(Moniteur belge n°28, du 28 janvier 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel à midi et quart.
M. Kervyn donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse donne communication des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Quelques bateliers des villes de Gand et Bruges et de la commune d’Everghem réclament contre le droit de 50 centimes par hectolitre que le projet de loi sur le sel établit sur l’eau de mer. »
« La dame veuve de Brabant, née Classet à Liége, demande de nouveau une pension comme veuve d’un ancien militaire. »
« Le sieur Jean Vermeersch demande que la chambre veuille bien décider la question de savoir si la majorité est requise pour être apte à remplir les fonctions de secrétaire communal. »
« Le sieur Jacques Maréchal, batelier à Jemeppe (Liége), réclame de nouveau le paiement de l’indemnité qui lui revient du chef des dégâts causés en 1831, à son bateau qui a servi à l’établissement du pont sur le canal de Maestricht à Bois-le-Duc. »
- La pétition qui est relative au projet de loi sur le sel est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen de ce projet.
Les autres requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Stas de Volder écrit à la chambre qu’étant retenu chez lui par une indisposition, il lui est impossible d’assister aux séances.
- Pris pour notification.
M. Vande Wiele, étant indisposé, demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. Milcamps, M. Desmanet de Biesme, M. Mast de Vries et M. Lejeune présentent, au nom de la commission des naturalisations, plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation.
M. Lejeune présente en outre, au nom de la même commission, six projets de loi accordant la naturalisation à des personnes dont les demandes ont déjà été prises en considérations par la chambre et par le sénat, ainsi qu’un nouveau bulletin des demandes en naturalisation qui ont été jugées les plus urgentes.
- La chambre ordonne l’impression de toutes ces pièces.
M. Berger. - Messieurs, avant son dernier ajournement, la chambre a décidé qu’après la vacance, elle entendrait les développements que j’aurais à donner à ma proposition tendant à permettre la libre sortie du minerai de fer tendre ; si vous voulez me le permettre, j’aurai l’honneur de vous présenter aujourd’hui ces développements. (Oui ! oui !)
Messieurs, élever la province du Luxembourg au rang que lui assignent l’étendue de son territoire, ses richesses minérales et la fertilité de plusieurs parties du sol ; cette tâche, messieurs, n’est pas si facile. Ce n’est ni l’œuvre d’un jour ni l’affaire de quelques efforts isolés. Le développement de nos voies de communications, l’encouragement de l’instruction publique, la création d’établissements de crédit et de caisses de prévoyance, la division de nos vastes landes communales, afin que le prolétaire eût un patrimoine, l’aliénation de nos bois de domaine à défaut d’autres ressources, pour en appliquer le prix au vaste travail du canal de Meuse et Moselle, la naissance enfin parmi nous de cet esprit d’association et d’entreprise qui, sagement conduit, enfante de si belles choses ; réaliser par la pensée de si puissants moyens de bien-être, c’est nous placer un instant sous le charme d’une prospérité qui, je le crains bien, ne sera pas encore de sitôt le lot de mon pays.
Dans la situation actuelle de la province, il nous reste à nous débattre contre des obstacles qui anéantissent les agents les plus ordinaires de notre production et qui nous privent du nécessaire. Et, par sa position et par ses intérêts matériels, le Luxembourg appartient à la France. Ce sont les tarifs de douane de cette puissance qui nous étreignent et nous étouffent. Il ne dépend pas de nous seuls de changer cet état de choses ; mais il nous appartient au moins de changer nos propres tarifs, et d’en faire disparaître toutes les dispositions vicieuses qui déprécient les productions du pays.
Qu’on veuille bien y jeter un regard ; on trouvera partout, sous la prohibition, soit des droits de sortie entravant l’exportation de nos produits, tandis que nous ne savons qu’en faire. On a toujours méconnu ce que la situation exceptionnelle et excentrique de la province de Luxembourg réclamait de dispositions spéciales pour ménager ses intérêts. Empêcher dans notre province l’écoulement vers l’étranger d’une matière première que les grandes distances et le défaut de communications nous défendent de livrer aux fabriques de la Belgique, c’est en rendre toute vente impossible. Dans les cas même où il s’est agi de favoriser une industrie de la province par la prohibition ou des droits de sortie imposés à nos matières premières, ces dispositions nous ont presque toujours été fatales. Des mesures de cette nature sont à la vérité très faciles à prendre ; mais elles présentent sans contredit le pire de tous les moyens d’encouragement. Leur valeur est toute négative, et elles contrarient ordinairement le but qu’on veut atteindre. Concilier les intérêts de tous les producteurs présente un beau problème à résoudre ; mais prendre à un habitant du même pays pour donner à un autre, en quoi par un tel procédé la richesse de la nation obtient-elle un accroissement ? Triste système de bascule, cause de profit pour les uns, de pertes pour les autres, et où presque toujours les intérêts du pays sont hors de cause. Heureusement encore si l’intérêt du plus grand nombre n’est pas sacrifié au bénéfice de quelques privilégiés.
Veut-on connaître quelques exemples de l’application de ces principes à ma province ? Les tarifs de nos voisins ont détruit la prospérité de nos tanneries ; les droits imposés par nous à la sortie de nos écorces, ont appris aux Prussiens à se passer de celles-ci, et c’est ainsi que sous prétexte de venir au secours d’une industrie agonisante nos propres tarifs en auront détruit bientôt une deuxième. C’est un canal qu’il faudrait à la prospérité de notre forgerie, et le fisc n’a su que venir rançonner les propriétaires de bois. Et voilà sans doute les affaires de la province admirablement bien faites !
Messieurs, si les observations que nous venons de vous présenter ont quelque valeur, le principe de la proposition que nous avons l’honneur de vous soumettre se trouve suffisamment justifié. Une chose nous resterait à démontrer ; c’est que le minerai de fer tendre se trouve, dans le Luxembourg, en quantité excédant tous les besoins. Or, l’abondance de cette matière dans une foule de localités de la province est un fait qu’aucune prévention ne saurait nous ravir. Les nombreuses réclamations adressées à la chambre des représentants l’attestent en suffisance, mais invoquons en témoignage une autorité que personne sans doute ne voudra récuser : Dans le rapport de la députation des états sur la situation industrielle de la province, nous lisons : « Il est peu de contrées où la nature ait prodigué le minerai de fer avant autant de libéralité que dans le Luxembourg ; sur presque tous les points de la surface, on rencontre cette matière première. » Dans un autre endroit on y lit encore : « Le minerai de fer tendre se présente dans la province avec profusion. »
La preuve de ce fait nous reste donc bien et dûment acquise, et l’on ne saurait taxer que de chimériques les craintes manifestées par quelques personnes que le minerai de fer tendre puisse jamais venir à manquer aux établissements indigènes. S’il en était même autrement, ne conviendrait-il pas d’arrêter au moins les prévisions à une époque quelconque, fût-elle des plus reculées ? Que l’approvisionnement de nos établissements de forgerie reste assuré pour un millier d’années, ne serait-il pas déraisonnable de vouloir aller au-delà, et de laisser enfouie une matière qui dès ce moment peut devenir une cause active d’aisance et de population dans le pays ? A-t-on fait le calcul de la perte énorme résultant d’une richesse enterrée pendant une telle série d’années ? N’achèterait-on pas de l’or en barre pour l’équivalent du simple minerai de fer resté improductif durant une telle période ? Si l’on dit communément qu’il faut bien se garder de sacrifier l’avenir au présent, ne serait-il pas absurde au contraire de sacrifier le présent à un pareil avenir ? Ici, messieurs, finirait notre facile tâche, si nous n’avions pas à rencontrer quelques objections qui nous sont faites et qu’il importe de détruire.
On nous dit que s’il y a abondance de minerai de fer tendre, celui de fer fort est beaucoup plus rare, qu’il n’est guère possible de distinguer les deux sortes, et que dès lors permettre la sortie de l’un serait s’exposer à nous priver de l’autre. On a dit encore que le partage du pays en différentes zones douanières avait ses dangers ; et qu’enfin la sortie du minerai de fer tendre par la frontière de Prusse ne serait que d’une faible importance. La première de ces objections est sans doute la plus sérieuse, et quoique nous ne partagions nullement l’opinion qu’il y ait disette de minerai de fer tendre, nous convenons toutefois que la question mérite un plus ample informé. C’est cette considération qui nous a engagé à borner notre proposition à la seule frontière prussienne. Pour ces localités, au moins, cette objection spécieuse n’a pas de valeur, car toutes celles en mesure de profiter du projet de loi ne renferment que la seule espèce de minerai en discussion. Tout mélange, toute confusion est donc impossible. Nous n’avons pas généralisé la mesure de crainte d’essuyer des entraves, des lenteurs, et parce que nous avons hâte de la voir adopter. Restreinte qu’elle est de la sorte, elle sera encore un bienfait pour la province, et l’intérêt personnel le plus vivace ne saurait en contester l’opportunité.
Elle ne profitera qu’à certaines localités ; soit encore ; mais celles-ci sont déjà fort importantes. Les mesures de douane les plus générales n’ont souvent pas plus de portée. Et d’ailleurs, faire le bien-être de différentes localités d’un pays, n’est-ce pas contribuer à la prospérité générale ? l’aisance particulière ne constitue-t-elle pas la fortune de la masse ?
Nous aurions ainsi répondu en même temps aux autres objections qu’on nous a faites. Il importe donc de changer au plus tôt un pareil état de choses. Comme l’avare sur son trésor, quoique par une cause différente, il ne nous est pas donné de toucher aux richesses que nous foulons. Chaque jour on court à la découverte de nouvelles sources de bien-être, et l’on nous défend d’user de celles que nous avons sous la main, qui se présentent au grand jour ! On veut nous réunir tous dans un même sentiment d’indépendance et de nationalité, et on ne fait que placer nos différents intérêts en présence ! Singulier rôle de conciliateur que celui-là !
Nous pensions donc, messieurs, que le projet de loi que nous avons l’honneur de vous soumettre ne rencontrera pas d’objection sérieuse ; nous espérons que l’accueil qui lui est réservé sera d’autant plus favorable que l’abolition du droit de sortie sur la houille et sur le bétail nous fait suffisamment connaître les principes que l’intérêt du pays vous fait proclamer en pareille occurrence.
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. unique. La sortie du minerai de fer tendre par la frontière de Prusse de la province de Luxembourg est libre.
« Le gouvernement désignera les bureaux de douane par lesquels la sortie devra s’effectuer.
« Mandons et ordonnons, etc »
- La proposition de M. Berger est prise en considération par la chambre ; elle sera renvoyée à une commission nommée par le bureau.
M. le président. - La proposition de M. Seron est conçue en ces termes :
« A l’avenir, les hommes mariés avant le 1er janvier de l’année à laquelle leur classe appartient n’obtiendront plus l’exemption du service si le mariage est contracté avec une femme âgée de plus de 50 ans. »
Celle de M. Pirson porte ce qui suit :
« A l’avenir, les hommes mariés avant le 1er janvier de l’année à laquelle leur classe appartient n’obtiendront plus l’exemption du service si le mariage est contracté avec une femme âgée de plus de 50 ans. »
Celle de M. Gendebien :
« Par dérogation à la loi du 8 janvier 1817, le mariage ne dispensera plus du service de la milice. »
Voici celle de M. d’Hoffschmidt :
« Par dérogation à l’art. 16 de la loi du 27 avril 1820, le fils unique légitime, qui est en même temps enfant unique, est assimilé au fils unique, et devra, pour obtenir l’exemption du service, produire le même certificat que celui-ci. »
Enfin, en voici un autre présenté également par l’honorable M. Pirson :
« Le milicien qui, ayant droit à l’exemption, conformément au paragraphe mm de l’art. 94 de la loi du 8 janvier 1817, n’aura pu, en temps utile et pour des circonstances indépendantes de sa volonté, obtenir cette exemption du conseil de milice, parce que le remplaçant d’un frère aîné aurait déserté, rentrera dans tous ses droits d’exemption, aussitôt qu’un second remplaçant dudit frère aîné aura été accepté conformément à la loi, et sera renvoyé par le ministre de la guerre devant le conseil de milice et, en son absence, devant le gouverneur et la députation provinciale, qui statueront d’après la position du réclamant.
« L’art. 6 du projet de loi deviendra l’art. 7. »
La section centrale propose le projet de loi suivant :
« Art. 1er. Par dérogation à la loi du 8 janvier 1817, les mariages qui seront contractés après la promulgation de la présente loi, ne dispenseront plus du service de la milice. »
« Art. 2. Par dérogation à l’art. 16 de la loi du 27 avril 1820, le fils unique légitime, qui est en même temps enfant unique est assimilé au fils unique, et devra, pour obtenir l’exemption du service, produire le même certificat que celui-ci. »
M. Seron et M. d'Hoffschmidt se rallient à la proposition de la section centrale.
M. Pirson persiste dans la sienne.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. Doignon. - J’espère que vous n’adopterez point la proposition de la section centrale, de priver de l’exemption du service de la milice les jeunes gens mariés avant le 1er janvier de l’année de leur inscription sur les listes ; en tout cas, il y aurait lieu au moins d’ajourner ce projet.
Je ferai remarquer d’abord qu’il n’est point l’expression de l’opinion de la plupart de nos sections, mais seulement d’un très petit nombre de nos collègues.
Au total, pour mettre obstacle à quelques mariages frauduleux, on voudrait sans même aucune nécessité urgente, empêcher des mariages aussi sérieux que légitimes, en violant ainsi le principe qui sert de base à toute société, qu’il faut avant tout favoriser et protéger le mariage.
Aux termes du code civil, l’homme est libre de contracter mariage dès qu’il a 18 ans révolus. Il s’agit donc au vrai de lui ôter cette liberté sous prétexte qu’il doit tirer au sort au commencement de l’année suivante, et lorsque d’ailleurs il est encore très incertain si jamais le sort le désignera pour le service. La jeunesse n’a-t-elle donc pas déjà assez à se plaindre des longueurs de la milice sans y ajouter encore cette nouvelle restriction ? N’est-ce pas assez déjà de condamner au célibat les jeunes gens qui le sort a désignés définitivement pour le service ?
L’art. 207 de l’ancienne loi fondamentale, qui n’oblige que les habitants non mariés à se faire inscrire pour la milice, est une disposition à la fois morale et politique. Dans tous les pays civilisés et à toutes les époques, les législateurs ont regardé la liberté du mariage comme la chose la plus sacrée ; ils se sont toujours montrés extrêmement favorables à cette union légitime de l’homme et de la femme, union à laquelle les Etats doivent leur existence et leur conservation, et même en tout temps les législateurs ont saisi les occasions d’y inviter et encourager les citoyens. C’est évidemment dans cet esprit qu’ont été conçus l’art. 207 précité et la loi de janvier 1817.
Mais le projet de loi en discussion porterait non seulement atteinte à la liberté du mariage, en contrariant ou en faisant perdre peut-être pour toujours des inclinaisons sérieuses pour cette union, mais la promesse de l’exemption étant elle-même une invitation, une sorte d’appât pour le jeune citoyen, le législateur échapperait l’occasion favorable d’obtenir pour la patrie de nouvelles familles dont, peut-être, peuvent sortir des rejetons destinés à devenir ses soutiens et sa gloire.
En principe le mariage mérite évidemment bien plus de faveur que la clause de la milice, car c’est à lui que la société doit son existence, tandis que celle-ci n’a pour objet que la défense du pays. Mais si l’on envisage les charges et les conséquences du mariage, ne doit-on pas le considérer lui-même comme une espèce de milice, à qui la patrie doit premièrement tous ses enfants, et n’est-il pas juste que le citoyen, qui déjà s’est enrôlé dans celle-ci et a opté pour cette charge, soit exempté de faire partie de l’autre milice ?
