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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 28 décembre 1832

(Moniteur belge n°362, du 30 décembre 1832)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Jacques fait l’appel nominal.

M. Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

M. Jacques expose l’objet des pièces adressées à la chambre.

M. Devaux écrit que l’état de sa santé ne lui permet pas d’assister, aujourd’hui, à la séance.

Pièces adressées à la chambre

La cour des comptes adresse à la chambre la lettre suivante :

« Bruxelles, le 27 décembre 1832.

« Monsieur le président,

« Conformément aux dispositions transitoires du décret du 30 décembre 1830, la cour a l’honneur de transmettre à la chambre des représentants, accompagné de ses observations, le compte général de la gestion de 1830 rendu par M. le ministre des finances.

« Ce compte est parvenu le 10 novembre dernier dénué des pièces justificatives de la recette ; cette circonstance a mis la cour dans la nécessité de les réclamer à M. le ministre des finances, ainsi qu’aux administrateurs du trésor dans les provinces, de sorte qu’il s’en est suivi un retard dans la vérification qui s’est prolongée jusqu’à ce moment où elle a reçu une partie seulement des documents réclamés ; ceci explique la cause du retard que la cour a apporté de son côté dans l’envoi du compte dont il s’agit.

« Elle doit même déclarer ici qu’elle n’a pas reçu toutes les pièces qui lui étaient nécessaires ; c’est ce qui s’est opposé à la vérification complète du compte, que la cour n’a pas cru devoir retenir plus longtemps, afin de satisfaire aux désirs exprimés par la chambre.

« Très incessamment le compte de 1831 sera également renvoyé à M. le ministre des finances avec les observations de la cour.

« La cour des comptes :

« Le conseil faisant fonctions de président,

« M. Willems. »

Les comptes seront imprimés et distribués.

M. Osy. - Il faut les renvoyer aussi à la commission des finances.

Ordre des travaux de la chambre

M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je viens d’apprendre que plusieurs de nos collègues se proposent de partir demain ou après-demain ; il me semble que, vu l’urgence de plusieurs lois, nous devrions prendre l’engagement de rester ici jusqu’au 1er janvier. Le sénat peut amender les lois que nous lui renverrons ; il est donc prudent de rester. Je voudrais que M. le président soulevât la question du congé ; cette question, soulevée, pourrait diminuer le nombre des déserteurs parlementaires. (On rit.)

M. le président. - On demande un congé de 15 jours.

- Des voix. - Huit jours ! huit jours !

- D’autres voix. - Dix jours ! dix jours !

M. Poschet. - Je propose dix jours ; il en est parmi nous qui ont leurs familles loin d’ici.

- Le congé de 15 jours est d’abord mis aux voix et adopté.

Projet de loi organisant les provinces

Motion d'ordre

M. Robiano de Borsbeek demande la parole pour une motion d’ordre. - Messieurs, dit-il, le projet de loi provinciale a été imprimé, mais on me dit qu’il n’y en a plus d’exemplaires ; cependant c’est une chose dont on ne peut se passer ; il faudrait le réimprimer.

M. Dubois. - Il faudrait qu’on réimprimât toutes les lois qui ont été soumises l’année dernière à la chambre, et dont elle est encore saisie.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - La loi provinciale a été examinée en sections, dès lors de la clôture de la dernière session ; la section centrale était sur le point de terminer son travail ; ne suffirait-il pas que la section centrale fît imprimer son rapport ? Il me semble que la distribution de ce rapport remplirait le but qu’on se propose.

- Plusieurs membres. - Cela suffit ! cela suffit !

Proposition de loi visant à témoigner à l'armée française la reconnaissance de la nation belge

Dépôt et lecture

M. le président. - M. Gendebien a déposé sur le bureau une proposition : elle sera renvoyée devant les sections.

M. d’Huart. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

On vient d’annoncer la proposition de M. Gendebien ; il me l’a communiquée ainsi qu’à plusieurs de nos collègues ; elle est relative à l’armée française ! Il s’agit de lui témoigner la reconnaissance de la nation belge pour ses nobles travaux devant Anvers ; avant de nous séparer, il faudrait statuer sur cette proposition ; nous pouvons actuellement suspendre un moment la séance et nous rendre dans les sections.

L’armée française est sur le point de quitter notre territoire ; si nous attendions jusqu’à notre réunion au 15 janvier, notre reconnaissance paraîtrait tardive. Je demande que nous examinions sur-le-champ cette proposition.

- La chambre consultée décide qu’elle va se rendre dans les sections.

La séance est suspendue un quart d’heure.

Deux sections ont autorisé purement et simplement la lecture de la proposition, trois l’ont refusée, une l’admet avec des conditions. Mais deux sections ayant autorisé la lecture, M. Gendebien est appelé à la tribune.

La chambre en entendra demain les développements.

Proposition de loi supprimant l'exemption accordée aux avocats en matière de patentes

Développements

M. C. Rodenbach a la parole pour présenter les développements de la proposition qu’il a déposée sur le bureau et qui est relative à la patente des avocats. Cet honorable membre s’exprime en ces termes. - Je n’entrerai pas, messieurs, dans des développements très étendus à l’appui de ma proposition ; je considérerai la question soulevée sous le rapport moral et politique, laissant à mes honorables collègues, versés dans la science du droit, le soin de la traiter sous d’autres rapports.

Lors des discussions du projet de loi des voies et moyens, il m’a semblé que nous étions d’accord sur quelques points essentiels : la nécessité de trouver de l’argent, l’envie de le prendre là où il est, de ne vexer personne, mais aussi de ne souffrir d’exemption ni de privilège pour personne. D’après ces données, je crois que la proposition que j’ai l’honneur de soumettre à la chambre sera adoptée sans difficulté, car il est certain que l’impôt dont il s’agit ne tombera que sur une classe aisée de contribuables, en même temps qu’il fera disparaître un abus criant.

Il m’a paru logique de placer la profession d’avocat au niveau des autres professions pour ce qui concerne le droit de patente. Lorsqu’il n’y a pas communauté dans les charges de l’Etat, il y a évidemment injustice, violation des droits d’autrui. C’est ce principe d’économie politique et d’équité naturelle qui m’a conduit à vous demander la révocation de l’article 3 de la loi du 21 mai 1819, qui exempte les avocats de la patente.

Les avocats n’ont pas sans contredit à se plaindre de la révolution ; car, outre que plusieurs, des plus dignes sans doute, ont été appelés à de hautes fonctions, ceux qui continuent à plaider vont trouver une mine féconde à exploiter, non seulement dans les nouvelles lois, mais dans cette foule de procès que vont engendrer les maux mêmes de la révolution.

N’est-il pas juste que ceux qui exercent une profession avec honneur et profit contribuent à payer les taxes ? Vous sentez, messieurs, que je n’entends parler ici que des avocats praticiens et non pas de ces nombreux bataillons de docteurs en droit qui pullulent dans nos villes et qui, semblables aux hommes de loi qui perdirent jadis Rome, semblent en quelque sorte préparer des jours néfastes pour la pauvre Belgique, vu leur grand nombre et vu la facilité vraiment déplorable avec laquelle ils sont gradués dans nos universités.

