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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 20 août 1833

(Moniteur belge n°234 du 22 août 1833)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse analyse quelques pétitions qui sont renvoyées à la commission pour en faire le rapport.

Ordre des travaux de la chambre

M. d’Huart. - Je demande si le travail des sections relatif à la loi provinciale est terminé, et si elles ont nommé des rapporteurs. Dans le cas négatif, je prierai M. le président de rappeler cet objet la vigilance des membres de la chambre, pour que nous puissions avoir le rapport de la section centrale avant notre séparation. De cette manière, quand nous reviendrons au mois de novembre, nous pourrons discuter immédiatement cette loi.

M. le président. - Deux sections ont terminé leur travail et ont nommé leurs rapporteurs ; je ne sais pas s’il en est de même pour les autres, mais je prie les membres de la chambre de s’occuper de cet objet dans leurs sections afin que la section centrale soit à même de faire son rapport avant notre séparation.

Motion d'ordre

Arrestation d'un Belge à l'étranger

M. F. de Mérode. - Messieurs, hier, pendant mon absence, une lettre que j’avais eu l’honneur d’envoyer à M. le président vous a été lue. Cette lettre contenait ce que j’aurais pu dire à la chambre relativement à l’interpellation qui m’avait été adressée la veille.

Il a plu à M. de Robaulx de déclarer que je faisais défaut. Si c’était défaut de présence à la séance, rien n’était moins contestable ; mais je m’étonnerais que M. de Robaulx me fît à cet égard un reproche, lui qui, pendant la session dernière, a fait défaut de cette nature pendant trois semaines et demie par mois, ce dont je suis d’ailleurs bien loin de me plaindre.

Mais, puisque M. de Robaulx avait des connaissances particulières sur l’affaire du sieur Corremans, il aurait dû me les communiquer, afin de faciliter mes recherches. M. de Robaulx sait que mes fonctions passagères au ministère dont j’ai la signature sont très récentes ; il doit savoir aussi, malgré mon opposition à la liberté dite républicaine sur notre continent, que j’ai montré de la sympathie active pour la liberté positive et réelle ; que, par conséquent, je ne puis manquer de prendre intérêt à ceux qui ont défendu en Belgique, et ailleurs, la révolution belge, comme j’en ai pris sincèrement aux victimes de la révolution polonaise, dont j’ai contribué, depuis 18 mois, non sans quelque peine et toutefois sans phrases sentimentales, à adoucir les infortunes. D’après ces précédents je pense que M. de Robaulx eût agi avec justice envers moi, en me faisant part des détails qu’il avait recueillis sur le sieur Corremans. Et comme les reproches de toutes les couleurs, même les plus bizarres, ne sont pas épargnés, surtout depuis quelques jours, aux ministres, il doit m’être permis d’en adresser à mon tour de mieux motivés.

Je dirai donc qu’avec moins d’étalage, avec moins de parades de libéralisme théâtral, on arriverait aussi bien, et mieux encore, j’en suis persuadé, à procurer assistance aux malheureux. Voici ce que j’ai pu apprendre jusqu’ici à l’égard du sieur Corremans, c’est qu’une lettre de lui pour le Roi a été remise à M. d’Hooghvorst, lequel n’ayant pas été reçu à Munich comme envoyé du gouvernement belge, dont l’indépendance n’est pas encore reconnue par la confédération germanique, est parti de suite pour une autre destination, et n’a eu les moyens de s’occuper ni officieusement ni officiellement de la détention de M. Corremans.

Quant à la lettre adressée au Roi des Belges, je ne pourrais entretenir la chambre de ce qui est personnel à S. M. ; je l’ignore absolument. Tout ce que je puis permettre à la chambre, c’est d’obtenir des renseignements ultérieurs par les légations anglaise ou française en Bavière.

Messieurs, c’est principalement à cause de notre position incertaine vis-à-vis de l’Allemagne, de l’impossibilité où nous sommes d’y soutenir convenablement les droits des Belges, que lord Palmerston a pu dire avec raison au parlement anglais que les négociations pour l’indépendance de la Belgique ne sont pas terminées. Un gouvernement ne négocie pas avec lui-même. L’Angleterre nous a reconnus ; mais le gouvernement anglais négocie afin que cette reconnaissance soit complète en Europe, et pour ma part je lui en ai grande obligation.

M. de Robaulx. - Je ne répondrai guère au discours préparé, médité et, comme d’usage, écrit, du préopinant.

Je dirai seulement qu’il m’a semblé imprégné d'une acrimonie vénéneuse fort peu parlementaire. Du reste, nous sommes habitués à l’animosité qui distingue tous les discours de M. de Mérode. Il m’a cité assez de fois par mon nom, pour que je mette le sien en évidence...

M. de Mérode. - Je ne demande pas mieux.

M. de Robaulx. - Ce ne sera pas toujours à votre avantage.

M. Nothomb. - Cela n’est pas parlementaire.

M. de Robaulx. - C’est précisément parce que cela n’est pas parlementaire que je n’aurais pas voulu que l’exemple nous fût donné par un ministre.

Lorsque j’ai dit hier que M. de Mérode faisait défaut, j’ai exprimé un fait vrai puisqu’il avouait par lettre ignorer ce que d’après ses fonctions il devrait connaître.

J’ai dû trouver étonnant qu’un ministre ne connût pas ce qui se passe dans son administration ; ce qui n’est pas moins extraordinaire, c’est que les pièces ne se trouvent pas dans les archives, et qu’il a dû en écrire à un ambassadeur (qui n’a jamais été reconnu). Cette ignorance est une faute, et je la lui laisse.

On a parlé de parades de libéralisme théâtral. Ce n’est pas moi qui ait l’habitude de ces parades, et si quelqu’un a fait du libéralisme de théâtre, c’est M. de Mérode, dont l’animosité et les formes peu polies ont excité plus d’une fois les murmures de la chambre dans des discours auxquels l’opposition a dédaigné de répondre ; si donc quelqu’un a jamais joué la comédie, c’est M. de Mérode ; mais, malheureusement pour lui, il n’y a tenu que l’emploi de trial.

Je sais bien que notre gouvernement n’a jamais été reconnu par la Bavière, mais j’ai demandé s’il n’était pas possible d’intéresser la légation française, dont on nous vante la camaraderie avec la nôtre, en faveur d’un malheureux Belge. J’espère, du reste, que l’homélie, pleine de venin, que vous venez d’entendre, ne vous empêchera pas, messieurs, de vous intéresser au sort de votre compatriote Corremans.

On a parlé de lettre au Roi ; le ministre a dit quelle était personnelle à Sa Majesté, mais ces lettres n’ont rien de personnel. Une lettre au Roi, c’est une lettre aux ministres ; s’il en est autrement, j’en suis fâché ; cela prouve qu’il est vrai, comme on l’assure, qu’il y a deux gouvernements ici : alors le Roi ne s’effacera plus derrière ses ministres, et son inviolabilité constitutionnelle cesse de droit.

M. de Mérode. - Le Roi a pu recevoir une lettre sans être à même d’y satisfaire. Nous ne sommes pas maîtres d’user de crédit en Bavière.

Quant au reste du discours du préopinant, je n’ai pas le talent d’improviser comme M. de Robaulx, et je n’y répondrai pas.

M. de Robaulx. - Vous avez au moins le talent de distiller votre fiel à loisir et par écrit.

Projet de loi organisant la procédure d'extradition

Discussion des articles

Article 6

M. le président. - La chambre s’est arrêtée hier à la discussion de l’article 6.

Voici la rédaction proposée par M. Gendebien, et amendée par M. Quirini :

« L’extradition ne pourra se faire que pour autant que, par des traités conclus en vertu de la présente loi, il soit expressément stipulé que l’étranger ne pourra, dans aucun cas, être poursuivi ni puni pour aucun délit politique antérieur à l’extradition, ni pour aucun fait connexe à un semblable délit, ni pour aucuns autres crimes ou délits qui n’auraient pas été prévus par la présente loi. »

M. de Muelenaere. - Messieurs, le projet de loi sur lequel nous délibérons a été envisagé dans cette discussion sous deux points de vue entièrement opposés, et c’est, je crois, à ces manières différentes d’envisager la loi qu’il faut attribuer en grande partie la divergence des opinions qui se sont manifestées dans cette enceinte.

Les uns n’ont vu qu’une mesure politique, une mesure qui pouvait avoir pour but de compromettre l’existence de ceux qui, engagés dans des événements politiques, sont venus chercher un asile dans notre pays ; sous ce rapport on a dû concevoir plus ou moins d’inquiétudes.

Les autres n’ont vu qu’une mesure d’ordre social, sans aucune portée politique, et ils l’ont appuyée parce qu’elle leur a paru le plus sûr moyen de faire arrêter et punir ceux qui auraient commis chez nous un attentat contre les propriétés ou contre les personnes.

C’est dans ce sens que les articles 1 et 2 du projet ont déjà été adoptés à une grande majorité dans cette assemblée. Mais dès lors, pour être conséquents avec le principe que vous avez admis et qui domine toute l’économie de la loi, vous devez adopter toutes les mesures qui semblent devoir offrir une garantie aux réfugiés politiques, à ceux qui ne seraient accusés d’aucun des crimes prévus par la loi présente.

Je pense donc que l’amendement de M. Nothomb donne une garantie complète à l’étranger. D’un autre côté, il sera stipulé dans les traités d’extradition avec les puissances étrangères qu’un individu ne pourra dans aucun cas être poursuivi pour fait politique antérieur à son extradition, et l’étranger pourrait invoquer le bénéfice de ce traité s’il était jamais poursuivi pour fait politique antérieur à son extradition.

