(Moniteur belge n°66, du 7 mars 1837 et Moniteur belge n°67, du 8 mars 1837)
(Moniteur belge n°66, du 7 mars 1837)
(Présidence de M. Fallon, vice-président.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les habitants de la commune d’Oorderen demandent la construction d’une digue intérieure au rayon du fort Lillo. »
« La direction de la wateringue du Capitalem-Dam réclame de nouveau la restitution de ses écluses, l’indemnité de ses écluses et un nouvel écoulement pour ses eaux pluviales. »
- La première pétition est renvoyée à la commission des polders la seconde à la commission des pétitions.
Le sénat informe qu’il a adopté le budget de la dette publique et des dotations, et la loi autorisant l’entrée libre en Belgique de mécaniques et ustensiles destinés à l’industrie.
M. Verdussen s’excuse par lettre de ne pouvoir assister à la séance.
- Pris pour information.
« Art. 1er. Entretien et police de la route proprement dite : fr. 420,000. »
« Art. 2. Dépenses de transport : fr. 785,000. »
« Art. 3. Frais de perception : fr. 325,000. »
La section centrale propose les sommes suivantes aux trois articles :
« Art. 1er. Entretien et police de la route proprement dite : fr. 370,000. »
« Art. 2. Dépenses de transport : fr. 685,000. »
« Art. 3. Frais de perception : fr. 290,000. »
M. le président. - M. le ministre des travaux publics se rallie-t-il à la réduction proposée par la section centrale ?
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, le budget du chemin de fer renferme deux espèces d’allocations, l’une relative au service actuel, l’autre au service éventuel ; la section centrale est d’avis d’allouer la somme demandée par le gouvernement pour le service actuel ; elle ne propose de réduction que sur le service éventuel ; cette réduction, j’y accède, avec la réserve que la section centrale a indiquée elle-même dans son rapport.
Voici comment elle s’exprime dans son rapport :
« Il lui a semblé qu’il convenait de circonscrire autant que possible les éventualités mêmes dans les limites de ce qui est probable d’après les faits antérieurement constatés, d’autant plus que si des cas extraordinaires se présentaient pendant l’exercice courant, il y aurait toujours moyen que la législature y pourvoie par un vote postérieur. »
Il doit donc être bien entendu que si les éventualités que j’ai posées venaient à se réaliser, ce que tout le monde doit souhaiter, l’allocation se trouvant alors insuffisante, il n’y aurait aucune inconséquence de la part du gouvernement de venir demander un supplément de crédit au mois de novembre prochain par exemple.
C’est donc avec cette réserve que je me rallie à la réduction proposée par la section centrale.
M. le président. - Ainsi la discussion est ouverte sur le projet de la section centrale.
M. Donny. - Messieurs, dans une séance précédente, l’honorable M. Verdussen nous a fait remarquer que puisqu’on avait payé les frais d’entretien et d’exploitation de la route en fer au moyen de sommes prises sur le capital consacré à la construction de ce chemin, il devait en être résulté une diminution assez considérable sur le capital de construction ; l’honorable membre nous a fait sentir qu’il y avait convenance de codifier pour le futur la marche suivie jusqu’ici, et de ramener à son montant primitif le capital que la législature a voté pour la construction de la route.
Le ministre des travaux publics a partagé l’opinion de l’honorable M. Verdussen pour le futur, puisque pour le futur il a proposé une marche plus régulière. Mais quant au passé, le ministre a soutenu qu’à la vérité, ce qu’on avait fait était quelque chose d’exceptionnel, mais qu’il ne s’y trouvait rien d’irrégulier, rien d’illégal. Je conçois parfaitement qu’il doit être facile à M. le ministre de nous convaincre que la marche que l’on a suivie était exceptionnelle ; mais ce que je ne conçois pas aussi bien, c’est la manière dont il pourra s’y prendre pour nous donner la conviction que la marche n’était pas irrégulière ; car l’illégalité du mode de paiement adopté par le gouvernement jusqu’ici est évidente pour moi.
En effet, messieurs, ce mode de paiement se trouve en opposition directe avec toutes les dispositions légales sur la matière ; en opposition avec l’art. 3 de la loi du 18 juin 1836 qui règle l’emploi spécial de l’emprunt de 30 millions ; en opposition avec l’art. 4 de la loi du 1er mai 1834 qui fixe la destination des produits de la route ; en opposition enfin avec l’art. 4 de la loi du 12 avril 1835, relatif aux péages et à la police de la route en fer. Je ne conçois pas comment une marche adoptée, en opposition avec trois lois différentes, puisse ne pas être illégale.
Je ne fais, au reste, cette observation qu’en passant, car je n’ai pas pris la parole dans le dessein d’établir une discussion sur ce point, mais je me suis levé pour prier M. le ministre des travaux publics de vouloir bien nous dire s’il entre dans ses intentions de chercher un moyen légal pour rendre au capital de construction les sommes qui en ont été distraites illégalement. Si la réponse de M. le ministre devait être négative, il nous resterait, à l’honorable M. Verdussen, à moi, et à tout autre membre de la chambre qui partage notre manière de voir à cet égard, il nous resterait, dis-je, la tâche de faire, en temps opportun, une proposition qui tendrait à ramener le capital de construction à son montant primitif.
M. Jullien. - Messieurs, j’ai remarqué dans le rapport de la section centrale deux observations qui méritent véritablement l’attention de la chambre.
D’abord il paraîtrait, d’après ce rapport, que les dépenses de construction du chemin de fer sont confondues pêle-mêle avec les frais d’entretien, tandis que ces deux catégories bien distinctes de dépenses devraient former chacune une comptabilité à part.
Je veux croire que les employés qui sont chargés du maniement des fonds affectés aux dépenses du chemin de fer méritent la confiance de M. le ministre des travaux publics, je ne mets pas en doute leur délicatesse mais enfin ils ne peuvent pas trouver mauvais qu’on donne à la chambre les moyens de connaître d’une manière certaine si les dépenses sont employées à tel ou tel objet.
Il est une autre remarque qui mérite également l’attention de la chambre et de M. le ministre des travaux publics : c’est celle qui concerne la dépense annuelle et d’entretien et de réparation.
Il est dit dans le rapport de la section centrale qu’on dépense annuellement 6,000 fr. pour l’entretien d’un kilomètre de longueur, et cependant cette dépense ne figurait que pour 16 à 1,700 fr. dans les devis qui ont été présentés à la chambre par les ingénieurs, lors de la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer ; quelle est la raison de cette énorme différence ? C’est sur quoi je demanderai des renseignements à M. le ministre des travaux publics, et j’espère que sa réponse sera satisfaisante.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, la section centrale, dans son rapport, a cru devoir se plaindre de ce que le gouvernement avait laissé la chambre et le pays sans renseignements sur les travaux et l’administration du chemin de fer : ces plaintes, je les crois exagérées.
Les renseignements qui vous ont été fournis sont insuffisants, il est vrai, mais cette insuffisance tient à la force des choses.
La loi du 1er mai 1834, en abandonnant au gouvernement la direction exclusive de l’entreprise du chemin de fer, lui a imposé l’obligation de présenter annuellement à la législature un rapport détaillé des opérations. Cette obligation, mon prédécesseur l’a remplie, en vous présentant le 6 août 1835 un rapport qui s’arrête au 1er juillet de cette même année. Ce rapport est imparfait, il devait l’être : car au 1er juillet 1835 il n’y avait que deux mois que la première section du chemin de fer était ouverte ; l’expérience était donc bien récente, bien incomplète.
Mon prédécesseur a pensé qu’il était préférable de fixer la présentation du deuxième rapport au 31 décembre 1836, c’est-à-dire de laisser s’écouter un temps suffisant pour que l’expérience fût plus complète, pour que le deuxième rapport fût plus satisfaisant que le premier. Un autre motif pour qu’on fixât le deuxième rapport au 31 décembre, c’est qu’il convient de faire coïncider la clôture des comptes du chemin de fer avec la fin de l’exercice ordinaire des budgets.
Il a été impossible que ce rapport se trouvât prêt immédiatement après le 31 décembre 1836 ; il ne l’a été qu’au commencement de l’année ; je l’ai déposé sur le bureau ; c’est un document volumineux qui se divise en deux parties. La première partie est l’ouvrage des ingénieurs, c’est le compte-rendu des dépenses d’exécution et d’entretien.
Il m’importe ici que la chambre ne commette pas de méprise. Il est très vrai que les dépenses d’entretien comme celles d’exécution ont été imputées sur un fonds commun, celui de l’emprunt ; néanmoins les dépenses sont distinctes en fait et sont distinctes dans les comptes : cette imputation commune n’entraîne pas de pêle-mêle ; s’il y a eu quelque chose d’irrégulier dans ce procédé, cette irrégularité peut encore être réparée, je dirai tout à l’heure comment.
La distinction des dépenses n’a jamais été perdue de vue, et n’a pu l’être ; aussi dans le compte-rendu trouve-on deux chapitres : le premier est relatif aux dépenses de construction, le second concerne les dépenses d’entretien.
La deuxième partie du travail est l’ouvrage de l’administration. Elle comprend tout ce qui concerne le mode et les frais de perception, le montant des recettes et le mouvement des voyageurs.
La chambre saura par ce rapport non seulement ce qui a été dépensé, mais comment on a dépensé. Chaque partie du rapport est accompagné d’explications générales sur le mode adopté tant pour les travaux que pour l’entretien et la recette : des spécimens de cahiers des charges et de soumissions seront même joints à la première partie ; le gouvernement appelle donc au besoin la discussion sur les conditions des entreprises.
Dans le cours même de cette session vous aurez occasion de vous livrer à l’examen de toutes ces questions, le gouvernement vous a demandé de renouveler pour un an la loi qui lui donne le droit de régler les péages, et qui expire au 1er juillet prochain ; quand cette proposition sera à l’ordre du jour, vous serez en possession du compte-rendu. Le gouvernement se tient donc prêt à une discussion approfondie avant la clôture de cette session.
Je suis à même dès aujourd’hui d’anticiper en quelque sorte sur la lecture du compte-rendu en présentant à la chambre quelques observations générales sur les dépenses faites depuis la promulgation de la loi. Je trouverai l’occasion de répondre incidemment aux observations faites par les deux honorables préopinants. Je ne puis m’arrêter qu’à des généralités de dépenses, car des tableaux, il faut les voir ; si j’entrais dans trop de détails, je fatiguerais votre attention, et les explications que je vous donnerais deviendraient insaisissables.
Les sommes dépensées ou engagées s’élèvent à 14,136,047 fr.
M. Dubus. - Jusqu’à quelle époque ?
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Jusqu’au 1er janvier 1837.
Cette somme de 14,136,047 fr. est engagée ou a été dépensée pour les objets suivants :
Il y a des sections achevées et des sections en construction ou à l’étude.
Trois sections sont achevées ; ce sont les sections de Malines Bruxelles, de Malines à Anvers, et de Malines à Termonde.
Six sections sont en construction ; ce sont les sections de Louvain à Tirlemont, de Tirlemont à Waremme, de Malines à Louvain, de Termonde à Gand, de Waremme à Ans près de Liége, de Gand à Bruges.
Cinq sections sont à l’étude ; ce sont les sections de Bruxelles à Mons par Tubize, d’Ans à la Meuse, de Liége à Verviers, de Bruges à Ostende, et de Verviers à la frontière de Prusse.
Les opérations préparatoires sont achevées sur plusieurs de ces sections.
Il a été dépensé :
Pour les trois section achevées, 5,131,633 fr. ;
Pour les six sections en train d’exécution, 6,603,950 fr. ;
Enfin pour les cinq sections à l’étude, 55,000 fr.
Je n’entrerai pas dans d’autres détails relativement aux six sections en train d’exécution et aux cinq sections qui sont à l’étude. Je m’arrêterai aux trois sections achevées.
J’ai dit que ces trois sections avaient coûté pour la construction de la route proprement dite, 5,131,635 fr.
Nous allons voir ce qu’a coûté chaque section :
La section de Malines à Bruxelles a coûté 1,290,381 fr.
La section de Malines à Anvers a coûté 2,222,817 fr. ; et la troisième, de Malines à Termonde, a coûté 1,618,435 fr.
Le gouvernement n’a pas pu rigoureusement exproprier ce qu’il lui fallait pour le tracé du chemin de fer ; il se trouve qu’il y a plusieurs parties d’emprise qui restent disponibles. Ces parties de terrain appartiennent aujourd’hui au domaine de l’Etat. Ces terrains ont même gagné en valeur, parce que dans beaucoup d’endroits, par le tracé même du chemin de fer, ils peuvent servir à des emplacements de maisons.