Mais, disent les partisans du projet, tout le monde doit servir son pays, et l’exception introduite par l’art. 207 est difficile à justifier.
Nous venons de voir que cette disposition qu’on appelle exceptionnelle se justifie au contraire bien facilement. Elle se justifie par la grande faveur due en tout temps à l’acte du mariage, acte qui malheureusement n’est pas déjà très commun pour le bien-être de la société. Un bon législateur doit y exciter par tous les moyens en son pouvoir. A côté du principe que chacun est tenu de concourir à la défense du territoire et de l’indépendance nationale, il en est un autre qui doit ici prévaloir, celui de la faveur qui appartient au mariage.
On objecte encore que si l’intention du législateur eût été de favoriser les mariages, il aurait accordé la même exemption à tous les miliciens qui contactent mariage, il ne l’aurait pas restreinte à ceux qui se marient immédiatement après avoir accompli leur dix-huitième année. Mais la raison de différence est saillante : une fois que le tirage a fixé le sort du milicien, il est alors appelé à un autre état qui n’est pas compatible avec l’état de mariage ; dès ce moment le législateur s’est vu obligé de le lui interdire. Mais, dans ce cas-là encore, je crois qu’on aurait fait sagement d’étendre l’exemption jusqu’à ceux même qui ont obtenu des numéros fort reculés à l’égard desquels il existe une certitude morale qu’ils ne seront jamais incorporés.
On a dit encore que le riche plutôt que le pauvre profite de cette exemption ; c’est une erreur, les mariages à tout âge sont bien plus nombreux parmi les pauvres que dans la classe riche ou aisée.
Enfin, ajoute-t-on, au moyen des mariages simulés avec des personnes fort avancées en âge, on abuse de ce droit d’exemption d’une manière grave. Mais n’abuse-t-on pas tous les jours des meilleures institutions, est-ce un motif pour les renverser ? Vouloir remédier à tous les abus, c’est folie de la part du législateur.
Mais lors même que cet abus serait aussi grave qu’on l’a prétendu, ce qui n’est point, je dirai que ceux qui contractent sérieusement mariage ne doivent pas être victimes de la fraude de quelques-uns ou de plusieurs autres. En voulant obvier à cet abus, vous tombez dans un autre bien plus grave, vous violez le grand principe de la faveur due au mariage dans les états civilisés.
Mais, si nous en croyons le rapport de la section centrale, l’abus est devenu aujourd’hui presque insignifiant, par suite de la circulaire adressée par le ministre de l’intérieur aux députations provinciales, qui faisaient jusque-là une fausse application de la loi. Nous voyons que pour toute la Belgique le nombre de mariages qui ont donné lieu à l’exemption dont il s’agit, n’a été que de treize en 1833, et tous ont probablement été très sérieux. On en compte 25 pour l’année 1836 : il est étrange, à la vérité, de voir que sur ces 25, 22 appartiennent à la seule province de Namur. Mais rien dans le rapport ne nous indique qu’on pourrait faire à ces mariages le reproche de simulation. Loin donc d’accuser les miliciens de cette province, je féliciterai au contraire celle-ci de ce que la milice de 1836 ait été pour elle une occasion d’avoir plus de mariages qu’aucune autre province. Ce n’est point là un abus, mais un véritable bien-être pour cette province dont je voudrais aussi que toutes les autres puissent jouir chaque année.
Dans l’hypothèse gratuite où quelques-uns de ces mariages eussent été contractés avec de vieilles femmes, ce ne serait là qu’une raison bien faible pour faire fléchir la règle qu’il faut avant tout favoriser le mariage, et punir par suite les miliciens de toutes les autres provinces où pareil abus n’aurait pas encore existé. Dans le doute même, on devrait toujours incliner pour la liberté du mariage, et dans tous les cas, il y aurait lieu d’attendre encore les effets de l’expérience. On ne peut ici prendre en considération un assez petit nombre de mariages que celui que nous avons vu dans les deux dernières années 1835 et 1836. Maintenant il ne peut plus y avoir le moindre inconvénient à ajourner, car les miliciens mariés avant le 1er janvier, ayant déjà acquis irrévocablement droit à l’exemption, le projet de loi actuel ne pourrait même produire aucun effet pour l’exercice 1837.
J’ai lieu enfin de m’étonner qu’on ait présenté un projet aussi défavorable à la liberté du mariage dans un moment surtout où l’on parle dans cette enceinte d’un impôt à établir contre le célibat.
Je voterai contre l’article premier du projet.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, quelques députés de la province de Namur, entre autres M. Seron et moi, avons à plusieurs reprises signalé à votre attention les graves inconvénients qui résultent des mariages simulés, contractés pour soustraire au service de la milice des individus qui doivent en faire partie ; frappés de la gravité de cet abus, nous avons cru devoir vous engager à y porter remède.
MM. Gendebien et Seron ont formulé dans ce but quelques propositions qui ont reçu l’approbation de la section centrale ; je crois devoir appuyer ces propositions. Déjà l’année dernière je vous ai annoncé que dans ma province, le mal gagnait tellement que bientôt, par suite des mariages simulés, on ne trouverait plus, dans plusieurs villages très populeux, un seul milicien ; il résulte de renseignements que j’ai pris dernièrement que cette prévision sera complètement vérifiée ; il est donc indispensable de porter remède à un abus aussi criant.
L’honorable préopinant qui a parlé avant moi a toujours raisonné dans l’hypothèse de mariages sérieux ; or, messieurs, je suis persuadé que de tous les mariages contractés par des individus qui n’ont pas encore tiré au sort, bien peu sont des mariages sérieux, et encore ce derniers sont contractés par des gens riches qui ont la faculté de mettre un remplaçant. Quant aux mariages sérieux contractés par des jeunes gens qui n’ont pas les moyens de se faire remplacer, mariages que l’honorable membre voudrait favoriser comme les autres, je vous avoue que je ne trouve pas qu’il soit utile à la société d’encourager au mariage des jeunes gens qui ne sont pas à même de pourvoir à l’entretien de leur famille : en effet, que voyons-nous surtout dans les villes ? C’est que des jeunes gens qui ont coûté à leurs parents tous les sacrifices, ont à peine atteint leur 18ème ou 19ème année, lorsqu’ils se marient, quittent leurs parents et ne leur apportent plus le moindre secours : un an ou deux après leur mariage, ils se présentent pour être remplaçants, laissent leur femme et leurs enfants dans la misère et à la charge des communes, qui doivent admettre ces enfants dans un hospice.
Vous avouerez avec moi, messieurs, que c’est une chose honteuse de voir des hommes à la fleur de l’âge, pour se soustraire aux obligations qui incombent à tous les citoyens, épouser des femmes de 70, 80 ans et même plus, car les plus vieilles sont les meilleures. (On rit.)
Je trouve que c’est un spectacle révoltant de voir des femmes parvenues à un âge qui doit inspirer le respect, trafiquer leur décrépitude, comme d’autres trafiquent de leur beauté.
Convaincu de la gravité de l’abus dont il s’agit, je voterai pour l’article premier du projet.
M. Legrelle. - Il est dangereux, messieurs, d’apporter des changements partiels à une législation établie, et il faut, pour autoriser à le faire, des motifs bien frappants, bien puissants ; d’après les assertions que les honorables députés de la province de Namur ont maintes fois fait valoir dans cette enceinte, il existerait de semblables motifs pour modifier les lois sur la milice. Quant à moi, j’ai douté longtemps de la gravité de ces motifs, parce que dans la province que j’habite aucun mariage simulé n’a été contracté ; cependant, puisqu’on insiste à cet égard, je veux bien, abondant dans l’opinion de M. Seron, modifier la loi dans ce sens que les jeunes gens qui auront épousé une femme parvenue à un certaine âge, ne soient pas, par le fait de ce mariage, exempté du service de la milice ; mais ce n’est pas là, messieurs, ce que vous propose la section centrale. A côté de la chose, vous avez l’abus de la chose : M. Seron a voulu supprimer l’abus ; mais aujourd’hui on demande bien plus, on vous propose d’interdire le mariage à tous les miliciens ! A-t-on bien calculé les conséquences d’un pareil système ?
Pour moi, je crois qu’il va en résulter une injustice flagrante, en ce sens que, pendant 10 années, vous empêcherez les mariages. En effet, messieurs, qu’arrive-t-il aujourd’hui ? c’est que celui qui n’est pas appelé à servir se marie. Mais si le projet de loi qui nous est soumis passe, tous les individus de cette catégorie seront dans le cas de pouvoir être appelés à servir plus tard ; car il est évident qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes gens se marient parce qu’ils sont exempts de la milice, et cette exemption devenant un droit pour eux, par l’effet de leur mariage, ils se marient en parfaite sécurité, ils s’établissent, ils deviennent pères de famille.
Cet état de choses va changer, si vous adoptez la loi en discussion.
Il n’est entré sans doute ni dans l’intention d’aucun des membres proposant, ni dans celle de la section centrale, que la loi dût produire de pareils résultats ; je demanderai à l’honorable rapporteur de la section centrale s’il a voulu assujettir tous les miliciens quelconques à la possibilité de devoir servir, après qu’ils se seraient mariés sous l’empire de la législation actuelle. Messieurs, tel n’a pu cependant être l’intention de la section centrale : et cependant tel serait évidemment l’effet de la loi, si toutefois vous la votez.
S’il faut extirper un abus, en supposant qu’il existe réellement, adoptez alors la proposition de M. Seron ; décrétez qu’à l’avenir aucun milicien ne sera exempt du service s’il a épousé une femme âge de plus de 50 ans ; car il est évident que le mariage contracté par un jeune homme de 18 ans avec une femme de 50 ans, n’est qu’un mariage illusoire.
Quant au deuxième article de la loi, il me paraît laisser beaucoup à désirer ; il porte :
« Par dérogation à l’art. 16 de la loi du 27 avril 1820, le fils unique qui est en même temps enfant unique est assimilé au fils unique, et devra, pour obtenir l’exemption du service, produire le même certificat que celui-ci. »
Mais a-t-on bien remarqué que l’exemption des fils unique n’est réellement qu’une exemption provisoire ? on ne fait en définitive que les ajourner. Il va sans dire qu’en présence de cette disposition, on doutera dans les conseils de milice si les individus qui n’ont été qu’ajournés sont définitivement exempts par l’effet de la loi, ou bien si la loi s’étendra à cette catégorie de miliciens.
Il faudrait donc dans tous les cas, si vous ne voulez pas que la loi ait un effet rétroactif et que les enfants uniques qui ont été exemptés par suite des tirages précédents puissent être appelés au service, il faudrait, dis-je, qu’on ne pût plus les assimiler aux fils uniques ; il faudrait qu’ils restassent entièrement exempts.
Pour atteindre ce but, j’aurais l’honneur de proposer l’addition suivante à l’article :
« Cette disposition n’est applicable qu’aux tirages futurs. »
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, comme l’honorable préopinant, je suis peu disposé à admettre sans nécessité absolue des lois partielles qui modifient de grandes lois organiques ; toutefois, la chambre paraissant insister sur la première des deux modifications qui vous sont proposées, j’accèderai à l’article premier de la loi.
D’abord, messieurs, il est nécessaire de nous entendre sur la véritable limite de l’exception écrite dans l’ancienne loi fondamentale des Pays-Bas ; car, qu’on le remarque bien, l’exception dérive de l’ancienne loi fondamentale, abrogée dans son ensemble, et dont un seul article reçoit encore aujourd’hui son application, cet article faisant partie d’une loi organique restée en vigueur.
L’art. 207 de la loi fondamentale est conçu en ces termes :
« Cette milice est formée, autant que possible, de volontaires, de la manière déterminée par la loi ; à défaut d’un nombre suffisant d’enrôlés volontaires, elle est complétée par la voie du sort. Tous les habitants non mariés au 1er janvier de chaque année, qui à cette époque auront atteint leur dix-neuvième année, sans avoir terminé leur vingt-cinquième, concourront au tirage. Ceux qui ont reçu leur congé ne peuvent, sous aucun prétexte, être appelés à un autre service qu’à celui de la garde communale, dont il sera parlé ci-après. »
Ainsi le fait exigé par la loi est celui-ci : mariage de l’individu qui a atteint sa dix-neuvième année avant le 1er janvier de l’année où le tirage doit s’opérer (cette époque est de rigueur), et où l’exemption lui est acquise d’une manière tellement absolue qu’il ne concourt pas même au tirage ; devînt-il veuf la deuxième, la troisième année de son mariage, l’exemption continuerait à lui profiter, et cela en vertu du texte de la loi fondamentale.
D’un autre côté, l’individu non marié qui aurait concouru au tirer, aurait beau se marier la deuxième, la troisième, la quatrième année qui suit le 1er janvier de l’année où le tirage s’est opéré, cet individu ne se trouverait pas dans le cas de l’art. 207 de la loi fondamentale.
Cette conséquence peut paraître bizarre, mais elle existe ; elle résulte évidemment du texte de la loi fondamentale. M. le ministre de l'intérieur a fait de cette interprétation l’objet d’une circulaire en date du 5 mars 1835, qui a été communiquée à la section centrale ; et la section centrale a considéré cet acte comme renfermant la véritable interprétation de l’art. 207 de la loi fondamentale.
Cela posé, je vais aborder quelques-unes des observations qui vous ont été présentées.
L’honorable M. Doignon vous a dit qu’en règle générale, il fallait favoriser les mariages ; je suis de cet avis ; mais remarquez que l’exemption qu’il s’agit d’abolir, ramenée à ses véritables limites, n’est qu’un encouragement aux mariages précoces, et non au mariage en général ; car il faudrait que l’exemption fût acquise à celui qui se marie la deuxième, la troisième ou la quatrième année. Ainsi, de deux choses l’une, ou bien il faut abolir l’exemption, car la loi fondamentale à la main, on doit reconnaître que l’exemption ne profite qu’à un nombre très restreint d’individus, et n’est en conséquence pas un encouragement au mariage en général ; ou bien si vous voulez favoriser le mariage, il faut aller plus loin ; il faut accorder l’exemption même aux individus qui se marient la deuxième, la troisième, la quatrième année ; il n’y a pas d’autre alternative.
Vous voyez donc, messieurs, que l’honorable M. Legrelle est complètement dans l’erreur sur les limites de l’exception qu’il s’agit d’abolir. M. Legrelle vous a dit : « Un milicien qui se trouvera avoir un numéro qui l’exempte la première année du service, se mariera ; aura-t-il droit à l’exemption de l’art. 207 de la loi fondamentale ? » Non, messieurs, c’est très étrange, si vous voulez ; mais c’est ainsi que la loi est interprétée dans toutes les provinces, une seule exceptée, depuis la circulaire ministérielle du 5 mars 1835.
Ainsi, ce que suppose l’honorable M. Legrelle n’existe pas ; je vais citer un exemple, pour être plus clair. A la suite d’un tirage, neuf individus sont requis de marcher ; le dixième est exempt par l’effet du sort ; il se marie ; un des neuf numéros qui l’ont devancé vient à faillir pour un motif quelconque ; eh bien, l’individu qui aura tiré le dixième numéro, devra marcher, bien qu’il se soit marié postérieurement ; car, encore une fois, cet individu, pour avoir droit à l’exemption, eût dû être marié avant le 1er janvier de l’année où le tirage s’est opéré.
Je dirai donc à M. Legrelle que pour faire consacrer le système qu’il a présenté, il devrait non seulement demander le maintien de l’exemption qui résulte de l’art. 207, mais encore proposer de donner à cette exemption l’extension dont je viens de parler.
