à nos ardoisières. Mais je ne veux point laisser passer inaperçu que dans l'état actuel des choses notre tarif favorise déjà grandement l'industrie ardoisière française au détriment de l'industrie similaire indigène. Si les négociations entamées naguère avec la France avaient pris une tournure défavorable, si nous avions dû en venir aux mesures de représailles, alors, messieurs, nous serions venus vous proposer de majorer les droits à l'importation des ardoises françaises, et je suis intimement convaincu que vous eussiez fait droit à nos réclamations. La chambre me permettra donc d'attirer quelques instants son attention sur une industrie peu connue, et dont l'importance est peu appréciée encore en Belgique. Certes, le gouvernement et les chambres ont raison de diriger dans ce moment leurs regards vers une industrie telle que celle de la fabrication des fils et des toiles indigènes, mais il ne faut pas pour cela négliger les autres industries du royaume.
Avant la loi du 7 avril 1838, le droit imposé à l'industrie des ardoises françaises était de 3 florins des Pays-Bas par mille ardoises. Cette loi qui, comme on l'a déjà dit, a fait à la France des concessions si larges, des concessions qui n'ont point été payées de retour, cette loi, dis-je, a réduit le droit à l'importation des ardoises à 5 fr.
Pour bien comprendre, messieurs, la différence qui existe entre les deux industries rivales, il faut d'abord se rendre compte de la situation des ardoisières françaises et des ardoisières belges.
Les ardoisières françaises de Fumay sont placées sur les rives mêmes de la Meuse non loin de Dinant et l’on comprend qu'au moyen de ce fleuve, leurs produits peuvent être transportés à très bon compte jusqu'au centre de la Belgique ; tandis que, comme vous le savez, presque toutes les ardoisières du pays sont situées au fond du Luxembourg, où la difficulté des communications est très grande, ce qui, par conséquent, dans le montant actuel, rend les transports très onéreux. Du reste, messieurs, au moyen de communications meilleures, cet inconvénient disparaîtra plus tard, je l'espère, au moins en partie.
Ainsi, messieurs, dans l'état actuel des choses, les ardoisières françaises partagent avec les ardoisières belges la consommation du pays. Or, pour justifier un pareil avantage accordé à la France, il n'y a que le désir d'établir de bonnes relations avec cette puissance voisine qui puisse être invoqué ; car les principes les plus stricts d'économie politique ne pourraient point justifier une pareille faveur. En effet, pour quels motifs les principes d'économie politique demandent-ils que l'industrie étrangère vienne rivaliser avec l'industrie indigène sur le marché intérieur ? C'est d'abord afin que l'industrie étrangère agisse comme stimulant sur l'industrie indigène, qu'elle l'empêche de rester dans le statu quo et l'oblige à suivre les perfectionnements découverts dans d'autres pays. Un autre motif, c'est l'intérêt des consommateurs. Eh bien, aucune de ces deux considérations n'est applicable à nos ardoisières. En effet, quant au stimulant qui porte l'industrie à se perfectionner, il est ici tout à fait inutile, car les ardoises se sont toujours fabriquées comme elles se fabriquent maintenant, et il n'y a pas de motif pour croire que l'on changera jamais les procédés adoptés. L'intérêt des consommateurs n’est pour rien non plus dans la question, car les ardoisières du Luxembourg, sans même compter celles de la province de Namur, peuvent suffire, et bien au-delà aux besoins du pays. On évalue approximativement la consommation annuelle de la Belgique à 30 millions d’ardoises. Eh bien, je connais tel établissement du Luxembourg, qui peut à lui seul en produire 15 à 20 millions par année et toutes les ardoisières d Luxembourg réunies pourraient en produire 50 à 60 millions d'ici à quelque temps, si elles étaient sûres d'en trouver le placement.
Enfin, messieurs, chez nous la production est illimitée, car nous possédons des bancs ardoisiers inépuisables ; la production ne peut se limiter que par la demande. Quant aux prix, vous comprenez, messieurs, qu'il suffirait d'une pareille concurrence intérieure pour les maintenir dans de justes bornes. D’ailleurs, les ardoises trouvent encore une sorte de concurrence dans d'autres espèces de matériaux servant à la couverture des habitations, tels que les tuiles, le zinc et même le chaume.
Quant à la qualité de nos ardoises, il existe malheureusement en Belgique un préjugé fâcheux à leur égard ; depuis un temps immémorial on y emploie les ardoises de Fumay, et on sait que lorsqu'une pareille habitude est une fois prise, il est difficile de la déraciner. Maintenant cependant on commence à apprécier les produits de nos ardoisières, et ils ne tarderont pas à être connus dans tout le pays. Du reste, pour vous convaincre de leur excellente qualité, il me suffira de lire les conclusions d'un rapport qui a été fait par des ingénieurs nommés par le gouvernement, pour constater cette qualité.
Voici ces conclusions :
« Nous terminerons ce rapport par des conclusions qui nous paraissent suffisamment motivées sur les considérations développées ci-dessus.
« 1° La Belgique possède aujourd'hui un assez grand nombre d'exploitations de bonnes ardoises pour qu'elle puisse désormais se considérer comme affranchie du tribut qu'elle a si longtemps payé à l'étranger pour ce genre de produits.
« 2° La plupart des ardoises exploitées dans la province de Luxembourg, auxquelles il faut ajouter celles d'Oignies (province de Namur), peuvent rivaliser, pour la bonté et pour la beauté avec celles de Fumay.
« 3° Si l'on veut, provisoirement, et jusqu'à ce que les produits des nouvelles ardoisières aient reçu la sanction de l'expérience ou jusqu'a ce que l'on connaisse des moyens certains d'apprécier a priori la qualité de cette sorte de matériaux, donner la préférence, pour les monuments publics et pour les constructions qui doivent avoir une longue existence, à ceux qui ont fait leurs preuves, nous pouvons dès à présent recommander les ardoises bien choisies d'Herbeumont, de la Géripont et de Viel-Salm**.
« 4° Il importe que le gouvernement encourage et régularise, par tous les moyens qu'il a à sa disposition, l'exploitation des ardoises qui deviendra une branche intéressante de l'industrie nationale. »
Ce rapport, messieurs, est du 10 avril 1841 ; il est signé par MM. Cauchy, ingénieur en chef des mines ; Boget, ingénieur en chef des ponts et chaussées ; Dandelin, lieutenant-colonel du génie.
Depuis lors, le gouvernement a pris un arrêté qui ordonne l'emploi des ardoises du pays dans les constructions publiques.
Mais, messieurs, là ne se bornent pas les avantages que nous accordons aux ardoises françaises, nous allons plus loin ; nous allons jusqu'à tolérer qu'elles traversent tout notre territoire pour aller s'emparer d'un marché qui est à vos portes, dont, par cela seul, nous nous excluons, tandis que nous pourrions l'exploiter presqu'entièrement. En effet, au moyen du transit les ardoises françaises sont transportées par la Meuse, en Hollande, en ne payant qu'un droit de 1 fr. 60 c. par mille ; or, on conçoit facilement que, grâce à la situation des ardoisières françaises sur le bord de la Meuse, leurs produits doivent se présenter en Hollande avec des avantages sur les nôtres qui rencontrent de grandes difficultés de transport.
Mais ces avantages d'un transit facile deviendront encore bien plus fâcheux pour nos ardoises par suite de l'achèvement du chemin de fer de Cologne.
Jusqu'à présent nous envoyons des ardoises en Prusse, mais l'on conçoit parfaitement que les ardoises françaises pourront très facilement être transportées dans les provinces rhénanes par la Meuse et le chemin de fer et s'emparer également de ce marché d'autant plus important pour nous que dans le canton de Viel-Salm, il existe un très grand nombre de magnifiques ardoisières qui sont parfaitement situées pour envoyer leurs produits en Prusse, mais qui ne peuvent pas profiter de l'avantage de leur position, parce que jusqu'à présent ce canton ne possède pas un seul mètre de route.
Ce canton de Viel-Salm est, messieurs, vraiment dans une situation anormale dans notre pays, puisqu'il est le seul en Belgique, je crois, qui n'a pas un seul mètre de route, et l'on sent dès lors, que pour une matière aussi pondéreuse que les ardoises, cet arrondissement doit entraîner d'immenses difficultés pour les transports.
Mais cet état de choses peut changer, si la chambre est assez juste, et elle le sera, je n'en doute pas, pour nous accorder les 2 millions que nous demandons avec tant d'instance depuis plusieurs années ; alors on pourra doter le canton de Viel-Salm de quelques routes ; et au moyen de ces routes, se dirigeant vers le chemin de fer, nos ardoises pourront être transportées à Liége avec facilité et à bon compte. En sorte qu'elles seront à même alors de rivaliser avec les ardoises françaises sur le marché prussien et sur le marché hollandais.
C'est pour cela que la clause du traité m'avaient d'abord inspiré des craintes ; je croyais que, par cette clause, le transit des ardoises sur la Meuse vers la Hollande allait être considérablement diminué ; car, aux termes du traité, le tarif français devra être appliqué, les droits du transit ne s'élèveront plus à 15 centimes par 100 francs, ce qui est absolument insignifiant.
Vous voyez par là qu'il était très important pour nous de nous assurer qu'on ne diminuerait pas le transit sur la Meuse. Notre honorable rapporteur nous a rassurés à cet égard, dès lors la clause devient moins importante.
Quant à la réciprocité, elle offre de l'avantage pour la France, mais pour nous elle est à peu près insignifiante, Nous faisons transiter par la France, pour rentrer ensuite en Belgique, moins d'un million d'ardoises. Cet avantage même ne concerne qu'un seul de nos établissements, un des moins importants peut-être de la province, et cet établissement pourrait, à la rigueur, s’en passer, tandis que la France fait passer sur notre territoire, pour rentrer ensuite en France, plus de 20 millions d'ardoises ; l'on sent dès lors qu'elle doit attacher de l'importance à conserver un pareil transit.
De tous ces faits, il résulte que l'industrie ardoisière qui puise dans le sol du pays tous ses éléments, qui fournit du travail à un si grand nombre d'ouvriers dans nos pauvres Ardennes, il en résulte, dis-je, que, par suite des avantages faits à la France par notre tarif, cette industrie trouve une rivale redoutable sur son marché même, rivale qui l'exclut, en outre, d'autres marchés que, sans elle, elle pourrait presqu'entièrement approvisionner.
Quoi qu'il en soit, messieurs, si toutes les commissions que nous faisons à la France, peuvent nous amener un retour des concessions un peu plus larges de sa part, si enfin elle veut une fois se départir du système restrictif qu'elle a toujours suivi vis-à-vis de nos produits ; si, comme le disent les journaux français, la convention que nous avons contractée est un acheminement vers une union douanière, alors il existerait des motifs puissants pour adopter la convention. Je sais que des difficultés immenses s'opposent à une association douanière entre la Belgique et la France, je sais d'abord que notre nationalité pourrait s'y trouver peut-être compromise, et à cet égard je ne consentirai jamais, quant à moi, qu'il y fût porté la moindre atteinte. D'un autre côte, je sais que des intérêts privés, très puissants et très influents, surtout en France, s'opposeront toujours à une pareille union, je sais enfin que notre législation douanière ct commerciale diffère grandement de celle de la France.
Toutes ces difficultés sont-elles insurmontables ? C'est ce qu’il ne m'appartient pas de décider ; mais cependant je puis dire que jusqu'à présent je n'ai rien lu ni entendu qui me fasse croire qu'avec de la bonne volonté et de la persistance, de la part des deux gouvernements, on ne puisse pas en venir un jour à un pareil résultat.
Messieurs, depuis quelques années il se passe en Europe des faits économiques d'une haute importance. Il y a tendance vers l'élargissement du cercle des douanes ; il y a tendance vers l'agrandissement des marchés. Nous en avons un exemple frappant dans l'association douanière allemande. Si l'on doit s'en rapporter aux journaux, il serait question même de réunir à cette association le vaste empire d'Autriche. D’un autre côté, on nous dit que l'Italie qui n'a pu obtenir dans les temps modernes l'unité politique, cherche au moins à se procurer l’unité commerciale. Dans un certain nombre d'années, il arrivera donc que l'Europe sera divisée en un certain nombre de grands marchés.
Dans cet état de choses serait-il avantageux pour la Belgique de rester resserrée dans d'étroites limites, de demeurer dans une espèce d’isolement ? Pour ma part, je ne le crois pas ; du reste, je soumets cette réflexion à nos économistes belges.
Nous pourrions, il est vrai, nous procurer, dit on, la jouissance exclusive du marche intérieur. Mais est-ce que nous nous la procurerions par le système prohibitif absolu ? Ou seulement chercherons-nous à nous assurer ce marché par une protection sage ct modérée de notre industrie ?
Le système prohibitif qui pèse en ce moment sur l'Europe peut être tolérable dans de vastes Etats, possédant un grand marché ; peut-être même que temporairement ce système leur a été avantageux en procurant du développement à leur industrie, en face surtout d'une rivale aussi redoutable que l'Angleterre ; mais pour un petit pays accessible partout à la fraude et doué d'une force énorme de production, je craindrais beaucoup que la seule possession du seul marché intérieur ne lui suffise pas pour développer toutes ses forces industrielles.
Du reste, messieurs, je me hâte de le dire, aussi longtemps que les puissances voisines resteront renfermées dans leurs murailles de douanes, je pense que l'industrie indigène doit être protégée, non pas par des droits prohibitifs, mais par des droits sages, modérés et en même temps réels et non point illusoires, qui donnent enfin à nos produits un avantage suffisant sur le marché intérieur vis-à-vis des produits étrangers. Il serait bizarre, d'ailleurs, que tous les produits indigènes contribuassent aux revenus du trésor, et que les produits étrangers n'y contribuassent pas.
Messieurs, ce n'est pas le moment de traiter les grandes questions de notre législation douanière, et de notre système maritime et commercial. Quand le moment en sera venu, et que ces questions seront à l'ordre du jour, je me réserve d'émettre mon opinion à cet égard. En attendant, je voterai en faveur du projet ; mais je ferai encore remarquer que la convention ne donne qu'une position précaire et transitoire en quelque sorte à la Belgique, et qu'il ne faudrait pas trop s'endormir sur une pareille convention. Il est plus nécessaire que jamais que le gouvernement et les chambres tiennent les yeux ouverts sur notre situation industrielle.
M. Van Cutsem. - Messieurs, quel est celui d'entre nous qui n'ait été péniblement affecté en lisant le traité de commerce conclu entre la France et la Belgique ; quel est celui d'entre nous qui n'ait pas dit que la France abusait de la position dans laquelle se trouve une partie de la Belgique, pour nous dicter des conditions désastreuses pour notre trésor, notre commerce et notre industrie, et humiliante pour notre amour-propre de nation ; qui de nous n'a pas dit qu'elle avait compté ses trente-quatre millions d'habitants et nos quatre millions d'hommes en nous vendant une faveur dont nous ne pouvions nous passer dans un moment ou les populations de deux de nos plus belles provinces en attendent des moyens d'existence, et qui de nous a cependant osé dire qu'il fallait braver les cris de détresse et de misère de l'ouvrier des Flandres pour repousser un arrangement douanier si chèrement payé ? personne, je pense.
