(Moniteur belge n°27 du 27 janvier 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven procède à l’appel nominal à une heure un quart.
M. Mast de Vries lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Scheyven fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre :
« Des fabricants, boutiquiers et débitants en détail de Roulers, adressent des observations sur le projet de loi relatif à la répression de la fraude. »
« Le conseil communal de Furnes, adresse des observations sur le projet de loi relatif à la répression de la fraude en matière de douanes. »
- Sur la proposition de M. Rodenbach, ces deux pétitions sont renvoyées à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi relatif à la répression de la fraude en matière de douanes. »
« Les commis-greffiers du tribunal de première instance d’Audenaerde demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif à l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire.
« L’administration communale de Pommeroeul demande l’annulation de l’arrêté du gouverneur du Hainaut, approuvé par l’évêque de Tournay, relatif au sonnage des cloches placées dans les clochers des églises. »
« Le sieur Hubert Ghislain, à Verviers, demande que la chambre intervienne pour que les mémoires de la commission royale d’histoire soient imprimées sur du meilleur papier. » (On rit.)
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
« Lettre de M. le secrétaire perpétuel de l’académie royale des sciences et belles-lettres, accompagnant l’envoi du douzième volume des Mémoires de l’Académie.
- Dépôt à la bibliothèque.
« Dépêche de M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux), accompagnant l’envoi des plans et devis des constructions à faire à l’abbaye de Saint-Trond, pour l’approprier à sa nouvelle destination de petit séminaire du diocèse de Liége. »
M. le président – Il sera donné avis aux sections de l’envoi de ces pièces, qui seront déposées au greffe. Lors de la discussion es pièces seront déposées sur le bureau de la chambre.
M. F. de Mérode donne lecture des développements d’une proposition qu’il présente, tant en son nom qu’en celui de M. d’Hoffschmidt, et qui tend à introduire une modification dans la loi sur la police de roulage.
Cette proposition et ses développements paraîtront dans le Moniteur.
M. de Villegas – Si j’ai bien compris les développements de la proposition, elle tend à introduire dans l’intérêt de l'agriculture, une modification dans la loi du 17 ventôse an XII. Si c’est là le motif de la proposition, je crois qu’elle est inutile, attendu que l’exception en faveur de l’agriculture se trouve dans la loi du 17 ventôse. En effet, les articles 1, 2 et 3 fixent d’abord la largeur des jantes des voitures de roulage, et ajoutent que les voitures des agriculteurs, celles qui servent à transporter les engrais et les objets qui servent à l’exploitation des fermes, ne seront pas obligés à avoir la largeur déterminée par la loi. L’article 8 dispose que le gouvernement déterminera le poids de ce genre de voitures. C’est ce qui a été fait par décret du 23 juin 1806.
Je pense donc que la proposition de MM. de Mérode et d’Hoffschmidt ne doit pas être prise en considération, attendu que l’exception est déjà dans la loi.
M. d’Hoffschmidt – L’honorable préopinant vient de dire que la modification que nous proposions est déjà prévue par la loi sur la police du roulage. Il n’en est pas ainsi dans l’article 1er que nous proposons de modifier ; il est dit positivement que les voitures, attelées de plus d’un cheval ne peuvent circuler qu’avec des jantes larges. Il est vrai qu’une exception à ce principe est posée par l’article 8. Mais cet article ne s’applique qu’aux voitures qui transportent des récoltes, ou des objets servant à l’exploitation des fermes ; il ne s’applique pas à toutes les voitures. Ce serait le résultat de notre proposition, si elle était adoptée. Alors les voitures servant au transport de la chaux, de la houille, des meubles, etc. jouiraient du bénéfice de la loi. Il y a donc une différence sensible entre notre proposition et la loi.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – J’ai dit que le gouvernement ne s’opposerait pas à la prise en considération de la proposition qu’avaient annoncée les honorables membres MM. F. de Mérode et d’Hoffschmidt. Cependant, en réitérant aujourd’hui cette déclaration, je dois y mettre une réserve. Je crois qu’il serait peut-être plus prudent, tout en atteignant le but que se proposent les honorables membres, de recourir à une autre rédaction : il faudrait dire que le Roi est autorisé à accorder ce que propose le projet de loi, d’après les circonstances, et en y mettant toutes les réserves que les localités pourraient commander. Je crois que la proposition, rédigée d’une manière aussi impérative qu’elle l’est maintenant, pourrait présenter quelques dangers.
M. d’Hoffschmidt – Lesquelles ?
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Si, par exemple, dans certaines provinces, cette disposition s’appliquait au transport des matières pondéreuses, comme la houille, les routes seraient labourées, anéanties. D’un autre côté, il y a telle localité où cette latitude pourrait être accordée sans danger.
C’est une question de localité, il faut voir l’importance du roulage dans les localités.
Je ne fais qu’indiquer cette difficulté, parce que cette discussion n’est que préliminaire.
Je pense donc qu’on peut prendre la proposition en considération. Mais il restera à examiner ultérieurement la question de savoir s’il ne conviendra pas d’adopter une rédaction moins impérative.
Ce que nous disons maintenant est conforme aux idées que nous avons précédemment émises. Nous avons dit que nous avons des lois administratives trop minutieuses, et qui quelquefois pèsent sur le pays ; les arrêtés royaux ne sont aujourd’hui obligatoires que quand ils ont été publiés dans le Bulletin officiel, quand ils ont été portés ainsi à la connaissance des citoyens : pouvant être modifiés suivant les circonstances, et pouvant l’être facilement, ils offrent sous ce rapport des garanties que n’offrent pas les lois qui sont presque immuables, à cause des formalités qu’il faut remplir pour les modifier.
M. F. de Mérode – M. le ministre des travaux publics a présenté la disposition qui vous est soumise comme pouvant arriver à la destruction des routes, si les cultivateurs transportaient de la chaux et de la houille avec des voitures à deux chevaux. Je dis que cela est impossible. Jamais, en transportant de la houille et de la chaux avec des voitures à quatre roues traînées par deux chevaux, on ne pourra faire aux routes les torts que vient d’indiquer le ministre. Je dis cela pour que, dans les sections, on ne s’effraie pas de l’observation de M. le ministre des travaux publics.
La chambre, consultée, prend en considération la proposition de MM. F. de Mérode et d’Hoffschmidt, et en renvoie l’examen aux sections.
M. le président – La discussion est ouverte sur le projet présenté par le gouvernement, qui fixe le chiffre du crédit provisoire à 3,500,000 francs. La section centrale propose sur ce chiffre une réduction de 300,000 francs.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je ne puis me rallier à la modification introduite par la section centrale. Lorsque j’ai présenté ce projet de loi, je savais que je ne devais demander un crédit que pour les dépenses qui pouvaient ou devaient être faites pendant le courant de février. Mais lorsque la discussion du premier crédit provisoire a eu lieu au sénat, on m’avait observer qu’il était très vraisemblable que ce crédit serait insuffisant, et qu’on serait obligé de se réunir, pour ainsi dire uniquement pour en voter un nouveau, et je n’ai pas voulu encourir une second fois la responsabilité d’exposer le sénat à une telle obligation. Or, je crois que 5 millions seraient, en effet, suffisants, si le budget de la guerre pouvait être voté complètement (et je doute fort que cela soit), il faudrait un nouveau crédit de 500,000 francs pour couvrir le solde du mois de mars. C’est là ce que j’ai voulu éviter.
Je ne regarde pas comme certain que le budget de la guerre puisse être voté à la fin de février.
La section centrale a eu soin de faire, à la fin de son rapport, des réserves pour toutes les réductions qu’elle a sans doute l’intention de proposer au budget de la guerre. Une telle réserve est évidemment surabondante, puisque les crédits provisoires n’engagent pas, ne décident rien quant au budget. Je pense donc que la section centrale n’a formulé une réserve, que parce qu’elle a l’intention de proposer des réductions assez fortes au budget de la guerre ; de mon côté, j’ai l’intention de défendre, avec toute la fermeté, avec toute l’énergie dont je suis capable, les propositions que j’ai faites au budget de la guerre.
D’après cela, c’est dans la prévision de quelque retard, que j’ai présenté la demande d’un crédit provisoire assez considérable pour assurer le paiement de la solde, au commencement du mois de mars.
Tels sont les motifs qui me portent à maintenir le projet de loi tel que je l’ai présenté.
M. Brabant, rapporteur – La section centrale n’a proposé une réduction de 500,000 francs sur le crédit demandé par le ministre que parce qu’elle a trouvé la somme exagérée pour le service de 2 mois. Si M. le ministre de la guerre, dans son exposé des motifs et dans le projet de loi, n’avait pas limité la dépense aux mois de janvier et de février, la section centrale n’aurait élevé aucune difficulté. La chambre peut vérifier que, dans ces documents, il n’est nullement question du mois de mars.
La section centrale, n’étant pas réunie, ne peut modifier ses conclusions. Je ne suis pas autorisé, par conséquent, à consentir une modification à ce rapport. Mais je crois qu’il n’y aurait pas besoin de l’allocation du crédit tel qu’il a été demandé par le ministre de la guerre, si l’on voulait ajouter mars dans l’article premier.
M. Lebeau – Il vaudrait mieux mettre : « pour les dépenses de l’exercice courant ».
M. de Puydt – Je ne trouve pas nécessaire de modifier le libellé de l’article, précisément à cause de la réserve que la section centrale a faite, puisqu’elle déclare que cela ne préjuge en rien les sommes totales du budget, ni les réductions que l’on se propose d’apporter à ce budget. La section centrale s’est exprimée d’une manière extrêmement vague ; dans son rapport elle a dit : « Il nous est démontré qu’il y a des dépenses qui ne doivent et ne peuvent se faire dans les deux premiers mois de l’année ; » non seulement cela n’est pas démontré, mais c’est introduire l’action de la chambre dans l’administration du département de la guerre. Je crois que le crédit doit être accordé tel que le demande le ministre puisque, encore un coup, cela ne préjuge rien sur le budget définitif.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – La difficulté résulterait de ce que le projet du gouvernement renferme l’indication des mois de janvier et de février. Je conçois les observations présentées par M. de Puydt et j’y adhère pleinement. Dans une question de ce genre, où les dépenses ne sont pas déterminées d’une manière définitive, il n’était pas nécessaire d’y mettre la plus grande précision. Quoi qu’il en soit, je crois, que, pour parer à tout inconvénient et empêcher la loi de renfermer une expression inexacte, il faudrait supprimer la désignation des mois, et mettre simplement qu’un crédit de 3 millions 500 mille francs est ouvert au ministre de la guerre sur l’exercice 1840.
M. d’Huart – Messieurs, s’il est entendu que le retranchement du nom des mois ne préjuge rien sur le montant du budget définitif de la guerre, je ne vois pas d’inconvénient à admettre ce retranchement. Il importe, avant tout, que la chambre reste libre ; car si elle juge à propos de réduire le budget de la guerre à 30 millions ou à toute autre somme, il faut qu’elle en ait la faculté ou qu’elle réserve la faculté. Aussi il sera bien entendu qu’en retranchant les noms des mois, cela ne préjuge rien. Quant à moi, je préférerais la rédaction présentée par la section centrale, laquelle tendrait à comprendre les trois premier mois de l’exercice1840, et par ce moyen je ne verrais pas de difficultés à porter le chiffre à 6 millions.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Si la chambre ajoute le mois de mars, il ne suffira pas d’ajouter 500 mille francs au chiffre demandé, parce que les dépenses des trois premiers mois seront plus fortes que 6 millions. L’effet des crédits provisoires cessera quand le budget définitif sera voté, et on ne pourra faire que les dépenses allouées par le budget définitif, pour les mois de janvier, février et mars. Avec la loi telle qu’elle est proposée, on ne pourra que faire la solde des troupes en mars, si on n’accorde que 3 millions 500,000 francs, en comprenant une demande de crédit à cet effet dans les demandes de crédits du mois de février. Si le mois de mars était mentionné dans la loi, on serait autorisé à d’autres dépenses qu’on n’a pas l’intention de faire. Il n’y a donc pas d’inconvénient à accorder un second crédit provisoire de 3 millions 500 mille francs, avec les modifications proposées dans la rédaction.
- M. le président met aux voix le retranchement des mots : « janvier, février et mars », et leur remplacement par les mots : « pour l’exercice courant ».
Le retranchement et le remplacement sont adoptés.
Le chiffre de 3 millions 500 mille francs est ensuite mis aux voix et adopté.
L’article unique de la loi ainsi libellé : « Il est ouvert au ministère de la guerre un crédit provisoire de 3 millions 500 mille francs pour les dépenses de l’exercice 1840 » est mis aux voix et adopté.
La chambre procède par appel nominal sur le projet de loi amendé.
67 membres sont présents.
68 votent l’adoption.
1 membre vote le rejet
Ont voté l’adoption : MM. Brabant, Cools, de Brouckere, de Florisone, de Langhe, Delehaye, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Potter, de Renesse, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Fleussu, Fallon, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lange, Liedts, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Puissant, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, Scheyven, Simons, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandensteen, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Verhaegen, Vilain XIIII, Willmar, Zoude, Dedecker, Cogels-Dubois.
A voté le rejet : M. de Foere.
