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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 18 mars 1839

(Moniteur du mardi 19 mars 1839, n°78)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à 10 ½ heures.

M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre :

« Les habitants de onze communes du Hainaut demandent que la chambre adopte le traité de paix. »

« Le sieur Vandenbroeck, à Bruxelles, demande que la chambre adopte le traité de paix. »

« Des habitants de Nivelles demandent que la chambre adopte le traité de paix. »

« Le sieur Ernabsteen, à Sustere (Limbourg), demande que la chambre rejette le traité de paix. »

« Des habitants de la commune de Cruysauthem demandent que la chambre rejette le traité de paix. »

« Même pétition de divers habitants de la commune d’Olsene. »

« Même pétition de divers habitants de la commune de Gotthem. »

« Même pétition de divers habitants de la commune de Nokere. »


M. Dumortier – J’ai l’honneur de déposer sur le bureau quatre pétitions qui m’ont été envoyées depuis la dernière séance. L’une d’elles est une adresse des étudiants de l’université de Gand contre le morcellement du territoire ; elle est signée par un très grand nombre d’élèves de cette université. Voilà donc toute la jeunesse studieuse de la Belgique qui s’est prononcée contre le morcellement du territoire. La seconde pétition est de Tournay, la troisième de la commune de Harchies et la quatrième de la commune de Leuze. Toutes sont signées par un grand nombre d’habitants, et destinées à protester contre le morcellement du territoire. La chambre a dû voir, par le grand nombre de pétitions qui lui sont arrivées depuis peu, que l’opinion contre le morcellement du territoire est restée la même dans la plus grande partie de la Belgique.

Projet de loi qui autorise le roi à signer le traité de séparation entre la Belgique et la Hollande

Discussion générale

M. le président – La parole est à M. Lebeau, inscrit pour le projet.

M. Lebeau – Messieurs, lorsqu’en 1831 les propositions de la conférence de Londres furent rendues publiques, l’opinion parut d’abord les accueillir avec une grande défaveur. La presse presqu’unanimement repoussait les 18 articles avec la même violence qu’elle repousse aujourd’hui les propositions du 25 janvier. Chaque parole de modération et de paix prononcée dans la discussion solennelle à laquelle les 18 articles donnèrent lieu était accueillie par les imprécations, par les huées des tribunes. Le ministère qui défendait les 18 articles était ici et ailleurs poursuivi de l’accusation de lâcheté et de trahison.

Eh bien, après huit jours d’une discussion, véritable tempête parlementaire, les 18 articles furent accueillis aux acclamations presque générales de la chambre et des tribunes, et le pays ne tarda pas à s’y joindre.

Exemple mémorable de la facilité avec laquelle l’opinion publique s’égare et se fanatise ; mais exemple mémorable aussi de la facilité avec laquelle elle s’éclaire et se rectifie.

C’est qu’en effet les 18 articles, jugés sainement avec le calme de la réflexion et avec impartialité, présentaient à la Belgique des conditions inespérées.

Les stipulations territoriales, avec l’état de possession de la Hollande en 1790 pour point de départ de la question hollando-belge ; la question belgo-allemande, entièrement séparée de la question belgo-hollandaise ; l’échange libre des enclaves : toutes ces clauses, messieurs, donnaient et au ministère et au congrès la légitime confiance qu’une question qui paraissait insoluble avait enfin abouti à une solution qui était dans le vœu de tous.

La dette était résolue par le texte des 18 articles d’après les principes que le congrès national n’avait cessé lui-même de poser. C’était donc avec raison, avec franchise, avec une entière loyauté, que le ministre qui défendait ici les 18 articles pouvait s’écrier : Nous aurons le Luxembourg et nous n’aurons pas la dette.

Je dois sans doute, messieurs, à la position que j’occupais alors, le privilège du reproche qui n’a cessé de traîner dans quelques journaux et que j’ai vu avec surprise et regret reproduite à cette tribune, reproche dont quelques-unes des paroles que j’ai prononcées dans cette circonstance solennelle ont été l’objet.

Je ne sais réellement, sans cela, pourquoi l’on s’est plu à isoler mon langage du langage de tant d’hommes honorables et graves, placés au-dessus de tout soupçon de duplicité ou de connivence avec la diplomatie étrangère.

On oublie donc que le langage que j’ai tenu dans la discussion des 18 articles a été confirmé par notre doyen d’âge, M. Gendebien père, qui s’est exprimé aussi explicitement que moi sur la question du Luxembourg. On oublie que Messieurs. De Gerlache, de Mérode, de Muelenaere, Osy, etc., se sont exprimés dans le même sens. On oublie que ces orateurs ont parlé avant que j’eusse pris la parole.

Mais, messieurs, en suis-je réduit à chercher dans les incidents de la discussion d’alors la justification de la politique que mes honorables amis et moi avons cherché à faire prévaloir devant le congrès national ? Non, messieurs, une justice plus complète, une apologie partie de bouches non suspectes, est venue corroborer, jusque dans la discussion actuelle, le langage que mes amis et moi avons tenu au mois de juillet 1831.

Vous avez entendu l’honorable M. Dechamps, après lui, l’honorable M. Dumortier, et après eux l’honorable M. Dubus ; ils ne seront certes pas soupçonnés de se laisser facilement mystifier, d’être trop favorables aux hommes du mois de juillet 1831 ; vous avez entendu ces honorables membres confesser que dans les 18 articles il y avait tout ce que le ministère avait annoncé. Est-ce que l’honorable M. Dubus est un de ces hommes simples, de ces hommes à esprit paresseux, qui a besoin de puiser sa conviction dans le langage d’autrui ? ne connaît-il pas très vite le sens et la portée d’un texte ? n’est-il pas logicien serré autant que qui que ce soit. Eh bien, l’honorable M. Dubus, avec une impartialité dont je lui sais gré, a tenu sur les 18 articles, à la séance d’avant-hier, le langage que j’ai tenu moi-même au mois de juillet 1831.

Des publicistes dévoués à la cause que plaident nos adversaires en ce moment, ne tiennent pas un autre langage dans leurs écrits.

Tout est donc dit sur ce point. Quand on a rappelé les paroles d’un seul orateur, on a oublié de rappelé les événements du mois d’août 1831 : ce sont les événements du mois d’août qui ont abrogé les 18 articles. La cause du Luxembourg et du Limbourg, ne vous faites pas illusion sur ce point, n’est plus dans vos mains, ce n’est pas vous qui pouvez la perdre ; elle a été perdue dans les plaines de Louvain, et je plains les esprits assez étroits, pour n’être pas convaincus que c’est là que vous devez placer le tombeau des 18 articles et la perte des territoires arrachés au Limbourg et au Luxembourg.

Le Roi avait dit : « Je fais de cette question une question d’honneur ; j’irai jusqu’à la guerre pour défendre la question du Luxembourg. »

Eh bien, le Roi a tenu sa parole, le Roi a noblement défendu la cause du Luxembourg et du Limbourg dans les plaines de Louvain ; il l’a si bien défendue que, chose étrange, la royauté s’est trouvé aussi populaire après une défaite qu’elle l’eût été peut-être après une victoire.

Alors, comme aujourd’hui, l’on nous disait que nous votions la honte et la ruine du pays ; que nous plaidions pour un traité infâme, que nous vendions nos frères. Eh bien, qu’est-il arrivé ? c’est qu’après l’adoption des 18 articles, personne ne s’est cru déshonoré ; c’est qu’à peine le Roi eût mis le pied sur le territoire belge, que tout le monde s’empressa de se serer autour de l’élu de la nation ; car ce ne sont pas quelques hommes seulement qui lui avaient frayé la route du trône ; ce ne sont pas que quelques hommes qui font les révolutions et les dynasties. Les révolutions sont l’œuvre de tous, et de nos jours les dynasties sont fondées par tous.

Je vous le demande, messieurs, vous qui avez été témoins de l’arrivé du Roi en Belgique, vous qui avez été témoin de cette solennelle inauguration du 21 juillet, était-ce la honte sur le front, la tête courbée que les Belges assistaient à cette mémorable journée ? est-ce que la confiance, la concorde, la sécurité du présent, l’espoir dans l’avenir ne régnaient pas alors dans toutes les cours ? Eh mon Dieu ! moins de 15 jours après l’approbation des 18 articles, la Belgique avait donné un éclatant démenti à ceux qui l’avaient présentée comme flétrie. Ces bancs étaient-ils déshonorés ? le peuple belge était il déshonoré ? mais chacun des membres du congrès n’a-t-il pas brigué de nouveau l’honneur de le représenter sur ces mêmes bancs ? Ce qu’on a fait, on le fera encore, n’en doutez pas. Je crois qu’à l’époque dont il s’agit, on parlait aussi d’ostracisme. On était sans doute sincère, mais on s’égarait, on cédait aux préoccupations du moment, on n’appréciait pas les choses avec sa raison et avec le calme de la réflexion.

La politique de transaction, la seule qui rendit une Belgique possible (car sans l’adoption des propositions de la conférence, la royauté n’était pas possible, et sans la royauté, la Belgique n’était pas possible), cette politique de transaction est celle qui vous a fait adopter les 24 articles.

Vous étiez alors sous le poids d’une nécessité à l’évidence de laquelle cependant bon nombre de membres de cette chambre ne se sont pas alors rendus. Eh bien, messieurs, dans la discussion du traité des 24 articles, vous avez eu exactement une nouvelle édition de la discussion des 18 articles. L’on a épuisé le vocabulaire des épithètes les plus sonores : « Les 24 articles nous déshonoreraient, nous rayeraient de la liste des peuples, etc… »

Et mois d’un mois après, lorsqu’on annonça au pays la reconnaissance du Roi des Belges par l’Europe, la confiance, la foi en nous-mêmes ne tardèrent pas à renaître.

Lors de l’inauguration solennelle du chemin de fer, qui est la consécration de la partie matérielle de la révolution, n’avions-nous pas le cœur fier et le front haut, en présence des sympathies et de l’admiration de l’étranger ? Etait-ce des pensées de déshonneur et de découragement qui nous assiégeaient quand nous assistions à ce grand et noble spectacle ? Avait-on, après l’adoption des 24 articles, décliné l’honneur de représenter sur les bancs de la législature ce pays, qu’on avait pour la seconde fois déclaré déshonoré ? Non, pas plus qu’après l’adoption des 18 articles.

Faisons donc une part, une large part à l’exagération du moment, et montrons-nous indulgents surtout envers ceux à qui une position spéciale ne permet pas d’envisager la question actuelle avec l’impartialité qui convient aux autres membres de cette chambre.

Les questions d’honneur ! mais savez-vous, messieurs, que nous ne reconnaissons à aucune partie de cette chambre le privilège de les décider seule. Nous nous croyons sur ce point aussi compétent que qui que ce soit. Dans ce conflit, qui sera juge ? Ce sera celui qui l’a été dans deux circonstances analogues. Ce sera le pays. Nous ne craignons pas d’en appeler à son jugement, car ces hommes qui, dans la discussion des 18 et des 24 articles, avaient été accusés de trahir l’honneur national et les intérêts du peuple belge, ces mêmes hommes siègent ici en grande majorité ; les adversaires des 18 articles y sont en minorité. Les adhérents aux 24 articles sont ici en nombre double des opposants aux 24 articles.

Quand on juge ce qui se passe chez nous en dehors de nos passions du moment, croyez-le bien, on ne ratifie aucunement les exagérations auxquelles se livrent les adversaires des propositions du 23 janvier. En voulez-vous un exemple ? Le voici : C’est au moment même où on cherche à imprimer au front de la Belgique un cachet déshonorant, qu’un noble étranger, un généreux proscrit vient briguer l’honneur de devenir Belge. Pour qu’on ne s’y méprenne pas, je déclare que je parle ici du digne ami de Silvio Pellico.

Voilà, comment en dehors de nos passions du jour on juge cette question d’honneur, qu’une partie de cette chambre s’arroge le privilège de trancher, alors que le pays a cassé deux fois ses arrêts !

Que dire sur la nécessité, sur l’urgence qui nous pressent ? Qu’ajouter au discours de mon honorable ami M. Devaux, à qui aucun genre de succès n’a manqué ; car il a recueilli les éloges de dignes adversaires, et certaines injures qui honorent presqu’autant que des éloges.

Il y a une partie de la discussion qui n’a cessé de me causer la plus pénible surprise. Ce sont les attaques dirigées constamment ici contre la France, contre la politique française. Ces attaques, je les trouve peu dignes ; je les trouve en outre complètement imméritées. On attaque ici violemment la politique de l’ancien président du conseil des ministres en France. On a commencé par perdre de vue qu’il n’est ni l’auteur, ni le signataire du traité du 15 novembre, qu’il y est complètement étranger. On a oublié que l’ancien président du conseil des ministres est le même homme qui, en 1830, alors que nous étions menacés d’une intervention, a déclaré qu’il en appellerait à toutes les forces de la France si l’une des cours du Nord envoyait un seul régiment sur le territoire belge. C’est pour cette noble conduite que cet homme d’état qu’on veut aujourd’hui rabaisser a reçu de vos mains la croix de fer.

L’ancien président du conseil est en France l’un des représentants de la politique du droit, de la loyauté dans les engagements, de la foi due aux contrats. En dehors de cette politique, il n’y a que péril pour la jeune Belgique. Et cette politique, qu’ici et en France même on a attaqué avec tant de violence, elle s’apprête déjà à venir s’asseoir sur les bancs des ministres. La signature donnée par ordre du comte Molé a sauvé des embarras à ses successeurs et leur a peut-être épargné de fâcheuses rétractations.

En effet, quel espoir pouvons-nous fonder sur un nouveau ministère en France ? Rien, absolument rien. Cependant on se complaît à cet égard dans la plus étrange illusion. Je suppose que ce ministère soit présidé par un illustre maréchal ; je suppose qu’il ait pour collègue le président du conseil du 22 février. Mais ne savez-vous pas que ces hommes sont les représentants de l’alliance anglo-française ! Ne savez-vous pas que l’alliance anglo-française a été surtout scellée dans la question belge ? Que c’est de l’avoir affaiblie que les ministres en expectative ont surtout accusé les ministres retirés ? et que ce qui peut raffermir cette alliance, si elle avait été compromise, c’est une politique franche et nette dans la question belge, c’est une question prompte et définitive de cette question.

Voyez le programme de la politique nouvelle dont vous attendez votre salut. Les journaux français, organes avoués des prétendants au nouveau ministère, comment se prononcent-ils ? Dans le sens de l’acceptation du traité. Ce sont des faits accomplis. La France est liée. L’honneur est engagé. Voilà ce que disent les organes du nouveau ministère. J’admire cette immense confiance, cette crédulité sans bornes dans un ministère nouveau, attendu comme le Messie qui doit faire triompher vos combinaisons.

Il y a une grave erreur dans le jugement qu’on porte d’ordinaire sur les parties et sur les hommes politiques. Ce n’est pas dans l’opposition qu’il faut juger les hommes politiques, les partis politiques. Pour cela il faut attendre qu’ils soient au pouvoir. Le rôle de l’opposition est ce qu’il y a de plus facile au monde. Y a-t-il des obstacles quelque part ? L’opposition les nie, elle ferme les yeux. L’opposition navigue toujours sur un lac uni comme le cristal, où aucun vent ne souffle, où elle déploie en liberté tous ses mouvements, toutes ses évolutions. L’opposition, c’est la poésie de la politique ; le pouvoir en est la prose : sa tâche toute pratique semble parfois bien vulgaire quand sa rivale se montre grandiose et brillante.

Si l’honorable représentant de la gauche dynastique en France, si M. Odilon-Barrot lui-même arrivait au pouvoir, pendant quelques temps encore, je serais sans de grandes inquiétudes sur sa politique et peut-être parviendrait-il à les dissiper. On dit l’honorable représentant de la gauche dynastique en France, homme d’honneur et de conscience ; mais on le dit aussi sans expérience des nécessités du pouvoir.

Lorsqu’un homme de sens et de cœur passe des bancs de l’opposition sur les bancs du ministère, son rôle change, sa position change, et avec elle le point de vue duquel il juge les événements. Alors il se trouve en présence de réalités, de faits, de nécessités, et surtout d’une immense responsabilité qui font sérieusement réfléchir tous les hommes moraux, à quelque parti qu’ils appartiennent. Vous en avez un exemple frappant, cité à une précédente séance par M. le ministre des travaux publics. Un homme bien autrement avancé que M. Odilon-Barriot dans l’opposition française, l’honorable M. Laffitte était président du conseil des ministres, lorsque la question belge a été portée devant le cabinet français. Eh bien, c’est sous le ministère Laffitte, c’est par un de ses collègues que la question du Luxembourg a été, je ne dirai pas perdue, mais gravement compromise à la tribune de la chambre des députés de France. C’est sous le ministère Laffitte qu’on est venu au sein du congrès national, nous conseiller de retarder le décret d’exclusion de la maison d’Orange-Nassau. Je vais plus loin, je soutiens que si sous le ministère Laffitte le royaume des Pays-Bas tout entier eût continué à subsister, M. Laffitte aurait traité avec le royaume des Pays-Bas. Pourquoi en aurait-il été ainsi ? Parce qu’en France comme en Belgique et comme dans les cours du Nord, les événements de juillet et de septembre 1830 avaient mis en présence deux politiques la politique de guerre et de propagande et la politique de transaction ; et comme la révolution française avait surtout été une révolution intérieure, ce fut le système de paix qui prévalut.

Et croyez-vous que dans les cours du Nord les révolutions française et belge n’aient pas, en y éveillant de vives susceptibilités, posé aussi la question de paix et de guerre ? Croyez-vous qu’à Saint-Pétersbourg, à Vienne et à Berlin, on n’ait pas aussi agité la question de paix et de guerre ? Mais lisez les documents de l’époque, et vous verrez qu’il se forma dans l’une des cours du Nord deux partis, le parti de la paix qui eut pour chef le roi, et le parti de la guerre qui eut pour chef le prince royal. Les partisans de la guerre qualifiaient peut-être aussi de politique timide et déshonorante la politique de transaction ; la politique qui fraternise avec la révolution de juillet, qui respectait la révolution de septembre. Cette politique modérée a prévalu. Grâces en soient rendues au progrès des idées saines et vraiment libérales. Grâces en soient rendues aussi au développement de ces intérêts matériels, puissance nouvelle avec laquelle aujourd’hui tous les gouvernements doivent compter.

Eh bien, messieurs, ce que l’Europe a accepté, ce que la France a accepté, la Belgique pouvait l’accepter aussi ; la politique de transaction, la politique qui respectait les traités, qui voulait la paix, quand elle était celle de l’Europe, pouvait sans déshonneur pour la Belgique être aussi la sienne. Que si, messieurs, des hommes d’une opinion plus avancée, des hommes plus aventureux parvenaient à s’emparer du pouvoir en France ; si ces hommes se montraient prêts à mettre en pièces des traités solennellement jurés, solennellement ratifiés, ce ne serait pas pour le Luxembourg et le Limbourg que vous devriez espérer ; c’est pour la Belgique entière que vous devriez trembler.

Nous jugeons, messieurs, toutes les questions du point de vue de l’intérêt belge ; cela est naturel. Mais où nous avons tort, c’est quand nous accusons tour à tour la France et l’Angleterre, si elles conçoivent l’intérêt belge d’une autre manière que nous. Ainsi, si nous parlons de la France à propos de nos affaires et parce qu’elle ne veut pas tout ce que nous voulons, nous la représentons comme « courbée lâchement » sous le joug des puissances du Nord. Nous mettons en oubli qu’en 1830 la France a protégé la révolution belge par la menace de repousser toute intervention armée ; nous mettons en oubli qu’en 1831 la France, sans prendre conseil de personne, est entrée en Belgique pour repousser l’armée hollandaise ; nous mettons en oubli qu’en 1832 la France a fait le siège de la citadelle d’Anvers. Nous n’en persistons pas moins à dire, parce que nous ne concevons pas qu’elle envisage la question belge autrement que nous, que la France reste courbée sous le joug des puissances du Nord et que c’est pour cela qu’elle nous abandonne.

La question du Limbourg et du Luxembourg a une très grande valeur pour nous ; mais il me semble qu’il faut laisser à la France le soin, le droit de juger de l’importance que cette question a pour elle. Ce qui importait surtout à la France, c’était de maintenir la destruction du royaume des Pays-Bas, d’empêcher une restauration à ses portes. Vouloir que la France courre les chances de la guerre, courre les risques de se brouiller non seulement avec les puissances du Nord, mais avec l’Angleterre, pour nous mettre en possession de ce qui pour elle n’est autre chose que quelques villages ; c’est, messieurs, juger la question du point de vue belge peut-être, mais non assurément du point de vue de l’intérêt français.

On reproche à la France de ne pas parler assez haut. Prenez-y garde, quand la France parlera haut dans les affaires de la Belgique, quand elle jettera le gant à l’Europe à propos de la Belgique, ce ne sera pas pour vous conserver quelques parties du Limbourg et du Luxembourg !

L’Angleterre, on l’accuse avec la même intrépidité de nous avoir lâchement sacrifiés dans les dernières transactions. Vainement nous rappelons-nous que le ministère whig, qui préside encore aux affaires de l’Angleterre, est le même qui a soutenu la révolution de juillet, qui l’a soutenue peut-être contre les velléités hostiles de certaine puissance ; vainement nous rappelons-nous qu’elle a contribué à la destruction du royaume des Pays-Bas ; vainement nous rappelons-nous que c’est l’Angleterre qui, par l’embargo, par le blocus dont elle a frappé la Hollande, a amené la conclusion du 21 mai ; vainement nous rappelons-nous que c’est peut-être à l’appui de l’Angleterre que nous devons en partie les modifications introduites dans le nouveau traité, relativement à la dette et à la navigation de l’Escaut ; on s’écrie que l’Angleterre nous abandonne, parce qu’elle ne veut pas tout ce que nous voulons, parce qu’elle aussi ne comprend pas l’intérêt de la Belgique comme nous le concevons nous-mêmes.

L’Allemagne ne connaît pas non plus ses intérêts, c’est du haut de la tribune belge que nous les lui apprenons. L’Allemagne, vous croyiez qu’en donnant son adhésion aux propositions du 23 janvier, elle a travaillé pour maintenir ses intérêts, son indépendance, elle a stipulé pour sa sûreté ; on lui apprend qu’elle n a travaillé que pour la Prusse, qu’elle a cédé, à plaisir, une hostilité permanente contre la France, en constituant la Belgique nouvelle.

