Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 avril 1842

(Moniteur belge n°119, du 29 avril 1842)

(Présidence de M. Dubus (aîné))

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l'appel nominal à 2 heures.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse analyse les pièces de la correspondance.

« Des distillateurs de l'arrondissement de Bruxelles adressent des observations sur le projet de loi relatif aux distilleries. »

Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


« Le sieur Tack, sous-intendant militaire de 2ème classe, demande l'adoption du projet de loi tendant à accorder au département de la guerre le crédit nécessaire pour la solde des créances à charge du gouvernement,

M. Vandenbossche**.** - Le pétitionnaire est un officier qui se plaint depuis longues années d'une injustice dont il a été victime. Je désirerais que la commission des pétitions fît un prompt rapport et de plus que la pétition fût insérée au Moniteur, afin que tous les membres de la chambre puissent apprécier et la plainte et les explications que M. le ministre donnera dans la suite.

M. Delehaye**.** - Il est inutile d'insérer au Moniteur une pétition qui ne concerne qu'un intérêt particulier.

- Le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport est adopté.

L'insertion au Moniteur n'est pas adoptée.

Projet de loi sur les distilleries

Discussion générale

M. Doignon**.** - Messieurs, le changement le plus important que le gouvernement propose à la législation existante sur les distilleries consiste en une augmentation de droit qui est porté, d'après le projet, de 60 centimes à un franc. Toutefois, M. le ministre des finances a déclaré hier qu'il consentirait à une réduction de 10 c. Messieurs, depuis 1833, plusieurs fois l'impôt dont il s'agit a été successivement augmenté, et chaque fois la proposition de le majorer a excité de vives réclamations de la part des industriels. Mais qu'est-il arrivé ? C'est que toujours l'expérience est venue démontrer que ces plaintes étaient exagérées et même peu fondées. Nous devons donc nous applaudir des diverses augmentations déjà décrétées par la législature, comme je félicite le gouvernement de nous en présenter une nouvelle aujourd'hui. Seulement nous devrions tous en ce moment exprimer un regret ; c'est que depuis dix ans on n'ait pas majoré cet impôt, comme on le fait aujourd'hui : c'est que depuis dix ans on ait dans cette question trop écouté des considérations d'intérêt privé ; c'est que dès le commencement le gouvernement et les chambres n'aient pas eu de notions certaines sur cette industrie, afin de l'imposer comme elle devait l'être depuis longtemps. Malheureusement le passé n'est plus à nous et cette faute irréparable prive le trésor public de plusieurs millions.

J'adopterai donc le système du gouvernement, qui est d'atteindre autant que possible la consommation intérieure et de favoriser en même temps dans l'intérêt de l'agriculture, l'exportation des eaux-de-vie indigènes.

Si j'en juge par les renseignements que je tiens de personnes dignes de foi ayant des connaissances spéciales en cette matière et qui sont désintéressées dans la question, je suis persuadé que le chiffre auquel le gouvernement propose de porter le droit, n'est pas trop élevé, qu'il n'est pas un encouragement pour la fraude et que tous les distillateurs se soumettront, comme ils se sont soumis aux augmentations précédentes.

Les industriels qui précédemment ont prétendu chaque fois qu'on voulait élever le droit, que c'était ouvrir la porte à la fraude, ne sont plus recevables dans leurs allégations, car chaque fois le résultat a constaté que leurs assertions étaient pour le moins inexactes

Pour vous faire mieux apprécier la véracité de toutes ces réclamations qui ont quelquefois de l'écho dans cette enceinte, je crois à propos de vous mettre sous les yeux quelques parties de l'enquête qui a précédé l'adoption de la loi de 1837, et vous jugerez par là du cas que vous devez faire aujourd'hui de toutes les plaintes qui se produisent de nouveau.

Voici d'abord ce que je vois dans le rapport : Que les distillateurs consultés ont répondu qu'en général la loi n'avait besoin d'aucun changement, d'aucune modification, qu'enfin elle ne présentait pas de lacune.

Tel est le langage que tenaient en 1836 les distillateurs, Eh bien, il a été reconnu depuis qu'on vous induisait en erreur, puisque de nouvelles lois ont été faites pour remplir les lacunes qu'on avait découvertes dans la législation existante.

On dit encore :

« Si les distilleries n'étaient pas régulièrement exercées on pourrait frauder ; mais comme ces usines sont constamment sous les yeux des employés, et connus par l'administration, la fraude y devient impraticable.

Voilà, messieurs, dans la bouche des distillateurs eux-mêmes un aveu bien précieux pour nous éclairer dans cette matière, et je vous prie d'en prendre acte :

« D'ailleurs, ajoute le rapport, elle est prévue (la fraude) et punie par le § 9 de l'art. 49. Le projet du ministre des finances de taxer tous les ustensiles d'une distillerie ne peut être pris en considération ; il est injuste, il porte en lui l'anéantissement du principe de la loi actuelle, il en détruit les bons effets. »

Ainsi, on allait anéantir le principe de la loi actuelle, malgré cela l'expérience a prouvé que ce principe subsistait et avait produit les meilleurs effets.

On dit encore ailleurs, page 7 :

« Nous ne connaissons aucun autre moyen de frauder que par l'emploi de cuves et de macérations non déclarées ; encore serait-ce une bien mauvaise spéculation ; le fraudeur perdrait beaucoup plus en produits qu'il ne retirerait de bénéfice des droits fraudés, parce que toutes ces opérations clandestines sont ordinairement très irrégulières. »

Vous vous rappellerez que M. le ministre Mercier, dans son discours accompagnant le budget des voies et moyens pour 1841, vous disait qu'on ne pouvait frauder que de deux manières, ou par l'accélération du travail, par un travail trop précipité, ou par l'établissement de distilleries clandestines, et il vous a alors clairement démontré que l'un et l'autre de ces moyens étaient impraticables.

Je lis encore, page 9 :

« La fraude n'est pas possible par la cuve de réunion ; d'ailleurs tout dépôt dans cette cuve doit être représenté par un vide égal dans les cuves de macération. »

Cependant il a été prouvé à l'évidence que la fraude était possible au moyen de cette cuve, puisqu'on la comprise ensuite dans les vaisseaux susceptibles d'être imposés.

Les réclamants ajoutent : Que deviendront nos bestiaux ? Ce serait la ruine des trois-quarts des distillateurs.

Eh bien, messieurs, on n'a pas écouté ces plaintes et les distillateurs ne sont pas ruinés.

Je vois encore : page 14 :

« Une faible augmentation dans le droit actuel de l'accise ne nécessiterait pas de changements à l'économie de la loi existante. Cette augmentation, si l'on impose les cuves en général, ne devrait être que de 3 à 4 centimes au plus ; une surtaxe plus élevée serait éludée par un travail plus accéléré. »

On s'aveuglait donc tellement qu'on est allé jusqu'à soutenir qu'une augmentation de 3 ou 4 centimes suffisait, qu'au-delà il y avait du danger.

L'impôt établi par la loi sur les eaux-de-vie indigènes aurait, disait-on, pour résultat de rendre impossible toute concurrence avec l'étranger.

Aujourd'hui on ne fait réellement que répéter les mêmes observations, les mêmes arguments qu'on a fait valoir en 1836. On dit encore, comme alors, prenez-y garde ; le pays va être inondé par les produits français et hollandais.

L'expérience a prouvé que toutes ces prévisions étaient complètement fausses et qu'on avait ainsi cherché à induire la chambre en erreur.

erratum, Moniteur belge n°120 du 30 avril 1842) Nous lisons enfin dans ce rapport : « L'augmentation des droits actuels pourrait se faire sans inconvénients ; nous convenons qu'elle peut donner lieu à une tendance à la fraude, mais qui ne pourra se faire que de la manière que nous l'avons exprimée dans la réponse à la première question ; or il nous paraît si difficile d'établir des cuves clandestines et de soustraire les opérations à la vigilance de l'administration, que nous pensons qu'on ne doit pas sérieusement la craindre et qu'elle ne se commettra pas plus alors qu'à présent. »

Encore une fois, ne l'oubliez pas, ce sont les distillateurs eux-mêmes qui reconnaissent ici que la fraude n'est pas du tout à craindre.

Aujourd'hui la question est changée, et cette fraude est bien moins à craindre, puisqu'on a ajouté des pénalités très fortes, l'emprisonnement notamment.

La commission a conclu sur ce point en ces termes : Relativement aux moyens répressifs, la commission pense qu'il faudrait recourir à d'autres moyens plus sévères, si l'augmentation du droit était trop forte. Voilà quel était son langage, en 1836. Eh bien ! l'on a fait depuis lors ce qu'elle demandait. On a ajouté la peine de l'emprisonnement et interdit même toute transaction dans le cas de distillerie clandestine.

