(Moniteur belge n°31 du 31 janvier 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven procède à l’appel nominal à une heure.
M. Mast de Vries lit le procès-verbal de la séance précédente, la rédaction en est adoptée.
M. Scheyven fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre :
« Les sieurs Noël, Cousin et Ruelens, adjudicataires pour la fourniture d’un grand nombre de chevaux pour l’armée belge, demandent une indemnité du chef des pertes qu’ils ont éprouvées pour faire arriver des chevaux en Belgique, après le décret de prohibition du gouvernement prussien. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L’administration communale et les cultivateurs de la commune de Nieukerken-Waes adressent des observations contre les pétitions qui tendent à augmenter les droits sur le lin à la sorite.
- Renvoi à la commission avec demande d’un prompt rapport et insertion au Moniteur.
« Des cultivateurs marchands et fabricants de lin de l’arrondissement d’Ypres demandent qu’il soit pris des mesures protectrices de l’industrie linière. »
- Même décision que pour la première pétition.
« Des négociants, armateurs et commissionnaires de Bruges adressent des observations contre les pétitions tendant à faire majorer le droit sur le lin à la sortie. »
- Même décision.
« 127 capitaines de navires et autres employés au cabotage d’Anvers et des environs, réclament contre des mesures prises par le gouvernement qui les excluent de la navigation en Hollande. »
M. de Foere – Messieurs, la pétition dont vous venez d’entendre l’analyse est d’une nature extrêmement importante. Elle est signée par 127 capitaines de navires et autres employés à la navigation de cabotage entre la Belgique et la Hollande. Les signataires appartiennent tous au port d’Anvers et à la navigation de l’Escaut. Voici leur position, qui est déplorable.
Avant le traité de paix, ces navires jouissaient du mince avantage de transporter nos marchandises en destination de la Hollande, jusqu’à Bath. Là, les navires hollandais transbordaient ces marchandises et ils les transportaient dans leur pays. Aujourd’hui, depuis le traité de paix, non seulement ce faible avantage ne leur est plus accordé, mais ils sont réduits à l’impossibilité presqu’entière d’exercer leur industrie. Ils sont réduits à cette malheureuse situation par l’effet de la législation belge d’une part, et la législation hollandaise de l’autre. La Hollande frappe les importations de houilles faites par navires belges d’un droit de 2 florins des Pays-Bas par 18 hectolitres. Importées par navires hollandais, les houilles ne paient pas ce droit. Par contre, les navires hollandais navigant sur l’Escaut et arrivant à Anvers ne paient aucun droit qui ne soit payé aussi par les navires belges. Au surplus, nous commettons la grave erreur de rembourser à la Hollande le droit de tonnage établi sur ses propres navires.
Il résulte de cet état de choses, que la navigation hollandaise de cabotage entre les deux pays est seule possible. Elle a des cargaisons de sortie et de retour. Elle nous importe, par la navigation intérieure, des cafés, des cendres et d’autres marchandises, elle prend en retour des houilles.
Ce fait, parmi tant d’autres, prouve que la Hollande, par sa législation, outre de beaucoup, dans ses intérêts, le système des provenances directes et qu’elle protège sa navigation par des droits différentiels ; cependant, dans une séance récente, un honorable député d’Anvers a même nié que la Hollande établît le système des provenances directes et a soutenu que le système commercial de la Hollande était basé sur le transit. Cependant l’honorable membre est mieux que personne en position de connaître la législation hollandaise, mise en regard de la nôtre.
Les pétitionnaires demandent qu’ils soient mis, dans le pays, sur le même pied des navigateurs hollandais. C’est une anomalie choquante qu’une industrie étrangère soit favorisée en Belgique, au point que la même industrie nationale soit impraticable dans son propre pays.
Messieurs, la question est très importante. C’est la même qui dernièrement a été très bien développée par la pétition de la chambre de commerce de Liége relativement à la navigation de la Meuse. Les mêmes obstacles s’opposent sur cette rivière à la navigation du pays.
La pétition contient des renseignements fort utiles au ministère des affaires étrangères. Il est peut-être entré en négociation avec la Hollande. D’un autre côté, la commission des pétitions ne pourrait porter de prompt remède aux justes plaintes de notre navigation de cabotage, qui est extrêmement souffrante et sur le point de périr. Je demande donc que la pétition soit envoyée au ministère des affaires étrangères. Je ne demande à ce ministre ni rapport, ni réponse à cette pétition. Je fais cette proposition, afin qu’il y puise des renseignements précieux, et qu’il porte au mal un prompt remède.
M. le président – La chambre a déjà décidé qu’elle ne voulait pas renvoyer des pétitions à MM. les ministres sans que ces pétitions aient été examinées d’abord par la commission.
M. de Foere – Je demanderai alors que la commission soit invitée à faire un prompt rapport et qu’en attendant on remette une copie de la pétition à M. le ministre des affaires étrangères ; s’il est en ce moment en négociation, il pourra puiser dans cette pièce des renseignements extrêmement importants.
M. Desmet – Je crois que l’on concilierait tout en insérant la pétition au Moniteur.
M. Zoude – Je demanderai alors qu’on en fasse une traduction en langue française.
M. le président – Demande-t-on que la pétition soit imprimée dans les deux langues.
M. F. de Mérode – On pourrait se borner à imprimer la traduction française.
- La chambre renvoie la pétition à la commission en invitant celle-ci à faire un prompt rapport.
Elle décide ensuite qu’une traduction française de cette pétition sera insérée au Moniteur.
« Le sieur Simonet, maître de forges, réclame contre l’arrêté du ministre des finances, qui déclare que le droit de sortie de 2 p.c., sur les minerais de fer ne doit être considéré que comme un droit de balance. »
M. Zoude – Il me paraît, messieurs, que cette pétition soulève une question très importante pour la forgerie. Je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.
Il est fait hommage à la chambre de deux exemplaires des actes et procès-verbaux du conseil provincial du Brabant pendant la session de 1839.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Pirson – Messieurs, vous aurez probablement lu comme moi dans les journaux que, passé quelques jours, il y a eu à Bruxelles un meeting, à l’occasion duquel la force armée a été tenu prête à agir pour réprimer les troubles, si des troubles avaient eu lieu. Des ouvriers de Bruxelles, qui faisaient partie de ce meeting, m’ont remis aujourd’hui une pétition à la chambre, par laquelle ils demandent protection pour pouvoir s’assembler dans le but unique d’aviser aux moyens de secours les ouvriers indigents, les ouvriers qui manquent de travail, pour faire aux autorités constituées les demandes qu’ils jugeront convenables dans le but de se procurer du soulagement. Je serai toujours le défenseur du faible contre le fort, surtout de ceux qui sont au-dessous de la cause des électeurs, mais en même temps je serai toujours le défenseur du bon ordre.
La pétition dont il s’agit, messieurs, est écrite d’une manière très décente ; il n’y a rien qui puisse offusquer personne, seulement elle renvoie, pour les détails de ce qui s’est passé dans le meeting, à un journal de Namur, qui rend compte de cette réunion et qui donne les signatures. Le fait principal qu’elle énonce est de telle nature que, s’il était prouvé, il pourrait avoir des conséquences extrêmement graves. Ils prétendent qu’à ce meeting il y avait des agents provocateurs qui avaient l’intention d’amener du désordre, afin de pouvoir réprimer ce désordre, et d’arrêter quelques gens soi-disant suspects. Je ne sais pas jusqu’à quel point cela est fondé. Un ou deux membres du meeting, qui ont comparu devant le commissaire de police ont déclaré qu’on leur avait offert de l’argent pour jouer le rôle d’agents provocateurs. Ce fait, messieurs, est de la plus haute importance. Je ne veux pas provoquer, en ce moment, une discussion relativement à cette espèce d’accusation. Nous reviendrons là-dessus, lorsqu’il sera question du crédit pour la police. Je vais déposer la pétition sur le bureau.
M. le président – La pétition sera examinée par le bureau, et communication en sera faire demain à la chambre.
M. Pirson – Je n’accuse pas M. le ministre du fait qui est allégué ; j’espère que le ministre n’aura pas recours à ce moyen dont on fait un si grand usage dans un pays voisin et qui a amené les plus grands désastres à Paris et dans les principales villes de France ; mais il y a peut-être en France un prétexte que notre gouvernement n’a pas, c’est qu’en France il y a des sociétés secrètes ; mais en Belgique, nous ne connaissons aucune espèce de société secrète, si ce n’est celle des francs-maçons.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – L’honorable préopinant a raison de ne pas accuser le ministre, car ce n’est qu’aujourd’hui même que j’ai appris par un rapport verbal ce qui s’est passé ; mais je sais que la justice est saisie d’une plainte en calomnie, de manière que la justice aura à informer sur ce qui a eu lieu dans la circonstance dont il vient d’être parlé.
« Art. 1er. Lettres, sciences et arts : fr. 373,029. »
La section centrale propose une réduction de 24,129 francs.
M. le ministre de l'intérieur se rallie-t-il à cette réduction ?
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Non, M. le président.
M. le président – La parole est à M. de Brouckere.
M. de Brouckere – Messieurs, à l’occasion du budget de l'intérieur, j’ai déposé sur le bureau de la chambre une requête qui lui était adressée par tout ce que la Belgique compte d’hommes les plus honorables et les plus distingués, comme littérateurs et comme compositeurs.
Les signataires de cette requête se plaignent, messieurs, de l’oubli où ils ont été laissés jusqu’ici et par le gouvernement et par la chambre ; ils demandent qu’on prenne quelque mesure d’encouragement en leur faveur.
Chaque année, il est vrai, des fonds ont été alloués au ministre sous la rubrique de : « Lettres, sciences et arts. » Mais dans le partage qui a été fait de ces fonds, on s’est en général montré très peu généreux pour la littérature ; et lors même que quelques parcelles de ce fonds étaient employés à encourager ceux qui la cultivent, l’on a quelquefois employé des formes qui étaient de nature à froisser la susceptibilité de ceux auxquels ces fonds s’adressaient.
Or, comme l’a dit l’un de nos plus spirituels écrivains, l’on n’a pas tout fait lorsqu’on a ouvert les doits et jeter une vingtaine de louis dans le chapeau d’un homme de lettres.
C’est là, messieurs, ce qui a déterminé les pétitionnaires à vous adresser une requête, et je demande à la chambre la permission de lui en donner lecture.
(L’orateur fait cette lecture ; il reprend ainsi :)
Messieurs, je veux bien, pour cette année, m’en rapporter au gouvernement, et si je n’insiste pas pour que 30,000 francs soient spécialement affectés par la chambre à la protection qui est due aux littérateurs et aux musiciens, c’est parce que j’ai la confiance que le ministre aura égard aux recommandations qui lui ont été faites à ce sujet par la section centrale, recommandations qui seront sans doute appuyées par la chambre entière.
Mais je pense qu’il est temps que le gouvernement s’occupe d’arrêter des mesures d’encouragement pour la littéraire. Cela est d’autant plus urgent que ni sous le rapport des honneurs, ni sous le rapport des bénéfices, les littérateurs, dans la position où ils se trouvent aujourd’hui, n’ont rien à attendre.
Sous le rapport des bénéfices le pays est trop petit ; le nombre des lecteurs est trop restreint pour que les produits d’un ouvrage imprimé fassent plus que suffire aux frais même de l’impression.
Sous le rapport des honneurs, l’on conviendra que le gouvernement ne s’est guère montré prodigue ni de croix, ni de distinction, de quelque espèce qu’elles soient, en faveur des littérateurs.
Et, chose bizarre, les portes de l'académie même leur sont fermées, car vous le savez, d’après ses statuts, l’académie n’admet pas de littérateurs en son sein, s’ils ne sont en même temps mathématiciens, naturalistes ou historiens.
Si le gouvernement n’a pas d’idées arrêtées à cet égard, qu’il consulte des hommes spéciaux ; qu’il les charge de lui présenter un travail.
Peut-être un des meilleurs moyens à employer (et si je propose ce moyen, c’est uniquement afin d’attirer l’attention du gouvernement sur ce point ; ce moyen d’ailleurs n’est pas le seul auquel il faudrait avoir recours), un des meilleurs moyens donc, à mon avis, serait d’allouer un subside au théâtre. Permettez-moi, messieurs, de donner quelques développements à cette idée.
Le régime du théâtre en Belgique diffère sensiblement de celui du théâtre en France. La Belgique est encore sous l’empire de la législation toute de liberté, décrétée par la convention nationale. Tout ce qui concerne les théâtres en Belgique est du ressort exclusif des administrations municipales.
En France, un décret de 1807, en limitant le nombre des théâtres, a placé ces établissements sous la surveillance du ministre de la police dont les attributions sont aujourd’hui fondues dans celles du ministre de l'intérieur.
En Belgique, l’autorité supérieure, privée d’action sur les théâtres, ne s’en occupe, ni pour régir, ni pour protéger. En France, au contraire, la direction des beaux-arts exerce sur les théâtres, au nom du ministre de l'intérieur, le pouvoir qui résulte du décret de 1807 ; et comme directeur des beaux-arts, elle est naturellement amenée à protéger le théâtre comme partie essentielle des beaux-arts.
La conséquence de cette double différence est que le ministre de l'intérieur de Belgique ne peut imposer aucune règle au théâtre ; car, pour imposer des règles, il faut ou exercer une autorité ou faire de ces règles la condition de l’octroi d’un subside.