Avant 1830, la plupart des produits français étaient frappés de droits très élevés à leur entrée en Belgique ; depuis la révolution, le système de protection fut sensiblement affaibli, et le tarif néerlandais fut entièrement changé à l'avantage de la France. En agissant ainsi nous avons espéré que la France en ferait autant pour nous, mais nous fûmes bien désappointés, les faveurs que nous lui avons accordées, n'ont rien produit pour la Belgique. Il ne faut cependant pas croire que la France ait révoqué nos concessions en doute, loin de là ; quand nous entamâmes, en 1836, des négociations commerciales avec elle, elle reconnut que nous lui avions accordé bien plus de réductions de tarif qu'elle ne nous en avait concédé ; toutefois elle n'en a pas moins demandé alors comme depuis des avantages nouveaux, en nous retirant une partie de ceux qu'elle nous avait octroyés ; c'est ainsi qu'elle obtint, par la loi du 7 avril 1838, qu'elle possède encore à l'heure qu'il est, qu'elle nous enleva une partie des nôtres par sa loi du 6 mai 1841, et qu'elle nous menace de nous prendre encore une grande partie des concessions qu'elle nous a faites, si nous ne lui en accordons de nouveaux.
Si nous avions eu plus d'énergie, messieurs ; si, à chaque aggravations de tarif que la France faisait peser sur nous, nous avions répondu par une mesure semblable, je crois que nous n'eussions pas été obligés de passer sous les fourches caudines comme nous allons le faire aujourd’hui, pour ne pas perdre une industrie dont la position est par trop fâcheuse pour attendre, dans ce moment, le résultat d'un acte de courage et d'indépendance nationale. Nous ne devions pas avoir confiance dans la justice de la France, parce que nous-mêmes nous avions toujours été loyaux envers cette alliée, nous devions lui retirer toutes les concessions que la Belgique lui avait faites depuis plusieurs années, nous devions procéder immédiatement à la première faveur qui nous était enlevée à la révision de notre tarif, en ce qui concerne les étoffes de laine, les tissus de coton, les glaces, les ouvrages de mode, les bronzes, les articles de soieries et autres ; nous devions établir les droits différentiels en faveur du pavillon national. En changeant ainsi notre tarif, dans l'intérêt du travail national, mais en le changeant d'une manière générale envers tous les pays, de quoi la France pouvait-elle se plaindre ? Nous ne suivions que l'exemple qu'elle nous donnait, nous faisions sa politique nôtre, et le mot de représailles ne devait pas être seulement prononcé par nous et ne pouvait l'être par elle ; nous assurions à nos ouvriers un travail qui leur est souvent ravi par la concurrence étrangère, et, après tout, nous ne faisions usage que d'un droit légitime auquel tous les peuple recourent aujourd'hui chacun à leur tour ; mais au lieu de nous servir de pareils moyens, nous avons cru à la générosité et à la justice du peuple et du gouvernement français, nous avons espéré qu'alors que la modicité relative de nos droits sur les articles du commerce français semblait justifier suffisamment une exception en faveur de nos produits liniers, comme le dit encore aujourd'hui M. le ministre des affaires étrangères dans son exposé des motifs accompagnant le projet de loi relatif à la convention de commerce conclue entre la Belgique et la France ; la France nous aurait excepté de cette aggravation de droits : nous nous sommes trompés, la France nous a laissé entrevoir de prime-abord la possibilité d'une exception en faveur de la Belgique, les conditions de l'exception nous ne les avons connues que plus tard, sa vieille diplomatie talleyrandienne a joue la nôtre, et aujourd'hui qu'une partie de nos populations est aux abois et qu'on a eu l'imprudence de faire connaître ce fâcheux état par de nombreuses députations envoyées au gouvernement, nous devons lui donner encore une fois tout ce qu'elle exige de nous ; dans ce moment nous n'avons plus notre libre arbitre en face des ouvriers affamés, nous sommes pressés par les circonstances, l'acceptation du traité est pour à présent une nécessité pour nous, notre généreuse alliée entend se faire payer de son bon vouloir ; notre mérite, notre trop grande confiance l'ont admirablement secondée, nous ne pouvons plus marchander.
Nos sacrifices, comme vous le soutenez, me dira-t-on, sont immenses, mais nous ne les faisons pas pour rien, la France exclut l'industrie anglaise de son marché pour favoriser la nôtre ; j'avoue que l'anéantissement d'une concurrence aussi fatale que celle de l'Angleterre, si elle avait lieu, devrait nous porter sans doute à déplorer moins les faveurs que nous faisons à la France, mais quand on voit qu'aux termes mêmes du traité, cette puissance se réserve de pouvoir diminuer d'un sixième les droits d'entrée sur les fils et les tissus de lin ou de chanvre importés par des frontières autres que celles de la Belgique sans devoir accorder aucune réduction de droits à la Belgique, ne devons-nous pas craindre de retrouver la concurrence anglaise sur les marchés français, une fois que l'Angleterre aura obtenu cette réduction, qui sera le résultat d'un de ces rapprochements si fréquents entre les grandes nations ; puisqu'alors il n'y aura plus entre les droits payés par elle et par nous qu'une différence de dix pour cent, différence avec laquelle elle nous fait aujourd'hui concurrence sur nos propres marchés. Ce rapprochement ne doit pas arriver immédiatement, un an peut s'écouler et peut-être plus de temps encore avant que le marché français soit réellement productif pour nous, avant que les Anglais puissent songer à y envoyer leurs fabricats liniers, puisqu'ils y ont déversé avant l'ordonnance de juin pour 50 millions de produits de cette espèce ; de là la conséquence encore que notre industrie de toile faite avec le fil à la mécanique n'aura rien à placer sur le marché français d'ici à ce temps, il n'y aura que l'antique industrie la plus précieuse sans doute qui y gagnera quelque chose dans le moment même de la conclusion du traité ; et n'est-ce pas faire payer bien cher à la Belgique la faveur de nourrir quelques populations malheureuses, que d'exiger d'elle de si grands avantages que ceux que la France stipule pour elle dans le traité qui est soumis à notre ratification, surtout de cette Belgique où elle peut espérer de trouver des bras pour la protéger si jamais on l'attaque. On doit aussi être convaincu que la faveur que la France nous fait ne portera pas à l'Angleterre le préjudice qu'on vante si fort, si l'on veut se rappeler que l'amendement Delespaul qui explique le compte, il frappe principalement sur les toiles belges, parce que les Anglais, en mettant moins de fils dans la chaîne où on les compte, évitent une partie des droits et établissent ainsi en leur faveur une différence de 5 p. c, entre les droits à payer par les toiles belges et les toiles anglaises ; et si mes renseignements sont exacts, ils ont déjà écrit à leur commettants du continent, que d'ici à un an, époque à laquelle la France aura besoin de nouveaux produits liniers, ils auront réduit le nombre de fils dans la chaîne de manière à ne payer qu'à peu près les droits qu'ils acquittaient avant l'ordonnance du 26 juin dernier.
Si nos négociateurs avaient bien compris la position de l'industrie linière belge, ils auraient demandé à la France de faire cesser pour la Belgique les effets de l'amendement Delespaul, qui nous frappe sans presque atteindre les Anglais ; si la France avait sincèrement voulu nous faire un avantage dans le traité de commerce qui est soumis à notre ratification, elle aurait rapporté l'amendement Delespaul en notre faveur, elle l'aurait fait d'autant plus facilement que, dans le temps, lorsqu'elle fit exécuter pour la première fois ses dispositions, elle déclara, sur nos réclamations, que cet amendement ne constituait pas pour nous une aggravation d'impôt, qu'il ne servait qu'à régulariser le service de la douane vis-à-vis de l'Angleterre et qu'on l'appliquerait avec modération à la Belgique ; elle ne nous l'aurait pas refusé alors que nous pouvions lui démontrer que la prospérité ou l'anéantissement de notre ancienne industrie linière dépendait de l'abrogation de cet amendement, qui, comme je l'ai déjà dit, donne un avantage de 5 p. c, aux Anglais sur les Belges pour les droits à payer sur les produits liniers.
Nous ne retirerons encore qu'un faible avantage de la clause relative à la navigation sur les eaux intérieures de la France, parce que nos navires naviguant en général en Belgique sur des eaux plus profondes que les bâtiments français en France ne pourront pas prendre une charge entière dans ces contrées où les navires payent à raison des distances à parcourir et ne naviguent pas comme en Belgique avec une patente ; ainsi peu ou pas d'avantage pour la Belgique dans la clause relative à la navigation, tandis que nous, en assimilant les navires et bâtiments français aux navires belges, nous leur faisons payer comme aux nôtres 45 centimes 1 tonneau au lieu de 4 fr. 20 c. ; nous les mettons à même de faire non seulement une concurrence fatale à nos bateliers, mais même au chemin de fer.
Pour des avantages aussi incertains, aussi peu importants, nous sommes forcés de sacrifier les intérêts du trésor, de lui faire éprouver une perte annuelle de douze ou quinze cent mille francs, d'en faire sortir des sommes qui y étaient déjà entrées pour accorder aux marchands de vin la restitution des droits payés en trop, eu égard aux droits à acquitter après la ratification du traité de commerce, restitution que personne ne peut leur refuser. Nous devons anéantir la fabrication naissante de la soierie, nous devons empêcher l'extension de la culture de la vigne sur notre territoire, nous ne pourrons plus établir sur notre littoral des salines à l'instar de celles de Normandie, et enfin nous nuirons encore à nos brasseries auxquelles le vin viendra faire concurrence ; pour des avantages aussi douteux, nous allons nous mettre sous la dépendance d'une grande puissance, ce qui présente des dangers immenses, nous allons aliéner une partie des droits que possède une petite nation de quatre millions tout aussi bien qu'une nation de trente-quatre millions d'hommes ; nous nous engagerons, sans nous réserver le droit d'examen, le droit de discussion avec la France, à imposer les produits liniers aux frontières analogues des mêmes droits que la France, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas pour nous nécessité de le faire, que cela nous empêche ou ne nous empêche pas de conclure des traités de commerce avantageux pour la Belgique avec des nations voisines.
Tout homme qui a le cœur bien placé ne peut accepter de pareilles conditions qu'avec douleur, et le pays devrait se désespérer en voyant où nous en sommes réduits si le traité, quelqu'onéreux qu’il soit pour nous, ne nous laissait au moins entrevoir que le gouvernement va changer son système commercial, et abandonner les principes du laisser faire et du laisser aller, qui a été en vigueur sous ses prédécesseurs et sous sa propre administration, pour adopter des droits protecteurs qui aujourd’hui est apprécié à peu près par tout le monde, tandis qu'il n'y a que deux ans, on ne combattait pas seulement ses partisans, mais on allait jusqu'à déverser le ridicule sur eux. On nous vantait la liberté de commerce, comme si on ne l'avait jamais mis en pratique, comme si les nations n'en avaient pas fait la triste expérience avant d'en venir au système de protection, comme si l'histoire commerciale n'avait pas été pour nous apprendre que lorsque la liberté de commerce existait une ou deux nations s'emparaient, parce qu'elles excellaient dans la fabrication de tel ou tel produit, du monopole du commerce, et empêchaient par leur concurrence tous les peuples avec lesquels elles étaient en relation, de développer leur fabrication. On parle de cette liberté commerciale, comme si nous ne savions pas que le Vénitiens, avec un système de protection, ont été la première nation mercantile du globe ; comme si nous ne savions pas que les nations qui, de nos jours, ont protégé leur commerce et leur industrie, ont acquis une prospérité plus ou moins grande, suivant que le régime économique qu'elles ont pu adopter a été plus ou moins étendu, plus ou moins sévère, et que c'est à cette cause que la France et l'Angleterre doivent leur prospérité. On prétend sans cesse que la protection empêche les progrès de la fabrication, mais tous les jours nous avons des faits qui viennent démentir cette assertion ; pour ne prendre qu'un exemple entre mille, ne voyons-nous pas la France, avec son système de protection accordée à la fabrication des draps, améliorer singulièrement les produits de l'espèce, et les améliorer tellement que le jury de l'industrie de 1839 a déclaré que les progrès réalisés de 1834 à 1839 pour la draperie pouvaient être évalués au moins à 15 p. c. Peut-on encore vanter la liberté de commerce au moment où la France, pour établir chez elle une industrie linière proportionnée aux besoins de sa consommation et de son exportation en tissus de lin, étend ses droits de douane sur les fils et les toiles de l'extérieur à un taux exorbitant,.N'est-ce pas le système de protection qui a fait prospérer notre industrie dans les 17e et 18e siècles, alors que les produits étrangers ne pouvaient se vendre que dans les villes emmuraillées ou fermées, alors qu'ils devaient être placés dans des dépôts publics connus sous le nom de halles, alors que le marchand ne pouvait vendre une quantité de marchandises étrangères sans en prendre une quantité égale chez un fabricant indigène.
Je dis et je soutiens, l'histoire commerciale des peuples à la main et fort des faits qui se sont passés de nos jours, que la liberté commerciale n'est qu'une déception. Et qui n'en serait pas convaincu, quand on voit où en sont réduites la plupart de nos industries par suite de cette facile admission des marchandises étrangères sur notre territoire depuis une douzaine d'années ; qui n'en serait pas convaincu en apprenant que nos importations dépassent le chiffre de nos exportations de plus de quarante millions par an ; encore quelques années de pareille prospérité et la Belgique n'aura plus rien à envier à l'Espagne et au Portugal. Le gouvernement a compris, un grand nombre de membres de cette assemblée sont aussi convaincus, et je suis heureux de le constater, que notre commerce et notre industrie ne peuvent être sauvés qu'avec un régime protecteur. Il ne s'agit donc plus que d'entrer franchement dans cette voie, d'éviter les demi-mesures qui ne sont qu'une preuve de faiblesse, d'incertitude et d'incapacité et qui empêchent de réaliser le bien dans toute son étendue en obligeant le gouvernement à recourir plus tard à des moyens plus efficaces dont l'application donne lieu à de nouvelles secousses et jette la perturbation dans l'industrie et les relations commerciales.
C'est en espérant que le passé nous servira de leçon, que je donnerai un vote affirmatif à la ratification du traité que la position toute spéciale du pays ne me permet pas de repousser comme je devrais le faire dans des temps ordinaires.
M. de Baillet. - Messieurs, nous sommes en présence d'une loi d'une nature toute spéciale, d'une loi à laquelle des changements de rédaction peuvent être proposés, mais qui ne souffre pas d'amendement atteignant le fond des choses. Une convention commerciale est soumise à notre approbation, il faut la prendre dans son ensemble, la repousser ou l'adopter. Ainsi, s'il se trouve des industries, je ne dirai pas sacrifiées, mais oubliées dans cette convention destinée à régler avec la France une partie de nos intérêts commerciaux, des représentants des provinces que ces industries intéressent particulièrement n'auraient, à la rigueur, d'autre ressource que celle de voter contre le projet de loi et par conséquent contre la convention.
Telle n'est pas mon intention, et pourtant j'appartiens à un arrondissement dont l'industrie souffre cruellement et souffre depuis longtemps. Je ne veux pas m'opposer à ce que justice soit accordée à une partie du pays, mais si d’autres parties crient moins haut, ne font pas de levées de députations, ne menacent pas en quelque sorte d'un soulèvement, je ne pense pas que ce soit une raison pour que la sollicitude du gouvernement fasse défaut.
De toutes les industries du pays, la forgerie au bois est peut-être la seule pour laquelle le gouvernement n'ait jusqu'à présent rien fait ; malgré son état notoire d’embarras et de détresse on ne semble pas y songer. Une partie de ses produits pourrait trouver un écoulement en France si les droits sur les fontes n'y mettaient obstacle, si aussi les droits sur les fers forges n'équivalaient pas à une prohibition.
La détresse de cette industrie, à laquelle on ne saurait reprocher d’avoir forcé la production au-delà de ses limites naturelles, est signalée par la fermeture de plusieurs usines importantes ; elle est indiquée encore par une baisse dans les prix de vente des fers, hors de proportion avec la diminution dans le prix des matières premières, telles que le bois et le minerai.