M. le président – Nous en sommes restés à l’article 1er du chapitre V, culte catholique.
M. Maertens – Messieurs, la section centrale n’avait pas accueilli la majoration de 169,569 francs demandé au litera B de l’article « culte catholique », pour dépenses diverses et imprévues parce que cette majoration n’était pas suffisamment justifiée. M. le ministre a reconnu la justesse de cette observation, et dans la séance de samedi dernier, il est entré dans différents détails, reposant la majeure partie des chiffres, pour justifier l’emploi total des 201,000 francs qui figurent au budget. La portée de ces chiffres n’ayant pu être saisie sur un simple exposé, et M. le ministre trouvant des inconvénients à faire imprimer les tableaux sur lesquelles ils étaient basés, la chambre en a renvoyé l’examen à la section centrale ; c’est son rapport que je vais avoir l’honneur de vous présenter.
Voici, messieurs, l’emploi de la somme demandée, tel que l’indique M. le ministre et tel que le déterminent les tableaux communiqués à la section centrale :
1° Il y a des postes vacants faute de prêtres : ces postes sont successivement remplis. Le projet de budget est préparé au milieu du troisième trimestre : dès lors les nominations faites pendant les deux derniers trimestres n’y ont pu être comprises. Ces nominations s’élèvent à la somme de 23,280 francs, savoir : 45 chapelains et vicaires à 500 francs, 22,500 ; 1 desservant à 780 francs. Total : 23,280 francs.
2° Indépendamment des postes remplis, dont il vient d’être parlé, il existe même des postes dotés de traitements, mais inoccupés, pour une somme de 54,500. Savoir : 105 places de vicaires et de 4 chapelains, ensemble 109 places à 500 : fr. 54,500.
3° Un état des églises dont les desservants ont obtenu un coadjuteur, constate que le nombre de ces coadjuteurs s’est élevé, en 1837 et 1838, à 35 ; et en 1839 à 43. Les coadjuteurs étant des vicaires qui touchent un traitement de 500 francs, la somme à payer de ce chef, pour 45 : 21,500 francs.
4° Une somme de 35,712 francs est destinée à transférer 5 cures de la deuxième à la première classe, différence : 3,412 francs.
5° D’autres demandes de même nature existent ; si elles sont accueillies, comme elles paraissent devoir l’être, d’après les motifs plausibles sur lesquels elles sont basées, la dépense, d’après les éléments fournis, devrait être évaluée à 28,500. Savoir : pour 35 nouvelles places de vicaire à créer : 16,500 ; pour deux cures à élever de la deuxième à la première classe, différence 1,363 ; pour 37 chapelles à ériger en succursales, différence 10,637. Total : 28,500 francs.
L’addition de ces différentes sommes dont un total de 163,492 francs.
Il resterait ainsi, sur la somme demandée, un excédant de 37,508 francs.
Les chiffres des numéros 1, 3 et 4 sont les seuls qui doivent être admis dans leur entier : ils relèvent ensemble à 80,492 francs. Quant à ceux des numéros 2 et 5, on peut, sans inconvénient, les réduire de moitié, puisque dans le cas même où il serait pourvu, dans le courant de l’année, à une grande partie des nominations dont il s’agit, on ne devrait y accorder les traitements que pour cette partie de l’année. Soit donc 41,500 francs qui, avec la somme de 80,492 francs, forme celle de 121,992 francs. Il resterait ainsi, sur les 201,000 francs demandés, un excédant de 79,008 francs.
Pour justifier l’emploi de cet excédant, M. le ministre dit que la somme demandée au litera C est insuffisante pour la construction, la réparation et l’entretien des églises et presbytères. Cette somme, outre les dépenses qui y sont indiquées, et malgré la majoration de 95,000 francs que le litera a subie, ne laisse de disponible qu’une somme de 90,000 francs tandis que, d’après un état que la section centrale a eu sous les yeux, les demandes adressées au ministère s’élèvent déjà à 148,437 francs, et qu’elle devrait même être portée à 183,000 francs pour égaler, d’après l’usage admis, les subsides alloués par les provinces. Le besoin de dépenses aussi élevées pour les édifices du culte, s’explique par l’état d’abandon dans lequel on les a laissés pendant plusieurs années.
Il résulte des explications qui précèdent et des discours prononcés par M. le ministre, à la séance de samedi, que la somme de 201,000 francs, demandée pour dépenses imprévues, est suffisante pour satisfaire désormais au traitement de tous les postes qui resteraient encore à remplir et que jusqu’à ce qu’il soit pourvu à toutes ces nominations, l’excédant qui existait sera employé aux édifices du culte. C’est d’après ces motifs que M. le ministre a ajouté dans ses discours, qu’il considère le chiffre porté au budget pour le culte catholique comme normal, définitif et n’étant pas sujet à recevoir d’autres augmentation à l’avenir.
La section centrale, déterminée par ces considérations et en prenant acte de la déclaration de M. le ministre, a l’honneur de proposer à la chambre l’adoption de la somme demandée à l’article « culte catholique ». Toutefois elle ne peut s’empêcher d’exprimer ses regrets de ce que M. le ministre ne lui ait point fourni ces renseignements lorsqu’elle s’est adressée à lui pour obtenir des explications à cet égard, et elle émet le vœu qu’à l’avenir toutes les demandes de nouveaux crédits, ou de majoration de crédits, soient appuyées au budget par des notes qui en justifient la nécessité.
M. le président – Le chiffre demandé par le gouvernement est de 3,906,047 francs.
- Ce chiffre est adopté.
« Art. 2. Culte protestant : fr. 48,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Culte israélite : fr. 11,000. » sont demandés par le gouvernement.
La section centrale propose de réduire le chiffre à 10,000 francs, ou à ce qu’il était dans le précédent budget.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demanderai le maintien du chiffre tel qu’il a été demandé par le gouvernement ; il est vrai que le chiffre des dépenses imprévues, en déduisant les traitements, monterait encore à 5,800 francs ; mais ce reste aura une destination, savoir : une somme de 1,900 francs pour un culte israélite, sans préjudice d’autres dépenses qui sont encore imprévues.
M. Maertens, rapporteur – Les années précédentes, il nous a été demandé 10,000 francs ; cette année, on demande 11,000 francs ; pourquoi ? On ne trouve pas d’autres renseignements, si ce n’est un tableau comparatif où il s’agit d’augmenter de 1,600 francs le traitement du grand rabbin. Ce traitement n’était que de 2,400 francs ; on veut l’élever à 4,000 francs. Les motifs de cette innovation ne nous sont pas connus ; aucune explication n’a été produite à cet égard au développement du budget. Pour arriver à l’augmentation de 1,600 francs, le ministre prend 600 francs sur les dépenses imprévues et demande une majoration de 1,000 francs.
Il en résulte que le chiffre des dépenses imprévues, qui était autrefois de 4,400 francs, est encore de 3,800 francs, c’est-à-dire d’environ 2,000 francs de plus que le chiffre alloué du même chef pour le culte protestant. La section centrale ne s’est point prononcée sur l’augmentation à accorder au grand rabbin ; mais elle a pensé que lors même qu’il y aurait lieu à allouer cette augmentation, on pourrait facilement prendre sur le chiffre des dépenses imprévues les fonds nécessaires pour cet objet. En effet, messieurs, si vous prenez les 1,600 francs qu’il s’agit d’allouer en plus au grand rabbin, si vous prenez cette somme sur les 4,400 francs portés pour dépenses imprévues, le chiffre de ces dépenses sera encore de 2,800 francs ; et si vous retranchez encore de cette somme les 1,900 francs dont M. le ministre vient d’indiquer l’emploi, il y aura toujours un excédant de 900 francs.
Nous avons donc cru, messieurs, que les 10,000 francs qui ont été alloués jusqu’à ce jour, peuvent encore suffire pour 1840, et nous vous avons en conséquence proposé de ne pas adopter la majoration de 1,000 francs demandée par M. le ministre.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je dois déclarer à la chambre que depuis la confection du budget le traitement du grand rabbin a été porté à 4,000 francs. Je n’entrerai pas ici dans le détail des motifs qui ont déterminé le gouvernement à accorder cette majoration, mais nous en avions de suffisants pour adopter cette mesure.
Maintenant comme M. le rapporteur de la section centrale l’a très bien fait remarquer, il reste 3,800 francs pour les dépenses imprévues ; sur ce chiffre, 1,900 francs sont alloués au consistoire pour acquitter le prix d’un local destiné au culte ; les 1,000 francs restant seraient employés à des dépenses imprévues s’il y a lieu (je dis s’il y a lieu,) car ce crédit est tout à fait éventuel.
M. Lebeau – J’ai peu de choses à ajouter aux observations de M. le ministre de l'intérieur. La chambre comprendra sans doute que plus le culte dont il s’agit est en minorité dans le royaume, plus il a droit aux égards, ou au moins, à l’impartialité de la chambre, et qu’elle ne doit pas voter à la légère des réductions de chiffre sur les dépenses de ce culte, telles que les a appréciées le gouvernement.
Je crois que la réduction proposée par la section centrale est motivée, en grande partie, par le défaut d’une rédaction bien précise dans les développements du budget, défaut auquel les explications de M. le ministre de l'intérieur viennent, jusqu’à un certain point, de suppléer. En effet, la somme de 3,800 francs portée pour dépenses imprévues, et que l’on trouve excessive, en la comparant au chiffre proposé au même titre pour le culte protestant, cette somme comprend 1,900 francs qui sont allouées annuellement pour frais d’entretien des temps et autres dépenses du culte, dépenses vraiment normales ; de sorte que le chiffre des dépenses imprévues se trouve en réalité réduit à 1,900 francs ; dès lors le rapprochement qu’a fait M. le rapporteur entre le chiffre des dépenses imprévues du culte israélite et le chiffre des mêmes dépenses du culte protestant, ce rapprochement manque totalement de base. Je reconnais que cette erreur dans laquelle il est tombé est tout à fait involontaire, qu’il ne pouvait pas même s’y soustraire puisqu’il y avait, sur ce point, un défaut d’explication dans le budget.
Quant au traitement du grand rabbin, qui a été porté à 4,000 francs, je pense que si l’on considère que le grand rabbin est le chef du culte israélite pour tout le royaume, qu’il a une correspondance étendue, qu’il est appelé, par la position que lui donnent ses fonctions à donner souvent des secours à ses coreligionnaires nécessiteux, on ne trouvera pas ce chiffre exagéré.
Vous venez de voir, messieurs, que le chiffre des dépenses imprévues du culte israélite ne sera en réalité que de 1,900 francs. Eh bien ! c’est au moyen de ce chiffre que M. le ministre pourra faire droit, en tout ou en partie, à quelques-unes des demandes qui lui sont faites pour des ministres du culte israélite à Anvers, à Arlon, à Gand et à Liége. Si l’on a égard à la circonstance que, dans ces différentes localités, les ministres du culte israélite sont en même temps instituteurs de leur coreligionnaires, que chez les israélites l’instruction publique est en général réunie aux fonctions du culte, je pense que l’on ne peut pas trouver exagéré le chiffre de 1,900 francs pour dépenses imprévues.
Je demanderai donc le maintien du chiffre de 11,000 francs.
- Le chiffre de 11,000 francs est mis aux voix et adopté.
« Art. 4. Secours à accorder aux membres des anciennes corporations religieuses et aux ministres des divers cultes : fr. 80,000. »
- Adopté.
« Art. 1er. Encouragement à l’industrie et au commerce, frais de rédaction et de publication de la statistique industrielle et commerciale : fr. 400.000 »
« Art. 2. Primes pour construction de navires : fr. 150,000. »
« Art. 3. Pêche nationale : fr. 60,000. »
« Art. 4. Agriculture : fr. 565,500. »
Total : fr. 1,175,500.
M. de Renesse – Messieurs, déjà à plusieurs reprises, j’ai cru devoir rappeler au souvenir de M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères l’état de stagnation où se trouvent actuellement toutes nos relations commerciales, particulièrement avec la partie cédée du Limbourg ; cet état de choses, aussi déplorable pour la partie belge de cette province que surtout pour l’industrie et le commerce des provinces de Liége et de Namur, mérite cependant une plus sérieuse attention de la part du gouvernement.