Il est clair que les avocats ont toujours été en nombre pour la confection des lois. Autrement je ne pourrais m’expliquer la raison qui exempte leur industrie de l’impôt patente qui pèse sur toutes les autres. Je concevrais cette faveur sous un régime monarchique, quand le pouvoir régit par lui-même, et les intérêts moraux, et les intérêts matériels ; mais sous le régime de la liberté et du principe social actuel, un pareil privilège me paraît une anomalie choquante.

Mon intention n’est pas, messieurs, de détruire cette espèce d’auréole de gloire et de grandeur dont les avocats aiment à s’entourer dans le monde.

Je ne cherche en rien à rabaisser la noblesse et la dignité de leur profession ; mais il me semble que la carrière du notaire, du médecin, de l’avoué, du chirurgien, etc., n’est pas moins honorable. Le médecin, lorsqu’il sauve vos jours, n’a-t-il pas autant de droit au respect que l’avocat qui sauve votre fortune ? Si l’un défend la cause de la veuve et de l’orphelin, l’autre ne va-t-il pas souvent au péril de ses jours dans les lieux, les plus désolés, arracher à la mort ses victimes ?

Le temps n’est plus où l’on se disputait sur la prééminence d’une profession. Laissons ces vaines subtilités, ces distinctions de rangs, apanages des époques d’ignorance et dé féodalité. Dans un siècle progressif comme le nôtre, toutes les catégories doivent s’évanouir devant ce principe né de la liberté et consacré par l’article 6 de notre constitution, l’égalité devant la loi.

Il existait autrefois un prétexte assez spécieux qui empêchait les avocats d’être rangés dans les classes des patentables ; leurs fonctions n’étaient pas salariées. Ce qu’ils recevaient de leurs clients se nommait honoraires, et il ne leur était pas permis de les poursuivre en justice. Mais quelques clients, prenant sans doute au pied de la lettre ce désintéressement d’apparat, forcèrent les avocats à provoquer une mesure qui les autorisât à réclamer des honoraires par les voies de la justice. C’est le décret du 14 décembre 1810. Les avocats abdiquèrent ainsi volontairement un privilège onéreux, et rentrés dès lors dans la classe des industriels ordinaires, ils n’ont rien à invoquer contre l’impôt que je propose aujourd’hui.

On pourrait m’objecter que les peintres, sculpteurs, etc., ne sont pas non plus astreints à payer patente. Sommes-nous des vandales pour lever un impôt sur le génie ? C’est en vain qu’on voudrait confondre la profession d’avocat avec les arts libéraux. L’artiste qui réunit dans un ouvrage le génie et le travail des mains, le peintre, le sculpteur, l’architecte, le chimiste, l’acteur, voilà ceux qui exercent les arts libéraux, toujours protégés partout où il y a des hommes civilisés.

Bien des fois, messieurs, il m’est arrivé d’interroger des jurisconsultes distingués pour savoir quel était le motif réel qui exemptait les avocats de l’impôt patente ; ils me répondirent, le sourire sur les lèvres : Demandez qui a fait les lois.

Mais j’en ai déjà trop dit. MM. les avocats, qui en toutes circonstances se montrèrent les amis de la justice et de l’égalité, impatient de donner encore une preuve de leur désintéressement, seront les premiers à souscrire à un moyen si juste et si facile de créer un revenu qui ne lèse pas les petits contribuables et qui égalise les droits.

J’espère donc que, selon l’expression heureuse de notre honorable collègue M. Seron, les avocats, comme les riches, auront de la pudeur.

- La proposition est appuyée.

M. d’Elhoungne. - Je proposerai de fixer la discussion de la prise en considération après le vote du budget. Il s’agit d’un impôt de quotité qui se perçoit toute l’année, ainsi rien ne presse.

M. C. Rodenbach. - D’après cette proposition, la prise en considération n’aurait lieu que dans trois mois ; je demanderai que cette discussion ait lieu le 25 janvier.

- La chambre consultée décide que la discussion de la prise en considération aura lieu le 25 janvier.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du département de la justice

Second vote des articles et vote sur l'ensemble

L’ordre du jour appelle le vote définitif sur le projet de loi relatif au crédit supplémentaire demandé par le ministre de la justice pour l’exercice 1832.

Les articles de ce projet, successivement mis aux voix, sont adoptés sans discussion.

L’ensemble de la loi, soumis à l’appel nominal, est adopté à l’unanimité par les 68 membres présents.

Projet de loi fixant le contingent de l'armée pour l'année 1833

Second vote des articles et vote sur l'ensemble

Le second objet à l’ordre du jour est le vote définitif sur le projet de loi concernant le contingent de l’armée pour 1833.

Aucune discussion n’a lieu sur les articles provisoirement adoptés.

La loi soumise dans son ensemble à l’appel nominal est adoptée à la majorité de 67 voix contre une. M. Seron est le seul votant qui ait répondu non.

Proposition de loi modifiant la loi monétaire

Second vote des articles et vote sur l'ensemble

La troisième loi sur laquelle la chambre est appelée à voter définitivement est celle qui résulte de la proposition de M. Seron, concernant les monnaies d’or.

Aucune discussion ne s’engage sur cette loi, qui, soumise à l’appel nominal, est adoptée à l’unanimité des 67 membres présents.

Projet de loi accordant des crédits provisoires au budget du ministère de la guerre pour l'exercice 1833

Rapport de la section centrale et vote de l'article unique

La suite de l’ordre du jour est la discussion du projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre, portant ouverture d’un crédit provisoire pour assurer le service de l’armée avant le vote du budget des dépenses.

La commission a modifié le projet du ministre dans les termes suivants :

« Léopold, Roi des Belges, etc...

« Considérant que d’ici à ce que le budget des dépenses puisse être réglé définitivement, il importe d’assurer le service du département de la guerre,

« Nous avons, d’un commun accord avec les chambres, décrété, et nous ordonnons ce qui suit :

« Article unique. Il est ouvert, au ministre directeur de la guerre un crédit provisoire de la somme de douze millions de francs, pour faire face aux dépenses des deux premiers mois de l’année 1833. »

M. le ministre de la guerre (M. Evain) se rallie à la proposition de la commission,

Aucune discussion ne s’élève ni sur l’article unique ni sur le considérant. Le projet de loi est adopté par assis et par levé. Il est ensuite soumis dans son ensemble à l’appel nominal et adopté à l’unanimité des 67 membres présents.

Projet de loi relatif à la garde civique

Rapport de la section centrale

Le dernier objet à l’ordre du jour est le projet de loi relatif à la prorogation des décrets sur la garde civique.

Voici comment s’exprime M. de Theux dans le rapport qu’il a fait au nom de la commission spéciale chargée de l’examen de ce projet de loi.