« Vous voyez, messieurs, dit-elle encore dans son rapport, que, par les décisions qu'a prise votre commission, toutes les propositions du gouvernement, à l'exception de l'augmentation du taux de l'accise, ont été écartées à une forte majorité. En voici les principaux motifs ; ils sont puisés dans les résultats de l'enquête écrite et verbale que vous connaissez maintenant, messieurs, tout aussi bien que la commission elle-même, qui, s'étant fait un devoir de vous en communiquer toutes les pièces, vous a mis à même de vous convaincre que tous les distillateurs entendus de l'une ou de l'autre manière, ont été unanimes pour signaler comme inadmissibles les changements que le gouvernement avait le projet d'introduire dans la loi actuelle sur les distilleries, en frappant de l'impôt, indépendamment des vaisseaux à trempe, à macération et à fermentation, les cuves de réunion, à levain et de vitesse, les condensateurs, les alambics, les colonnes distillatoires d'appareils à vapeur, ainsi que tous les autres vaisseaux servant, soit à la distillation, soit à la rectification dans les usines. »

Il est constant aujourd'hui que la commission elle-même a été induite en erreur. Car, pas plus de six semaines après, M. d'Huart est venu vous présenter un projet de loi pour frapper les mêmes vaisseaux dont on parle ici, et ce projet a été adopté par la chambre.

Mais une circonstance plus péremptoire encore qui doit écarter toute crainte de fraude, c'est qu'il n'existe pas de procès-verbaux, qu'il n'y a pas eu de contravention, C'est là un fait qui doit, selon moi, faire une grande impression sur vos esprits. Si la fraude n'est pas à craindre, et si elle n'est pas à craindre, parce qu'elle n'est pas praticable, parce que moralement elle n'est pas possible, il en résulte qu'il n'y a aucun danger à augmenter le droit.

Sans doute il ne faut pas l’augmenter outre mesure ; mais quand le droit est supportable, il ne faut pas dire qu'il y a à redouter la fraude, alors qu'il est établi qu'il n'y en a pas eu ; qu’au contraire il a été démontré qu'elle ne peut avoir lieu. Pourquoi dans ce cas n'admettrait-on pas une augmentation comme celle qu'on a précédemment admise ? On a passé de 22 centimes à 60 et on veut aujourd'hui passer de 60 à 90. Ce qu'on a fait déjà on peut encore le faire maintenant et à plus forte raison, puisque les résultats ont dépassé toutes les prévisions.

On s'étonne que le gouvernement demande une augmentation aussi forte. Cette marche est pourtant toute rationnelle. Dans le commencement, c'était un système tout nouveau ; il fallait marcher progressivement, timidement, à tâtons, à défaut de lumières et de connaissances. Mais aujourd'hui que par l'expérience on a acquis la certitude que le système est bon, il faut marcher d'un pas plus assuré, il ne faut plus hésiter et consentir l'augmentation demandée par le gouvernement.

Cependant j'appellerai l'attention de M. le ministre sur certains arrondissements où il paraît que la surveillance est plus difficile, et je demanderai s'il n'est pas possible d'adopter les moyens qui ont été indiqués dans une pétition remarquable de plusieurs distillateurs de la ville de Liége, où on proposait un mode de contrôle plus sûr et plus facile, qui était d'exiger, dans les déclarations à faire à l'administration, l'indication des heures des bouillées et des distillations.

Ces distillateurs proposent également de donner aux sections d'arrondissements une circonscription meilleure que celle d'aujourd'hui, de changer plus fréquemment les employés et de renforcer le personnel dans les sections où il se trouve trop faible.

Je prierai M. le ministre de prendre cette pétition en mûre considération, pour l'exécution de la loi.

J'espère donc que la chambre adoptera le chiffre dont il s'agit, d'autant plus qu'il a été admis par presque toutes les sections. Je vois dans le rapport que trois membres seulement de la section centrale ont voté pour le chiffre de 80 centimes.

Les distillateurs du Limbourg disent que, si on adopte la loi, les exportations vers la Hollande cesseront. Je pense qu'à cet égard, on doit être entièrement rassuré. Le drawbach a été augmenté par le gouvernement, Il s'élève à la somme de 35 francs. Il est évident qu'avec un avantage aussi marqué les exportations pourront se continuer facilement. Ce drawbach porté à 35 fr. ne me paraît pas trop élevé, surtout lorsque, d'un autre côté, il faut reconnaître que la loi doit également favoriser l'agriculture ; il faut qu'elle favorise ces établissements qui sont un moyen de créer des engrais pour nos terres et de pourvoir à l'engraissement du bétail. Dans tous les cas, dit-il en résulter un sacrifice pour le trésor public, j'y consentirais encore, parce que nous devons aussi avoir premièrement en vue le bien-être de l'agriculture.

Dans la séance d'hier, M. d'Huart disait : qu'arrivera-t-il de ce drawbach ? C'est que vous recevrez en moins la somme que vous devrez restituer à l'exportation, vous ne pouvez sortir de là.

Il est de fait qu’on ne peut plus posséder ce qu'on restitue. Mais ce n'est pas là qu'est la question. C'est ici en faveur de l'agriculture et, j'ajouterai, de la navigation, qu'il convient d'encourager la fabrication des eaux-de-vie : Or l'exportation aura produit ce bien-être qu'elle aura en résultat donné beaucoup d'engrais pour nos terres et une bonne nourriture pour engraisser notre bétail.

Les distillateurs de la ville de Gand disent que la loi actuelle anéantira la concurrence que quelques distillateurs soutiennent encore contre les esprits étrangers sur lesquels les droits d'entrée n'ont été augmentés.

Mais ils indiquent eux-mêmes le remède, qui serait d'augmenter les droits d'entrée sur les genièvres ; et l'on y pourvoira si c’est nécessaire. D'un autre côté, on attend avec impatience une loi répressive de la fraude et cette loi contiendra, il faut l'espérer, les moyens de la réprimer d'une manière efficace. D'ailleurs, quant à cette fraude, elle entraîne toujours avec elle tant de dépenses, tant d'embarras, qu'il n'est pas probable qu'elle puisse jamais envahir notre marche intérieur. Je crois que c'est là une crainte chimérique.

On a dit que le genièvre exporté pourrait rentrer. Cet inconvénient, nous l'avons vu pour le sucre ; qu'est-il arrivé, le gouvernement a pris quelques mesures pour atteindre ce moyen de frauder. Si le même moyen était employé pour frauder les eaux-de-vie indigènes, le gouvernement aurait sans doute recours aux mêmes mesures que pour le sucre.

Mais, messieurs, si j'adopte les principales dispositions du projet de loi dont il s'agit, toutefois il en est une que je devrai repousser, c'est celle qui interdit aux villes d'élever la taxe municipale au-delà du tiers de l'accise de l'Etat.

Je crois avec la section centrale que cette disposition est inutile et dans tous les cas trop absolue. Aux termes de la loi communale aucune taxe municipale ne peut être établie sans l'autorisation du gouvernement. Or, cette disposition est complètement suffisante puisqu'il est toujours libre au gouvernement d'autoriser ou de ne pas autoriser. Pourquoi alors lui lier d'avance les mains dans cette question ? On craint, dit-on, qu'une taxe municipale trop élevée ne dérange l'économie de la loi, ne soit une provocation à la fraude : mais d'après la loi communale, le gouvernement est toujours à même de juger si réellement ces dangers existent ou non ; de sorte qu'une pareille disposition me paraît superflue. Je la crois aussi trop absolue.

Toutes les opinions sont d'accord sur ce point qu'il faut frapper autant que possible l’usage immodéré des eaux-de-vie indigènes ; par conséquent, en principe, on doit voir favorablement (erratum, Moniteur belge n°120 du 30 avril 1842) les taxes municipales qui cherchent à atteindre ce but ; car plus on pourra élever ces taxes, mieux on pourra combattre les excès dont on se plaint, et plus on pourra espérer d'atteindre le but qu'on se propose. Or, il y a dans le pays certaines localités où la population ouvrière est si nombreuse et déjà si adonnée aux liqueurs spiritueuses, que la morale publique exige qu'on élève la taxe ; et certes l'intérêt fiscal ne peut vouloir qu'on démoralise telle ou telle localité : C'est donc là une chose qu'il faut abandonner à l'appréciation du gouvernement qui décidera suivant les circonstances.

Quant à la crainte que l'élévation de la taxe municipale soit un appât à la fraude, dans certaines villes, on peut donner à cet égard tout apaisement au gouvernement. Car là où le service de l'octroi est bien organisé, la surveillance sera triple de ce qu'elle est en employant seulement les agents du gouvernement. L'intérêt de l'Etat et l'intérêt de ces villes ne faisant qu'un, les employés du fisc et ceux de la commune surveilleront également, et certainement au moyen d'un contrôle semblable, la fraude ne saurait avoir lieu. On appréhende qu'il ne s'établisse des distilleries clandestines. Mais dans les villes où les maisons se touchent, où l'on aperçoit assez facilement ce qui se fait chez le voisin, et lorsqu'il est plus que difficile de soustraire aux regards les résidus qui proviennent des distilleries, on peut dire qu'avec une telle surveillance, la fraude est réellement impossible.

Dans les campagnes, la surveillance n'est pas aussi facile à cause de l'éloignement de la résidence des employés. Mais dans les villes, ils résident pour ainsi dire près des usines et les ont constamment sous les yeux.

Au surplus, je suppose qu'une administration locale se relâche et n'exerce pas la surveillance qu'on peut attendre d'elle ; je suppose qu'elle ne veuille point se prêter à empêcher la fraude, dans ces cas encore il sera toujours libre au gouvernement de retirer son autorisation.