Les maîtres de forge d’entre Sambre et Meuse réunis à Philippeville le 5 du mois dernier ont adressé à M. le ministre de l'intérieur une pétition tendant à obtenir :
1° Que le gouvernement négociât avec la France pour obtenir, en échange de nouvelles concessions demandées, une réduction de moitié sur les droits d’entrée des fontes belges ;
2° La suppression du droit de balance de 10 centimes à la sortie des fontes. Ce droit insignifiant sous le rapport fiscal est onéreux aux maîtres de forges, en raison des formalités qu’ils ont à remplir.
Aucune réponse n'a été faite par M. le ministre à cette pétition, et nous avons lieu de croire que, pressé par les clameurs des Flandres qui ont trouvé le bon moyen de se faire écouter, le gouvernement s'est hâté de conclure la convention qui nous est soumise, sans s'occuper le moins du monde de l'industrie métallurgique.
Je crois de mon devoir de provoquer à ce sujet des explications. Je demande formellement à M. le ministre de l'intérieur quelles sont les intentions du gouvernement, quelles sont aussi ses espérances.
Je ne puis pas penser que dans le cours des négociations, les mots industrie métallurgique n'aient pas été prononcés, je prie M. le ministre de nous dire si une industrie vitale pour le pays doit succomber, si elle n'a rien à attendre parce qu'elle a longtemps souffert en silence.
Il est temps que l'on établisse enfin un juste équilibre entre toutes les industries du pays et que l'on mette fin à cette prédilection constante pour celles qui réclament le plus vivement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Messieurs, je suis heureux d'avoir à constater qu'aucun reproche bien grave n'a été fait jusqu'à ce moment à la convention soumise à votre examen ; l'honorable M. Lys a témoigné le regret que la convention n'ait point été étendue aux fils de laine. Le gouvernement est loin de méconnaître l'importance de cette industrie, mais lorsqu’au travers d’une négociation plus complète, une mesure nécessaire pour la France est venue frapper par contrecoup notre industrie toilière, c'était d'abord et avant tout cette industrie qu'il fallait secourir, et c'est à quoi la convention a pourvu.
Il en est de même des ardoises. Obtenir sur cette question le maintien du statu quo était déjà un succès dans la vive discussion que cet article a soulevée, et nous avons été forcés sur cet article, comme sur tous ceux qui ne regardent pas les fils et les toiles, de laisser à l'avenir la régularisation de nos relations internationales.
Cette nécessité de borner la négociation à l'unique question des fils et des toiles peut aussi servir de réponse aux questions posées par l'honorable comte de Baillet. Toutefois, quant aux ardoises le gouvernement a l'intention d'accorder à nos ardoises le seul avantage qu'il lui soit possible de leur accorder sur le transit, celui d’une diminution à leur sortie de Belgique. M. le ministre des finances se propose de vous présenter incessamment cette disposition dans le projet de loi qui établit cette diminution.
On nous a cependant fait un reproche d'avoir, au profit d'une seule industrie, imposé des sacrifices à l'Etat et à d'autres industries qui en avaient un aussi pressant besoin. On a dit que nous aurions dû comprendre dans le traité quelques autres articles de notre tarif.
Ce grief, messieurs, quelque grave qu'il paraisse, me sera une occasion de remettre l'état des choses sous son véritable jour.
Depuis l'avènement du nouveau cabinet, des relations de la Belgique avec la France ont été l'objet de sa constante sollicitude ; poursuivies avec des alternatives diverses, les négociations allaient reprendre après la clôture des travaux parlementaires, lorsque l'importation toujours croissante des fils anglais en France a amené pour le gouvernement français la nécessité de songer à une augmentation de droit. Averti à temps, le gouvernement belge exposa les droits qu'il croyait avoir à une exception ; ils furent reconnus en partie et nous obtînmes qu'ils seraient successivement examinés et débattus avant la publication de toute mesure, et que si le point de maturité des négociations ne permettait pas de songer pour le moment à un traité plus complet, il serait fait au moins pour les lins une convention particulière. Plus tard des efforts furent tentés pour ne pas borner la convention aux lins seuls ; mais, malgré leur insistance, nous dûmes renoncer à l'espoir de les voir couronnés de succès. La conscience de l'inutilité de tentatives ultérieures nous amena à restreindre la convention aux articles qui vous sont présentés.
Ainsi donc, nous sommes venus au secours des lins parce que les lins étaient surtout menacés par l'ordonnance, comme nous l'eussions fait, en pareil cas, pour les houilles, les fers et pour les fils de laine, s'il eût y eu quelque chose de possible pour eux, et nous croyons d'autant moins avoir, par cette conduite, fait tort aux autres industries et au trésor, que, d'une part, la voie des arrangements est loin d'être fermée entre la France et nous, et que, d'un autre côté, tout moyen qui eût amené pour nos toiles la fermeture du marché français aurait eu pour résultat immédiat, dans la situation actuelle, la gêne des nombreux ouvriers toiliers, qu'il aurait fallu, en définitive, si elle se fût prolongée, nourrir ou protéger aux dépens du trésor et des autres industries.
Cette nécessité d'un secours prompt et immédiat doit faire sentir l'inanité de toutes mesures de représailles dont le premier effet serait retombé sur nous. L'expérience tentée de 1822 à 1830 a assez prouvé que la France, dont le marché national consomme la plus grande partie des vins, se serait présentée à ce combat, funeste à tous deux, avec quelque chance de le pouvoir faire durer longtemps. Des représailles, ou toute mesure dont le résultat eût, en définitive, été le même, eussent donc été, je pense, au moins prématurées, et auraient pu apporter d'insurmontables obstacles à la conclusion des questions qui sont encore pendantes entre la France et la Belgique. Des velléités de guerre douanière, tentée sans détermination de la poursuivre, ne peuvent, entre nations qui ont besoin de s'entendre et dont chacune connaît à fond les nécessités de l'autre, avoir d'autre résultat qu'un éloignement réciproque. Il vaut mieux, dans ce cas, laisser parler les intérêts matériels quand ils tendent à se rapprocher, les aider par des négociations loyales, et le temps alors, aussi bien que la discussion, se charge de les faire prévaloir.
M. Vandenbossche**.** - Messieurs, dans la situation où nous nous trouvons, je regarde comme un devoir de ratifier le traité du 16 juillet, quels que soient les sacrifices auxquels il nous oblige de souscrire ; cependant, quand j'envisage le but que nous nous proposons, je me dis alors que, par le traité seul, nous ne sommes pas en état de l'atteindre. C'est la misère que l'on rencontre dans les deux .Flandres qui a fait solliciter et conclure le traité. La cause de cette misère, c'est la ruine de l'industrie linière, qui rendait jadis ces provinces les plus heureuses du globe, tout en faisant la gloire de la Belgique. Cette industrie, c'est la filature à la main ; c'est donc cette filature à la main qu'il s'agit de protéger et cette protection doit être le but du traité. Or, que fait le traité ? Il nous replace, à l'égard de la France, dans les conditions où nous fûmes avant l'ordonnance du 26 juin, nos fils et nos toiles continueront à entrer en France au prix des droits de 15 à 18 p. c. de leur valeur. Par le traité nous n'aurons plus à craindre la concurrence anglaise sur le marché français. C'est là sans doute un avantage immense, mais nous ne pouvons pas nous faire illusion sur sa durée. L'industrie linière s'élèvera en France, et suffira, peut-être en peu d'années, à pourvoir à sa consommation. Alors le seul avantage de 15 à 18 p. c. sera suffisant pour exclure nos produits de ce marché aussi bien que l'ordonnance du 26 juin.
Pour le conserver nous devons toujours pouvoir lui livrer mieux qu'elle ne soit en état de produire elle-même, nous devons continuer à lui livrer nos anciennes et inimitables toiles des Flandres. Au surplus notre industrie linière demande d'autres marchés que celui de la France, et, partout ailleurs, il n'y a que nos toiles tissées de fil filé à la main qui puissent soutenir la concurrence de l'Angleterre. C'est donc la filature à la main que nous devons protéger, c'est notre ancienne industrie linière que nous devons relever de la décadence où elle se trouve plongée par les mécaniques anglaises qui inondent les quatre parties du monde de leurs produits, si nous voulons aspirer à continuer nos exportations. Si nous devons laisser entièrement anéantir notre filature à la main par les mécaniques à filer qui s'introduisent de plus en plus dans le pays, nous finirons (et le temps n'est pas éloigné peut-être) à nous voir fermer tous les marchés étrangers quelconques, heureux de pouvoir conserver notre marché intérieur. Ce n'est donc qu'avec effroi que j'ai souvent entendu dire qu'il n'y avait point de moyen de soutenir la filature à la main, et que le gouvernement ne pouvait rien pour elle, en présence de la filature à la mécanique.
Si je désespérais de pouvoir relever notre antique industrie linière, le filage à la main ; si je n'avais en vue que nos seuls établissements de filatures à la mécanique, je voterais contre le traité, quel que soit mon désir de favoriser toutes les industries de mon pays, par la raison que je n'y trouverais que des avantages éphémères qui ne pourraient en aucune manière compenser les sacrifices qu'il nous impose. Mais j'espère que nous pourrons la soutenir et la faire briller encore, et je suis assez heureux de trouver des industriels qui partagent mes espérances. La protéger est le seul but que je me propose dans l'adoption du traité. Mais, comme je l'ai dit, le traité, à lui seul, est insuffisant, nous devons lui donner d'autres protections. Mais quelles protections pouvons nous lui donner ? Je ne suis pas un industriel, je ne pourrais pas vous les énumérer toutes, il me suffit que nous devons la protéger, que nous devons la tenir debout, coûte que coûte, si nous ne voulons renoncer, sous peu d'années, à toute exportation de fils ou de toiles quelconques.
Dans une autre occasion, dans la séance du 29 janvier 1841, je vous ai signalé trois causes auxquelles j'attribuais l'inondation du pays par les fils filés à la mécanique au détriment de nos fils filés à la main. C'était, dis-je :
1° La faculté pour le marchand d'étendre ses opérations ;
2° La facilité du tisserand de se procurer ces fils de la finesse voulue, et,
3° L’ignorance où l'on est encore de leur valeur respective avec nos fils filés à la main.
Toutes ces causes se conçoivent sans que l’on soit industriel. Les fils filés à la main ne sont pas numérotés. On doit les acheter au marché et les payer comptant.
Les fils filés à la mécanique sont tous numérotés et s’obtiennent à crédit.
Les fils filés à la main sont plus ou moins égaux, plus ou moins bien confectionnés.
Les fils filés à la mécanique ont tous un filament égal et le même confectionnement.
De là résulte, que pour faire le commerce de fil filé à la main, on a besoin de grandes connaissances et de grandes sommes à y placer.
Au contraire, pour faire le commerce de fil filé à la mécanique, on n'a besoin ni de connaissances ni d'argent, il suffit d'avoir du crédit.
Par ces raisons, beaucoup de négociants se jettent sur les fils filés à la mécanique, et les mêmes causes influent également sur le tisserand ; ensuite, comme chacun est naturellement enclin à prôner sa marchandise et à déprécier les autres, ils prônent le fil filé à la mécanique, et finissent par égarer le public sur la valeur respective des deux fils.
Un respectable habitant d'Alost, voulant éclairer le public, a acheté un kilogramme de fil à la mécanique et un kilogramme de fil filé à la main, l'une et l'autre de la même finesse et d'un même prix, le fil filé à la mécanique lui coûtait même deux ou trois centimes de plus. Il a fait teindre et tordre ces deux fils en fil à coudre ; après avoir essayé ces manipulations, il en a mesuré la longueur et la force, et son expérience lui a démontré à l'évidence, que son fil filé à la main valait 20 pour cent de plus que son fil filé à la mécanique. Il a envoyé ces deux fils avec une explication du mode et du résultat de son expérience à la commission de l'industrie linière, avec offre de faire une expérience analogue sur la toile. La commission tardant à lui en accuser réception, il a publié son expérience dans un ou deux journaux. Eh bien ! quel résultat en a-t-il finalement obtenu ? Une lettre de la part de la commission qui lui en accusait la réception, et de la part de quelques journaux des critiques. Son expérience ne menait à rien ; il aurait dû prendre des fils de la même qualité de lin ; il aurait dû les teindre de la même couleur ; la couleur rouge appliquée au fil mécanique, mangeait le fil et énervait sa force. Il a fait un défi à ces criards, aux frais de celui qui aurait eu tort, de recommencer son expérience, qu'il aurait fait teindre le fil filé à main en rouge et le fil mécanique en bleu, couleur que l'on dit fortifier les fibres du fil et qu'il serait arrivé au même résultat. On ne lui a plus répondu et le tout est resté là. C'est cette expérience que je demandais, le 29 janvier, de faire imprimer par le gouvernement et de faire publier dans toutes les localités où l'industrie linière s'exerce, non pas une seule fois, mais tous les dimanches après le service divin. C'est cette expérience que je voudrais encore voir renouveler, de toutes les manières, afin d'en connaître au juste la vérité.
J'en ai parlé en dehors de la chambre, on m'a répondu que cette expérience ne venait plus à propos, vu l'immense amélioration de la filature à la mécanique depuis 1839. Ce nonobstant, je voudrais, moi, qu'on en fît de nouvelles, dans l'état actuel des choses, assuré qu'elles tourneraient encore au profit de la filature à la main.
Nous avons dépensé tant de milliers de francs pour l'enquête sur l'industrie linière qui nous a appris si peu de chose, ne conviendrait-il-pas de sacrifier encore 4 ou 500 francs, pour nous assurer sur le mérite et la valeur respectifs des deux espèces de fil, ce qui nous apprendrait tant ? Il serait possible que cette seule connaissance, divulguée dans toutes les localités, relèverait la filature à la main de l'abaissement où elle se trouve.
Toutefois elle a besoin d'autres protections plus directes. Nous devons savoir tous que c'est le bon lin qui produit le bon fil, comme c'est le bon fil qui produit la bonne toile. D'où il suit que, malgré sa grande supériorité, la filature à la main, n'ayant qu'une qualité médiocre de lin à travailler, ne pourrait soutenir la concurrence avec la mécanique, si celle-ci travaille la première qualité de nos lins. Or, nous savons que l'étranger accapare nos premières qualités de lin. Il n'attend même plus qu'il soit serancé ou teillé, il vient l'acheter sur pied. Nous savons d'ailleurs que nos fileuses en général sont pauvres, au point de ne pas pouvoir toujours se procurer le mieux de ce que l'étranger nous laisse ; ceci passe encore à nos filatures mécaniques indigènes. Si donc nous voulons soutenir notre antique industrie linière, et la faire briller à toujours sur les marchés étrangers, nous devons lui procurer cette première qualité de lin. Si nous voulons d'ailleurs que nos filatures mécaniques indigènes aient un avenir, nous devons mettre des bornes à l'exportation de nos premières qualités de lin, nous devons décréter des droits à la sortie.
Comment procurerons-nous ce lin de première qualité à nos pauvres fileuses ? cette protection sera-t-elle suffisante, dans la détresse où se trouve le filage à la main ? Quelles autres protections le gouvernement pourrait-il leur accorder ? Toutes ces choses sont à examiner. Il suffit que nous devons la soutenir si nous voulons donner un avenir à nos exportations. Il suffit que c'est la détresse de cette seule industrie qui nous oblige à accepter le traité, et que les avantages qu'il nous offre seront de peu de durée, si nous ne parvenons pas à la faire revivre.