Lors de la discussion du projet de loi relatif aux modifications à apporter au tarif des douanes, principalement en faveur du Luxembourg, il paraissait que le gouvernement était animé du plus vif désir de proposer aussi quelques modifications à ce tarif en faveur du Limbourg cédé ; il lui semblait alors que cette séparation immédiate et forcée des territoires froisserait surtout les intérêts industriels et commerciaux ; aussi, lorsqu’un honorable membre de cette assemblée a cru devoir faire observer à M. le ministre de l'intérieur qu’il eût été convenable d’ajourner la discussion du projet de loi de modifications au tarif des douanes, et de le soumettre à l’examen des chambres de commerce, M. le ministre lui répondit « qu’il était entré dans l’intention du gouvernement, et qu’il paraissait également être entré dans les intentions de la chambre de prendre des mesures favorables aux deux parties des provinces cédées, qu’il était urgent de discuter le projet de loi » ; il disait en outre qu’ « il était nécessaire que les habitants de ces provinces obtiennent au moins l’assurance que nous songeons réellement et sérieusement à leurs intérêts. » ; dans une autre séance, celle du 21 mars 1839, il fut encore observé à M. le ministre s’il n’importait pas de réserver ces modifications pour un traité de commerce à intervenir avec la Hollande ; que si on allait déjà actuellement prendre des dispositions qui font matière à traité, le traité n’interviendrait pas ou présenterait plus de difficultés ; M. le ministre répondit immédiatement « qu’il ne pensait pas non plus que cette objection soit fondée. Il est certain que, dans ce traité, on tiendra compte des relations existantes entre les deux pays ; et si la Hollande juge que les relations résultant de la loi en discussion constituent un avantage, ce sera un motif de plus pour obtenir d’elle des concessions » ; dans la même séance, répondant à un autre orateur, le ministre disait en outre, « que le but de la loi était de prévenir les pertes que les établissements actuels auraient à subir par suite de la cessation de leurs relations avec la Belgique. » Il était donc reconnu par le gouvernement, et ensuite par les chambres, qu’il était nécessaire de rétablir au plus tôt nos anciennes relations commerciales avec les parties de territoires que la Belgique devait perdre, par l’acceptation du traité de paix ; qu’il fallait prendre quelques mesures en faveur de l’industrie de ces pays délaissés, surtout puisque de longues relations avaient existé entre le Limbourg, le Luxembourg cédés et les provinces de Liége, de Namur et de Limbourg belge ; aussi des modifications en grande partie en faveur du Luxembourg furent votées par les chambres ; le Limbourg, cependant, n’obtint alors qu’une seule modification : celle d’importer 80,000 hectolitres de grains de toute espèce dans le district de Verviers ; cette modification est, si l’on a égard aux grandes productions agricoles de la partie cédée du Limbourg et aux besoins de consommation de l’arrondissement de Verviers, certes, d’une très minime importance, puisque ce dernier district est encore obligé aujourd’hui de tirer de la Prusse environ 120,000 hectolitres de grains, pour suppléer à l’insuffisance de ressources agricoles qui lui étaient auparavant fournies par le Limbourg cédé.
D’autres modifications semblaient alors, aussi devoir être admises, et le gouvernement et les chambres ne peuvent vouloir traiter actuellement les parties cédées d’une manière différente ; si l’on a cru pouvoir accorder des modification au tarif des douanes en faveur de l’industrie luxembourgeoise, il faut en agi de même, si l’on veut être juste envers l’industrie limbourgeoise.
Lors de la discussion du projet de loi de modifications, principalement en faveur du Luxembourg, le gouvernement ne peut proposer de pareilles mesures en faveur du Limbourg, malgré toutes les démarches faites à cet égard par plusieurs députés de cette province, parce que la direction du commerce au département de l'intérieur ne possédait pas tous les renseignements nécessaires, pour justifier les modifications à proposer, et que ceux des renseignements qui avaient été demandés immédiatement n’étaient pas arrivés assez à temps pour pouvoir faire une proposition, et qu’elle pût être discutée avant la clôture des chambres ; il me paraît cependant alors très extraordinaire qu’au ministère de l’intérieur il n’y avait aucun renseignement sur les produits des usines, des fabriques, sur la quantité de bétail, sur les grains, bois et autres produits de cette partie du Limbourg, qui, depuis de longues années, et surtout depuis 1830, formaient les relations journalières de commerce et d’échange avec les provinces de Liége, Namur et le reste du Limbourg belge ; ce n’est donc que faute de renseignements à fournir en faveur de l'industrie limbourgeoise, et si une modification a été admise pour permettre l’entrée d’une certaine quantité de grains, c’est sur les vives instances de quelques représentants de cette province et du district de Verviers, auprès de la section centrale, chargée d’examiner le projet de loi de modifications, qu’elle a été proposée, et pas à la demande du gouvernement qui, dans ce moment, avait entièrement perdu de vue les intérêts du Limbourg ; car, dans l’exposé des motifs de ce projet, M. le ministre de l'intérieur semble dire que les établissements industriels de la partie cédée du Limbourg n’auraient guère à souffrir par le morcellement et que, quant à la disposition concernant les céréales, il ne l’avait pas proposée, craignant qu’elle pourrait donner lieu à la fraude. Si M. le ministre prévoyait depuis longtemps l’acceptation du traité, il était de son devoir de soigner aussi bien les intérêts de l'industrie limbourgeoise que celle du Luxembourg, qu’il parait cependant vouloir seule avantager, puisque, jusqu’à ce moment, il n’a encore fait aucune proposition en faveur de celle du Limbourg.
Sur l’interpellation de plusieurs députés, M. le ministre de l'intérieur déclara cependant que, pendant l’intervalle de la session législative, il s’entourerait de tous les renseignements nécessaires, et qu’il ferait probablement une proposition à la rentrée des chambres ; cette proposition, nous sommes encore à l’attendre, et cependant déjà depuis plusieurs mois les chambres sont réunies ; aussi, dans la séance du 21 novembre dernier, j’eus soin de rappeler cet objet important à l’attention du gouvernement. M. le ministre me répondit qu’il avait instruit cette affaire, mais qu’il croyait que, pour le moment, il devait s’abstenir de présenter le projet de loi, pour attendre que la situation du Limbourg cédée fût fixée.
Je ne crus pas devoir insister alors, parce que la chambre occupée de l’examen des budgets, n’aurait probablement pu entamer la discussion d’un projet de loi portant des modifications au tarif des douanes ; mais maintenant que tous les budgets sont presque votés, que surtout la chambre de commerce de Liége réclame avec instance le prompt rétablissement de nos anciennes relations commerciales avec les parties cédées (relations, qui consistaient dans un commerce d’échange, mutuellement avantageux, et qui avait fait échouer les efforts de la concurrence étrangère) ; que d’ailleurs il paraît que le roi Guillaume a maintenu dans la partie cédée du Limbourg toutes les lois existantes au moment de l’exécution du traité ; que, par conséquent, la situation de ce pays paraît être fixée, puisqu’il doit même, d’après le projet de loi présenté pour la révision de la constitution néerlandaise, faire partie de la Hollande, je crois, qu’il est convenable et surtout nécessaire que le gouvernement remplisse la promesse qu’il a faite aux habitants du Limbourg néerlandais.
Si la Belgique veut obtenir des concessions commerciales des gouvernements voisins, il ne faut pas qu’elle maintienne un système trop absolu ; il faut qu’elle cherche, par tous les moyens, à obtenir un commerce d’échange, dût-elle même faire quelques avances ; et en rétablissant les relations actuellement interrompues par l’exécution du traité, la force des choses, les besoins mutuels de la Hollande et de la Belgique, parviendront à aplanir bien des difficultés et amèneront probablement un traité de commerce réclamé vivement par les intérêts des deux pays. Mais, en attendant, il est urgent de faire quelques concessions en faveur de ceux qui, sacrifiés dans l’intérêt général, ont bien quelques droits à notre sollicitude ; vouloir encore retarder le rétablissement de nos anciennes relations avec ce pays délaissé, c’est nuire non seulement aux intérêts de nos anciens compatriotes, mais encore priver une partie de la Belgique d’un débouché assez considérable pour le commerce, qui demande cependant, par tous ses organes, à obtenir au plus tôt le rétablissement de nos mutuelles relations ; ce n’est que par ce moyen, et en cherchant en outre avec activité à contracter d’autres relations commerciales, que l’industrie de notre pays pourra se rétablir de l’état de crise où elle se trouve actuellement ; remettre à d’autres temps le rétablissement de ces relations, c’est vouloir maintenir l’état de gêne, c’est faire de la politique tardive, sans aucun avantage pour le pays ; en attendant, nos voisins nous auront prévenu ailleurs ; leurs relations de commerce se seront étendues aux dépens de nos intérêts, et, avec notre politique du jour au jour, nous arriverons toujours les derniers.
Si le gouvernement croit devoir suivre ce système de temporiser toujours, de ne pouvoir prendre aucune résolution, surtout lorsqu’elle doit être prise pour le rétablissement de nos relations avec d’autres pays, je ne pourrai dorénavant approuver cette marche vicieuse, contraire à nos véritables intérêts, et je devrai la combattre. Déjà, en votant contre le budget des affaires étrangères, j’ai donné un vote désapprouvant l’inactivité et l’inutilité d’une partie de notre diplomatie, qui jusqu’ici, au lieu de procurer de véritables avantages à la Belgique, de lui chercher des alliances commerciales vraiment fructueuses, n’a produit annuellement qu’une augmentation continuelle de dépenses de nos budgets, sans même avoir su défendre nos intérêts et nos droits avec quelque persévérance. Intimement convaincu, si nous continuons à persister dans ce système exclusif, que nos relations avec les autres pays deviendront chaque jour plus difficiles, je ne puis qu’engager fortement le gouvernement à chercher, par tous les moyens, à rétablir au plus tôt un commerce d’échange avec les autres nations, commerce qui, seul, pourra relever l’industrie languissante et ramener en Belgique la prospérité de tous les établissements réellement fondés sur des bases véritables, et non sur l’agiotage ; mais, en attendant, il est urgent de rétablir nos anciennes relations avec la partie cédée du Limbourg ; car l’on ne peut avoir deux poids et deux mesures : si l’on a accordé des concessions à l’industrie luxembourgeoise, il faut aussi être équitable envers celle du Limbourg cédé. Déjà avant l’exécution du traité de vives réclamations ont été adressées au gouvernement ; depuis, le long retard apporté à la continuation de ces relations a froissé bien des intérêts ; il est plus que temps que le gouvernement remplisse enfin les promesses faites à nos anciens compatriotes, qu’il a cru devoir sacrifier, pour nous assurer une soi-disant reconnaissance et une neutralité qui ne sera respectée que pour autant que nous saurons la défendre.
Malheureusement, le fait de l'exécution du traité est accompli, il faut se résigner, mais il reste un devoir à remplir au gouvernement envers eux, qui, pendant de longues années, ont vécu en communauté avec nous, et qui, surtout depuis 1830 jusqu’au moment de leur séparation forcée, ont supporté toutes les charges ordinaires et extraordinaires de la Belgique, sans pouvoir actuellement jouir des avantages que la révolution nous a créés, et qu’il auraient encore droit de réclamer si le gouvernement ne s’était trop hâté de donner son assentiment à un traité aussi odieux qu’onéreux ; du moins, les faits qui se passent actuellement en Hollande prouvent à l’évidence que le ministère belge n’était guère clairvoyant, qu’il était peu au courant de la déplorable situation financière de nos voisins du Nord, qui devait nécessairement amener une crise dont nous eussions pu tirer parti pour la conservation de nos concitoyens ; mais, le fait étant accompli, le gouvernement doit rendre la séparation le moins pénible pour les deux provinces qui ont été sacrifiés, elles ont fait assez de pertes pour qu’elles aient le droit de demander le rétablissement de leurs anciennes relations avec les parties de territoires qui leur ont été violemment arrachées.
J’ai donc l’honneur de demander itérativement à M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères si le gouvernement compte bientôt remplir son engagement, de présenter un projet de loi portant des modifications au tarif des douanes en faveur du Limbourg cédé. J’ose espérer que M. le ministre voudra bien me donner une réponse formelle et satisfaisante ; je désire surtout savoir si l’état de gêne, où se trouvent actuellement toutes les relations entre le Limbourg néerlandais et le Limbourg belge, doit encore continuer au grand désavantage de ces districts ; si nous avons l’espoir d’attirer bientôt des conditions meilleures pour la navigation sur la Meuse, maintenant entièrement entravée, au détriment du batelage et du commerce, par des péages exorbitants ; si enfin le gouvernement a fait des démarches actives auprès du gouvernement hollandais pour le prompt rétablissement des anciennes relations des deux parties du Limbourg. J’insiste particulièrement sur une réponse formelle et non équivoque ; car, ce qui s’est passé l’année dernière, nous donne bien le droit de nous défier des promesses du gouvernement et de ses belles paroles de sympathie envers ceux qui devaient être sacrifiés, et envers ceux qui, restant à la Belgique, auraient aussi à souffrir de la cessation forcée de toutes leurs relations avec les parties cédées.
M. Cools – Messieurs, l’article premier du chapitre VI présente une demande de crédit de 400,000 francs en faveur de l’industrie et du commerce ; ce crédit est de 180,000 francs plus élevé que l’année dernière. Vous aurez remarqué, par le rapport de la section centrale, que cette section dont je faisais partie, s’est trouvée dans un véritable embarras pour apprécier l’utilité de cette majoration ; comme il s’agissait d’encouragement à accorder à l’industrie, tout dépendait de la nature de ces encouragements.
Si j’avais vu dans les explications données par M. le ministre la pensée de distribuer des encouragements uniquement dans le but d’apporter un remède momentané à la crise qui pèse sur l’industrie en d’autres termes, de faciliter l’écoulement du trop plein des magasins, j’aurais partagé l’avis de la majorité et j’aurais repoussé l’augmentation, parce que des encouragements de cette nature n’aboutissent ordinairement qu’à des faveurs, parce qu’elles paralysent les efforts des fabricants qui cherchent à lutter contre la mauvaise fortune et à placer leurs produits sans le secours du gouvernement ; mais j’ai vu, dans la note de M. le ministre, la pensée de travailler pour l’avenir, et dès lors, je me suis réservé mon vote, attendant, pour me déterminer, les explications qui seront sans doute données dans le cours de cette discussion.
J’ai dit que la note de M. le ministre renferme des pensées d’avenir ; voici en effet ce qu’on y lit :
« On peut apprécier sans peine les considérations qui ont motivé cette demande : les besoins de notre industrie et de notre commerce sont devenus plus grands, surtout à la suite d’une crise financière et commerciale, qui s’est fait ressentir dans ces derniers temps d’une manière plus ou moins forte sur la plupart des principaux marchés du monde, et dont ces deux branches de la richesse publique ont éprouvé un contre-coup, qui réclame un concours matériel plus efficace de la part du gouvernement. La position spéciale de certaines industries réclame en particulier sa sollicitude ; mais dans le soutien et les encouragements à répartir, il usera de toutes les précautions nécessaires pour que son concours ne soit pas sans effet pour l’avenir.