Ce qu’il faudrait donc avant tout pour atteindre le but que se proposent les auteurs dramatiques, ce serait, sinon un changement de législation, du moins un changement de régime dans le sens d’une protection utile.
Si, par exemple, le gouvernement et la chambre pouvaient être d’accord sur ce point, que la splendeur de la capitale intéresse matériellement et moralement le pays, et que le théâtre contribue à la splendeur de la capitale, peut-être nous entendrions-nous pour allouer au ministre de l'intérieur des fonds qui seraient destinés à l’encouragement de l’article de l’art dramatique. Le ministre, pouvant accorder des subsides, serait en droit d’imposer des conditions. Ainsi, il pourrait décider que pour le prix du subside accordé, le théâtre sera tenu de représenter tous les ans un certain nombre d’ouvrages originaux acceptés par un jury, à la formation duquel l’administration publique aurait pris part.
Un tarif de droits d’auteur serait fixé, et comme il faut tout prévoir, et que le directeur du théâtre pourrait ne pas être disposé à laisser vivre longtemps un ouvrage pour lequel il paierait des droits, on devrait arrêter que les représentations d’une pièce ne pourraient être interrompues qu’autant que la recette serait tombée au-dessous d’un chiffre déterminé.
Messieurs, il y a en France quelque chose d’analogue ; quatre théâtres sont subventionnés.
M. de Foere – Je demande la parole.
M. de Brouckere – Le Théâtre-Français, l’Opéra-Comique, le Théâtre italien et l’Opéra. Ce dernier reçoit 800,000 francs. Ces subventions ne sont accordées ni dans l’intérêt des théâtres, ni même dans l’intérêt exclusif de la capitale, mais dans l’intérêt de l’art, et en voici la preuve :
Je choisis par exemple le théâtre de l'Opéra-Comique, qui reçoit une subvention annuelle de 220,000 francs. Le directeur qui obtient le privilège et en même temps la subvention se soumet à des conditions réglées dans un cahier des charges. Aux termes de ce cahier des charges, il est interdit au directeur de représenter un ouvrage, sans une décoration neuve pour chaque acte ; c’est dans l’intérêt des peintres.
Voici maintenant la condition dans l’intérêt des compositeurs de musique. Tous les ans l’académie des beaux-arts décerne un prix à l’auteur de la meilleure composition musicale sur un sujet donné. L’élève lauréat reçoit une pension de l’Etat pour aller compléter ses études à l’école française à Rome. Quand l’artiste revient en France, l’administration suppose qu’un jeune compositeur sans antécédent trouvera difficilement un auteur qui veuille confier son poème à son inexpérience ; elle stipule que l’élève, revenu de France, après y avoir obtenu le prix, aura le droit de faire représenter un opéra dans l’année de son retour ; si l’élève ne trouve pas de poète qui veuille lui confier un libretto, le directeur est obligé de lui en procurer un. Les autres théâtres sont soumis à des conditions analogues.
Il faut exercer une autorité sur les théâtres pour mettre le gouvernement en mesure de le faire, il faut allouer des subsides.
Je bornerai là mes observations ; je ne les ferai suivre d’aucune conclusion, parce que je n’ai eu d’autre but que d’engager le gouvernement à s’occuper, dans le courant de cette année, des mesures qu’il convient de prendre en faveur de la littérature belge.
M. de Foere – Comme membre de la section centrale, je dois porter ma part de responsabilité des décisions qu’elle a prises. Notre opinion a été, messieurs, que les littérateurs sont suffisamment protégés par l’Etat. Nous avons deux universités qui coûtent des sommes immenses à l’Etat. Si l’honorable préopinant veut étendre la protection plus loin, il faudrait qu’il y eut égalité de répartition entre tous les élèves qui sortent des universités et qui se portent sur d’autres professions. Dans ma manière de voir, les littérateurs n’exercent qu’une profession comme une autre, une industrie comme une autre. Pour être conséquent, il faudrait étendre cette protection à tous les élèves qui sortent de nos universités, même après qu’ils ont pris une position sociale ; et où ce système nous mènerait-il ?
Pour ce qui regarde les musiciens, la question de la position est la même. L’Etat dépense beaucoup pour les conservatoires de la capitale et de Liége.
Si les littérateurs et les musiciens ne peuvent pas trouver dans leur talent leur propre protection, l’Etat certainement ne doit pas se charger d’aller plus loin. Il a tout fait ce qu’il a pu et dû faire pour leur donner de l'instruction. Consultez l’histoire littéraire et musicale de tous les pays et vous verrez que ce sont les littérateurs et les compositions qui ont possédé un premier talent, qui se sont frayé un chemin à travers tous les obstacles. Les subsides qu’on voudrait accorder à ceux qui entreprennent ces carrières ne seraient que des palliatifs ; ils ne produiraient pas des premiers talents qui seuls honorent un pays. C’est une application soutenue, un travail assidu qui seul les fait naître.
L’Etat n’a aucun intérêt à protéger des littérateurs et des compositeurs secondaires ou médiocres. Or, dans la répartition de ces subsides, ce sont souvent ceux-là qui sont favorisés.
L’honorable député de Bruxelles voudrait encore accorder un subside au théâtre de Bruxelles.
En premier lieu, qui sont ces contribuables, qui paieraient ces secours que l’on propose d’accorder au théâtre de la capitale ? ce sont particulièrement les fermiers et la classe de la bourgeoisie de toutes les autres villes ; or ce serait sur ces contribuables que vous voudriez faire peser les plaisirs et les amusements que les habitants de Bruxelles vont chercher à leur théâtre !
En second lieu, les chefs-lieux des autres provinces accordent des subsides à leurs théâtres et ne viennent pas les demander au trésor de l’Etat. Si les habitants de Bruxelles veulent jouir des amusements du théâtre, il est juste qu’ils paient eux-mêmes les frais de leurs jouissances. Il serait injuste que les contribuables de tout le pays dussent supporter la charge des plaisirs des habitants de Bruxelles.
Je me bornerai, pour le moment, à ces simples considérations.
M. Dumortier – Je veux bien partager la pensée exprime par l’honorable préopinant que les littérateurs, les poètes et les musiciens n’exercent qu’un état comme les autres, quelle qu’en soit la noblesse. Mais vous conviendrez avec moi, messieurs, d’une chose, c’est que tout état doit rapporter à celui qui l’exerce un légitime salaire. Les hommes qui, par des œuvres d’intelligence, peuvent augmenter la gloire du pays, méritent bien d’être protégés, à l’égal du dernier industriel. Vous voulez les traiter comme des industriels, soit ; mais accordez-leur alors ce que vous accordez au plus minime industriel, afin qu’ils puissent vivre de leur travail.
Or, c’est ce qui n’existe pas d’après le système qui régit la Belgique. D’après ce système, il n’est pas possible à un jeune homme qui se sent appelé à suivre la carrière de l’intelligence, de satisfaire à sa propre existence. Remarquez comment les choses se passent. Un littérateur qui voudra faire imprimer un travail qu’il a produit ne trouvera pas un seul imprimeur qui voudra s’en charger. Cela provient du malheureux état de choses qui existe en Belgique, de la réimpression des ouvrages français. Aussi longtemps que les éditeurs se permettront de réimprimer sans payer de droits d’auteur, les ouvrages qui ont de la vogue en France, comme leur bénéfice est assuré, qu’ils travaillent à coup sûr, ils trouveront cela plus commode que d’acheter des manuscrits de littérateurs belges et de les publier sans avoir la certitude qu’ils auront du succès.
Il résulte de là qu’un auteur belge qui ferait un ouvrage d’une grande valeur ne trouverait pas un imprimeur qui voulût acheter son manuscrit, mais même qui voulût l’imprimer. Je connais plusieurs auteurs qui se sont trouvés dans ce cas. J’en connais dont les ouvrages ont été réimprimés en France et en Allemagne, tandis que, dans leur propres pays, ils n’avaient pas trouvé d’éditeur qui voulût les imprimer pour rien.
Messieurs, est-ce là, je vous le demande, une position équivalente à celle que vous faites au dernier des industriels ? Comment ! quand l’industriel demande des droits protecteurs, vous les lui accordez ; vous faites plus, vous voulez établir des droits différentiels en faveur de la navigation, et vous ne voulez pas accorder à l’homme le privilège de la pensée. Cependant, s’il est une propriété sacrée sur la terre, c’est à coup sûr celle que Dieu a donnée à l’homme, la propriété de la pensée. L’homme n’emporte pas avec lui son champ, sa maison, son domaine ; il n’en est pas de même de sa pensée, elle n’appartient qu’à lui ; il peut l’emporter avec lui ; c’est donc la plus propriété la plus sacrée qu’il puisse y avoir. Aussi longtemps que la propriété de la pensée ne sera pas considérée comme aussi sacrée que toute autre, qu’elle sera dans une position exceptionnelle, dans une espèce d’ilotisme, dont il est nécessaire de la retirer, vous n’aurez pas de littérateurs en Belgique.
La chose est la même, quant aux auteurs dramatiques et aux musiciens. Qu’un auteur ait fait une pièce qui soit bonne, qu’un musicien fasse un opéra, que tous deux présentent leurs œuvres à un entrepreneur de théâtre , que leur répondra cet entrepreneur ? Il leur dira : Votre pièce est bonne, mais je trouve plus commode de prendre les pièces qui ont réussi que de monter une pièce qui pourra ne pas réussir. En prenant des pièces françaises, j’agis à coup sûr ; avec la vôtre, je m’expose à toutes les chances de la non réussite. Voilà que sera son langage ; quel avenir pouvez-vous donc attendre pour la Belgique, lorsque vous êtes dans une fausse position ?
Messieurs, tant que la littérature ne présentera pas à ceux qui la cultivent des moyens d’existence, vous n’en aurez pas. Aussi longtemps que vous n’aurez pas un autre état de choses, que vous n’aurez pas reconnu de privilège ou établi d’encouragement en faveur de la propriété littéraire…
M. Lebeau – Il faut prohiber l’introduction des ouvrages français.
M. Dumortier – Je ne veux pas prohiber les ouvrages français ; je voudrais qu’ils entrassent en Belgique libres de tous droit ; mais je dis que, quand on réimprime des ouvrages des auteurs vivants, sans leur faire payer le prix de leurs œuvres, on fait acte de vol vis-à-vis des auteurs et de mauvais citoyen envers la patrie. Je vais le prouver.
Vous le savez, tout gouvernement qui veut assurer son existence doit s’attacher la classe des hommes qui parlent et écrivent, des littérateurs en un mot. Par suite du funeste système qui a été suivi, qu’est-il arrivé ? c’est que nous nous sommes posés en ennemis de tous les hommes qui manient la plume en France, pour faire les affaires de quelques imprimeurs de Bruxelles. Eh bien, c’est un malheur pour le pays, car nous nous sommes fait par là beaucoup d’ennemis en France ; c’est un malheur pour le pays parce que cela a tué toute littérature nationale. Eh vous n’aurez jamais de littérature en Belgique tant que le littérateur ne pourra pas vivre de son travail, comme le négociant vit de son industrie ; vous n’aurez pas de littérature en Belgique, aussi longtemps que le littérateur ne pourra réimprimer sans payer de droits d’auteur, les ouvrages qui se publient en France ; industrie fâcheuse, en ce sens qu’elle nous aliène l’esprit de nos voisins et qu’elle enchaîne chez nous l’élan de l’intelligence.
Je viens de vous démontrer que les littérateurs n’étaient pas suffisamment encouragés par l’Etat. J’ai prouvé combien était inexacte l’assertion de l'honorable préopinant, quand il a dit que l’Etat ne doit pas se charger de les entretenir. Non, messieurs, l’Etat ne soit pas se charger d’entretenir les littérateurs. Ces hommes sont l’esprit trop haut placé pour vous demander l’aumône. Placez-les sur le même pied que toutes les autres professions, ils ne vous demanderont rien ; mais aussi longtemps que vous les maintiendrez dans une position d’infériorité, vous devez leur accorder des subsides.
Messieurs, si vous comparez la position des hommes de lettres avec celle des artistes, vous trouvez que la position des artistes est infiniment meilleure. Un artiste, quel qu’il soit, même médiocre, qui fait un tableau est toujours sûr d’en tirer parti. Tout homme qui a quelque talent en peinture, peut vivre de son travail. Il est résulté de cela un grand développement de l’art de la peinture en Belgique. Si un artiste a du talent, le gouvernement achète ses œuvres et les paie à un prix très raisonnable. Nous avons vu des tableaux payés 20 et 25,000 francs par le gouvernement. Eh bien, toute la vie entière d’un littérateur en Belgique ne suffirait pas pour lui faire obtenir un pareil résultat. Ainsi vous accordez un encouragement à ceux qui volent de leurs propres ailes, et vous en refusez à ceux qui ne peuvent pas marcher. Les subsides demandés par le gouvernement ne sont pas suffisants pour entretenir le feu sacré là où il peut s’allumer, et on propose encore de les réduire. La chambre ne sanctionnera un pareil système.
Je dois répondre quelques mots à l’honorable député de Bruxelles qui a prétendu qu’on n’était pas assez juste envers la littérature, et probablement la littérature dramatique.
Après avoir dit que le gouvernement ne leur accordait pas des encouragements suffisants, il s’est écrié : « Chose bizarre, l’académie n’admet dans son sein des littérateurs, que s’ils sont mathématiciens, naturalistes ou historiens. » Il est bien vrai qu’il y a pas en Belgique d’académie française ; et je crois, vous en conviendrez avec moi, qu’une académie française serait chez nous une chose passablement ridicule.