On estime que ces excédants d’emprises si je puis m’exprimer ainsi pourront, s’ils sont vendus, donner un produit de plus de cent mille fr., de sorte qu’il y a lieu de déduire de la somme de 5,131,633 fr., plus de cent mille francs pour le produit des terrains à vendre, ce qui réduira peut-être la dépense faite pour les trois sections à 5 millions environ ; admettons donc qu’après cette opération, les trois sections ouvertes auront coûté cinq millions, pour la route proprement dite. A cette somme, il faut ajouter une partie des dépenses faites pour le matériel et les stations. Je dis une partie de ces dépenses ; en effet la station de Malines est commune ; elle sert en même temps aux sections qui se dirigent sur Liège. Il y a aussi dans le matériel une partie qui servira aux sections à ouvrir. Le matériel et les stations ont coûté 1,848,055 fr. On peut évaluer le matériel nécessaire à l’exploitation des trois sections ouvertes à un million ; les trois sections ouvertes y compris le matériel nécessaire à l’exploitation auront donc coûte six millions.
Nous pouvons maintenant réunir les diverses dépenses dans une récapitulation générale :
Trois sections achevées, 5,131,635 fr.
Six sections en train d’exécution, 6,603,950 fr.
Cinq sections à l’étude, 55,000 fr.
Matériel et stations, 1,848,855 fr.
Ces quatre sommes donnent un total de 13,639,458 fr.
J’ai dit qu’on avait dépensé ou engagé 14,136,047 fr. ; la récapitulation que je viens de faire, présente une différence de 496,609 fr. ; c’est le montant des dépenses d’entretien d’exploitation et de perception des trois sections ouvertes.
Ces dépenses, comme nous a dit le premier orateur que vous avez entendu, ont été imputées jusqu’aujourd’hui sur les fonds de l’emprunt ; elles le seront à l’avenir sur le budget ordinaire des dépenses de l’Etat.
J’ai déjà eu occasion de faire remarquer qu’il est de l’intérêt du département des travaux publics qu’il en soit ainsi. En effet 496,609 fr. ont été prélevés pour l’entretien, l’exploitation et la perception sur le fonds de l’emprunt. Si cette imputation avait été faite sur le budget de l’Etat, la somme disponible pour la construction serait plus considérable de 496,609 fr., d’un demi-million environ ; ainsi sur les 14,136,047 francs dépensés, il y a un demi-million environ qui a servi à couvrir les frais d’exploitation, d’entretien et de perception. C’est une circonstance qu’il ne faut pas perdre de vue.
Pour répondre directement à l’interpellation que m’a adressée le premier orateur, je dirai que l’occasion de régulariser cette imputation se présentera quand le gouvernement aura besoin de nouveaux crédits ; on pourra exercer une sorte de répétition, et faire verser dans la caisse des fonds de construction le demi-million dépensé depuis le 1er mai 1835 jusqu’au 1er janvier 1837 pour l’entretien, l’exploitation et la perception des trois sections achevés. Ainsi le moyen d’opérer cette rectification se présentera naturellement, si tant est qu’on y tienne, quand le gouvernement demandera de nouveaux crédits. Pour mon compte, dans l’intérêt du chemin de fer, il m’importe seulement qu’on sache que sur les 14 millions dépensés, un demi-million ne l’a pas été pour construction.
Revenons aux trois sections achevées ; nous nous rapprocherons de la question spéciale qui nous occupe.
J’ai dit que les trois sections avec le matériel avaient coûté environ six millions.
Ces six millions de capital réel représentent dans l’emprunt négocié à 92, un capital nominal de 6,480,000 fr.
Ces 6,480,000 francs exigent pour l’intérêt à 4 p. c. 259,200 fr et pour l’amortissement, à raison de 1 p. c. 64,860 fr., en tout pour intérêt et amortissement, 324,000 fr.
Ainsi l’obligation annuelle imposée aux trois sections ouvertes est de fournir pour intérêt et amortissement du capital d’établissement 324,000 fr.
Si, après avoir pourvu aux frais d’entretien, d’exploitation et de perception, la recette présente encore cette somme de 324,000 fr., nous n’aurons pas a nous plaindre.
Nous avons évalué dans le projet de budget les dépenses annuelles des trois sections à 745 mille fr. ; en y ajoutant les 324,000 fr. pour intérêt et amortissement, nous aurons 1,069,000 fr. Il faut donc, pour que l’entreprise ne soit pas onéreuse, que les trois sections donnent au moins une recette de 1,069,000 fr. De la sorte, toutes les dépenses seront couvertes par la recette annuelle.
J’ai dit, messieurs, que nous n’aurions pas eu à nous plaindre. En effet, reportons-nous aux idées qui nous ont données lorsque nous avons décrété l’établissement du grand système de communications par des chemins de fer. Nous n’avons pas entendu décréter un moyen fiscal. Pour des raisons d’intérêt général nous avons voulu introduire dans le pays un nouveau genre de communication ; ce que nous voulions, c’est que ce fût sans perte pour le trésor ; si nos espérances sont dépassées, il faut nous en féliciter, mais il ne faut pas d’une manière absolue en faire une charge pour le chemin de fer dans l’avenir.
Que si les trois sections produisent au-delà de 1,069,000 fr. l’excédant sera un bénéfice, et ce bénéfice sera acquis conditionnellement au trésor. Je dis conditionnellement, et voici pourquoi : si le chemin de fer appartenait à une société on prélèverait sur l’excédant une somme formant un fonds de réserve pour les mauvaises années. Si donc, il arrivait que par suite d’un événement quelconque, d’un fléau, d’une maladie, d’une calamité publique, le chemin de fer ne produisît pas un million soixante-neuf mille fr., le trésor qui aurait touché pendant plusieurs années l’excédant, serait obligé de faire ce que font les particuliers, c’est-à-dire de venir au secours du chemin de fer pendant cette mauvaise année.
Il est inutile que j’ajoute que si le chemin de fer rencontrait ainsi de mauvaises années, les dépenses seraient moindres par cela même qu’il y aurait moins de voyageurs ; il faut seulement que l’on se rappelle bien qu’en décrétant l’établissement du chemin de fer, nous ne comptions pas sur un excédant de recette ; cet excédant existe, il n’est acquis à certains égards au trésor que comme fonds de réserve.
J’ai supposé que les trois sections du chemin de fer n’avaient à supporter que l’intérêt et l’amortissement du capital de six millions employés à leur construction ; qui donc supportera les intérêts et l’amortissement des sommes dépensées ; car la dépense totale y compris les frais de perception et d’entretien s’élève à 14,136,047 fr. ? Qui supportera les intérêts de la somme assignée au chemin de fer dans l’emprunt total des 30 millions, somme qui s’élève à 18,849,700 fr. ? Qui doit supporter ces intérêts jusqu’à l’achèvement des travaux pour les sections qui sont en construction ou à l’étude ? Selon moi, c’est l’Etat : il le fera à titre d’avances, il le fera conditionnellement, parce que c’est lui qui touchera l’excédant que peut produire la recette sur les intérêts, les frais d’entretien et d’exploitation.
Je n’hésite pas à dire que l’Etat se trouvera dédommagé des avances qu’il aura faites pour l’amortissement et les intérêts, en touchant l’excédant des recettes.
Ce qui prouve que l’Etat, en le considérant comme distinct du chemin de fer, ou en considérant le chemin de fer comme un individu, ce qui prouve que l’Etat ne sera pas trompé en faisant des avances d’intérêt et d’amortissement, c’est ce qui est arrivé depuis 1835.
Une seule section exploitée de mai 1835 à mai 1836, pendant 12 mois, a rapporté 359,394 fr.
Deux sections exploitées pendant 8 mois, de mai 1836 jusqu’au 31 décembre de la même année, ont rapporté 735,736 fr.
Les produits ont donc été de 1,094.130 fr.
Cette recette intégrale de 1,094,130 fr. a été versée, brute, sans déduction, dans le trésor public.
Nous avons vu que l’entretien, l’exploitation et la perception ont coûté 496,609 fr.
En supposant que le budget ordinaire eût payé cette somme, il resterait encore 597,521 fr. : environ 600,000 fr.
J’arrive aux deux parties du budget du chemin de fer, le service, actuel et le service éventuel.
Les dépenses d’entretien, d’exploitation et de perception pour les trois sections ouvertes, quant au service actuel, sont évaluées à 745,000 fr. Cette somme est considérable ; en quatre années ces dépenses auront coûté six millions, c’est-à-dire une somme égale au capital employé pour la construction. Ainsi une chose qui a coûté six millions exigera pour son entretien de quatre année le montant du capital primitif ; c’est sans doute beaucoup ; mais tout est relatif.
Cette chose qui a coûté six millions ; qui exige annuellement pour son entretien et son exploitation 745,000 fr., doit donner un produit de plus d’un million par an ; ce produit peut aller jusqu’à un million et demi ; il faut donc mettre le montant de la recette en regard du montant de la dépense.
Si nous atteignons le maximum de 1,500,000 fr., il se trouvera que l’on aura payé 745,000 tr. Pour recevoir 1,500,000 fr. qu’on aura payé 1 pour toucher 2.
L’entretien dépend de la nature de la chose. Le problème des chemins de fer n’est peut-être pas tant dans l’exécution que dans l’entretien. Ce tapis que nous avons sous les yeux, ce tapis n’est pas soigné plus minutieusement que ne l’est quotidiennement le chemin de fer. Si nos gens de service négligeaient de soigner ce tapis il n’en résulterait pas d’accidents majeurs ; il n’en est pas de même du chemin de fer ; il doit être sans cesse inspecté ; rien ne doit y être négligé ; le moindre oubli peut amener des accidents déplorables ; qu’un coussinet se déplace, qu’un bois cède, que le sol s’affaisse, et nous avons à redouter les plus grands malheurs. Le chemin de fer est comme palissadé d’hommes.
Les développements du budget offrent sous ce rapport de curieux détails : voici l’emploi des 200,000 fr. demandés pour l’entretien et la police de la route proprement dite :
a. Personnel pour la surveillance, fr. 50,000.
b. Ouvriers des ateliers ambulants, fr. 100,000.
c. Gardes-route et pontonniers, fr. 30,000.
d. Matériaux d’entretien, rails, billot, gravier, fr. 20,000.
Ainsi sur une somme de 200,000 fr., il y a un personnel de 180,000 fr. ; on ne demande que pour 20,000 fr. de matériaux. En comparant la somme demandée pour les matériaux à la somme appliquée au personnel, on voit combien celle-ci l’emporte. Ce fait est très connu en Angleterre ; on le présente comme un argument en faveur de l’introduction des chemins de fer : si les chemins de fer, dit-on, suppriment les chevaux, ils emploient les hommes.
Les locomotives ont en quelque sorte leurs palefreniers comme le plus beau cheval ; lorsque la locomotive arrive elle est traitée avec les plus grands soins. Le chemin de fer lui-même doit être considéré comme une vaste machine exposée à toutes les intempéries de l’air, à tous les accidents qu’éprouvent le bois, le fer, le sol ; pour prévenir ces accidents, il faut, non des matériaux, mais beaucoup d’hommes. S’il fallait beaucoup de matériaux, c’est que les hommes n’auraient pas fait leur devoir.
Si donc pour un personnel de 180,000 fr. on ne demande que 20,000 fr. de matériaux, c’est qu’on compte sur la vigilance du personnel, et sur une vigilance telle qu’il ne soit pas nécessaire de plus de matériaux.
J’avais demandé 780,000 fr. pour le service éventuel ; cette somme était calculée d’après trois éventualités ; la section centrale réduit cette somme à 600,000 fr.
Vous savez à quelle condition j’accède à cette réduction ; je ne puis que réitérer le vœu de recevoir un démenti des événements. Je terminerai, en vous rappelant les craintes qui nous préoccupaient lorsque, il y a trois ans, nous avons voté la loi sur le chemin de fer ; le succès nous a justifiés, gouvernement et chambres, et en ce monde, c’est beaucoup que le succès. L’étranger nous juge, l’avenir nous jugera d’après le succès, il est de votre devoir, messieurs, d’être plus sévères que l’étranger, Plus sévères que l’avenir. Vous jugerez en détail ; vous porterez ce jugement avec cette haute impartialité qui saisit l’ensemble des choses, et avec la juste bienveillance due à mes deux honorables prédécesseurs et aux deux hommes qui ont été leurs agents.
La Belgique, messieurs, a donné rendez-vous à ses frontières à deux grandes nations ; elle les y attend. Quoi qu’il advienne, la révolution belge, accusée tant de fois d’impuissance, aura produit une grande chose dans l’ordre matériel.