Au surplus pénétrons-nous bien que c'est la nécessité seule de son adoption qui puisse justifier le traité à notre égard aux yeux des autres puissances et nous soustraire à des conséquences fâcheuses. Pour développer cette thèse je devrais entrer dans de longues considérations politiques, et remonter aux actes de 1815 et du traité des 24 articles, ce qui m'entraînerait trop loin, j'y renoncerai pour le moment.
M. de Roo. - On ne peut raisonnablement s'opposer au traité en discussion que : 1° par l'ignorance du mal immense qui affecte l'industrie linière, et auquel il est si nécessaire de porter un prompt remède ; ou 2° par l'indignation qu'on éprouve de devoir faire de nouveaux sacrifices à la France, envers laquelle nous avons déjà fait tant de concessions sans aucun retour.
Mais malheureusement le mal n'est que trop réel ; et les démonstrations, faites par les notabilités du pays où l'industrie linière s'exerce particulièrement, ne l'ont que trop confirmé pour pouvoir en douter encore.
Aussi l'indignation qu'on éprouve n'est pas moins fondée ; on nous prend pour un pays ami, et ou nous traite comme ses plus cruels ennemis ; on ruine tour à tour nos industries, et notre mauvais système de douanes les seconde singulièrement dans leurs entreprises.
Nous avons perdu notre industrie huilière, si florissante et si répandue autrefois parmi tout le pays. Les graines oléagineuses entrent librement en France ; nos huiles y sont repoussées par des droits exorbitants, et ils nous envoient leurs tourteaux à des prix qu'ils fixent à volonté, puisqu'on ne peut s'en passer pour l'agriculture.
Les blanchisseries belges, naguères si renommées, ont disparu tout à tout sous le même système. Les teintureries les ont suivi de près.
Nos meilleurs lins sont enlevés par les étrangers, et tout cela grâce au tarif des douanes.
Il est donc urgent de remanier tout le tarif, de l'approprier à nos besoins commerciaux et industriels, et de s'entourer de spécialités à cet effet, de former un concours afin de voir sortir, au moins une fois, un bon œuvre financier digne du pays et du ministère.
Mais qu'on ne s'y trompe pas, l'ordonnance ne fera que végéter l'industrie linière, car nos toiles resteront toujours frappées de 15 à 20 p. cent avant d'être admises sur le marché français ; ce n'est donc pas avec si grande faveur que nous devons accueillir le bienfait du traité ; lequel cependant, combiné arec d'autres mesures à prendre, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, pourra produire un effet salutaire sur cette intéressante classe d’industriels qui reprendront courage, entrevoyant une lueur de prospérité qui leur est si nécessaire dans la profonde adversité où ils se trouvent.
Inutile de dire tout ce que le ministère peut faire encore en faveur de l'industrie en général du pays : mais un traité avec l'Espagne nous serait d'un grand avantage et aurait cet effet, que, si la France nous retire le sien, nous aurions du moins un débouché vers ce pays tout en recevant ses produits, notamment son vin, qui pourrait finir par exclure totalement celui de la France, si répandu actuellement dans tout le pays ; car, si j'en suis bien informé, il y a des vins en Espagne, encore inconnus dans ce pays, qui pourraient fort bien remplacer les vins français. Nous pourrions également tirer nos soies de l'Italie, et introduire et encourager cette industrie dans notre pays à l'aide de lois protectrices.
Que la France ne s'y trompe pas, quelques députés, rivaux du Nord, pourraient faire plus de tort à la France même qu'à la Belgique ; et si l'industrie française ne peut lutter avec un droit protecteur de 20 p. c., elle ne le pourra pas davantage avec le droit de l'ordonnance ; elle fera un tort à la Belgique il est vrai, mais les fabriques en France auront bientôt détruit ce que les ordonnances auront voulu établir.
Nous acceptons le traité comme une nécessité actuelle, tout en engageant le ministère à ne pas perdre de vue ce qui pourrait arriver à l'avenir, et de se préparer dès à présent à des mesures propres à parer le coup pour le cas échéant.
M. Delehaye. - Messieurs, la plupart des membres qui ont pris part à la discussion qui nous occupe, vous ont dit que la nécessité serait le seul mobile du vote qu'ils émettraient. Moi aussi, j'obéis à cette nécessité, mais, avant tout, il m'importe de faire connaître à qui il faut attribuer cette nécessité où nous nous trouvons.
Messieurs, souvent dans cette enceinte, quand il s'est agi de l'industrie linière, j'ai été l'organe de mes compatriotes en disant que le gouvernement négligeait cette industrie, que le gouvernement ne prenait pas les mesures qui tôt ou tard pouvaient la relever, et que le défaut de ces mesures aurait pour résultat qu'incessamment cette industrie serait anéantie.
Le gouvernement, dans la convention qui nous est soumise a, d'après moi, méconnu les intérêts du pays. Tout ce qui a été dit dans cette enceinte par les députés des Flandres aussi bien que par les députés des autres provinces, rentre dans mon opinion à cet égard.
Il eût été facile, pour des hommes ayant quelque connaissance de la position industrielle de la France et de la Belgique, de conclure le traité le plus favorable à notre pays. L'industrie belge et l'industrie française ne sont pas dans des conditions telles qu'alors même que la douane serait supprimée entre les deux pays l'une dût détruire l'autre. Il y a bien dans les deux pays quelques industries similaires, mais aucune n'a sur l'autre des avantages tels qu'elle doive détruire sa rivale.
D’un autre côté, la France fabrique une quantité d'objets de luxe dont la Belgique a besoin et qu'elle ne favorise pas, tandis que la Belgique produit de son côté quantité d'objets que la France est heureuse de recevoir. Cependant dans une position aussi favorable, comment se fait-il que le gouvernement vienne aujourd'hui nous obliger à donner notre assentiment à une convention que les députés des Flandres doivent désapprouver bien qu'elle soit utile à leurs provinces ?
Par cette convention vous accordez à la France une réduction de droit sur les vins et les soieries, deux objets éminemment imposables pour lesquels la France n'avait à craindre aucune concurrence, puisque la Belgique ne produit ni vins ni soieries. Je sais qu'on fabrique bien quelques articles de soieries en Belgique, mais ce n'est pas assez important pour s’en occuper.
Comment se fait-il alors qu'on ait fait à la France une concession sur des objets dont la consommation n'augmentera pas en Belgique malgré cette concession ? Parce que le gouvernement français a dû céder aux réclamations de quelques départements et exiger cette concession, et la Belgique, de son côté, pourquoi a-t-elle été obligée de l'accorder ? Parce que le gouvernement belge avait laissé passer l'époque où il était possible de prendre des mesures efficaces.
Il y a un an, mes amis et moi nous avons signalé la perte qui devait résulter pour l'industrie linière de l'amendement de M. Delespaul. Ces amis et moi, nous avons fait remarquer les conséquences qui devaient résulter, pour notre industrie, de la mesure prise contre les blondines. Quand la France a pris cette mesure, nous avons dit : Répondez à la France, non par des représailles, mais par des mesures de réciprocité ; dites-lui : vous voulez protéger votre industrie, nous le concevons, vous faites très bien ; mais nous aussi nous devons protection à notre industrie. Vous augmentez la charge qui pèse sur les produits de notre industrie ; d'un autre côté ne trouvez pas mauvais que nous imitions votre exemple et que nous augmentions les charges qui pèsent sur votre industrie. Voilà comment devait agir un gouvernement ayant le sentiment des convenances et la moindre idée des besoins de l'industrie. Mais qu'a-t-il fait ? Il a envoyé à Paris une députation composée de deux gouverneurs de province ct d'un membre de l'opposition, que précédait une réputation de talent justement acquise. Mais ces hommes avaient-ils le moyen de réussir ?
Ces hommes avaient-ils de quoi forcer la France à nous faire des concessions ? Sous aucun rapport. Rappelez-vous, messieurs, les observations que je vous fis alors ; je vous dis : Vous envoyez en France une députation, elle reviendra sans avoir rien fait.
En lisant le rapport de M. Cunin-Gridaine, j'ai vu que le ministère avait commis la faute la plus grave, j'ai vu que le motif pour lequel la députation n'a rien fait, c'est précisément parce qu'elle n'a pas voulu prêter la main aux exigences du gouvernement français. En effet, que dit M. Cunin-Gridaine ? Que les négociations entamées avec la Belgique, tendant à obtenir des concessions sur les vins, les sels et les soieries, n'étant pas encore arrivées à leur terme, on a dû ajourner l'exception jusqu'à la conclusion définitive de ces arrangements.
Ces négociations durent depuis plus d'un an et chaque fois que j'ai interpellé le ministère sur l'état des négociations, il a toujours répondu qu'elles n'étaient pas terminées, qu'elles n'étaient pas rompues. Voilà ce qu'il a continuellement avancé.
Vous venez de voir que, dès le principe, le gouvernement français a demandé ces concessions, le gouvernement belge a continué à négocier et il a fini par concéder ce qui avait été primitivement demandé.
Je suis étonné que, contrairement à ce qui se passe dans les pays constitutionnels on n'ait pas déposé sur le bureau toutes les pièces se rattachant à la convention, comme cela se fait en France et en Angleterre. Si on l'avait fait, nous aurions pu nous éclairer sur la marche qu'a suivie la négociation.
Mais il est clair que, dès le principe, on a négocié sur la base de concessions à faire à la France. Dès l'instant que vous laissiez entrevoir à la France la possibilité de concessions sur les vins et les soieries, elle ne devait rien vous accorder sans avoir obtenu ces avantages, et de votre côté vous ne pouviez pas vous y soustraire. Vous n'ignorez pas cependant, et le gouvernement français, j'en suis convaincu, sait que la consommation du vin et l'usage de la soierie n'en augmenteront pas pour cela.
Le seul moyen de diminuer la consommation du vin, c'est de hausser le droit ; le diminuer n'augmentera point l'importation, parce que le prix du vin seul est un obstacle à une plus grande consommation.
Mais le gouvernement français a dû se soumettre aux exigences des département vinicoles. C'est pour cela qu'il a insisté. Et comme le gouvernement belge a été assez bon pour faire de pareilles offres, le gouvernement français devait en tirer avantage.
J'ai commencé par vous dire que le gouvernement belge avait fait preuve d'ignorance complète des besoins de notre industrie. Je vais le prouver : La France, l'année dernière, a pris deux mesures extrêmement graves, l'amendement de M. Delespaul et la proposition contre les blondines. Ces mesures étaient dirigées contre l'Angleterre. L'industrie française ne repoussait nullement nos toiles, elle savait qu'elle en avait besoin, elle savait que nos blondines lui étaient utiles. C'était contre l'Angleterre seule que la disposition avait été prise, la France savait que l'industrie anglaise était poussée si loin que tôt ou tard, elle devait compromettre l'existence de l'industrie française.
Elle savait aussi qu'il n'en était pas de même de l'industrie belge, que la production de celle-ci était limitée, elle savait qu'il était impossible que la Belgique produisît plus de fils et de toiles qu'elle n'en produit aujourd'hui, qu'il était du moins impossible qu'elle produisît au-delà de 30 à 35 millions de toiles. En effet, quelle que soit votre prospérité, vous ne pourrez jamais excéder de beaucoup la quantité que vous avez exportée dans les années les plus prospères. La France sait aussi très bien que nous produisons tout ce que nous pouvons produire, l'agriculture et l'industrie s'opposent à une plus grande production.
Comment se fait-il que la France, qui a connaissance de ces faits, ayant pris les mesures dont je viens de parler, contre l'Angleterre, les ait maintenues à notre égard ; comment se fait-il que le gouvernement belge n'ait pas insisté pour faire rapporter à notre égard la mesure concernant les blondines et l'amendement Delespaul. Cet amendement avait surtout en vue la fabrication anglaise. Il fait compter comme fil entier toute fraction de fil, mesure qui, je le répète, a été dirigée contre l'industrie anglaise. Comment le gouvernement belge n'a-t-il pas fait voir qu'en retirant cette mesure le gouvernement français ne portait aucun préjudice à son industrie et nous était très favorable, en ce qu'elle est un sujet de vexation pour nous, sans accorder à elle-même aucune protection. Cependant le gouvernement belge, sur ce point encore, n'a nullement porté son attention, et ces mesures sont restées ce qu'elles étaient ayant le 26 juin.
Vous voyez donc que, si j'ai commencé par faire des reproches au gouvernement, j'ai eu raison, car ces négociations ont été entamées avec légèreté, pour ne rien dire de plus.
Je dois un mot de réponse à un honorable membre siégeant à ma droite, qui croit que le gouvernement, en admettant la convention, n'a fait que céder aux clameurs des Flandres.
Ce qu'il appelle des clameurs n'a été que des démarches très constitutionnelles. Quelques députations se sont adressées au Roi et au gouvernement pour exposer la position malheureuse de notre industrie et l'engager à prendre, pour la relever, les mesures que la dignité et l'intérêt du pays exigeaient. Ce ne sont pas là des clameurs. Ces députations, dont j'ai eu l'honneur de faire partie, ne sont pas sorties des limites constitutionnelles. Si les Flandres sont sorties, en cette circonstance, de leur apathie ordinaire, c'est que, depuis quelque temps, des mesures de toute nature avaient été prises contre elles, elles avaient vu détruire toutes leurs industries.
Cependant, pour ma part, je n'ai pas voté contre les mesures prises dans l'intérêt du Hainaut, contre la construction du canal de l'Espierre que le Hainaut réclamait et qui devait nuire aux Flandres. Quelles sont celles de nos industries qui soient encore florissantes ? Elles sont presque toutes anéanties. La seule qui avait conservé quelqu'apparence de vie n'a pas fait entendre des clameurs, mais s'est présentée aux ministres et au Roi pour exposer en termes convenables sa misère et ses besoins. Si j'ai commencé par dire que dans toute autre circonstance j'aurais repoussé le traité qui nous est soumis, c'est parce qu'il nous impose des sacrifices considérables.
Cependant l'impartialité m'oblige à vous exposer les avantages du traité. Il éloigne l'Angleterre du marché français ; cet éloignement est une concession accordée à toute la Belgique, qui doit trouver tôt ou tard son principal intérêt sur le marche français, comme la France doit trouver son principal intérêt sur le marché belge. Tous nos efforts doivent tendre vers la suppression des douanes.
Eloigner l'Angleterre du marché français c'est faire un pas vers la suppression des douanes. Ce ne sera pas seulement l'industrie linière qui y gagnera, mais toutes les industries y trouveront leur profit. L'industrie houilleresse, par exemple ; l'Angleterre fournit une grande quantité de houilles à la France ; si les douanes sont supprimées, vos houilles prendront la place des houilles anglaises.
D'un autre côté, la Belgique peut offrir à la France d'immenses avantages. Aujourd’hui l'Angleterre nous fournit pour 30 millions d'objets manufacturés qui' se confectionnent en France et en Belgique. N'est-il pas de votre intérêt, comme de celui de la France d'éloigner de notre marché les produits anglais qu'il nous serait si facile de remplacer ? D'autant plus que l'Angleterre n'exporte pour ainsi dire de nos produits que ceux qu'elle ne peut se dispenser de prendre chez nous, et qu'elle prendrait, alors même qu'elle ne placerait rien sur notre marché. Prenez donc des mesures contre l'Angleterre. La France et la Belgique y gagneront. Je me résume. Le traité, par cela même qu'il éloigne l'Angleterre du marché français, peut produire les résultats les plus avantageux pour notre commerce comme pour celui de la France, si l'intelligence et l'énergie ne font pas défaut au gouvernement belge.
