(Moniteur belge n°325, du 22 novembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
Les tribunes publiques sont remplies d’auditeurs.
A midi et demi, il est procédé à l’appel nominal ; la séance est ensuite ouverte.
Le procès-verbal est lu ; la rédaction en est approuvée.
Les avoués près la cour de Bruxelles demandent à être avoués près la cour de cassation ; leur pétition est renvoyée à la commission spéciale.
M. Mary demande la parole pour une motion d’ordre. - Messieurs, dit-il, il y a déjà plus de huit jours que la chambre est constituée ; je demanderai si M. le ministre des finances n’est déterminé à nous présenter les budgets qu’après la discussion de l’adresse. Nous pourrions nous occuper des chiffres du budget : pressés par le temps, car nous n’avons plus qu’un mois d’ici au 1er janvier, il est urgent que le ministre présente les lois de finances, afin que nous ne retombions pas dans le provisoire.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Les budgets seront présentés, tant pour les voies et moyens que pour les dépenses, demain ou après-demain.
Leur impression n’apportera aucun retard, car ils sont déjà envoyés à l’impression.
L’ordre du jour est la discussion du projet d’adresse en réponse au discours de la couronne.
M. Osy a la parole. Cet honorable membre s’exprime en ces termes. - Messieurs, dans les circonstances graves où nous nous trouvons et où nous a placés un ministère qui s’est entièrement écarté des vœux de la nation et des lois existantes, nous sommes obligés de manifester hautement notre désapprobation du système suivi par le gouvernement, et qui, d’après moi, aura pour la Belgique les conséquences les plus graves
Et, les chambres n’ayant pas été convoquées à temps pour arrêter une mesure qui est déjà un fait accompli, nous devons au moins faire tous nos efforts, s’il en est encore temps, d’éviter l’accomplissement des conséquences qu’aura l’entrée de l’armée française : je veux parler de l’évacuation du territoire réciproque avant la signature du traité de paix qui nous a été imposé, ce à quoi le ministère, par une imprévoyance qui n’a pas de nom, a consenti à la suite d’une sommation faite par l’Angleterre et la France.
S. M. nous annonce que, les mesures coercitives par mer n’ayant pas eu pour résultat l’évacuation du territoire belge, les troupes françaises entrent en Belgique pour un commencement d’exécution du traité du 15 novembre ; mais, par le dernier paragraphe du discours du trône, on nous prépare à la douloureuse séparation qui va avoir lieu avec nos frères du Limbourg et du Luxembourg, sans nous dire que cette séparation aura lieu immédiatement ; mais, par des communications qui nous ont été faites par M. le ministre des affaires étrangères, nous voyons que cette remise a été consentie aussitôt que nous aurions la citadelle d’Anvers, et même si elle n’était plus qu’un tas de décombres ; ainsi contraire à l’article 24 du traité du 15 novembre, qui nous impose seulement l’échange du territoire réciproque qu’après la ratification du traité par les deux parties contractantes (la Belgique et la Hollande).
C’est ce consentement qui est non seulement une grande faute, mais un crime politique que nous ne pouvons assez flétrir, et nous devons nous y opposer pour éviter de bien plus grands malheurs, Jamais on n’a vu une imprévoyance pareille, pour ne pas en dire plus ; et des hommes n’ayant aucune notion d’affaires, mais ayant un peu de jugement, n’auraient pu consentir à exposer ainsi le pays aux plus grands malheurs et difficultés.
Vous pensez bien, messieurs, que comme Anversois je suis très affecté du malheur qui nous attend ; mais soyez persuadés que je ne vais pas vous parler comme l’habitant d’une ville jadis si prospère, mais comme loyal et franc député qui considère le bien-être entier du pays. Si, après la prise de la citadelle, nous étions sûrs que la France et l’Angleterre pourraient forcer la Hollande à signer le traité de paix, et que cette paix serait la fin de tous nos malheurs, et que nous aurions l’assurance de quelque prospérité pour l’avenir et la certitude que le traité sera franchement exécuté, aucun Anversois pas plus que les autres Belges ne pourrait se plaindre de la tournure que prennent nos affaires ; et nous, par notre situation spéciale, nous devrions nous résigner à courir les chances de cette attaque et nous borner à nous adresser au Tout-Puissant pour la conservation d’une ville de 72,000 âmes.
Soyez sûrs, messieurs, que tous mes concitoyens de toutes les opinions pensent de même, et nous comprenons trop bien notre position envers toute la Belgique pour ne pas vouloir souffrir avec résignation, si notre malheur momentané pouvait contribuer au bonheur de tous ; mais aussi toute la nation ne voudra pas notre malheur, et nos souffrances, comme nous le démontrons, seront loin d’améliorer la situation du pays ; au contraire elles aggraveront sa position et la forceront à de nouveaux sacrifices qui amèneront le pays dans une telle situation que son indépendance sera impossible.
Voilà mes sentiments et ceux de tous mes concitoyens.
Pour bien comprendre notre situation actuelle, nous devons prendre le traité fait et ratifié à Londres, le 22 octobre, entre la France et l’Angleterre, ainsi que la sommation à La Haye et à Bruxelles, en vertu de ce traité ; les réponses du roi Guillaume et de notre ministre des affaires étrangères, et finalement la demande faite à S. M., en vertu de l’article 3, pour l’entrée des troupes françaises.
En vertu de la sommation faite à la Hollande par les cours de France et d’Angleterre, le roi Guillaume a répondu qu’il n’évacuerait pas le territoire belge avant d’être d’accord avec nous sur son projet de traité ; mais nous, qui ne possédons pas de territoire hollandais, mais avons à céder deux demi-provinces belges pour quelques avantages commerciaux qui restent inexécutés, nous nous empressons d’offrir l’évacuation de la rive droite de la Meuse et Venloo, ainsi que la partie allemande du Luxembourg, sans même être d’accord avec la Hollande pour ce territoire ; car on ne vous laisse pas la partie française du Luxembourg en compensation de la rive droite de la Meuse.
Mais voyez tous les mémoires de la Hollande ; elle dit : le Limbourg fait partie de mon ancien royaume ; ce n’est donc pas une cession que me fait la Belgique : mais vous n’aurez le Luxembourg qu’avec le consentement des agnats de la famille de Nassau et de la confédération, et il faut être bien incrédule pour ne pas être persuadé qu’on ne vous laissera ce lambeau du Luxembourg que moyennant nouvelle compensation, et cette compensation sera le restant du Limbourg.
C’est dans une pareille situation des affaires que notre ministère, plus qu’imprévoyant, consent à l’évacuation du territoire, et fait même plus ; il appelle les Français qui, d’après le traité de Londres, ne pouvaient pas entrer sans une demande nouvelle de S. M. le roi des Belges, pour nous procurer quelques forts, et nous faire abandonner de suite deux demi-provinces, 400,000 Belges, sans avoir la moindre sûreté de l’exécution de l’autre partie du traité ; il reste à régler, comme je viens de vous le dire, le territoire, la dette, le syndicat, la liberté de l’Escaut, et la navigation de la Meuse et des eaux intérieures, et même la route commerciale pour le Limbourg, et, en outre, la reconnaissance d’une Belgique indépendante.
Je sais que ce n’est rien pour M. Lebeau qui me disait, lors de mon amendement après l’adoption des 24 articles, pour nous assurer en même temps la reconnaissance du roi de Hollande, « qu’il s’en souciait peu. » Il le prouve bien aujourd’hui en ne prenant aucune garantie pour l’avoir un jour ; mais nous qui savons fort bien que, pour pouvoir exister, il nous faut la reconnaissance de la Belgique et la renonciation de son ancien souverain, puisque sans cela vous n’aurez naturellement jamais la moindre tranquillité et vous ne serez jamais traités que comme des rebelles ; donc, pour obtenir cette reconnaissance et renonciation, n’allez pas céder ce qui, dans les 24 articles, nous est le plus onéreux, sans aucune garantie d’existence politique et d’avantages commerciaux. Vous savez vu, messieurs, comment la confédération germanique a reconnu le roi de la Grèce, parce que la Porte Ottomane a renoncé à la Grèce, tandis que le roi de Hanovre et autres princes allemands ne veulent pas reconnaître le roi des Belges, la Hollande n’ayant pas encore renoncé à la Belgique.
Jamais une pareille imprévoyance ; et il me paraît impossible que le ministère puisse se justifier ; l’article 5 du traité de Londres est sa condamnation, puisqu’il dit qu’aussitôt Anvers évacué ou pris, l’armée française s’engage, sans retard, de repasser les frontières, et la sommation n’étant pas pour l’exécution du traité, mais pour l’évacuation des territoires respective, nos soi-disant défenseurs se retireront chez eux, sans n’avoir rien achevé, et au lieu d’avoir amélioré nos affaires, les auront non seulement reculées, mais considérablement détériorées
Et je n’hésite pas de dire que cette intervention, appelée par le ministère, est plus contre la Belgique que contre Hollande, condamne notre armée à l’inaction et lui donnera peu l’envie d’attendre avec patience le moment qu’elle sera licenciée, car une guerre avec la Hollande étant, à ce qu’on nous dit, une cause de guerre générale, ce sera toujours le cas, et ainsi nous prodiguerons notre or et retenons sous les armes une armée disproportionnée à notre population pour rester inactifs et voir agir les étrangers chez nous.
C’est par trop humiliant, et nous devons dans l’adresse exprimer notre indignation, et que l’armée sache que les représentants de la nation, non seulement n’approuveront pas, mais flétriront un ministère qui ne comprend pas mieux l’honneur national. Il me paraît même, s’il y avait violation de notre territoire, que notre armée devra encore rester inactive, puisque les troupes que nous avions sur les trois routes de Hollande ont ainsi dû rentrer dans l’intérieur du pays, et qu’aujourd’hui les frontières sont occupées par l’armée française ; il me paraît qu’au moins on aurait dû avoir la confiance dans nos troupes, de couvrir les frontières.
Voilà pour l’armée et pour l’évacuation du territoire ; nous devons également nous y opposer de la manière la plus formelle et protester contre cet engagement du ministère envers la France et l’Angleterre, contraire au traité du 15 novembre, et qui ne peut pas nous lier. Nous nous sommes engagés d’évacuer le territoire réciproquement 15 jours après la signature et la ratification du traité, et si le ministère a été au-delà, il en est responsable, mais ne peut pas nous lier.
Si la responsabilité ministérielle n’est pas un vain mot, j’espère bien qu’après l’adresse, et lorsque nous aurons tâché de remédier à toutes les fautes, on la mettra en exécution, car si encore cette fois-ci la responsabilité est une lettre morte, nous pourrons proclamer qu’il n’y a plus de constitution, et que toutes vos libertés, que vous avez acquises en sacrifiant bien des intérêts matériels, ne sont qu’illusoires et ne dépendent que de la volonté d’un ministère plus ou moins habile.
Je vous ai démontré, messieurs, que l’évacuation du territoire réciproque laisse toutes les autres questions indécises, et le ministère français, s’il peut rester au pouvoir (et ne vous faites pas illusion, l’expédition en Belgique n’a pas d’autre but), tâchera bien, d’ici à peu de mois, de vous arracher des concessions, en venant se vanter d’avoir déjà beaucoup fait pour nous et d’avoir même risqué la guerre générale ; et nous, par lassitude et nouvelle complaisance, ayant encore la défense de nous battre, d’être condamnés, de nouveau, à rester spectateurs et l’arme au bras, nous préfèrerons faire quelques sacrifices (et le ministère vous y prépare) que de permettre de voir un nouveau déshonneur pour notre armée.
Et peu à peu vous ne verrez plus rien du traité du 15 novembre, et vous accepterez, à peu de chose près, le projet de traité des 30 juin et 5 juillet, présenté par la Hollande.
Quand je dis nous, je parle de la majorité ; car, étant persuadé que le traité du 15 novembre, pour nous laisser une existence, ne permet plus la moindre modification, encore doit-il être exécuté avec franchise et sans interprétation, entre autres la liberté absolue de l’Escaut, sans droits ni visites, ce qui nous est accordé par l’article 3 du congrès de Vienne. Vous devez donc être persuadés que de moi on ne pourra plus arracher la moindre concession, ne voulant pas, messieurs, comme je vous l’ai dit souvent, une indépendance quand même.
Mais si nous ne réussissons pas à flétrir le système actuel du ministère et arrêter le char sur le précipice où des mains inhabiles l’ont conduit, notre avenir se trouvera tout tracé, pays malheureux et déshonoré ; et vous sentez qu’il ne pourra pas exister longtemps, et que l’on demandera la restauration ou le partage. Voilà ce qui vous est préparé ; et fallait-il, pour jouir d’une indépendance idéale pendant quelques années, rendre un pays si malheureux et déconsidéré pour revenir au point d’où vous êtes partis ?
Non, messieurs ; je suis sûr que nous serons unanimes pour désapprouver sans retard le système du ministère, et voir s’il est encore temps de sauver le pays, en nous refusant à la cession du territoire avant la signature du traité. Ce serait faire injure à la chambre que de supposer que nous n’approuvons pas au fond le projet d’adresse proposé, et même il est plus que temps que nous portions nos plaintes de désapprobation au pied du trône, et voir sans retard s’il y a encore un moyen de sauver le pays.
Il me reste, messieurs, à vous observer que le même ministre qui a fait tous ses efforts, en juin 1831, pour nous faire accepter les articles, dont nous sommes déjà bien éloignés, nous disait que sans le Luxembourg le roi ne régnerait pas six mois en Belgique, et que c’est maintenant le même ministre, contrairement aux lois existantes, qui s’empresse, à ce qu’il me paraît, pour être agréable à ses confrères les ministres doctrinaires à Paris, ne pouvant trouver une autre justification, à nous faire abandonner nos frères luxembourgeois sans être certain de nous faire obtenir les compensations de ce douloureux sacrifice. En dirigeant ainsi les affaires publiques, nous pourrons bien lui assurer qu’il aura prophétisé juste.
La citadelle prise ou rendue, il faut donc que l’armée française se retire et rentre sans retard en France. MM. les ministres croiront avoir remporté une grande victoire, et moi je la regarderai comme le commencement de nouveaux malheurs. Car la Hollande commencera à exécuter son projet de traité du 30 juin, et imposera ainsi des droits et des visites sur l’Escaut ; la Meuse restera fermée, et pour tâcher de lever toutes ces difficultés, la fabrique des protocoles recommencera ; vous garderez une armée qui épuisera le pays, et tous les hommes d’honneur tant civils que militaires préféreront rentrer dans la vie privée, plutôt que de voir l’armée déshonorée ou méconnue pour une seconde fois.
Et alors après de longues négociations, on vous dira que la France ne peut pas s’exposer de nouveau pour quelques détails (notre existence) à une guerre générale, que le ministère anglais a eu de la peine à se soutenir en se mettant en hostilité avec ses plus anciens alliés ; on vous défendra de vous battre, on rappellera peut-être même les officiers français, et ainsi on vous préparera à toutes les exigences de la Hollande, qui seront soutenues plus chaudement que jamais par les puissances du Nord ; et les cinq puissances craignent la résistance à l’union de la nation hollandaise, tandis que les Belges seront méprisés, lorsqu’on voit qu’une nation de quatre millions, pour se défendre contre deux millions, doit pour la seconde fois appeler ses voisins à son secours ; mais qu’on sache bien que la nation n’y est pour rien et que le déshonneur retombe seul sur le gouvernement.
D’après le 65ème protocole, la France et l’Angleterre avaient déjà consenti à un droit sur l’Escaut, ce qui d’après une brochure que j’ai pris la liberté de vous faire distribuer était l’équivalent de la fermeture de l’Escaut ; or, avec l’effet que cette proposition a produit sur le public, l’on a dû pour le moment abandonner les protocoles et occuper le monde d’une promenade militaire qu’on veut nous faire croire être dans nos intérêts et que je trouve dans ceux de la Hollande. Une fois la flotte et l’armée rentrées chez elles, on vous parlera de la grande reconnaissance que nous avons pour nos alliés, et nous ne réussissons à démontrer à S. M. l’abîme où nous conduit le ministère actuel, nous allons nous préparer une série de malheurs qui finira, comme je vous le disais, par rendre notre existence impossible.
Je ne me dissimule pas que si nous adoptions le projet d’adresse de la commission, nous forcerons le ministère de se retirer, et ce sera un événement grave dans ces circonstances, mais qui sera nécessaire pour prévenir de grands malheurs ; mais n’ayons pas d’inquiétudes, S. M. trouvera bien dans la nation des hommes qui comprendront mieux l’honneur national, et, tout en se tenant à la constitution et aux lois, agiront d’une manière conforme aux intérêts du pays. Je ne redoute donc pas la chute du ministère, mais je déplorerais si on conservait au pouvoir des hommes qui ont ainsi pu méconnaître les intérêts du pays.
J’ai suivi avec attention tous les débats de l’autre chambre, et j’ai entendu dire à M. le ministre de la justice qu’il n’était que le continuateur du système de l’ancien ministère, et que pour base de leur conduite ils avaient suivi les vœux exprimés par l’adresse du sénat.
Je doute que l’ancien ministère ait consenti à l’entrée de l’armée française, seulement pour l’évacuation du territoire, sans garantie de l’exécution entière du traité ; et les deux chambres, en demandant l’évacuation du territoire belge avant de nouvelles négociations, n’ont pu entendre que la remise d’Anvers et de ses forts, et non le territoire belge à céder à la Hollande, car cette cession n’est qu’en compensation d’autres avantages que la Hollande ne veut pas nous accorder, et qui sont même contenus dans les ratifications russes. Si donc le ministère n’a pas d’autres moyens de défense, je trouve qu’il s’accuse lui-même.