« En demandant des moyens pécuniaires plus étendus, le département de l’intérieur a voulu particulièrement se réserver la faculté de faciliter le commerce avec les contrées lointaines, qui présenteraient des chances favorables de placement. »
Vous voyez, messieurs, que M. le ministre veut favoriser le commerce avec les contrées lointaines ; mais quels moyens le gouvernement se propose-t-il d’employer pour atteindre ce but ? Quelles espèces de relations veut-il établir ? Ici commencent les doutes que, pour ma part, je voudrais voir éclairer.
Pour mieux expliquer ma pensée à cet égard, je vais indiquer quelques hypothèses dont la réalisation serait pour moi un motif d’adopter ou de rejeter le crédit demandé.
Je suppose que le gouvernement reconnaisse que, dans telle ou telle branche d’industrie, on suit une direction vicieuse, qu’on devrait davantage y tenir compte des variations que le goût du jour a subies, que, tandis que, dans quelques localités on ne recule pas devant les améliorations que la marche de l'industrie a rendues nécessaires, dans d’autres parfois plus importantes, on s’en tient toujours aux produits recherchés il y a dix ou vingt ans ; si, dans cette hypothèse, les encouragement devaient tendre à faire sortir de cette ornière, si les fonds devaient être employés à lever les obstacles qui arrêtent la marche des fabricants progressifs, je les accorderais avec empressement.
Je suppose encore qu’il fût reconnu que, dans telle industrie donnée, les capitaux maquent pour les grandes entreprises, ou que les fabricants, trop peu confiants dans leurs forces, hésitent à lier des relations avec les pays étrangers ; si alors le gouvernement songeait à créer un intermédiaire entre cette branche d’industrie et les marchés éloignés, s’il voulait confier à une ou plusieurs institutions puissantes, la tâche de faciliter l’écoulement des produits du pays, dût-il le faire pendant quelque temps au prix de sacrifices, j’accorderais encore des fonds sans difficulté.
Mais je suppose, d’un autre côté, que le gouvernement, tout en reconnaissant que tel genre de fabrication est trop stationnaire dans certains établissements, recule devant les efforts qui faudrait faire pour faire revenir ces industriels de leurs préjugés, ou de leur inertie, qu’il hésite à accorder des facilités de production demandées par une localité, parce qu’une autre localité plus puissante mais plus prévenue n’en veut pas, qu’au lieu de destiner les fonds à pousser l’industrie dans une voie progressive, il voudrait par exemple se borner à accorder directement ou d’une manière déguisée, des primes d’exportation au profit de produits qui ne trouvent plus faveur, primes qui compenseraient la différence de valeur entre ces fabricats et d’autres plus perfectionnés, il y aurait là, si l’on veut, tendance à favoriser le commerce avec les contrées lointaines ; eh bien, malgré cela, je refuserais l’allocation, parce que l’emploi qu’on en ferait me paraîtrait véritablement nuisible à l’industrie.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, un honorable député du Limbourg s’est plaint de ce que le gouvernement n’avait pas jusqu’à présent proposé un projet de loi, en faveur de l'industrie de la partie cédée du Limbourg.
Messieurs, le gouvernement a fait jusqu’aujourd’hui ce qu’il pouvait faire. A l’époque de la séparation, quelques industriels de la partie cédée ayant été pris au dépourvu, se trouvaient lésés dans leurs intérêts ; le gouvernement a pris sur lui de les retirer de cette situation fâcheuse, par des dispositions individuelles et transitoires.
Restait une mesure définitive à prendre. En ce qui concerne cette mesure définitive, nous avons dû naturellement consulter les chambres de commerce de Liége et de Verviers, ainsi que la députation permanente du Limbourg, en l’absence d’une chambre de commerce à Hasselt.
Or, il résulte de ces avis qu’on a conseillé au gouvernement d’agir avec beaucoup de circonspection, en ce qui se rapporte aux concessions à faire en faveur de la partie cédée du Limbourg, et d’attendre qu’un arrangement puisse être fait avec la Hollande, et, d’un autre côté, pour que la province de Liége qui est en relations de commerce avec le Limbourg, n’éprouve pas de préjudice par des concessions qui se feraient sans retour.
Voilà les considérations qui nous ont arrêté pour le moment. Je dois ajouter qu’il est plusieurs industries de la partie cédée du Limbourg qui ont obtenu un débouché que ce territoire n’avait point auparavant, celui de la Hollande, et sous ce rapport, la situation du Limbourg cédé est très différente de celle du Luxembourg cédé, car jusqu’à présent, le Luxembourg se trouve complètement isolé. Si l’on n’avait pas fait en faveur du Luxembourg la loi qui a été promulguée au mois de juin dernier, le Luxembourg se serait trouvé absolument sans commerce ; mais pour le Limbourg, la situation, je le répète, est toute différente.
Il y a cependant deux industries dans le Limbourg qui paraissent avoir plus de titres à la sollicitude du gouvernement belge, ce sont l’industrie du papier et celle des tuileries ; à l’égard de l’industrie du papier, nous avons offert des avantages aux personnes qui s’y livrent si elles voulaient se transporter en Belgique : jusqu’à présent, il n’y a pas eu de résolution sur ce point.
En ce qui concerne la tuilerie, nous avons des réclamations de quelques localités de la Belgique contre le droit de douane trop peu élevé qui facilite l’importation de ce produit de la Hollande. Le droit sur les tuiles étrangères n’est que de 4 francs 50 centimes les 100 kilogrammes. Au reste, c’est un point qui fait en ce moment l’objet d’un examen et sur lequel je ne me suis pas encore prononcé.
Je vais maintenant donner à la chambre quelques explications sur le chiffre que le gouvernement a proposé au budget j’aurais désiré être appelé au sein de la section centrale, où j’aurais pu donner quelques explications verbales sur la majoration. Toutefois, je tâcherai de m’expliquer d’une manière assez complète, pour être compris par la chambre.
Messieurs, vous vous rappeler tous que, vers la fin de l'année dernière, l’industrie cotonnière s’est trouvée enveloppée dans une crise très grave ; que cette crise a particulièrement sévi dans une localité où la population, à laquelle cette industrie principalement fourni du travail, est plus agglomérée.
Le gouvernement a cru, messieurs, devoir, à cette époque, prendre une mesure qui soulageât momentanément la situation de la place de la même manière que, dans les premiers mois de l’année 1839, il était venu au secours de plusieurs industries importantes de la province de Liége et du Hainaut, en faisant des avances sur les commandes pour le chemin de fer, avances qui, j’ose le dire, ont produit les résultats les plus heureux et prévenu de grandes catastrophes.
Il fallait donc aviser à l’écoulement du trop plein et surtout de la place de Gand, et d’autre part, il fallait tâcher d’assurer un débouché permanent à l’étranger.
Ainsi, le gouvernement a dû disposer des sommes qui restaient disponibles sur le budget de 1839 en faveur de l’industrie pour atteindre ce double but. Une partie de la somme demandée doit encore recevoir cette destination et principalement pour l’écoulement des fabricats commandés. Je présume que, de ce chef, et en y comprenant aussi quelques essais d’exportation de nos toiles de lin, il y aurait à dépenser pour 1840 une somme de 125,000 francs. Mais cette dépense, de même que celle qui a déjà été faite sur le budget précédent, est seulement à titre de garantie. Il est possible que le gouvernement soit en perte de 200,000 francs sur les deux exercices réunis ; il est possible aussi, et j’ai des raisons plausibles de le croire, que la perte soit très faible, de manière que nous avons pu rendre un service momentané important pour ainsi dire sans perte.
Mais les commandes qui ont été faites d’après les échantillons donnés, et appropriés aux besoins du commerce des contrées lointaines, produiront, j’espère, un débit permanent, parce que si les résultats sont avantageux, ce genre de fabrication ayant été commencé, sera sans aucun doute continué.
Je dis donc qu’il faut d’abord une somme de 125,000 francs.
La statistique commerciale est évaluée, y compris l’impression à une somme d’environ 44,000 francs ; il y aura deux volumes (1838 et 1839) ; cependant on réduira cette dépense autant que possible.
Les écoles de navigation établies à Anvers et Ostende ont coûté jusqu’à présent 7,000 francs mais, messieurs, je pense qu’il serait utile d’assurer davantage l’éducation de quelques jeunes gens pour les mettre à même de parvenir au grade de capitaines de navire, et d’établir à cet effet des bourses auprès de ces deux écoles ; de ce chef il pourra peut-être encore résulter une somme de 6,000 francs au plus.
L’association de l'industrie linière nous a demandé d’envoyer un agent explorateur en Espagne pour tâcher d’y recouvrer en partie l’ancien débouché que nous toiles y avaient jadis.
Deux jeunes gens voyagent en Orient et il leur est alloué une somme de 5,000 francs ; il est alloué une autre somme de 5,600 francs à une autre mission d’exploration en Amérique.
Il peut être utile encore de faire, dan le courant de l’année, créer une ou plusieurs autres missions commerciales dont j’évalue la dépense à un maximum de 20,000 francs.
Le gouvernement s’est engagé aussi envers l’ancienne société cotonnière de Gand à une indemnité par suite des pertes qu’elle avait éprouvées, lorsque le gouvernement des Pays-Bas avait tout d’un coup surtaxé les produits belges à Java. De ce chef, il reste un dernier paiement à faire, qui est de 16,666 francs.
Il est annuellement accordé pour encouragement à la société pour l’industrie linière 10,000 francs : 4,000 francs sont distribués en prime pour rouissage du lin. Tournay reçoit un subside de 5,000 francs pour son école de métiers, et 25,000 francs sont consacrés à des dépenses diverses. Ces sommes réunies font un total de 270,000 francs.
Reste donc une somme de 130,000 francs, pour compléter l’article.
Sur cette somme, j’ai une demande qui m’est parvenue de la part de l'association de l'industrie linière, qui s’élève à soixante mille francs ; je ne puis pas encore me prononcer sur le mérite de cette réclamation que je n’ai reçue que récemment ; toutefois, il est certain que dans ce projet, il y a des vues très utiles, et dès à présent je puis dire qu’on peut faire quelque chose d’avantageux pour cette industrie, notamment en mettant à la disposition de quelques localités des métiers perfectionnés dont des modèles ont été commandés à l’étranger, pour en confectionner de semblables dans les ateliers de la Belgique.
Il est une autre mesure sur laquelle je suis occupé de recueillir des renseignements, c’est celle qui tendrait à établir une navigation régulière et permanente avec les contrées lointaines.
Une chose dont on n’a cessé de manifester le désir, c’est qu’il y eût une navigation régulière d’Anvers à New-York ; il serait à désirer qu’on pût l’étendre vers d’autres points principaux pour le commerce.
Ce projet peut être réalisé de deux manières. Il peut être réalisé par le gouvernement s’il faisait construire des bateaux à vapeur, et qu’il fît tout à la fois le service de la poste et du transport des voyageurs, et des marchandises. Ce but peut être aussi atteint, si le gouvernement s’entend avec une société.
Il semble que, jusqu’à présent, les diverses sociétés qui se sont occupées de la navigation maritime n’ont pas cru qu’elles trouveraient leur compte à faire de semblables entreprises ; tout au moins elles ont reculé devant l’expérience.
Je ne puis pas assuré qu’il sera donné suite à ce projet ; mais c’est au moins une éventualité.
De cette manière, ainsi que vous venez de l’entendre, il est possible que le crédit entier soit utilement employé, ou qu’il en reste une partie disponible à la fin de l'exercice. Cela dépendra des mesures qui pourront être prises dans le courant de l'année.
M. de Brouckere – Messieurs, les observations que je viens soumettre à la chambre ne se rattachent à aucun article du budget. Je crois cependant qu’elles ne sont pas sans intérêt ; je crois même qu’elles ont un intérêt d’actualité.
A différentes reprises il a été parlé dans cette chambre des exigences de la France à notre égard, de son peu de condescendance pour nos réclamations. L’opinion semble assez générale qu’il est temps pour la Belgique de prendre une attitude plus ferme. Personne n’ignore que le principal grief, le seul grief un peu sérieux que la France nous oppose, c’est l’industrie qui consiste à réimprimer les œuvres littéraires qui paraissent en France, industrie que nos voisins qualifient de piraterie, de brigandage, qu’ils regardent comme leur portant le plus notable préjudice. Si c’était ici le lieu de traiter la question à fond, il serait facile d’établir que ce qu’on nomme la propriété littéraire n’a jamais été considérée comme une propriété dans le sens absolu et ne peut être comparée à la propriété d’un champ, d’une maison ou d’un meuble. Une des meilleures preuves de cette vérité, c’est que cette propriété, comme celle des brevets d’invention, n’est partout que la conséquence de lois spéciales, différentes dans les différents Etats ; et que partout, elle est soumise à des conditions différentes quant à sa durée et quant à la manière d’en jouir.
Il y a plus : en France même, l’ordonnance de 1777 reconnaît en termes formels que les privilèges sur la propriété des ouvriers constituent une grâce, fondée en justice, à la vérité, mais enfin une grâce qui a particulièrement pour objet de récompenser le travail d’un éditeur. Il est donc tout simple que les lois qui accordent ces privilèges n’aient aucune force au-delà des frontières de l’Etat pour lequel elles sont faites, à moins qu’il n’y ait à cet égard convention entre deux nations. Les Français eux-mêmes réimpriment les ouvrages anglais, allemands et italiens, et personne ne songe à leur en faire un reproche.