M. Jullien. - Messieurs, je me suis plaint de désordres dans l’administration et dans la comptabilité du chemin de fer, et j’ai demandé à cet égard des explications ; M. le ministre des travaux publics a eu la complaisance d’en donner, même de fort longues ; mais dans ces explications, il ne se trouve comme toujours que beaucoup de promesses, beaucoup d’espérances ; c’est à peu près là la seule manière dont on répond tous les ans aux griefs dont nous nous plaignons : « Vous vous plaignez, vos griefs sont fondés ; mais attendez, prenez patience : on va vous présenter les comptes, on va réparer tous les griefs ; et l’année suivante c’est à recommencer. Je ne sais pas ce qu’il y a de saisissable dans les explications que vient de donner M. le ministre : j’ai entendu parler de 5 millions par-ci, de 6 millions par là, de chiffres de tous côtés ; on nous a éblouis par une comptabilité impossible à saisir ; j’appelle cela donner des explications où, quant à moi (pour me servir d’une expression vulgaire), je ne vois que du feu, où je n’ai rien compris ; je crois, messieurs, qu’il en sera à peu près de même pour vous tous ; il ne me semble pas que M. le ministre des travaux publics ait répondu aux plaintes de la section centrale ; je vais vous lire quelques lignes de son rapport, et vous jugerez si les explications de M. le ministre sont de nature à vous satisfaire sur ce qu’elle a demandé. Voici ce que dit ce rapport :
« Depuis trois ans que les travaux du chemin de fer sont commencés et que trois sections se trouvent construites et livrées à l’exploitation, que beaucoup de millions sont dépensés, jusqu’à ce jour la législation est restée dans une complète ignorance sur l’administration et la comptabilité de ces grands travaux. Elle n’en connaît absolument rien, non seulement ce qui regarde le mode qu’on a suivi pour leur exécution et surveillance, si on est resté dans une voie légale et usitée, ou si ces travaux ont été exécutés arbitrairement et sans observer aucune règle d’administration, mais elle ignore encore à quoi sont spécialement employées les sommes qu’on prélève journellement sur le capital de l’emprunt, si on les fait servir aussi bien pour couvrir les dépenses de l’entretien de la route, et le paiement des traitements du personnel qui y est attaché, que pour les nouvelles constructions.
« Enfin la législation est dépourvue de toute notion sur cet objet de si grande importance et qui absorbe tant de millions ; tout ce qu’elle sait positivement, c’est qu’aucun centime n’a figuré jusqu’à ce moment dans le budget de l’Etat, pour couvrir les dépenses du chemin de fer. »
En effet, messieurs, comme j’ai eu l’occasion de le dire quand j’ai pris la première fois la parole, il y a dans cette comptabilité une espèce de pêle-mêle, une confusion dont il est nécessaire de sortir.
Je me suis plaint encore d’un autre grief qui est aussi produit par la section centrale ; c’est que d’après les estimations qui ont été faites lorsqu’on a discuté la loi du premier mai, les frais d’entretien et d’exploitation du chemin de fer devaient être de 16 à 1,700 fr. par kilomètre de longueur, tandis que maintenant on demande 6,000 fr. par kilomètre ; quelle est la raison de cette énorme différence ? « Mais, a-t-on dit, le chemin de fer demande une grande surveillance, le chemin de fer doit être « palissadé d’hommes. » (C’est l’expression dont s’est servi l’honorable ministre des travaux publics. )
Eh bien, messieurs, je crains fort que ces palissades d’hommes n’absorbent la plus grande partie des produits du chemin de fer, qu’on a vanté comme une mine très riche à exploiter par le pays, car vous concevez combien d’hommes il faudra employer pour palissader toutes les sections du chemin de fer, et par conséquent combien de dépenses il faudra faire pour payer ces hommes. Je crois, messieurs, qu’il y a un peu d’exagération dans l’expression dont s’est servie M. le ministre, qu’il a voulu dire qu’il faut un nombreux personnel, mais qu’il n’a pas en en vue de mettre la chambre dans l’expectative d’une dépense aussi considérable que celle qui résulterait de l’établissement d’une palissade d’hommes sur le chemin de fer. Quant à la question de savoir s’il convient de voter le crédit demandé pour le chemin de fer, je suis à cet égard dans une ignorance complète, Il en était à peu près ainsi lorsque le rapport nous a été présenté ; mais mon ignorance a beaucoup augmenté par les explications que vient de nous donner M. le ministre des travaux publics.
J’attendrai donc que l’honorable M. Dubus, qui fait partie de la section centrale et qui a l’habitude de jeter beaucoup de lumière dans la discussion, veuille bien nous donner quelques explications ; les renseignements qu’il nous donnera détermineront peut-être mon vote.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, l’honorable rapporteur de la section centrale, s’étant trouvé dans l’impossibilité d’assister à la discussion, m’a remis ses notes et m’a prié de le remplacer, autant que je pourrais le faire, en donnant à la chambre ou à d’honorables membres de la chambre les renseignement qu’ils pourraient désirer.
Messieurs, dans la proposition du gouvernement, la section centrale a distingué, avec M. le ministre, deux catégories de dépenses : l’une relative au service actuel, l’autre au service éventuel ; la section centrale a proposé pour le service actuel le chiffre demandé par le gouvernement, mais elle a proposé une réduction sur le chiffre qui concerne le service éventuel.
Selon la proposition, le crédit pour le service actuel s’élèverait à la somme de 745,000 fr. ; nous n’avons point proposé, sans examen, l’adoption de ce chiffre ; nous avons demandé des renseignements ; ils ont été fournis, et nous avons été convaincus que la différence entre la dépense qu’exigent le personnel, les réparations et l’entretien des trois sections actuellement en activité, et le crédit demandé, n’est pas considérable, qu’elle s’élève tout au plus à une somme de 50,000 fr, destinée à faire face, au besoin, à certaines éventualités très probables.
La section centrale n’a pas cru, dans un moment où le service n’est pas encore établi sur un plus grand nombre de sections, où l’expérience n’est pas faite, devoir entrer dans l’examen des modifications dont l’organisation actuelle pourrait être susceptible (si toutefois elle est susceptible de modifications), ce travail eût été long et difficile, il eût été intempestif peut-être, tandis que quand un plus grand nombre de sections auront été mises en exploitation, lorsque tout ce qui concerne le chemin de fer aura été soumis à la chambre (ce qui, selon moi, pourra avoir lieu pour le budget prochain), alors nous pourrons porter notre investigation sur tout ce qui sera susceptible d’amélioration, et M. le ministre lui-même sera alors plus en mesure de nous éclairer par son expérience ; il pourra modifier l’état de choses actuel, de manière à arriver à une plus grande économie s’il est possible de le faire sans compromettre les garanties de célérité et de sûreté auxquelles on doit toujours, en cette matière, attacher la plus grande importance, qui doivent aller avant tout.
Quant au service éventuel, le ministre en a estimé la dépense d’après trois éventualités développées dans son rapport, à une somme de 785,000 fr. ; cette somme étant plus élevée que celle qui est demandée pour le service actuel, nous avons pensé que tout avait été estimé au chiffre le plus élevé ; nous avons cru ne pas pouvoir admettre le chiffre le plus élevé résultant d’éventualités dont plusieurs sont au moins très incertaines ; il nous a semblé que nous ne pouvions pas, outre mesure et sans nécessité, élever le chiffre général du budget, puisqu’une fois le chiffre des dépenses enflé il faudra les couvrir par des voies et moyens nouveaux.
Si nous fixions le chiffre des dépenses éventuelles à deux cent mille fr., par exemple, de plus qu’il est nécessaire, d’après les probabilités, il faudrait que le budget des voies et moyens pourvût aussi à ces deux cent mille fr., il faudrait peut-être grever sans nécessité les contribuables. Nous avons donc, comme le rapport de la section centrale, « circonscrit autant que possible les éventualités, même dans les limites de ce qui est probable, d’après les faits antérieurement constatés ; » nous avons proposé sur ce point une réduction de 180,000 fr., et nous nous sommes décidés d’autant plus facilement, que le crédit de 745,000 fr., pour le service actuel, a été alloué assez largement et contient même déjà quelques éventualités.
Au reste, le ministre s’est rallié à la proposition de la section centrale, sous la condition (qui n’en est pas une) que si des éventualités se réalisaient de manière à rendre nécessaire une dépense plus grande, il viendrait demander un supplément de crédit. Il désire être obligé, en effet, de demander uns supplément de crédit, parce que cela annoncerait que le produit du chemin de fer a augmenté dans une énorme proportion. Sans doute la réalisation de cette éventualité serait désirable. Si on venait nous demander une augmentation de dépenses de 185,000 fr., en annonçant qu’il y a un excédant d’un million sur le produit, nous voterions de grand cœur les 185,000 fr. qui nous seraient demandés.
Une observation qui vous a été faite antérieurement par d’honorables membres de cette assemblée, et qui a fixé aussi l’attention de la section centrale, a été reproduite dans le cours de cette discussion : un honorable député d’Ostende a rappelé qu’il y a eu une somme de plus de 500,000. fr. dépensée en 1836 et antérieurement pour l’entretien et l’exploitation du chemin de fer qui, d’après les lois mêmes qui ont été portées, aurait dû être prélevée sur le produit du chemin de fer, et qui l’a été sur le capital de l’emprunt. Il a demandé si le ministre n’avait pas de propositions à faire pour rétablir la somme dans ce que j’appellerai la caisse du capital de l’emprunt, à défaut de quoi l’honorable membre fera peut-être une proposition semblable.
Il n’a pas été possible d’imputer cette somme sur le produit du chemin de fer, parce que dans le budget des voies et moyens de 1836, nous avons compris le produit du chemin de fer, et qu’au budget des dépenses il n’a rien été demandé pour dépense et entretien du chemin de fer. De sorte que cette dépense, le gouvernement l’a imputée sur le capital de l’emprunt. Mais si ces dépenses se trouvent faites et que les formalités prescrites par la loi aient été remplies, ce que j’ignore, faudra-t-il en chercher le montant à la caisse de l’emprunt ? Cette question me paraît avoir beaucoup perdu de son importance. Le ministre a fait remarquer qu’au 1er janvier, 14,136,047 fr. étaient dépensés sur le capital affecté à la construction du chemin de fer ; or ce capital qui est en valeur nominale de 20,670,000 fr., ayant été négocié avec un intérêt de 4 p. c., mais avec perte, n’est en valeur réelle que de 18,800,000 fr. Déjà plus de 14 millions ont été dépensés au 1er janvier, et d’après les renseignements que m’a fournis l’honorable rapporteur de la section centrale et qu’il a puisés à la cour des comptes, dans l’intervalle de 2 mois, jusqu’au 28 février, une nouvelle somme de plus d’un million a été employée ; de manière qu’au 28 février 15,177,143 fr ont été dépensés.
D’après cela, il est facile de prévoir que tout le capital de 18,800,000 fr. sera dépensé avant la fin de l’année, et qu’une proposition devra nous être faite de la part du gouvernement. Or, s’il en est ainsi, qu’importe la manière dont les 400,000 fr. pour l’entretien et l’exploitation ont été imputés ! D’une façon comme de l’autre, que l’on remette, ou non l’argent en caisse, il faudra toujours pourvoir à toutes les dépenses. Pour rembourser l’argent dans la caisse, il faut le prendre ailleurs, et pour cela il faut des voies et moyens quelconques. Ainsi, je le répète, la question est de peu d’importance.
Ce qui est dépensé est dépensé. Pour ce qui est à dépenser, il faudra qu’un nouveau crédit de la chambre y pourvoie.
Un honorable député de Bruges a paru désirer des renseignements sur la manière dont est réglée cette comptabilité, qui lui paraît très confuse et à laquelle il dit qu’il ne voit que du feu. Je dirai également quels sont les renseignements que m’a communiqués sur ce point l’honorable rapporteur de la section centrale.
M. le ministre vous a dit tout à l’heure que les recettes brutes du chemin de fer étaient versées au trésor. C’est par des imputations sur le crédit de 18,800,000 francs dont j’ai parlé tout à l’heure que se paie la dépense du chemin de fer.
D’après nos règles de comptabilité (ces règles ont leur principe dans un article de la constitution), aucune dépense ne peut être faite que sur le visa préalable de la cour des comptes. La règle la plus générale est que la cour des comptes vérifié la dépense avant de donner son visa. Il y a cependant certains cas d’exception.
Dans ces cas la cour des comptés vise des mandats au moyen desquels un fonctionnaire touche une somme dont il devient lui-même comptable envers la cour des comptes. C’est une exception aux bonnes règles de la comptabilité qui a été rendue nécessaire dans certaines circonstances, mais dont il est à désirer que l’on ne fasse qu’un usage peu fréquent. D’après les renseignements qui me sont parvenus, on en aurait fait un grand usage pour les dépenses du chemin de fer ; car d’après une note que je tiens à la main, sur le crédit de 10 millions qui est le résultat de la loi de 1834, à un seul fonctionnaire du département de l’intérieur, aujourd’hui des travaux publics, il a été ouvert des crédits jusqu’à concurrence de 2,540,000 fr. Ce qui me paraît une somme énorme. Et sur le crédit ouvert par la loi de 1836, qui est la loi de l’emprunt, le même fonctionnaire a obtenu des mandats jusqu’à concurrence de 1,200,000 fr. et même en ce moment il reste à justifier sur ces crédits ouverts des dépenses s’élevant à 1,600,000 fr.
Il est loin de ma pensée d’élever un doute quelconque sur les honorables fonctionnaires à qui on a ouvert des crédits. Mais les règles de la comptabilité doivent être appliquées indépendamment des personnes. Jamais nous ne devons voir les questions de personnes. Or, en mettant les questions de personnes à part, j’avoue que je ne comprends pas comment un fonctionnaire peut avoir ainsi à lui tout seul à justifier à la fois à la cour des comptes, de 1,600,000 fr., sans avoir fourni une seule garantie.