M. le ministre des affaires étrangères, à la fin de son rapport, nous demande une résolution franche et nette sur le système du nouveau ministère ; je crois lui avoir exprimé mon opinion sans détours, et en adoptant le projet d’adresse, je me flatte que nous exprimerons l’opinion de la nation sur un système qui nous menait droit à notre perte ; et sans être certains de pouvoir encore redresser le mal fait, il faut seulement se hâter de protester contre la lettre adressée le 2 novembre à l’envoyé de France, qui consent à remettre à la Hollande les deux dernières provinces, et refuser jusqu’à l’exécution entière du traité, le tout en vertu de l’article 24 du traité du 15 novembre.
Je crois donc que si nous avions été consultés sur l’entrée de l’armée française qui était facultative à S. M. d’après le traité de Londres, cette entrée n’aurait pas eu lieu : maintenant qu’Anvers se trouve investi, nous devons tâcher d’éviter qu’il arrive à cette ville, qui est la bourse de la prospérité de toute la Belgique, le moins de mal possible, et je ne doute pas que si le gouvernement permet seulement l’attaque de la citadelle par l’extérieur, la défense expresse de l’entrée de l’armée française en ville, nous pourrons encore éviter de très grands malheurs.
Je forme des vœux que le gouvernement ne change pas d’opinion et tâche d’obtenir la neutralité de la ville. Quelques paroles officielles ici de la part du gouvernement rassureraient beaucoup le peu de personnes qui n’ont pas encore fui une ville entourée de si grands dangers, sans compensation d’un avenir prospère.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, je ne me propose pas, quant à présent, d’entrer dans la discussion générale ; mais je ne peux laisser sans réponse une attaque dirigée contre moi par l’honorable préopinant. Je dirai auparavant, et sur ce point je suis tout à fait de son opinion, que la question ministérielle est ici de peu d’importance, et personne dans cette chambre ne professe sur cette question, tout individuelle, une plus profonde indifférence que nous-mêmes. Qu'on se le tienne donc pour dit ; si, dans cette discussion, nous sommes appelés à nous défendre, nous le ferons sans avoir égard à la question personnelle. La question personnelle est indigne de figurer dans des débats d’une si haute importance.
L’honorable préopinant a exprimé des craintes bien vives contre une restauration qu’il déclare imminente ; il a dit que le système du ministère y conduisait tout droit. Messieurs, j’ai donné, de ma haine pour la restauration, des gages tout aussi éclatants au moins que l’honorable préopinant. La restauration serait terrible pour moi : sa première conséquence serait pour moi un long exil, tandis que le préopinant trouverait peut-être dans ses antécédents le moyen de pactiser avec elle. (Assentiment. Hilarité sur quelques bancs.)
Messieurs, il semble, en rapprochant ce qui s’est passé dans la discussion des 18 articles, de la discussion des 24 articles, il semble qu’on veuille insinuer que j’aurais lâchement posé, dans les 18 articles, le principe d’un abandon, que j’aurais non moins lâchement consommé lors de l’acceptation des 24 articles. Non, messieurs, telle ne fut ni ma conduite, ni ma pensée. J’ai dit, et je ne reculerai jamais devant la responsabilité de mes paroles, que l’abandon du Luxembourg compromettrait gravement la popularité du prince.
Mais qu’ai-je voulu dire par ces paroles ? J’ai voulu dire l’abandon volontaire (murmures bruyants) : oui, messieurs, l’abandon volontaire et qui ne serait pas le résultat d’une inexorable nécessité. (Nouveaux murmures.) Oui, je l’ai dit ainsi, et la chambre l’a compris comme moi, et ceux qui ont accepté les 24 articles, après avoir répudié les 18, n’ont pu le comprendre autrement.
Entre l’acceptation des 18 articles et celle des 24, pouvez-vous méconnaître qu’un fait est venu se placer, et qu’il a changé complètement notre situation ?
Pour la Belgique la campagne du mois d’août a été ce que fut pour la France le désastre de Waterloo ; et, pour comparer les petites choses aux grandes, je rappellerai que Napoléon lui-même, acceptant comme une nécessité les faits accomplis, n’a pas craint, dans les Cent Jours, de faire proposer aux puissances de l’Europe l’acceptation des traités de 1815. C’est aussi par la nécessité que se justifie l’acceptation du traité du 15 novembre.
Voilà comme il faut juger la conduite que j’ai tenue ; non pas avec les passions du jour, mais avec le calme et l’impartialité de l’avenir, auquel je fais appel et dont je ne redoute pas l’arrêt.
Oui, lors des 24 articles, je me suis soumis à l’empire de la nécessité, et cependant le sacrifice qui nous fut imposé a été si pénible pour moi, que je n’eus pas le courage de dire un seul mot dans la discussion, en faveur de l’œuvre de la conférence.
Voilà ce que j’avais à dire en réponse au préopinant. Que si vous soutenez que l’abandon du Luxembourg fut spontané, ce n’est pas moi seulement que vous blâmez, c’est la majorité qui l’a consenti ; et certes la majorité n’a à redouter ni vos accusations, ni le jugement du pays.
M. Verdussen. - Je n’entrerai pas non plus, messieurs, dans la discussion générale, et je ne me propose pas non plus de réfuter les arguments contenus dans son discours. Je répondrai seulement à ce que je peux regarder comme personnel.
Il est échappé à M. Osy de dire que tous les Anversois, de quelque couleur qu’ils fussent, partageaient l’opinion qu’il vient d’émettre. J’ignore de quelle couleur est M. Osy (on rit) ; quant à moi ma couleur est toute patriotique, toute belge, et s’il m’avait consulté avant de parler, il n’aurait pas dit que je partageais ses opinions. Si le préopinant a voulu dire que tous les Anversois sacrifieraient volontiers leur ville et la saccager sans regret, si le sacrifice était nécessaire au salut du pays, il a dit vrai ; mais s’il n’a parlé que d’après l’opinion des personnes qui l’entourent, et celles qu’il hante... (Murmures.)
- Plusieurs voix. - L’ordre du jour ! l’ordre du jour !
M. le président. - Je crois, messieurs, que la discussion sera assez longue, pour qu’il ne faille pas perdre notre temps à des débats inutiles et à des questions personnelles.
M. Verdussen. - Je dirai donc en deux mots que l’opinion de M. Osy n’est pas celle de tous les Anversois. (Assez ! assez ! L’ordre du jour !)
M. Osy. - Je demande la parole. (L’ordre du jour ! l’ordre du jour.)
M. Gendebien. - Ce n’est pas la peine de répondre.
M. Osy. - Je dois répondre un mot à M. Verdussen. J’ai dit que tous les Anversois seraient prêts à faire tous les sacrifices, s’ils voyaient que le pays dût en retirer quelque avantage ; mais j’ai prouvé que ce n’était pas ici le cas, et je ne prétends pas dire que M. Verdussen partage mes opinions sur d’autres points.
M. Ullens. - Messieurs, d’autres membres de cette assemblée se proposent de discuter longuement la réponse au discours du Roi soumis à votre délibération. Telle n’est pas ma pensée. Si je demande la parole pour quelques instants, c’est pour remplir une lacune qui me paraît exister dans le projet qui nous occupe. Le sénat dans son adresse a cru devoir recommander à la sollicitude royale Anvers, une des villes les plus importantes du royaume. Dans ce qu’on nous propose, il n’est rien de semblable, formulé explicitement. Pour ce qui me regarde, je suis convaincu que la chambre des représentants, dans cette conjoncture difficile, sentira sans peine combien il importe aux Anversois que le pays tout entier s’intéresse à leur position. C’est dans ces vues que je déposerai un amendement, afin qu’il plaise à toute la représentation nationale d’exprimer au Roi qu’elle aime à croire que S. M. a pris toutes les précautions qui sont en son pouvoir, afin qu’une cité déjà frappée sous tant de rapports des fléaux de la guerre n’ait pas à souffrir davantage des mesures jugées nécessaires pour l’évacuation du territoire.
M. Nothomb. - Messieurs, il m’a fallu livrer bien des combats à moi-même, pour me résoudre à prendre part à ces graves et décisifs débats ; mais, arrivé à la limite extrême de la ligne que j’ai suivie, il y avait de ma part inconséquence et faiblesse à garder le silence. Je sais quels sont les difficultés et les périls d’une discussion que la défaveur précède, et qui n’attend point sa récompense de l’opinion et des passions du jour ; mais, l’œil fixé sur l’avenir, qui ne nous manquera pas, nous devons la vérité à nos concitoyens, cette vérité fût-elle triste et désespérante.
Ce qui se passe aujourd’hui n’est ni un accident qui puisse me surprendre, ni une erreur que je doive désavouer ; c’est un événement longtemps attendu, c’est la conséquence de prémisses que vous avez tous pesées, et auxquelles vous avez donné la plus éclatante notoriété. Si la question qui nous occupe était une question de sentiment, je me bornerais à donner un libre cours à mes regrets ; je vous dirais que le spectacle du déchirement de deux provinces ne s’offre pas pour la première fois à ma pensée, que depuis un an il ne cesse d’attrister mon imagination, et que, quelque nombreuses que puissent être les années que le ciel me destine, aucune n’aura été pour moi plus douloureuse. Je ne veux donc pas m’ériger en apologiste d’un traité que, comme Luxembourgeois, je n’ai pu accepter ; je me demande seulement, en partant du point de départ que vous avez admis, quelle est la position légale de la Belgique. C’est là une question de raison : il s’agit de savoir si la Belgique doit conserver la position qu’une loi de l’Etat, d’accord avec la loi de l’Europe, lui a assignée. Si elle quitte cette position, elle cesse d’être constituée pour l’Europe ; et la Belgique cessant d’être constituée, l’Europe elle-même perd une de ses bases, et retombe avec nous dans le chaos révolutionnaire.
Si nous pouvions réputer non avenu ce qui s’est fait depuis deux ans, nous reporter au lendemain des journées de septembre, nous supposer en face de l’Europe, sans engagement comme alors, et avec une année comme aujourd’hui, je n’hésiterais probablement pas à déclarer qu’il faut imprimer à la révolution belge une tout autre direction que celle qu’elle a suivie, et je repousserais avec indignation tout secours étranger qui nous serait offert pour affranchir notre territoire ; mais il faut que le pays le sache, il faut que nous ayons le courage de le lui dire, telle n’est pas, telle n’a malheureusement jamais été notre situation.
En octobre 1830, nous étions libres de tout engagement, mais nous n’avions pas d’armée ; en novembre 1832, nous avons une armée belle et nombreuse, mais il est survenu des engagements que nous avons acceptés ou subis, et qu’il est impossible de violer, sous peine de voir sortir de cette violation des maux incalculables.
Je ne l’ignorais pas, messieurs : il est un jour plus triste que celui où l’arrêt de condamnation se prononce, c’est celui où il s’exécute. Nous avons joui du bénéfice d’un sursis ; une sentence de mort plane depuis un an sur une partie de nos populations. Cette sentence, ce n’est pas vous qui l’avez rendue, c’est une autorité supérieure à la vôtre.
Vous n’êtes que la représentation de la Belgique ; et la représentation, informe, si vous voulez, mais toute puissante, de l’Europe, a dominé vos volontés et vos sympathies. Vous n’avez fait qu’enregistrer l’acte. Je vous disais alors quelles étaient les causes d’un ordre supérieur qui ne vous permettaient pas de décliner la compétence de l’Europe, qui vous défendaient de vous rebeller contre les puissances, et de repousser la loi qu’elles nous dictaient. Ceux qui ne croyaient pas que l’Europe pût être représentée et avoir une volonté, doivent être détrompés, témoins qu’ils sont d’un événement qui prouve que, pour certaines questions, la souveraineté individuelle de chaque peuple est subordonnée à la souveraineté collective de tous.
En signant le traité du 15 novembre, vous avez accepté la garantie des puissances, vous l’avez acceptée comme un droit à la fois et comme une obligation ; comme un droit, en ce sens que les puissances se sont chargées de vous procurer l’exécution du traité ; comme une obligation, en ce sens que vous vous êtes interdit jusqu’à un certain point la faculté d’exécuter le traité par vous-mêmes.
Tous les débats du jour se résument donc dans cette simple proposition.
La question de paix oui de guerre, messieurs, que nous avons si souvent agitée, se reproduit aujourd’hui, nouvelle dans la forme, mais ancienne pour le fond. Le 21 novembre 1830, nous nous sommes interdit toute guerre agressive et de conquête contre la Hollande faut-il sortir de cette voie ou y rester ?
Si vous sortez de cette voie, ce ne peut être que pour exécuter le traité ou pour le détruire.
Si vous faites la guerre à la Hollande pour amener l’évacuation territoriale qui, de sa nature, est réciproque, vous tombez dans une inconséquence. Pourquoi vous charger d’une mission qui ne peut être la vôtre ? Que l’on fasse exécuter, par ses propres moyens, un acte qu’on a librement accepté, je le conçois ; mais c’est porter ses armes sur soi-même que de faire exécuter un acte qu'on subit et qu’on n’accepte point. Le traité du 15 novembre est pour nous un acte de violence, il faut qu’il reste fidèle à son principe.
Vous avez eu soin d’exprimer, dans la loi par laquelle vous autorisez le gouvernement à souscrire aux 24 articles, que ces articles sont imposés à la Belgique ; vous avez inscrit ces mots dans le préambule de la loi, parce que vous vouliez que l’on sût que vous n’êtes pour rien dans un acte qui doit être un attentat à nos yeux ; vous avez dit : « Nous ne sommes pas libres, » et par ces mots vous êtes absous devant la génération présente et la génération future. Et aujourd’hui, vous convertiriez, en un acte spontané et personnel, ce qui n’est qu’un acte forcé et extérieur ! Vous iriez vous approprier cet acte, le faire vôtre ! Non, messieurs, déclinez-en la responsabilité devant Dieu et devant les hommes ; ne dépouillez pas votre cause de sa moralité ; que l’œuvre de l’étranger s’achève par l’étranger ; vous seriez coupables le jour où vous cesseriez d’agir forcément.
La Belgique ne pouvait donc faire exécuter par elle-même le traité en ce qui concerne les arrangements territoriaux ; elle n’aurait pu entreprendre une guerre agressive contre la Hollande que pour détruire le traité.
Mais alors vous auriez jeté le gant à l’Europe. Otez le traité du 15 novembre, et il n’y a plus rien de commun entre vous et les autres peuples, entre votre roi et les autres rois. Vous ne serez plus qu’un rassemblement numérique d’individus, nouvelle sorte de parias dans la société européenne. Les relations civiles et commerciales que vous avez si heureusement reprises, seront suspendues : votre pavillon cessera d’être inviolable, et vous ne pourrez voyager qu’en cachant le nom de votre patrie. Tout sera à refaire ; la Belgique sera de nouveau jetée palpitante, incertaine, au milieu de l’Europe. On vous empêcherait, d’ailleurs, de faire une guerre de conquête à la Hollande, et, si on vous laissait faire, vous vous retrouveriez, même après la victoire, en présence de l’Europe qui ne serait pas vaincue, et en présence des arrangements territoriaux qu’elle vous impose dans son intérêt.
Bon ou mauvais, le traité est donc notre titre à l’existence ; et gardez-vous d’arracher cette feuille du registre de l’état-civil des peuples.
Il y avait, messieurs, entre l’exécution du traité et sa destruction, un milieu : c’était le statu quo à la suite de la reconnaissance de toutes les cours, le statu quo que peut-être on préconisera maintenant, mais que personne, que je sache, n’a proposé. A mes yeux, au traité se rattachent des effets moraux et des effets matériels : les effets moraux, ou l’exécution morale, consistent dans la reconnaissance de la Belgique et de son roi ; les effets matériels, ou l’exécution matérielle, consistent dans la fixation des limites, de la quote-part de la dette et des droits de navigation.
Le statu quo est une question toute neuve, messieurs ; personne ne peut se vanter de l’avoir traitée, du moins dans les débats publics. Ce que j’appelle l’exécution morale du traité pouvait me suffire à moi ; reconnus par l’Europe, nous aurions pu essayer d’un état de choses qui, d’une part, nous privait de la citadelle d’Anvers, mais qui, d’autre part, nous conservait le Luxembourg en entier, la rive droite de la Meuse, qui assimilait l’Escaut à la pleine mer, et qui nous permettait de ne pas payer nos dettes.
Cette situation était sans doute précaire, mais si les esprits avaient été sages, ils auraient pu s’y habituer. Dans cette hypothèse, la véritable question à l’ordre du jour eût été la navigation de la Meuse : il aurait fallu obtenir l’ouverture de cette rivière, réduire les armements, faire déclarer la Hollande déchue des arrérages de la dette ; le statu quo, à part l’idée d’incertitude, devenait très tolérable. Mais, je le répète, personne n’en a voulu ; l’impatience publique s’y est refusée, et la chambre a, sous ce rapport, donné l’exemple au pays.
Ainsi, messieurs, nous ne pouvions entreprendre ni d’exécuter le traité par nous-mêmes, ni de le détruire ; et personne ne voulant du statu quo, il fallait bien en venir à l’exécution par les puissances.
C’est ce que le pays a exigé ; c’est ce que les orateurs de toutes les opinions ont réclamé dans l’une et l’autre chambre ; c’est ce que les deux grands corps de l’Etat ont demandé dans les adresses du mois de mai ; et c’est ce qui se fait aujourd’hui, dans la limite des actes que nous avons acceptés.
Je n’irai pas, messieurs, consulter les nombreuses discussions politiques qui ont signalé le cours de la dernière session ; j’en appelle aux souvenirs de chacun de vous : je me borne à déclarer que je n’excepte personne.