D'un autre côté, une disposition semblable enlèverait aux villes leurs principales ressources, tantôt un quart ou un tiers de leurs revenus. Mais l'intérêt général ne peut pas aller jusque là de détruire les finances des villes et de les ruiner. Je dirai alors que si l’Etat a ses droits, la commune a aussi les siens, les villes ont aussi les leurs.

Une administration ne peut certainement pas subsister sans finances ; C'est là une condition vitale pour une commune. C'est par conséquent ici un objet d'intérêt communal. Or, aux termes de notre constitution et de la loi communale, c'est aux conseils communaux à régler tout ce qui est d'intérêt communal. L'art. 76 de la loi communale dispose en cette matière ce qui appartient au gouvernement. Il est statué que les délibérations des conseils relatives à l'établissement, au changement ou à la suppression des impositions communales, doivent être soumises à l'approbation du Roi.

Ainsi vous voyez qu'aucune règle fixe ne peut être adoptée en fait de taxe municipale sur les distilleries. Tout doit être subordonné à la sanction du gouvernement, qui doit prononcer d'après les circonstances et en manière telle que l'intérêt communal et l'intérêt général soient parfaitement conciliés.

On doit donc lui laisser toute latitude et rejeter toute règle absolue, telle que celle proposée par le projet. Quand le gouvernement verra qu'il n'y a pas moyen d'échapper à la fraude dans certaines villes, il refusera son autorisation. Mais il ne faut pas lui prescrire des limites dont il ne pourra pas sortir quand l'expérience prouvera qu'on doit faire le contraire. Ce serait une véritable dérogation à la loi communale qui n'a fixé aucune limite à cet égard. Or, ce n'est point incidemment dans une loi de finances que nous pouvons déroger à cette loi de principe.

M. Delehaye. - Messieurs, l'honorable ministre des finances, d'accord avec l'orateur qui vient de parler, repoussant les arguments présentés contre le projet, a dit qu'il ne fallait pas s'effrayer des conséquences de l'augmentation du droit, parce qu'il n'y avait plus de ce chef aucune plainte. On a un système d'argumentation vraiment inconcevable. Quand les plaintes sont nombreuses on les repousse, parce que, dit-on, on se plaint toujours ; et quand, fatigué de se plaindre, on ne fait plus de réclamation, on dit : Ne vous effrayez pas ; on ne se plaint plus.

Je sais que beaucoup de distillateurs se sont plaints dans le temps, et n'ont plus voulu le faire depuis, parce qu'ils étaient fatigués ; mais faut-il toujours qu'il y ait des plaintes pour pouvoir apprécier la position d'une industrie ? Ne nous occupons pour le moment que des distilleries, voyons quelle a été pour cette industrie la conséquence des différentes lois qu'on a portées, et surtout quelle a été leur importance avant et depuis la dernière loi que nous avons faite.

Il est constant (et vous en avez la preuve) qu'à Gand seulement on travaille 40,000 hectolitres en matière macérée de moins qu'avant la loi actuellement en vigueur. Ce fait, personne ne le nie ; tout le monde le connaît, et puis on vient dire qu'il ne faut pas s'effrayer des plaintes. Pour moi, je n'ai pas besoin de plaintes, en présence d'un pareil fait. On s'est effrayé, et avec raison, d'après moi, de la fraude qui doit être le résultat d'un tarif trop élevé. M. le ministre vous a dit que ces craintes n'étaient nullement fondées ; il a ajouté qu'il avait l'ultime conviction que, sous l'empire de la nouvelle loi dont nous nous occupons, il n'y aurait aucun accroissement dans la fraude ; qu'il n'avait été importé frauduleusement qu'une seule pipe en 1841, et qu'il était persuadé qu'il n'en avait pas été importé davantage.

D'abord, de ce qu'à votre connaissance on n'a importé qu'une seule pipe, comment pouvez-vous dire qu'il n'en a pas été introduit davantage, alors qu'on sait que sur toute la frontière la fraude se fait presque journellement ?

J'ai eu un entretien avec un distillateur de Courtrai, qui a été frappé comme nous tous de l'assertion de M. le ministre des finances, et qui m'a dit que non seulement la fraude se faisait sur une grande échelle, mais que chaque semaine on fraudait de 15 à 20 pipes. Ainsi cette assertion ne peut avoir aucune influence sur vos esprits. Je dis, messieurs, que les droits seront d'autant moins perçus qu'ils seront plus élevés.

En Hollande et en France où l'on comprend mieux qu'ici les intérêts généraux, où l'on ne présente pas, à l'appui des projets de loi des arguments auxquels on ne croit pas soi-même, on a adopté le drawbach pour favoriser même l'exportation en petites quantités. Quel est le but d'une pareille disposition ? C'est précisément pour favoriser le commerce interlope, commerce qu'on n'avoue pas, mais qu'on doit favoriser, parce qu'il donne des bénéfices considérables.

M. le ministre des finances doit le savoir, en France et en Hollande, le commerce interlope s'empare de votre nouvelle loi, et comme ces pays remboursent les droits pour des quantités très peu considérables, leur commerce prendra un nouveau développement et c'est vous qui perdrez tous les bénéfices qu'il fera.

M. le ministre des finances a fait observer qu'en face du bureau de la douane française se trouvait un bureau belge. Sans doute, ce bureau empêche qu'on ne fraude en plein jour. Mais vous savez que la fraude ne se fait pas de cette manière, que souvent la douane française (et en cela elle a raison) favorise le commerce interlope. Nous l'avons vu notamment pour les sucres. Il n'y a qu'en Belgique qu'on a la bonhomie de ne pas tolérer cela. Je conviens que ce commerce n'est pas très moral ; il faut bien cependant tâcher d'en tirer profit ; sans cela, il existera à votre détriment.

On a représenté comme une bien grande faveur la présentation du projet de loi qui consacre le système du drawback. Pour ma part, je vois aussi dans cette mesure une très grande amélioration. Je pense qu'il serait très sage d'accorder non seulement le retour des droits payés, mais encore de donner des primes. Cela est en usage dans tous les pays. Toutes les nations qui ont voulu se réserver une partie de la consommation étrangère ont adopté le drawbach. L'Angleterre, la France et d'autres pays dont la prospérité est tant enviée, doivent cette prospérité au drawbach. Je ne suis donc pas l'adversaire de ce système, et quelque faible qu'il soit en faveur des sucres, c'est à lui que vous devez la partie de votre navigation que vous avez conservée. Toutefois il ne faut pas vous dissimuler que si nous adoptez le drawbach, pour les spiritueux, le trésor en souffrira, car tout ce que vous restituerez sera une diminution réelle dans nos recettes. Cette perte pour le trésor ne m'effraie cependant pas, parce que, quand le commerce prospère, on a toujours le moyen de faire de l'argent.

J'ai dit que le drawbach serait nuisible au trésor. M. le ministre des finances ne paraît pas approuver ce que je dis. Mais alors que votre rendement est inférieur au rendement réel, et que votre restitution est supérieure au droit perçu, il doit y avoir perte pour le trésor. C'est là une évidence dont votre intelligence ne réclame pas la preuve ; j'appuie le drawbach ; mais avant tout je veux vous dire la vérité. Je ne veux pas surprendre votre vote ; je désire que vous l’émettiez en parfaite connaissance de cause.

Pour tout ce qui touche aux lois, il faut être vrai, et ne rien avancer de hasardé ; indiquer dans les considérants d'une loi des faits erronés, pour surprendre des votes, est indigne d'un gouvernement et blessant pour la législature.

Je viens à une question d'une autre nature, question beaucoup plus grave, parce qu'elle peut avoir pour la Belgique des résultats très importants.

Depuis la révolution, nous avons toujours augmenté les droits sur les boissons distillées, alors que nous abaissions les droits à l’importation des boissons étrangères. En 1838, croyant faire une loi, dans l’intérêt du trésor et dans celui de l’industrie belge, nous avons augmenté les droits sur les spiritueux étrangers. Mais qu’est-il arrivé ? La chambre, en croyant augmenter les droits, les a diminués ; elle a augmenté le principal mais elle a supprimé les additionnels ; il en est résulté que le droit, qui était de 63 francs a été réduit à 50 francs. Il y a donc eu une diminution de 13 francs. Aujourd’hui, l’industrie belge lutte péniblement contre l’industrie étrangère, elle ne le pourra plus alors que vous aurez augmenté les droits sur les produits nationaux et que vous maintiendrez votre tarif sur les boissons étrangères. Serait-il vrai qu'on n'ose pas prendre une mesure qui frappe la France ou d'autres pays ? Serait-il vrai que, soit défaut d'intelligence, soit pusillanimité on recule devant des mesures qui seules peuvent sauver l'industrie belge.

Pour moi, messieurs, je ne conçois pas qu'on demande une augmentation sur les produits belges, alors qu'on n'en demande pas sur les produits étrangers. Sans doute, en thèse générale, on serait mal venu à demander une augmentation de droits sur les produits d'un pays avec lequel on est en instance pour faire un traité de commerce. Il fallait un prétexte. Eh bien, y eût-il jamais un prétexte plus favorable ? Que ne parliez-vous des intérêts du trésor et de la morale publique qu'on a tant invoqués, à tort d'après moi ? Mais puisque sur ces motifs est basée la loi, pourquoi ne les avez-vous pas invoqués contre l'étranger ? C'était une occasion favorable pour frapper l'industrie étrangère. Vous l'avez négligé. C'était là cependant la mesure qu'il fallait prendre, d'autant plus que vous voulez faire des traités de commerce, et qu'on n'obtient jamais de conditions favorables d'un pays à qui l'on n’a pas de concessions à faire. Au lieu de profiter de l'occasion qui vous était offerte de protéger l'industrie belge, vous frappez cette industrie et vous protégez l'industrie similaire étrangère ; c'est à son profit que vous modifiez votre législation.

