(Moniteur belge n°321 du 17 novembre 1839)
(Présidence de M. Vanderbelen, doyen d’âge)
M. de Villegas procède à l’appel nominal à une heure.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
- M. Puissant, admis comme membre de la chambre dans une séance précédente, prête serment.
M. Maertens, au nom de la première commission, propose l’admission de M. Lesoinne, élu par le district de Liége, et qui, depuis le dernier rapport, a fait parvenir à la commission les pièces constatant ses droits à l’éligibilité.
Les conclusions sont adoptées ; en conséquence, M. Lesoinne est proclamé membre de la chambre.
M. Brabant – Messieurs, dans une de vos dernières séances, vous avez ajourné l’admission de deux députés élus par le district de Gand, par le motif que trois électeurs ne se trouvaient pas inscrits sur la liste déposée au bureau où il ont pris part au vote ; vous avez ordonné que la liste officielle fût représentée ; cette liste a été transmise ce matin au bureau par M. le ministre de l'ntérieur et il en résulte que les trois électeurs dont il s’agit avaient droit de voter. En conséquence, toutes les opérations ayant été trouvées régulières, votre commission a l’honneur de vous proposer l’admission de MM. de Potter et Manilius. M. de Potter a justifié par son extrait de naissance qu’il est né en Belgique l’an VII de la république, et que par conséquent il possède les qualités requises pour être éligible.
- Les conclusions de la commission sont adoptées ; en conséquence, MM. de Potter et Manilius sont proclamés membres de la chambre.
M. Manilius, seul présent, prête serment.
M. le président – Dans la séance d’hier, M. Duvivier a proposé de charger la commission de nous faire parvenir un rapport sur la question qui a été soulevée relativement à l’élection de Termonde.
M. Liedts – Y a-t-il une proposition déposée ?
M. Duvivier – J’ai demandé que les pièces fussent renvoyées à la commission pour qu’elle nous dise ce qu’elle croit que nous ayons de mieux à faire par suite du vote que nous avons émis dans la séance d’hier relativement aux élections de Termonde. Il m’a paru que la plupart des membres de la chambre appuyaient cette proposition ; je la renouvelle, par conséquent, pour qu’il y soit donné suite ; à moins qu’on ne préfère passer immédiatement à la discussion. C’est comme la chambre le jugera à propos.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il est certain, messieurs, qu’une question est restée indécise hier ; on s’est demandé quelle était l’autorité compétente pour décider cette question ; je demande à la chambre la permission d’appeler un moment son attention sur ce point. Il est évident que le gouvernement n’est pas compétent pour décider la question dont il s’agit, et que la chambre seule a le droit de prendre une décision à cet égard. C’est ce qui résulte, de la manière la plus formelle, de l’article 34 de la constitution, dont je vais vous donner lecture :
« Chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet. »
Rien donc n’est plus positif que la compétence de la chambre ; il y a nécessité absolue que la contestation dont il s’agit (je me sers du terme de la constitution), que la contestation dont il s’agit soit décidée par la chambre elle-même.
M. Dumortier – Je suis d’accord avec l’honorable ministre des travaux publics, que la chambre doit examiner la question et que le ministère ne peut rien décider à cet égard. Mais faut-il que la question soit renvoyée à la commission ? Je ne le pense pas ; évidemment la question est trop simple pour que nous ayons besoin d’un rapport pour l’examiner. Une motion a été faite par l’honorable M. Dechamps, je crois qu’il n’y a rien de mieux à faire que de la discuter immédiatement.
M. de Brouckere – J’en ai grand regret, messieurs, mais je suis d’une opinion diamétralement opposée à celle de l’honorable préopinant. Je crois, moi, que la chambre ne peut jamais décider d’une manière règlementaire comment doit procéder tel ou tel collège électoral dans tel ou tel cas spécial ; la chambre ne connaît que des élections faites, elle approuve ou annule des opérations achevées, elle ne peut en aucun cas donner des ordres ou des instructions à tel ou tel collège électoral : ce serait là transférer le gouvernement et l’administration dans la chambre. L’élection qui doit avoir lieu à Termonde se fera suivant les lois, et lorsqu’elle sera faite, si nous jugeons qu’elle n’a pas eu lieu conformément aux lois, nous l’annulerons ; c’est là la seule marche à suivre.
Toutefois, puisqu’on demande le renvoi de la proposition à une commission, je ne m’y oppose pas ; qu’on renvoie la question à une commission, cette commission examinera si la chambre est compétente ou non, et quand elle nous fera son rapport, nous serons encore entiers, nous, pour décider de notre compétence ou de notre incompétence. Ce qu’il y a donc de mieux à faire aujourd’hui pour ne pas perdre notre temps, c’est de renvoyer la proposition à une commission ; nous verrons quel sera son rapport, et il est possible qu’alors la discussion soit beaucoup simplifiée.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’appuie également le renvoi à une commission ; cette commission examinera la double question de savoir s’il y a lieu de faire une proposition, et, en ce cas, quelle doit être cette proposition. (Aux voix ! aux voix !)
- Le renvoi à une commission est mis aux voix et adopté.
M. de Brouckere – Messieurs, je désire beaucoup que l’élection de Bastogne puisse être validée, mais j’ai regret que M. le rapporteur, en nous rendant compte des opérations de l’élection de Bastogne, ait posé des principes que je ne puis en aucune manière admettre. Je passe sur tous les griefs allégués contre l’élection pour ne m’occuper que d’un seul point, celui qui concerne les listes électorales.
L’on a prétendu que sur les listes électorales du district de Bastogne, on avait porté un certain nombre d’individus ne payant pas le cens voulu pour être électeur. Si le fait est vrai, il est incontestable qu’il faudra déclarer que la personne que le collège électoral a déclarée élue, a été élue par des individus n’ayant pas droit à concourir à l’élection ; il ne faudrait pour cela que s’en référer à la constitution qui proclame qu’il n’y a d’électeurs que ceux qui paient le cens voulu par la loi.
On a semblé vous dire, messieurs, que du moment où les listes n’avaient pas été attaquées en temps opportun par les ayants droit, par cela même les personnes portées, même indûment, sur la liste électorale devaient être regardées comme ayant eu la capacité de voter.
En un mot, l’on vous a insinué dans le rapport que la chambre n’avait pas le droit de connaître de la composition des listes électorales. Il est bien vrai qu’on a quelque peu modifié cette assertion, en vous disant que si on venait prouver d’une manière positive qu’un individu porté sur la liste électorale ne paye pas le cens, alors peut-être la chambre pourrait-elle annuler l’élection. Mais on vous a dit aussi : c’est un fait négatif à prouver, il faudrait prouver qu’un tel individu ne paye pas le cens ; or, a-t-on ajouté, cela est presque impossible. Mais messieurs, non seulement cela n’est pas impossible, mais je soutiens que la chose est extrêmement facile, là où l’on agit régulièrement. Je vais vous le prouver.
Voici ce que porte l’article 8 de la loi électorale :
« Lesdites administrations arrêteront les listes et les feront afficher pour le premier dimanche suivant. Elles resteront affichées pendant 10 jours. Cette affiche contiendra invitation aux citoyens qui payent le cens requis dans d’autres communes, d’en justifier à l’autorité locale, dans le délai de quinze jours, à partie de la date de l’affiche, qui devra indiquer le jour où ce délai expire.
« La liste contiendra, en regard du nom de chaque individu inscrit, la date de sa naissance et l’indication du lieu où il paye des contributions directes ou déléguées, jusqu’à concurrence du cens électoral…. »
Pourquoi la loi ordonne-t-elle que les listes portent l’indication du lieu où l’on paye les contributions propres ou déléguées ? mais c’est précisément pour que la vérification puisse être faite, de telle manière que si à Bastogne on s’était conformé au prescrit bien positif de la seconde disposition de l’article 8 toutes les listes porteraient indication du lieu où les électeurs payent le cens voulu ; c’est ce qu’on n’a pas fait à Bastogne. J’ai une liste sous les yeux, où l’on y indique seulement que tels individus payent le cens, sans dire où ils payent ce sens, de sorte qu’on a réellement rendu la vérification très difficile ; mais c’est par le fait des autorités de Bastogne.
Messieurs, je vous prie de remarquer que la question que j’agite, est la question la plus importante qui se puisse agiter en matière électorale. Si vous veniez à consacrer d’une manière quelconque par votre vote que les listes une fois formées, et n’ayant pas été l’objet d’aucune réclamation devant l’autorité administrative dans le temps voulu ; que ces listes, dis-je, doivent être regardées comme faisant foi devant vous, savez-vous ce qui en résulterait ? C’est que du jour où vous auriez dans un district quelconque une autorité supérieure qui voulût abuser de son pouvoir, elle ferait, par l’intermédiaire de quelques bourgmestres complaisants, porter sur la liste électorale tels individus qu’il lui plairait, sans que ces individus pussent justifier du cens voulu par la loi.