C’est dans le moment où l’on fait ainsi le procès à l’Allemagne, dans le moment où on reproche au gouvernement d’avoir oublié, négligé l’Allemagne, c’est dans le moment où on conseille au gouvernement d’aller vers l’Allemagne, d’essayer d’ouvrir des négociations avec l’Allemagne, c’est dans ce même moment qu’on jette un défi à la confédération germanique, qu’on lui dit : Nous sommes abandonnés de tout le monde, nous sommes un petit peuple de 4,000,000 d’habitants, vous comptez une population de 40,000,000, mais vous n’oseriez pas nous attaquer, vous ne sauriez pas, nous vous défions ; si vous venez, c’est peut-être vers une conflagration générale que vous marchez, nous essayons de la susciter par nos appels à la susceptibilité de la France, de cette France que nous nous efforçons de provoquer en lui reprochant son humilité devant les puissances du Nord qui sont ses alliées, et c’est ainsi qu’on veut se recommander à l’Allemagne, c’est sous ces auspices qu’on veut entrer dans la voie des négociations pour reconquérir la sympathie que nous avons perdue depuis quelques temps, pour y établir des relations commerciales ! On blesse les susceptibilités de l’Allemagne, et on se complait dans le tableau de ses divisions, on la montre partagée entre parti catholique et parti protestant ; on fait, du haut de cette tribune, une espèce de propagande contre l’Allemagne, tandis qu’une propagande souterraine s’était ourdie et qu’une presse hostile aux vrais intérêts du pays la prêchait ouvertement.

Après cela on vient dire que l’Allemagne a tort d’établir un cordon sanitaire contre la Belgique et contre la France. Mais si elle établissait ce cordon contre la France, ces provocations à la résurrection de l’esprit conquérant de l’empire ne justifieraient-elles pas que c’est peut-être pour se soustraire à ces tentatives de propagande catholico-démocratique, à ces agitations qu’on essaie de provoquer chez elle et qui traînent quelquefois à leur suite l’insurrection et la guerre civile.

Rendons grâces au chef de l’église catholique d’avoir condamné, flétri hautement de pareilles tentatives, rendons-lui grâces d’avoir voulu que la mission du catholicisme restât une mission de paix et de charité. Peut-être a-t-il encouru par là les anathèmes des excellents catholiques du Courrier français et du National, mais il s’est acquis ainsi de nouveaux titres au respect, à l’affection des catholiques éclairés, à l’estime, au respect des libéraux tolérants.

Les fruits d’une politique comme celle qu’on a préconisée ici, c’est-à-dire la résistance à la confédération germanique lorsqu’elle revendique les droits qu’elle tient du traité, les fruits de cette propagande ouvertement prêchée par la presse et exercée, assure-t-on, d’une autre manière encore, je crains bien que nous n’ayons à les déplorer longtemps ; je crains qu’il ne se passe des années avant que nous retrouvions les sympathies que l’aspect de l’ordre qui régnait en Belgique et la vue de notre prospérité matérielle avaient éveillées en Allemagne. Je crains que nous n’ayons beaucoup à faire pour combattre, pour vaincre les préventions soulevées contre nous en Allemagne depuis environ un an. Je crains que nos relations commerciales n’en souffrent longtemps ; fasse le ciel que l’avenir de notre admirable chemin de fer n’en soit pas un jour compromis !

Pour achever de se concilier l’Allemagne, que propose-t-on ? de fouler aux pieds un traité dans lequel elle est partie intéressée, auquel elle s’est prêtée, dans lequel elle était représentée, par ses fondés de pouvoir, à la conférence de Londres.

Un honorable membre disait à la séance du 23 janvier : « Les circonstances forment les traités, d’autres circonstances les modifient. C’est là l’histoire de tous les traités. » La proposition est vraie ; mais comment se modifient les traités, quand les circonstances ont changé ? Ils se modifient de commun accord. Si les traités se modifient autrement, ce n’est plus le droit, c’est la force qui prévaut.

On est venu vous parler de la Belgique des protocoles, et on croit, en prononçant avec une certaine véhémence ce mot de « Belgique des protocoles », faire de l’effet sur la partie saine du pays.

Messieurs, je comprends ce langage au début de notre révolution, au milieu des passions de cette crise. Moi-même peut-être je l’ai tenu. Mais après huit ans de calme, d’expérience et de réflexion, pouvons-nous encore parler ainsi ? La Belgique des protocoles, messieurs, c’est la Belgique du droit européen ; est-ce que la France n’est pas aussi la France des protocoles ? Est-ce que l’Europe n’est pas l’Europe des protocoles ? J’ai véritablement de la répugnance à répondre à de pareilles puérilités, que pour notre honneur à tous nous devrions renfermer dans nos débats de 1831. Mais qui dit protocoles dit documents, procès-verbaux. Les protocoles sont dans l’ordre politique ce que les contrats sont dans l’ordre civil. Je ne conçois réellement par comment une discussion tant soit peu sérieuse, peut vivre pendant un quart d’heure sur l’abus d’un mot dont on devrait aujourd’hui comprendre la valeur.

Dans l’ordre extérieur, les protocoles sont à la guerre ce que dans l’ordre intérieur les lois sont à l’émeute. Voilà dans quel sens il faut aujourd’hui parler des protocoles, qui ne sont pas autre chose, je le répète, que les archives des diverses nations de l’Europe.

Le même orateur, l’honorable M. Dechamps, en disant que les traités sont l’œuvre des circonstances, a exprimé le vœu que la bonne foi fît son entrée dans le monde européen. Il me semble que cela s’accorde peu avec la doctrine de l’honorable membre sur la validité et la durée des traités. Abordant la question de la validité du traité du 15 novembre, le même orateur a dit que c’était une question de légiste. Question de légiste ! Voilà un bien superbe dédain : je le concevrais dans la bouche de diplomates formés à l’école de Machiavel, mais je ne le conçois pas de la part d’hommes qui parlent de morale, de bonne foi et de droit. Je suis ici amené naturellement à examiner le traité du 15 novembre.

On a beaucoup parlé dans cette chambre de question d’honneur. Pour moi la véritable question d’honneur, c’est la fidélité aux engagements, et par conséquent au traité du 15 novembre.

Je n’examine pas si on a loyalement substitué ce traité aux 18 articles ; je n’examinerai pas non plus s’il a été imposé. Je ferai remarquer d’abord que jamais une liberté entière ne préside à la signature des traités entre nations. La France était-elle bien libre, après la bataille de Waterloo, d’accepter ou de refuser les traités de 1814 ? Prenez-y garde : si vous dites que les circonstances seulement font et défont les traités, vous vous chargez vous-mêmes de rédiger le programme de la France conquérante, car la France peut dire contre le traité de 1815 tout ce que vous pouvez dire contre le traité du 15 novembre 1831.

Il est, messieurs, des états qui doivent invoquer avant tout le droit, la politique du droit, ce sont les petits états, ce sont les états de second ordre ; et malheur à eux s’ils travaillent à énerver dans l’opinion de l’Europe, dans l’opinion des peuples, le respect des contrats internationaux, la foi due aux engagements.

J’admets que le traité du 15 novembre ait été l’œuvre de la force, l’œuvre de la violence ; mais, messieurs, il est de principe qu’en droit public, comme en droit civil, que la violence est couverte par la ratification librement donnée. Si le traité du 15 novembre avait été l’œuvre de la violence matérielle, il me semble que lorsque la Belgique était parvenue à réorganiser son crédit et son armée, c’était le moment de protester avec énergie contre cette violence. Est-ce là ce qu’a fait la Belgique ? Non, messieurs, rien de semblable n’a été fait ; non seulement la Belgique n’a point protesté contre le traité du 15 novembre alors que la violence, sous l’empire à laquelle vous prétendez qu’elle était placée au mois d’octobre 1831 avait cessé, alors que nous avions une belle armée, alors que notre crédit était raffermi ; non seulement la Belgique n’a pas protesté, mais elle n’a pas cessé de réclamer l’exécution du traité ; tous les pouvoirs étaient d’accord pour réclamer l’exécution du traité ; tous les pouvoirs étaient d’accord pour réclamer cette exécution ; et de quelle manière la réclamaient-ils ? remarquez-le bien, messieurs ; ce qu’on réclamait, c’était l’exécution des stipulations territoriales, l’évacuation préalable des territoires avant toute négociation sur les questions fluviales et financières. On a fait plus que réclamer, on a sommé les puissances d’exécuter le traité du 15 novembre, et c’est en vertu de cette sommation que la citadelle d’Anvers a été rendue à la Belgique et le blocus établi contre la Hollande. Ainsi, messieurs, par suite de la réclamation incessante pour l’exécution du traité du 15 novembre, par suite de la sommation formelle adressée à deux puissances signataires, nous avons recueilli tous les avantages du traité, nous avons obtenu la libération d’Anvers, la liberté absolue de l’Escaut, la liberté absolue de la Meuse, décharge absolue de la dette ; et lorsque nous avons été mis en possession de tous ces avantages, obtenus en invoquant le traité du 15 novembre, aujourd’hui qu’on vous oppose ce même traité, vous voulez le déchirer. Et vous parlez de bonne foi, et vous parlez de loyauté !

« Mais dit-on (un honorable membre qui siége à ma gauche vient de me faire cette observation), tout cela s’est fait avant la convention du 21 mai. Après cette convention, il y a eu novation complète, il y a eu cessation absolue d’exécution. » Eh bien, messieurs, il n’est est rien ; la convention du 21 mai que la Belgique n’a pas subie, mais qu’elle a librement acceptée, n’est pas autre chose qu’une exécution permanente du traité du 15 novembre ; nos discours, nos actes en font foi presque jusqu’au moment où cette discussion s’est ouverte. Voici, messieurs, en quels termes le plénipotentiaire du Roi des Belges, reçoit communication de la convention du 21 mai :

« La convention du 21 mai, sans mettre pleinement à exécution le traité du quinze novembre 1831, assure néanmoins à la Belgique la jouissance de la plupart des avantages matériels attachés à ce traité. Le gouvernement du Roi ne saurait donc l’accueillir qu’avec satisfaction et croit pouvoir la considérer comme répondant en partie au but que la France et la Grande-Bretagne, dans leur résolution ferme et invariable de remplir leurs engagements, se sont proposé d’atteindre en concluant la convention du 22 octobre 1832 (Anvers, embargo), et comme étant un acheminent à l’exécution intégrale de toutes les clauses qui ont été garanties à la Belgique.

« Fort des droits qui lui sont irrévocablement acquis, le gouvernement du Roi, tout en exprimant ses regrets des nouveaux retards qui peuvent être apportés à la complète exécution du traité du 15 novembre 1831, attendra avec confiance le résultat des nouvelles négociations annoncées, etc. »

Voilà, messieurs, le langage de notre plénipotentiaire à Londres ; vous voyez donc comment il qualifiait la convention du 21 mai : « Un acheminement vers l’exécution intégrale de toutes les clauses garanties à la Belgique. » Voilà maintenant le langage du gouvernement à Bruxelles :

« Nous nous réservons, dit-il aux chambres le 14 juin 1833, tous les droits qui nous sont acquis par le traité du 15 novembre, en considérant la convention du 21 mai comme la convention d’exécution de ce traité. »

Déjà le 7 juin 1833, le Roi, en ouvrant la session, après avoir annoncé la délivrance d’Anvers et la convention du 21 mai, tenait ce langage :

« Le traité du 15 novembre est resté intact. Je veillerai à ce que, dans l’arrangement définitif avec la Hollande, il ne soit porté aucune atteinte aux droits qui nous sont acquis. »

Lorsque le gouvernement tenait ce langage devant les chambres, après la convention du 21 mai, c’était bien le cas pour les chambres de protester, si elles croyaient que la convention du 21 mai mettait le traité du 15 novembre à néant ; eh bien, on n’en fait rien. On prétend que d’après toutes nos adresses, d’après toutes les discussions qui ont suivi la convention du 21 mai, le traité du 15 novembre est frappé de prétérition absolue ; il n’en est rien, messieurs car voici ce qu’on lit dans l’adresse en réponse au discours du trône.

« La convention du 21 mai nous conserve la possession de plusieurs avantages matériels stipulés dans le traité du 15 novembre 1831, etc. »

Je demande si c’est là protester contre le traité du 15 novembre ? Le gouvernement déclare, à la face des chambres, que le traité est resté intact, qu’il est la base de notre droit public, et l’on n’a rien fait. Cependant l’honorable M. Dumortier, dans une séance précédente, a dit qu’à partir de la convention du 21 mai, on n’a plus parlé du traité du 15 novembre. On n’en a plus parlé ! Vous venez de voir ce qui s’est passé entre le gouvernement et les chambres au mois de juin 1833 ; mais voici ce qui est plus positif encore : un membre de la chambre, rapporteur du budget des finances en 1833, soutenant que M. le ministre des finances avait dissimulé un déficit dans notre situation financière, s’exprimait ainsi dans la séance du (erratum, Moniteur du 22 mars 1839 : ) 31 août 1833 :

« Enfin, messieurs, on vous l’a dit : Le traité des 24 articles est intact, et alors il est prudent de nos réserver les moyens de fournir aux arriérés de la dette. Toute espérance contraire serait chimérique, et les calculs qui ne porteraient pas sur cette base ne reposeraient que sur une idéologie sans raison.

« Je voudrais que le chef du cabinet vînt déclarer hautement que le gouvernement belge est décidé à ne pas payer les arriérés. Si nous n’obtenons pas cette déclaration, il est sage de nous préparer à les payer autrement que par des réflexions sur le passé et d’inutiles regrets. »

Qui donc, messieurs, tenait ce langage dans la séance du 31 août 1833 ? Qui donc déclarait d’une manière si formelle que le traité du 15 novembre restait intact et qu’il fallait faire figurer dans notre passif les sommes nécessaires pour payer les arrérages de la dette ? Qui donc disait que raisonner autrement c’était se placer sur une base qui ne reposait que sur une idéologie sans raison ? C’était l’honorable M. Dumortier.

Ce que je viens de vous citer est bien clair, messieurs, mais voici ce qui ne l’est pas moins et ce qui présente une plus grande importance, en ce qu’il s’est écoulé plus d’un an entre le langage que je viens de rapporter et celui que je vais reproduire. Voici ce qu’un honorable membre de la chambre disait de la convention du 21 mai, dans la séance du 14 novembre 1834 :

« Vous connaissez la convention du 21 mai ; espèce d’arbre du bien et du mal, cette convention a porté des fruits précieux et des fruits amers : des fruits précieux pour le présent, des fruits amers pour l’avenir.

« Par la convention du 21 mai, nous restons en possession des avantages acquis par la révolution. Par elle, nous conservons des frères qui, comme nous, ont secoué le joug de la Hollande, qui ont conquis par eux-mêmes et sans nous le droit de rester Belges à jamais. Par elle enfin nous écartons l’obligation de payer sur-le-champ la dette hollandaise.

« Quant à l’avenir, elle laisse toujours subsister le traité du 15 novembre, et place ainsi la Belgique dans la position la plus funeste ; elle nous lie vis-à-vis des puissances sans lier le roi Guillaume, de telle sorte qu’il est libre et que nous ne le sommes pas ; enfin elle permet de supposer que le roi Guillaume pourra un jour exiger tous les arriérés de la dette, etc. »

C’est l’honorable M. Dumortier qui tenait encore ce langage, bien que dans une séance précédente il ait prétendu que, depuis la convention du 21 mai, on n’a plus parlé du traité du 15 novembre.

Je cherche vainement, messieurs, comment le traité du 15 novembre s’est trouvé anéanti, je cherche la date de son abrogation ; je cherche une protestation, une déclaration de déchéance ; je n’en trouve pas. Cependant nous voilà déjà à la fin de 1834.

Arrivons à 1836. En 1836, messieurs, les choses changèrent un peu de nature, et vous allez en comprendrez facilement la raison : en octobre 1836, la première réunion des conseils provinciaux eût lieu ; le conseil provincial du Luxembourg et le conseil provincial du Limbourg ne protestèrent point contre le traité du 15 novembre, mais adressèrent des vœux au gouvernement pour que, si les négociations venaient à être ouvertes pour arriver à un traité définitif, on fît tous les efforts possibles pour conserver les territoires cédés.

Cette démarche des conseils provinciaux rappela l’attention publique sur le traité du 15 novembre et sur l’issue pénible à laquelle on pensait qu’elle aboutirait un jour. Eh bien, messieurs, après que les conseils provinciaux du Limbourg et du Luxembourg eurent exprimé le vœu que la diplomatie belge employât tous ses efforts pour conserver l’intégrité territoriale, la session législative s’ouvrit, et voici ce qu’on trouve dans le discours du trône du 9 novembre 1836 :

« Mon gouvernement a su maintenir nos droits, en défendant avec persévérance la position acquise au pays et garantie par les traités. »

Ceci n’est pas tout à fait l’équivalent de ces mots : la convention du 21 mai 1833. Vous l’entendez, messieurs, « et garantie par les traités » : il y avait donc plus d’un traité ; on faisait donc nécessairement allusion au traité du 15 novembre. Il est impossible de méconnaître que telle est la portée du discours du trône.

Et je m’étonne, messieurs, lorsque ce discours du trône est l’œuvre d’un ministère dans lequel siégeaient deux honorables ex-ministres, de l’attitude qu’ils ont jugé à propos de prendre depuis. Car enfin ces honorables ex-ministres doivent savoir qu’un discours du trône lie tous les ministres, qu’il est l’œuvre de tous les ministres, qu’aucun membre du cabinet ne peut en décliner la responsabilité ni se retrancher derrière la spécialité de son département. Un discours de la couronne est une œuvre gouvernementale par excellence ; c’est un acte de solidarité pour les ministres. Eh bien, vous le voyez, messieurs, le discours du trône que je cite parle de la position acquise par la Belgique et « garantie par les traités. »

Dans la séance du 9 novembre 1836, l’honorable M. Dumortier s’écrie :

« Il importe que le pays sache si le gouvernement répudie le traité du 15 novembre, ou s’il le reconnaît. »

Ainsi, dans l’opinion de l’honorable M. Dumortier, le traité subsistait au mois de novembre 1836, ou, tout au moins, M. Dumortier reconnaît que le gouvernement ne s’était pas explicitement prononcé sur la validité du traité du 15 novembre ; sinon, la question de l’honorable membre aurait été tout à fait oiseuse.

M. Nothomb, aujourd’hui ministre des travaux publics, alors secrétaire général du département des affaires étrangères (position que je crois pouvoir qualifier de semi-ministérielle, sans blesser M. Nothomb), M. Nothomb, dis-je, en réponse à l’interpellation de M. Dumortier, s’écrie que le traité du 15 novembre est resté debout, que c’est la base de notre droit public. M. Nothomb vous a lui-même rappelé les expressions dont il s’est servi dans la séance du 9 novembre 1836, et dès lors je n’ai pas besoin de les reproduire.

L’honorable M. de Muelenaere, ministre des affaires étrangères, et qui, en cette qualité, parlant au nom du gouvernement, engageait la responsabilité de tous les membres du ministère, qui ne l’ont pas désavoué ; l’honorable M. de Muelenaere tient un langage analogue à celui de l’honorable M. Nothomb.

Au sénat, l’adresse fut discutée sous l’empire de ce qui venait de se passer dans les conseils provinciaux du Luxembourg et du Limbourg. M. le comte d’Ansembourg vous y faire insérer, par amendement, non pas une protestation contre l’exécution du traité, mais le simple vœu des conseils provinciaux du Limbourg et du Luxembourg.

Qui combattit cet amendement ? M. le ministre des affaires étrangères, organe, et à la chambre et au sénat, du gouvernement tout entier ; et, sur les instances de M. le ministre des affaires étrangères, l’amendement proposé par M. le comte d’Ansembourg, fut rejeté par le sénat.

Un membre – Vous ne parlez pas de l’adresse de la chambre.

M. Lebeau – L’adresse de la chambre ne dit pas un mot qui invalide le traité du 15 novembre, et vous ne prétendrez pas, sans doute, qu’une prétérition soit une déclaration de déchéance.

Et lorsque des faits semblables se sont accomplis sous un ministère dont faisaient partie les honorables Messieurs. Ernst et d’Huart, avons-nous, je le demande, le droit de nous étonner quelque peu de l’attitude qu’ils ont prise aujourd’hui ?

Quoi ! le gouvernement, s’exprimant par le discours du trône, s’exprimant par l’organe du M. le ministre des affaires étrangères au sein des chambres, déclare que le traité du 15 novembre n’est nullement invalidé, et fait rejeter des amendements dont l’adoption pourrait jeter le doute à cet égard ; et des membres de ce même cabinet viennent aujourd’hui, au nom de la morale, prêcher la violation du traité du 15 novembre, c’est-à-dire dans mon opinion, prêcher le mépris de la foi jurée, le mépris d’engagements pris en face de l’Europe et confirmés par le pays tout entier. Messieurs, je laisserai à d’autres le soin d’expliquer de pareilles contradictions.

Ainsi, en 1836 le gouvernement reconnaissait devant les chambres la validité du traité du 15 novembre ; nulle protestation de déchéance n’a été faite dans les chambres, personne n’a attaqué la validité du traité, ou du moins personne n’a fait passer cette théorie dans les actes parlementaires.

Qu’a-t-il donc de changé depuis la fin de 1836 ? Ce qu’il y a de changé, c’est qu’il y a de plus, c’est l’adhésion du roi Guillaume, ce sont des modifications au traité que je crois avantageuses à la Belgique ?

Est-ce à dire que je sois en extase devant le traité du 15 novembre ? Est-ce à dire que je croie qu’on n’aurait pas dû tenir un peu compte de ce qui s’est passé, de la communauté d’intérêts pendant huit ans, enfin de la possession non interrompue depuis la révolution de septembre ? Est-ce à dire, messieurs, qu’il ne faille pas désirer qu’une politique plus humaine, plus sage peut-être, vienne présider un jour aux transactions des cours européennes ?

Non, messieurs, je ne suis pas en extase devant le traité du 15 novembre. Quoiqu’avec moins de bruit, je déplore aussi amèrement que d’autres les pénibles conséquences du traité. Mais, messieurs, la prescription dans le droit public doit avoir quelque analogie avec la prescription dans le droit civil. Lorsqu’il y a deux ans à peine tout le monde parlait encore de la validité du traité du 15 novembre, que du moins aucun pouvoir ne la niait, on ne peut pas aujourd’hui, parce que le roi Guillaume a adhéré au traité et qu’on y a introduit des modifications avantageuses à la Belgique, on ne peut pas aujourd’hui déchirer un document sur lequel repose notre titre de nation.

La conférence, d’ailleurs, qu’on ne l’oublie pas, n’est pas omnipotente. La conférence n’a pas seulement à respecter les droits de la Belgique et de la Hollande, mais elle a à respecter le droit d’autres petits états qui font partie de la confédération germanique ?