Il y a certainement quelque chose à faire pour concilier l’exécution des grands travaux publics avec les garanties qui sont à désirer dans tous les cas, dans l’intérêt du trésor.
Le fonctionnaire que j’ai cité n’est pas le seul qui ait obtenu des crédits, sauf à en justifier. D’honorables ingénieurs sur le caractère desquels je n’ai certainement pas l’intention d’élever non plus aucun doute, ont obtenu aussi des crédits pour plus de 400,000 fr.
Ainsi voilà 2 millions dont au 28 février, la cour des comptes attendait encore la justification.
L’honorable rapporteur de la section centrale qui m’a fourni tous ces renseignements, en me priant de les communiquer à la chambre, m’a prié également d’appeler l’attention de M. le ministre des travaux publics sur certaines dispositions qui sont prises lors des adjudications.
En général, non seulement il faut qu’il y ait publicité et concurrence, mais il faut encore que la condition de tous soit égale et qu’il ne dépende pas de celui qui adjuge de rendre après-coup les conditions inégales ; et l’honorable rapporteur a craint que de la manière dont sont faites les adjudications, il n’y eût moyen de rendre les conditions inégales.
D’abord il avait fixé son attention sur l’art. 35 d’une adjudication du mois de novembre dernier, qui avait pour objet (je crois) des terrassements
Voici cet article :
« Les quantités présumées de l’entreprise à exécuter, indiquées au bordereau joint au présent cahier des charges, pourraient être augmentées, diminuées on supprimées en tout ou en partie selon que l’administration le jugera convenable dans son intérêt, sans que l’entrepreneur puisse réclamer aucune indemnité de ce chef. »
Il me semble qu’un pareil article peut donner le moyen d’opérer tels changements qui diminuent le gain ou augmentent la dépense, et qui causent ainsi préjudice à l’adjudication ; car l’adjudicataire a basé ses calculs sur l’ensemble de l’adjudication. Par des modifications après coup, on peut modifier le résultat de façon que tel qui comptait faire un gain de temps, en fera un plus grand et que tel autre en fera un beaucoup moindre.
Par conséquent ce droit de modifier les conditions entraînera, en résultat, la faculté de faire un adjudicataire au préjudice d’un autre.
Une autre observation a été faite qui avait la même portée : il est résulté du bordereau joint au cahier des charges que dès que la distance pour transporter les terrain était de 500 mètres et au-delà, l’adjudicataire avait droit à des ornières sur lesquelles s’opérait le transport, ce qui entraîne, dit-on, une différence considérable dans la dépense, une différence d’un tiers. En dessous de la distance de 500 mètres, il faut que l’adjudicataire ait un autre moyen de transport qui coûte davantage. Il a le droit d’exiger ces ornières pour le transport. Mais d’après ce qui a été dit au rapporteur de la section centrale, il est cependant arrivé que l’on a accordé ces ornières à des adjudicataires pour des distances bien au-dessous de 500 mètres. C’est là en quelque sorte une faveur qui leur a été faite après l’adjudication ; et cette faculté peut évidemment fournir le moyen de favoriser un adjudicataire aux dépens de l’autre.
Telles sont les observations que j’ai à soumettre à la chambre, et celles que je m’étais chargé en même temps de lui produire.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - L’honorable membre vient de parler de deux faits de quelque importance : l’un concerne les crédits ouverts par la cour des comptes à des fonctionnaires publics, par exemple au chef de division des travaux publics pour les dépenses à faire, sauf à rendre compte de l’emploi de ces crédits et à soumettre à la cour des comptes la régularisation des dépenses réellement faites.
Je dirai que ces dispositions ne sont nullement dans l’intérêt de l’administration, mais constituent une charge pour elle, puisqu’elles engagent sa responsabilité. On n’a adopté cette marche que pour accélérer les travaux, en pouvant payer plus promptement, par ce moyen, les entrepreneurs et les fournisseurs, sauf régularisation ultérieure de la dépense. Cette habitude d’acquitter promptement les dépenses du chemin de fer a exercé une haute influence sur les marchés que le gouvernement a eu à contracter.
Sous ce rapport, c’est une affaire de confiance de la part du ministre envers le fonctionnaire pour lequel il demande l’ouverture de crédits à la cour des comptes. Certainement si le ministre n’avait pas une confiance absolue dans le fonctionnaire pour lequel il demande un tel crédit, il ne s’exposerait pas à faire une pareille demande.
La cour des comptes n’ouvre pas de crédits aux ministres ; elle n’en ouvre qu’aux fonctionnaires qu’ils délèguent. C’est un mode adopté par la cour des comptes pour avoir des agents immédiatement et directement comptables envers elle. Mais toutes les dépenses imputées sur ce crédit doivent être régularisées par elle après dû examen. Cependant on doit user de ce mode avec prudence pour ne pas exposer les intérêts de l’Etat si le comptable venait à s’esquiver nanti de sommes considérables.
En ce qui concerne le mode d’adjudication qui a été suivi, il est vrai que dans ce mode d’adjudication, comme dans tout autre mode il est possible qu’un ingénieur de mauvaise foi fasse à un entrepreneur quelque confidence particulière qui lui soit avantageuse. Par exemple, si un ingénieur indique au ministère des travaux à faire, sans lui faire connaître la prévision que des modifications y seront apportées, et qu’il prévienne de cette circonstance un amateur de l’entreprise, assurément celui-ci sera, relativement à l’adjudication, dans des conditions plus favorables que ses concurrents. Mais cela peut se trouver dans tous les modes d’adjudication.
Cependant si des collusions sont possibles entre les ingénieurs et les entrepreneurs, nous n’avons pas lieu de croire que rien de semblable se soit passé dans les adjudications du chemin de fer.
Le principal motif pour lequel on adjuge par bordereau de prix, c’est que les traités adoptés et adjugés peuvent souvent subir des modifications. En effet, c’est ce qui est arrivé sur presque toutes les sections. C’est ainsi que dans le moment actuel on a dû modifier le tracé précédemment adopté de Wetteren à Gand. Pourquoi ? Parce que l’emplacement où le chemin de fer doit aboutir à Gand a nécessité cette modification.
Si ici il y avait eu marché à forfait, l’entrepreneur aurait pu exiger à la charge de l’Etat des dédommagements que l’on n’a pas eu à payer, puisqu’on paie, d’après le bordereau de prix, d’après les quantités transportées à telle ou telle distance déterminée au cahier des charges.
Vous avez, à l’égard du mode d’adjudication, des renseignements dans le travail que M. le ministre des travaux publics a déposé à l’appui du compte-rendu des travaux du chemin de fer. Lorsque vous l’aurez médité, chacun de vous sera mieux à même d’aborder la discussion de ce point d’administration. Je ne reviendrai pas sur les observations de l’honorable rapporteur de la commission, attendu que ces observations sont suffisamment rencontrées par le ministre des travaux publics, tant dans les renseignements qu’il a fournis et qui ont déjà imprimés, que dans le discours qu’il a prononcé aujourd’hui et dans le rapport qui est à l’impression. Ces documents justifient la marche prise jusqu’à présent.
Pour ce qui concerne l’imputation des dépenses d’entretien sur le capital même du chemin de fer, j’ai dit précédemment que cette disposition avait été nécessaire, parce qu’il était impossible de déterminer à l’avance ce qui avait rapport à la construction, à l’entretien, à l’atelier du matériel et à l’exploitation, C’était la force même des choses qui a amené l’imputation sur un même capital, mais les dépenses qui ont été faites ont été indiqués séparément, de manière que la chambre, à la seule inspection du rapport, verra ce qui a été dépensé pour chaque nature de service.
Ainsi lorsqu’on voudra reporter au capital d’établissement ce qui a été dépensé pour l’entretien, l’on en aura toutes les facilités, si tant est qu’on veuille s’en tenir à la spécialité de la comptabilité du chemin de fer, de manière à ce que le produit des chemins de fer serve exclusivement au paiement des intérêts et au remboursement du capital.
- Personne ne demandant plus la parole, les trois articles sont successivement mis aux voix et adoptés.
M. Dumortier. - Ne pourrait-on pas voter le budget immédiatement, pour pouvoir l’envoyer sans retard au séant qui est réuni.
M. le président. - Fait-on une proposition à cet égard ?
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Si le chapitre que nous venons de voter doit ne pas être considéré comme un amendement, je pense qu’on pourrait alors passer immédiatement au second vote.
M. le président. - Je ferai observer qu’il y a d’autres amendements, tel que l’augmentation de 10,000 francs qui a été votée pour le personnel.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Mais cet amendement a été voté samedi ; il y a donc déjà un jour d’intervalle.
- Cet incident n’a momentanément pas de suite, M. Smits demandant la parole concernant l’endiguement des polders.
M. Smits. - Messieurs, la commission des polders pour couvrir sa responsabilité, vous a fait connaître par l’organe de son président qu’elle avait cru devoir cesser ses travaux, attendu que la thèse qui lui a été soumise n’est plus, sous aucun rapport, dans son état primitif.
Je demanderai à M. me ministre des travaux publics ce qu’il compte faire dans cette circonstance, attendu que l’état actuel des choses ne peut exister plus longtemps. Il importe que de promptes mesures soient prises dans l’intérêt des malheureux habitants des polders.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, il est très vrai que la situation est changée.
D’abord il y a eu un changement en fait. La marée du 24 février doit être considérée, d’après les renseignements que j’ai reçus, comme une marée extraordinaire qui exige (si l’on tient à l’endiguement actuel) que les digues soient exhaussées ; c’est ce que l’inspecteur-général des ponts et chaussées m’a annoncé dans une lettre du 27 février, lettre que j’ai cru devoir faire imprimer et que vous avez sous les yeux.
Je n’ai pas encore reçu le devis des travaux qui seraient nécessaires pour exhausser les digues qui entourent en ce moment l’inondation de Lillo ; néanmoins, d’après les renseignements que j’ai fait prendre, ces frais d’exhaussement exigeraient environ une somme de 1,000,000 fr., c’est-à-dire que ces seuls travaux d’exhaussement exigeraient une somme supérieure à celle qui serait nécessaire pour la construction d’une digue intérieure.
Vous vous rappelez, messieurs, que dans le rapport que j’ai eu l’honneur de faire à la chambre, j’avais établi un parallèle entre les frais des travaux d’entretien de l’endiguement actuel qui ne devaient s’élever qu’à 150,000 fr. et les dépenses de construction de la digue intérieure qui devaient coûter de 1,700,000 fr. à deux millions. Ce parallèle est détruit maintenant par l’effet de la marée extraordinaire du 24 février.
Cette marée m’a été représentée comme supérieure à la marée du 23 février 1835. C’est cette dernière marée qui, à cette époque, a causé l’inondation de la Nord-Hollande. A cette époque on avait déjà exhaussé les digues dans tout le royaume. Aujourd’hui une marée plus haute ayant eu malheureusement lieu, il sera nécessaire, comme en 1825, d’exhausser de nouveau les endiguements.
Voici maintenant en droit le changement qui est survenu.
Le gouvernement hollandais a fait annoncer par son commissaire qu’il entrait dans ses intentions de ne pas échanger les ratifications de la convention du 19 janvier que lorsque plusieurs articles de cette convention auraient reçu de notre part une exécution préalable. Cette prétention du gouvernement Hollandais est nouvelle, elle est contraire à tous les précédents en matière de négociation. Néanmoins, en présence de l’événement désastreux du 24 février, qui est venu nous surprendre, je n’ai voulu rien précipiter.
Le gouvernement délibère donc en ce moment de quelle manière il doit renouer les négociations, soit pour arriver à l’exécution de la convention du 19 janvier, soit pour conclure une nouvelle convention, d’après d’autres bases.
Le gouvernement est donc dans l’impossibilité de présenter actuellement un moyen de sortir de la solution malheureuse où se trouvent les propriétaires et les anciens habitants des polders, et les habitants des villages circonvoisins.
Le gouvernement n’est pas responsable des calamités publiques, mais il l’est des remèdes qu’il vous propose, il doit en faire l’objet de mûres délibérations surtout lorsqu’ils doivent entraîner de grands sacrifices pour le trésor public.
(Moniteur belge n°67, du 8 mars 1837) M. F. de Mérode. - Messieurs, si je prends la parole, ce n’est pas comme ministre, mais comme représentant, dans l’intérêt des habitants des polders et des villages circonvoisins.
Messieurs, il est urgent qu’on porte un prompt remède à l’état de choses qui existe actuellement ; cet état menace d’immenses propriétés. Le sort des habitants est vraiment déplorable, dépouillés déjà de la moitié de leur territoire, ils viennent de perdre l’autre moitié. Leurs récoltes se trouvent perdues par un seul jour d’inondation, leurs maisons sont remplies d’eau jusqu’au premier étage.
Cette triste position exige de la part du gouvernement le plus grand zèle et la plus grande activité pour y porter remède, et j’engage fortement M. le ministre des travaux publics à faire tous ses efforts pour arriver à un résultat immédiat ; car si les travaux de répartition n’étaient exécutés que dans un an, les habitants se verraient exposés à de nouveaux désastres dans le courant de cette année.