M. Demonceau**.** - Je ne puis partager l'opinion de l'honorable préopinant que la convention faite avec la France ne soit pas très avantageuse, d'abord à la France, ensuite à l'industrie linière. Je dis qu'elle est très avantageuse à l'industrie linière et surtout à la Flandre que l'honorable préopinant représente. Je vous avoue que, quand je vois d'une part l'industrie linière se maintenir, au moyen de sacrifices immenses à charge du trésor, alors que l'industrie drapière qui ne demande pas cela, mais un tarif sagement protecteur, ne peut l'obtenir, je suis étonné d'entendre d'honorables préopinants se plaindre du résultat.
Que diraient-ils donc si les produits de l'industrie linière étaient prohibés en France, comme le sont ceux de l'industrie drapière ? Vous devriez alors faire ce que fait l'industrie drapière, vous contenter du marché intérieur. Non seulement la convention établit à toutes nos frontières des droits exorbitants en faveur de vos produits, mais encore on fait un sacrifice d'un million pour vous conserver le marché de la France. L'industrie drapière ne peut pénétrer en France. Je suis obligé de m'en expliquer, parce que M. le ministre des affaires étrangères ne s'en est pas expliqué assez clairement. L'industrie drapière demande au gouvernement une protection de 10 à 12 p. c., ainsi moins que la France et l'Angleterre n'accordent à cette industrie.
Qu'est-il arrivé, en 1838, lorsque nous avons voté la loi, qui était une concession faite à la France, et qui a eu un tout autre résultat que celui que nous en attendions ? Alors encore, nous ne demandions au gouvernement qu'une protection de 10 p, c. ; nous ne l'avons pas obtenue.
La France a un système bien autrement protecteur : d'abord, elle établit un droit sur les laines à l'entrée ; et sous prétexte de restituer les droits, elle donne une véritable prime à la sortie.
Les tissus de laine sont en général frappés en Belgique d’un droit de 2 fr. 50 c. par kilogrammes, ou 250 fr. les 100 kilogrammes, c'est le tarif prussien. C'est le tarif le plus bas de tous les pays voisins. Voici comment on a procédé : Pour certaines catégories de tissus, on a admis le chiffre de 250 fr. ; pour les autres catégories, les tissus les plus légers, on a admis le chiffre de 180 fr. Il en résulte que tous les tissus légers viennent de l'étranger. Il n'est même pas possible à l'industrie indigène de tenter sans perte la concurrence. Comment voulez-vous, en effet, qu’elle puisse lutter contre l'industrie étrangère soumise à un droit qui n'équivaut pas à 4 p. c., surtout vis-à-vis des pays qui accordent des primes ? savez-vous ce qui en résulte ? C'est que les négociants étrangers ont de l'avantage à importer en Belgique, même en payant les droits. Ainsi je crois que les tapis français peuvent être vendus à meilleur marché que les tapis de Tournay. Le mérinos français a une prime de 300 fr. à la sortie, et ne paie un droit d’entrée que de 180 fr.
J'espère que mes observations engageront le gouvernement à faire droit aux justes réclamations des producteurs de fils et tissus de lin, et à prendre une mesure quelconque, par une loi ou autrement.
Je ne veux en aucune manière entraver nos relations avec la France. Je crois qu'il est nécessaire que nos relations soient le plus étroites possibles. Mais quand je vois les sacrifices qui nous sont imposés, je regrette d'être obligé de voter pour cette convention.
M. de Brouckere. - Si la convention conclue entre le gouvernement belge et le gouvernement français nous avait été présentée avant l'apparition de l'ordonnance du 26 juin, je regarde comme certain qu'elle eût été rejetée à une grande majorité, comme contraire à nos intérêts et surtout comme compromettant avenir.
Au point où les choses en sont venues, et sans rechercher si l’on n'a point manqué de prévoyance et de fermeté, je crois qu’il y a nécessité d'approuver la convention ; mais en me soumettant à cette nécessité, je tiens à déclarer que je ne me dissimule pas quels seront, bien moins aujourd'hui que plus tard, les désastreux résultats qu'elle aura pour ce pays.
M. Jadot. - Messieurs, les droits déjà si élevés que payaient les fils et les toiles de lin à leur entrée en France, viennent d’y être considérablement augmentés.
L'industrie linière qui se soutenait avec peine, semble aujourd'hui menacée d'une ruine complète.
Ce danger a vivement ému les fileurs et les tisserands en grand nombre, qui vivent de cette industrie dans les deux Flandres, et le gouvernement lui-même s'en est ému ; 600,000 ouvriers à la veille de se trouver sans travail, deux riches provinces devant bientôt offrir l'affligeant spectacle que présentent aujourd'hui plusieurs districts manufacturiers de l'Angleterre ; l'irritation toujours croissante des esprits, la révolte peut-être, tout cela était bien fait pour éveiller sa sollicitude et l'obliger à aviser au moyen de venir en aide à cette industrie ; c'est ce qu'il a fait en signant la convention qu'il soumet aujourd'hui à votre approbation.
Il serait bien inutile d'en discuter le mérite, puisque nous n’avons que l'alternative de la rejeter ou de l'accepter telle qu'elle est, mais me croyant obligé dans cette grave circonstance à motiver mon vote, je vais examiner brièvement les concessions qu'elle renferme, si ces concessions sont, comme on le prétend, compatibles avec la dignité et les intérêts généraux du pays.
Dans cette circonstance nous n'avons pas traité avec la France ; nous avons consenti à subir les conditions qu'elle a voulu nous imposer.
Par cette convention la France règle notre tarif des douanes à l'égard des vins et des soieries qu'elle importe en Belgique, elle s'immisce dans l'administration intérieure du pays en fixant le taux, qui ne pourra être excédé, de nos droits d'accises et d'octrois sur ses vins, quelque grands que soient les besoins de nos villes à octroi, il est désormais interdit à notre gouvernement de leur permettre de majorer ces droits, alors même qu'elles n'auraient que ce moyen de se procurer les ressources nécessaires pour faire face à leurs besoins.
Malgré mon vif désir d'aider le gouvernement à faire sortir l’industrie linière de l'état de détresse dans lequel elle se trouve, il m'est impossible de reconnaître que de semblables concessions sont compatibles avec la dignité du pays. J'en dis tout autant de la permission que la France nous donne de pouvoir accorder à d’autres nations des réductions de droits sur leurs vins et leurs soieries égales à celles qu'elle-même s'est adjugées une semblable permission me paraît bien humiliante pour nous ; le gouvernement aurait bien fait de ne pas se vanter de l'avoir sollicitée.
Toutes les industries étant en souffrance, l'intérêt général ne peut se résumer dans la seule industrie linière qui, comme toutes les autres industries, doit subir les conséquences des procédés nouveaux introduits dans la fabrication.
Il est impossible que la fabrication à la mécanique, qui n’emploie qu'un petit nombre de bras, ne tue pas, en très peu de temps, en Belgique comme ailleurs, la fabrication qui emploie 600,000 fileurs et tisserands et coûte beaucoup.
Notre industrie linière, pas plus qu'aucune autre, ne peut rester stationnaire ; déjà des industriels belges ont établi des ateliers qui font concurrence à nos fileurs dans les Flandres, mais bientôt d'autres ateliers feront concurrence à nos tisserands. Il est donc très vraisemblable que la fâcheuse position dans laquelle l'industrie linière se trouve aujourd'hui sera bien plus fâcheuse encore à l’expiration du terme fixé pour la durée de la convention, et que restera-t-il alors ? Les impôts que vous aurez créés ?
L'exposé des motifs du projet de loi évalue à 400,000 fr. la diminution que les concessions faites à la France apporteront dans les produits de 3 et demi mois de 1842. Ce déficit, en 1843, sera de plus d'un million, non compris les restitutions à faire aux marchands de vins et la diminution du droit de patente des bateliers étrangers qui, à partir de 1843, seront assimilés aux bateliers belges.
L'augmentation que devront subir les impôts sera vue de mauvais œil partout, même dans les Flandres, parce que partout on trouve que les charges sont déjà assez lourdes.
Elle mécontentera surtout les contrées pauvres, désintéressées dans cette question industrielle et qui, jusqu'à ce jour semble n'appartenir à la communauté belge que pour en supporter les charges. En effet, vous savez l'inutilité de leurs demandes pour obtenir les routes et les canaux dont l'absence est pour elles un obstacle insurmontable à l'amélioration de l'agriculture, leur unique ressource.
Des concessions nous étaient dues par la France en compensation de celles que nous lui avons précédemment faites. Des négociations destinées à les réaliser sont restées ouvertes pendant longtemps, sans que jamais l'on nous ait fait connaître les difficultés que rencontrait la conclusion de l'arrangement qu'elle avaient pour objet.
Les deux gouvernements n'ayant pu s'accorder sur les moyens de trancher ces difficultés, la France s'en est chargée : Par son ordonnance du 26 juin, elle nous a fait une position dont elle a espéré que nous nous rachèterions au prix des concessions qu'elles voulaient nous arracher sans nous en accorder aucune. C'est ce que lui assure la convention du 15 juillet.
Je suis loin de croire que notre gouvernement ait consenti d’avance à accepter la position dans laquelle nous nous trouvons, afin d'obtenir comme une nécessité notre consentement aux sacrifices qu'il a consentis. Je crois, au contraire, que la mesure hostile à notre industrie linière a fait sur lui la fâcheuse impression qu'elle a produite dans tout le pays. Comment se fait-il toutefois qu'il n'ait pas compris que le jour même où l'ordonnance du 26 juin a été connue, la dignité du pays exigeait que l'on usât de représailles envers la France ? Ce jour-là, il fallait prohiber l'entrée des vins français en Belgique, et laisser aux populations des départements vinicoles le soin d'amener leur gouvernement à nous proposer un arrangement équitable, également avantageux aux deux pays, et nous ne l’aurions pas attendu longtemps.
De toutes les conséquences de cette convention, la plus déplorable, à mon avis, c'est la déconsidération dont elle nous frappera à l'étranger, lorsque l'on verra l'asservissement de notre gouvernement aux exigences, aux volontés de la France. Quand cette convention aura été ratifiée, oserons-nous encore parler de notre nationalité, de notre indépendance ? Quant à moi, je m'en garderai, je mentirais à ma conscience.
Je ne suis pas insensible aux souffrances des populations des Flandres. Je voudrais personnellement pouvoir leur venir en aide. Mais la seule considération que cette convention porte une grave atteinte à l'honneur du pays, aurait suffi pour motiver mon vote négatif. L'honneur avant tout !
M. Lebeau. - Mon intention n'était pas de prendre part à cette discussion. Décidé à voter pour l'adoption du traité, je croyais pouvoir me dispenser de prendre la parole ; mais M. le ministre des affaires étrangères a paru attribuer au silence des membres de la chambre une signification que, pour ma part, je ne puis admettre. Mon vote emporte la reconnaissance d'une espèce de contrainte morale, d'une nécessité que je subis. Mais je ne voudrais pas qu'il emportât, aux yeux de. M. le ministre des affaires étrangères, l'approbation des négociations dont la convention actuelle est le résultat.
Il est infiniment regrettable d'avoir à discuter une convention dont l’adoption est, à tort ou à raison, regardée par plus de deux cent mille malheureux ouvriers comme une loi de salut. Lorsque de telles opinions ont été accréditées dans le pays, je dis qu'il y a une véritable contrainte morale qui pèse sur la législature.
Mais je crois devoir protester contre l’idée que nous ne trouverions rien à redire dans les négociations qui ont amené la convention. Admettre une telle interprétation, ce serait supposer d'abord que nous avons connaissance des négociations ; or, elles nous sont inconnues. Peut-être, si des intérêts graves n'avaient pas à en souffrir, le gouvernement devrait-il faire connaître ces négociations pour se soustraire au reproche de les avoir conduites de manière à laisser paraître l’ordonnance du 26 juin sans exception en faveur de la Belgique. Le gouvernement n'a pas été pris au dépourvu à l’égard de cette ordonnance, car elle avait été publiquement annoncée par M. Cunin-Gridaine, car M. le ministre des affaires étrangères nous a dit tout à l'heure qu'une négociation, d'abord générale, entamée pour obtenir des concessions mutuelles sur divers articles des tarifs français et belges avait fini par se concentrer uniquement sur l'industrie linière. En échange de l'exception on était dès lors disposé, selon lui, à offrir les compensations qui ont été insérées dans la convention.
Si l’on était disposé à offrir ces compensations, je me demande comment l’on n'a pas conclu avant la publication de l'ordonnance du 26 juin. La publication de cette ordonnance, sans exception en faveur de l'industrie linière belge , dans l'état où se trouvait cette industrie, d'après l'opinion du moins de ceux qui plaident le plus vivement sa cause, dépouillait le gouvernement et la législature de leur liberté d’action.
Le gouvernement, en laissant paraître l'ordonnance, sans qu'elle contînt une exception pour la Belgique, a associé la législature belge à cette contrainte morale qui dès lors a pesé sur lui. Pour prétendre à votre approbation, le gouvernement devait prouver qu'il lui avait été impossible d'obtenir l'exception, avant la publication de l’ordonnance du 26 juin. Mais après le retentissement qu'a eu et que devait avoir cette ordonnance, après les manifestations qui ont eu lieu, nous sommes dans cette situation que le gouvernement et les chambres, loin de se livrer à des récriminations contre le gouvernement français, doivent lui rendre grâce de ne pas avoir poussé plus loin des prétentions, auxquelles nous ne pouvions plus nous soustraire.
La chambre sait que je n'ai jamais été le prôneur d'une politique compromettante et aventureuse. La chambre sait bien que j'ai toujours, lorsqu'il s'est agi des relations internationales, montré la plus grande réserve, la plus grande modération. Mais une modération à laquelle je ne puis condescendre, c'est celle qui consiste à déclarer, à avouer sa faiblesse, en face d'un gouvernement avec qui on pouvait, grâce à une position tout exceptionnelle, traiter d'égal à égal.
C’est donc avec peine que j'ai entendu M. le ministre des affaires étrangères décrier ici le système des représailles. Je ne conseillerai jamais légèrement des représailles ; mais je dis qu'un gouvernement qui fait à la tribune la critique absolue des moyens de représailles, dit aux gouvernements étrangers : vous pouvez tout exiger de moi, vous pouvez me frapper avec toutes les verges, vous n’avez rien à craindre, je ne puis, je ne veux pas vous frapper à votre tour.
Qu'il me soit permis. de le dire ; sans exagérer la force du gouvernement belge, tout circonscrit qu'est notre territoire, par la richesse du sol, par la richesse des habitants, par nos belles et populeuses villes, la Belgique est un débouché considérable pour la France, considérable pour les soieries, considérables surtout pour les vins. Eh bien ! messieurs, à la veille d'une élection générale en France, lorsque les départements vinicoles faisaient entendre des doléances presqu'aussi générales et aussi énergiques que celles des Flandres, il est difficile de ne pas croire que si le gouvernement belge avait dit : Si vous n'introduisez pas une exception dans une mesure qui, de votre aveu, n'est pas dirigée contre moi, dans une mesure que le gouvernement français a annoncée publiquement être étrangère à la concurrence belge, il n'y aura qu'un cri dans le pays pour demander des représailles et le gouvernement aura la main forcée, le gouvernement devra s'associer à cet élan : frapper les soieries, les vins, etc. ; il est difficile de ne pas croire, dis-je, que si ce langage avait été tenu, tout en offrant des concessions moindres peut-être que celles qui sont insérées dans la convention du 16 juillet, on eût vu introduire dans l'ordonnance une exception en faveur de la Belgique. Je crois que ce langage eût pu être tenu avec succès, et je regrette d'être en droit de penser qu'on ne l'a pas tenu, en présence de la théorie de M. le ministre des affaires étrangères sur les représailles et sur l'inanité d'un pareil moyen.