Je pense que les amendements qu’on vous propose peuvent être combinés, et donner toutes les garanties possibles aux étrangers. Si un nouvel amendement dans ce but venait à être proposé, je l’appuierais encore.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - J’ai déjà déclaré que je n’avais aucune opposition à faire à l’amendement de M. Gendebien, ni même au sous-amendement de M. Quirini. Seulement, je signalerai un défaut de rédaction facile à corriger ; je demande qu’au lieu de ces mots, qui sont dans l’article : « ni pour aucuns autres crimes », on mette : « ni pour aucun des crimes. » (Appuyé !)

M. Ernst, rapporteur. - On pourrait dire : « L’extradition n’aura lieu qu’autant, etc., etc… » au lieu de : « L’extradition ne pourra avoir lieu que pour autant. » (Appuyé ! appuyé !)

- L’article 6 ainsi modifié est mis aux voix et adopté.

En voici la rédaction définitive :

« L’extradition n’aura lieu qu’autant que, par des traités conclus en vertu de la présente loi, il soit expressément stipulé que l’étranger ne pourra, dans aucun cas, être poursuivi ni puni pour aucun délit politique antérieur à l’extradition, ni pour aucun des crimes ou délits non prévus par la présente loi. »

Article 3

M. le président. La chambre revient maintenant à la discussion de l’article 3.

M. Trentesaux. - Je croyais qu’en vertu d’une décision prise sur une proposition que j’avais faite, la chambre terminerait la discussion des articles 6 et 7, avant de revenir à l’article 3. Il me semblait décide qu’on s’occuperait de tout ce qui est relatif à l’extradition, avant de passer aux articles qui ont trait aux attestations provisoires.

M. de Muelenaere. - Sur la proposition de M. Trentesaux, la chambre a renvoyé la discussion de l’article 3 après celle de l’article 6, parce qu’il y avait une grande connexité entre cet article 6 et l’article 3 ; mais les articles 7 et 3 me semblent tout à fait indépendants l’un de l’autre.

M. Trentesaux. - J’avais demandé expressément que l’on passât à la discussion des articles 6 et 7 avant de procéder à la délibération sur l’article 3, par le motif que les articles 1, 2, 6 et 7 du projet concernaient l’extradition et non des mesures provisoires. Il ne serait pas logique d’introduire aujourd’hui une disposition relative à des mesures provisoires entre des articles qui traitent de l’extradition.

- La chambre décide qu’elle s’occupera d’abord de l’article 7.

Article 7

Cet article est ainsi conçu :

« L’extradition ne peut avoir lieu si, depuis le fait imputé, les poursuites ou la condamnation, la prescription de l’action ou de la peine est acquise d’après les lois de la Belgique. »

- Il est mis aux voix et adopté sans opposition.

Article 3

M. le président. - Des dispositions additionnelles au projet ont été proposées ; la chambre veut-elle s’en occuper immédiatement ? (Après les articles ! après les articles !)

Alors la discussion est ouverte sur l’article 3. Cet article est ainsi conçu :

« L’étranger pourra être arrêté provisoirement en Belgique, sur l’exhibition d’un mandat d’arrêt décerné par l’autorité étrangère compétente, et rendu exécutoire par le juge d’instruction du lieu de sa résidence ou du lieu où il pourra être trouvé, Ce juge est autorisé à procéder suivant les règles prescrites par les articles 87 à 90 du code d’instruction criminelle.

« L’étranger pourra réclamer la liberté provisoire, dans les cas où un Belge jouit de cette faculté, et sous les mêmes conditions. La demande sera soumise à la chambre du conseil. »

M. Nothomb a proposé l’amendement suivant :

« La chambre du conseil décidera également, après avoir entendu l’étranger, s’il y a lieu ou non de transmettre, en tout ou en partie les papiers ou objets quelconques saisis sur lui ou son domicile au gouvernement étranger qui demande l’extradition. »

M. Gendebien a demandé de supprimer « juge d’instruction » et d’y substituer « président de tribunal civil ; » de plus, de substituer au pronom démonstratif « ce » l’article « le, » et après « juge » d’ajouter « d’instruction. »

M. Brabant propose d’insérer, après les mots « décerné » et « par l’autorité » : « pour l’un des faits mentionnés à l’article premier. »

M. Nothomb a la parole pour développer son amendement.

M. Nothomb. - J’ai très peu de choses à ajouter à ce que vient de dire l’honorable M. de Muelenaere : ce qui, il y a quelques jours, m'avait surtout frappé dans le discours de M. Doignon, c’est la crainte exprimée par l'honorable membre que, sous prétexte et à l’aide d’une arrestation provisoire, on ne s’empare des papiers d'un étranger, de nature à le compromettre lui ou d’autres personnes, sous le rapport de la politique ou autrement ; je voulais une garantie contre cet abus, et je crois l'avoir trouvée dans mon amendement.

M. de Theux. - Je vois, d’après les termes de l’amendement qui nous est soumis, que dans tous les cas la chambre du conseil devra faire comparaître le prévenu, examiner les papiers et les objets saisis pour décider s’il y a lieu à les transmettre aux gouvernements étrangers. Il me semble plus naturel de laisser à l’étranger la faculté d’adresser ses réclamations à la chambre du conseil, qui en décidera. Quand aucune réclamation n’aura lieu de la part du prévenu, il sera bien inutile que la chambre du conseil s'assemble et le fasse comparaître. C’est dans cette opinion que j’ai l’honneur du vous proposer l’amendement suivant :

« En cas de réclamation de la part de l’étranger, la chambre du conseil décidera également s’il y a lieu ou non à restituer les papiers et les objets saisis. »

M. Pollénus. - Je pense, messieurs, que l’amendement de M. de Theux est préférable à celui de l’honorable M. Nothomb.

Il me paraît en effet qu’il y a une contradiction entre l'amendement de M. Nothomb et la première disposition de l’article 3 du projet qui autorise de procéder d’après l’article 87 jusques et y compris l’article 90 du code d’instruction criminelle ; en effet, suivant l’amendement de M. Nothomb, la restitution éventuelle se bornerait aux objets saisis sur l’étranger ou dans son domicile, tandis que l’article 88 du code cité permet des visites et des saisies dans tous autres lieux où le juge présumerait qu’on aurait caché quelque objet qui pût être jugé utile à la manifestation de la vérité. J’estime qu'il est préférable de dire objets saisis, sans distinguer ceux qui auraient été saisis dans le domicile de l'étranger et ceux qui auraient été saisi hors de son domicile.

M. Gendebien. - Il ne semble pas que l'amendement de M. de Theux soit de nature à calmer les inquiétudes de nos collègues.

Que la chambre du conseil puisse restituer ou non les papiers saisis, vous avez toujours à craindre les indiscrétions et les révélations des secrets des étrangers ; en effet, il sera toujours facile à un gouvernement de décerner un mandat contre un réfugié pour s'emparer de ses papiers. Je ne vois pas en quoi les inquiétudes manifestées par M. Ernst ont pu être dissipées.

Lorsqu'un ministre aura rêvé conspiration ou qu’il aura mal dormi, il fera lancer un mandat d’arrêt contre un réfugié ; puis on ira saisir ses pièces, et s'assurer ainsi s’il n’existe pas quelque complot, ou quelqu’apparence de complot. Où donc est la garantie ? Je ne l’aperçois pas.

M. de Theux. - Messieurs, l’honorable M. Gendebien a parfaitement répondu dans son système ; mais l’amendement que j’ai proposé n’est pas relatif aux objections qui ont été faites dans la séance d’hier, il se rapporte uniquement à l’amendement de M. Nothomb. Or, d'après cet amendement comme d’après le mien, c’est la chambre du conseil qui est appelée à décider. Quant au juge d’instruction, il ne peut saisir et prendre connaissance que des papiers relatifs au délit et propres à établir la culpabilité ou l’innocence des prévenus.

Je reproduirai une explication que j’ai déjà donnée hier, c’est que l'honneur et le devoir empêcheront toujours à un juge d’instruction de servir d’officier auxiliaire aux polices étrangères. Ce serait une trop grave prévarication de sa part de profiter d’une arrestation pour fouiller des papiers et aller communiquer des secrets étrangers au délit imputé au prévenu.

M. Gendebien. - Rien n'est plus beau en théorie, messieurs, que l'ordre judiciaire. Chacun des membres de la magistrature est un type de délicatesse et de probité ! mais en réalité, messieurs, les choses ne sont pas si parfaites. En réalité, un juge d’instruction a pour profession et pour habitude de chercher des crimes partout.

C'est pour lui une satisfaction d'amour-propre de constater un délit, et il considère comme une défaite de n’avoir pas trouvé de coupable. (On rit.) Eh bien, avec une pareille disposition d’esprit, pensez-vous qu’un juge d’instruction pense prévariquer parce qu’il aura constaté un délit dans les papiers d’un étranger, et qu’il en aura fait part à son supérieur ? Non, messieurs, et c’est ainsi que du supérieur au ministre, du ministre au gouvernement étranger, le secret des individus sera livré, et des poursuites auront lieu.

Vous le savez, messieurs, les gouvernements représentatifs aujourd’hui ne vivent que de conspirations factices ; on en cherche partout pour en faire grand bruit, et pour effrayer les timides ; et vous voudrez après cela qu’un juge d’instruction, amovible comme tel ; s’il est inamovible comme juge, mal rétribué comme ils le sont ici, dont l’office est de rechercher les délits et les crimes le jour, et qui souvent en rêvent encore la nuit (hilarité générale) ; vous voulez, dis-je, qu'ils n'aperçoivent pas des délits dans tous les papiers et qu’il en épargne un seul ?