Croyez-vous que dans la Bavière, dans le Wurtemberg et dans le Hanovre, on n’ait pas les mêmes susceptibilités que vous avez ici ? Croyez-vous que l’énergie que la conférence a trouvée ici, et qui l’a obligée, en face de la Hollande et de la Belgique, d’arriver à la solution de la question belge par mille précautions ; croyez-vous que cette énergie ne se rencontre pas ailleurs qu’ici ? Croyez-vous que l’Angleterre n’ait pas à respecter les droits de la conférence ? Croyez-vous que la France ait été bien d’accord avec les puissances du Nord pour maintenir les 18 articles ? Croyez-vous que la France n’ait pas vu avec une sorte de satisfaction, qu’il ne m’appartient pas de juger, parce que je ne me crois pas plus Français que les Français mêmes, la conversion des 18 articles en traité des 24 articles ? Les 18 articles nous faisaient entrer dans la confédération germanique, tandis que les 24 articles nous en faisaient sortir : résultat qu’on a proclamé à la tribune française comme un succès politique.

On parle d’une politique nouvelle, d’une Europe nouvelle ; mais cette politique nouvelle, cette Europe nouvelle, ce n’est pas par la résistance, par la guerre ; c’est par la paix que vous la verrez se former, c’est sous l’influence de la paix, des idées généreuses qui se développent sous les auspices de la paix, que l’on parviendra à faire tenir meilleur compte des sympathies populaires et à substituer des affinités naturelles aux affinités factices, à constituer les nations d’après leur origine, leurs mœurs, leurs croyance, leurs affections, etc. non d’après des lignes arbitraires ou des cours d’eau. Mais pour cela, la prolongation de la paix est nécessaire. Avec la guerre reparaît l’Europe ancienne, l’Europe que la guerre a faite.

Messieurs, la chambre et le pays ont hâte d’en finir : aussi, je crois devoir abréger les considérations dans lesquelles je me proposais d’entrer pour motiver mon vote.

Je crois avoir déjà faire justice de quelques exagérations qui se sont produites dans le cours de cette discussion. Il en est une encore que je ne puis passer sous silence.

A entendre les partisans de la résistance, nous sommes des trafiquants de chair humaine, nous sommes des fratricides. On a été jusqu’à dire qu’en adoptant la proposition du 23 janvier, nous allions verser le sang innocent.

Je suis presque tenté, par une réaction naturelle contre de pareilles exagérations, de prendre la défense de celui qu’on vous représente comme une espèce de Néron au petit pied. Eh quoi ! en replaçant sous la domination du grand-duc de Luxembourg les populations cédées, nous faisons la traite des blancs, nous les mettons en quelque sorte sous le fouet du planteur ! Messieurs, il faut être juste envers tout le monde ; il faut être juste même envers le roi Guillaume. Il ne faut pas oublier que celui que vous désignez comme si cruel ce Néron au petit pied, est cependant le même prince qui donnait un asile aux proscrits de la restauration ; il ne faut pas oublier que ce prince, qu’on représente comme un réactionnaire si violent, a cependant dans ses conseils un ministre de Louis Napoléon, et qu’il a encore parmi les membres de son cabinet actuel un homme qui a juré haine à la maison d’Orange.

Je crois qu’il serait temps de parler un autre langage envers celui à qui peut-être le Roi des Belges va jurer paix et amitié ; je crois qu’il serait temps surtout de parler un autre langage à l’égard de la Hollande, avec laquelle notre union commerciale peut se resserrer autant peut-être que sous l’ancien royaume des Pays-Bas ; il est temps de parler un autre langage à l’égard de la Hollande, avec laquelle les vicissitudes de la politique et la défense de notre nationalité peuvent nous associer un jour. Croyez-moi, c’est un mauvais moyen de nous réconcilier avec la Hollande que de la blesser, de l’humilier dans le prince qui préside encore aujourd’hui à ses destinées.

On ne s’est pas borné à ce genre d’exagération.

Notre système a été pour la troisième fois accusé de lâcheté, d’inhumanité. Nous sommes des ingrats, nous sommes des égoïstes. Voyons, messieurs, ce qu’il y a de réel dans ces assertions. Qu’est-ce qui surtout a fait accepter à la Belgique la convention du 21 mai, qu’il était de son intérêt de repousser pour obtenir une reconnaissance définitive ? L’espoir de conserver les territoires cédés. Qu’est-ce qui nous dirigeait ? Lors de cette misérable affaire du Grünewald, dans nos armements immédiats, dans les sacrifices votés alors par la législature afin qu’il ne fût pas porté atteinte à la sécurité des habitants du Luxembourg ? Le désir de maintenir le statu quo intact, et par suite l’espoir de conserver les territoires cédés. Qu’est-ce qui, lors de cette adresse présentée à la chambre, a fait dévier des hommes consciencieux de cette politique prudente et sage qu’ils avaient constamment préconisée ? Qu’est-ce qui a enchaîné leur voix prête à signaler une déviation que déjà ils regardaient comme dangereuse ? Evidemment le désir de ne pas nuire aux négociations et un vague espoir de conserver les territoires cédés. Qu’est-ce qui nous a fait voter et supporter des armements ruineux, qui a fait rappeler sous les armes la réserve et laisser dans la misère et les larmes leurs femmes et leurs enfants ? Le désir, l’espoir de conserver les territoires cédés. Qu’est-ce qui a contribué si puissamment à aggraver la crise qui pèse sur le pays ? Qu’est-ce qui a fait chômer depuis longtemps les magasins de nos détaillants, qui n’ont rien de commun avec les sociétés anonymes, si vivement attaquées ici ? L’état d’incertitude et d’anxiété amené, prolongé dans l’espoir de conserver les territoires cédés. Qu’est-ce qui a soutenu la patience de la nation, en présence des banqueroutes, de la stagnation du commerce, de la fermeture des fabriques et d’une immense population d’ouvriers jetés sur le pavé ? Le désir de conserver les territoires cédés. Ce n’est pas assez ! il faut aller jusqu’au suicide, il faut que, sans espoir de vous sauver, la Belgique s’éteigne dans l’agonie d’une mort lente ou dans les convulsions de l’anarchie ; ou bien il faut, par une résistance, par des provocations imprudentes, essayer d’amener sur l’Europe le cataclysme de 1814 et de 1815. Mais songez-y messieurs. Savez-vous bien que les chances ne sont pas égales ? Savez-vous qu’après de pareilles tempêtes, vous pourrez bien surnager comme Limbourgeois, comme Luxembourgeois, mais qu’il n’y aurait plus d espace pour une Belgique ! Ah, messieurs, le sentiment de l’injustice peut amener une réaction bien naturelle dans les esprits : prenez-y garde, le reproche d’ingratitude et d’égoïsme pourrait bien changer de bouche… Je m’arrête ici, car je veux remplir un devoir envers vous : c’est de comprimer au fond de mon âme les réflexions qui sont prêtes à s’en échapper.

M. Gendebien – J’ai l’honneur de déposer sur le bureau une pétition qui m’a été adressée de la ville de Huy contre le morcellement du territoire ; cette pétition est signée par les plus honorables citoyens, et entre autres par votre honorable collègue M. Dautrebande. Je demande que cette pétition soit insérée au Moniteur avec les 80 signatures.

M. Vandenbossche – J’ai aussi l’honneur de déposer une pétition de Lede contre le traité, qui est signée par 89 des principaux habitants de la commune, tous électeurs.

Je demande, comme l’honorable préopinant, l’insertion au Moniteur.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, j’ai été étonné lorsque j’ai entendu, dans la dernière séance, un honorable député de Mons accuser tour à tour les ministres des affaires étrangères qui ont occupé ce département depuis 1831 jusqu’à ce moment, de s’être laissé abuser par une crédulité facile, d’avoir entraîné les chambres dans des erreurs graves. L’honorable membre avait-il donc perdu la mémoire de ce qui s’était passé au congrès ? Avait-il perdu le souvenir du discours qu’il a prononcé à la séance du 1er février 1831, pour appuyer l’élection du duc de Nemours ? Jamais un homme politique n’a donné une preuve de plus grande crédulité, jamais une assemblée n’a été entraînée à prendre une décision plus décevante.

Voici, messieurs, ce que disait M. Gendebien à la séance du 1er février 1831 :

« En élisant le duc de Nemours, nous avons la certitude qu’il acceptera. Tous nos lettres venant de Paris, nos relations avec de hauts personnages en France, la voix patriotique et persuasive de La Fayette, le vœu de la France entière nous sont un pur garant que les sentiments paternels de Louis-Philippe, d’accord avec les intérêts et la politique de la France, ne lui permettront pas d’hésiter un seul instant. »

L’orateur qui tenait ce langage était membre du gouvernement provisoire, chef du comité de la justice, et venait de remplir une mission diplomatique à Paris. Cependant qu’est-il advenu de ces belles promesses ? Le congrès s’est laissé entraîner par ce discours, l’élection a eu lieu, et elle était à peine consommée que le refus de Louis-Philippe était connu de la Belgique. Cette décision a failli avoir les conséquences les plus funestes ; vous le savez, un temps précieux fut perdu pour l’élection d’un Roi ; les partis reprirent toutes leurs espérances, et le mois de mars faillit nous amener la restauration.

Dans cette même discussion, messieurs, le même orateur cherchait encore à effrayer le congrès au moyen d’une note diplomatique que le gouvernement provisoire avait reçue de la France. « Je pense,disait-il, qu’avec le duc de Leuchtemberg nous n’aurons ni le Limbourg, ni le Luxembourg ; nous n’aurions ni Maestricht ni Venloo, ni la rive gauche de l’Escaut. Si nous devons les obtenir par des traités, c’est à la toute puissance de la France que nous les devrons. Or, la France non-seulement nous retire sa protection dès l’instant où l’élection du duc de Leuchtemberg est prononcée, mais elle se constitue même en état d’hostilité vis-à-vis de nous : une note officielle nous en a donné l’assurance. » Une simple note émanée de la diplomatie française suffisait donc à l’honorable membre pour annoncer au pays les plus grands malheurs, et aujourd’hui, en présence d’une obligation contractée entre toutes les puissances, à la suite d’une négociation de huit années, il pense qu’il n’y a pour la Belgique aucun péril.

Je ne dirai que quelques mots pour rectifier les faits avancés par cet orateur en ce qui concerne la marche des négociations. Déjà elle a été suffisamment exposée dans les deux rapports que j’ai communiqués à la chambre et dans les divers discours que j’ai prononcés.

Tous les efforts du gouvernement dans cette longue négociation ont tendu à la conservation du Limbourg et du Luxembourg ; c’était pour nous un devoir, mais il ne devait pas dépasser les limites du possible.

Serait-il vrai que jamais le gouvernement n’ait pu conserver d’espérance de succès sur cette importante question ? Non, messieurs. Et d’abord, je déclare qu’il n’est pas vrai que la question territoriale fut décidée dès le mois de mars ni même dès le mois de mai, et qu’il n’est pas vrai non plus que la révision de la dette fut admise à cette époque. Je vous ai exposé, dans mon rapport du 1er février, quelle était l’exacte situation des choses aux mois de mars et de mai, en ce qui concerne la question territoriale. Si, dès lors, nous avons pu apercevoir les plus grandes difficultés, nous ne devions pas cependant désespérer d’arriver à un arrangement au moyen de compensations. Mais si nous avions désespéré alors de la question territoriale, nous eussions dû désespérer également de la question de la dette ; car, le 27 avril dernier, le cabinet britannique avait fait notifier au gouvernement belge que toute espérance de réviser la dette serait chimérique. A cette époque les cours du Nord ne faisaient pas de concession sur la question des arrérages. Le roi Guillaume disait que son adhésion était subordonnée à la condition que le traité fût exécuté purement et simplement.

Il n’est pas exact de dire que, dès la première réunion de la conférence, la question territoriale fût résolue dans son sens.

D’abord, au mois de mars, il ne fut pris aucune décision. Il y eut un simple accusé de réception de l’adhésion du roi Guillaume donné par lord Palmerston. Voilà le seul acte de cette époque. Lorsqu’au mois d’août la conférence repris le cours de ses travaux, elle ne rédigea aucun protocole ; la discussion s’ouvrit de prime abord sur la question de la dette.

Au mois de novembre dernier, le gouvernement avait l’assurance qu’on admettrait le principe d’une transaction pour réduire la dette ; on lui proposait, à ce titre, une réduction de 3 millions de florins ; il espérait une réduction plus considérable encore. L’époque de la réunion des chambres, en France, était annoncée. Des hommes graves de la Hollande, et d’une grande valeur politique avaient manifesté l’opinion qu’une transaction pécuniaire sur la question territoriale serait agréable en ce pays. Dès lors, nous conservions de justes espérances. C’est ce qui explique à la fois et le discours du trône et le vote de l’adresse. La réunion des chambres françaises était sans doute un grand événement. On redoutait cette époque à Londres à tel point, qu’on rédigea le protocole du 6 décembre par lequel on avait cherché à lier le gouvernement français. Cependant ce gouvernement ne crut pas devoir se lier à cette époque, et il attendit la fin de la discussion de l’adresse dans la chambre des députés.

Les démonstrations de la Belgique ne pouvaient, dit-on, exercer aucune influence ni sur la conférence ni sur le cabinet de Paris. On ne croyait pas à leur sincérité. Mais comment alors expliquer la protestation de Messieurs. Senfft et Bulow, et la notification du cabinet britannique par laquelle il déclarait éventuellement la cessation du statu quo garanti par la convention du 21 mai ; comment expliquer les démarches instantes du cabinet français pour obtenir l’adhésion de la Belgique, soit avant, soit pendant la discussion de l’adresse ?

Peu s’en faut qu’on ne nous accuse de connivence avec le ministère français, qu’on ne suppose que les ministres, tant en Belgique qu’en France, étaient constamment d’un commun accord. Car c’est jusque-là qu’on a porté l’esprit de soupçon. Ainsi la dissolution des chambres françaises devait coïncider avec le rapport que je faisais à la tribune belge le 1er février. Vraiment cette accusation est par trop absurde pour qu’on s’y arrête un seul instant. Qu’est-ce d’ailleurs qui a fixé la date de ce rapport ? cette date ne s’exprime-t-elle pas suffisamment par la note de la conférence du 23 janvier ? Qu’est-ce qui a donné lieu à la dissolution des chambres françaises ? N’est-ce pas la fin de la discussion de l’adresse et la démission donnée par les ministres, qui n’a pas été acceptée par le roi, ce qui a rendu nécessaire la formation d’une nouvelle chambre ?

La nomination du général Skrynecki n’aurait été elle-même qu’une déception ! Mais cette nomination coïncidait précisément avec l’arrivée du général en Belgique, et l’arrivée du général n’était pas un fait instantané, c’était un fait prévu depuis plusieurs mois. Quant à la position du général rien n’y a été changé ; elle a été fixée telle que l’exigeaient les circonstances.

Nous n’avions pas pris de conclusions, dit-on, à la suite du rapport du 1er février ; c’était pour avoir le temps de préparer les esprits ! mais non ; c’était pour savoir si le roi Guillaume adhérait lui-même aux propositions du 23 janvier. Si cette adhésion n’avait pas été donnée, certes nous nous serions abstenus de présenter le projet de loi que vous discutez en ce moment.

On nous demande ce qui justifie le changement qui s’est opéré depuis le mois de novembre. Mais a-t-on oublié les faits qui se sont produits depuis cette époque, et le protocole du 6 décembre auquel la France a adhéré le 22 janvier, et l’adhésion du roi Guillaume, et les invitations réitérées adressées à la Belgique ? A-t-on oublié la crise industrielle qui s’est produite en décembre dernier ? Et en présence de tels faits on aurait voulu que rien ne changeât dans la direction de nos affaires diplomatiques ! En vérité, on ne reconnaît pas là l’orateur qui, dans la séance du 1er février 1831, menaçait le congrès et la Belgique de toute l’indignation de la France parce qu’une note adressée par le cabinet de Paris déclarait que la France s’opposerait à l’élection du duc de Leuchtemberg.

D’une part, on nous a accusés de nous être bercés de vaines espérances sur la question du territoire ; et, d’autre part, le même orateur vous persuade encore que dans l’état actuel des choses vous pouvez obtenir une solution favorable à cette question. Je le demande, s’agit-il de se bercer d’espérances en présence de l’acte solennel qui vient d’être accompli ? La conférence, qui vient de se prononcer définitivement, vous laissera-t-elle jouir à jamais de tous les avantages du statu quo ? Mais a-t-on oublié les actes par lesquels deux puissances représentées à la conférence ont amené l’adhésion du roi Guillaume au traité du 15 novembre ; et ne doit-on pas conclure de ces précédents que la Belgique serait à son tour contrainte d’adhérer au protocole du 22 janvier ?

La question dit-on, est celle-ci : Accepterez-vous le traité ou vous laisserez-vous exécuter ? Sans doute elle est là ; mais s’il est pénible de donner son consentement à un traité que nous considérons comme onéreux, comme blessant nos affections et nos sympathies, je le demande, y aurait-il de l’avantage à laisser victimes les habitants des territoires aujourd’hui en discussion ? Quel serait donc l’avantage de répandre le sang sans aucun espoir de conserver en définitive ces mêmes territoires ? Quel serait l’avantage de laisser consommer la ruine du pays ?

Mais, dit-on, les événements que vous redoutez ne sont pas certains, ne sont que des prévisions. S’il faut une certitude absolue, si les événements doivent être accomplis, à quoi bon les lumières de la raison ? A quoi servent nos discussions ?

En terminant, je dois répondre quelques mots sur la question de constitutionnalité. L’honorable député de Tournay a prouvé avec beaucoup de lucidité que d’après les dispositions de la constitution, les Luxembourgeois sont Belges à l’égal des habitants des autres provinces. Sur ce point, il n’y a aucun doute, d’après la constitution, ils sont comme nous admissibles à tous les emplois civils et militaires. Mais il ne résulte nullement de son argumentation que des parties du Luxembourg ne puissent être cédées en vertu d’un traité, comme d’autres parties du territoire. A cet égard, les discours des honorables Messieurs Liedts, Fallon et le rapporteur de la section centrale, conservent toute la force de leurs argumentations.

Lorsque le congrès a voté les 18 articles, il a été le meilleur interprète de ses décisions antérieures ; et lorsque les événements malheureux d’août 1831 ont obligé les chambres à accepter le traité du 15 novembre, cette acceptation a été justifiée à la dernière évidence. La même nécessité qui pressait alors les chambres, les presse encore aujourd’hui, et votre décision sera toute aussi constitutionnelle, tout aussi légitime.

M. Gendebien – Avant que j’aborde le fait qui m’est personnel, permettez-moi de répondre un mot sur ce qu’on a dit de mon père. Un honorable orateur a dit que M. Gendebien père était tout à fait de son opinion au sujet des 18 articles, et qu’il y avait trouvé tout ce que lui-même y a vu. M. Gendebien père est monté à la tribune le 17 novembre 1830 et là, messieurs, il a démontré en peu de mots, et d’une manière aussi lucide que pertinente, le droit incontestable de la Belgique sur le Luxembourg. Quant aux 18 articles, oui, M. Gendebien père y a vu ce que M. Lebeau croyait y voir d’après la deuxième édition qui nous a donné de son opinion (car, d’après la première, il n’y voyait pas ce qu’il y a vu depuis, puisqu’il les considérait comme contraires à la constitution.) C’est parce que la majorité du congrès a vu dans les 18 articles ce qui n’y était pas qu’il les a adoptés. Nous, messieurs, nous les avons rejetés, parce que nous y avons vu une mystification, comme je l’ai démontré aussi clairement qu’il est possible de le faire.

J’ai dit, messieurs, que nous n’aurions une partie du Luxembourg que contre l’échange d’une partie du Limbourg. Voilà, messieurs, ce que j’ai démontré au congrès au mois de juillet 1831, d’après le texte même des 18 articles sainement interprétés, et d’après toutes les pièces diplomatiques qu’on niait, mais qui se sont produites depuis au grand jour.

Ainsi donc, messieurs, M. Gendebien père a démontré d’une manière permanente notre droit, et s’il a voté pour les 18 articles, c’est qu’il a été dupe comme tant d’autres, c’est qu’il a pris au sérieux toutes les promesses, toutes les prophéties qu’on nous faisait pour faire accepter ces 18 articles.

Il m’a été impossible de retrouver dans l’Union belge le discours dont a parlé M. le ministre de l'ntérieur ; ce discours a probablement été publié dans un supplément que je n’ai pas trouvé dans le volume que je viens de faire venir de la bibliothèque. Je dirai toutefois qu’il est inexact que j’aurais communiqué des documents diplomatiques au congrès : chacun sait que quand le comité diplomatique faisait des communications, c’était ordinairement par l’intermédiaire de M. Van de Weyer, ou d’un autre membre du comité en son absence ; je puis donc déclarer hautement que M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères s’est complètement trompé.

Lors de l’élection du duc de Nemours, j’ai, dit-on, produit des lettres ; je n’en ai produit aucune, mais j’ai parlé de lettres qu’avaient reçues des membres du comité diplomatique, et autre autres celles reçues par M. Lehon ; mais, loin d’avoir cherché à tromper le congrès sur les chances d’acceptation par le duc de Nemours, j’ai au contraire dit au congrès la vérité toute entière. Car savez-vous, messieurs, comment je procédais quand j’étais chargé d’une mission diplomatique ? Vous allez en juger, et vous verrez si ma conduite ressemble en rien à celle des hommes prétendument diplomates et hommes d’état qui m’ont succédé ; voici le rapport que j’ai fait au congrès dans la séance du 12 janvier 1831, à mon retour de Paris (j’étais revenu le 10 au soir) :

« Je reviens, messieurs, à l’objet en discussion. J’ai dit que je ne m’opposerais pas à ce que des commissaires fussent envoyés à Londres et à Paris ; mais désirant que les conclusions de la section centrale ne soient adoptées qu’après une mûre délibération, je crois devoir vous dire ce que j’ai recueilli de la bouche même du roi des Français. Il est peut-être peu parlementaire de faire intervenir le nom du roi dans la discussion ; mais il s’agit d’un souverain étranger, et ses paroles sont trop importantes pour que je ne crois pas utile, nécessaire même de les rapporter. Lorsque je fus présenté à S.M. le roi des Français, je lui demandai si, le cas arrivant où le congrès persisterait à élire son fils pour roi des belges, S.M. refuserait de nous l’accorder. Voici la réponse de S.M. ; je crois me rappeler ses propres paroles :

« M. Gendebien, vous êtes père d’une famille à peu près aussi nombreuse que la mienne, vous êtes donc dans une position à pouvoir mieux que personne apprécier les sentiments qui m’agitent en ce moment. Il doit vous êtes facile de comprendre combien il serait doux pour mon cœur, et flatteur pour un père, de voir un de ses fils appelé au trône de la Belgique par le vœu libre et spontané du peuple belge. Je suis même persuadé que son éducation, toute libérale, serait un sur garant pour le maintien et le développement des institutions que vous vous créez dans ce moment. Il m’est donc doublement pénible de devoir vous dire que je ne pourrais agréer les vœux du congrès : une guerre générale en serait la suite inévitable ; aucune considération ne pourrait me décider à me faire accuser d’avoir allumé une conflagration générale par ambition, pour placer mon fils sur un trône. D’ailleurs, la liberté sort rarement victorieuse de la guerre ; vous avez, comme nous, intérêt à conserver la paix ; mais si votre indépendance était attaquée, je n’hésiterais pas, je ne consulterais que les devoirs que m’imposeraient l’humanité et la vive sympathie que l’éprouve, ainsi que toute la France, pour votre cause. Je suis persuadé que je serais secondé par la nation toute entière. » (Bien ! très bien ! Bravo !)

