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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 27 avril 1842

(Moniteur belge n°118, du 28 avril 1842)

(Présidence de M. Dubus (aîné))

Appel nominal

M. de Renesse procède à l'appel nominal à 2 heures et 1/4.

Lecture du procès-verbal

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

M. le président. - Quelqu'un demande-t-il la parole sur la rédaction du procès-verbal ?

M. Delfosse. - Messieurs, le procès-verbal ne fait pas mention de la proposition que j'ai faite hier tendant à accorder la priorité à la discussion du rapport de l'honorable M. Dechamps relatif aux pétitions pour la reforme électorale. Je demande que celle lacune soit comblée.

M. Scheyven, secrétaire. - Effectivement, cette proposition n'a pas été mentionnée au procès-verbal ; mais je dois faire observer à la chambre que j'ai été occupé jusqu'au moment de la séance dans le sein de la section centrale pour le projet de loi concernant l'enseignement supérieur, et que dès lors le temps m'a manqué pour relire attentivement le procès-verbal.

M. le président. - S'il n'y a pas d'autre observation, le procès-verbal est adopté, sauf à combler la lacune dont on vient de parler.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse analyse les pièces de la correspondance.

« Les exploitants de charbon du bassin de Charleroy adressent des observations en faveur de la fabrication du sucre indigène. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l'examen du projet de loi sur les sucres.


« Le sieur Vanderstaeten, sous-inspecteur des eaux et forêts demande que, lors de ses tournées, il soit dispensé de payer les droits de barrière pour son cheval. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Chimay et les administrations communales de Virolles, Mozée, Niversée et Vierves, demandent une disposition qui garantisse aux concessionnaires de routes un intérêt de 3 p.c. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Par dépêche en date du 26 avril, M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) adresse à la chambre quelques exemplaires des budgets et comptes provinciaux d'Anvers, de Liége et de Luxembourg pour être déposé aux archives de la chambre conformément à l'art. 68 de la loi provinciale.

- Pris pour notification.


M . Van Hoobrouck, retenu chez lui par suite d'un accident, demande un congé de quelques jours.

- Accordé.


M. Delfosse (pour une motion d’ordre) - Messieurs, la chambre a renvoyé dans la séance d'hier à la commission des pétitions la pétition d'un sieur Altenloh, milicien de 1837, qui réclame contre une décision de M. le ministre de la guerre.

Je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport. Il s'agit d'un milicien qui a mis un remplaçant ; ce remplaçant a été au corps pendant neuf mois ; après neuf mois il est tombé malade, et il est décédé. L'on veut maintenant forcer le milicien à mettre un second remplaçant ou à rejoindre lui-même les drapeaux. Il y a là quelque chose d'injuste et même de contraire à la loi sur la milice. La chose est urgente ; car, en attendant une décision sur sa pétition, le sieur Altenloh sera obligé de rejoindre les drapeaux.

Je demanderai donc que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur la pétition.

- Cette proposition est adoptée.


M. Scheyven, secrétaire, donne lecture de la partie du procès-verbal concernant la lacune signalée tout-à-l'heure par M. Delfosse.

- Cette partie du procès-verbal est adoptée.

Ordre des travaux de la chambre

M. Delfosse.- Messieurs, la chambre a décidé hier que la discussion des projets de loi modificatifs de la loi communale serait mise à l'ordre du jour de mardi ; mais elle n'a pas décidé par lequel de ces projets elle commencerait. Je demande que la chambre s'explique sur ce point. Je pense qu'on pourrait commencer par le projet relatif aux bourgmestres.

M. d’Huart. - Je propose d'attendre la présence de M. le ministre de l'intérieur, avant de déterminer l'ordre dans lequel ces projets de loi seront discutés.

M. Delfosse. - Je le veux bien.

M. le président. - Ainsi, M. Delfosse renouvellera sa motion, quand M. le ministre de l'intérieur sera présent.


M. Sigart. - Messieurs, la chambre a ordonné l'impression et la distribution des pièces concernant le projet de loi présenté par M. le ministre de l'intérieur, et ayant pour objet d'autoriser le gouvernement à réduire les droits de péages sur les canaux et les rivières de l'Etat. Je demanderai pourquoi la distribution des pièces a été retardée.

M. le président. - On s'occupe de l'impression du projet de loi, ainsi que des documents qui l'accompagnent.

Projet de loi sur les distilleries

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Van Cutsem.

M. Van Cutsem. - Messieurs, c'est comme loi de voies et moyens, c'est pour augmenter les revenus de l'Etat et faire face aux dépenses résultant de différentes mesures adoptées par la législature et d'autres qui le seront encore, que le gouvernement nous a proposé d'élever l'impôt des genièvres ; la moralité publique n'est dans cette augmentation d'impôts qu'un but tout à fait accessoire, aussi ne nous en occuperons-nous pas ; sans cela nous démontrerions jusqu'à la dernière évidence que la surtaxe qu'on demande aujourd'hui de la représentation ne fera rien pour cette moralité qui sert à chaque instant de prétexte et qui souvent n'est qu'un voile dont on couvre les choses pour atteindre plus sûrement le but où on veut arriver.

Pour moi, l'augmentation d'accise sur les genièvres n'a donc qu'un but, celui de grossir les revenus de l'Etat, et non pas d'empêcher l'artisan belge de boire, terme moyen, ses six litres de genièvre par an, et c'est parce que je n'y vois pas autre chose, que je demanderai à M. le ministre des finances pourquoi cette aggravation de charges qui doit procurer des ressources à l'Etat et qui tombe encore une fois exclusivement sur la classe ouvrière, a été le premier moyen de battre monnaie auquel le gouvernement se soit arrêté, et pourquoi il n'a pas eu plutôt recours à des impôts qui seraient payés par la classe aisée et par les propriétaires et non pas par l'artisan. Serait-ce peut-être parce que, dans le moment où M. le ministre nous a proposé son projet de loi sur l'augmentation de l'accise des genièvres, il n'y avait pas d'autres objets susceptibles de rendre à l'Etat plus qu'ils ne donnent aujourd'hui ? Je ne pense pas que M. le ministre puisse le dire, car moi qui ne suis pas très versé dans les finances, je crois en connaître qui rapporteraient beaucoup au trésor et qui n'atteindraient que la partie plus ou moins fortunée de notre société ; parmi ces objets figure la contribution personnelle décrétée par la loi du 28 juin 1822, qui, si elle était révisée, par exemple, de la manière suivante, rapporterait beaucoup au trésor : qu'il soit arrêté que la valeur locative sera désormais établie d'après l'évaluation qui a fixé le revenu net des propriétés pour la contribution foncière, et on connaîtrait cette valeur en ajoutant au revenu indique dans la matrice cadastrale le quart qui en a été déduit pour les propriétés bâties, pour les réparations etc. ; que l'on fasse expertiser les habitations non sujettes encore à l'impôt foncier, que l'on impose les troisième et quatrième foyers à 2 francs le 5ème à 5 francs, le 6ème à 4 francs, le 7ème à 6 francs, le 8ème et au-delà à 7 francs ; qu'on rapporte l'article 29 de la loi du 28 juin 1822 et qu'on porte la valeur du mobilier des contribuables qui sous-louent au double et au triple de la valeur locative, qu'on abroge l'article 7 de la même loi et que l'on fixe le maximum du mobilier à 7 ou 8 fois la valeur locative, qu'on modifie les articles 80 et suivants de la loi de 1822 et qu'on porte une forte amende contre les contribuables qui font des déclarations frauduleuses sans avoir égard à l'importance du droit fraudé.

Avec les modifications que je soumets à l'appréciation de M. le ministre des finances, je pense que la contribution personnelle rapporterait au trésor des revenus qui dépasseraient de beaucoup ceux qu'elle produit aujourd'hui ; l'examen que M. le ministre pourra en faire me prouvera plus tard si j'étais oui ou non dans l'erreur quand j'en augurais favorablement.

Un autre impôt, le droit de patente, devrait aussi subir une révision générale, les progrès incontestables que l'industrie et le commerce ont faits depuis les lois du 21 mai 1819 et du 6 avril 1825 prouvent jusqu'à la dernière évidence que des modifications sont indispensables et qu'elles seraient productives ; ces modifications permettraient d'atteindre les contribuables dans une plus juste proportion des bénéfices qui résultent de leurs professions.

Si M. le ministre s'était arrêté à la mesure des voies et moyens dont je viens de parler, il ne se serait pas exposé à nuire à la première de toutes nos ressources, à celle que rien ne pourra nous faire perdre, à celle contre laquelle le bon ou le mauvais vouloir de nos voisins ne peuvent rien, en un mot à notre belle agriculture, tandis qu'aujourd’hui en élevant l'accise des genièvres, il porte indirectement préjudice au cultivateur, car là où le distillateur gagnera moins sur les boissons distillées, il devra vendre ses bestiaux et ses engrais plus chers pour s'indemniser, et quel sera celui qui payera cette augmentation de prix, si ce n'est le cultivateur ? Cette influence des distilleries sur l'agriculture n'est pas exagérée ; car vous devez vous rappeler, messieurs, qu'à l'époque de la réunion de la Belgique à la Hollande, alors que nous ne consommions pour ainsi dire que du genièvre hollandais, l'agriculture était bien souffrante.

Si M. le ministre s'était arrêté à l'impôt dont nous venons d'entretenir la chambre, il y aurait trouvé au moment même des ressources pour l'État, tandis que pour celui qui réfléchit un moment, l'impôt sur les genièvres ne produira rien, ou fort peu de chose pour le fisc d'ici à six mois, et cela se conçoit facilement ; en effet, depuis six mois il est question d'augmenter l'accise sur les genièvres, et depuis six mois les grands distillateurs ont travaillé nuit et jour pour avoir par devers eux de grandes quantités de genièvre lorsque la loi paraîtra ; si les petits distillateurs, ceux que l'on est convenu d'appeler agricoles, avaient pu faire comme les grands, je n'y verrais qu'un mal, ce serait celui de rendre la loi improductive pour quelque temps ; mais comme le petit distillateur n'a pas pu faire comme le grand, ce dernier viendra faire concurrence au petit, qui aura travaille sous le régime de la nouvelle loi, en le forçant de donner son produit à plus bas prix, et de la nouvelle aggravation de charges qui pèsent encore une fois sur le faible au profit du fort, de l'homme aisé et opulent.