Remarquez, messieurs, que cette exemption, résultant du fait du mariage, n’existe dans aucun des pays voisins ; je fais cette observation, parce qu’on a invoqué tout à l’heure l’exemple de tous les pays civilisés. Ni en Prusse, ni en France, le fait du mariage ne donne droit à l’exemption.
Il y a plus, messieurs : en France l’obligation du service militaire n’est exigée qu’à partir de l’âge de 20 ans, et il y aurait une raison plus forte d’introduire l’exemption ; le code civil autorise le mariage à l’âge de 18 ans accomplis ; depuis cette époque jusqu’à celle du service militaire un an s’écoule en Belgique ; en France, il s’écoule au moins deux ans. En Belgique, pour profiter de la loi, il faut saisir l’occasion d’un très court intervalle ; et c’est pour cela que le nombre des mariages sérieux est très restreint. En France, au contraire, l’exemption encouragerait au mariage pendant un intervalle bien plus considérable. Il est donc évident que s’il fallait faire résulter du mariage un motif d’exemption, il y aurait plus de raison d’adopter cette disposition en France qu’en Belgique.
L’art. 207 de la loi fondamentale ne peut donc s’appliquer qu’à ces mariages précoces, en petit nombre, contractés de la dix-huitième à la dix-neuvième année. Je touche maintenant à une autre question que je ne ferai qu’indiquer : tout en favorisant le mariage, en général, faut-il favoriser par exception les mariages précoces ?
Je ne répéterai pas tout ce qui vous a été dit sur les unions prématurées. Si nous voulions faire de la morale, si nous voulions entrer dans des détails qui ne sont guère de la compétence législative, nous aurions beaucoup de choses à dire à cet égard ; mais chacun de vous peut consulter ses propres souvenirs.
En résumé, posons bien la question, ramenons-la au texte de la loi entendu comme il doit l’être. De deux choses l’une ; Il faut abolir l’exemption résultant de l’art. 207 de l’ancienne loi fondamentale, ou, si vous croyez devoir encourager le mariage, il faut, mettant à l’écart la circulaire ministérielle du 5 mars 1835, qu’après le tirage, c’est-à-dire à toutes les époques. Je me hâte d’ajouter, messieurs, que ce deuxième système aurait les plus graves inconvénients ; je pourrai les exposer s’il est nécessaire.
Les réflexions que je viens de présenter, démontrent, je le pense, à l’évidence, que quelque parti qu’on prenne, il est impossible de rester dans l’état de choses créé par la loi existante.
M. de Brouckere. - Je vous prierai de nous donner lecture de la circulaire.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - La voici :
« A M. le gouverneur de la Flandre occidentale,
« Bruxelles, le 5 mars 1835
« M. le gouverneur,
« Vous me demandez, par votre lettre du 27 du mois dernier (1ère div., n°12560 12570) si celui qui s’est marié après son inscription sur les listes de la milice, a droit à l’exemption du chef de son mariage.
« Je vais avoir l’honneur d’entrer dans quelques considérations qui vous mettront à même de faire une juste application de la loi, en ce qui concerne le mariage des miliciens.
« Il est évident que quelques dispositions des lois du 8 janvier 1817 et 27 avril 1820, dont la première reproduit textuellement dans ses considérants l’art. 207 de l’ancienne loi fondamentale, ont été conçues dans le but de faire exempter du tirage au sort, et des conséquences qui en résultent, les hommes mariés ; car, par cela seul que cet article n’astreint au tirage que les habitants non mariés, il dispense les premiers du service. Les articles 52 de la loi de 1817 et 17 de celle de 1820 sont conçus dans ce sens.
« L’abrogation de la constitution de 1815, prononcée par l’article 137 de la constitution belge, n’a pu avoir pour effet de changer cet état de choses, parce que les lois constitutionnelles laissent toujours des traces de leur existence, après qu’elles ont cessé d’être en vigueur, et qu’on ne pourrait admettre le contraire sans détruire l’économie de beaucoup de lois qu’on ne peut interpréter dans un sens différent de celui dans lequel elles ont été conçues. Ainsi, les articles 52 et 17 précités deviendraient des non-sens s’ils n’avaient encore pour effet de dispenser du service de la milice les jeunes gens mariés avant leurs inscriptions.
« Mais il ne faut pas perdre de vue que l’art. 207 de l’ancienne loi fondamentale n’exempte du tirage que ceux qui étaient mariés à l’époque à laquelle ils étaient tenus de se faire inscrire, c’est-à-dire au 1er janvier de l’année dans laquelle ils sont entrés dans leur 19ème année. L’on doit se borner à les faire inscrire pour constater leur position ; c’est à l’administration locale à le faire, en recevant les pièces qu’ils doivent produire aux termes de l’art. 52. Les inscrits de cette catégorie ne peuvent pas participer au tirage.
« Il eût été préférable de les astreindre aux mêmes obligations que les autres inscrits, de consacrer dans la loi sur la milice une exemption spéciale pour les mariés, comme on l’a fait pour les enfants uniques, etc., et de les faire exempter par les conseils de milice ; mais les termes de la loi fondamentale ont obligé la législature à en agir autrement. Cet état de choses ne peut être changé que par une loi nouvelle.
« Les jeunes gens qui se sont mariés depuis leur inscription ne peuvent réclamer d’exemption de ce chef, ils doivent être désignés pour le service s’ils n’ont pas d’autres titres à l’exemption, attendu que la loi ne renferme aucune disposition dont ils puissent se prévaloir pour être exemptés.
« Telle est aussi la manière dont la chambre des représentants a compris la loi, lorsqu’elle a eu à se prononcer sur une réclamation dans laquelle un milicien attaquait une décision par laquelle mon prédécesseur avait rejeté une demande d’exemption, en se fondant sur ce motif que le mariage contracté après l’inscription sur les listes de la milice n’est point un motif d’exemption.
« Il résulte de ce qui précède que la question que vous m’avez faite doit être résolue négativement. »
Cette circulaire a reçu son exécution dans toutes les provinces, excepté la province de Namur où la députation permanente a pensé que la dispense du service de la milice était accordée même à celui qui se mariait après le 1er janvier de l’année du tirage, mais qui n’aurait pas été compris dans le contingent de la première année. C’est pour cela que vous trouvez que sur les 25 mariages contractés en 1836 et emportant exemption du service de la milice, 22 l’ont été dans la province de Namur ; c’est parce que la circulaire dont je viens de donner lecture n’a pas été considérée par la députation de cette province comme l’interprétation légale de l’art. 207 de la loi fondamentale.
M. Gendebien. _ Ayant été retenu au conseil municipal, je n’ai pas pu assister au commencement de la séance, ma qualité d’auteur de la proposition me faisait plus particulièrement un devoir de m’y trouver, mais je pense que l’assemblée m’excusera en considération des motifs qui m’ont empêché d’être présent à l’ouverture de la séance.
M. Rogier. - (Erratum inséré au Moniteur belge n°29 du 29 janvier 1837 :) Inconvénient du cumul.
M. Gendebien. - Pour ces conseils, je ne touche aucun traitement, et je considérerais que tout le monde se chargeât de cumul aux mêmes conditions.
Je désirerais avoir connaissance des propositions faites en mon absence.
On m’a dit que M. Legrelle en avait fait une.
M. le président. - J’ai à vous demander si vous vous ralliez à la proposition de la section centrale.
M. Gendebien. - Oui, je m’y rallie, mais je désirerais connaître la proposition de M. Legrelle.
M. le président. - C’est la reproduction de la proposition de M. Seron.
M. Liedts. - Messieurs, je remarque que la discussion actuelle n’est qu’une discussion d’articles. Il vaudrait mieux, afin d’éviter une perte de temps et mettre plus d’ordre, dans votre délibération, déclarer la discussion générale close, à moins qu’un orateur ne se lève pour présenter des considérations générales sur l’ensemble du projet et qui ne rentreraient pas dans la discussion particulière des deux articles. Mais comme je ne pense pas qu’il puisse y avoir lieu de présenter des considérations de cette nature, je demande que la discussion soit déclarée close.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Par dérogation à la loi du 8 janvier 1817, les mariages qui seront contractés après la promulgation de la présente loi, ne dispenseront plus du service de la milice. »
Cette proposition se rapporte aux propositions de MM. Seron et Gendebien, qui ont déclaré se réunir à la section centrale.
M. Simons. - Messieurs, en présence des abus nombreux qui vous sont signalés, je ne m’attendais pas à rencontrer dans cette enceinte une opposition à la disposition de l’art. 1er du projet de loi en discussion. En effet, elle tend à extirper un abus d’autant plus scandaleux que le moyen employé pour se soustraire aux obligations de la milice, bien qu’il soit légal, répugne à la nature, et sous ce rapport, en quelque sorte, offense ouvertement la morale publique. J’ose espérer que ces honorables membres reviendront de leur opinion lorsqu’ils auront connaissance de l’amendement que j’aurai l’honneur de proposer, pour mitiger la rigueur de l’art. 1er en discussion. Je n’y donne pas seulement mon adhésion, mais je regrette bien vivement que ce projet de loi n’ait pas reçu la sanction de la législature avant le 1er janvier dernier.
Ce qui me porte à exprimer ce regret, c’est que, d’après les termes mêmes du projet, il ne portera remède à l’abus infâme qui vous a été signalé, que pour la classe de 1838. Lors même, ce qui cependant n’est guère probable, ce projet pût être définitivement sanctionné par les trois branches du pouvoir législatif avant l’époque du tirage au sort des miliciens de la classe de 1837, cette disposition ne pourra recevoir aucune application à l’égard des individus mariés appartenant à cette dernière classe, sans tomber dans le vice de la rétroactivité.
C’est à dessein que j’ai cru devoir dire un mot à ce sujet, parce que, dans une précédente séance, un honorable membre a exprimé une opinion contraire ; ce qui pourrait faire prendre le change aux conseils de milice appelés à connaître de ces sortes de réclamations.
Après cette observation préliminaire je me permettrai quelques réflexions qui me paraissent de nature à prouver qu’il sera nécessaire de placer une exception à côté de la règle, que l’art. 1er du projet de loi est destiné à consacrer. Le mariage ne sera plus dorénavant un motif d’exemption. Cette disposition est sage ; elle répond parfaitement au but que nous nous proposons ; en un mot elle coupe le mal dans sa racine et désormais nous n’aurons plus à déplorer l’abus scandaleux qui vous a été signalé.
Mais cette règle n’exige-t-elle pas quelque exception ? Convient-il de consacrer, dans la loi, une disposition qui aura pour conséquence que jusqu’à l’âge de 23 ans il ne sera plus permis de contracter mariage, sans s’exposer à toutes les chances éventuelles d’un appel en activité de service ? Voilà un point sur lequel je me permets d’appeler spécialement toute votre attention.
Vous le savez, messieurs, d’après le système qui a servi de base aux lois organiques de la milice nationale, tous les habitants du royaume restent soumis aux obligations résultantes de leurs dispositions durant une période de 5 ans, savoir depuis le moment qu’ils ont atteint une période de 5 ans, depuis le moment qu’ils ont atteint leur dix-neuvième année jusqu’à celui où ils ont accompli leur 23ème année. De là que la milice se trouve divisée en 5 classes.
La première de ces classes, c’est-à-dire la plus jeune, est obligée à fournir le contingent ordinaire demandé tous les ans pour tenir l’armée au complet. Mais si la liste de tirage de cette classe ne présente pas un nombre suffisant d’inscrits pour le contingent requis, on appelle, pour le compléter, les miliciens de la seconde dans l’ordre des numéros qui leur sont échus lors du précédent tirage ; si ceux-ci ne suffisent pas, on appelle ceux de la troisième et ainsi de suite (art. 89 de la loi du 8 janvier 1817.)
Vous voyez, messieurs, qu’il y a une espèce de solidarité entre les cinq dernières classes de la milice, en ce sens que, pour compléter le contingent demandé sur la classe la plus jeune, l’on peut remonter, en cas de besoin, jusqu’à la classe la plus ancienne.
Je suppose maintenant, et cette supposition n’est pas gratuite (il arrive, bien que rarement, j’en conviens, que l’on doive avoir recours à des classes antérieures pour compléter le contingent requis) ; je suppose, dis-je, que faute de trouver des hommes aptes au service dans les quatre dernières classes, l’on doive remonter jusqu’à la classe la plus ancienne pour compléter le contingent. Je suppose que l’on y rencontre sur la liste de tirage, le premier dans l’ordre des numéros, un homme marié. Eh bien, d’après la disposition de l’article en discussion, cet individu, si son mariage est postérieur à la promulgation de la loi en discussion, sera obligé de marcher. Bien qu’ayant atteint l’âge de 23 ans, bien qu’ayant concouru au tirage au sort depuis plus de quatre ans, ce malheureux devra abandonner sa femme, sera arraché du sein d’une nombreuse famille dont il est l’unique soutien, devra quitter un établissement important qu’il aura créé à grands frais, et cela pour acquitter de sa personne la dette d’une classe postérieure de quatre ans à celle dont il a fait partie.
Un tel système est vraiment récoltant. Il répugne à tout homme qui a quelque sentiment d’humanité. Cependant telle sera la portée de l’art. 1er du projet de loi en discussion, telle en sera la conséquence inévitable, si vous n’y apportez quelque modification en faveur des miliciens qui contracteront mariage postérieurement à l’incorporation du contingent complet demandé sur leur classe.
Pour éviter cet inconvénient qui, en résultat, n’est pas moins grave que l’abus que nous voulons réprimer, voici, en peu de mots, mon système :
Prenons une disposition rigoureuse contre tous les mariages, sans aucune exception, qui se contracteront avant le tirage au sort, et avant que le contingent attribué à la classe à laquelle l’individu marié appartient soit complète. Ce contingent forme véritablement la dette que chaque classe est obligée de payer à la patrie ; il est donc juste que tous ceux qui en font partie concourent à acquitter cette dette commune.
Il ne doit être loisible à aucun milicien de s’y soustraire, ni par un mariage simulé, ni par un mariage sérieux. L’art. 1er, tel qu’il est formulé par la section centrale, répond parfaitement à cette idée. J’y donnerai mon adhésion.
Mais, par contre, il importe qu’à côté de cette disposition rigoureuse nous en adoptions une qui mitige cette rigueur en ce qui concerne les mariages qui se contracteront par les miliciens, après qu’ils auront loyalement couru toutes les chances du tirage au sort, après que, par la remise complète du contingent imposé à leur classe, ils auront, en quelque sorte, acquitté leur part contributoire dans cette dette commune.
Etendre la défense du mariage après cette époque et la continuer jusqu’à ce que le milicien ait accompli sa 23ème année ; en d’autres termes, refuser le droit à l’exemption pour cause de mariage aux miliciens qui éventuellement seront appelés au service pour complément du contingent d’une classe postérieure à la leur, ceci présente, en résultat, quelque chose d’immoral, en ce que par là l’on consacre implicitement une espèce de défense de se marier avant l’âge de 23 ans accomplis.
Pour atteindre le but que j’ai en vue, j’ai l’honneur de vous proposer, comme paragraphe additionnel à l’article en discussion, la disposition suivante :
« Néanmoins, les miliciens appelés pour compléter le contingent d’une classe postérieure à celle à laquelle ils appartiennent peuvent faire valoir le droit à l’exemption pour cause de mariage, pourvu que ce mariage ait eu lieu avant le 1er janvier de l’année dans laquelle leur numéro sera appelé.