Au reste, je le répète, mon intention n’est pas de traiter à fond cette question. J’ai voulu m’assurer si le préjudice que les éditeurs belges causent aux éditeurs français, par la réimpression des ouvrages français, est aussi élevé qu’on le prétend. Je me suis entouré de renseignements à cet égard que je vais communiquer à la chambre ; la chambre comprendra que ces renseignements sont d’un grand intérêt pour le gouvernement surtout, qui pourra en tirer parti quand il aura encore à répondre aux exigences de la France.
La vente des livres imprimés en Belgique ne s’élève pas à plus de 1,500,000 francs par an, y compris les livres de propriété belge, et les livres en langue étrangère qu’on peut évaluer à 200,000 francs.
La plupart des réimpressions qui se font en Belgique se vendent le quart, le tiers, quelquefois la moitié du prix des éditions originales, presque jamais au-dessous. C’est cette énorme différence de prix qui a ouvert les débouchés que peut avoir le commerce belge. Si on vendait 7 francs 50 centimes les ouvrages qui se payent 2 francs, 1 franc 50 centimes le volume quelquefois même en-dessous, consultez nos éditeurs, ils vous diront qu’ils reçoivent un exemplaire de tout ce qui se publie à Paris et que souvent ils ne trouvent pas d’acheteur, même avec un fort rabais, pour l’exemplaire de l'ouvrage qu’ils ne croient pas devoir réimprimer. Cependant, cet ouvrage, dont ils n’ont qu’un exemplaire, qu’ils ne peuvent placer, se vendrait peut-être par centaines, s’il était réimprimé et dans le format et au prix ordinaire.
Les nouveautés littéraires se tirent en Belgique, suivant le mérite de l'auteur, à 500, 600, 700, 800, quelquefois 1,0000 exemplaires ; elles se vendent parce que le prix en est fixé à 1 50, 2 et 3 francs, mais il s’en vendrait fort peu si le prix restait à 7 francs ou 7 francs 50 centimes. Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que le bon marché seul a procuré les débouchés dont profitent aujourd’hui les éditeurs belges et que ces débouchés cesseraient d’exister si la contrefaçon venait à cesser.
Il est évident que, sous le rapport du prix, les éditions de Paris ne peuvent être expédiées en remplacement des nôtres. Là où on vend cent exemplaires de nos éditions de 1-50 à 3 francs le volume, on en vendrait vingt de l’édition de Paris à 7-50. Si donc nous vendons 300 exemplaires d’un ouvrage, il ne faut pas croire que ce soient 300 exemplaires que Paris vend de moins. Nous vendons ces 300 exemplaires parce que le prix est de 1-50, 2 et 3 francs le volume. Mais cette vente se réduirait à 50 ou 80 exemplaires seulement si le prix était 7-50. La différence est bien plus forte sur les œuvres d’auteur réunies en éditions compactes. Par exemple les œuvres de Lamartine se vendent 80 ou 100 francs. Est-il raisonnable de supposer que nous ayons fait tort à l’éditeur de Paris de 4 ou 5 mille exemplaires parce que la Belgique en aurait vendu un semblable nombre ?
Si les affaires qui sont faites par notre librairie dans le courant d’une année ne s’élèvent qu’à 1,500,000 francs ; si de ce million et demi on retranche 200 mille francs qui ne proviennent pas du fait de réimpressions françaises, il ne restera que 1,300,000 francs.
Admettons que, si la contrefaçon n’existait pas, le quart de ces affaires fût fait par les libraires de Paris ; il en résulterait pour eux un tort de 325,000 francs par an. Ce tort doit être reporté sur 100 à 150 éditeurs ; vous voyez donc qu’il se réduit, en dernière analyse, à une somme presque insignifiante pour chacun d’eux. Ce tort d’ailleurs est loin d’équivaloir, pour la France, à l’avantage immense de la propagation de sa langue et de ses idées, conquête morale bien plus précieuse pour elle que le tort matériel insignifiant qu’elle éprouve par la contrefaçon.
J’ai cru devoir présenter ces observations à la chambre, afin de mettre le gouvernement à même de réfuter les prétentions que la France eut élever contre nous, toujours en s’appuyant sur l’immense préjudice que nous lui faisons par la contrefaçon.
M. Lys – Les besoins de notre industrie et de notre commerce sont grands, mais ce n’est point par des secours en argent, prodigués à certains négociants, ou si vous voulez, à certaine industrie, que vous apporterez un remède au mal existant ; ce sont des débouchés qui pourvoiraient aux besoins, ce sont là les secours réels ; les autres ne sont que des avantages personnels, qui ne servent que de palliatifs, car le mal continue à exister ; et, si vous diminuez par là le trop plein existant aujourd’hui, demain il existera de nouveau. Je dis donc, et je répète : ces secours se distribuent en pure perte pour l’Etat.
C’est là le million de l’industrie, sur lequel vous vous êtes tant récriés.
C’est encore de cette manière, messieurs, que le ministère, de son aveu, en a agi en 1839.
Je vous disais, messieurs, lors de la discussion générale sur les budgets, que le gouvernement s’était borné jusqu’à présent à nous fournir le budget de nos recettes et de nos dépenses ; il a gardé le plus profond silence sur la position du pays, même sous le rapport des négociations avec les autres Etats.
Il crut ne devoir rendre aucun compte à la chambre sur le résultat de nos diverses missions ; pouvons-nous espérer un traité avec la Hollande, avec l’union des douanes allemandes ; car, remarquez-le bien, messieurs, nous ne demandons pas à entrer dans l’union germanique, où d’ailleurs on ne nous recevrait pas, mais nous demandons si on peut espérer d’obtenir un traité avec cette union, traité que la Hollande s’est déjà procuré.
Inutilement, messieurs, avons-nous demandé quelles espèces de négociations étaient entamées, à quel point on en était dans les négociations ; on nous laisse dans l’ignorance la plus complète, le ministère garde le mutisme le plus parfait.
Ce n’est point la charité, messieurs, que nos fabricants viennent demander au gouvernement ; ce ne sont point des faveurs personnelles qu’ils réclament ; inutilement dépenserez-vous en encouragements lorsque vous n’avez pas de système ; ce seront des faveurs qu’accapareront ceux qui en ont l’habitude.
Je me rallie volontiers, messieurs, au système développé par mon honorable collègue M. Cools ; il vous a indiqué les meilleurs moyens qu’on pourrait éprouver, et ce ne sont là nullement ceux que veut employer le ministère. Je voterai donc contre le chiffre qu’il propose.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je suis entièrement d’accord avec l’honorable préopinant. Mais il est bien certain que, dans un moment de besoins pressants d’une population ouvrière agglomérée, ce n’est pas en envoyant des échantillons pour faire des fabricats à titre d’essai que vous pouvez soulager cette population ; il faut aviser à un moyen extraordinaire. C’est ce qui a été fait. Sans cela, je n’hésite pas à dire que plusieurs fabriques auraient été obligées de fermer. L’emploi fait des fonds, à cette époque, l’a été avec utilité et j’aime à croire que ce sera sans perte. De sorte que nous aurons obtenu de bons résultats pour le moment, sans compromettre les intérêts du trésor.
Je suis d’accord avec l’honorable membre, que c’est à ouvrir des débouchés que le gouvernement doit s’attacher. C’est pour cela qu’il a été fait des commandes sur des échantillons pris aux lieux de consommation.
L’honorable préopinant a demandé si nous pouvions espérer d’établir des rapports commerciaux avec la Hollande. Je crois qu’il est prématuré de s’expliquer sur cette question. Je ne doute pas que cela arrive, mais pour le moment je ne puis donner d’explications sur ce point. Il a parlé d’un traité fait entre la Hollande et l’union allemande ; mais ce traité repose sur des bases qui ne peuvent jamais être adoptées par la Belgique. Appliqué à la Belgique, ce traité eût été désastreux. Je dirai cependant qu’une partie des avantages qui ont été accordés à la Hollande, sont maintenant rendus communs aux autres Etats. Par exemple en ce qui concerne l’importation du riz, et l’importation des sucres ; mais une disposition de notre loi sur les sucres nous empêche de tirer de ces changements tout le parti possible, c’est celle qui défend l’exportation par la frontière de terre des sucres concassés et pilés.
Un projet de loi doit être présenté pour leur ouvrir la frontière de terre en prenant des mesures suffisantes pour empêcher la fraude.
M. Manilius – Messieurs, ce n’est pas pour m’opposer à cette majoration de chiffre que je prends la parole. Mais, chose urgente, messieurs, pour ces grands éléments de la prospérité nationale, c’est de connaître le vues du gouvernement sur un système définitif quelconque à arrêter ou à suivre.
Vous le savez, messieurs, l’on réclame vivement le marché intérieur au moyen de la répression et une juste réciprocité en matière de douane, ou bien une alliance commerciale avec l’Allemagne ou la France.
Je ne saurais trop insister sur la nécessité d’une explication franche à cet égard de la part du gouvernement, car il me semble que c’est un devoir, je dirai même une obligation pour le ministère, de faire cesser cet état d’incertitude qu’on a dû souffrir pendant la guerre et le statu quo, mais qui est insupportable en état de paix.
Il y va de très hauts intérêts, messieurs, intérêts qui sont respectés chez tous les peuples, et qu’aucun gouvernement du monde ne peut songer à méconnaître sans danger.
Le ministère voudra donc bien nous apprendre ce que l’industrie et le commerce peuvent espérer du gouvernement pour sortit du misérable état de souffrance et d’incertitude où ils sont plongés aujourd’hui.
J’ajouterai même qu’il est dans l’intérêt du gouvernement que le pays ne soit pas plus longtemps privé de ces renseignements, de ces explications, devenus indispensables : ils sont de rigoureuse nécessité et réclamés par une très grand partie de la population.
D’après les explications que donnera le ministère, je réglerai mon vote, qui sera toutefois négatif, si, contre mon attente, l’on reste sourd à mon interpellation.
M. Cools – Lorsque j’ai demandé des explications, je n’ai pas blâmé l’emploi qui avait été fait des fonds en 1839. M. le ministre a dit qu’il considérait ces subsides comme un moyen momentané. A cet égard je suis d’accord avec lui.
Si j’ai demandé des explications, c’est parce que, dans une note remise à la section centrale, j’ai vu que le gouvernement voulait travailler pour l’avenir. C’est pour mieux connaître l’emploi qui sera fait des fonds que j’ai demandé la parole. M. le ministre a indiqué les mesures qu’il se propose de prendre. Je regrette qu’il n’ait pas indiqué, dans le nombre, des mesures que je regarde comme très efficaces. Ce n’est pas le moment de parler de ces mesures. L’occasion s’en présentera prochainement.
Je suivrai M. le ministre dans les mesures qu’il a indiquées et qui sont au nombre de cinq.
Il a parlé de subsides à l’industrie linière. J’appuie cet emploi, parce qu’il est à la connaissance de tout le monde que cette industrie a besoin d’encouragements.
Il a parlé ensuite de navigation directe en Amérique. C’est encore une mesure que j’approuve entièrement. Mais, en ce qui concerne l’industrie cotonnière, les explications de M. le ministre ne m’ont pas satisfait.
Je suis disposé à accorder des fonds à l’industrie, parce que je reconnais que sa situation est très critique. Je voterai donc tous les fonds demandés, pourvu qu’on en indique un bon emploi. Mais les explications de M. le ministre sont trop vagues pour que je donne mon assentiment à ses propositions.
M. le ministre de l'intérieur a dit que 125,000 francs étaient destinés à favoriser l’écoulement des produits. Ce moyen que, dans tous les cas, je ne regarde que comme momentané, n’est admissible que si l’on adopte une bonne base pour la distribution des subsides. Or jamais la base ne sera bonne si l’on accorde les subsides directement, parce que, comme l’a fait observer l’honorable M. Lys, ces subsides dégénèreront en faveurs personnelles. Il faudrait que les subsides fussent donnés à une société de commerce, qui les accorderait à tels et tels fabricants.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – C’est justement ce qui se fait.
M. Cools – S’il en était ainsi, j’accorderais la majoration.
M. Simons – Malgré ce que M. le ministre de l'intérieur a bien voulu nous apprendre, je n’appuie pas moins de toutes mes forces les observations qui viennent de vous être présentées par mon honorable collègue et ami M. de Renesse, au sujet de modifications exceptionnelles que réclament quelques industriels de la partie cédée du Limbourg. Leurs doléances ne sont malheureusement que trop fondées ; leurs réclamations sont trop équitables, pour que nous ne saisissions pas l’occasion opportune qui se présente pour recommander de nouveau cet objet à l’attention du gouvernement.
Si M. le ministre de l'intérieur ne consultait que ses sentiments personnels à l’égard de ces malheureuses contrées, j’aime à me le persuader, il vient du reste de nous le dire, depuis longtemps un projet de loi nous aurait été présenté à cet égard.
Pour ma part, je n’ai jamais douté de la sincérité de l'engagement qu’il avait pris, sur la fin de la précédente session, à l’occasion de la discussion du projet de loi portant des modifications de la même nature, en ce qui concerne plusieurs objets de provenance luxembourgeoise.