Messieurs, la chambre est pressée d'adopter le traité ; je ne m'étendrai pas sur ces considérations générales : Je dis seulement que, par suite de la situation dans laquelle on s'est trouvé après la publication de l'ordonnance, la France a pu obtenir à peu près tout ce qu'elle aurait attendu d'une plus longue négociation. S'il plaît maintenant à la France, non pas de frapper spécialement la Belgique, mais d'augmenter son tarif général sur l'introduction d'autres produits, par exemple sur les fers, sur le charbon, sur quelles bases négocierons-nous pour obtenir une exception à ces surtaxes, alors que nous avons accordé à peu près tout ce qu'on demandait ? Bien certainement nous n'aurons presque rien à offrir de notre côté ; nous nous sommes dépouillés de nos meilleures armes.
Si de ces considérations générales, je descendais à l'examen de la convention, j'y vois, messieurs, deux dispositions qui me semblent appeler une critique légitime. On y voit d'abord inscrites une dépendance tout à fait insolite et complètement superflue de notre gouvernement envers le gouvernement français. Le second § de l'art 1er est ainsi conçu :
« Le gouvernement de S.M. le Roi des Belges s'engage d'ailleurs à appliquer à l'entrée des fils et tissus de lin ou de chanvre par les frontières autres que celle limitrophe, des droits semblables à ceux qui sont ou pourront être établis par le tarif français aux frontières analogues, etc. »
Ainsi, voilà le gouvernement belge qui se soumet à enregistrer aveuglément dans son tarif toutes les modifications qu'il plaira au gouvernement français d'introduire dans son tarif sur les fils et tissus de lin. Je concevrais, messieurs, que dans une situation donnée, le gouvernement français demandât que le gouvernement belge vînt discuter la convenance d'une pareille mesure, mais elle devrait être l'objet d'une négociation, d'une convention ultérieure. Dans les statuts même de l'union douanière allemande, quand il s'agit de modifier les tarifs, il faut le concours de tous les intéressés. On n'a pas accordé au gouvernement prussien, par exemple, la faculté de modifier à lui seul le tarif de l'union. Cela devient l'objet d'une convention spéciale ; on n'a reconnu à aucun gouvernement de l'union la faculté de modifier à lui seul les dispositions du tarif.
Cette clause me paraît difficile à justifier ; elle n'était pas indispensable ; je ne crois pas que la convention en dépendît.
Je dois dire aussi que si la disposition relative aux octrois peut se justifier en principe, on pouvait l’atténuer dans sa rédaction et dans sa portée. Je concevrais qu'on eût fixé une proportion maximum de droits que les octrois n’auraient pu dépasser. Mais voyez quelle va être la position de certaines villes dont le tarif sur les vins étrangers est très modéré.
Les villes qui ont frappé d'un droit élevé les vins étrangers, conserveront les avantages de leur tarif ; mais d'autres villes qui peuvent avoir des besoins financiers nouveaux et des villes qui jusqu'alors auraient frappé les vins étrangers de droits modérés, ne pourront plus, de ce chef, toucher à leur tarif. Je crois qu'il aurait été plus juste, plus logique de fixer un maximum ; on aurait d'ailleurs atteint ainsi le même but.
Messieurs, je crois la chambre pressée d'en finir ; je n'abuserai pas de ses moments. Je voterai pour le traité par les considérations que je viens d'émettre ; mais je n'entends pas qu'on fasse résulter de ce vote mon approbation pour la négociation qu’il a amenée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - L'honorable préopinant ne m’a pas bien compris ; je n'ai pas dit que les représailles étaient toujours inutiles ; je n’ai pas formulé de système à ce sujet. Ce que j’ai dit, c’est que, dans l’état actuel des choses, chaque gouvernement connaissant les ressources et les exigences de l'industrie et la nation avec laquelle il négocie, aussi bien que les siennes propres, la crainte des représailles ne pourrait l'arrêter, alors qu'il sait que ces représailles ne seront pas sérieuses ou devront cesser bientôt. Des velléités de représailles ne sont pas alors seulement inutiles, elles sont encore dangereuses.
Quant aux autres points soulevés par l'honorable préopinant, le moment de les traiter n’est pas venu. Lorsque la discussion sera ouverte sur chacun d'eux, je me réserve de les examiner en détail.
L'honorable membre a aussi été surpris que la convention n'eût pas précédé l'ordonnance. Un autre honorable membre y a trouvé en quelque sorte une preuve du manque de prévoyance, du manque de fermeté de la part du gouvernement. Je répondrai à tous les deux à la fois. Je pense au contraire que la publication de l'ordonnance ayant eu lieu sans que la Belgique y fût comprise, si ce n'est nominalement, peut, au contraire, servir de preuve que nous n'avons manqué ni de prévoyance, ni d'énergie : si nous eussions été imprévoyants, l'ordonnance eût paru sans que les droits de la Belgique à une faveur exceptionnelle eussent été reconnus. Si cette faveur de droit ne s'est point alors traduite en fait, c'est précisément parce que nous n'avons pas voulu faire tous les sacrifices qui nous étaient demandés, parce que nous avons résisté avec énergie jusqu'à la fin à des exigences qui nous semblaient dépasser la limite des concessions honorables que nous pouvions faire. Et cette prévoyante fermeté, je puis le dire, n'a pas été sans avantage pour le pays, car nous avons obtenu, par la convention actuelle, sur certains articles importants, plus qu'on n'était disposé à nous accorder avant l'ordonnance du 26 juin.
M. Pirmez. - Plusieurs orateurs ont dit qu'ils voteraient pour le traité, parce qu'ils y étaient en quelque sorte contraints moralement. Mais il faut examiner si cette contrainte morale qui existe aujourd'hui n'existera pas encore demain. Or, selon moi, la contrainte morale sera bien plus violente dans quatre ans qu'elle ne l'est aujourd'hui. Dans quatre ans l'industrie des fils aura pris des développements considérables, et alors on vous parlera plus hautement, bien plus fermement qu'on ne le fait aujourd’hui. C'est le propre des mesures protectrices d'augmenter dans l'avenir le mal qu'on n'atténue que pour un court espace de temps.
Vous allez maintenant exclure les fils anglais ; vous aurez obtenu une faveur en France ; il est évident qu'avec cet état de choses, l'industrie des fils se développera considérablement d'ici à 4 ans ; et alors, soit par la concurrence que vous fera le développement de l'industrie française, qui aura écarté les produits. anglais, soit encore, ce qui sera bien plus facile, par une mesure législative de la part de la France, vous vous trouvez dans une position bien plus défavorable qu'aujourd'hui ; et si, comme on l'a dit, vous avez été amenés à conclure le traité par l'influence des réclamations des Flandres, ces réclamations seront bien plus puissantes, plus influentes dans quatre ans qu'aujourd'hui.
Certes je serais un des premiers à admettre un traité avec la France. Mais le traité que nous discutons est absolument incomplet, il ne donne aucune garantie même pour ce qui existe. Si une nouvelle ordonnance menaçait les fers, les marbres, le charbon par exemple, quels moyens emploieriez-vous ? Il fallait un traité plus général.
Ainsi, je le répète, ce traité est absolument incomplet ; il fallait y comprendre tout ce qui concerne toutes les industries, et alors j 'aurais pu y donner mon assentiment. Je ne me soumets donc pas à la contrainte morale dont on a parlé, parce que je suis persuadé que cette contrainte morale serait plus grande à l'avenir que maintenant.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je suis presque au regret que la chambre semble décidée à abréger cette discussion et à tenir compte de l'urgence dans laquelle nous nous trouvons. Une discussion générale sur notre situation commerciale et industrielle, aurait eu un grand degré d'utilité. D'autres occasions se reproduiront sans doute.
S'il fallait rechercher les causes de la situation où nous sommes, il faudrait remonter très haut ; il faudrait remonter jusqu'au congrès national, jusqu'aux premiers changements faits à notre tarif des douanes sans qu'aucune concession réelle nous ait été accordée. Ceci tient à des théories qui semblent aujourd'hui avoir perdu leur empire.
Je ne rechercherai pas non plus quels sont ceux qui se sont montrés les plus ardents défenseurs de ces théories. Je laisse le passé à lui-même et je veux m'abstenir de toute récrimination.
Je me permettrai cependant de rappeler à la chambre quel est le cabinet qui, le premier, a semblé entrer dans une autre voie. Le cabinet actuel n'existait pas lorsque la loi du 6 mai 1841, qui a fait la première brèche, et la brèche la plus large aux concessions que la France nous avait faites, lorsque cette loi a été discutée dans les chambres françaises. Le cabinet actuel n’existait pas alors , et il ne pouvait par conséquent pas recourir à des mesures de représailles quelconques ; mais, dès sa formation, c'est le cabinet actuel qui a fait revivre l'art. 9 de la loi de 1822, et qui, à ses risques et périls, a fait le premier usage de cette loi. En défendant cet acte du cabinet actuel, j'ai dit, messieurs, que nous regrettions de ne pas nous être trouvés aux affaires lorsque la loi du 6 mai 1841 a été discutée en France, que dès lors nous aurions saisi l’occasion de faire revivre l'art. 9 de la loi de 1822.
Ainsi, messieurs, le ministère actuel a fait ce que les ministères précédents n'avaient pas fait ; il a donné quelque action au gouvernement vis-à-vis des gouvernements étrangers en faisant revivre l'art. 9 de la loi de 1822.
Les discours de plusieurs des honorables préopinants peuvent se réduire à ceci : « Nous acceptons l'acte, mais nous nous réservons de désapprouver le ministère. » Je crois, messieurs, que l'on serait plus conséquent en rejetant également l'acte, car si des mesures de représailles pouvaient être toutes puissantes, il y a quelques mois, de semblables mesures peuvent encore être efficaces aujourd'hui.
Le gouvernement aurait pu obtenir une convention portant exception à l'ordonnance du 26 juin, avant que cette ordonnance ne fût publiée. S'il n'a pas obtenu une semblable convention, c'est qu'il n'a pas voulu celle qu’on lui offrait ; et en effet il a obtenu aujourd’hui des conditions meilleures à certains égards. (Marques d'étonnement.) Nous vous déclarons, messieurs, que les conditions que nous avons obtenues sont, à certains égards, meilleures que celles qu'on nous offrait avant que l'ordonnance ne fût rendue.
Ainsi, messieurs, il nous est démontré que, par des représailles nous n'aurions pas pu nous soustraire aux effets de l'ordonnance du 26 juin. Des négociations ont été ouvertes avant que l'ordonnance ne fût rendue ; le gouvernement français a tenu ces négociations ouvertes et elles ont amené la convention qui est en ce moment soumise à la chambre. Il importe d'arrêter notre attention sur ce point, de ne pas perdre de vue que la convention ne crée qu'une situation précaire ; quatre années se passent bien vite ; c'est une espèce de convention du 21 mai pour une de nos grandes industries.
Il ne faut pas, messieurs, vous laisser prendre au dépourvu dans l'avenir ; il faut rechercher, le gouvernement et les chambres doivent rechercher quelles modifications nous devons apporter à notre système douanier, à notre système commercial et industriel. Il faut que nous mettions à profil les quatre années que nous avons devant nous pour fonder un système commercial et industriel. Voilà, messieurs, la véritable leçon que moi je tire de cet incident, car je ne considère encore cet acte que comme un incident ; c'est là la leçon que je tire de cet incident pour tout le monde, pour le gouvernement comme pour les chambres. Vous voudrez bien me pardonner cette dernière réflexion.
(Moniteur belge n°215, du 3 août 1842) M. de Mérode. - Messieurs, je partagerais l'opinion de l'honorable M. Pirmez, s'il était question d'encourager le développement de l'industrie linière par l'exportation. Or, il ne s'agit pas de lui donner de l'extension croissante, mais simplement de soutenir les moyens d'existence créés d'ancienne date pour des milliers de familles ; c'est là un besoin impérieux auquel il faut accorder une sollicitude exceptionnelle.
Nous voyons en effet aujourd'hui dans quelle situation se trouve l'Angleterre, qui a ainsi exploité les autres nations. Je crois qu'il faut éviter de tomber dans cette situation ; aussi je me garderai bien de faire des sacrifices pour procurer à des industries nouvelles d'autres marchés que le marché intérieur, parce que je pense qu'il ne faut pas laisser la clef du pain que l'on mange entre les mains de ses voisins.
Quant aux représailles dont d'honorables membres, et entre autres l'honorable M. Lebeau, nous ont parlé, pour les exercer il faut avoir des moyens efficaces de réprimer la fraude ; il faut avoir, par exemple, l'estampille, la recherche à l'intérieur et d'autres mesures que j'ai proposées d'accord avec plusieurs de mes honorables collègues ; or, c'est là ce qu'on nous a constamment refusé, ce que l'on a constamment ajourné, et dès lors, il est ridicule de proposer des mesures de représailles, quand nous n'avons pas le moyen d'en exercer avec efficacité. Si vous établissiez des droits élevés sur les soieries, qu'en résulterait-il ? C'est que le trésor public ne recevrait plus rien et que les soieries entreraient comme auparavant.
Comme le disait M. le ministre des affaires étrangères, les gouvernements étrangers savent très bien ce qui se passe chez nous, ils connaissent parfaitement les moyens dont nous disposons pour repousser la fraude, et dès lors, il serait fort inutile de parler de représailles aussi longtemps que ces moyens ne seront pas rendus plus forts.
Je suis très disposé, messieurs, à voter en faveur de la convention qui doit donner des moyens d'existence aux nombreuses populations des Flandres ; mais, comme cette convention porte atteinte aux revenus du trésor, je regrette de devoir l'adopter avant que nous n'ayons créé des ressources au moins égales à celles que le trésor va perdre, par suite de la diminution des droits sur les vins. Depuis longtemps, une loi sur les sucres nous est soumise et je crains qu'il ne s'écoule encore beaucoup de temps avant que nous n'en venions à voter cette loi. D'après ce qu'a dit dernièrement l'honorable M. .Mercier, la section centrale ne pourra faire son rapport que dans une quinzaine de jours, Je vois que, pour cette loi, l'on s'arrête principalement devant une difficulté qui n'est pas bien grande à mes yeux, je veux parler de la question du sucre de betteraves. La betterave est un moyen très secondaire de fabriquer du sucre ; ce n'est qu'à force de privilèges qu'une industrie semblable à celle du sucre de betteraves peut subsister, et, quant à moi, je voudrais que l'on s'occupât fort peu de cette industrie. Nous avons besoin de moyens de subsistance, et la culture de la betterave destinée au sucre ne nous donnera point de blé ni de pommes de terre, ni tout autre denrée de première nécessité. J'engage donc M. le rapporteur de la section centrale à activer autant que possible son travail et à ne pas s'occuper autant du sucre indigène, qui ne subsiste qu'à nos dépens.
(Moniteur belge n°214, du 2 août 1842) M. Verhaegen. - Messieurs, les observations rétrospectives de M. le ministre de l'intérieur, m'engagent à prendre la parole et j'ose espérer que vous voudrez bien me donner quelques moments d'attention.
M. le ministre de l'intérieur vous a dit, messieurs, que pour connaître la cause de notre position commerciale, il fallait remonter à 1838 ; il vous a dit que c'était à certaines théories qui avaient prévalu alors, qu'ils fallait attribuer cette position, et il a eu soin d'ajouter que le ministère de 1841 actuel était tout à fait étranger à la marche qui avait été suivie. C'est ainsi que le cabinet actuel veut rejeter sur d'autres une responsabilité arbitraire qui doit exclusivement peser sur lui.
