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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 15 février 1833

(Moniteur belge n°48, du 17 février 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dellafaille fait l’appel nominal à une heure. Il donne ensuite lecture du procès-verbal dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques fait connaître les pièces adressées à la chambre ; ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.

Rapports sur des pétitions

L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la pétition des habitants de la Flandre orientale, relativement au général Niellon.

M. Jullien. - J’ignore entièrement les motifs qui ont porté le Roi à retirer au général Niellon le commandement des Flandres ; je ne sais pas davantage, je l’avoue, pourquoi il le lui avait donné. Mais, messieurs, ce que je sais, ce que personne ne peut ignorer, c’est que, soit que le Roi donne, soit qu’il retire un commandement militaire, il est dans son droit, il ne fait qu’user de la prérogative constitutionnelle. En effet, comme nous l’a très bien exposé votre commission, d’après l’article 29 de la constitution, au Roi appartient le pouvoir exécutif ; d’après l’article 66, il confère les grades dans l’armée ; d’après l’article 68, il commande les forces de terre et de mer ; comment voulez-vous qu’il commande, s’il n’a pas le choix de ses lieutenants ?

Ces principes posés, je vais examiner sans aucune espèce de prévention quel égard nous devons prendre aux nombreuses pétitions qui vous sont soumises.

D’abord nous devons reconnaître que le droit de pétition est consacré par la constitution ; mais de même que nous devons nous montrer jaloux de partager ce droit, de même il est de notre devoir d’en proscrire les abus. Je crois, quant à moi, qu’une pétition adressée à la chambre ne peut être conçue que dans un intérêt privé ou dans un intérêt public. Dès l’instant que le plus obscur citoyen s’adresse à nous, en nous exposant qu’après avoir sollicité tous les pouvoirs il n’a obtenu qu’un déni de justice, il est de notre devoir de lui faire obtenir, par tous les moyens légaux, la justice qu’il réclame. Voilà la pétition dans l’intérêt privé.

Est-ce ainsi que se présentent les pétitions qui nous sont soumises ? Non, messieurs, ce sont des citoyens qui nous adressent des pétitions dans l’intérêt du général Niellon.

Ne pouvons-nous pas répondre aux pétitionnaires de quel droit ils viennent réclamer dans l’intérêt d’un citoyen qui ne se plaint pas ? Qui vous dit que le général Niellon ne rend pas au gouvernement plus de justice que ceux qui adressent des pétitions pour lui ? Il est reçu dans les tribunaux, il est reçu dans le droit public qu’on ne doit jamais disputer des droits des tiers : venez réclamer dans votre intérêt privé, on vous écoute ; mais si vous parlez du droit d’un tiers, on ne vous écoute plus. Vous ne pouvez pas vous présenter comme fondés de pouvoirs ; on ne fait pas des pétitions aux chambres par procureurs.

Mais, dira-t-on, ce n’est pas dans un intérêt privé, c’est dans un intérêt public qu’elles vous sont adressées : le déplacement du général Niellon a menacé la sécurité des Flandres, et dans cette position les habitants adressent leurs doléances à la chambre, parce qu’ils pensent que la chambre peut intervenir près du gouvernement pour faire cesser les craintes qui les agitent ; c’est dans un intérêt de localité que ces pétitionnaires se sont réunis pour adresser leurs pétitions. Si tout cela était vrai, à la bonne heure, il faudrait examiner avec une attention sérieuse ces plaintes ; mais je vous prie de faire attention que le commandement des Flandres s’étend à deux provinces ; or, je n’ai pas vu par ces pétitions que la province de la Flandre occidentale, à laquelle j’appartiens, se soit émue au déplacement du général Niellon ; pas une seule pétition de cette province ne vous a été adressée. Cela étant, c’est que cette province a considéré le déplacement, ou bien comme ne la touchant pas du tout, ou bien comme étant l’exercice d’une prérogative royale qu’il n’entrait pas dans ses intentions d’attaquer. Voilà comment on doit expliquer le silence de la Flandre occidentale.

Dans la province de la Flandre orientale, dans cette ville intéressante et populeuse, où était le siège du commandement, si le déplacement a excité tant de rumeur, nous allons voir du moins que l’autorité municipale va s’émouvoir dans l’intérêt de ses administrés ; elle va faire des réclamations : pas du tout, l’autorité municipale est muette, elle ne parle pas du déplacement du général Niellon. Cette autorité n’a pas jugé le déplacement sous le même point de vue.

On va s’écrier : L’autorité municipale est orangiste. Messieurs, je ne sais pas si l’honorable membre qui a lancé hier cette accusation contre la régence de Gand en a compris toute la portée. La régence, dit-on, est orangiste : mais qui donc vous l’a dit ? Et si la régence est orangiste, ne vous apercevez-vous pas que cette accusation tombe d’aplomb sur la ville qui l’a nommée, ou sur la majorité des habitants qui l’a constituée ? Je vous laisse à vous-mêmes le soin de détruire les conséquences de votre accusation.

Je crois, pour ce qui me regarde, que nous devrions laisser aux passions vulgaires les dénominations de parti. Ces dénominations devraient entièrement être exclues de nos débats, je ne connais pas d’orangistes ; je ne connais qu’un principe : c’est qu’en matière d’opinions, et d’opinions politiques surtout, elles doivent être libres comme la pensée. Je n’en connais de répréhensibles que lorsqu’elles se traduisent dans des actions coupables. Si vous voulez qu’on respecte vos opinions, respectez celles des autres, et ne lancez pas, au milieu de la représentation nationale, des brandons de discorde qui peuvent avoir de funestes conséquences dans une ville aussi intéressante que celle de Gand.

Sous le rapport privé comme sous le rapport de l’intérêt public, je ne vois pas qu’on doive avoir égard aux différentes pétitions. Cependant on a proposé le renvoi au ministre de la guerre avec demande d’explication. On vous a très bien fait observer que si vous ordonniez le renvoi au ministre de la guerre, vous vous immisceriez dans le gouvernement, et qu’en intervenant entre le gouvernement et les pétitionnaires, vous avilissez la dignité de la chambre, vous vous réduisez au rôle de solliciteurs.

Qu’est-ce que demandent les pétitionnaires ? Ils se sont adressés au gouvernement, et le gouvernement ne s’est pas occupé de leurs vœux ; ils demandent que vous interveniez auprès du gouvernement ; mais c’est demander que vous mettiez au pied du pouvoir exécutif le pouvoir législatif

Vous ne ferez, objecte-t-on, qu’un renvoi pur et simple : c’est ce qu’a dit un préopinant ; mais si vous êtes touchés des pétitions des habitants de la Flandre orientale, ne prenez pas de demi-mesures ; cela prouvera au moins que vous pensez qu’il a pu être commis des injustices que vous voulez réparer.

Mais si vous prenez une pareille détermination, vous vous introduisez violemment dans la prérogative royale, et vous vous exposez à la réciprocité. Messieurs, toutes les fois qu’il s’agira de défendre la prérogative royale ou celle de la chambre, je défendrai l’une et l’autre avec la même énergie. Si vous permettez l’empiétement des pouvoirs, il n’y a plus de constitution, plus rien de stable dans l’Etat. Avec de pareils éléments, il ne sera pas possible de gouverner.

Vous ne pouvez pas renvoyer purement et simplement au ministre de la guerre ; vous ne pouvez pas renvoyer avec demande d’explications, puisque dans ce cas vous suspectez le gouvernement et vous lui demander compte de sa conduite.

Mais faut-il de toute nécessité passer à l’ordre du jour ? Je vous avoue qu’il me paraît résulter des débats qui se sont élevés dans cette enceinte que la chambre pourrait bien, sans violer aucun principe, prendre un moyen qui ne serait pas le renvoi au ministre et qui cependant est indiqué par votre règlement. Plusieurs orateurs ont considéré, dans cette affaire, la conduite du ministre comme étant tout à fait opposée aux règles de la conduite qu’il devait tenir ; ces orateurs-là ont pensé qu’il pouvait en résulter danger pour les Flandres ; ils ont même insinué que c’était un parti-pris de renvoyer des emplois les patriotes ; que leur a-t-on répondu ?

Le ministre de la justice, en faisant sentir que l’on devait dans tous les cas conserver l’indépendance de la chambre, est cependant convenu que le moyen de forcer l’action du ministère, c’est de lui refuser le budget ; messieurs, ce refus de budget est le thème favori des ministres : quand ils sont embarrassés, ils disent : Si vous voulez renvoyer le ministère, vous avez un moyen simple de forcer la main du Roi, vous n’avez qu’à refuser le budget ; mais les ministres savent bien que l’opposition la plus systématique, l’opposition la plus renforcée, n’use jamais de ce moyen et craindrait d’en user, de peur de bouleverser l’Etat.

Cependant, j’accepte les parole du ministre de la justice, et s’il était vrai qu’il entrât dans l’esprit de quelques-uns des membres de la chambre le dessein de refuser leur vote au budget, pourquoi ne leur donnerait-on pas les moyens de puiser dans ces pétitions des motifs à leur vote, en les renvoyant au bureau des renseignements ? Il est possible qu’à l’occasion du déplacement du général Niellon, il arrive, soit des dénonciations contre le ministre, soit des demandes de mise en accusation, parce que ce déplacement, joint à des faits d’une autre nature, pourrait prouver que le ministère a compromis la sûreté du pays en retirant le commandement aux généraux qui avaient la confiance de la nation. Au bureau des renseignements on aurait la faculté de prendre dans les pétitions tous les faits à l’appui des dénonciations ou des accusations.

Je n’en fais pas la proposition formelle ; je désire être encore éclairé davantage par la discussion ; si la discussion porte assez de lumière pour me laisser croire qu’effectivement le dépôt au bureau des renseignements peut devenir utile, je le proposerai ; mais je voterai contre toute espèce de proposition qui aurait pour but le renvoi au ministre, soit simplement, soit avec demande d’explications.

M. de Robiano de Borsbeek. - L’affaire qui nous occupe a acquis un degré de gravité et d’importance qui demande de nous la plus grande prudence. Si les journaux n’avaient pas fait de l’affaire du général Niellon l’objet de tant de récriminations depuis plusieurs semaines et n’y avaient attaché une si grande importance, si les pétitions nous avaient été adressées sans cette emphase, et avec la simplicité d’hommes alarmés seulement pour l’Etat, on aurait pu les accueillir avec moins d’inconvénient.

Il s’agit ici de la marche de la partie la plus active du gouvernement, de la marche de l’armée, de ce qui peut faire le salut du pays en cas de danger. Tout ce qui regarde le commandement militaire est en dehors des investigations des populations et de la chambre. Messieurs, il s’agit de savoir si l’ordre régnera en Belgique, j’entends l’ordre qui se fonde sur le pouvoir constitutionnel, ou bien si les citoyens pourront venir, d’après certaines impulsions, commander au gouvernement telle ou telle mesure ; il s’agit de savoir, si ce sera l’ordre ou l’anarchie qui régnera en Belgique.

Premièrement je demanderai aux pétitionnaires de quoi ils viennent s’immiscer ? Que savent-ils des choses dont ils parlent ? Connaissent-ils tout ce qui est relatif au commandement militaire de la province ? Est-ce à eux de juger et de décider que tel général ou tel autre commandera ? Je veux croire à la capacité du général Niellon ; il y a des faits qu’on a cités en sa faveur, des faits qui se sont passés pendant la révolution ;cependant sa carrière militaire est courte : comment les pétitionnaires peuvent-ils savoir que le commandement des Flandres ne peut convenablement être mise en d’autres mains ? Sont-ils bons appréciateurs du nombre des troupes qu’il doit commander ? Qui d’eux et même de nous connaît la force de l’armée ? Les uns la portent à 110,000 hommes, les autres à 120,000, d’autres encore à 130,0000 hommes ; et les pétitionnaires décideront hardiment qu’on n’en a pas remis assez sous les ordres du général Niellon !

On s’est alarmé de la marché des corps qu’on semblait pousser en avant, puis retirer ; envoyer à l’est, puis à l’ouest ; diminuer, augmenter de nombre : mais qui ne sait que cela entre dans les plans de la tactique ? Qu’entendent à cela les pétitionnaires, tous de l’ordre civil ? Je pense au moins qu’aucun militaire ne s’est avisé de signer ces pétitions ; mais les dames n’ont point été si réservées.

Connaissent-ils les raisons du gouvernement de ne placer que tant de troupes dans les Flandres ? Connaissent-ils les plans de l’ennemi ? Ils disent : Nous sommes exposés ; ils l’ont dit pendant des semaines, des mois, et cependant les Flandres n’ont pas été attaquées. Le gouvernement savait qu’il n’y avait pas plus de 3,000 hommes dans la Flandre zélandaise ; il rassura le général Niellon, sachant que les forces hollandaises menaçaient d’un autre côté. Vous prétendez que l’ennemi était nombreux dans votre voisinage ; le fait est inexact. Le gouvernement, plus éclairé que les particuliers, avait son plan, sa tactique ; les habitants peuvent-ils en être juges ?

Si la province de Luxembourg avait, de son côté, demandé plusieurs mille hommes, se déclarant exposée à la confédération germanique, souvent si menaçante, aurait-on dû aussi les leur envoyer ? Quand l’armée était concentré vers le Brabant, Liége aurait pu pétitionner, demander des secours ; si cette ville ne l’a pas fait, c’est qu’elle a pensé que le gouvernement surveillait la marche de l’ennemi et avait arrêté les moyens de sa défense.

Je conçois qu’une province ait des inquiétudes : rien de plus simple qu’elle les témoigne ; mais à qui les témoigner ? Au chef de l’Etat, au chef de l’armée si l’on veut. C’est à lui qu’il appartient de dire : « Je ne peux vous donner de plus grands secours, je ne puis vous en exposer les motifs. » Nous avons vu dans l’histoire les plus grands capitaines obligés d’abandonner quelques provinces pour sauver le pays. Aurait-on pu crier à la trahison quand ils sauvaient la patrie ? C’est aux chefs des armées à savoir quelles opérations il faut faire pour assurer en définitive la possession du tout, et le sacrifice momentané d’une partie est souvent nécessaire.

Le droit de pétition est précieux, il est sacré.

Mais pour qu’il ne soit pas décrédité, il faut que les pétitionnaires ne parlent que des choses qu’ils savent et qu’ils comprennent. J’ai montré dans plus d’une circonstance que je savais l’apprécier ; mais je montrerai dans toutes les circonstances que je suis l’appui de l’ordre légal, et l’appui de l’autorité dans tout ce qu’elle fait légalement.