M. Rogier. - Je voudrais savoir si l’intention de la commission des polders est de stater entièrement ses travaux, jusqu’à ce que de nouvelles bases de négociations aient été proposées par le ministre.
Messieurs, plusieurs hypothèses ont été soumises à l’examen de cette commission ; des questions se présentent à résoudre qui ne dépendent pas absolument d’une négociation à entamer avec la Hollande.
La commission, me semble-t-il, pourrait poursuivre ses travaux. Ainsi, par exemple, parmi les questions à résoudre se présente celle de savoir jusqu’à quel point on devrait une indemnité aux propriétaires ; cette question à elle seule pourra occuper longtemps la commission.
Je voudrais, messieurs, qu’on n’abandonnât pas entièrement la question des polders. Ou pourrait subordonner à de nouvelles négociations celles des hypothèses qui y sont soumises ; mais il me semble qu’on ne devrait pas suspendre celles qui doivent se réaliser indépendamment des nouvelles négociations ; on gagnerait beaucoup de temps, si la commission se livrait dès à présent à l’examen de ces dernières hypothèses.
J’engagerai donc la commission à ne pas stater d’une manière absolue les travaux urgents dont elle a été chargée par la chambre.
Messieurs, depuis que la question des polders a été remise en discussion, de nouveaux désastres ont eu lieu qui exigent particulièrement les soins empressés, non pas de la commission, mais du gouvernement.
Je conçois que pour le polder de Lillo la question des réparations à faire aux digues récemment endommagées se rattache jusqu’à un certain point à celle de la construction de digues nouvelles ; mais, pour le polder de Burcht, la question est entière, elle n’est nullement subordonnée à celle de la construction d’une digue nouvelle. Il y a là des réparations très urgentes à faire.
J’engagerai donc M. le ministre des travaux publics à s’occuper le plus tôt possible des moyens de réparer les dégâts survenus au polder de Burcht. En ce qui concerne l’endiguement de Lillo, si les nouvelles négociations à entamer avec la Hollande ne devaient pas amener un prompt résultat, il serait nécessaire que M. le ministre s’occupât aussi, dans le plus bref délai, des réparations nécessitées par les derniers événements. Si une marée plus forte avait lieu, et que les digues restassent dans l’état où je les ai vues, je crois que de grands dangers menaceraient les polders inférieurs.
Je crois donc que toute cette affaire mérite d’appeler l’attention de M. le ministre des travaux publics et d’être l’objet de son zèle.
M. Jullien. - Messieurs, une opinion me paraît assez accréditée, mais sur laquelle je ne veux pas me prononcer, c’est que la plus grande partie des désastres survenus à la digue de Burgh ou de Lillo provient de la mauvaise exécution des travaux faits il y à un an ou deux et pour lesquels la chambre avait accordé 25,000 mille francs. De sorte que ce serait 15,000 mille francs presque perdus pour l’Etat, si l’opinion que je viens de rapporter est fondée, parce qu’on aurait mal dirigé ou exécuté les travaux. Si cela est, je dois appeler l’attention du gouvernement sur l’exécution nouvelle des travaux à faire et pour lesquels on parle de 1,900,000 fr. Si les nouveaux travaux étaient exécutés comme les premiers, vous exposeriez les habitants des polders à des désastres semblables à ceux qui viennent d’avoir lieu, et l’Etat à une perte aussi grande et peut-être plus grande encore. Je prie M. le ministre de rassurer la chambre sur les craintes qu’inspirent à ceux qui ont examiné les travaux, les réparations nouvelles qu’on se propose de faire. Dans la ville d’Anvers notamment, ces craintes sont très réelles et très sérieuses.
M. de Brouckere. - L’honorable M. Rogier a demandé que la commission des polders ne statât pas ses travaux. Il est impossible qu’elle continue l’examen dont elle a été chargée ; dans l’état actuel des choses, la commission ne peut absolument rien faire. Vous vous rappellerez que cette commission a été nommée à la suite d’un rapport du ministre des travaux publics dans lequel il présentait et développait trois hypothèses, dont chacune soulevait de nombreuses questions. C’étaient ces questions que la commission devait examiner. Mais tout a changé depuis que cette commission a été nommée. Une des hypothèses même n’existe plus, et nous ne pouvons admettre aucune des autres d’une manière définitive, maintenant que le gouvernement se propose d’entamer de nouvelles négociations.
Mais, dit M. Rogier, la commission pourrait s’occuper de la question d’indemnité.
Si l’honorable membre veut parler de l’acquisition à faire des terrains endigués, je lui répondrai que c’est là une des hypothèses prévues par le rapport, et qu’avant d’examiner les questions qui s’y rattachent, il faudrait que nous pussions aussi examiner les autres hypothèses, pour savoir si c’est là la résolution à prendre qui soit la plus avantageuse pour l’Etat. Nous ne sommes plus à même de faire cela, par suite de ce qui est survenu depuis que la commission a été nommée.
Si l’honorable membre veut parler d’indemnités à accorder pour le temps pendant lequel les propriétaires des polders ont été privés de la jouissance de leurs propriétés, je répondrai que cela ne regarde pas la commission des polders ; cette question doit être résolue quand la chambre s’occupera des indemnités à accorder à ceux qui ont été victimes de la révolution, à tous ceux qui ont perdu par suite de la révolution. Cela n’est pas de la compétence de la commission des polders. Cette commission est donc obligée de stater ses travaux, et d’attendre pour les reprendre que le gouvernement lui ait fait de nouvelles communications. Jusque-là, il est inutile qu’elle se réunisse, parce qu’elle ne peut prendre aucune résolution quelle qu’elle soit.
M. Rogier. - Je ne demande pas que la commission prenne une résolution isolée sur une des hypothèses soumises par le ministre des travaux publics, mais qu’elle poursuivre son examen sur les questions susceptibles d’être examinées isolément : par exemple, l’acquisition des terrains inondés. Si je me suis servi du mot indemnité, je me suis mal exprimé ; mais après tout, c’est une manière d’indemniser. Je trouve que cette question est susceptible d’être examinée dès maintenant, et isolément et avec fruit. En supposant que les négociations qui vont être entamées restent sans résultat, nous sommes dans l’impossibilité de construire une digue ; alors se présente la question de l’acquisition des terrains inondés, parce qu’on est d’accord que l’état de choses actuel ne peut pas continuer pour les propriétaires des polders. Il y s deux choses à faire : protéger les propriétaires des polders inférieurs contre l’éventualité de nouvelles inondations ; et ensuite, ce qui est le cœur de la question, indemniser les propriétaires qui souffrent par suite du statu quo. Ces propriétaires, comment les indemnisera-t-on ? Voila la question à examiner d’abord. Ensuite il faudra voir de quelle manière on fera l’acquisition, et enfin comment on effectuera le paiement des terrains achetés.
Ce sont là toutes questions qui sont susceptibles d’être examinés dès maintenant. Si même on arrivait à construire une digue, ce travail ne serait pas inutile, parce qu’elle servira toujours à une partie des polders inondés, parce que si vous laissez sous les eaux une partie des polders, quelle que soit l’étendue de la digue, le propriétaire de cette partie aura toujours droit à une indemnité. Elle devra, dans mon opinion, être acquise pour le compte de l’Etat. Donc les questions du mode d’acquisition et de paiement sont susceptibles d’être examinées dès maintenant ; et j’insiste pour que la commission ne state pas ses travaux. Déjà ce qui s’est passé dans cette chambre a fait naître l’espoir dans l’esprit des propriétaires qui attendent une décision du pays sur leur situation, qui est véritablement déplorable. Si aujourd’hui la commission suspend ses travaux jusqu’à ce que de nouvelles négociations aient eu lieu, cet espoir va se changer en désespoir. Je demande donc, ainsi qu’en commençant, que la commission continue à examiner les questions qui sont susceptibles de l’être dès maintenant.
M. Gendebien. - Il y a longtemps que nous aurions dû en finir avec ces inondations des environs d’Anvers. Pendant trop longtemps nous ayons négligé la position de nos malheureux compatriotes qui subissent les conséquences d’une diplomatie présomptueuse qui n’a jamais rien pu réaliser. Lorsqu’il fut question la première fois au congrès, au mois de novembre 1830, d’indemniser les citoyens belges qui avaient éprouvé des pertes à cause de la révolution ou par suite des événements de la guerre, après avoir démontré que l’équité exigeait qu’ils fussent indemnisés, et répondant à ceux qui étaient effrayés de la hauteur des indemnités, je disais qu’alors que la moitié de la nation serait ruinée, il faudrait que l’autre moitié partageât avec elle, que l’indemnité devait être complète. Depuis lors, six ans et demi à peu près se sont écoulés, et les malheureuses victimes sont encore à obtenir justice.
On avait compté sur les négociations qu’on ferait avec la Hollande. Mais, messieurs, comment est-il possible de se leurrer aussi bénévolement, d’espérer un résultat quelconque de négociations avec la Hollande ? Voilà six ans et demi qu’on négocie avec l’intervention des puissances réunies en conférence à Londres ; quel a été le résultat de ces négociations ? Zéro. Voilà six ans à peu près qu’on avait stipulé pour les Flandres l’exercice d’une servitude existante de tous les temps, une servitude naturelle résultant plus encore du droit naturel que du droit des gens. On a fini par reconnaître l’inanité de la stipulation de cette servitude ; le gouvernement a été forcé de vous proposer d’autres moyens d’écoulement aux eaux. Ceux qui ont parlé dans cette discussion ont démontré l’absurdité de songer à l’exécution du traité du 15 novembre relativement à cette servitude. Le gouvernement et ses défenseurs habituels ont été forcés de le reconnaître eux-mêmes ; pourquoi pourrions-nous compter aujourd’hui sur la coopération du gouvernement hollandais pour l’endiguement des polders ? L’expérience du passé devrait nous tenir en garde dans les nouvelles démarches qu’on pourrait faire ; la preuve, c’est qu’après nous être longtemps flattés d’un succès, nous ne pouvons déjà plus compter sur le traité du 19 janvier dernier. Au moment où nous croyons délibérer, il se trouve qu’il n’y a rien de fait, comme en définitive je suis persuadé qu’il n y a rien de fait.
Je désire me tromper, mais s’il en est ainsi, il faut aviser à un moyen de faire cesser cet état de choses qui est intolérable et qui va devenir un sujet de désespoir pour les habitants des polders. On leur avait fait entrevoir le ciel, et c est l’enfer que nous leur présentons aujourd’hui. Tous croyaient pouvoir compter sur les travaux qui seraient faits par suite de l’exécution de ce traité du 19 janvier ; des députations m’ont exprimé cet espoir, je leur ai dit : Je ne connais pas ce traité, j ai peine à croire qu’il s’exécute, car il n’y a pas de raison pour qu’on l’exécute plutôt que tous les autres Je ne veux pas vous désespérer, mais n’espérez pas trop. Mes prévisions se sont réalisées. Tant il est vrai, comme disait M. Rogier, qu’on leur ait donne de l’espoir et que cet espoir va se changer en désespoir. C’est l’enfer qui se réalise pour eux.
Je désire donc que la commission, sans prendre l’engagement de présenter une conclusion, se hâte d’examiner la question. Quelque difficulté que je voie à arriver à un résultat pour l’acquisition des terrains inondés, je désire qu’on s’en occupe, afin de ne pas légitimer le désespoir de ces propriétaires. Je comprends l’impossibilité où on se trouve d’évaluer convenablement des propriétés qui sont sous les eaux ; mais plus vous avancerez, plus il sera difficile de faire cette évaluation. Aujourd’hui la commune renommée peut encore fournir des renseignements plus ou moins rapprochés de la vérité.
Mais si nous restons dans la position où nous sommes, ce moyen nous échappera, et d’ici à longtemps on n’en finira pas.
Il est un autre point sur lequel je dois m’expliquer : Un accident épouvantable vient d’attrister les polders de la rive gauche ; je n’ai jamais eu la prétention de prophétiser ; mais j’ai eu l’honneur de dire à la chambre, au commencement de 1835, ou à la fin de 1834, que cette digue ne résisterait pas à la première marée extraordinaire.
A l’âge de dix ou douze ans j’ai parcouru les polders ; j’ai été frappé d’une si grande admiration pour cette conquête de l’homme sur la mer que jamais le souvenir ne s’en effacera de ma mémoire ; aussi, en août 1834, comparant ce que j’avais vu trente ans auparavant à ce que je voyais, je restai convaincu de toute la défectuosité de la nouvelle digue de Burcht, et je dis à toutes les personnes que je rencontrai à Anvers, que, dans ma conviction, cette digue ne durerait pas, qu’elle ne résisterait pas au premier choc. Et, en effet, en marchant sur cette digue, c’est comme si on eût marché sur une banquette élastique, sur une banquette à ressort, tellement elle était mal assise ; des filtrations énormes en minaient déjà la base. Elle était d’ailleurs d’une telle ténuité à sa partie supérieure qu’il était impossible qu’une marée un peu forte ne la rompît pas.