« Cette exemption ne sera accordée que pour un an. Il en sera justifié par la production : 1° de l’acte de mariage, 2° d’un certificat de l’autorité locale constatant l’existence de la femme. »
Cette disposition additionnelle laisse intacte et dans toute sa force la règle consacrée par le paragraphe premier, en ce qui concerne les mariages contractés antérieurement au tirage au sort : ces mariages, qu’ils soient sérieux ou simulés, n’importe, ne donneront plus droit à l’exemption. Elle ne la modifie, elle n’en tempère la rigueur que pour les mariages contractés postérieurement au tirage. Elle tend uniquement à garantir les hommes mariés contre les éventualités fâcheuses résultant du recours à une classe antérieure pour complément du contingent d’une classe postérieure.
Pour écarter toute possibilité de fraude mon amendement exige comme condition du droit à l’exemption, « que le mariage devra avoir lieu avant le 1er janvier de l’année dans laquelle le numéro sera appelé. »
Avant le 1er janvier il n’est guère possible de prévoir qu’il faudra avoir recours aux classes antérieures pour compléter le contingent ordinaire de la classe subséquente. A cette époque, les miliciens qui doivent faire partie de cette classe ne sont pas même connus, l’inscription des jeunes gens ne se fait que du 20 au 28 janvier. Les mariages contractés avant cette époque sont donc à l’abri de toute suspicion de simulation, et par suite aucun abus ne sera possible.
J’ose espérer que mon amendement obtiendra un accueil favorable. Avec l’art. 1er de la section centrale, il formera un ensemble qui, tout en coupant court à l’abus signalé qui a été mis en pratique pour se soustraire aux obligations de la milice, n’entravera pas les mariages que les miliciens voudront contracter de bonne foi durant les cinq années qui suivront le tirage au sort.
Tandis qu’en écartant mon amendement, vous réprimerez, il est vrai, l’abus des mariages simulés, mais vous tomberez dans un inconvénient non moins grave, savoir celui d’empêcher d’une manière indirecte le mariage jusqu’à l’âge de 23 ans accomplis.
M. le président. - Deux amendements sont présentés par MM. Legrelle et Simons.
L’amendement de M. Legrelle est ainsi conçu :
« Par dérogation à la loi du 8 janvier 1817, les mariages qui seront contractés après la promulgation de la présente loi, avec des femmes de plus de 50 ans, ne dispenseront plus du service de la milice. »
M. Simons propose à l’art. 1er un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« Néanmoins, les miliciens appelés pour compléter le contingent d’une classe postérieure à celle à laquelle ils appartiennent peuvent faire valoir le droit à l’exemption pour cause de mariage, pourvu que ce mariage ait eu lieu avant le 1er janvier de l’année dans laquelle leur numéro sera appelé.
« Cette exemption ne sera accordée que pour un an. Il en sera justifié par la production :
« 1° de l’acte de mariage ;
« 2° d’un certificat de l’autorité locale constatant l’existence de la femme. »
- Cet amendement est appuyé.
M. Legrelle. - Je crois que je pourrais me dispenser de rien ajouter pour justifier mon amendement. Les honorables auteurs de la proposition nous ont signalé les abus qui la leur ont dictée. Ils ont voulu qu’un jeune milicien ne pût plus, à l’avenir, pour se soustraire au service, contracter mariage avec une femme de plus de 50 ans. C’est là un abus contraire à la morale ; comme MM. Gendebien et Seron, je veux y mettre un terme, mais je ne veux pas aller au-delà, je ne veux pas empêcher les mariages sérieux, je ne veux pas empêcher que les mariages qui n’en sont pas. C’est pour cela que j’ai reproduit la proposition de M. Seron.
- L’amendement de M. Legrelle est appuyé.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’amendement proposé par M. Simons et les développements qu’il y a donnés feraient croire que l’art. 1er de la loi a pour objet d’aggraver le sort des miliciens mariés après le tirage au sort. Eh bien ! c’est là une erreur ; car la disposition présentée n’a pour objet réel que de retirer l’exemption aux miliciens mariés avant l’inscription, avant le tirage au sort ; en effet, il a été suffisamment démontré que les miliciens mariés après l’inscription, après le tirage au sort, ne jouissent pas de l’exemption. Cependant M. Simons voudrait accorder une exemption qui serait une véritable modification à la loi sur la milice.
Les développements qu’il a donnés se présentent de prime abord sous un jour très spécieux. Mais pour peu que l’on y réfléchisse, on voit que cet amendement peut donner lieu à des abus très sérieux. Ainsi, le milicien appartenant à la classe la plus ancienne, qui connaîtrait par l’état d’épuisement des classes antérieures, que le premier appel qui sera fait devrait le frapper, cherchera, pour se soustraire à l’obligation de partir, à contracter un mariage le plus tôt possible. Quelle sera à l’égard d’un autre milicien la conséquence de ce mariage dont le but est de procurer une exemption à celui qui le contracte ? La conséquence sera d’obliger un autre à marcher à sa place.
Une autre conséquence sera d’avoir déterminé un mariage qui n’aurait pas eu lieu sans cela, et par conséquent un mariage qui probablement ne sera pas heureux ; sous ce rapport donc, on voit que la proposition de M. Simons peut amener des abus très graves.
Mais il est à remarquer qu’il est au pouvoir du département de la guerre de tempérer dans certaines circonstances extraordinaires la dureté de la loi. Si par conséquence un milicien a contracté mariage, ayant un numéro très élevé, lorsqu’il y avait impossibilité de prévoir qu’il sera jamais appelé, s’il a une famille, dans ce cas il dépend du ministre de la guerre de tempérer la rigueur de la loi en accordant des congés ; et je crois que c’est le seul remède que l’on puisse apporter ; car si vous accordez des exemptions, il est certain qu’une foule de mariages seront contractés dans le seul but d’obtenir exemption du service de la milice.
Quant aux congés, je ne dis pas que l’on doive en faire alors, il est évident que l’on ne devra en accorder que dans des cas rares et exceptionnels.
M. Pollénus. - Vous avez entendu par la lecture du tableau des mariages contractés en fraude de la loi, que la province de Limbourg ne figure en rien dans le tableau des mariages que l’on attaque en ce moment. Je ne serai donc pas accusé de défendre un intérêt de clocher en venant combattre la proposition de la section centrale.
Il me semble que le moment est bien peu favorable pour sanctionner un semblable projet de loi. Que pensera-t-on à l’étranger si l’on voit qu’en Belgique l’on est obligé d’inscrire dans nos lois de pareilles dispositions pour éviter que l’on arrive à se soustraire à l’obligation de la milice, en consentant à subir des conditions aussi dures que celles dont il s’agit ? Sous l’impression de cette seule considération, il me répugne d’admettre dans la loi une disposition semblable à celle de l’art. 1er. Mais, dit-on, il est nécessaire d’empêcher ces mariages précoces ; car M. le ministre des travaux publics vous a présenté cette considération. Mais si l’on veut empêcher les mariages précoces, il faut le faire franchement. Il faut attaquer le code civil. (Réclamations.)
Mais, messieurs, aux termes du code civil, un homme peut valablement contracter mariage à l’âge de 18 ans. Et l’article premier abroge en partie la disposition du code civil. Mais j’aimerai mieux que l’on marchât franchement au but, plutôt que de déguiser ses intentions et de parvenir au but d’une manière plus ou moins déguisée.
C’est, dit-on, aux mariages simulés que l’on en veut. Mais remarquez que la proposition de la section centrale, dans sa généralité, atteint aussi bien les mariages réels que les mariages simulés ; car, pour admettre le système de la proposition de M. Seron, il faudrait adopter la proposition de M. Legrelle. Ainsi vous limiteriez le remède au mal que l’on veut prévenir. Au contraire, par la proposition de la section centrale, vous atteignez non seulement les mariages simulés, mais encore ceux contractés par les personnes qui, en raison de leur âge, ne peuvent pas être présumées se prêter à un mariage semblable. Les inconvénients des mariages précoces présentés par le ministre des travaux publics n’empêcheront pas que ces mariages aient lieu. Ces mariages alors entraîneront avec eux toutes les conséquences qu’y attache la loi civile ; la femme sera obligée de suivre son mari. On peut avoir des enfants nés avant le mariage et légitimes par mariage subséquent. L’époux sera obligé de recevoir sa femme, de nourrir ses enfants ; car il n’appartient pas au gouvernement de prévenir les effets de la loi, dans le système des partisans du projet, il vaudrait donc mieux prohiber les mariages au lieu d’exposer les miliciens et les familles aux conséquences des mariages que l’on croit combattre par le seul effet de la suppression de l’exemption du service militaire.
Je dirai un mot de l’amendement proposé par M. Simons. Si je l’ai bien compris, l’adoption de cet amendement entraînerait à de graves abus.
Déjà, M. le ministre de l'intérieur en a signalé quelques-uns ; il a très bien démontré que le milicien voyant que son numéro va être appelé, contractera, en vue de se soustraire à l’obligation de la milice, un mariage qu’il ne contracterait pas s’il n’était pas dans le cas de se voir appliquer les lois sur la milice.
Cet inconvénient est réel. Permettez-moi de vous un signaler un autre. Il faut, pour jouir de la dispense, produire un certificat de l’existence de l’épouse. Mais il peut y avoir des enfants nés du mariage ; et alors la non-existence de l’épouse effacera le cas d’exemption. Mais ce devrait être un motif de plus pour accorder l’exemption ; car alors le veuf n’a pas seulement à remplir les devoirs de père, il faut qu’il remplace auprès de ses enfants les soins de l’épouse qu’il a perdue.
Je dis que, pour ma part, il me semble peu convenable de sanctionner un pareil projet de loi.
Si mes souvenirs sont fidèles, il a été question de réviser toute la législation sur la milice. Je crois que ce serait alors qu’il faudrait s’occuper de l’objet du projet de loi ; car nous sommes loin maintenant de la proposition primitive de M. Seron. Nous avons depuis lors marché à pas de géant. Il s’agit maintenant d’un système tout nouveau.
Je le répète, en terminant, une seule considération suffira pour me faire rejeter le projet. Je ne pense pas qu’il convienne dans le moment actuel, alors que l’on sait que la Belgique peut être attaquée, de sanctionner une loi d’où il résulterait que l’on est obligé de prendre des mesures pour empêcher de se soustraire à l’obligation de défendre l’indépendance nationale en faisant des mariages, tels que ceux dont on a parlé dans la province de Namur.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense que si on lisait seulement la liste des mariages contractés seulement dans la province de Namur, qui ont été signalés par M. Seron, cette simple lecture suffirait pour vous faire adopter la disposition de la loi proposée.
Je comprends qu’il ne convienne pas de donner lecture de noms propres qui toutefois ne seraient pas très connus. Mais, si l’on vous a dit que depuis 1834 jusqu’en décembre 1835, 68 individus ont épousé, à cause de la milice, des femmes de 75, de 80 et 95 ans, et que ces individus étaient âges seulement de 18, 19, 20, 21 ans, cela ne suffira-t-il pas pour vous faire adopter à l’instant le projet de loi présenté !
Je tiens en effet à la main le tableau des mariages par lequel des jeunes gens se sont fait exempter du service, et j’y vois que les femmes qu’ils ont choisies ont toutes plus de 60 ans, 66, 69, 71, 72, 75, 78, 80, 95 et même 99 ans et demi. (Hilarité générale.)
Tels sont les manèges qui ont eu lieu jusqu’en 1835 pour se soustraire au vœu de la loi, et il y en a encore eu plus de 20 semblables en 1836. Je comprends tout ce qu’il y a de bizarre dans de semblables faits, mais ils sont concluants. J’en tire la conséquence que l’exemption, actuellement légale, des jeunes gens mariés avant le tirage au sort, doit être retirée par la loi, et qu’en outre la circulaire de M. le ministre de l'intérieur doit être considérée comme déterminant le sens de la législation sur la milice, attendu que dans le tableau des mariages dont je viens de parler, j’y vois figurer les unions ridicules de jeunes gens de 22 ou 23 ans mariés après le tirage au sort, que dans la province de Namur on a considérées comme cas d’exemption. Il faut en un mot empêcher tous ces mariages scandaleux provoqués par la lâcheté, et dont la propagation est si contraire à la morale.
Mais, a-t-on dit, vous allez interdire les mariages de tous les jeunes gens : non, nous n’empêcherons pas ces mariages seulement ils ne seront plus un moyen honteux d’éluder la loi sur la milice avec le concours de vieilles femmes. Et n’est-il pas juste, messieurs, que tous les miliciens rentrent dans le droit commun, que ceux qui ne peuvent se faire remplacer et qui ont des sentiments honorables ne soient pas seuls astreints à supporter les charges de la milice ?
L’amendement présenté par M. Simons a été suffisamment combattu par M. le ministre de l'intérieur, qui vous a démontré les injustices dans lesquelles il entraînerait. En effet, on ne saurait équitablement appeler sous les drapeaux un individu ayant le numéro le plus élevé, parce qu’un autre individu, ayant un numéro plus bas, aurai contracté mariage.
L’amendement de M. Simons augmenterait d’ailleurs partout les mariages scandaleux, au lieu de les réprimer ; et il pourrait même amener fréquemment un tel résultat dans certaines communes, que le département de la guerre n’y trouverait plus les hommes nécessaires pour compléter le contingent.
Ces considérations, à la vérité très courtes, mais qui reposent sur des faits, me paraissent propres à détruire tous les arguments que l’on pourrait présenter contre la disposition de l’article premier proposée par la section centrale.
M. Liedts, rapporteur. - Je ne m’attendais pas à voir l’article premier, présenté par la section centrale, rencontrer tant de difficultés dans l’assemblée. A entendre certains orateurs, il semble que l’on ne veut pas se pénétrer des intentions qui ont dicté cet article, et que l’on ne veut pas voir le but auquel on désire atteindre. De la législation actuelle résulte, en règle générale, que le mariage n’exempte pas de la milice ; toutefois, la loi fondamentale avait fixé, à côté de cette règle générale, une exemption ridicule en faveur des miliciens qui s’étaient mariés immédiatement après avoir atteint leur dix-neuvième année, avant d’être inscrits sur le registre de la milice ou avant le premier janvier de l’année dans laquelle ils doivent concourir au tirage au sort, et c’est cette exemption que nous voulons faire disparaître.
Supposons qu’un jeune homme atteigne sa dix-neuvième année dans le courant de 1838, et se marie avant le 1er janvier prochain ; il sera exempt ; mais s’il ne se marie que dans le courant du mois de janvier, il ne sera plus exempt quoique marié ; c’est cette exemption réservée uniquement aux mariages précoces que nous avons voulu abroger, parce que l’expérience prouve qu’elle entraîne de graves abus sous plus d’un rapport et qu’elle est injuste de quelque manière qu’on l’envisage.
Nous ne voulons pas abroger l’article du code civil par lequel le mariage est autorisé généralement après la dix-huitième année ; nous ne défendons pas le mariage après la dix-huitième année révolue, ni à aucun autre âge ; mais nous voulons que tous les miliciens soient égaux devant la loi. Pourquoi ceux des membres de l’assemblée qui s’intéressent si fort aux jeunes gens mariés, ne présentent-ils pas un amendement tendant à faire exempter de la milice pour cause de mariage tous les miliciens, quel que soit l’âge auquel ils se marient ? Alors du moins tous les miliciens seraient sur la même ligne, et l’on ne refuserait pas aux uns une faveur qu’on accorde à d’autres.
M. Simons est venu dire que l’article de la section centrale donnerait lieu à de graves abus ; qu’il pourrait se faire que, deux ou trois ans après le mariage, ce milicien fût appelé sous le drapeau pour parfaire le contingent de l’année qui suit celle à laquelle il appartient : mais cet inconvénient existe dans tout système. Supposons que l’année 1836 n’ait pas assez d’hommes pour former son contingent, il faudra recourir aux années antérieures ; et si l’on y rencontre, dans l’ordre de la série, un homme qui s’est marié à vingt ans, eût-il quatre enfants, il faudra qu’il marche, tandis qu’il ne sera pas appelé si son mariage a eu lieu à 19 ans, et avant son inscription sur les rôles pour la milice. Je sais qu’avant la révolution il existait à ce sujet des instructions contraires, mais elles étaient contraires au texte de l’article 207 de l’ancienne loi fondamentale.