Lorsque le gouvernement hollandais mit la loi de 1822 en vigueur, il prescrivit le recensement général de toutes les boissons distillées et d'autres matières accisées pour faire prendre en charge les quantités possibles du nouveau droit, à partir du 1er janvier 1823 ; pourquoi ne ferait-on pas de même aujourd'hui ? Si vous augmentez les droits, vous devez vouloir que cette augmentation produise quelque chose pour l'Etat ; or, le moyen que je vous propose est le seul qui puisse faire atteindre les distillateurs qui ont travaillé d'avance, dans la prévision d’une augmentation de droits.

Cette mesure sera utile à l'Etat et favorisera le petit distillateur en le mettant sur la même ligne que le grand, qui n'est déjà que trop favorisé par notre législation sur la matière ; et si l’on n'y prend garde, d'ici à quelques années, il n’y aura plus en Belgique, comme en Angleterre, que des grandes distilleries ; en Angleterre, seize distilleries approvisionnent les trois royaumes unis. Que deviendra notre belle agriculture quand elle devra chercher au loin, à ces grandes distilleries, les engrais dont elle a besoin pour féconder la terre ?

Nous ne devons pas perdre de vue, messieurs, en augmentant les droits d'accise sur le genièvre, que nous avons un double écueil à éviter, celui de la fraude de fabrication et celui de la fraude d'importation ; quant à la fraude de fabrication, elle trouve un appât dans le droit d'un franc, cela est hors de toute contestation ; personne ne soutiendra sans doute encore que le taux de l’accise sur les eaux-de-vie étrangères, qui est de 50 c. par litre, n'est pas un droit assez élevé pour encourager la fraude extérieure, et s'il en est ainsi lorsque le genièvre hollandais peut se vendre sans l'acquittement des droits à 51. c. par litre à 50 degrés, et que le genièvre belge, avec l'augmentation de l'accise, devra se vendre 75 à 76 c., ne craignez-vous pas que les eaux-de-vie étrangères ne lui fassent une concurrence désastreuse, et de là n'y a-t-il pas des motifs plus que suffisants pour ne pas augmenter votre accise, et en tous cas pour ne la porter qu'à 50 centimes au lieu de la fixer à un franc ?

Ceux qui prétendent qu'on peut élever le droit d'accise sur les genièvres disent que, sous le gouvernement hollandais, on payait 35 centimes par litre de genièvre, et qu’aujourd’hui, au taux d'un franc, le droit ne s'élèvera encore qu'à 25 centimes ; cet argument serait concluant si nos distilleries avaient, en payant le droit, été dans un état florissant ; mais comme elles n'ont pu vivre avec cet impôt, que démontre-t-il ? si ce n'est que plus on s'approchera de ce chiffre et plus on nuira à nos distilleries, et qu'en l'élevant à ce taux, on les ruinera entièrement au profit des distilleries étrangères, et avec elles notre belle agriculture.

Le projet de loi accorde une déduction de 15 p. c, sur la quotité du droit quand les distillateurs n’emploient et n'ont qu'un seul alambic d'une capacité inférieure à 15 hectolitres et servant alternativement à la distillation et à la rectification, quand ils nourrissent dans l'enclos même de la distillerie, et pendant toute la durée des travaux, une tête de gros bétail par chaque hectolitre et demi de capacité des vaisseaux soumis à l'impôt, et quand ils cultivent par eux-mêmes dans la distance de 5 kilomètres au plus de l'usine un hectare de terre par chaque hectolitre et demi de la contenance des vaisseaux.

Quel est le but que l'auteur du projet veut atteindre, en accordant cette remise de 15 p. c. de droit ? si ce n'est de mettre le petit distillateur à même de lutter avec le grand, et de protéger l'agriculture, en répandant sur toutes les parties du pays des distilleries où le cultivateur peut trouver de la nourriture pour ses bestiaux et des engrais pour ses terres. S'il en est ainsi, pourquoi obliger le distillateur à employer lui-même ses engrais dans les terres qu’il aura à cultiver, et à nourrir lui-même des bestiaux du résidu de la distillation, puisque les avantages que les distilleries procurent sont les mêmes, lorsque le distillateur n'est pas lui-même cultivateur et éleveur de bétail ; que dis-je, ils sont même plus grands, puisqu'un grand nombre de cultivateurs peut profiter de ces usines là où, avec les conditions prescrites dans le projet de loi, il n'y en aurait souvent qu'un seul ; après cela, messieurs, pour ce qui concerne la culture des terres, ceux qui savent ce qui se passe à la campagne, n'ignorent pas qu'on élude les dispositions de la loi à l'aide de baux simulés ; ces considérations m'engagent, messieurs, à émettre l’avis que tout distillateur devrait, par cela seul qu'il n'emploie qu'un seul alambic d'une capacité inférieure à 9 hectolitres, jouir de la remise du droit de 10 p. c.

Pour ce qui regarde le drawbak ou restitution des droits, je pense encore une fois que, pour ne pas trop favoriser les grandes distilleries au détriment des petites, il devra se borner à la simple restitution des droits payés sans y ajouter une prime d'exportation ; en effet, une prime à l'exportation anéantirait les petits distillateurs parce que les grands distillateurs, en bénéficiant par cette prime, pourraient donner leurs boissons distillées à plus bas prix que les petits et feraient à ces derniers qui ne travaillent pas pour l’étranger et ne jouissent partant pas de l'avantage de la remise des droits, une concurrence fatale qui fera diminuer le prix du genièvre consommé à l'intérieur.

Si le genièvre fabriqué à l'intérieur coûte 15 francs l'hectolitre et que l'on restitue 35 francs au distillateur qui déclarera exporter à l'étranger, il fera un bénéfice de plus de moitié ; de telle manière que si un distillateur peut exporter la moitié de ce qu'il distille, l'autre moitié, qui sera consommée à l’intérieur, ne payera pas de droit pour la consommation intérieure, ce qui, par l'appât énorme de la fraude, ne peut manquer de faire le plus grand dommage au trésor et de tuer le petit distillateur.

La section centrale avait proposé de supprimer l'acquit à caution pour le transport des boissons distillées du territoire réservé à la frontière, pour le remplacer par un passavant à charge du visa à l'emmagasinage, tout au moins de ne l’exiger que pour des quantités de 10 hectolitres, minimum admis à l’exportation en décharge du droit ; M. le ministre a répondu que l’obligation de reproduire l'acquit à caution dûment décharge au bureau de sa délivrance avait toujours été considérée avec raison comme une garantie contre la fraude, que cependant à l'égard des quantités inferieures à 5 hectolitres, il y avait peu d'inconvénients à substituer ce passavant à l'acquit à caution, cette réponse donne quelque chose aux marchands de boissons distillées qui habitent le territoire réservé ; mais y aurait-il plus de risques pour le gouvernement de laisser circuler les boissons distillées dans le territoire réservé jusqu'à concurrence de 9 hectolitres que jusqu'à 5, puisque la remise des droits ne s'accorde que sur une quantité de 10 hectolitres exportés. S'il n'y a pas d'inconvénients, je prierai M. le ministre de faire insérer dans la loi que les boissons distillées pourront circuler dans le territoire réservé avec un passavant jusqu'à concurrence de neuf hectolitres, et je fais cette demande avec d'autant plus de confiance qu'en définitive ce passavant donne autant de garanties au trésor que l'acquit à caution, avec cette différence que l'un est moins onéreux pour le commerce que l'autre, et lui donne moins de responsabilité, ce qui est surtout cause qu'il désire voir remplacer l’acquit à caution par le passavant.

Je n'ai rien à dire contre le nouvel impôt que le gouvernement établit sur les distilleries de fruits à pépins et à noyaux ; il est juste que, puisque cette distillation prend une certaine importance, elle soit soumise aussi à des charges, et celles que le gouvernement propose n'étant pas trop fortes, j'y donnerai mon adhésion.

Pour ce qui concerne les peines établies dans la loi contre ceux qui contreviendront à ses dispositions, je les approuve, toutefois avec les modifications que la section centrale y a introduites, et j'espère que le gouvernement tiendra la main à leur sévère exécution.

M. Desmet. - Messieurs, on ne peut pas contester l'utilité des distilleries ; on peut les envisager sous les rapports agricole, commercial, industriel, fiscal ou financier et sous le rapport moral. Messieurs, je ne savais pas que je devais prendre la parole, mais comme M. le président à la bonté de me la donner, j'en ferai usage ; cependant je ne dirai que quelques mots dans la discussion générale.

D'abord, en les envisageant sous le rapport agricole, on ne pourrait certainement contester l'utilité et même la nécessité des distilleries. L'agriculture en a un tel besoin, que sans les distilleries beaucoup des terres seraient restées incultes. Par l'engraissement du bétail, il se produit un engrais de première qualité. C'est surtout dans les terres sablonneuses qu'on a besoin de l'engrais qui provient des distilleries ; cet engrais est indispensable, et c'est, comme vous le savez, un engrais particulier pour la culture du lin, culture si importante pour le pays et surtout pour les Flandres. Si vous n’avez pas l'engrais qui vient des bêtes engraissées par les distilleries, vous n'aurez pas une récolte abondante, et vous n'obtiendrez pas un produit d'aussi bonne qualité.