Et ceux qui ont été les adversaires du système diplomatique ont trop de loyauté pour s’exposer aux reproches d’avoir demandé l’exécution du traité, quand cette exécution paraissait incertaine, et pour la répudier aujourd’hui qu’elle est sur le point de s’accomplir. Je leur dirais : ou vous avez eu tort de demander cette exécution et vous avez tort de la blâmer aujourd’hui. Choisissez.
Mais, dira-t-on, on n’a pas entendu l’exécution telle qu’elle se pratique maintenant ; on voulait une exécution immédiate, pleine et entière, et accompagnée de tous les avantages résultant du traité.
Je réponds, en premier lieu, que l’exécution ne peut être que partielle pour deux motifs : le premier, que trois articles du traité sont sujets à de nouvelles négociations, suite des réserves que nous avons acceptées ; le second, que, n’y eût-il pas de réserves, plusieurs articles, par la nature des objets qu’ils règlent et l’insuffisance des développements qu’ils renferment, ne sont susceptibles d’exécution qu’après une nouvelle négociation.
C’est ainsi que l’exécution a toujours été entendue.
Je lis dans le fameux projet de note du 11 mai, qui a été, en quelque sorte, le thème, le programme du gouvernement et des chambres, et que depuis on n’a fait que développer dans les adresses et les notes officielles :
« Considéré en lui-même, le traité renferme deux genres de dispositions : les uns, à l’abri de toute contestation sérieuse, et susceptibles d’une exécution immédiate ; les autres, sujettes à de nouvelles négociations pour devenir susceptibles d’exécution. Si le Roi des Belges pouvait se montrer disposé à ouvrir des négociations sur ce dernier point, ce ne pourrait être qu’après que le traité aurait reçu un commencement d’exécution dans toutes les parties à l’abri de controverse. »
Je reconnais en second lieu que cette exécution partielle doit être accompagnée de tous les droits et avantages attachés à cette partie du traité. A savoir : pour les populations qui se séparent de nous, toutes les garanties dues aux personnes et aux biens ; pour la Belgique même, le transit libre vers l’Allemagne, la navigation de la Meuse et la sanction de l’échange d’une partie du Luxembourg contre une partie du Limbourg. Il est évident que la Hollande ne peut devenir propriétaire de la rive droite de la Meuse qu’en reconnaissant les servitudes de droit public dont cette propriété est désormais grevée.
J’ajouterai, sous ce second rapport, que l’évacuation a été toujours comprise dans ce sens ; il ne peut être entré dans l’esprit de personne d’abandonner, sans précaution, ces malheureuses contrées comme un terrain vague ; cette pensée serait aussi folle que criminelle. J’adopte donc pleinement l’idée que me semble exprimer le paragraphe 4 du projet d’adresse ; mais la rédaction m’en paraît défectueuse. Je proposerais de dire simplement que l’évacuation n’aura lieu de notre part que « sur la garantie suffisante que la Belgique, et les populations qui se séparent d’elle, jouiront de tous les droits et avantages qui résultent du traité. » L’abandon d’une ville, d’un territoire quelconque ne se fait jamais sans un acte intermédiaire entre le traité qui l’ordonne et l’exécution, que cet abandon soit suivie de la remise immédiate entre les mains du nouveau propriétaire, ou d’un séquestre entre des mains tierces.
Le projet d’adresse, en exigeant l’adhésion de la Hollande au traité avant toute évacuation, condamne d’ailleurs le système de l’évacuation préalable, système sanctionné par la majorité, et qui se réalise aujourd’hui après une déviation passagère ; car interdire toute négociation préalable, et exiger l’adhésion préalable en termes exprès, serait demander deux choses contradictoires. Et vous ne donnerez pas l’exemple de cette anarchie parlementaire.
Je dis, messieurs, que le système adopté par les deux chambres se réalise aujourd’hui ; il me sera facile de le prouver.
Les ratifications des cinq cours n’étant pas toutes pures et simples, deux genres de négociations devenaient possibles.
Il pouvait entrer dans les vues de la conférence de se prévaloir des réserves pour se saisir de nouveau de la question belge, et la trancher par un nouvel arbitrage forcé.
La Hollande pouvait également se prévaloir des réserves pour exiger que le traité fût modifié en sa faveur, dans une négociation directe.
Il y avait donc dans les réserves les germes d’un nouvel arbitrage exercé par la conférence, ou d’un arrangement direct et préalable avec la Hollande.
Il fallait immédiatement trouver un point d’arrêt ; et le principe de l’évacuation préalable fut posé.
Après deux mois de tentatives de tout genre, la conférence reconnut qu’elle ne pouvait se constituer de nouveau arbitre, et son action était épuisée, que le traité était complet et irrévocable à l’égard de chacune des cours, qu’il restait un traité direct à conclure entre la Hollande et la Belgique, que les réserves ne pouvaient influer que sur ce dernier traité.
La Hollande parut alors se montrer disposée à conclure ce traité direct.
La Belgique, après avoir pris acte de l’espèce de désistement de la conférence, refusa de négocier avec la Hollande.
Les deux parties restèrent ainsi en présence pendant deux mois.
Si les réserves n’eussent pas existé, le traité à intervenir entre la Belgique et la Hollande n’eût été que la reproduction littérale du traité conclu avec chacune des cinq cours ; par l’effet des réserves, la Hollande avait acquis le droit de soumettre quelques parties du traité du 15 novembre à une négociation secondaire.
La Hollande offrant de négocier directement, en vertu des réserves, on ne pouvait employer contre elle les mesures coercitives ; il fallait donc faire droit à son offre, soit pour parvenir à un arrangement à l’amiable, soit pour prouver qu’aucun arrangement de ce genre n’était possible.
La négociation directe offrait donc une double hypothèse : l’arrangement à l’amiable était très improbable ; l’hypothèse contraire a le moins frappé le vulgaire, et c’est sur celle-là que l’homme politique devait compter.
L’impossibilité d’un arrangement à l’amiable, même dans le sens des réserves, venant à être établie par un fait incontestable, l’intervalle qui nous séparait encore de la nécessité des mesures coercitives était franchi, et dès lors, après avoir fait une espèce de circuit pour détruire un obstacle, nous pouvions rentrer dans le système précédent, et renouveler, avec une certitude de succès, la demande de l’évacuation préalable.
C’est là, messieurs, en peu de mots, l’histoire de la diplomatie belge depuis le mois de mai ; je n’ai pas méconnu l’influence des réserves ; j’ai, dans le temps, fait connaître mes prévisions à cet égard, et l’événement ne m’a pas démenti. Si le ministère actuel a le mérite d’avoir, par une tactique très hardie, amené l’évacuation territoriale, le ministère précédent a celui d’avoir, en se renfermant dans une position négative, prévenu un nouvel arbitrage de la conférence. Les réserves ont été neutralisées dans leurs effets, et elles ne subsistent plus qu’en ce sens qu’après l’évacuation du sol, une nouvelle négociation directe sera nécessaire, négociation que d’ailleurs la rédaction incomplète de quelques articles du traité eût exigée sous plusieurs rapports.
Messieurs, j’ai recueilli avec reconnaissance les paroles conciliantes que le Roi a prononcées pour exprimer ses regrets de ce que la Belgique n’a pu être adoptée tout entière par l’Europe ; le motif qui vous avait engagés à ajourner la proposition que je vous ai faite, il y a un an, est malheureusement sur le point de cesser, et je m’empresserai de remplir un douloureux devoir en la renouvelant.
Comme Luxembourgeois, je déplore le démembrement de ma province ; pour conserver l’intégrité du territoire, j’aurais même voulu qu’on essuyât de systématiser le statu quo ; comme Belge, je déplore l’intervention étrangère ; mais ma pensée resterait incomplète, si, m’élevant au-dessus des intérêts de province et de patrie, je ne vous exprimais comme homme mon opinion sur le grand spectacle auquel nous assistons. Ce n’est pas un incident vulgaire qui passe, sans avoir le droit de fixer l’attention publique et d’occuper une place dans la mémoire des hommes ; c’est un événement qui fait époque.
On nous a beaucoup entretenus depuis deux ans des deux principes qui divisent l’Europe ; nous n’avons pas nié l’existence de ces principes ; on a provoqué le renouvellement d’une lutte sanglante ; nous n’avons pas désespéré du succès d’une lutte pacifique semblable à celle que se livrent tous les principes contraires dans le sein des assemblées représentatives ; et la conférence de Londres a été pour nous cette assemblée. La victoire est restée au principe que représentent spécialement la France et l’Angleterre ; c’est là le fait le plus remarquable depuis la révolution de juillet. C’est le fait qui consacre la suprématie de la civilisation de l’occident de l’Europe. Des congrès s’étaient réunis à Laybach et à Vérone pour détruire des révolutions ; il nous était réservé de voir des congrès se former pour inaugurer en quelque sorte une révolution. Vu de cette hauteur, l’événement qui s’accomplit sous nos yeux est bien remarquable ; on fera l’impossible pour l’amoindrir, mais il grandira dans l’avenir. Acceptée par l’Europe, associée à deux grands peuples, la Belgique jouira de son indépendance, et lorsqu’elle ne sera plus une nouveauté pour les autres et pour elle-même, elle obtiendra peut-être ce qu’on lui refuse aujourd’hui.
- M. Donny, député d’Ostende, admis dans une séance précédente, est introduit dans la salle et prête serment.
M. Pirson. - Messieurs, c’est la première fois que je parle sur un discours royal à l’ouverture d’une session ; permettez-moi donc quelques réflexions préliminaires et courtes.
C’est dans les fastes de la monarchie semi-absolue que d’abord des ministres soi-disant constitutionnels ont été chercher l’usage des séances royales. Ils voulaient, comme ils veulent toujours, échapper à la responsabilité, en se couvrant du manteau royal. Mais les représentants du peuple ont déjoué cette ruse, en ne considérant les paroles du trône que comme l’expression, comme elles le sont en effet, de la pensée du ministère. C’est aujourd’hui chose convenue en Angleterre, en France et en Belgique.
Cependant ce désordre et ce déplacement de la parole sortant d’une bouche auguste, inspirée qu’elle est quelquefois par l’astuce et la perfidie ministérielle, pourraient bien contribuer à détruire dans l’imagination des masses, qui ne raisonnent pas, cette heureuse fiction, ou plutôt cette belle maxime, sauvegarde de la monarchie constitutionnelle : « le roi ne peut jamais, les ministres seuls peuvent faillir ; seuls ils sont responsables. »
En effet, comment faire croire à ces masses que celui qui, dans un discours solennel, semble assumer sur sa tête tout le poids de mesures gouvernementales qui leur sont parfois bien nuisibles, n’est point auteur de ces mesures ? Aussi avons-nous vu plus d’une fois de nos jours le peuple confondre dans sa colère et rois et ministres.
Les réflexions que je fais pourraient être développées plus longuement, mais je les abandonne à des publicistes meilleurs observateurs que moi. Quoi qu’il en soit, notre constitution ne faisant aucune mention de séance royale, j’aurais désiré que cet usage disparût et fût remplacé par un compte moral, financier et politique qu’aurait rendus le ministère à l’ouverture de la session. Tous les pouvoirs, tous les personnages eussent ainsi resté dans la réalité de leur position ; le trône et la liberté ne pouvaient qu’y gagner.
J’aborde le discours d’ouverture. Il n’est point, à beaucoup près, satisfaisant en tous points.
En effet, il ne suffit pas que des faits importants pour l’avenir du pays se soient accomplis depuis quatre mois ; que la Belgique soit reconnue par plusieurs puissances, grandes si l’on veut ; que le pavillon national soit admis dans le plupart des ports étrangers : il faut, en dernière analyse, qu’il y ait paix et séparation entre la Belgique et la Hollande. Voilà toute la question.
Quand les chambres et la nation tout entière ont manifesté le vœu pour que toute négociation fût suspendue jusqu’à l’évacuation réciproque du territoire assigné à chacune des parties par un décret européen, c’est que cette évacuation, en tant qu’elle eût été volontaire, consacrait le principe de la séparation et de la reconnaissance du nouvel Etat par la partie opposante. Et qu’on ne dise pas que cette évacuation eût fait perdre des avantages de position à la Hollande : s’il y avait désavantage, c’était du côté de la Belgique ; en effet, nous perdions de grands revenus et un grand moyen d’attaque du côté de Venloo. Je pourrais dire que c’est pour nous le seul côté vulnérable de la Hollande, puisque nous n’avons pas de marine pour l’attaquer par mer.
Le ministère peut assumer en toute sûreté la responsabilité des négociations directes ouvertes à Londres avec l’envoyé hollandais, pour parvenir à cette évacuation volontaire. Elles n’ont point réussi ; mais c’est très bien fait d’avoir saisi l’occasion de prouver à l’Europe que Guillaume veut l’embraser pour se vautrer sur les cendres et les débris de la Belgique, et non pour sauver l’honneur et les intérêts de la Hollande.
Cette preuve acquise, que fallait-il faire ? Commencer de suite la guerre avec la Hollande et faire connaître nos motifs aux puissances ; l’honneur national commandait cette mesure ; elle a été invoquée par l’armée et la nation tout entière, mais on a préféré recourir à une intervention étrangère.
C’est bien encore, si cette intervention de deux grandes puissances a pour but de résoudre les deux questions vitales : la reconnaissance du nouvel Etat belge par la Hollande et la liberté de l’Escaut : mais, si elles se retiraient avant cette solution ; si, en nous remettant purement et simplement les clefs d’Anvers, on nous forçait à notre tour de remettre celles de Venloo, ce serait une perfidie qui n’aurait d’autre but que de nous contraindre à de nouveaux sacrifices : mieux vaudrait alors suivre les errements de Guillaume et provoquer avec lui la guerre générale, en proclamant notre réunion à la France pendant que ses armées sont sur les lieux.
Mais attendons ! De la prudence, j’allais presque en manquer. (Hilarité générale.)
L’Angleterre ne veut point cette réunion ; qu’elle se montre donc d’une manière plus active pour l’empêcher.
Il n’y a de moyen que celui de consolider promptement, très promptement le royaume de la Belgique. Quand je dis consolider, j’entends qu’on le constitue d’une manière durable et qu’on ne force point les Belges à désirer un autre ordre de choses de prime abord, si on voulait leur imposer des entraves trop pesantes pour les porter longtemps. Qu’on dise encore que la Hollande est impopulaire à Londres.
Guerre avec la Hollande si elle ne veut pas reconnaître la Belgique ! ou guerre générale ! Anglais, Français, Prussiens, choisissez.
Mais revenons à l’adresse. Le discours du trône, le traité de Londres, le rapport du ministre des affaires étrangères, ne nous apprennent rien de positif sur le véritable but de l’intervention ; il semblerait même qu’il ne s’agit de rien plus que d’une évacuation forcée du territoire réciproque entre les deux parties. La grande opposition que le ministère manifeste contre toute prévision qui irait au-delà d’une évacuation pure et simple pourrait faire croire qu’en effet il ne s’agit que de cela. S’il en était ainsi, ce serait une véritable trahison, Dans cet état de choses, que doivent faire les représentants de la nation, faute d’apaisements suffisants ? Repousser de toutes leurs forces toute adhésion au système des ministres, et réserver l’exercice de leurs pouvoirs constitutionnels pour en user selon qu’au cas éventuel il appartiendra.
Je voterai pour ce qu’il sera proposé de dire au Roi de plus significatif en ce sens.
L’adresse est encore loin de rendre toute ma pensée.
Je n’ai point été satisfait non plus, en remarquant dans le discours du trône le projet d’ajourner presque indéfiniment la discussion d’une loi si nécessaire et si urgente sur l’instruction publique, et je suis bien aise que la commission de l’adresse propose de la faire marcher de pair avec les lois communales et provinciales. En effet, elles se lient intimement. Ce n’est point une loi de gêne et de contrainte que j’appelle, mais une loi libérale qui consacre le principe de la concurrence la plus entière et surtout les droits du père de famille,
Je n’ai rien de plus à dire sur l’ensemble de l’adresse. Je me réserve la parole lors de la discussion des différents paragraphes.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je saisis l’occasion de cette discussion pour énoncer en peu de mots mon opinion relativement aux événements dont nous sommes menacés, sans oser espérer qu’ils puissent, dans aucune hypothèse, tirer notre patrie du gouffre dans lequel nos hommes d’Etat l’ont malheureusement plongée depuis que son sort a été remis à l’arbitrage de la diplomatie.
Le nouveau système adopté par le gouvernement, et qui nous a été développé avec franchise par M. le ministre des affaires étrangères, est venu, selon moi, mettre le comble à toutes les déceptions dont nous avons été constamment bercés, depuis le fameux traité des dix-huit articles, qui devait nous laisser le Luxembourg et nous libérer de la dette. En effet, le résultat que nous offre pour début ce système est évident : le sacrifice de 350 mille de nos concitoyens va être consommé pour parvenir à faire chasser nos ennemis d’une citadelle ; je dis « faire chasser nos ennemis, » messieurs, car il ne nous est pas permis de reconquérir notre gloire militaire ni notre territoire. Tous les gouvernements de l’Europe, sans exception paraissent vouloir nous neutraliser en effet, en nous accablant d’humiliations, vrai moyen d’anéantir notre patriotisme, qui a longtemps causé de vives inquiétudes aux absolutistes de toutes les nuances.