M. de Theux. - Messieurs, la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la garde civique a examiné si ce projet était nécessaire ; quelques membres ont prétendu que l’obligation imposée par l’article 102 du décret du 31 décembre 1830 de la soumettre à la révision de la législature avant l’expiration de l’année 1832 n’emporte pas une abrogation de plein droit ; on a répondu que si l’abrogation n’avait pas lieu de plein droit, il dépendrait d’une seule branche du pouvoir législatif d’éluder la révision ; on a invoqué l’antécédent de la législature au sujet de la presse ; et en effet, bien que l’article 17 du décret du 20 juillet 1831 sur cette matière fût conçu dans les mêmes termes, la législature a cru devoir proroger expressément ce décret par la loi du 19 juillet dernier : ces motifs ont déterminé le rejet de la question préalable.

Quant au fond du projet, la commission n’a pas hésité à admettre la prorogation demandée par le gouvernement. Seulement elle a cru que, pour éviter tout doute et pour dissiper les craintes que les intéressés pourraient concevoir, il est nécessaire de distinguer entre les décrets relatifs au système général de la garde civique, et ceux relatifs à la mobilisation.

Quant à ces derniers, elle propose de ne les maintenir que jusqu’à la paix avec la Hollande, si elle vient à être conclue dans le courante l’année prochaine.

L’article 25 du décret du 18 janvier 1831, relatif à la mobilisation du premier ban, porte qu’il sera considéré comme abrogé de plein droit à la conclusion de la paix.

L’article 4 du décret du 4 avril 1831 portait que le service du premier ban mobilisé ne pourrait se prolonger au-delà du 31 décembre de la même année, à moins qu’une disposition législative n’en décidât autrement.

Et l’article premier de la loi du 29 décembre 1831 porte que le gouvernement est autorisé à prolonger le service du premier ban de la garde civique mobilisée jusqu’à la conclusion de la paix avec la Hollande.

Ces diverses dispositions justifient la proposition de la commission, qui est d’ailleurs en harmonie avec la loi du 31 décembre 1831, laquelle n’admet l’organisation de la garde civique en plusieurs bans et n’autorise la mobilisation qu’en temps de guerre.

La commission a cru devoir rappeler la nécessité de la révision dans le courant de l’année 1833 ; elle a aussi ajouté une disposition fixant l’époque à laquelle la loi sera obligatoire.

En conséquence, la commission a l’honneur de vous proposer le projet de loi amendé en ces termes :

« Projet de loi.

« Art. 1er. Les décrets du 31 décembre 1830, des 22 et 23 juin 1831, sur la garde civique, continueront à être obligatoires pendant l’année 1833 ou jusqu’à leur révision, qui aura lieu avant l’expiration de l’année.

« Les décrets des 18 janvier et 4 avril et la loi du 29 décembre 1831, continueront à être obligatoires pendant le même temps ; néanmoins leur effet cessera à la conclusion de la paix avec la Hollande, si elle a lieu plus tôt.

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1833. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) déclare se réunir à la proposition de la commission.

- La discussion est ouverte sur l’ensemble de la loi.

Discussion générale

M. H. de Brouckere. - Je demande la parole pour faire remarquer que ce projet est tout à fait inutile ; qu’il n’a aucun but et que la chambre, en le votant, ne votera pas une nouvelle loi. Vous savez comment sont conçus les articles des décrets du 31 décembre 1830, des 22 et 23 juin 1831, par lesquels il est stipulé que la législature révisera ces deux lois avant l’expiration de l’année 1832. Résulte-t-il de ces dispositions que la loi resterait en vigueur si elle n’est pas révisée ? Mais il est facile de démontrer que, de la manière dont elles ont été insérées, elles n’ont aucune force obligatoire. Je vais expliquer cela par une erreur dans laquelle est tombé le congrès.

Le congrès, qui avait un pouvoir constituant, qui avait le pouvoir de faire la constitution, qui est la loi des lois, avait aussi le pouvoir législatif. Quand il exerçait le pouvoir législatif, il oubliait quelquefois qu’il agissait ainsi ; il croyait toujours être pouvoir constituant, et c’est pour cela qu’il imposait des devoirs à la législature.

Personne, messieurs, n’a le pouvoir d’imposer des devoirs à la législature, de la contraindre. Quand une simple loi vient imposer une obligation à la législature, la législature s'y soumet ou ne s’y soumet pas : cela dépend absolument de sa volonté.

Je vois dans le rapport de l’honorable M. de Theux un argument que je suis obligé de relever. On prétend que si la prorogation n’avait pas lieu de plein droit, il dépendrait d’une seule branche du pouvoir législatif d’empêcher les autres d’agir ; mais il dépend toujours de l’une des branches de la législature d’empêcher les autres de statuer : l’objection est donc sans portée.

On a craint qu’il ne s’élevât des doutes sur l’obligation des décrets concernant la garde civique : je pense qu’il ne peut s’élever de doutes dans l’esprit de personne. Si la chambre adopte la question préalable, tout doute serait évanoui. Je conclus donc qu’il faut décider qu’il n’y ai pas lieu à délibérer sur le projet de loi.

M. de Theux. - Messieurs, les lois que le congrès a faites sont de deux sortes. Les unes ont été discutées avec maturité, les autres ont été votées avec quelque précipitation ; à celles-ci le congrès n’a voulu donner qu’un effet temporaire, et il a prescrit qu’elles fussent révisées dans un certain délai. De ce nombre sont la loi sur la garde civique et la loi sur la presse, qui ont été discutées en fort peu de temps. Tous les membres de cette chambre qui ont fait partie du congrès peuvent se le rappeler.

La loi sur la garde civique renferme 101 articles ; elle a été discutée et voté en une séance. Or, quelle ressource restait-il au congrès, qui reconnaissait qu’une loi ainsi votée était défectueuse pour qu’elle ne pesât pas indéfiniment sur les citoyens ? En prescrire la révision dans le plus bref délai : c’est ce qu’il a fait.

Lorsqu’on a dit que le congrès n’a pas pu obliger la législature à réviser la loi, on a eu raison ; mais il avait un moyen d’obliger à cette révision, en attachant à cette disposition l’abrogation de la loi, il eût bien fallu, dans ce cas, que les trois pouvoirs s’entendissent pour faire la révision.

La même question s’est déjà présentée et la chambre l’a résolue dans notre sens. La loi de la presse contenait une disposition absolument identique, et la chambre a adopté le projet qui la maintenait pour un délai déterminé ; c’est ce que le gouvernement vous propose de faire aujourd’hui, et je ne vois pas pourquoi cette proposition serait rejetée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, si le projet de loi devait donner lieu à de longues discussions, ou entraîner de graves inconvénients, je concevrais la motion de M. de Brouckere. Mais si la chambre n’y voit ni inconvénients, ni difficultés, elle s’empressera de l’adopter. Or, déjà un précédent a été consacré par elle, quant à la loi de la presse.