Mais on va me répondre tout d’abord que cette autorité supérieure, que ces bourgmestres perdraient leur peine, car tout électeur peut réclamer ; oui, messieurs, tout électeur peut réclamer ; mais commet peut-il faire sa réclamation ? la loi vous le dit : en se mettant personnellement en cause et en faisant faire à l’individu dont on veut obtenir la radiation, une signification par huissier. Or, je vous en prie, messieurs, consultez-vous vous-mêmes, et demandez-vous lequel d’entre vous, lorsqu’il aura vu un habitant de la même commune porté indûment sur les listes électorales, voudra se mettre personnellement en cause contre cet individu, et lui faire une signification par huissier, afin d’obtenir sa radiation de la liste électorale ; vous comprenez bien que, hors quelques cas exceptionnels, personne ne voudra jouer ce rôle, qu’on ne fera pas faire cette signification par huissier, et que l’individu porté indûment sur la liste électorale y restera.
De là, messieurs, la conséquence que la chambre doit nécessairement être en droit d’examiner les listes électorales, et de s’assurer que l’on n’a pas porté sur la liste d’individus ne payant pas le cens.
Messieurs, ce n’est pas d’aujourd’hui que je soutiens cette opinion, ce n’est pas d’aujourd’hui que le cas s’est présenté ; en 1837, à l’occasion de l’élection de M. Corneli, j’ai soutenu les mêmes principes qui sont, paraît-il, les véritables : c’est que la chambre doit connaître des listes ; quand par une protestation on lui fait connaître qu’on a porté sur les listes électorales des individus ne payant pas le cens, la chambre doit pouvoir déclarer l’élection nulle, attendu que celui qu’on a proclamé député n’a pas été élu par des électeurs.
Messieurs, il fallait que j’attachasse une bien haute importance à la question dont je viens de vous entretenir, pour que j’y prisse fait et cause ; car l’individu élu à Bastogne, je désire le voir siéger dans cette chambre, et vous n’aurez pas de peine à le croire, messieurs, lorsque je vous rappellerai que c’est le frère d’un de nos honorables collègues, d’un de mes anciens amis, le frère d’un homme qui a presque toujours voté dans le même sens que moi ; et je le connais assez pour savoir que les opinions de l’élu ressemblent fort au miennes, de manière que je désire que l’honorable M. d’Hoffschmidt siège dans cette enceinte ; mais je ne voudrais pas qu’il y siégeât au prix de la consécration d’un principe qui, s’il était admis, pourrait nous amener à voir la représentation nationale faussée ; car du jour où vous auriez admis par un vote que les listes ne doivent pas être examinées par la chambre, vous mettriez les électeurs à la disposition du pouvoir ; je dis que de ce jour le pouvoir pourra en abuser, formera les listes comme bon lui semblera, et si on réclame, alors l’on invoquera le précédent que vous auriez posé, à savoir que vous ne pouvez examiner les listes, que les listes sont permanentes, et que les individus portés sur ces listes doivent être reconnu comme bons et valables électeurs.
Jamais je ne pourrai admettre un semblable principe, et je le combattrai, quoi qu’il m’en doive coûter, dussé-je même sacrifier l’élection d’une personne avec laquelle je suis intimement lié.
M. Milcamps – Messieurs, la lecture du rapport, extrêmement précis et clair, fait par notre collègue M. Liedts, sur les opérations électorales de Bastogne, nous a appris que cinq moyens sont mis en avant pour faire annuler les opérations.
Le premier est pris de ce que quatre personnes mortes étaient comprises dans la liste des votants et que des intrus ont voté sous leur nom.
Le second est pris de ce que deux électeurs portés sur la liste des votants étaient absents au moment du vote et se sont fait remplacés l’un par son fils, l’autre par son frère.
Le troisième moyen est tiré de ce que beaucoup d’électeurs ont été omis sur les listes quoique payant le cens.
Le quatrième moyen consiste en ce que dans la commune de Limerlé la liste des électeurs n’a pas été affichée conformément à la loi.
Enfin le cinquième moyen est pris de ce qu’un grand nombre d’électeurs portés sur les listes d’inscription ont voté quoique ne payant point le cens fixé par la loi.
Il résulte des faits contenus dans le rapport, et des conséquences qu’on a en a tirées, que les quatre premiers moyens sont dénués de toute espèce de fondement pour faire annuler l’élection.
En effet, messieurs, ni le premier, ni le second, en supposant prouvé les faits sur lesquels ils reposent, ne déplaceront pas la majorité absolue obtenue par M. d’Hoffschmidt et dès lors il est inutile de s’y arrêter. C’est votre jurisprudence constante.
Le troisième moyen n’a pas été pris au sérieux par la commission et il devait en être ainsi. Si des individus payant le cens ne sont pas portés sur les listes des votants, c’est leur faute ; ils n’avaient qu’à réclamer en temps et lieu.
Le quatrième moyen tombe devant la production de la listes des électeurs de Limerlé, au bas de laquelle l’autorité locale compétente atteste qu’elle a été affichée pendant 10 jours, conformément à la loi.
Reste le cinquième moyen consistant, comme nous n’avons dit, en ce que plusieurs électeurs portés sur les listes des votants auraient pris part au vote quoiqu’ils ne payassent pas le cens.
Ce cinquième moyen, messieurs, n’a trouvé faveur que dans une très faible majorité de votre commission ; la forte majorité, quelle que fût la sympathie pour un ancien collègue, concurrent de l’élu, n’a pu admettre ce moyen comme viciant l’élection de Bastogne.
Aujourd’hui un orateur s’empare de ce moyen, et c’est le seul auquel il s’attache, pour prétendre, non pas dans la vue d’annuler l’élection de M. d’Hoffschmidt qu’il désire voir siéger, mais comme question de principe, que s’il était prouvé que des électeurs en nombre suffisant pour déplacer la majorité avaient pris part au vote, alors qu’ils étaient portés sur les listes, mais ne payaient pas le cens, l’élection serait nulle.
La majorité de votre commission n’a pas été touchée de cette objection faite dans son sein, et elle n’y a eu aucun égard, du moins en tant qu’on voulût l’appliquer à la question de l’élu de Bastogne.
Nous pensons, messieurs, que vous partagerez l’opinion de votre commission.
Toutefois, comme membre de la commission, je tiens à présenter de nouvelles considérations à cet égard ; elles serviront en même temps à réfuter les moyens de l’orateur auquel je réponds.
Le premier principe posé dans la loi électorale, c’est que pour être électeur, il faut : 1° être Belge, 2° être âgé de 25 ans ; 3° payer le cens déterminé (article 1er.)
La loi détermine ensuite de quelle manière seront formées les listes.
La liste des électeurs est permanente, sauf les radiations et inscriptions qui peuvent avoir lieu lors de la révision annuelle. (Article 6).
La révision a lieu tous les ans du 1er au 15 avril (Article 7).
Les administrations arrêteront les listes et les feront afficher pour le premier dimanche et pendant dix jours, avec invitation aux citoyens de justifier qu’ils paient le cens dans d’autres communes.
La liste contiendra en regard du nom de chaque individu inscrit la date de sa naissance et l’indication du lieu où il paie ses contributions.
S’il y a des réclamations auxquelles l’administration refuse de faire droit, les réclamants pourront se pourvoir à la députation (Article 8).
Un double de la liste reste à la secrétairerie communale, où chacun peut en prendre inspection (Article 9).
Tout individu indûment inscrit, omis, rayé ou autrement lésé, dont la réclamation n’aurait pas été admise par l’administration communale, pourra s’adresser à la députation permanente.
De même tout individu jouissant des droits civils et politiques pourra réclamer contre chaque inscription indue ; dans ce cas le réclamation doit notifier sa réclamation à la partie intéressée qui a dix jours pour y répondre (Article 12).
La députation statue dans les 5 jours (Article 13).
Un recours est ouvert en cassation contre la décision de la députation (Article 14).
Après tant et de minutieuses précautions de la loi pour s’assurer que les listes ne contiendront que les noms de véritables électeurs ; après que les députations des états et la cour de cassation sont appelés à rectifier les inscriptions indues (que l’article 12 de la loi suppose pouvoir exister, puisqu’il appelle la députation à en décider en premier ressort, après avoir entendu la partie intéressée), on a peine à concevoir que de bons esprits n’y trouvent pas encore assez de garantie pour la capacité des électeurs ; et qu’il faille encore qu’un pouvoir supérieur, la chambre, en un mot, se constituant juge pour les enquêtes, soit appelée à s’assurer, en effet, que ceux qui ont voté dans une élection n’ont pas la capacité nécessaire bien qu’ils soient inscrits sur les listes, bien qu’ils n’en puissent être rayés durant la permanence des listes, bien que, portés sur les listes, nul ne peut les empêcher d’exercer leur droit politique lors des élections. Je l’avoue, messieurs, je ne saurais penser que la chambre soit appelée à une pareille mission.
Sans doute, pour pouvoir être électeur et voter, il faut être Belge, il faut payer le cens fixé par la loi ; nous ne disons pas le contraire, mais nous disons que l’inscription d’un individu sur la liste des électeurs par l’administration communale, et après que les listes ont été affichées, arrêtées et envoyées à la députation, et, s’il n’y a pas réclamation, aux termes de l’article 12 de la loi, cette inscription établit en faveur de l’inscrit une présomption légale qu’il réunissait, lors de l’inscription, toutes les conditions qui constituaient l’électeur ; qu’il n’en peut être radié que lors de la révision annuelle des listes, et encore faut-il qu’il soit averti de cette radiation pour qu’il soit à portée de réclamer. Sans cela la permanence des listes est un non-sens.