« J’ai eu l’honneur de conférer, presque chaque jour avec M. le ministre des affaires étrangères ; je lui ai posé la question, je puis le dire, à satiété. J’ai toujours reçu la même réponse. « Mais, lui ai-je dit enfin, si, malgré toutes les protestations, si, malgré tout ce que je pourrais dire à mes concitoyens, le congrès national persiste à élire le duc de Nemours, et l’élisait à une grande majorité ? – Eh bien ! m’a-t-il répondu, vous avez entendu les paroles de S.M. ; vos concitoyens ne pourraient s’attendre qu’à un refus. »

Voilà, messieurs, comment je procédais lorsque j’avais l’honneur ou le malheur d’appartenir au gouvernement provisoire, et lorsque j’étais chargé d’une mission diplomatique. Je le demande maintenant, M. le ministre de l'ntérieur a-t-il bonne grâce d’affirmer que j’aie voulu tromper et influencer le congrès pour faire nommer le duc de Nemours ?

Je ne répondrai pas aux autres observations de M. de Theux, parce que je n’ai la parole que pour un fait personnel. D’ailleurs, je crois que ce n’est pas la peine, tout ce qu’il a avancé, étant, à peu près, aussi exact que ce qu’il a dit de l’élection du duc de Nemours.

Maintenant, en supposant que j’ai été dupe au 1er février, quelle conséquence devrait-on en tirer ? C’est que je serais inexcusable de m’être laissé duper encore après ; et s’il est vrai que le congrès a été trompé, que la nation a été trompée le 1er février, comment se fait-il que plusieurs membres du congrès et tous nos grands faiseurs se soient encore laissé dupés depuis ? Quant à moi, j’ai si peu été dupe de la diplomatie, que j’ai refusé de signer l’armistice le 15 décembre 1830.

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je n’ai pas parlé du rapport du 12 janvier, j’ai parlé du discours du 1er février, qui, étant postérieur, devait être basé sur des faits nouveaux ; la seule conclusion que j’en aie tirée, c’est que l’honorable député de Mons n’a pas le droit d’être aussi sévère qu’il l’a été. D’ailleurs, je n’ai entendu en aucune façon accuser ses intentions et il n’a pas le droit d’accuser les nôtres.

M. Gendebien – M. le ministre dit qu’il n’a pas parlé de mon rapport ; je le crois bien, messieurs, ce rapport est sa condamnation ; s’il l’avait lu, il n’aurait pas essayé de me mettre en contradiction avec moi-même, il ne serait pas venu dire que j’avais cherché à tromper le congrès.

« Mais, dit M. le ministre, le discours est postérieur au rapport, et il reposait sur des faits nouveaux. »

Je le défie de citer un seul fait que j’aie invoqué, si ce n’est ce qui résultait de la correspondance qui a été lue par d’autres que par moi, qui n’ai ni abusé ni même usé d’aucun document quelconque.

Maintenant, lorsqu’il s’est agi du duc de Leuchtemberg en concurrence avec le duc de Nemours, j’ai dit que si nous devions acquérir par des traités les Luxembourg, ce ne pourrait être que grâce à la puissante intervention de la France, qui nous manquerait si nous élisions le duc de Leuchtemberg. Eh ! messieurs, qu’y avait-il de plus naturel, de plus simple que de penser qu’entre deux chefs à élire, dont l’un était repoussé par la France et dont l’autre était fils de France ; si nous élisions ce dernier, nous avions plus de chance d’obtenir le Luxembourg que si nous élisions l’autre et si nous nous brouillions ainsi avec le gouvernement français, en plaçant sur le trône un membre de la famille impériale ?

Vous voyez, messieurs, qu’il faut être réduit à l’impuissance de m’attaquer pour chercher à me mettre en contradiction avec moi-même, lorsqu’on est soi-même en contradiction flagrante.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je ne rentrerai pas, messieurs, dans la discussion générale qui a déjà assez longtemps occupé la chambre, mais je pense qu’il est nécessaire que quelques explications soient données sur tout ce qui est relatif à l’armée, c’est-à-dire sur l’usage qui a été fait jusqu’ici des crédits votés par la chambre.

Toutefois je ne puis me dispenser de protester à mon tour contre le reproche qui a été adressé au ministère d’avoir excité dans le pays des manifestations qui devaient être trompées par le résultat. Le gouvernement, dès l’instant où la déclaration du roi Guillaume a été connue, n’a pas eu d’autre pensée que celle de faire tous les efforts possibles, tous les sacrifices raisonnables, d’aller aussi loin que possible sans en venir toutefois au suicide, pour conserver les populations des territoires contestés ; mais le gouvernement n’a eu besoin ni d’être encouragé ni d’être soutenu, son devoir était tracé, et il n’était pas nécessaire qu’aucune manifestation vînt le lui rappeler ; peut-être même aurait-il combattu certaines manifestations, comme il l’a fait (la chose est maintenant bien avérée), lors de la discussion en section centrale du projet d’adresse, s’il n’avait eu la crainte de nuire à la marche à suivre et aux succès qu’on en attendait.

Tous les orateurs qui ont parlé contre le projet, ont reproché au ministre de guerre toutes les dépenses qui ont été faites pour l’armée. Plusieurs ont répété à l’envi, l’un après l’autre : Vous vouliez la paix : pourquoi faire, dès lors, des dépenses pour la guerre ?

Messieurs, je ne répondrai pas à une argumentation qui n’a d’autre fondement que des suppositions d’intention. Pour répondre à ces griefs, je me contenterai de rappeler l’enchaînement des faits, et les conséquences qu’ils ont dû avoir, quant à l’armée.

Toutefois, j’ai besoin de faire une réflexion préalable ; Le ministère s’est divisé uniquement d’abord à propos d’une sorte de question de forme, d’une manifestation qu’il était ou qu’il n’était pas opportun de faire, mais au fond, cependant, parce qu’il y avait scission sur la nécessité où le gouvernement pouvait être d’accepter le traité proposé. Eh bien, cette division aurait pu certainement produire un résultat contraire à celui qui a été obtenu. Il eût été possible que les hommes qui ont cru devoir prendre sur eux le pénible devoir de proposer l’acceptation du traité se fussent au contraire retirés, et que le ministère fût resté occupé par les hommes qui croyaient devoir engager le pays dans la voie de la résistance.

Certes, c’eût été, pour ceux qui sont restés dans le cabinet, un grand bonheur que d’être déchargés d’un si triste devoir. Que serait-il alors arrivé si un nouveau ministre de la guerre n’avait pas trouvé d’armée, de moyens de résistance ? Assurément, il n’y aurait pas eu une accusation de trahison assez forte contre le ministre de la guerre précédente et contre tous ses collègues.

Mais je reviens aux vrais motifs des armements et des dépenses qui ont été faites. Mais si ces dépenses ont été un sacrifice pour le pays, il faut regarder ce sacrifice comme un de ceux que le pays avait déclaré à l’avance qu’il était disposé à faire, pour s’épargner un sacrifice bien plus douloureux, celui d’une partie de sa population.

L’exposé des négociations qui vous ont été fait à diverses reprises vous a convaincus, messieurs, qu’elles avaient continuellement mis en péril la convention du 21 mai 1833, la situation réelle du pays.

Je ne rappellerai pas la série des actes qui ont établi le fait que je signale. Je pense que tout le monde est convaincu que la convention du 21 mai étant véritablement entée sur le traité du 15 novembre, en contestant l’existence du traité on mettait également en question la convention du 21, le statu quo ; on rendait libres d’agir contre la Belgique, suivant leurs convenances et leurs intérêts, et la Hollande et la confédération germanique ; on rendait de nouveau possible une attaque de la part de la Hollande, une occupation violente de la part de la confédération germanique.

Eh bien, c’était là un cas de guerre que le gouvernement avait prévu et que le gouvernement était décidé à soutenir ; j’ajouterai même qu’il est permis d’éprouver un véritable regret que ce cas de guerre ne se soit pas présenté.

Quoi qu’il en soit, ce cas de guerre existant, il était véritablement nécessaire d’avoir des troupes sous la main, pour pouvoir soutenir la guerre au besoin.

D’ailleurs, messieurs, je puis aussi rappeler quelle était, au moment de l’ouverture de la session, l’opinion générale. L’opinion générale demandait des armements ; lisez les rapports de toutes vos sections, rappelez-vous toutes les discussions qui ont eu lieu, et alors vous ne mettrez plus en doute que toutes les opinions étaient qu’il fallait que des moyens énergiques et étendus fussent mis en œuvre pour préparer le pays à la guerre. De toutes parts, la presse se plaignait avec amertume de la faiblesse numérique de l’armée que l’on exagérait, des vides des cadres que l’on exagérait encore. Enfin, des opinions nombreuses demandaient au gouvernement d’envoyer sur-le-champ des troupes dans les territoires contestés. Sérieusement, cette idée n’a jamais été mûrie un instant, car c’eût été commencer soi-même les hostilités, c’eût été entièrement sortir de sa position.

Messieurs, l’envoi éventuel de troupes à défendre ces territoires était un cas possible, un cas qu’on devait prévoir. Il était dès lors indispensable de prendre des mesures préliminaires pour l’envoi de ces troupes. Il fallait donc organiser dans ces provinces, et surtout dans le Luxembourg, un service de vivres, un service de fourrages, un service d’hôpitaux.

Telle est la première mesure que le gouvernement a prise, telle est la première cause des dépenses dans lesquelles il a été entraîné.

Plusieurs augmentations ont eu lieu successivement dans le chiffre de l’armée. La première a eu pour objet de rendre effective une certaine partie de la force publique, sur laquelle on avait toujours compté dans l’évaluation de l’armée et qui n’existait cependant en réalité que sur le papier. C’étaient les dernières classes de la milice qu’on avait toujours tenues en réserve par un sentiment d’humanité, afin de ne pas condamner à la vie militaire des jeunes gens qui n’avaient pas encore acquis tout leur développement physique. Dans d’autres circonstances, quand on appelait ainsi sous les armes une classe de miliciens on renvoyait un nombre, non pas égal, mais proportionné, de soldats faits, et l’on réduisait le service de garnison au strict nécessaire. Evidemment, dans les circonstances où l’on se trouvait, une diminution quelconque de l’armée était impossible. Il a donc fallu que ces jeunes miliciens fussent ajoutés au nombre des soldats sur lesquels le pays pouvait réellement compter.

L’expérience a prouvé que le pays aurait pu compter sur eux comme sur les autres, car tout ce que j’ai dit sur l’état véritablement satisfaisant de l’armée est applicable à toutes les catégories de l’armée.

Messieurs, vous avez été informés par M. le ministre des affaires étrangères de l’effet qu’avait produit presque immédiatement votre adresse ; il vous a parlé de la protestation des envoyés des cours du nord contre les intentions manifestées par la Belgique. Je dois ajouter que des menaces très explicites furent faites ; on alla jusqu’à désigner des corps d’armée qui devaient agir contre le Luxembourg et le Limbourg, afin de les occuper.

Messieurs, il n’a pas été possible de laisser passer de semblables menaces sans prendre des mesures qui montrassent qu’on était prêt à les repousser, si on venait à les effectuer. Ce fut alors qu’une partie de l’armée fut retirée des garnisons qu’elles occupaient dans le Brabant et dans les Flandres, pour faire face vers le Luxembourg.

Cette division dut être mise sur un pied suffisamment respectable, et de plus il fallait des troupes nouvelles pour remplir les garnisons qu’elle venait de quitter.

Cette circonstance fut une seconde cause d’augmentation du chiffre de l’armée ; mais cette seconde augmentation exige, à raison d’une circonstance particulière, une explication spéciale de ma part.

Ce fut alors qu’on appela sous les armes le 1er régiment de réserve, et cet appel sous les armes de ce régime de réserve, alors que des miliciens de classes plus jeunes restaient encore dans leurs foyers, a été l’objet de critiques amères et malveillantes ; mais, avec un peu de réflexion ou de connaissances sur l’organisation de l’armé, on aurait compris parfaitement cette mesure.

Les miliciens en congé ne sont pas disponibles pour les corps nouveaux quelconques. Ces miliciens sont immatriculés par régiments, bataillons, compagnies et appartiennent par conséquent à l’une ou à l’autre des fractions de l’armée, et à la destination que cette fraction est chargée de remplir. Ainsi, tous les permissionnaires des classes moins anciennes que les régiments de réserve appartiennent aux trois divisions de l’armée et à la brigade d’avant-garde ; tous ces corps étaient en ligne, la première et la deuxième division et la brigade d’avant-garde faisant face aux troupes hollandaises, la troisième échelonnée vers le Luxembourg. Aussi longtemps qu’une armée plus forte ne devait pas se présenter devant elles, elles n’avaient pas besoin de rappeler les permissionnaires ; mais cette nécessité se serait présentée, si les armées ennemies s’étaient renforcées. Il résulte évidemment de là que ces hommes devaient rester disponibles pour les corps auxquels ils appartenaient, et exclusivement pour ces corps. Par conséquent on ne pouvait pas en tirer parti, pour leur faire occuper des garnisons dans les Flandres, lorsque les corps mêmes étaient dans la Campine, à Liége ou à Namur.

Dès le commencement de janvier, il y a eu des symptômes de prises d’armes assez vives dans l’armée hollandaise ; le service d’avant-poste se fit avec une rigueur extraordinaire ; partout on mit les pièces en batterie, partout on fit les manifestations d’une prochaine entrée en campagne ; surtout on répandit avec une grande affectation le bruit du rappel prochain des permissionnaires.

A la vérité, on a donné pour prétexte à ce mouvement extraordinaire celui qui venait d’avoir lieu dans l’armée belge. Mais ce mouvement de l’armée belge avait été motivé et facilement expliqué. D’ailleurs il était très peu important, il consistait dans quelques bataillons qui avaient quitté la garnison de Liége et de Namur et qui avaient pris des garnisons plus rapprochées de la Hollande. Au reste, il n’y avait eu aucun autre mouvement ; et les travaux de fortifications qui s’exécutaient au camp même, éloignaient toute probabilité d’attaque de notre part.

Au 11 janvier, un grand mouvement de concentration se manifesta dans l’armée hollandaise ; des troupes y vinrent de l’intérieur, et les grenadiers formant la garnison de La Haye y arrivèrent eux-mêmes. Elle se porta sur notre droite, sur la route de Bois-le-Duc à Hasselt, vers les territoires qui pouvaient devenir objet de combat. Alors l’armée belge fut forcée d’opérer une concentration semblable à celle de l’armée hollandaise ; la brigade d’avant-garde fut réunie au camp ; les deux premières divisions prirent position en face de l’armée hollandaise. En même temps, ces trois corps rappelèrent leurs permissionnaires et furent ainsi portés au complet. Ce mouvement ne s’acheva que vers le 25 janvier. On voit qu’il a été motivé par le mouvement de l’armée hollandaise, par les augmentations qu’elle a reçues et par celle qui était unanimement annoncée et qui devait doubler son effectif.

Je ferai observer qu’il était d’autant plus important de donner une grande attention à ces mouvements que, par la manière dont la frontière hollandaise était alors gardée, il était impossible de savoir avec quelque certitude ce qui se passait à l’intérieur. Il y aurait eu imprudence à ne pas porter l’armée à un chiffre proportionné à celui que devait avoir l’armée hollandaise.

Aujourd’hui cette armée est un peu moins concentrée, mais elle se retranche dans ses positions. Elle a exécuté des fortifications considérables, et elle a appelé sous les armes deux classes de la milice, ce qui a augmenté encore de 12 à 15 mille hommes sa force numérique.

Voilà les circonstances qui ont successivement amené l’augmentation de l’armée belge. Je pense qu’il suffit de les avoir indiquées, pour avoir répondu aux reproches de n’avoir fait qu’un simulacre, de n’avoir vu dans cette démonstration qu’un moyen de plus d’excitation pour le pays.

Dans ce que je viens de dire, il n’y a encore rien concernant les promotions qui ont été l’objet de fortes récriminations. Les motifs de ces promotions, il faudrait les chercher dans les rapports des sections, dans le rapport de la section centrale sur le budget de la guerre : la nécessité de remplir les cadres y est hautement et unanimement proclamée. Il n’a pas été satisfait à cette nécessité ; et dans ce moment encore l’armée de l’infanterie présente plus de 750 places auxquelles il serait possible de pourvoir et auxquelles on aurait pourvu si on avait prodiguer les grades.

Les dépenses dont je viens de parler sont en grande partie temporaires ; elles doivent cesser au moment où l’état des choses n’exigera plus une armée aussi considérable sur pied. Quelques-unes seulement seront permanentes ; de ce nombre se trouve la légère augmentation apportée aux cadres de la cavalerie et de l’artillerie. Je ne pense pas qu’on ait lieu de regretter cette augmentation. Le système d’économie qui avait toujours été suivi dans les années précédentes n’avait pas permis de porter l’arme de la cavalerie aux proportions normales, même à celles qu’elle devra avoir pour une armée moitié moindre de celle que nous proclamions avoir. Il en est de même de notre artillerie. D’ailleurs les officiers d’artillerie sont des hommes qui peuvent toujours rendre de grands services et procurer au pays de véritables économies. Il suffit de se rappeler les travaux importants qui s’exécutent pas les soins de l’arme de l’artillerie, pour sentir qu’une surveillance éclairée et une bonne direction donnée aux travaux dont ce corps est chargé sont à la fois utiles et économiques.

J’appelle l’attention de la chambre sur le fait que je viens de signaler, de ce vide considérable qui existe encore dans les cadres de l’armée. Pour soulever contre le gouvernement toutes les passions et toutes les ambitions surtout, on a exagéré ces promotions et menacé l’armée de réformes en masse, en même temps qu’on présentait le pays comme chargé à plaisir, d’énormes dépenses.

Messieurs, en cédant à la nécessité, on ne s’est pas écarté des limites de la plus sévère économie, et l’intérêt des officiers et sous-officiers de l’armée ne se trouve pas menacé, du moins au point où on l’a malheureusement prétendu.

Je comprendrai encore parmi les dépenses permanentes les chevaux qu’on a dû acheter pour l’artillerie ; ces chevaux n’avaient jamais été portés au complet. On avait toujours supposé qu’au moment du besoin on les trouverait dans le pays, et qu’ainsi on s’épargnerait toutes les dépenses de nourriture et d’entretien. Ce qu’on avait prévu s’est réalisé ; en très peu de temps on a pu acheter tous les chevaux dont l’artillerie avait besoin, en disposant des économies qu’on avait faites ; on a montré la sagesse avec laquelle le gouvernement avait procédé. Ces chevaux pourraient au besoin se revendre en temps opportun, sans perte réelle ou du moins très grande pour le pays.

Quant aux chevaux de la cavalerie, ils n’ont jamais eu d’autre objet que de porter nos régiments au complet. Continuellement on avait fait des remontes trop faibles, et les escadrons se trouvaient tellement réduits qu’ils ne répondaient plus à leur véritable objet. Sous ce rapport, cette dépense peut à peine être regardée comme dépense de circonstance.

Nous traitions avec l’intention et l’espoir de faire modifier les arrangements de 1831 ; nous comptions sur l’inquiétude que devaient avoir les puissances sur les difficultés que rencontrerait l’exécution du traité, et nous avions l’espérance que la France, dont le principe actif comme celui du gouvernement belge devait être le respect des droits et de la dignité de l’homme, nous avions l’espoir que la France, s’opposant à la violation de ces principes sur ses frontières, ne consentirait pas au traité, empêcherait qu’il y eût unanimité dans la conférence, et donnerait ainsi des chances favorables à la résistance que nous pourrions opérer ; eh bien, messieurs, la base nécessaire d’une telle négociation était une force effective, un armement réel. L’armée a dû par conséquent être mise en état de faire la guerre, et elle l’a été.

Parmi les dépenses qui ont été faites, je dois aussi indiquer celles qui ont eu lieu pour les ouvrages de fortifications, dont la plus forte partie se rapporte aux fortifications mêmes du camp. Ces fortifications ont eu surtout pour objet la prévision d’une attaque de la part des troupes hollandaises.

En mettant en discussion le traité de 1831, nous menacions la Hollande de lui enlever les avantages que ce traité semblait lui avoir accordés, nous nous exposions à la voir chercher, dans le succès d’une entreprise militaire, à renforcer ce que ce traité avait de dur pour nous. Nous devions nous mettre en garde contre les menaces proférées de l’autre côté de la frontière, menaces que nous ne redoutions pas, dont nous souhaitions au contraire la réalisation. Mais elles ne devaient pas être dédaignées. Une chose que la chambre ignore, c’est qu’en même temps que la Hollande a toujours tenu son armée concentrée sur la frontière, malgré la force imposante de ses forteresses, elle n’a cessé d’y faire des travaux et des dépenses considérables.

Dans ce moment, il nous a paru qu’il était nécessaire au moins de mettre nos forteresses, celles qui sont sur la frontière hollandaise, dans ce qu’on appelle un état de sûreté, afin qu’elles ne pussent pas être prises au dépourvu. De là il est résulté encore quelques dépenses. On a fait des dépenses de cette nature assez considérables à Venloo. Il était nécessaire de satisfaire aux demandes du général chargé de la défense de ce point important.

Enfin messieurs, les armements étaient nécessaires aussi pour appuyer en quelque sorte l’attitude que le pays avait prise. Les paroles de l’adresse n’auraient pu faire aucune espèce d’effet, n’auraient pas été crues, auraient été ridicules, si aucun fait ne les avait accompagnés.

Parmi les faits relatifs à l’armée, que je viens de passer en revue, qui démontrent que tout a été sérieux, ainsi que quelques orateurs l’ont dit pour ce qui les regardait, il n’en est pas un qui fût un simulacre, ni un moyen de produire une sorte d’excitation. A ce sujet, je répondrai à ce qui a été dit relativement à un général renommé qui fait partie maintenant de l’armée belge.