M. le ministre voudra bien se rappeler que l’unique motif qui, à cette époque, l’ait empêché de provoquer en faveur du Limbourg une mesure analogue à celle proposée dans l’intérêt de l’industrie luxembourgeoise, ce fut l’absence de renseignements indispensables pour en faire l’objet d’une proposition formelle. Cette cause n’existant plus, rien n’empêche donc que l’on prenne à cet égard une résolution prompte et franche.
Il paraît que des rapports des chambres de commerce de Liége et de Verviers ont empêché le gouvernement de donner suite aux intentions bienveillantes qu’il avait manifestées il y a quelques mois.
En thèse générale, je ne puis qu’applaudir à cette sollicitude. Le cabinet ne peut porter trop d’intérêt à tout ce qui peut contribuer au progrès, au bien-être de cette partie si intéressante de notre population. Sans m’enquérir pour le moment des véritables causes de la gêne à laquelle notre industrie est en butte, je conviens que le gouvernement ne peut s’occuper assez sérieusement de cet objet important. Il est plus que temps que l’on fasse cesser les perturbations industrielles qui affectent si péniblement quelques localités du royaume, et que l’on porte remède (si véritable remède il y a) à un mal qui, pour peut qu’il se propage, portera des fruits amères.
Mais là n’est pas la question que nous croyons de notre devoir d’agiter dans cette enceinte.
Devons-nous quelqu’apaisement, même au détriment de notre industrie nationale, à des malheureux industriels du Limbourg que le traité du 19 avril nous a forcés d’abandonner ? pouvons-nous refuser à leur tendre une main secourable dans leur détresse, lorsqu’ils vous prouvent que c’est sur la foi donnée non par la diplomatie (malheur à celui qui compte celle-là) mais sur la foi donnée de la manière la plus solennelle par nous-mêmes, qu’ils ont engagé une grande partie de leur fortune dans des industries qui n’y ont été créées depuis la révolution que parce qu’ils croyaient pouvoir compter sur le marché belge, qui en était l’unique but.
Certes la loyauté des chambres belges ne donnera à ces questions qu’une solution favorable, lorsque le gouvernement trouvera convenable de les soumettre à leurs délibérations.
La loi du 6 juin dernier, portant quelques modifications au tarif des douanes sur les frontières du Luxembourg, et que la chambre a votée en quelque sorte par acclamation, m’en est un sûr garant. En effet se pourrait-il que ce qui a paru juste et convenable à l’égard du Luxembourg ne le fût plus lorsqu’il s’agit du Limbourg ? Ces deux provinces n’ont-elles donc pas des droits égaux à la sollicitude de leurs anciens frères ? Au contraire, s’il y avait une différence à faire entre les deux provinces, elle serait toute à l’avantage de celle dont je m’occupe. Les liens qui unissaient constitutionnellement cette province à la Belgique étaient sans doute plus indissolubles que ceux qui y attachaient le Luxembourg.
Les Limbourgeois ont en conséquence pu compter avec d’autant plus d’assurance sur la stabilité d’un ordre de choses qui leur était formellement garanti par la constitution, et par suite il serait juste que la réparation envers ceux-ci fût plus complète, si possible. J’ai donc réclamé à mon tour une résolution prompte et immédiate de la part du cabinet.
L’esprit, par lequel des discours bienveillants, naguère prononcés dans cette enceinte, bercent plusieurs industriels de la partie cédée du Limbourg, est des plus désastreux pour ces malheureux.
Il est à ma connaissance que plusieurs travaillent à perte pour conserver leurs pratiques en Belgique, en attendant la réalisation des promesses faites de la manière la plus formelle.
Je réclame surtout une solution immédiate en faveur des établissements industriels, en petit nombre du reste, qui y ont été créés depuis la révolution et qui, sous tous les rapports, méritent notre vive sollicitude.
M. Delehaye – Quoique député d’une province éminemment industrielle, je n’accorderai jamais mon assentiment à une demande de fonds en faveur du commerce et de l'industrie. Je pense que, pour que le commerce et l’industrie soient réellement favorables à un pays, il faut qu’ils n’aient besoin d’aucun secours, d’aucun subside. Mais, dans mon opinion, le premier devoir du gouvernement est de maintenir intacts les droits des personnes et des propriétés. Lorsqu’on secourt une industrie, pour conserver les droits de la propriété, alors je ne balance pas à donner mon assentiment.
Dans l’espèce, la crise avait forcé des industries à mettre des ouvriers sur le pavé. Que le gouvernement ait pris des mesures pour venir à l’aide de ces industries, c’est une dispositions sage et dont je lui sais gré. Mais qu’on porte annuellement au budget des sommes destinées au commerce et à l’industrie, cela me paraît une hérésie, qu’on ne peut admettre dans un pays constitutionnel.
Voulez-vous encourager l’industrie, protéger efficacement le commerce, faites par vos tarifs que votre commerce ait sur les marchés étrangers une position analogue à celle que l’étranger a sur ses marchés. Ainsi, dans l’espèce, la France introduit ses produits dans le pays, en payant de faibles droits ; et les produits belges sont complètement prohibés en France. Or, comment voulez-vous que l’industrie cotonnière soit sur un pied favorable en Belgique, lorsque les produits similaires français sont admis sur le marché belge, en payant des droits insignifiants ?
Quant à la construction des navires, je pense que cette industrie n’a pas besoin de subsides. Voulez-vous favoriser la construction des navires ? Faites que les navires étrangers n’aient pas le privilège d’importer des marchandises que nous pourrions nous-mêmes exporter.
Notre système est tellement absurde que des négociants de Gand ont dû renoncer à un chantier qu’ils avaient dans cette ville, parce qu’ils ne pouvaient décharger le sel à Gand, droit qu’on a à Louvain et à Bruxelles.
Je crois que si l’on veut développer l’industrie, le commerce et la pêche nationale, on doit adopter un système tout différent de celui qu’on suit maintenant.
Je ne parle pas de l’industrie cotonnière. Je traiterai cette question quand la commission présentera son rapport sur la pétition de Gand et de Bruges.
M. de Foere – L’honorable ministre de l’industrie est entré dans de nombreuses applications du chiffre qu’il demande pour la protection du commerce et de l’industrie. Je n’examinerai pas les spécialités auxquelles ce chiffre est destiné. Je suis parfaitement d’accord avec les honorables membres qui ont soutenu que ces remèdes ne pourront jamais arrêter le malaise qui ronge le commerce et l’industrie. Ce sont des palliatifs, et rien de plus.
Cependant M. le ministre convient avec nous qu’il faut ouvrir à l’industrie du pays des débouchés. Nous sommes d’accord sur le principe ; mais nous ne le sommes pas sur les moyens d’exécution. Les marchés de consommation sont de deux espèces : le premier c’est le marché intérieur ; il doit être accordé à l’industrie du pays ; c’est le principe suivi par toutes les nations continentales. Comme nations indépendantes, elles le pratiquent et l’exécutent. Puisque vous aussi, vous proclamez votre indépendance, aucun obstacle ne s’oppose à l’exécution du même principe. Vous pouvez donc garantir ce marché à l’industrie du pays, et vous ne le faites pas. Sous plusieurs rapports, le marché intérieur n’est pas suffisamment assuré à l’industrie du pays.
Les autres marchés sont les débouchés extérieurs. Ce sont d’abord les pays qui nous environnent sur le continent ; ce sont ensuite les pays lointains. Vous êtes exclus des débouchés du continent par les tarifs de douanes. La France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Hollande, vous ferment leurs marchés. Et pourquoi ? pour donner à leurs propres produits, avant tout, le marché intérieur, pour accorder à leur propre industrie la consommation de leur pays. Cette politique commerciale a été développée et maintenue avec une courageuse persévérance par toutes les nations industrielles et maritimes du continent. Cette politique commerciale est la seule rationnelle tant que la liberté commerciale ne sera pas généralement établie. Ce système est établi partout, et vous ne le suivez pas dans toute son extension.
Puisque les marchés du continent sont fermés, vous n’avez donc d’autres ressources que de chercher des marchés lointains ; or, ces marchés lointains, votre politique commerciale les ferme elle-même aux produits du pays. Vous érigez en première ligne, comme base de votre système commercial le transit, auquel tous les autres intérêts commerciaux et industriels sont subordonnés. C’est marcher encore en sens inverse des autres nations chez lesquelles le transit n’est considéré que comme commerce secondaire.
Vous établissez, en outre, par votre traité avec la France, le système des provenances indirectes. C’est encore un obstacle que vous créez vous-mêmes à nos débouchés lointains, les seuls qui nous soient ouverts, les seuls où le placement de nos produits nous soit possible.
En effet, lorsque vous permettez au commerce du continent d’importer des ports et des entrepôts européens, dans votre pays, les produits de l’Asie, de l’Amérique, de l’Afrique, vous empêchez que votre marine marchande ait des retours. Quand elle n’a pas de cargaisons de retour, il est impossible qu’elle songe à se procurer des cargaisons de sortie. La navigation de tous les pays est impraticable, lorsqu’elle ne possède pas les moyens de remplir ces deux conditions. C’est la raison pour laquelle toutes les nations industrielles, commerçantes et maritimes établissent le système des provenances directes et qu’elles accordent d’autres protections à leur navigation qu’elles considèrent comme le moyen le plus sûr et le plus régulier d’exporter leurs produits. Mais vous, que faites-vous ?. Vous empêchez l’exportation des produits indigènes sur les marchés lointains, en établissant le système des provenances indirectes.
Les nations étrangères qui, contre les véritables intérêts du pays, sont favorisées par votre système de provenances indirectes, vont empêcheront de deux manières de placer vos produits dans les pays lointains. D’abord, sûres de cargaisons de retour qu’elles pourront déverser dans vos ports et dans vos entrepôts, elles pourront exporter de chez elles les produits de leur industrie, les similaires aux vôtres, auxquels ils feront une concurrence redoutable. Ensuite, votre marine commerciale, voyant vos ports, vos entrepôts, vos magasins regorgés de marchandises coloniales, importées par la navigation étrangère, ne sera plus sûre du placement de ses cargaisons de retour. Dès lors, l’exportation de vos produits sur les marchés lointains, les seuls qui vous soient ouverts, est forcément arrêtée, comme elle l’est maintenant, et comme elle le sera aussi longtemps que vous persisterez dans votre pernicieux système.
En effet, si pour le malheur du pays, votre système avait reçu la sanction de la chambre et était entièrement développé, quel serait l’armateur négociant qui osât se livrer, au lointain à des opérations d’échange ou compter sur le placement de ses retours, lorsque la navigation étrangère aura amplement fourni vos entrepôts et votre marché intérieur ? Votre système est encore ici opposé à celui que suivent toutes les nations commerciales du monde. Je vous défie de citer une seule nation commerciale, industrielle et maritime, par laquelle cette politique commerciale est suivie. Vous pouvez attirer les navires étrangers à Anvers, mais quelle est sera la conséquence ? Vous ferez lutter, sur le marché d’Anvers, nos propres produits contre les marchandises étrangères et nos propres importations coloniales contre les importations étrangères ; mais cette lutte peut-elle vous être favorable ? les nations étrangères sont loin de le penser. C’est la raison pour laquelle elles ne permettent cette lutte que sous le rapport du transit. Dans les explications que l’honorable ministre de l'intérieur a données à la section centrale, il cherche à justifier l’application des sommes qu’il demande pour protéger le commerce et l’industrie du pays. « Les besoins de notre industrie et de notre commerce, dit-il, sont devenus plus grands surtout à la suite d’une crise financière et commerciale qui s’est fait sentir dans ces derniers temps, d’une manière plus ou moins forte, sur la plupart des principaux marchés du monde, et dont ces deux branches de la richesse publique ont prouvé un contre-coup qui réclame un concours matériel plus efficace de la part du gouvernement. »
La détresse de notre commerce et de notre industrie est donc, selon M. le ministre, le résultat de la crise financière et commerciale qui s’est produite chez la plupart des autres nations. D’abord, quelles sont ces nations nombreuses chez lesquelles une véritable crise commerciale a eu lieu dans ces derniers temps ? Je n’en connais d’autre que l’Amérique septentrionale. Or, nous n’avons aucun commerce d’échanges avec l’Amérique du Nord. Le contre-coup était donc chez nous impossible. Les Américains du Nord ont éprouvé aussi une crise financière. Nous, nous avons subi celle de la banque de Belgique ; mais cette dernière crise financière était-elle le résultat ou le contre-coup de celle des Etats-Unis ? Assurément non. Cette cause assignée à la crise de notre banque était encore impossible. La banque de Belgique n’avait aucune relation financière avec les maisons de banque et de commerce des Etats-Unis. Tout le monde sait chez nous que la crise de la banque de Belgique a été produite par deux causes qui, étant simultanément en opération, se combattent l’une l’autre. La banque de Belgique était à la fois banque d’émission, de prêt et de dépôt. Elle était autorisée, par ses statuts, à se livrer à un grand nombre d’opérations qui devaient épuiser sa caisse, tout en cherchant, d’un autre côté, à étendre le cercle de l’émission de ses billets. Elle a colloqué des sommes immenses dans un grand nombre d’industries et d’établissements industriels. Quand son trésor a été épuisé, la crise financière s’est produite.