Dans notre opinion, après la formation des listes, après qu’elles ont été arrêtées et affichées, après que les délais des réclamations auprès de l’administration communale soit expirés, après que le recours protecteur du droit politique auprès de la députation ou de la cour de cassation est épuisé, la loi ne concède plus à personne le droit d’éliminer tardivement de la liste un citoyen qui n’a pas été à portée de réclamer dans les délais fixés. Chaque inscrit a acquis le droit de vote. La liste est permanente ; il ne peut y être apporté de changement que lors de la révision annuelle. Il y a pour chaque inscrit droit acquis, c’est ce qui a été jugé en France.
Le système contraire aurait des conséquences absurdes. Le rapporteur de votre commission les a fait suffisamment ressortir. Mais je dois insister à cet égard.
Quelle est la réclamation ? C’est que vous annuliez l’élection de Bastogne parce qu’un grand nombre d’électeurs ont été inscrits sur les listes sans payer le cens et ont voté. Pour prouver qu’ils ne paient pas le cens, on produit des certificats du receveur des contributions de la commune de leur domicile, desquels il résulte qu’ils ne versent pas, du chef des contributions de cette commune, le cens fixé. Mais la loi admet, pour fixer le cens, les contributions que l’on paie dans d’autres communes ; ainsi des certificats du receveur des contributions de la commune du domicile de l’inscrit ne prouve absolument rien. Il prouve d’autant moins que dans l’espèce ce certificat constate de non contributions pour 1839, tandis que les listes ont été faites et dû être faites d’après les contributions de 1838. Il n’y a donc pas lieu à avoir égard à cette réclamation. Telles ont été les conclusions de la commission.
Maintenant, l’orateur auquel je réponds, entend-il que, par cela seul qu’on pose en fait que les inscrits ne paient pas le cens, il y a lieu d’ordonner une enquête pour vérifier le fait. Le rapporteur de la commission a prévu votre objection. Qui chargerez-vous de l’enquête ? Le ministre ? mais à qui s’adressera-t-il ? à l’autorité qui a arrêté la liste ? Mais cette autorité ne verra dans l’enquête qu’une suspicion de son action administrative, une injure ; elle ne répondra pas. A l’électeur, qu’on prétend indûment inscrit ? mais lui répondra qu’il n’a aucune justification à faire, qu’il justifiera de son droit quand on le lui contestera par les voies légales ; et s’il a voté contre l’élu, il se gardera bien de faire la justification qu’on lui demandera. Ce sera donc aux auteurs de la requête, et ceux-là sans doute devront bien produire des certificats négatifs des receveurs des contributions de toutes les communes du royaume. Voilà, messieurs, les conséquences du système de ceux qui soutiennent, de ce chef, la nullité de l’élection de Bastogne.
Je conçois, messieurs, que la chambre annule des opérations électorales où des individus auraient voté sans être inscrits sur la liste, comme un fils qui aurait répondu à l’appel et voté pour son père, un frère pour son frère : de pareils votes, si le nombre en était suffisant pour déplacer la majorité, devraient entraîner la nullité de l’élection. Pourquoi ? parce que la chambre, d’après l’article 40 de la loi, prononce sur la validité des opérations des assemblées électorales ; elle est compétente pour apprécier les faits passés dans l’assemblée. Si on lui prouve que dans telle assemblée des intrus ont voté ; si on lui prouve que la loi y a été violée, elle annule ; c’est sa compétence, c’est son droit.
Sans doute, la chambre, lorsqu’elle est convaincue que l’élu n’est pas l’expression du vœu de la majorité des électeurs, qu’on peut soupçonner de fraude les opérations électorales, la chambre, dis-je, remplissant les fonctions de jury, ne devant compte à personne de ses décisions, ce qu’elle fait, soit qu’elle confirme, soit qu’elle annule une élection, demeure stable ; mais ce grand pouvoir que la constitution et la loi lui donnent, elle ne doit l’exercer que selon les principes et les règles de la justice ; c'est elle surtout qui doit donner l’exemple du respect pour les lois ; or, dans mon opinion, l’inscription sur la liste des votants établit la présomption légale de sa capacité. Je pense donc qu’il n’y a aucun doute sur la validité de l’élection de l’élu de Bastogne. Et tel sera mon vote.
M. de Brouckere – Messieurs, l’honorable préopinant est tombé dans une méprise à mon égard, il a cru que j’avais demandé l’annulation de l’élection de Bastogne ; je n’en ai rien fait, je commence par dire que si on veut valider l’élection, sans reconnaître le principe que j’ai combattu, je ne demande pas mieux, je désir que l’élection soit valide, comme je l’ai désiré dans le temps pour l’élection de M. Corneli.
Mais j’ai dit que M. le rapporteur a exposé dans son rapport des principes que je ne puis pas admettre ; je le répète donc, si l’on veut valider l’élection, sans reconnaître ces principes, je le veux bien, mais si on ne le peut pas, il faut faire une enquête.
Après avoir prouvé d’une manière péremptoire, selon moi que les principes que j’ai défendus sont les véritables principes en matière électorale, je ne sais si j’ai besoin de dire que ces principes ont été soutenus par la plupart des orateurs qui se mêlent à nos discussions, par MM. Dubus, Dumortier, Doignon et d’autres.
Je le répète, en terminant, ne consacrons pas, messieurs, de principes faux ; sinon, on viendra, l’année prochaine, les années suivantes, invoquer la décision d’aujourd’hui comme un antécédent.
M. Liedts – Vous voyez, messieurs, que l’honorable représentant de Bruxelles n’attaque pas les conclusions de la commission à raison des faits sur lesquels elle s’est basée, mais à raison des principes énoncés dans le rapport. Je regrette que notre honorable collègue n’ai pas le Moniteur sous les yeux.
M. de Brouckere – Je l’ai.
M. Liedts – Dans ce cas, je ferai remarquer que les principes qu’il croit trouver dans le rapport n’y sont pas ; il croit y trouver que je pose en principe absolu que jamais la chambre n’a le droit d’examiner la qualité des électeurs portés sur les listes. J’ai dit uniquement, restreignant la question au cas dont il s’agit, que quelques membres dans la commission avaient pensé qu’une fois les délais prescrits pour protester contre une inscription expirés, qu’une fois que les formalités n’ont pas été accomplies, on ne peut plus s’adresser à la chambre pour demander l’annulation d’une élection, sous le prétexte que des électeurs ont été indûment inscrits. Et je me suis hâté de dire qu’il était inutile d’examiner cette question, la commission n’ayant pas trouvé dans les pièces la preuve des faits qui la soulèvent. De sorte que la chambre, validant l’élection conformément aux conclusions de la commission, ne consacrera aucun principe qui la lie.
Je bornerai là mes observations quant à présent, me réservant de répondre aux orateurs qui pourront prendre la parole.
M. Desmet – On nous a dit que ce n’était pas à la chambre à redresser les listes électorales quand les réclamations n’avaient pas été faites en temps. Mais que dit l’article 34 de la constitution ? Que les contestations en matière d’élection seront portées à la chambre et jugées par elle. Cet article ne fait pas de distinction. Or, je demande si la liste des électeurs qui a été affichée était bien régulière, si elle contenait l’indication du lieu où l’électeur payait ses contributions. On m’a assuré qu’elle ne contenait pas cette indication ; si cela est, c’est une irrégularité qui entache l’élection ; je pense qu’il y a lieu de prendre des informations auprès de l’administration
M. de Langhe – Je conviens que le rapport de la commission ne décide pas les principes en contestation. Mais il dit que la preuve de la non publication des listes n’a pas été faite ; et qu’une simple allégation ne suffisait pas. Cependant si le fait est de notoriété publique, on ne peut le prouver que par allégation. Or, plusieurs électeurs prétendent que les listes n’ont pas été affichées. S’il en est ainsi, personne n’a pu réclamer contre les inscriptions indues, parce qu’on n’avait pas connaissance des irrégularités.
Dans quelques communes du canton de Bastogne, les listes ne portaient pas l’indication de l’endroit où les électeurs payaient leurs contributions. Dans les communes où l’on opère régulièrement cette indication se fait.
Dans la commune que j’habite, je ne paie pas le cens électoral. Comme il est de notoriété publique que je le paie dans d’autres communes, j’ai été porté d’office sur la liste, mais on m’a invité à indiqué une commune où je paie le cens. J’ai indiqué une commune et la cote que j’y payais. Ces deux indications se trouvent sur la liste électorale , dans les colonnes à ce destinées. Toutes les listes doivent avoir été faites sur le même modèle, et si, dans le canton de Bastogne, on a laissé ces colonnes en blanc, il y a lieu de faire une enquête pour s’assurer si réellement les électeurs dont on conteste le droit payaient le cens dans d’autres communes.
M. Liedts – Messieurs, je regrette de devoir prendre une seconde fois la parole, la chambre me paraissant impatiente de procéder à une autre opération. Mais je ne puis m’empêcher de répondre aux honorable préopinants.
Celui qui a parlé le dernier a dit qu’à Limerlé, l’affiche de la liste électorale n’avait pas eu lieu et que la commission se borne à dire que le défaut de publication n’est pas prouvé, qu’il ne résulte que de simples allégations. La commission dit-il, a tort de répudier cette preuve, parce que la notoriété publique ne consiste qu’en allégations, sauf à ordonner une enquête.
Ce n’est pas ainsi que la commission a procédé. Elle s’est fait produire la liste de cette commune, et nous avons trouvé au bas la mention officielle de la part du bourgmestre et du secrétaire de la commune portant : « La présente liste a été arrêté par l’administration communale pour être publiée et affichée.