Les engrais que produisent les distilleries doublent, pourrais-je dire, les recettes, et le pays est certainement très intéressé à faire produire aux terres tout ce qu'elles peuvent et surtout à une époque comme celle-ci, où la population tend incessamment à s'accroître dans de grandes proportions ; où il y a manque de céréales, il faut sans doute faire tout ce qui est en notre pouvoir pour augmenter le nombre de ces distilleries ; on ne peut pas se le dissimuler, le prix des céréales est très élevé, exorbitant, surtout pour les classes pauvres ; les choses en sont au point que si vous ne receviez pas du blé de l'étranger, vous n'auriez pas des céréales pour la consommation du pays. Ne devons-nous donc pas faire tout ce qu'il sera possible, afin de protéger les distilleries qui fournissent des engrais.

Messieurs, quand on envisage la question sous le rapport commercial, il est vrai que jusqu'ici nous n'avons eu que peu ou point d'exportation de genièvre. Cependant, si ces exportations étaient possibles, elles nous offriraient un bon moyen d'échange.

Sous ce même rapport, il y aurait un commerce bien intéressant : je veux parler du commerce de bétail. Ce commerce est très important pour le pays. Quand on voit qu'il produit plusieurs millions par an, cela mérite sans doute considération.

Quand nous étions, à cet égard, sous l'empire d'une loi de liberté, nous avions une grande exportation de bétail, et par conséquent un engraissement de bétail sur une grande échelle. En 1834, l'exportation était de sept millions et plus ; en 1837, ce commerce était réduit à 4 millions ; en 1839, il n'a pas plus produit.

Ainsi, tous les changements apportés à la loi, pour supprimer la liberté, font un grand tort aux distilleries et à l'engraissement du bétail.

Quand on envisage la question sous le rapport industriel, vous avez maintenant, grâce aux distilleries, une industrie dont vous étiez privé jusqu'alors, je veux parler de la rectification des esprits. Tout ce dont nous avions besoin sous ce rapport, nous venait de l'étranger et particulièrement de Montpellier. C'est depuis 1834 qu'on a commencé à rectifier les esprits en Belgique, et aujourd'hui nous ne devons plus nous adresser à l'étranger pour cet article.

Vous dépendiez de l’esprit étranger, de l'esprit de Montpellier ; tout l'esprit, le 3/6 consommé ou employé dans les fabriques était tiré de l'étranger, C'est depuis 1834, qu'on rectifie dans le pays et qu'on peut se passer des esprits français. On calcule qu'aujourd'hui on rectifie un tiers du genièvre fabriqué, qui n'entre pas dans la consommation. C'est fort important. Je crains que, si on apporte des changements à la législation sur les distilleries, on ne mette la rectification dans l'impossibilité de lutter avec les esprits étrangers. Il n'y a maintenant qu'une différence de 15 centimes. Si vous gênez la distillation, vous rendrez le marché de la Belgique aux esprits de Montpellier.

Messieurs, quand on envisage les distilleries sous le rapport fiscal ou financier, on doit reconnaître que c'est un objet qui peut et doit être imposé ; mais il faut que l'impôt soit raisonnable, il ne faut pas qu'il soit exagéré, parce que quand ou veut faire trop payer à l'accise, au lieu d'en augmenter le produit, on le réduit ; le trésor perd au lieu d'y gagner. Il y a plus, quand le droit est trop élevé, ce n'est pas la fraude intérieure, qu'on a à craindre, car il n'y aura pas de distillerie clandestine, mais on a à craindre l'infiltration, l'entrée frauduleuse des liqueurs étrangères.

Un autre inconvénient résultant de la trop grande élévation de droit est de gâter les distilleries ; car au lieu de bien travailler de produire de bonnes liqueurs, susceptibles d'être transportées, on en fabrique de mauvaises qu'on finit par ne pas pouvoir vendre.

Nous entrons véritablement dans une nouvelle voie. Le projet présenté par le gouvernement est un projet d'essai. S'il se bornait à une grande élévation du droit, sans la compenser par le drawback**, je dirais que ce projet n'est pas soutenable. Mais, au moyen du drawback il sera possible de faire sortir du genièvre du pays. Les Hollandais qui ont un fort draw-back font des exportations. En Belgique on n'exporte pas. En 1839, les exportations ne se sont élevées qu'à 38,000 francs, ce qui n'est presque rien. Comme je trouve dans le drawback, un moyen de faciliter l'exportation, je regarde la loi qui nous est soumise comme une loi d'essai.

Quand on envisage les distilleries sous le rapport moral, si on pouvait améliorer la morale publique par la prohibition des distilleries, je serais le premier à la demander. Mais je suis persuadé qu'on consommerait encore beaucoup de liqueurs, mais ce serait des liqueurs étrangères. Je ferai remarquer d'ailleurs que c'est à tort qu'on a prétendu qu'on consommait en Belgique de 8 à 10 litres par individu. On sait combien on déclare, combien on produit de genièvre. Eh bien, il résulte de là ce qu'on ne consomme pas plus de 6 litres de genièvre par individu en Belgique. On trouvera que ce n'est pas beaucoup en comparaison de ce que consomment les autres nations, et notamment les Anglais, qui consomment dix litres d'alcool par individu.

Je répète donc que si l'on pouvait, en nuisant aux distillateurs, mettre un terme à l'ivrognerie, je serais le premier à y donner mon assentiment, mais c'est impossible.

Il y a encore différents points à traiter. Mais je crois qu'ils trouveront mieux leur place dans la discussion des articles.

M. de Villegas. - Messieurs, dans la séance solennelle du 16 novembre dernier, le gouvernement avait annoncé « que des prévisions que les circonstances autorisent, et l'application des principes d'une sage économie, lui permettaient de présenter pour 1842 un budget offrant l'équilibre entre les recettes et les dépenses. »

La chambre entière avait accueilli avec satisfaction ces paroles, qui se trouvent dans le discours du trône. A peine étions-nous entrés dans le cours de la session actuelle, que le ministère s'est vu dans la nécessité de réclamer de la chambre des crédits supplémentaires et que des dépenses nouvelles ont été votées. On conçoit sans peine que l'équilibre du budget a été rompu, et que la création de charges nouvelles est devenue urgente.

Cette situation de choses ne m'étonne pas : il est plus facile de promettre que de maintenir l'équilibre entre les recettes et les dépenses. C'est un des vices organiques de tout régime représentatif, vice que l'on combat en théorie, mais qui n'est pas moins inhérent à nos pratiques gouvernementales.

L'extirpation de ce vice que je signale et l'absence de cette soif immodérée de dépense, qui dévore tout le monde, seraient le retour vers cet âge d'or, véritable rêve, et dont la réalisation ferait le charme de la classe la plus nombreuse de la société, c'est-à-dire du contribuable.

En attendant ces temps meilleurs, il faut pourvoir aux besoins du trésor que le débordement de nos dépenses fait accroître tous les ans d'une manière effrayante pour l'avenir.

Comment y pourvoit-on ? Soit en créant des charges nouvelles, soit en augmentant celles qui existaient déjà. Les innovations en matière d'impositions sont dangereuses et difficiles, en présence de tous ces intérêts industriels et commerciaux qui s'entretient et se multiplient à l'infini.

Le ministère actuel, qui a critiqué le système financier suivi par son prédécesseur, se trouve en face des besoins du trésor ; comment prétend-il vaincre la difficulté qui se présente ? En majorant l'accise sur les eaux-de-vie indigènes et le droit de consommation sur les boissons distillées.

Nous examinerons brièvement le premier de ces projets soumis à nos délibérations actuelles.

Depuis la loi de 1822, le droit sur les eaux-de-vie indigènes a beaucoup varié. Il a été successivement porte de 22 à 60 centimes par journée de travail et par hectolitre de matière macérée.

Le projet de loi soumis par l'honorable ministre des finances n'est que l’accumulation des diverses dispositions reprises dans la législation antérieure ; il ne diffère de celle-ci qu'en deux points, 1° le droit d'accise est porté à un franc, et 2° le drawback accordé à l'exportation du genièvre est augmenté.

Le genièvre, il est vrai, est une matière très imposable. Le fabricant est censé faire l'avance des droits, et c’est le détaillant et en définitive le consommateur qui les lui restituent. Est-ce à dire pour cela que ces droits puissent être élevés outre mesure ? Le législateur ne doit-il avoir en vue que les intérêts du trésor, sans ménagement pour ceux de l’industrie, ou plutôt ne compromet-il pas les uns et les autres, lorsqu'il fait disparaître la juste proportion des droits qu’il impose ?

Avant de faire connaître mon opinion à cet égard, je me permettrai de jeter un regard rétrospectif sur les motifs que l'on a fait valoir à l'appui des lois antérieures sur les distilleries.

En 1833 le droit sur les eaux-de-vie indigènes fut fixé à 22 centimes par journée de travail et par hectolitre de matière macérée, dans le but de favoriser les distilleries et de les débarrasser des entraves qu'elles subissaient depuis 1822.

En 1837, le ministère nous a fait un tableau effrayant de la progression des crimes et délits commis dans le royaume. On s'alarme au nom de la morale publique et on vote un droit de 40 centimes pour faire cesser l'usage immodéré du genièvre.

Ce n'est pas tout, pour remédier au mal d'une manière infaillible, il faut un droit sur la consommation des boissons distillées, dût-il atteindre une classe exceptionnelle de contribuables, au risque même de dépopulariser le gouvernement ; ce droit fut voté en 1838 à une grande majorité, mais, ô fatalité ! le mal résiste au remède et les délits augmentent sans cesse. Que faire ? Il faut porter le droit à 60 centimes. Cette fois-ci, on se récrie, on pétitionne contre l'augmentation proposée. Malgré toute l'opposition qu'elle rencontre, la loi de 1841 est votée par la chambre.

Eh bien, le croirait-on, le mal dure toujours ! Peu importe, le remède finira par devenir excellent.

Peu importe, le remède finira par devenir excellent, seulement comme il a fait quelques incrédules, on demandera une nouvelle augmentation de droit dans l'intérêt de la morale publique et afin de pourvoir aux dépenses qui ont été votées par la législature depuis le commencement de cette session.