Les détenteurs de ces billets sont venus en réclamer en vain la conversion en monnaie. Ce n’est donc pas à un contre-coup d’une crise commerciale ou financière d’autres pays qu’il faut attribuer celle de la banque de Belgique. Les banques d’Angleterre seules étaient en contact avec celles des Etats-Unis. Elles seules en ont éprouvé le contre-coup. J’ai signalé la principale cause de la crise déplorable de la banque de Belgique. Dès 1835 aussitôt que les statuts que vous avez octroyés à cette banque furent connus, je vous ai avertis du danger imminent auquel ces statuts exposaient cette banque et le pays. Le résultat en était presqu’immanquable. Vous n’avez pas voulu écouter ces avertissements. Vous avez persisté dans votre faute immense dans ses résultats.
La crise commerciale et industrielle qui existe dans notre pays est-elle le contre-coup de la crise commerciale de l’Amérique ? Nous n’avons pas seulement de commerce direct d’échanges avec ce pays ; nous n’en avons pas même avec aucun autre. Quand on attribue un effet à une cause, le simple bon sens exige au moins que l’on constate d’abord l’existence de cette cause. La nullité de notre industrie d’exportation, et par suite de notre commerce, n’est pas une crise. Je vous l’ai déjà dit plusieurs fois. C’est un état normal, une situation permanente due exclusivement au système commercial que vous suivez. Elle continuera de subsister aussi longtemps que vous persisterez dans ce système, ou que vous n’adopterez pas celui qui est suivi par toutes les nations.
Il faudrait d’abord assurer à notre industrie le marché intérieur du pays ; ensuite, lorsque notre industrie produit plus que la consommation intérieure ne demande, il faudrait lui donner les moyens, pratiqués par les autres nations, de se rapprocher des pays qui consommeraient ses excédants. Or, ces pays ne sont pas sur notre continent. Avec ou sans traité de commerce l’Angleterre prendra vos écorces, vos lins, vos fruits, votre volaille, parce qu’elle en a besoin. Avec ou sans traité de commerce, elle ne vous prendra aucun objet manufacturé qu’elle produit elle-même. Il en est de même de la France. Aussi longtemps qu’elle aura besoin de nos toiles soit pour la consommation intérieure, soit pour son commerce extérieur, elle en prendra chez nous. C’est le besoin seul qui établit les lois internationales d’échanges commerciaux.
Le pays réclame donc impérativement qu’il soit établi une autre politique commerciale, qui consisterait à protéger notre commerce sur les marchés lointains ; à faciliter le transport de notre production vers les pays de consommation, vers les marchés des trois autres parties du monde, les seuls où vous puissiez placer les produits surabondants de votre industrie. Or, quels sont ces moyens de protection ? C’est l’établissement du système des provenances directes, et la protection accordée à notre propre marine comme font les autres nations. Sur mer, les navires sont des routes par lesquelles vous transportez les produits du pays sur toutes les places de commerce et dans tous les centres de consommation les navires sont des moyens indispensables de transport.
Il faut que nous accordions les protections pour nos navires que les autres nationaux accordent aux leurs. Vous n’arriverez à aucun résultat si vous ne protéger pas votre propre marine ; si vous n’établissez pas le système des provenances directes comme l’établissent toutes les nations industriels et maritimes.
M. Dumortier – Messieurs, je regarde aussi, comme les honorables orateurs qui m’ont précédé le crédit que l’on vous demande comme un simple palliatif ; comme un palliatif que je suis cependant disposé à voter, eu égard aux circonstances actuelles, et comme un remède momentané à un mal, et rien autre chose. Mais des remèdes semblables appliqués chaque année ne remédient pas au mal, ils ne font que l’entretenir.
Messieurs, ce qui m’a toujours frappé dans la conduite du gouvernement vis-à-vis de l’industrie, c’est l’absence de pensée, c’est le défaut de système commercial, et cependant nous ne pouvons espérer de prospérité industrielle durable sans un système favorable à l’industrie. Notre système doit être bien simple. Il s’agit de nous créer à l’intérieur des marchés de marchandises premières et à l’extérieur des débouchés pour nos produits manufacturés. La marche du gouvernement améliore-t-elle la création de marchés intérieurs ? Je dis que non. Amènera-t-elle des débouchés à l’extérieur ? Je dis encore que non.
Messieurs, il serait inutile de vous le dissimuler, vous n’aurez jamais d’industrie prospère en Belgique, si vous n’avez chez vous, pour satisfaire aux besoins de votre industrie, un marché de marchandises premières aussi avantageux que le marché des grandes nations industrielles qui nous entourent. L’existence d’un tel marché est la condition première de toute prospérité manufacturière.
Si vous n’avez pas un marché de marchandises coloniales de provenance directe en Belgique, l’Angleterre et la France qui possèdent de semblables marchés auront toujours sur vous la préférence, puisqu’elles les auront de première et de seconde main. Une des premières choses à faire c’est donc la création de semblables marchés. Pour arriver à ce résultat, il faut des droits favorables à l’importation des provenances directes, afin de les forcer de débarquer dans nos ports. Et ce système aura pour résultat de favoriser l’exportation de nos marchandises et d’exciter les échanges de nos produits avec ceux qui arrivent des colonies. Si, au contraire, les marchandises premières de provenances indirectes ne sont pas frappées autrement que celles qui viennent par provenances directes, il se fera que ces marchandises se dirigeront d’abord sur les ports de France et d’Angleterre, certaines de pouvoir toujours venir en Belgique si elles ne trouvent pas à se placer. Et alors nous n’aurons pas de marché, car pour cela il faudrait nous trouver dans des conditions aussi favorables que nos rivaux, et lorsque nous devons nous fournir chez eux de nos matières premières, que nous devons acheter nos marchandises en seconde main, nous n’avons plus de marché et nous nous trouvons dans des conditions plus défavorables que les autres nations. Ainsi, nous ne pouvons pas espérer d’avoir un marché de première main aussi longtemps que nous ne forcerons pas les navires venant de provenance directe de se diriger vers nos ports et qu’ils ne viendront en Belgique que lorsqu’ils auront fait leurs affaires avec d’autres nations. Il arrivera de là, par une deuxième conséquence, que vous n’aurez jamais chez vous de marché primitif, et sans marché primitif vous n’aurez jamais d’industrie prospère.
Prenons pour exemple l’industrie cotonnière : en Belgique, un navire chargé de coton, par exemple, paiera les mêmes droits soit qu’il ait touché à un port quelconque de l’Europe, soit qu’il arrive directement des colonies. En Angleterre et en France, au contraire, un navire qui arrive des colonies avec du coton paiera des droits incomparablement plus forts s’il a touché un port d’Europe que s’il arrive directement. Il résulte de là que les armateurs se rendront toujours à Liverpool ou au Havre, et qu’ils ne viendront pas en Belgique ; vous n’aurez donc jamais de marché de coton, et sans un semblable marché, il vous est impossible d’avoir une industrie cotonnière florissante. Lorsque vous êtes réduits au commerce de seconde main, au commerce de cabotage, vous devez nécessairement payer vos matières premières plus cher que les autres nations qui les reçoivent directement et dès lors, vous ne pouvez pas fabriquer au même prix que ces nations. Votre industrie sera souffrante aussi longtemps que vous n’aurez pas un marché de première main. Il faut donc commencer par créer un marché chez soi.
Et remarquez, messieurs, que la création d’un marché nouveau de provenance directe chez vous réagira de la manière la plus avantageuse sur l’exportation de vos produits manufacturés. Si vous recevez vos matières premières directement des colonies, les navires qui vous les supporteront exporteront ensuite vos fabricats. Ainsi, par exemple, un navire qui sera venu décharger du coton à Anvers prendra des objets fabriqués pour retourner aux colonies. Le système du commerce direct a donc un double avantage, d’abord de vous faire obtenir le meilleur marché des matières premières dont notre industrie a besoin et ensuite de vous procurer des débouchés pour les produits de cette industrie.
Eh bien, messieurs, tout ce qu’on a fait jusqu’ici est malheureusement de nature à amener un résultat entièrement contraire. On vient nous dire, il est vrai, qu’on veut établir un commerce direct ; mais ces paroles sont entièrement en opposition avec les projets de traités qui nous ont été soumis par le gouvernement. Si vous admettez les projets de traités avec la France et avec la Turquie, vous tranchez nettement la question ; si vous admettez ces projets, il vous sera impossible d’avoir des provenances directes, puisqu’il vous sera impossible d’établir des droits différentiels en faveur des arrivages directs, et que dès lors les armateurs qui arrivent des colonies se rendront toujours en premier lieu dans les ports de l’Angleterre ou de la France pour ne venir dans les ports belges que lorsqu’ils n’auront pas u se défaire de leur cargaison.
Je viens d’établir la nécessité de la création d’un marché de marchandises premières de provenance directe.
Maintenant, messieurs, il faut encore nous créer des débouchés à l’extérieur, et j’approuve tous les efforts qui ont été tentées dans le but de former une marine nationale. Aussi les ai-je toujours appuyés dans cette enceinte ; mais ici encore, comment voulez-vous créer une marine, si vous n’avez pas de commerce direct avec les colonies ? A quoi vous servirait même une marine, si elle n’a aucun avantage dans vos ports, si elle ne peut vous amener directement les matières premières dont vous avez besoin et exporter ensuite les produits de votre industrie ? Si votre marine était réduite au rôle d’aller chercher les produits des colonies à Londres ou à Liverpool pour les amener à Anvers, à quoi nous servirait-elle ? qu’exporterait-elle de nos produits manufacturés ? Evidemment à rien. Si donc vous n’avez pas de commerce direct, votre marine même ne vous sera d’aucune utilité.
Il ne suffit donc pas de décréter des primes pour la construction de navires, il faut encore accorder un privilège au commerce qui se fait par ces navires ou tout au moins il faut accorder un privilège aux arrivages directs, qui mette votre marine dans une position analogue à celle adoptée par les autres nations.
Messieurs, l’honorable député de Bruges, qui a parlé tout à l’heure, a présenté la question sous un double aspect : il a dit que si vous voulez avoir un commerce florissant, il faut d’abord lui assurer le marché intérieur et ensuite le marché extérieur. Je suis complètement de l’avis de cet honorable préopinant, en ce qui touche le marché extérieur, et je viens de démontrer que, sans l’adoption d’un système de commerce direct, vous n’aurez jamais une industrie florissante ; mais je ne saurais partager sa manière de voir en ce qui concerne le marché intérieur. L’honorable membre trouve que le marché intérieur n’est pas suffisamment assuré à nos produits et j’entends tous les jours les mêmes plaintes émaner de toutes parts. Je conviens que cette plainte est très fondée ; mais que pouvons-nous faire dans un pays ouvert comme le nôtre ? Notre petite Belgique a une frontière de terre presqu’aussi étendue que la frontière ouverte de terre de la France ; notre frontière est de toutes parts ouverte à la France, je dis la frontière ouverte, car la France est bordée d’une part par la mer, de l’autre par le Rhin, tandis que notre frontière est ouverte de toutes parts. Nous pouvons bien voter des crédits pour renforcer la ligne des douanes, mais nous ne pouvons nous dissimuler qu’il y a impossibilité absolue d’empêcher totalement la fraude ; je pense, au contraire, que ce qui a été fait jusqu’à ce jour est, à peu de chose près, tout ce que nous pourrons faire sous ce rapport, sauf quelques modifications que le temps et l’expérience nous indiqueront.
Vous le savez, messieurs, je ne suis point partisan des droits prohibitifs ; ces droits n’amènent jamais un résultat avantageux pour l’industrie, et ils ont, au contraire, souvent pour effet de l’empêcher de progresser, d’ailleurs, ils sont toujours inefficaces même quand on y joindrait les mesures si odieuses de l’estampille et des visites domiciliaires, car en France, où ces mesures sont admises, chacun sait que l’estampille se pose sur les marchandises fraudées à raison de un demi pour cent.
Il est malheureux que nous ne soyons pas dans une position plus favorable, que nous n’ayons pas une frontière mieux disposée ; mais enfin notre position est telle que la nature nous l’a faite, nous devons y rester, et tout ce que nous pouvons faire c’est d’en tirer le parti le moins mauvais possible.
Je pense donc que pour le marché intérieur on a fait à peu près tout ce qu’il était possible de faire, mais je pense aussi que rien n’a été fait pour le marché extérieur. Que le gouvernement nous dise ce qu’il a fait ? Il a fait, dit-il, venir des échantillons de marchandises ! Tout à l’heure encore, M. le ministre de l'intérieur nous a parlé de ces échantillons comme de l’un des moyens à employer pour porter remède aux maux de notre industrie. Messieurs, ce n’est point par de semblables moyens que notre industrie se relèvera ; elle ne se relèvera que lorsqu’elle aura des débouchés, et elle n’aura des débouchés, je le répète encore une fois, que lorsque nous aurons une navigation directe.