« Les citoyens qui seraient admis du chef d’impositions payées dans d’autres communes, sont invités à justifier de leurs droits à l’inscription dans le délai de quinze jours à partir du 19 avril jusqu’au 4 mai prochain. Signé Parmentier, bourgmestre, et Boulanger, secrétaire.
« L’administration certifie que la présente liste a été publiée et affichée pendant 10 jours, depuis le 19 avril jusqu’au 1er mai, et qu’aucune réclamation ne nous a été présentée. »
Nous avons dit qu’en présence d’une pareille attestation, il ne suffisait pas d’une allégation contraire pour l’infirmer. En effet, beaucoup de personnes peuvent n’avoir pas eu connaissance du fait, bien qu’il eût eu lieu. Une négation de cette nature répétée cent mille fois ne peut pas détruire une affirmation en pareil cas.
Pour ce qui concerne l’interpellation qui m’a été adressée, je répondrai qu’en effet, dans tout le Luxembourg, les listes électorales n’indiquent pas l’endroit où l’on paye les contributions ; mais je vous ferai remarquer qu’à la fin de chaque liste doit se trouver l’avis que les personnes non portées et qui croient avoir le droit de l’être parce qu’ils payent le cens dans une autre commune, sont invitées à se faire connaître et à justifier de leurs droits. Ces listes ne comprennent que les noms de ceux qui paient le cens dans la commune.
Si on veut rentrer dans la discussion des faits, je suis tout prêt à suivre les orateurs qui voudront le faire. Mais je croyais que cette question était vidée. Je bornerai là, pour le moment, mes observations.
M. de Brouckere – En réalité, messieurs, il s’agit moins d’une question de faits que d’une question de principes. Je ne m’occuperai que des principes, sauf à toucher les faits quand mon argumentation le rendra nécessaire. Voilà la partie du rapport que je ne veux pas voir passer comme chose vraie, exacte. C’est celle où on considère que quand un individu est porté sur la liste des électeurs, la présomption est que c’est avec raison, et que pour qu’il soit reconnu que c’est à tort, il faut que l’on fasse la preuve qu’il n’a pas le droit d’y figurer. Or, ajoute le rapporteur, cette preuve est pour ainsi dire impossible. Je réponds à l’honorable rapporteur qu’il est tombé dans une erreur. La preuve est facile là où l’on opère régulièrement. La loi a prévu cette difficulté, puisque sur les listes électorales il y a une colonne où l’on mentionne la commune où l’électeur inscrit paie le cens.
Rien n’est plus facile que de vérifier le droit de l’électeur, puisqu’on n’a qu’à se transporter dans la commune où l’on dit qu’il paie ses contributions. Mais quand on a omis de faire cette indication il n’y a plus de garantie ; les bourgmestres peuvent porter sur les listes les individus qu’ils veulent, il n’y a aucune vérification possible, l’administration est maîtresse des élections, car elle portera qui elle voudra, et quand on réclamera contre une inscription, on répondra : prouvez qu’elle est indue. On ne pourra pas prouver, parce qu’on ne pourra pas se rendre dans toutes les communes pour acquérir la preuve que l’individu inscrit ne paie pas le cens, tandis qu’en indiquant la commune où les contributions sont payées, rien de plus facile que d’y aller faire la vérification.
On a oublié de faire mention de la commune où les contributions étaient payées, il n’y avait pas de vérification possible. Je ne veux pas regarder comme constant le chiffre des contributions porté sur la liste, quand la preuve est impossible.
Vous prendrez telle décision que vous voudrez, mais toujours cette discussion portera de grands fruits : à l’avenir on aura soin d’indiquer sur les listes le lieu où les contributions sont payées, et la vérification sera très facile.
Si, en votant pour l’élection de Bastogne, nous ne consacrons aucun principe, votons-la ; mais si par légèreté, ou négligence, ou pour arriver plus vite à une opération qui doit suivre votre vote, nous laissions passer les principes que je viens de combattre, la conséquence en serait très grave, car à l’avenir toutes les élections seraient faussées.
M. Liedts – L’honorable préopinant se trompe sur la nécessité d’indiquer sur la liste la commune où l’électeur inscrit paie ses contributions, pour pouvoir réclamer contre une insertion. La présomption est que chaque commune ne dresse la liste des électeurs que sur les contributions payées dans la commune. Je suppose que le duc d’Ursel soit porté à Anvers comme payant mille florins de contribution, et qu’il ne les paie pas dans la commune, pour qu’il soit dans l’obligation de prouver qu’il paie ce cens dans d’autres communes, il suffit que je prenne un certificat constatant qu’il ne le paie pas dans la commune. Si vous voyez dans une liste d’électeurs quelqu’un porté pour une somme quelconque, vous êtes en droit de protester contre son inscription, s’il ne paie pas cette somme dans la commune ; et il est alors dans l’obligation de prouver qu’il la paie dans d’autres communes. Jusqu’à preuve du contraire, il y a présomption que les électeurs inscrits le sont dûment et que la commune n’a dressé que la liste des contributions payées dans sa circonscription.
M. de Brouckere – Mais il y a des électeurs qui sont portés sur les listes et qui ne paient rien. Voyez à quel résultat vous arrivez avec des conclusions pareilles.
L’honorable M. Liedts vous dit ceci : « Quand vous voyez un individu porté sur les listes électorales, et qu’à côté de son nom ne figure pas la commune où il paie ses contributions, il y a présomption qu’il paie le cens dans la commune qu’il habite. » Eh bien, vous voyez cités dans le rapport plusieurs certificats portant que des individus inscrits sur la liste des électeurs, ne paient aucune contribution dans la commune. En admettant le raisonnement de M. Liedts, il suffirait, pour annuler une élection, de prouver que des individus inscrits sur la liste des électeurs ne paient pas le cens dans la commune ; ce qui se prouverait aisément. Mais n’admettons aucun principe ; disons qu’il n’y a pas de preuve à l’appui des réclamations et validons l’élection.
M. Lejeune – Ce que j’ai principalement à dire vient d’être dit par l’honorable M. de Brouckere : à savoir que le principe que l’inscription sur la liste des électeurs d’une commune est une présomption que l’électeur paie le cens dans la commune, tombe devant les certificats joints au procès-verbal.
Je suis loin d’admettre les principes absolus de M. Milcamps en matière d’élection. Je forme mon opinion sur les faits. Je ne voudrais pas contribuer à poser des principes qui pourraient être invoqués dans la suite. Ce serait laisser à d’autres mains le droit qu’a la chambre d’examiner toutes les élections.
Si j’étais convaincu que les listes électorales contiennent les noms de personnes qui y figureraient indûment et que la majorité fût telle qu’elle pût être affectée par le concours de ces électeurs, je n’hésiterais pas à annuler l’élection. Mais la preuve que ces réclamations sont fondées n’a pas été fournie ; je crois seulement que l’examen de ces réclamations nous est impossible.
La loi prescrit que les communes où les électeurs paient leurs contributions soient indiquées sur les listes électorales. Cette formalité n’a pas été remplie ; je viens de la voir sur une liste qui est entre les mains de M. de Brouckere.
D’autre part, on dit qu’il y a beaucoup d’électeurs qui ne paient pas le cens. Je crois que sans rien décider au fond, nous pouvons demander des renseignements d’après lesquels nous formerons notre opinion. L’administration locale chargée de former les listes pourra nous dire où les électeurs paient et combien ils paient ; alors on pourra voir si les réclamations sont fondées, si les inscriptions indues sont en nombre tel qu’elles aient influé sur les résultats de l’élection.
S’il fallait voter maintenant, dans le doute, je devrais voter contre l’élection ou m’abstenir, car je ne pourrais admettre un membre dont l’élection ne me paraîtrait pas complètement justifiée.
M. Liedts – Je dois faire sur la question de fait deux observations.
D’abord l’élection est à l’abri de tout soupçon de fraude. En effet, lorsque ces listes ont été formées, personne ne pouvait prévoir qu’un de nos anciens collègues donnerait sa démission ni, par suite, quels candidats se présenteraient pour le remplacer.
Quant aux certificats, vous remarquerez qu’ils ne parlent que des contributions foncières de 1839 ; or les listes électorales ont dû être faites d’après les contributions de 1838 ; il est donc vrai de dire que ces certificats n’ont pas eu la moindre influence sur l’affaire.
Puisqu’on est revenu avec insistance sur la question de principe, il faut que je réponde sur ce point. Admettons pour un instant que l’administration communale que le préopinant veut consulter vînt dire que M. Font ne paye pas dans la commune le cens voulu, qu’elle a commis une erreur en le portant sur la liste, je dis que vous ne pourriez pas encore annuler l’élection en déclarant M. Fons un électeur intrus. Lorsque M. Font a vu son nom figurer sur la liste des électeurs affichée dans sa commune, lorsqu’il ne s’est élevé à ce sujet aucune réclamation, M. Font n’avait aucun intérêt, aucun droit pour réclamer, et il n’avait pas besoin de faire des recherches pour vérifier avec quelles contributions on avait formé son cens électoral. Si on était venu lui dire : vous ne payez le cens qu’au moyen des centimes additionnels qui ne doivent pas vous être comptés, il aurait fallu qu’il prouvât le contraire, à défaut de quoi il aurait été éliminé de la liste. Mais si maintenant l’administration communale vient dire à M. Font qu’il ne paye pas le cens, lui, qui ne partage pas l’opinion politique du député élu déclarera que cela est vrai et qu’il est un électeur intrus. En supposant qu’il y en ait plusieurs dans ce cas, vous devrez déclarer l’élection nulle.