Si les pétitionnaires avaient dénoncé au gouvernement des traîtres ; si, s’appuyant sur des faits, sur des données très probables, ils avaient dit : « Il y a correspondance avec l’ennemi ; il y a là danger ; » si le gouvernement avait refusé de faire droit à la plainte, alors ils auraient pu s’adresser aux chambres. Mais juger de la capacité d’un homme et dire : « C’est cet homme qu’il vous faut ; » c’est rendre le commandement de l’armée impossible.

Je sais que les Flandres ont été émues par plusieurs coïncidences malheureuses. Les Flandres voient éloigner le général Niellon ; elles le croient capable, elles le croient patriote, elles ne connaissent pas les motifs de son déplacement. A l’appui de cette première présomption arrivent des inquiétudes pour le gouverneur, arrive l’affaire des pompiers. Quelle affinité entre ces faits simultanés ? Je n’en sais rien ; mais ils ne peuvent autoriser les habitants à demander tel chef militaire, telle force militaire qu’ils jugent nécessaire à leur défense.

Certainement les nominations orangistes seraient repoussées par moi plus que personne. Je rougis pour mon pays de le dire, il s’y trouve des orangistes, des hommes incorrigibles ; les nommer à des places dont d’honnêtes citoyens seraient dignes doit alarmer à juste titre. Ces mesures de faiblesse par lesquelles on voudrait attirer à soi un parti qui n’a pas fait preuve de résipiscence, n’auraient pas mon approbation ; mais c’est là où le patriotisme doit se montrer en dénonçant hardiment et clairement les traîtres.

Sous le point de vue de la discipline militaire, je ne saurais admettre les pétitions. Cette discipline demande une obéissance plus étendue que partout ailleurs ; il faut qu’elle soit à peu près passive. Si on était obligé de donner aujourd’hui un commandement au général Niellon, après les démarches qui ont été faites, je ne crois pas qu’il y ait de discipline militaire possible ; je crois même que, dans la position où le général se trouve, il serait fort embarrassé de prendre un commandement.

Le général Niellon a demandé trois fois sa mise en disponibilité. C’est à la troisième fois seulement que sa demande a été accordée. On assure qu’il avait demandé des troupes, qu’on les lui avait refusées, et que c’est là ce qui l’a déterminé à demander sa mise en disponibilité : libre à lui. Mais combien de fois les plus habiles généraux ont fait des demandes de troupes qu’on n’a jamais pu leur accorder ? Ces généraux sont alors victimes de la nécessité, ils ne peuvent pas faire ce que leur réputation ou la conservation de leurs positions demandent ; les dispositions prises empêchent de leur envoyer des troupes. Il faut que ces généraux se résignent. D’autres fois, les généraux sont victimes de l’incapacité du chef ; mais la discipline exige qu’ils se soumettent ; en devenant militaires, ils savaient qu’ils étaient exposés à ces désagréments. La discipline est la base de tout dans une armée.

Si les pétitions actuelles reçoivent le moindre accueil dans cette chambre, il en résultera que quantité de mécontents réclameront ; et combien n’y en a-t-il pas dans une armée ! Les uns se croient très capables, d’autres disent qu’ils ont rendu les plus grands services ; ceux-là, qu’on ne leur a pas fait droit ; ils viendront ériger la chambre en juge de leurs prétention, et la chambre deviendrait général d’armée.

Mais les pétitionnaires sont des patriotes : je les tiens pour tels ; mais, malheureusement dans notre pays, il y a d’autres individus que des patriotes ! Est-on bien sûr que dans l’armée il n’y ait que des patriotes ? Si des orangistes vous présentaient des pétitions pour un général orangiste, que feriez-vous, messieurs ? Vous érigeriez-vous en juges ? Etes-vous juges de qui mérite de commander ?

Je ne crois pas que l’armée elle-même fût satisfaite de cette manière de procéder. J’en appelle aux militaires qui siègent dans cette chambre ; l’armée verrait-elle avec plaisir déplacer le commandement de l’armée, des mains du Roi, dans celles des chambres ? C’est cependant ce qui résulterait de l’accueil des pétitions.

Messieurs, la chambre n’est pas compétente ; elle n’a pas droit de demander aux ministres des explications sur les motifs du déplacement du général Niellon. Le ministre doit vous déclarer qu’il ne peut parler. Il a sans doute des motifs de placer tel général ou tel autre ; il en a pour envoyer des troupes sur tel point ou sur tel autre ; mais il ne peut les faire connaître ici ni ailleurs : son secret doit être inviolable. S’il devait s’expliquer, il faudrait qu’il s’expliquât dans toutes les circonstances analogies, et les combinaisons militaires seraient impossibles. Il faudrait également que les autres ministres rendissent compte des nominations qu’ils font ; c’est vous qui administreriez. Telles seraient les conséquences du renvoi des pétitions au ministre. Ce renvoi d’ailleurs, ne saurait être une simple formalité. Ou le Roi cédera, et alors son autorité, sa prérogative est compromise, la direction de l’armée passe à la chambre. Ou le Roi résistera, et alors la chambre est compromise.

Le devoir le plus impérieux des chambres dans l’occasion actuelle, c’est de défendre la prérogative royale, c’est de défendre l’ordre, c’est de donner de la force au gouvernement.

Si la chambre intervient, le ministre dira : Vous m’avez forcé à reprendre tel général, je ne suis plus responsable ; et la responsabilité ministérielle que vous invoquez si souvent serait détruite, et détruite dans un des points les plus importants, puisque le salut de l’Etat peut en dépendre.

Messieurs, les prérogatives royales ne sont pas trop grandes ; je le dis hautement. Depuis que je siège dans cette enceinte, je me confirme de jour en jour dans la pensée que la prérogative royale ne doit pas être restreinte. Lorsqu’on fait des choses nouvelles, on est sous l’impression des choses auxquelles on échappe ; nous avons échappé au despotisme, il ne faut pas se jeter dans une liberté excessive, qui deviendrait de la licence. Trop de liberté détruit la liberté. La part du gouvernement n’est pas trop grande en Belgique. Rien n’est contraire à la liberté comme d’imposer au pouvoir des conditions trop dures, parce que tôt ou tard il y a réaction, et dans les réactions on va toujours au-delà du but.

Montrons que nous sommes sages ; je crois que nous avons assez de liberté. Lors même que nous aurions le malheur de vivre sous le régime républicain, le chef de ce gouvernement ne pourrait souffrir que l’on restreignît son droit. Il n’y a aucun gouvernement, quelque forme qu’on veuille lui donner, qui, avec le système de pétition qu’on soutient, pût subsister. Le Roi doit agir avec indépendance dans le rayon de ses prérogatives ; il doit surtout agir avec indépendance sur l’armée. Il ne faut pas oublier que nos désastres du mois d’août sont dus en partie au défaut de discipline.

On a parlé de la puissance de l’opinion, de la nécessité d’entendre ce qu’elle réclame ; l’opinion est d’un grand poids dans notre forme de gouvernement ; mais dans cette circonstance l’opinion n’a rien à faire, il s’agit de services militaires. Un gouvernement peut avoir égard à l’opinion, mais ce n’est pas à elle à réformer ce que le chef militaire a cru devoir faire.

Je crois, au reste, que l’alarme jetée dans quelques esprits est trop grande ; l’opinion générale n’est pas fort inquiète de ce qui excite ici tant de bruit.

Je ne pense pas que le gouvernement veuille se suicider. Il peut faire des fautes, par faiblesse, ou autrement ; mais on ne peut supposer qu’il soit ennemi de lui-même.

Le général Niellon a été remplacé par un autre général, que l’on connaît comme plein de bravoure et de talent ; il a donné des preuves qu’il s’attachait à la Belgique, et j’espère que, dans peu de temps, les Flandres se consoleront de la perte qu’elles ont faite.

Le gouvernement, en replaçant les officiers de volontaires, a fait preuve qu’il aimait l’ordre nouveau des choses. Ces volontaires ont tous été placés, quoique je ne croie pas qu’ils soient tous également bons officiers ; le gouvernement a voulu reconnaître leurs services en les employant.

Messieurs, nous perdons un temps précieux en débats stériles : nous avons des choses de la dernière importance à faire ; nous ne les ferons pas. Voilà deux séances que nous avons employées pour examiner cette question qui n’aurait jamais dû nous être soumise. On s’alarme de voir le général Niellon sans emploi, et moi, je m’alarme de voir que tant de lois pressées et nécessaires ne se feront point ; je m’alarme de voir qu’à l’extérieur, on nous croie incapables d’une marche sage et convenable, incapables de diriger et même d’apprécier les affaires essentielles de la patrie dans ses plus pressants besoins.

Je voterai pour l’ordre du jour. On a parlé d’un dépôt au bureau des renseignements ; cette détermination ne serait point assez significative ; il faut qu’une bonne fois la chambre se montre résolue à soutenir le gouvernement dans tout ce qu’il fera légalement ; il faut qu’une mesure bien caractérisée dégoûte de recommencer des tentatives si ruineuses pour la marche du pouvoir.

M. d’Huart. - Messieurs, je me serais dispensé d’ajouter quelque chose aux conclusions que j’ai eu l’honneur de vous présenter au nom de la commission des pétitions, si quelques honorables membres que vous avez entendus dans la séance d’hier ne m’en avaient en quelque sorte imposé l’obligation par les raisonnements qu’ils ont fait valoir contre ces conclusions.

D’abord, je dirai qu’on a prêté aux intentions de la commission une interprétation qu’il lui importe de repousser. Il n’est pas vrai qu’elle vous a présenté un « dédaigneux ordre du jour, » comme l’ont dit plusieurs préopinants ; elle a droit d’être surprise qu’on vienne ici tout gratuitement prononcer de semblables qualifications, lorsque les conclusions qu’elle vous a soumises sont le résultat inévitable de la saine application du texte et de l’esprit de la constitution.

Et qu’un honorable membre ne croie pas avoir donné quelque apparence de vérité à cette allégation, lorsque, faisant allusion à ce qui s’est passé à une époque déjà éloignée, il vous a dit : « Naguère une foule de communes demanda aux chambres le redressement des griefs, alors j’entendis dans cette même enceinte la majorité invoquer l’ordre du jour, parce que toutes ces pétitions étaient attentatoires aux droits du prince ; alors aussi on alla jusqu’à supputer le nombre et la valeur des signatures. »

Votre commission, messieurs, a-t-elle cherché dans le nombre et la valeur des signatures une fin de non-recevoir ? Ne vous a-t-elle pas, au contraire, fait connaître par mon organe que ses conclusions lui étaient dictées par la constitution, « elle n’avait pu se laisser influencer ni par le grand nombre ni par la notabilité des signataires, ni par les motifs qui les avaient dirigés » ?

Un des adversaires de l’ordre du jour vous a dit qu’il puisait dans l’article 43 de la constitution le droit que la chambre a, dans cette occasion comme dans toute autre, de renvoyer les pétitions aux ministres ; cela serait vrai si l’on pouvait considérer ce renvoi comme une simple formalité, comme un acte sans but ; mais il est évident que l’on ne peut envisager la chose de cette manière, à moins de considérer en même temps comme une niaiserie le droit constitutionnel dont on veut tirer parti en cette occasion. Si, comme je le pense, le droit de renvoyer les pétitions aux ministres signifie quelque chose, c’est-à-dire que l’usage de ce droit met le gouvernement dans la nécessité de s’expliquer ou de se justifier sur l’objet des pétitions qui lui sont transmises par la chambre, ou d’y donner une suite quelconque, je dis que dans le cas présent l’article 43 de la constitution n’est pas applicable.

Car que demandent les pétitionnaires ? Ils demandent le maintien du général Niellon comme commandant militaire de la Flandre orientale ; or, les articles 66 et 68 de la constitution attribuent au Roi le droit de conférer les grades dans l’armée et de la commander ; il ne peut donc être restreint en aucune manière dans l’exercice de ce droit, et, par conséquent, à moins d’admettre que l’article 43 de la constitution peut en annuler les articles 66 et 68, vous ne pouvez, en vertu de cet article, demander au pouvoir exécutif de se justifier ou de donner une suite quelconque à l’objet des pétitions dont s’agit.

Le mérite, la bravoure et les services rendus par l’officier supérieur dont quelques orateurs ont chaudement plaidé la cause, ne seront, j’aime à le croire, contestés de personne, pas plus que les titres que l’honorable général a à la reconnaissance nationale ; mais, pour moi, la question constitutionnelle est tout, elle domine tout, et il me semble que, comme législateurs, nous devons faire taire nos affections personnelles, nos vœux comme simples citoyens, pour observer religieusement les stipulations de la loi des lois.

M. de Haerne. - Messieurs, un honorable préopinant, M. Jullien, vous a dit qu’il n’y avait que les Flandres orientales qui réclamaient en faveur du général Niellon. Il a distingué la Flandre orientale de la Flandre occidentale ; je ne crois pas que son intention ait été par là de diminuer la valeur des signatures mises au bas de la pétition en faveur du général Niellon. Moi, comme représentant de la Flandre occidentale, je tiens à cœur de démontrer que les deux Flandres n’ont pas des opinions opposées. Au reste, l’assertion de l’honorable préopinant est inexacte ; une pétition de la Flandre occidentale a été déposée sur le bureau.

L’opinion émise dans les pétitions est l’opinion générale de ces contrées. Un fait négatif le prouve ; c’est que si une opinion contraire y existait, opinion tant soit peu forte, tant soi peu considérable, elle se serait manifestée par des pétitions opposées à celles qui nous occupent. Cette opinion se ferait entendre : une opinion qui ne s’énonce pas est une opinion nulle.

Je ne puis me ranger à l’avis de l’honorable préopinant dans la proposition qu’il vous a faite ou du moins dans l’idée qu’il a jetée en avant. Le renvoi au bureau des renseignements est, à mes yeux, une proposition du juste-milieu. La proposition du dépôt au bureau des renseignements et du renvoi au ministre de la guerre est celle que je pourrais appuyer.

Mais le renvoi au ministre de la guerre est-il légal ? Est-il dans le cercle de nos attributions constitutionnelles ?