Je ferai encore observer que l’amendement de M. Simons va même plus loin que la législation actuelle qui n’exempte que les jeunes gens mariés dans leur dix-neuvième année et avant leur inscription, et qu’il pourrait donner lieu à de plus graves abus que ceux qu’on veut prévenir.
Je terminerai là les observations que j’avais à faire sur les amendements présentés et sur les objections dont le système de la section centrale a été l’objet.
M. le président. - L’amendement de M. Legrelle s’applique particulièrement à l’art. 2. La partie de l’amendement de cet honorable membre, qui se rapporte à l’art. 1er, a pour but d’exclure de l’exemption les jeunes hommes mariés à des femmes ayant plus de 50 ans.
M. de Brouckere. - Messieurs, l’art. 1er a pour but de prévenir un abus plus grave qui devient de plus en plus fréquents dans quelques provinces. Des orateurs ont suffisamment justifié la disposition présentée par la section centrale, et répondu aux objections élevées contre son admission, et je n’y ajouterai rien ; cependant je dois déclarer que je regrette de voir une discussion qui devait être courte et simple se compliquer de plus en plus par des amendements qu’on ne peut saisir à la simple lecture.
L’honorable M. Simons en propose un qui change tout l’économie de la loi ; cet amendement aurait dû être examiné par la section centrale ; il est impossible d’en prévoir la portée d’après un simple aperçu : on peut donc d’admettre des dispositions mal digérées ; je voterai contre l’amendement de M. Simons et contre tout amendement qui n’aurait pas été soumis à la section centrale. Il ne s’agit pas actuellement de réviser la législation sur la milice ; le seul but que nous nous proposons d’atteindre, c’est de prévenir un abus qui s’est multiplié dans ces derniers temps et qu’on ne connaissait pas autrefois ; bornons-nous à ce point, et ne compliquons pas la discussion de questions nouvelles.
M. Legrelle. - Je répéterai avec l’honorable préopinant : Remédions à un abus qui produit le scandale en se multipliant et renvoyons à une autre époque l’examen des diverses propositions qui ont été faites. Mais mon amendement s’applique à la question sur laquelle la section centrale a dû statuer et tranchant la difficulté, je persiste à penser qu’il doit être adopté. Je demande que l’exemption n’ait plus lieu pour les mariages avec des femmes au-dessus de cinquante ans ; je n’en veux pas davantage.
Vous voulez que le code civil continue d’exister dans toute sa plénitude ; eh bien ! je vous prouverai que si vous adoptez l’article qui vous est proposé, vous portez atteinte au code civil ; que, loin d’abolir un privilège, vous en établissez un. D’après ce qui existe maintenant, tous les jeunes gens peuvent se marier ; je ne vois là aucun privilège ; mais si vous adoptez la proposition qui vous est faite, ceux qui seront mariés ne seront plus exemptés de la milice, c’est-à-dire que la classe nombreuse des miliciens qui ne peuvent pas se faire remplacer, ne pourront pas se marier, tandis que les hommes favorisés par la fortune, les hommes qui ont toute espèce d’avantages sur leurs concitoyens, auront encore celui de racheter les dispositions de la loi et pourront à leur gré contracter mariage.
Je vous le demande, messieurs, où est le privilège ? Est-ce dans la législation existante (et dont je veux écarter l’abus qu’on a signalé), ou dans celle qu’on veut établir ? Si vous voulez y réfléchir un instant, vous verrez bientôt que le véritable privilège existerait dans la disposition que vous propose la section centrale.
Des jeunes gens, par exemple, qui ont été élevés ensemble depuis leur enfance, auront l’un pour l’autre une inclination qu’ils voudront légitimer par le mariage ; cette inclinaison aura peut-être déjà porté des fruits. (On rit.) Je suis fâché que la question soit de telle nature, que de quelque côté qu’on la tourne, on ne peut s’empêcher d’exciter l’hilarité ; mais cela ne doit pas m’interdire le droit d’attaquer une disposition que je considère comme immorale.
Je dis donc que d’après la proposition de la section centrale, ces jeunes gens ne pourront pas contracter mariage, ne pourront pas réparer leur faute à moins qu’ils ne soient en état de mettre un remplaçant. C’est là une véritable privilège en faveur des riches. On parle toujours des abus de l’inégalité, on répète à satiété que les pauvres supportent toutes les charges, tandis que les riches peuvent tout racheter, et l’on vient ici établir dans la loi une différence formelle entre le riche et le pauvre, différence tout à fait au désavantage de celui-ci ; on veut que le riche puisse se marier à l’âge de 18 ans, s’il le juge convenable, et que le pauvre ne puisse pas le faire ; si ce n’est pas là un privilège, il n’en a jamais existé.
M. Simons. - On a dit, messieurs, que mon amendement introduirait une innovation dans la législation sur la milice, et c’est là en quelque sorte la seule objection qu’on ait présentée contre ma proposition ; or, messieurs, c’est là une grave erreur, car la loi existante exempte aussi bien le milicien qui s’est marié après le tirage au sort que celui qui s’est marié avant ce tirage.
On m’a reproché d’avoir présenté mon amendement pour prolonger la discussion : non, messieurs, je l’ai au contraire proposé pour faire adopter la proposition de la section centrale, qui n’est pas goûtée par plusieurs membres de cette assemblée, parce qu’en effet elle entraîne des conséquences trop rigoureuses.
J’ai dit, messieurs, que d’après la loi actuelle, les miliciens qui se sont mariés après le tirage au sort, sont aussi bien exempts du service de la milice que ceux qui se sont mariés avant le tirage ; je vais le prouver. Où trouve-t-on l’exemption en faveur de ceux qui se sont mariés avant le tirage au sort ? Ce n’est pas dans la loi du 8 janvier 1817 ; ce n’est pas non plus dans celle du 27 avril 1820 ; c’est dans l’art. 207 de la loi fondamentale de 1815, et je défie qui que ce soit de citer un seul article des lois organiques de la milice qui contiennent l’exemption dont il s’agit. Or, voici ce que dit l’art. 207 de la loi fondamentale :
« Cette milice est formée, autant que possible, de volontaires, de la manière déterminée par la loi ; à défaut d’un nombre suffisant d’enrôlés volontaires, elle est complétée par la voie du sort. Tous les habitants non mariés au 1er janvier de chaque année, qui à cette époque auront atteint leur dix-neuvième année, sans avoir terminé leur vingt-cinquième, concourront au tirage. Ceux qui ont reçu leur congé ne peuvent, sous aucun prétexte, être appelés à un autre service qu’à celui de la garde communale, dont il sera parlé ci-après. »
Vous voyez donc bien, messieurs, qu’il ne s’agit pas seulement de ceux qui se sont mariés avant le tirage en sort, car on ne tire pas au sort à 23 ans, mais à 18, et que l’article exempte indistinctement du service de la milice tous ceux qui sont mariés soit avant le tirage au sort soit après. Eh bien, messieurs, je le répète, c’est là le seul article de la loi qui soit relatif à l’exemption des hommes mariés ; je défie qui que ce soit que d’en citer un autre.
Mais une explication a été donnée à cet article. Oui, messieurs, une explication a été donnée, et par qui ? Par le gouvernement sous lequel la législation sur la matière a été portée, et cette explication est tout à fait en ma faveur ; elle se trouve dans un arrêté royal du 22 avril 1822, qui porte ce qui suit :
« Un milicien des classes antérieures, dont le numéro est appelé par suite de l’épuisement de la première classe, peut être exempté comme marié, si son mariage a eu lieu avant le 1er janvier de l’année dans laquelle son numéro est appelé. »
Cet arrêté, messieurs, a été constamment exécuté : chaque fois qu’on a dû recourir à une classe antérieure pour compléter le contingent, les hommes mariés qui faisaient partie de cette classe antérieure ont toujours été exemptés en vertu de l’arrêté dont il s’agit, et qui est entièrement conforme à l’article 207 de la loi constitutionnelle de 1815.
Vous voyez donc, messieurs, que l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous présenter, n’introduirait pas une innovation dans la législation actuelle sur la milice, puisque l’exemption que je propose est formellement consacrée par cette législation.
Je crois, messieurs, que, pour éviter que la disposition qui vous est soumise, soit trop rigoureuse, exorbitante même, vous devez adopter mon amendement, qui mitige la rigueur de cette disposition en faveur de personnes qui auront contracté mariage après avoir payé leur dette à la patrie. Vous pouvez d’autant mieux le faire que l’abus auquel on veut parer n’est pas à craindre de la part des miliciens qui, après avoir été exemptés par la sort, sont dans les années suivantes fortuitement appelés à faire partie de la milice ; car on ne contracte pas facilement des mariages simulés, on n’a recours à ce moyen de fraude qu’à la dernière extrémité, lorsqu’on se voir en quelque sorte placé dans la nécessité de marcher ; or, si des jeunes gens qui sont appelés à tirer au sort peuvent s’attendre jusqu’à un certain point à devoir faire partie de la milice, ceux que le tirage a exemptés ne peuvent nullement prévoir qu’ils seront postérieurement demandés pour compléter le contingent d’une année subséquente à celle dans laquelle ils ont tiré au sort ; ils peuvent d’autant moins le prévoir qu’il arrive très rarement qu’on soit forcé de recourir à des classes antérieures, et je déclare pour ma part ne s’est pas encore présenté dans mon district.
L’honorable M. Pollénus a dit que mon amendement ne prévoit pas un cas qu’il a cité ; il a dit que si, par exemple, un milicien marié perdait sa femme et restait veuf à 4 ou 5 enfants, ce malheureux d’après mon amendement ne serait plus exempt du service de la milice, quoique, depuis la mort de sa femme, il serait cependant bien plus à plaindre que lorsqu’elle existait encore : l’honorable membre perd de vue qu’il y a dans la loi de 1817 un article positif qui règle cet objet ; c’est l’art. 94 (et ceci prouve encore que la disposition que je veux introduire dans la loi n’est pas une innovation) ; voici ce que porte un paragraphe de cet article, qui fait partie de l’énumération des personnes qui ont droit à l’exemption :
« Veufs ayant un ou plusieurs enfants, pourvu que ces enfants ne soient pas élevés dans des établissements de bienfaisance. »
Vous voyez donc, messieurs, que la craint de M. Pollénus n’est pas fondée, et que le milicien qui restera veuf avec des enfants, aura droit, aux termes de l’art. 94 de la loi de 1817, à l’exemption que je demande en faveur de ceux qui se seront mariés après avoir tiré au sort.
Vous voyez, en outre, que l’intention du législateur a été d’exempter, du service de la milice, les hommes mariés, soit avant soit après le tirage au sort, puisqu’il a été jusqu’à prévoir un cas qui n’était pas prévu par l’art. 209 de la loi fondamentale, mais qui en est une conséquence.
Je dis donc que mon amendement me paraît de nature à devoir être adopté, par le motif qu’il ne donnera pas lieu à des abus, et qu’il ne tiendra pas dans une position fâcheuse les miliciens qui, ayant payé la dette qu’ils doivent à la patrie, pourront contracter mariage, après que le contingent postérieur à leur classe aura été fourni ; ils ne seront pas obligés d’attendre qu’ils aient 23 ans accomplis pour pouvoir se marier.
On m’a répondu que M. le ministre de la guerre a le droit d’accorder des congés aux miliciens de cette catégorie ; mais, messieurs, ce sont là des abus dont, pour moi, je ne veux pas. Lorsqu’un individu a droit à l’exemption, c’est la loi qui doit la lui accorder ; je ne veux pas qu’on recoure à ce moyen pour favoriser des personnes qui doivent marcher ; je ne veux pas que M. le ministre de la guerre ait la faculté de renvoyer dans leurs foyers des miliciens qui, d’après la loi, doivent payer leur dette à l’Etat.
M. Desmet. - J’appuierai l’amendement de M. Legrelle, qui n’est que la reproduction pure et simple de la proposition de l’honorable M. Seron.
Messieurs, l’honorable M. Seron appartient à la province dans laquelle le plus grand nombre d’abus qu’il s’agit de réprimer ont été commis ; or, cet honorable membre doit savoir mieux que personne quel est le remède à apporter au mal ; vous avez vu, d’après le tableau dont M. le ministre des finances vous a donné lecture, que le plus grand nombre des femmes que des jeunes gens avaient épousées, pour se soustraire à l’obligation de la milice, ont dépassé l’âge de 60 ans. Je pense donc que l’amendement de M. Legrelle sera un remède suffisant pour corriger un abus qui n’a malheureusement lieu que dans une seule province, dans les autres on n’en entend aucunement parler.
Je dois cependant déclarer que si j’appuie cet amendement, c’est parce que je crois qu’il y a réellement abus car, pour ce qu’il concerne le principe de la liberté de mariage, je partage en tous points l’opinion de l’honorable M. Doignon, et je ne doute pas que ce principe soit reconnu de nous autres tous. L’honorable M. Seron l’a de même reconnu dans ses développements ; et si la disposition de l’article premier devait passer telle qu’elle vous est proposée par la section centrale, vous sanctionneriez une loi qui serait un véritable empêchement au mariage, que personne de nous ne veut, j’en suis certain ; et ainsi, en voulant prévenir ces abus, vous tomberiez dans un plus grand nombre.
M. Gendebien. - Après ce qu’ont dit le rapporteur de la section centrale, M. de Brouckere et d’autres membres qui ont complètement réfuté toutes les objections qui ont été faites, je croirais prolonger inutilement la discussion, si je m’étendais longuement sur la proposition qui nous occupe.
Mais je dois un mot de réponse aux honorables MM Legrelle et Simons.
M. Legrelle nos accuse de vouloir établir un privilège en faveur des gens riches, parce que, dit-il, les gens riches qui se marieront, pourront toujours se faire remplacer. Mais, messieurs, les gens riches peuvent toujours se faire remplacer ; s’il y a privilège, vous ne le ferez disparaître qu’en abolissant le droit de se faire remplacer. Ce n’est donc pas nous qui établissons un privilège ; mais ce privilège existe, en vertu de la loi ; et pour ma part, je serais très disposé à le faire disparaître.
M. Simons nous explique l’art. 207 de la loi fondamentale, de manière à jeter du doute dans les esprits sur la faculté qu’ont les miliciens de se marier même après avoir tiré au sort ; toute la question est de savoir si l’exemption s’arrête dès l’instant qu’on a tiré au sort ; or, messieurs, il suffit de s’appesantir sur deux mots de l’art. 207, pour détruire tout l’échafaudage dressé par M. Simons.
Voici un extrait de cet article :
« A défaut d’un nombre suffisant d’enrôlés volontaires, elle est complétée par la voie du sort. Tous les habitants non mariés au 1er janvier de chaque année, qui à cette époque auront atteint leur dix-neuvième année, sans avoir terminé leur vingt-cinquième, concourront au tirage. »
Concourent au tirage, la solution de la question est là : les habitants mariés avant le 1er janvier sont seuls dispensés de concourir au tirage.
Vous voyez donc bien, messieurs, que c’est simplement le mariage contracté avant le tirage au sort, qui donne droit à l’exemption.
Mais, dit M. Simons, il s’agit aussi de personnes qui ont 23 ans ; la disposition doit donc s’appliquer à d’autres qu’aux jeunes gens de 18 ans ; elle doit s’appliquer au mariage postérieur au tirage.