Il est presque permis de dire que dans l’arrivé du général Scrzynecki il n’y a eu rien qui fût de circonstance. En 1834, déjà des négociations avaient été ouvertes pour attacher le général Scrzynecki à l’armée belge. Cependant ces négociations ne manquèrent leur effet que par des circonstances dépendantes du général lui-même. Cette fois encore des amis du général avaient fait savoir au gouvernement qu’il était disposé à prendre du service dans l’armée belge, et ce fut par ces mêmes personnes que le général apprit que le gouvernement belge, de son côté, était toujours disposé à profiter de ses services.

Afin de pouvoir soutenir que l’arrivé du général au moment de la crise était un moyen d’excitation, on a dit qu’on l’avait appelé pour être généralissime de l’armée, et que c’était par un acte de faiblesse qu’on l’avait placé le lendemain dans la position de disponibilité. Cela est de toute inexactitude. Les amis du général ont été avertis, et il l’a été par eux dès qu’il a été question qu’il vînt en Belgique, que la seule position qui pût lui être assurée était celle de général en disponibilité ; mais que si une division nouvelle était organisée comme c’était vraisemblable puisqu’on croyait alors qu’on aurait la guerre, il en aurait eu le commandement. Voilà l’exacte vérité en ce qui regarde le général Scrzynecki.

Quant à son admission dans l’armée, elle peut s’expliquer très simplement. Le général Scrzynecki a montré un beau caractère et les qualités d’un homme de guerre, une grande bravoure et un véritable talent à manier des masses sur un champ de bataille. Dans une armée l’élan militaire est entretenu par le souvenir des combats et des faits d’armes. Dans un pays jeune où l’armée n’est pas formée depuis longtemps, où les régiments n’ont pas eu l’occasion de faire la guerre, il n’y a pas de souvenirs de corps. Il est utile alors que ce soient les souvenirs attachés au nom des chefs qui produisent l’exaltation militaire et le sentiment de gloire militaire qui fait le véritable soldat. Ceux d’entre nous qui ont fait la guerre l’ont faite dans des positons inférieures. Nous n’avons pas dans notre armée des généraux qui aient fait comme généraux la guerre, qui aient manié des masses sur le champ de bataille. Je suis convaincu, messieurs, que tous nos généraux s’acquitteraient parfaitement de cette tâche ; mais cela peut ne pas suffire pour le soldat ni surtout pour le pays. La confiance du soldat est plus grande quand il sait que le général qui le conduit au feu a déjà pris part, comme général, à plus d’une bataille. Voilà les seuls motifs qui aient déterminé à admettre le général Scrzynecki dans les rangs de l’armée. Les généraux français employés dans l’armée remplissent toutes les conditions dont je viens de parler ; mais ces généraux ne sont pas destinés à rester toujours dans le pays à la tête des corps. Nous devons toujours prévoir le moment où ils seront rappelés, et si nous avions fait la guerre malgré le gouvernement français, peut-être les aurions-nous perdus au moment du besoin. Dès lors c’était une précaution sage d’avoir un général de plus dont les antécédents le recommandaient à la confiance du soldat. La chambre voit, d’après cela, qu’il n’y a eu dans l’arrivé du général Scrzynecki rien de politique rien de circonstance.

Avant de finir, je dois encore apprécier quelques-uns des systèmes de résistance passive développés dans cette enceinte, et qui, du reste, ne sont pas très nombreux.

La base du système de résistance passive est, pour tous ceux qui l’ont défendu, l’impossibilité d’employer des moyens de contrainte, si même il en existe. Je ne rentrerai pas dans la discussion qui peut exister ou ne pas exister pour la France de laisser exécuter par une armée allemande les clauses du traité de 1831. Je prendrai simplement la supposition qu’on doive rester dans l’attitude passive. Je supposerai que des pays voisins prennent une attitude armée ayant pour objet de nous contraindre par l’impossibilité de soutenir plus longtemps nos efforts. Je supposerai que ni l’Angleterre ni la France n’interviennent, et que la confédération germanique et la Hollande, véritables intéressés, agissent seules.

Je suppose même que la Hollande fasse seulement des démonstrations ; certes on ne contestera pas qu’elle ne puisse déployer des forces assez considérables, si elle a pour objet d’entraîner notre pays dans d’énormes dépenses qu’elle supposerait devoir être de courte durée. En effet, l’armée de ligne hollandaise peut être facilement portée à 80 mille hommes ; elle a en outre 49 bataillons de schuttery dont la plus grande partie appartient à l’armée active ; le reste est destiné à former en Hollande des garnisons qui ne sont nullement nécessaires, et par conséquent il doit être considéré comme de l’armée active. Un honorable membre vous a dit que l’armée hollandaise n’était que de trente mille hommes. Il en était ainsi peut-être quand il a eu connaissance des situations ; mais elle est portée maintenant à un chiffre plus élevé, et celui atteint que je viens d’indiquer peut-être. Pour bien se rendre compte de la force numérique de l’armée hollandaise, il suffit de se rappeler qu’elle a comme nous dix classes de miliciens dans ses cadres.

L’honorable député de Virton qui, avec l’honorable député de Diekirch, a exposé avec le plus de détails le système de la résistance passive a proposé de ne pas avoir une armée plus forte que l’armée à tenir en échec. Certes, rien n’est plus raisonnable. Mais encore, dans notre pays, ce fait doit être subordonné à certaines conditions qui n’existent pas de même sur la Hollande.

Ainsi, Anvers, Gand, Bruxelles, Liége, Ostende, Nieuport, toutes ces villes doivent avoir des garnisons assez fortes. Nous devons toujours avoir une armée plus forte de dix ou quinze mille hommes que celle de la Hollande, rien que pour fournir ces garnisons. Je cite Bruxelles comme devant avoir toujours une garnison ; j’insiste sur ce point, parce que la garnison de Bruxelles a été l’objet de quelques critiques. Cette ville, chaque fois qu’une question grave s’agite, est un véritable foyer d’intrigues politiques. C’est alors que se dirigent vers Bruxelles tous les hommes qui ont quelques passions à satisfaire dans un moment de trouble politique. Il est donc important d’avoir toujours sous la main une force suffisante pour assurer la tranquillité de la capitale.

Je viens à l’armée de la confédération. Avant le mois de février l’armée prussienne sur le Rhin était peut-être, comme l’a dit un honorable membre, de 30 à 40 mille hommes. Mais depuis, ses forces ont augmenté, et d’après le système militaire prussien que l’honorable député de Diekirch vous a exposé, vous ne devriez pas être étonnés que les corps de l’armée prussienne entre le Rhin et la Meuse soient maintenant portés à 60 mille hommes et pourraient l’être à 100 mille hommes. C’est le contingent que la Prusse est obligée de fournir pour remplir ses obligations envers la confédération.

Ainsi vous devez reconnaître que, pour mettre à exécution ce système de résistance passive, vous pouvez vous trouver dans la nécessité d’avoir 100 à 160 mille hommes sous les drapeaux, ce qui vous impose une dépense de 6, 7 ou 8 millions de francs par mois.

On a cité l’exemple du budget de 1833 qui ne portait pas un chiffre aussi élevé pour une armée très forte ; mais ces dépenses que j’indique sont calculées d’après le budget de 1839 ; et si le budget de 1839 a été en quelque sorte voté de confiance quant au total, il a été soumis à un examen approfondi quant aux divers éléments qui le composent.

Messieurs, cet état de choses admis, l’on doit nécessairement se demander de quelle durée il est susceptible et cela n’est pas trop facile à prévoir, d’après tout ce qui a été dit. L’issue, envisagée sous le rapport de l’honneur national, est encore telle que je l’ai représentée la première fois que j’ai pris la parole. Si l’honneur national, l’honneur de l’armée, étaient engagés, il est certain que cette issue ne le dégagerait pas, car cette issue encore n’amène pas de combat ; cette issue devrait encore être, d’après l’opinion même de ceux qui ont proposé ce système, la retraite avant le combat : absence par conséquent de tout ce qui pourrait sauver l’honneur national.

L’honorable député de Virton a dit : « Le duel une fois accepté, les deux combattants en face sur le terrain, ne peuvent plus se retirer sans lutte, mais ajoute-t-il, si au lieu de trouver un adversaire vous trouvez dix adversaires qui tirent à la fois l’épée et se disposent à fondre sur vous, serez-vous déshonorés si vous vous retirez ? » Certainement, non, Messieurs, je ne connais pas de champ de bataille où l’on puisse rencontrer une armée dix fois plus forte ; c’est là une véritable figure de rhétorique, et ces mots « dix adversaires » ne signifient autre chose que des adversaires plus nombreux : or, messieurs, sur le champ de bataille une armée animée de véritables sentiments d’honneur militaire ne compte pas les ennemis ; une fois sur le champ de bataille, elle doit vaincre ou être écrasée. C’est là le devoir de l’honneur, et c’est de cette manière seulement que « ce devoir sacré peut être rempli jusqu’au bout » pour emprunter encore les expressions de l’honorable député de Virton. Mais si tel est le devoir de l’armée, est-ce le devoir du pays de conduire l’armée à une bataille où la victoire est impossible et l’anéantissement certain ?

Je dois le dire, messieurs, ce système-là n’est pas autre chose que celui-ci : « On ne nous attaquera pas, et si l’on nous attaque, nous ferons des efforts, non pas proportionnés à l’attaque, mais proportionnés à nos facultés, à nos convenances, c’est-à-dire, que nous trouvant toujours nécessairement inférieurs en nombre, nous n’en ferions pas, nous ne nous battrions pas. » Voilà, messieurs, ce système dégagé de tous les mots à effet, de toute figure de rhétorique ; voilà ce système dans toute sa simplicité, dans toute la vérité. Eh bien je le déclare, un semblable système ne satisfait ni l’honneur militaire, ni l’honneur national ; il n’est propre qu’à compromettre l’un et l’autre ; je le repousse donc, et je demande, ou bien que l’on fournisse à l’armé des combats sérieux, ou bien qu’on fasse la paix sans elle ; et qu’on lui conserve le prestige de la présomption de sa valeur pour des combats futurs.

Un honorable député, défendant le même système et réduisant pour plus de commodité l’attaque aux proportions les plus simples, nous représente l’Europe, suivant l’expression de l’honorable M. Pirmez, comme se bornant à nous attaquer avec 90,000 hommes sans plus ; cet honorable député a exposé un plan d’une guerre de manœuvre d’après lequel une armée inférieure en nombre, par des marches rapides et bien combinées, peut tenir en échec des armées plus nombreuses ; l’honorable député de Thielt a proposé un système continental au petit pied ; l’honorable député de Diekirch a proposé une répétition en raccourci de la campagne de 1814, qui est la plus belle campagne de Napoléon, mais qui néanmoins n’a eu d’autre résultat que la perte et la chute de l’empire français. Sans manquer ni à la réserve ni à la prudence, je crois pouvoir examiner ce système qui a paru faire quelque impression.

En 1814, les armées alliées se présentèrent à la frontière de France, depuis Wesel jusqu’à Bâle, et entrèrent par divers points devant converger vers la capitale.

Il était tout simple pour l’armée française, placée dans l’intérieur du triangle, de se jeter, par des marches rapides, tantôt sur une ligne d’opération, tantôt sur une autre ; ce plan acquerrait même plus de chance de succès, à mesure que les colonnes pénétraient plus avant dans l’intérieur et rendaient ainsi les lignes d’attaque moins longues ; mais ici, messieurs, ce système serait-il possible ? Si l’on nous attaque seulement sur la frontière, il n’y a point de marches à faire dans l’intérieur, et dès lors comment surprendre les corps dans leur marche ? ce système est évidemment incompatible avec la configuration même de notre pays, pays sans profondeur où ce système ne pourrait en aucune façon se développer ; ce système est fait pour un grand capitaine, un grand pays et une petite armée. En une seule marche les armées de la confédération, déployées sur la frontière, se trouveraient toutes à la fois sur le champ de bataille, et certes, il ne serait pas possible d’aller les chercher les unes après les autres.

Pour terminer, messieurs, j’apprécierai en peu de mots les effets du rejet du traité et de la résistance passive et l’espèce de statu quo, dont se croiraient assurés les partisans du rejet, et ce qu’ils offrent de mieux à la Belgique.

La convention du 21 mai détruite, la confédération germanique et la Prusse sont des ennemis ; une armée d’observation sur nos frontières est le moins que nous puissions attendre de leur part ; dès lors il nous faut aussi une armée d’observation : de là des dépenses énormes, un mécontentement très réel dans le pays ; de là l’incertitude et la défiance, les démonstrations de l’ennemi , des avanies continuelles dans le Luxembourg, autour de Maestricht et sur l’Escaut ; la détresse à l’intérieur, l’impossibilité de réparer les pertes qui ont été éprouvées jusqu’ici, de prévenir des pertes nouvelles ; de là le partage toujours croissant des opinions, l’esprit de partis exaltant de plus en plus tous sens, tous les éléments de désordre continuellement en présence.

Un honorable député, qui n’a pas méconnu la gravité de la situation, en a tiré des conséquences contraires : suivant lui, cet état des esprits, l’exaltation des partis, n’existent qu’en germe, leur développement complet et invincible dépend du vote de la chambre, et doit éclater immédiatement après l’acceptation du traité. Messieurs, je suis d’un avis tout contraire : les éléments du désordre existent toujours, quoi qu’en aient dit quelques-uns des amis de l’honorable membre ; la fermentation n’est pas éteinte, mais elle est déjà calmée par l’aspect de vos débats : seulement la discorde qui existe et la fermentation qui continue cesseront aussitôt que l’incertitude, c’est-à-dire la possibilité du succès, ne les entretiendra plus.

Pour dénouement, messieurs (car enfin il faut bien penser aussi au dénouement), aurez-vous la guerre, dont vous ne voulez pas, ou bien la paix, mais la paix à d’autres conditions que celles qui vous sont offertes aujourd’hui ? La guerre, vous n’en voulez pas ; mais si elle vient malgré vous, alors, ainsi que je vous l’ai représenté plus d’une fois, la guerre générale menace votre nationalité, votre indépendance ; si vous n’avez pas la guerre, et si, après avoir refusé pendant un temps plus ou moins long, vous finissez pas devoir souscrire à la paix, ce ne sera plus, comme aujourd’hui, la paix sans les arrérages, avec une diminution de la dette, mais la paix avec les arrérages, avec la dette primitive, avec l’animadversion générale de l’Europe, sans rien de ce qui pourrait guérir les plaies du pays et avec tout ce qui pourrait les tenir ouvertes et saignantes.

J’ai mis l’armée en état de faire une guerre possible ; elle serait très heureuse, messieurs, d’avoir l’occasion de la faire ; c’est avec une profonde douleur qu’elle se résignera à renoncer ; mais je le répète encore pour qu’elle l’entende, son honneur n’est pas intéressé à ce qu’elle la fasse, et quand son honneur serait intéressé à ce qu’elle la fît, on ne lui en laisserait pas la possibilité puisque tout le monde déclare ici que ce qu’on ne veut pas c’est la guerre.

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, mon unique but, en demandant la parole, a été de faire connaître les motifs de mon vote, de ce vote imposant, la dernière raison des arguments exacts ou spécieux que renferment les discours éloquents que nous venons d’entendre.

Pour parvenir à fixer mon opinion, au lieu de rechercher, comme quelques orateurs, si des moyens suffisamment pratiques, de résistance nous ont été présentés par les partisans de ce système, il m’a semblé qu’une question préalable devait être posée, celle de savoir s’il y a urgence, nécessité de donner un vote approbateur à un traité spoliateur, inique : car la nécessité seule peut légitimer le sacrifice qu’il nous impose, car la nécessité, la menace seule de perdre la vie, pourrait m’amener à consentir à perdre un de mes membres.

Cette impérieuse nécessité, je la cherche, et je ne puis la saisir ; je cherche une époque fatale d’exécution, je cherche des pénalités en cas de non-exécution, et je ne vois ni exécuteurs de la sentence, ni moyens, ni même probabilités d’exécution.

La conférence nous aurait-elle donc jugés assez timides, assez oublieux de notre dignité et de nos droits, pour espérer une adhésion si facile, si empressée à des conditions si dures !

Les menaces, les mesures coercitives n’existent donc pas. Dans leur absence, m’est-il permis de souscrire à un sacrifice douloureux, fatal à mon pays, sans nécessité actuelle ? je ne puis me le persuader.

Mais, nous dit-on, les mesures de coercition sont imminentes ; n’avons-nous pas l’exemple du siège d’Anvers en 1832 ? Messieurs, les événements qui viennent de se passer me portent, comme notre honorable collègue de Diekirch, au scepticisme politique ; je ne croirai que quand j’aurai vu la conférence à l’œuvre ; il est d’ailleurs permis de présumer que si une intervention française a été possible en Belgique, elle n’eût pas été tolérée en Hollande, et que par contre une intervention allemande possible en Hollande, ne le serait pas en Belgique. La politique de la France ne pourrait la tolérer.

Si les cinq puissances avaient à s’entendre sur les mesures coercitives, je ne puis me persuader qu’elles pussent continuer à s’entendre ; le changement du cabinet des Tuileries vient encore fortifier cette prévision.

J’ai donc peu de foi aux mesures de coercition ; mais si elles se réalisaient, c’est alors seulement que je délibérerais sérieusement s’il y a lieu de résister, ou de subir les arrêts arbitraires de ceux qui s’arrogent le droit de régler nos affaires sans nous entendre, sans consulter les principes de l’équité.

Mais, nous objecte-t-on encore, la conférence ne désignera pas d’exécuteurs de ses hautes œuvres, c’est nous-mêmes qu’elle chargera de ce rôle. La Belgique s’exécutera elle-même par l’anxiété, le marasme, l’absence du travail, la destruction du crédit. La nécessité du sacrifice semblerait motivée par cet avenir, qui ne peut nous manquer.

Ce statu quo, qu’on nous dépeint si intolérable, ne m’est rien moins que prouvé ; ce ne sont que des éventualités, et rien de plus, et je ne puis me résoudre à approuver des clauses intolérables sur des éventualités. Le statu quo intolérable me semble éventuel, parce que nous pays continuera à faire avec la France le seul commerce qui lui soit avantageux, parce que l’Angleterre se gardera bien d’entraver par un blocus sérieux le commerce qu’elle fait avec nous à son seul avantage : ce serait se châtier soi-même, parce que le commerce que nous faisons avec la Hollande, malgré son gouvernement, continuera comme de coutume, la fraude sachant bien faire justice des mesures douanières qui contrarient par trop les besoins des hommes, parce qu’enfin nous envoyons peu de choses en Allemagne, et que nous en recevons davantage.

Je ne vois d’ailleurs aucun motif pour que le travail ne reprenne. La crise industrielle qui, d’après les hommes du métier, n’est pas due à la crise politique, cessera quand la force qui l’a produite aura fait son temps.

Le commerce sait fort bien que la politique n’est pas à même de réprimer le mal qu’elle n’a pas produit.

La gêne momentanée quant à l’escompte quant au prêt sur nantissement, produite par la catastrophe d’un établissement financier peut être arrêtée par la constitution d’un établissement du même genre, et autres mesures.

La conviction de la nécessité m’est indispensable, pour me légitimer mon vote approbateur. Cette conviction me manque ; sans elle je croirais manquer à mon devoir, manquer à l’appui que je dois à mes compatriotes, comme mandataire de la nation, que de les livrer sans menaces, sans mesures coercitives préalables, et cela uniquement parce que les conditions qui ne nous sont que proposées, sont terminées par une formule qui exprime qu’il sera avisé aux moyens d’exécution. J’ai dit.

M. Ernst – Messieurs, l’honorable M. Lebeau trouve qu’il est difficile de concilier la position que mon honorable ami M. d’Huart et moi avons prise dans la question du Limbourg et du Luxembourg, avec quelques actes antérieurs du ministère dont nous avons eu l’honneur de faire partie ; l’honorable membre a cité, à cette occasion, le discours du trône en 1836 et des déclarations du ministre des affaires étrangères. Messieurs, l’explication sera simple et facile. La question de savoir si, dans les circonstances dans lesquelles nous nous trouvions après avoir possédé légitimement le Limbourg et le Luxembourg pendant de longues années, nous pourrions jamais consentir à les abandonner, cette question n’a pas été préjugée dans le cabinet ; loin d’y avoir été décidée, elle n’y a jamais été discutée ni même soulevée, car si elle s’était présentée, le dissentiment qui s’est produit dernièrement aurait éclaté dès lors.

Aussi, dès que la question a été posée et que le pays tout entier s’est opposé à l’abandon, mon honorable ami M. d’Huart et moi, nous nous sommes associés à ce sentiment national. Notre opinion n’a jamais été ignorée de personne, de personne.

Et puisque M. le ministre de la guerre vient de dire que le gouvernement se serait peut-être opposé à l’adresse du mois de novembre, si on n’avait pas craint d’empêcher l’effet qu’elle devait produire au-dehors, j’ai besoin de déclarer que peut-être M. le ministre de la guerre, et un ou deux autres ministres peut-être, s’y seraient opposés, mais que nous ne nous y serions pas opposés M. d’Huart et moi, ni probablement un troisième membre du ministère, parce que cette adresse exprimait notre opinion. Ainsi, nous avons toujours été conséquents avec nous-mêmes. Si dès ce moment-là, le cabinet avait voulu s’opposer à l’adresse, la division qui a éclaté plus tard aurait eu lieu immédiatement, et nous aurions offert à l’instant nos démissions. Voilà les explications que j’ai cru nécessaire de donner à la chambre. (Très bien !)

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Je désire expliquer simplement ce que j’ai voulu dire. Il a été constaté par M. le ministre des affaires étrangères et par différents membres de la commission de l’adresse que des efforts avaient été tentés par lui pour faire modifier le fond de l’adresse ; il a été également constaté que la commission avait été mise par lui en état de connaître des faits qui étaient de nature à faire modifier la rédaction primitive de l’adresse.

Quant à ce que l’honorable préopinant vient de dire, que lorsque l’unanimité du pays s’était déclarée, lui et son honorable ami M. d’Huart n’avaient pas hésité un instant à s’y rallier, je crois devoir faire observer que rien n’est moins certain que cette unanimité envisagée sur un certain rapport. Sans doute, il y a eu un sentiment profond de douleur, d’indignation même, à l’idée qu’on dût se séparer d’une partie de la population ; mais qu’il y eût aussi unanimité pour repousser toute idée d’accepter le traité, je crois que les membres du cabinet qui ont pris sur eux le triste devoir de vous proposer l’acceptation du traité, ont droit de protester contre cette prétendue unanimité.