M. de Muelenaere. - Je crois impossible de faire une loi qui remédie à tous les inconvénients. Mais lorsque vous faites une loi, vous avez sans doute l'intention de ne refuser aucun des moyens nécessaires pour son exécution. Aussi, quand vous admettez l’extradition, il faut bien que vous admettiez encore la recherche de tous les éléments de la culpabilité. Toutefois, mon opinion est que vous ne devez autoriser la saisie des papiers qui se lient directement avec le fait imputé au prévenu. Tous les autres documents qui se trouvent à son domicile ou ailleurs ne sauraient être saisis.

C'est par cette considération que le juge d'instruction pourrait bien s’identifier comme homme avec un gouvernement étranger, que j’ai vu une garantie de plus dans l’amendement de M. Nothomb. Et en effet, ce n’est plus le juge d’instruction qui décide la question de savoir si les papiers doivent être transmis, c’est la chambre du conseil elle-même. Si cette chambre estime que les papiers saisis ne sont pas de nature à servir de preuves au procès, elle ne permet pas qu’on les envoie au gouvernement qui a demandé l’extradition.

Je pense qu’il y a un peu de vague dans l’amendement de M. Nothomb, et qu’on ferait bien d'exprimer qu’aucun des objets qui ne se lient pas directement au délit, ne pourra être saisi.

M. Jullien. - J’aurai l’honneur de proposer à la chambre l’amendement suivant :

« La chambre du conseil ordonnera la restitution au prévenu des papiers et autres objets quelconques qui auraient pu être saisis sur lui ou dans son domicile, et qui seraient étrangers aux crimes ou délits pour lesquels l’extradition est demandée. »

M. de Muelenaere propose d’ajouter après ces mots : « objets quelconques, » ceux-ci, « qui ne se rattachent pas directement au fait imputé au prévenu. »

M. Ernst, rapporteur. - Il me semble que si l’on a confiance dans le juge d’instruction, il est inutile de faire l’amendement qu’on veut déposer : il suffit de lire l’article 87 du code d’instruction criminelle pour en être convaincu : ce magistrat ne peut pas saisir « tous les papiers et effets, » mais seulement « ceux qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité. »

Mais ce magistrat est le seul arbitre de ce point de fait, si les objets appartenant à l’étranger sont ou ne sont pas nécessaires à l’instruction de la cause.

M. de Theux. - L'amendement de M. de Muelenaere est en contradiction positive avec l’article 37 du code d’instruction criminelle, ainsi conçu :

« S’il existe dans le domicile du prévenu des papiers ou effets qui puissent servir à conviction ou à décharge, le procureur du Roi en dressera procès-verbal et se saisira desdits papiers ou effets. »

Or, d'après l’article 89 du code, le juge d'instruction doit procéder d’après cet article. Ainsi c’est non seulement des papiers qui peuvent établir le délit que le juge d’instruction doit se saisir, mais encore des papiers qui peuvent établir la décharge ; mais, d’après l’amendement de M. de Muelenaere, il ne serait pas possible de saisir les papiers d’où pourrait résulter la décharge.

La seule crainte que l’on puisse garder, c’est que le juge d’instruction ne donne officieusement connaissance des papiers ; quant à leur transmission, elle est impossible.

M. Gendebien. - Voulez-vous un exemple frappant de ce que je vous disais tout à l’heure ? Rappelez-vous l’affaire de MM. de Potter et Tielemans. Il se trouva à Bruxelles et à La Haye des magistrats pour saisir tous leurs papiers. Or, de ces papiers, les quatre-vingt-dix-neuf centièmes n’avaient aucun rapport au délit qu’on leur imputait. Mais on ne s’est pas borné à les saisir ; on a été plus loin et on a fait imprimer leur correspondance. On voulait produire du scandale pour le faire retomber sur ces deux victimes de l’ancienne tyrannie. Eh bien ! qu’est-il arrivé ? C’est que le scandale a enveloppé plus de cinquante personnes. Dans cette circonstance du moins, il n’y eut que du scandale.

Mais dans celle où nous nous trouvons aujourd’hui, il en adviendrait bien autre chose. Vous donneriez aux gouvernements étrangers la facilité d’établir des conspirations quand ils le voudraient. Oui, messieurs et à mesure que vous avancez dans les détails du projet, vous êtes forcés d'en revenir à cette considération : qu'il y a un danger extrême à faire une loi d’extradition à l’époque où nous sommes.

Voyez donc maintenant si vous devez persister dans votre travail, si vous devez accomplir cette œuvre d’iniquité. Croyez-moi, messieurs, repoussez l’article 3, repoussez la loi tout entière. Si vous adoptez la disposition dont il s'agit, vous vous constituez en état de délation permanente vis-à-vis des puissances étrangères, vous vous proclamez les geôliers de tous les réfugiés. Est-ce là le rôle qui convient à la Belgique indépendante et régénérée ?

M. Nothomb. – Messieurs, j'exige l'intervention de la chambre du conseil dans tous les cas, parce qu'il me semble que si l'on devait attendre que le prévenu élevât des réclamations, il pourrait se passer assez de temps pour que l'on prît connaissance des toutes les pièces et de tous les papiers qui lui appartiennent.

Je connais tous les abus commis sous l'ancien gouvernement, mais je ferai observer à l'honorable M. Gendebien que nous avons constitutionnellement établi un nouveau pouvoir judiciaire, que nous l'avons doté de l'inamovibilité. Nous le faisons intervenir en faveur d'un étranger comme s'il s'agissait d'un citoyen belge. De quoi cet étranger peut-il se plaindre ? Il est traité comme s'il était Belge. Je persiste dans mon amendement.

M. Ernst, rapporteur. – Je préfère l'amendement de M. Nothomb à celui de M. de Theux, mais je crois que l'on pourrait facilement les combiner ensemble.

M. Jullien. - J’ai déjà en partie développé mon amendement ; il m’a été indiqué par les observations de M. de Muelenaere.

D’un autre côté, vous connaissez déjà quelle est mon opinion sur le projet qui nous est soumis. Vous aurez beau l'amender, il sera toujours mauvais. Je voterai contre, malgré toutes les améliorations et toutes les garanties que l’on aura réussi à y introduire.

On a parlé de la magistrature. Sans doute, messieurs, la magistrature en général est digne du plus grand respect. Mais, dans le nombre des magistrats, il se trouve bien quelques individus qui ne sont pas aussi respectables que le corps entier. C’est ici l'occasion de se rappeler le propos d'un homme d’esprit dont j’ai oublié le nom, et peut-être alors pourrait-on dire : il en est de la justice comme de la cuisine ; c’est une fort belle chose, mais il ne faut pas la voir faire. (Hilarité générale.)

M. le président. - Il y a deux sous-amendements proposés ; l'un est de M. Nothomb, l'autre de M. de Theux.

Je mets l’amendement de M. de Theux aux voix.

- Cet amendement est rejeté.

M. le président. - Le troisième paragraphe de l’article 3, paragraphe proposé par M. Nothomb, serait ainsi conçu d’après le sous-amendement de M. de Muelenaere :

« La chambre du conseil décidera également, après avoir entendu l’étranger, s’il y a lieu ou non de transmettre, en tout ou en partie, les papiers et autres objets saisis au gouvernement qui demande l’extradition. Elle ordonnera la restitution desdits papiers et autres objets qui ne se rattachent pas directement aux faits imputés aux prévenus. »

Le sous-amendement de M. de Muelenaere consiste dans ces mots : « qui ne se rattachent pas directement aux faits imputés aux prévenus. »

- L’amendement de M. Nothomb, sous-amendé par M. de Muelenaere, mis aux voix est adopté.

M. le président. - M. Gendebien demande que le mandat d’arrêt soit exécutoire par le président du tribunal civil et non par le juge d’instruction. Cet amendement a été développé par son auteur.

M. d’Huart. - L’honorable M. Gendebien veut une garantie de plus et une garantie importante. Messieurs, c’est dans la recherche des pièces que l’on peut commettre des indiscrétions ; aussi, dans le cas du testament mystique, le président du tribunal civil est appelé à l’ouvrir, Le juge d’instruction est en quelque sorte un employé de police ; il est amovible par ses fonctions ; il reçoit des ordres du ministère public ; il est donc capable d’influence, et pourrait communiquer la connaissance de faits que l’on voudrait tenir secrets.

Ainsi je voterai pour que l’on mette : « Le président est autorisé à procéder suivant les règles prescrites par les articles 87 à 90 du code d’instruction criminelle. »

M. Coghen. - L’honorable M. Gendebien désire que l’on substitue, dans l’article 3, le président du tribunal civil au juge d’instruction, parce qu’il y trouve plus de garantie : d’accord avec lui sur ce point, j’appuierai volontiers son amendement ; mais je me permettrai de demander s'il ne serait pas aussi convenable de dire dans l’article 3 : « le juge d’instruction autorisé par la chambre du conseil. » Dans le paragraphe 3 vous avez déjà saisi la chambre du conseil de la décision de la question de savoir quels papiers doivent être saisis et quels papiers doivent être rendus ; ne devez-vous pas, pour conserver l’uniformité, admettre la proposition que je fais ?

M. le président. - Ainsi il faudrait mettre dans l’article 3 : « le juge d’instruction, à ce autorisé par la chambre du conseil. »

M. Gendebien. - J’appuie l’amendement de M. Coghen.

M. de Muelenaere. - Je ne vois aucune espèce de garantie dans l’amendement de M. Coghen. L’exécution du mandat d'arrêt est le premier acte de la procédure.