Cette explication, messieurs, tendrait à détruire la loi et ne peut, en conséquence, avoir aucune force.
Mais, messieurs, il y a une explication toute simple qui fera tomber celle de l’honorable M. Simons, et qui n’est pas destructive de la loi.
D’abord, lors de la discussion de la loi fondamentale en 1815, on a fait concourir plusieurs classes à la fois ; on a pris toutes les classes, même les militaires qui avaient servi en France depuis plusieurs années.
Ensuite il peut se présenter chaque année au tirage des individu qui ont plus de 18 ans, mais qui n’ont pas encore l’âge révolu pour être définitivement exemptés ; par exemple, des étrangers qui viennent résider en Belgique, des Belges absents ou récalcitrants, et d’autres catégories encore ; ceux-là tirent au sort avec les jeunes gens de 18 ans.
Voilà comment l’article s’explique naturellement, tandis que l’argumentation de M. Simons tend, je le répète, à détruire le texte de la loi.
Il a cité un arrêté du roi Guillaume. Il faudrait avoir cet article sous les yeux, et l’examiner dans son ensemble : il est très probable qu’on pourrait le concilier avec l’art. 207 de la loi fondamentale. Mais si cette disposition ne peut se concilier avec la loi fondamentale, il faut en conclure que l’arrêté est illégal ; car le roi Guillaume n’avait le droit de prendre des arrêtés que conformément aux lois et pour leur exécution.
Quant au changement de rédaction proposé par la section centrale, j’y donnerai mon assentiment ; je dois déclarer cependant que je considère l’amendement comme inutile. Ma proposition ne pouvait avoir d’effet rétroactif parce qu’elle est soumise à la règle universelle consacrée à l’art. 2 du code civil, qui établit la non-rétroactivité des lois. Ce principe, messieurs, défend au législateur comme au juge de changer ou modifier en quoi que ce soit les faits consommés avant leur promulgation. Le mariage contracté avant la promulgation de la loi est un fait, et la loi ne peut rien contre les conséquences d’un fait légalement consommé. Pas un tribunal ne pourrait se tromper sur mes intentions : lorsque j’ai parlé des mariages qui ne dispenseraient plus du service de la milice, j’ai entendu les mariages qui seraient contractés après la promulgation de la loi. Toutefois puisque la section centrale a pensé que ma proposition pouvait laisser des doutes, je ne vois aucun inconvénient à admettre la rédaction qu’elle a proposée. Il me suffit que cette rédaction soit claire.
Messieurs, je n’ai pas, pour ma proposition, une tendresse paternelle. Si on préfère la proposition de l’honorable M. Seron, je consens bien volontiers qu’elle remplace la mienne. Je dirais que je vois dans sa proposition, renouvelée par M. Legrelle, des avantages, mais aussi des inconvénients et en beaucoup plus grand nombre.
S’il peut se présenter des jeunes gens qui, cédant, comme le dit M. Legrelle, à une inclinaison précoce, ont contracté un mariage sérieux, et ont à 18 ans acquis leurs capacités physiques et pécuniaires suffisantes pour satisfaire à toutes les obligations du mariage, je dis que dans notre pays ces cas, ces exceptions, sont infiniment rares ; or, le législateur ne doit pas s’occuper des cas rares et qui n’arrivent presque jamais.
Si je prétends que la législature n’a pas à s’occuper de ces cas infiniment rares, je dirai en revanche, sans avoir la prétention d’être moraliste, que la législature ne peut encourager les mariages précoces qui sont souvent funestes et peuvent provoquer au libertinage et à l’immoralité.
Cette faculté donnée aux miliciens de se dispenser par le mariage peut leur laisser entrevoir une récompense et un prétexte à beaucoup de désordre. Si l’on s’est montré si sévère, si cruel même à l’égard des enfants trouvés, si on a dit que la suppression des tours pourrait servir d’avertissement aux hommes et aux femmes sur le point de se livrer au libertinage, il me semble qu’on devrait appliquer ici le même principe et dire : Les jeunes gens se livrant au libertinage n’auront pas l’espoir d’une récompense consacrée par la législature pour les résultats de ce libertinage ; les jeune filles s’abandonneront moins facilement aux promesses de mariage, lorsqu’elles sauront que la loi n’accorde plus rien aux fruits de précoces inclinaisons, selon les expressions de M. Legrelle.
En un mot, le moindre mal qui résulterait du maintien de la disposition actuelle serait de provoquer aux mariages précoces qui produisent rarement le bien, et souvent provoquent au désordre et au libertinage.
Je n’en dirai pas davantage sur cette matière qui est trop délicate. Je crois qu’en droit et en fait, il y a lieu d’admettre la proposition de la section centrale. (La clôture ! la clôture !)
M. le président. - Quelqu’un demande-t-il la parole contre la clôture ?
M. Doignon. - Je dois m’opposer à la clôture de la discussion. Il et indispensable de vous présenter quelques observations en réponse au tableau de mariage que M. le ministre vous a mis sous les yeux. Je ferai voir qu’on en a tiré de fausses conséquences.
- La clôture est mises aux voix et prononcée.
M. le président. - Je vais d’abord mettre aux voix l’amendement de M. Legrelle, qui est la reproduction de la proposition primitive de M. Seron.
- Cet amendement n’est pas adopté.
La proposition de la section centrale est mise aux voix et adoptée.
La disposition additionnelle proposée par M. Simons est mise aux voix. Elle n’est pas adopte.
« Art. 2. Par dérogation à l’art. 16 de la loi du 27 avril 1820, le fils unique légitime, qui est en même temps enfant unique, est assimilé au fils unique, et devra, pour obtenir l’exemption du service, produire le même certificat que celui-ci. »
M. le président. - M. d’Hoffschmidt se rallie-t-il à cette rédaction ?
M. d'Hoffschmidt. - C’est celle que j’ai présentée.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb). - Messieurs, à plusieurs reprises on vous a signalé le danger qu’il y a de toucher aux lois organiques ; l’article qu’on vous propose en est une preuve, il me sera facile de le démontrer. La modification dont il s’agit est en rapport avec un système, et ce système le voici : La loi a voulu faire quelque chose pour l’esprit de famille. L’article 94, messieurs, établit des exemptions de la manière suivante : Sur deux fils, un seul doit marcher ; sur trois, un seul encore ; sur quatre, deux, et ainsi de suite ; de manière que dans les cas de nombre impair, la famille l’emporte. Il est peut-être bon que je donne lecture de cette partie de l’article 94.
« mm (Est exempt pour un an) celui dont le frère unique ou demi-frère unique se trouve soit en personne, soit par remplacement ou substitution, en service actif dans la milice nationale, ou l’armée de terre ou de mer, dans un rang inférieur à celui de second lieutenant, ou qui serait désigné pour la milice. Si dans une famille les fils sont en nombre pair, il n’en sera appelé au service que la moitié ; si le nombre est impair, le nombre non appelé excédera d’un le nombre à appeler. On se conformera à cet égard, si la famille elle-même ne désire un autre arrangement, à la règle suivante : Le service actif d’un frère aîné soit en personne, soit par remplacement ou substitution, exempte également le troisième fils lorsqu’il n’y a que trois fils. S’il se trouve quatre, le service du second exempte le quatrième, etc., etc. »
Voilà donc ce que la loi a dit aux pères de famille ; à celui qui a deux fils, la loi en prend un ; à celui qui en a trois, elle n’en prend non plus qu’un, à celui qui en a quatre, elle en prend deux, et ainsi de suite. D’un autre côté, la loi dit aux pères de famille qui n’ont qu’un fils, enfant unique : A vous, je ne demande rien ; la loi en cela a été équitable, et il était juste qu’elle accordât cette exemption d’une manière absolue. Voyez où vous serez conduits si vous adoptez l’article qu’on vous propose ; au père de famille qui a deux fils, vous n’en demandez qu’un, à celui qui en a trois, vous n’en demandez qu’un, et à celui qui n’en aurait qu’un vous lui prendriez tout ce qu’il a !
Le législateur n’a pas voulu demander à un père tout ce qu’il a : il lui a dit : si vous n’avez qu’un enfant, je ne vous demanderai rien ; de même aux pères de famille plus heureux, je ne demande pas tout ce qu’ils ont ; je leur demande progressivement un seul sur deux, et même sur trois, quand le nombre est impair, je ne demande que la moitié moins un ; la loi est donc conçue dans un esprit de famille.
Ainsi, au père qui n’a qu’un enfant, vous ne pouvez demander tout ce qu’il a ; en prenant son enfant unique, vous lui demanderiez autant que vous demandez au chef de famille qui a deux, qui a trois fils.
Il me semble évident que vous ne pouvez toucher à l’exemption dont il s’agit, sans toucher à tout le système. Et ce serait une chose grave que de rechercher jusqu’à quel point tout ce système doit être changé. Je ne puis donc accepter l’article proposé, à moins qu’on ne me démontre que je me trompe, et que la disposition dont il s’agit n’atteint pas l’ensemble de la loi.
Je sais qu’on soutiendra que cette exemption ne profite qu’aux riches. Mais c’est là une erreur ; elle profite à tout le monde. En effet, par quels tableaux statistiques est-il démontré que les fils uniques, enfants uniques, ne se trouvent que dans les hautes régions de la société.
Il s’en trouve dans tous les rangs, et c’est surtout dans l’intérêt des classes moyennes qu’on doit maintenir l’exemption. Voici ce qui arrivera si vous adoptez l’article proposé : un père de famille de la classe moyenne d’une part ne pourra pas constater que son fils unique lui est indispensable pour son soutien ; d’autre part il ne pourra pas non plus faire les frais d’un remplaçant ; son fils, son enfant unique, devra le quitter. C’est la classe moyenne que nous atteignons, ce sont toutes les positions intermédiaires entre le pauvre et le riche que vous frapperez. C’est une considération particulière que j’ajoute aux considérations de principes que j’ai développées en commençant.
M. le président. - M. Legrelle propose d’ajouter à l’art. 2 la disposition additionnelle suivante :
« Cette disposition n’est applicable qu’aux tirages futurs. »
M. Legrelle. - Cet amendement ne doit pas faire préjuger que mon opinion est favorable à l’art. 2 ; au contraire, je trouve par les motifs développés par M. le ministre des travaux publics que cet article est injuste en ce qu’il frappe la classe moyenne, que l’auteur de la proposition me paraît avoir perdue de vue ; il a pour but de frapper les riches ; mais les riches ont le moyen de faire remplacer leurs fils, les pauvres jouissent de l’exemption en ce que leur fils unique est assimilé à l’enfant unique par le projet ; ce n’est donc que celui qui n’est ni riche, ni pauvre, c’est-à-dire la classe moyenne, la classe la plus nombreuse, que vous frapperez réellement ; vous devez donc rejeter cette disposition.
Pour le cas seulement où elle serait adoptée, je demanderai qu’elle ne soit pas rétroactive.
M. Dubois. - Messieurs, d’après les lois sur la milice, qui depuis vingt ans nous régissent, le fils unique légitime qui en même temps est enfant unique a droit à l’exemption du service militaire. On vient de vous dire qu’à l’art. 94 de la loi de 1817 se trouve la disposition suivante : « Si, dans une famille, les fils sont en nombre pair, il n’en sera appelé au service que la moitié ; si le nombre est impair, le nombre non appelé excédera d’un le nombre à appeler. » Ainsi, le fils unique comme le fils enfant unique, étaient exempts. Le législateur, en réglant la part que chaque famille doit faire à ses affections, pour la sacrifier à la défense de l’Etat, n’a pas voulu qu’un père, qu’une mère, pussent jamais se trouver dans le cas de se voir enlever leur dernier, leur unique héritier, l’objet de tous leurs soins, de toute leur sollicitude, celui qui dont les consoler dans leurs vieux jours. En 1820, on changea ce système : le fils unique qui en même temps est enfant unique trouva seul grâce devant la loi, seul il eut droit à l’exemption. Ce fut à mon avis une erreur ; on oublia tous les égards que l’on doit à la famille.
Cependant un honorable collègue a cru trouver dans cette exception, réduite à ses derniers termes et qui, je ne crains pas de le répéter, trouve sa raison dans des considérations de morale publique, une lésion aux droits de tous, et une cause d’injustice qui se répètent tous les ans.
N’ayant trouvé nulle part l’exposé des motifs qui ont déterminé l’honorable M. d’Hoffschmidt à émettre cette opinion j’ai eu recours à un discours qu’il prononça dans la séance du 19 mars 1835 et j’y ai lu : « Je la trouve injuste (la disposition qui exempte les enfants uniques) parce qu’elle s’applique aux enfants uniques des familles riches, comme à ceux des pauvres. »
C’est dans cette séance qu’il a déposé sur le bureau le projet qui vous est soumis ; projet par lequel il espère rétablir l’égalité des charges et obvier à une flagrante injustice.
Quant à moi, s’il fallait présenter un changement quelconque, j’aurais préféré un retour vers le système de 1817 ; mais un raisonnement inexact n’a jamais fourni, je crois, une conclusion heureuse.
Et en effet, messieurs, n’est-ce pas une singulière manière de raisonner que de dire qu’une loi est injuste parce qu’elle s’applique aux riches comme aux pauvres ? N’est-ce pas porter atteinte au caractère distinctif de toutes nos lois modernes, dont la première condition est d’être égales pour tous ? N’est-ce pas en un mot, chercher l’iniquité là où il y a réellement justice ? L’erreur de l’honorable M. d’Hoffschmidt vient de ce qu’il n’a pas considéré qu’il y a autre chose dans la société que des riches et des pauvres. Il a omis de tenir compte de la classe moyenne, de cette classe qui est la plus nombreuse et sur qui pèsent particulièrement tous les impôts, toutes les charges de l’Etat. Il a oublié que c’est à elle surtout qu’il faut avoir égard dans la confection des lois, que c’est elle que le législateur eut en vue lorsqu’il formula l’exception qu’on dit injuste, parce qu’on ne trouve que des pauvres à opposer à la classe riche qui en profite.
A qui ne voit dans la société que des riches et des pauvres, toutes les lois doivent paraître injustes. Quelle est, par exemple, la loi fiscale qui atteigne également l’homme riche et l’individu pauvre ? Quel est le législateur criminel qui, pour un même délit, a trouvé une peine qui frappe également deux classes de citoyens qui sont séparés de toute la distance qu’il y a d’un sujet riche à un sujet pauvre ? Toute peine, tout impôt qui est solvable avec de l’argent atteint toujours inégalement l’homme pauvre et l’homme opulent ; et pour ne pas m’écarter du sujet qui nous occupe, je dirai hardiment que pour être conséquent avec son principe, l’honorable auteur de l’art. 2 aurait dû demander qu’on effaçât de nos lois de milice une exemption qui à la vérité est encore une fois propre à tous, mais qui par sa nature met le riche presque entièrement en dehors des atteintes de la loi : je veux parler de la faculté que tout citoyen a de se faire remplacer.
Franchement, s’il est vrai, et j’en conviens le premier, qu’il y a quelque chose de choquant dans une disposition qui dispense du service l’enfant unique d’un riche, la disposition qui permet même à ce riche de payer avec de l’or ce que son concitoyen ne peut payer qu’avec son propre sang est encore beaucoup plus choquante ; elle est encore plus cruellement absurde ! Et cependant, messieurs, vous souffrirez encore qu’un père puisse racheter son fils, parce que cette question intéresse l’immense majorité de vos concitoyens, que vous frapperiez au cœur et que vous plongeriez dans le désespoir.
Aussi j’ai assez de foi dans votre prudence et dans votre justice, messieurs, pour croire que vous jugerez que les deux cas présentent une analogie parfaite et qu’ici vous ne vous arrêterez pas davantage à quelques considérations particulières, à quelques inconvénients qui sont inséparables de toute loi de cette nature.