M. Meeus – Messieurs, mon intention n’était pas de prendre la parole dans la discussion importante qui depuis quinze jours nous occupe. Mais les assertions émises par presque tous les orateurs qui ont parlé pour la résistance, contre les sociétés anonymes et contre l’esprit d’association, m’obligent, puisque personne n’a réfuté ces assertions, de venir les réduire à leur juste valeur.

Le discours de M. Fallon me fait, d’ailleurs, un devoir de lui demander quelques explications sur le mode à suivre dans le partage, entre la Belgique et la Hollande, des sommes dues par la société générale, aux termes de ses statuts.

Enfin, messieurs, puisque je me suis décidé à prendre la parole, je terminerai en motivant mon vote.

J’aborderai ces trois questions le plus simplement, le plus brièvement qu’il me sera possible, car je comprends que déjà ces débats sont trop longs ; je vous prie de m’accorder un moment votre bienveillance.

Messieurs, je crois à propos de lire quelques passages des assertions qui ont été émises par divers orateurs. Lire le tout, serait vraiment par trop fastidieux.

Voici, messieurs, ce que disait l’honorable M. de Renesse :

« Cependant la nation connaît les causes de cette crise ; elle sait que des spéculations ne reposant que sur un agiotage poussé à l’excès, que la rivalité de quelques sociétés financières qui voulaient accaparer et ruiner toutes les industries particulières, on a amené ce désastre qui serait arrivé même sans nos événements politiques, puisque déjà l’année dernière, avant l’acceptation des 24 articles par le roi Guillaume, plusieurs des sociétés anonymes, pas nées viables, marchaient vers leur déconfiture. »

Ecoutez, je vous prie, ce que disait M. Simons dans une de vos séances précédentes :

« Une paix honteuse n’ouvrira pas les coffres-forts qu’un agiotage scandaleux a épuisés ; elle ne fera pas renaître la confiance qu’un brigandage sans exemple (pardonnez-moi l’expression, je suis habitué à nommer les chose par leur nom), oui, qu’un brigandage organisé sous le titre pompeux d’ « association anonyme » a détruite pour longtemps. Une paix honorable, dussions-nous l’acheter par quelques sacrifices, peut seule porter remède au mal, et cicatriser les plaies qu’à tort on veut attribuer à nos affaires politiques. »

M. Desmet vous dit :

« Est-ce de cette industrie réelle et morale qui donne de l’occupation et l’existence à nos nombreux ouvriers, qui toute divisée fait profiter toutes les populations travailleuses de ses de bénéfices ; et qui particulièrement a toujours fait le bien-être de la Belgique ? Ou est-ce cette nouvelle industrie que la section centrale prendrait à coeur ? cette industrie factice, monopoliste, usuraire, destructive, qui pour enrichir quelques agioteurs détruit toutes celles qui font la prospérité du pays ?

Vous le voyez, messieurs, ces honorables orateurs confondent, dans un même système de réprobation toutes les sociétés anonymes.

Messieurs, je me bornerai à ces trois passages, et je demanderai aux honorables orateurs qui ont émis ces assertions, s’ils se rappellent ce qu’était la Belgique en 1831, en 1832, et en 1833, s’ils se rappellent quelles étaient ses souffrances ; s’ils se rappellent les plaintes du Hainaut, de la province de Liége et d’autres provinces, à cette époque.

Messieurs, je le sais bien, des fautes ont été commises ; mais parce que des fautes ont été commises, faut-il considérer comme abus tout ce qui a été fait ? est-ce à dire que s’il a été créé pour 250 à 300 millions de sociétés anonymes en Belgique, et que sur ce nombre il y ait peut-être pour 12 à 15 millions de sociétés fondées avec légèreté, tout le reste ne vaille rien ? Est-ce à dire que l’industrie relevée par l’esprit d’association, et qui avait donné à l’étranger une si haute idée du nom belge, que l’industrie qui est une des gloires de la Belgique, que l’esprit d’association qui a fait déclarer la Belgique viable aux yeux des plus incrédules, ne sont plus rien et ne présentent plus que brigandage, agiotage ?... Ah ! messieurs, et c’est la tribune nationale qui donne à l’étranger de semblables idées, de semblables opinions sur l’industrie belge ! C’est dans les discours des orateurs de cette chambre qu’il faudra que l’étranger apprenne que la Belgique n’est plus qu’un atelier de brigandage, d’agiotage !... Mais, messieurs, croyez-moi, l’on sert bien mieux son pays quand, à cette tribune, l’on sait discerner le vrai du faux, séparer l’ivraie du bon grain ; l’on sert bien mieux son pays de cette manière qu’en le rendant solidaire de quelques entreprises malheureuses qui ont été tentées en Belgique.

Messieurs, qu’il me soit permis d’entrer dans quelques détails : à des assertions ce sont des faits que je vais opposer.

D’abord il est certain que la société de commerce que j’ai eu l’honneur de fonder et qui a travaillé sous l’influence de la société générale, n’a jamais admis le principe de l’association que pour porter les capitaux là où l’industrie particulière était impuissante ; jamais elle n’a protégé des industries factices, jamais elle n’est descendue dans ces régions où l’industrie particulière sait bien mieux faire que l’esprit d’association. C’est surtout pour l’industrie métallurgique et pour le développement de nos charbonnages qu’elle a prêté le concours de son crédit, de ses capitaux ; elle a formé des établissements, elle a attiré à elle des capitaux considérables. Eh bien ! voyons ce qui en est résulté pour la Belgique.

Je sas que quelques-uns des établissements métallurgiques qui ont été créés, sont momentanément peu prospères, et parce que ces établissements prospèrent peu en ce moment, quelques personnes s’imaginent qu’on a créé trop de hauts-fourneaux !

Messieurs, pour ceux qui ont la vue courte, cela peut être vrai ; mais pour ceux qui savoir voir un peu dans l’avenir, je crois que cela est inexact. Les souffrances de l’industrie métallurgique sont le résultat de la crainte qu’on avait en 1834, 1835, et même 1836, de voir le minerai de fer manquer en Belgique. Dès lors on acheta le minerai à des prix trop élevés, et dès lors il fut possible de déterminer l’époque à laquelle la Belgique perdrait ses débouchés vers la France, et où par conséquent il y aurait encombrement dans le pays. Cet encombrement a encore été augmenté par la facilité de l’introduction du fer anglais ; mais, messieurs, à côté du mal, naît souvent un bien. En élevant le prix du minerai, on a appelé le propriétaire à fouiller dans son champ, et aujourd’hui il est avéré que le minerai ne peut plus manquer en Belgique ; il est avéré qu’alors même qu’on triplerait, quadruplerait les hauts-fourneaux, le minerai continuerait à être en abondance, et par conséquent à bas prix.

Eh bien, messieurs, laissons passer ce moment d’épreuve. Dans tous les pays où l’industrie se développe, elle doit subir des moments d’épreuve. Ces moments se passeront chez nous sans malheur, précisément parce que ces établissements n’appartiennent pas à des particuliers, parce que la fortune de beaucoup en fait la force ; et c’est pourquoi il n’y aura pas de catastrophes dans cette branche d’industrie. Je ne m’étendrai pas davantage sur ces faits, j’irai maintenant chercher la preuve de ce qu’a été l’esprit d’association pour la Belgique, dans deux lieues carrées, dans le bassin de Mons. Voyons, messieurs, ce qu’était la production des charbonnages au couchant de Mons avant la création des sociétés ; voyons ce qu’elle est devenue depuis que des sociétés anonymes ont su jeter avec intelligence des capitaux dans les entrailles de la terres, pour en tirer ces richesses qui devaient sauver le pays.

En 1831, le couchant de Mons fournissait à la Belgique 1,900 bateaux de charbon de terre ; à la France, 3,300. En 1832, il ne fournissait encore à la Belgique que 1,965 bateaux, et à la France 3,500. Il en fut de même jusqu’à la fin de 1836, époque à laquelle les travaux furent portés à leur apogée, où l’on put obtenir un résultat des efforts qu’on avait faits. Alors l’exploitation change, ce n’est pas deux mille bateaux que le bassin de Mons fournit à la Belgique, c’est trois mille en 1837 et 1838, c’est-à-dire mille bateaux de plus qu’auparavant, ce qui ne présente rien moins que la somme de quatre millions de francs, ou le revenu de quatre-vingt millions de capital. Mais ce n’est pas tout ; voyons ce que nous avons reçu de la France : c’est un argent bien venu que celui qui arrive de l’étranger. Eh bien, ce n’est plus 3,300 ou 3,500 bateaux que nous fournissons à la France comme en 1831 et 1832 et jusqu’en 1836, c’est 5,000 bateaux que nous lui fournissons en 1838, et c’est également 5,000 bateaux que nous lui fournissons en 1837, c’est-à-dire 1200 à 1500 bateaux de plus que la moyenne des années précédentes, c’est-à-dire quatre millions et demi de francs versés de plus par la France en Belgique depuis 1837. Voilà des faits que chacun peut vérifier en fouillant dans les archives des ministères.

Messieurs, je ne terminerai pas ma réponse à de malheureuses assertions, sans répondre quelques mots à M. Doignon. Lorsqu’il y a deux ans environ, il vous proposait plusieurs moyens fort simples, disait-il, d’en finir avec la société générale, il ajoutait : « Le gouverneur, c’est l’âme de la société générale ; destituez-le. » En bon collègue, j’aurais dû remercier immédiatement l’honorable orateur ; mais il m’a paru qu’il était plus convenable de répondre à toutes ces politesses par le silence. C’est ce que j’ai fait. Mais, aujourd’hui, c’est à l’établissement même que s’en prend l’honorable membre ; il vous a dit que la crise était due surtout à la domination de la grande banque de Guillaume sur les nombreux établissements qui se trouvent sous son patronage, et à ses opérations. Nous ajoutons, dit-il, la banque de Guillaume parce que la grande masse d’actions est encore aujourd’hui sa propriété.

Entendez bien, messieurs, la banque de Guillaume, parce que, dit M. Doignon, ce prince possède la masse des actions.

C’est là, vraiment, un singulière manière d’argumenter ! Et, lorsque M. Doignon a prononcé cette phrase, il venait, peu d’instants auparavant, de plaider devant vous l’inconstitutionnalité du traité que le gouvernement vous propose d’accepter. En vérité, messieurs, il ne doit pas avoir fait sur vous une bien vive impression, si c’est avec la même logique qu’il a traité ces deux questions.

C’est la banque de Guillaume, dit M. Doignon, parce que la grande masse des actions est encore aujourd’hui sa propriété. Eh bien quand cela serait, est-ce que la banque est la banque du roi Guillaume, parce qu’il est au nombre des actionnaires de cet établissement ? est-ce que la banque de Belgique, parce que les 18 vingtièmes de ses actions sont placées en France, est une banque française ? Est-ce que la banque de France cesserait d’être la banque de France, parce que des Anglais y auraient placé beaucoup de capitaux ? Singulière manière de raisonner ! A moins de prétendre que l’administration qui est belge est nommée par des actionnaires belges (car des actionnaires étrangers ne peuvent pas faire partie de l’assemblée générale de cette société) ; à moins de dire que, bien que ces choix soient ratifiés par le Roi des Belges, tout cela n’est rien, et qu’il n’y a que l’argent qui vient de cent caisses particulières qui soit intelligent et qui fasse marcher l’établissement ; à moins, dis-je, d’humilier sa raison devant de semblables arguments, on ne peut pas admettre que la banque de Bruxelles soit la banque de Guillaume.

Mais, messieurs, vous le savez, et l’honorable M. Doignon a dû le savoir, il n’est pas même exact de dire que le roi Guillaume possède la masse des actions de la société générale. C’est là la plus grande erreur.

Le capital de la société générale est composé, d’abord, de la somme de vingt millions de florins dont la plus grande partie doit revenir à la Belgique, et ensuite de trente-trois mille actions appartenant à des Belges, ce qui représente cinquante-cinq millions de francs. J’ai le tableau des actionnaires ; il est à la disposition de M. Doignon. Je le demande, maintenant, quand réussira-t-on à créer une banque plus nationale aux yeux même de ceux qui s’imaginent que, pour qu’une banque soit nationale, elle doit être alimentée par des capitaux belges, car je viens de le dire, messieurs, les Belges comme actionnaires possèdent plus de cinquante-cinq millions de francs dans l’établissement dont j’ai l’honneur de présider l’administration ; mais je n’irai pas plus loin sur ce point, messieurs, de peur d’abuser de votre patience.

J’aborde actuellement la question relative aux redevances qui seront réclamées de la société générale comme produit des propriétés qui lui ont été cédées par le roi Guillaume. J’examine cette question, messieurs, parce que l’honorable M. Fallon, dans le discours qu’il a prononcé il y a deux jours, ne m’a pas paru avoir suffisamment établi la position de la Belgique vis-à-vis de la Hollande, et que je crois de mon devoir de dire comme il me semble que cette situation doit être considérée d’après les règles de l’équité, qui sont entièrement d’accord avec l’intérêt de la Belgique.

Permettez-moi de vous rappeler succinctement comment ces biens ont été donnés à la société générale. D’après la loi fondamentale de l’ancien royaume des Pays-Bas, le roi avait le droit de se faire céder des propriétés d’un revenu de 500 mille florins, en déduction de 500 mille florins de la liste civile. Je ne parlerai pas des réclamations que plusieurs députés belges élevèrent à cette occasion ; la proposition fut présentée aux états-généraux et adoptée. Je crois même que le ministre qui présenta la loi eut mission de faire entendre aux chambres que l’usage que le roi voulait faire de cette disposition de la loi fondamentale, était la fondation d’un établissement financier en Belgique. En effet, la loi ayant été votée, surgit la société générale ; dans les statuts, il fut dit qu’en 1849, époque de son expiration, elle verserait dans les caisses de l’état 20 millions de florins, et que jusqu’alors elle paierait annuellement : 1° une somme de 300 mille florins au roi ; 2° une autre somme de 30 mille florins qui serait augmentée progressivement, d’année en année, de 30 mille florins, jusqu’à ce qu’elle fut portée à 500 mille florins.

Messieurs, il faut le dire, c’est la Belgique qui a presque entièrement contribué à former cette dot ; ce n’est pas par part égale, en Hollande et en Belgique, qu’on a pris les biens cédés au roi Guillaume. Non, c’est particulièrement en Belgique. Dès lors, et c’est bien là, je crois, la pensée de M. Fallon, la somme de 20 millions due par la société générale doit être répartie entre la Belgique et la Hollande, d’après la valeur vénale de ces biens au moment où l’on s’entendra sur ce point avec la Hollande, et non pas d’après le revenu qu’en a obtenu la société générale ; car c’est ici une question à vider entre les deux pays et à la décision de laquelle cette société doit rester étrangère ; elle n’a besoin, pour ce qui la concerne, que de savoir comment elle doit payer les vingt millions dont elle est redevable. C’est donc sur la base de la valeur vénale des propriétés, que le partage doit avoir lieu, c’est-à-dire que chaque pays reprendra dans la somme de 20 millions la valeur de son apport dans la formation du capital en bien fonds de la société générale.

Je crois m’être suffisamment expliqué sur ce partage, mais je dois cependant ajouter cette réserve que les paroles que je prononce ici comme député, et en acquit d’un devoir de conscience, ne pourraient pas m’être opposées dans d’autres circonstances, et lorsque j’aurais à exercer un autre mandat, car alors ce ne serait peut-être pas mon opinion personnelle que j’aurais à exprimer, mais celle d’une administration dont je serais l’interprète. Je ne fais messieurs, cette observation que parce que j’entends près de moi quelques mots qui semblent la rendre nécessaire.

Je passe maintenant, messieurs, à la question politique, et avant de la considérer en elle-même, qu’il me soit permis de vous dire quelques mots sur la question constitutionnelle. On a beaucoup disserté sur cette matière depuis quelques jours, et, en vérité, c’est cette dissertation elle-même qui m’a conduit à me demander si le congrès a voulu, oui ou non, que cette chambre fut composée, pour les sept huitièmes, d’hommes en dehors de la magistrature et du barreau. Il l’a voulu sans doute et dès lors il a dû vouloir que la loi constitutionnelle, véritable catéchisme politique de la Belgique, fût une loi bien simple, extrêmement claire et à la portée de toutes les intelligences de cette chambre. Eh bien, il m’a paru, à moi, qui ne suis pas jurisconsulte, que je peux l’interpréter, cette loi, avec le simple sens commun dont les inspirations sont bien rarement trompeuses.

C’est ainsi, et d’après leur propre jugement, que peuvent prononcer sur la question de constitutionnalité propriétaires, généraux, administrateurs, financiers, industriels, que le congrès a voulu appeler dans cette chambre. Je lis l’article 1er de la constitution, relatif au nombre de provinces dont se compose le royaume de Belgique ; je lis encore l’article 80 relatif au serment, et enfin, examinant l’article 68 qui permet des cessions de territoires, en vertu d’une loi, il ne m’est pas difficile de conclure que l’article 1er et l’article 80 sont subordonnés à l’exécution de l’article 68.

Si ces règles ordinaires de raisonnement ne suffisent pas pour interpréter la constitution, ce ne devait pas à des industriels, à des propriétaires, à des généraux, à des financiers, qui composent la majorité des chambres, que le congrès devait laisser l’interprétation de la constitution, mais bien à un conseil suprême composé de savants jurisconsultes.

Quant à la question politique, je la réduirai à ses termes les plus simples. C’est une question de force majeure. La force majeure, existe-elle ? me suis-je demandé. Mais, messieurs, à moins de renverser toutes les idées reçues, à moins de ne plus admettre la certitude morale comme base de toutes nos actions, à moins de faire abstraction de notre intelligence et de ne plus croire qu’à la force brutale, cette force majeure me paraît évidente, irrécusable, car jamais arrêt plus solennel que celui que vient de rendre la conférence ne s’est produit et ne peut se produire pour établir cette force majeure ; et dès lors la question ne consiste pas, comme on l’a dit, à savoir si vous vous morcellerez vous-mêmes ou si vous vous laisserez morceler ; non, telle n’est pas la question : elle consiste à savoir si vous vous déciderez à laisser morcellement le pays administrativement, ou si vous ne vous laisserez morceler qu’à la pointe de l’épée. Voilà toute la question pour moi, et cette question n’en est pas une à mes yeux. La question ainsi posée, je me suis demandé ce que je ferais si j’avais l’honneur d’être député d’un des districts que nous sommes obligés de céder ; je me suis demandé quel langage je tiendrais à mes commettants dans la position où nous nous trouvons. Eh bien ! je leur dirais : « La force majeure est patente ; cette force majeure vous sépare de la Belgique ; mais il y a deux moyens de séparation : celui de vous laisser morceler administrativement, et celui d’attirer sur vous le fléau de la guerre. Si vous êtes cédés, si vous êtes réunis au roi Guillaume administrativement, vous allez vous présenter à lui avec tous les avantages de votre position, avec toute la somme de bonheur matériel que vous avez puisée dans l’espace des huit années pendant lesquelles vous avez fait partie de la Belgique ; vous vous présentez à lui en lui demandant des garanties religieuses et civiles ; son intérêt vous répond ce qu’il fera ; son intérêt est de vous séparer de la Belgique ; il vous accordera donc tout ce qu’il lui sera possible de vous accorder pour que vous ne tourniez plus vos regards vers la Belgique. Si, au contraire, vous ou la Belgique alliez, par un faux point d’honneur, opposer la force à la force, vous subiriez tous les malheurs de la guerre, vos champs seraient ravagés, votre population serait décimée, enfin vous seriez vaincus. Alors n’allez pas demander au roi Guillaume des garanties civiles ; il vous répondra : Vous êtes vaincus. N’allez pas lui demander des libertés religieuses ; il vous répondra : Vous êtes vaincus. N’allez pas lui demander des capitaux pour faire prospérer le Limbourg qui doit devenir un pays industriel pour quiconque sait lire dans l’avenir ; il vous répondra : je ferai ce que je voudrai, vous êtes vaincus. » Ah, si ces populations, alors mieux éclairées sur leurs vrais intérêts, pouvaient faire entendre leurs voix, elles se tourneraient vers vous et vous diraient : Ne voyez-vous pas que vous allez nous sacrifier ; que pour satisfaire un faux point d’honneur, vous allez ajouter au malheur de la séparation des malheur incalculables ? est-ce ainsi que vous témoignerez de votre attachement pour nous ?

On a parlé, messieurs, de crime politique, d’immoralité : eh bien, je vous le déclare, c’est pour ne pas me rendre coupable d’un crime politique, pour ne pas faire un acte d’immoralité que je tire du plus profond de ma conscience un vote de soumission au traité rigoureux qui vous est imposé.

M. Desmet – Messieurs, quand j’ai dit que ces nouvelles sociétés que vous connaissez étaient des associations industrielles factices, monopolistes, agioteuses, j’ai dit ce que tout le pays disait, ce que tout le pays reconnaissait.

Factices ! parce que très souvent ces sociétés donnent aux actionnaires des dividendes avant même qu’elles aient déjà marché, et que plus d’une fois on a vu des programmes de ces sociétés qui contenaient des promesses qui n’étaient pas réalisables et faites dans la seule vue de placer des actions.

Monopolistes ! ces sociétés ne sont-elles pas en grande partie établies pour avoir le monopole dans telle ou telle branche de l’industrie, et ainsi anéantir les petites industries des particuliers ? la fameuse brasserie-monstre, pourquoi est-elle établie à Louvain ? les grands établissements pour le tissage du lin à la mécanique, établies dans les Flandres, ne le sont-ils pas pour détruire entièrement le filage à la main et ainsi ôter le pain à plus d’un million de pauvres campagnards ? Et quand j’ai parlé de l’agiotage qui avait lieu dans ces sociétés, ah !, messieurs, ce n’est que trop vrai, et c’est en quoi on a fait le plus de mal à l’antique bonne réputation de la Belgique.

Je n’ai nommé aucun établissement ; c’est l’honorable préopinant qui vient de nommer des établissements et faire l’éloge de quelques sociétés industrielles qui sont placées sous le patronage de la société générale ; je n’en ai point parlé ; mais on dirait qu’on ne peut point toucher cette grande société, ou dirait qu’on ne peut point lâcher un petit moi contre elle, on nous faudrait faire accroire que c’est un bijou sacré qui est à l’abri de toute attaque. Cependant, tout le monde ne pense pas ainsi, surtout quand on sait que les domaines de la Belgique ont en partie rempli ses coffres.

Messieurs, à cette occasion je dois vous faire voir un petit calcul des bénéfices qu’aura eus la banque de Bruxelles par la dotation de nos domaines à la fin du terme de l’association.