Voilà le résumé des motifs que l’on a fait valoir pour justifier la majoration des droits sur les eaux-de-vie indigènes.

Quelles conséquences faut-il tirer de tout ce qui précède ? D'abord que l'augmentation successive des droits sur les eaux-de-vie n'a été demandée que pour faire face aux besoins du trésor, et qu'en Belgique il faut autre chose qu'une loi fiscale pour amender la morale publique.

Maintenant que penser du projet lui-même ?

Le droit de 22 à 40 centimes a eu pour résultat de diminuer dans une assez forte proportion la quantité de matière soumise à l'impôt.

La diminution n'est pas moins sensible sous l'empire de la loi de 1841 fixant le droit à 60 centimes. L'état joint au rapport de la section centrale, à la page 30, prouve la vérité de cette allégation. Toutefois, M. le ministre fait observer à cet égard, que la diminution résultant de la comparaison, entre les exercices 1840 et 1841, porte presque en totalité sur le 4ème trimestre ; ce qui s'explique, dit-il, par une plus grande activité donnée au travail de 1840, après que le projet d'augmenter l'accise eut été soumis à la chambre, le 17 novembre 1840. Mais M. le ministre semble perdre de vue que la nouvelle loi de 1841 n'a reçu son exécution qu'au commencement du mois de mars de la même année, que par conséquent, les distillateurs ont pu travailler pendant plus de deux mois, en attendant l'augmentation du droit ; l'exercice de 1841, devait donc se ressentir davantage de cette influence.

Un autre fait digne de remarque, c'est qu'il y a eu diminution, malgré l'influence favorable que la loi du 25 février 1841 ait pu exercer sur les distilleries agricoles.

Cette diminution ne prouve-t-elle pas qu'en élevant le droit vous nuisez à l'industrie du pays, ou bien que vous donnez un appât à la fraude, au travail clandestin et à l'accélération de la fermentation, car, veuillez ne pas perdre de vue que, malgré la diminution de matière déclarée, la consommation ne va pas en décroissant par la raison bien simple que l'augmentation de droit n'exerça aucune influence sur le prix du genièvre en détail. Que résulte-t-il de là ? C'est qu'on lance dans la consommation du genièvre fraudé soit dans les fabriques indigènes, soit par infiltration de boissons venant de l'étranger.

Vous voyez donc, messieurs, qu'il ne suffit pas d'élever les droits pour faire produire au trésor, et que cette élévation doit être en proportion avec les intérêts de l'industrie et du commerce.

Il est un autre écueil qu'il faut éviter, quand on projette une majoration d'impôt, c'est la concurrence ruineuse que les eaux-de-vie étrangères pourraient faire sur nos marchés. Le genièvre hollandais jouit d’une grande prime d’exportation. Comment voulez-vous qu'il ne soutienne pas la concurrence avec les boissons indigènes, alors surtout que le droit d'accise reste le même, malgré l'augmentation de l'accise dont on nous frappe ?

Telles sont les observations générales que j'ai cru devoir présenter sur le projet de loi soumis à nos délibérations.

J'attendrai le cours de la discussion, avant de me prononcer sur la quotité du droit, l'élévation du drawback à l'exportation du genièvre et l'amendement présenté par d’honorables collègues en faveur des distilleries agricoles.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, la loi du 25 février 1841 a porté atteinte aux distilleries agricoles ; la loi qui vous est soumise va les anéantir complètement : tel est l'opinion des cultivateurs qui distillent en même temps qu'ils exercent l'art de la culture.

Qu'il me soit permis, messieurs, d'entrer dans quelques développements qui vous prouveront que mes prévisions ne sont pas hasardées. Peu familier avec les connaissances que réclame l'art de faire l'alcool, j'ai puisé chez les hommes spéciaux les renseignements et les explications nécessaires pour voter avec conviction sur le projet de loi qui nous est soumis.

Les distilleries agricoles, en consommant ses produits sur place, ont un double but, 1° dans l’intérêt de l’agriculture, de produire des engrais destinés à améliorer les terres. (Personne n'ignore que le fumier que produit le résidu des distilleries est d’une qualité bien supérieure au fumier provenant d'une nourriture ordinaire ; on peut estimer qu'il vaut le double) ;

En second lieu, d'obtenir le genièvre qui doit rembourser la valeur des céréales employées.

Or, donc, la distillation n'est pas possible si on ne retrouve dans la vente du genièvre la valeur de la matière première (les grains employés) ;

Sous l'empire de la loi où l'on ne payait que 20 et 40 cent. par hectolitre, il s'est élevé une nouvelle branche d'industrie (la fabrication de l'esprit ou alcool indigène, extrait de la pomme de terre et du résidu des betteraves provenant des sucreries indigènes, en même temps que le genièvre de grain y entre pour certaine quantité) ;

Ces trois produits agricoles y sont employés avec tant de succès que l'esprit-de-vin n'est presque plus employé en Belgique.

Par suite de ce qui précède, un grand développement a en lieu dans les distilleries agricoles.

La loi du 25 février 1841, qui a porté l'impôt à 60 centimes, a produit une entrave dans l'écoulement des genièvres des distilleries agricoles qui, trop peu favorisées, n'ont pu soutenir la concurrence avec les distilleries industrielles.

La faveur accordée aux petits distillateurs, qui travaillent avec un alambic d'une contenance de moins de cinq hectolitres, est illusoire.

S'il travaille avec un alambic de quinze hectolitres et faisant deux bouillées par jour, son travail se trouve être de trente hectolitres.

Or, si j'emploie l'alambic, voulu par la loi, pour avoir droit à la remise, il fera en six jours ce qu’il fait maintenant en deux avec un alambic de quinze hectolitres ; à la vérité, il obtiendra une remise de 4 fr. 50 c. D'après des calculs, que je crois exacts, il y aura perte, malgré la faveur de 4 fr. 50 c.

En voici la preuve :

1° On obtiendra moins de produit par le motif que la fermentation se fait mieux par quinze hectolitres que par cinq ;

2° La consommation du combustible sera supérieure pour obtenir la même quantité de produit, vu qu'on doit employer six jours au lieu de deux ;

3° Augmentation de main-d'œuvre, etc., trop long à détailler.

Si on veut réellement accorder une protection aux distilleries agricoles, pour cela il faut que l'on étende proportionnellement à l'exploitation la capacité de l'alambic, et cela jusqu'à dix hectolitres ; exiger qu'on cultive deux hectares par hectolitres et demi et proportionner de cette manière le bétail.

Et en effet, messieurs, ne faut-il pas produire du fumier proportionnellement à son exploitation ?

La prétendue faveur accordée par la loi aux distilleries agricoles est un non-sens, puisque d'une main on donne deux et que de l'autre on prend quatre.

Telles sont les faveurs que l'on accorde en Belgique à l'agriculture et aux industries qui s'y rattachent. Sous peu nous seront appelés à en donner une nouvelle preuve.

En résumé, les dispositions de la loi du 25 février 1841 ont rendu malades les distilleries agricoles ; la loi qui nous est soumise va les tuer.

Je reviens aux distilleries agricoles : si nous voulons encourager le défrichement de nos bruyères dans la Campine et dans les Ardennes ; si, comme je n'en doute pas, vous voulez faire produire des récoltes à des terres qui ne produisent presque rien (dans les Ardennes une récolte de céréales en 18 années), favorisons les distilleries dans les localités où il y a des terres à défricher, où le fumier provenant du résidu des distilleries est nécessaire et presque indispensable pour obtenir de beaux produits. Pour qu'une distillerie soit considérée appartenir à l'agriculture, il faut que le distillateur soit avant tout cultivateur et que sa principale industrie soit l'agriculture.

Sa distillerie seulement considérée comme industrie accessoire à ce cultivateur distillateur, nous devons lui accorder une réduction d'impôt sur le genièvre qu'il fabrique, cette réduction doit être telle qu'il puisse lutter avec les distillateurs industriels dans la vente du genièvre.

Une faveur de 15 à 20 p. c. pourrait suffire, si toutefois il n'était pas entravé dans ses opérations et si on ne lui imposait pas la contenance de son alambic.

La contenance de l'alambic doit être proportionnée à son exploitation.

Vous conviendrez, messieurs, qu'un cultivateur de 10 à 12 hectares pourrait améliorer sa culture avec une distillerie dont l'alambic serait d'une contenance de cinq hectolitres ; mais le cultivateur qui exploite 100 hectares, doit pouvoir travailler plus en grand, pour obtenir les engrais en proportion du terrain qu'il cultive.

Et si vous voulez améliorer ou faire produire les terres incultes et les terres froides, c'est au moyen des engrais qui proviennent du résidu des distilleries que vous y parviendrez.

Pour que les distilleries agricoles soient placées dans la même position que les distilleries industrielles, il est indispensable qu'elles obtiennent une faveur sur les distilleries industrielles, non pas pour que le distillateur puisse vendre ses produits à meilleur marché que ses confrères les industriels, mais afin que le prix du revient soit le même, ce qui ne se peut réaliser qu'autant que vous accordiez une réduction de droit de 15 a 20 p. c. aux distillateurs agricoles : cette réduction est indispensable par les motifs suivants :

1° Les distilleries agricoles sont presque toutes situées dans les terres souvent éloignées du combustible et des lieux d'approvisionnement ; il leur revient à plus cher prix ; il en est de même pour exporter leurs produits ;

2° Ne travaillant qu'une partie de l'année, les ouvriers distillateurs doivent être plus payés ;

3° Travaillant en petit, ils n'obtiennent pas le même résultat en produits ;

4° Et quand il y a moyen de frauder, l’industrie chez les grands industriels est bien autrement perfectionnée que chez les petits.

Pour ces motifs et, si réellement on veut encourager les distilleries agricoles, mettez-les à même de vendre leurs produits au même prix que les distilleries industrielles.