Qu’on ne vienne pas dire que le projet est sans utilité. Vous savez combien l’intérêt particulier est ingénieux à élever des difficultés ; or, qui vous dit que s’armant de la disposition de la loi, qui en érige la révision, ceux qui en seraient atteints ne soulèveront pas la question de savoir si elle n’ôte pas à la loi tout son effet ? Qui vous a dit que les tribunaux ne seront pas saisis de cette question ? Et dans cette prévision, ne devez-vous pas empêcher qu’il en soit ainsi, en adoptant le projet qui vous est soumis ? Vous le penserez comme moi, messieurs, alors surtout qu’au lieu de nous signaler les inconvénients du projet, on s’est borné à nous dire qu’il était inutile. Nous soutenons, nous, qu’il est utile, qu’il est nécessaire, pour empêcher des doutes de s’élever sur la force obligatoire de la loi ; je crois donc devoir insister pour son adoption.

M. Gendebien. - Messieurs, je ne pense pas qu’il s’agisse de savoir si le projet présente ou ne présente point de difficulté dans son adoption, mais si le projet est utile. Je crois que M. de Brouckere vous a parfaitement démontré qu’il ne l’était pas, vous devez dès lors passer à l’ordre du jour ; car le premier devoir du législateur est de ne jamais rien faire d’inutile, non seulement parce que sa dignité le lui commande, mais parce qu’il y a toujours de graves inconvénients à faire des lois inutiles ou à insérer dans les lois des dispositions inutiles. Il faut avoir vu le parti qu’on peut tirer, dans une discussion judiciaire ou législative, d’une disposition de loi inutile, pour en connaître tout le danger.

Il me suffira d’un mot pour vous prouver l’inutilité de celle qu’on nous propose.

L’article 101 de la loi sur la garde civique porte : « Le présent décret sera soumis à la révision de la législature, avant le 1er janvier 1833. »

Voilà une injonction (je me sers ici de l’expression la plus forte, dans le sens de l’auteur de la loi) que le congrès fait à la législature. Il lui prescrit de réviser la loi ; mais si cette révision n’a pas lieu, qu’arrivera-t-il ? La loi continuera d’être exécutée comme elle l’a été jusqu’ici, c’est-à-dire moins parfaite qu’elle eût pu l’être, et voilà tout.

Je ne pense pas qu’elle cesse d’avoir son effet pour cela : il n’y a dans la loi du congrès aucune condition de non-existence attachée à la non-révision, aucune peine comminatoire en cas de non-révision ; et vous savez que quand, dans une loi comme dans les formalités prescrites pour un acte, il n’y a pas de peine comminatoire à l’appui d’une clause, la loi comme l’acte n’en subsistent pas moins, parce que l’existence de l’un et de l’autre n’est pas essentiellement subordonnée à cette condition.

Je voterai donc pour la motion de l’honorable M. de Brouckere.

M. Jullien. - C’est une chose vraiment déplorable que de voir avec quelle précipitation on nous jette depuis quelques jours, à la tête, des projets de loi dont on demande l’adoption immédiate, sous prétexte que le 1er janvier est là ; on dirait que les ministres ne s’aperçoivent que l’année a un terme que lorsqu’ils arrivent à la fin de décembre.

C’est aujourd’hui le tour de la loi sur la garde civique. On vient, quoique les vices de cette loi soient patents depuis longtemps, on vient vous dire que le congrès a décrété qu’elle serait révisée avant 1833, et on en conclut que si cette révision n’a pas lieu, la loi sera abrogée. Messieurs, cette conséquence est fausse ; lorsque dans une loi il y a une simple injonction de faire quelque chose, sans qu’une sanction pénale soit attachée à l’omission de faire cette chose, la loi n’en conserve pas moins son effet. C’est ce qu’en droit on appelle un précepte nul. On fait bien de faire la chose prescrite, mais on n’est assujetti à rien parce qu’on ne la fait pas. Ici on a dit que la loi serait révisée, si vous ne révisez pas, elle subsistera telle qu’elle est, car la révision n’emporte pas l’idée d’une modification quelconque et vous pourriez très bien réviser la loi sans y changer un seul mot.

Si nous adoptions le projet de M. le ministre de l’intérieur, nous nous trouverions dans un bien plus grand embarras ; et je le prouve par le texte de l’article 137 de la constitution : cet article porte :

« Le congrès national déclare qu’il est nécessaire de pourvoir par des lois séparées, et dans le plus court délai possible, aux objets suivants : 1° la presse ; 2° l’organisation du jury ; 3° les finances ; 4° l’organisation provinciale et communale ; 5° la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir ; 6° l’organisation judiciaire ; 7° la révision de la liste des pensions ; 8° les mesures propres à prévenir les abus du cumul ; 9° la révision de la législation des faillites et des sursis ; 10° l’organisation de l’armée, les droits d’avancement et de retraite et le code pénal militaire ; 11° la révision des codes. »

Eh bien tout cela devait être fait dans le plus bref délai, et voilà dix-huit mois que ce bref délai est passé. S’ensuit-il que toutes les lois énumérées dans cet article, et qui n’ont point été retouchées, soient abrogées ? S’ensuit-il que nous n’ayons ni lois de finances, ni codes ? Non sans doute, ces lois n’ont pas cessé d’exister. C’est à peu près le cas pour la loi sur la garde civique. Elle subsiste, et elle subsistera tant qu’elle ne sera pas révisée ; je ne vois donc pas la nécessité de voter une loi territoriale, et d’augmenter nos 45 mille loi, pour faire une chose complétement inutile. Je voterai pour la question préalable.

M. H. de Brouckere. - Je suis obligé de répondre, non pas aux arguments, car ce n’en sont pas, mais aux raisonnements de M. de Theux et de M. le ministre de l’intérieur.

M. de Theux a dit que le congrès a fait deux espèces de lois. Des lois définitives et des lois temporaires. Je suis d’accord avec lui, mais je considère la loi sur la garde civique comme définitive. Et en effet, lorsque le congrès a voulu faire des lois temporaires, il a eu soin de l’expliquer dans la loi même ; il a fait, comme nous avons fait nous-mêmes dans la loi du 19 juillet dernier, sur la presse, où nous avons dit : la présente loi ne sera obligatoire que jusqu’à telle époque. Avec cette disposition il est évident qu’à l’époque fixée la loi cessait d’avoir force obligatoire.

On a invoqué un précédent de la chambre : celui par lequel elle a prorogé le délai fixé pour la révision de la loi de la presse. Messieurs, si la législature s’était bornée à proroger l’existence de la loi sur la presse, je dirais qu’elle a fait une chose inutile ; mais elle ne s’est pas bornée à cela. On a fait une chose nouvelle par la loi de juillet dernier ; car on a dit que la loi sur la presse n’aurait d’effet que jusqu’au 1er mai 1833 au plus tard.