Si vous admettez un tel système, vous mettrez entre les mains de celui qui succombera dans une élection le moyen de faire annuler l’élection de son concurrent, car, comme je l’ai dit dans le rapport, il suffira que quelques amis ne payant pas le cens dans la commune de leur domicile, mais dans d’autres communes, se coalisent pour prouver après l’élection qu’ils ne paient pas le cens, et je défie alors à l’élu, au ministère, à qui que ce soit de prouver que ce sont des électeurs ayant le droit de voter qui ont fait l’élection. Voyez si vous voulez consacrer un tel système, que je regarde comme monstrueux.
M. de Brouckere – Je déclare que je suis prêt à voter l’admission de M. C. d’Hoffschmidt. Mais il est bien entendu que la chambre ne se prononce ni pour ni contre les principes qui ont été émis. En fait, nous validons l’élection. Il n’y a pas eu la moindre fraude. M. Liedts vient de le déclarer. Je le reconnais moi-même. Pour le prouver, je n’ai qu’à dire que M. d’Hoffschmidt est commissaire de district à Bastogne. Assurément il est incapable de commettre la moindre fraude. Moi-même, je suis prêt à voter l’élection ; mais je déclare que c’est sans rien préjuger sur les principes.
M. d’Huart – Je me prononce pour les conclusions de la commission, c’est-à-dire pour la validité de l’élection de Bastogne. En émettons ce vote, je n’entends admettre ni rejeter aucun des principes énoncés dans le rapport de la commission. Lorsque nous votons sur la validité d’une élection, nous agissons toujours de même ; nous jugeons comme un jury, et nous nous contentons d’examiner, si cela nous paraît suffire, la question de fait, la question de moralité. Si nous avons nos apaisements à cet égard, nous reconnaissons la validité de l’élection ; mais nous ne nous prononçons sur aucun principe.
Or, messieurs, dans l’élection de Bastogne, toutes les opérations sont régulières et inattaquables ; à côté de cela je trouve des réclamations contre les listes électorales, contre un titre légal, authentique, qui fait foi, et ces réclamations sont tardives à mes yeux parce qu’elles ne sont arrivés que lorsque l’élection était faite sans qu’il en eût été question auparavant.
On a parlé de lacunes dans les listes électorales. Je ne les ai pas examinées ; je ne sais s’il s’y trouve des lacunes ; mais je dois croire que les listes dont le cadre est imprimé, ont toujours été ainsi formées dans la province du Luxembourg ; ce sont les mêmes pièces qui ont servi pour les élections du sénat et du conseil provincial, et si je suis bien informé, des réclamations analogues auraient été portées cette année devant ce dernier corps qui aurait passé outre et admis la validité de l’élection. Ce dernier fait viendrait à l’appui de mon opinion.
D’honorables préopinants ont reconnu que les listes ne sont entachées d’aucune espèce d’apparence de fraude, et j’ajouterai qu’il est impossible de supposer que les listes aient été faites en vue de favoriser l’élection de tel ou tel candidat.
Ces différents motifs suffisent pour me porter à valider l’élection soumise à vos délibérations.
M. Desmet – On allègue l’irrégularité des listes ; c’est là qu’est la contestation. Il faut qu’on ait les moyens de prouver que les inscrits paient le cens.
- La chambre ferme la discussion.
Les conclusions de la commission mises aux voix sont adoptées.
M. d’Hoffschmidt est, en conséquence, proclamé membre de la chambre.
- Dans une des séances précédentes, l’honorable M. Metz, élu dans le Luxembourg, a demandé que la voulût bien s’expliquer sur la question de savoir si les représentants élus dans les parties cédées ont terminé leur mandat, ou si ce mandat doit subsister encore deux ans. C’est cette demande que M. le président met en délibération.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, le gouvernement avait cru, à la fin de la session précédente, devoir présenter un projet de loi pour toucher la difficulté qui est soulevée.
Ce projet adopté par la chambre des représentants a été rejeté par le sénat. Dans cet état de choses nous avons pensé, messieurs, que le mandat des représentants du Luxembourg devait continuer de subsister jusqu’à l’expiration de son terme ; le seul moyen régulier de résoudre la question n’ayant pas été adoptée par le sénat.
Dans cette circonstance, je pense qu’on pourrait contester à chaque chambre le droit de décider seule la difficulté, attendu qu’il ne s’agit pas de vérification de pouvoirs. D’après ces considérations, vous comprendrez que nous ne faisons aucune motion contraire à celle faite par M. Metz, c’est-à-dire, que nous ne proposons pas d’éloigner de la chambre les représentants élus dans le Luxembourg.
M. Dumortier – Lors de la discussion du projet de loi dont vient de parler le ministre de l’intérieur, je me suis prononcé dans cette enceinte pour que les représentants élus dans les parties cédées du territoire achevassent le terme de leur mandat. Le sénat à écarté le projet de loi. Aujourd’hui les députés du Luxembourg se présentent dans cette enceinte. Les députés du Limbourg avait terminé leur mandat ; celui des députés du Luxembourg a encore deux ans à courir. C’était l’inverse pour les sénateurs : les sénateurs du Limbourg avaient encore deux ans à siéger, et le mandat des sénateurs du Luxembourg était arrivé à son terme.
C’est un sénateur du Limbourg qui vient d’être nommé président du sénat pour la présente session. Je crois que nous ne devons pas davantage manueliser nos collègues en prolongeant cette discussion.
La constitution dit que le mandat des représentants est pour la durée de quatre années ; le mandat des élus du Luxembourg n’est pas expiré ; il s’en faut de deux années.
La constitution dit en outre que les représentants sont les représentants du pays entier et non ceux du district qui les a élus. C’est par une délégation de la Belgique que les électeurs sont convoqués par districts : s’il était possible de les réunir tout dans un même lieu, les convocations ne seraient pas partielles, et on ne pourrait douter alors que les élus fussent ceux de la nation.
Quand les représentants sont nommés par le mode qu’on est obligés de suivre, ils ne sont plus représentants de tel ou tel district, mais ceux du pays tout entier.
Nous ne saurions adopter un système inverse, car voyez les conséquences où il conduirait.
La constitution dit que le sénat doit être composé d’un nombre de membres égal à la moitié du nombre des membres de la chambre des représentants ; eh bien, si vous n’adoptiez pas les mêmes principes suivis par le sénat, la constitution serait violée ; car le sénat aurait des membres en nombre plus grand que la moitié du nombre des membres de cette assemblée.
Il n’y avait qu’une loi qui pouvait décider la question sans isoler la constitution, quant au nombre relatif des sénateurs et des représentants. Dans deux ans il y aura force majeure, le mandat sera expiré.
Il est toujours constant que le mandat n’étant pas terminé, vous devez le continuer. Par ces motifs, je propose l’ordre du jour. Je ne crois pas qu’il soit de la dignité de l’assemblée nationale de mettre aux voix la question de savoir si le mandat des représentants dans le Luxembourg doit subsister jusqu’à l’expiration de son terme.
M. Fleussu – Je ne sais pas si je comprends mal la représentation nationale ; toutefois, je ne puis m’empêcher de demander qu’on renvoie à une commission la proposition de M. Metz. Ce n’est pas une question de personnes que nous avons à examiner, c’est une question de choses. Qu’arriverait-il quand vous aurez voté le budget ou des dispositions pénales, si on venait attaquer la légalité de votre budget et la constitutionnalité de vos lois pénales ? Et remarquez que ce que je dis ici peut se réaliser : il y a des localités où l’on cherche les moyens d’entraver la marche du gouvernement.
Je suppose qu’on refuse de satisfaire à une loi de budget sous prétexte que la loi n’est pas constitutionnelle, sous prétexte qu’elle a été votée par des gens n’ayant pas qualité pour voter des lois en Belgique. C’est là une question grave qui peut se présenter qui peut être appelée devant les tribunaux. Vous me direz peut-être : Y a-t-il un pouvoir au-dessus du vôtre ? Je crois, messieurs, que si le pouvoir judiciaire peut discuter la légalité des actes du gouvernement, il pourrait bien aussi discuter la constitutionnalité des actes du pouvoir législatif ; car, s’il en était autrement il suffirait qu’un parti se formât d’une manière quelconque une majorité pour que l’on pût impunément violer la constitution, et lorsqu’on viendrait ensuite invoquer l’inconstitutionnalité des actes de cette majorité devant les tribunaux, on dirait que les tribunaux ne sont pas compétents pour se prononcer sur des mesures prises par la représentation nationale.
Avant qu’une loi puisse exister, messieurs, il faut que la représentation nationale soit légalement constituée. Voilà, messieurs, ce qu’on alléguera. Je ne dis pas qu’on le fera avec fruit, je ne veux pas trancher la difficulté, mais je dis que la chose est possible. Voulez-vous que cet inconvénient n’existe pas, nommez une commission, que la commission fasse un rapport, qu’il y ait une décision prise après mûr examen, une décision solennelle, et alors de semblables subterfuges ne pourront pas être mis en avant, alors les esprits malveillants n’auront aucune chance de succès.