Pour que le mot encouragement soit une vérité, faites en sorte que les distilleries agricoles puissent marcher.

D'abord que l'on s'exprime clairement pour désigner les distilleries agricoles, afin que les distilleries industrielles ne jouissent pas des mêmes avantages.

1° Que les cultivateurs bien reconnus comme tels, qui fabriquent du genièvre, soient autorisés à distiller, comme ils le trouvent le plus convenable et comme le font les distillateurs industriels ;

2° Que la contenance de l'alambic soit proportionnée à la quantité de terres cultivées :

De 5 hectolitres, par exemple, pour une culture de 15 hectares, et ainsi en augmentant proportionnellement à l'étendue de l'exploitation.

Il est bien entendu que le résidu de la fabrication soit employée à la nourriture du bétail du cultivateur qui distille. Je sous-amenderai l'amendement présenté par M. Mast de Vries et ses collègues de la manière suivante, à ajouter a la suite du 1er § : La déduction sera de 30 p, c., et de 15 p. c. si le distillateur est un cultivateur cultivant au moins deux hectares de terre par chaque hectolitre de contenance des vaisseaux énumérés à l'art. 1er.

Ordre des travaux de la chambre

M. Delfosse. - Puisque M. le ministre de l'intérieur est présent, je renouvellerai ma motion.

Je demanderai que la chambre décide par lequel des deux projets de loi relatifs à la loi communale la discussion commencera.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je pense que la chambre doit commencer par le projet de loi relatif à la nomination des bourgmestres. On pourrait comprendre tons les projets de loi dans la même discussion générale. Quant à la discussion spéciale, celle qui doit avoir lieu en premier lieu, c’est, je pense, celle de la loi la plus importante, de la loi politique, de la loi relative à la nomination des bourgmestres.

M. Delehaye. - Il y a deux projets de loi ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y en a quatre.

M. Delfosse. - Ce sont des projets de loi assez importants pour qu'il y ait pour chacun d'eux une discussion générale. Je demande qu'il en soit ainsi.

Je me rallie volontiers à la proposition de M. le ministre de l'intérieur tendant à ce que l'on commence par la discussion du projet de loi relatif à la nomination des bourgmestres.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il pourrait y avoir deux discussions générales ; en effet, il y a deux exposés des motifs et deux rapports. La marche est ainsi indiquée. On commencerait alors par le projet de loi relatif à la nomination des bourgmestres.

- La chambre consultée décide qu'elle s'occupera mardi prochain, en premier lieu, du projet de loi relatif à la nomination des bourgmestres.

Projet de loi sur les distilleries

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de Terbecq.

M. de Terbecq. - Messieurs, le projet de loi assure aux petites distilleries une déduction de 15 p. c. ; par là on les met à même de soutenir la lutte incessante que leur font les grandes distilleries, on conserve à l'agriculture ses auxiliaires obligés qui, répandus sur un grand nombre de points du territoire, sont autant de centres de fertilisation qui donnent aux cultivateurs les moyens d'élever le bétail et leur procurent aussi les engrais dont il ont besoin.

Jusque-là rien de mieux ; mais, messieurs, on fait dépendre la faveur accordée aux petites distilleries de certaines conditions qui, outre qu'elles sont d'une exécution souvent impossible, vont à l'encontre du but qu'on devrait se proposer.

Par cela même qu'on impose au distillateur l'obligation de nourrir un nombre déterminé de têtes de bétail et d'avoir une culture, il ne peut vendre qu'une faible partie de son résidu, forcé qu'il est d'en employer la majeure partie dans ses propres étables. Une autre considération que je ferai valoir, c'est l'impossibilité ou se trouvent la plupart des petits distillateurs établis dans le voisinage des villes, d'obtenir en bail le nombre d'hectares de terres voulu, à cause des prix excessifs qu'ils devraient payer. Les pétitions que vous avez reçues à cet égard démontrent à l'évidence la position défavorable dans laquelle on placerait ces distillateurs. Pour eux c'est comme si la déduction de 15 p. c. n'existait pas.

Pour ces motifs, j'appuierai l'amendement proposé à l'art.5 par MM. Mast de Vries, Scheyven et Duvivier.

M. d’Huart. - Depuis le commencement de cette session, messieurs, la législature a adopté différentes lois, en vertu desquelles des charges très lourdes ont été imposées au trésor public ; dès lors, et par une conséquence nécessaire, force est de mettre celui-ci en mesure de subvenir aux dépenses auxquelles il doit pourvoir. Il était donc du devoir du gouvernement de rechercher et de proposer les moyens d'augmenter les revenus publics. Sous ce rapport, nous devons l'approuver de ce qu'il fait tous ses efforts pour augmenter les ressources normales de l'Etat, devenues insuffisantes.

Mais par l'augmentation sur l'accise du genièvre, qui fait l'objet du projet de loi en discussion, atteindra-t-on le but qu'on se propose ? Je ne le pense pas, et je crains au contraire que l'élévation de l'impôt sollicitée, laquelle tend à doubler très approximativement le droit actuel, irait en sens inverse du but du gouvernement. Telle est mon opinion, et comme j'ai le même but que le gouvernement, but qui est d'augmenter les revenus de l'Etat, je dois faire connaître au moins sommairement les raisons qui me font penser que M. le ministre des finances se trompe dans ses prévisions, lorsqu'il suppose que l'effet de porter à 60 centimes a un franc indépendamment des additionnels, l'accise sur un hectolitre de matières mises en fermentation, sera de produire un accroissement proportionnel dans le total des droits qui seront perçus.

Qu'il me soit permis, messieurs, de faire avant tout une remarque qui probablement aura échappé à presque tous mes honorables collègues. On semble pénétrée, ici et dans le pays, de l’idée que la législation actuelle sur les boissons distillées ne produit presque rien, que les modifications à la loi de 1822, telles qu’elles sont actuellement en vigueur, occasionnent un préjudice immense au trésor, or il n'en est pas ainsi. La législation actuelle sur les boissons distillées nous produit une somme au moins équivalente à celle que l'on percevait sous l'empire de la législation de 1822, législation entièrement fiscale et odieuse, et sous l’empire de laquelle tous les contribuables faisaient l'étude peu morale des moyens quelconques propres à se soustraire aux droits par la fraude ; tandis qu'avec la législation qui nous régit, avec l’impôt tel qu’il est maintenant réglé il n'y a, pour ainsi dire, plus de fraude, en même temps qu'une liberté d'action presque complète est attribuée aux travaux et aux progrès de la distillation.

Je viens aux chiffres. Il est important que tout le monde sache que les boissons distillées produisent une somme considérable au trésor public ; je ne veux pas prétendre qu’elles ne doivent rien lui fournir ; j'ai au contraire indiqué, en commençant, que telle n'est pas mon intention ; mais il est bon, en faisant ressortir les faits dans leur réalité, de prouver que la législature n'a pas été aussi peu soucieuse des intérêts financiers du pays qu’on a parfois semblé le croire.

Sous l'empire de la législation de 1822, on percevait (je le trouve en prenant la moyenne de trois années, 1828, 1829 et 1832, et je pourrais donner pour chaque année les chiffres qui sont au surplus presque les mêmes),on percevait, dis-je, dans les provinces méridionales qui forment la Belgique et une portion de territoire qui ne nous appartient plus, une somme de fr. 4,787,000, et il est bon de remarquer que sur cette somme brute, il faut déduire une somme très considérable, que je ne connais pas et qu'il serait très difficile de préciser, pour le drawbach, c'est-à-dire pour la restitution des droits à l'exportation. Alors les Pays-Bas exportaient beaucoup de genièvre aux colonies et dans d'autres pays.

Le commerce de genièvre que fait maintenant la Hollande se faisait pour tout le royaume, sur une plus grande échelle ; on devait donc restituer aussi dans les provinces méridionales une somme considérable en drawback. Maintenant, que produit la loi actuelle sur les distilleries ? Nous voyons, d'après les prévisions du budget pour 1842, prévisions qui ne sont nullement enflées, que la loi sur la fabrication du genièvre rapporte fr. 3,784,000 fr. Si nous ajoutons à cela plus d'un million que rapporte le droit d'abonnement sur les boissons distillées, nous aurons une somme supérieure à celle dont je parlais tout à l'heure, et il n'y a pas ici de défalcation à faire pour drawbach**, car on est forcé de reconnaître qu'on n'exporte plus rien. Dans l'année où l'on a le plus exporté, on n'a restitué que 36,000 fr., somme insignifiante. Ainsi, l'on aurait tort de laisser croire au pays que, comparativement au passé, la législation ne fait produire qu'une somme très faible aux boissons distillées, matière si éminemment imposable.

A présent, ne faut-il plus rien demander à cette matière imposable ? Ce n’est pas ce que je veux, mais je dis qu'il faut procéder avec prudence, avec modération dans ces augmentations de droits, je dis que si nous allons frapper d'un droit élevé cette fabrication, nous courrons risque de la faire péricliter ; et au lieu d'un produit plus fort, nous en obtiendrons un bien moindre, et dans tous les cas, ,messieurs, nous aurons toujours dans le pays la même consommation alimentée, cette fois, à notre grand préjudice, par l'étranger ; car je le reconnais, j'en fais ici ma confession bien franche, nous ne parviendrons pas, en augmentant le prix du genièvre par des droits fiscaux, à en empêcher la consommation. Cet usage des liqueurs fortes tient à différentes causes, dont les effets sont peu susceptibles de se modifier par des mesures législatives ; l'aisance de la classe ouvrière et le climat sont deux de ces causes principales. Il ne faut pas, en effet, admettre si légèrement cette idée que le pays est composé de grands intempérants. Il y a véritablement une sorte de nécessité pour un grand nombre d'habitants de boire du genièvre. Ceux qui habitent les côtes, les points élevés où il fait très froid, ceux qui se livrent à certains travaux pénibles, doivent nécessairement consommer des liqueurs fortes.