Je l'ai dit souvent, je n'ai aucune foi dans vos négociations commerciales avec la France ; mais si vous voulez entamer des négociations commerciales avec ce pays, commencez par frapper son industrie.

La loi qui vous est soumise est fort importante ; elle réclame de grandes modifications. J'ai eu l'honneur de présenter plusieurs amendements. Quand je les soutiendrai, je me réserve de présenter diverses considérations.

Dans tous les cas, quelles que soient les modifications apportées à la loi, j'y refuserai mon vote, aussi longtemps que le ministre n'aura pas déclaré qu'il a l'intention de proposer une augmentation de droits sur les produits étrangers. J'insiste à cet égard. Je désire qu'on me donne une réponse catégorique.

M. de Nef. - La chambre ayant voté plusieurs dépenses depuis l'adoption des budgets pour 1842, il devient très nécessaire, si l'on veut les balancer régulièrement, de songer aux voies et moyens nouveaux. Mais partant de cette nécessité, je pense que, de toutes les matières sujettes à être imposées, le genièvre peut le mieux supporter une augmentation d'impôt, et c'est dans cette conviction que je voterai pour l'art. 2., proposé par M. le ministre, c'est-à-dire dans le sens d'un franc sans additionnels, et d'autant plus que les mesures à prendre pour prévenir la fraude ne me paraissent pas difficiles, et que l'introduction du genièvre hollandais est insignifiante, tandis qu'au-delà de quinze cents hectolitres ont été envoyés à Turnhout dans une seule année par des distillateurs indigènes qui travaillent par la vapeur, et je sais en outre que l'exception accordée par la loi précédente aux distilleries agricoles n'a produit aucun effet dans l'arrondissement de Turnhout, où, en exceptant, comme je vous l'ai démontré l'année dernière, seulement trois à quatre petites distilleries, toutes les autres continuent à chômer, parce que la concurrence des petites est insoutenable ave les grandes dont le travail se fait par la vapeur, si une certaine exception, qui rendra la concurrence plus facile, n'est pas accordée aux distilleries agricoles.

Convaincu donc de la réalité de ces assertions, j'adopterai, avec l'impôt précité, l'amendement proposé par nos honorables collègues, MM. Mast de Vries, Scheyven et Duvivier ; dont l'adoption pourra peut-être contribuer à faire recommencer le travail dans quelques petites distilleries qui chôment.

(Moniteur belge n°120, du 30 avril 1842) M. Verhaegen. - Messieurs, j’ai combattu avec force la loi qui vous fut présentée l’année dernière par l’honorable M. Mercier, alors ministre des finances. Je combattrai avec plus de force encore le projet de loi que nous présente aujourd'hui l'honorable M. Smits.

On veut augmenter les ressources du trésor ; on veut extirper l'ivrognerie, l'immoralité. Messieurs, en adoptant le projet de loi que nous discutons, vous n’augmenterez pas les ressources du trésor, vous n'extirperez pas l’ivrognerie. Que ferez vous donc ? Vous encouragerez la fraude, vous sacrifierez les distilleries du pays aux distilleries de l'étranger.

Examinons d'abord ce que l'on veut bien appeler le côté moral de la loi, et tenons pour constant avec d'honorables préopinants que, fût-il démontré, autant qu'il ne l'est, qu'une augmentation de droits dût tourner au profit du trésor et même dût amener une augmentation de prix dans les genièvres, toujours la consommation serait la même, L'expérience est là pour le démontrer. Nonobstant les augmentations de droits de 1837 et 1841, il n'y a eu aucune variation dans les statistiques de la consommation.

On a prétendu que depuis l'abrogation des lois de 1822, les crimes et délits étaient devenus plus considérables et que les prisons se trouvaient encombrées. Où donc est la preuve de cette assertion ?

L'honorable M. d'Huart a fait hier une digression au sujet des prisons, et je ne suis pas fâché que l'occasion me soit offerte d'en faire une à mon tour.

L'honorable M. d'Huart vous a dit, et il a eu parfaitement raison, que l'encombrement des prisons n'est pas dû à la cause qu'on lui assigne, mais qu'il est dû uniquement à un vice qui se rencontre dans la législation militaire et que j'ai eu l'honneur de vous signaler lors de la discussion du budget de la guerre. A cette époque, on a osé me donner un démenti sur un fait que l'on est obligé de reconnaître exact aujourd'hui, et ce n'est pas la première fois qu'on s'est permis d'en agir ainsi à mon égard. Il y a quatre mois n'ai-je pas été l'objet des plus violentes attaques, n'ai-je pas été accusé d'exagération pour mes opinions en matière de douane, et cependant ce sont ces opinions qui aujourd'hui, trouvent faveur dans cette enceinte. L'inexorable, mais en même temps le consolant il est là pour le prouver.

Je disais, lors de la discussion du budget de la guerre, qu'il fallait attribuer l'encombrement des prisons aux condamnations nombreuses emportant déchéance du service militaire que recherchent avec avidité la plupart de nos miliciens ; c'est ce qu'a dit aussi l'honorable M. d'Huart, qui s'est empressé de signaler cet abus à M. le ministre de la justice.

J'ajouterai que la dernière émeute que nous avons eu à déplorer dans la prison d'Alost est duc à la circonstance que le gouvernement a cherché un remède à cet abus en accordant à des miliciens qui ne le demandaient point des lettres de grâce, les relevant de la déchéance. Ce sont ces miliciens déçus dans leur espoir qui ont embauché leurs compagnons et ont fomenté les désordres.

Ainsi, quant au prétendu côté moral, c'est uniquement un prétexte pour faire passer une loi, qui dans la réalité est inutile pour le but qu'on indique.

Reste cette autre raison qui est de nature à exercer sur vos esprits, comme sur le mien, une grande influence : c'est qu'il faut augmenter les ressources du trésor. Certes, quand nous votons des dépenses, il est dans l'ordre que nous votions aussi des ressources. Mais la question est de savoir si, en votant la loi, nous donnerons des ressources au trésor.

Messieurs, soyez-en bien convaincus, en adoptant le projet de loi, vous ne donnerez pas un sol de plus au trésor, vous vous bornerez à encourager la fraude et surtout à servir les intérêts de l'étranger.

Je ne répéterai pas ce que d'honorables collègues vous ont dit à cet égard. Je me permettrai seulement d'ajouter quelques observations nouvelles et de répondre en même temps à quelques objections qui ont été faites par M. le ministre des finances, et que pour la plupart je rétorquerai contre lui.

Mais avant tout, une observation préliminaire et qui me semble, à moi, d'un très grand poids :

Nous avons entendu jusqu'à présent trois anciens ministres des finances ; nous avons entendu les honorables MM. Duvivier, Coghen et d'Huart, dont l'expérience dans cette matière est incontestable. M.M. Duvivier et Coghen ne veulent aucune augmentation de droits ; le prix extrême pour eux est 60 centimes. L'honorable M. d'Huart ne veut dans aucun cas excéder la limite de la section centrale, soit 80 centimes.

Nous avons encore à entendre un autre honorable collègue qui était ministre avant M. Smits, et j'ai lieu de croire qu'il viendra renforcer l'opinion de ses trois prédécesseurs ; resterait l'honorable M. Smits, qui serait d'une opinion contraire, et qui seul aurait raison !! L'expérience de quelques mois d'un seul homme l'emporterait-elle donc sur l'expérience de quatre hommes pendant plusieurs années !!

Il me semble, messieurs, qu'en mettant de côté toute prévention, et en voyant les choses telles qu'on doit les voir, l'augmentation que vous demande le gouvernement, et même l'augmentation que vous propose la section centrale, ne peut, comme je vous l'ai dit, avoir pour résultat que d'encourager la fraude et rien de plus.

Et en effet, messieurs, comment l'honorable M. Smits a-t-il répondu aux objections qui lui out été faites quant à la fraude ? Il vous a dit, mais il est resté en défaut de le prouver, que la fraude à l'intérieur comme la fraude à l'extérieur étaient, sinon impossibles, au moins très difficile.

La fraude à l'intérieur, j'y attache fort peu d'importance pour mon argumentation. Mais, quoi qu'en ait dit l'honorable M. Smits, l'expérience a démontré que cette fraude n'est pas si difficile qu'il veut bien le dire, et surtout qu’elle n'est pas impossible.

Mais enfin, je veux bien admettre pour un instant que la fraude à l'intérieur soit impossible, et certes c'est faire une grande concession. Eh bien, si je démontre qu'il y a fraude, et je le démontrerai avec d'honorables préopinant de la manière la plus claire ; si je démontre qu'il y a fraude, et si la fraude à l'intérieur est impossible, c'est donc au profit de l'étranger que tourne cette fraude. La différence qui existe entre la fraude à l'intérieur et la fraude à l'extérieur, c'est que la première peut au moins profiter à quelques-uns de nos concitoyens, tandis que la seconde profite pour la plus grande partie à l'étranger.