Vous avez entendu soutenir l’opinion contraire par le ministre de la justice. En s’appuyant sur l’autorité de la commission dont je ne conteste pas les lumières, et qui a proposé l’ordre du jour à l’unanimité, le ministre a invoqué les articles 29, 66 et 68 de la constitution. Ces articles stipulent que le pouvoir exécutif appartient au Roi, que le Roi confère les grades dans l’armée, que le Roi déclare la guerre. Si, d’un autre côté, nous ne trouvions dans la constitution des articles bien formels, bien généraux sur le droit de pétition, je serais assez de l’avis du ministre ; mais il y a des articles qui constatent si clairement le droit de pétition qu’il me paraît impossible d’invoquer les articles relatifs aux prérogatives royales pour annuler ce droit.

L’article 21 dit : « Chacun a le droit d’adresser aux autorités des pétitions signées par une ou plusieurs personnes.

L’article 43 qui se rapporte au même objet est tout aussi général : « Chaque chambre a le droit de renvoyer aux ministres les pétitions qui lui sont adressées ». Aucune distinction n’est faite ni dans un article ni dans l’autre.

Supposons qu’il y ait doute ; il faudrait alors envisager l’esprit de la constitution.

Or, je trouve un article très significatif dans cette matière ; c’est l’article qui fixe l’origine de tous les pouvoirs.

« Art. 25. Tous les pouvoirs émanent de la nation. » Si tous les pouvoirs émanent de la nation, comment ne pas l’écouter quand elle manifeste son opinion ? Je ne veux pas ici, le moins du monde, diminuer aucun pouvoir ; je ne veux pas d’empiétements d’un pouvoir sur l’autre.

Chaque fois qu’il est question d’interpréter les droits de la nation, ou les prérogatives du pouvoir, la chambre se sépare en deux camps : il y a lutte de principes ; on ne s’entend pas toujours sur le sens de la constitution, il en est qui prennent trop souvent notre constitution comme si elle était une constitution octroyée ; nous, nous ne considérons la constitution que comme une émanation de la volonté du peuple.

Si, en renvoyant les pétitions au gouvernement, nous agissions directement sur le pouvoir exécutif, il y aurait violation de la prérogative royale ; il n’en est pas ainsi. Tous les articles cités par la commission ne disent pas que les chambres ne puissent avoir une intervention indirecte, ne puissent inviter le pouvoir à adhérer au vœu de la nation. Une pétition n’est pas un ordre ; les pétitions sont l’expression d’un vœu ; et lorsque nous transmettons les pétitions au ministre de la guerre nous ne faisons qu’inviter le ministre à se rendre au vœu de nos commettants.

Mais, a dit M. Lebeau, vous allez réduire la chambre à un rôle humiliant ; elle viendra les mains jointes demander que le général Niellon soit réintégré dans son grade : non, messieurs, il ne s’agit pas de prendre une position humiliante : à côté du droit de réclamer que le vœu des citoyens soit rempli, nous avons des droits positifs à exercer, et nous ne saurions jamais être humiliés.

On prétend que les ministres ne sont pas responsables des nominations qu’ils font : s’il en était ainsi, je demande à quoi se réduiraient les droits des chambres ? Le ministère pourrait nommer dans toutes les places les ennemis de la révolution, et il nous serait interdit d’inviter le ministère à faire des choix moins impopulaires ! Mais alors quelle serait notre importance ? Le pouvoir de la chambre est borné au refus du budget : mais si vous ne craignez pas le refus du budget, comment craignez-vous le renvoi d’une pétition ?

On a parlé dans cette enceinte de ce qui s’est passé avant la révolution : on vous a rappelé que des pétitions nombreuses furent envoyées aux états-généraux ; parmi ces pétitions, chose remarquable, il en est qui étaient relatives aux prérogatives de la couronne. Le concordat étant un traité conclu entre le Roi et le saint-siège, ce traité rentrait tout entier dans les prérogatives royales, cependant les pétitions ne furent pas repoussées. Si on avait dit aux trois ou quatre cent mille pétitionnaires : adressez-vous à M. Van Maenen, ou à tel autre, un cri général de réprobation aurait éclaté.

Il en a été de même des pétitions sur le droit de « langage. » On a demandé que le roi voulût bien modifier les arrêtés sur la matière.

Messieurs, on vous a fait peur, hier, des conséquences qui pourraient résulter de l’adoption du renvoi aux ministres ; on vous a dit : Si vous adoptez le renvoi au ministre, ne voyez-vous pas que vous serez assaillis d’une foule de pétitions, que tous les militaires viendront réclamer, et vous prendront pour les arbitres suprêmes de l’Etat ?

A cet égard il paraît qu’on a trop peu de confiance dans les lumières de la chambre ; elle saura toujours apprécier les motifs qui dirigent les pétitionnaires ; la chambre n’a pas l’intention d’entraver la marche du gouvernement. C’est pour les cas graves, les circonstances extraordinaires que la chambre intervient.

Ne croyez pas qu’il s’agisse ici d’une chose tout à fait ordinaire ; qu’il s’agisse du simple renvoi d’un officier et de son remplacement. Il faut voir dans le général Niellon l’homme qui a la confiance du pays. Je n’examine pas ici ses qualités privées ; je ne vois en lui que le patriote, que l’homme public, que l’homme investi de la confiance des chambres. Croyez-vous que ce soit une chose peu digne d’attention que d’avoir à la tête de deux provinces un commandant jouissant au même degré de la confiance de l’armée et de celle des habitants, un homme qui peut entraîner les populations après lui ? Un tel homme est précieux, est un homme dont le ministère aurait dû mieux apprécier le mérite et l’importance. Si en place des patriotes on met des hommes qui n’inspirent pas la même confiance, savez-vous ce qui peut arriver ? C’est que malgré le talent du général, dès le moindre mouvement qu’opérera l’ennemi, on croira à la trahison et tout sera à la débandade. Il ne faut pas être militaire pour parler de ces choses-là ; il ne faut que du bon sens.

Le général Niellon n’est pas seulement un homme de confiance, c’est encore une capacité ; c’est une de nos illustrations militaires ; elles ne sont pas trop nombreuses en Belgique pour les négliger. Oui, de tels hommes sont très précieux ; on ne peut se défaire à aucun prix d’hommes de cette importance. C’est d’un seul homme que souvent dépend le salut d’un pays.

Que serait-ce de l’ancienne Grèce si elle n’avait pas eu ses Thémistocle, ses Léonidas ? Aurait-elle en ses journées de Marathon de Salamine ? Nous, nous avons les Hardy de Beaulieu, les Mellinet, les Niellon… Mais, que dis-je ? non, nous ne les avons plus ; ils sont tombés sous la faux ministérielle ; après avoir affronté la mitraille ennemie, ils ont été terrassés par un coup de plume ministérielle. On dirait que le ministère a peur des patriotes, on dirait que le juste milieu a peur de la gloire ; qu’il ne peut avoir de force qu’en s’appuyant sur le parti rétrograde, sur le parti orangiste du pays...

Je ne dis pas trop quand je parle ainsi : voyez ce qui se passe à Gand !... Si l’affaire du général Niellon ne se rattachait pas à d’autres actes, je n’en parlerais pas : mais on a décimé le corps des pompiers…

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. de Haerne. - Je voudrais bien savoir comment le ministre, qui s’agite, a pu par un arrêté ministériel détruire un arrêté royal ?

Je crois, messieurs, vous avoir démontré, dans la question agitée, et le fait et le droit ; je ne puis balancer sur les conclusions que j’ai à prendre.

Je ne puis terminer sans rappeler ce qui s’est passé aux états-généraux, alors que retentissaient ces voix éloquentes, qui ont contribué à fonder notre pacte constitutionnel. Voici ce que disait, aux états-généraux, M. Angillis : « Je sais où commence le droit de pétitions ; c’est le droit d’exprimer un vœu ; mais je ne sais où il finit... Ce droit ne saurait avoir de limites... Je rejetterai toute proposition qui tendrait à le restreindre. »

D’autres orateurs, ne s’exprimaient pas avec moins de force. Je repousse l’ordre du jour ; je ne veux pas consacrer un des griefs qui a perdu l’ancien gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je viens m’opposer au renvoi au ministre de la guerre des pétitions qui ont été adressées à la chambre par des habitants de la Flandre orientale et, à ce qu’il semble aussi, par quelques-uns de la Flandre occidentale ; mais les avis sont partagés sur ce dernier point.

- Quelques voix. - Il n’y eu a qu’une d’habitants de la Flandre occidentale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ce renvoi, messieurs, semble d’après les discours que j’ai entendus jusqu’à ce moment, avoir un double but : d’abord, la réintégration d’un général mis en disponibilité, et, en second lieu, une protestation de la chambre contre un prétendu système de réaction adopté par le gouvernement à l’égard de citoyens dans lesquels cependant il devrait trouver son plus ferme appui. Messieurs, ni à l’un ni à l’autre de ces titres le gouvernement ne peut accepter ce renvoi. L’inculpation qu’on lui adresse s’appuie sur des faits, et principalement sur des hypothèses, des conjectures, des symptômes. Nous examinerons d’abord les faits, ensuite nous passerons aux conjectures.

L’énormité commise par le gouvernement dans ces derniers temps, énormité qui le conduirait tout droit dans l’abîme si d’honorables membres n’avaient la sollicitude grande de l’arrêter sur le bord, se résume en deux points : 1° la mise en disponibilité d'un général, et 2° la faculté reconnue à une régence de réduire au nombre de 100 un corps de pompiers qui pouvait être porté à 150.

Quant à la mise en disponibilité du général, quant au droit qu’aurait la chambre de demander la réintégration d’un fonctionnaire public mis la retraite, mis en disponibilité ou démissionné par le pouvoir exécutif agissant dans le cercle de ses attributions, la question d’incompétence a été traitée par plusieurs membres d’une manière si lumineuse que je ne pense pas devoir y revenir.

En fait cependant il faut le reconnaître, le général Niellon n’a dans sa mise en disponibilité que ce qu’il a demandé lui-même. Si ceux qui ont parlé des sentiments d’hostilité de l’honorable général qui siège à côté de moi, s’étaient adressés à sa loyauté, ils sauraient qu’on a insisté vivement auprès du général Niellon, plus que ne devait le faire peut-être, pour le maintenir dans son commandement, à tel point que ce dernier a déclaré qu’alors même qu’on accepterait les conditions qu’il avait posées d’abord, il refuserait encore de le conserver plus longtemps. Les correspondances sont là pour l’attester. Je remarque en passant que l’estimable général qui a été appelé à remplacer le général Niellon, est un homme qui a été aussi à la tête d’une armée de 14,000 hommes. Peu de temps après, cette armée a été réduite à une simple brigade, et cependant je n’ai pas vu que le brave général Magnan ait élevé des plaintes, ait ouvert de nombreuses correspondances, et qu’on ait fait de longs pétitionnements en sa faveur, parce que le gouvernement avait jugé utile de lui retirer une partie de ses troupes.

J’arrive maintenant au deuxième point de l’accusation, et ici il faut avouer, comme je crois le démontrer bientôt, qu’on a fait beaucoup de bruit pour bien peu de chose. Je commence par déclarer que le gouvernement a professé beaucoup d’estime et même beaucoup d’affection pour le corps des pompiers, auxquels le pays doit d’avoir échappé aux dangers d’une échauffourée qui cependant, à ce que je crois, n’aurait pu être suivie d’un résultat bien funeste.

Je reconnais que les pompiers ont fait acte de courage et de patriotisme, et qu’il pourrait être dur pour leur digne chef de voir ses hommes réduits à 100. Mais il y a autre chose que le goût particulier d’un chef ou les goûts des soldats à considérer ; il y a la constitution, la loi commune, qui doit protéger amis et ennemis. Un arrêté du mois de janvier 1830, de la régence de Gand, établi un corps de pompiers, dont la force fut fixée à 150 hommes. Cet arrêté organisant une force publique a été soumis à l’approbation du Roi. Le nombre de 150 hommes était-il une limite que la régence devait bon gré mal gré atteindre, alors même qu’elle n’en avait pas besoin ? Nullement, mais une limite qu’elle ne pouvait point dépasser.

Sous l’ancien gouvernement, et encore moins sous celui-ci, il n’a jamais pu entrer dans l’intention du pouvoir exécutif d’interpréter autrement l’autorisation royale. D’après l’article 77 du règlement des villes, la régence a dans ses attributions la nomination et la fixation des traitements de ses employés ; et jusqu’à ce qu’on me démontre que les pompiers ne sont pas les employés de la régence, je soutiens qu’elle ne pouvait pas renoncer au droit de fixer le nombre et les traitements de ces employés, appelés pompiers. La preuve, c’est qu’après la sanction royale accordée au règlement, la régence prît une mesure, sur la proposition de M. le major Vandepoele, qui portait à 75 hommes seulement le nombre des pompiers.

Voilà ce qui a pu se passer sous le régime du roi Guillaume. Messieurs, voudriez-vous par hasard, alors qu’avec tant d’autres affranchissements la constitution belge a proclamé l’affranchissement des communes, voudriez-vous que ces communes fussent moins libres aujourd’hui que sous le régime déchu ? Mais cette constitution, à laquelle l’honorable M. Desmet a dit qu’il ne veut porter aucune atteinte, s’exprime ainsi dans son article 110 : « Aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil communal. » Or le corps des pompiers, organisé sur le pied de 150 hommes, coûte à la ville de Gand la somme modique de 84,000 francs. Cette ville, par des motifs d’économie, porta, dans son budget de 1832, une somme destinée à payer, non 130, mais 120 pompiers. Là-dessus grandes réclamations, accusation de vouloir anéantir ce corps, et obligation pour le gouvernement, j’ai regret de le dire, de payer le surplus des pompiers que la régence ne voulait pas solder, attendu que le gouvernement, dans ces circonstances, ne se sentit pas la force ou le droit d’imposer à la ville une dépense qu’elle refusait de subir.

Les mêmes circonstances se représentèrent à l’occasion du budget de 1833. La régence de Gand ne voulut pas porter à son budget la somme de 84,000 francs pour 150 pompiers, par la raison qu’elle disait pouvoir faire son service avec un personnel de 100 pompiers seulement.

M. de Brouckere. - Mais ce n’est point-là la question ; il ne s’agit pas des pompiers.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je vous demande pardon ; on a accusé le gouvernement, et il a à cœur de prouver qu’il ne suit pas un système de réaction, comme on l’a dit. Je vous prie de ne pas m’interrompre.