M’objectera-t-on que l’enfant unique jouira des mêmes droits à l’exemption que le fils unique pourvoyant à la subsistance de ses parents ? mais, encore une fois, cette triste garantie peut-elle donner un apaisement convenable à ces familles si nombreuses de la classe moyenne ? Qu’il me suffise, messieurs, pour vous convaincre du contraire, que je vous rappelle les conditions exigées pour obtenir d’un bourgmestre de commune le certificat nécessaire dans cette circonstance. Ce certificat doit porter que « par le travail de ses mains » le fils pourvoit à la subsistance de ses parents ; que ceux-ci n’exercent aucune profession, aucune industrie, aucun commerce ; qu’ils n’ont aucun autre moyen d’existence. Ces conditions, messieurs, sont dures, et, à ma connaissance, elles ont été toujours strictement stipulées. Vous vous rappellerez que pour adoucir la rigueur de la loi, vous avez décrété il y a deux ans qu’à l’avenir on pouvait s’abstenir d’y mentionner que les parents des nécessiteux eussent reçu un nom des secours de la table des pauvres. Quel est le nombre des individus miliciens qui échappent à la faveur d’une pareille loi ? Il est bien petit, messieurs. Le remède est inefficace pour le mal.
Je crois donc pouvoir vous dire que, par l’adoption de la mesure qui vous est présentée, vous aggraveriez le sort des familles. Que, pour vouloir être trop justes, vous pourriez bien encourir le reproche d’être iniques.
Oui, messieurs, cette majorité dont je vous parlais tout à l’heure vous demande que vous n’alliez pas détruire entièrement la disposition déjà si malheureusement tronquée par la loi de 1820. Elle vous demande qu’à l’avenir les pères de famille ne soient pas obligés de consentir aux plus grands sacrifices, de s’imposer les plus rudes privations pour soustraire leurs enfants uniques aux charges de la milice ; et cela, parce qu’il y a quelque part un riche ou deux qui, en même temps qu’eux, profitent de ce privilège, aux dépens d’un pauvre qui quelquefois est heureux de trouver à l’armée les vêtements et la nourriture dont il manquait chez lui.
Je voterai contre l’article 2.
M. Lejeune. - Après ce que vous a dit M. le ministre des travaux publics, mes observations seront fort courtes, je ne pourrais donner mon assentiment à l’art. 2 proposé par la section centrale. C’est une disposition toute contraire à cet article que je voudrais voir adopter.
Quel a été le motif principal de la disposition qu’on veut proposer ? Je lis dans le rapport, à la partie qui concerne cet article :
« Il y a en effet quelque chose qui offense le bon sens, lorsqu’on voit l’enfant unique d’une famille opulente se soustraire à la loi commune et faire retomber la charge sur le fils unique d’un pauvre artisan, parce que celui-ci n’est pas enfant unique et ne peut justifier qu’il est indispensable à ses père et mère. »
C’est là, messieurs, le principal motif, sinon l’unique, que j’ai trouvé pour justifier cette innovation. Je conviens que l’inconvénient signalé existe ; mais je ne pense pas le remède soit bien choisi.
Je voudrais aussi, autant que l’auteur de la proposition, autant de la section centrale, atteindre le riche. Mais l’atteignez-vous pas cet article ?
Qui souffrirait par cette disposition ? Est-ce la classe riche et opulente de la société ? Non : la classe opulente se soustraira toujours, par une poignée d’argent, au service militaire. Ce ne serait pas non plus la classe pauvre ; car dans la classe pauvre, le fils unique sera toujours le soutien de sa famille. Mais c’est la classe moyenne, la classe médiocre que vous frapperez au cœur, cette classe de citoyens, sur laquelle pèsent de tout leur poids toutes les charges de l’Etat. Cette classe verra marcher ses enfants si elle est dans l’impossibilité absolue de les faire remplacer ; sinon, cette classe se ruinera le plus souvent pour conserver un enfant unique.
J’ai commencé par dire que je voudrais une disposition contraire à celle du projet. Ce serait, messieurs, pour revenir au principe qui domine tout la législation sur la milice ; ce serait pour revenir à ce qui existait sous l’empire de la loi de 1817 qui, à mon avis, a été malencontreusement modifiée par l’article 15 de la loi de 1820.
Le principe de la législation sur la milice vient d’être développée par l’honorable ministre des travaux publics. Il a dit que ce n’est que la moitié du nombre des fils de famille que la loi demande et, lorsque le nombre est impair, on ne devrait pas le demander. Je voudrais que ce principe fût rétabli, non seulement pour l’enfant unique, mais encore pour le fils unique, qu’il soit ou non enfant unique.
Je suis tellement convaincu qu’on n’aurait jamais dû s’écarter de ce principe que je proposerai un amendement dans ce sens.
Voici l’amendement que j’ai l’honneur de déposer sur le bureau :
« Par dérogation à l’article 15 de la loi du 27 avril 1820 (Journal officiel, n°11), le fils unique légitime, enfant unique ou non, sera dans tous les cas exempté pour un an. Il en justifiera par le certificat littera N prescrit par la loi du 8 janvier 1817, qui contiendra à cet effet qu’il est fils unique légitime. »
Je ne prétends pas, messieurs, que cet amendement soit à l’abri de tout inconvénient. Mais je suis persuadé que les inconvénients qui peuvent en résulter sont infiniment moindres que ceux qui résultent de la disposition proposée.
Ce n’est pas maintenant que nous devons remédier à tous les inconvénients de la législation sur la milice ; ce sera lorsque nous ferons une révision générale de cette législation. Alors, vous remédierez à tous les inconvénients s’il est possible, car je crois qu’un grand nombre des inconvénients que l’on a signalés existeront toujours ou qu’il sera au moins très difficile de les faire disparaître sans en créer de nouveaux.
M. le président. - La parole est à M. Frison.
M. Frison. - Le rapport de la section centrale me paraît avoir été victorieusement combattu par les orateurs qui ont parlé, et notamment par M. le ministre des travaux publics. Je crois donc devoir m’abstenir de prendre la parole.
M. Milcamps. - L’article 16 de la loi du 27 avril 1820 exempte de la milice le fils unique qui est en même temps enfant unique. Je n’ai jamais entendu contester en thèse générale la justice de cette disposition. Si elle a soulevé des réclamations ce n’est qu’à l’égard du fils de l’homme riche. Avant 1820 l’exemption s’étendait même au fils unique qui avait des sœurs.
Quant au fils unique qui est en même temps enfant unique, je reconnais qu’il serait par trop dur de l’obliger à servir en personne, c’est-à-dire, comme le fait remarquer la section centrale, de ravir à des époux le seul fruit de leur union.
Cependant on vient vous proposer de modifier l’art. 16 de la loi du 27 avril 1820 dans le sens que le fils unique qui est en même temps enfant unique sera assimilé au fils unique et devra, pour obtenir l’exemption provisoire, produire le même certificat que celui-ci.
Ce qui signifie, messieurs, que le fils unique qui est en même temps enfant unique, n’obtiendra l’exemption que dans le cas où il pourvoira, par le travail de ses mains, à la subsistance de ses parents, qui, privés de son secours, n’auraient aucun autre moyen d’existence.
J’admets que la modification proposée est bonne sous certains points de vue : du moment de son adoption, on ne verra plus des fils uniques de parents riches, ou aisés, échapper au service de la milice ; ils seront, s’ils veulent éviter le service en personne, obligés à se faire remplacer, ils ne feront plus peser sur d’autres moins fortunés qu’eux, une charge qu’ils peuvent éviter par quelques sacrifices pécuniaires. Mais c’est là, messieurs, le bon côté de la loi proposée.
Voici maintenant le mauvais côté ; et ici je suis obligé de répéter ce que d’autres orateurs ont déjà dit.
En adoptant l’art. 2 du projet de loi tel qu’il est proposé, vous allez soumettre à l’obligation de servir en personne le fils unique qui est en même temps enfant unique, qui ne pourvoit pas, par le travail de ses mains, à la subsistance de ses parents, mais dont les parents n’ont pas assez de fortune pour le faire remplacer, on ne pourrait le faire qu’en sacrifiant leur faible fortune.
Mais c’est le plus grand nombre d’enfants uniques qui sont dans ce cas, car à l’âge de la milice, la plupart des enfants d’artisans et d’ouvriers honnêtes apprennent un métier, ils ne gagnent rien, ils ne pourvoient pas par conséquent à la subsistance de leurs parents, et cependant, messieurs, cette dernière condition est nécessaire pour que, d’après la loi en discussion, l’enfant unique puisse jouir de l’exemption.
Pour moi, je pense qu’il faut rejeter l’article ; que cependant, si l’on veut modifier le principe qui exempte l’enfant unique du service de la milice, il faut adopter un mode de certificat tel qu’il en résulte qu’il n’y aura que les enfants uniques de parents riches ou aisés qui ne jouiront pas de l’exemption.
On pourrait, par exemple, soumettre l’enfant unique à l’obligation de justifier que ses père et mère ou aïeux ne paient en contributions foncière, personnelle, mobilière et patente qu’une somme inférieure ou égale au cens électoral exigé dans la commune de son domicile, et qu’il rapporte en outre une déclaration délivrée par le conseil communal de son domicile constatant que ses père et mère ne pourraient lui donner un remplaçant dans la milice dans se réduire à un état de gêne voisin de l’indigence.
Je ne propose pas d’amendement, mais j’espère que l’article 2 du projet sera rejeté ou tout au moins renvoyé à la section centrale, par suite de la présente discussion ; car tel qu’il est rédigé, l’article 2 ne me paraît pas devoir être adopté.
M. d'Hoffschmidt. - Lorsque j’ai présenté l’amendement qui fait l’objet de la proposition de la section centrale, je ne me suis pas dissimulé que cette question offrait de grandes difficultés à vaincre. J’ai signalé en peu de mots un abus qui selon moi est fort grave : celui consistant en ce que les enfants uniques de parents riches ne satisfont pas aux lois sur la milice ; ils sont exempts de la charge qui est bien la plus forte que l’on puisse imposer. C’est l’impôt du sang.
En faisant ma proposition, j’ai pensé que si l’on voulait la combattre comme étant d’une application trop générale, le meilleur moyen était d’y substituer une proposition qui atteignît les inconvénients qui avaient été signalés. Ces inconvénients on ne saurait les nier et je les avais prévus aussi bien que les préopinants ; mais je m’attendais à voir surgir des propositions pour les prévenir, et c’est ce que les opposants n’ont pas fait ; et en effet, il est plus facile de signaler des inconvénients que d’y remédier.
M. le ministre des travaux publics a combattu ma proposition par une question de principe. Il a dit que la législation adoptée dans l’art. 94 de la loi de 1817 n’appelait qu’un enfant sur 3, 2 sur 5, etc. Par là il a voulu faire voir qu’on laissait à chaque famille plusieurs fils selon leur nombre ; mais, messieurs, il est évident que le législateur a voulu par là répartir sur toutes les familles la charge de la milice. Sauf qu’il a admis une exception qui est toute en faveur de la famille qui a un enfant unique, car cette famille ne participe pas à cette charge qui est une dette pour tous. Or, cela est d’autant plus injuste que les familles riches ont plus que les autres intérêt à ce que notre pays soit bien défendu.
On a dit que la classe moyenne, cette classe intéressante (comme l’a dit fort bien M. Legrelle) serait frappée par ma disposition : j’en conviens. Mais alors qu’on modifie cette proposition, devenue celle de la section centrale ; mais au lieu de l’amender on se borne à l’attaquer. J’attendais autre chose des honorables préopinants qui tous sont convenus que quant aux riches l’abus existe.
Il y a peut-être un moyen de concilier les opinions à cet égard, et je regrette que la commission à laquelle cette proposition a été renvoyée ne se soit pas livrée à cet examen. Peut-être serait-elle parvenue à exempter de cette charge la classe moyenne. Je proposerai dans ce but un amendement. Comme on est à la fin de la séance la chambre pourrait d’ici à demain le méditer ; si toutefois on ne vote pas la loi aujourd’hui ; si ce vote devait avoir lieu je retirerais cette proposition que je viens de rédiger à l’instant.
Mon amendement est ainsi conçu :
« Par dérogation à l’art. 16 de la loi du 27 février 1820, le fils unique en même temps enfant unique cesse d’être exempté du service de la milice.
« Néanmoins l’enfant unique de parents qui ne paient pas depuis 5 ans en contribution personnelle et foncière le taux voulu par la loi du 3 mars 1831 pour être électeur, continueront à jouir de l’exemption en produisant le certificat conforme au modèle annexé à la présente loi. »
Dans ce modèle je dis que celui qui veut être exempté doit prouver que par le travail de ses mains, il contribue à l’entretien de ses parents, afin que le rentier qui ne paie pas de contribution ne puisse profiter de l’exception proposée. M. Milcamps a, comme les orateurs qui l’on précédé, exprimé le vœu que la disposition n’atteigne pas la classe moyenne, et a dit que pour atteindre ce but, un cens quelconque devrait déterminer le point où l’on devrait s’arrêter. Mon amendement satisfait à cette opinion qui m’a déterminé à le déposer sur le bureau. Je ne vous répéterai pas les arguments que cet honorable membre vient de faire valoir.
Je regrette que l’honorable ministre des travaux publics ait cru devoir combattre ma proposition, qu’il eût pu améliorer afin de faire disparaître un privilège exorbitant au moins pour les familles opulentes, privilège qui fait murmurer ceux qui doivent quitter leurs parents pauvres pour prendre les armes, en lieu et places des enfants uniques riches que la loi favorise tandis qu’ils pourraient se faire remplacer.
Vous voyez que, par mon amendement, j’ai fixé le cens à la même hauteur que celui qui est déterminé par la loi électorale de 1831 ; je n’ai compris que la contribution foncière et personnelle, pour ne pas atteindre les artisans ; j’ai exigé que ces contributions fussent payées depuis cinq ans, afin qu’on ne pût éluder la loi par des ventes simulées.
M. Liedts. - Messieurs, dans le sein de la section centrale, j’ai fait partie de la minorité, c’est-à-dire que je fais partie du nombre de ceux qui ont combattu la proposition de l’honorable M. d’Hoffschmidt. Mon opinion à cet égard se trouve résumée dans le rapport que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre ; et tout ce que j’ai entendu dire depuis ne me fait pas changer d’avis.
Je crois que le principe fondamental, en matière de milice, est de n’exiger de chaque famille qu’une partie de ses enfants ; aux preuves alléguées par le ministre relativement à ce point, on peut ajouter celles tirées de la législation elle-même : elle exempte, en effet, le frère d’un aveugle, parce qu’elle regarde comme injuste d’arracher à une famille le seul enfant qui, en quelque sorte, lui reste.
Aucunes voix ne sont élevées pour défendre la proposition faite par M. d’Hoffschmidt, et cette honorable membre l’ayant abandonnée, il est inutile d’insister pour la faire écarter ; mais il vient de déposer une autre proposition tendant à remédier aux abus qui naissent de la législation actuelle : ne pouvant atteindre l’enfant du riche, il voudrait que le riche fût passible d’une contribution quand son fils est exempté. Je vois plus d’un inconvénient à cet amendement, et ils me paraissent suffisants pour le faire rejeter, du moins quant à présent. Il ne s’agit pas de réviser la loi générale ; ce n’est pas là l’objet que nous nous proposons ; et alors même qu’il sera question de cette révision, il faudra y regarder et deux fois avant d’exempter le fils du riche moyennant contribution : le service de la milice devant être personnel, ne serait-ce pas détruire toute égalité que de permettre l’exemption moyennant une somme à payer ? Mais supposons que ce moyen ne soit pas contraire à l’égalité qui est le principe de nos institutions, examinons si on propose de l’appliquer à tous les cas où il pourrait être applicable.