Aussi notre belle et bonne armée doit rester l’arme au bras pendant que nos voisins recueilleront quelques lauriers sous ses yeux. Je déplore vivement cet état de choses, sur lequel je ne veux pas m’appesantir davantage ; cela serait d’autant plus inutile que non seulement vous, messieurs, mais la nation entière, est affectée des mêmes sentiments ; cependant, comme député du Luxembourg, et par là plus à même de juger de la terrible impression que le commencement d’exécution du traité du 15 novembre doit produire sur nos malheureux frères, je me permettrai d’implorer votre commisération en leur faveur, afin qu’il soit tenté un dernier effort pour empêcher qu’eux et leurs compagnons d’infortune du Limbourg soient livrés aux réactions du despote qu’ils ont, de concert avec vous, chassé pour toujours de la Belgique.
Vous savez, messieurs, que nos malheureux concitoyens (que l’on veut refouler impitoyablement en dehors de nos frontières) ont conservé, malgré le cruel traité des 24 articles, le plus ardent patriotisme, et qu’ils sacrifieraient encore leur vie pour une patrie qu’on leur arrache après qu’ils ont répandu leur sang pour la rendre libre ; maintenant encore, ils sont sous les armes dans votre armée, prêts à se battre contre celle du souverain que l’on veut leur imposer dans quelques jours : aussi, messieurs, ils sont plongés dans le désespoir. J’ai reçu, ainsi que mes collègues du Luxembourg, des lettres de ces Belges proscrits, qui attendriraient les cœurs les plus endurcis. Ah ! messieurs, si nous pouvions être témoins, avant de nous prononcer dans cette occasion importante, de la consternation qui règne dans ces contrées, où l’on tremble d’effroi et d’indignation à la seule idée que les représentants du peuple pourraient l’abandonner, je suis persuadé que beaucoup d’entre vous protesteraient contre toute mesure qui tendrait à amener sans retour la déchirante séparation dont nous sommes menacés.
Quant à moi, je n’hésite pas à le faire hautement ici, en témoignant, en même temps, le désir que l’adresse de la chambre soit, à cet égard, plus explicite encore que le rapport qui nous est présenté, afin d’exprimer au gouvernement qu’aucun sacrifice ne paraîtrait trop lourd à la nation que nous représentons, s’il pouvait, par des négociations ultérieures ou par tout autre moyen, conserver à tous les Belges leur patrie, qu’une force brutale peut seule leur arracher.
M. C. Rodenbach. - Messieurs, je donnerai mon suffrage aux expressions patriotiques contenues dans certains passages de l’adresse ; je m’associe aux sentiments qui ont dirigé les auteurs du projet en ce qui touche l’accomplissement entier et immédiat du traité des 24 articles : mais dans la négative je désirerais l’anéantissement de ce même traité, qui ne peut être valable que par la sanction des parties intéressées et qui, perdant sa force par le refus de la Hollande, ne peut nous lier au détriment de nos intérêts.
L’intervention étrangère que nous subissons en ce moment, et qui a pour but l’exécution partielle du traité, nous est inutile et onéreuse : inutile, car la reddition de la citadelle d’Anvers laisse intactes les questions les plus importantes, la liberté de l’Escaut et la dette ; onéreuse, en ce que la possession de ce fort n’est pas une compensation suffisante de l’abandon de Venloo et d’une partie du Limbourg et du Luxembourg.
L’on a dit qu’il ne nous appartenait pas de nous immiscer dans la question de l’intervention, que nous ne devions connaître que des faits accomplis. Nous n’avons pas la prétention de formuler des plans de campagne ; mais personne ne nous contestera le droit, le devoir de défendre les intérêts du pays, et c’est ce mandat que nous voulons accomplir.
Lorsque nous possédons une armée pleine de courage et de patriotisme, verrons-nous l’étranger s’arroger le droit de combattre seul nos ennemis, et ne nous serait-il pas permis d’élever la voix pour protester contre cet outrage ? Si deux grandes puissances nous imposent ces conditions, que l’on sache du moins que la nécessité seule nous fait céder et que nous n’avons pas la stupidité de croire qu’elles agissent ainsi pour notre bien-être. N’est-il pas à craindre qu’en cas d’incidents, que nul ne peut prévoir, Anvers ne devienne une nouvelle Ancône ?
En vain, voudrait-on nous persuader que nos paroles n’auront aucune influence sur les événements qui se préparent, que les coups de canon vont décider de notre avenir. Il faut, avant que des stipulations honteuses viennent nous ravir les villes et villages cédés à la Hollande par le traité des 24 articles, il faut que des voix généreuses s’élèvent une dernière fois pour réclamer, au nom de nos frères en révolution, leur part de liberté et d’indépendance ; il faut que nous protestions à la face de l’Europe contre cette spoliation qui livre à la Hollande une portion de notre territoire ; il faut que les habitants de Venloo sachent que les patriotes belges les quittent avec désespoir, qu’ils ne sont pour rien dans l’acte inique qui les prive de leurs droits, que nos cœurs sont déchirés à l’idée des maux qu’on leur prépare
Il faut que l’on sache qu’en bornant l’exécution des traités à la prise de la citadelle d’Anvers, on prolonge un statu quo funeste, on ouvre la voie à de nouvelles concessions ; que si la Hollande est remise en possession des parties du Limbourg comprises dans les traités, elle aura seule gagné à l’intervention française si, pour prix de son obstination et du sang qu’elle aura fait répandre, on déchire en sa faveur la seule clause qui nous soit favorable dans les 24 articles, qui consiste à n’échanger les parties du Limbourg que contre le Luxembourg, question tout à fait étrangère à la citadelle d’Anvers.
Déjà sous le gouvernement provisoire l’épouvantail d’Anvers nous jeta dans les filets de la diplomatie. C’est ce nom d’Anvers qu’on invoqua pour empêcher l’exclusion des Nassau. Anvers détruit, voilà le fantôme qu’on a opposé à toute disposition énergique. Aujourd’hui ou emploie le même prétexte pour empêcher notre armée d’agir.
Je désire ici qu’on ne se méprenne pas sur mes intentions ; je dis que la sûreté d’Anvers est un prétexte, car je suis loin de regarder le salut de cette belle cité comme peu important.
Personne plus que moi ne déplore les malheurs qui planent sur cette malheureuse ville ; mais j’en appelle aux habitants d’Anvers eux-mêmes : qu’auront-ils gagné à l’évacuation de la citadelle tant que la liberté de l’Escaut n’est pas assurée ?
Quoi ! lorsque des étrangers versent leur sang pour nous, nos soldats se contenteraient de veiller à la conservation des propriétés, à faire la police du royaume ? Quoi ! lorsqu’un roi futur, l’espérance d’une grande nation, lorsque deux princes de la plus illustre famille du monde, exposent leur vie pour leurs intérêts, l’armée belge serait spectatrice impassible des combats qu’elle ne pourrait partager ? Faut-il que les Français, en nous quittant, puissent nous dire : « Vous êtes des lâches ! » Faut-il sacrifier l’honneur aux scrupules hypocrites de la diplomatie ? Ah ! la sûreté d’Anvers serait trop chèrement achetée à ce prix.
Sommes-nous donc dégénérés à ce point ? Le patriotisme, si vivace il y a quelques mois, n’aurait-il plus que de faibles échos ? Si du temps du congrès national il eût été question de semblables mesures, avec quelle indignation ne les eût-on pas accueillies ! Quels cris de réprobation dans cette enceinte ! quel retentissement au-dehors ! Si le patriotisme est affaibli, il y a des sentiments d’honneur en Belgique parmi ce peuple qui a encore un souvenir des barricades. Il est vrai qu’elles sont déjà bien loin de nous ces belles journées de septembre… Nous cherchons en vain ces braves volontaires, ces blouses de la révolution, les blouses qu’à peine on ose nommer, entourés que nous sommes de ces hommes à plumets, à broderies, à crachats, qui ont recueilli les fruits d’une révolution faite sans eux et malgré eux.
Maintenant, et nonobstant nos protestations, que le ministère consomme son œuvre. Impuissants pour empêcher d’agir, ignorants que nous sommes de ses projets ultérieurs et des traités occultes, nous aurons fait, en éclairant la nation, tout ce qu’il était possible de faire. Quant à la responsabilité ministérielle, derrière laquelle on se retranche, elle devient chimérique après la consommation d’actes contraires aux stipulations des traités. La cour de cassation peut condamner les ministres, elle ne saurait anéantir les faits accomplis.
Mais, dit-on, l’armée belge doit s’abstenir aussi dans l’intérêt de l’Europe. La paix, messieurs, c’est un mot magique dont on cherche à nous éblouir... Toutes les puissances sont sur le grand pied de guerre ; elles sont écrasées d’emprunts pour soutenir leurs armées. Jamais la guerre ne fut plus imminente. Les nations, agitées, troublées à l’intérieur, tourmentées par les factions et les partis, videront tôt au tard sur le champ de bataille le duel moral que le développement des idées libérales a provoqué entre le peuple et le pouvoir absolus.
Ce n’est pas nous, ce n’est pas pour nous, ni par nous, que la guerre éclatera ; il y a un combat de principes qui est flagrant qui doit se décider par l’épée. Etre libre ou ne pas être libre, voilà la question qui s’agite en ce moment sur toute la surface de l’Europe. Les nations ont compris ce mot d’ordre ? C’est pour lui que meurt la noble Pologne ; c’est lui qui arme le frère contre le frère, et fait du Portugal un vaste carnage ; c’est lui qui en Espagne amène par la force des choses un roi despote à provoquer lui-même la diminution de pouvoirs trop étendus ; c’est lui qui a été compris par une jeune reine que l’Espagne bénit avec transport. Etre libre ou ne pas être libre ; nous aussi, nous comprendrons ce mot d’ordre. Nous ne pouvons être libres en nous laissant enlacer des réseaux de la diplomatie, qui, de concession en concession, nous mène à la restauration, à l’anéantissement.
C’est bien l’avis d’un de nos gouvernants, puisqu’il disait, avant l’adoption des 18 articles : « Sans le Luxembourg il n’y a pas pour la Belgique six mois d’existence. » Pourquoi donc aller au-devant des conditions les plus désastreuses ? Pourquoi, lorsqu’aucun avantage ne nous est garanti, quand rien ne nous assure l’accomplissement entier des traités, nous dessaisir d’une portion de nous-mêmes, et tout cela pour sacrifier à un système de paix à tout prix qui prévaut dans le cabinet français ? Malheureusement notre ministère se laisse remorquer par celui du juste milieu. Nous voyons, comme en France, le patriotisme réduit à se cacher, les hommes de la révolution abreuvés de dégoûts, les orangistes en faveur et les traîtres se glisser dans nos administrations.
Je ne sais quelle fascination opère sur tous ceux qui saisissent le pouvoir ; c’est un vertige qui les entraîne dans les errements de leurs prédécesseurs et les enfonce dans la même ornière, dans les mêmes routes tortueuses, sans avoir jamais la force de se mettre en harmonie avec les vœux et les besoins du pays. Marchons-nous donc à ce dénouement fatal, prédit par un envoyé d’Angleterre ? Va-t-on nous rayer du rang des nations ? Peut-être ! Car l’abandon du Limbourg sans garantie pour le Luxembourg ; la dette, sans la liberté de l’Escaut ; une armée avilie ! Pour nous, c’est la mort.
Notre anéantissement ; le partage de la Belgique, après quelques mois d’agonie ; voilà ce que quelques puissances désirent ! Plusieurs, pour conserver la paix et le repos, pour éviter la conflagration qui les menace, nous sacrifieraient sans pudeur. La France elle-même, ou plutôt le cabinet français, avec lequel on ne doit pas confondre la nation, pourrait bien acheter à ce prix quelques heures d’une paix apparente. N’a-t-elle pas offert à la Prusse l’occupation de Venloo et d’une partie du Limbourg ? Voulait-elle lui donner les arrhes du partage futur de la Belgique ?
C’est à vous, messieurs, à calmer les inquiétudes de la nation. Une majorité généreuse repoussera, je l’espère, toute concession qui ne s’accorde pas avec nos intérêts et notre honneur, Non, c’en est fait ! Les hommes pusillanimes ont fini leur rôle, cette époque n’est pas faite pour eux. La faiblesse serait en ce moment de la trahison. Car bientôt pour une ombre de paix nous perdrions cette patrie si chèrement achetée. Que serait-ce en effet pour quelques hommes que l’exil de quelques patriotes, que la mise à prix de quelques têtes ? Il faut aujourd’hui des hommes énergiques, enfants de la révolution et liés à sa destinée. Ce n’est pas en suppliant que nous nous adressons à la France. Nous demandons son alliance franche et sincère, non une intervention déshonorante. Non ! la France ne coopérera pas à cette œuvre impie qui nous séparerait de nos frères, qui nous anéantirait sans espoir ; si elle nous laissait périr, il y aurait une malédiction sur elle, et la liberté enchaînée déserterait sans retour ce vieux monde indigne d’elle.
Oh ! ils sont bien coupables ceux qui sèment de fleurs l’abîme où ils conduisent la royauté, qui sont toujours prêts à seconder le despotisme, de quelque part qu’il vienne... Les plaies de la révolution sont saignantes encore. Pour les guérir, il faut employer le feu et le fer. Si l’on ne peut faire exécuter en entier le traité des 24 articles, il faut l’anéantir. Le refus de la Hollande nous délie.
Qu’Anvers alors sorte de ses ruines ; qu’elle détruise sa citadelle qui a servi trop longtemps de repaire à nos ennemis. Arrachons deux provinces assassinées par les protocoles. Ainsi nous réparerons les désastres du mois d’août. Qu’on parle alors de fermer les plaies de la révolution ; hors ce cas c’est travailler sur un cadavre. Quoi ! spectateurs oisifs, nous croirons que l’Angleterre va bloquer les ports de la Hollande jusqu’à l’exécution entière des traités ; nous croirons que l’Angleterre s’arme pour donner plus de force à notre gouvernement, plus de stabilité à nos institutions ; nous croirons que, pour nous protéger, elle va porter atteinte à son commerce, abandonnera son système d’égoïsme qui est son Dieu, pour s’élever contre la Hollande, son alliée naturelle ! N’entendez-vous pas les cris du commerce en Angleterre ? Ne voyez-vous pas les pétitions qui surgissent pour qu’elle state ses armements ? L’Angleterre veut en finir parce qu’elle nous considère comme un foyer d’insurrection ; en nous réduisant à l’impuissance, en nous abîmant, elle parvient également à son but. Non ! n’espérons rien de la sympathie des puissances ; ne comptons que sur celles qui ont intérêt à nous maintenir : c’est le seul calcul raisonnable, c’est le seul qui soit sûr.
Je me résume. Exigeons l’accomplissement immédiat et entier des traités. Si les obstacles sont indivisibles, affranchissons-nous des entraves de la diplomatie et appelons-en à notre bon droit, à nos soldats et à nos alliés ; ne souffrons pas que la brave armée française prenne seule part au drame sanglant qui se prépare, afin que le ministère français ne nous dise pas comme autrefois aux envoyés de la Hollande : Nous traiterons de vous, chez vous et sans vous
M. de Robiano de Borsbeek. - Messieurs, je tiens à vous faire connaître le résumé de mon opinion, quoique je renonce pour le moment à lui donner des développements.
1° Je ne puis croire que la Belgique doive se résigner à subir le traité du 15 novembre 1831, ce traité si injuste, si funeste pour elle et si partial pour la Hollande.
2° Il me semble que le ministère s’est trompé en s’attachant toujours à poursuivre l’exécution des 24 articles, au lieu de saisir l’occasion d’en faire rejeter les stipulations injustes et inconciliables avec la sécurité du pays. Cette occasion s’est offerte souvent pendant l’été ; rien d’ailleurs n’était plus facile que de la faire naître, et il le pouvait légitimement.
3° Le point de départ de notre politique, sa base, me paraissent devoir être, autant que jamais, de préserver le pays de la position où le plongerait ce traité.
Messieurs, que la postérité ne puisse nous reprocher d’avoir été nous-mêmes, par manque d’énergie ou de perspicacité, les instruments du malheur de la patrie.
Je me réserve de développer mon opinion, si la discussion m’y amène.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, dans un pays où les différents pouvoirs sauraient également bien apprécier leurs obligations, et voudraient les remplir avec une même bonne foi, une même loyauté, ce serait vraiment une époque pleine d’intérêt ou d’importance que celle où à l’ouverture d’une session législative, s’établiraient les premières relations entre le gouvernement et la représentation nationale.
Le gouvernement, dont les paroles ont alors d’autant plus de poids qu’il a pour organe un personnage plus auguste et plus vénéré, le gouvernement viendrait donner aux chambres connaissance des faits qui se sont passés depuis la session précédente ; il exposerait l’état du pays, ses relations avec l’étranger ; il dirait la politique qu’il suit, la marche qu’il s’est tracée, et donnerait en quelque sorte le programme de sa conduite et de ses actes futurs.
Les chambres, éclairées par cette déclaration franche, feraient, de leur côté, preuve d’une entière sincérité en énonçant nettement et sans détours leur opinion sur la conduite du ministère, et en exprimant quels sont à leur avis les besoins du pays, et les mesures qu’il réclame avec le plus d’instance.
Quel serait le résultat d’une semblable manière d’agir ? La confiance s’établirait incontinent entre le gouvernement et la représentation nationale, et bientôt l’accord ne saurait manquer de régner. Alors viendraient à cesser toutes ces discussions oiseuses et souvent remplies de fiel, ces interpellations qui ne produisent rien, et les mesures présentées seraient accueillies avec d’autant plus d’empressement et de faveur que personne n’en ignorerait le but.
Au lieu de cela, qu’est-ce d’ordinaire qu’un discours d’ouverture ? Une suite de phrases insignifiantes, par lesquelles on annonce que tout va au mieux au-dedans et au-dehors, que toutes les branches d’administration sont l’objet d’une sollicitude spéciale, que les contributions rentrent régulièrement et que pourtant il faudra augmenter les charges. Et si parfois le discours renferme la communication d’un fait important, cette communication se fait en des termes si vagues, si incomplets, que chacun peut l’interpréter à sa manière.