M. de Brouckere. - Je suis de votre avis pour les pompiers ; mais j’ai cru devoir faire remarquer que ce n’était pas la question.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement pensa qu’il ne pouvait continuer à payer, pour les pompiers, le surplus des traitements que la ville de Gand n’avait pas portés à son budget. La ville fut, en quelque sorte, sommée par l’autorité provinciale de le faire. De là, réclamations auprès de l’autorité supérieure qui, au fond, n’avait pas le droit d’intervenir dans une affaire d’ordre intérieur de la commune. Voici à quoi se borna l’intervention du gouvernement qu’on lui a tant reprochée hier et aujourd’hui, après les critiques amères et injustes de quelques feuilles publiques. Voyant le conflit élevé entre l’autorité communale et l’autorité provinciale, il invita la régence à remettre le corps de pompiers sur le pied où il se trouvait à la date où elle était venue, par sa députation, réclamer à Bruxelles. Cette fois, il ne s’agissait plus de 100 hommes, mais de 139 hommes.

Que fit la régence ? Elle se rangea à cette invitation ; elle déclara que, malgré ses décisions antérieures, elle prendrait, à la charge de la ville, 139 pompiers, alors qu’il dépassait, malgré elle, le nombre qu’elle avait fixé primitivement. Voilà le fait dans toute sa vérité. L’année dernière, la ville de Gand payait 120 pompiers ; cette année, elle en paie 139. A la vérité, à mesure qu’il y aura des vacatures, elles ne seront pas remplies. Mais je ne vois aucun moyen, ni constitutionnel, ni législatif, d’amener la régence à employer 150 hommes au lieu de 100 dont elle a besoin.

Je fais appel à tous les bourgmestres qui se trouvent dans la chambre : si un ministre voulait imposer à leur commune une force de 150 hommes, quand elle n’en voudrait que 100, comment cette injonction serait-elle accueillie ? En définitive, le corps des pompiers et les hommes du 2 février ont été maintenus. Aucun de ces hommes n’a été destitué. Ceux qui ont cessé d’en faire partie ne peuvent l’imputer qu’à eux-mêmes. Il n’est donc pas vrai qu’on ait voulu anéantir ce corps de patriotes.

J’ai examiné les deux faits sur lesquels est basée cette grave inculpation adressée au gouvernement, d’agir par un système réactionnaire contre tous les patriotes et les hommes de la révolution.

Mais, passant aux hypothèses, il y a un général qui, dit-on a aussi demandé sa mise en disponibilité, parce qu’il est abreuvé de dégoûts. Et de quels dégoûts, s’il vous plaît, était donc abreuvé ce général ? A-t-il été changé dans son commandement ? Quelles sont les injustices commises à son égard ? Elles sont encore ignorées du gouvernement ; et en définitive, ce général, qui avait tant de disposition à être mis en disponibilité, se trouve encore en activité.

Mais un autre encore a demandé sa démission, c’est un colonel. Eh bien ! il se trouve que la lettre de ce colonel demande seulement une permission de congé pour raison de santé.

Maintenant, on a voulu destituer le brave colonel des pompiers de Gand…

M. A. Rodenbach. - Non, on a dit qu’il avait offert sa démission.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Eh bien, je fais le plus grand cas du courage et du patriotisme du colonel Vandepoele ; mais si un fonctionnaire soumis à mon ministère dans l’ordre hiérarchique insistait pour avoir sa démission, je le déclare, afin que mes paroles retentissent au-dehors, il ne tarderait pas à l’obtenir.

On a dit qu’il se passe dans cette circonstance des choses incompréhensibles. Je partage tout à fait cette opinion : car, en même temps qu’on accuse le gouvernement de réagir contre les patriotes, j’ai entendu articuler un fait entièrement contraire du haut des bancs qui se trouvent à ma gauche. Ainsi d’une part on l’accuse, le gouvernement, de déplacer les patriotes ; de l’autre, on l’accuse de les placer. Je voudrais bien savoir ce qu’il faut que le gouvernement fasse pour plaire à tout le monde.

Malgré le détour de l’allusion, j’ai vu à qui elle s’adressait. Eh bien ! Je me fais honneur d’avoir insisté avec mes collègues auprès de M. le ministre de la guerre, pour qu’un patriote allât remplacer un commandant de province dont le déplacement m’était connu. Et ce patriote, messieurs, n’a pas, pendant deux ans qu’il a langui sous le coup d’infâmes calomnies, fait retentir la presse et la tribune de ses réclamations. Ses titres sont connus ; il peut marcher l’égal des plus braves ; des plus purs surtout. Eh bien ! voilà un patriote comme il m’en faut ; il est de la race pure des patriotes (on rit), et pour ceux-là la chambre n’a pas besoin de donner de leçons au gouvernement : ils sont toujours sûrs de trouver son appui. (Bruits divers.)

Messieurs, je terminerai par une dernière observation. J’ai entendu hier avec peine sortir de la bouche de M. H. de Brouckere des reproches contre la prédilection que montrerait M. le ministre de la guerre en faveur des étrangers. D’abord, je pourrais faire remarquer que le ministre de la guerre ne fait encore dans ce cas que d’user de sa prérogative ; mais je crois qu’on exagère encore ici comme dans d’autres circonstances. Les étrangers admis dans notre armée ne sont pas nombreux ; ils ne sont pas non plus de ceux qui peuvent nuire sous le rapport ni de la réputation, ni de la discipline, ni du courage : ce sont des Français, des Polonais ; des Polonais qui n’ont pas eu le bonheur de triompher dans leur lutte, quoiqu’ils y aient consacré plus de sang et de combats que nous-mêmes ! Des Français qui appartiennent à cette armée que vous-mêmes avez proclamée toujours admirable par sa bravoure, par son génie et sa discipline !

Sera-ce un mal pour notre armée lorsque le sang polonais et français aura coulé avec le sang belge ? Non. Le gouvernement veut avant tout être national ; mais, lorsqu’il croira qu’en Pologne, en France, et même en Angleterre, il peut trouver le talent et l’expérience utiles à notre armée, le gouvernement ne fera pas difficulté de les appeler à lui, et il comptera, dans cette circonstance, sur l’assentiment de tous ceux qui veulent dans une armée le courage, la discipline et de bons chefs, sans lesquels il n’y a pas de victoires possibles.

M. Desmanet de Biesme. - On pourrait croire, d’après ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur, que j’ai cherché à le blâmer d’avoir nommé un patriote à un emploi éminent. Non certainement je n’ai pas eu cette intention ; mais j’ai voulu, dans mon système, dire qu’une province ayant trois commandants militaires serait embarrassée si les partisans de ces trois commandants venaient réclamer notre intervention. Il ne s’agissait ici que d’un simple placement dans la province. Du reste, je professe pour le caractère de la personne dont il est question beaucoup d’estime ; mais cela ne m’empêche pas de soutenir qu’il serait souverainement ridicule qu’un ministre allât sur les attributions des autres.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - - Messieurs, en adoptant la Belgique pour ma nouvelle patrie, et en désirant consacrer à son service le tribut de ma longue expérience des affaires militaires, je cédai aux instances qui me furent faites alors par le gouvernement ; mais je résistai longtemps à me charger de la direction du département de la guerre, parce que je savais mieux que personne combien était lourd ce fardeau dans les circonstances extraordinaires où nous nous trouvons, et surtout combien la conduite des affaires était difficile après une révolution qui avait mis tant de passions en mouvement et créé tant d’intérêts opposés et tant de prétentions impossibles à satisfaire.

C’est par le dévouement le plus absolu à la Belgique et au souverain de son choix que, faisant le sacrifice de ma position en France, je me décidai enfin à accepter les fonctions qui m’étaient offertes, et que j’y consacrai tout mon temps, tous mes moyens et l’expérience que j’avais acquise par de longs travaux.

C’est après 11 mois de peine et de difficultés sans nombre, et au milieu de contrariétés sans cesse renaissantes, que je suis parvenu à compléter l’organisation de notre armée et à la mettre sur le pied respectable où elle se trouve maintenant. C’est le résultat que je désirais atteindre et que je peux présenter aux personnes que m’attaquent aujourd’hui sur un acte isolé de mon administration, la mise en disponibilité du général Niellon,

Cet événement auquel on semble attacher une si haute importance a été l’effet tout simple d’une demande expresse et réitérée de la part de ce général, et j’avoue que j’étais loin de me douter de toutes les conséquences qu’on prétend en tirer et des motifs secrets auxquels on veut les rapporter.

J’ai fait connaître à cet officier général le seul motif qui m’ai fait proposer au Roi de le décharger du commandement qui lui avait été confié, et je ne pensais pas être dans l’obligation d’en rendre compte publiquement ; je repousse donc toute insinuation tendante à faire présumer qu’il en est aucun autre que celui que j’ai énoncé dans ma lettre du 28 du mois dernier, adressée au général Niellon.

Le reproche que l’on m’a adressé, de chercher à éloigner de l’armée les officiers qui se sont distingués dans la révolution, n’est pas fondé ; j’ai cherché, au contraire, les occasions de récompenser ceux qui avaient donné des gages à la révolution, et je pourrais citer, à cet égard, quelques noms propres, si ce n’était pas contre les usages parlementaires.

Je repousse également le reproche que m’a fait le dernier orateur entendu dans la séance d’hier, de ne pas tenir la balance égale entre les officiers belges et les officiers étrangers admis au service de la Belgique : m’étant identifié aux intérêts de ma nouvelle patrie, je me suis constamment appliqué à rendre justice à tous, d’après le mérite et les services de chacun ; mais personne n’est infaillible, et les ministres moins que tous autres, étant dans l’obligation de s’en rapporter aux propositions qui leur sont soumises.

La loi du 22 septembre 1831, en autorisant le gouvernement à admettre dans les rangs de l’armée belge des officiers étrangers pendant la durée de la guerre, n’en a pas limité le nombre, et le gouvernement n’a demandé à la France que les officiers de divers grades, qu’il a jugés nécessaires au bien du service et à la complète organisation de l’armée.

J’ai besoin de vous le répéter, messieurs, ce n’est que par un dévouement profond que j’ai accepté des fonctions que j’étais bien loin d’ambitionner, et qui me rendent l’existence trop pénible pour y résister longtemps : je désire sincèrement que le Roi remette le pouvoir dont je suis dépositaire aux mains de la personne qu’il jugera plus en état de remplir les fonctions qui me sont confiées.

Fort de ma conscience et des intentions qui ont dirigé les actes de mon administration, je suis sans crainte sur l’issue des attaques dont on les menace, bien persuadé que je saurai les justifier.

M. Mary. - Messieurs, je ne prends pas la parole pour ramener la discussion sur le terrain d’une question de personne, mais seulement d’une question de principe. Je conçois cependant combien un général qui a rendu à la cause de la révolution des services signalés, doit soulever ici d’honorables sympathies, sympathies auxquelles je m’associe volontiers ; mais il me répugne toujours d’attirer sur les bancs d’un jury parlementaire un homme qui n’a donné à personne mandat de le défendre, que nul n’a le droit d’accuser ; et d’ailleurs il n’est pas présent lui-même pour donner l’exposé de sa conduite, de ses actes, exposé qu’à votre tour vous n’avez pas reçu mandat d’entendre.

La seule chose que nous soyons appelés à apprécier, c’est la question de savoir si le pouvoir exécutif a pu constitutionnellement ôter un commandement, mettre en disponibilité ou en non-activité un officier de l’armée.

Ouvrant avec votre commission des pétitions la constitution que nous avons juré de maintenir, qui forme notre code politique et la source de tous les pouvoirs constitutionnels, je vois que le Roi a pu, sans sortir du cercle de ses prérogatives, agir ainsi qu’il l’a fait : je puis dès lors, comme citoyen, déplorer la mesure qu’a prise le ministère, si je la suppose contraire aux intérêts de la nation ; mais, comme membre de cette chambre, je dois appuyer l’ordre du jour, lorsque des pétitionnaires réclament de vous une intervention qui est en dehors de vos attributions.

Au Roi appartient en effet et le pouvoir exécutif, et la nomination des officiers de l’armée, et le commandement de cette armée ; sur les ministres pèse la responsabilité des actes du gouvernement ; mais ces droits seraient violés, mais cette responsabilité serait, au jour du danger, déclinée, si vous vous arrogiez la faculté d’imposer an pouvoir exécutif les hommes de votre choix. Il y aurait bientôt confusion de pouvoirs, et celui que vous assure cette même constitution serait, à son tour, méconnu ; car vous auriez fourni l’exemple de la première violation.

Vainement voudrait-on nous parler des précédents de la chambre ; ils auront pu passer inaperçus ou sans contradiction ; dès lors aucun débat ne serait venu éclairer votre vote ; ce seraient des jugements qui n’ont pas été contradictoires et qui ne peuvent avoir d’influence dès l’instant où il viendrait à être prouvé qu’il sont contraires à l’esprit et à la lettre de la constitution, dès l’instant surtout où un ministère responsable rappellerait au maintien de la prérogative royale.

Mais est-il vrai que la chambre ait à se reprocher quelque empiétement sur cette prérogative ? Nous n’en trouvons la preuve dans aucun de ses antécédents, et les trois pétitions qu’un honorable préopinant vous a signalées dans votre séance d’hier sont loin de démontrer le contraire ; elles vous entretenaient de demandes de pensions ou d’indemnités ; et ce n’est pas en vertu de la constitution, mais en suite de lois particulières faites ou à faire que le Roi pourra les accorder. Le renvoi que vous avez fait de ces pétitions aux ministres est donc rationnel et ne blesse en aucune façon la prérogative royale.

Dans le cas actuel, au contraire, on peut forcer le pouvoir exécutif à revenir sur une mesure qui était dans ses seules attributions ; l’on veut que la chambre, par le renvoi de cette pétition au ministre de la guerre, prête appui à cette demande, ce qui serait désorganiser, entraver la marche du pouvoir exécutif et relâcher tous les liens de la subordination militaire. La discipline, ce lien le plus ferme, le plus essentiel des armées, a repris chez nous toute sa puissance depuis les désastreux événements du mois d’août 1831, et nous savons combien nous a coûté cher à cette époque le relâchement qu’elle avait éprouvé. Cette armée aujourd’hui si belle, si brûlante de patriotisme, si désireuse de marcher au combat, a su naguère, grâce à sa discipline sévère, céder aux exigences de la diplomatie et éviter d’entraîner par une exaltation mal entendue l’Europe dans un conflit général, conflit dont nous eussions fourni le théâtre et qui eût peut-être compromis notre récente indépendance.