J’aurai l’honneur de vous faire remarquer, messieurs, que vous avez trouvé la question tellement grave que vous avez, autant qu’il dépendait de vous, converti en loi un projet que le gouvernement vous avait présenté et qu’il vous avait présenté en exécution de la constitution ; car la constitution, dans un article fort exprès, l’article 49, porte que la loi électorale fixe le nombre des députés, d’après la population, que ce nombre ne peut excéder la proportion d’un député sur 40 mille habitants. Eh bien, voilà que le nombre des députés n’est plus en rapport avec cette disposition de la constitution.
On dit que les députés qui ont reçu, il y a quelques années, un mandat de districts qui faisaient alors partie de la Belgique, ne représentent pas seulement ces districts, mais la nation toute entière. Il ne faut pas, messieurs, pousser trop loin ce qui n’est qu’une véritable fiction. Oui, ils représentent la nation tant que les populations qui les ont nommés font partie de la nation, mais après que ces populations ont malheureusement cessé de faire partie de la nation, peut-on encore dire que ces députés font partie de la représentation nationale. Ne peut-il pas arriver que ceux qui avaient les mêmes intérêts que nous lorsqu’ils ont nommé leurs représentants aient maintenant des intérêts diamétralement opposés aux nôtres ? En matière de douanes, par exemple ? Et en matière politique également.
On dit que le sénat a tranché la question. Je ne vois pas en quoi cela peut nous lier ; nous pouvons, dans cette circonstance comme dans telle autre, nous trouver en désaccord avec le sénat. Selon moi, le sénat a commis une erreur grave ; je dis selon moi, car je ne veux pas trancher la difficulté ; je désire même que les éclaircissements fournis par la commission dont je demande la nomination puissent me mettre à même de voter pour que les députés des parties cédées restent avec nous ; mais je demande que toutes les difficultés soient aplanies, que l’on ne puisse pas attaquer la constitutionnalité de tous nos actes subséquents ; le seul moyen d’atteindre ce but, c’est que l’on nomme une commission, qu’elle nous fasse un rapport et que la chambre prenne une décision.
M. Lys – Messieurs, je demanderai ce qu’on veut renvoyer à une commission, quelle est la proposition faite. Il ne s’agit point ici d’une simple vérification de pouvoirs ; les pouvoirs des députés dont il s’agit ont été vérifiés, et ils ont été admis membres de la chambre. Il faudrait, comme l’a dit M. le ministre de l'ntérieur, une proposition de loi ; or, une loi avait été présentée, elle avait été adoptée par la chambre, mais le sénat ne l’a pas admise. Il n’y a donc plus rien à faire qu’à passer simplement à l’ordre du jour, car aussi longtemps qu’un nouveau projet ne nous sera pas présenté, vous n’avez rien que vous puissiez renvoyer à une commission.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, il y aurait peut-être eu deux marches à suivre ; il y aurait eu à examiner s’il ne fallait pas abandonner à chaque chambre le soin de statuer sur la question qui devait se présenter quant aux sénateurs du Limbourg et aux représentants du Luxembourg. Il y aurait eu une résolution prise par le sénat relativement aux sénateurs, et une résolution prise par la chambre relativement aux représentants. Mais telle n’est pas la marche qui a été suivie ; on a fait de cette question une question de législature, on a voulu que la question fût décidée par une loi. C’est là un premier point qui reste acquis. Se plaçant à ce point de vue, le gouvernement vous présenta un projet de loi en mai dernier ; ce projet de loi renfermait un système, c’est-à-dire qu’on statuait, non point par des résolutions isolées de chaque chambre, mais législativement à l’égard et des sénateurs du Limbourg et des représentants du Luxembourg : ce qui était vrai, ce qui était admis à l’égard des sénateurs, était vrai, était admis à l’égard des représentants.
Eh bien, messieurs, cette deuxième marche est, nous n’avons décidée, celle qui serait suivie ; or cette marche est-elle encore possible ? Une loi renfermant un système peut-elle encore être portée ? Non, messieurs, il n’y a plus de loi possible, car on ne peut pas compter, de la part du sénat, sur un retour d’opinion ; d’un autre côté, vous avez admis qu’il fallait une loi ; dès lors, messieurs, il est évident qu’il n’y a plus qu’une chose à faire, c’est de passer à l’ordre du jour, qui suppose la continuation du mandat.
Et vous n’êtes pas, messieurs, en contradiction avec vous-mêmes :lorsque vous avez dit, en mai dernier, que les représentants du Luxembourg ne continueraient pas à siéger, vous avez dit en même temps que les sénateurs du Limbourg ne continueraient pas à siéger ; c’était là, si je puis parler ainsi, la condition de votre vote ; eh bien, cette condition n’existe plus, il n’y a plus de système ; le système que vous aviez admis en mai dernier est devenu impossible.
On a demandé le renvoi à une commission. En règle générale je conçois que le renvoi à une commission est une précaution sage, mais qu’est-ce qu’une commission peut nous apprendre sur la question qui nous occupe en ce moment ? Absolument rien : les éléments de la question sont connus, les faits sont connus de nous tous, ils sont de notoriété publique ; tous les points de droit auxquels la question peut se rattacher sont également connus. Ce qu’il faut surtout apprécier, c’est ce qu’a fait la chambre en mai dernier, c’est la situation, et la situation je crois l’avoir nettement définie tout à l’heure.
On a dit : « Songer bien que vous vous exposez à de graves difficultés devant les tribunaux ; on contestera la légalité des lois que vous allez porter, la légalité des budgets. » Je ne pense pas, messieurs, que les tribunaux puissent se saisir des questions dont on a cherché à vous inquiéter tout à l’heure ; les tribunaux ne peuvent s’enquérir que de la légalité des arrêtes et règlements généraux ; là s’arrête leur droit, leur compétence, aux termes de l’article 107 de la constitution qui est formel à cet égard.
Je n’admets donc pas la possibilité d’attaquer la constitutionnalité d’une loi devant les tribunaux sous prétexte de vices de forme, ce serait là le renversement de toutes nos institutions ; il n’y a pas à cet égard de pouvoir au-dessus de la chambre, et il doit être entendu qu’en passant à l’ordre du jour, nous décidons implicitement la question.
Ainsi, messieurs, j’appuierai avec M. le ministre de l'ntérieur l’ordre du jour dans le sens qui été indiqué.
M. de Garcia – Messieurs, par la motion que j’avais faite dans une précédente séance, j’avais demandé qu’il fût nommé une commission pour examiner la question dont la chambre est saisie ; la commission n’a pas été nommée, on a seulement adopté une partie de ma proposition, celle qui tendait à ce qu’on examinât la question soulevée par l’honorable M. Metz, avant que la chambre ne se constituât. Je pense, messieurs, par les raisons qui ont été développées par l’honorable M. Fleussu, dont j’adopte toutes les considérations, je pense que la question est fort grave. M. le ministre des travaux publics vient de vous dire : « Vous êtes liés, vous avez reconnu qu’il fallait une loi, vous avez posé un principe ; le sénat n’a pas adopté la loi, le sénat a maintenu ceux de ses membres qui appartiennent aux parties cédées, il n’y a plus de système. Je trouve assez contradictoire, messieurs, qu’on dise qu’une loi lie la chambre, parce que la chambre a posé le principe qu’il fallait une loi et que d’un autre côté on dise qu’il n’y a plus de système. Eh bien, je suis de ce dernier avis de M. le ministre : il n’y a plus de système, ou plutôt il y a un système établi par le sénat ; le sénat a réglé ses affaires d’intérieur comme il l’entendait ; si nous voulons nous mettre en harmonie avec la manière dont le sénat a agi, nous règlerons aussi ce qui nous concerne comme nous le jugeons convenable.
Messieurs, on dira peut-être qu’il y aurait une bizarrerie, si vous preniez une résolution contraire à celle du sénat : cette bizarrerie n’est réellement qu’apparente. Le sénat a eu à statuer sur des districts qui n’ont pas été complètement abandonnés ; il y a donc encore des mandats, mais je ne puis pas admettre qu’un mandat puisse se continuer quand il n’y a plus des mandants. C’est par une interprétation inadmissible qu’on argumente d’un article de la constitution qui nous impose des devoirs, et ces devoirs consistent à mettre l’intérêt général avant l’intérêt de localité.
Les considérations de légalité de constitutionnalité si bien développées par M. Fleussu, me porteront à demander qu’il soit nommé une commission pour examiner cette grave question.
M. Dumortier – Messieurs, je ne pense pas que la question soit aussi grave qu’on le déclare. En effet, les observations de l’honorable M. Fleussu ne peuvent être fondées sur aucune disposition constitutionnelle, d’abord parce que l’article 107 de la constitution est formel et ne permettrait pas aux tribunaux d’intervenir dans des affaires exclusivement législatives. Je n’admets pas cependant comme un principe absolu que les tribunaux ne puissent jamais intervenir en cette matière. Si l’on venait, par exemple, vous présenter un projet de loi aux termes duquel nul ne pourrait établir un journal, sans déposer un cautionnement, fût-ce même d’un franc, je serais fort surpris que les tribunaux passassent sur une loi qui serait évidemment en opposition avec la constitution.