Que font alors les chambres ? Elles retournent les phrases du discours, y ajoutent quelques expressions de flatterie, et voilà leur réponse faite.
Après un pareil début, après que l’on s’est ainsi mutuellement trompé, le gouvernement en dissimulant sa pensée, en élevant beaucoup trop haut la prospérité du pays, les chambres en feignant de croire à la vérité de ce qu’on leur a dit, et en n’exprimant pas leur opinion, la session se passe en pénibles débats dans lesquels on joue au plus fin, le gouvernement pour faire adopter ses propositions, la chambre pour éviter d’être prise dans les pièges qui lui sont tendus : malheureusement l’expérience a prouvé que ce n’est pas du côté des chambres que se trouve d’ordinaire le plus d’adresse.
Rappelez-vous ce qui s’est passé depuis nombre d’années et en France et chez nous, et vous conviendrez tous de l’exactitude et de la vérité de ce que je viens de dire.
Le discours que vous avez entendu ces jours derniers fait-il exception ? Est-il plus satisfaisant ? Se distingue-t-il par plus de franchise que ceux prononcés antérieurement à de pareilles époques ?
Hélas ! non. Qu’y voyons-nous ? D’abord, quant à la politique extérieure ?
En vertu du traité du 22 octobre, connu de nous, deux puissances vont faire évacuer notre territoire par les troupes hollandaises. Notre armée restera spectatrice de l’expédition et n’y pourra prendre part ; elle a seulement la permission de se défendre en cas d’attaque. Nous touchons au moment où nous allons livrer à nos ennemis les parties du Limbourg et du Luxembourg que nous avons consenti à abandonner. Après cette évacuation réciproque de territoires, qu’arrivera-t-il ? Jouirons-nous, du moins, des avantages que nous accorde le traité du 15 novembre ? Le discours n’en dit rien, et si nous n’avions d’autres pièces pour nous découvrir la vérité, nous serions à cet égard dans la plus complète ignorance : tout ce que nous apprenons, c’est que l’époque du désarmement est impossible à fixer jusqu’ici.
Quant à ce qui regarde la paix à l’intérieur, on nous annonce que l’événement a prouvé que les craintes conçues sur l’avenir du commerce et de l’industrie étaient exagérées ; que plusieurs projets de lois nous seront présentés, que les revenus de l’Etat ont dépassé toutes les prévisions et que pourtant il faudra augmenter les charges.
Quelle sera, messieurs, notre réponse à ce discours ? Si notre intention pouvait être de nous borner à suivre l’usage auquel on s’est conformé depuis plusieurs années, à retourner toutes ces phrases, il vaudrait mieux assurément se dispenser de cette vaine formalité, ou charger le ministère, qui est l’auteur du discours, de faire la réponse.
Mais la commission que vous avez chargée de la rédaction du projet a senti que la chambre manquerait à sa dignité, violerait son mandat en jouant un pareil rôle dans des circonstances aussi graves ; et si le projet est pour ainsi dire muet en ce qui regarde l’administration intérieure du pays, il s’exprime du moins avec franchise relativement à la politique extérieure. C’est probablement que la commission a pensé que la question étrangère est d’une si haute importance qu’elle doit absorber exclusivement toute notre attention. Il est vrai, messieurs, qu’à cette question, et à la manière dont elle sera résolue par vous, sont attachés les plus chers intérêts du pays et peut-être son existence tout entière. Vous êtes le dernier espoir du pays.
Vous connaissez la politique adoptée par le gouvernement ; elle vous a été exposée dans un rapport qui, pour être fort long, n’en est pas plus satisfaisant.
La voici en peu de mots :
Après quatorze mois passés à nous leurrer, à nous jouer de toute manière, la conférence nous impose un traité contraire à l’honneur et à l’intérêt de la Belgique. L’envoi de ce traité est accompagné de menaces, pour le cas de non-acceptation. Ces menaces effraient le gouvernement et la majorité des chambres. Les réclamations de la minorité sont étouffées ; on souscrit au traité.
La Hollande, au contraire, sommée, menacée comme nous, refuse son adhésion : une année entière se passe à employer vis-à-vis d’elle des moyens de persuasion : peines superflues ; la Hollande persiste dans son refus.
Cette patience, cette longanimité vis-à-vis de la Hollande a droit de nous surprendre, car les puissances avaient déclaré « qu’il n’était plus en leur pouvoir de faire subir aucune modification au traité ; » il devait être exécuté sans délai et dans son entier. La conférence le déclara, le 12 novembre 1831, à notre plénipotentiaire ; et au dire de M. le ministre des affaires étrangères, une déclaration identique été faite au plénipotentiaire hollandais.
Mais ne nous étonnons pas ; c’est avec une semblable impartialité que la conférence, juge de nos différends, nous a toujours traités.
Cette année expirée, pensez-vous que les moyens de rigueur, annoncés d’une manière si positive, réclamés par notre gouvernement, et que semblent déployer maintenant deux des puissances garantes, ont pour objet de forcer enfin le roi de Hollande à accepter les 24 articles ? Non, messieurs : lisez le traité du 22 octobre, et vous verrez que le blocus des ports de la Hollande par les flottes combinées et l’expédition de l’armée française n’ont qu’un seul but, l’évacuation du territoire ; et cette évacuation sera suivie de l’abandon par vous des parties du Limbourg et du Luxembourg qui doivent retourner à la Hollande, c’est-à-dire, d’un dixième de la population du royaume.
Puis, quand la partie la plus onéreuse du traité, celle contre laquelle nous avons le plus protesté, celle qui est la plus flétrissante pour nous ; quand cette partie aura été exécutée, aurons-nous les avantages garantis par les autres dispositions ? La liberté de l’Escaut, le passage de la Meuse, la navigation par les eaux de la Hollande ? Pourrons-nous licencier notre armée ? Aurons-nous la paix enfin ? Non : il faudra encore une année de négociations, peut-être plus ; puis on nous proposera de nouvelles conditions, plus accablantes encore que celles qu’on nous a fait accepter au mois de novembre dernier.
La politique suivie par le gouvernement est donc entièrement contraire aux intérêts du pays ; elle compromet son avenir ; et plût à Dieu qu’elle n’eût pas compromis son bonheur ! Il est bien dur, bien pénible pour ceux que cet honneur touche vivement, le rôle qu’on fait jouer en ce moment à notre brave armée. Je n’ose en dire davantage sur ce chapitre, je craindrais que mes paroles ne fussent mal interprétées.
Il y a plus, cette politique est tellement inusitée, tellement absurde que je ne crois pas qu’on pourrait trouver un antécédent du même genre dans les fastes de la diplomatie.
Elle tend à faire livrer à des ennemis avec lesquels nous sommes en guerre le dixième de notre population et de nos moyens pécuniaires, pour que cette population et ces moyens pécuniaires soient employés contre nous, et que nos ennemis en deviennent d’autant plus forts !
Mais, messieurs, quand les ministres adoptent une politique aussi désastreuse, en avaient-ils au moins le droit ? Si cette question était résolue affirmativement, nous n’aurions qu’à gémir et les blâmer ; mais toute opposition deviendrait impossible. Il en est autrement, si les ministres ont outrepassé leurs droits, et violé leurs obligations.
C’est là, messieurs, toute la question ; et il l’a détournée de son véritable terrain, l’honorable orateur qui, seul jusqu’ici, a pris la défense du système ministériel, lorsqu’il a voulu vous prouver que nous devions respecter le traité du 15 novembre ; c’est ce que nous savions, et il s’est donné une peine inutile.
Eh bien, je n’hésite pas à le dire : le ministère a outrepassé ses pouvoirs ; il a violé ses obligations, et il ne dépendait pas de lui de consentir à l’exécution d’une partie du traité de notre part, avant l’acceptation du traité par la Hollande. Lisez l’article 24 du traité du 15 novembre :
« Art. 24. Aussitôt après l’échange des ratifications du traité à intervenir entre les deux parties, les ordres nécessaires seront envoyés aux commandants des troupes respectives pour l’évacuation des territoires, villes, places et lieux qui changent de domination, etc. »
Dépendait-il d’eux de devancer les délais fixés dans cet article ? Et quand il dit : « aussitôt après l’échange des ratifications, » sont-ils en droit de faire opérer l’évacuation avant l’échange ? Non assurément.
Notre devoir est donc de nous opposer à l’abandon du Luxembourg et du Limbourg, avant l’échange des ratifications ; c’est dans ce sens que l’article est rédigé. Mais comme le paragraphe relatif à cet objet ne me paraît pas assez positif, je présenterai plus tard une autre rédaction qui ne laissera plus aucun doute, plus aucune ambiguïté.
Le ministère a demandé de notre part une résolution franche et nette ; il ne dépendra pas de moi qu’elle ne lui soit donnée.
Je proposerai quelques autres amendements quand nous en serons à la discussion des paragraphes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, j’ai entendu avec le plus vif intérêt les discours de quelques honorables orateurs ; je ne puis désapprouver les sentiments qu’ils ont exprimés ; je ressens vivement leur influence ; mais, messieurs, je dois y résister.
Chargé momentanément d’une partie bien importante du pouvoir exécutif, je dois savoir lutter contre un entraînement si naturel vers ces idées généreuses. Ministre du Roi, je dois, ainsi que mes collègues, envisager la position de la Belgique avec tout le sang-froid qu’exigent d’aussi grands intérêts ; je dois, comme eux, faire le sacrifice de mes sentiments, comme individu, à mes devoirs comme homme politique. Je n’entreprendrai donc pas de suivre les orateurs qui m’ont précédé dans tous les raisonnements dont ils ont fait usage, et je me bornerai aujourd’hui à présenter à la chambre quelques observations, dans le but de lui prouver que le ministère actuel n’a fait que suivre le système que la représentation nationale avait recommandé à la sollicitude du gouvernement dans ses adresses du mois de mai.
Comme agent du ministère précédent, j’ai été plus à même que tout autre d’apprécier sa pensée, et je n’ai jamais compris qu’il exigeât plus que les chambres, l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité, avant l’échange volontaire ou forcé du territoire.
L’adresse de la chambre des représentants au Roi n’a pas défini le système de l’évacuation préalable. Mais, pour connaître la pensée de la chambre à cet égard il faut la chercher dans la note du 21 mai destinée à la conférence, sans cependant lui avoir été remise. Cette note a été communiquée à la commission d’adresse ; voici ce qu’on y dit :
« Considéré en lui-même, le traité renferme deux genres de dispositions : les unes à l’abri de toute contestation sérieuse, et susceptibles d’une exécution immédiate ; les autres sujettes à de nouvelles négociations pour devenir susceptibles d’exécution.
« Si le roi des Belges pouvait se montrer disposé à ouvrir des négociations sur ces derniers points, ce ne pourrait être qu’après que le traité aurait reçu un commencement d’exécution dans toutes les parties à l’abri de controverse : commencement d’exécution, au moins, dans l’évacuation du territoire belge. »
Ainsi, le gouvernement d’accord avec la chambre demandait :
Exécution partielle du traité consistant dans l’évacuation territoriale ;
Suspension des articles sujets à négociations ultérieures.
Mais cette évacuation était-elle considérée comme devant être la conséquence d’un traité à intervenir entre la Hollande et la Belgique, et partant la conséquence de l’adhésion préalable de la Hollande aux 24 articles ?
Non, messieurs, car les dispositions, à l’abri des contestations, étaient déclarées susceptibles d’une exécution immédiate : l’évacuation territoriale était donc, dans la pensée de la chambre, la conséquence immédiate et nécessaire du traité déjà conclu le 15 novembre.
C’est aussi de cette manière que le précédent ministère l’a entendu. Toute la correspondance avec moi, lorsque j’étais accrédité à Londres, en fait foi. Je vais en citer quelques fragments.
Dans une dépêche du 1er juin le ministre m’écrit :
« D’après les renseignements (parvenus au ministère), le roi Guillaume aurait adhéré aux 24 articles sous les mêmes réserves mises par la Russie à la ratification. En supposant cette nouvelle fondée, ajoutait le ministre, il n’y aurait rien à changer au plan de conduite que nous avons résolu de suivre et dont la défense vous est confiée à Londres. Si le roi de Hollande avait adhéré aux 24 articles même avec les réserves de la Russie, ce ne serait un véritable progrès que dans l’hypothèse de l’exécution prochaine et préalable de la partie du traité, non comprise dans les réserves. »
Il est évident, messieurs, d’après ce passage, que le système de l’évacuation préalable ne supposait aucunement l’adhésion du roi Guillaume, puisqu’il n’y aurait rien à changer au système, dans le cas d’une adhésion dont l’effet matériel était de remettre à 15 jours après la ratification du traité à intervenir, l’évacuation du territoire.
Remarquez bien ceci, messieurs, la portée du système était telle que, pour le suivre, on devait refuser tous les avantages d’un événement qui n’avait d’autre tort que de ne pas répondre assez promptement à notre impatience, que de faire subir à l’évacuation territoriale un délai de quelques jours.
Dans une autre dépêche du 15 juin, il est dit au sujet du protocole n°65, admettant l’exécution partielle du traité et la suspension des articles litigieux.
« Le projet dont vous m’annoncez que la conférence doit s’être occupée dans sa réunion du 11, me paraît comme à vous, se concilier parfaitement avec la politique du gouvernement, et les instructions qui vous ont été données avant votre départ de Bruxelles. »
Cette citation, messieurs, confirme la définition que j’ai donnée tout à l’heure du système de l’évacuation préalable : c’est-à-dire exécution partielle du traité et suspension des articles litigieux.
Dans une dépêche du 13 juillet l’on disait :
« Nos efforts depuis deux mois ont tendu à obtenir l’évacuation préalable du territoire, comme conséquence nécessaire et immédiate du traité du 15 novembre.
« Si ce traité existe, il faut qu’il produise des effets sans qu’une nouvelle transaction soit nécessaire ; il faut enjoindre au roi de Hollande d’évacuer le territoire pour tel jour en vertu de ce traité, et non pas soumettre à son acceptation et à sa ratification un nouveau traité qui stipulera l’évacuation.
« Partant de là, il faut que la conférence en cas d’un nouveau refus de la Hollande, fixe enfin l’époque de l’évacuation et l’emploi des mesures coercitives. »
Des citations qui précédent, il résulte, messieurs, bien évidemment que la doctrine du gouvernement et de la chambre était que l’évacuation du territoire, soit qu’elle eût lieu de gré ou de force, fût indépendante de l’adhésion de la Hollande au traité du 15 novembre.
Par conséquent le but immédiat de la coercition dont nous réclamions l’emploi était l’évacuation des territoires et non l’adhésion de la Hollande aux 24 articles.
Pour fixer plus encore à cet égard les idées de la chambre, je vais avoir l’honneur de lui donner lecture de ce qui, dans les instructions que je reçus à Londres sous la date du 23 juillet, est relatif au système dont il s’agit, considéré en lui-même.
« Le soussigné, ministre des affaires étrangères, ayant soumis au roi le protocole n°67 du 10 juillet et ses annexes, ainsi que les explications et questions contenues dans les dépêches du général Goblet du 16 et du 20 juillet, a été chargé par S. M. de transmettre à M. le plénipotentiaire belge près de la conférence de Londres les instructions suivantes :
« Le gouvernement belge a considéré le traité du 15 novembre comme susceptible d’une exécution immédiate dans ses principales parties, et notamment en ce qui concerne l’évacuation du territoire irrévocablement assigné à la Belgique. C’est le sens et la valeur qu’il a attachés aux ratifications indistinctement. »
Ainsi, messieurs, dans le système de l’évacuation préalable auquel vous avez donné vôtre sanction, la ratification russe était considérée comme partielle, et par suite, l’exécution du traité ne peut être immédiatement complète ni entière.
« Les ministres du roi, continuent les instructions, ont exposé ce système aux deux chambres ; et pour donner toutes les garanties nécessaires au pays, ils se sont engagés à ne se prêter à aucune négociation nouvelle, avant l’évacuation du territoire. S. M., dans les réponses qu’elle a faites aux adresses des chambres, a encore donné plus de solennité à ces engagements.
« Ce système a été amplement développé dans les instructions remises au général Goblet, le 25 mai.
« Dans ses dépêches du 16 et du 20 juillet, le général Goblet s’attache à faire ressortir une différence d’opinion qui sépara le gouvernement belge et la conférence au point de départ : le gouvernement belge considère l’évacuation du territoire comme une conséquence immédiate et nécessaire du traité du 15 novembre, aujourd’hui ratifié par les cinq grandes puissances, et provoque l’emploi de moyens coercitifs pour amener cette évacuation ; la conférence au contraire considère l’évacuation territoriale comme la conséquence du traité à intervenir entre la Hollande et la Belgique, de sorte que les mesures coercitives ne pourraient avoir pour objet immédiat que de forcer le gouvernement hollandais à souscrire au traité du 15 novembre.
« Le soussigné pense que le gouvernement belge doit persister dans son opinion première.
« L’article 24 du traité du 15 novembre porte, il est vrai, qu’après l’échange des ratifications du traité à intervenir entre les deux parties, les ordres nécessaires seront donnés pour l’évacuation des territoires, etc.
« Mais : 1° il est essentiel de remarquer que cet article suppose l’évacuation volontaire, précédée d’une acceptation volontaire ; hypothèse qui, n’étant pas venue à se réaliser, laisse l’article même sans application possible ; le cas de refus, et conséquemment de l’acceptation forcée et de l’évacuation forcée, est prévu dans les notes du 15 octobre, annexées aux 24 articles, notes par lesquelles les cinq cours se sont réservé la tâche et ont pris l’engagement de faire accepter et exécuter le traité.