Oserons-nous donc détruire un ouvrage si péniblement acheté en nous interposant entre le chef constitutionnel de l’armée et les officiers placés sous son commandement ? Non, messieurs, nous repousserons une pareille tendance, nous nous rappellerons que c’est de l’équilibre parfait des pouvoirs, marchant chacun dans le cercle de leurs attributions constitutionnelles, que les libertés publiques peuvent attendre leur plus ferme appui ; hors de là nous ne pouvons trouver que despotisme ou anarchie. Aussi, tout en désirant que le ministère, s’il s’est trompé, puisse rendre à l’activité le bras de l’un des premiers chefs de la révolution belge, je viens appuyer l’ordre du jour que votre commission des pétitions vous propose d’une voix unanime.

M. F. de Mérode. - Je n’insisterai que fort peu sur les arguments qu’on a déjà fait valoir pour l’ordre du jour ; j’ai plutôt à m’expliquer sur des assertions qui demandent à être combattues.

Messieurs, n’est-il pas de la dernière inconvenance de dénoncer aux chambres la prétendue soif vengeresse de l’étranger, qui s’est, dit-on, déclaré hautement l’ennemi juré de tous les hommes de la révolution belge, comme il a eu en horreur, en France, les hommes de juillet ? Et, d’abord, l’homme d’honneur, de conscience pur et de talent reconnu, auquel on a voulu faire allusion, est-il étranger à la Belgique, pendant qu’il est prêt à verser son sang pour la défendre contre ses ennemis ? Ensuite, qui vous donne le droit d’analyser ici, selon vos caprices et vos préjugés, les sentiments, les opinions d’hommes dignes de tous les égards, et qui ne sont pas justiciables de vos censures ? Singulier patriotisme vraiment !

La nation a reconnu, par l’organe de ses représentants, l’utilité, l’avantage, la nécessité même d’appeler dans les rangs de l’armée des officiers nés ailleurs que sur le sol belge. Les motifs de la loi portée à ce sujet ont été développés si souvent qu’il serait fastidieux de les répéter de nouveau. Cette loi n’était point une lettre morte : elle prescrivait au gouvernement une obligation qu’on mettra, certes, an premier rang de ses devoirs, celle de veiller à la bonne direction des troupes, à ne confier, autant que possible, l’honneur, la vie de milliers de jeunes gens appelés sous les drapeaux, qu’à des chefs dont l’expérience avait démontré la capacité pour le commandement.

Eh bien, messieurs, le ministre de la guerre, et d’autres, de concert avec lui, remplissent les intentions des chambres, les intentions des vrais patriotes, des citoyens désintéressés, qui ne s’attachent point aux idées étroites et exclusives de susceptibilité nationale, de vanité niaise, dont le résultat est de se faire battre pour la plus grande gloire de la nation et de l’armée.

Et croyez-vous que ce soit sans peine que le gouvernement obtient d’une puissance voisine les chefs qu’il demande ? Croyez-vous que ces officiers eux-mêmes s’empressent de quitter la bannière de France pour servir sous la vôtre ? Non, messieurs ; sachez gré à ceux qui les ont amenés dans vos rangs, pour le service qu’ils ont rendu à la chose publique. Surtout que des orateurs imprudents ne méconnaissent jamais les droits sacrés de l’hospitalité, tandis qu’ils sont respectés au-dehors par le peuple et les soldats. Au moyen de ce mot d’étranger, jeté en avant comme un épouvantail, trop souvent, messieurs, on semble prendre à tâche d’exciter la division dans nos régiments, d’augmenter cette soif insatiable d’avancements, ces jalousies qui dévorent d’autant plus certains individus que leur fortune a été plus rapide. Un, deux, trois grades ne leur suffisent pas, si quelque mortel plus heureux a gagné davantage encore.

Messieurs, vous ne vous attacherez pas à des comparaisons aussi futiles que celles dont vous a entretenus le dernier orateur entendu hier. Qu’ont de commun les pétitions de la dame Paulsen, du sieur Joseph Honorez, propriétaire, à Mons, du sieur Allognier, sergent de volontaires, qui réclament ou des droits acquis, ou la sollicitude de la chambre sur un malheur particulier, résultat d’un événement politique ? De quel droit a-t-on privé le général Niellon ? Est-il dépouillé arbitrairement de son grade, des émoluments qui y sont attachés ? Le commandement de la Flandre lui était-il inféodé ? Non, messieurs, et malgré les services essentiels qu’il a rendus à la révolution et que je me plais à reconnaître hautement, malgré tout le bien que pourrait produire le renvoi des pétitions qui le concernent pour l’éducation des ministres, disposés, selon l’honorable très excellent, très vertueux M. de Brouckere, à n’écouter que leurs prédilections et leurs haines, je pense qu’il est des choses plus importantes, plus nécessaires, que la correction des ministres, évidemment iniques et capricieux lorsqu’ils ne sont pas lâches et ineptes ; et ces choses, messieurs, sont le maintien des pouvoirs dans leurs limites respectives, surtout la conservation de l’obéissance et de la discipline dans l’armée.

On a prétendu, messieurs, que le gouvernement réservait particulièrement ses faveurs aux ennemis des révolutions et des révolutionnaires. Est-ce par une expression échappée à un député d’Anvers, décoré de l’ordre de Léopold pour les soins donnés à une ville si longtemps placée dans une situation critique, pour son dévouement généreux aux victimes d’une maladie redoutable, qu’il allait lui-même visiter continuellement dans les hôpitaux ? Si c’est là l’ennemi des révolutions et des révolutionnaires qu’on a eu en vue, je déclare, moi, qui tiens quelque peu à la révolution belge, que je ne considère nullement les paroles de M. Legrelle comme s’appliquant à moi ; car, j’ai vu une révolution, messieurs ; le pays l’a subie à cause de la méchanceté, de l’incapacité du gouvernement hollandais ; il l’a subie par nécessité comme on subit les opérations chirurgicales.

Mais ne le croyez-vous pas, les peuples qui ont souffert récemment les épreuves d’une révolution sont peu curieux de les supporter de nouveau. Ils n’aiment par conséquent ni les révolutions en général, ni ceux qui, personnellement désappointés par les résultats d’un premier mouvement, voudraient les recommencer dans un intérêt de fortune manquée ou de l’amour-propre déçu.

C’est sans doute en ce sens que l’honorable M. Legrelle a dit qu’il n’aimait ni les révolutions ni les révolutionnaires ; et en ce sens, messieurs, je partage son avis, et je continuerai à combattre les révolutions tentées par l’absolutisme contre les libertés des peuples, comme aussi les tentatives de désordre et d’anarchie.

Messieurs, je pense que la décoration remise à M. Legrelle est remise à un ami désintéressé de son pays. Ses commettants en ont jugé de même, puisqu’il a été élu la presque unanimité du collège électoral d’Anvers.

(Moniteur belge n°49, du 18 février 1833) M. Gendebien. - Messieurs, je ne fais pas une question personnelle des pétitions qui nous sont adressées par les Flandres. Je ne vois là qu’une question de principes, et il n’y aura rien de personnel dans tout ce que j’aurai l’honneur de dire à la chambre. Et pour écarter jusqu’à tout soupçon d’allusion, je déclare que je professe pour le caractère de M. le ministre de la guerre une profonde estime ; je déclare que dans toutes les relations que j’ai eues avec lui, je l’ai toujours reconnu pour un homme probe, juste et disposé à tous les actes de justice que les circonstances lui permettaient d’accomplir.

Mais, à côté de ce tribut mérité d’estime, je dois ajouter que M. le ministre de la guerre pèche en un point. Il a un peu trop de condescendance pour certains hommes qui ont sur lui beaucoup trop d’ascendant. Il devrait se rappeler quelquefois qu’il est responsable et seul responsable de ses actes, et, de quelque côte que viennent les influences, il doit les écarter. Ce n’est donc pas sur lui que porteront mes observations, et s’il y a quelques allusions à en tirer contre certaines personnes, elles ne pourront s’appliquer à M. le ministre de la guerre, à qui je vote des remerciements pour l’organisation de l’armée ; car, après tout, c’est lui qui nous a donné une armée. (Très bien ! très bien !)

Je regrette, messieurs, de devoir revenir sur cette discussion déjà un peu longue. M. de Robiano vous a fait remarquer que nous avions perdu beaucoup de temps. Je tâcherai d’en faire perdre moins que lui-même. (On rit.) Mais je dirai seulement que lors des pétitions adressées aux états-généraux, et dans lesquelles M. de Robiano était partie active, quatre séances consécutives y ont été consacrées ; et ne croyez pas que ce fut à cause de la diversité de ces pétitions, elles portaient toutes sur les mêmes griefs. C’est de l’importance du droit de pétition qu’on a entretenu les états-généraux pendant quatre jours, et vous savez que les questions les plus difficiles y étaient résolues en une seule séance. Vous voyez donc que si les états-généraux ont employé quatre jours successifs à des pétitions, nous pouvons bien nous occuper de celles qui nous sont soumises pendant deux séances. Du reste, on n’a discuté sur cet objet qu’une heure seulement hier et deux heures aujourd’hui. Nous pouvons donc continuer. Je demande pardon à la chambre si je suis un peu long.

Messieurs, j’ai l’habitude d’être franc et de dire la vérité tout entière, parce que ce n’est pas sur des demi-révélations qu’on peut provoquer des explications nettes et précises. Je dirai toute la vérité, et je me trouverai très heureux si l’on peut me démontrer que j’ai tort ; et même si, après les développements dans lesquels je vais entrer, le gouvernement veut marcher dans d’autres voies, je serai le premier à le soutenir.

Il faut remonter assez haut pour établir, je ne dirai pas la tendance, mais le parti-pris par le gouvernement d’écarter les hommes de la révolution. C’est par le brave général Mellinet qu’on a commencé. Ce généreux officier, sur le mérite et les qualités duquel il n’y a qu’une voix, et dont les services n’ont pas même été méconnus de ses ennemis, on a commencé par lui ! et pourquoi ? Parce qu’il était alors le plus populaire. Et d’où sont venues les calomnies qu’on a fait planer sur sa tête ? De la part des mêmes personnes qui, sous le congrès, distribuaient de l’argent pour nous faire accepter le prince d’Orange ! C’est là la source impure d’où sont parties ces calomnies. On disait : le général Mellinet a reçu de l’argent pour restaurer le prince d’Orange. C’était au commencement de mars qu’on faisait courir ce bruit perfide, et les calomniateurs étaient précisément ceux qui ont trahi à cette époque. Au mois de mars on accusait Mellinet d’avoir reçu de l’argent du prince d’Orange, et au mois d’avril, quand il allait prendre son commandement à Namur, il n’avait pas de quoi payer ses frais de voyage et d’installation ! Il fut obligé de recourir à cet effet au gouvernement et à ses amis ; il ne rougit pas de cet aveu. Ce n’est pas à lui, messieurs, de rougir de cette honorable indigence, mais à ceux qui ont écouté et propagé d’infâmes calomnies, et à ceux qui, forcés de reconnaître l’absurdité de ces calomnies, ne l’ont pas replacé.

Tandis qu’on accusait ce brave général d’avoir touché 60 à 80,000 florins pour favoriser le retour du prince d’Orange, il en est d’autres qui recevaient réellement des grades et de l’argent pour trahir le pays ou pour l’avoir trahi, et nous voyons encore aujourd’hui honorés et comblés de faveurs les chefs de cette conspiration, tandis qu’on poursuit avec acharnement quelques victimes subalternes qui n’ont été que dupes et non complices.

Chose digne de remarque, messieurs, c’était par des agents du gouvernement anglais qui voulaient favoriser le retour du prince d’Orange, qu’étaient semés ces bruits absurdes ; c’étaient des agents du gouvernement anglais et à la première occasion il reprendra ses manœuvres ; car vous le savez, messieurs, c’est dans ce pays qu’est né Monck, et ils sont coutumiers du fait. L’ancien ministère, et le ministère Grey lui-même, ont dans plus d’une occasion avoué leurs manœuvres, et protesté de leur sympathie pour le prince d’Orange.

Plus tard les mêmes calomnies se sont renouvelées ; c’est encore de Londres qu’elles sont parties, et de haut lieu.

Le brave général méprise et a droit de mépriser toutes ces honteuses menées ; les services qu’il a rendus à la révolution et son honorable indigence répondent pour lui ; cependant, il n’en est pas moins écarté ; ses services, quelque utiles qu’ils puissent être au pays, sont dédaignés ; il a la bravoure, le dévouement et la franchise d’un républicain ; il ne saurait plaire aux aristocrates de Londres et de Paris : voilà la seule cause de l’oubli dans lequel on veut l’ensevelir.

Après lui vient le brave et très capable général Lehardy de Beaulieu ; il avait aussi déjoué la conspiration du mois de mars ; les services qu’il a rendus à Anvers avaient révélé en lui un homme de cœur, d’énergie et d’exécution, en un mot, un patriote dévoué à son pays et à la révolution ; il fallait l’écarter ; aussi même genre de calomnies, et même réponse de la part du général par une très modeste simplicité, jusqu’à ce qu’il ait atteint l’héritage de ses pères. Et quelles raisons y avait-il de calomnier ce brave militaire, si ce n’est des services rendus et un franc parler qui ne pouvait que déplaire aux hommes qui voulaient tuer la révolution pour l’exploiter plus à leur aise ? En un mot, le général Lehardy de Beaulieu avait des mœurs trop républicaines, quoiqu’il fût moins républicain que le général Mellinet. Tous deux enfin furent calomniés et repoussés parce qu’ils étaient hommes de la révolution.

Apres cela, messieurs, vinrent les calomnies en masse. On profita de la défaite du mois d’août pour calomnier les volontaires et les officiers de volontaires, et d’un trait de plume ils furent privés de leurs droits. Si le gouvernement n’eût pas été possédé d’une haine implacable contre la révolution et les hommes dont il craignait l’énergie et la franchise, il eût pu relever les désastres du mois d’août, en appréciant, à leur juste valeur, les faits d’armes de quelques-uns de nos bataillons.