Mais dans le cas qui nous occupe, il y a un article de la constitution en notre faveur, c’est l’article 34 qui porte :
« Chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres, et juge les contestations qui s’élèvent à cet effet. »
Remarquez que la constitution ne s’est pas bornée à dire que chaque chambre vérifie l’élection de ses membres, mais qu’elle vérifie les pouvoirs de ses membres. Or, quelle est la question qui vous est soumise ? C’est une question de pouvoir ; vous avez donc à émettre un vote, sans qu’en aucun cas les tribunaux puisent y intervenir. Dès que vous décidez que le mandat de vos collègues continue, il n’y a plus à ce sujet de décision possible devant les tribunaux.
Reste cependant la seconde question traitée par l’honorable M. Fleussu. Il vous a dit que la constitution a voulu que jamais le nombre des membres de la législature ne peut s’élever à moins d’un député pour 40,000 habitants. Eh bien nous avons eu l’occasion de voir, lors de la discussion de loi qui nous a été présentée dans la dernière session, que nos collègues pouvaient rester dans cette enceinte, sans que la disposition constitutionnelle dont il s’agit fût isolée ; tous les membres qui siégeaient alors dans la chambre peuvent se le rappeler comme moi : le fait a été démontré à l’évidence. Ainsi cet article de la constitution n’est pas en cause.
Reste, à la vérité, une disposition, c’est celle qui porte que le nombre des membres de la législature sera déterminé par une loi ; et ici, je l’avoue, je dois déplorer qu’une loi ne nous ait pas été présentée, car, quelle que soit la disposition que vous preniez, il est toujours constants que la loi électorale détermine un nombre de membres qui composeraient la législature, lequel ne sera pas d’accord avec le nombre actuel de membres. Et ceci ne s’applique pas seulement au cas actuel ; mais lorsque les mandats seront expirés, nous serons encore en opposition avec la loi électorale, il y aura un vide à combler. Mais ce vice n’est qu’une chose purement accidentelle, et qui ne doit pas ici emporter la question au fond.
Je pense donc, messieurs, que nos collègues doivent continuer à siéger parmi nous, et que par conséquent il y a lieu de passer à l’ordre du jour sur la motion qui vous est soumise. (L’ordre du jour !)
M. Fleussu – Messieurs, M. le ministre des travaux publics vous a dit qu’il y avait deux moyens de trancher la difficulté qui nous occupe ; c’était ou de proposer une loi, c’est ce que le gouvernement a fait, ou de laisser chaque chambre juge de la mesure à prendre. Si le premier moyen a été épuisé sans succès, il nous reste à recourir à l’autre, et c’est précisément ce que je demande.
Je propose qu’une commission soit nommée. Il y aura un grand avantage à cela, puisqu’il y aura alors une décision solennelle qui pourra abriter de sa puissance les actes que nous ferons ultérieurement.
Je dis donc, messieurs, qu’il nous reste à employer le second moyen ; qu’une commission soit nommée pour examiner la question que je considère comme très grave.
Par là je ne préjuge rien ; la mesure que je propose est une mesure tout à fait préalable.
Il me semble, messieurs, que je n’ai pas eu l’avantage d’être compris. J’ai signalé quelques inconvénients qui résulteraient du fait, que des étrangers prendraient part au pouvoir législatif, prendraient part à vos délibérations. J’ai indiqué quelques cas, et j’ai dit qu’on pourrait attaquer la légalité de vos actes, en d’autres termes, qu’on pourrait dénier le caractère de loi à vos actes.
Je sais bien que quand vous avez converti en loi un projet présenté par le gouvernement, les tribunaux n’ont pas, même dans le cas supposé par l’honorable M. Dumortier, de qualité pour examiner la constitutionnalité de l’acte, puisque vous lui aurez reconnu ce caractère en le votant. Mais si cet acte a été voté par des personnes qui n’avaient pas le caractère de représentants de la nation, en attaquant l’acte, ce n’est pas la loi que j’attaque, c’est uniquement son élément. Vous prétendez que les tribunaux n’ont pas le droit d’intervenir dans ce cas ; eh bien, voyons : supposons que le budget donne lieu à une vive contestation, qu’il se forme une forte minorité contre le budget, et qui ne soit adopté qu’à la majorité de deux voix, il pourra donc arriver que deux étrangers qui auront concouru au vote de ce budget le fassent adopter ; et vous me direz que dans ce cas je ne pourrai pas soutenir devant les tribunaux que ceux qui ont fait la loi n’avaient pas le caractère pour la faire. Cette opinion est réellement insoutenable. Voilà donc un des cas dans lesquels évidemment je puis poser la difficulté devant les tribunaux.
Sous le rapport politique ne voyez-vous pas les inconvénients qui pourraient se présenter ? Encore une fois, je ne tranche pas la question, je ne parle qu’hypothétiquement ; je suppose, par exemple, une dissolution de la chambre : c’est un appel au pays, il arriverait, messieurs, qu’une chambre viendrait contrôler les actes d’une assemblée qui par le nombre de ses membres, aurait eu une plus grande importance que l’assemblée qui lui aurait succédé.
Voyez d’un autre côté la bizarrerie qui va s’établir. Les sénateurs sont nommés pour 8 ans et les représentants pour 4 ans. Aux termes de la constitution, le nombre des sénateurs doit former la moitié du nombre des représentants. Lorsque le mandat des députés que vous avez continués dans leurs fonctions, sera expiré, il arrivera que le sénat sera en nombre bien supérieur à celui que nos institutions lui assignent. Voilà donc encore un inconvénient.
Il y en a un dernier, et plus fort que les autres ; c’est que vous allez vouloir qu’une fraction du pays qui appartenait à la Belgique dans le temps, puisse avoir des représentants dans deux nations différentes : par exemple, rien n’empêche de supposer que le Luxembourg hollandais ne soit régi par les mêmes institutions que le reste de la Hollande, et il enverra alors des députés à La Haye ; voilà donc un pays qui sera représenté deux fois dans deux pays différents.
Voilà sans doute des inconvénients assez graves, pour qu’une commission soit nommée et nous fasse un rapport.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, il est certain que si vous adoptez l’ordre du jour qui a été proposé par M. Dumortier, il y aura une décision de la chambre, et cette décision sera aussi irrévocable, aussi valide que celle qui serait prise sur les conclusions préalables d’une commission. Je ferai remarquer que dans plusieurs circonstances semblables à celle qui se prépare aujourd’hui la chambre a pris une décision, sans renvoi préalable à une commission ; c’est ainsi qu’on a soulevé une question de ce genre, à l’occupation de la nomination de M. Davignon aux fonctions d’administrateur de la banque de Belgique ; l’on cru que par là il avait perdu le droit de siéger à la chambre des représentants et qu’il devait se soumettre à une réélection. Cette question a été agitée et décidée, sans renvoi préalable à une commission.
Une pareille question s’est présentée à l’égard de M. Duvivier, qui avait été nommé bourgmestre d’une commune rurale dans le Hainaut. On avait encore prétendu que, par l’acceptation de ces fonctions, M. Duvivier était soumis à une réélection attendu qu’un traitement de quelques francs était attaché aux fonctions de bourgmestre de cette commune. Eh bien, la chambre a encore tranché cette question, sans renvoi préalable, à une commission. Je pourrais citer d’autres précédents du même genre.
Messieurs, il n’y a ici qu’une seule chose à examiner, c’est de voir si vous êtes assez éclairés pour vous prononcer immédiatement sur la motion d’ordre.
- La chambre consultée ferme la discussion.
M. le président – M. Fleussu a demandé la nomination d’une commission pour examiner la question.
M. Dumortier a demandé l’ordre du jour.
- L’ordre du jour ayant la priorité, il va être mis aux voix.
Plusieurs membres – L’appel nominal ! l’appel nominal !
Il est procédé à cette opération qui donne le résultat suivant :
Nombre de votants : 65
Pour l’ordre du jour : 42
Contre : 22
Un membre s’est abstenu.
En conséquence, l’ordre du jour est adopté.
M. d’Huart, qui s’est abstenu, est invité, aux termes du règlement, à énoncer les motifs de son abstention.
M. d’Huart – La résolution que la chambre vient d’adopter me paraissait, avant la discussion, constituer une irrégularité grave, et des doutes sérieux m’étant restés sur la constitutionnalité même de la décision proposée, j’ai dû m’abstenir de voter pour. D’un autre côté, comme cette décision ne fera pas précédent, qu’elle n’aura pas d’application ultérieure, j’ai cru pouvoir m’abstenir de voter contre.
Ont répondu non : MM. Brabant, Dechamps, de Florisone, de Langhe, de Roo, de Sécus, de Garcia, Doignon, Dolez, Dubois, Fleussu, Puissant, Sigart, Vandensteen, Lange, Maertens, Mast de Vries, Meeus, Morel-Danheel, Raymaeckers, Ullens, Vandenhove, Verhaegen.
Oui répondu oui : MM. Delehaye, Angillis, Van Cutsem, Coppieters, de Behr, de Brouckere, de Villegas, W. de Mérode, de Nef, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Hye-Hoys, Jadot, Lys, Lejeune, Liedts, Manilius, Milcamps, Nothomb, Pirmez, Raikem, A. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Smits, Cools, Troye, Vandenbossche, Vanderbelen, Wallaert, Willmar, Zoude.