Quant aux crimes, quant à tous ces méfaits dont on s’effraie, si on les soumettait à des comparaisons raisonnées, si l'administration avait pour le passé d'aussi exactes données que celles qu'elle recueille depuis quelques années, je ne sais si l'on trouverait cet énorme accroissement de crimes et délits que l'on prétend exister, et contre lequel on se récrie tous les jours en les attribuant aux abus des liqueurs alcooliques. Et, messieurs, je vais peut-être faire ici une digression, mais j'espère que vous ne la trouverez pas sans quelqu'intérêt.

Ce qui augmente la population dans nos prisons, ce sont surtout les miliciens. On a généralement en Belgique un grand dégoût pour l'état militaire en temps de paix, et chose incroyable, il y a une quantité de miliciens qui, pour être libérés du service, se font condamner à une peine infamante, qu'eux ne considèrent pas comme telle. Ceci tient peut-être à un vice de notre législation militaire. Je sais que le gouvernement s'occupe de la grave question, toute morale (et je désire vainement que nous puissions bientôt aussi l'examiner) de savoir s'il ne faudrait pas modifier le code pénal militaire, et forcer le milicien qui se serait fait condamner à une peine de réclusion, à remplir son temps de service après avoir subi sa condamnation en le forçant, par exemple, à servir dans une compagnie de punition. Aujourd'hui, au contraire, lorsque les miliciens sont condamnés à une année de brouette, ils sont libérés de tout service militaire à leur sortie de prison. C'est là une question que je livre aux méditations de M. le ministre de la justice.

Je dis qu'il faut procéder, dans l'augmentation de l'impôt qui' nous occupe, avec prudence, avec modération ; j'ajouterai qu'il faut aussi nous étayer des leçons du passé ; l'expérience ici doit nous diriger. Or, qu'a-t-on fait pour la législation sur les distilleries ?

En 1833, on est tombé dans un excès en réduisant l'accise à 22 centimes par hectolitre de matière mise en macération et en fermentation, Evidemment ce droit était trop bas ; aussi le revenu produit par cet impôt est-il tombé à 1,500,000 fr., au lieu de celui que j'ai indiqué tout à l'heure.

En 1835, on a déjà un peu remédié à cet état de choses, en rétablissant les centimes additionnels qui n'existaient pas d'après la loi primitive, dans la loi mère de 1833.

En 1837, on a été plus loin ; comme plusieurs membres vous l'ont rappelé, on a porté le droit à 40 centimes avec des additionnels. Enfin, en 1841, on a élevé le droit à 60 centimes, outre les additionnels.

On a donc procédé avec modération et successivement, en s'assurant bien que le système, que l'économie de la loi ne seraient pas détruits par l'augmentation, et qu'avec les moyens mis à la disposition de l'administration, on pourrait percevoir le droit sans donner ouverture à la fraude.

Aussi qu'est-il arrivé de là ? C'est que le montant du produit total a complètement justifié les mesures prises par la législature.

De 1835 à 1836, avec le premier système, en vertu duquel on rétablissait les centimes additionnels, le droit s'est élevé de 15 cent mille francs à 2 millions. En 1838 le droit s'est élevé à 3 millions ; en 1839, à 3,300,000 fr. ; en 1840, il a été de 2,775,000 fr. La diminution qu'on observe pour cette année tient, comme vous le savez, à la séparation du territoire et aux événements politiques. Mais en 1841, malgré la diminution du territoire, l'impôt a encore une fois produit 3,200,000 fr. Et enfin, avec l'augmentation adoptée en 1841, on trouve et on est certain d'obtenir pour 1842 un revenu de 3,784,000 fr. Ainsi vous voyez qu'en procédant avec modération, on est parvenu du chiffre de 1,500,000 à celui de 3,784,000 fr.

Maintenant pense-t-on qu'en doublant le droit, le produit sera en raison directe de cette augmentation ? Messieurs, je ne puis prouver ce que je vais dire d'une manière mathématique, mais je crains, avec les connaissances que j'ai acquises dans l'administration des accises pendant le temps que je suis resté à la tête du département des finances, que, par exemple, vous ne receviez moins avec le droit d'un franc qu'avec le droit de 80 centimes que propose la section centrale. Si je puis acquérir la conviction que je suis dans l'erreur à cet égard et que le produit augmentera en raison de l'augmentation demandée par M. le ministre des finances, je voterai pour les propositions du gouvernement ; mais je suis convaincu que si on lui accorde le taux de l'impôt qu'il demande, il sera complètement déçu dans ses espérances, et que le droit d'un franc produira moins en dernière analyse que celui de 80 c.

Il y a même des personnes qui craignent que le droit de 80 centimes ne nuise déjà, et qui pensent que le droit de 60 centimes produirait plus que celui de 80 centimes, J'ai entendu d'honorables collègues de cette chambre, qui ont une connaissance spéciale dans la matière, manifester des craintes sérieuses sur ce point. Et, messieurs, ils ne vous disent pas cela sans justification. Ils invoquent les faits ; la statistique fournie par M. le ministre des finances, et de laquelle il résulte, selon eux, que, par suite de l'augmentation des droits, il y a eu une diminution de près de 400,000 hectolitres de matières déclarées en macération et en fermentation, résultat dû à l'augmentation portée par la loi de 1841.

On cherche à répondre à cela en disant qu'on s'est hâté à fabriquer à la fin de 1840, parce qu'on était sous l'impression de la présentation d'une loi qui devait augmenter les droits. Mais tout à l'heure un honorable membre à rétorqué cela quand il vous a dit que la loi n'avait été adoptée que dans le mois de mars suivant et que dés lors on aurait dû continuer à se hâter pendant le premier trimestre et qu'il aurait dû y avoir par là, balance entre les exercices 1840 et t 841.

M. le ministre des finances vous propose des pénalités corporelles contre les distilleries clandestines. Je voterai volontiers pour ces pénalités, parce qu'enfin la loi veut qu'on prélève l'impôt, et en établissant des distilleries clandestines, on viole tellement la volonté du législateur, que je n'ai aucune pitié pour celui qui se rend coupable de pareils faits. J'adopterai donc ces pénalités, comme les a entendues la section centrale, c'est-à-dire appliquées aux distilleries clandestines situées en dehors du local de l'usine légalement en activité. Je crois que c'est aussi comme cela que M. le ministre des finances l'a entendu.

M. le ministre des finances (M. Smits) – Pardonnez-moi.

M. d’Huart. - Du reste nous examinerons plus tard cette question, lorsque nous en viendrons à la discussion des articles.

Mais croit-on que ces pénalités, malgré leur rigueur, mettront un obstacle invincible à la fraude ? Bien des membres de cette chambre ne le croient pas, mais j'admets qu'elles pourront mettre un terme à la fraude à l'intérieur du pays ; en sera-t-il de même, quant à la fraude du dehors, quant à l'importation des genièvres étrangers, des genièvres de Hollande et de France ? Nullement, puisque rien ne peut être changé dans les moyens de répression à cet égard.

On dira peut-être que le genièvre hollandais coûte plus que celui du pays, mais la Hollande restitue les droits à la sortie, et avec cette restitution le genièvre hollandais, qui sera peut-être de meilleure qualité que le nôtre, se vendra en Belgique à un prix inférieur que celui fabriqué dans le pays.

Messieurs, je voudrais qu'on prouvât que je suis dans l'erreur, car si on me démontrait que le droit d'un franc donnait nécessairement une augmentation de 40 p. c., je l'adopterais de préférence à un droit moins élevé.

Les distillateurs, ceux qu'on appelle les grands distillateurs, se sont adressés à la chambre, pour faire supprimer la déduction qui est accordée aux petits distillateurs. Je crois que plusieurs honorables préopinants vous ont suffisamment démontré que les petites distilleries périclitaient déjà avec cette déduction, et que ce serait bien à tort qu'on chercherait à leur enlever ce léger avantage, sans lequel elles ne pourraient subsister. Si ces petites distilleries venaient à tomber définitivement, il en résulterait un double mal : préjudice pour l'agriculture, préjudice immense pour le trésor public ; car les petites distilleries fournissent leur bonne part dans l'impôt.

L’honorable M. Desmet a cru voir dans la loi qui nous occupe une heureuse innovation en ce qui concerne le drawbach.

M. Desmet. - J'ai dit un remède.

M. d’Huart. - Eh bien, le remède peut être bon d'une manière, mais il a aussi son mauvais côté. Je suppose qu'on exporte plus de genièvre. Qu'arrivera-t-il ? C'est que vous recevrez en moins la somme que vous devrez restituer à l'exportation. Vous ne pouvez sortir de là. Si on exporte la moitié de la fabrication, vous rembourserez la moitié du droit, et vous ne retirerez plus que la moitié de l'impôt.

M. Dedecker. - Cela ne changera rien à la consommation.

M. d’Huart. - On me dit que cela ne changera rien à la consommation. C'est ce que je n'admets pas du tout. Il est démontré par l'expérience, que même sous une législation où vous ne faites presque rien payer, la fabrication ne dépasse pas le taux moyen de six millions d’hectolitres, et d'ailleurs, l'exportation vous l'encouragez déjà passablement aujourd'hui, car on rembourse 7 ou 8 fr. de trop par hectolitre de genièvre ; s'il fallait prouver ce chiffre, je vous démontrerais qu'en prenant pour base le véritable produit de l'hectolitre de matières mises en macération et en fermentation, on donne déjà une prime très forte à l'exportation, et d'ailleurs, le système des primes est trop vicieux, vous le savez, pour qu'on l'établisse ici de manière à favoriser une industrie au détriment de tous les contribuables.