Vous avez vu, dans ces derniers temps, les Français exalter bien haut la défense de Chassé. Et le fait d’armes du général Sébastiani, qui, à la tête de 800 hommes seulement, repoussa 2,000 Hollandais, il a été répété par toutes les bouches avec éloge, avec justice, avec emphase peut-être. C’était, il est vrai une action admirable. Mais nous avons été aussi témoins de faits d’armes plus qu’honorables, accomplis par nos soldats, et dont on n’a point parlé. N’avons-nous pas vu le brave major Boulanger, dont j’ai déjà eu l’occasion de vous entretenir, ne l’avons-nous pas vu manœuvrant, non pas sur un terrain étroit, où la rapidité et la bravoure de la colonne d’attaque décident de la victoire, mais manœuvrant en rase campagne, avec 160 hommes en présence de 3,000 Hollandais qui fondaient sur lui à l’improviste tenir tête avec ses 160 hommes, jusqu’à ce qu’il fût rejoint par le reste de son bataillon ? Et c’est avec 320 hommes qu’il culbuta les Hollandais, leur prit un major, plusieurs capitaines, lieutenants et sous-lieutenants, et 80 à 100 prisonniers. Eh bien ! personne n’a relevé ce fait, qui valait, sans contredit, celui du général Sébastiani. Et non seulement on n’a pas parlé de ce fait, mais on a destitué le major Boulanger, car il est devenu capitaine. C’était cependant un ancien militaire, et je pourrais citer des hommes qui n’ont rendu aucun service, qui même ont conspiré, et qui ont obtenu quatre grades. Cet officier a réclamé, et enfin il a obtenu justice. Mais quelle justice ! Placé dans un bataillon de gardes civiques ! Ce brave major aura son grade jusqu’à la paix, sauf après à descendre encore à celui de capitaine.

Parlerai-je du major Lecharlier ? Au milieu du désordre, résultat de l’imprévoyance de nos ministres, sans vivres et manquant du plus strict nécessaire, le brave Lecharlier et sa troupe ne se laissèrent point décourager. A la tête de 6 à 700 volontaires, auxquels se joignirent deux compagnies du 10ème de ligne, il attaque les Hollandais, les culbute sur tous les points, les poursuit pendant plusieurs lieues, et lorsqu’ils eurent pris position à Zonhoven sans hésiter il les attaqua à la baïonnette, et, marchant à cheval à la tête de sou bataillon, il releva avec son sabre les fusils de l’ennemi, en criant dans le langage énergique et significatif du soldat : « F... donnez des coups de baïonnettes à ces j…f… là. » La déroute de l’ennemi fut telle que plusieurs Hollandais coururent jusqu’à Bois-le-Duc.

Ayant reçu l’ordre de se retirer pour effectuer la stupide manœuvre sur Diest, le brave Lecharlier fait une retraite en bon ordre et, quoique attaqué de toutes parts, il ne se laisse pas entamer, et fait une retraite de 5 lieues en 8 heures. On se complaît à parler sans cesse de la déroute de l’armée de la Meuse et on ne cite jamais ce fait d’armes digne de l’empire, et justement apprécié par de vieux soldats, qui dans leur enthousiasme cueillirent des branches de chêne, et en ornèrent les schakos et les fusils de ces braves. Vous croirez, sans doute, que ces braves ont été récompensés par des grades et des décorations, ou au moins par un ordre du jour ? Point du tout, ils ont été licenciés, et le brave major Lecharlier commande aujourd’hui un bataillon de gardes civiques, c’est-à-dire, qu’on lui a octroyé la faveur de se faire tuer jusqu’à la paix, sans lui conférer aucun droit après la guerre.

Vous parlerai-je des guides de la Meuse et du 2ème régiment de chasseurs à cheval, qui tirent des charges admirables ? En a-t-on fait la moindre mention ailleurs qu’à cette tribune ? A-t-on dit un seul mot de ces deux compagnies du 10ème de ligne, qui s’étaient jointes au corps du major Lecharlier ? Non, messieurs, on a préféré dire beaucoup de mal d’un bataillon du même régiment qui a été surpris au bivouac.

Et le beau régiment de cuirassiers, on en a dit aussi beaucoup de mal, parce qu’un petit corps d’arrière-garde a été entraîné dans la bagarre ; mais on s’est bien gardé de parler du courage et du sang-froid de deux escadrons, qui, avec un bataillon d’infanterie, ont soutenu une batterie de deux pièces commandée par deux braves officiers d’artillerie ; cependant ils ont couvert la retraite et arrêté l’armée hollandaise pendant quatre heures. Et pourquoi, messieurs, n’en a-t-on pas parlé ? C’est sans doute parce que les cuirassiers étaient commandés par le brave lieutenant-colonel Delobel, qui, dès le principe, se dévoua à la révolution, et conduisit plus d’une fois au feu les chasseurs de Chasteler ? Ne serait-ce pas aussi parce que les officiers d’artillerie sont d’excellents patriotes et appartiennent à des révolutionnaires ? Pour moi, il me serait difficile d’y voir un autre motif.

Veut-on une nouvelle preuve d’injustice, une nouvelle preuve que c’est un parti-pris d’effacer jusqu’au souvenir de la révolution ? Lorsque les officiers et les soldats de la révolution demandent qu’on insère dans leur état de services les faits d’armes qu’ils ont accomplis et les services qu’ils ont rendus pendant la révolution, on le leur refuse. Et cependant, il est tel officier-général, n’appartenant pas à la révolution, qui aurait bien de la peine à faire preuve d’aussi grands services militaires. Que dis-je ! Quand un officier vient annoncer qu’il s’est battu à Bruxelles, à Berghem, on lui répond : « Personne ne vous commandait de vous battre, vous étiez volontaire ; si vous vous êtes exposé à vous faire casser le cou, c’est que vous l’avez voulu ; vous n’aviez qu’à ne pas y aller !» Et qu’on ne dénie pas le fait, car je nommerai les hommes. (Mouvement.)

Alors que nous voyons des officiers de tout grade exprimer leurs regrets sur le passé, alors que nous voyons des chefs cherchant à nuire de toute façon aux officiers de la révolution, comment voulez-vous que nous ne croyions pas que c’est un parti-pris d’écarter les patriotes révolutionnaires.

Le ministre de la guerre a dit qu’un ministre était sujet à se tromper, parce qu’il était obligé de s’en rapporter le plus souvent aux présentations qu’on lui faisait : c’est là, en effet, la véritable source de ces erreurs funestes.

Depuis le mois d’août 1831, l’armée se trouve dirigée par des hommes anti-révolutionnaires, par des hommes qui ne peuvent oublier leur ancienne humiliation, et qui font rapport sur rapport contre ceux qui les combattaient jadis. Depuis le premier jusqu’au dernier, dans la hiérarchie, ce sont des hommes qui sont d’une opinion contraire à la révolution et aux révolutionnaires, contre lesquels ils nourrissent une vieille animosité.

D’après cela, les officiers de volontaires n’obtiennent rien, et sont souvent traités fort mal. Mais que tel officier, qui était venu demander du service au gouvernement provisoire, et qui n’avait pas été accepté pour de bonnes raisons ; que tel officier, qui a conspiré contre la révolution, qui a reçu un commandement de Guillaume, et qui l’a quitté ensuite et est revenu après le mois d’août, que ces officiers se présentent, qu’ils se vantent surtout d’avoir refusé de servir la révolution, ils sont nommés d’emblée. On récompense des déserteurs, car c’est déserter que de quitter le pays ; on les fait passer sur d’autres, qui se sont bien battus. Comment voulez-vous, après ces faits, que nous ne voyions pas la détermination du gouvernement de repousser les patriotes et de favoriser les anti-révolutionnaires ?

Est-il vrai, par exemple, qu’un officier-général aurait dit en présence de plusieurs généraux que la révolution belge était injuste, inconséquente, n’ayant pas le sens commun, attendu que sous Guillaume on n’avait rien à désirer ? Je demande si cela est vrai. J’ai lu la chose dans une brochure imprimée et signée, et je ne l’ai vue démentie nulle part.

Je prie M. le ministre de la guerre de porter son attention sur les hommes à l’influence desquels il cède un peu trop souvent. Je crains les hommes d’une certaine couleur : l’empereur fut cruellement puni d’avoir cédé à de pareilles faiblesses. C’est parce qu’il s’attacha une certaine espèce d’hommes de l’ancienne cour, des émigrés, qu’il fut vaincu en 1814. Il eut trop de confiance dans les protestations qu’on lui faisait. Le brave maréchal Gérard lui-même n’intercéda-t-il pas auprès de lui en faveur de Bourmont ? Eh bien, Bourmont a trahi l’empereur et son pays la veille de la bataille. Et que voulez-vous que je dise des hommes qui ont été les amis de Bourmont ! Il faut que M. le ministre de la guerre se rappelle ce mot, plein de sens, de Napoléon : « Les bleus sont toujours bleus, et les blancs sont toujours blancs. » Oui, les blancs seront toujours blancs, à moins qu’ils ne deviennent jaunes. (On rit.)

Quant au général Malherbe, si je suis bien informé, sa demande de non-activité proviendrait de ce que, témoin des paroles rappelées dans la brochure que j’ai citée, il en aurait exprimé son indignation ; de là, ses disgrâces.

Je connais le caractère du général Malherbe ; je sais la conduite qu’il a tenue en mars 1831. Je sais la réponse qu’il fit lorsqu’on lui offrit d’être ministre à de certaines conditions. Il a tenu davantage à l’honneur de son pays qu’aux traitements. C’est pour cela, sans doute, qu’on lui préfère aujourd’hui le général le plus jeune en grade de toute l’armée, et qu’on le force à se retirer, à moins qu’il ne consente à se laisser neutraliser par une combinaison qui ne serait que puérile et ridicule si elle n’obérait inutilement le trésor.

Le brave colonel Coitin, l’un des plus vieux soldats de l’armée, a puissamment contribué à déjouer, au mois de mars 1831, à Anvers, certaine conspiration dire « de Vandersmissen, » mais qui porte encore un autre nom que je m’abstiens de décliner, quoiqu’il figure encore sur les cadres de notre armée. Serait-ce aussi pour le faire repentir de son dévouement à la révolution et à l’honneur de son pays qu’on lui a enlevé la brigade qu’il a commandée pendant quelques temps ? Je serais tenté de la croire, si, comme on me l’assure, on cherche à dégoûter le brave général Langerman, qui conserve peut-être un trop long souvenir du dévouement dont sont capables les hommes qui combattent pour la liberté, et si, comme on me l’assure encore, on a confié tout récemment le commandement d’une brigade à un colonel beaucoup plus jeune en grade que le patriote Coitin, et qui aurait bien de la peine à prouver qu’il s’est opposé au retour du prince d’Orange au mois de mars 1831, et qu’il ignorait les menées orangistes.

Si à tous ces faits vous ajoutez les théories d’un journal qui prétend représenter la majorité, et qui n’est que l’organe de la doctrine du juste-milieu et l’étouffoir de la révolution, journal qui représente sans cesse la liberté sous la forme de la convention, sous les couleurs de 93 ; si par hasard ce journal était soudoyé par le gouvernement, pourrait-il vous rester le moindre doute sur la tendance de nos hommes d’Etat ?

Ce journal disait au mois de décembre 1831 : « La révolution est finie ; ainsi plus de révolutionnaires. Gardez-vous bien d’employer les hommes de la révolution : les mains qui sont propres à détruire sont peu propres à réédifier. Ces hommes ne sont bons qu’à détruire. Ce sont des démolisseurs, » comme quelqu’un le disait naguère. (On rit.) Pourtant ces démolisseurs ont plus reconstruit en six semaines que tous les doctrinaires de Paris, de Londres et de Bruxelles depuis plus de deux ans. Je vous défie de me montrer le contraire.

« Vaut mieux, ajoutait le journal doctrinaire, un homme du lendemain qu’un homme de la révolution, fût-il de la veille. »

Je le crois bien, les hommes du lendemain seuls peuvent vous convenir ; ils se souviennent de leur lâcheté au moment du danger ; leur bassesse passé garantit la même souplesse pour le pouvoir du jour ; ce sont là les hommes qu’il convient de s’associer pour l’exploitation d’une révolution tuée ou finie.

Cette doctrine a été mise à exécution. Aussitôt qu’on s’est cru délivré d’inquiétude, on a attaqué les hommes de la révolution dans les emplois civils comme dans les emplois militaires. On renvoie Camille Desmet, que tout le monde connaît pour son patriotisme et comme citoyen et comme combattant ; et l’on destitue M. Tielemans, qui était, pour ainsi dire, un relaps en fait de révolution ; M. Tielemans qui, à lui seul, s’était insurgé contre le roi Guillaume et qui a jeté les fondements de toutes ces fortunes d’un jour ; M. Tielemans, qui avait été banni, qui, sans la révolution, serait peut-être mort dans l’exil et la misère, et qui maintenant mourra peut-être de dégoûts et de misère dans son pays ! C’est à lui cependant qu’on doit la constitution du ministère de l’intérieur. Sa récompense, c’est de n’être rien. Que dis-je ! Non seulement on ne lui accorde rien, mais on le calomnie officiellement et officieusement. Il en est d’autres encore qui sont l’objet de la haine et de l’envie des doctrinaires ; mais ceux-là sont au-dessus des calomnies et des faveurs du parti dominant.

Enfin, le tour du général Niellon arrive. C’est encore un homme de la révolution. Les intrigues ont été ourdies à la cour ; des paroles, tout au moins inconsidérées et qui n’auraient dû être accueillies que par le mépris, puisqu’elles s’adressaient à un absent, ont été accueillies et répétées, comme si le mal que l’on dit d’un absent ne devrait pas toujours être considéré comme une calomnie. Niellon a succombé, et il devait succomber sous le poids de la jalousie de tant de parasites, dont la nullité fait contraste avec le mérite réel et les services rendus par le brave général. J’ose le dire, le ministre de la guerre est étranger à ces intrigues qui ont eu pour but l’éloignement du général Mellinet…

- Plusieurs voix. - Du général Niellon.

M. Gendebien. - Il n’y a pas à s’y tromper. On sait que malheureusement depuis longtemps le rôle du général Mellinet est fini pour le pays.

Je disais qu’on a intrigué, qu’on a cherché tous les prétextes possibles pour écarter le général Niellon. On lui a suscité des tracasseries de toute espèce ; on trouvait tout mauvais, même les mesures qu’il prenait pour empêcher les inondations ; et, enfin, au mois de décembre on lui a enlevé toutes ses troupes.