« 2° L’article 24 du traité supposait non seulement une acceptation volontaire, mais une acceptation immédiate ; huit mois se sont écoulés, et la conférence a reconnu qu’il faut mettre tous les délais à la charge de la Hollande.
« Enfin, l’article 24 du traité suppose une acceptation pure et simple ; que le gouvernement hollandais accepte le traité sans condition, et le gouvernement belge, sans égard au retard de huit mois, se soumettra à l’application de l’article 24.
« La Hollande, ne voulant accepter le traité que sous la réserve de négociations ultérieures sur plusieurs points, se place hors de l’article 24, qui ne peut s’entendre que du traité même, considéré comme complet dans toutes ses parties, et non du traité subordonné à de nouvelles négociations.
« Le soussigne se flatte que l’opinion de la conférence peut être avec succès combattue par les trois moyens qu’il vient d’énoncer. »
Cette opinion, messieurs, c’était celle qu’on voudrait maintenant faire prévaloir, c’était celle que les mesures coercitives ne pouvaient avoir pour but immédiat que de forcer la Hollande à souscrire au traité du 15 novembre.
Je poursuis ma citation : « Quant à la question de savoir quelle est la conduite que devrait tenir le plénipotentiaire belge, si les propositions du protocole n°67 acceptées par le gouvernement hollandais lui étaient soumises.
« Le soussigné ne peut que persister dans les résolutions précédentes ; si le cas prévu dans la question venait à se réaliser, le plénipotentiaire belge devrait se borner à répondre à la conférence que le gouvernement ne se prononcera et ne peut se prononcer sur les propositions qu’après l’évacuation du territoire belge. »
Se prononcer dans un sens quelconque sur les propositions, serait négocier, serait dévier de la ligne que le gouvernement doit suivre impérieusement.
Or, messieurs, faire adhérer maintenant le roi Guillaume au traité du 15 novembre, c’est-à-dire aux 24 articles, pour les convertir ensuite en un traité direct avec la Belgique, ce serait négocier avant l’évacuation du territoire, ce ne serait plus le système du précédent ministère dans lequel nous sommes rentrés après avoir fait disparaître les dernières objections qu’on lui proposait.
« Ce n’est (continuent les instructions que je cite), ce n’est qu’après l’évacuation du territoire que le gouvernement belge pourra se croire autorisé à se prononcer sur les articles additionnels et explicatifs de la conférence, et à faire connaître son ultimatum, s’il y a lieu.
« Dans le cas où le gouvernement hollandais rejetterait les propositions du protocole n°67, M. le général Goblet saisira cette circonstance pour renouveler ses démarches, pour reproduire les demandes de la Belgique, et pour insister avec une nouvelle force sur la nécessité de l’emploi des mesures coercitives, et de la fixation d’une époque précise et très prochaine. »
Messieurs, d’après les instructions que je viens de citer, nous avons donc constamment combattu dans la conférence une opinion que les adversaires du ministère actuel prétendent avoir été celle de la chambre, bien que je n’en voie pas de traces, dans l’adresse au roi, bien que tous les actes diplomatiques qui vont ont été soumis soient imbus de la doctrine contraire, et que vous n’y avez pas alors opposé la moindre objection ni observation.
Longtemps nos efforts furent inutiles pour faire admettre que la coercition devait nécessairement et immédiatement amener l’évacuation territoriale.
On conçoit en effet que tant qu’il y avait espoir d’amener la Hollande par les voies ordinaires de la négociation à conclure un arrangement définitif et amiable, cette doctrine ne pouvait prévaloir dans la conférence.
Il n’en fut plus de même après que, par son refus de participer à une négociation directe dont la Belgique lui offrait l’occasion, elle se fut placée pour ainsi dire hors la loi.
En vain alors, objecta-t-on, qu’en droit on ne pouvait forcer la Hollande à exécuter un traité auquel elle n’aurait pas probablement adhéré, les nécessités du moment furent seules exécutées et des résolutions furent prises pour satisfaire aux exigences de la Belgique.
Après la non-réussite de la tentative des négociations directes, nous nous sommes trouvés naturellement replacés dans le système du précédent ministère avec cette différence qu’il demandait ce que nous avions acquis le droit d’exiger, c’est-à-dire, l’exécution forcée du traité du 15 novembre, commençant par l’évacuation des territoires.
C’est pour parvenir à ce but que des moyens coercitifs sont en ce moment employés par la France et la Grande-Bretagne.
Messieurs, les détails nouveaux que je viens d’avoir l’honneur de vous communiquer vous donneront, je l’espère, la conviction du peu de fondement des reproches dirigés contre le ministère. De quoi le blâme-t-on en effet ? D’être parvenu à obtenir de deux des puissances garantes du traité l’objet des vœux de la représentation nationale. Je crois, messieurs, qu’il me suffira d’avoir démontré que nous avons scrupuleusement suivi le système auquel vous avez adhéré. Si les résultats qui sont à la veille de se réaliser ne répondent pas encore à la juste impatience de la nation, la faute en est, messieurs, à des causes placées en dehors de la sphère du gouvernement. Jetez les yeux sur la situation de l’Europe et jugez si nous n’avons pas amené les puissances à faire et à laisser faire tout ce qui était moralement et physiquement possible dans les circonstances présentes.
Sachons attendre, messieurs ; il n’y a rien qui doive nous porter à croire que les puissances garantes du traité se bornent au premier pas qu’elles viennent de faire pour arriver au but indiqué par leurs engagements envers nous. Les motifs qui ont mis leurs forces en mouvement subsistent aussi longtemps que toutes les parties du traité ne sont pas exécutées. Je vous le demande, messieurs, pourquoi renonceraient-elles demain à une entreprise qu’elles ont commencée aujourd’hui ? Les événements vont se presser : celui qui occupe en ce moment la scène politique doit nous rassurer complétement sur ceux qui suivront.
M. Milcamps. - Messieurs, je lisais avec satisfaction, dans le discours du trône, prononcé à l’ouverture des chambres, ces paroles remarquables : « Le moment, dit Sa Majesté, est enfin arrivé où j’ai pu répondre aux vœux des chambres en amenant les puissances garantes du traité du 15 novembre à en assurer l’exécution… Deux d’entre elles se sont engagées à commencer l’exécution du traité par l’évacuation immédiate de notre territoire. »
Comment maintenant concilier ces paroles avec ces passages du projet d’adresse ? « Votre Majesté aura eu soin de s’assurer que ce commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique. Elle se sera également assurée que l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg et du Luxembourg n’auront pas lieu avant l’adhésion de la Hollande. Dans ce cas, la nation accueillera avec reconnaissance les fruits de la politique du gouvernement. S’il en était autrement, le ministère aurait méconnu les intentions de la chambre, qui ne pourrait que protester contre l’évacuation préalable du Limbourg et du Luxembourg. »
Il est à regretter, messieurs, que sur un point d’une telle gravité le discours de la couronne et le projet d’adresse laissent de l’incertitude.
Faut-il entendre le discours de la couronne dans ce sens : qu’après la remise qui nous sera faite de la citadelle d’Anvers, nous évacuerons la place de Venloo et les parties de territoire qui, d’après le traité du 15 novembre, ne font point partie du royaume de Belgique ? C’est ce qui paraît résulter de la nature des choses.
Mais je ne puis conclure de là que celle des puissances à qui nous abandonnerons Venloo, la remette immédiatement à la Hollande.
La Hollande ne peut posséder aucune partie de notre territoire qu’autant qu’elle accède sans conditions au traité du 15 novembre. Sans cela quel gage la France et l’Angleterre auraient-elles de l’adhésion de la Hollande à tous les points non réservés ? Quel gage de sûreté et d’amnistie auraient les habitants de Venloo ? Elle ne pourrait résulter, la guerre durant, que d’une capitulation.
Faut-il entendre le projet d’adresse dans ce sens qu’après la remise qui nous sera faite de la citadelle d’Anvers, nous conservions Venloo et les autres points jusqu’à ce que la Hollande ait adhéré à l’exécution du traité du 15 novembre ? Si telle était l’opinion des auteurs de l’adresse, je désirerais qu’ils s’expliquassent sur quoi ils la fondent et comment ils espèrent atteindre ce but.
Quant à moi, examinant la question non en politique, mais par les simples lumières de la raison, évitant tout ce qui appartient à la déclamation, je pense que dès que nous posséderons la citadelle d’Anvers, nous devrons, je le dis avec douleur, abandonner Venloo et laisser cette ville soit à la France, soit à l’Angleterre, soit à toute autre des cinq grandes puissances, à titre de séquestre.
Il s’agit maintenant de justifier cette proposition.
Pour le faire avec ordre, permettez, messieurs, que je remonte un peu haut, et daignez m’écouter avec bienveillance.
Dès le 4 novembre 1830, les cinq puissances s’offrent à la Belgique et à la Hollande comme médiatrices, à l’effet d’arrêter l’effusion du sang, en déclarant formellement de laisser intactes toutes les questions politiques dont les cinq cours pourraient être appelées à faciliter la solution.
Une proposition d’armistice, fruit de la médiation qui nous était offerte, nous est bientôt faite. Nous acceptons l’armistice.
Les cinq cours ne tardèrent pas à expliquer comment elles entendaient leur médiation.
« Occupées à maintenir la paix de l’Europe, il leur appartient, disaient-elles, dans le protocole du 20 janvier, de déclarer qu’à leurs yeux le souverain de la Belgique doit répondre aux principes d’existence du pays lui-même, satisfaire à la sûreté des Etats voisins, accepter à cet effet les arrangements consignés au protocole du 20 janvier. »
Elles y ajoutèrent bientôt les conditions du protocole du 27 janvier ; mais ce n’était qu’une opinion sur un mode d’arrangements que les cinq cours exprimaient : à leurs yeux, les parties doivent souscrire aux conditions de ces protocoles.
La Hollande accepta les arrangements, mais la Belgique les rejeta.
Jusque-là la conférence n’était que simple médiatrice. Cela est si vrai que le 17 avril, les ambassadeurs des cinq cours déclarèrent que si les bases des protocoles des 20 et 27 janvier n’étaient pas acceptées le 1er juin, ils étaient convenus d’une rupture absolue, c’est-à-dire de cesser leur médiation.
La conférence n’a point rompu, loin de là ; continuant sa médiation et trouvant dans le prince de Saxe-Cobourg le souverain qui devait répondre aux principes d’existence du pays, satisfaire à la sûreté des Etats voisins, elle arrêta par un protocole du 26 juin les 18 articles qu’elle proposa aux deux parties.
Voilà encore une simple proposition qu’il était libre aux parties auxquelles elle était faite d’accepter ou de rejeter. Le congrès national l’accepta, mais la Hollande la rejeta.
L’impossibilité de concilier les parties par la voie de la médiation et la considération que les intérêts des deux pays sont liés à des intérêts européens du premier ordre, portèrent les ambassadeurs des cinq cours à arrêter la rédaction des 24 articles.
Ces 24 articles convertis en un traité sous la date du 15 novembre, convenu entre les cinq cours et accepté par la Belgique, forment les décisions finales et irrévocables de la conférence, et les cinq cours se réservent la tâche et prennent l’engagement d’amener l’adhésion de la Hollande. Elles en garantissent de plus l’exécution.
Ici la mission de la conférence prend un autre caractère, faites-y bien attention ; il ne s’agit plus de médiation. Les cinq puissances ne se constituent pas arbitres forcés entre les deux pays, des arbitres sont et doivent être sans intérêt à l’objet soumis à leur délibération. Elles se portent parties dans le différend ; elles s’obligent, puisqu’elles se réservent la tâche, et par conséquent, l’emploi des moyens, et prennent l’engagement d’amener l’adhésion de la Hollande. C’est un intérêt européen qui dicte cet engagement ; c’est envers nous qui, dans notre intérêt particulier, avons accepté le traité, qu’elles contractent cet engagement, c’est pour les puissances une obligation principale. C’est pourquoi la France et l’Angleterre agissent, peuvent et doivent agir à notre exclusion contre la citadelle d’Anvers.
Elles s’obligent de plus à garantir l’exécution du traité : c’est-à-dire qu’elles s’en portent caution. Ainsi les puissances ont contracté deux espèces d’engagement, celui d’abord d’amener par les moyens qu’elles jugeront convenables le consentement, l’adhésion de la Hollande au traité, et celui de nous en assurer ensuite l’exécution.
La France et l’Angleterre ont été invitées par le gouvernement belge à remplir leur obligation principale, celle d’amener l’adhésion de la Hollande, ainsi que l’obligation de garantir en assurant l’exécution du traité.
En provoquant l’exécution de cette double obligation, le ministère n’a certainement pas méconnu les intentions de la chambre.
S’il les a méconnues, ce ne pourrait être qu’en entrant dans des négociations avec la conférence ou la Hollande, dont le but aurait été d’évacuer la place de Venloo et des parties du Limbourg et du Luxembourg, avant que la Hollande n’eût accédé au traité du 15 novembre et n’en eût exécuté ses conditions.
Mais on n’allègue rien de semblable, rien de semblable n’existe dans les pièces diplomatiques qui ont été communiquées à la chambre.
Sans doute il a existé des négociations depuis le traité du 15 novembre, mais dans le but de parvenir à une conclusion entre la Hollande et la Belgique, d’après les bases du traité du 15 novembre ; mais ces négociations sont dans la nature des choses. Il était bien naturel de les épuiser avant d’en venir aux moyens de coercition.
Quelle a été la nature de ces négociations ?
Vous n’attendez pas de moi que je déroule tous les actes, toutes les notes de la diplomatie. Je me contenterai de rappeler succinctement les principales pièces dont il est fait mention dans le rapport de M. de Muelenaere, ministre des affaires étrangères, dans la séance du 12 juillet, et dans le rapport de M. Goblet, ministre des affaires étrangères, dans la séance du 16 du présent mois.
Il est énoncé dans le premier de ces deux rapports que dans la séance du 12 mai 1832, en portant la ratification russe à la connaissance de la chambre, M. de Muelenaere déclarait que le gouvernement belge refuserait de prendre part à de nouvelles négociations avant que le traité n’eût reçu un commencement d’exécution dans toutes ses parties non sujettes à négociation, c’est-à-dire qu’il exigerait avant tout que le territoire belge fût évacué.
C’est ce même jour, 12 mai, qu’il exposait à la chambre que le plan adopté par le gouvernement avait reçu un commencement d’exécution par la note que M. Van de Weyer avait remise à la conférence, et que les journaux avaient publiée.
Quelle était la substance de cette note ? La voici :
« Le soussigné (M. Van de Weyer) demande au nom de S. M. le roi des Belges l’évacuation des places, villes et points occupes par les troupes hollandaises sur le territoire belge ; il ajoute que, si au 25 mai la citadelle d’Anvers et les autres points occupés n’étaient pas évacués, et que la navigation de la Meuse ne fût pas libre, la Belgique se trouverait dès lors libérée de tous les arrérages de la dette… »
Si ma mémoire est fidèle, c’est à cette occasion que la chambre et une foule d’orateurs de l’opposition imposèrent à M. le ministre des affaires étrangères, de la manière la plus formelle, la remise de la note du 11 mai. Voyons également la substance de cette note.
« Si le Roi des Belges pouvait se montrer disposé à ouvrir des négociations, ce ne pourrait être qu’après que le traité aurait reçu un commencement d’exécution dans toutes ses parties à l’abri de controverse ; ce commencement d’exécution consisterait au moins dans l’évacuation du territoire belge. »
Certes ! nous ne pouvons méconnaître d’avoir approuvé cette note qui n’a pas été remise, et l’on en sait la cause, mais qui n’était qu’une répétition de celle remise par M. Van de Weyer, le 7 du même mois.
L’adresse de la chambre du 14 mai 1832 était-elle en opposition avec le plan et la marche du ministère ? J’y trouve ce passage paragraphe 4, « que le traité doit être exécuté tel qu’il a été conclu ; que ce n’est qu’après cette exécution qu’il pourrait être question d’ouvrir des négociations dont parlent les réserves. » J’y remarque encore cet autre passage paragraphe 5, « le traité sera exécuté, notre territoire sera évacué. »
Mais, n’est-ce point dans ce sens que l’ancien ministère a agi ? Dans sa note adressée à la conférence de Londres le 1er juin 1832, M. le général Goblet, envoyé extraordinaire, déclare que, se référant à la note remise par M. Van de Weyer, le 7 mai, il est chargé d’ajouter que S. M. le Roi des Belges a pris la résolution de ne participer à aucune négociation sur les points qui sont l’objet des réserves, avant l’évacuation du territoire irrévocablement reconnu à la Belgique.
Lisez la réponse faite par la conférence le 11 juin 1832 :
« Les notes remises par le général Goblet, les 29 juin et 31 août 1832, où dans la dernière surtout les envoyés belges insistent au nom de S. M. sur la nécessité de l’exécution immédiate du traité du 15 novembre par l’emploi des moyens coercitifs, etc., », et vous aurez la mesure du système et de la marche suivis par l’ancien ministère.
Avons-nous désapprouvé ce système, cette marche ? Non, messieurs, je crois l’avoir démontré.
Le ministère actuel en a-t-il dévié ? Ce qui arrive aujourd’hui est-il autre chose que la conséquence directe, l’exécution littérale du système de l’ancien ministère ?
C’est le 18 septembre que M. Goblet est arrivé au pouvoir.
Le 20 il donne M. Van de Weyer l’autorisation d’ouvrir avec la Hollande une négociation définitive et de courte durée sans entendre par là porter aucune atteinte aux droits de S. M. le roi des Belges.