J’adjure le gouvernement de songer au plus tôt aux moyens de réparer ce nouvel accident. Et s’il veut éviter des accidents semblables, je l’inviterai à consulter des hommes qui, de père en fils, ont conservé les bonnes traditions dans ces sortes de travaux. Il faut appeler des hommes qui consacrent toute leur vie à ces sortes de travaux et à méditer les moyens de conservation. Je pourrais citer des noms propres ; je ne les citerai pas, parce qu’ils sont connus, et ensuite parce que je ne veux pas faire une sorte d’injure à d’autres noms que je ne connais pas. Je n’ai jamais révoqué en doute les hautes capacités de nos ingénieurs des ponts et chaussées ; je rends justice au mérite transcendant des ingénieurs du gouvernement, mais ici il est nécessaire d’un mérite tout spécial. On aura beau connaître la clef des calculs les plus subtils, être capable de résoudre les difficultés les plus ardues des mathématiques, cela ne vaudra pas l’expérience des hommes spéciaux des wateringues. J’aime mieux, dans cette matière, l’avis d’un ouvrier qui a travaillé pendant 25 ans, que celui de l’ingénieur le plus savant en théorie.
En me résumant, je supplie la commission de ne pas abandonner ses travaux ; d’examiner, en attendant le bon vouloir de Guillaume, les moyens de secourir les malheureux habitants des polders, et d’un autre côté, je prie le ministre des travaux publics de consulter les hommes habitués à ces sortes de travaux, afin de réparer au plus tôt et le mieux possible les malheurs de nos bons et si intéressants habitants des polders.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Il ne m’appartient pas de rechercher quelle est la mission que la chambre a entendu donner à sa commission. J’ignore quelles étaient les limites de ce mandat ; le gouvernement ne peut s’occuper de cette partie de la discussion. C’est à la commission elle-même à apprécier ses pouvoirs. C’est à la chambre à examiner si cette commission a pu, avec raison, décliner sa compétence. Je n’ai donc à m’expliquer, au nom du gouvernement, que sur deux objets bien distincts : l’endiguement de Lillo et la digue de Burcht.
Quoi que nous fassions, l’endiguement de Lillo sera encore exposé cette année aux chances des marées du mois qui vient de commencer, du mois de mars, et ces chances nous devons les courir.
Le gouvernement n’est pas resté dans l’inaction ; les digues entamées, rompues, sont refaites ou à peu près, à l’heure qu’il est ; en sorte que l’endiguement de Lillo sera bientôt dans le même état qu’il était avant le 24 février ; il pourra soutenir les nouvelles marées qui, il faut l’espérer, ne seront pas aussi fortes que celle du 24 février.
Le gouvernement a cru de son devoir, sans attendre le vote du budget, de faire ces dépenses de réparation ; plus de 500 ouvriers ont été occupés depuis 8 jours. Quant aux travaux d’exhaussement, c’est une question subordonnée au parti que nous prendrons définitivement.
J’ai dit que le gouvernement essaierait de rouvrir les négociations avec la Hollande. Il en trouve l’occasion dans la communication faite par le commissaire hollandais au commissaire belge. Ces négociations auront pour but, soit d’amener l’exécution de la convention du 19 janvier, soit d’amener la conclusion d’une convention à d’autres conditions. C’est là tout ce que je puis dire pour le moment ; réussirons-nous ? je l’ignore ; mais encore faut-il chercher à sortir du statu quo.
J’arrive au second objet, à la rupture de la digue de Borgerweert... Quelques honorables membres pensent que cette digue a été mal construite ; que si elle a été emportée par la marée du 24 février, il faut l’attribuer moins à la force de cette marée qu’aux vices de construction. Cependant, d’après les rapports que j’ai eus sous les yeux, je suis autorisé à croire que l’on exagère les vices de construction, que l’on ne tient pas assez compte de la nature du sol. J’ai notamment connaissance d’un procès-verbal dressé en août dernier ; il s’était agi de remettre la digue reconstruite à l’administration de la wateringue de Burcht ; une inspection des lieux a été faite ; il a été reconnu que la digue était ce qu’elle pouvait être, eu égard à l’étal du sol et à sa récente construction ; toutefois, ne voulant pas supporter les frais d’entretien pendant l’hiver, l’administration de la wateringue a désiré que la remise de la digue fût ajournée au mois d’avril 1837. Si donc l’événement du 24 février n’avait pas eu lieu, il est probable que l’administration de la wateringue aurait accepté la remise de la digue pendant le mois prochain. Ce procès-verbal sera publié.
Le gouvernement a aussi songé aux moyens les plus sûrs pour fermer la rupture de Borgerwert...
D’après plusieurs avis que j’ai reçus, et qui se trouvent justifiés par les réflexions de l’honorable préopinant, ce qu’il y aurait de mieux à faire de serait de traiter à forfait avec un entrepreneur ce serait d’adresser, en quelque sorte, cette question au public : « Qui de vous veut, à ses risques et périls, fermer cette rupture au moindre prix. » Il y aurait un contrat dans le genre de celui dont parle l’art. 1792 du code civil ainsi conçu :
« Si l’édifice construit à prix fait péril, en tout ou en partie, par le vice de la construction, et même par le vice du sol, les architectes et entrepreneurs en sont responsables pendant dix ans. » On pourrait borner la responsabilité pendant deux ou trois hivers.
Je m’occupe d’un projet d’adjudication conçu en ce sens. Il est vrai que j’ignore si je m’y arrêterai. On m’assure du reste que les particuliers propriétaires de polders font réparer de cette manière les ruptures.
Messieurs, la situation extraordinaire où se trouvent les polders des deux rives de l’Escaut, occupe de la manière la plus sérieuse le gouvernement. Qu’il me soit permis d’ajouter, en ce qui me concerne personnellement, que l’évènement ne date pas du jour de mon entrée au ministère ; il remonte au mois de mai 1831 ; on ne peut pas exiger que je trouve du jour au lendemain des remèdes qu’ont vainement cherché mes prédécesseurs.
Je porte autant d’intérêt que qui que ce soit aux anciens habitants des polders inondés, aux propriétaires de ces polders, et aux populations des villages circonvoisins ; mais que faut-il faire ? Je l’ignore malheureusement ; il faut avant tout nous assurer des intentions définitives du gouvernement hollandais.
M. Dubus (aîné). - Un honorable membre engage la commission à ne pas suspendre son travail ; mais la commission que vous avez nommée a dit le motif pour lequel elle était obligée de suspendre tout travail ; son travail, il faut qu’il repose sur des données, et ces données nous échappent ; cependant nous ne pouvons travailler en l’air ; à moins qu’on ne nous constitue commission d’enquête, qu’on ne nous charge de faire des devis, nous ne pouvons continuer nos travaux, et puisque le gouvernement annonce qu’il s’occupe de ce détail, puisque dans la lettre qu’il a écrite à la commission il dit faire de nouveaux devis et rechercher le moyen de les établir, il est tout naturel d’attendre ces nouveaux devis. Messieurs, quand la chambre a nommé la commission, le rapport du ministre indiquait des faits, il posait trois hypothèses entre lesquelles il fallait choisir et qui se rattachaient à tous les faits constatés par le rapport. Une de ces hypothèses, comme M. le ministre le dit lui-même, est maintenant évanouie : c’est celle de l’exécution de la convention qui, maintenant, n’est pas ratifiée et qui, par conséquent, ne peut pas être exécutée ; tout le travail de la commission, qui est nécessairement un travail d’ensemble, puisqu’il faut comparer trois hypothèses et choisir celle qui offre le plus d’avantage ou le moins d’inconvénients, tout ce travail est donc renversé. Quant à l’autre hypothèse, les chiffres manquent ; un événement calamiteux est survenu et a renversé tous les calculs ; il faut de nouveaux calculs, de nouvelles bases pour que nous puissions opérer.
Mais, a-t-on dit, la commission pourrait toujours s’occuper de la question de savoir s’il ne conviendrait pas d’acquérir les terrains inondés pour indemniser les propriétaires de cette manière. Je crois, messieurs, que l’honorable membre a un peu élargi ici le mandat de la commission. Il y a dans ce mandat, comme je le conçois, l’examen d’une question de droit et d’une question de fait ; toutes les sections et la section centrale, qui est ensuite devenue commission, ont examiné la question de droit, et la section centrale a fait à cet égard un rapport à la chambre. Je ne pense pas que la chambre ait voulu faire refaire ce travail ; la chambre n’a pu charger la commission que d’examiner uniquement les faits sous le rapport de l’intérêt de l’Etat, en mettant à part la question de droit qui était traitée ailleurs et que la chambre pourra discuter quand elle le voudra, d’examiner ce qui serait le plus utile à l’Etat ou d’acquérir les terrains, ou de faire telle ou telle autre dépense. Or, vous voyez bien, messieurs, que pour faire une semblable comparaison, il faut connaître les objets à comparer. Eh bien, messieurs, nous n’avons plus sous les yeux d’objets à comparer ; et, encore une fois, nous ne pourrons rien faire avant d’avoir des chiffres qui nous mettent à même de faire une comparaison comme celle dont je viens de parler.
Du reste, messieurs, l’acquisition des terrains dont il s’agit n’est pas une chose peu importante, il s’agit d’un grand nombre de millions ; il est bon de ne pas perdre cela de vue ; les uns évaluent la dépense qui en résulterait à 6 ou 8 millions, les autre à une douzaine de millions : il me semble qu’en une pareille matière il est bon de ne rien précipiter. Laissons donc M. le ministre prendre tous les renseignements qui lui manquent à présent ; aussitôt qu’il les aura communiqués à la commission, elle reprendra son travail, mais ce n’est qu’alors qu’elle pourra le faire utilement ; dans l’état actuel des choses, elle ne peut que perdre son temps, elle serait dans l’impossibilité de présenter aucune conclusion à la chambre.
M. F. de Mérode. - Il me semble, messieurs, qu’il faut chercher à conclure une nouvelle convention pour le resserrement de l’inondation des polders ; les victimes de cette inondation désirent beaucoup que la diplomatie s’occupe d’eux, sauf bien entendu, à recourir à d’autres moyens si les négociations ne produisent pas un résultat satisfaisant. Je sais bien que le bon vouloir du roi Guillaume pour la Belgique, prise en général, n’est pas très grand (on rit) ; mais le roi Guillaume ne peut pas se refuser à consentir à des mesures qui n’auraient d’autre but que de réparer des désastres dont les populations de la Hollande sont si souvent victimes, et d’en prévenir autant que possible le retour.
Du reste, messieurs, je pense avec l’honorable M. Gendebien que pour les travaux d’endiguement il est essentiel de consulter les anciens ouvriers, c’est une observation que je recommande particulièrement à M. le ministre des travaux publics.
M. Dumortier. - Je ne puis m’empêcher de dire quelques mots relativement à la construction de la digue qui vient malheureusement de faire défaut ; il est incontestable que les malheurs que nous avons à déplorer sont dus à la mauvaise construction de cette digue. L’honorable M. Legrelle, député d’Anvers, a averti la chambre à plusieurs reprises que la digue dont il s’agit devait manquer parce qu’elle était mal construite ; que telle était l’opinion de tous les habitants d’Anvers qui connaissent la partie.
M. le ministre des travaux publics a dit que les propriétaire de la wateringue de Burcht étaient disposés à reprendre la digue au mois d’avril : les propriétaires ont voulu attendre jusqu’alors pour voir si la digue pourrait résister à la haute marée, ce qui, dans leur opinion, était fort douteux, car je les ai entendus expliquer les considérations d’art d’où ils concluaient que la digue n’était pas de nature à pouvoir résister.
Le gouvernement a fait une grande faute en confiant la construction de cette digue à des gens qui ne connaissent pas les localités, qui ont évalué à 800,000 fr. la dépense nécessaire pour fermer la rupture de la digue de Burcht, dépense qui a ensuite été portée à un million et demi.
Pourquoi accepter pour entrepreneurs des gens qui ne savent pas ce que c’est qu’une digue ? Il faut, pour construire des travaux hydrauliques, des personnes qui aient des connaissances spéciales.
Je tiens d’une députation, dont les membres sont venus me voir, que la digue qui vient de manquer est construite avec du sable. Or, l’eau filtre à travers le sable, et il était dès lors évident que cette digue ne pourrait résister à la première haute marée.
Au moment précisément où la digue a été rompu, j’avais chez moi les membres de la députation de Staebroeck qui me disaient : « Qui sait si, par le temps qu’il fait, la digue n’est pas rompue car elle est excessivement mal construite. » Vous voyez bien qu’on prévoyait que cette digue n’aurait pas tenu contre une haute marée, et que c’est à sa mauvaise construction qu’est due sa rupture. Que le gouvernement prenne donc des mesures pour que les digues soient mieux construites à l’avenir.