Ainsi cet avantage que l'honorable M. Desmet croit trouver dans la loi en faveur de l'exportation, je ne pense pas qu'il existe. Je crois même qu'en portant la prime d'exportation à 35 fr., ce que je n'ai toutefois pas envie d'admettre, car j'adopterai le chiffre de 30 fr., si le droit proposé par le gouvernement est admis, et celui de 25 fr. si les propositions de la section centrale l'emportent ; je crois, dis-je, qu'à 35 fr. le drawback ne stimulerait pour l'exportation factice, dont je ne veux à aucun prix et pour aucune industrie.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs, pour le moment. J'aurais peut-être dû laisser plusieurs de ces observations pour le moment où nous en arriverons à la discussion des détails. Mais ce que j'ai dit maintenant je ne le répéterai point, et ainsi je n'aurai point fait perdre de temps en anticipant sur l'examen spécial des articles.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, l'honorable M. de Villegas, en critiquant la loi que nous discutons, a cru y trouver une contradiction avec le discours du trône. Le discours du trône annonçait un équilibre entre les recettes et les dépenses pour l'exercice 1842 ; et conséquemment, l'honorable membre en a tiré la conclusion, qu'on ne pouvait venir plus tard demander des crédits extraordinaires. Si l'honorable membre avait donné quelques minutes d'audience à sa mémoire, il se serait rappelé que presque toutes les dépenses nouvelles qui ont été votées dans cet exercice, doivent se reporter sur l'exercice 1843. Ainsi je citerai la dépense qui résultera du vote de la loi des indemnités, celle qui résultera du vote du projet de loi sur le canal de Zelzaete, et de quelques autres lois encore.

M. Delehaye. - Pour le canal de Zelzaete, vous avez les bons du trésor.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Pardonnez-moi ; la dépense qui en résultera figurera au budget de 1843, si les travaux prennent cours d'exécution.

Au reste, nous n'avons jamais prétendu que le budget de 1842 fût un budget normal. Nous avons dit, au contraire, qu'il fallait pourvoir aux dépenses éventuelles qui seraient votées dans le courant de l'exercice en dehors des prévisions du budget ; et nous avons ajouté que le meilleur moyen d'y parvenir, c'était de s'occuper de la révision générale des lois d'impôts.

L'honorable M. Van Cutsem a cru qu'il fallait commencer cette révision par les lois sur la contribution personnelle et sur les patentes. Mais ce sont là des travaux et des études considérables. Une loi sur la contribution personnelle, une loi sur les patentes, qui embrassent tous les intérêts du pays, ne s'improvisent pas eu quelques jours. Si on a commencé par la loi sur les distilleries, ç'a été dans l'espoir déjà réalisé en partie de voir la loi relative aux indemnités et la loi relative à la convention avec la ville de Bruxelles, adoptées dans cette session, parce que la loi sur les distilleries offrait les ressources les plus immédiatement réalisables.

Mais, messieurs, en présentant cette loi, nous n'avons pas prétendu non plus présenter un système entièrement nouveau, nous avons changé les dispositions dont l'expérience et les progrès de l'industrie ont rendu la modification nécessaire. Du reste nous n'avons pas voulu rentrer dans le système tout à fait vexatoire de 1822, c'est au contraire ce que nous avons cherché à éviter soigneusement.

L'honorable M. de Villegas a dit tout à l'heure, avec beaucoup de raison, que le gouvernement était poussé sans cesse à augmenter les charges de l'Etat, cela est vrai, messieurs ; et j'aurai l'honneur de rappeler à cette occasion à la chambre que déjà dans le courant de cet exercice, et postérieurement au vote des budgets elle a accordé pour environ deux millions de crédits extraordinaires, qu'il faut bien couvrir par des ressources nouvelles si l'on ne veut augmenter les dettes permanentes de l'Etat.

Et veuillez remarquer, messieurs, que, tandis que le gouvernement est obligé d'augmenter les dépenses provoquées par des travaux d'utilité générale et par les besoins que la civilisation actuelle provoque, d'un autre côté les provinces et les communes viennent successivement prendre une part assez large dans les ressources propres de l'État, la preuve de cette vérité, vous la trouverez dans le rapport qui nous a été distribué hier par M. le ministre de l'intérieur, où vous verrez que les octrois des communes qui, en 1829, rapportaient 5 millions, rapportent aujourd'hui 7 millions, c'est-à-dire deux millions de plus, qui ont été trouvés au moyen de taxes sur les matières imposables de l'Etat.

Sans doute il est extrêmement fâcheux d'avoir à revenir sans cesse sur les lois d'impôt ; car ces changements fréquents jettent toujours quelque trouble dans les industries ; mais je vous prie de remarquer pour le cas dont nous nous occupons, que c'est précisément pour éviter ce grave inconvénient que le gouvernement vous propose de porter tout d'un coup le droit à son taux normal, c'est-à-dire à un franc ; car je crains bien que si vous n'éleviez pas le droit à cette quotité, nous consentirions à renoncer aux centimes additionnels, ce qui nous rapprocherait, à 10 centimes près, des propositions de la section centrale ; vous ne soyez obligés d'augmenter encore de 10 centimes l'année prochaine et de pareille somme l'année suivante, et peut-être de 20 centimes, de manière à arriver à un franc dix centimes. Il vaut donc bien mieux, dans l'intérêt même de l'industrie dont il s'agit, que le droit soit porté tout d'un coup au taux qu'il peut raisonnablement atteindre.

Ici je dois rencontrer une des questions principales qui ont été faites contre le projet ; c'est la crainte de la fraude qui empêche beaucoup d'honorables membres de voter en faveur du droit de 1 franc. Eh bien, messieurs, cette fraude ne me paraît pas possible. En effet, la fraude peut se commettre à l’intérieur de deux manières et de l'étranger d'une manière ; à l'intérieur on peut chercher à se soustraire aux droits par l'établissement de distilleries clandestines on en soustrayant à la surveillance des employés des cuves de macération. Quant à l'établissement de distilleries clandestines, la chose est excessivement difficile ; une distillerie clandestine, en effet, ne peut échapper longtemps aux constantes investigations du fisc ; car il faut bien faire sortir des usines les produits distillés, ainsi que la drêche ; il faut bien aussi faire entrer les grains et les ustensiles dont elle a besoin, et une distillerie donne lieu en outre à une foule d'opérations qui ne peuvent pas échapper pendant longtemps aux regards d'une administration active. Ensuite, messieurs, les distillateurs qui paient l'impôt ont intérêt à veiller et ce qu'il ne s'établisse pas de distilleries clandestines qui travailleraient à leur détriment.

Quant aux cuves de macération, les employés savent parfaitement quel est le rapport des cuves de macération avec les houillées par les alambics, les chaudières, les colonnes distillatoires ; et par conséquent, lorsque ce rapport serait excédé, ils soupçonneraient l'existence de cuves de macérations non déclarées, ils feraient des recherches à cet égard, et ils ne manqueraient pas de découvrir la fraude,

Nous n'avons donc pas à redouter la fraude à l'intérieur, et ce qui le prouve, c'est que, malgré la plus active surveillance et l'augmentation successive de droits, qui ont été portés d'abord de 20 à 40, ensuite de 40 à 60 centimes, il n'y a presque point eu de contraventions constatées.

Reste maintenant la fraude par infiltration, Je vais examiner si cette fraude est possible soit du côté de la Hollande, soit du côté de la Prusse, soit du côté de la France ; ce sont là les trois pays qui nous avoisinent. Eh bien, messieurs, en Hollande le prix du genièvre à 50 degrés se vend aujourd'hui en entrepôt, d'après les factures et les lettres que j'ai sous les yeux, à 40 fr. par hectolitre ; les droits de consommation sont de 41 fr. 35 c. ; ainsi le prix du genièvre pour la consommation est de 81 fr. 35 c.

Le nôtre, messieurs, se vend aujourd'hui avec le droit de 60 c., à 53 fr. ; d'après la proposition que nous vous avons soumise, le droit serait augmenté de 8 fr. environ, de manière que notre genièvre à 50 degrés reviendra à 61 fr. Entre 61 fr. et 81 fr. 35 c, il y a une marge de 20 fr. 35 c. au profit de nos distillateurs.

M. Delehaye. - Mais si on importe sans payer le droit ?

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je vais répondre à votre objection.

Si l'on importe du genièvre de Hollande en Belgique sans payer le droit en Hollande, on gagne 20 fr. 35 c., mais si l'on réimporte ensuite ce genièvre en Hollande, on gagne la totalité du droit établi dans ce pays, c'est-à-dire 41 fr. 35 c. C'est pour que cette fraude n'ait pas lieu que les exportations de Hollande en franchise de droit ne peuvent se faire que de jour et par les bureaux et des quantités déterminés. Or, nos bureaux se trouvent en face des bureaux hollandais et conséquemment aucun baril ne peut être soustrait à la vigilance de nos agents. Cet état de choses ne peut être changé, car si le gouvernement hollandais accordait la sortie en franchise de droits autrement que par les bureaux réguliers et ordinaires, il est évident qu'on réimporterait immédiatement en Hollande les genièvres ainsi exportés et que le gouvernement hollandais se serait fait une verge pour se frapper soi-même. Dès lors, il est évident aussi que, quant à nous, une franchise de cette nature n'est pas à redouter pour nous.

Quant à la Prusse, messieurs, dans ce pays les droits sont quelque peu supérieurs aux nôtres, ils sont de 1 fr. 8 c., tandis que le nôtre ne serait que d'un franc ; mais à cette différence, quoique peu sensible, il faut ajouter que le genièvre de Prusse est de trop mauvaise qualité pour qu'on puisse en craindre l'importation chez nous.

Reste la France, où les eaux-de-vie de France sont imposées à 18 francs 70 centimes, tandis que les nôtres seraient imposées à 20 francs ; mais l'observation que je viens de faire pour la Prusse, s'applique également ici, la qualité des eaux-de-vie de France est trop mauvaise pour qu'on les consomme en Belgique. .

Un membre. - Et les 3/6 ?