M. Ernst, rapporteur. - Le juge d’instruction rendra le mandat exécutoire, à ce autorisé par la chambre du conseil.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, quand il s’agit de rendre un mandat d’arrêt exécutoire, il semble qu’il faut y procéder avec beaucoup de rapidité ; si vous laissez au prévenu le temps de savoir qu’on s'occupe de lui en justice, si vous soumettez aux formalités de la réunion du tribunal l’exécution du mandat, vous vous exposez à laisser échapper le prévenu, vous allez contre le but de la loi.

Il me semble que sous ce rapport l’amendement ne peut être accueilli.

On doit, dans ces circonstances, procéder avec une célérité telle, qu’il n’y ait pas de chances d’évasion pour le prévenu. Relativement à un régnicole, si on prenait des mesures semblables, la plupart du temps, il serait difficile de mettre les mandats à exécution. Vous voulez multiplier les garanties ; mais il ne faut vouloir que ce qui est possible.

M. Gendebien. - M. le ministre de la justice vient de dire que si vous exigez la réunion de la chambre du conseil, le prévenu aura le temps de s’évader ; il faut supposer pour cela une grande dose d’indiscrétion dans les magistrats. Tout à l’heure, quand il était question de prémunir l’étranger et l’indigène de l’indiscrétion du juge, on disait : Il faut avoir foi dans la discrétion du juge ; et maintenant on craint une indiscrétion, parce qu’on réunirait la chambre du conseil. Mais je n’ai jamais entendu dire qu’on annonçait cette réunion à son de trompe. M. le ministre de la justice a eu tort de dire que cette chambre ne siège pas pendant les vacances.

Le code hollandais, plus libéral que le nôtre, exige trois juges pour lancer un mandat d’arrêt.

Prouvons à l’étranger que si nous avons été assez faibles pour porter une loi d’extradition, nous avons du moins pris des précautions, et que nous ne sommes pas moins libéraux que les Hollandais.

M. de Muelenaere. - Je ne vois pas grand inconvénient dans l’amendement de M. Coghen, parce que pendant les vacances il y a toujours une chambre réunie.

M. Milcamps. - Le seul inconvénient que je trouve dans l'amendement, c’est que le juge d’instruction tient généralement ses pouvoirs de la loi, tandis qu’il ne les tiendra, dans le cas dont il s’agit, que de la chambre du conseil.

M. de Brouckere. - Je vais tranquilliser M. Milcamps. L’amendement ne déroge point aux principes généraux. Dans beaucoup de cas le juge d’instruction doit prendre l’avis de la chambre du conseil.

L’article 114 du code exige une ordonnance de la chambre du conseil dans un cas de mise en liberté provisoire.

Je dirai au ministre que la chambre du conseil se réunit à huis clos ; qu'elle se réunit aussi souvent que le ministère public le demande ; que cette réunion a lieu sans que les huissiers eux-mêmes en soient avertis. Ainsi, l'amendement ne présente aucun inconvénient, et ne présente qu'une amélioration.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne tiens pas infiniment à ce que l'amendement de M. Coghen soit adopté ou rejeté ; mais je persiste à croire que les inconvénients que j'ai signalés auront lieu pendant une partie de l'année. Vous savez ce que c'est que les réunions des petits tribunaux. Il pourra donc être impossible d'exécuter des mandats d'arrêt à certaines époques de l'année. C'est à la chambre à peser ces inconvénients.

M. de Brouckere. - La chambre du conseil peut se former de trois juges, ou de trois juges suppléants ; or, dans le plus petit tribunal, il y a trois juges et trois juges suppléants ; je vous laisse à considérer combien de fois, sur six juges, il y en aura quatre d'absents. Ordinairement, trois juges restent dans le lieu pour pouvoir vaquer.

M. Milcamps. - Je ne vois pas que la réponse donnée par M. de Brouckere soit suffisante. J'ai dit que le juge d’instruction tenait de la loi le pouvoir de décerner des mandats de comparution, d'amener, etc. ; mais l'article 114 qu'on a cité n'a aucune espèce de rapport avec le principe que je mets en avant. (Aux voix ! aux voix ! aux voix !)

M. le président. - Voici l’article 3 avec l’amendement de M. Coghen :

« L’étranger pourra être arrêté provisoirement en Belgique sur l’exhibition d’un mandat d’arrêt décerné par l’autorité étrangère compétente, et rendu exécutoire par le juge d’instruction à ce autorisé par la chambre du conseil du lieu de sa résidence ou du lieu où il pourra être trouvé. Ce juge est autorisé à procéder suivant les règles prescrites par les articles 87 à 90 du code d’instruction criminelle.

« L'étranger pourra réclamer la liberté provisoire dans les cas où un Belge jouit de cette faculté et sous les mêmes conditions. La demande sera soumise à la chambre du conseil. »

M. Pollénus. - Je propose de rédiger la première disposition de l’article 3 comme suit : « et rendu exécutoire par la chambre du conseil du tribunal de première instance du lieu de sa résidence, etc. » Le reste comme dans le projet.

Je propose ce sous-amendement dans la seule vue d’éviter que la loi multiplie les actes sans utilité ; pourquoi autoriser un juge d’instruction à donner un exequatur que la chambre du conseil elle-même peut donner. Ce serait multiplier, sans avantage aucun, les formalités de l’exequatur, qui n’en sera que plus garantissant pour avoir été porté par le tribunal entier.

- Le sous-amendement de M. Pollénus, mis aux voix, est adopté.

M. Ernst, rapporteur. - Il sera alors nécessaire de dire : « Le juge d'instruction est autorisé… »

M. d’Huart. - Je demande que ce soit le président qui soit autorisé à agir selon les règles du code, parce qu'il s’agit de compulser des pièces. On craint les indiscrétions. Le juge d’instruction est l’homme de la police dans tous les pays ; il reçoit du procureur du Roi des instructions.

- L’amendement de M. d’Huart, mis aux voix, n’est pas admis.

M. le président. - M. Brabant demande qu’après les mots : « autorité étrangère compétente, » on mette : « pour un des faits mentionnés en l'article premier. »

- L’amendement de M. Brabant, mis aux voix, est adopté.

M. de Brouckere. - Je désirerais savoir si l’on entend que le juge d’instruction agira conformément aux articles du code avant ou après l’arrestation.

- Plusieurs membres. - Après ! après !

M. de Brouckere. - Eh bien, qu’on le dise ! Sur une observation qui m'est faite, je demande qu'on mette : « Après l’ordonnance d’arrestation le juge d’instruction, etc. »

- Cet amendement est adopté.

L’article 3 dans son ensemble est ainsi libellé :

« L’étranger pourra être arrêté provisoirement en Belgique sur l’exhibition d’un mandat d’arrêt décerné par l’autorité étrangère compétente pour un des faits mentionnés en l’article premier, et rendu exécutoire par la chambre du conseil du lieu de sa résidence ou du lieu où il pourra être trouvé. Après l’ordonnance d’arrestation, le juge d’instruction est autorisé à procéder suivant les règles prescrites par les articles 87 à 90 du code d'instruction criminelle.

« L’étranger pourra réclamer la liberté provisoire dans les cas où un Belge joint de cette faculté et sous les mêmes conditions. La demande sera soumise à la chambre du conseil.

« La chambre du conseil décidera également, après avoir entendu l'étranger, s'il y a lieu ou non de transmettre, en tout ou en partie, les papiers et autres objets saisis au gouvernement étranger qui demande l’extradition. Elle ordonnera la restitution des papiers et autres objets qui ne se rattachent pas directement au fait imputé au prévenu. »

- Cet article mis aux voix est adopté.

Article 4

« Art. 4. L’étranger arrêté provisoirement sera mis en liberté, si dans les trois mois, il ne reçoit notification d’un jugement de condamnation ou d’un arrêt d’accusation. »

- Cet article est adopté sans discussion.

Article 5

« Art. 5. Les traités conclus en vertu de la présente loi seront insérés dans le Bulletin officiel et dans un journal publié dans la capitale du royaume. Ils ne pourront être mis à exécution que dix jours après la date que porte ce journal. »

M. le président. – Il y a, à l'article 5, un amendement proposé par M. Gendebien. Le voici : « Les traités de réciprocité ne pourront être mis à exécution, … et seulement pour les faits postérieurs à ces traités. »

M. Gendebien. - Mon amendement se réduit à l’addition de quelques mots : « L’extradition ne pourra avoir lieu que pour les faits postérieurs au traité dont il est fait mention dans l’article premier. »

Tous les réfugiés actuellement en Belgique pour cause de délits politiques seraient exclus des traités et ne pourraient être soumis à l’extradition. Ce serait une garantie très grande ; on épargnerait au moins ces victimes. En droit, je pense qu’on ne peut pas les atteindre sans donner à la loi un effet rétroactif.

En législation civile, aucune loi ne peut opérer rétroactivement c’est un principe consacré par toutes les législations : eh bien, messieurs, en matière criminelle il doit, plus forte raison, en être de même, Les lois criminelles doivent toujours être interprétées en faveur des accusés et même elles rétroagissent au profit des accusés.

D’après notre constitution, l’étranger, dès qu’il met le pied en Belgique, doit être traité comme un Belge quant à sa personne et à ses biens. Pouvez-vous maintenant atteindre des personnes qui ont mis le pied sur le sol de la Belgique ? C’est une loi pénale que nous faisons ; elle est pénale en ce que nous livrons l’étranger à ses bourreaux, en ce que nous les condamnons à trois mois de prison préalable. Jamais en matière criminelle aucun législateur n'a mis en pratique l'effet rétroactif de la loi, quand elle sévit.