On ne s’est donc pas contenté de proroger l’effet de la loi, on a dit, au contraire, qu’à telle époque elle n’existerait plus. Mais s’il était vrai qu’une loi dans laquelle se trouve un article portant qu’elle sera révisée à telle époque, dût être révisée, sans quoi elle serait abrogée, il est évident qu’au 1er janvier nous n’aurions point de cour des comptes car la loi qui organise cette cour contient un article de tout point semblable à l’article 101 de la loi sur la garde civique. Or, je ne vois pas qu’on ait déposé sur le bureau une loi pour proroger celle qui organise la cour des comptes.

M. le ministre de l’intérieur n’a rien dit pour prouver la nécessité de la loi. Il a dit que des doutes pourraient s’élever sur l’existence de la loi, si le délai pour sa révision n’était pas prorogé. Mais est-ce une raison suffisante pour qu’une loi soit nécessaire ? Mais si le ministre venait nous présenter une loi pour proroger l’effet du code civil, devrions-nous l’adopter ? Non sans doute, car il n’entrera dans la tête de personne, à moins que cette tête ne soit mal organisée, que le code civil soit abrogé, parce qu’on aura dit, dans l’article 139 de la constitution, que les codes seront révisés.

D’ailleurs, comme l’a fort bien dit M. Gendebien, tout ce qui est inutile dans une loi est dangereux ; et vous en avez la preuve dans ce que vous a dit M. de Theux. Vous avez déjà adopté une semblable mesure, a-t-il dit ; adoptez celle-ci de même. Ce qui revient à dire que parce qu’une fois vous avez fait une chose inutile, il faut en faire une seconde. C’est à quoi je ne saurais consentir, car les choses inutiles sont des choses vicieuses en législation ; on vous l’a très bien prouvé.

M. Angillis. - Messieurs, je dirai avec l’honorable M. Jullien, qu’il est déplorable qu’on vienne, à la fin de l’année, nous présenter une foule de lois, et qu’on veuille nous les faire voter en poste, pour ainsi dire. Mais cela dépend-il entièrement des ministres ? Je ne le crois pas.

Il est clair que les séances des chambres, auxquelles ils se plaisent tous à assister, absorbent la meilleure partie de leur temps, et l’on ne conçoit guère après cela, quel est celui qui pourrait leur rester pour s’occuper à faire des projets de loi.

Cet état de choses durera tant qu’on n’y aura pas porté remède, tant qu’on ne fera pas, ce que je trouve dans la constitution de l’an VIII qui institua auprès du premier consul, un conseil d’Etat, chargé de la confection des lois. Si nous avions cette institution, nous aurions des projets mûrement élaborés, et si alors les ministres venaient nous proposer des projets défectueux, nous serions en droit de leur dire : vous êtes négligents ; à présent, ils nous disent que le temps leur a manqué pour faire de bons projets de loi, et il n’y a pas grand-chose à leur répondre. Mon avis est donc que nous devrions avoir un conseil d’Etat, chargé de préparer les projets de loi. Quant à la question préalable proposée sur le projet en discussion, je ne crois pas qu’il y ait un mot à répondre aux raisons par lesquelles on l’a soutenue, et je voterai en conséquence dans le sens de son adoption.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne sais s’il est nécessaire que nous répondions au reproche de précipitation adressé au ministère parce qu’il aurait présenté plusieurs lois à la fin de l’année : tout le monde sait que, depuis le peu de temps que le ministère est rentrée en fonctions, il a fait tous ses efforts pour que la chambre pût discuter, dans des limites de temps très resserrées, le plus de lois utiles possible ; mais à cet égard il n’a pu vouloir forcer la main à la chambre, qui dans tous les cas était maîtresse de choisir, d’adopter et de rejeter.

Je ne tiens pas à imposer à la chambre le projet en discussion ; mais il m’a paru que dans le doute il était de mon devoir de la consulter sur la force obligatoire qui pouvait demeurer à la législation sur la garde civique. Remarquez que ce doute est partage par un assez grand nombre de membres de la chambre ; qu’il l’a été par la commission chargée de l’examen de la loi que nous avons proposée ; que l’inutilité de la loi n’a pas frappé tout le monde. Or, les doutes qui ont existé dans la chambre peuvent se reproduire dans le pays, et surtout dans l’esprit de ceux qui seront intéressés à enlever à la législation une force obligatoire qui leur serait désagréable.

Les lois sur la garde civique ont été portées par le pouvoir législatif tout entier ; aujourd’hui, une seule branche de ce pouvoir est-elle apte à déclarer que les lois continueront d’être obligatoires ?

Ne serait-il pas convenable de prendre à cet égard l’avis du sénat ? Si le sénat était d’avis que les lois sur la garde civique n’auront pas au 1er janvier le caractère obligatoire, s’il déclarait que les lois qui renferment l’obligation d’une révision ne sont plus obligatoires quand la révision n’a pas eu lieu au temps marqué, que feriez-vous dans une situation semblable ?

On dit qu’il n’y avait pas d’analogie entre le décret de prorogation sur la presse et la loi proposée sur la garde civique : « Le décret du 20 juillet 1831 continuera d’avoir force obligatoire jusqu’au 1er mai 1833 au plus tard. » Voilà ce que disait le décret sur la presse. « Le présent décret continuera d’avoir force obligatoire pendant l’année 1831. » Voilà ce que dit le projet sur la garde civique ; une parfaite analogie règne donc entre les deux lois, et c’est à tort que l’on a reproché sur ce point une erreur à l’honorable M. de Theux.

Si on adoptait le système du ministère et de la commission, il faudrait, objecte-t-on encore, présenter un projet de loi semblable sur la cour des comptes ; c’est aussi l’intention du gouvernement ; le projet est prêt, il n’attend plus que la signature du Roi, et il sera présenté incessamment à la chambre, à moins qu’elle ne décide aujourd’hui, dans un cas semblable, de son inutilité.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, je pense que quel que soit le sort qui attend le projet de loi, il est toujours utile qu’une discussion sur la volonté de la loi, sur la permanence de sa durée, abstraction d’une révision, ait été soulevée dans la chambre. Les doutes qui hors de cette enceinte auraient pu exister dans les esprits pourront céder à l’opinion manifestée par la représentation nationale.

Cependant la chambre ne perdra pas de vue qu’il y a une grande différence entre son autorité comme branche de la législature, et son autorité résultant des opinions émises dans un débat. Les autorités des opinions n’ont qu’une autorité doctrinale et point une autorité de coercition : une disposition formelle fait disparaître tous les doutes ; et remarquez que les doutes sur la force obligatoire de la législation sur la garde civique peuvent entraîner les plus graves inconvénients.

Si ces doutes existent dans les administrations sur lesquelles le pouvoir exécutif n’a pas d’influence, comment serait-il possible de prononcer sur le conflit ? Si les pouvoirs municipaux, par exemple, soulevaient un conflit, il faudrait avoir recours à la législature, et avant que ce recours n’ait amené un résultat, la loi serait stérile.