Occupons-nous donc de la fraude qui se fait à l'extérieur. Elle est aussi impossible, dit le ministre des finances ; et pourquoi donc est-elle impossible ? A en croire l'honorable M. Smits, parce que lorsqu'on veut obtenir à l'étranger l'estampille des droits payés il faut commencer par faire décharger les acquits au bureau de sortie qui se trouvent presque en face des bureaux d'entrée belge.

Déjà on a répondu en partie à cette objection, qui n'a aucune espèce de fondement. Mais qu’il me soit permis d ajouter que la fraude ne se fait pas de la manière que le prétend M. le ministre. Commençons par la Hollande, et voyons comment se fait la fraude par mer, nous venons ensuite comme elle se fait par terre. Le bureau de sortie de la Hollande est à Baths, et le- bureau d'entrée de la Belgique est à Lillo. Entre Baths et Lillo il y a, je crois, une distance de deux lieues. Maintenant je serais curieux de savoir comment M. Smits, qui doit être au courant de ce qui se passe sur la frontière, a pu commettre une erreur aussi grossière que celle qui sert de base à son objection.

Comment se fait donc la fraude ? Mais le bons sens nous l'indique. Les navires se mettent en panne, simulent le cabotage et jettent sur la côte de petits barils de genièvre ; ce qui, loin d'être impossible, est très facile, et ce qui se fait journellement. Car c'est de notoriété publique.

M. Rodenbach. - C'est très exact.

M. Osy. - Oui, c'est vrai.

M. Verhaegen. - Je fais un appel à cet égard aux autres honorables députés de ces localités.

Vous voyez donc que c'est une chimère de prétendre que la fraude est impossible, parce qu'en face de chaque bureau de sortie, il y a un bureau d'entrée.

Ajoutez à cela une circonstance excessivement importante, je l'ai démontrée l'année dernière, et je ne reviendrai pas sur cette démonstration, elle se trouve dans le Moniteur de l'époque ; j'ai démontré que la Hollande, indépendamment de la restitution des droits, accordait une prime d’exportation de 1 florin 50 cents par hectolitre. Je l'ai démontré par des chiffres. On me fait même signe qu'elle va jusqu'à 2 florins.

M. Rodenbach. - Jusqu'à 2 florins 50 cents.

M. Verhaegen. - Encore plus, mon argument n'en sera que plus fort. Vous voyez que je ne suis pas dans l'exagération, lorsque j'énonce un fait. Je ne parlais que de 1 florin 50 ; on me dit à ma gauche 2 florins et plus loin un honorable membre élève le chiffre à 2 florins 50. Je le remercie de l'observation.

Eh bien, messieurs, la Hollande restitue les droits et donne, en outre, une prime de 2 fl. 50 c. ; de plus l'introduction en Belgique, loin d'être impossible, est très facile de la manière que je viens de l’indiquer, et elle se pratique ainsi tous les jours, et vous voulez encore une augmentation considérable de droits, ce qui est un nouvel encouragement à des spéculations que la loi réprouve.

Vous parlez d'immoralité, mais messieurs, ce qui est immoral au-dessus de tout, c'est la fraude, et une loi qui favorise la fraude est une loi immorale.

Messieurs, indépendamment de la facilité que les localités dont je viens de parler offrent à la fraude, les gouvernements étrangers n'ont-ils pas intérêt, comme l’a fort bien dit l’honorable M. Delehaye, à favoriser les infiltrations ? dussent-ils donner à ceux qui importent des convoyeurs spéciaux, pour les laisser échapper à vos bureaux de douanes, ils le feraient sans aucun scrupule. Nous en avons d'ailleurs des exemples, n'avons-nous pas vu dans maintes circonstances que des convoyeurs spéciaux étaient donnés à ceux qui voulaient introduire des spiritueux en fraude ?

On à parlé de ce qui se pratique à la frontière de France, on a dit que là la fraude est impossible parce qu’il y a un bureau d'entrée et pas de bureau de sortie. Mais encore une fois croyez-vous que lorsqu'on veut frauder, on aille précisément se mettre en face du bureau d'entrée ?

Comme l'a fort bien dit l'honorable M. Delehaye, la France favorise aussi la fraude par infiltration ; la France comme la Hollande connaît les intérêts de ses nationaux, elle fait ce que nous devions faire aussi, si toutefois nous ne le faisons pas. Je fais à cet égard un appel à M. le ministre des finances ; il doit avoir dans les archives de son département des rapports qui attestent qu'en France on est allé si loin que, pour favoriser le commerce interlope, on a donné des commissions spéciales à des instituteurs ruraux pour décharger les acquits, là où il n'y avait pas d'employés de douanes, on est allé jusque-là, et les rapports qui en font foi doivent exister au ministère des finances. C'est là, messieurs, un fait très grave et qui devrait attirer l'attention sérieuse du gouvernement belge.

Vous voyez donc, messieurs, que non seulement la fraude n'est pas impossible, mais qu'elle n'est pas même difficile. Or si elle n'est pas difficile, si elle s’est faite jusqu’à présent avec le droit établi par la loi en vigueur, ne recevra-t-elle pas une extension considérable lorsque vous aurez porté le droit de 60 centimes à 1 franc ou même seulement à 80 centimes ?

On a argumenté d’un tableau que la section centrale a joint à son rapport et dont il résulte qu’il y a une différence d'au-delà de 400,000 hectolitres sur les déclarations de 1841, comparativement à celles de 1840. Eh bien, messieurs, si le fait est exact…

M. le ministre des finances (M. Smits) - Il est exact.

M. Verhaegen. - Je prends acte de la déclaration de M. le ministre, et puisque le fait est exact, je vais en tirer une double conséquence. Ainsi, depuis que le droit a été porté de 40 à 60 cent. il y a eu diminution dans les déclarations ; cependant la consommation est restée la même, cela a été démontré à la dernière évidence pour me servir d'une expression triviale, on n'a pas bu un petit verre de genièvre de moins en Belgique depuis que le droit a été augmenté ; dès lors il est évident que la fraude a remplacé les déclarations. A cet argument, que je considère moi comme péremptoire, on répond que la diminution provient de ce que, dans le dernier semestre de 1840, on avait accéléré les travaux pendant la prévision de l'adoption de la loi nouvelle.

En effet, la loi a été présentée au mois de novembre et elle a reçu son exécution au mois de mars suivant ; la prévision de l'adoption de cette loi a donc pu exercer son influence sur le mois de décembre, et cela aurait amené, suivant M. le ministre des finances, une augmentation de production de 400,000 hectolitres. Mais, messieurs, comme la loi n'a reçu son exécution qu'au mois de mars, la même influence a dû agir sur les mois de janvier et de février, et dès lors vous devez tenir compte, pour chacun de ces mois, d'une différence à celle qu'a présentée le mois de décembre ; si donc vous défalquez de ce chef 400,000 hectolitres de l'exercice 1840, pour le mois de décembre, vous devez défalquer en même temps deux fois 400,000 hectolitres mais 800,000 hectolitres de l'exercice 1841, pour les mois de janvier et février, et alors vous arriverez à cette conséquence qu'il a été déclaré en 1841 non seulement 400,000 mais 800,000 hectolitres de moins qu'en 1840. Il me semble, messieurs, qu'il n'est pas possible de répondre à cette argumentation.

Si depuis la loi de 1841, qui a augmenté le droit de 40 à 60 c., il a été déclaré 800,000 hectolitres de moins , et si d un autre côté, il est établi que la consommation est restée la même, il est évident que ces 800,000 hectolitres ont été fraudés. Or, pourquoi cette fraude a-t-elle eu lieu ? Evidemment parce que vous avez élevé le droit ; mais si vous avez encouragé la fraude en élevant le droit de 40 à 60 centimes, que sera-ce, lorsque vous le porterez de 60 centimes non seulement à 80 centimes, comme le propose la section centrale, mais à 1 fr. comme le demande le gouvernement ? J'ai l'intime conviction que si vous adoptez cette proposition, vous aurez un énorme déficit sur vos prévisions.

Ce que j'ai eu l’honneur de vous dire, messieurs, relativement au tableau joint au rapport de la section centrale se démontre encore plus évidemment par les chiffres spéciaux du 4ème trimestre de 1840, mis au rapport avec les chiffres du 1er trimestre 1841 ; il a été déclare 1,901,248 hectolitres pendant le 4ème trimestre de 1840, et pendant le 1er trimestre de 1841, il a été déclaré 2,086,541 hectolitres. Mais croyez-vous que cette augmentation soit due à la prévision de l'adoption de la loi qui était alors soumise à la chambre ? Quant à moi, je ne le pense pas, et en consultant le tableau, je vois toujours figurer une augmentation chaque année pour le 1er et le 4ème trimestre, comparativement au 2ème et au 3ème et cela se conçoit, messieurs, car c'est pendant le 1er et le 4ème trimestre que se font les travaux importants, tandis que pendant le 2ème et le 3ème trimestres les distilleries chôment au moins en partie.