M. de Robiano a dit que les pétitionnaires, simples habitants de nos campagnes, sans instruction, parlaient beaucoup de stratégie à laquelle ils n’entendaient rien. Quant à moi, je n’ai pas vu de stratégie dans les pétitions ; mais, lui, M. de Robiano, en a fait pendant une heure bien inutilement ; car voici en quoi consiste toute cette stratégie : on a retiré les troupes au général Niellon sous prétexte de les mettre en garnison à Bruxelles. Or, était-ce pour la garde du Roi ? Non, messieurs, il était alors à Anvers ; c’était pour la garde de nos ministres qui venaient de reprendre leurs portefeuilles ; c’était pour la conservation de leur popularité. (On rit<.) La Belgique pouvait être saccagée, nos provinces envahies, peu importait ; il y avait quelque chose de plus urgent que de prévenir les mouvements de l’ennemi : c’était de garder les ministres. (Nouvelle hilarité.) En vérité, messieurs, à moins qu’on ne convienne que c’était pour contrarier et vexer le général Niellon, je ne puis y voir d’autres motifs.

Le 30 décembre le général Niellon réclame. Il demande officiellement des troupes ou sa mise en disponibilité, se fondant sur ce qu’il lui est impossible, avec ce qui lui reste, de garder toute la côte. Il ne voulait pas compromettre la réputation qu’il avait acquise dans la révolution. Le 31 décembre il écrit une seconde lettre, mais une lettre confidentielle, par laquelle il rappelle celle de la veille et demande de nouveau sa mise en disponibilité au ministre de la guerre, si l’on ne veut pas lui envoyer les troupes dont il a besoin. Le 3 janvier il demande la permission de venir passer trois jours à Bruxelles pour s’expliquer avec le ministre. Le même jour, 3 janvier, le ministre de la guerre lui répond pour l’informer qu’il lui donne huit jours pour faire ses réflexions, et qu’il va lui envoyer quatre bataillons. Il y a une autre lettre datée du 5, mais c’est celle du 31 décembre : M. le ministre de la guerre a reconnu lui-même que cette date avant été mise chez lui, ou par lui, vu qu’elle n’était pas datée.

Après la promesse du retour de quatre bataillons, le général Niellon ne dit plus rien. Le 9 du même mois de janvier, on retire au général toute son artillerie. Il restait incertain de ce qu’il devait faire, lorsqu’un ami lui écrit de Bruxelles : « C’est un piège qu’on vous tend ; on veut vous perdre ! » Le général Niellon ne réclama pas ; fort de sa conscience et assuré qu’il était de pouvoir se justifier en cas d’événement, il attendit patiemment la fin de toutes ces tracasseries.

Mais que lui envoie-t-on, messieurs, à la place de son artillerie qu’on lui enlevait. Rien, si ce n’est quatre mauvais canons pris à la citadelle de Gand, et 33 chevaux, qui paraissaient sortir de l’infirmerie ! (Mouvement.) Voilà, messieurs, comme on agit envers les officiers de la révolution. Ce n’est pas tout, messieurs, ces faits sont accompagnés d’ordres dans les termes les plus durs.

Enfin, le 15 janvier, après le retour de Lille, où vous savez qu’il y eut une entrevue entre le roi Louis-Philippe, le roi Léopold et des hommes du juste-milieu de France (on rit), on donne l’ordre au général Niellon de remettre son commandement au colonel Bouquetet, simple capitaine avant la révolution, à Liége, qu’il quitta au commencement de la révolution, se sentant très peu disposé à la seconder. Je serais curieux de savoir si M. Bouquetet a refusé, comme on le dit, d’admettre dans les états de service les combats, les actions d’éclat, les blessures, en un mot les services rendus pendant la campagne de la révolution ; si lui aussi répondait aux officiers de volontaires qui réclamaient justice : « Pourquoi alliez-vous vous battre ? Personne ne vous y forçait. »

Quoi qu’il en soit, le général Niellon remit ses fonctions et se borna à protester contre les motifs fondés sur sa prétendue persistance à demander sa disponibilité. On le force à vendre ses chevaux, ses équipages, et on le met ainsi dans l’impossibilité de servir par la suite ; car sa fidélité n’a pas grossi sa fortune ; il n’a pas reçu de l’argent du prince d’Orange, lui ; il a toujours été inaccessible à la corruption.

Je m’abstiens ici de réflexions bien poignantes et de comparaisons qui pourraient être bien fâcheuses pour plus d’un favori du jour. Mais qu’on y prenne garde ; on sait que je suis franc et que j’ai l’habitude de dire la vérité tout entière ; si on ne se hâte de changer de conduite et de réparer de grandes injustices, je pourrais bien un jour tout dire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - De qui voulez-vous parler ? Expliquez-vous.

M. Gendebien. - Il y en a pour tout le monde, et c’est par modération que je ne m’explique pas plus clairement ; du reste, je prie M. Rogier de ne pas m’interrompre ; je l’ai écouté avec beaucoup de patience tout à l’heure.

Qu’arrive-t-il, messieurs ? Comme si l’on voulait compléter la démonstration de la tendance du gouvernement, à peine le commandement ôté au général Niellon, il est remis au général le plus jeune en grade de l’armée ; et aussitôt tout abonde dans les Flandres, artillerie, infanterie, cavalerie. Ce dernier fait rapproché du précédent n’est-il pas de nature à ouvrir les yeux des plus incrédules ? Quoi ! un officier de la révolution qui a fait ses preuves sous le rapport de la capacité, de la bravoure et du patriotisme, on lui enlève tout ; et au contraire on prodigue tout à son jeune successeur !

Ici je dois m’expliquer avec franchise, par rapport au général Magnan. Je n’ai pas l’avantage de le connaître ; mais je le tiens, jusqu’à preuve du contraire, pour un homme d’honneur, de courage et de capacité. Pourtant il existe à son égard une chose singulière, et je l’adjure de s’expliquer sur ce point !

Il était colonel lors des malheureuses affaires de Lyon. Il a été destitué, je ne sais par quels motifs ; mais le fait est qu’il a été destitué par son gouvernement, et nous nous l’employons. Il a été de l’expédition d’Alger et chambellan de Charles X. Or, je ne sais pas si c’est du chef de républicanisme qu’il a été destitué, et si ce n’est pas plutôt du chef de carlisme. Je déclare que si j’étais à sa place, je m’expliquerais immédiatement sur ce point. Quant à moi, je ne suis pas tranquille sur les Flandres, aussi longtemps que je n’aurai pas ces explications.

Cette incertitude m’oppressait trop fortement pour ne pas la dire tout haut ; je m’en suis expliqué franchement et publiquement. J’espère que le général s’empressera de s’en expliquer aussi publiquement, et j’aime à croire que cette explication ne pourra que lui être avantageuse.

Du reste, le grand jour des explications viendra, lors de la discussion du budget, et il y en aura bien d’autres à donner.

Messieurs, nous en sommes venus au point de ne pas admettre d’hommes douteux dans nos rangs. Elle n’est pas morte la révolution, comme on le disait en 1831 ; on a cherché à l’étouffer par des guerres civiles ; on va chercher maintenant à la comprimer par des guerres extérieures. Eh bien ! l’on verra alors si les hommes qu’on a accusés d’esprit de parti, de violence et d’ambition, ne sauront pas donner de nouvelles preuves de dévouement, ne sauront pas montrer qu’ils ont été les victimes de lâches calomnies, tandis que ceux qui se sont permis de les insulter, resteront encore en arrière au moment du danger !

Dois-je maintenant aborder la question de droit ? Cela me paraît inutile car les faits que je viens de développer vous prouvent assez la nécessité de renvoyer les pétitions au ministre de la guerre. Je ne conçois pas en vérité comment un ministre a pu appuyer l’ordre du jour. Quant à l’honorable ministre de la guerre, il n’a pas appuyé l’ordre du jour, parce que lui est plus confiant que tout autre dans la loyauté de son conduite. Il est sûr de pouvoir répondre à toutes les interpellations. Une grande inquiétude règne dans les Flandres ; ministres, vous devez vous expliquer pour la faire cesser. Il ne s’agit pas ici de sentiments hostiles contre le gouvernement ; il s’agit de sentiments d’hommes qui tiennent à la franchise et qui veulent qu’on marche à un but déterminé.

Voyons cependant si, en droit, il y a lieu de renvoyer les pétitions qui nous occupent au ministre de la guerre.

Vous vous rappellerez, messieurs, ce que disaient d’honorables députés aux états-généraux au sujet du droit de pétition. L’honorable M. Angillis, que je regrette de ne pas voir aujourd’hui sur ces bancs, car je suis sûr qu’il aurait soutenu la même thèse, y disait que le droit de pétition était une faculté accordée aux citoyens d’exprimer un vœu pour faire cesser l’arbitraire dont ils sont victimes ; et il ajoutait : Ce droit trouvera toujours en moi un défenseur, en toute extrémité.

M. de Gerlache tenait le même langage. Il disait que le droit de pétition était un moyen d’exprimer un vœu contre l’arbitraire.

Et à propos de quoi s’exprimaient-ils ainsi ? Au sujet de pétitions qui ont tenu les états-généraux pendant quatre jours entiers et qui furent renvoyés au greffe pour 88 voix contre 11. Et cependant il y avait dans cette assemblée autant de Hollandais que de Belges. Sur quoi portaient ces pétitions ? Vous allez l’entendre et vous verrez si par cette simple énonciation je ne réponds pas aux arguments présentés pour appuyer l’ordre du jour, arguments qui sont les mêmes que l’on faisait valoir alors dans le même but.

Une de ces pétitions demandait entre autres choses :

1° Le rapport des articles relatifs aux démissions non honorables ;

2° L’amnistie des victimes d’une législation abrogée.

3° L’égalité dans la répartition des emplois et des faveurs ;

4° Enfin les pétitionnaires disaient : « Nous demandons la fin des entraves qu’on apporte à l’exercice de la religion de nos frères, religion dont les soins, au lieu d’être confiés à des catholiques consciences, le sont à ses propres ennemis. »

Eh bien ! 88 membres des états-généraux contre 11 ont ordonné le dépôt au greffe de cette pétition, et des autres contenant à peu près les mêmes griefs. Et veuillez remarquer qu’alors le dépôt au greffe était la même chose que le renvoi aux ministres. Il n’y avait que deux manières de procéder sur les pétitions, l’ordre du jour et le dépôt au greffe ; car, en 1823 ou 1824, le roi Guillaumes avait défendu à ses ministres de communiquer avec les chambres. Veuillez remarquer en outre qu’à cette époque il n’y avait dans la constitution des Pays-Bas aucune disposition qui consacrât le droit de renvoyer les pétitions aux ministres, tandis que l’article 43 de notre loi fondamentale nous en donne le droit imprescriptible. Il appartenait encore à la doctrine du juste-milieu de venir jeter le doute sur un des articles les plus clairs, les plus précis de constitution. Cet article ne peut soulever aucun doute, il est positif et n’autorise aucune distinction.

Ainsi, vous le voyez, c’étaient des citoyens qui venaient demander le rapport des articles relatifs aux démissions non honorables, grief qui tenait essentiellement au pouvoir exécutif. Ils demandaient l’égalité dans la répartition des emplois et des faveurs (notez-bien ceci, MM. les doctrinaires). C’était un vœu qu’exprimaient les citoyens, comme ils en expriment encore un aujourd’hui, et on leur fit l’honneur de ne pas passer à l’ordre du jour, et on n’accueillit pas leurs pétitions par une proposition équivalente à un dédaigneux rejet, alors qu’ils demandaient encore la même chose aujourd’hui.

Enfin, ces citoyens se plaignaient d’entraves mises à l’exercice de leur culte, et M. de Robiano, qui était un des pétitionnaires, disaient : « Nous voulons voir disparaître ces griefs ! » (On rit.) Nous voulons ! Et cependant, aujourd’hui qu’il s’agit d’une réclamation semblable, il trouve de l’inconvénient à la renvoyer au ministre.

Réfléchissez-y bien, messieurs ! Quand les pétitions, adressées aux états-généraux, ont été accueillies par 88 voix contre 11, alors que ces états comptaient autant de Hollandais que de Belges, n’y aurait-il pas de la honte aujourd’hui à persister dans l’ordre du jour ? Je le déclare, il n’y aurait pas assez de stigmates pour flétrir une pareille conduite.

Ne croyez pas que je veuille attaquer la commission ! Je rends justice aux intentions et à la loyauté de tous ses membres, et je conviens qu’en lisant rapidement, comme on le fait dans une commission, le texte de la loi, elle a pu, au premier abord, penser que la constitution qui conservait les prérogatives du pouvoir exécutif, nous privait de la connaissance d’un grief, d’une destitution qui appartient au chef de l’Etat. Je conçois très bien que cela peut entraîner au premier moment ; mais quand on réfléchit un peu, il est impossible de résister à l’évidence, à moins qu’on ne déclare qu’il n’y a pas autant de liberté aujourd’hui que sous le roi Guillaume. Toute la différence entre les pétitionnaires des états-généraux et ceux d’aujourd’hui est en faveur de ces derniers.

Vous lirai-je à présent les articles de la constitution qu’on a invoqués ?

L’article 29 porte : « Au Roi appartient le pouvoir exécutif, tel qu’il est réglé par la constitution. » Mais les pétitionnaires contestent-ils le droit de la couronne ! Ils reconnaissent si bien ce droit au contraire qu’ils vous invitent à intercéder auprès du gouvernement pour qu’il regarde de plus près à la mesure qu’il a prise.

Voyons maintenant l’article 66. Il dit que « le Roi confère les grades dans l’armée, et nomme aux emplois d’administration générale et de relation extérieure, sauf les exceptions établies par la loi. »

L’article 66 porte : « Le Roi commande les forces de terre et de mer, etc. »

Mais ici encore, est-ce que les pétitionnaires des Flandres entendent contester au Roi le droit de conférer les grades, de nommer les ministres, etc. ? Non, certainement. Autrefois, on a demandé le remplacement de M. le baron de Goubau, qui était alors ministre des cultes. Eh bien ! nous, aujourd’hui, dans le moment où nous avons besoin d’un excellent patriote, nous ne disons pas comme M. de Robiano : « Nous voulons ! » mais nous invitons le gouvernement à regarder les choses de plus près, pour qu’il ne donne pas tout aux hommes de certaine couleur.

Les pétitionnaires de 1830 ne furent pas même satisfaits d’un dépôt au greffe, qui équivalait à un renvoi aux ministres ; ils croyaient qu’on devait aller plus loin, et cette circonstance n’a peut-être pas peu contribué à la révolution. Or, je vous demande quel serait le résultat de votre décision si vous passiez à l’ordre du jour !