Je ne sais si l’opinion qui s’est manifestée dans l’assemblée de rejeter la loi fera disparaître tous les doutes ; je crains qu’il n’en soit pas ainsi. Dans une circonstance absolument analogue, les trois branches de la législature ont reconnu la nécessité de proroger des lois qui renfermaient des dispositions identiques à celle que renferme la loi sur la garde civique ; maintenant, une simple discussion, sans avoir consulté les autres branches du pouvoir législatif, écarterait la loi portant prorogation ; je ne sais si cela est convenable.

Nous soumettons ces doutes à la sagesse de la chambre. Le ministère attendra sa décision.

M. d’Elhoungne. - Je partage l’opinion de M. de Brouckere. Pour adopter cette opinion, il suffit de se rappeler ce principe de droit : la perpétuité est dans le vœu de la loi ; mais dit-on, des doutes peuvent s’élever dans l’esprit de ceux qui sont chargés d’exécuter la loi. Il me semble que M. le ministre de la justice a lui-même combattu cet argument, en reconnaissant que la discussion qui vient d’avoir lieu dissiperait jusqu’à l’ombre d’un doute.

Il est vrai que ce ministre a fait une distinction entre l’autorité que vous exercez sur l’opinion par des doctrines, et celle que vous exercez comme branche de pouvoir législatif. Ceux qui exécutent les lois peuvent ne pas embrasser nos opinions, ils peuvent en avoir d’autres, et résoudre les questions qui leurs sont soumises, en leur âme et conscience, sans tenir compte des opinions manifestées par la chambre ; il me semble que c’est supposer bien gratuitement que les autorités chargées d’exécuter les lois sur la garde civique sont dépourvues des moyens d’apprécier la justesse des motifs développés dans cette enceinte pour établir l’inutilité du projet qui vous est présenté.

Je ne pense donc pas que les dangers signalés se présenteront. Au reste, la décision de ces autorités serait soumise à d’autres autorités qui redresseraient l’erreur. Nous ne devons pas craindre d’adopter la proposition de M. de Brouckere qui a demandé la question préalable sur le projet en discussion, je crois que le gouvernement trouvera dans cette mesure le moyen d’atteindre au but qu’il se proposait.

M. Jullien. - Pour qui ont un peu la science du droit, la question ne paraît pas et ne peut paraître douteuse. Je vais plus loin ; je dis que par cela seul qu’il existe dans une loi une disposition portant injonction que dans tel délai elle sera révisée sans qu’il y soit joint aucune pénalité, aucune condition d’abrogation ; cette disposition emporte avec elle l’idée que la loi sera obligatoire tant qu’elle ne sera pas révisée.

On se plaindra, il y aura des réclamations : savez-vous quelle réclamation se feront entendre ? On se plaindra de la négligence du ministère qui n’a pas présenté sur la loi concernant la garde civique, les améliorations dont elle a si grand besoin.

Si une fois vous prolongez la législation sur la garde civique par une loi de décembre, on pourra se dispenser de l’améliorer par d’autres lois de décembre, on la prorogera d’année en année. Cette législation est pleine de vices : dans les provinces différentes elle est différemment interprétée ; des individus qu’elle exempte ne sont pas exemptés. Il y a des milliers de réclamations au ministère de l’intérieur contre l’interprétation des dispositions de cette loi auxquelles on a répondu qu’il y avait chose jugée, que les autorités compétentes avaient prononcé. Des cultivateurs viennent à pied à Bruxelles réclamer dans les bureaux ; on leur dit que les collèges des états-députes ont décidé : Cependant c’est pour un fils unique, pour un frère qui a son frère au service, et que la loi exempte... Il faut réformer la législation sur la garde civique. La loi qu’on vous propose est redoutable et toute loi inutile est mauvaise.

M. Nothomb. - Messieurs, si je parcours les recueils de lois que chacun de nous peut avoir entre les mains, je ne trouve que trois espèces de lois par rapport à la question qui vous occupe.

J’y trouve des lois sans réserve. Nul doute que la perpétuité soit le vœu de lois portées sans réserve.

J’y trouve une autre sorte de lois où la réserve est exprimée, où l’éventualité de la révision est formellement prévue, et où le législateur a eu soin de dire que la loi cessera d’avoir force obligatoire à telle époque. Ici il n’y a pas de doute.

Mais voici le troisième cas où le doute se présente : c’est lorsque je découvre une loi qui prévoit une révision, et où le législateur n’a pas expressément ajouté : « la révision n’arrivant pas tel jour, la loi cessera d’être obligatoire ; » ici il y a doute et nous ne sommes plus dans le premier ni dans le deuxième cas que j’ai signalé.

C’est à cette troisième espèce de lois qu’appartient la loi sur la garde civique. Le congrès n’a pas voulu dire que la loi était définitive, il n’a pas voulu dire qu’elle n’était que provisoire, il s’est placé dans un mezzo termine.

En présence du doute, que devait faire le ministère de l’intérieur ? Je crois qu’il a agi très sagement en consultant le pouvoir législatif sur la question qui résulte de l’article 101 du décret du congrès.

En présence de deux opinions que 1’on peut très bien soutenir, il devait provoquer une mesure politique, il devait s’adresser à la législature.

Maintenant je me demande comment nous pouvons faire cesser le doute ? Je crois que la question préalable fera cesser le doute pour la majorité de cette chambre, mais qu’elle ne le fera pas cesser législativement, de sorte que, si vous croyez la loi inutile, vous serez néanmoins forcés de voter une loi, c’est-à-dire de formuler la question préalable en loi, et de porter cette question préalable ainsi formulée devant le sénat ; car évidemment les autres branches du pouvoir législatif doivent être consultées.

Elles doivent d’autant plus l’être, que la décision que vous prendrez aujourd’hui isolément sera en contradiction avec des précédents législatifs : vous avez décidé dans la dernière session que pour un cas semblable, il était nécessaire que la législation fut provoquée pour rester obligatoire ; aujourd’hui pouvez-vous par une décision isolée, par une décision prise dans cette enceinte seulement, pouvez-vous déclarer que la législature toute entière a été dans l’erreur l’année dernière ?

Vous pressentez, messieurs, quels inconvénients résulteraient du doute s’il n’était pas résolu législativement. La garde civique impose aux citoyens des obligations très onéreuses ; on s’emparera du doute pour se refuser à remplir ces obligations, vous aurez des conflits perpétuels qui se renouvelleront pendant plusieurs mois, et force sera au gouvernement de s’adresser à vous pour les faire cesser.

Messieurs, si comme particulier, si siégeant comme juge, j’avais à opter entre l’une et l’autre des interprétations qui me sont présentées, il est possible que je préférerais celle qui a été soutenue par plusieurs préopinants et notamment par le dernier ; je regarderais peut-être cette interprétation comme plus conforme aux principes du droit ; mais il n’en reste pas moins vrai qu’il y a doute, et que d’après les précédents qui existent en législature, nous ne pouvons agir autrement que de faire cesser par une mesure politique le doute qui se présente.