Mais il est constant que tous les hommes qui ont publié des ouvrages de littérature d’un mérite remarquable ont été appelés dans le sein de l'académie nationale autant que les places l’ont permis. Car on ne peut nommer qu’au fur et à mesure des places vacantes. Il y a maintenant dans la classe des lettres trois places à donner. Je suis convaincu que tous vous applaudirez aux choix qui seront faits.
En un mot, je soutiens qu’il faut encourager tout ce qui tient au domaine de l’intelligence. Pour cela, la première chose à faire, c’est de conserver la propriété de la pensée, quelques formes qu’elle adopte, qu’elle s’étende sur la toile, qu’elle relève, sous le ciseau du sculpteur, les formes humaines, qu’elle se présente sous la forme de mécanique ou d’ouvrages imprimés. Certainement aussi longtemps que vous n’aurez pas de droits de propriété littéraire, ce sera une grande faute ; et vous vous montrerez ainsi éminemment injustes envers une partie intéressante de la société. Jusque là vous avez un devoir impérieux à rendre, c’est de voter les subsides qui sont proposés par le gouvernement.
M. Lebeau – Je veux seulement répondre quelques mots à une partie des observations de l'honorable M. Dumortier ; car il ne s’agit pas ici de savoir quel est le système par lequel il veut encourager la littérature en Belgique ; il n’a présenté à cet égard aucune espèce de conclusions.
Je regrette que l’honorable membre ait traité avec dédain une branche d’industrie fort importante en Belgique, et dont il a, très mal à propos, selon moi, dissimulé l’importance ; je veux parler des réimpressions d’ouvrages français ; ce n’est pas l’affaire exclusive de deux ou trois industriels ; c’est l’affaire d’une quantité d’artisans, d’un très grand nombre d’ouvriers imprimeurs, brocheurs, etc., qui vivent de cette industrie, ainsi que l’affaire de nos belles papeteries, et d’une foule d’industries secondaires.
Je regrette que ce soit dans le sein d’une chambre belge qu’on soit venu appuyer les accusations, selon moi très injustes, de quelques écrivains français.
Déjà, dans une séance précédente, l’honorable M. de Brouckere a fait justice des exagérations qui se sont trouvées sous la plume de plusieurs écrivains politiques. Déjà il vous a fait voir combien les prétendues lésions portées aux intérêts de la libraire française ont été exagérées dans certaines journaux.
Voilà quant à la question de fait.
Quant à la question de droit, elle n’est pas aussi simple que paraît le croire l’honorable M. Dumortier ; et la France littéraire ne me paraît pas, dans cette circonstance, très fondée pour invoquer ce droit.
Il est connu qu’en France on a réimprimé, non seulement les éditions allemandes et anglaises, mais encore des ouvrages belges ; il m’a été affirmé, par exemple, qu’on a réimprimé, en France, des ouvrages belges , qui avaient obtenu quelque succès, et notamment du roman historique, publié par M. Moke, professeur à l’université de Gand. La Belgique n’a pas crié au vol et à la piraterie de ce chef.
A côté de la question de droit, de la question de principe, il y a une question toute de pratique à examiner ; il y a un fait qui rendrait illusoire la défense de réimprimer en Belgique les ouvrages de nos voisins, et je m’étonne que l’on ait méconnu en France que ce n’est pas ici une question belgo-française, mais une question de législation européenne. Que votre législation interdise la faculté de réimprimer les ouvrages français, qu’en résultera-t-il ? Que cette industrie s’établira à quelques lieues de la frontière. La Hollande, Aix-la-Chapelle, la Suisse accapareront cette branche d’industrie, dont l’importance a été atténuée par l’honorable M. Dumortier, branche d’industrie exploitée sous l’empire d’une législation, qui existe en Belgique comme en France.
Voilà pourquoi j’ai pris la parole. Si cette discussion se prolongeait, je pourrais dire quelques mots sur les autres points en discussion ; mais j’ai cru devoir protester dès maintenant contre les observations de M. Dumortier, qui viennent en aide à des accusation que je trouve injustes.
M. de Brouckere – Lorsque j’ai demandé la parole, c’était également pour répondre à ce qu’a dit l’honorable M. Dumortier, relativement à la propriété littéraire.
Lorsque nous en viendrons à voter une loi sur cette propriété, j’admettrai les principes les plus larges en faveur des auteurs. Mais lorsque la chambre aura voté une loi, jamais nous n’aurons la prétention de l’imposer à nos voisins. Les lois relatives à la propriété littéraire ne s’étendent pas au-delà de la frontière, à moins qu’il intervienne une convention internationale.
M. Dumortier – C’est cela.
M. Lebeau – Il faudrait que cette convention fût européenne.
M. de Brouckere – C’est cela. Cependant, vous voulez que les auteurs français jouissent de droits de propriété, en Belgique, alors que cette convention internationale n’existe pas.
Une convention doit être respectée comme une loi par les pays qui y ont adhéré. Mais tant que cette convention n’existe pas, je ne puis assez le dire, la propriété littéraire s’arrête à la frontière du pays où se trouve celui qui a publié un ouvrage littéraire. Quand M. Dumortier ajoute que l’industrie de la réimpression nuit aux auteurs belges, je ne puis partager son opinion. Je pense qu’alors que cette industrie serait restreinte, la position des auteurs belges n’en serait pas améliorée. Il faut l’attribuer à ces deux circonstances, que notre pays est trop restreint, et que le nombre des lecteurs est trop petit, pour que les ouvrages des écrivains belges, vendus dans l’intérieur du pays, puissent leur rapporter des bénéfices.
Il me reste à répondre à l’honorable orateur qui a parlé immédiatement après moi. Selon lui, la littérature est une industrie comme une autre, et n’a besoin d’aucune protection. Il y a plus : selon l’honorable membre, tout subside en faveur des œuvres d’intelligence ne serait qu’un palliatif, qui n’aurait aucun effet. Mas je lui demanderai, à lui, qui a voté et qui a défendu les propositions de la section, pourquoi il a adopté le chiffre de 373,029 francs pour les lettres, sciences et arts. Il a dit qu’il était d’accord avec la section centrale, et qu’il venait prendre sa défense. Mais la section centrale « engage (dit le rapport) M. le ministre à saisir les occasions de décerner aux littérateurs dramatiques, comme aux autres, les encouragements justement mérités ». La question qui sépare l’honorable préopinant de moi ne consiste donc que dans le plus ou le moins et dans la manière dont ces encouragements doivent être distribués.
L’honorable préopinant a dit aussi que le pays faisait assez pour les littérateurs, puisqu’il avait créé deux universités. Mais je ne conçois pas ce que ces deux universités puissent apporter de bien-être aux hommes qui exercent la profession de littérateurs, d’écrivains. Dans les universités on forme des écrivains, des littérateurs, des savants de toute espèce. Mais un fois sortis des universités, il ne faut pas les abandonner à eux-mêmes ; il faut leur prêter aide et protection, en retour de la gloire et de l’illustration qu’ils apportent à leur pays.
M. Dumortier – L’honorable M. Lebeau a voulu me faire un reproche du langage que j’ai tenu comme si j’avais fait la guerre à toute espèce de réimpression en Belgique. Selon lui, c’est une industrie très importante, et je voudrais la faire tomber. Rien de semblable n’est sorti de ma bouche. Je soutiens au contraire qu’il est nécessaire d’encourager cette industrie. Mais de ce que je voudrais qu’une convention européenne intervienne pour conserver aux auteurs d’un pays voisin leurs droits de propriété en Belgique, aussi longtemps qu’ils ont ces droits dans leur pays, en résulte-t-il la ruine de l’industrie de la réimpression ? En aucun manière. Il restera encore les ouvrages qui sont dans le domaine public, que l’on pourra réimprimer, ouvrages qui forment l’immense majorité des publications. Mais quand on réimprime, le lendemain du jour où ils ont paru en France des ouvrages d’auteurs vivants, c’est un véritable vol ; et si votre loi tolère cet état de choses, je dirai que votre loi tolère le vol.
M. de Brouckere – Il n’y a pas de loi en Belgique, qui tolère le vol.
M. Dumortier – C’est une loi qui tolère le vol que celle qui permet de réimprimer en Belgique, sans aucune indemnité pour les auteurs ou éditeurs, les manuscrits qui ont été payés et publiés en France. Sans doute la France agissant de même envers l’étranger doit encourir le même reproche, mais cela n’empêche pas que la propriété de la presse ne soit pas là indignement outragée.
Messieurs, il est certain que vous n’accordez aucun droit à la propriété de la pensée ; et cette propriété est la plus sacrée ; car comme je le disais tout à l’heure, l’auteur peut l’emporter avec lui.
Vous aurez pu remarquer que je n’ai pas demandé un projet de loi. J’ai simplement émis le vœu qu’il fût fait un cartel d’échange entre les puissances relativement à cette matière. Dans quel but ? Dans le but de créer une littérature nationale, de ne plus nous mettre mal avec tout ce qu’il y a en France d’hommes de talent.
L’honorable M. de Brouckere prétend que si les réimpressions étaient interdites, cela ne changerait rien à la position des auteurs. Mais il est évident que cela n’est pas exact. Aussi longtemps que les imprimeurs pourront se procurer sans aucune dépense des ouvrages nouveaux à imprimer, ils se garderont bien de donner aux auteurs belges le juste prix de leur travail. Dans l’état actuel, tel poète, dont nous goûtons les œuvres, n’a pas pu trouver d’imprimeur qui voulût imprimer ses œuvres. Moi-même, j’ai été chargé, il y a deux ans, pour un professeur de l’une de nos universités, de faire des démarches pour placer à Bruxelles le manuscrit d’un ouvrage auquel l’auteur avait travaillé pendant 20 ans.
Eh bien, savez-vous ce que m’a répondu un libraire qui se livre aux contrefaçons : « Mais vous n’y pensez pas ; imprimer un auteur belge ! nous ne sommes pas si dupes. » Maintenant, faites comme il vous conviendra et voyez si vous voulez rester dans cette fausse voie. Mais, pour mon compte, je vous déclare qu’elle n’amènera jamais ce développement intellectuel qui devait être la gloire du pays.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – La section centrale a paru croire que le gouvernement n’usait pas de la même générosité pour l’encouragement des lettres et des sciences que pour l’encouragement des beaux-arts : ceci mérite une explication.
J’appellerai d’abord votre attention sur le chiffre de l’article premier qui est en discussion. Vous remarquerez facilement que sur ce chiffre de 373,00 francs dont se compose les diverses subdivisions de l’article, il n’y a que 173,000 francs destinés aux arts, et qu’il y a 200,090 francs, affectés aux sciences et aux lettres.
Indépendamment de ces 200,00 francs, il est certain que l’on doit considérer, du moins en partie, comme affectés aux sciences et aux lettres, les fond destinés aux universités de l’Etat, tant pour le matériel que pour le personnel.
Quant au personnel, les traitements des professeurs des universités les mettent à même,, non seulement d’enseigner la littérature et les sciences aux jeunes gens, mais de s’occuper eux-mêmes des sciences et des lettres et de faire des publications.
Le matériel des deux universités, tant sous le rapport des bibliothèques que sous le rapport des collections scientifiques, est très important, et notamment depuis quelques années ce matériel a reçu les plus grands développements.
Le gouvernement a encore acheté la bibliothèque van Hultem ; tous ces encouragements sont donc des encouragements pour les lettres et pour les sciences.
En ce qui concerne les subsides et les prix d’acquisition, il faut remarquer que les ouvrages artistiques coûtent ordinairement beaucoup à leurs auteurs : achetez un objet de sculpture, il est évident que le marbre et le travail enlèvent une grande partie du prix de la statue, en sorte qu’il ne reste pas une somme considérable pour l’artiste.
La peinture exige même de grandes dépenses matérielles.
La Belgique a été le berceau des artistes plutôt que celui des savants et des littérateurs ; elle peut cependant s’honorer d’avoir produit des savants et des hommes de lettres très distingués.
La littéraire dramatique n’a pas été exclue des encouragements que le gouvernement a accordés. Toutefois, je ne prétends as qu’il n’y ait plus rien à faire de ce chef ; c’est une question dont le gouvernement aura à s’occuper. Seulement nous ferons observer qu’il n’y a pas eu exclusion.
Un honorable préopinant a pensé que les littérateurs étaient exclus des honneurs : messieurs, les savants et les littérateurs et les artistes ont obtenu du gouvernement les mêmes distinctions. Et, en ce qui concerne l’académie, elle ne se borne pas à admettre dans son sein les savants et les historiens ; mais elle admet aussi les littérateurs, car elle est l’Académie des sciences et belles lettres.
Il y a plusieurs personnes qui en font partie et qui n’y sont pas arrivées comme savants, ni comme historiens ; c’est un fait constant.
De ce chef, il est vrai que les artistes n’ont pu obtenir la même distinction, parce que le projet de loi soumis à la chambre, lequel comprend la classe des beaux-arts, n’a pas été voté.
Pour prouver, messieurs, que le gouvernement s’est constamment occupé de tout ce qui peut favoriser le développement des sciences, des lettres et des arts, je me permettrai de rapporter quelques-unes des principales mesures qui ont été prises. Par exemple, on a décrété la confection de la carte géologique qui se fait sous les auspices de l’académie, qui sera un ouvrage des plus remarquables et qui est déjà arrivé à un grand avancement.
Je citerai encore l’œuvre des bollandistes : Une société française avait voulu reprendre cette œuvre ; mais nous avons pensé que la Belgique l’ayant commencée, elle devait la finir. Ce sera un monument très précieux pour nos annales historiques.