Relativement au commerce européen, je vous avoue, messieurs, que je ne puis voir sans effroi ce qui se passe maintenant en Europe, et la quiétude de notre gouvernement en présence de tout ce qui se passe autour de nous : en France on fait des traités de commerce avec l’Allemagne ; des traités de commerce avec la Hollande, des traités de commerce avec toutes les nations ; autour de nous je vois s’agiter un mouvement commercial extraordinaire, et nous que faisons-nous ? Nous regardons faire, nous nous tenons les bras croisés ! Eh bien, que résultera-t-il à la fin de ce système ? C’est que nous n’aurons de relations avec personne, de débouchés nulle part, que nous serons en quelque sorte dans un état de blocus continental. C’est là une vérité bien affligeante, d’autant plus affligeante que le gouvernement aurait pu tirer un très bon parti de notre position ; il aurait surtout pu tirer un parti excellent de notre position vis-à-vis de la Hollande ; en effet, messieurs, la Hollande n’a pas de manufactures, mais elle possède d’immenses colonies qui produisent beaucoup plus de denrées coloniales qu’elle n’en peut consommer ; pour elle la question est de trouver des débouchés pour ces denrées ; si la Hollande trouve des débouchés pour les denrées coloniales, elle sera prospère et florissante ; si elle n’en trouve pas, elle marchera nécessairement à sa ruine. La Belgique, au contraire, n’a point de colonie, mais elle possède une industrie manufacturière éminemment productive. Que devait faire un gouvernement sage ? Il devait dire à la Hollande : « Je vous accorderai un privilège sur mes marchés pour vos denrées coloniales si vous m’accordez dans vos colonies un privilège pour mes produits manufacturés. » C’était là, messieurs, le moyen d’obtenir les avantages des colonies sans en avoir les désagréments, et la Hollande aurait trouvé chez nous un débouché plus important pour ses produits coloniaux. Eh bien, messieurs, au lieu d’agir de la sorte, on laisse la Hollande préparer des traités de commerce avec l’Allemagne, avec la Prusse, avec la France, tandis que nous restons complètement en dehors de tout ce grand mouvement commercial. C’est là, messieurs, une chose extrêmement affligeante ; si nous ne sortons pas de l’ornière dans laquelle nous sommes entrés, il en résultera nécessairement, non pas une crise momentanée comme celle qui a affligé, à des époques périodiques, la plupart des Etats, mais un malaise sans fin, une crise permanente, un état de marasme et de torpeur dont nous ne pourrons jamais nous relever.
Il est temps, messieurs, d’entrer dans un nouveau système, il est temps d’adopter un système national qui relève notre industrie et lui assure un avenir autrement que par des subsides qui ressemblent à des aumônes ; il est temps enfin de prendre part au mouvement général qui nous entoure et de nous procurer des débouchés, car si nous continuons ainsi à recevoir toutes nos marchandises de la main de l'étranger, si nous laissons échapper toutes les occasions de conclure des traités avantageux, nous finirons par n’avoir plus que des yeux pour pleurer sur la conduite du ministère.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Il me semble, messieurs, d’après les discours prononcés par les divers orateurs que vous venez d’entendre, qu’on est assez généralement d’accord pour allouer le crédit demandé par le gouvernement. Il résulte, en effet, des explications que j’ai eu l’honneur de donner à la chambre qu’il ne s’agit pas de faveurs individuelles. Pour l’avenir, nous aurons surtout en vue d’assurer à notre industrie des débouchés permanents.
On nous a parlé, messieurs, des négociations de commerce ; je pourrais rendre compte à la chambre des diverses tentatives que le gouvernement a faites et qu’il continue à faire, mais dans l’état actuel des choses, j’y vois des inconvénients et je n’y vois d’autre avantage que celui de satisfaire la curiosité.
Par ces considérations, je m’abstiendrai d’entrer dans des explications détaillées sur cet objet, mais je proteste de toutes mes forces contre l’allégation de l’honorable député de Tournay, que le gouvernement resterait indifférent en présence des négociations que d’autres Etats ont ouvertes ou se proposent d’ouvrir entre eux, de telle manière que la Belgique seule se trouverait exclue des avantages commerciaux, s’il devait en résulter de ces négociations. Je pense que sous ce rapport nous n’avons pas de danger à courir.
Le système que les chambres et le gouvernement ont adopté par diverses lois a été celui d’une protection modérée ; et déjà lors de la discussion du budget des voies et moyens, j’ai eu l’honneur de rappeler les diverses lois qui ont été votées dans ce but ; la chambre est saisie d’un projet important, celui qui tend à faciliter la répression de la fraude. Si l’on peut parvenir à avoir une bonne loi à cet égard, ce sera un grand bienfait.
On a parlé du commerce direct de la Belgique avec les pays lointains. Déjà vous aurez remarqué dans les explications que j’ai données que le gouvernement désire avoir une navigation nationale vers quelques points des plus importants pour le commerce, une navigation régulière et permanente. M. le ministre des travaux publics s’est occupé, de son côté, sous le point de vue des bateaux à vapeur, qui devraient être construits par le gouvernement, moi je m’en occupe sous le point de vue du subside qui pourrait être accordé à l’une ou l’autre des sociétés qui voudraient se charger de ce service.
Ce n’est pas par les mesures qu’a signalées l’honorable préopinant que vous atteindrez un heureux résultat. D’abord, vous seriez arrêtés par les intérêts de votre propre industrie. Ainsi, défendez l’importation indirecte des cotons bruts, prescrivez l’importation directe par navires nationaux, à l’instant même, vous aurez la réclamation universelle de la fabrique de coton, parce qu’elle n’aura plus la matière première à un prix aussi bas qu’aujourd’hui. Il est encore d’autres objets sur lesquels les mêmes réclamations s’élèveraient.
Il est d’autres articles dont on fait un commerce qu’on a déjà qualifié d’interlope ; eh bien, si vous rendez l’importation de ces articles trop difficiles, vous perdez encore cette branche de commerce. Si donc l’on veut faciliter l’importation directe, il faut procéder avec précaution, pour ne pas porter atteinte à des intérêts industriels ou commerciaux.
Mais déjà, dit-on, le gouvernement s’est mis dans l’impossibilité de rien faire en faveur des provenances directs et l’on a cité le traité qui a été fait avec la France et la Turquie, c’est là une véritable erreur : le traité qui a été fait avec la France n’aura aucune influence défavorable sur les mesures qu’on voudra adopter ultérieurement, je le priverai lorsque ce traité sera mis en discussion. Mais un des grands avantages de ce traité, c’est de nous fournir un débouché beaucoup plus facile, attendu que, dans plusieurs ports de France, il y a des expéditions régulières, fréquentes, qui peuvent se charger du transport de nos marchandises, en attendant que dans nos propres ports il y ait des expéditions suffisamment fréquentes et régulières.
Quant au traité qui a été conclu avec la Turquie, ce ne serait pas les navires de cette nation qui viendraient nous faire concurrence ; je crois que ce traité est à l’abri de toute critique et jusqu’à présent je n’ai entendu aucune réclamation à son égard.
Le traité avec la Sardaigne, celui qui se négocie avec la Grèce et ceux avec la France et la Turquie, s’ils sont ratifiés, complèteront un système de navigation vers la Méditerranée et le Levant. On peut en attendre de très bons résultats, et c’est pour ce motif que je demanderai la discussion prochaine du projet de loi relatif aux traités avec la France et la Turquie.
M. Pirmez – MM. Cools, Delehaye et d’autres orateurs ont déjà démontré combien le combat de la concurrence était grand entre les industriels ; ils ont fait sentir qu’on ne pouvait guère accorder un encouragement à l’un, sans abattre l’autre.
Je n’ai pas bien compris quelles sortes d’encouragement le ministre entend donner. Il a parlé d’envoyer dans les pays étrangers ; je ne puis qu’approuver un tel emploi de fonds ; mais je pense que le crédit aurait été placé tout aussi bien dans le budget des affaires étrangères que dans celui du commerce.
C’est un fonds qui s’applique à la généralité de la nation ; il est destiné à opérer des échanges ; il ne peut jamais que produire un très bon résultat.
Mais je n’ai pas compris quelles étaient les autres faveurs que le ministre allait donner à l’industrie. Je m’imagine que ce sont des primes d’exportation ; quelque dénomination que vous employiez, dès que vous devez prendre des fonds dans la caisse de l’Etat pour expédier des marchandises au dehors, il est certain que c’est une exportation avec prime, et que vous ne pouvez donner cette prime sans abattre une autre industrie qui fait les mêmes produits, ou des produits similaires.
M. le ministre a aussi parlé de la navigation à New York, dans laquelle il croit pouvoir trouver un remède aux maux dont on dit que l’industrie est affligée. J’engage beaucoup le ministre à y réfléchir, avant de mettre à exécution un pareil remède. Car dès qu’il y a une opération quelque peu profitable, vous voyez sur-le-champ les capitaux qui s’y portent pour l’exploiter. Je suis donc persuadé que si le moyen utilisé par M. le ministre avait dû procurer des bénéfices, des particuliers s’en seraient emparés.
L’honorable M. Cools a dit aussi que le gouvernement devrait donner directement des fonds à une société de commerce, afin qu’elle exportât les produits des industriels. Pour moi, je ne vois par quel avantage il y aurait à donner ces fonds à une société de commerce ; la société donnera des fonds à des individus ; or, que ces individus reçoivent l’argent du gouvernement ou de celles de la société, je crois que cela revient à peu près au même.
On a parlé de la crise commerciale. Messieurs, je ne sais pas trop ce qu’on entend par ce mot de « crise commerciale ». Si c’est une crise, elle ne doit certes pas durer toujours. Je me figure qu’une crise commerciale est une difficulté d’échange entre divers pays. Mais quant à une crise industrielle, à une souffrance industrielle, je suis fâché de le dire, je crois que cette souffrance est une souffrance permanente, inhérente à l’industrie.
L’honorable M. Delehaye a raison de dire qu’on ne devait pas porter au budget des fonds en faveur d’individus industriels. Il a prononcé sans doute ces paroles pour développer la pensée, que de pareilles faveurs abattent naturellement les concurrents de ces industriels ; mais je ne vois pas que le remède qu’il a indiqué, et qui consiste dans l’élévation des tarifs soit convenable, parce que évidemment, avec l’élévation des tarifs, vous en reviendrez bientôt à porter de pareils encouragements au budget.
Si jamais vous pouviez donner le marché du pays aux producteurs nationaux, dans peu de temps le mal, la crise, deviendrait ardente en proportion de nouvelles manufactures qui se créeraient.
La concurrence les créerait infailliblement, mais la concurrence produite par ces lois ne créerait pas l’habilité ; ces lois n’ont pas ce privilège-là, c’est alors que le mal serait grand ; et si le système prohibitif triomphe, vous le verrez.
On a accusé le gouvernement de beaucoup de choses dont il n’est pas coupable. Il y a des maux qui sont dans la nature, et le gouvernement sans doute ne peut pas parer à certains maux. Par exemple, il n’est pas en son pouvoir, ni au pouvoir d’aucune puissance humaine, de parer aux maux qui affligent et qui affligeront toujours l’industrie, si elle demeure telle que notre situation sociale l’a faite.
Il est une question importante, c’est celle de savoir si l’on doit pousser à la production des choses. D’après ce qui s’est passé sous vos yeux depuis quelques années, je pense que nous ne le devons pas.
N’est-on pas frappé de l’excessive facilité qu’il y a de produire les choses ? A part les substances alimentaires qui portent avec elles le privilège de créer leurs consommateurs, toutes les autres choses peuvent être produites en bien plus grande quantité qu’on ne peut en consommer ou les échanger profitablement : c’est-à-dire retrouver le prix de la peine qu’elle ont coûté. On nous accuse souvent de théorie dans ces matières ; mais jamais petite nation n’a eu sous les yeux une démonstration plus complète que la Belgique, de la facilité de produire les choses, et de la difficulté d’échanger ces choses d’une manière avantageuse, que celle que nous avons eue depuis quelques années.
Aussi vous avez vu la Belgique se couvrir d’un grand nombre de manufactures et ces établissements ont été élevés avec la plus grande facilité. Mais vous sentez bien qu’il n’est pas aussi facile d’échanger avantageusement les produits de ces manufactures.
Mais je suppose que toutes les manufactures de la Belgique pourraient échanger avantageusement leurs produits, nous sentons-nous pas que nous avons la puissance de doubler encore le nombre des manufactures sans avoir la même certitude de doubler la vente des produits.
Par exemple, si chacun de nous a le capital nécessaire, ne sent-il pas qu’il a la faculté, le pouvoir, la puissance de créer des produits ; que rien au monde n’est plus facile, mais que la difficulté consiste à recevoir le prix de la peine qu’ils ont coûté.
Si la nation belge le voulait absolument, elle quadruplerait le nombre des manufactures, elle le décuplerait peut-être ; elle en a la puissance ; mais ce qui est au-dessus de toutes les puissances du monde, c’est de faire qu’elle reçoive une valeur égale à celle qu’elle aurait détruite dans cette opération.
Il est inutile de dire pourquoi il y a une si grande disproportion entre ces deux forces ; car vous touchez cette vérité de la main. Ce qui s’est passé depuis quelques années en est la démonstration.
Messieurs, cette question-là demande qu’on y réfléchisse beaucoup ; c’est depuis 50 ans que la grande liberté d’agir existe. Si vous remontez au-delà de 50 ans, vous trouvez les jurandes, les corporations, et dans ces 50 ans, il y a eu 20 ans de guerre ; depuis la paix, les productions se bornent à une concurrence acharnée. C’est une guerre cruelle qu’ils se font ; quand la société doit intervenir dans un pareil combat où une infinité de combattants tombent dans l’abîme, la puissance sociale doit agir avec la plus grande précaution, car chacun de ses actes qui soutient un combattant doit en faire tomber un autre, à cause de la faillite de produire et de la difficulté de recevoir le prix de la production.
J’aurais désiré pouvoir traiter cette question plus au long, mais je ne pensais pas qu’on se serait occupé de cette matière aujourd’hui.
Je crois que l’on ne doit accorder que le chiffre primitivement demandé, à moins que le ministre n’en démontre, autrement qu’il ne l’a fait, la nécessité.
- La discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.