M. le ministre des travaux publics indique comme moyen à employer pour que la digne de Burcht soit bien construite, de faire un marché à forfait ; il me semble que de semblables moyens sont toujours mauvais ; il vaudrait beaucoup mieux de s’entendre avec les intéressés de. la wateringue, qui se trouvent tous les jours dans la nécessité de construire des digues, et connaissant parfaitement les choses, sauraient mieux que personne ce qu’il faut faire pour construire une bonne digue. De cette manière on ne serait pas exposé à faire une seconde dépense plus tard quand il surviendrait de nouveau une haute marée ; certes, si ce système avait prévalu, si on s’était entendu avec les propriétaires des wateringues, on n’aurait pas dépensé un million et demi pour avoir une digue mal construite. J’aime beaucoup les ponts et chaussées, mais j’aime encore mieux le trésor public ; et quand on a une fois payé une somme aussi forte, je désire qu’il ne faille pas recommencer quelque temps après. La digue dont il s’agit aurait dû être construite avec du limon, tandis qu’elle l’a été en partie avec du sable ; or c’est précisément la partie qui est construite avec du sable qui a manqué ; ce sont les hommes qui appartiennent à ces localités qui me l’ont affirmé, et certainement ces hommes sont bien croyables.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Je regrette beaucoup que l’honorable préopinant n’ait pu accepter l’invitation que j’ai eu l’honneur de lui faire de m’accompagner avec quelques autres membres de la commission pour prendre connaissance des lieux ; j’espère qu’à ma prochaine excursion il voudra bien, d’après la promesse qu’il m’a faite m’accompagner ; une fois qu’il connaîtra les lieux, il sera à même de rectifier certaines allégation peut-être exagérées.
Il est vrai qu’une partie du grand endiguement de Lillo est de sable ; mais c’est précisément cette partie de l’endiguement qui n’est exposée aux marées que quatre ou cinq fois l’an, et cela est tellement vrai qu’il y a le long de cette partie de la digue un espace de l’étendue de cette salle où croît de l’herbe, ce qui certainement n’aurait pas lieu si la marée couvrait habituellement ce terrain. Cette partie de la digue, qui est la digue de Stabroeck a été atteinte par la dernière marée que les hommes de l’art représentent comme une marée extraordinaire.
Quant à la digue d’Ordam qui est la première partie du grand endiguement, elle est construite, comme le dit l’honorable préopinant, avec du limon, avec de la terre forte ; voici ce que les membres de la commission et nous avons vu dans l’excursion que nous avons faite récemment sur les lieux : la digue d’Ordam, qui est vis-à-vis d’Anvers, est une digue aussi solidement faite que la digue de l’Escaut, c’est-à-dire que la digue qui va du fort Lacroix au fort Lillo.
Or, la haute marée a dépassé la digue d’Ordam en plusieurs endroits et ne l’a pas rompue ; elle l’a dépassée avec une telle violence que de l’autre côte la digue a été fortement lavée ; de la paille, du bois ont été jetés, par la marée, au-dessus de la digue. Le pied n’a pas été entamé, mais les pierres, les fascines, ont été fortement secouées ; toutefois la digue, je le répète, a résisté, et l’eau a passé au-dessus.
Malheureusement, la digue de Stabroeck n’a pas présenté la mène résistance, une brèche considérable a été faite.
Mon devoir, messieurs, est de défendre le corps des ponts et chaussées ; c’est pour moi un devoir de position. Je me bornerai à vous soumettre une considération très simple.
Chacun de vous comprend que le moyen le plus facile pour les ingénieurs, s’ils voulaient mettre leur responsabilité à couvert, serait de demander au gouvernement force millions.
Si les ingénieurs chargés de la surveillance du grand endiguement de Lillo avaient voulu ne se compromettre en aucun cas, la chose était très aisée. L’inspecteur-général, au lieu de m’écrire le 31 janvier qu’il croyait, à moins d’événements extraordinaires, que l’endiguement actuel, convenablement entretenu, pouvait résister, aurait pu m’écrire que l’endiguement ne résisterait pas, et qu’il fallait un million, ou même davantage, pour renforcer et exhausser cet endiguement.
Si donc ce fonctionnaire est exposé à une sorte de responsabilité dans l’avenir, ç’a été pour ménager les intérêts de l’Etat, et ne pas exiger de grands sacrifices de la part du trésor public ; à moins de nécessité absolue ; ces sacrifices, il les demande aujourd’hui, parce qu’un événement extraordinaire est survenu, et cet événement doit être pris pour base des nouveaux travaux à faire aux digues.
Ainsi, messieurs, il ne faut pas que l’on se méprenne sur les intentions des agents du corps des ponts et chaussées ; les ingénieurs ne veulent pas à tout prix mettre leur responsabilité à couvert, ils veulent ménager les intérêts du trésor et ne demander que ce qui leur paraît indispensable, eu égard aux résultats de l’expérience.
L’honorable préopinant a rappelé ce qui s’est passe relativement aux réparations de la première rupture de la digue de Burcht. Je dois dire d’abord que tous les travaux faits à cette époque n’ont pas été emportés par la marée ; la plupart ont résisté.
A cette époque, messieurs, on a suivi ce que j’appellerai la loi d’adjudication : on a donné la préférence à l’adjudicataire qui demandait la moindre somme ; de sorte que cet adjudicataire n’a pas été choisi, mais il s’est imposé au gouvernement.
C’est précisément, messieurs, cette première expérience qui a suggéré à beaucoup de personnes le conseil qu’elles ont bien voulu me donner, de faire ce que font ordinairement les particuliers : un marché à forfait. A cet égard, je n’ai pas d’idée arrêtée ; mais si le gouvernement s’arrête à ce projet, c’est pour ne plus être exposé à ce qui est arrivé une première fois. Le gouvernement ne demande pas mieux que de s’entendre avec l’administration de la wateringue de Burcht ; si cette administration voulait être cet entrepreneur à forfait, le gouvernement accepterait ses propositions avec empressement.
M. Rogier. - Si j’ai demandé de nouveau la parole, c’est pour ramener la discussion au point d’où elle est partie. Nous nous égarons un peu dans des faits nouveaux. Toutes les observations auxquelles ont donné lieu la construction des digues et le meilleur mode à employer pour les réparations, trouveront leur place lorsque le ministre des travaux publics viendra demander un crédit pour les réparations à faire aux digues, à raison des derniers dégâts.
Ce que j’ai demandé, c’est que la question primitive, telle qu’elle existait avant le dernier désastre, ne soit pas abandonnée par la commission. Qu’a-t-on fait ? On a soumis à la commission trois hypothèses ; la première suppose un endiguement plus restreint, la seconde, un endiguement moins restreint, la troisième hypothèse suppose le statu quo et indemnités aux propriétaires. Je demande que si l’on néglige l’examen des deux premières hypothèses, on s’occupe au moins de celui de la dernière.
Il me semble, messieurs, que cette troisième hypothèse est très susceptible d’être examinée isolément. Si l’ordre des suppositions avait été renversé, si la troisième hypothèse avait été présentée la première, je ne vois pas pourquoi la commission se serait refusée à l’examiner.
D’après ce que nous voyons, il est très vraisemblable que cette troisième hypothèse sera la seule réalisable, et sous ce rapport, elle aura sans doute la préférence sur les deux autres.
La commission peut procéder actuellement comme si aucun des deux endiguements ne pouvait se faire, et dès lors établir ses calculs sur cette hypothèse : qu’il n’y aurait pas d’endiguement intérieur.
M. Dubus a semblé vouloir repousser l’examen de la troisième hypothèse, parce que, dit-il, elle pourra entraîner de graves conséquences pour le trésor public. Il me paraît que puisqu’il y a des doutes sur l’étendue des sacrifices à faire, il faudrait examiner jusqu’à quel point le trésor public pourra les supporter.
Les nouvelles négociations porteront sur les moyens de construire la ligue, et non sur les moyens de dédommager les propriétaires.
Remarquez que ce sont deux questions distinctes. Il y a aujourd’hui des propriétaires souffrants à dédommager, ensuite il y a des polders menacés à dédommager. Pour garantir les polders, vous aurez une digue à construire ; mais pour dédommager les propriétaires, vous aurez des indemnités à accorder ou des acquisitions à faire. C’est une des trois hypothèses qui ont été présentées, celle du statu quo avec le renforcement de l’endiguement actuel, et avec indemnité pour les propriétaires.
Je crois que la commission ne peut se dispenser de l’examen de cette dernière hypothèse. J’insiste donc pour que la commission continue ses travaux, et j’espère que les observations que je viens de présenter la détermineront à suivre le conseil que j’ai pris la liberté de lui donner.
M. de Brouckere. - Messieurs, la commission déclare à l’unanimité qu’elle ne peut plus continuer ses travaux ; le ministre fait la même déclaration, et néanmoins M. Rogier s’obstine à dire à la commission : Continuez donc vos travaux. Je le demande, la chambre en croira-t-elle M. Rogier tout seul plutôt que les sept membres de la commission et M. le ministre ?
Il semblerait que la commission recule devant le mandat qui nous est confié ; mais je prie la chambre de croire qu’il n’en est rien, et j’ajouterai sans crainte d’être démenti par aucun membre de la commission : Que l’on nous donne un mandat plus étendu, nous le remplirons ; mais enfin, tant que cela ne sera pas, nous n’irons pas au-delà de la mission dont la chambre nous a investis.
Quel est ce mandat ? Voici un extrait du procès-verbal de la séance du 20 février :
« M. de Brouckere, par une motion d’ordre, propose qu’une commission soit nommée pour examiner le rapport de M. le ministre des travaux publics.
« M. le ministre déclare se rallier à cette proposition, sauf à inviter la commission à diviser son travail et à présenter promptement son rapport sur le resserrement de l’inondation de Liefkenshoek.
« La proposition de renvoi à une commission est ensuite mise aux vois et adoptée. »
Ainsi, messieurs, voilà le mandat de la commission : examiner le rapport du ministre des travaux publics et présenter des conclusions à la chambre. Or, il n’existe plus rien de ce rapport, et néanmoins M. Rogier s’obstine à dire : Examinez la troisième hypothèse ; mais cette hypothèse n’existe pas plus que les deux premières. D’après le rapport qui a été soumis à la commission, on aurait entretenu la digue au moyen d’une somme de 150,000 francs ; aujourd’hui il faudrait une somme de 1,900,000 fr., on en parle, mais aucune communication ne nous a été faite de ce chef.
Que voulez-vous que la commission examine ? L’acquisition, dit constamment l’honorable préopinant ; mais l’acquisition, c’est là une question qui regarde le gouvernement, et non la commission ; c’est au gouvernement à faire évaluer les terrains, à moins que l’honorable M. Rogier ne veuille que nous devenions tous arpenteurs. (On rit.) En un mot, la commission ne peut plus rien faire ; la commission n’a pas à se réunir, jusqu’à ce que de nouvelles communications aient été faites par le gouvernement.
Messieurs, on a beaucoup attaqué dans cette séance l’administration des ponts et chaussées du chef d’imprévoyance. Je ne prétends pas la défendre. Il est possible qu’elle ait des torts, mais il est possible aussi qu’elle s’excuse et, disant que quand elle a cru pouvoir répondre que la digue pourrait résister, elle a pris pour point de départ la plus haute marée connue, celle du 18 février 1825.
L’administration des ponts et chaussées prétend que la marée du 24 février dernier a été de 66 centimètres plus élevée que celle du mois de février 1825. Elle ajoute à cela que n’ayant pas pu penser qu’il y aurait une marée plus élevée que la plus élevée connue, elle n’a pas pu faire de calculs sur ce qui s’est passé au mois de février dernier. C’est ainsi que l’administration des ponts et chaussées se justifie. Nous aurons à décider cette question à fond quand le ministre des travaux publics nous fera des demandes de crédits pour la digue de Lillo et de Liefkenshoeck et les réparations à faire à Burcht. Jusque là, toute cette discussion me paraît prématurée, car nous n’avons pas tous les renseignements dont nous avons besoin pour nous bien prononcer en connaissance de cause. En définitive, c’est au gouvernement qu’il appartient d’activer les négociations de manière à arriver à un arrangement avec le gouvernement hollandais, ou de nous faire une proposition qui puisse se réaliser sans le concours de la Hollande. Je joins mes instances à celles des honorables préopinants pour engager le gouvernement à montrer tout le zèle et toute l’activité possible. Je ne puis pas croire que le gouvernement ne partage pas l’intérêt que tous les membres de cette chambre portent aux habitants des polders. Tout le monde comprend le triste abandon où ils sont et l’urgence de hâter leur délivrance. Le gouvernement ne voudra pas rester en arrière. La commission se réunira quand de nouvelles communications lui auront été faites, ou quand elle croira pouvoir arriver à un résultat. Elle a déjà donné des preuves de son zèle et de sa bonne volonté, et ce zèle non plus que sa bonne volonté ne se ralentira pas.
M. le président. - M. Gendebien vient de déposer la proposition suivante :
« Je demande que la commission nommée en exécution du traité du 19 janvier soit chargée d’examiner s’il ne serait pas convenable d’acquérir les polders inondés de la rive droite de l’Escaut. »
M. Gendebien. - L’honorable M. de Brouckere a dit que la commission ne demandait pas mieux que de se charger de l’examen de toutes les questions relatives aux polders, pourvu qu’on étendît son mandat. Je me suis empressé de rédiger une proposition.