D’autre part, on a fait confectionner un catalogue des chartes et diplômes concernant la Belgique ce qui facilitera les travaux des historiens.
Mon prédécesseur a créé une commission sous le titre de commission d’histoire qui rend des servies importants.
Je puis encore rappeler l’achat de la bibliothèque de van Hultem ; les développements que cette bibliothèque reçoit par le grand nombre de cadeaux qui lui arrivent des pays étrangers l’ont déjà rendu un établissement remarquable.
La bibliothèque des manuscrits a reçu également de très grands développements. Le catalogue de ces manuscrits et le catalogue des archives de l'Etat sont des travaux qui doivent exercer une heureuse influence sur les travaux historiques de la Belgique.
Des encouragements ont été accordés pour l’impression de divers ouvrages. Des souscriptions ont également été faites, et les produits sont envoyés aux diverses bibliothèques du pays. Ainsi, messieurs, les auteurs ont en même temps l’avantage de trouver un placement et de voir leurs ouvrages rangés dans toutes les principales bibliothèques.
Divers voyages ont encore été facilités moyennant des subsides.
En ce qui concerne les arts, indépendamment des divers objets qui ont été achetés pour compte de l'Etat, ou qui ont été commandés par lui, on peut citer comme encouragement le subside accordé à diverses académies ; la création d’un musée d’armures, et la création de l’école de gravure ; on peut encore citer le grand développement qu’a reçu le conservatoire de musique de Bruxelles, et enfin la restauration des principaux monuments du pays.
La Belgique peut donc s’honorer d’avoir généreusement, et autant que ses ressources le lui ont permis en présence des graves événements devant lesquels elle s’est trouvée, encouragé les arts les lettres et les sciences.
J’arrive aux réductions proposées par la section centrale.
Vous remarquerez que la section centrale propose une réduction de 24,000 francs, divisée de la manière suivante : retranchement de 5,000 francs sur la section marquée de la lettre A ; retranchement de 19,000 francs sur l’observatoire, sur le conservatoire de musique de Bruxelles, et sur les frais de la commission des monuments. La section centrale a pensé que le gouvernement ayant pu accorder l’année dernière des subsides extraordinaires au conservatoire et à l’observatoire sur les fonds de la section marquée de la lettre A, il pourrait continuer à les accorder cette année ; mais veuillez remarquer que la somme prise n’était que de 10,500 francs ; tandis que, pour atteindre les majorations il faudrait une somme de 19,000 francs ; donc un déficit de 8,300 francs.
Messieurs, loin d’admettre cette réduction de 8,300 francs, sur les dépenses faites l’année dernière, je demande que la chambre veuille bien allouer le crédit total tel qu’il est pétitionné au budget.
On est d’accord que le chiffre de 110,000 francs n’est pas trop élevé pour les encouragements généraux, d’autant plus que la section centrale et divers orateurs ont émis le vœu qu’on encourage davantage les travaux littéraires et scientifiques.
Quant au conservatoire, à l’observatoire et à la commission des monuments, la section centrale n’ayant pas contesté les majorations, je puis me dispenser de les défendre.
M. Maertens, rapporteur – Messieurs, le rapport de la section centrale n’a été attaqué que par un seul orateur, M. le ministre de l'intérieur. Je dois d’abord faire remarquer qu’il a été dans l’erreur, lorsqu’il a dit que la section centrale voulait opérer des réductions ; il ne s’agit pas, messieurs, de réductions ; mais la section centrale n’a pas voulu accorder la majoration de 24,129 francs demandée par M. le ministre. En comparant les crédits demandés pour 1840, aux différents littera dont se compose l’article 1er aux crédits alloués sous les mêmes littera pour 1839, la section centrale a constaté deux faits : elle a d’abord constaté un fait contre lequel on s’est souvent récrié dans cette enceinte, savoir que lorsqu’un crédit a été alloué une fois, il reparaît successivement à tous les budgets suivants et devient ainsi une charge perpétuelle pour l’Etat, alors même qu’il n’avait été d’abord demandé que pour faire face à un besoin momentané, pour couvrir une dépense extraordinaire ; en second lieu, la section centrale a constaté que, quoique les colonnes du budget indiquent une diminution de 1,000 francs, M. le ministre nous demande au contraire une majoration de 24,129 francs, et je vais expliquer comme la chose s’est faite :
L’année dernière, le chiffre total était de 348,900 francs et M. le ministre était venu demander à la section centrale une majoration de 25,000 francs, destinés à couvrir les frais de l’exposition nationale ; M. le ministre avait déclaré que cette demande était simplement faite pour l’année 1839 et qu’elle n’était nullement de nature à être reproduite les années suivantes ; cette année-ci, M. le ministre prend sur ces 25,000 francs les 1,000 francs qu’il fait figurer comme réduction et il répartit les 24 autres mille francs sur les littera A, D, G, J et K. Sur quatre de ces littera, il n’y a aucune explication ; ce n’est qu’en ce qui concerne le littera G que M. le ministre allègue la nécessité d’accorder au conservatoire de musique de Bruxelles un subside plus élevé que celui dont il a joui les années précédentes, par suite des développements que prend cette institution ; mais il avoue en même temps que, pendant les années précédentes, le besoin d’une augmentation de subside s’était déjà fait sentir et qu’on avait à cet effet accordé une majoration prise sur les autres parties de l’article « lettres, sciences et arts. » Eh bien, messieurs, la section centrale n’a pas voulu faire de l'administration ni en gros ni en détail ; elle n’a pas voulu examiner s’il convenait de majorer tel ou tel littera en particulier ; comme il s’agit d’un chiffre global et comme les différents littera ne sont que des indications données à la chambre ; comme d’un autre côté, M. le ministre a trouvé dans le chiffre de 348,900 francs de quoi subvenir à tous les besoins de l'article « lettres, sciences et arts », la section centrale a été d’avis qu’il devait encore en être de même, et il était dès lors de son devoir de proposer à la chambre d’adopter le même chiffre que l’année précédente.
Pour ce qui concerne la demande faite en faveur de la littérature dramatique, la section centrale a cru que, puisque cette littérature se trouve comprise comme toutes les autres dans l’article « lettres, sciences et arts », le gouvernement pourra prendre, sur le chiffre de cet article, les encouragements qu’il vous conviendra de donner à la littérature dramatique, et nous avons cru bien faire en engageant M. le ministre à ne pas perdre de vue cet objet. Je n’insisterai point sur ce sujet, puisque nous nous trouvons d’accord avec le plus ardent défenseur de la littérature dramatique, l’honorable M. de Brouckere, qui s’est déclaré satisfait de la proposition de la section centrale.
M. F. de Mérode – Je ne sais, messieurs, si la somme qui a été allouée l’année dernière, est suffisante pour répondre à tous les besoins du chapitre VII, mais je vais appeler un instant votre attention sur l’observatoire.
Le budget de l’observatoire s’élevait, les années précédentes, à 17,000 francs, et le directeur n’a cessé de faire observer que cette somme était insuffisante pour le service de l'établissement ; la plupart des observations, en effet, n’ont pu être imprimées, jusqu’à ce jour ; de sorte qu’elles sont, pour ainsi dire, perdues pour la science.
Il n’a pu être question de l’acquisition d’aucun instrument astronomique, et cependant l’établissement est encore dépourvu de lunettes mobiles.
La majoration demandée ne servira pas même à procurer à l’établissement un état plus avantageux ; car elle est destinée d’avance à couvrir une dépense urgente, qui a pour objet de mettre notre observatoire en harmonie avec les observatoires étrangers qui ont demandé son concours dans une entreprise scientifique. La société royale d’Angleterre n’a directement invité que cinq observatoires de l’Europe a prendre part à ce grand travail, et encore n’est-elle pas assurée de leur coopération jusqu’à présent ; ce sont les observatoires de Saint-Pétersbourg, de Christiania, de Bruxelles, de Prague et de Milan. Maintenant, la Belgique refusera-t-elle, pour sa part trois mille francs au plus, quand l’Angleterre équipe des vaisseaux et va fonder à grand frais des observatoires dans l’hémisphère austral ; et quand une société même, la société des Indes, forme seule et à ses frais, trois observatoires (à Madras, à Singapore et au mont Himalaya), lesquels seront pourvus chacun de quatre observateurs au moins ? Le refus ne serait pas seulement contraires aux intérêts de la science ; il serait au-dessous de la dignité du pays.
Messieurs, nous possédons un savant qui mérite tout notre appui. Il ne recule devant aucun travail pénible, pour que la Belgique remplisse sa tâche dans le monde scientifique. Son nom européen fait honneur à notre pays, les Anglais, justes appréciateurs de ses connaissances et de son intelligente activité, ont offert de lui fournir des aides qu’il a refusées par amour-propre national. Ne devrait-il pas être suffisamment aidé par nous-mêmes pour que jamais l’étranger ne fût tenté de venir au secours de notre observatoire ? Nulle part plus de travail ne se fait à moins de frais. Ne décourageons donc point un compatriote distingué qui n’épargne ni ses jours ni ses nuits, par dévouement pour les progrès de la science. Fournissons les éléments matériels dont il a besoin et cela sans lésinerie, car il n’est pas avare lui, de ses veilles, et nous rendra, avec usure, en considération au dehors ce que nous lui donnerons, en légère augmentation, de subsides si bien employés.
Je dis légers subsides ; en effet, messieurs, qu’est-ce qu’une somme de trois mille francs, comparée aux dépenses de navires explorateurs et de créations de plusieurs observatoires dans les régions les plus éloignées, dépenses auxquelles le peuple anglais consent avec une munificence non moins noble qu’utile, par les découvertes qui en résulteront sans doute. Et lorsqu’on nous offre de prendre notre part dans ces investigations dont le succès toujours croissant forme un des plus beaux titres de la civilisation moderne ; lorsque nous avons les moyens de répondre à ces offres et qu’il ne faut plus, pour nous associer à de généreux efforts, qu’une faible contribution pécuniaire, vous l’accorderez, j’en suis certain, parce que vous ne voudrez pas que le nom belge manque les occasions favorables de se produire honorablement.
Je dirai un mot, messieurs, de ce qui concerne la commission des monuments. Cette commission est composée de neuf membres qui travaillent avec un grand dévouement à conserver nos monuments, à empêcher des restaurations mal entendues ; ces membres dont la plupart sont des architectes, travaillent gratuitement ; tout ce qu’ils font, soit des rectifications de plans, soit tout autre travail, ne rapporte absolument rien ; ce qu’on leur donne, ce sont des indemnités de voyage et des frais de séjour ; si on retranche une partie de la somme demandée pour cet objet, ce sera au détriment de nos monuments que ce retranchement aura lieu ; les membres de la commission feront moins de voyage, ils restreindront ainsi leur travail, et ce seront nos monuments qui en souffriront.
Je ne m’occuperai pas, messieurs, des autres objets dont il s’agit dans le chapitre en discussion, parce qu’ils ne sont pas de ma compétence ; mais j’insiste pour que la chambre adopte les crédits demandés pour l’observatoire et pour la commission des monuments.
M. de Foere – Je commencerai par me mettre en règle avec l’honorable député de Bruxelles ; il a cru que je m’étais mis en contradiction avec moi-même. Comme membre de la section centrale, j’aurais voté le chiffre proposé par cette section, et maintenant je m’opposerais à tout chiffre.
Messieurs, lorsque la décision sur cet article a été prise par la section centrale, je n’avais pas assisté à la discussion ni au vote. Si j’avais pris part à la discussion, j’aurais vote contre le chiffre. Si maintenant je soutiens l’allocation proposée par la section centrale, c’est que je respecte les décisions des majorités dans toutes les questions de détail ou de relation qui ne compromettent ni les principes, ni l’honneur. Telle a été toujours ma conduite parlementaire. Je soutiens même qu’il est inutile de faire d’une assemblée, quand, dans ces questions, la minorité ne veut pas se soumettre à la majorité.
L’honorable député de Bruxelles voudrait encore augmenter le chiffre adopté par la section centrale ; c’est ce à quoi je m’oppose. Telle est la véritable différence d’opinion qui existe entre lui et moi. Déjà j’ai énuméré quelques-unes des dépenses énormes que fait l’Etat pour la littérature. L’honorable ministre de l'intérieur vient d’en suggérer d’autres. La bibliothèque de l’Etat leur est ouverte. La chambre alloue chaque année des sommes destinées à l’achat des ouvrages les plus utiles et les plus remarquables. Il y a deux ans, l’Etat a fait l’acquisition de la bibliothèque Van Hulthem, qui a coûté 300,000 francs. Le gouvernement est encore en négociation pour acquérir la bibliothèque de Bruxelles.
L’honorable député de Tournay a soutenu que l’allocation de subsides était u moyen de créer une littérature nationale. Consultez, messieurs, l’histoire de tous les pays, et vous verrez que c’est souvent le moyen d’arriver à un résultat contraire, après avoir élevé les littérateurs, les musiciens, les artistes, abandonnez-les à eux-mêmes, à leurs propres talents, à leur travail, à leur génie, à leurs besoins, le plus grand des stimulants ; si réellement ils ont des talents éminents, vous les verrez percer la foule ; ils n’épargneront aucun effort pour réussir. Vous les verrez pénétrer à travers tous les obstacles. Si au contraire vous leur accordez des subsides, vous en faites des fainéants et vous n’obtiendrez aucun résultat.