Quand, en 1849, la banque de Bruxelles aura terminé ses 27 années d’association, elle aura fait, par la cession des domaines, un bénéfice de près de 33 millions de florins. Si on n’était pas si pressé, et si on voulait avoir la bonté de ne pas brusquer la discussion et nous accorder un instant, je vous ferais ce compte dans tout son détail.

Mais que la banque nous ouvre ses livres, je ne doute pas que vous y trouviez que l’évaluation de nos forêts et autres propriétés cédées s’élève au-delà de 31 millions et demi de florins, et en y ajoutant les revenus de 27 ans ou la jouissance de l’argent pendant ce laps de temps, qui doit au moins s’élever à 13 millions et demi, vous aurez un produit qui surpasse les 45 millions, et le montant de ce qu’elle aura dû payer à la liste civile et à l’état ou au syndicat ne s’élèvera qu’à la somme de 12,475,000 florins. Ainsi donc, comme je viens de le dire, la société générale aura fait avec les biens du pays un bénéfice de plus de 33 millions de florins de Hollande. Et quand on voit cela, on devrait encore se taire et on devrait dire que la banque de Bruxelles est le bien-être de la Belgique.

Et on se fâche encore plus fort quand on dit que cette banque est la banque de Guillaume ; mais ne sait-on pas que Guillaume a les 24/27 des actions ; et si ma mémoire m’est fidèle, il y a quelques années, à l’occasion d’un procès entre l’état et la banque, l’avocat de la banque lui-même a déclaré que le roi Guillaume était le grand protecteur de cette banque, qu’il avait fait de grands avantages à la Belgique en dotant la banque de tous les domaines, et autres choses flatteuses qui auraient été dites dans ce plaidoyer.

Je n’en dirai pas plus ; mais chose certaine, c’est que la crise industrielle et commerciale doit surtout être associée à la création subite et irréfléchie de cette quantité de sociétés industrielles et commerciales, et non pas à la crise politique, comme le prétendent plusieurs de nos adversaires, comme on voudrait le faire croire au pays. Et ce n’est pas en Belgique seule qu’on le dit, mais à l’étranger même : un savant publiciste français a publié que c’est au tripot financier seul que la Belgique doit tous les malheurs qui planent en ce moment sur elle.

Un grand nombre de membres – La clôture !

M. Doignon (pour un fait personnel) – M. le comte Meeus, rappelant un discours que j’ai prononcé il y a quelques années, vient de vous dire que j’avais alors demandé sa destitution comme gouverneur de la banque ; je n’ai pas tenu un pareil langage dans cette chambre. J’ai soutenu que le gouvernement avait le droit de révoquer le gouvernement de la banque, et je le soutiens encore. J’ai dit que le gouvernement avait la haute main sur la banque, qu’il était chargé de surveiller ses opérations, et qu’il était temps de veiller à ce qu’elle ne fasse rien de contraire à l’intérêt général ; je maintiens ce que j’ai dit.

J’ai dit que la société générale est la banque du roi Guillaume ; je n’ai indiqué qu’un seul fait principal à l’appui de cette assertion. Comme ce n’était pas le sujet en discussion, j’ai dû me borner à cela ; mais, dans une autre occasion, je pourrai présenter bien d’autres motifs.

M. Desmet – Si l’on veut clôturer, et que nous n’entendions pas M. le rapporteur de la section centrale, j’aurai quelques explications à demander au ministère.

Un grand nombre de membres – La clôture ! la clôture !

M. Dumortier – C’est vraiment une chose inconcevable de voir demander la clôture avec une pareille persévérance ; je ne puis pas croire que la majorité de cette assemblée veuille ainsi brusquement terminer la discussion alors que beaucoup d’entre nous ont encore à répondre. Voyez ce qui s’est passé aujourd’hui ; à l’exception de l’honorable député de Louvain, on n’a entendu que des orateurs favorables au projet ; après cela, on voudrait clôturer pour en venir de suite à ce vote déplorable qui doit chasser d’ici une partie des députés qui siègent parmi nous. Eh ! messieurs, dans les derniers débats devant une cour d’assises on entend toujours, avant de clôturer, la partie qui est menacée d’être frappée ; ici nous n’avons entendu pendant toute cette séance que des personnes qui demandent qu’on frappe une partie de la représentation nationale, et vous ne voulez pas que nous répliquions ! ce ne serait point là, messieurs, une conduite loyale, et je pense que la chambre ne souffrira pas que les choses se passent ainsi : quant à moi, je m’y opposerai de toutes mes forces. J’ai d’ailleurs à répondre aux attaques personnelles dont j’ai été l’objet de la part de plusieurs orateurs.

M. Berger – Représentant d’un district que vous allez condamner, je demande, messieurs, à pouvoir motiver mon vote.

Beaucoup de membres – Parlez ! parlez !

M. A. Rodenbach – Il n’y a plus, je pense, que trois ou quatre orateurs inscrits, on pourrait les entendre ; nous avons laissé parler plusieurs orateurs pendant trois ou quatre heures, il me semble qu’on ne devrait pas maintenant enlever la parole à des personnes qui n’ont que quelques mots à dire pour motiver leur vote.

Un grand nombre de membres – Laissez parler M. Berger.

M. le président – N’y a-t-il pas d’opposition ?

M. Dumortier – La clôture a été demandée ; elle doit être mise aux voix.

Des membres – On y renonce.

M. le président – Renonce-t-on à la clôture ?

Des membres – Oui ! oui !

D’autres membres – Non ! non !

M. le président – 10 membres persistent-ils à demander la clôture ?

- Personne ne se lève.

M. le président – La parole est à M. Berger.

M. Berger – Messieurs, représentant du district le plus important de la partie allemande du Luxembourg, je me proposais de vous parler de nos droits, de vous rappeler vos devoirs envers nous, de vous dépeindre la consternation et la profonde douleur de mes commettants, à la seule pensée de cette fatale séparation ; mais la tâche a été remplie par des orateurs distingués et beaucoup mieux que je ne pourrais le faire ; d’ailleurs, comme on l’a déjà répété, les convictions sont formées, la patience de la chambre s’épuise.

Je me bornerai donc à combattre une assertion émise par M. le ministre des travaux publics dans le cours des débats. D’après M. le ministre, une bonne partie de la population luxembourgeoise préférerait le morcellement à la résistance avec les chances d’allumer une guerre. Je ne puis laisser sans réponse une pareille assertion. Non, messieurs, et j’ose l’affirmer, l’immense majorité de cette population préférerait mille fois s’exposer aux chances de la guerre que de passer de nouveau sous la domination hollandaise. Confiants dans la force de la Belgique, dans l’impuissance de nos ennemis et le voisinage de la France, les Luxembourgeois sont convaincus que jamais la résistance de notre part n’entraînerait la guerre ; mais encore, dussent-ils conquérir au prix d’un pareil sacrifice leur nationalité belge, ils ne croiraient certes pas l’acheter trop cher. La désastreuse séparation qui les menace sera toujours pour eux la plus grande des calamités. Il m’importait d’autant plus de ne pas laisser s’accréditer parmi vous cette erreur, qu’il se passe en dehors de cette enceinte des choses qui doivent profondément affliger tout Luxembourgeois. Oui, messieurs, déjà quelques organes de la presse et partisans de la paix à tout prix vont plus loin que le ministre, et répandent les bruits les plus faux. A les entendre, l’opinion publique dans le Luxembourg irait au devant de la séparation, la contre-révolution serait prête à éclater, et on n’attendrait que le vote de la chambre pour arborer le drapeau orange dans toutes les communes !... Messieurs, par le fatal traité de séparation, on ravit au Luxembourg son indépendance et sa nationalité, on détruit sa richesse territoriale, on ruine ses industries ; après cela on devrait au moins respecter le seul bien qui lui reste, et ne pas méconnaître son patriotisme et son attachement pour la Belgique, même ingrate.

Non, messieurs, il en est assez que les Luxembourgeois soient livrés par leurs frères, ils n’iront pas au-devant du sacrifice. Méconnaître leur sentiments, c’est le calomnier, c’est ajouter l’insulte au malheur ! Je proteste de toutes les forces de mon âme contre l’odieux traité qu’on veut nous imposer.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, l’honorable préopinant a donné une trop grande portée à mes paroles : je me bornerai à répéter qu’il ne s’agit plus que du mode d’exécution du traité. La question n’est autre pour moi : l’exécution se fera-t-elle administrativement ; se fera-t-elle militairement ? il n’y a pas d’autre alternative à mes yeux. Je persiste à soutenir que l’exécution administrative est la moins désavantageuse aux intérêts bien entendus, aux intérêts au moins matériels, du Luxembourg allemand. Voilà les assertions que j’ai émises, je les maintiens ; je les oppose aux assertions de l’honorable préopinant ; l’avenir jugera entre lui et moi. (Aux voix ! aux voix !)

M. A. Rodenbach – Il n’y a plus que deux orateurs inscrits ; qu’on les laisse parler.

M. Desmet – Il me paraît que l’honorable rapporteur de la section centrale ne prendra point la parole ; je dois cependant lui adresser une question. Dans ma section (la cinquième) plusieurs questions avaient été posées, on les avait insérées au procès-verbal, et le rapporteur avait été invité à les reproduire à la section centrale, afin d’obtenir de M. le ministre les renseignements désirés ; comme le rapport n’en parle pas, je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères :

1° Après l’acceptation du traité, que deviendra la liquidation du syndicat d’amortissement ?

2° Que deviendront les domaines cédés au même syndicat ?

M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je déclare que je m’en réfère entièrement aux explications données par l’honorable M. Fallon et par l’honorable M. Meeus.

Un grand nombre de voix – La clôture ! la clôture !

M. de Renesse – Dans une question aussi grave, où il s’agit de l’abandon de 350,000 de nos compatriotes, je crois, messieurs, que l’on ne peut refuser une seconde fois la parole à ceux qui prennent leur défense. Lorsqu’on discute parfois sur un objet purement d’intérêt matériel, on tolère bien une discussion de quinze jours à trois semaines ; mais, maintenant, où l’on veut déchirer le pacte qui nous unit à nos frères du Limbourg et du Luxembourg, où l’on veut les livrer malgré eux au roi Guillaume, qu’ils ont chassé avec nous en 1830 , la discussion paraît déjà trop longue pour les partisans de la paix quand même ; et pour obtenir une paix honteuse, il faut se dépêcher de se soumettre aux décisions iniques de la conférence. Si la majorité de la chambre croit devoir clôturer la discussion générale sans permettre aux orateurs actuellement inscrits de prendre la parole une seconde fois, je protesterai alors contre une décision aussi peu généreuse, surtout envers les députés du Limbourg et du Luxembourg, qui désireraient encore défendre les intérêts de leurs commettants, et protester en leur nom contre leur délaissement.

M. Wallaert – J’étais inscrit pour parler en faveur du projet ; si la chambre veut clore, je demanderai à faire insérer mon discours au Moniteur. (Oui ! oui !)

M. Van Hoobrouck de Fiennes – Je désirerais savoir ce qu’on veut clore ? je pense que c’est simplement la discussion générale et qu’il sera toujours permis de discuter les amendements et d’en présenter de nouveaux ; si c’est ainsi qu’on l’entend, je ne m’oppose pas à la clôture.

M. Dumortier – Messieurs, je me suis tout à l’heure levé pour parler contre la clôture ; j’aurais désiré alors qu’elle fût mise aux voix, car je voyais bien qu’on n’y renonçait un moment que pour la redemander immédiatement après. Si elle avait été mise aux voix, il est certain qu’elle n’aurait pas été adoptée. Je demande, messieurs, que nous soyons entendus, nous qui voulons prendre la défense des habitants du Luxembourg et du Limbourg, nous qui voulons prendre la défense de l’honneur et des droits du pays.

J’ai été attaqué par deux orateurs sur la question de la dette, sur la question du territoire, sur la question de savoir si la Belgique est encore, oui ou non, liée par le traité du 15 novembre ; je dois déclarer que l’un et l’autre de ces orateurs ont dénaturé mes paroles ; on est allé jusqu’à citer des phrases de mes discours sans citer les phrases qui suivaient immédiatement et qui expliquaient et changeaient entièrement le sens de celles qu’on a rapportées. J’ai donc le droit de m’expliquer, le règlement est positif à cet égard. Je demande que la discussion continue, qu’on entende encore les orateurs inscrits et ceux qui ont été attaqués personnellement ; il serait de la dernière inconvenance de clôturer en ce moment.

M. Desmet – Messieurs, la clôture va se prononcer, le parti est pris ; mais elle le sera bien brusquement et d’une manière inusitée. Cependant, messieurs, c’est bien déplorable que quand il s’agit d’un objet si important pour notre pays, du déchirement de votre patrie, et que vous allez prononcer ce fatal vote qui chasse de cette enceinte plusieurs de vos collègues, vous voulez ainsi brusquer la discussion, sortir de toutes les convenances parlementaires et ne vous arrêter devant aucune considération. Le pays jugera cette brusquerie, et en tiendra plus compte que peut-être la majorité le pense.

Mais qui a répondu à l’honorable M. Dubus, quand il vous a démontré qu’en acceptant le traité, vous violez le pacte fondamental, et que vous étiez parjures à votre serment ?

Qui a répondu quand plusieurs membres vous ont démontré que le traité prononçait la fermeture de l’Escaut et reconnaissait à Guillaume la souveraineté de ce fleuve et sur le bras de mer, le Hondt ?

Qu’a-t-on répondu, qu’ont surtout répondu les ministres quand on vous a dit que l’écoulement des eaux de la Flandre zélandaise n’était pas assuré par le traité, et quand on y réclame le traité du 8 octobre 1785 passé entre l’Autriche et la Hollande ? Ne sait-on pas que les stipulations de ce traité sont tellement en faveur de la Hollande qu’elle reste maîtresse de laisser établir des écluses ou non ? Et ne sait-on pas aussi que ce traité n’a jamais arrêté les chicanes ni les obstacles que les Hollandais ont continuellement mis à l’écoulement de nos eaux ?

Enfin, on n’a répondu à rien ; on a compté les voix, et voilà tout ce qu’on a fait.

Si on veut clôturer, nous devons subir votre sentence, messieurs ; mais, cependant, je vous demanderais vous voulez faire prononcer la clôture sur toute la discussion ou si, en vous bornant à la discussion générale, vous nous permettrez encore de discuter les articles du traité ? C’est ainsi que la délibération a eu lieu dans les sections ; et réellement, messieurs, croyez-moi, n’allez pas si vite et ne brusquez pas tant, car un jour vous pourriez bien avoir à vous repentir de votre empressement irréfléchi.

M. Vandenbossche – Je dois vous faire remarquer, messieurs, que si le traité a été longuement discuté, tous les débats ont porté sur une seule question, la question territoriale, et la chambre doit convenir que sur la question de la dette on n’a pour ainsi dire entendu aucun orateur qui fût contraire au traité ; messieurs Mercier et Fallon ont présenté cette question sous un jour favorable, je demande à pouvoir leur répondre.

M. Dolez – Messieurs, il paraît que maintenant toutes les convictions sont formées ; la prolongation de la discussion ne pourrait avoir qu’un seul motif : l’amour-propre de quelques orateurs désireux de faire connaître les raisons de leur vote, ou de répondre à des objections dont leurs discours précédents auraient été l’objet. Il me paraît qu’après une discussion aussi longue sur une question qui tient notre pays en émoi, qui soulève ailleurs qu’ici de tristes émotions ; il me paraît, dis-je, que ces petites questions d’amour-propre doivent se taire, et qu’enfin nous devons tous désirer d’arriver au résultat final. Quant à moi, j’étais aussi sur la liste des orateurs qui devaient parler ; comme rapporteur de la section centrale, j’avais même, d’après vos usages, un privilège à réclamer. Ce privilège, je le sacrifie, parce que l’intérêt du pays demande qu’on en finisse. J’engage donc mes collègues à faire comme moi. (Aux voix ! aux voix ! La clôture ! la clôture !)

M. Dumortier – La clôture de la discussion générale, sans doute ; il n’est pas, je pense, question de clore la discussion sur l’article et sur les amendements. (Oui ! oui ! Non ! non !)

M. Dubus (aîné) – Il est important que nous sachions sur quoi nous allons voter. On semble prétendre que la clôture ne s’appliquera pas seulement à la discussion générale, mais à la discussion de l’article et des amendements. Mais il ne peut en être ainsi ; les amendements n’ont pas même été discutés. Je crois qu’il est impossible de fermer une discussion qui n’a pas été en quelque sorte entamée. Qu’on prononce la discussion générale, soit ; mais il nous sera sans doute permis de discuter les amendements. (Oui ! oui ! Non ! non !) Dans tous les cas, avant d’aller aux voix, qu’on se fixe sur ce point afin qu’on connaisse bien la portée du vote.

M. le président – M. Dubus demande que ce soit la clôture de la discussion générale qu’on prononce ; y a-t-il des réclamations contre cette proposition ?

M. Dolez – Messieurs, il ne me paraît pas qu’on puisse ici diviser la discussion en discussion générale et en discussion d’articles ; il n’y a ici qu’un article, et la discussion a porté 15 jours sur un article…

Des membres – Mais il y a des amendements !

M. Dolez – Je conçois qu’à la rigueur on puisse encore les examiner, et j’y consens ; mais comme la discussion de l’article unique du projet est épuisée, il faut fermer cette discussion, et revenir ensuite aux amendements qui ont été proposés.

M. le président – M. Dolez propose de fermer la discussion sur l’article unique du projet de loi, je vais mettre cette proposition aux voix.

Un grand nombre de membres – L’appel nominal ! l’appel nominal !

- Il est procédé à l’appel nominal.

Voici le résultat du vote :

97 membres y prennent part.

61 ont répondu oui.

36 ont répondu non.

En conséquence, la clôture de la discussion de l’article unique du projet est adoptée.

Ont répondu oui : MM. Andries, Angillis, Coghen, Coppieters, David, de Behr, de Florisone, de Jaegher, de Langhe, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, Dequesne, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Dolez, Donny, Dubois, B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Frison, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Liedts, Maertens, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Polfvliet, A Rodenbach, Rogier, Smits, Thienpont, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Van Volxem, Verdussen, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Willmar et Raikem.

Ont répondu non : MM. Beerenbroeck, Berger, Brabant, Corneli, Dechamps, de Foere, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Puydt, de Renesse, Desmaisières, Desmet, d’Hoffschmidt, Doignon, Dubus (aîné), Dumortier, Gendebien, Heptia, Jadot, Lecreps, Lejeune, Manilius, Metz, Peeters, Pirson, Pollénus, C. Rodenbach, Scheyven, Seron, Simons, Stas de Volder, Vandenbossche, Vergauwen et Zoude.

Des membres – A demain ! à demain !,

D’autres membres – Non ! non ! continuons.

M. Dumortier – J’avais demandé la parole pour répondre à diverses assertions erronées que divers orateurs ont allégués contre moi. Comme la discussion générale est close, je me réserve de publier mon opinion dans le Moniteur.

- Les cris « A demain ! à demain ! » se font de nouveau entendre ; mais la plupart des représentants ne quittent pas leurs bancs, la séance continue.

Discussion de l'article unique

M. le président – Voici le texte du projet de loi, tel qu’il est formulé par la section centrale :

« Léopold, Roi des Belges, etc.

« Considérant que, par leurs actes en date du 23 janvier 1839, les plénipotentiaires des cinq puissances, réunis en conférence à Londres, ont soumis à l’acceptation de la Belgique et de la Hollande les bases de séparation entre les deux pays ;

« Vu l’article 68 de la constitution, revu la loi du 7 novembre 1831, nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :

« Article unique. Le Roi est autorisé à conclure et à signer les traités qui règlent la séparation entre la Belgique et la Hollande, en conformité desdits actes en date du 23 janvier 1839, sous telles clauses, conditions et réserves que Sa majesté pourra juger nécessaires ou utiles dans l’intérêt du pays. »

M. le président – Je vais donner lecture des divers amendements ; je vais d’abord donner lecture de l’amendement de M. Pirson qui a la priorité, puisqu’il propose l’ajournement ;

« Vu les projets de traités adressés au gouvernement, sous la date du 23 janvier dernier ;

« Vu la proposition du gouvernement tendant à être autorisé à accepter et à signer lesdits traités ;

« Considérant que la question du territoire, en ce qui concerne la province de Luxembourg n’a pas été traitée à la conférence après la reprise des négociations et avant la signature des derniers actes ;

« Considérant que cette question si importante a besoin de nouveaux éclaircissements, et qu’il est nécessaire d’appeler sur eux l’attention des puissances médiatrices ;

« La chambre ajourne la discussion sur la question de refus ou d’acceptation des actes de médiation de la conférence, jusqu’au moment où le gouvernement ayant fait de nouvelles démarches, croira devoir la remettre à l’ordre du jour. »

Amendement de M. Peeters

L’honorable membre propose de rédiger l’article unique du projet de loi comme suit :

« Le Roi est autorisé à conclure et à signer les traités qui règlent la séparation entre la Belgique et la Hollande, en conformité desdits actes en date du 23 janvier 1839, sous la condition expresse de conserver aux populations du territoire à céder, les libertés civiles et religieuses, dont elles sont en possession et jouissance, et sous telles clauses, conditions et réserves que Sa majesté pourra juger nécessaires ou utiles dans l’intérêt du pays. »

Dispositions additionnelles à l’amendement de M. Peeters, proposées par M. Pollénus :

« Art. 1er. Les communautés, corporations et établissements religieux et d’instruction publique, dans les provinces cédées ou dans celles qui restent à la Belgique, conserveront leurs propriétés. »

« Art. 2. Dans les territoires cédés, les temples consacrés au culte catholique ne pourront être destinés en même temps à d’autres cultes. »

M. le président – Nous allons successivement ouvrir la discussion sur les amendements.

M. Pirson – On n’a pas eu le temps d’examiner les amendements. D’ailleurs, il y en a un autre proposé par M. Desmaisières.

M. le président – Il n’est pas déposé. (Aux voix ! aux voix !)

M. Pirson – Vous ne pouvez pas aller aux voix sur les amendements sans qu’on les discute.

Je voulais proposer le retranchement du mot « clause », comme M. Desmaisières, mais par d’autre motifs que lui, et je voudrais qu’on ajoutât ceux-ci : « Sans préjudice au droit des chambres, conformément au paragraphe 2 de l’article 68 de la constitution, si de nouvelles stipulations financières ou commerciales étaient introduites. »

Je voudrais demander, à cet égard, au ministre des explications. Dans son rapport il annonce qu’il pense qu’il y aura des moyens de s’entendre avec la Hollande sur le péage qui pourrait être ou racheté ou payé par l’état à Anvers, et pour compte de l’état par des agents du gouvernement. Je voudrais savoir si par le mot « clause », inséré à la suite de l’autorisation d’accepter le traité, le gouvernement se croit aussi autorisé à stipuler le rachat du péage ou le paiement, au nom de la Belgique, sans l’approbation des chambres. Je ne pense pas qu’il entre dans l’intention de l’assemblée de donner une procuration en blanc au gouvernement ; c’est donc un autre amendement que je proposerai. Je vais le déposer.