C’était une dernière tentative dans l’intérêt du maintien de la paix. Elle n’eut aucun résultat.
Mais dès le 5 octobre, convaincu qu’il n’y avait plus, pour arriver à l’exécution du traité du 15 novembre, que l’emploi des forces matérielles, le ministre actuel des affaires étrangères, d’après l’ordre formel de S. M. le roi des Belges, réclama du roi des Français et du roi d’Angleterre l’exécution de la garantie stipulée par l’article 25 du traité du 15 novembre 1831.
De là la convention entre la France et l’Angleterre en date du 2 octobre que vous connaissez.
Cette convention, il faut le dire, ne répond pas entièrement au vœu des chambres et du gouvernement, puisqu’elle admet en principe l’évacuation réciproque des territoires avant l’adhésion de la Hollande.
Les 23 et 24 octobre, alors que cette convention n’était pas encore connue, notre ambassadeur à Paris insista auprès des ministres français et anglais pour l’évacuation du territoire belge au 3 novembre, soit par l’action des puissances, soit par l’armée nationale ; que telle était la condition d’existence du nouveau ministère belge.
Mais cette convention du 22 octobre n’est-elle pas la conséquence directe, l’exécution littérale de la disposition du traité du 15 novembre, par laquelle les cinq puissances dans un intérêt européen du premier ordre se sont réservé la tâche (conséquemment l’emploi des moyens) et ont pris l’engagement d’amener 1’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité, quand même la Hollande commencerait par s’y refuser ?
En acceptant le traité du 15 novembre, ne sommes-nous pas soumis à être contraints d’évacuer les portions de territoire hollandais, que nous occupons ? Avons-nous mis des conditions à cette évacuation pour le cas où la Hollande n’adhérerait point ? Enfin, n’avons-nous pas laissé sans restriction aucune, aux cinq puissances, la tâche d’amener l’adhésion de la Hollande, et le mode d’y parvenir ? C’est dans ce dernier sens du moins que la France et l’Angleterre ont interprété leur engagement, puisque les ministres de ces deux puissances par leurs notes signifiées le 30 octobre, au nom de leurs gouvernements, ont demandé que S. M. le roi des Belges voulût bien faire connaître si elle consent à faire évacuer, le 12 novembre, la place de Venloo et les territoires qui ne font pas partie du royaume de Belgique. Et dans le cas où une réponse formelle et satisfaisante à cet égard ne serait pas faite le 2 novembre, les ministres français et anglais déclaraient que des forces de terre et de mer seraient mises en mouvement par les deux gouvernements, pour amener ce résultat. Ainsi, si nous nous étions refusé à l’évacuation, nous allions y être contraints.
M. Goblet, ministre des affaires étrangères, répondant à cette signification, a fait connaître qu’il avait reçu l’ordre de déclarer que S. M. le roi des Belges consent à faire évacuer le 12 novembre la place de Venloo, les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que les portions de territoire qui ne font pas partie du royaume de Belgique.
Le ministère en notifiant cette déclaration a-t-il méconnu les intentions de la chambre ? Oui et non, suivant le paragraphe 4 du projet d’adresse (On rit.). Je recommencerai ma phrase, messieurs, car on paraît ne l’avoir pas comprise.
L’orateur, après avoir répété la question et la réponse, continue en ces termes : Oui, si l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg et du Luxembourg ont lieu avant l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité.
Non, si l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg et du Luxembourg n’ont pas lieu avant l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité.
Mais, au nom du ciel, qu’on veuille m’expliquer le sens de ce paragraphe 4 de l’adresse.
Si le ministère, en consentant à l’évacuation de Venloo et des parties du Limbourg et du Luxembourg qui ne font pas partie du royaume de Belgique, a méconnu les intentions de la chambre, le ministère est jugé, puisque ce consentement formel, il l’a donné par sa note du 2 novembre. Les auteurs du projet d’adresse le savent. Pourquoi, lorsque les actes du ministère sont exposés dans tout leur jour, pourquoi se livrer à des hypothèses ? Si, dans ce cas…, etc. »
Pouvez-vous rendre le ministère responsable des conséquences d’un acte, d’un fait qu’il vous soumet ? Mais commencez donc par juger l’acte et le fait. Car, si le ministère a commis une faute, la faute existe dans l’acte lui-même et non dans la conséquence qui en résultera.
Si vous avez la conviction que la déclaration du 2 novembre est funeste à la Belgique, dites-le ; proposez le blâme de l’acte du ministère. Alors nous aurons à examiner si ce blâme est fondé, alors si nous ne partageons pas votre conviction nous combattrons vos arguments, et du choc de la discussion jaillira la lumière. Mais si nous ne discutons point, si nous ne raisonnons point sur des choses positives, si nous ne discutons, si nous ne raisonnons que sur des hypothèses, aucun résultat ne sera possible, et chacun se demandera que signifie donc ce paragraphe 4 de l’adresse.
Pour moi je repousserai l’adresse, si la rédaction du paragraphe 4 est maintenue.
M. Levae. - Lorsque nous voyons d’un côté confier aux baïonnettes d’une armée française une tâche que notre armée était jalouse de remplir, et que, d’un autre côté, nous voyons des masses prussiennes s’approcher de nos frontières, la Belgique, justement alarmée, a droit d’attendre de ses représentants autre chose qu’une insignifiante paraphrase du discours du trône, dans laquelle nos commettants ne trouveront ni l’expression de leurs vœux, ni celle de leurs besoins.
A la vérité, on parle bien dans le projet d’adresse des vifs et justes regrets que continuent à exciter les habitants des parties de la Belgique dont le sort a été douloureusement séparé du nôtre, ou, poux parler avec plus de sincérité, que nous avons repoussé inhumainement sous le joug de la Hollande, après les avoir appelés à la liberté, Et l’on vous propose, messieurs, de demander au gouvernement de s’assurer que l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg et du Luxembourg n’auront pas lieu avant l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité. Je proteste avec indignation contre ces précautions égoïstes ; je repousse de toutes mes forces l’expression de cet intérêt hypocrite que l’on manifeste dans le projet, pour ceux de nos compatriotes dont nous avons fait un odieux trafic, et que nous gardons, en quelque sorte, comme des otages pour les livrer à la Hollande quand ils ne pourront plus nous être utiles.
Messieurs, depuis l’époque fatale à laquelle nous avons accepté les conditions désastreuses du 15 novembre, notre position politique est tout à fait changée.
Lorsque nous nous laissâmes imposer ce traité injuste et partial dont le précédent ministère n’osa proposer l’acceptation que parce que nous étions placés sous l’empire de la nécessité, les chambres furent animées par le désir d’éviter à notre patrie la calamité d’une nouvelle lutte, à l’Europe la crainte d’une guerre générale ; elles voulurent mettre un terme à de longues, à de pénibles incertitudes, qui tuaient notre industrie et qui ôtaient à notre commerce une partie de ses débouchés. Cet espoir fut complétement déçu.
Ce traité, que la conférence avait déclaré contenir ses décisions finales et irrévocables qu’elle prétendait fondées sur des principes d’équité incontestables, on vient encore aujourd’hui lui faire subir de nouvelles modifications ; ce n’est plus qu’un chiffon de papier qu’on se prépare à déchirer.
Après une année de souffrances, d’inquiétudes et de délais préjudiciables à la Belgique, nous sommes placés dans la dure nécessité de subir l’intervention française, de nous exposer à toutes les chances de la guerre.
Et nous nous bornerions encore à réclamer l’exécution pure et simple du traité des 24 articles ! Que dis-je, nous nous montrerions même disposés à faire de nouveaux sacrifices !
Nous, messieurs, vous n’approuverez point cette politique timide, car ce serait souscrire de nouveau à notre honte et à notre ruine.
Les conditions sous lesquelles nous avons accepté la paix n’ont pas été admises par la Hollande ; la conférence elle-même n’a pas respecté les engagements qu’elle avait contractés envers nous.
C’est pour la paix immédiate, c’est pour la libre navigation de l’Escaut, c’est pour le passage par les eaux de la Meuse, c’est enfin pour l’évacuation de la citadelle d’Anvers que nous avons cédé diverses parties de notre territoire.
Eh bien ! Messieurs, nous n’avons pas la paix ; la navigation de l’Escaut n’est pas libre, les eaux de la Meuse sont interdites à nos bâtiments et nous sommes forcés de recourir à la force des armes pour nous mettre en possession de la citadelle.
Le traité des 24 articles n’existe donc plus ; il a été anéanti par l’obstination de notre ennemi.
Il ne saurait donc être question d’évacuer Venloo et les parties du territoire que nous avions cédées à la Hollande.
Le moment est venu pour la Belgique de faire preuve de fermeté, de prouver aux ennemis déclarés ou secrets de son indépendance qu’elle n’est pas aussi abattue qu’ils se l’imaginent.
Eh quoi ! messieurs, les ennemis même du roi Guillaume rendent justice à la fermeté qu’il déploie dans les négociations diplomatique ; et nous, nous ne monterions que faiblesse, nous ferions concessions sur concessions !
Nous n’avons que trop souvent cédé : il faut enfin s’arrêter dans la route rétrograde que la révolution a suivie depuis le moment où elle permit à la conférence de venir se mêler de nos affaires ; il faut enfin, comme notre ennemi, nous montrer décidés à n’abandonner aucune partie de notre territoire.
L’antique réputation du nom belge est déjà assez compromise ; l’espoir de ne pas consommer un hideux sacrifice nous est présent. Hâtons-nous de répudier le traité du 15 novembre, cette œuvre de perfidie et de mensonge, hâtons-nous de nous lasser d’un grand crime ; car, messieurs, lorsque nous sacrifiâmes une nombreuse population qui s’était soulevée avec nous, qui avait combattu dans nos rangs, qui versa son sang avec nous et pour nous, la Belgique commit un crime que l’histoire peut-être ne lui pardonnera pas.
Nos concitoyens de Venloo, du Limbourg, du Luxembourg ont en ce moment les yeux fixés sur nous ; ils attendent votre décision avec anxiété. Dites-leur par votre adresse au monarque : « Non, nous ne voulons pas que notre monarchie naissante soit déshonorée par vos justes imprécations ; nous ne voulons point, après vous avoir appelés à la liberté, vous forcer par un lâche abandon à courber votre tête sous le joug de vos anciens oppresseurs. Notre union a été cimentée sur les champs de bataille ; vous êtes Belges, vous êtes nos frères, vous le resterez. »
M. Desmet. - Messieurs, s’il est vrai que le nouvel Etat belge a été reconnu par les puissances de l’Europe (de quoi cependant il m’est permis de douter), il est encore bien plus vrai, il me semble, que nous ne touchons pas à la solution des principales difficultés que nous offrent nos affaires à l’extérieur ; au contraire, je les vois de plus en plus mises en question, et les réserves qu’exprimaient les dernières ratifications qui ont été échangées par notre envoyé à Londres, contre le gré de la nation et de ses représentants, ont rejeté la Belgique dans l’incertitude sur l’ensemble de ce traité qui nous réveille tant de souvenirs douloureux, et pour lesquels on cherche en vain une seule consolation.
Après le sacrifice d’une partie de nos frères du Limbourg et du Luxembourg et tant d’autres concessions ruineuses, auxquelles on s’était prêté avec si peu de prévoyance et par trop de faiblesse, les cabinets du nord, au lieu de ratifier purement et simplement, comme l’ont fait la France et l’Angleterre, le traité du 15 novembre, et de garantir l’exécution de tous les articles, ont mis de telles restrictions, qu’on peut dire qu’il n’existe plus, et n’entraîne aucune obligation envers les parties contractantes, car la liberté de l’Escaut comme la cession de la partie cédée du Luxembourg ne se trouvent plus garanties.
Cependant, la cession de la partie du Limbourg que le traité nous fait abandonner n’est faite qu’en échange de la partie du Luxembourg qui nous est cédée ; aussi longtemps donc que l’adhésion de cette cession n’est unanime et certaine de la part des cinq puissances, nous ne devons céder la partie du Limbourg ; et personne n’a le droit de nous y forcer, comme de son côté notre gouvernement n’a pas le pouvoir de faire la cession de ce territoire sans en avoir obtenu auparavant l’assentiment de la législation, et c’est pourquoi j’appuie de toutes mes forces le paragraphe du projet d’adresse qui blâmerait tout acte du gouvernement par lequel il aurait consenti à une pareille cession, et, en mon particulier, je proteste formellement contre l’acte du ministère par lequel il aurait promis d’évacuer, à une époque déterminée, Venloo et le territoire cédé du Limbourg ; je le fais en vertu d’un droit que me donne la constitution.
Et qu’on ne vienne point nous donner pour excuse que le ministère a agi d’après les vœux des chambres, exprimés dans leurs adresses respectives ; jamais les représentants de la nation n’ont émis le vœu d’évacuer la place de Venloo et de céder la partie du Limbourg, avant que la Hollande eût adhéré à tous les articles du traité ou que les puissances l’eussent forcée à donner son adhésion. Jamais il n’est entré dans leur pensée de faire une cession quelconque et à qui que ce soit avant que l’indépendance de la Belgique fût assurée et que le traité fût entièrement mis en exécution à son égard.
Elles avaient demandé que la citadelle d’Anvers et les autres parties de la Belgique occupées par les Hollandais fussent évacuées, avant d’entamer des négociations particulières avec le gouvernement hollandais, et cela pour avoir une garantie de la bonne foi et de la sincérité des puissances, mais jamais elles n’ont voulu faire dépendre l’évacuation de la citadelle d’Anvers de celle de Venloo ; elles connaissaient trop toute l’importance de cette place et que dans le besoin elle devait nous servir pour envahir le territoire hollandais, comme elle nous aurait été un boulevard contre les attaques des absolutistes du nord, quand ils voudront mettre en œuvre leur perfide projet de venir nous dominer et nous soumettre à la restauration ; car, messieurs, nous ne pouvons pas nous aveugler, c’est là toujours leur pensée unique, et le tracé de leur marche diplomatique ; quoique les trois puissances aient eu l’air de reconnaître notre indépendance, toujours elles ont conservé une ouverture à la chicane, pour que, quand le moment propice sera arrivé, elles puissent fondre sur nous et sans obstacle nous faire subir la loi de la restauration.
Et rien ne pouvait mieux servir leur tactique machiavélique que le système d’évacuation préalable.
Soyons donc sur nos gardes, messieurs, défions-nous du système dangereux de M. Goblet, et n’oublions pas combien de fois nous avons été près de notre perte ; à l’intérieur comme à l’extérieur, on ne cesse de tramer contre l’indépendance de notre patrie ; les mêmes qui ont pris part dans les conspirations de Borremans et de Grégoire n’ont pas perdu courage, et leurs efforts ne sont pas encore épuisés, n’en doutez pas !
Moi aussi, je ne puis le dissimuler, ma sympathie est grande pour le peuple français ; sa cause nationale est la même que la nôtre, et nous trouvons dans lui un digne et généreux allié ; il court les mêmes dangers de restauration, comme des tentatives d’assassinat viennent tout récemment de le prouver ; mais cependant, je dois le demander, que viennent faire ici dans ce moment ses soldats ? Est-ce pour chasser les Hollandais d’Anvers ? Nos troupes pouvaient le faire ; pour cela nous n’avions pas besoin d’intervention étrangère. Est-ce pour faire mettre en exécution les 24 articles du traité du 15 novembre ? Leur mission ne le leur permet point ; la convention du 22 octobre ne porte que sur l’évacuation de la citadelle, et cette besogne faite, ils doivent battre en retraite et rentrer chez eux.
Quel service vient donc nous rendre l’armée française ? Je n’en vois aucun ; au contraire il me semble que notre position va être rendue plus précaire ; car se flatte-t-on de trouver Guillaume plus flexible après l’évacuation ? Il est assez malin d’esprit pour pouvoir apprécier combien la présence seule des troupes françaises sur notre territoire a augmenté la défiance des puissances du nord, et au lieu de songer à faire quelques concessions, son entêtement ne fera que s’endurcir et ses prétentions qu’augmenter.
On dirait même que c’est aussi la crainte du ministère, si j’ai bien compris M. Goblet dans le rapport qu’il nous a lu dans la séance du 16, lorsqu’il a dit que des difficultés attendaient la diplomatie belge ! Cependant, messieurs, la coupe des concessions est vidée pour nous, et puisqu’enfin l’intervention française a lieu, tâchons par notre attitude ferme qu’elle le soit du moins pour nous conduire à une fin heureuse de nos affaires, et que cette année ne nous quitte plus avant que toutes les difficultés soient aplanies et notre indépendance assurée.
Si notre armée, qui a coûté tant de millions, doit rester l’arme au bras, du moins j’espère que dès l’instant même que le feu hollandais aura fait le moindre dégât à une propriété belge, elle pourra agir, et que nous ne pousserions pas la pusillanimité à un tel point que nous demanderions à la conférence la permission d’allumer une mèche. C’est en quoi je voudrais voir amender le paragraphe du projet d’adresse qui a trait à notre armée.
A ceci, il me semble, devrait dans ce moment se borner la discussion de l’adresse, car tout est pour nous dans la question extérieure : si nous n’avons point d’existence et qu’elle ne soit indépendante, que nous servent les affaires de l’intérieur ? Mais comme on a touché dans le projet différentes branches de l’administration intérieure, je me permettrai quelques observations à leur égard.
Il est vrai qu’au lieu de juges amovibles, nous avons obtenu des nominations à vie ; mais je ne puis dire que les vœux de la nation ont été entièrement accomplis dans cette matière, et je me flatte que le gouvernement ne trouvera pas à satisfaire à sa promesse et au vœu de la loi de nous présenter pendant la session présente une nouvelle circonscription des arrondissements judiciaires et des cantons de justice de paix.