Il n’y a d’ailleurs que les médiocres qui demandent des secours. Grétry, Gossec, Mehui appartenaient aux provinces belges avant qu’elles fussent scindées ; ces compositeurs éminents, après avoir été élevés, ont-ils acquis leur illustration à l’aide des subsides alloués par l’Etat ?
Non, messieurs, ils les auraient repoussés comme des dons humiliants qui auraient déshonoré leurs talents et leur génie. Ils doivent leurs succès et leur haute réputation a eux-mêmes, à leur travail et à leur courage. Jamais vous n’arriverez qu’à une littérature nationale et à une composition musicale médiocre, si vous subsidiez les auteurs, il faut, pour atteindre votre but d’autres stimulants.
Il résulte de ces subsides une autre conséquence qu’il importe d’éviter. Vous créer une foule de mécontents. Chaque littérateur, chaque musicien, chaque artiste se croit des mérites qui doivent fixer l’attention du gouvernement. Du moment que vous accordez des subsides, vous créez des rivalités, des jalousies, des partis qui se jettent les hauts cris et sèment la discorde dans l’Etat.
Ensuite, messieurs, dans tous les pays où l’on a accordé des subsides, c’est souvent l’esprit de coterie qui les a distribués d’une part et qui les a recueillis de l’autre.
Je dirai plus, lorsque l’Etat accorde des subsides aux littérateurs, c’est souvent un moyen de corruption politique et parlementaire. C’est le pouvoir exécutif qui répartit ces subsides. Ce pouvoir est entre les mains de quelques hommes qui ont une opinion à soutenir. Des échanges s’opèrent, et les subsides chantent l’éloge des ministres. Messieurs, il importe à l’Etat de prévenir ces abus. Il est rare qu’une juste application de ces subsides soit faite dans le vrai intérêt du pays. L’histoire de France et d’Angleterre nous donne à cet égard des enseignements très utiles. Les subsides ont été souvent un moyen de corrompre l’opinion publique contre les vrais intérêts du pays.
M. le président – La parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier – M. le président, je parlerai sur les articles.
M. le président – Mais il n’y a qu’un article.
M. Dumortier – Eh bien, je parlerai sur l’ensemble de l'article.
M. le président – Mais je ferai observer que vous avez déjà parlé deux fois.
M. Dumortier – C’est pour cela même que j’ai demandé la parole sur les divisions de l’article.
M. le président – Demandez-vous la division ?
M. Dumortier – Oui, M. le président.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, je viens rappeler ici au gouvernement la promesse qu’il a été faite il y a bientôt trois ans à l’académie des beaux-arts de Louvain, de lui faire une part dans l’allocation qui nous occupe.
L’administration communale alloue généreusement dans l’intérêt des arts, 18 à 19,000 francs à cet instant ; il est constitué sur les bases les plus larges, et qui donnent toutes les garanties possibles ; il est peut-être le plus complet après l’académie d’Anvers. Les jeunes gens y sont admis gratuitement et peuvent y suivre des cours de dessins, de peinture, de sculpture, d’architecture, de musique vocale et instrumentale ; leur nombre s’élève à 900 environ ; les professeurs sont des hommes éminents par leurs talents ; les élèves font des progrès remarquables, et quelques sont déjà des artistes distingués, et honorent le pays.
J’espère donc que M. le ministre se rappellera ses promesses, accordera un subside nécessaire à cette académie, encouragement qui doublera ses forces et ses progrès. Je me crois d’autant plus fondé à faire cette demande que Louvain, à l’exception d’un léger subside pour son école primaire modèle, ne partage aucune des faveurs accordées avec tant de générosités à d’autres villes pour l’instruction et les arts.
M. le président – La parole est à M. Fleussu.
M. Fleussu – Comme on vient de demander la division des littera, je me réserve de parler à l’article « Conservatoire. »
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je n’ai demandé la parole que pour répondre à une observation qui a été faite par l’honorable M. de Foere, qui pense que dans tous les pays où on accordait des subsides aux littérateurs, on exerçait une corruption politique et parlementaire. Pour nous, nous pouvons déclarer en toute assurance que jamais nous n’avons demandé un service politique ou autre à un littérateur quelconque ; et que certainement les sommes qui sont portées au budget pour encouragements aux arts et aux lettres, n’ont en aucune manière un semblable destination.
M. de Foere (pour un fait personnel) – Messieurs, par les observations générales que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre, je n’ai nullement entendu faire allusion au ministère actuel ; je déclare que je ne connais aucun fait qui établirait que le ministre a accordé à des littérateurs des subsides dans le but immoral que j’ai indiqué. J’ai raisonné dans la possibilité que ces secours puissent être donnés à des littérateurs dans le but de les engager à soutenir le ministère par leurs écrits ; mais je n’ai entendu faire aucune application personnelle ni à l’honorable ministre de l'intérieur, ni à aucun autre membre du cabinet. Au surplus, messieurs, les temps de confiance sont passés pour moi. Je ne prends plus pour base de mes convictions que les faits qui se développent devant mes yeux. L’histoire est là qui prouve non seulement cette possibilité, mais même la probabilité. Les hommes sont toujours et partout les mêmes et aujourd’hui ce sont tels hommes qui sont au pouvoir et demain les autres.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai demandé la parole pour dire que je n’avais pas non plus considéré l’observation de l'honorable préopinant comme m’étant personnelle ; mais j’ai craint qu’elle ne pût être mal interprétée et c’est pour ce motif que j’avais demandé la parole.
Littera A – Encouragements, souscriptions et achats
M. le président – On a demande de voter par division ; je soumets donc à la discussion et au vote le littera A : « Encouragements, souscriptions et achats : fr. 110,000. »
M. Dumortier – Messieurs, je ne pense pas qu’il y ait lieu de voter la réduction de 5,000 francs proposée par la section centrale sur cet article ; le chiffre n’est certes pas trop élevé. D’après le tableau joint au rapport, vous avez pu voir combien divers encouragements sont déjà minimes ; il y aurait inconvenance à réduire le chiffre.
M. Maertens, rapporteur – Messieurs, on pourrait croire que le chiffre proposé par le gouvernement ne présente qu’une majoration de 5,000 francs sur le chiffre de l'année dernière ; cette majoration est en réalité de 15,700 francs. Voyez, messieurs, la page 140 de mon rapport, et vous remarquerez d’abord que, l’année dernière, on a pris sur la somme allouée 3,000 francs pour supplément à l’allocation pour l’observatoire ; ensuite à la page 141, on a prélevé sur le même chiffre un subside extraordinaire de 7,500 francs pour le conservatoire ; ce qui fait ensemble 10,700 francs. Or, ces deux sommes ne devront plus être prises cette année-ci sur le crédit de la lettre A, puisqu’il est demandé des augmentations aux articles qui concernent l’observatoire et le conservatoire. Il en résulte donc pour le crédit de la lettre A une économie de 10,700 francs qui, avec les 5,000 francs demandés en plus par le gouvernement, fait une majoration réelle de 15,700 francs.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, il faudrait se mettre d’accord sur le mode de procéder. Je croyais que le système de la section centrale était celui-ci : « ne pas allouer les majorations spécialement indiquées à chacun des littera en laissant au gouvernement le soin de faire son transfert en raison de la réduction qui serait adoptée. » M. le rapporteur semble maintenant dévier de ce système, puisqu’il propose une diminution de 15,700 francs sur le littera A.
M. Rogier – Messieurs, plusieurs membres de la chambre, et la section centrale elle-même, reconnaissent que les encouragements données aux lettres sont insuffisants. La section centrale a même engagé le gouvernement à augmenter ces subsides d’encouragements. Personne ne prétend que les encouragements donnés aux arts soient trop considérables ; mais l’on regarde comme insuffisants les encouragements données aux lettres. Or, si l’on veut que ces encouragements soient suffisants il faut bien leur accorder le subside qui leur est nécessaire, et ne pas augmenter ce subside au détriment des arts.
Messieurs, en définitive, que la différence soit de 15,700 francs, comme le prétend M. le rapporteur, ou simplement de 5,000 francs, si vous voulez exciter le gouvernement à donner aux sciences et aux lettres les encouragements auxquels elles ont les mêmes droits que les arts, accorder même une augmentation de 15,000 francs ne sera pas une allocation bien exagérée. D’après le calcul de la section centrale, il restera au gouvernement une trentaine de mille francs pour encourager les sciences et les lettres. Or, je demande si cette somme même est suffisante pour que le gouvernement puisse exercer son patronage utile d’une manière convenable.
- Le chiffre de 110,000 francs, proposé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.
Littera B – Académie des sciences et belles-lettres
« B. Académie des sciences et belles-lettres : fr. 25,000. » - Adopté.
Littera C – Musée des arts et de l’industrie
« C. Musée des arts et de l’industrie : fr. 25,000. »
M. Dumortier – Je suis en possession chaque année de demander la parole sur cet objet, mais jusqu’à présent, mes efforts ont été inutiles. Je ne viens pas demander l’augmentation ; je crois au contraire, qu’on ferait mieux de réduire le crédit. On devrait appliquer ici la maxime : A chacun suivant ses oeuvres. Ceux qui produisent, qui font quelque chose pour le pays, ont droit à notre sollicitude. Mais l’établissement dont il s’agit, si ce n’est d’être agréable à la vue, je ne sais à quoi il sert, et je ne vois pas l’utilité d’y consacrer des sommes aussi considérables que celles qui sont demandées.
Il y a quelques années, le crédit pour le conservatoire des arts et métiers, n’était que de 10 mille francs ; quand on le transporta de l’ancien local au nouveau, on introduisit une augmentation de 15 mille francs, pour meubles et vitrines destinés à recevoir les objets. Depuis, cette somme est devenue un crédit permanent pour cet établissement. Quel emploi a-t-on fait de ce crédit ? ouvrez le rapport à la page 142, vous verrez que les 25,000 francs ont servi à acheter quelques machines, entre autres une turbine, et qu’il se propose d’acheter des instruments d’agriculture. J’ai vu que déjà on a acheté de ces instruments sur le fonds d’agriculture.
Si vous voulez avoir un musée d’industrie, vous devrez introduire des modèles de machines perfectionnées, des instruments qui pussent servir à l’industrie. Mais quand je vois qu’un crédit semblable est employé à payer un traitement de surveillants, des indemnités à des ouvriers et surveillants subalternes, un traitement de secrétaire, de directeur des travaux, des indemnités pour services antérieurs, des missions confiées à tel ou tel , en un mot, à tous objets étrangers à l’amélioration que, dès que ce sont des fonds votés en pure perte, ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce serait de réduire le crédit pour cet objet et d’augmenter ceux qui doivent rapporter quelque chose à la société belge.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Les fonds demandés sont destinés à acheter des machines perfectionnées et des instruments d’agriculture. L’agriculture mérite aussi votre sollicitude ; Vous aurez remarqué, en jetant les yeux sur les développements, page 142 du rapport, que toutes les dépenses faites sont utiles et souvent indispensables. Il est indispensable de payer les traitements des personnes employées à la conservation et à l’entretien du musée. Il est impossible de négliger ces traitements, non plus que les dépenses matérielles d’entretien qui sont nécessairement assez considérables.
La turbine qu’on a achetée est très utile comme modèle, les dessins coloriés de machines exécutées à Paris sont une acquisition utile. Au moyen de ces dessins, on s’est dispensé d’acheter des objets de prix assez élevés ; une machine entre autres qui a été apportée du Mexique a été demandée par un industriel de Verviers pour en faire l’essai, preuve qu’on n’a pas trouvé cela inutile. Ainsi que je l’ai fait connaître à la section centrale, mon intention est d’apporter quelques modifications à l’organisation du musée.
Jusqu’à présent il y a eu une trop grande confusion entre les objets de physique et les objets purement industriels. En opérant une séparation, et en plaçant au conservatoire une personne qui puisse donner les instructions et les renseignements nécessaires aux personnes qui se présentent, on obtiendra les plus grands avantages de cet établissement.
M. F. de Mérode – Je demanderai, à l’égard de ce musée, si on peut se servir des objets qu’il renferme. J’ai entendu dire qu’on ne pouvait rien emporter de ce musée, soit pour les établissements publics, soit pour les écoles ; il en résulterait que les machines doivent toujours rester là et qu’on ne peut pas les étudier convenablement.
Je demanderai si on ne pourrait pas accorder l’autorisation de les emporter à ceux qui veulent faire des études sur ces objets.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Dans certaines circonstances on permet la sortie des objets du musée ; c’est ainsi qu’un machine à filer a été déplacée et envoyée à Verviers. Il en est de même d’autres objets qu’on laisse déplacer quand il y a utilité et garantie suffisante.
- Le littera C est mis aux voix et adopté.
Littera D – Observatoire de Bruxelles
« D. Observatoire royal de Bruxelles : fr. 20,000. »
La section centrale propose une réduction de 3,000 francs.
M. Dumortier – Je crois que vous n’adopterez pas la proposition de réduire la somme demandée pour l’observatoire. C’est un établissement qui honore la Belgique par ses résultats. Vous savez tous que le savant qui est à la tête de cet établissement, jouit d’une réputation justement méritée. Quand un pays possède un homme de cette capacité, il ne doit rien faire qui soit de nature à le décourager.
L’observatoire, après des engagements relatifs à un ancienne pendule de Liége, s’est trouvé devoir fournir des instruments en échange.