Messieurs, personne mieux que moi ne peut rendre compte de ce qui a été dit et fait dans cette enceinte en 1838. On me traitait alors d'exagéré, d'excentrique ; je soutenais avec beaucoup de chaleur, il est vrai, le système que la grande majorité de cette chambre soutient aujourd'hui.
Moi aussi, en 1838, je demandais des mesures de représailles et nous étions, je pense, à cette époque, dans une position à peu près semblable à celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Eh bien messieurs, on n'a pas voulu faire droit à mes réclamations : à peine a-t-on daigné m'écouter ; il fallait, disait-on, être large à l'égard d'un pays ami ; on ne voulait pas de ces idées rétrécies, on proclamait la liberté illimitée du commerce, et quand j'invoquais certains principes d'économie politique, on me répondait par des reproches d'exagération. Le temps a prouvé que j’avais raison et que mes adversaires avaient tort ; en 1842 l'on vient soutenir dans cette enceinte absolument la même thèse que celle que je soutenais en 1838, et que l'on condamnait alors d'une manière peu bienveillante.
La section centrale, dans son rapport, a constaté tout cela, et, je l'avouerai franchement, en lisant les explications qu'elle a données, j'ai cru que ses conclusions allaient être contraires au traité. En effet, ce rapport est d'autant plus explicite que j'y retrouve plusieurs considérations, je dirai même plusieurs phrases de mes discours de 1838. Il n'est pas inutile, messieurs, de vous remettre sous les yeux les paroles de la section centrale, Voici comment elle s'exprime :
« Chargé de vous présenter le rapport de la section centrale, sur le projet de ratification de la convention commerciale conclue avec la France, permettez que j'exprime le regret de devoir reporter vos souvenirs vers la loi du 7 avril 1838, modifiant le tarif des douanes, parce que c'est là que nous avons posé le germe des conditions que la convention nous impose.
« Veuillez en effet vous rappeler, messieurs, que faisant accueil alors aux réclamations de la France, pour la faire sortir de l'état exceptionnel où l'avait placée l'arrêté du roi Guillaume, nous nous sommes hâtés de lever la prohibition dont quelques-uns de ses produits étaient frappés, quoique cet arrêté n'eût été pris qu'à la suite des ordonnances françaises, qui avaient rendu les relations commerciales de plus en plus restreintes, au préjudice de la plupart de nos industries.
« Après un acte aussi généreux, nous avions droit d'espérer une réciprocité d'avantages, mais nous ne l'avions pas stipulée ; aussi les promesses dont nous nous étions contentés, n'ont-elles reçu qu'une exécution presqu'illusoire ; car les réductions opérées par la France n'ont porté que sur des matières premières et aucunement sur nos produits fabriqués. En effet, on ne rangera pas parmi eux la houille, qui, comme toutes les minerais, n'a coûté que les frais d'extraction ; la houille, mère de toutes les industries, et qui, pour quelques milliers de francs, crée des millions de valeur.
« Cependant nous avions déjà fait diverses concessions importantes à la France, d'abord en assimilant les bateaux charbonniers français aux bateaux belges, en réduisant considérablement par la loi dite Piquet, les droits d'entrée des houilles françaises, en levant la prohibition des vins et eaux-de-vie par terre, en ouvrant, sur la demande du général Belliard, le bureau d'Adinkerke aux produits français, et enfin par l'adoption de plusieurs autres mesures de même nature, dictées par le désir d'entretenir un bon voisinage.
« Nous avions donc largement payé les concessions que nous avions droit d'attendre ; cependant, comme le dit M. le ministre des relations étrangères dans les développements des motifs à l'appui du projet qui vous est soumis, on nous demande encore le prix de la faveur de la convention (…)
« La section centrale, avant de se livrer à la discussion générale du projet qui vous est soumis, a examiné quelle avait été la situation du pays envers la France depuis notre émancipation ; elle a reconnu qu'en effet il ne nous avait été tenu qu'un compte bien insuffisant des concessions que nous avions faites ; que les modifications que nous avons apportées à nos lois de douanes ont été en général dans l'intérêt de la France, qu'à mesure de nos réductions sur les produits français, la plupart des nôtres avaient été constamment repoussés par un accroissement de droits.
« Que si parfois il y a eu allégement, ce n'a été que pour les matières premières dont la France avait besoin.
« Qu'en modifiant son tarif sous ce rapport, ce n'est pas par des vues de réciprocité, mais exclusivement dans l'intérêt de ses manufactures ; que ce qu'elle a paru accorder d'abord sur les toiles, avait été plutôt une aggravation qu'une faveur. et que, si elle nous offre plus d'avantages aujourd'hui, c'est à la condition de les payer chèrement. Aussi ne se borne-t-elle plus à la réduction de notre tarif des douanes sur le vin, il faut qu'elle intervienne encore dans l'économie de nos lois d'accises.
« Cependant, par la loi de 1838, nous avions déjà réduit le droit de douanes de plus de moitié, c'est-à-dire que, de ce chef, nous avions fait un sacrifice alors de 180,000 fr. qui, par la nouvelle réduction que l'on nous impose, s'élèvera au total de 315,000 fr. ; en y ajoutant la réduction de l'accise, montant en chiffre rond à 720,100 fr. le pays achète la convention, sur le vin seulement, par une somme annuelle de 1,035,000 fr. ; ajoutez-y le prix des autres conditions, et la chambre jugera l'importance du sacrifice à faire pour le soulagement momentané d'une industrie particulière à deux provinces. »
Messieurs, voilà justement ce que je prédisais en 1838 ; et je ne suis pas fâché de vous rappeler aujourd'hui, mais en peu de mots, quel était alors l'état de la question.
La loi que nous discutions en 1838 avait pour objet de faire une foule de concessions à la France, sans avoir pour nous aucune garantie de réciprocité. Quand je témoignais mes craintes à cet égard, on me disait : Soyez tranquille : vous avez affaire à un pays ami ; la bonne foi préside à toutes les négociations ; une ordonnance française vous donne déjà satisfaction, et un projet de loi qui va être discuté à la chambre des députés, va en être le complément. N'ayez donc aucune inquiétude ; commencez par faire voir votre bonne volonté ; accordez à la France ce qu'elle vous demande ; surtout, levez ces prohibitions qui la mettent hors du droit commun, et vous n'aurez qu'à vous louer de vos voisins. Ce n'était là que des mots, car de toutes ces belles promesses dont on nous avait bercés, pas une n'a été tenue.
En effet, et je ne suis pas fâché, messieurs, de fixer votre attention sur ce point puisqu'on est allé fouiller dans le passé, il existait une ordonnance, contresignée par M. Duchâtel, qui avait été publiée le 10 octobre 1835 ; en outre, un projet de loi avait été présenté aux chambres françaises par M. Passy, le 2 avril 1836. Dans le rapport qui précède l'ordonnance du 10 octobre 1835, on promet une réduction de droit sur les rails destinés au chemin de fer. La discussion a écarté cette réduction. Le projet de loi de M. Passy promettait une réduction sur les machines ; les débats l'ont ajourné ; le même projet avait proposé d'abaisser à 150 francs par 100 kilogrammes le droit sur les peaux tannées pour semelles. Cette réduction a été fixée à 75 fr.
Un avantage offert sur l'entrée par terre des grandes peaux brutes et sèches n'a pas été conservé.
Et c'était tous ces prétendus avantages qu'on faisait valoir pour nous engager à faire les concessions demandées, à nous montrer larges et généreux ; nous avons été généreux et larges, beaucoup trop généreux, mais en même temps nous avons été dupes.
En 1838, nous étions, entre autres, en présence d'une grave question qui intéressait surtout le district de Verviers, et dans laquelle, quoiqu'étranger à cette localité, j'ai pris part, parce que l’honneur national y était engagé, et je me hâte de vous dire quelle était cette question.
Par un arrêté de 1825, que j'ai toujours considéré comme très sage, le roi Guillaume avait adopté des mesures de représailles, et si l'on avait compris les choses, depuis notre régénération politique, comme on devait les comprendre, on aurait suivi la voie qui avait été indiquée par le roi Guillaume.
Le roi Guillaume avait prohibé l'entrée des draps français en Belgique. Pourquoi ? Parce que l'entrée des draps belges était prohibée en France. Y avait-il quelque chose de plus raisonnable et de plus juste. Une nation qui se respecte, une nation qui ne veut pas déchoir, traite ses voisins comme ceux-ci la traitent. Eh bien, en 1838, j'ai eu beau dire et beau faire, on a qualifié mes paroles d'exagérées ; on m'a dit que je voulais tout renverser, tout démolir ; on m'a en quelque sorte imposé silence, en prononçant la clôture, et on a voté la loi.
Voici, messieurs, les paroles que je prononçais en 1838, et qui sont extraites textuellement du Moniteur ; et je ne suis pas fâché que le Moniteur soit là pour prouver que j'ai eu raison.
« Nos draps, disais-je, sont prohibés en France et nous avons prohibé les draps français. Et c'est au moment où les draps belges ne peuvent entrer en France que l'on veut autoriser les draps français à entrer en Belgique. Est-ce une loi belge nationale que l'on veut faire ? Non, disons-le franchement, c'est une loi étrangère, une loi qui nous avilira aux yeux de l'Europe, parce qu'elle nous met à la remorque de la France, etc. »
Toutes les raisons que j'ai fait valoir n'ont pas arrêté le gouvernement. Je lui ai signalé le danger, mais il n'a pas voulu y croire ; et cependant aujourd'hui c'est à 1838 qu'il attribue la cause du mal actuel.
Cette cause, il pouvait l'empêcher de naître, mais il ne l’a pas voulu. Mais qui donc ne l'a pas voulu ? C'est le cabinet de Theux dont M. Nothomb faisait partie. Voilà comment, en voulant combattre d'anciens collègues, on se combat soi-même.
Un premier pas fait, il n'est pas difficile de comprendre quelles devaient en être les conséquences. Nous avons marché de concession en concession, et on en veut de nouvelles aujourd'hui ; cependant, car il faut rendre justice à qui elle est due, il y a eu un point d'arrêt ; et les ministres auxquels M. Nothomb a voulu faire allusion, ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour réparer le mal.
Ne sait-on pas qu'à une certaine époque des négociations avaient été entamées à Paris ? Ne sait-on pas que notre ambassadeur M. Lehon s'était donné beaucoup de peine pour arriver à un résultat. Il s'agissait dans le projet de traité qu'il avait élaboré, et qui avait reçu la sanction du ministère français, de concilier les intérêts réciproques ; la Belgique acceptait pour ses frontières le tarif français en imposant et prohibant tout ce que la France importait et prohibait ; un droit de 5 à 10 p. c. aurait été perçu sur les articles belges en France et le même droit aurait été perçu sur les articles de France en Belgique. Le ministère Lebeau avait reconnu les services de M. Lehon en lui donnant un nouveau grade dans l'ordre de Léopold, et si ses efforts n'ont pas été couronnés de succès, c'est qu'il y a eu opposition de la part des chambres françaises, et que le projet de loi qui avait été présenté a été rejeté.
Ainsi si des tentatives ont été faites, elles sont dues à l'initiative d'un ministère autre que celui qui est aux affaires et qui veut se dégager de la responsabilité qui pèse sur lui.
Messieurs, nous sommes, vous a-t-on dit, dans une position très difficile, et je suis d'accord à cet égard avec les honorables préopinants. Il fallait, messieurs, rechercher la cause de cette position. M. le ministre de l'intérieur l'a recherchée, mais je ne pense pas que les conséquences qu'il a déduites de ses prémisses soient celles auxquelles il voulait arriver. Si le gouvernement avait changé de théories, comme il le prétend, il aurait fait l'inverse de ce qu'on a fait ; s'il est obligé de convenir que le système de représailles offre des avantages, pourquoi donc n'est-il pas entré franchement dans cette voie ? M. le ministre de l’intérieur vient de dire qu'il en est temps encore, que ce qui arrive aujourd'hui est une leçon pour l'avenir et qu'on saura profiter de cette leçon.
Messieurs, moi je pense que ce qu'on pouvait faire avant l'ordonnance, on ne le peut plus depuis qu'elle est rendue. Enoncer cette proposition, c'est en démontrer le fondement. Un pays tel que la France, alors qu'il a posé un acte important, ne revient pas sur ses pas et le fait reste accompli. Mais M. le ministre connaissait les projets du gouvernement français, nous les connaissions tous, et on s'en était maintes fois occupé dans cette enceinte ; les avertissements n'ont pas manqué, et mon honorable ami M. Delehaye a assez souvent fait entendre des plaintes à cette tribune, on lui a répondu qu'il fallait de la diplomatie, des ménagements, de la prudence. Mais qu'a donc produit cette diplomatie ? Qu'a-t on recueilli de ces ménagements, de cette prudence ? en un mot, qu'a-t-on fait ? quels sont les moyens qu'on a employés ?
Oh ! dit M. le ministre de l'intérieur, notre position avant le traité était bien plus mauvaise ; les exigences de la France étaient plus grandes ; elle nous demandait des concessions beaucoup plus fortes. Si telle est l'opinion de M. le ministre, il voudra bien nous permettre de ne pas la partager avant qu'il nous ait dit en quoi consistait ces exigences, ces concessions, et qu'il nous ait mis à même d'établir des points de comparaison, Ce qui me paraissait à moi excessivement simple, c'était, alors qu'on nous annonçait l'ordonnance, de formuler un projet de loi ayant pour objet des représailles ; c'était de faire connaître à l'ambassadeur français que si l'ordonnance était promulguée sans qu'elle renfermât une exception pour la Belgique, un projet de loi serait immédiatement présenté aux chambres belges, pour doubler, par exemple, les droits sur les vins et sur les soieries ; l'on aurait pu alors négocier.
Mais quand vous ne faites rien, quand vous attendez que le coup soit porté par un voisin puissant qui, à raison de la position où vous vous êtes placés, peut vous faire la loi, oh ! alors, vous n'avez plus rien à espérer. Et je voudrais bien savoir maintenant à quoi, tout en profitant de la leçon qui vous coûtera très cher, nous serviront à l'avenir des mesures de représailles vis-à-vis de la France ; pour user de représailles, il faut encore avoir de quoi en exercer.
Vous userez de représailles ? Mais d'abord ceux que vous menacerez sauront une fois pour toutes qu'en vous poussant jusque dans vos derniers retranchements, vous serez toujours disposés à faire des sacrifices pour éviter la ruine de l'industrie qui sera frappée au cœur. C'est ainsi que vous avez cédé aux exigences de la France pour donner un dernier secours à votre industrie linière qui était à l'agonie ; le présent servira à nos voisins d'enseignement pour l'avenir, et on peut dès lors se former une opinion de vos prétendues représailles.
Nous allons faire un sacrifice en faveur de l'industrie linière. Certes, cette industrie est digne de toute notre sollicitude ; et je croirais engager ma responsabilité si, par mon vote, j'allais compromettre son existence, mais si je donne mon assentiment au projet ce sera comme contraint par suite de la position que nous a faite le gouvernement, et encore seulement lorsqu'il aura répondu d'une manière satisfaisante aux questions que je serai obligé de lui soumettre, faute de quoi force me sera de m'abstenir.