Lorsque vous comminez une peine, c’est pour empêcher le fait auquel elle s’applique d’être commis ; mais quand le fait est commis, avez-vous des moyens préventifs ? non, messieurs vous ne prévenez rien en sévissant. Quand une loi qui augmente la peine est prononcée on n’applique pas cette peine aux délits antérieurs.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) – Je suis surpris que la section centrale, qui a conclu à l'unanimité au rejet de l'amendement de M. Gendebien, ne croie pas devoir défendre les motifs de son opinion. Remarquez, messieurs, que ce n'est pas un amendement improvisé ; il a été imprimé, distribué, placé sous les yeux de la section centrale qui l'a discuté en présence de son auteur.

La section centrale a fait observer que la distinction que l’on voulait établir n’existe dans aucun traité d’extradition. Il n’y a pas ici de rétroactivité dans le sens qu’on veut attribuer à la proposition de la section centrale : on n’a pas promis à l’étranger l’immutabilité de la législation, et il n’a jamais pu compter sur cette garantie qu’on ne ferait point de dispositions législatives qui vinssent modifier la position des étrangers résidant en Belgique.

Je suppose que nos lois civiles, nos lois politiques, offrent des avantages à l’étranger ; qu’il vienne en Belgique pour en jouir : prétendra-t-il qu’il a un droit acquis, et que, la loi étant faite, vous ne pourrez appliquer une nouvelle loi aux étrangers qui viendront après sa promulgation ? Vous diriez qu’il n’est pas fondé à élever cette prétention ; que nous sommes les maîtres de changer la position des étrangers.

On n’a pas promis à l’étranger qu’on ne ferait pas de loi d’extradition ; et ce n’est pas sous la foi d’une telle promesse qu’il est venu ici jouir des bien spoliés, je le répète, à d’honnêtes pères de famille.

Il n’y a pas de surprise dans tout ceci. Il n’y a pas d’étranger sur notre sol qui ne soit averti qu’un projet d’extradition est discuté dans cette enceinte.

Il pourra profiter de tous les délais de la discussion ; le sénat d’ailleurs n’est pas assemblé, et la loi ne sera exécutoire que dans le terme ordinaire qui suit la promulgation ; l’étranger pourrait alors échapper a la loi, et c’est en stricte justice tout ce que nous lui devons.

D’après l’amendement, un assassin qui aurait commis son crime dans le mois d’août pourrait se promener paisiblement dans nos places publiques, couvert du sang de sa victime, gorgé de ses dépouilles ; et un homme qui aura commis le même crime en septembre sera dans une position diamétralement contraire ! Vous ne voudrez pas admettre cette impunité scandaleuse. C’est ici une question de justice et de morale publique.

Ces simples considérations, dans lesquelles je mets d’autant plus de confiance qu’elles sont appuyées de l’opinion de la section centrale, me suffisent pour repousser l’amendement.

M. de Muelenaere. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Par une décision antérieure la chambre a renvoyé l’amendement de M. Gendebien à la section centrale. Les motifs qui ont porté la section centrale à ne pas l’adopter ont été exposés par son rapporteur, mais ils n’ont pas été publiés…

- Plusieurs membres. - Ils sont dans le Moniteur.

M. Ernst, rapporteur. - Je ne crois pas avoir déserté le poste que la section centrale m’a confié ; mais il est d’autres membres qui auraient pu défendre une opinion commune à tous, et je voulais attendre la fin du débat pour résumer la discussion en qualité de rapporteur.

Voici en deux mots pourquoi la section centrale a rejeté l’amendement. Il n’y a point d’injustice, point de rétroactivité, à livrer des étrangers qui ont commis des crimes avant les traités, et les conventions réciproques pour l’échange des grands coupables ont toujours été appliquées de cette manière.

La loi d’extradition ne fait que favoriser la justice et prévenir l’impunité des criminels. C’est une erreur de dire que la loi d’extradition établit une peine ; le crime est antérieur à la loi, la punition est méritée. La loi d’extradition n’est qu’un moyen d’assurer l’exécution d’une législation antérieure, et la publicité qu’elle reçoit avertit l’étranger. Il serait scandaleux de voir des banqueroutiers jouir en paix du fruit de leurs rapines, parce que ce détestable crime aurait été commis quelques mois avant l’introduction des dispositions légales qui permettent de les livrer à leurs juges naturels.

M. de Brouckere. - Si l’on veut s’en tenir à la définition rigoureuse de la rétroactivité, la loi n’établit pas d’effet rétroactif ; mais il est certain que si vous n’admettez pas l’amendement, la loi va aggraver la position des étrangers ; sous ce rapport, il faut que nous convenions que la loi peut être assimilée à une loi qui consacrerait un effet rétroactif.

Vouloir que ceux qui sont venus ici quand l’extradition n’était pas permise soient traités aussi rigoureusement que ceux qui sont venus après la loi, ce serait une injustice. Il se trouve actuellement en Belgique plusieurs étrangers qui depuis trois ans…

- Un membre. - Il y en a qui y sont depuis dix ans.

M. de Brouckere. - Et qui se sont parfaitement conduits ; cependant ils sont accusés dans leur pays de crimes autres que de crimes politiques.

Je crois que si j’interrogeais M. le ministre de la justice pour savoir s’il ne connaît pas des étrangers qui sont dans cette catégorie, il me dirait qu’il y a de ces hommes qui ont expié leur faute, qui jouissent ici de la considération générale, et qui seraient dans le cas d’être extradés.

Nous n’avons pas fait de promesses formelles à l’étranger que nous ne modifierons pas nos lois ; mais n’est-il pas vrai que l’étranger, après une révolution comme la nôtre, a pu croire qu’il vivrait en sécurité chez nous tant qu’il ne troublerait pas l’ordre ? Il a pu, d’après cette pensée, d’après notre constitution, s’établir et prendre des arrangements dans notre pays.

Il serait scandaleux, a-t-on dit, qu’un homme qui aurait commis un assassinat en août, pût se promener sur nos places publiques, et que celui qui aurait commis le même crime en septembre, fût puni. Tous ceux qui ont connaissance des lois criminelles savent qu’elles rétroagissent quand elles sont favorables au coupable. Un crime est puni de la peine de mort : l’infanticide, par exemple ; cette peine est hors de proportion avec le crime. Que demain une loi soit votée qui punisse l’infanticide de 5 ans de réclusion, ce qui dans mon opinion serait une peine suffisante ; eh bien, cette loi rétroagirait en faveur de la mère coupable dont le crime aurait été consommé avant la promulgation de la loi, et personne ne se récriera.

Vous adopterez l’amendement, et l’appel que je fais aujourd’hui à votre bon cœur ne restera pas sans résultat.

Si je nommais les individus auxquels je fais allusion, cela exciterait votre pitié ; mais je ne puis les nommer, je craindrais de leur causer quelque préjudice.

M. A. Rodenbach. - Il existe des personnes qui ont commis des crimes en France, qui ont été condamnées, et qui ont obtenu ici des lettres de naturalisation ; allez-vous-livrer ces personnes ?

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Elles ne sont plus étrangères.

M. A. Rodenbach. - Il me semble que nous devons être bien prudents : des chefs de maisons de commerce, poursuivis à outrance par des créanciers durs, prennent la fuite par crainte de la prison ; lorsqu’ils viennent dans ce pays, on les condamne par contumace ; eh bien, ces hommes-là ont quelquefois créé chez nous des établissements utiles.

Peut-être, quand ils auront fait des bénéfices, qu’ils pourront se réhabiliter. Je sais bien que rarement les banqueroutiers deviennent d’honnêtes gens ; cependant on en a vu se réhabiliter. Quand ces étrangers sont venus dans notre pays, c’est sur la foi de nos lois, de notre constitution ; pourrons-nous les chasser ?

M. le ministre de la justice a demandé si l’on pourrait supporter la vue d’assassins se promenant sur nos places, couverte de sang et gorgés de l’or de leur victimes ; je lui ferai observer qu’on peut ne pas supporter cette vue en faisant usage de la loi de brumaire an IV, qui permet de les expulser.

M. Desmet. - Messieurs, j’appuie l’amendement de l’honorable M. Gendebien.

Si la chambre de 1833 est la première législature qui, en Belgique, ait introduit l’odieuse extradition, et enlevé à son pays le précieux droit de l’asile et du refuge, du moins n’y ajoutez pas encore le scandale de consacrer dans votre législation le monstrueux principe de la rétroactivité, en faisant frapper sur le passé cette loi d’amour et de charité, ne perdez point de vue cependant que vous transformez en guet-apens l’hospitalité que vous avez accordée aux étrangers qui, pleins de confiance dans vos lois, et se reposant sur la bonne foi qui a toujours caractérisée les Belges, se sont établis chez vous, et y ont apporté leur fortune et leur industrie.

Car, quoiqu’on en dise et qu’on veille faire accroire, il me paraît clair comme le jour que votre loi d’extradition, de la manière qu’elle est conçue, revient sur le passé, et qu’elle change d’une manière préjudiciable la situation des étrangers qui se trouvent dans ce moment sur votre sol. Elle sera une loi à deux faces, ayant sans cesse un œil sur le passé et l’autre sur l’avenir, touchera continuellement à des droits acquis, et portera ainsi le trouble et le désordre dans la société....

Un étranger qui est en Belgique, qui s’y est établi, qui y a conduit sa famille, porté son industrie et le siège de sa fortune, et celui-là même qui a rendu d’éminents services à votre pays, qui s’est battu pour votre liberté, pour vous délivrer du joug des Hollandais, qui a mis pour vous sa vie en péril aux journées de septembre ; enfin l’étranger qui est venu s’asseoir chez vous, se croyant sur une terre libre et sous l’égide des lois protectrices de l’hospitalité, se verra tout à coup arrêté et enlevé par les sbires de la haute police. Le chef de cette police, muni des pièces nécessaires, ne tardera pas à remettre aux juges indiqués dans le projet l’arrêt de mise en accusation pour un des faits désignés dans la longue et élastique nomenclature de l’article premier du projet.