Il a participé aux expériences magnétiques des observations d’Angleterre ; c’est une distinction que d’être entrée dans ces opérations ; si le crédit était réduit à ce qu’il était l’an dernier, il serait impossible de publier les opérations faites, et par conséquent le résultat serait perdu. Le traitement des aides qui lui sont accordées et les frais généraux s’élèvent à 12,000 francs et comme il y a encore 5,000 francs pour instruments et constructions pour les observations à faire, il est impossible de rien publier. Nous devons dire à un homme comme M. Quetelet de continuer d’honorables travaux et lui accorder la majoration qu’il demande et qui d’ailleurs n’est que temporaire.
M. Eloy de Burdinne – Je partage l’opinion de M. Dumortier sur M. Quetelet. Je reconnais avec lui que c’est un homme supérieur. Je crois même qu’il mériterait de se trouver dans une position plus favorable que celle qu’il a. Mais je demanderai de quel grand intérêt est l’observatoire de Bruxelles pour le pays ? N’avons-nous pas des observatoires à portée de nous ? Par celui de Paris, ne pouvons-nous pas apprendre tout ce que nous dit l’honorable M. Quetelet ?
D’abord il nous donne tous les ans un rapport sur le degré auquel il a gelé, sur la quantité d’eau tombée pendant l’année. Sans doute il est fort agréable pour le curieux de connaître combien de jours nous avons eu le vent du nord, combien de pouces d’eau il est tombé. C’est une curiosité. Mais je voudrais, pour payer un établissement comme l’observatoire, qu’il parvînt à nous prédire le vent qu’il fera, le degré de froid qu’il y aura à tel ou tel mois, la quantité de pluie qu’il tombera à telle ou telle époque ; en un mot, nous prédire le temps pour l’avenir. Mais pour nous dire au 31 décembre le temps qu’il a fait pendant l’année, cela nous intéresse fort peu. Et quant à connaître la quantité d’eau tombée, chacun peut en faire l’expérience, seulement dans sa cour. Car, quand M. Quetelet annonce qu’il est tombé autant de pouces cubes d’eau pendant l’année, sans doute c’est de l'eau tombée dans sa cour qu’il parle. Mais vous savez que des nuages tombent quelquefois à 15 pas de chez lui, parlez-en à M. Quetelet lui-même, et vous verrez que, quand il vous dit qu’il est tombé tant d’eau, c’est seulement de l’eau tombée dans sa cour qu’il parle. Je vous demande si l’allocation doit être augmentée pour savoir à un litre près, combien il sera tombé d’eau pendant l’année dans la cour de M. Quetelet. Pour moi, je ne le pense pas.
M. Dumortier – Je pense qu’il n’y a rien de sérieux dans ce qu’a dit l’honorable préopinant, mais je suis profondément affligé que dans l’assemblée de la nation, des sciences qui font honneur au pays et méritent des encouragements soient tournées en ridicule par l’honorable préopinant. (Très bien ! très bien !)
- Le littéra D est adopté.
Littera E et F – Bibliothèque royale et Académie des écoles des beaux-arts
« E. Bibliothèque royale : fr. 60,000 » - Adopté.
« F. Académie des écoles des beaux-arts : fr. 41.900 » - Adopté.
Littera G et H – Conservatoires de Bruxelles et de Liége
« G. Conservatoire de Bruxelles : fr. 31,129. »
M. Fleussu – Je demande la parole.
Messieurs, comme vous savez, l’Etat a deux conservatoires de musique, l’un a son siège au chef-lieu de la province de Liége et l’autre est établi dans la capitale. Celle-ci semble être l’objet de la sollicitude et des faveurs du gouvernement, et il n’est alloué à l’autre au budget que ce qui lui est dû par les conventions.
Si les conservatoires de musique appartiennent à l’Etat, et ils lui appartiennent indubitablement puisque le gouvernement fait toutes les nominations de professeurs et de membres des conseils d’administration, vous reconnaîtrez que les observations que je vais vous soumettre sont dictées par des considérations, non d’un intérêt privé, mais d’un intérêt général.
Un fait que peu de personnes se rappellent et qui n’en est pas moins avéré, c’est que l’ancien gouvernement ne voulait qu’un seul conservatoire de musique dans le royaume, et que le souvenir de Grétry lui a fait désigné la ville de Liége comme le siège de cet établissement. Par un message spécial de 1826, il en avait donné connaissance à l’administration communale de cette époque. L’administration, mue probablement par un esprit d’économie mal entendu, tarda quelque temps à répondre à la proposition du gouvernement. L’affaire s’ébruita de telle façon que les villes de Bruxelles, La Haye et Amsterdam réclamèrent du Roi une faveur semblable. Dès lors il fut décidé que l’on couperait le gâteau, et que chacune des écoles de musique jouirait d’un subside annuel de 4,000 florins.
Les quatre communes que je viens de désigner obtinrent, par arrêté royal, l’autorisation d’y joindre, à titre d’encouragement , une somme égale, et de fournir aux écoles un local convenable. Telle fut pour la ville de Liége la matière de l’arrêté royal du 9 juin 1826.
Il y avait à Paris un homme connu par son talent musical, tel qu’il lui garantissait dans la capitale de France une position fort honorable et une existence assurée. Pour l’attirer en Belgique, il fallut faire de grands sacrifices. Ces sacrifices furent consentis tant par le gouvernement que par la ville de Liége ; c’est ainsi que le neveu de Méhul fut mis à la tête du conservatoire de Liége.
Depuis 1826 jusqu’au 1830, les conservatoires de Liége et de Bruxelles furent maintenant sur le même pied. Vint la révolution ; alors l’école de Bruxelles ferma ses portes ; ce ne fut que trois ans après qu’elle les rouvrit en recevant, ainsi que le conservatoire de Liége, le titre de conservatoire royal.
Pendant que le conservatoire de Bruxelles eût ses portes fermées, il en fut tout autrement dans le conservatoire de Liége. Non seulement les études n’y éprouvèrent pas la moindre interruption, mais pendant chaque hiver des concerts furent donnés dont le produit servit à distribuer des secours aux blessés, aux ouvriers sans travail, etc. Jusqu’à présent il n’y a pas eu de circonstances mauvaises où le conservatoire de Liége n’a fait faire des distributions de chauffage ou de couverture aux indigents, aux incendiés, aux familles victimes des accidents de houillères, soit en leur consacrant le produit du talent de ses élèves, soit en se cotisant.
Jusqu’à la fin de 1833 les deux établissements ont joui d’un subside égal au budget de l’Etat ; mais à partir de 1833 la balance a penché du côté de Bruxelles ; les choses en sont venues au point que le conservatoire de Bruxelles a obtenu 20,000 francs en 1838, tandis que le conservatoire de Liége a été réduit à 10,000 francs, somme qui lui était due en vertu du traité. C’est à raison de cette inégalité progressive que la commune de Liége, pour ne pas laisser tomber le conservatoire et pour obtenir des résultats égaux dans l’enseignement, s’est trouvée dans la nécessité de faire de nouveaux sacrifices de fonds, et tandis que l’administration communale de Bruxelles se bornait à son subside collatéral de 4,000 florins, Liége portait le sien à 10, 12, enfin jusqu’à 15 mille francs par an.
Ainsi, vous le voyez, le conservatoire de musique de Liége, qui appartient à l’Etat, où l’Etat fait toutes les nominations, qui devait recevoir de l’Etat un subside annuel de 4,000 florins et un subside égal de la commune, reçoit de l’Etat toujours à peu près le même subside, puisqu’il reçoit 10,000 francs, et reçoit jusqu’à 15 mille francs de la commune qui devait seulement venir en aide à l’Etat.
La première année où il s’est élevé des réclamations dans cette chambre dans l’intérêt du conservatoire de Liége, on s’est écrié ; Pourquoi l’Etat viendrait-il au secours du conservatoire de Liége plutôt qu’aux écoles de musique de Gand, de Mons, de Namur, de Tournay, d’autres villes ? Pourquoi ? La raison en est fort simple. La même raison pourrait s’appliquer aux deux universités. Si l’on disait : comme se fait-il qu’on demande des fonds pour les universités de Liége et de Gand, tandis que celle de Bruxelles et de Louvain n’en demandent pas ? c’est que les deux premières appartiennent à l’Etat, tandis que les deux autres sont de simples institutions particulières.
Or, en fait de conservatoires royaux, ce n’est pas l’Etat qui vient en aide à la commune, mais la commune qui vient en aide à l’Etat, et certes la chambre ne peut vouloir que, dans une question d’intérêt général, une commune supporte de plus lourdes charges qu’une autre. Cette charge est réellement lourde ; car, ainsi que je l’ai fait observer, pour que le conservatoire de Liége pût soutenir la concurrence, je dirai même pour qu’il pût subsister, il a fallu que la ville doublât le subside accordé par elle. Ce n’est pas tout. La ville a dû faire construire, à grands frais, un local pour le conservatoire. Il a fallu que les plans et devis fussent soumis à M. le ministre de l'intérieur. Voilà les sacrifices qu’a faits la ville de Liége pour le conservatoire royal ! Maintenant, voulez-vous connaître les résultats de cet établissement ? Je ne veux pas établir une rivalité entre les conservatoires royaux de Bruxelles et de Liége ; je crois que l’un et l’autre sont dignes de toute l’attention et je dirai même de toute la bienveillance de la chambre ; cependant, permettez-moi de vous parler de quelques élèves sortis du conservateur de Liége.
Un vrai talent comme pianiste et violoniste, joint à la production de quelques opéras joués à Liége, à Anvers, à Nantes, à Orléans, recommande les noms de MM. Eykem, Dopat et Wanson fils. L’école de violon est sans contredit la plus belle du pays, et sans parler de M. Prumd, dont le mérite porte si haut en Allemagne et à Berlin la réputation du nom belge dans les arts ; de M. Wilmott, violoniste au théâtre d’Anvers ; de Shan, au théâtre de La Haye ; de Soigne, au théâtre de Bruxelles ; je pourrais citer cinquante noms d’hommes distingués par l’exécution sur divers instruments largement rétribués à Toulouse, Lyon, Bordeaux, Montpellier, etc. etc. Le jeune pianiste Franck, qui obtint à Liége le premier prix de piano, à l’âge de 13 ans, n’eut qu’à se présenter à Paris pour y remporter le prix d’honneur sur tous ses concurrents du conservatoire de cette capitale.
Voilà les résultats produits par le conservatoire de Liége. Je vous ai parlé des sacrifices que la ville avait faits. Je m’étonne, après ces sacrifices et les résultats qui sont produits, que le gouvernement ait accordé toutes ses faveurs à un seul conservatoire. Le conservatoire de Bruxelles a d’abord obtenu un subside de 20,000 francs en 1838, tandis que le conservatoire de Liége ne recevait que 10,000 francs. Cette différence constitue pour le conservatoire de Liége une infériorité vraiment humiliante. Voilà maintenant que le ministère demande une augmentation de 11,000 francs pour le conservatoire de Bruxelles, c’est-à-dire que le subside accordé à cet établissement serait élevé à 31,000 francs, tandis que le conservatoire de Liége ne recevrait que 10,000 francs. Je vous demande si c’est là de la justice distributive.
Je crois qu’il faudrait faire pour les conservatoires de musique ce qu’on fait pour les universités de l’Etat, c’est-à-dire que, sans établir une balance, on mettrait à la disposition du gouvernement une somme globale pour les deux conservatoires. J’en fais la proposition formelle. Je propose par amendement de réunir les littera G et H et de dire : « Conservatoires royaux de musique : fr. 35,000 francs. » Le gouvernement allouera des fonds à chaque conservatoire dans la proportion de ses besoins.
M. Cools – Je pourrais me dispenser de répondre à M. Fleussu ; mais comme la proposition qu’il a faite tend à former une somme globale des allocations séparées pour le conservatoire de Bruxelles et pour celui de Liége, et que par suite de cette manière d’opérer le gouvernement serait induit à faire une répartition plus favorable à celui des deux établissements dont il aurait le moins à se plaindre, je dois voter contre l’amendement. De plus, je crois devoir relever les erreurs historiques dans lesquelles cet honorable membre est tombé relativement à l’érection des deux conservatoires en Belgique.
Le gouvernement hollandais avait voulu établir un seul conservatoire ; ce fut sa première pensée ; mais il revint bientôt de cette idée, et voici pourquoi : c’est que, d’après le système de bascule entre la Belgique et la Hollande qui était un moyen dans sa politique, puisqu’il fallait un conservatoire en Belgique, il fallait aussi en ériger un en Hollande.
Il était naturel de désigner Amsterdam, puisque c’était la ville où l’art musical avait pris le plus de développement ; mais des influences personnelles intervinrent et on voulut un conservatoire à La Haye ; dès qu’il y avait deux conservatoires en Hollande, il fallait en accorder deux à la Belgique ; un à Bruxelles par conséquent, et un à Liége ; double emploi que je regarde comme fâcheux.
Du moment qu’il nous est impossible de donner aux deux conservatoires les développements nécessaires, il est certain que nous devons donner la préférence à celui de Bruxelles, parce que c’est dans la capitale que se trouve la réunion la plus nombreuse d’artistes supérieurs, parce que c’est dans la capitale que viennent tous les artistes de l’Europe, et que l’on exécute toutes les grandes compositions qui font avancer l’art, ou qui en sont les plus beau monuments. Depuis 1833 c’est au conservatoire de Bruxelles qu’on a donné le plus de développement, et on a bien fait.