M. Jacques. - Je n’ai demandé la parole que pour soumettre à la chambre quelques observations sur ce qui arriverait par l’adoption de la question préalable ; c’est que les doutes qui se sont élevés dans cette chambre se reproduiraient devant les conseils de discipline, en appel, et jusque devant la cour de cassation, et tous ces doutes auraient pour résultat de faire surgir des difficultés sans nombre, que l’on évitera par l’adoption de la loi. Je suis d’ailleurs étonné que les membres de cette chambre qui élèvent des doutes sur l’utilité de la loi, n’aient pas fait remarquer au congrès l’inutilité de la disposition qui la rend nécessaire.

M. Gendebien. - Messieurs, un des précédents orateurs a trouvé que les lois faites par le congrès, étaient de deux espèces. Le préopinant a dit qu’il y en avait de trois espèces ; vous voyez qu’il y a progrès (on rit), et je ne désespère pas que dans le cours de la discussion, on ne découvre qu’il y en a de quatre ou peut-être d’un plus grand nombre d’espèces.

Messieurs, il n’y a que deux espèces des lois, selon le sens dans lequel a parlé le préopinant, car je n’admets pas les deux espèces dans le sens des paroles de M. de Theux.

Il n’y a que deux espèces de lois : les lois perpétuelles, et la perpétuité est de l’essence des lois, et les temporaires qui ne le sont que par exception expressément faite à la règle générale. En matière de législation, la perpétuité est la règle, la non-perpétuité est l’exception. Eh bien, toute loi rendue est censée l’être à perpétuité, à moins que par une exception bien expresse on ne déroge à ce précepte qui, je le répète, est de l’essence de toute loi. Quiconque a fait quelque étude de la législation, ne peut contester ce que j’avance.

Les lois de la troisième espèce dont l’un des préopinants a parlé sont celles, dit-il, dont on a prescrit la révision dans un délai déterminé. Ces lois ne sont ni perpétuelles ni temporaires, mais elles appartiennent à un mezzo termine, dit le préopinant. Je ne connais pas de mezzo termine en législation. J’en connais en politique ; et nous en avons des exemples tous les jours ; le juste milieu est une grande faveur aujourd’hui, mais en politique et chez nos hommes d’Etat. En législation c’est tout autre chose, messieurs, là on ne connaît point de juste milieu, les principes de logique qui seuls servent de boussole, n’admettent point l’élasticité ni les détours de la diplomatie.

Le principe de la perpétuité des lois est une règle qui ne fléchit que devant une exception législativement et expressément écrite dans la loi. Or, je cherche dans cette loi une exception formelle et je ne la trouve pas. Je trouve seulement que le congrès pressé par le temps et voyant que la loi qu’il rendait était défectueuse, a voulu qu’elle fut révisée, mais cette révision n’affecte pas l’essence de la loi elle-même, ni sa nature perpétuelle ; elle reconnaît seulement l’utilité d’un examen approfondi par la législation future et la possibilité d’amélioration, tout en reconnaissant que la loi peut s’exécuter sans ces améliorations puisqu’elle en ordonne provisoirement l’exécution.

Messieurs, je ne pense pas que la résolution par laquelle la chambre adopterait la question préalable, puisse laisser le moindre doute dans l’esprit de ceux qui connaissent ce que c’est qu’une loi. La législation ne fait pas les lois pour ceux qui peuvent avoir des doutes sans motifs rationnels, mais pour ceux qui ne sont pas capables de les comprendre. Tous les citoyens sont censés les comprendre et doivent lui obéir aussi longtemps qu’une loi postérieure ne les en dispense, ou que la loi elle-même n’a fixé un terme écrit pour en dispenser. La loi est impérative et non spéculative à perpétuité, à moins qu’une exception dans la loi ou de par la législation, ne modifie littéralement sa nature perpétuelle.

Tout le monde, on le sent bien, ne peut comprendre la loi, mais il y a des autorités pour les expliquer, et une cour de cassation a été créée tout exprès pour en maintenir le texte et l’esprit et en garantir l’exécution. Je rends justice aux conseils communaux, aux conseils de discipline de la garde ; je suis persuadé qu’ils connaissent les lois, et qu’obligés de les appliquer, ils prennent, au besoin, conseil pour dissiper leurs doutes. Au reste, la cour de cassation redressera leurs erreurs : c’est son office et non le nôtre. Nous ne pouvons être appelés à lever des doutes, à faire des interprétations, que lorsque les autorités constituées auront rempli leur office ; sans cela il y aurait bientôt confusion, et la chambre serait sans cesse appelée à faire l’office de la cour de cassation.

Messieurs, je crois avoir réfuté tout ce qui a été dit contre la question préalable, et je pense qu’en l’adoptant, il n’y a personne qui puisse avoir le moindre doute sur l’existence de la loi sur les gardes civiques après 1832, avec ou sans révision. Je persiste donc à considérer la loi comme inutile et même dangereuse, et je voterai pour la question préalable.

J’ajouterai un mot encore. Je crains que le ministre, qui a présenté le projet, ne fasse de son adoption une question d’amour-propre. Il aurait tort ; nous savons que les ministres sont trop accablés de besogne, pour qu’ils ne puissent jamais commettre de fautes. A leur place, nous aurions pu nous tromper aussi bien qu’eux, et si M. le ministre de l’intérieur ne résiste que pour conserver son amour-propre, il peut se rassurer, il est couvert.

M. de Muelenaere. - Messieurs, il résulte de la discussion qui vient d’avoir lieu, que dans l’opinion même de ceux qui demandent la question préalable, le gouvernement n’est nullement intéressé à l’adoption de la loi, puisqu’ils conviennent que dans l’un comme dans l’autre cas le résultat sera le même. Il importe cependant d’examiner la question au fond, et voici celle qu’il s’agit de résoudre : Le projet est-il nécessaire ? Et s’il ne l’est pas, est-il au moins utile ?

Quant à moi personnellement, je ne le crois pas nécessaire, et je pense que si malgré la disposition de l’article 101, la révision n’avait pas lieu, la loi sur la garde civique n’en conserverait pas moins tout son effet.

Mais tout le monde ne pourrait ne pas considérer le précepte nul, dans ce sens, et bien des personnes pourront élever des doutes sur l’existence de la loi ; on a prétendu que ce ne seraient pas les jurisconsultes qui pourraient s’y méprendre. Cependant messieurs, il y a eu des doutes précédemment émis sur cette question, par un savant jurisconsulte, par notre honorable président ; il a pensé qu’il était sinon nécessaire, au moins utile, de rendre une loi pour proroger l’effet de la loi sur la presse, et c’est sur sa proposition que vous avez adopté la loi du 19 juillet dernier. Cette mesure a été prudente, et je le demande, si sans la discussion qui a eu lieu aujourd’hui au sein de cette chambre, la question s’était présentée devant une cour judiciaire, n’aurait-on pas pu soutenir avec quelque avantage, armé de vos précédents, que la loi était abrogée ? Et en effet, aurait-on dit, la loi faisait au gouvernement un devoir de la soumettre à une révision. Ce n’était pas un précepte nul, car dans des circonstances précédentes, on a adopté des lois pour reculer à une autre époque la révision prescrite, on ne l’a pas fait dans celle-ci, donc la loi n’a plus d’effet. Quelle que serait la décision des tribunaux sur une pareille prétention, il faut empêcher qu’elle ne s’élève.