Ces juges devront donner un avis favorable à l’arrestation ; car, les pièces étant en règle et conformes à la procédure criminelle du pays qui demande l’extradition, comment voulez-vous qu’ils fassent autrement ? Et ainsi l’étranger sera condamné à l’extradition, garrotté et livré à une justice étrangère.

Cependant vous laissez poursuivre cet individu, vous lui faites subir la punition d’être garrotté, extradé et livré à d’autres juges qu’à ceux qu’il avait droit d’avoir étant chez vous ; et vous faites tout cela en violation des articles 7, 8, 9 et 128 de votre constitution, qui garantissent à l’étranger comme au régnicole sa liberté individuelle, et le met à l’abri d’être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans les formes qu’elle prescrit.

Vous faites plus, vous l’avez trahi, vous l’avez laissé venir chez vous pour lui dresser un guet-apens ; vous avez même profité de ses services et joui de sa fortune et de son industrie, qu’il avait apportées chez vous. Depuis qu’il est chez vous, vous n’avez rien à lui reprocher : il a respecté vos lois et vos règlements, la police n’a aucune plainte à sa charge, et vous allez ensuite le laisser arrêter et lui faire subir une punition. N’est-ce pas là, messieurs, évidemment faire rétroagir la loi et enlever des droits acquis ?

L’office des lois, c’est de régler l’avenir, disait M. Portalis dans l’exposé des motifs du titre premier du code civil ; le passé n’est plus en leur pouvoir. Partout où la rétroactivité des lois serait admise, non seulement la sûreté n’existerait plus, mais son ombre même. La liberté civile consiste dans le droit de faire ce que la loi ne prohibe pas, on regarde comme permis tout ce qui n’est pas défendu.

Que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouvait croire qu’après coup il serait exposé au danger d’être recherché dans ses actions ou troublé dans ses droits acquis par une loi postérieure ? Mais va-t-on me dire, toute nation est en droit de refuser à un étranger l’entrée de son pays et de l’en repousser s’il s’y trouve : le soin de sa propre sûreté lui donne ce droit. Si donc une loi enjoignait à tous les étrangers de sortir du royaume dans tel délai, on ne pourrait pas l’accuser de rétroactivité ; elle ne ferait qu’établir une mesure de sûreté, sans enlever des droits acquis.

Nous ne voulons pas disconvenir de ce droit qu’ont toutes les nations de veiller à la sûreté de leur pays et de prendre à cet égard des mesures administratives contre les étrangers. Mais ici par votre loi d’extradition vous n’ordonnez pas seulement aux étrangers de sortir du pays, vous faites une loi qui rétroagit évidemment au préjudice de ces étrangers ; car vous les laissez arrêter et condamner à être garrottés et conduits prisonniers hors du pays, pour les livrer aux fers ou à l’échafaud d’un gouvernement étranger...

Si le gouvernement nous eût demandé une loi d’expulsion, dont les cas d’expulser auraient été bien établis, alors vous auriez disposé pour l’avenir et vous auriez pu faire sortir du pays tout étranger qui se serait trouvé dans les cas prévus par la loi, sans faire tort à ses droits acquis ; car il aurait été dans sa faculté, ou de se conformer aux exigences de la loi, ou de sortir du pays ; et peut-être que d’une telle loi le pays aurait pu obtenir quelque utilité, tandis que celle que vous allez voter ne sera qu’au profit des gouvernements étrangers, si toutefois on veut vous accorder une représaille ; c’est ce que je n’attends pas.

Pour ces motifs, j’appuierai de toutes mes forces l’amendement qui nous garantit contre la rétroactivité.

M. Ernst, rapporteur. - Vous êtes sans doute aussi fatigués que moi, messieurs, d’entendre parler d’extradition, et c’est le devoir seul qui m’impose l’obligation de vous dire encore quelques mots.

La question de droit, à mon avis, n’en est pas une. Mais en fait j’unis mes vœux à ceux de M. de Brouckere pour que le gouvernement ne livre jamais l’étranger qui depuis longtemps vit parmi nous tranquillement et sans scandale.

Une chose qu’il ne faut point perdre de vue, c’est qu’il ne peut être question de livrer pour délits politiques. Ainsi, point de crainte pour les réfugiés. Mais si nous refusions l’extradition d’un banqueroutier frauduleux résidant dans notre pays, nous n’aurions pas le droit de réclamer le Belge qui aurait commis un crime semblable avant les traités, et qui jouirait impunément, à l’étranger, des dépouilles de ses créanciers belges.

De quelque manière qu’on envisage la loi, il n’y a ni injustice, ni illégalité à admettre l’extradition pour des faits antérieurs aux traités. Dans l’exécution on pourra tempérer les inconvénients signalés par l’honorable M. de Brouckere.

M. de Brouckere. - J’ai moi-même dit que, d’après ma manière de voir, la loi ne consacrait pas une véritable rétroactivité, si nous pouvions nous en tenir à la signification rigoureuse de ce mot. Mais en fait il y a rétroactivité, car jusqu’aujourd’hui le gouvernement ni aucune autorité en Belgique n’avait le pouvoir d’arrêter un étranger, et maintenant la loi que vous allez faire accordera ce droit. Or, donnez-le, si vous voulez, pour la suite ; mais au moins ne le donnez pas pour un fait antérieur à la loi.

L’honorable M. Ernst espère que dans l’exécution de la loi on en mitigera la sévérité, et que le gouvernement ne livrera pas les étrangers qui se sont toujours bien conduits chez nous et qui n’y ont point causé de scandale. Mais, messieurs, le gouvernement belge ne pourra point se refuser à la demande d’extradition ; car si le crime dont un réfugié est accusé est bien positif, bien avéré, et que son gouvernement le réclame, je ne vois pas comment on pourrait s’abstenir de satisfaire à une pareille réclamation, alors qu’on n’aurait aucun motif valable de s’y opposer.

Si l’on s’y opposait, le gouvernement étranger pourrait se servir de l’argument même qu’a employé tout à l’heure le ministre de la justice et dire : Comment ! deux criminels se sont réfugiés chez vous. L’un habite la Belgique depuis 3 ans et l’autre depuis 8 jours. Je les réclame tous deux, et vous ne voulez me livrer que le dernier ! Pourquoi me refuser le premier. Il y a inconséquence, injustice dans un semblable procédé. Dès lors M. le ministre de la justice n’hésiterait peut-être plus à livrer celui qui se serait réfugié sur notre sol depuis trois ans. Mais en tous les cas, messieurs, vous pouvez être assurés que les étrangers condamnés, qui se sont réfugiés chez nous et qui s’y sont toujours bien conduits, ne jouiront plus d’un instant de tranquillité. On dira qu’ils peuvent s’en aller ; mais quand un homme est sans fortune et qu’il a femme et enfants, quand par son travail et sa conduite il est parvenu à se procurer un état dans un pays, croit-on qu’il peut aller voyager en pays étranger ? Ne sait-on pas que pour cela il faut avoir des moyens pécuniaires ?

Si j’avais cru qu’on fît des difficultés à cet égard, j’aurais communiqué confidentiellement à mes honorables collègues des faits qui, je n’en doute pas, les auraient amenés à voter dans mon sens.

M. Gendebien. - Je persiste à penser qu’on l’on peut invoquer même les strictes règles du droit pour repousser l’effet de la rétroactivité qu’on veut attacher à la loi.

On a répondu aux divers arguments que j’ai soumis à la chambre, que ce sont les faits antérieurs qui motivent les traités d’extradition. Si l’on a voulu dire que ce sont les faits antérieurs qui font sentir la nécessité de ces traités, à la bonne heure ! Si l’on a voulu dire que c’était pour punir ces faits antérieurs, on a eu tort.

L’orateur a fait observer que nous ne devions pas nous opposer à une loi qui avait pour but de prévenir des crimes. Là, il rentre dans les véritables principes du droit criminel. En effet, ce n’est pas pour venger la société, comme le disent quelques personnes étrangères à la connaissance du droit, que l’on commine des peines contre les malfaiteurs. Non, la société ne se venge pas ; mais le but et l’effet des lois, c’est de prévenir le désordre.

En partant de ce raisonnement, il est certain que vous pourriez diminuer les crimes et même les prévenir, parce que leurs auteurs n’auront plus d’asile en Belgique ; mais vous ne préviendrez que les crimes à venir et non les crimes consommés. Eh bien ! qu’on lise tous les criminalistes, et ils vous diront que le principe que je viens d’exposer est le seul vrai. Si vous voulez faire autre chose par votre loi que de prévenir les crimes futurs, vous contreviendrez à toutes les idées reçues en matière criminelle.

En matière civile, quoique cela soit contesté, on admet assez généralement l’effet de la rétroactivité, quand une loi rétablit des dispositions tombées en désuétude. Or, en supposant qu’il en fût de même en matière criminelle, comme il n’y a jamais eu en Belgique de loi d’extradition, comme notre pays a toujours été un lieu d’hospitalité, il est certain que la loi actuelle n’aurait pas pour but de rétablir une loi précédemment abolie, et qu’en conséquence elle ne saurait rétroagir.

On vous a dit, messieurs, qu’il n’y aurait plus moyen de faire des lois si l’on devait voir un effet rétroactif dans celle qui nous occupe, et l’on a ajouté que l’on pourrait toujours restreindre les droits civils accordés par l’article 128 de la constitution à l’étranger. Mais il y a une distinction à faire : toutes les fois qu’une loi tiendra à l’état des personnes, elle pourra être changée sans effet rétroactif.