D'après la section centrale, le sacrifice que nous allons faire se montera à un million 30 mille francs ; et pour me servir d'une expression de M. le ministre des affaires étrangères, c'est le prix de la faveur qu'on nous accorde. Ainsi, pour que notre industrie linière puisse marcher, nous devons acheter de la France une faveur qui nous coûte plus d'un million. Mais si demain une autre industrie vient nous demander un sacrifice semblable, si l'industrie métallurgique, par exemple, vient nous dire : Nos hauts fourneaux sont éteints, il n'y a pas moyen de les rallumer, notre industrie est morte si vous ne nous ouvrez immédiatement le marché de la France ; vous avez secouru naguère l'industrie linière qui était à l'agonie et nous avons droit comme elle à votre protection, que répondriez-vous à cette industrie et à d'autres qui seraient dans le même cas, à la draperie, par exemple, à la bonneterie, à la clouterie, à la fabrication des glaces, etc. , que répondriez-vous ? Achèteriez-vous aussi des faveurs pour ces industries ? Mais vous seriez réduits à payer annuellement des millions et quand vous auriez fait tout cela, qu'arriverait-il en définitive ?
En acquit de ma conscience, je dois dire ici toute ma pensée : le traité soumis à l'approbation de la chambre est fait pour quatre ans ; et dans l'intervalle, nous nous isolons complètement de tous nos voisins, et la concurrence anglaise, pour le marche de l'intérieur comme pour celui de l'extérieur, sera remplacée par la concurrence française.
Quelle sera, du reste, la position de la France ? La France, parfaitement rassurée par la convention que nous aurons faite avec elle, et l'écoulement de ses produits lui étant garanti, son industrie linière prendra un nouveau développement, sa production sera augmentée du double, du triple peut-être, et au bout de quatre ans, époque de l'expiration du traité, elle sera forcée par ses propres industriels de vous fermer ses portes.
Alors que ferez-vous ? Je n'ose pas vous le dire :... Placés à remorque d'une nation puissante, ne pouvant vivre que par elle, obligés de suivre ses destinées, de partager ses revers, vous devinez tous quel vœu exprimeraient les industriels belges pour se soustraire à une ruine certaine ; et sous ce point de vue le traité, je le dis de conviction, porte une grave atteinte à notre nationalité, à notre indépendance, L'avenir démontrera si mes craintes étaient fondées.
Nous devons subir la loi française, et ce qui est plus extraordinaire, ce qui est sans exemple, non seulement on nous force de diminuer nos droits de douanes, mais on arrive jusqu'à notre régime intérieur, jusqu'à nos droits de consommation, nos droits d'accise et même à nos droits de ville, à nos droits d'octroi ; le gouvernement français est, à certains égards, immiscé dans le gouvernement de la Belgique.
Au reste, comme d'autres honorables préopinants, mon intention est de prouver au pays que je ne suis pas dupe des menées du ministère, ou tout au moins de son impéritie et de sa négligence, Si force nous est de donner les mains à un traité que le gouvernement actuel a fait et préparé, nous n'en voulons pas la responsabilité. Nous voulons qu'elle pèse tout entière sur le cabinet actuel.
Maintenant, avec l'honorable comte de Mérode, je demanderai de quelle manière il se propose de combler le déficit annuel qui doit résulter de la convention ? Quant à moi, je ne suis pas rassuré sur ce point, et ce sera peut-être un des motifs pour lesquels je m'abstiendrai jusqu'à ce que des renseignements positifs m'aient été fournis.
Les droits sur les vins et les soieries frappent le riche, ce sont des droits imposés au luxe. Il me semble qu'il est tout rationnel de remplacer ces droits par d'autres droits de même nature, Si, exemple, on allait frapper des denrées dont le pauvre a besoin tous les jours, je m'opposerais de toutes mes forces à pareil projet. Remplacer des droits sur le riche par des droits sur le pauvre, serait une injustice révoltante !
Eh bien, par suite de la convention, le budget des recettes doit présenter un déficit considérable ; je prie donc M. le ministre de l'intérieur et son collègue des finances de nous dire de quelle manière le gouvernement entend combler ce déficit.
D'un autre côté, indépendamment des sacrifices d'argent, nous touchons à des industries également intéressantes.
D'abord, je ne trouve pas dans la proposition adoptée au commencement de la séance une garantie suffisante pour ces industries ; j'entends parler surtout du commerce de vins en cercle. Je ne donnerai mon assentiment à la loi que pour autant qu'on donne satisfaction à cette industrie, elle ne demande aucun avantage, elle demande seulement qu'on ne la sacrifie point. Le renvoi des réclamations des marchands de vins à M. le ministre avec demande d'explications n’est pas une garantie. Nous voterons la loi, et quand la loi sera votée, le ministre donnera ou ne donnera pas d'explications ; nous nous séparerons et le mal sera fait. C'est pour cela que j 'insiste actuellement.
Vous savez, messieurs, que la concurrence que font à nos marchands de vins les voyageurs français est déjà assez forte pour ne pas aggraver encore leur position déjà assez critique. Presque tous les jours nous recevons les visites des commis-voyageurs de Bordeaux, de la Champagne et de la Bourgogne, des autres parties de la France, et pour nous engager à leur donner la préférence, ils nous disent qu'ils peuvent nous donner les vins à meilleur compte, par la raison qu'ils n'ont à payer ni patentes, ni frais d'établissement. Et en effet, ce sont des marchands ambulants qui se soustraient facilement au payement de tous droits.
Indépendamment de ces avantages, ils nous diront aujourd’hui : mais vos marchands de vins ne peuvent pas soutenir la concurrence avec nous, car ils ont payé 24 fr. de droits par hectolitre de plus que nous. Nous pouvons vous offrir les vins à meilleur compte qu'un marchand belge, car nous n'avons ni patente ni frais d’établissement, et nous payons des droits moindres, et leurs observations seraient fondées, si on ne faisait pas droit aux réclamations des marchands belges, surtout de ceux qui ont des crédits à terme et qui ont encore leurs vins en magasin.
Si nous ne venons pas au secours de ces marchands, le commerce de vins est détruit en Belgique. Plus un marchand belge ne vendra une pièce de vin, et encore moins des vins en bouteilles.
Quant aux vins en bouteilles, c'est une chose vraiment extraordinaire : Le gouvernement hollandais avait compris qu'il importait de favoriser le commerce de détail, de manipulation, et alors que le droit sur le vin en cercles était de 2 fr. par hectolitre, il avait porté ce droit à 12 fr. sur la même quantité de vin en bouteilles. Les avantages résultant de cette élévation de droit sont sensibles : non seulement elle favorise le commerce de détail, mais elle favorise encore les verreries ; on avait compris qu'en portant à 12 fr. l'hectolitre le droit sur le vin en bouteilles, on faisait vivre le commerce de détail, et c'est là, à proprement parler, le commerce de nos marchands belges. Or, c’est à 2 fr. qu'on a réduit le droit sur les vins en bouteilles, tandis que les droits sur les bouteilles vides, même quantité, se montent à 6 fr. ; et si je dois en croire certains bruits, M. le ministre, sur des plaintes qui lui étaient adressées, a répondu qu'on était fort heureux que le droit ne fût pas réduit à 50 centimes.
Si ce sont là les exigences de la France, si c'est sur ce point qu’on a gagné quelque chose, je n'en fais pas mon compliment à M. le ministre de l'intérieur, car ce qu'il a gagné n'est pas de nature à rassurer l'industrie menacée. Ainsi de 12, réduction à 2 ; diminution de 25 p. c. sur les droits d'accise ; dispositions quant aux droits d'octroi, etc., etc. Il me semble impossible que l'industrie vinicole continue à exister ainsi.
Je veux, comme d'autres, protéger l'industrie linière. Mais il ne faut pas pour cela frapper de mort d'autres industries. Pour faire vivre l’une, vous tuez trois ou quatre autres. Les négociants en vins sont aussi dignes de notre sollicitude que l'industrie linière. Je serai obligé de m'abstenir, si le gouvernement ne me donne pas la garantie qu'aucune aucune industrie ne sera sacrifiée et que le droit sur le riche sera remplacé par un autre droit sur le riche, et non par un droit sur le pauvre. Ce ne sera qu'à ces deux conditions que je pourrai donner mon assentiment au projet de loi.
Je suis étonné qu'on se soit borné à demander, sur la question des vins, des explications à M. le ministre de l'intérieur. Si ces explications devaient précéder le vote de la loi, ce serait fort bien, mais comme elles ne doivent venir qu'après, c'est une chose tout à fait illusoire.
Quant à moi, je pense de même qu'il y a eu un recensement pour les vins et les eaux-de-vie, quand il y a eu augmentation de droits ; il est nécessaire de faire aussi un recensement aujourd'hui et de restituer aux marchands de vins la différence entre le droit actuel et le droit qui a été payé, au moins pour tous les vins encore en magasin et pour lesquels il y a des crédits à terme. Je ne parle pas des vins en entrepôt, car ils ne sont pas dans le pays, ils sont censés à l'étranger. Mais j'entends parler des vins pour lesquels les négociants ont des crédits à terme. Ainsi ils déclarent en consommation cent ou deux cents barriques ; ils ont des crédits de 6, 12 ou 18 mois. La plupart de ces vins pour lesquels ils ont des crédits à terme, sont encore dans leurs magasins. Il serait injuste de leur faire payer 100, alors que d'autres ne payent que 75. Le commerce des vins a tout autant de droit à notre protection que l’industrie linière.
En terminant, je déclare que je ne pourrai pas donner mon assentiment au projet de loi si l'on n'explique pas de quelle manière on comblera le déficit annuel, et si l'on ne prend pas l'engagement de donner des garanties aux négociants en vins.
Je laisse à d'autres le soin de soutenir les droits de l'industrie ardoisière, des salines et des bateliers, s'il y a lieu, les renseignements me manquent à cet égard.
Si je n'ai pas mes apaisements sur ces divers points, je ne voterai pas contre la convention, mais je m'abstiendrai.
M. Rodenbach. - L'honorable préopinant vient de dire que le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances n'est pas sérieux. Je faisais partie de la section centrale ; je déclare que ce renvoi est très sérieux ; car, pendant deux heures, nous nous sommes occupés très consciencieusement de la réclamation des marchands de vins. M. le ministre a déclaré qu'il ferait un rapport.
L’honorable membre a dit que les marchands de vins étrangers n’étaient pas patentés. Il a oublié que nous avons voté une loi qui assimile aux colporteurs, les commis-voyageurs de maisons étrangères.
Il pense que l'on devrait, dans la réduction des droits, donner la préférence aux marchands de vins qui ont des crédits à terme. Mais les vins qu'ont ces marchands sont également en consommation. Ce qui le prouve c’est qu'ils peuvent les vendre. Ils sont dans le même cas que ceux qui achètent au dessous de 500 fr. de vins et qui payent le droit, aux termes de la loi. Si vous rendez aux uns, vous devez rendre aux autres. Nous avons été arrêtés, parce que le ministre n'a pas pu se procurer tous les renseignements. Il a dû s’adresser à tous les directeurs de province. Nous avons donc dû séparer la réclamation du projet de loi, bien que nous la croyons juste.
D’ailleurs les négociants en vins peuvent attendre, tandis que les Flandres ne peuvent pas attendre. J'ai montré infiniment de modération ; mais je dois le déclarer, il s'agit d'une nécessité. Si vous refusez la convention aux Flandres, il vous faudra établir le paupérisme, le hideux paupérisme, comme en Angleterre, le paupérisme, cette lèpre de l’Angleterre. Il faut avoir le courage de le dire, 300,000 personnes demandent à vivre, et ne peuvent attendre ; il faut leur donner du travail ; sans cela elles n'ont pas de pain.
J’ai demandé moi-même au ministre en section centrale ce qu'il a fait avant la convention, quelles mesures il a prises. Le ministre a déclaré qu'avant l’ordonnance la France avait demandé le sacrifice de la moitié des droits sur les vins, qu'après on était descendu à la moitié, puis au quart. J'ai eu la preuve, car on nous a soumis des documents, que le ministère a fait des démarches avant l'ordonnance.
Depuis 1830, tous les ministères ont marché sans système commercial, ont vécu au jour le jour, ont baissé, haussé le tarif, aussi bien le ministère de Theux que les autres. Ce sont là de grands torts. La chambre aussi a peut-être été coupable ; car beaucoup de membres ont été de cette opinion. Moi, je demande des augmentations pour que nous puissions faire des traités de commerce.
L’honorable membre a parlé de rupture avec l'Angleterre. Je ne pense pas qu’on tire le canon pour un tarif douanier. Si la guerre éclate, ce ne sera pas parce qu’on aura élevé ou diminué le tarif. Se brouiller avec l’Angleterre ! Mais serait-ce donc un si grand malheur ? Nous exportons en Angleterre pour 14 millions, tandis qu’elle nous importe pour 40 millions.
Et l’Allemagne. Elle fabrique les mêmes articles que nous, et peut les livrer à meilleur marché, parce que les impôts sont moins forts. Nous n'avons rien à en attendre.
Je suis loin de prôner la convention ; car je l'ai flétrie moi-même ; les exigences de la France sont trop fortes. Mais, sans donner une foi entière aux balances commerciales, je dirai que nous exportons en France pour 65 millions, tandis que la France ne nous importe que pour 44 millions. Je sais qu'on me répondra que la moitié de nos exportations consiste eu matières premières : houilles, fer ; mais ces matières premières donnent immensément de bénéfices.
Une population amie de l'ordre et du travail nous demande du pain, La convention est un moyen de lui en donner. C'est pour cela que je voterai pour la ratification. Mais c'est avec regret que je voterai pour cette convention.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Mon intention n'est pas de répondre à toutes les observations de l'honorable M. Verhaegen. Mais je dois répondre à une de ses observations, qui avaient déjà été faites par l'honorable M. Lebeau. On vous a signalé comme une atteinte à notre indépendance, à notre nationalité la disposition par laquelle nous nous sommes soumis à appliquer à nos frontières le tarif français. Il est vrai que nous aurons cette sujétion pendant quatre années. Mais remarquez qu'il y a réciprocité de sujétion. Le dernier paragraphe de l'article premier du traité qui porte : « Enfin, dans le cas où les droits d'entrée en France sur les fils et tissus de lin ou de chanvre, importés par des frontières autres que celle limitrophe, viendraient à être réduit de plus d'un sixième au-dessous de ceux fixés par l'ordonnance du 26 juin 1842, le gouvernement de sa majesté le roi des Français s'engage à abaisser aussitôt et dans la proportion de cet excédant de réduction, les droits d'entrée sur les fils et tissus importés par la frontière limitrophe, de telle façon qu'il y ait toujours au moins la proportion de trois à cinq entre les droits existants à cette dernière frontière et ceux existants aux autres frontières françaises, » c'est-à-dire, qu'il y aura du côté de la Belgique un tarif inférieur au tarif existant sur les autres frontières pendant 4 années, comme de 3 à 5 ; la législature française est obligée pendant 4 années de se tenir dans cette limite de 3 à 5.
Voilà, messieurs, la sujétion que de notre côté nous avons imposée.
Maintenant je ne m'étonnerais pas qu'à la chambre des députés de France, un orateur se levât pour signaler le dernier paragraphe de l'art. premier comme attentatoire à la dignité, à la souveraineté de la France.
Plusieurs membres.- A demain ! à demain !
M. le président. - Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères si le projet qu'il a présenté au commencement de la séance est d'une nature urgente, et s'il est nécessaire de convoquer immédiatement les sections pour l'examiner. Plusieurs sections centrales s'occupent dans ce moment d'autres objets.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Ce projet ne présente rien d'urgent.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Un projet de loi d'une nature très urgente, c'est celui sur la patente des bateliers, qui a été renvoyé à la chambre par le sénat. Ce projet se rattache à l'exécution de la convention dans ce moment en discussion, je prierai M. le président d'activer les travaux de la section centrale chargée de l'examen de ce projet.
M. le président. - Cette section centrale sera convoquée pour demain, j'engage les membres de la section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif aux traitements des membres de l'ordre judiciaire à ajourner ses travaux à après-demain.
- La séance est levée à 4 heures et demie.