Je crois donc que le projet en discussion est utile, si dans mon opinion il n’est pas nécessaire.

Je ferai, d’ailleurs, remarquer que la loi proposée contient une disposition qui a un autre objet que celui de proroger le délai de révision.

L’article 101 de la loi sur la garde civique porte que la révision devra avoir lieu avant l’expiration de l’année 1833.

Je suis persuadé, pour ma part, que le gouvernement présentera un projet de loi pour la modifier, et, s’il ne la présente pas, vous pouvez la présenter vous-même.

Mais, si cette loi n’était pas adoptée, vous retomberiez sous l’empire d’une loi défectueuse, au lieu qu’en adoptant le projet qui prescrit la révision avant le 1er janvier 1834, vous forcez le gouvernement à vous présenter une autre loi, et s’il ne la présentait pas, au 1er janvier 1834, la loi actuelle cesserait d’être obligatoire.

Par là, vous vous assurez une bonne loi dans le courant de l’année, but que vous n’atteignez pas aussi sûrement en ne prorogeant point le délai.

Sous ce rapport, je crois que le projet est utile, sinon nécessaire, et je voterai pour son adoption,

M. H. de Brouckere. - Je ne ferai qu’une seule observation pour réfuter ce que vient de vous dire M. de Muelenaere.

Il convient que pour lui individuellement la loi est inutile, mais qu’elle pourrait avoir un but d’utilité. Et quelle utilité ? Celle de forcer le gouvernement à vous présenter une loi dans le courant de l’année, et si, avant le 1er janvier 1834, il ne l’a présentait pas, vous n’auriez point, dit-il, de loi sur la garde civique ; mais c’est un résultat dont je ne veux pas précisément ; d’ailleurs M. de Muelenaere sait bien qu’on n’en viendra jamais à cette extrémité, et le ministère de son côté saurait bien comment s’y prendre pour obtenir une nouvelle prorogation. Il viendrait le 27 décembre prochain vous dire ce qu’il vous dit aujourd’hui : voici un projet qui ne peut donner lieu à des difficultés, un projet insignifiant, adoptez-le, sans quoi nous allons nous trouver sans loi, et vous adopteriez le projet.

Les raisonnements de M. de Muelenaere, sous ce rapport, ne signifient absolument rien.

Je ferai remarquer une singulière contradiction entre les raisonnements de ceux qui soutiennent l’utilité du projet et le projet lui-même. Jetez les yeux sur ce dernier, vous verrez qu’il prescrit une révision dans un délai déterminé ; voilà donc encore une disposition semblable à celle à laquelle vous voulez vous soustraire aujourd’hui ; une disposition par laquelle le législateur se soumet à une autre disposition qui ne l’oblige pas. Il est donc complétement inutile d’adopter de pareilles dispositions.

J’ai encore à répondre à un autre argument qui aurait pu faire quelque impression sur vos esprits et qui cependant n’est rien moins que fondée. Vous n’êtes qu’une partie de la législature, vous dit-on, le sénat aussi puissant que vous peut penser autrement sur cette question. Mais je répondrai que c’est ici seulement que les doutes se sont élevés sur l’effet de la loi non révisée ; et la question préalable les lèvera tous. Mais si le sénat a des doutes à son tour, il a comme nous l’initiative des lois, il fera un projet qu’on nous soumettra et nous verrons ce que nous aurons à faire.

S’il garde le silence c’est qu’il n’aura pas de doutes ; et en effet on ne peut en avoir sur cette question. Je persiste donc de plus fort pour l’adoption de la question préalable.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je regrette de prolonger cette discussion, mais je dois répondre quelques mots aux précédents orateurs. Je commencerai par dire que je ne mets aucune espèce d’amour-propre à l’adoption du projet ; je crois en avoir fait abnégation, en me ralliant de prime-abord au projet de la commission.

On a dit qu’il ne fallait pas la moindre notion du droit pour soutenir que l’abrogation de la loi serait la suite de la non-révision. Ce reproche s’adresse à la législature tout entière ; car toutes les chambres réunies, et certes il y a dans les chambres des hommes qui ont quelques notions du droit, ont porté la loi du 19 juillet qui proroge l’effet de la loi sur la presse. Remarquez d’une autre côté que le nouveau projet présenté par un ministère que l’on taxe de négligence aura ce degré d’utilité, qu’il le forcera avant la fin de 1833 à présenter un nouveau projet. Dans l’autre système, au contraire, le gouvernement sera délié de toute obligation, il pourra retarder tant qu’il voudra, attendu que vous aurez déclaré la perpétuité de la loi actuelle.

Voilà tout ce que j’avais à dire, et je déclare de nouveau que je n’attache aucun amour-propre à l’adoption du projet ; j’ai eu des doutes, j’ai voulu qu’ils fussent levés, et plusieurs membres de cette chambre m’avaient engagé à présenter la loi parce qu’ils la croyaient utile, et je persiste à croire qu’elle l’est. (Aux voix ! aux voix ! La clôture ! la clôture !)

- La clôture est prononcée.

Vote sur la question préalable

On met aux voix la question préalable, l’épreuve et la contre-épreuve sont douteuses, on procède à l’appel nominal.

En voici le résultat.

Votants 66 ; oui, 35 ; non, 31.

La question préalable est adoptée.

Ont voté pour : MM. Angillis, Berger, de Coppens, Corbisier, de Brouckere, d’Elhoungne, de Renesse, de Robiano, de Roo, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, d’Hoffschmidt, d’Huart, Domis, Dubus, Dugniolle, Dumont, Ernst, Fortamps, Gendebien, Jonet, Julien, Meeus, Osy, Raymaeckers, A. Rodenbach, Teichmann, Thienpont, J. Vanderbelen, van Hoobrouck Vergauwen, Verhagen, Watlet, Zoude.

Ont voté contre : MM. Cols, Davignon, de Bousies, Dellafaille, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, de Nef, de Terbecq, de Theux, Donny, Dubois, Hye-Hoys, Jacques, Lebeau, Levae, Mary, Milcamps, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Poschet, Raikem, C. Rodenbach, Rogier, Ullens, Vandenhove, M. Vanderbelen, Verdussen, H. Vilain XIIII, Vuylsteke.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques, secrétaire, lit une lettre de M. le ministre des finances qui adresse à la chambre un tableau indiquant l’état de situation du trésor de l’Etat au 30 novembre 1832.


M. le président fait connaître deux messages du sénat, annonçant l’adoption du projet de loi monétaire et celle du projet relatif aux fers et fontes.

- La séance est levée à 4 heures.