Par exemple : il y a une loi française de 1792 sur le mariage, qui établit la majorité de la femme à 15 ans, et celle du mari à 16. Si une loi postérieure change l’époque de la majorité, l’individu qui sera né sous l’empire de la loi antérieure n’aura pas acquis le droit de la majorité à 15 ou 16 ans.

En matière commerciale c’est tout autre chose. D’un côté, c’est une espérance, c’est un droit éventuel ; mais, de l’autre, ce n’est qu’une mesure préventive. Or, je demande s’il y a là de l’analogie ; je demande encore si vous parviendrez à éviter un crime déjà consommé, en attachant à votre loi un effet rétroactif.

Il est une autre considération qui vient à l’appui de mon opinion, et certes l’exemple que nous a cité M. le ministre de la justice ne me la fera pas abandonner. Il vous a fait la peinture d’un assassin se promener impunément et jouissant des dépouilles de sa victime, parce qu’il aurait commis le crime au mois d’août, tandis qu’un autre qui se serait rendu coupable du même crime au mois de septembre serait puni.

Eh bien, moi je désire, puisque je ne puis pas mettre à l’abri de l’extradition tous les condamnés pour délits politiques sous l’apparence de crimes étrangers à la politique, je désire au moins en garantir les malheureux Polonais qui sont ici. Je ne veux point qu’on change en chaînes les lauriers dont nous devrions les couvrir. En admettant, messieurs, que j’aie tort en théorie, vous devriez encore adopter mon amendement. C’est parce que j’ai l’intime conviction que la loi sera appliquée aux réfugiés politiques que je l’ai proposé.

Je croirais abuser de votre patience en vous en disant davantage, mais je suis persuadé que les principes de droit que je vous ai exposés sont incontestables.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je répondrai d’abord à l’honorable M. Rodenbach que, selon moi, le code du 3 brumaire an IV a été entièrement abrogé par le code pénal de 1810, que ce point a été consacré par la jurisprudence, et qu’un avis du conseil d’Etat consacre cette doctrine.

Je dirai en outre que, pour les délits politiques, le gouvernement belge, eût-il l’imprudence, la pensée criminelle même de vouloir livrer un étranger, ne le pourrait en présence de l’article de la loi actuelle et de la responsabilité ministérielle. En protestant que nous sommes sans arrière-pensées, je n’ai pas l’espoir de convaincre tout le monde ; mais c’est un malheur auquel je dois me résigner, et c’est ce que je fais depuis longtemps.

Je présenterai seulement une observation, c’est que les Polonais, qu’on nous accuse de vouloir livrer si facilement, ont trouvé chez nous autre chose qu’un asile ; c’est qu’un assez grand nombre d’entre eux ont été incorporés dans nos régiments, et si nous avions craint d’éveiller de dangereuses susceptibilités, pensez-vous que nous aurions admis à fraterniser avec les braves de notre armée ces braves réduits à fuir le sol national ? C’est là une mesure du gouvernement belge qui prouve sa complète indépendance de toute influence étrangère. Sous ce rapport la Belgique a fait ce que nulle autre puissance européenne n’a fait.

Je répondrai à une autre interpellation qui m’a été adressée que je n’ai point l’avantage de connaître des assassins, des voleurs, des faux monnayeurs qui soient en même temps hommes estimables. Pour ceux qui se sont échappés de leur pays sous le poids d’un arrêt qui les qualifie ainsi, la présomption d’honnête homme n’existera que quand ils auront purgé leur contumace.

Reste peut-être un seul fait à l’occasion duquel on a cru devoir faire appel à votre humanité, messieurs ; je veux parler de la banqueroute frauduleuse. Eh bien ! pour la banqueroute frauduleuse je dirai que de deux choses l’une : ou celui à qui on peut la reprocher a conservé des sentiments d’honneur et le désir de réparer l’injustice dont il s’est rendu coupable peut-être à l’égard d’estimables pères de famille ; ou bien il n’a pas conservé ces sentiments et ce désir.

Dans le premier cas, il lui sera facile de prélever sur son travail, sur le produit de ses économies les moyens de payer peu à peu ses créanciers et d’en obtenir des conditions favorables.

D’ailleurs, il faut remarquer que l’extradition d’un banqueroutier frauduleux ne sera d’ordinaire réclamée par un gouvernement que sur la demande des créanciers.

Or, si leur débiteur a le désir de traiter avec eux, il sera de leur intérêt, je ne dis pas de leur humanité, de ne pas demander son extradition, afin de ne pas tarir la source des nouveaux moyens qu’il a pu acquérir de payer ses dettes. Que si au contraire le banqueroutier frauduleux n’a pas l’envie de s’arranger avec ses créanciers, alors il n’est digne d’aucune sollicitude.

Je persiste à croire que la loi serait funeste sous ce rapport si l’on admettait l’amendement de M. Gendebien ; elle consacrerait une impunité scandaleuse en cas d’assassinats, d’incendie, de vols, etc. Vous consommeriez ainsi la spoliation des créanciers belges, qui autrement auraient peut-être le moyen de récupérer des valeurs qui sont souvent le produit d’un travail long et consciencieux. (Aux voix ! aux voix !)

M. A. Rodenbach. - J’ignorais que la loi de brumaire an IV eût été rapportée ; mais je crois qu’en Belgique il est nécessaire d’avoir une pareille loi, et si le ministre en présente une dans ce sens, je l’appuierai de toutes mes forces. Nous avons vu sur notre territoire des hommes bien coupables, des espions, des secrétaires du prince d’Orange, et cela parce que notre législation ne pouvait les atteindre. Je ne veux pas que notre pays soit la sentine de l’Europe ou la terre promise des échappés des bagnes. Je demande donc que le gouvernement nous présente une loi d’expulsion puisqu’il n’en existe pas. (La clôture ! la clôture !)

M. Trentesaux. - Je propose de dire : « seulement pour des faits postérieurs à la promulgation de la présenté loi. »

- Plusieurs voix. - C’est la même chose.

M. Trentesaux. - L’article de la constitution relatif à la matière est ainsi conçu, si je ne me trompe : « Protection est accordée aux personnes et aux biens de l’étranger, sauf les exceptions établies par la loi. » Jusqu’alors il n’y a pas de loi qui établisse des exceptions, et nous en faisons une. D’après M. Gendebien, il faudrait dire que l’on ne pourra poursuivre l’étranger pour fait antérieur au traité ; ce serait donner à l’étranger plus de faveur que la constitution ne lui en a promis. Quant à moi, je veux qu’il puisse être puni, non pour ce qui a précédé la loi, mais pour ce qui l’a suivie. Ma rédaction me semble être plus en harmonie avec la constitution.

M. de Brouckere. - Je ne dirai que deux mots pour répondre à un fait de M. le ministre de la justice. Le peu de paroles qu’il a proférées m’ont prouvé qu’il m’avait parfaitement compris. Aussi il nous a fait entendre qu’on pouvait être un banqueroutier frauduleux et redevenir honnête homme. C’est mon avis aussi et j’ajouterai même qu’on peut avoir quelque confiance dans un malheureux qui, par une conduite régulière de plusieurs années, a prouvé qu’il s’était amendé. Mais, a dit M. le ministre, je ne connais pas d’assassins et de faussaires qui soient des hommes estimables. Eh bien ! je lui citerai un exemple.

Je suppose le cas d’un commerçant qui se trouve pressé par les circonstances ; il n’a pas le moyen d’acquitter une lettre de change qui va échoir, et il se voit sur le point d’être déclaré en faillite.

Cet homme s’oublie du moment, et il commet un crime de faux dans l’unique intention de retarder le paiement de sa dette ; et cependant voilà que le crime est découvert et qu’il est considéré comme faussaire. Il se réfugie en Belgique, et à l’aide de son industrie il parvient à payer ses créanciers. M. le ministre de la justice voudrait-il me dire si cet homme n’est pas estimable aussi ? M. le ministre a donc eu tort de parler comme il l’a fait.

Quant à ce qu’il a dit que l’extradition du banqueroutier ne serait réclamée par un gouvernement étranger que sur la demande de ses créanciers, et que ceux-ci n’auraient pas intérêt à faire cette demande, je répondrai que, la condamnation une fois prononcée, les créanciers ne sont plus rien dans les poursuites ; elles se font au nom du ministère public ; ainsi donc l’extradition pourrait être demandée à l’insu des créanciers. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - Je vais mettre l’amendement de M. Gendebien aux voix.

M. Gendebien. - Je me rallie à celui de M. Trentesaux.

- L’amendement de M. Trentesaux est mis aux voix et rejeté.

- L’article 5 de la section centrale est ensuite adopté.

Article 8

M. le président. - Nous allons passer maintenant aux articles additionnels. Vient d’abord celui de M. Gendebien.

M. Gendebien. - Je le retire.

M. le président. - Alors, nous nous occuperons de celui de M. d’Huart. Il est ainsi conçu :

« Art. 8. La présente loi n’aura d’effet qu’avec les pays limitrophes de la Belgique ; elle cessera, ainsi que les traités faits en conséquence, d’être en vigueur au 1er janvier 1835. »

M. d’Huart. - Messieurs, peu de mots suffiront pour justifier les motifs de mon amendement.

Les principales objections présentées dans le cours de la longue discussion sur la loi qui nous occupe ont été puisées dans la crainte qu’il ne se commette des abus dans les extraditions d’individus appartenant à certaines puissances éloignées ; les adversaires du projet ont pensé, et non sans fondement, que la forme despotique de ces Etats, l’organisation vicieuse de leur administration judiciaire pourraient, sous le prétexte d’un des crimes mentionnés dans la loi, se prêter à faire obtenir l’extradition de personnes à la charge desquelles il n’y aurait qu’une simple prévention de faits politiques.