Vous remarquerez d’abord qu’il y a en apparence une majoration de 11,000 francs qui, en réalité, n’est que de 5,000 francs, parce que, depuis 1836, on a prélevé 6,000 francs sur les autres sections de l’article. C’est pour mettre un peu de clarté dans le budget que le ministre propose le chiffre nécessaire et tel qu’il doit être ; c’est pour cela qu’il a demandé une majoration de 5,000 francs ; et avec cette majoration, on a l’intention de créer diverses classes de chant ; notamment une classe de chant pour les églises qui est la source de toutes les bonnes méthodes de chant ; et de plus on veut former une classe pour les jeunes demoiselles, but moral que nous devons appuyer.
Les autres majorations demandées sont justifiées par les résultats obtenus. Sans le rapport musical, la Belgique marche à la tête des nations parce que toutes les célébrités musicales sortent de la Belgique ; les de Beriot, les Batta sortent de nos écoles.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je me plais à rendre toute la justice qui lui est due au conservatoire de Liége, ainsi que l’a fait M. Fleussu ; mais ce conservatoire s’est trouvé dans l’heureuse position de pouvoir recevoir des subsides de la régence, parce que la ville de Liége était dans une meilleure position financière que la ville de Bruxelles. Cependant le gouvernement a majoré le subside accordé par le gouvernement précédent, d’une somme de 1,600 francs. La ville de Bruxelles, dans l’état actuel de ses finances, ne pouvait accorder sur ses ressources de quoi subvenir convenablement au conservatoire qui est dans ses murs. On ne peut pas vouloir que ce conservatoire soit dans un état d’infériorité ; on ne peut admettre le pied d’égalité entre les établissements qui sont dans la capitale et ceux qui sont dans les provinces.
Je pense, messieurs, que d’après les autres observations qu’a présentées le préopinant, et que, d’après le rapport de la section centrale, qui n’ a pas contesté la justice des motifs à l’appui de la demande, vous ne ferez pas confusion des deux chiffres.
Plusieurs membres demandent la division.
M. Fleussu – Je ne sais pas comment on peut demander la division de ma proposition ; car je propose la réunion.
M. Dubus (aîné) – Aux termes du règlement, dans toute question complexe, la division est de droit lorsqu’elle est réclamée par un seul membre de l’assemblée. Je demande positivement que l’on vote séparément pour le conservatoire de Bruxelles et pour le conservatoire de Liége.
M. le président**,** à M. Fleussu – La réunion des chiffres ayant lieu, quel partage demandez-vous ?
M. Fleussu – Par moitié.
- Le chiffre de 31,129 francs pour le conservatoire de Bruxelles pétitionné par le gouvernement est mis aux voix et adopté.
Le chiffre de 10,000 francs pour le conservatoire de Liége est ensuite adopté.
Littera I Publication des chroniques belges inédites
« I. Publications des chroniques belges inédites : fr. 14,000. »
La section centrale a demandé une réduction de 4,000 francs.
M. Dumortier – Je ne crois pas qu’on puisse admettre la réduction proposée par la section centrale. C’est par un arrêté de 1832 ou 1833 que la commission des chroniques a été instituée, depuis lors elle a publié six volumes un-4° de plus de mille pages chacun, et trois volumes in 8°. Vous savez que les frais d’impression des chroniques sont considérables ; il faut copier ces anciennes écritures, et tout le monde n’est pas apte à ce travail.
Dans l’état actuel des choses, la commission des chroniques est endettée d’environ 8,000 francs, et si ce crédit demandé n’est pas adopté, elle ne pourra pas continuer ses publications.
On vous demande ici 14,000 francs, et savez-vous, messieurs, ce que le même objet coûte en France ? 120,000 francs par an, c’est-à-dire près de dix fois autant. Pour l’académie de Bruxelles on vous demande 25,000 francs, tandis qu’en France on alloue 300,00 francs au même titre. Vous voyez, messieurs, qu’en Belgique on fait beaucoup de choses avec peu d’argent, lorsqu’on administre bien. Vous devez voir aussi qu’il n’y a pas moyen de réduire de semblables chiffres.
- Le chiffre demandé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.
Littera J Musée d’armes, d’armures et d’antiquités
« J. Musée d’armes, d’armures et d’antiquités : fr. 10,00. » - Adopté.
Littera K Commission des monuments
« K. Commission des monuments : fr. 6,000. »
La section centrale propose une réduction de 1,000 francs.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, les frais de la commission des monuments sont tout à fait éventuels ; ce sont des frais de déplacement, qui sont du reste fixés par un tarif très modéré ; ce sont des frais purement matériels, car les membres de la commission ne touchent aucun traitement et n’ont aucun avantage personne. Je pense donc qu’il ne convient pas de réduire le crédit demandé.
- Le chiffre proposé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.
Littera L Ecole de gravure
« L. Ecole de gravure : fr. 20,000. » - Adopté.
L’ensemble de l’article est ensuite adopté.
« Art. 2. Monument de la place des Martyrs : fr. 25,000. »
« Art. 3. Subsides aux villes et communes dont les ressources sont insuffisantes pour la construction des monuments : fr. 27,000. »
« Art. 4. Primes et encouragements aux arts et à l’industrie, aux termes de la loi du 25 janvier 1837, sur les fonds provenant des droits de brevets, et frais de délivrance des brevets : fr. 25,000. »
« Art. 5. Service de santé : fr. 45,000. »
« Art. 1. Frais d’administration (Personnel) : fr. 21,350. »
« Art. 2. Frais d’administration (Matériel) : fr. 2,600. »
« Art. 3. Frais de publication des inventaires des archives : fr. 4,000. »
- Ces articles sont adoptés sans discussion.
« Art. 4. Archives de l’Etat dans les provinces et frais de recouvrement de documents provenant des archives tombées dans des mains privées ; frais de copie de documents concernant l’histoire nationale : fr. 15.000. »
M. Dumortier – Cet article est relatif aux frais de recouvrement de documents provenant d’archives. A cette occasion, j’appellerai de nouveau l’attention du gouvernement sur une partie importante de nos archives qui sont restées en Autriche ou en Espagne. Les archives du Brabant se trouvent maintenant en Autriche, et il serait fortement à désirer qu’elles nous fussent restituées : je suis bien certain que si le gouvernement faisait des démarches dans ce but, le gouvernement autrichien ne se refuserait pas à nous rendre ces archives ; d’ailleurs, en droit il ne le pourrait pas.
Ces archives sont complètement inutiles au gouvernement autrichien, et pour nous, au contraire, elles ont un intérêt immense. Elles comprennent les chartes des ducs de Brabant qui, aux termes des anciennes constitutions, ne pouvaient pas être déplacées. Eh bien, elles se trouvent maintenant à Vienne, où elles ont été transportées en 1791 avec la collection des archives de l’Etat. Par suite des traités de Campo-Formio et de Lunéville, une partie de ces archives ont été restituées, et entre autres les archives du Hainaut, de la Flandre, du Brabant ; mais il en est d’autres qui sont restées en Autriche, notamment les archives des ducs de Brabant. Je désire que le gouvernement fasse des démarches, et des démarches actives, pour obtenir la restitution de ces documents, restitution qu’on ne peut pas refuser, et que l’on n’a d’ailleurs aucun intérêt à refuser.
En outre, messieurs, il se trouve encore à l’Escurial beaucoup d’archives qui concernent la Belgique, et que nous sommes en droit de réclamer ; elles sont d’une importance majeure pour l’histoire de notre pays, et elles concernent précisément une époque sur laquelle il manque des documents, l’époque du moyen-âge ; il serait donc fortement à désirer que nous pussions en obtenir la restitution.
J’ajouterai, en ce qui concerne les archives restées à Vienne, que le gouvernement autrichien est d’autant moins fondé à les retenir, que c’est un simple dépôt ; or, un dépôt n’admet jamais de prescription.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je répondrai que des démarches ont été faites à Vienne depuis déjà assez longtemps ; mais j’éprouve le regret de devoir dire que jusqu’à présent elles ont été infructueuses ; toutefois nous persévèrerons dans ces démarches, et je partage entièrement l’avis de l’honorable préopinant.
Le chiffre de 15,000 francs est mis aux voix et adopté.
« Art. 5. Location et frais d’entretien de la maison servant de succursale au dépôt général des archives de l’Etat : fr. 3,500. »
- Adopté.
« Art. 6. Confection extraordinaire de cartons, de portefeuilles et de reliures : fr. 2,000. »
« Art. 7. Construction ou appropriation d’un bâtiment pour le dépôt des archives nationales : fr. 100,000. »
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demanderai à la chambre de renvoyer la question que soulève cet article à la section centrale, constituée en commission spéciale. Cet article pourrait faire l’objet d’un projet de loi séparé. J’ai quantité de documents à remettre à la section centrale, et je pense que ces documents pourront l’éclairer suffisamment, tandis que si nous abordions la question dans l’état où elle se trouve aujourd’hui, la discussion pourrait être longue sans qu’il fût certain qu’elle amenât un résultat.
M. de Behr – Messieurs, quand il s’est agi du séminaire de Rolduc, on a renvoyé la proposition à toutes les sections ; je désirerais qu’on suivît la même marche pour l’objet actuel.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, j’aurais proposé la marche indiquée par l’honorable président de la section centrale, si l’article dont il s’agit n’avait pas été porté au budget ; mais déjà les sections ont pu s’en occuper, tandis qu’elles n’ont pas pu le faire pour la proposition concernant le petit séminaire de Rolduc, proposition que j’avais directement adressée à la section centrale. Je fais cette observation parce que j’ai des documents nombreux à communiquer et que la question me paraît difficile à instruire dans les sections. Sans cela je ne trouverais rien à objecter à la proposition de l'honorable préopinant.
- Le renvoi à la section centrale constituée en commission spéciale est mis aux voix et adopté.
« Article unique. Frais de célébration des fêtes nationales : fr. 50,000. »
La section centrale propose de réduire le chiffre à 30,000 francs.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, la section centrale, loin d’approuver l’augmentation de 10,000 francs que j’avais demandée, a proposé, au contraire, une diminution de pareille somme sur le chiffre de 40,000 francs qui a été voté l’année dernière.
Je vous rappellerai, messieurs, que ce chiffre avait été majoré et portée à 50,000 francs, puis de nouveau réduit à 40,000 fracs sur ma proposition même. Mais depuis lors, messieurs, une dépense nouvelle a été créée, c’est celle de 10,000 francs pour l’encouragement des courses de chevaux. L’été dernier il a été pris un arrêté royal qui alloue un subside de 20,000 francs pour cet objet, et cette mesure est une conséquence directe des dépenses que l’on fait pour les haras ; enfin, ce n’est en quelque sorte que parce que les courses de chevaux ont toujours lieu aux fêtes de septembre que j’ai compris la moitié de cette allocation spéciale dans le crédit demandé pour les fêtes nationales. ; d’ailleurs, comme je l’ai déjà fait connaître à la chambre, je me propose d’ouvrir un grand concours de musique aux prochaines fêtes de septembre.
Il y a encore en cela un but utile, car lorsqu’un concours de musique est ouvert, il porte les différentes sociétés à s’exercer longtemps d’avance et il en résulte toujours des avantages pour l’art musical.
Je pense, messieurs, que ces considérations vous engageront à adopter le chiffre de 50,000 francs.
M. Maertens, rapporteur – Messieurs, le congrès, par un décret du 19 juillet 1831, a décidé que des fêtes nationales seraient célébrées en commémoration des journées de septembre. Dans l’intention du législateur, ces fêtes devaient être principalement des réjouissances populaires ; c’était le peuple qui devait y prendre la plus grande part, parce que c’était à lui, à ses efforts, à son courage qu’on devait les principaux succès que la cause de la patrie avait obtenues. Depuis lors cette somme a varié de 40 à 50,000 francs, d’après les circonstances dans lesquelles se trouvait le pays.
Chaque année l’on s’est récrée contre l’élévation du chiffre, et plus d’une fois l’on a proposé de le réduire à 30,000 francs. J’ai parcouru le Moniteur, lorsque j’ai examiné la question, et j’ai trouvé que M. de Theux lui-même a proposé en 1834 de réduire le chiffre à 30,000 francs. M. le ministre voudra bien expliquer le motif qui l’a fait changer d’opinion depuis loirs.
On a toujours soutenu que ces fêtes devaient se borner à des réjouissances populaires, et que les autres fêtes, telles que concours de musique, qu’on voudrait y joindre, devaient être à charge de la ville. Si le chiffre de 50,000 francs a antérieurement prévalu, si la pensée a dominé qu’il pouvait être utile à la chose publique de donner plus de lustre à ces fêtes, et de ne pas refroidir, voire même d’exciter l’élan patriotique dont alors nous pouvions encore avoir besoin, il n’en est plus malheureusement ainsi aujourd’hui ; aujourd’hui la paix est faite, et la section centrale a pensé que, dans cette situation, il convenait de voter un chiffre normal, et qu’une somme de 30,000 francs pouvait suffire à célébrer dignement les fêtes nationales que le congrès a voulu instituer.
C’est par ces motifs que la section centrale, d’accord d’ailleurs avec plusieurs sections, a proposé à la chambre d’en allouer qu’un chiffre de 30,000 francs au lieu de celui de 50,000 francs, qui a été demandé par le gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, il résulterait de la proposition de la section centrale que le crédit serait réduit de 20,000 francs. La section centrale propose d’allouer seulement 30,000 francs ; or sur ces 30,000 francs, comme je l’ai déjà dit, il faut prélever 10,000 francs pour les courses de chevaux. Il ne resterait donc que 20,000 francs pour les fêtes nationales. Ce chiffre est évidemment insuffisant. Je veux bien m’engager à réduire le chiffre à 40,000 francs pour l’année prochaine, mais je voudrais que pour cette année on allouât le chiffre de 50,000 francs pour qu’il puisse être donné suite au concours musical qui ne pourra pas avoir lieu, si le crédit intégral n’est pas alloué.