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je ne parle pas des 3/6 ; je parle des mauvaises eaux-de-vie, c'est-à-dire, des esprits 3/6 coupés avec de l'eau. Quant aux eaux-de-vie 3/6, ils coûtent 70 francs 30 centimes, le transport compris jusqu'à Dunkerque, auxquels il faut ajouter 2 fr. 13 cent. pour frais de transport jusqu'à notre frontière, ainsi que les frais et la prime de fraude s'élevant à 45 fr. ; de manière que l’hectolitre d’esprit 3/6 coûte en réalité 118 fr. 02 c. Or, nos rectificateurs achètent le genièvre à 50 degrés à 50 fr. l'hectolitre, les frais de la rectification peuvent s'élever à 1 fr., ce qui porte l'hectolitre à 51 fr., mais comme 100 litres de genièvre ne produisent que 55 litres et une fraction à la rectification, l'hectolitre rectifié à 85 degrés coûtera 91 fr. 40 centimes ; cette somme étant augmentée de 8 fr., élévation du droit proposé, il en résultera que le genièvre belge rectifié coûtera en réalité 103 fr. 0r, l'esprit 3/6 étranger, revenant à 118 fr., il y a encore une marge pour nos rectificateurs, de 12 fr. 29 c., ce qui prouve, du reste, que la loi ne portera aucune atteinte à l'industrie de nos rectificateurs, c'est que jusqu'à présent, (et je suis bien aise d'en prendre acte), aucune réclamation de leur part n'est parvenue à la chambre.

L'honorable M. d'Huart vient de dire qu'il n'était pas opposé à une majoration des droits, mais qu'il fallait opérer avec modération, puisque la fraude était à craindre. Messieurs, ce langage a été tenu depuis 1833 ; le droit qui avait été fixé d'abord à 20 centimes, a été porté à 40, ensuite il a été porté de 40 à 60 cent., et chaque fois on a prétendu que la fraude allait s'établir sur une vaste échelle ; cependant la fraude ne s'est pas établie ; chaque fois on a prétendu aussi qu'il faudrait fermer nos distilleries, que cette industrie serait frappée de mort et nos distilleries sont restées ouvertes et aucune de ces prédictions ne s'est accomplie. Je suis donc fondé à croire qu'en portant aujourd'hui le droit à un franc sans additionnels, aucune fraude ne sera à craindre, et que le revenu du trésor sera augmenté d'environ 1,900,000 francs,

Voilà les observations que je crois devoir soumettre pour le moment à la chambre ; quant aux autres questions qui ont été soulevées, je crois qu'elles trouveront mieux leur place quand on abordera les articles qui s'y rapportent.

M. Coghen. - Messieurs, dans la session dernière, j'ai combattu l'élévation du droit, sur la distillation ; je l'ai combattu, parce que la fraude pourrait être nuisible aux établissements qui contribuent d'une manière si efficace à la prospérité de notre agriculture.

Aujourd'hui le gouvernement demande une augmentation de 66 centimes à 110. Il est évident que si déjà on craignait le mauvais effet d'une majoration de 44 à 66 centimes, la loi ne répondra pas à ce que le gouvernement en espère et que les revenus de l'Etat, loin de s'améliorer, éprouveront une diminution, et que l'industrie étrangère viendra encore dominer au détriment de l'industrie du pays.

Messieurs, la loi nouvelle qui a porté le droit à 66 centimes a eu pour résultat qu'en 1841 on a déclaré pour la fabrication 279,962 hectolitres de moins de matières mises en macération, qu'en 1839 et qui ont produit en moins 1,600,000 litres de genièvre. Si nous comparons 41 avec 40, nous trouverons, d'après les tableaux produits par le gouvernement lui-même, 398,662 hectolitres de matières en moins, pour être mise en macération et une production en moins de 2 millions 500 mille litres.

Or, la consommation n'est certes pas diminuée. Qu'est-ce qui a remplacé le vide qui existe dans les déclarations faites ? c'est la fraude. L'on s'est soustrait à l'action de la loi, ou par l'infiltration étrangère, ou par des distillations clandestines, puisque la consommation n'est pas diminuée ; je dirai même qu'elle est augmentée. L'on n'a qu'à voir les résultats dans les villes.

Ainsi, si déjà la majoration à 66 centimes par hectolitre de matières mises en macération a produit une diminution, évidemment une majoration aussi forte que celle qu'on propose doit encore diminuer cette quantité. S'il est vrai que le trésor en a reçu une augmentation d’un million de plus, l'élévation des bestiaux a été diminuée, et l'on a eu moins d'engrais, si nécessaire à nos terres.

Il faut nécessairement qu'on équilibre les revenus de l'Etat avec les dépenses qui augmentent chaque jour, si l'on ne veut pas s'exposer à des mécomptes plus tard, cela est vrai ; mais faut-il pour cela frapper une industrie qui contribue au bien-être général du pays et à l'agriculture, notre première richesse ? Faut-il imposer un droit plus fort, la patente du débitant comprise, que celui qui existait sous l'ancien régime, lorsque nos budgets étaient à 15 millions plus élevés qu'ils ne le sont aujourd'hui ? Il y a d'autres moyens de pourvoir aux impôts, il y a d'autres objets à imposer ; il y a des produits étrangers à frapper et qu'on ne frappe pas ; je ne sais pour quels motifs.

L'augmentation du droit, dit M. le ministre, n'entravera en rien une industrie nouvelle qui s'est établie dans le pays ; je parle de la rectification. Déjà, lors de l'ancienne discussion de la loi, des plaintes très vives se sont élevées ; si, aujourd'hui, ceux qui s'occupent de cette industrie n'ont pas fait retentir de nouvelles réclamations dans cette enceinte, c'est qu'ils ont compté sur les organes nés des intérêts du pays.

Messieurs, on croit n'avoir à craindre aucune infiltration étrangère de spiritueux : je n'ai aucun apaisement à cet égard, et j'ai l'intime conviction que le contraire aura lieu.

La France introduit beaucoup de spiritueux dans le pays, et des offres sont faites pour fournir dans l'intérieur de la Belgique des 3/6 français. Je ne cite pas ce fait, qui est exact, pour en faire un reproche à l'administration des douanes dont le personnel est trop peu nombreux pour pouvoir exercer une surveillance suffisante.

On ne redoute pas non plus les introductions de la Hollande, mais encore une fois l'on se trompe : les environs de Maestricht ne donnent-ils pas la preuve de ce qui se passerait si vous majoriez le droit ?

Dans ma pensée, il serait imprudent d'adopter ce qu'on propose. Je crois que la loi n'atteindra pas le but qu'on espère, et si nos revenus directs peuvent en augmenter, il y aura cependant une perte réelle pour le pays, tant par le manque de l'engrais que produisent les distilleries que par la diminution de l'élévation des bestiaux, élévation que nous devrons encourager, parce que la viande est d'une cherté telle que bientôt la classe moyenne devra s'en priver.

Dans l'intérêt de l'exécution de la loi, M. le ministre propose de punir d'un emprisonnement dont le maximum est de deux ans. La proposition faite par la section centrale serait admissible, parce que là il y a évidemment fraude et intention de se soustraire à l'action de la loi. Mais parce que dans une usine un ouvrier aura, par erreur, mis dans un vase non déclaré, quelque matière macérée, le propriétaire, bien que parfait honnête homme, pourrait être condamné à un emprisonnement de deux ans ! La rigueur des lois ne doit pas aller jusque-là. Qu'on réprime la fraude, rien de mieux mais qu'on n'expose pas d'honnêtes industriels à être victimes d'une erreur.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, l'honorable préopinant se trompe, lorsqu'il croit que le droit proposé par le projet en discussion, est plus élevé que le droit qui existait en 1822. Il y a entre ce droit et celui que nous proposons, une différence au moins de 15 centimes au profit du dernier. Voilà la vérité.

L'honorable membre a dit aussi qu'on introduisait beaucoup de spiritueux de la France ; eh bien, je puis à cet égard détromper l'honorable membre : on n'introduit pas beaucoup de liquides spiritueux de la France ; et la seule importation connue de l'administration, par le bureau où la fraude se commettait le plus fréquemment s'est bornée pour cette année une pipe d'esprit 3/6.

L'emprisonnement, tel que le propose le projet, a paru extrêmement rigoureux à l'honorable membre. Il voudrait bien punir les distilleries clandestines, mais il ne voudrait aucune peine pour ceux qui soustrairaient à la surveillance des employés des cuves de macération dans l'usine même. Il me semble, messieurs, que dans ce dernier cas la fraude est beaucoup plus grave, car elle constitue un quasi abus de confiance ; en effet, les distillateurs patentés connaissent parfaitement leurs obligation ; ils sont familiarisés avec l'étude des lois, ils en connaissent tous les détails et par conséquent ceux qui manqueraient de déclarer des cuves en macération, seraient plus punissables sous certains rapports que ceux qui établiraient une distillerie clandestine et qui la plupart du temps ne connaissent pas les lois et les formalités à remplir.

M. le président. - Des amendements ont été déposés par M. Eloy de Burdinne et Delehaye.

Il a déjà été donné lecture de celui de M. Eloy de Burdinne.

Voici celui de M. Delehaye :

Je propose de rédiger l'amendement de MM. de Renesse et de Theux, comme suit :

« Tout distillateur qui n'aura pas annoncé avant l'expiration de sa déclaration qu'il entend cesser ses travaux, sera censé les continuer, et dans ce cas, il sera pris en charge, etc. »

- Ces amendements seront imprimés et distribués.

(A demain ! à demain !)

M. Mast de Vries. - D'après la tournure que prendra la discussion, le projet de loi pourra encore absorber plusieurs séances ; si la chambre ne se réunit qu'à deux heures, nous ne pourrons guère avancer ; je demande qu'au moins la chambre se réunisse à une heure.

M. le président. - Il a été décidé hier qu'aujourd'hui et les jours suivants la séance aurait lieu à deux heures, cette décision doit être maintenue, parce que la chambre n'est plus en nombre pour délibérer.

La séance est levée à 4 heures et demie.