Il a été démontré, d’un autre côte, que pour atteindre le but de la loi, tel qu’il faut le comprendre, il ne serait réellement utile que de traiter avec les pays voisins pour l’extradition ; et M. le ministre de la justice lui-même, répondant négativement aux orateurs qui le prétendaient obligé à traiter avec tous les gouvernements qui le demanderaient, si la loi était adoptée ; M. le ministre, dis-je, nous aussi fait entrevoir qu’il ne trouvait aucune utilité à rendre les extraditions possibles avec des pays éloignés.

En ne donnant d’effet à la loi qu’avec les pays limitrophes, on obvierait d’une part aux justes inquiétudes dont je viens de parler ; de l’autre, on mettrait le gouvernement à l’abri des sollicitations et des exigences des cabinets qui voudraient user de notre loi, non dans l’intérêt de la société, mais pour assouvir des vengeances politiques.

Quant au caractère temporaire que je propose d’appliquer à la loi, il me paraît commandé par la nature même de celle-ci. Puisque c’est une loi d’essai, il est indispensable de lui assigner un terme, au bout duquel la législature sera appelée à juger si l’expérience en réclame ou non le maintien, soit pur et simple, soit avec des modifications.

Il me semble du reste qu’il importe d’autant plus de ne pas trop reculer l’époque où la loi et les traités faits en conséquence cesseront d’avoir effet, que les abus en seraient irréparables, et qu’ils seraient des plus graves puisqu’ils seraient attentatoires à la vie ou à la liberté des personnes.

Je regrette que l’absence de mon honorable collègue M. Dubus m’enlève un puissant appui pour la seconde partie de mon amendement, qui m’a été suggéré par lui.

Je voudrais qu’on pût revenir sur l’article premier de la loi, car dans ce cas je proposerais de mettre dans cet article : « Le gouvernement pourra livrer aux gouvernements des pays limitrophes, etc., » et alors mon article 8 se bornerait à ces mots : « La présente loi cessera ainsi que les traités faits en conséquence, d’être en vigueur au 1er janvier 1835. »

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je regrette, messieurs, d’avoir l’air de mettre dans cette discussion une insistance extrême ; mais il m’est impossible d’adopter l’amendement de l’honorable M. d’Huart.

Il a d’abord pour premier résultat d’empêcher de faire des conventions d’extradition avec l’Angleterre, et je vous ai fourni la preuve que l’Angleterre concluait de ces sortes de traités. L’Angleterre sera donc exclue de la loi, puisqu’elle n’est pas pays limitrophe.

Ensuite, il peut se présenter un cas fort simple. Je suppose qu’un assassin se soit réfugié dans les provinces rhénanes. De là à la Bavière rhénane il n’y a pas loin. Or, je le demande, la loi ne deviendrait-elle pas illusoire, si le Belge assassin, refugié dans les provinces rhénanes, trouvait moyen, en passant dans la Bavière rhénane, d’y rencontrer un refuge inviolable.

Puis il y a des motifs de convenance à consulter ici. Le gouvernement peut bien, dans certains cas, et à cause des circonstances, refuser de faire un traité d’extradition avec telle ou telle puissance ; mais je ne sais pas s’il serait convenable d’introduire cela dans une loi. Je crois qu’il faut s’en abstenir dans l’intérêt de la Belgique elle-même. A mon avis, il serait du devoir des ministres de représenter au chef de l’Etat l’inconvénient de la sanction qu’il donnerait à une pareille loi ; elle paraîtrait renfermer une injure adressée à des puissances avec lesquelles nous sommes en relations ou nous serons en relations.

Quant au caractère temporaire qu’on veut donner à la loi, il pourrait former obstacle à la conclusion de traités de réciprocité avec les gouvernements étrangers.

Du reste, l’extradition politique étant formellement prohibée, il serait impossible au gouvernement belge de donner un motif tant soit peu raisonnable de rendre temporaire un traité qui repose sur des principes permanents.

D’après ces considérations, je demanderai le rejet de l’amendement.

M. d’Huart. - Messieurs, j’avais d’abord considéré l’Angleterre comme pays limitrophe du nôtre, parce qu’il n’y a qu’un petit ruisseau à traverser (on rit) ; mais s’il y a des difficultés à cet égard, j’ajouterai à mon amendement : « y compris l’Angleterre. »

C’est dans l’intérêt du gouvernement lui-même que j’ai proposé cet amendement, car M. le ministre de la justice vous a déclaré qu’il ne ferait pas de traités avec la Russie. Eh bien, c’est à propos de cette déclaration que la condition de ne faire de traités qu’avec les pays limitrophes m’a semblé devoir lui être favorable.

Pour ce qui concerne la seconde partie de mon amendement, comme la loi n’est qu’une loi d’essai, il faut bien nous réserver la faculté de voir, au bout d’un certain temps, si elle est bonne ; et sa durée doit être très courte, parce que les abus sont irréparables. Si l’on croit que le terme que j’ai proposé n’est pas assez éloigné, on pourrait l’étendre jusqu’à 1836.

M. de Brouckere. - M. le ministre de la justice s’oppose à l’amendement parce que, dit-il, il autorise le gouvernement à conclure des traités avec certaines puissances, tandis qu’il le défend avec d’autres, ce qui constituerait à l’égard de ces dernières une injure indirecte. Et lorsqu’hier nous disions que le gouvernement, après avoir fait des traités avec des puissances, ne pourrait refuser d’en agir de même avec l’empereur de Russie sans lui faire un affront, M. le ministre s’est récrié contre cette observation. Je demande s’il est possible de pousser l’inconséquence plus loin. Je dis moi que la législature, en excluant certaines puissances de la loi, ne leur fait pas une injure ; mais je répète que le gouvernement leur ferait injure et commettrait un acte impolitique s’il leur refusait ce qu’il aurait accordé aux autres.

M. Nothomb. - Je ne partage pas l’opinion de l’honorable membre en ce qu’il n’y a aucune différence entre l’exclusion prononcée dans une loi contre certaines puissances, et le refus fait par un ministre dans une négociation. On peut donner à ce refus tous les motifs que l’on veut. On n’aurait plus ce moyen en prononçant l’exclusion. Il n’y aurait plus qu’un seul motif qui serait puisé dans ce débat ; et à mon avis ce serait une injure faite aux gouvernements que vous excluriez. Je déclare que si l’amendement passe, je voterai contre la loi, parce que je ne veux pas faire un tel affront à des puissances avec lesquelles nous sommes en relations.

M. Gendebien. - Je ne comprends pas qu’on s’obstine à ne pas voir ici de différence entre la puissance législative et le pouvoir exécutif. La législature fait une loi dans l’intérêt du pays, et il est tout naturel qu’elle en exclue la Russie au moins implicitement parce que jamais aucun Belge ne se réfugiera en Russie ; et c’est là un motif bien palpable pour dire que nous ne traiterons qu’avec les puissances limitrophes.

Le préopinant a dit qu’on avait mille raisons pour appuyer un refus. Eh bien ! nous dispensons le gouvernement de trouver ces raisons. Mais, dit-on, les débats les auront indiquées. Eh ! messieurs, les débats mettront alors le pouvoir exécutif dans une position bien plus fâcheuse. Car il en résulte que deux ministres ont déclaré formellement qu’ils ne concluraient pas de traités avec l’empereur de Russie.

Ainsi donc, quand vous refuserez à l’empereur de Russie, il dira : Je connais les motifs de votre refus. Et il pourrait se faire qu’il voulût traiter, lui, précisément parce qu’on a déclaré qu’on ne le voulait pas. La chambre voit qu’elle doit adopter l’amendement quand ce ne serait que pour tirer deux ministres de l’embarras où ils se sont plongés. (Aux voix ! aux voix !)

M. F. de Mérode. - Lorsque j’ai parlé de la Russie, je n’ai pas dit qu’on ne traiterait jamais avec elle : j’ai dit que si un traité avec cette puissance était dangereux pour les réfugiés politiques, nous le refuserions ; et je ne craindrais pas de répondre la même chose au gouvernement russe, parce qu’il serait contraire aux intérêts du pays de livrer des étrangers quand nous n’aurions pas toutes les garanties désirables.

M. de Brouckere. - Je ferai remarquer qu’hier vous et M. le ministre de la justice avez dit tout le contraire d’aujourd’hui.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - il est évident que je n’ai pu dire une semblable absurdité. J’ai dit que dans l’état actuel des choses, au milieu des circonstances où se trouvait placée l’Europe, le gouvernement, sans pouvoir être accusé de rodomontade, sans faire acte de courage, et sans manquer d’égards, pourrait refuser de conclure un traité d’extradition, avec telles puissances auxquelles on fait allusion ; mais je n’ai pas voulu enchaîner à jamais l’avenir. Cette prétention serait insensée. (Aux voix ! aux voix !)

M. d’Huart demande la division de son amendement.

- La première partie est mise aux voix et rejetée.

M. d’Huart. - Je demande, relativement à la seconde partie de mon amendement qu’on décide avant tout si la loi sera temporaire. On fixera le délai après.

- La question de savoir si la loi n’est que temporaire est mise aux voix et rejetée.

En conséquence, la deuxième partie de l’amendement de M. d’Huart se trouve écartée par le fait de ce rejet.

M. le président. - Comme il y a eu des amendements à la loi, nous ne pourrons voter son ensemble qu’après-demain.

M. Ernst, rapporteur. - Je propose, vu le nombre considérable d’amendements qui ont été introduits dans la loi, qu’on la fasse imprimer. (Appuyé ! Appuyé !)

- La séance est levée à 4 heures.