M. de Brouckere. - J’ai dit que je ne la repoussais pas.
M. Gendebien. - Une proposition dans le but que n’a pas repoussé, qu’a même accepté M. de Brouckere. Je crois que ma proposition se trouvant acceptée, par un membre parlant, je pense, au nom de la commission, son adoption ne souffrira pas de difficulté.
Cette proposition doit d’autant plus être acceptée que le ministre des travaux publics, répondant à la proposition que j’avais seulement énoncée, me dit qu’on ne pouvait pas exiger de lui des résultats immédiats parce qu’il venait d’entrer au ministère des travaux publics.
J’ai conclu de là qu’il ne demandait pas mieux que d’être déchargé de l’examen de cette question. S’il veut s’en charger, je retire ma proposition ; mais s’il veut mettre sa responsabilité à couvert, il ne demandera pas mieux que de se joindre à la commission.
J’ai encore une observation à faire pour légitimer ma proposition. C’est que nous ne pouvons pas compter sur le bon vouloir de Guillaume. Si je ne me trompe, il y a moyen de l’établir : que le ministre veuille bien nous dire quelle est la cause réelle de l’espoir fondé qu’il a d’obtenir un résultat dés négociations auxquelles qu’il se propose d’entamer. C’est depuis le 24 octobre 1830 que les polders sont inondés.
L’ordre a été donné le 21 et exécute le 24.
Plusieurs voix. - Non ! non ! Oui ! oui !
M. Gendebien. - J’ai vu l’ordre d’une autorité de la province d’Anvers à tous les bourgmestres de ces polders d’avertir leurs compatriotes d’enlever leur bétail et leur mobilier avant le 24 octobre 1830, parce que les polders seraient inondés pour cette époque. Ce magistrat annonçait que c’était par l’ordre de Chassé, qu’il donnait cet avertissement.
M. de Brouckere. - C’est une erreur !
M. Gendebien. - C’est plutôt comme fait historique que je rapporte la chose, je n’y attache pas d’importance ; c’est d’après des personnes qui m’ont montré cette circulaire que je parle et notez bien qu’il ne s’agissait que de la rive droite et non de la rive gauche qui a été inondée beaucoup plus tard. Si, pendant six ans et demi, l’inondation des polders n’a pas touché l’humanité de Guillaume, je ne comprends pas qu’on vienne établir une différence entre l’inexécution du traité du 15 novembre et la difficulté qu’il pourrait opposer à une négociation qui a pour but de faire cesser des inondations. Puisqu’il n’a pas été touché de la position des habitants des polders depuis six ans, pourquoi pourriez-vous espérer de lui davantage à l’avenir ? A moins qu’un ministre ne veuille dire le motif des espérances qu’il conçoit de la reprise des négociations, à moins qu’il ne nous dise le résultat sur lequel il compte, qu’il espère dans un temps rapproché pouvoir faire l’endiguement, il est indispensable que nous nous occupions de la question que j’ai soumise à la chambre, quand ce ne serait que pour ne pas jeter le désespoir au milieu des malheureux habitants de ces polders. Je compte sur le zèle de la commission.
J’ajoute une dernière observation. Il est certain que dans l’état de choses actuel, si la nation possédait des domaines qui pussent être assimilés aux propriétés inondées, il est certain que l’équité exigerait que la nation donnât à cette population ainsi expropriée une propriété équivalente. Comme nous n’avons pas de domaines à leur donner, donnons-leur la valeur représentative du domaine ; donnons-leur de l’argent au moyen duquel ils pourront s’en procurer, s’indemniser de leurs propriétés perdues. Restera encore le regret de perdre leur patrie. Ce qui constitue la véritable patrie pour la plupart des hommes, c’est le toit paternel et le clocher du village.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Mon intention n’est que de répondre en peu de mots à la question que vient de m’adresser l’honorable préopinant. Il désire savoir ce que le gouvernement espère de la reprise des négociations ; le gouvernement trouve dans la communication du commissaire hollandais une occasion de renouer les négociations dans l’espoir, soit d’arriver à l’exécution de la convention du 19 janvier, d’après lequel une digue intérieure serait construite à 2,300 mètres, soit de conclure une nouvelle convention d’après des bases plus avantageuses, peut-être, pour construire une digue à la distance de 1,500 mètres. Vous savez à quelle condition, par la note du 5 août, cette digue nous avait été offerte en quelque sorte par la Hollande. Ce qu’espèce le gouvernement c’est d’obtenir l’une ou l’autre de ces choses. Si ce double espoir était déçu, il faudrait se résigner à rester dans le statu quo. Ce statu quo n’est plus le même qu’il aurait été avant la marée extraordinaire du 24 février.
Avant cet événement il aurait suffi de 150 mille francs pour l’entretien et le renforcement des digues. Aujourd’hui il ne s’agit plus de renforcer et d’entretenir seulement il s’agit d’exhausser les digues pour les mettre en rapport avec la marée du 24 février. Cet exhaussement coûtera non pas 150 mille fr., mais peut-être un million neuf cent mille, autant qu’une digue intérieure à la distance de 2,300 mètres et même plus, car cette digue avait été évaluée à 1,700,000 fr.
Telle est la dépense à laquelle nous serions obligés dans le statu quo, c’est-à-dire si nous sommes trompés dans le double espoir que nous avons conçu. Rien n’est plus raisonnable, avant d’en arriver là, que de faire une nouvelle tentative.
M. Dubus. - La nouvelle motion qui vient d’être déposée sur le bureau ne me paraît pas changer la question.
On ne dit pas qu’on constitue la commission des polders en commission d’enquête ; pour remplir sa mission, elle devra attendre les communications du gouvernement.
Ou bien elle fera la vérification elle-même, ou bien elle attendra que le gouvernement ait vérifié et lui ait fait parvenir le résultat de ses investigations.
Cette proposition et dix autres dans le même sens laisseront la question dans le même état.
Veut-on que la commission procède elle-même à la vérification, à l’expertise, à la constatation des faits ? Je ne crois pas qu’il convienne de charger la commission de ce mandat. Je déclare que, pour moi, je ne l’accepterais pas, et que je donne ma démission si on donne ce mandat à la commission.
Si l’on entend que la commission devra attendre que le gouvernement ait fait des investigations, alors la nouvelle motion est inutile, puisque le ministre a promis de donner des renseignements dans le plus bref délai possible et que le ministre lui-même attend les renseignements que l’inspecteur-général a promis de lui transmettre dans le plus bref délai possible. Ainsi, je pense qu’il n’y a pas lieu d’adopter une motion plutôt que l’autre.
Je ferai une observation : c’est qu’il ne me semble pas que cet examen ait l’urgence qu’on lui imprime d’avance.
Toutes ces considérations dont on appuie l’urgence, ne sont pas propres à faciliter le dénouement des négociations entamées.
Cette exigence, de demander comme une sorte de garantie l’exécution de la convention avant qu’elle soit ratifiée, annonce un mauvais vouloir de la part de notre ennemi et plus nous témoignerons le désir d’obtenir un résultat, plus, je crois, nous rencontrerons de sa part de difficultés.
Mieux aurait valu ne pas prendre la parole dans cette question, et attendre que le gouvernement eût obtenu un résultat quelconque dont il aurait fait part.
M. Gendebien. - La question restera, dit-on, dans le même état après qu’on aura adopté ma proposition. Oui, mais je répète que l’état déplorable de ces malheureux restera dans le même état sans qu’ils puissent espérer d’amélioration, si on repousse ma proposition et si on n’essaie pas d entreprendre quelque chose.
Si vous restez dans ce cercle vicieux : l’un demandant justice et d’équitables indemnités, l’autre ne les accordant pas et croyant toujours le moment inopportun de s’en occuper, rien ne changera. Il est cependant essentiel de mettre un terme à des maux qui vont devenir intolérables par le nouvel incident qui menace de perpétuer ces maux.
On vous dit que les paroles qui ont été prononcées tendent à reculer le terme des négociations. Je pense tout à fait différemment.
Quel but se propose le roi Guillaume en se refusant à un traité ? C’est de continuer le mécontentement bien naturel de ces malheureux qui souffrent et de perpétuer ainsi des haines contre la révolution, car ces malheureux ne doivent pas être les amis de la révolution. Si j’en juge par ceux que j’ai vus, ce sont d’excellents patriotes ; mais, quelques bons patriotes qu’ils soient, il leur est impossible de supporter aussi longtemps d’aussi grandes calamités avec résignation.
Je dis que le jour où le roi Guillaume saura que l’on est bien décidé à indemniser les propriétaires, ce qui est conforme à l’équité et à la justice, ii comprendra que ses cruautés cesseront d’avoir un but politique, et qu’en les prolongeant, ce sera un motif de haine de plus contre son gouvernement, parce qu’on lui tiendra compte de ses mauvaises intentions ; et d’un autre côté, on saura gré au gouvernement belge de ne pas s’être laissé leurrer plus longtemps par l’arrière-pensée machiavélique du roi Guillaume et d’avoir fait un grand acte de justice, pour lequel on nous bénira.
J’attends donc des paroles émises dans cette enceinte un résultat précisément contraire à celui qu’on a paru craindre.
Maintenant M. Dubus trouve de grands inconvénients à examiner la question de l’utilité et de l’opportunité de l’acquisition des terrains ; et pourquoi ? parce que les négociations sont ouvertes, et qu’il faut en connaître les résultats avant d’aviser à un autre parti. Mais on continuera les négociations et avec plus d’espoir de succès, comme je le disais tout à l’heure. On endiguera pour le compte du gouvernement au lieu d’endiguer pour le compte des particuliers, si les négociations permettent un jour de réaliser cet endiguement.
Eh qu’y a-t-il donc d’extraordinaire à ce que la commission examine l’utilité et l’opportunité de cette acquisition ? Une commission de la chambre n’a-t-elle pas examiné l’utilité de l’acquisition de 5,000 hectares de la forêt de Soignes ? Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les polders inondés ?
Dans la question actuelle, il y a autre chose même qu’une question d’utilité et d’avantages ; il y a une question de nécessité ; car il y a nécessité de faire cesser un état de choses intolérable, et il y a toujours nécessité pour un gouvernement d’être juste. Sous le rapport de l’équité et de la justice et sous le rapport d’une bonne politique, gardez-vous d’ajourner ou de rejeter ma proposition.
Je crois donc avoir répondu aux observations de l’honorable préopinant.
J’espère que la chambre adoptera ma proposition.
M. de Brouckere. - Si la chambre juge à propos de renvoyer la proposition de M. Gendebien à l’examen de la commission des polders, la commission se réunira ; je crois que cet examen sera bientôt fait ; et les conclusions du rapport ne sont pas difficiles à prévoir. La commission devra répondre que jusqu’à ce qu’elle sache si les négociations entamées avec le gouvernement hollandais seront sans résultat, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’acheter les terrains.
- La proposition de M. Gendebien est mise aux voix et adoptée.
M. Dubus (aîné). - Je réalise la promesse que j’avais faite. Je prie la chambre d’agréer ma démission de membre de la commission.
- La chambre décide que le bureau pourvoira au remplacement de M. Dubus (aîné) dans la commission des polders.
La chambre confirme successivement par son vote et sans discussion les amendements introduits dans ce budget.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du budget ; en voici le résultat :
68 membres sont présents.
2 (MM. Seron et Gendebien) s’abstiennent.
66 prennent part au vote et se prononcent pour l’adoption.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption : MM. Andries, Bekaert-Baeckelandt, Berger, Brabant, Coppieters, Cornet de Grez, de Brouckere, Dechamps, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Puydt, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux. d’Hoffschmidt, Doignon, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Ernst, Fallon, Frison, Goblet, Heptia, Jadot, Jullien, Keppenne, Kervyn, Lebeau. Lehoye, Lejeune, Liedts, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Thienpont, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanden Wiele, Vanderbelen, Vergauwen, Verrue-Lafrancq, L. Vuylsteke, Wallaert, Watlet, Willmar.
M. le président. - J’invite MM. Gendebien et Seron à dire les motifs de leur abstention.
M. Gendebien. - Une indisposition ne m’a pas permis de prendre part à la discussion entière de ce budget.
M. Seron. - Je n’ai assisté qu’à une très petite partie de la discussion.
M. le président. - La suite de l’ordre du jour appelle à la tribune M. le rapporteur de la section centrale chargée de l’examen de questions concernant le budget de la guerre.
M. Desmaisières, rapporteur. - Je ne puis présenter aujourd’hui de rapport sur l’objet qui a été renvoyé à la section centrale ; il reste une question importante à examiner ; demain, à l’ouverture de la séance, je pourrai faire connaître le travail de la section centrale ; aujourd’hui je ne pourrais présenté qu’un rapport incomplet.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je désirerais savoir si la discussion pourra avoir lieu immédiatement après avoir entendu le rapport. (Oui ! oui !)
- La séance est levée à quatre heures et un quart.