M. le président – M. Desmaisières vient de déposer un amendement par lequel il propose la suppression du mot « clause ».

Quelques voix – Il y a clôture ! Aux voix ! aux voix l’ajournement !

M. Pirson – Je demande la parole sur mon amendement.

Je vous ai dit les motifs pour lesquels je demandais l’ajournement. Ils sont contenus dans mon discours du 11 de ce mois, mais il a été tellement interrompu que je ne sais pas si on s’en souviendra. Je vais les rappeler en peu de mots. Le ministre est convenu qu’avant la décision de la conférence, la discussion dans son sein a été tellement imprévue pour nos envoyés, qu’ils n’ont pas eu le temps de faire de contre-proposition à celles faites par le roi Guillaume. J’ai dit qu’à cette époque, on avait laissé agir Guillaume, sans aucune espèce d’entrave. Il s’est arrangé avec la confédération germanique, et la confédération a admis ses propositions, sans entendre les députés belges. Je dois faire remarquer que cet arrangement proposé par le roi Guillaume est fondé sur un fait erroné. Il s’est présenté comme s’il était toujours en possession du Luxembourg, comme s’il en était toujours souverain : c’est dans cette hypothèse que la conférence a résolu la question territoriale. Mais cet arrangement entre-t-il dans les intérêts de l’Allemagne et de la Hollande ? Je ne le crois pas. C’était tout simplement une espèce d’apanage qu’on faisait à un prince appartenant à la maison régnant à Berlin et à la Haye. Depuis lors, vous voyez que tous les publicistes allemands réclament contre la décision de la conférence et l’accusent d’avoir fait cet arrangement sans consulter les intérêts de l’Allemagne. Si nous consultons les journaux, nous voyons que notre position est meilleure qu’on ne le prétend vis-à-vis des politiques et des commerçants.

Le gouvernement vous a dit que ses armements avaient servi à quelque chose ; pour moi, je vois qu’ils ont servi à faire clore les séances de la conférence, sans nous entendre, car le gouvernement n’a fait aucune proposition relativement au territoire.

Quant à la dette, M. Fallon a dit qu’après avoir fait des calculs qu’il voulait présenter à la conférence, elle n’a pas voulu les entendre parce qu’elle s’était arrêtée à un chiffre transactionnaire dont elle ne voulait pas se départir. Dans cette position, nous devons ouvrir de nouvelles négociations sur la question territoriale auprès de la confédération, de la conférence et de la France.

La France n’a pas encore dit son dernier mot, parce qu’enfin il dépendait de nous d’accepter ou de ne pas accepter. Il faut mettre le gouvernement français en demeure de savoir définitivement ce qu’il pense à notre égard, s’il veut perdre son dernier allié.

Le gouvernement français est dans une position différente de celle dans laquelle il était il y a un mois. Vous le savez parfaitement, à cette époque on trompait l’opinion publique en France et en Belgique par la crainte de la guerre. Les électeurs français n’ont pas eu peur, et si, vous, vous continuez à avoir peur, je ne sais trop ce que je devrai dire ou penser de vous.

Nous sommes ici à un tribunal d’appel ; eh bien, à une cour d’appel, on ordonne toujours un plus ample informé quand il y a lieu à information. C’est la dernière ressource ; vous allez prononcer en dernier ressort sur vos malheureux compatriotes ; ceux qui se sentent la conscience assez forte pour, dans l’état des choses, supporter le poids de la décision qu’on leur demande, je ne leur en fais pas mon compliment. Mais je leur dis que s’ils ne cherchent pas un moyen quelconque de remettre sur le tapis la question territoriale, les habitants du Limbourg et du Luxembourg diront que vous n’avez pas fait tout ce qu’il y avait à faire ; le gouvernement seul a agi ; mais depuis que le projet vous a été présenté, vous n’avez rien fait ; un dernier moyen vous restait, vous n’avez pas voulu en user.

Que diriez-vous d’un père qui, ayant un fils agonisant condamné par les médecins qui se trompent quelquefois, refuserait d’employer un dernier remède dont on lui assurerait l’efficacité, et le refuserait pour ne pas faire une dépense inutile, bien qu’il fût riche ? Eh bien, ce serait votre conduite si vous repoussiez mon amendement, car la Belgique a bien le moyen d’attendre un mois pour savoir ce que pense le dernier cabinet de France. Je demande qu’on ajourne le vote jusqu’à ce qu’on ait fait une démarche auprès du nouveau cabinet français et qu’on ait obtenu sa dernière réponse.

Après cela, je serai peut-être le premier à voter avec vous.

M. le président – M. Van Hoobrouck propose le sous-amendement suivant à l’amendement de M. Peeters :

« En tant qu’ils sont compatibles avec les statuts fédéraux de la diète germanique. »

M. Dolez – Après la clôture, je ne pense pas qu’on puisse produire de nouveaux amendements. Je rappellerai un antécédent de la chambre, qui n’est pas de date ancienne. Il y a quelques mois, quand on discutait la question du traitement de l’archevêque de Malines, M. Pirmez et moi avons fait parvenir au bureau un amendement au moment où la clôture allait être mise aux voix, et si mes souvenirs sont exacts, M. Dubus s’est chargé de démontrer qu’il n’était pas recevable. Si vous ne restez pas fidèles à vos antécédents, vous tomberez dans un dédale dont vous ne sortirez pas, car vous serez forcés d’admettre un déluge d’amendements.

La clôture étant prononcée, on doit se borner à discuter les amendements déposés dans le cours de la discussion.

M. Vandenbossche – Je demande la parole pour appuyer la proposition de M. Pirson.

Un grand nombre des membres – La clôture !

M. Vandenbossche – Je demande à démontrer que la conférence reprendra la négociation sur la dette. Je soutiens que dans la liquidation la Belgique doit retrouver 80 millions de florins. Voilà ce que je voudrais exposer à la chambre. J’aurais à parler pour longtemps.

Plusieurs membres – Faites insérer votre discours dans le Moniteur.

M. Vandenbossche – Je demanderai le renvoi de la discussion à demain.

Plusieurs membres – La clôture !

M. Van Hoobrouck – J’aurai l’honneur de rappeler à la chambre que lorsque la clôture a été mise aux voix, j’ai demandé s’il me serait permis de présenter un sous-amendement à l’amendement de M. Peeters, et l’on a été d’accord sur ce point.

Plusieurs membres – Non ! non !

M. Van Hoobrouck – On a été d’accord. Sans cela, je n’aurais pas voté pour la clôture. J’avais préparé mon sous-amendement. Rien ne m’était plus facile que de le présenter. Je m’en réfère à la chambre. Je déclare sur l’honneur que la chambre a autorisé le dépôt de l’amendement. Je crois qu’il y aurait surprise à repousser mon amendement.

M. Doignon – L’honorable M. Pirson a demandé l’ajournement de la proposition au gouvernement. J’ai l’intention d’appuyer fortement sa proposition. Vous n’avez entendu sur ce point que M. Pirson. Il est ordinaire d’entendre un orateur ou deux. Je demande donc la permission d’être entendu dur la proposition d’ajournement. Sinon, je proteste.

- La proposition d’ajournement faite par M. Pirson est mise aux voix par appel nominal. Voici le résultat du vote :

96 membres prennent part au vote.

36 votent pour l’adoption.

60 votent contre.

Ont voté pour l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, , Berger, Brabant, Dechamps, Corneli, de Foere, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Puydt, de Renesse, Desmet, d’Hoffschmidt, Doignon, Dubus (aîné), Dumortier, Frison, Gendebien, Heptia, Jadot, Lejeune, Manilius, Metz, Pirson, Pollénus, C. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Seron, Simons, Stas de Volder, Thienpont, Vandenbossche, Vergauwen, Zoude.

Ont voté contre : MM. Andries, Coghen, Coppieters, David, de Behr, de Florisone, W. de Mérode, de Jaegher, de Langhe, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, Dequesne, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Dolez, Donny, Dubois, Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Lecreps, Liedts, Nothomb, Maertens, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Pirmez, Polfvliet, Raikem, A Rodenbach, Rogier, Smits, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Van Volxem, Verdussen, Verhaegen, H. Vilain XIIII, Wallaert, Willmar.

M. le président – La chambre a maintenant à statuer sur l’amendement au projet de loi présenté par M. Pirson.

M. Dolez, rapporteur – Je propose sur tout nouvel amendement la question préalable.

M. Gendebien – Vous avez clos la discussion générale, mais vous avez stipulé en même temps qu’on pourrait discuter les amendements ; or, il ne s’agit pas de savoir seulement si ces amendement seront adoptés ou rejetés. Il s’agit aussi de savoir s’ils seront modifiés ; car la discussion a pour but aussi d’améliorer ; en déclarant qu’il y aurait discussion vous avez donc déclaré implicitement qu’il y aurait faculté d’amender.

Comment ! un amendement pourrait être bon s’il était modifié, et vous ne seriez pas libres de le modifier ! Vous pourriez vous placer dans l’absurde alternative de le rendre utilement acceptable, moyennant une légère modification ! mais cela serait déraisonnable. Vous avez décidé qu’il y aurait discussion, il faut en admettre les conséquences ; il serait contraire au texte et à l’esprit de votre règlement d’agir autrement.

M. Pollénus – J’avais demandé la parole, mais je n’ai rien de plus à ajouter à ce que vient de dire le préopinant.

M. de Jaegher – Si la chambre veut innover, libre à elle ; mais si elle veut s’en tenir à son règlement, elle doit repousser tout nouvel amendement. L’honorable M. Dolez a rappelé ce qui s’est passé lors de la discussion du traitement de monseigneur l’archevêque de Malines. Un amendement avait été proposé par MM. Pirmez, Troye, quelques autres collègues et moi. Cet amendement allait être déposé pendant qu’on prononçait la clôture, car elle n’avait pas encore été prononcée. Eh bien ! la chambre a refusé d’en entendre la lecture ; si donc la chambre veut rester fidèle à ses précédents, elle ne doit accueillir aucun nouvel amendement.

M. Donny – On pourrait d’autant plus statuer sur l’amendement de M. Pirson qu’il n’est pas nouveau. Il a été proposé dans les sections, et il en a été fait mention dans le rapport de la section centrale.

M. Gendebien – Si vous adoptez un amendement, vous serez obligés d’avoir un second vote, et dans ce second vote vous pourrez, d’après votre règlement, introduire des amendements ; ainsi un amendement serait amendable dans un second vote et il ne le serait pas dans une première discussion ! mais ce serait absurde.

Vous ne pouvez, sans violer le règlement, refuser un sous-amendement.

Il importe peu qu’on discute ou qu’on ne discute pas, je sais fort bien que c’est inutile ; mais il me semble que s’il convient d’observer le règlement, c’est surtout dans une question aussi grave, lorsqu’il s’agit de livrer 400,000 Belges à l’étranger.

Lorsqu’un amendement est adopté, il peut être modifié au second vote ; eh bien, je le demande, s’il peut l’être au second vote, pourquoi ne pourrait-il pas l’être maintenant ? Ce serait absurde !

Quant au précédent qui a été invoqué, il n’est pas applicable ici ; il s’agissait d’un amendement entièrement nouveau, tandis qu’en ce moment il ne s’agit que de sous-amendements, de modifications à introduire dans des amendements déjà présentés.

M. Dolez, rapporteur – Messieurs, dans l’esprit du règlement la clôture a une portée, une signification ; la clôture est quelque chose ; or d’après le système de l’honorable M. Gendebien, la clôture ne signifierait absolument rien, car, sous prétexte de présenter de nouveaux amendements, on pourrait faire des propositions qui renverseraient totalement l’article lui-même de la loi, et rentrer ainsi de nouveau dans la discussion de la question principale.

« Mais, dit l’honorable membre, lorsqu’un amendement a été introduit dans une loi, il peut toujours être modifié au second vote. » C’est, messieurs, qu’alors l’effet de la clôture est détruit par le second vote, qui appelle la chambre à discuter de nouveau toutes les modifications introduites dans la loi. Ici, rien de semblable n’existe ; la clôture a été prononcée sur toute la discussion, sauf celle des amendements présentés, mais aucune réserve n’a été faite pour ceux qui pourraient l’être encore.

M. Pirson – Je dois vous faire remarquer d’abord, messieurs, qu’il n’y a aucune analogie entre ce qui s’est passé relativement au traitement de l’archevêque de Malines et ce qui se passe maintenant : alors la clôture avait été prononcée ou se prononçait, et comme il ne s’agissait que d’une seule question, le traitement de l’archevêque, on a dit que la clôture empêchait de proposer des amendements. Ici c’est tout autre chose : vous avez prononcé la clôture de la discussion générale ; eh bien, il faut maintenant ouvrir la discussion des diverses dispositions de la loi ; or, il n’y a pas une seule phrase de l’article unique de la loi qui ne puisse donner lieu à un amendement.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, lorsque la clôture a été demandée, j’ai exprimé le désir que la chambre fût interrogée sur la portée qu’elle entendait donner au vote de clôture, et je faisais remarquer que toute la discussion avait porté uniquement sur le principe de la loi, et que personne encore n’avait fait mention des amendements ; on est tombé d’accord que, malgré la clôture, la discussion demeurerait ouverte sur les amendements.

Eh bien, messieurs, quoi qu’en ait dit l’honorable rapporteur de la section centrale, il me paraît que ce vote a une portée, car il en résulte qu’on ne peut plus revenir sur la loi même, ni proposer de nouveaux amendements. Mais en résulte-t-il aussi qu’il est interdit de modifier les amendements déjà proposés ? Evidemment non ; car puisque vous avez réservé la discussion de ces amendements, vous avez évidemment réservé en même temps le droit de les sous-amender, de les améliorer. Et cela n’ouvre pas, comme on l’a dit, le champ à une foule d’amendements de toute espèce, car il est évident que les sous-amendements, pour pouvoir être discutés, devront se rapporter uniquement à l’un des amendements déposés ; sans cela ce ne seraient pas des sous-amendements, mais des propositions tout à fait nouvelles.

Je pense donc, messieurs, que l’on a encore le droit de proposer des sous-amendements, mais qu’on ne peut plus présenter des amendements nouveaux.

M. Dolez – Il y a quelques jours, messieurs, j’ai présenté un amendement. Cet amendement peut être sous-amendé, et j’ai l’intention de le sous-amender moi-même. J’ai entendu quelques membres me reprocher de vouloir mettre des bâtons dans la roue ; je déclare hautement, messieurs, que telle n’est pas mon intention, la seule chose que je désire, c’est de conserver autant qu’il est possible, à nos malheureux concitoyens du Limbourg et du Luxembourg, les avantages dont ils jouissent aujourd’hui.

Je ne comprends pas que lorsqu’il s’agit d’une question semblable, on veuille brusquement clore toute discussion, tandis que quand il s’agissait du traitement de l’archevêque de Malines, on a discuté pendant trois jours à propos d’une misérable somme de 9,000 francs.

M. Verdussen – Je ne pense pas, messieurs, qu’on puisse admettre la dernière proposition de M. Dolez, car cela nous jetterait dans l’arbitraire et dans les personnalités ; à chaque proposition qui serait faite, tel député croirait que c’est un sous-amendement, tel autre croirait que c’est un amendement nouveau. Je demande que la chambre décide qu’on ne sera pas admis à proposer des amendements mais qu’on pourra sous-amender les amendements déjà présentés.

M. d’Huart – Il me semble qu’il n’y a pas lieu de poser une telle question ; le règlement est positif : aux termes de celui-ci on n’est pas admis à présenter des amendements nouveaux, mais on peut proposer des sous-amendements.

Il n’y a donc pas lieu de voter sur la question préalable qui a été, du reste, retirée par l’honorable membre même qui n’avait proposée.

M. Devaux – Messieurs, le règlement voulait qu’on prononçât la clôture sur le tout, tant sur l’article que sur les amendements et les sous-amendements. Le règlement dit que lorsque la clôture générale aura été prononcée sur un article, cette clôture emporte celle sur le tout. Il n’y en a pas en ce cas de faveur pour les amendements. Maintenant vous avez, par concession, permis qu’on discutât séparément les amendements ; eh bien, cette concession, vous êtes maîtres de l’étendre ou de la restreindre, puisqu’elle est faite en dehors du règlement. Vous êtes en droit de proscrire tous nouveaux amendements ou sous-amendements, car vous pouvez prononcer la clôture à l’instant même sur le tout.

M. d’Huart – Messieurs, on vient de voter la clôture de la discussion générale, et l’on a réservé la discussion des amendements. Je ne comprendrais pas qu’on vînt immédiatement après contester le droit d’user de cette réserve, qu’on vînt aussitôt prononcer la clôture sur le tout. Je n’admets pas que la chambre puisse convenablement le faire, et au surplus l’honorable préopinant ne demande pas même cela. Il n’y a donc pas lieu de voter en ce moment la question préalable sur les amendements.

M. Dumortier – J’ajouterai à ce que vient de dire l’honorable M. d’Huart que le règlement est contraire au sens qu’on voudrait lui donner. Le règlement dit que la discussion qui aura lieu sur le rapport de la section centrale sera double, une discussion générale et une discussion sur les articles. Nous avons terminé la première discussion ; reste la seconde. Nous avons donc à examiner l’article en lui-même. (Non ! non !) En tout cas, il y a lieu de discuter les amendements qui ont été déposés ; non seulement ils peuvent et doivent être discutés aux termes du règlement, mais ils peuvent encore être sous-amendés ; or c’est de la discussion même que ces sous-amendements peuvent en sortir.

Vous voyez que vous marchez dans un sens contraire au règlement, parce que vous voulez trop précipiter les choses ; je vous en prie, messieurs, ne nous écartons pas des règles, et moins dans cette circonstance solennelle que dans tout autre.

M. Lebeau – Messieurs, je m’élève contre les prétentions de l’honorable préopinant qui voudrait que la discussion générale fût close sans y comprendre la clôture de la discussion de l’article unique de la loi. Il a été décidé sur les observations même de M. Dubus, qu’on entendait clore la discussion de l’article, et c’est d’ailleurs conforme aux précédents de la chambre.

Maintenant je dis avec l’honorable M. Devaux que la majorité eût été dans son droit si elle avait prononcé la clôture sur les amendements, et que c’est par condescendance que vous avez consenti, sur les réclamations de M. Dubus, à ce qu’on discutât les amendements, mais seulement les amendements qui ont déjà été déposés. Ainsi, les amendements qui surgiraient après la clôture peuvent être frappés de la question préalable. Maintenant on établit une distinction entre un amendement et un sous-amendement. Mais remarquez qu’une ligne de démarcation est impossible à préciser ; on présentera un amendement qu’on qualifiera de sous-amendement ; une discussion s’élèvera sur la question de savoir si l’amendement est oui ou non un sous-amendement. Je demande comment on pourra fixer une ligne de démarcation.

Il est évident que nous rouvrons la discussion générale, et qu’à la faveur d’un amendement qu’on qualifiera de sous-amendement, nous pourrons avoir l’avantage d’ajouter de nouveaux discours de la taille de celui qu’annonce M. Vandenbossche ; voilà où l’on en viendra. Eh bien, je propose formellement la question préalable sur tout ce qui n’est pas amendement déposé avant la clôture de la discussion.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, je crois que la proposition de M. Lebeau met en question ce que la chambre vient de décider : ce serait donner pour reprendre. A cette occasion, on a appelé concession ce qui, dans mon opinion, n’était que justice. On avait demandé la clôture ; mais qu’avait-on discuté ? c’était naturellement ce qu’il fallait examiner avant de clore la discussion. Il se trouve que la discussion des amendements n’avait pas même été abordée. Eh bien, si l’on voulait, comme le prescrit le règlement au dire des honorables préopinants, clore à la fois et sur l’article, et sur les amendements proposés, votre demande de clôture était manifestement prématurée ; elle aurait dès lors été rejetée, puisque la chambre n’aurait pas clos la discussion sur les amendements qui n’avaient pas été examinés. Reconnaissant que ces amendements n’avaient pas encore été discutés, on a senti la nécessité de les excepter de la clôture qu’on allait prononcer. Donc la question des amendements est entière. Mais, dit-on, cela ouvrira la porte aux inconvénients que nous voulions éviter, car la ligne de démarcation est difficile entre les amendements et les sous-amendements. Messieurs, un sous-amendement est une proposition qui modifie un amendement proposé, et il est bien aisé de reconnaître si une proposition qu’on aura faite s’applique à l’article, ou si elle modifie un amendement proposé à l’article. Si réellement cette ligne de démarcation était impossible à établir, alors il y aurait un grand vice dans notre règlement, qui porte qu’on doit voter d’abord sur les sous-amendements, et ensuite sur les amendements. Ainsi, si un amendement a été sous-amendé, on met aux voix le sous-amendement avant l’amendement. Je le répète, si réellement la ligne de démarcation était impossible à reconnaître, on ne pourrait exécuter cet article du règlement, qui s’exécute cependant sans difficulté depuis longtemps.

Je crois, messieurs, que vous ne pouvez pas repousser par la question préalable les sous-amendements, alors que vous avez maintenu la discussion ouverte sur les amendements eux-mêmes.

M. le président – Personne ne demandant plus la parole, je vais mettre aux voix la proposition de M. Lebeau.

Des membres – L’appel nominal ! l’appel nominal !

- Il est procédé à l’appel nominal.

En voici le résultat :

74 membres prennent part au vote ;

39 répondent oui ;

35 répondent non.

En conséquence, la proposition de M. Lebeau est adoptée, et par suite la question préalable est prononcée sur tous amendements et sous-amendements autres que ceux qui ont été déposés avant la clôture de la discussion générale.

Ont répondu oui : MM. Andries, Coghen, Coppieters, de Florisone, de Jaegher, de Langhe, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, Dequesne, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez, Dubois, Hye-Hoys, Keppenne, Lebeau, Liedts, Maertens, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Polfvliet, Raikem, Rogier, Smits, Troye, Ullens, Van Volxem, Verhaegen, H. Vilain XIIII, Wallaert, Zoude.

Ont répondu non : MM. Brabant, Corneli, Dechamps, de Foere, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, W. de Mérode, Demonceau, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, d’Huart, Donny, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Frison, Gendebien, Kervyn, Lejeune, Manilius, Peeters, Pollénus, Scheyven, Seron, Stas de Volder, Thienpont, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck de Fiennes, Verdussen, Vergauwen,

Messieurs les représentants quittent leurs places.

La séance est levée à 5 heures un quart.