Déjà nous touchons à la fin de novembre ; comment donc pourrait-on nous présenter encore assez tôt les budgets de l’exercice de 1833 et les voter avant l’année prochaine ? On voudra derechef nous faire voter de confiance des crédits provisoires ; je ne sais si cela conviendra à tous les membres de la chambre, mais ce que je sais positivement, c’est que la faute doit être uniquement attribuée au ministère que le temps nous manquera pour discuter les budgets. Pourquoi n’a-t-il pas voulu convoquer en temps les chambres ? Heureusement que la constitution était là ; car, sans cette disposition salutaire qu’elle a consacrée pour nous réunir de droit à un jour déterminé, j’ai tout lieu de croire que cette année on avait envie de se passer des chambres législatives.
Je ne puis dire que le régime d’impôts sous lequel nous vivons soit aussi doux et aussi modéré que le ministère veut bien nous le faire comprendre ; nous avons encore la plupart des lois de finances, qui sous Guillaume ont été dans la catégorie des griefs qui nous a fait secouer son joug ; les fiscalités n’ont pas cessé, au contraire elles n’ont fait que croître, et les mêmes hommes qui les exerçaient alors ont encore les mêmes places et le même pouvoir pour vexer les contribuables et gêner leur industrie.
Il est certainement à désirer que la loi sur la garde civique soit révisée, car elle présente beaucoup de défectuosités. Mais cependant ce n’est pas aux défectuosités seules de la loi que nous devons attribuer la désorganisation presque complète de notre garde nationale : si on avait songé sérieusement à vouloir la conserver et la mettre sur un bon pied de guerre, je suis certain que la nation entière serait courue au-devant des désirs du gouvernement ; mais il a paru qu’on avait peur de laisser sous les armes cette troupe citoyenne, comme il semble qu’on est dégoûté de la blouse et qu’on voudrait nous faire oublier que ce vêtement consacré par la loi a fait l’honneur de la Belgique dans les glorieuses journées de notre révolution.
Je réserve mon vote sur l’ensemble du projet d’adresse jusque après la discussion, mais je me flatte que la chambre en retranchera ce douloureux passage qui concerne le sort de nos malheureux frères du Limbourg et du Luxembourg ; quoique vendus, ils ne sont pas encore livrés et que jusqu’alors nous avons l’espoir de conserver et celui que la providence, dans sa justice, exaucera nos vœux et ne permettra que le sacrifice de ces victimes soit consommé.
Et d’un autre côté, je ne puis croire que la chambre fprmera son adresse sans penser à ce malheureux compatriote qui gémit depuis si longtemps dans les fers de Guillaume et qu’elle répétera ses vœux pour la délivrance du sénateur Thom et permettez-moi, messieurs, que je saisisse cette occasion pour proposer à la chambre de voter en reconnaissance de son patriotisme et de sa prévoyance, des remerciements à notre honorable collègue du Luxembourg, qui a su procurer au gouvernement un otage, qui doit nécessairement faire approcher le terme de cette délivrance.
M. de Nef. - Messieurs ! en approuvant en général le projet d’adresse, qui est aujourd’hui soumis à notre délibération, je ne puis cependant pas donner mon assentiment au paragraphe qui tend à obliger le ministère à évacuer les parties du Limbourg et du Luxembourg, qu’après l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité, et malgré que notre territoire serait entièrement libre et délivré de la présence de l’ennemi.
Avant de nous séparer vers la fin de la dernière session, nous avons-nous-mêmes indiqué l’évacuation du territoire comme devant précéder toute négociation sur les autres parties du traité ; le gouvernement est à la veille d’obtenir ce résultat par l’intervention de la France et de l’Angleterre, et c’est alors que nous irions l’entraver dans sa marche en protestant contre des engagements qu’il peut avoir contractés que l’honneur ne permet pas de violer.
D’un autre côté, messieurs, la conservation des parties du Limbourg et du Luxembourg n’est pas le principal moyen que nous avons pour forcer la Hollande à l’exécution du traité ; ce moyen principal et que nous ne devons pas abandonner, c’est le refus d’acquitter notre part dans la dette avant l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité.
Dans le moment de crise où nous nous trouvons, le gouvernement a besoin de toute sa force ; n’allons donc pas paralyser son action par une opposition dont rien, jusqu’à présent, ne démontre la nécessité, qui pourrait avoir pour résultat de nous priver de l’appui de nos véritables alliés. Le ministère, d’ailleurs, doit comprendre sa position, et aucun motif n’existe, selon moi, pour lui retirer notre confiance, et croire qu’il abusera de la liberté que nous lui laisserions, d’agir suivant les circonstances, et, dans l’intérêt bien entendu du pays.
M. le président. - La parole est à M. Deleeuw.
M. Deleeuw. - Il me semble que l’attention de la chambre, longtemps soutenue, peut être fatiguée ; comme je dois entrer dans quelques développements, je demande que l’on veuille bien ne m’entendre que demain.
- Une voix. - Il faut clore la discussion générale !
- D’autres voix. - Il faut continuer ! A demain ! à demain !
M. de Haerne. - Comme il reste encore quelques instants avant l’heure accoutumée où finit la séance, je désire les mettre à profit, en présentant plusieurs observations. Je suis d’ailleurs inscrit pour parler.
Messieurs, j’ai examiné rapidement le discours du trône, et je l’ai comparé au rapport du ministre des affaires étrangères ; j’ai fait quelques réflexions sur ces deux pièces qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre.
J’ai depuis confronté les pièces avec le projet d’adresse, et il résulte de ce travail que, dans mon opinion, le projet d’adresse me paraît trop vague et trop pâle sous plus d’un aspect.
Et d’abord, messieurs, il me paraît que la désapprobation du système suivi par le ministère n’est pas assez complétement tracée ; j’aurais voulu que le projet d’adresse désavouât nettement et entièrement la marche suivie par le gouvernement, quant au principe qu’il a adopté et quant à ses suites. Quant au principe, je veux dire ce qui concerne les ratifications avec des réserves, les ratifications de la Prusse, de l’Autriche, ainsi que les ratifications de la Russie qui ont suivi les premières.
Le projet d’adresse renferme deux parties : l’une relative à l’intérieur, l’autre aux questions extérieures. Quoique les questions intérieures soient d’une grande importance, je crois cependant que pour le moment nous pouvons nous dispenser d’entrer dans de longs détails sur cet objet, parce que la question étrangère est beaucoup trop grave, et doit occuper la chambre exclusivement.
Le ministère, dans le discours du trône (car il est convenu d’attribuer ce discours au ministère), a parlé des faits qui se seraient accomplis depuis la clôture de la dernière session, et entre autres de la reconnaissance de la Belgique et de son Roi.
Messieurs, personne plus que moi ne désirerait que la reconnaissance de la Belgique, par les cinq puissances, fût un fait accompli. Ce n’est pas qu’il faille attacher à cette reconnaissance toute l’importance qu’y met le ministère ; car cette reconnaissance, quand elle serait sincère, ne serait encore qu’une vaine formule aux yeux des rois. Si au fait de la révolution venait se substituer le fait de la restauration, vous verriez si la reconnaissance de ce dernier se ferait longtemps attendre.
Si le ministère ne parlait pas de cette reconnaissance pour enlever à la représentation nationale de nouvelles concessions, je garderais le silence ; mais dans les circonstances actuelles je dois dire toute ma pensée.
Non, messieurs, la reconnaissance n’est pas réelle ; elle est fictive ; elle est conditionnelle.
Il s’est agi, plus d’une fois, dans cette chambre, de cet objet. On a démontré plus d’une fois que cette reconnaissance n’était rien aux yeux des puissances, n’était qu’un fait que les cabinets nieraient plus tard ; et on a cité à cet égard les usages diplomatiques. On a prouvé que d’après ces usages, lorsqu’un peuple se soustrait à la domination d’un souverain, les cabinets ne reconnaissent l’indépendance du peuple qu’autant que le souverain répudié la reconnaît lui-même.
Plus tard il est survenu un surcroît de preuves sur ce point. Vous avez vu les ratifications de l’Autriche et de la Prusse, ratifications suspensives et qui remettaient en question le traité des 24 articles et l’existence de la Belgique. En effet, elles s’en réfèrent à la diète germanique, laquelle ne peut ratifier les concessions de territoire que du consentement de chacun des membres de la confédération et du souverain dépossédé lui-même. Par conséquent l’Autriche et la Prusse n’ont consenti les 24 articles qu’à condition que le roi y adhérât.
Mais il y a plus : j’ouvre un rapport fait à la chambre par le ministre des affaires étrangères et où je vois un projet de traité entre les cinq puissances d’une part, et le roi de Hollande de l’autre.
Ce traité est conçu en trois articles, où il est dit formellement que la reconnaissance de la Belgique n’est envisagée que comme une dérogation aux traités de Vienne. Il n’est question dans ce projet de traité que de la séparation administrative de la Belgique et de la Hollande ; toutes les autres parties du traité de Vienne relatives à la Belgique restent intactes. En conséquence, on peut en inférer que les puissances n’ont nullement reconnu notre royauté constitutionnelle.
Je me serais abstenu de ces détails, si le ministère n’abusait sans cesse de la prétendue reconnaissance pour arracher de nouvelles concessions aux chambres.
Lorsque MM. Bresson et Cartwright sont venus faire des propositions au gouvernement provisoire, et plus tard lorsqu’il s’est agi de l’élection du Roi, on a prétendu que les puissances avaient reconnu la Belgique : on a dit la même chose lors de la discussion des 24 articles. Une Belgique qui a besoin d’être reconnue tant de fois est une Belgique bien faiblement constituée aux yeux des puissances.
On assure que la restauration est une chimère ; et c’est le ministre de la justice qui vient de nous le dire...
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je n’ai pas dit cela !
M. de Haerne. - On prétend que la marche du ministère ne tend pas à la restauration : c’est le ministère qui le dit ! Cependant la marche du gouvernement nous entraîne sans termes vers de nouvelles concessions.
Je n’ai pas besoin de déclarer que je ne suis pas partisan de la restauration. J’envisage la restauration comme le plus grand fléau qui puisse peser sur la Belgique : quoi qu’il en soit, il n’en est pas moins vrai que le système du ministère conduit à cette fatale restauration.
Le ministère est à genoux devant la conférence ; que veut la conférence ? Ce que veut le roi Guillaume.
Le problème politique qui se présente peut se mettre en équation : on peut dire : « Le gouvernement de la Belgique est à la conférence ce que la conférence est au roi Guillaume. » Cela me paraît d’une rigueur algébrique. (On rit.)
Le principe du système ministériel, c’est l’adoption des ratifications avec réserves. Par cette adoption le traité des 24 articles est entièrement faussé : ou bien le ministère est forcé de rejeter les ratifications conditionnelles, ou bien il n’existe plus, selon moi, de traité des 24 articles. Voilà le dilemme que je propose au ministère.
Vous savez, messieurs, que j’ai plus d’une fois appelé votre attention sur ce point important. Lorsque j’ai vu les ratifications conditionnelles, j’ai compris le piège de la diplomatie. Aussitôt que les ratifications de l’Autriche et de la Prusse nous furent soumises par M. le ministre des affaires étrangères, j’ai dit ce qu’il en résulterait ; et vous voyez maintenant les conséquences du principe adopté par le gouvernement.
La Russie est venue compléter cette œuvre de déception. Dès que sa ratification nous fut connue, j’ai interpellé le ministère afin de savoir quelles étaient ses intentions à l’égard de notre ambassadeur qui avait consenti cet acte d’iniquité.
M. le ministre des affaires étrangères a hésité. Dans ses réponses ; il a tergiversé ; il n’a pas fait voir sa pensée entière, mais il a laissé entrevoir l’espoir du renvoi de cette ratification trompeuse. D’après cet espoir donné par le ministère précédent, les chambres n’ont jamais accepté formellement les ratifications avec des réserves faites par la Prusse, l’Autriche et la Prusse.
Nous ne pouvons, a dit un orateur, nous ne pouvons nous soustraire au traité du 15 novembre. Messieurs, je conviens que le ministère doit suivre la voie, la ligne qui lui a été tracée par la représentation nationale.
Je conviens qu’il doit s’en tenir au traité des 24 articles ; mais entre ce traité tel qu’il a été compris par les chambres, lorsqu’elles y ont donné leur consentement, et le traité des 24 articles avec les réserves des trois puissances, il y a une distance immense, distance que nous ne pouvons même pas apprécier dans toute son étendue, puisque nous ne savons pas ce qui va découler du système des concessions.
Après le système du ministère précédent, est venu celui du ministère actuel, ou le système de M. Goblet. Jusqu’à un certain point ce dernier système me paraît la conséquence du précédent, car le ministère précédent s’est rendu coupable de grandes faiblesses.
Dans la diplomatie, lorsqu’on est faible, lorsqu’on veut rester stationnaire, on recule. Ainsi l’on peut dire que la voie a été préparée à M. Goblet par M. de Muelenaere.
Le système de M. Goblet se résume en deux points : d’abord commencement de négociation avant l’évacuation du territoire ; et par conséquent ce système est contraire aux adresses des chambres. En second lieu, évacuation du territoire contrairement au 24ème article du traité du 15 novembre ; car le ministère ne pouvait consentir à l’évacuation du territoire qu’après que le traité eût été adopté par la Hollande, eût été un traité formel et susceptible d’exécution. Il n’est pas raisonnable de soutenir qu’il faut exécuter un traité qui n’est pas un véritable traité. Jamais les chambres n’ont entendu autrement les choses.
Il vous a été dit, par M. Nothomb, que demander l’évacuation préalable du territoire, et demander l’adhésion de la Hollande aux traités, c’étaient deux choses inconciliables (M. Goblet a tenu à peu près le même langage) ; mais on a établi cette distinction sur de vaines subtilités, Il n’est nullement contradictoire de demander l’adhésion de la Hollande au traité et de demander l’évacuation préalable : car l’évacuation suppose l’exécution du traité accepté par toutes les parties, et ou n’exécute pas un traité qui n’en est pas un ; et l’adhésion de la Hollande avait toujours été une condition du consentement de la Belgique aux 24 articles.
Il a été parlé de la note du 11 mai par M. Goblet : c’est argumenter du silence de la chambre contre des décisions antérieurement prises.
La note du 11 mai peut être invoquée à l’appui du système du ministère ; jamais cette note n’a reçu l’adhésion de la chambre.
Et si la commission des adresses du mois de mai a eu connaissance de cette note, il suffit que les adresses n’en aient pas parlé explicitement, pour qu’on ne puisse pas en tirer un argument en faveur du ministère. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les chambres ont eu confiance dans le ministère ; qu’elles se sont bornées à observer ses mouvements et à voir comment il se conduirait.
Je ne puis m’empêcher de dire un mot sur l’expédition française et anglaise, expédition entreprise pour l’exécution partielle des 24 articles. Cette intervention étrangère me paraît préjudiciable en principe. Il est de règle générale que celui qui invoque l’assistance d’autrui se met jusqu’à un certain point dans la dépendance d’autrui.
Mais, si cette intervention avait un but utile pour la Belgique, je ne m’y opposerais pas. Nous savons quelle combinaison a amené l’intervention ; nous savons que si deux puissances exécutent le traité dans un sens, les autres puissances l’exécutent dans un autre sens. Si certain protocole n°65 n’existait pas, nous pourrions croire que l’intervention est utile ; mais ce protocole 65 a été signé par la France elle-même ; et il s’ensuivra que lorsque les Français se seront emparés de la citadelle d’Anvers et que les Prussiens se seront emparés du Limbourg, on recommencera les négociations et on vous forcera à faire de nouvelles concessions. C’est le système du Foreign-Office transporté sur les champs de bataille, ce sont des protocoles qu’on vous présentera au bout des baïonnettes. (Sensation.)
Nous ne pouvions, a dit un orateur, exécuter le traité des 24 articles par nous-mêmes, Mais s’il en est ainsi, je ne vois pas pourquoi le ministère nous a demandé de si grands sacrifices, des sacrifices d’hommes et d’argent. Si notre armée est condamnée à rester spectatrice des opérations militaires auxquelles les hautes puissances veulent bien se livrer sur notre territoire, il me paraît que ces sacrifices étaient complétement inutiles.
Et, messieurs, je ne parle pas de tout ce qu’il y a de blessant, de contraire à l’honneur national dans cette intervention de troupes étrangères qui viennent faire exécuter un traité qui nous regarde, tandis que notre armée se voit forcée à n’y prendre aucune part. Chacun sentira combien cette impassibilité de l’armée belge est un sacrifice douloureux qu’on aurait dû nous épargner.
Messieurs, le traité des 24 articles pouvait être exécuté par nous-mêmes. Mais en tout cas, si l’on voulait invoquer l’intervention étrangère, il ne fallait le faire que dans la vue de contraindre la Hollande à adhérer pleinement au traité, et non point pour un commencement d’exécution de ce même traité.
D’après ces considérations vous voyez que le projet d’adresse ne me satisfait pas. Je présenterai des amendements ou j’adopterai ceux qui seront proposés pour le rendre plus expressif et plus formel relativement à la marche suivie par le ministère.
- Plusieurs membres demandent que la discussion soit remise à demain.
M. H. de Brouckere. - M. le président, je désirerais que les différents membres qui se proposent de présenter des amendements voulussent bien les déposer sur le bureau, comme je vais le faire moi-même, afin que ces amendements pussent être imprimés et distribués. De cette manière la discussion deviendrait beaucoup plus facile. (Appuyé ! appuyé !)
La séance est levée à 4 heures.