Du reste, messieurs, si vous attachez de l'importance à la prévision de l'adoption d'une loi nouvelle, voyez ce qui se passe en ce moment : voilà maintenant longtemps que les distillateurs connaissent l'intention du gouvernement de proposer de porter le droit de 60 centimes à 1 fr. ; croyez-vous que pour cela ils pressent leurs travaux, qu'ils fassent des travaux extraordinaires ? si vous le croyez, détrompez-vous, car j'ai pris des renseignements à cet égard (et M. le ministre des finances pourrait en prendre de son côté et les communiquer à la chambre), j'ai pris, dis-je, des renseignements, et les déclarations, loin d'augmenter, ont graduellement diminué depuis que le projet de loi est connu des distillateurs.

M. de La Coste fait un signe négatif.

M. Verhaegen. - L'honorable M. de la Coste pense que je me trompe ; eh bien, que M. le ministre des finances vérifie les faits, et vous verrez messieurs, que les déclarations vont en décroissant depuis que le nouveau projet de loi a été présenté.

Messieurs, pourquoi les distillateurs ne font-ils pas de travaux extraordinaires, pourquoi, au contraire, travaillent-ils moins qu'auparavant ? C'est parce qu'ils n'osent pas se fier aux résultats de la loi que vous allez faire.

Les distillateurs doivent craindre que ces augmentations n'auront d'autre effet que de favoriser la fraude. En voulez-vous la preuve, messieurs ? C'est que, d'après les renseignements que j'ai reçus, chaque fois qu'on a proposé d'augmenter ces droits, le prit du genièvre a baissé. Vous pourriez consulter les mercuriales et vous acquerriez la certitude qu'immédiatement après la présentation de la loi de 1837, les prix du genièvre ont baissé comme ils ont baissé après la présentation de celle de 1841.

Un honorable collègue me fait remarquer qu'on avait trop produit. Eh bien, cet argument prouve contre celui qui le fait ; car voilà ce qui se fait alors : ce que les distillateurs perdent par la hauteur du droit, ils veulent le regagner par la vitesse des travaux en sacrifiant les produits. Ainsi, les distillateurs qui, en tirant des matières premières tout ce qu'ils peuvent en tirer, en travaillant pendant 36 heures, ne travailleront que 24 heures, alors qu'il y a augmentation de droit.

Qu'est-ce qui en souffre ? C'est la fabrication ; elle qui ne présente plus les avantages qu'elle est en état de produire ; l'avantage de la vitesse compense, et de beaucoup, la perte qu'on fait sur la matière première, et ainsi l'argument tourne contre celui qui l'a présenté.

Messieurs, les statistiques sont certes très importantes en pareille matière. On a raisonné du tableau, et je pense avoir renforcé les arguments de ceux qui se sont étayés sur ce tableau ; je crois avoir répondu aux arguments de M. le ministre des finances, et les avoir même rétorqués contre son propre système.

Mais il est encore une statistique qu'on peut consulter en reculant de quelques années, On a déclaré, en 1834, 9 millions d'hectolitres, et en 1838 on n'a déclaré que 7,430,000 hectolitres. Cette diminution dans les déclarations est due à la loi de 1837, qui portait le droit de 22 cent. à 40.

L’honorable M. Delehaye vous a dit encore une grande vérité, en vous faisant remarquer qu'alors que vous voulez augmenter le droit à l'intérieur, vous devriez, par corrélation, augmenter les droits d'entrée des spiritueux étrangers.

Et, en effet, comment est-il possible de soutenir la concurrence, alors que vous augmentez le droit, d'abord de 40 à 60, puis de 60 c. à 1 fr. ou même seulement à 80 c., et que les droits d'entrée sur les spiritueux étrangers restent les mêmes ?

Si vous laissez les spiritueux étrangers dans le même état où ils sont aujourd'hui, et si vous augmentez les droits des spiritueux à l’intérieur, vous détruisez complètement l'industrie belge ; l'honorable M. Coghen vous l'a dit, et on me l'a confirmé depuis ; il y a déjà des propositions faites par des maisons françaises pour livrer les 5/6 à des prix inférieurs à ceux auxquels ou peut livrer nos genièvres en Belgique. C'est une spéculation qui s'annonce et qui se fera, et c'est la loi que vous allez faire qui favorisera cette spéculation.

Les droits qui se restituent à la sortie de France sont un avantage accordé aux spiritueux français contre nos produits, parce que les esprits qui sortent de France, contre restitution des droits, sont introduits par infiltration en Belgique, car il n'est pas exact de dire, comme l'a avancé M. le ministre des finances, qu'il y a un bureau d'entrée en face d'un bureau de sortie.

Il y a plus, et si les renseignements que je tiens sont exacts, et j'ai tout lieu de croire qu'ils le sont, les employés de la douane française accompagnent les pipes d'esprit jusqu'à la frontière française, et là ces esprits sont transvasés dans de petits barils qu'on introduit ainsi en Belgique à dos d'hommes. Vous aurez beau dire et beau faire, vous n'empêcherez pas cela ; et cependant M. le ministre des finances disait hier que la fraude était impossible ; qu'elle était impossible pour l'extérieur, comme elle l'était pour l'intérieur

Messieurs, je crois qu'en maintenant le droit à 60 cent, on fera chose fort utile au trésor, et en même temps aux industries que nous devons protéger, et je prends dans cette circonstance la parole avec d'autant plus de plaisir que c'est toujours la même opinion que je professe, à savoir qu'il faut accorder à nos industries une sage protection.

Je répète, messieurs, qu'en maintenant le droit à 60 centimes, on fera chose utile et au trésor et à nos industries ; en majorant tout d'un coup ce droit à un franc, vous tuerez nos industries, et vous ne ferez rien pour le trésor ; en les portant à 80 centimes, vous donnerez lieu à des inconvénients moindres peut-être, mais vous compromettrez le sort de nos distilleries et surtout de nos distilleries agricoles, en même temps que vous favoriserez la fraude.

Messieurs, je ne puis pas me dispenser de dire dès à présent un mot sur la hauteur du droit que M. le ministre des finances voudrait accorder à la sortie de Belgique, c’est-à-dire sur le drawback.

Jusqu'ici, et c'est une chose singulière, nos industriels se sont plaints, de ce qu'on refusait de leur restituer à la sortie les droits qu'ils avaient réellement payés ; ils se sont plaints de ce que la restitution n'était pas suffisante. Jamais ils n'avaient pu obtenir justice à cet égard, et l'exportation était impossible. Mais voilà que tout d'un coup on porte la restitution des droits à un taux exorbitant.

Qu'il me soit permis de le dire ; c'est là une grave erreur, et en même temps un moyen de ne favoriser que certaines localités. Je dirai à cet égard toute ma pensée : si l'on porte le taux à 35 ou même à 55, on va donner des avantages immenses aux distilleries d'Anvers, et l'on tuera toutes les autres distilleries du pays. Et pourquoi ? parce que déjà la restitution des droits d'octroi, telle qu'elle est établie à Anvers, constitue une prime considérable, parce qu'ensuite Anvers aura plus de facilités que toutes les autres localités pour ses exportations, et qu'enfin à ces avantages viendra se joindre la prime exorbitante que l'on propose d'accorder.

Quelle sera la conséquence de cet état de choses ? Un déficit pour le trésor public. Je sais bien que si l'on ne restituait que ce qu’on a payé, il y aurait balance parfaite, mais il n'en est plus de même, si à la sortie on restitue beaucoup plus que l'impôt du droit.

Voilà, messieurs, où tend le projet de loi qui nous est soumis.

Les industriels, nous a-t-on dit, ne sont plus recevables à se plaindre de la fraude. Il a été démontré, a ajouté M. le ministre des finances, que la fraude était impossible ; et puis d'ailleurs les industriels n'ont pas réclamé, alors que le projet de loi a été porté à leur connaissance

Ils ne sont plus recevables à se plaindre, parce que la fraude est reconnue impossible !... Mais c'est résoudre la question par la question. Vous dites que la fraude est impossible ; moi, je crois, au contraire, qu'elle est très possible et très facile ; il n'y a entre nous que cette différence, c'est que je démontre ce que j'avance, tandis que vous, vous n'avez donné aucune démonstration de votre proposition.

Si les distillateurs n'ont pas adressé à la chambre une masse de pétitions contre le projet de loi qui doit amener la ruine de leur industrie, c'est que d'abord ils ont eu foi dans vos consciences et dans vos lumières ; s'ils n'ont pas réclamé, c'est qu'on finit par se lasser de réclamer. Les industriels n'ont-ils pas vu successivement augmenter les droits de 22 à 40, de 40 à 60 c., et maintenant l'on propose de les porter à un franc, ce qui équivaudrait à l'anéantissement de la distillerie en Belgique.

Quant à moi, je voterai aujourd'hui, comme en 1841, contre toute loi qui aurait pour objet une augmentation quelconque sur le droit.