Je dois ajouter à ces considérations un exemple qui s’est présenté à la chambre française. On peut se rappeler que M. Lafontaine, aide-de-camp du brave maréchal Gérard, avait pris aux élections une part beaucoup trop active pour les doctrinaires de ce temps. Il fut destitué ou mis en disponibilité, je ne me souvent pas au juste. Eh bien ! il s’adressa de ce chef à la chambre des députés. Et croyez-vous que la chambre des députés passa à l’ordre du jour sur sa pétition ? Non, messieurs ; sous le régime du bon plaisir de Charles X, sous un ministère doctrinaire par principe et par conviction peut-être, cette pétition fut renvoyée, sans opposition, au ministre de la guerre, avec demande d’explications. Eh bien ! nous, nous n’exigeons pas même d’explications. Nous voulons seulement qu’on ordonne le renvoi pur et simple au ministre de la guerre et le dépôt au bureau des renseignements. Et si nous demandions des explications, le gouvernement n’aurait pas encore le droit de s’opposer au renvoi ; seulement il pourrait dire : Je ne vous donnerai pas ces explications, parce que la constitution m’autoriserait dans ce cas à agir comme je le voulais ; et seulement alors pourrait s’élever la question constitutionnelle.

Le ministre de la justice, pour appuyer l’ordre du jour, a tenu, comme je l’ai déjà fait remarquer, précisément le même langage que les partisans de l’ordre du jour lors de la discussion des pétitions de 1830 devant les états-généraux. Ouvrez cette discussion, et vous verrez qu’on disait alors précisément comme M. le ministre : « Je ne connais rien de plus propre à décrier le droit de pétition que l’abus qu’on en fait et que l’appui qu’il trouve dans la chambre. » Et puis on ajoutait comme lui : « Attendez le budget pour interpeller le gouvernement. »

Voilà ce qu’on nous dit toujours : Attendez le budget, et quand le budget arrive, c’est tout autre chose ; on change de langage, et le journal de la doctrine dit alors que refuser le budget, c’est renverser le gouvernement. C’est là le système hypocrite de la doctrine ; et savez-vous ce que cela signifie en définitive ? Cela signifie : Bon peuple ! vous êtes dupe et serez toujours dupe ! Voilà en deux mots le gouvernement représentatif : mensonge et duperie !

« Il est facile, dit encore le ministre de la justice, d’obtenir des pétitions. » C’est ainsi que parlait aussi l’ancien gouvernement. Si la chose est si facile, essayer donc des contre-pétitions, vous pourriez bien obtenir le même résultat que l’ancien gouvernement ; il a demandé des contre-pétitions, et il n’a trouvé que des noms tellement obscurs ou impopulaires, qu’il en est résulté un déshonneur pour lui, plus grand que le pétitionnement même. Du reste, ce n’est pas répondre aux pétitions que de les écarter par une fin de non-recevoir. Cette mesure atteste, ou un grand degré de faiblesse, ou des torts réels.

Le même ministre s’est écrié : « Vous allez empiéter sur les droits de la couronne ! N’avez-vous point pour garantie notre responsabilité ? » Messieurs, nous connaissons toute la valeur de la responsabilité ministérielle ; c’est aujourd’hui une monnaie de billon ; d’ailleurs, je crains bien que, si le ministre assume un plus grande dose de responsabilité, il ne succombe sous le faix. Quant au reproche de vouloir s’immiscer dans les attributions du pouvoir exécutif, j’y ai déjà répondu ; nous ne voulons que l’avertir, lui transmettre des vœux.

« L’intervention directe et positive de la chambre, a-t-il ajouté, c’est de la tyrannie, et vous savez que le despotisme peut siéger dans une convention aussi bien que sur le trône. »

Je ne pense pas, messieurs, que l’insolent van Maanen ait jamais osé insulter les chambres de la sorte. Mais puisqu’on a rappelé la convention, je dirai moi ce que c’était que la convention. La convention dirigea 14 armées de cent mille hommes chacune ; la convention ne s’est pas courbée sous le joug et la dépendance des puissances ; la convention n’a pas trafiqué de la liberté et de l’honneur de son pays ; la convention, par son patriotisme et son énergie, repoussa ses nombreux ennemis et vainquit tout l’univers ! Et puissions-nous un jour nous constituer en convention, si nous pouvons par là vaincre nos ennemis et faire triompher la liberté !

Oui, messieurs, la convention a fait de grandes et belles choses ; mais elle n’était dirigée ni subjuguée par des doctrinaires, qui, tout en paraissant aujourd’hui agir au vœu de la majorité, ne font que dénaturer et pervertir ce qu’il y a de plus noble et de plus généraux dans la nation comme dans nos institutions.

« Quoi ! dit ensuite le ministre, on ne pourra déplacer un gouverneur, un commissaire de district, un procureur-général, sans qu’à l’instant on ne vienne réclamer. »

Messieurs, il faut faire attention à ces paroles. Peut-être la démarche des Flandres gêne-t-elle le gouvernement pour les destitutions qu’il méditait. Peut-être voulait-il encore renvoyer d’honorables fonctionnaires dont le crime est d’avoir rendu des services, même dans cette chambre ; peut-être l’honorable M. d’Huart lui-même qui a fait dans ces derniers temps ce que le gouvernement n’avait pas osé faire, sera-t-il une des premières victimes. Et l’on a peur que d’autres citoyens encore viennent élever la voix contre de pareilles injustices.

Quant à la destitution de certain procureur-général, on n’aura pas le plaisir de la prononcer ; il ne s’y est pas exposé.

« C’est une contrainte morale, nous dit-on, que vous allez exercer sur le gouvernement ! » Quoi, messieurs, transmettre au gouvernement les vœux des habitants des Flandres, c’est violenter le gouvernement, c’est amener une perturbation dans l’Etat ! Mais en admettant qu’il y ait contrainte morale, qu’est-ce donc que le gouvernement représentatif, si ce n’est l’action et la réaction d’un pouvoir sur l’autre ? Si la majorité jugeait à propos d’exercer une influence morale sur le gouvernement, pourquoi ne l’exercerait-elle pas ? Il faut être conséquence avec vous-même. Ou la majorité est, comme vous le dites sans cesse, omnipotente, ou elle ne l’est pas. Si elle ne l’est pas, ne la vantez pas hypocritement ; si vous reconnaissez son omnipotence au contraire, pourquoi voulez-vous la décliner, la méconnaître lorsqu’elle se prononce ?

On nous a accusés d’avoir une tendance à accorder des primes à l’insubordination. Quoi ! nous encourageons l’insubordination parce que nous accueillons une pétition de simples habitants, comme dit M. de Robiano, relative à un brave général ! Non, messieurs, au contraire, c’est une prime d’encouragement pour les militaires patriotes qui ne se décourageront pas ; ils resteront fidèles à leur drapeau, bien certains de trouver un appui dans cette chambre s’ils ne le trouvent pas ailleurs.

« Les reproches qu’on adresse au gouvernement ne sont pas fondés, vous dit-on ; c’est à tort qu’on l’accuse de repousser les hommes de la révolution. Les nombreux officiers de volontaires sont presque tous dans les cadres de l’armée, et le gouvernement, au contraire, frappe les adversaires de la révolution et des faits récents le prouvent. » Un fait récent aussi qu’on a cité dans cette discussion atteste tout le contraire. Je ne connais aucun fait en sens contraire. Dans tous les cas, si le gouvernement a l’intention de frapper les ennemis de la révolution, je le prie d’agir avec discernement ; car je crains que, par maladresse, il ne frappe le plus souvent que les révolutionnaires, tout en attestant de ses bonnes intentions.

A propos des volontaires, je suis bien aise que M. le ministre m’ait fourni l’occasion de rappeler un précédent à la chambre. Lorsque les braves volontaires furent destitués en masse en septembre 1831, ils adressèrent une pétition à la chambre. On disait aussi alors qu’accueillir cette pétition, c’était usurper la prérogative royale, et que dans ce cas les ministres résigneraient leurs portefeuilles. Cependant, après quelques débats, cette pétition fut renvoyée au ministre de la guerre, et vous devez vous en féliciter, messieurs, puisqu’au dire de M. le ministre de la justice, ils ont été replacés presque tous. Toutefois, je dois faire remarquer que la plupart ont été placés dans des bataillons de réserve jusqu’à la paix seulement, avec faculté de se faire tuer pendant la guerre, sauf à mourir de faim à la paix ; et, chose bizarre, je connais tels officiers depuis 1815, qu’on veut bien admettre dans la cavalerie, mais à condition qu’ils n’auront aucun droit à l’avancement, ni aucun titre à être maintenus après la guerre, quoiqu’ils aient été blessés pendant la révolution et qu’ils soient plus anciens en grade que tels de nos généraux du jour.

Il a dit en terminant, et M. de Robiano a beaucoup appuyé sur ce point, qu’en France, en Angleterre, en Belgique, ce n’est pas la liberté qui est menacée, mais l’ordre ; que sans un pouvoir fort, très fort, l’anarchie prendrait sa place.

Mais de quel ordre a-t-on voulu parler ? Est-ce de celui qui règne à Varsovie ! Nous n’avons que faire d’un ordre qui ressemble à la mort. Mais si l’on a entendu le bon ordre, l’ordre légal, je ne connais que celui établi par la constitution, par la volonté et au profit du peuple. Devant les états-généraux, on a osé dire aussi que sans un pouvoir fort, très fort, l’anarchie prendrait sa place, et on a ajouté : « on plutôt le pouvoir absolu. »

Je vous ai déjà fait remarquer que certain journal avait adopté la première partie de ce système pour en venir plus tard à la deuxième partie ; souvenez-vous qu’il ajoutait : « Prenez bien garde qu’à l’exemple du Danemarck et de tant d’autres pays, on ne vienne vous demander à la fin le pouvoir absolu. » Je prends acte du premier membre de la phrase insérée dans le journal dont je parle, afin que vous vous rappeliez qu’un jour on pourrait tenter d’arriver au deuxième. Oui, messieurs, le délire de nos doctrinaires et leur soif de pouvoir pourraient bien un jour aller jusque-là ; une fois sur cette pente, il n’y a plus moyen de s’arrêter.

On a dit aussi que la magistrature avait été insultée jusque dans son sanctuaire. Je sais bien que certaines nominations ont été charivarisées, et que même on a menacé d’un charivari certaines installations ; mais ces démonstrations et ces menaces, fort inconvenantes qu’elles fussent, ne s’adressaient qu’à quelques hommes, et non pas à l’ordre judiciaire.

Si le gouvernement n’avait appelé pour remplir ces importantes fonctions que des hommes dignes de leur savoir et leur dévouement à leur pays de la confiance publique, il n’y aurait point de pareilles protestations. Du reste, en nul pays, je le déclare, la magistrature n’est plus respectée et plus respectable qu’en Belgique. Je ne comprends pas trop quelle peut avoir été l’intention du ministre en rappelant un fait qui n’a jamais eu rien d’hostile contre la magistrature, mais purement personnel contre certains hommes et contre certain parti.

- On demande la suite de la discussion à demain. Il est cinq heures.

M. Gendebien. - Si l’on veut fermer la discussion, je consens à renoncer à la parole. (Oui ! oui ! la clôture !)

(Moniteur belge n°48, du 17 février 1833) M. d’Huart. - Je demande la parole pour un fait personnel.

L’honorable M. Gendebien a dit que si on adoptait l’ordre du jour, il n’y aurait pas assez de stigmates d’une semblable décision.

Je répondrai, messieurs, à l’espèce de réprobation que cet honorable préopinant s’est permise envers la commission, et dont le correctif qu’il s’est empressé d’ajouter ne me satisfait pas, je répondrai, dis-je, que la commission attend tranquillement à cet égard, pour premier jugement, la résolution de la chambre.

Le même préopinant a insinué que la commission aurait examiné légèrement et superficiellement la question qui vous occupe. Eh bien ! je déclare que ce n’est qu’après mûre délibération que la commission a pris les conclusions qu’elle vous a soumises en conscience, et, pour mon compte, je ne crains pas les suites de cette déclaration.

M. Gendebien. - Je commencerai par déclarer que je n’entendais faire aucun reproche à la commission ; j’ai dit qu’en examinant légèrement, comme cela se fait dans les commissions, on pouvait, au premier aperçu, se faire illusion sur le texte de la constitution. Je suis convaincu que la commission s’est trompée de bonne foi ; mais je dis qu’après la discussion, il est impossible de soustraire l’administration aux stigmates dont elle a été frappée.

- La chambre ferme la discussion.

M. Dumortier. - Dans une discussion de cette importance, je crois devoir demander la division de la proposition faite par M. Vergauwen. Quoiqu’on ait dit beaucoup de choses dans la discussion, il y en a encore beaucoup d’autres à dire sur une matière aussi grave.

A pareille époque, il y a trois ans, le roi Guillaume révoquait de son commandement un membre qui siège à ma droite ; il était maître de l’armée, et cependant le roi Guillaume reçut les reproches que l’on adresse aujourd’hui aux ministres responsables.

- Des voix. - On ne peut plus discuter, la clôture est prononcée.

M. Dumortier. - Je demande la division de la proposition.

M. le président se dispose à mettre aux voix, par assis et levé, l’ordre du jour proposé par la commission. On demande l’appel nominal ; et l’appel nominal a lieu.

Sur 65 votants, 42 ont voté pour écarter la pétition par l’ordre du jour, 23 ont voté contre l’ordre du jour.

Ont voté pour : MM. Cols, de Bousies, de Laminne, Dellafaille, de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Robiano de Borsbeek, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Dubois, Dumont, Duvivier, Ernst, Fleussu, Fortamps, Goblet, Jacques, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Mary, Milcamps, Nothomb, Olislagers, Pirmez, Polfvliet, Poschet, Raymaeckers, Rogier, Teichmann, Ullens, Vandenhove, M. Vanderbelen, Verdussen, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Zoude, Raikem.

Ont voté contre : MM. Berger, Coghen, Coppens, Dautrebande, de Brouckere, de Haerne, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, Desmaisières, Desmet, d’Hoffschmidt, Dubus, Dumortier, Fallon, Gendebien, Hye-Hoys, Jullien, Levae, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Speelman, Vergauwen et Verhagen.

La séance est levée à cinq heures.