M. le président – L’ordre du jour est la formation du bureau.
M. Dumortier – Il faut remettre cette opération à lundi ; la moitié de la chambre est absente.
M. Dolez – Je demande qu’on continue l’ordre du jour. Il n’est que trois heures. Voilà huit jours que nous sommes réunis et nous n’avons encore rien fait pour le pays. Si plusieurs de nos collègues sont absents, tant pis pour eux, tant pis pour le pays qui les nomme.
Plusieurs voix – Appuyé ! appuyé !
M. Dumortier – Dans une circonstance semblable l’honorable M. de Brouckere a dit qu’il adjurait la chambre de ne pas prendre une résolution importante en l’absence d’un tiers des membres de la chambre.
M. de Brouckere – A quelle époque cela a-t-il eu lieu ?
M. Dumortier – Il y a un an et demi.
M. de Brouckere – Je ne m’en souviens pas.
M. Dumortier – Je vous adjure aussi de remettre la nomination du bureau à demain. S’y refuser, serait vouloir emporter un vote, serait faire une chose qu’on ne devrait jamais faire. (Agitations en sens divers).
Personne ne pensait qu’on se serait occupé aujourd’hui de la nomination du bureau.
Les députés des Flandres profitent du samedi pour retourner dans leurs familles.
M. Dolez – Leur place est ici.
M. Fleussu – Ils ne doivent pas partir. (Nouvelle agitation.)
M. Dumortier – Je fais la proposition de remettre à lundi la nomination du président.
Un grand nombre de voix – Oui ! oui ! Non ! non !
- La proposition d’ajournement est mise aux voix.
Deux épreuves par assis et levé ont lieu sans résultat.
M. Fleussu – L’appel nominal ! l’appel nominal !
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – On se plaint que nous n’avons encore rien fait ; il vaut mieux ne rien faire encore pendant une demi-heure, que d’emporter un vote de surprise. Avec les discussion qui étaient soulevées, on a pu croire qu’on ne formerait pas aujourd’hui le bureau. C’est ce qui fait que l’assemblée est en petit nombre.
M. Fleussu – L’appel nominal vient de constater la présence de 64 membres.
M. de Brouckere – On votera ou on ne votera pas, mais je trouve l’expression de M. le ministre de l'ntérieur fort peu parlementaire et fort peu agréable pour nous.
Nous n’avons jamais agi par surprise, et il n’y en aura pas ici, car l’ordre du jour porte depuis hier la formation du bureau. Si quelques membres se sont retirés, c’est volontairement. Et je le répète, l’expression de M. le ministre de l'ntérieur est antiparlementaire.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je n’entends pas qualifier les intentions ; dans plusieurs circonstances où il s’agissait de questions importantes à l’ordre du jour, on a demandé le renvoi sur les mêmes raisons que celles alléguées aujourd’hui ; je déclare que si une motion avait été faite dans une circonstance opposée à celle-ci, je me serais très volontiers prêté à un ajournement à un autre jour.
M. Dolez – J’avais demandé la parole pour protester contre l’expression du ministre de l’intérieur. Ses dernières paroles me font penser qu’il n’y a pas compris toute la portée de cette expression ; je me borne à adhérer à ce qu’a dit M. de Brouckere, et je pense que mes collègues y adhéreront comme moi.
Plusieurs voix – Oui ! oui ! (Bruits en sens divers.)
M. Dumortier – Dans toute circonstance importante on a renvoyé la discussion à un autre jour, quand une partie notable de la chambre était absente.
M. Dolez – Nous étions 64 tout à l’heure.
M. Dumortier – Qu’aurez-vous gagné quand vous aurez…
M. Dolez – Il ne s’agit pas de ce que nous avons à gagner…
M. Dumortier – Ne m’interrompez pas.
M. Dolez – Je vous réponds…
M. Dumortier – Je n’ai pas besoin de vos conseils. Je ne vous ai pas demandé conseil pour entrer dans cette enceinte ; ce n’est pas par vos conseils que les électeurs m’y ont envoyé, vous n’avez pas le droit de m’interrompre.
M. Dolez – Je demande le rappel de M. Dumortier au règlement ; j’en ai le droit.
M. Dumortier – Je maintiens le droit que j’ai de parler.
M. Dolez – Le règlement me donne le droit d’interrompre M. Dumortier pour demander son rappel au règlement. Il y a eu une première épreuve sur la demande d’ajournement. Le règlement interdit de parler entre deux épreuves.
M. Dumortier – M. Dolez a parlé aussi entre deux épreuves ; lorsque je suis l’exemple que lui-même a donné, il n’ apas le droit de m’en faire le reproche.
Plusieurs membres – L’appel nominal ! (Plusieurs membres et parmi eux M. le ministre de la justice quittent leurs bancs.)
M. Fleussu – Je demande l’appel nominal. Il faut qu’il soit constaté qu’une partie du ministère a déserté.
M. Verhaegen – L’appel nominal constatera que M. le ministre de la justice s’est retiré.
M. de Brouckere – C’est cela ; l’appel nominal.
M. Dumortier prononce quelques mots que les cris « l’appel nominal ! » nous empêchent d’entendre.
(M. le président descend du fauteuil.)
M. Fleussu – Que M. Duvivier monte au fauteuil et nous continuerons la séance.
M. de Brouckere – La séance continue ; le président ne la pas levée.
M. B. Dubus (siégeant au bureau comme secrétaire) – M. le président a déclaré la séance suspendue ; le règlement lui en donné le droit.
M. de Brouckere (Après avoir chercher au bureau de M. le président la liste de présence) – Faisons l’appel nominal, nous sommes en nombre.
(Après une suspension de séance de quelques minutes, M. le président remonte au fauteuil).
M. de Brouckere – Nous demandons qu’on mette l’ajournement aux voix par appel nominal.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – M. le président, levez la séance.
M. le président – Comme il y avait du bruit dans la salle, j’ai cru, d’après le règlement, devoir suspendre la séance ; maintenant que je vois qu’un certain nombre de membres ont quitté la salle et qu’il est trop tard pour commencer les opérations relatives à la formation du bureau, je crois convenable de lever la séance. (Réclamations de la part de plusieurs membres.)
M. Dumortier – Mais, messieurs, M. le président est dans son droit. L’article 12 du règlement porte : « Le président fait l’ouverture et annonce la clôture des séances. »
M. de Brouckere – Il y a une autorité au-dessus de celle du président, c’est celle de la chambre.
M. Dumortier – Il y a une autorité au-dessus de celle de la chambre, c’est celle du règlement. Le règlement est fait pour mettre les minorités à l’abri de l’arbitraire des majorités ; eh bien le règlement dit en termes formels : le président annonce la clôture des séances.
M. Verhaegen – Le président ne peut lever la séance sans l’assentiment de la chambre. D’ailleurs, il y a un vote qui est commencé, mais qui n’est pas achevé, une épreuve seulement a été faire.
M. de Brouckere – On a demandé l’ajournement ; le président l’a mis aux voix, et quand ceux qui voulaient l’ajournement ont vu qu’ils succombaient, ils se sont retirés. Si le président lève la séance, il sera constaté que la séance a été levée entre deux épreuves, parce qu’une partie de la chambre a vu qu’elle succombait. (Mouvements en sens divers.) Un ministre même, après la première épreuve, a soutenu que l’on devait lever la séance.
M. Van Volxem – M. le président s’est retiré tout à l’heure sans avoir rien déclaré. (Réclamations.) S’il a déclaré quelque chose, personne ne l’a entendu. L’article 32 du règlement porte : « Si l’assemblée devient tumultueuse, le président annonce qu’il va suspendre la séance. » M. le président s’étant levé sans rien dite, la séance ne peut être considérée comme suspendue, elle doit continuer : nous demandons l’appel nominal.
M. Verhaegen – Il y a une épreuve, il faut achever le vote.
M. Dumortier – Le président peut lever la séance ; il est dans son droit.
M. de Brouckere (s’adressant à M. le président) – Vous ne pouvez pas lever la séance entre deux épreuves.
M. Dolez – L’appel nominal !
M. le président – Avant de descendre du fauteuil, j’ai annoncé que j’allais suspendre la séance.
M. Van Volxem – Si vous l’avez déclaré, ç’a été en termes inintelligibles.
M. Dumortier – Vous faisiez trop de tapage pour qu’on pût entendre M. le président.
- On procède à l’appel nominal sur l’ajournement du scrutin pour la nomination du président.
59 membres sont présents.
32 votent l’ajournement.
27 votent contre.
En conséquence, le scrutin pour la nomination du président de la chambre est renvoyé à la séance de lundi prochain.
Ont voté l’ajournement : MM. Delehaye, Van Cutsem, Coghen, de Behr, Dechamps, de Florisone, W. de Mérode, de Nef, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Brabant, Desmet, de Terbecq, d’Huart, Doignon, B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Vandensteen, Hye-Hoys, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Raikem, A. Rodenbach, Scheyven, Cools, Ullens, Vanderbelen, Wallaert, Willmar, de Garcia.
Ont voté contre l’ajournement : MM. de Brouckere, de Langhe, de Puydt, Devaux, Dolez, Duvivier, Fleussu, Puissant, Sigart, Jadot, Lys, Lange, Liedts, Maertens, Meeus, Mercier, Metz, Milcamps, Pirmez, Raymaeckers, Rogier, Troye, Vandenhove, Van Volxem, Verhaegen, Zoude.
La séance est levée.
Lundi, séance publique à midi, pour la formation du bureau définitif.