(Moniteur belge n°119, du 29 avril 1842) M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai écouté avec un vif intérêt les discours qui ont été prononcés. La question a été bien étudiée cette fois-ci, et je dois déclarer que je partage en grande partie l'opinion de l'honorable préopinant, ainsi que celle de l'honorable M. Delehaye ; mais j’adhère plus complètement encore à l'opinion de l'honorable M. d'Huart. Je suis d’accord avec l'honorable préopinant, que le drawbach causera un préjudice infini au trésor public et aux distilleries. Il en sera ici comme avec le sucre ; pour le sucre, on a accordé un drawbach immense ; le sucre devait rapporter des millions à l'Etat, et n'a pour ainsi dire rien produit ; aussi nous a-t-on propose un projet de loi pour récupérer ces millions qu'on a donnés aux raffineurs de sucre.

Je crois qu'un résultat aussi fâcheux serait la conséquence du drawbach de 55 fr., et que les distilleries d'Anvers, grâce à ce drawbach et à la prime d'octroi dont elles jouissent déjà, seraient dans une position beaucoup plus favorable que les autres distilleries du pays. Les distillateurs d'Anvers ne se borneront pas à vendre dans la Campine, mais ils s'adresseront à tout le pays, parce que leurs distilleries sont montées sur une grande échelle. J'ai déjà signalé, l'année dernière, que, grâce à la prime d'octroi, ils pouvaient vendre dans toute la Belgique aux dépens des autres distillateurs, tant agricoles que commerciaux.

Je ne puis partager l'opinion de l'honorable M. Delehaye et de l'honorable préopinant quant à l'augmentation des droits des eaux-de-vie françaises à leur entrée en Belgique. Il a été prouvé que la diminution du droit sur cet article a diminué la fraude, quoiqu'elle existe encore ; car M. le ministre a été fort mal instruit, lorsqu'il a dit qu'il n'y avait pas de fraude. Dans ma localité, par exemple, il est à la connaissance de tout le monde que la fraude a lieu.

L'honorable préopinant vous a dit, messieurs, comment la fraude pouvait facilement se faire de Hollande en Belgique. Il est inutile de revenir là-dessus, mais je dirai deux mots sur la fraude qui se commet de France en Belgique. On arrive avec des pipes d'esprit à l'un des bureaux situés sur la frontière ; on met alors la liqueur dans de petits barils, et ensuite, les employés accompagnent jusqu'à l'extrême frontière les contrebandiers, pour favoriser leur commerce d'interlope, et ils ne les abandonnent que lorsqu'ils se sont assurés que le genièvre est entré en Belgique, et cela pour qu'il ne puisse plus rentrer en France pour frauder le droit français. Ces faits sont constants. Je défie quiconque de soutenir le contraire.

Je dois déclarer, en terminant, que je regarde comme fondée l'opinion exprimée par l'honorable M. d'Huart, à savoir que 80 c. rapporteront plus au gouvernement qu'un droit d'un franc ; les considérations qu'on a fait valoir ne peuvent laisser aucun doute à cet égard. Je crois encore que la question a été suffisamment débattue, et qu'on pourrait clore la discussion générale pour aborder la discussion des articles.

M. de La Coste. - Messieurs, je commencerai par dire que ce qui a donné lieu au signe de dénégation auquel a répondu l'honorable M. Verhaegen, ce sont des renseignements particuliers que j'ai recueillis, Ces renseignements et ceux sur lesquels s'appuyait l'honorable orateur s'appliquent peut-être à des localités différentes ; pour connaître l'état général des choses, il faudrait savoir ce qui se passe dans les différentes localités ; ceci ne peut guère être que le fait de M. le ministre des finances, qui nous donnera probablement des explications à cet égard.

Je comptais ne traiter qu'un des points que soulève l'examen de la loi qui nous occupe, et je me proposais de réserver mes observations pour la discussion des amendements. Mais depuis, j'ai pensé que cette question, comme plusieurs autres, était connexe avec celle du taux de l'impôt, que celle-ci était une question complexe ; en effet, j'y rattache la question des distilleries agricoles, celle des jours fériés et celle de la prime. On sentira, par exemple (ceci est une hypothèse), que si l'on accordait une faveur particulière aux distilleries agricoles, il en résulterait une réduction de produit, qui devrait être couverte par un impôt plus élevé en général, ou bien la loi, au lieu de rapporter davantage au trésor, diminuerait encore ses ressources.

Je ne suis épris d'aucun impôt, d'aucune augmentation d'impôt, mais je ne puis me dissimuler les nécessités de l'Etat. Depuis le peu de temps que j'ai l'honneur de siéger parmi vous, j'ai voté ou vu voter des sommes considérables ; et je m'attends, je dirai presque, j'espère voter incessamment une loi qui me paraît de nature à fermer, pour ainsi dire, une cicatrice au front de la patrie, qui n'est pas directement une loi réparatrice mais qui en aura les conséquences.

Eh bien ! messieurs, faut-il toujours recourir à l'emprunt ? Mais c'est là, selon moi, une voie qui conduit à une abîme. Il ne faut pas adopter l'impôt proposé comme un bien, car l'impôt lui-même est un mal, mais il faut préférer le moindre mal.

Or je pense qu'une majoration sur les eaux-de-vie sera un moindre mal que beaucoup d'autres impôts. Un honorable membre a indiqué beaucoup de moyens de procurer au trésor les ressources dont il a besoin. Je ne les ai pas examinés avec l'attention que je donnerais à un projet de loi, mais qu'on les présente sous cette forme, et on verra qu'ils seront l'objet d'autant d'objections qu'il y a de membres de cette assemblée.

Je n'attache pas grande importance à ce qu'on a dit de l'effet moral de la loi. J 'admets parfaitement, avec un honorable membre, que l'emploi du genièvre dans une certaine proportion est même utile à la classe ouvrière, certaines localités, certains travaux l'exigent ; mais son usage en grande quantité est certainement contraire à la santé du peuple et peut amener de funestes résultats.

C'est une denrée qui se consomme par petites quantités, ou, comme on dit, par petits verres. C'est donc un impôt qui revient à très peu de chose pour chaque consommateur qui ne fait pas abus de la boisson à laquelle l'impôt s'applique. Ces réflexions conduisent à considérer la majoration de cet impôt avec une certaine indulgence. Je ne dis pas jusqu'où j'irai dans cette majoration. J'attendrai, pour me décider, que je sois éclairé par les réponses de M. le ministre. J'attendrai ce qu'il nous dira relativement à la concurrence étrangère. Il est évident que, quand on majore l'impôt sur un produit indigène, il faut que l'impôt correspondant sur les produits similaires étrangers soit mis en harmonie avec cette majoration, et qu'on établisse des moyens efficaces pour la répression de la fraude.

Du reste, je voudrais que nous arrivassions à un taux où nous pussions rester, à moins de la circonstance très peu prévue, par exemple, d'une grande diminution du prix des grains qui rendrait la majoration actuelle peu sensible et en faciliterait une nouvelle.

J'admets tout à fait avec M. d'Huart qu'il faut agir avec prudence, qu'il ne faut pas de majoration trop brusque. Mais à côté de l'inconvénient d'une majoration trop brusque, il y a le danger des majorations successives. Chaque fois qu'une majoration doit avoir lieu, on l'a signalé dans la discussion, et c'est, je crois, ce qui se passe maintenant, la production est stimulée ; on produit une grande quantité pour spéculer sur la majoration. Outre la perte qui en résulte pour le trésor, cela jette la perturbation dans le commerce. Je voudrais qu'on pût arriver de plein saut à un taux qui demeurât stable.

J'ai dit tout à l'heure que je n'étais pas décidé sur le taux que j'admettrais, que j'attendrais les lumières de la discussion : ces lumières doivent venir d'hommes spéciaux, d'hommes plus instruits de ces choses que moi. Mais nous sommes tous ici pour chercher la vérité, pour chercher ce qui est utile au pays. Voilà pourquoi je me permettrai de présenter mes calculs. J'attendrai qu'on les rectifie, si je me suis trompé, je n'ai pu me convaincre de l'entière exactitude des conséquences tirées par M. Verhaegen du tableau que nous avons sous les yeux.

J'y vois, que pour l'exercice 1839 on a imposé 6,052,169 hectolitres de capacité, et qu'en 1840, on en a imposé 6,171,570-28. Pourquoi cette différence ? Quant à moi, je ne puis l'expliquer que par le surcroît de production qui a lieu pendant le quatrième trimestre de 1840, dans l'attente d'une nouvelle loi.

Dès lors, ces 120 mille hectolitres déclarés de plus en 1840 qu'en 1839, ont dû avoir pour objet les besoins de la consommation pendant l'exercice 1841. Il faut donc reporter ces 120 mille hectolitres à l'année 1841. Il ne faut pas déduire de la consommation de 1841 le surcroît de production du premier trimestre de cette année, parce que ce surcroît de production indiqué par le surcroît de contenance imposé, est encore destiné pour la consommation de 1841.

Ainsi, au lieu de rien déduire, comme l'a fait l'honorable M. Verhaegen, je dois ajouter à la fabrication de 1841 les 120,000 hectolitres que l'année de 1840 à de plus que 1839. Par là j'arrive dans mes calculs à trouver que l'année 1841 n'a guère offert en contenance imposée que 2 ½ p. c. de moins que l'année précédente, tandis qu'il y a eu 50 p. c. d'augmentation dans l’impôt.