M. de Langhe – Est-il absolument nécessaire de donner 10,000 francs pour les courses de chevaux ? Il y aurait moyen de réduire cette somme ; dès lors il y aurait un chiffre plus élevé pour les autres fêtes.
M. F. de Mérode – Il n’est pas nécessaire d’avoir toutes les années une course de chevaux et un concours musical ; si l’on veut avoir une course de chevaux, on peut se dispenser d’un concours de musique, et réciproquement. Ainsi, si M. le ministre préfère un concours musical cette année, il pourra l’adopter, et remettre la course de chevaux à une autre année. Il me semble, messieurs, qu’on doit prendre cette année un chiffre normal, à cause du traité de paix, et que les 30,000 francs votés en 1834 devraient suffire. Je suis partisan des dépenses publiques, mais nous ne pouvons pas constamment voter des augmentations pour des objets qui ne sont pas d’une véritable utilité.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, il est évident que si l’on suspend pendant une année les courses de chevaux, c’est en quelque sorte les supprimer, parce que ces courses doivent être annuelles, c’est l’usage de tous les pays où des courses sont établies. Il est impossible de les suspendre. La dépense des courses doit être considérée comme une dépense fixe. Si donc on admettait la réduction proposée par la section centrale, il n’y aurait que 20,000 francs pour les autres fêtes, c’est-à-dire que vous n’auriez que des fêtes mesquines insignifiances ; mais alors autant vaudrait ne voter aucun chiffre.
Je dirai, en réponse à une observation de l’honorable préopinant, que le concours musical n’est pas une réjouissance annuelle, puisqu’il n’y en pas eu depuis 1835.
M. Rogier – Messieurs, lorsqu’en 1831, le congrès a décidé que la révolution célébrerait des fêtes nationales, il a entendu que ces fêtes fussent célébrées convenablement. Il me semble, messieurs, que ce principe posé par le congrès devrait être mis chaque année hors de contestation ; il est pénible que chaque année on vienne disputer en quelque sorte à l’indépendance du pays les moyens que le congrès lui a donnés de se rappeler chaque année au peuple.
On dit qu’en 1833 et en 1834, le chiffre a été réduit à 30,000 francs ; si mes souvenirs sont exacts, et je crois qu’ils le sont, le chiffre n’a pas été réduit à 30,000 francs, le chiffre de 50,000 francs a été consacrée en 1833 et en 1834 ; mais je pense qu’en 1835, sur la proposition de M. le ministre de l'intérieur lui-même, le chiffre de 50,000 francs a été réduit à 40,000 francs. Depuis lors, on a imputé sur ce crédit une somme de 10,000 francs, consacrée aux courses de chevaux ; de là, la nécessité de ramener le chiffre à 50,000 francs.
Une fois le chiffre fixé à cette somme, il me semble qu’il ne devrait pas être remis en question chaque année. On vient dire que les fêtes nationales avaient été instituées pour stimuler le zèle des braves ; il n’en est rien, messieurs, le congrès a voulu que pendant la guerre comme pendant la paix, le souvenir de l’indépendance nationale fût chaque année rappelé à nos populations ; on n’y a pas vu un instrument de vengeance, une occasion de récrimination contre la Hollande ; on a voulu en faire une chose populaire, nationale, d’intérieur ; c’est à ce titre que je crois tout à fait utile et convenable de maintenir le chiffre qui est demandé, et qu’il serait surtout très convenable de ne pas remettre chaque année en question ; c’est en quelque sorte la liste civile de la révolution ; elle n’est pas très élevée, mais au moins maintenez-la telle qu’elle a été votée dans les premières années.
M. de Foere – Messieurs, lorsque le gouvernement célèbre l’anniversaire de la révolution par un concours de musique, il en résulte que les autres villes et communes qui désirent y prendre part doivent faire souvent de grandes dépenses. Or, la plupart des villes et communes sont déjà très obérées de charges locales. Ne serait-il pas plus sage de ne pas les entraîner dans d’autres charges, alors que les ressources de ces communes seraient beaucoup mieux employées à pourvoir aux besoins locaux et à des services beaucoup plus utiles ?
Ensuite, je ne sais pas si, dans la position où le pays se trouve, il existe encore de si grands motifs de fêter la révolution. (Oh ! oh !) Quant à moi, messieurs, je partage l’opinion émise par la chambre de commerce d’Ypres, opinion qui a été défendue par l’honorable député de Tournay. Pour moi, l’indépendance et la nationalité d’un pays ne consistent pas dans des mots et dans les fêtes, mais dans les faits, dans les réalités. Les mots ne sont rien pour moi : les éléments de ma conviction sont les faits.
M. Dubus (aîné) – Messieurs, les années précédentes, je me suis opposé à l’élévation du crédit dont il s’agit maintenant, et les raisons qu’on nous donne pour établir la nécessité d’un chiffre, ne sont nullement fondées.
Un honorable député d’Anvers présente cette somme comme la liste civile de la révolution belge ; il a cité un décret du congrès qui ordonne de célébrer des fêtes nationales pour l’anniversaire des grandes journées de septembre. Mais ce décret ne s’exécute pas seulement à Bruxelles, mais dans toutes les villes de la Belgique, et je ne pense pas que le crédit dont on parle, doive servir à la célébration de ces fêtes dans toutes les villes de le Belgique. Partout ailleurs qu’à Bruxelles, les fêtes de l’anniversaire de la révolution se célèbrent aux frais de la commune ; toutes les fêtes qui se célèbrent à Bruxelles pour le même anniversaire doivent avoir lieu aux frais du trésor public ? Voilà comment la question s’est présentée précédemment. Je crois qu’une somme de 30,000 francs est plus que suffisante, la ville de Bruxelles peut contribuer dans la dépense, comme les autres villes du royaume ; on me dit qu’elle accorde un subside, eh bien, on ajoutera ce subside à celui de 30,000 francs ; et il y aura sans doute suffisance.
Je le répète, les fêtes de l’anniversaire de septembre sont célébrées dans toute les villes de la Belgique, mais elles le sont aux frais des communes parce qu’aux termes de la législation, les dépenses de ce genre sont à charge des communes. C’est donc une exception qu’on consacre ici en faveur de Bruxelles ; cette exception, il ne faut pas l’exagérer.
M. Van Volxem – Messieurs, l’honorable préopinant est dans l’erreur, lorsqu’il pense que la ville de Bruxelles ne contribue pas au lustre des anniversaires des glorieuses journées de septembre ; la ville de Bruxelles, malgré l’état d’obération de ses finances, contribue chaque année pour 15 à 16,000 francs.
M. d’Huart – Messieurs, je pense aussi qu’une somme de 30,000 francs est suffisante pour l’objet dont il s’agit ; mais je trouve qu’il y a moyen de concilier l’opinion de la section centrale avec celle du gouvernement, car je ne suis pas d’avis d’imposer sur l’article des fêtes nationales la dépense des courses de chevaux. Selon moi, cette dépense devrait être prélevée sur le crédit de l’agriculture. C’est là la place toute naturelle de cette dépense. En effet, les courses de chevaux sont destinées principalement, exclusivement même, à l’amélioration de la race des chevaux en Belgique.
On peut du reste, en accordant le crédit nécessaire pour cet encouragement à l’agriculture, exiger qu’une course de chevaux ait lieu au moment des fêtes de septembre ; de cette manière le gouvernement aura à sa disposition une somme de 30,000 francs pour les fêtes nationales, et il aura en outre 10,000 francs pour les courses de chevaux. Ainsi, M. le ministre de l'intérieur, en se ralliant au mode d’imputation que je viens d’indiquer, conciliera toutes les opinions.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Il est très certain qu’en suivant la marche indiquée par M. d’Huart, le gouvernement se trouverait avoir 40,000 francs comme l’année dernière. Mais comme il y a au budget un article pour fêtes nationales, il vaut mieux qu’il soit plus considérable ; l’effet moral est plus grand que si on en déduisait une somme de 10,000 francs, sauf à l’imputer sur un autre article, celui concernant les encouragements à l’agriculture.
Si l’on désire avoir le concours de musique que j’ai annoncé, je demanderai que le chiffre de 30,000 francs soit maintenu. Il est à remarquer que ces fêtes qui ont lieu annuellement dans la capitale sont un moyen de fondre davantage l’esprit provincial. C’est une occasion pour les habitants des diverses provinces de se rendre à Bruxelles pour participer à des réjouissances communes. C’est là encore un résultat avantageux de ces fêtes indépendamment du but de commémorer les journées de septembre.
M. Lebeau – Je crois devoir répondre quelques mots à un honorable préopinant qui paraît avoir méconnu le but que s’est proposé le congrès quand il a institué des fêtes nationales. Le congrès, en instituant des fêtes nationales, n’a pas entendu qu’elles fussent célébrées dans toutes les communes, par toutes les villes, il n’a pas entendu imposer la loi aux localités. Il y en a même qui, vu l’état de leurs finances, malgré le patriotisme des administrateurs et des administrés, ne peuvent avoir de fêtes convenables. Le congrès, par son décret, a déclaré que le gouvernement célébrerait les fêtes de septembre. Et c’est ainsi que les votes de huit ou neuf législatures ont interprété le décret du congrès. Si la ville de Bruxelles concourt à l’éclat des fêtes de septembre, c’est volontairement et non par déférence pour le décret du congrès.
L’administration a toujours su conserver à ces fêtes le caractère de fêtes populaires. Les courses de chevaux sont un spectacle dont tout le monde peut jouir ; et les concours de musique, outre qu’ils sont un stimulant pour les arts et pour les artistes, sont encore un plaisir auquel tout le monde peut prendre part. le gouvernement a dont été soigneux de conserver leur caractère populaire aux fêtes de septembre.
Au point de vue de l’intérêt privé, c’est encore un calcul qui que de donner un certain éclat à ces fêtes ; car, par la facilité de nos communications, elles attirent une grande partie de la population des provinces dans la capitale ; et même, par le produit du chemin de fer, on est remboursée amplement des frais que l’on fait. C’est à regret que j’invoque ici de pareils motifs, c’est par des considérations d’un ordre plus élevé que devrait se décider une question comme celle qui nous occupe.
- Après deux épreuves douteuses, il est procédé à l’appel nominal sur le chiffre de 50,000 francs, demandé par le gouvernement.
En voici le résultat :
Nombre de votants : 58 ;
Pour l’adoption : 27
Contre : 31.
En conséquence, le chiffre n’est pas adopté.
Ont répondu oui : MM. Coghen, W. de Mérode, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, de Villegas, Dubois, Lebeau, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Raikem, Rogier, Sigart, Smits, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Volxem, Ch. Vilain XIIII, Wallaert, Willmar, Zoude et Fallon.
Ont répondu non : MM. Brabant, Cools, Coppieters, de Behr, de Florisone, de Foere, de Langhe, F. de Mérode, de Potter,, d’Huart, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Hye-Hoys, Kervyn, Lys, Maertens, Mast de Vries, Pirmez, Pirson, Puissant, Scheyven, Simons, Van Cutsem, Van Hoobrouck et Dedecker.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Le chiffre de 50,000 francs est rejeté. Il ne faut pas d’erreur. Les membres qui ont combattu le chiffre de 50,000 francs ont dit qu’ils consentiraient à ce que 10,000 francs fussent consacrés à des courses et 30,000 francs exclusivement employés à la célébration des fêtes nationales.
Je demande qu’on vote le chiffre de 40,000 francs ou qu’on m’autorise à prélever 10,000 francs sur le fonds d’agriculture.
M. d’Huart – Je pense qu’il n’a jamais été question du chiffre de 40,000 francs, aucun membre ne l’a proposé. J’ai dis que je trouvais la somme de 30,000 francs suffisante, et comme on a parlé de chiffre normal sur lequel il conviendrait de ne plus discuter dans les budgets futurs, il m’a paru qu’on pouvait considérer comme tel le chiffre de 30,000 francs, proposé par la section centrale ; j’ai ajouté toutefois que je verrais volontiers imputer la somme nécessaire pour les courses, sur le fonds destiné à l’encouragement de l’agriculture.
Ainsi, avant de voter le chiffre de 30,000 francs, il faut s’entendre afin d’être bien fixé sur le point de savoir si le ministre pourra imputer les 10,000 francs nécessaires pour les courses sur le fonds de l’agriculture.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Au reste, le gouvernement étant en droit de prendre sur le fonds des haras la somme nécessaire pour les courses de chevaux, je déclare que mon intention est d’en agir ainsi. Plusieurs membres ont fait observer que les courses de chevaux rentraient dans l’allocation accordée pour les haras. De cette façon, les 30,000 francs resteraient uniquement consacrés aux fêtes de septembre proprement dites.
- Le chiffre de 30,000 francs est mis aux voix et adopté.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je demande la parole. J’ai un amendement à déposer au budget de la marine. Il est relatif au pilotage ; c’est un complètement d’allocation pour la construction des cinq bateaux pilotes. Je le dépose pour qu’on puisse l’imprimer avec les explications que j’ai jointes.
Je demanderai le renvoi à la section centrale.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution et le renvoi à la section centrale de l’amendement déposé par M. le ministre des travaux publics.
La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 5 heures.