Le riche dont le fils est myope et qui le fait exempter pour ce motif ne serait-il pas juste qu’il payât aussi une contribution ? Il ne serait pas difficile de citer d’autres faits analogues. Ces réflexions ont moins pour objet de combattre l’amendement en lui-même que de faire voir combien il serait dangereux de faire maintenant des modifications partielles à la loi sur la milice. Si plus tard on veut provoquer une révision de cette législation, alors on pourra introduire beaucoup de changement ; mais comme on fera un travail d’ensemble, les parties en seront coordonnées et complétées.
Ce que je dis pour écarter la proposition de l’honorable M. d’Hoffschmidt s’applique à la proposition de M. Lejeune : ce dernier voudrait étendre l’exemption au fils unique quand même il y aurait d’autres enfants dans la famille ; mais si l’exemption du fils unique dont les parents sont riches donne déjà lieu à des plaintes, toute extension de cette exemption serait loin de les faire cesser. Vous voyez donc que tout ce que l’on propose maintenant est incomplet.
Bornons-nous donc à une seule modification et renvoyons les autres à une révision générale de la législation concernant la milice.
Je voterai contre la proposition de M. d’Hoffschmidt, contre celle de M. Lejeune, et contre tout autre qui aurait pour but d’introduire des modifications dans les lois sur la milice.
M. Zoude. - Je viens aussi m’opposer à l’art. 2, parce qu’il ne porte que sur des exceptions.
Il est de fait qu’un fils, enfant unique, parvenu à l’âge de la milice, est un cas rare, qu’il est fort rare aussi que ce fils soit dans une position aisée, et qu’il serait enfin plus rare encore que cet enfant unique fût désigné par le sort.
Ainsi, pour qu’il y ait lieu à l’application de la loi, il faudrait la réunion de ces trois circonstances exceptionnelles.
Mais quelle sera l’autorité chargée de déterminer l’aisance nécessaire pour exclure l’enfant unique de la faveur de la loi qui nous régit ? Quel moyen emploierez-vous pour prévenir l’arbitraire, le mauvais vouloir, éviter que celui qui est appelé à juger ne soit directement ou indirectement intéressé à prononcer défavorablement pour sauver les siens ou ceux de ses appartenants ; et ce serait pour éviter la possibilité d’un abus que vous iriez courir le risque de les multiplier.
C’est ainsi, messieurs, que l’on s’exposerait à renverser la disposition bienfaisante de la loi qui veut qu’un enfant unique soit laissé pour la consolation et l’appui de ses parents.
L’honorable ministre des travaux publics, ainsi que le rapporteur de la section centrale, viennent de vous démontrer que cette dérogation qu’on vous propose d’introduire à la loi, sera d’autant plus dire que dans le cas même de trois enfants, on en conserve deux au père.
D’ailleurs, messieurs, on a dit à la chambre, dans bien des circonstances, que l’on ne faisait pas de loi pour des cas exceptionnels ; je prie la chambre de persister dans cette sage détermination, où au moins d’adopter la proposition des 1ère et 6ème sections, qui sont l’ajournement de cette proposition jusqu’à l’époque de la révision générale des lois sur la milice.
M. de Jaegher. - Je ne veux pas revenir sur l’article second ; je veux combattre l’amendement proposé par M. Lejeune qui, d’ailleurs, est trop compliqué pour être susceptible d’une discussion immédiate. La loi sur la milice est sans doute défectueuse ; elle a surtout l’inconvénient d’avoir provoqué plusieurs décisions et circulaires ministérielles qui se contredisent ; mais il faut une révision générale pour la modifier convenablement. Quant à l’amendement de l’honorable M. Lejeune, il est incomplet ; en effet, quelle sera la décision d’un conseil de milice à l’égard de celui qui, n’étant que fils unique, sans être enfant unique, aura perdu ses parents ? Je pose cette question, j’en pourrais poser d’autres ; et ces questions montreraient que la législation sur la milice doit subir un bien plus grand nombre de modifications que celle que l’on propose.
M. Lejeune. - Permettez-moi, messieurs, de répondre quelques mots aux objections faites contre mon amendement. On vous dit que mon amendement serait une innovation ; mais pas du tout, ce n’est pas une disposition nouvelle ; c’est un article qui serait en concordance avec toutes les dispositions des lois sur la milice ; puisque c’est le rétablissement d’un article abrogé de la loi de 1817. C’est pour revenir au principe qui domine toute la législation sur la milice. Ce n’est donc rien moins qu’une innovation.
Je veux revenir sur une disposition de la loi de 1820, qui forme exception au système de la législation sur la milice. Je vous ferai remarquer, messieurs, que l’exception que je veux faire révoquer a été assez mal accueillie aux états généraux dès le moment de sa présentation.
Je n’ajouterai qu’une seule observation : c’est que tout en rentrant dans le principe général qui domine la législation sur la milice, on prendrait une décision favorable aux familles. Je n’entrerai pas dans de nouveaux détails sur cette dernière proposition ; elle a été développée par M. le ministre des travaux publics. Je bornerai là mes observations. (La clôture ! la clôture !)
M. d'Hoffschmidt. - Je retire le dernier amendement que j’ai proposé. En le présentant, je croyais qu’on l’examinerait ; mais comme on se dispose à voter à l’instant même, je n’insiste pas ; d’ailleurs comme on a parlé de révision générale, si on prend réellement cette détermination, je ferai alors valoir mes observations.
- La chambre clôt la discussion.
L’amendement de M. Lejeune est rejeté.
Il en est de même de la proposition de M. Legrelle.
M. le président. - Il y a encore la proposition de M. Pirson, mais avant de la mettre en discussion, je crois devoir donner lecture d’une disposition transitoire qui vient d’être proposée par M. Liedts ; elle est ainsi conçue :
« Ceux dont les publications de mariage auront été faites avant l’époque à laquelle la présente loi sera obligatoire, jouiront de la dispense accordée par la loi du 8 janvier 1817, pourvu que le mariage ait lieu dans le mois de la dernière publication. »
M. Pirson. - Ce que je demande, messieurs, n’est point une dérogation à la loi, mais au contraire un moyen de l’exécuter ; le frère de celui qui sert ou qui a un remplaçant est exempt ; il n’y a plus de doute à cet égard ; si le remplaçant de son frère déserte, celui-ci doit mettre un nouveau remplaçant, c’est encore bien positif. Mais, messieurs, voici un cas tout particulier que j’ai déjà eu l’honneur de faire connaître à la chambre, il y a deux ou trois ans, et qui, je crois, a mis le ministre de la guerre dans un grand embarras : Un père a trois fils dont l’aîné tombe dans la milice ; il met un remplaçant ; l’année suivante, le second fils tombe également dans la milice, et précisément au moment où, pour s’exempter, il demande un certificat de présence du remplaçant de son frère ; celui-ci avait déserté ; le père s’adresse au gouverneur (je crois que c’était M. de Stassart), dit qu’il sait bien qu’il doit mettre un nouveau remplaçant, mais qu’il voudrait savoir si c’est pour son fils aîné, dont le remplaçant est déserté, ou pour son second fils qui vient d’être désigné par le sort pour faire partie de la milice. Le gouverneur répond que le cas n’est pas prévu, qu’il doit consulter le ministre ; le gouverneur écrit effectivement au ministre : pas de réponse. (Je n’accuse aucun des ministres qui se trouvent ici, le fait s’est passé peu après la révolution, lorsque les services n’étaient pas encore bien organisés.) En attendant, le second fils est porté sur les matricules ; le père garde pendant deux mois le remplaçant qu’il devait mettre pour l’un de ses fils ; enfin le gouverneur lui dit : Mettez un remplaçant pour l’aîné, alors le ministre de la guerre ne pourra pas se dispenser de renvoyer le second ; le père met le remplaçant pour son fils aîné et adresse une pétition au ministre de la guerre pour demander le renvoi de son second fils ; le ministre de la guerre répond que ce second fils se trouvant porté sur les matricules, il n’appartient à aucune autorité, par même au Roi, de le renvoyer. (En effet la loi de 1820 ne contient aucun article qui autorise le renvoi dans ses foyers d’un milicien qui se trouve sur les matricules ; seulement l’art. 129 de cette loi autorise le roi à recevoir des remplaçants pour ces miliciens.) Il fallut donc que le second fils marchât quoique le père eût déjà mis deux remplaçants pour son fils aîné. J’employai alors le moyen qu’a indiqué tout à l’heure M. le ministre de l'intérieur et qui consiste à demander un congé d’un an et de renouveler cette demande d’année en année. Après beaucoup de peine ce congé fut accordé et depuis lors le ministre de la guerre envoie d’année en année, sans que la demande lui en soit faite, un nouveau congé au jeune homme dont il s’agit. Voilà certainement un acte de justice de la part du ministre de la guerre, mais cet acte de justice est-il bien légal ? N’est-il pas nécessaire de prévenir par une disposition législative l’inconvénient que j’ai signalé ? C’est dans ce but que j’ai proposé mon amendement, et je crois que les explications que j’ai données en démontrent suffisamment la nécessité. Je vais avoir l’honneur de vous en donner une seconde lecture. (L’orateur donne lecture et continue ainsi :)
Cette position est celle que je viens de signaler, c’est celle d’un individu qui, tout en ayant droit à l’exemption, ne pouvait pas l’obtenir parce que, comme il se trouvait sur les matricules, le gouvernement ne pouvait pas le renvoyer.
D’après mon amendement, ceux qui se trouveraient dans un cas semblable, pourraient être renvoyés devant leurs juges compétents, c’est-à-dire devant le conseil de milice ou, si celui-ci n’était pas assemblé, devant la députation permanente.
M. de Jaegher. - Messieurs, l’inconvénient que vient de signaler l’honorable membre me paraît beaucoup moins grave en réalité qu’il le semble en apparence ; lorsqu’un remplaçant déserte, il en est donné officiellement connaissance au remplacé, et il lui est assigné un terme endéans lequel il doit en fournir un autre, ce terme est ordinairement de deux à trois mois.
Pour que l’inconvénient signalé par l’honorable M. Pirson puisse se rencontrer, il faut donc que le remplaçant du fils aîné déserte précisément au moment où le second fils doit entrer au service, et avant que celui-ci se soit fait exempter ; vous sentez, messieurs, qu’un cas semblable se présentera rarement. Admettons cependant que le remplacé ne puisse pas trouver un autre remplaçant assez à temps pour permettre à son frère de le faire exempter, eh bien alors le remplacé se rend lui-même au corps et se faire incorporer sauf à se faire remplacer ensuite.
Voilà, messieurs, comment on peut éviter l’inconvénient qui vous a été signalé et qui ne s’est pas encore présenté dans mon district, depuis 6 ans que je m’y trouve.
M. Pirson. - Ce que vient de dire l’honorable M. de Jaegher prouve qu’il ne m’a pas bien compris ; je sais bien que celui qui est désigné par le sort pour faire partie de la milice peut demander un délai dans lequel il fournira un remplaçant et que ce délai est ordinairement accordé ; mais je vous ai parlé d’un individu qui avait un frère remplacé dont le remplaçant était déserté et qui ne pouvant pas, par conséquent, se procurer un certificat de présence du remplaçant de son frère, a été porté sur les matricules et n’a pu ensuite être exempté quoique son frère eût mis un second remplaçant. De manière qu’un père après avoir mis deux remplaçants pour son fils aîné a encore dû voir partir un second fils.
- La proposition de M. Pirson est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
M. le président donne lecture de la proposition de M. Liedts.
M. Liedts, rapporteur. - Messieurs, si vous n’adoptez pas la proposition que j’ai l’honneur de vous présenter, je reconnais que la loi n’en sera pas moins juste au fond ; je crois cependant qu’il conviendrait d’insérer dans la loi la disposition que je propose.
Remarquez, messieurs, que vous exemptez ceux qui sont mariés au moment où la loi sera obligatoire, et qui se trouvent dans les termes de la législation de 1820 :
Mais on peut demander ce que deviendront ceux qui ne sont pas mariés, mais dont les publications de mariage sont faites. Je trouve que les personnes de cette catégorie, ayant agi sous l’empire de la législation qui exemptait les miliciens mariés avant le tirage au sort, je trouve, dis-je, que ces personnes doivent jouir de l’exemption, si les publications de mariage ont eu lieu avant la mise en vigueur de la loi.
C’est dans ce sens que j’ai proposé mon amendement. L’adoption peut en être utile, et ne me paraît pas devoir entraîner d’inconvénient.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, je crois qu’il y a quelque inconvénient à adopter l’amendement de M. Liedts.
Quant à ceux qui ont tiré à la milice, et qui se sont mariés avant le premier janvier de cette année, la loi ne les atteint pas. Mais pour les autres miliciens que votre loi mettrait en éveil, ils pourraient dès à présent faire les publications de mariage et comme il encore un certain temps avant la mise en vigueur, ils pourront très bien se faire exempter.
Je ne vois pas à quoi cela serait utile ; on retarderait encore d’une année l’effet de la loi.
M. Liedts. - Messieurs, je consens à retirer mon amendement, parce que je reconnais que le nombre d’individus auquel il s’appliquerait est excessivement restreint.
M. le président. - Comme la loi a été amendée, le vote en est remis à lundi.
M. Gendebien. - L’art. 2 ayant été rejeté, d’après le texte du règlement, nous devons remettre le vote définitif de la loi à lundi ; mais il est à remarquer que cet article n’a été réellement rejeté par personne ; il n’y aurait lieu à remettre le vote au lundi que pour le cas où des membres se proposeraient de revenir sur cet article.
M. Trentesaux. - Je m’oppose à ce qu’on procède au vote immédiat de la loi ; j’ai le droit de revenir sur l’article premier, de même que les membres qui ont voté contre cet article. La loi a été amendée. Je demande l’exécution stricte du règlement.
M. de Jaegher. - Les auteurs des diverses propositions s’étant ralliés à la proposition de la section centrale, on ne peut pas envisager l’article premier comme ayant été amendé ; par conséquent, il n’y a pas lieu à revenir sur le vote de l’article premier ; et ainsi l’observation de M. Trentesaux n’est pas fondée.
M. Trentesaux. - Mon observation est au contraire très fondée ; M. Legrelle a présenté un amendement qui a été rejeté.
M. de Brouckere. - M. Trentesaux est dans l’erreur, lorsqu’il pense que quand un amendement a été rejeté, on peut le discuter de nouveau au second vote.
- On soumet au second vote les articles rejetés, mais non les amendements rejetés lors du premier vote ; ceux-ci sont et restent définitivement rejetés.
M. le président. - Puisqu’il y a de l’opposition, et si l’on est d’accord, le vote de la loi est remis à lundi.
M. le président. - Messieurs, dans la séance d’hier, la chambre a ordonné le renvoi à la section centrale du budget de l’intérieur de la pétition d’un légionnaire ; ce renvoi a eu lieu sur la demande de M. Gendebien, qui a cru qu’on avait renvoyé toutes les pétitions de même nature à la même section centrale avec demande d’un rapport spécial ; mais on s’est trompé a cet égard ; car c’est à la commission des pétitions que les requêtes dont il s’agit ont été réellement renvoyées.
Voici quelle a été la décision de la chambre, du 6 décembre dernier :
« La commission des pétitions sera invitée à faire son rapport sur les pétitions des légionnaires huit jours avant la discussion du budget de l’intérieur. »
Ainsi, je prierai la commission des pétitions de préparer son rapport le plus tôt possible.
- La séance est levée à 4 heures et demie.