Toujours dans le seul désir d'arriver à la vérité, je dis encore que nous devons faire attention à une autre circonstance : c'est qu'il est naturel, il est logique que la contenance déclarée aille toujours en décroissant, sans qu'il y ait réduction dans la consommation, et sans qu'il y ait fraude ; et voici pourquoi : L'impôt est établi en raison composée des contenances et du temps. On cherche donc à diminuer le temps. C'est vers ce but que se dirigent tous les efforts. A mesure que le temps diminue, il y a, sans qu'il y ait fraude, réduction successive et graduelle dans la contenance déclarée.

J'ai fait pressentir que, sans être décidé sur le chiffre, j’adopterai une majoration suffisante pour qu'il y ait augmentation de revenu. Mais ce sera pour autant qu'il soit donné satisfaction sur les autres questions, que je regarde comme connexes avec celui du taux de l’impôt.

Il y a d'abord à s'occuper des petites distilleries : ce sont autant de centres de fertilisation dans nos landes, dans nos bruyères. Je désire qu'il soit fait quelque chose pour elles. Cependant il faut rester dans une juste mesure ; il ne faut pas que la faveur qu'on leur accordera constitue un privilège. La constitution n'admet pas de privilège en matière d'impôt. Il faut être juste pour les grandes comme pour les petites distilleries.

Ce sera dans cet esprit que je me prononcerai sur la question des distilleries agricoles ; mais la chambre, comme je l'ai dit, ne doit pas perdre de vue que, si elle admet une faveur sous ce rapport, il en résultera une diminution dans l'impôt.

J'ai parlé de cette accélération progressive qui a lieu dans les opérations. Quand on a discuté la loi de 1835, un honorable membre a indiqué la période de deux fois 21 heures comme rigoureusement nécessaire à une fabrication complète, Le ministre des finances de cette époque a semblé admettre cette période ou plutôt il a admis 36 heures comme terme moyen, Eh bien, les choses sont tout à fait changées. Maintenant on termine une fabrication, en 24, 22, 18 heures. C'est de là que résulte un très grand inconvénient dont les distillateurs se plaignent à juste titre, et qui fait l'objet de deux amendements proposés. Cet inconvénient s'est glissé inaperçu ; jamais il n'a été dans l'esprit de notre législation d'y donner lieu, il blesse trop évidemment un principe fondamental de nos institutions. Mais à l'époque de la loi de 1833, l'impôt était très faible ; par contre, l'opération durait longtemps. On pouvait donc, sans aucune perte, affecter les jours de fête à la fermentation et mettre en dehors les autres opérations, mais par suite de l'accélération de la fabrication et de l'augmentation progressive de l'impôt, il en est tout autrement. Et l'administration ne serait nullement inconséquente en revenant sur ce point.

Ici je dois dire à l'honorable ministre des finances qu'il ne peut s'appuyer sur ses prédécesseurs, pas plus qu'il ne doit craindre de se donner un démenti à lui-même, en portant remède à un mal d'abord nul ou si faible qu’il n'appelait point l'attention, mais qui a grossi successivement et qui va s'accroître encore avec la majoration de l'impôt. La chambre comprend que je veux parler des jours fériés.

Ce ne sera pas un remède au mal que la déclaration de cinq jours, parce que dans les cinq, jours il y a toujours un jour de perdu pour le commencement et la fin des opérations. Ce ne sera pas un remède que d'autoriser le distillateur à déclarer qu'il chômera les jours fériés, mais en lui interdisant la fermentation qui est un travail de la matière et non de l'homme ; car il faudra qu'il s'interdise le samedi, la trempe et la macération, et le lundi la distillation des substances qui eussent fermenté le dimanche.

Je préférerais un refus complet et des concessions apparentes soumises à des conditions qui les rendraient nulles, Un refus positif serait du moins un déni de justice sans suite et alors, la voix de la justice finit toujours par se faire entendre.

Ce que chacun de nous désirerait sans doute, ce serait le moyen d'établir une parfaite égalité de conditions entre ceux qui veulent chômer et ceux qui ne le veulent pas : rien ne serait plus conforme à l'esprit de nos institutions. Mais si cela est impossible, comme je le crains, puisqu'aucun ministre des finances n a fait de proposition dans ce sens, il faudrait entre le système qui oblige le distillateur à travailler le dimanche, et le système qui lui permet de chômer sans lui interdire la fermentation, il faudrait, dis-je, choisir celui qui offre le moins d'inconvénients.

Je dis qui oblige à travailler, et en effet, cette obligation certes n'est pas imposée formellement par la loi, mais elle l'est par la concurrence. La concurrence est telle de nos jours, qu'aucun industriel ne peut se maintenir s'il se place dans des conditions moins favorables que ses émules ; or, celui qui chômerait le dimanche aurait contre lui l'immense avantage dont jouiraient les autres. Ainsi il est réellement obligé de travailler le dimanche.

Ce serait une grande erreur de croire que le chômage des jours fériés diminuerait le travail national ou la production. La production est déterminée par les besoins de la consommation et du commerce ; ces besoins ne diminuant pas à raison du chômage, il n'y aurait aucune diminution dans la production, ni par conséquent dans le travail qu'elle provoque.

On a dit qu'on reporterait l'inconvénient sur les employés, que les employés seraient astreints a une plus grande surveillance les jours fériés et ne pourraient remplir leurs devoirs religieux. Je désirerais qu’il fût possible de leur éviter ce surcroît de labeur ; je désirerais qu’ils pussent jouir de la vie domestique, de tous les agréments que ce jour-là peut présenter ; mais je ne pense pas que la surveillance à laquelle ils seraient astreints les empêchât de remplir leurs devoirs religieux. Cette surveillance existe aujourd'hui. Ce jour-là, ils doivent veiller à ce qu'il n'y ait pas de contravention dans la fabrication ; or, une surveillance purement négative est plus facile que la surveillance active.

Il est plus difficile de surveiller la fabrication que de veiller à ce qu'il n'y ait pas de fabrication. Cela résulte de ce qu'a dit M. le ministre des finances au sujet des distilleries clandestines, Cela résulte de la nature des choses : la fumée, le reflet de la flamme, la rumeur publique font la moitié de frais de cette surveillance négative. D'ailleurs, je pense que, quand on remplit le devoir de sa place, un devoir nécessaire, on remplit un devoir religieux.

En résumé, à quoi se réduirait une disposition qui rendrait purement et simplement facultatif le chômage des jours fériés ? si l'on prétend que la fermentation prolongée produit un avantage.

C'est là un point que les honorables auteurs des amendements éclairciront mieux que je ne puis le faire ; cela se réduira à une légère modération d'impôt qui profitera à quiconque voudra en profiter. Ce sera le plus grand nombre ou l'univers alité ; car il résulte pour cette industrie beaucoup d'inconvénients de l'état actuel des choses ; les distillateurs sont obligés d'acheter très cher ce travail du dimanche ; et ce travail se fait mal. Ce sera donc un avantage pour tous les distillateurs de les décharger de ce travail auquel ils sont forcés par la concurrence. Ce sera en outre un avantage pour la moralité et le bien-être des ouvriers. D'abord, ils seraient débarrassés d'un travail forcé, d'un travail qui se fait souvent la nuit. Je sais bien, messieurs, que la classe ouvrière est soumise à des rigueurs dont nous ne pouvons l'exempter ; telle est la condition humaine ! mais au moins il ne faut pas que ces rigueurs viennent de nous, viennent de la loi, et ici il s'agit de rigueurs qui seraient votre ouvrage.

Les ouvriers, messieurs, ne sont pas des machines à vapeur ; ils ont besoin de repos. Il faut qu'ils travaillent, sans doute, leur bien-être y est attaché ; mais il faut aussi qu'ils se reposent quelquefois ; il faut qu'ils s'assoient au foyer domestique, qu'ils revêtent leurs habits de fête, qu'ils se mêlent à la foule animée qui se presse vers les temples ou les promenades publiques ; il faut enfin, après des jours successifs d'un pénible labeur, qu'un jour au moins leur soit donné pour être hommes et pour vivre !

Un quatrième point que je regarde comme connexe avec celui du taux de l'impôt, mais dans un sens différent, c'est celui des primes d'exportation ; j'entends par primes non pas la restitution du droit, mais tout ce qui excède la restitution réelle. Messieurs, les primes d'exportation sont un moyen extrêmement puissant auquel, pour ainsi dire, rien ne résiste. Mais alors, pourquoi ne pas l'appliquer à tant d'autres industries ! Pourquoi ne pas l'appliquer aux fers, aux houilles, aux draps, aux toiles, à toutes nos industries ? Eh ! messieurs, chacun de nous serait enchanté, et personne plus que moi, de l'impulsion que ce système donnerait à notre industrie, à notre commerce, à notre navigation.

Mais, messieurs, si rien n’est impossible au système des primes, il y aurait quelque chose d’impossible, ce serait de les payer. Si l’on applique ce système à une ou à un petit nombre d’industries, j’y vois un privilège, si on l’étend à toute une ruine. Si votre prime atteint son but, elle coûtera ; car il fait que l’on prenne ces primes sur le produit de l’accise, et sa majoration, si nécessaire au trésor, serait perdue pour lui. Quant à moi, je ne voudrais pas voter une loi inutile, comme je ne voudrais pas voter une loi injuste sous le rapport de la question que j’ai traitée avant celle-ci.

La séance est levée à 4 1/2 heures.