(Moniteur belge n°321, du 18 novembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
A midi et demi la séance est ouverte.
M. Dellafaille, l'un des secrétaires, fait l’appel nominal.
M. Jacques, secrétaire, fait lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
Diverses pétitions adressées à la chambre sont renvoyées à la commission spéciale.
M. le président. - Comme il reste beaucoup de pouvoirs à vérifier, si la commission de vérification a des rapports à faire, je donnerai la parole à MM. les rapporteurs.
M. Poschet. - Si l’assemblée veut accorder quelques minutes, la commission pourra vérifier les pièces qui viennent de lui être transmises à l’instant.
M. le président. - On peut accorder quelques minutes et suspendre la séance.
M. Jaminé. - Au lieu de suspendre la séance, est-ce qu’on ne pourrait pas terminer la question qui s’est élevée hier sur le scrutin ?
M. le président. - Il est question de savoir si le troisième scrutin pour la nomination des membres de la commission de l’adresse doit être un scrutin de ballottage, ou si l’on doit toujours procéder à la majorité absolue d’après les termes de l’article 67.
M. Angillis. - Messieurs, il est impossible de faire une opération ou de faire une proposition dans cette assemblée, sans qu’il s’élève une discussion interminable sur l’esprit et le sens du règlement. Les dispositions du règlement sont-elles donc si mal coordonnées entre elles qu’on ne puisse en saisir le sens ? Je ne le crois pas. A la vérité, le règlement laisse quelques lacunes et ne s’exprime pas toujours très clairement ; mais ces légers défauts ne sont pas la cause des discussions à mon avis, la cause tient à ce qu’on s’attache trop à la lettre des expressions. Certainement ce n’est pas là la bonne manière de procéder dans les actes législatifs. Une fois que l’on connaît le but des dispositions, il faut y ramener toutes les expressions.
En ne voulant pas de ballottage, on pourrait se mettre dans l’impossibilité d’avoir une commission quelconque si les représentants persistaient dans leurs choix. On dit : Mais l’article 69 qui est spécial à la matière ne parle pas de ballottage ; non, il n’en parle pas, mais il ne défend pas non plus le ballottage. Dès qu’il ne contient pas une prohibition, il faut entendre cet article dans le sens le plus favorable à l’exécution. Or, l’article 6 du règlement parle de ballottage, et on doit croire que ses dispositions sont en harmonie avec celles de l’article 67.
Je pense donc qu’on doit admettre le ballottage.
M. le président. - Si l’on ne demande pas la parole, je vais mettre la question aux voix.
M. Pirson. - Y a-t-il une proposition formelle de faite ?
M. le président. - C’est une motion d’ordre.
M. Pirson. - Je demande la parole sur la position de la question.
Dès que vous introduisez le ballottage, vous n’aurez pas la majorité absolue pour les membres de la commission, ainsi que l’exige l’article 67 du règlement. Il faudrait dire que, quoiqu’on procède de cette manière, la majorité absolue est encore nécessaire.
M. Devaux. - La position de la question est celle-ci : Faut-il un scrutin de ballottage, oui ou non ? Si c’est un scrutin de ballottage par lequel on procède, il aura lieu entre six membres : si c’est un scrutin simple que l’on préfère, il aura lieu entre un plus grand nombre de membres.
M. le président. - Je crois que la question est celle-ci : Y a-t-il lieu à un scrutin de ballottage ?
- La chambre, consultée, décide qu’elle procédera par scrutin de ballottage pour nommer les trois derniers membres de la commission de l’adresse.
Un membre. - Entre quels représentants aura lieu le scrutin de ballottage ?
M. le président. - Entre ceux qui ont obtenu le plus de voix sans avoir la majorité.
M. Poschet, rapporteur de la commission de vérification des pouvoirs, a la parole. - Votre commission, dit-il, a examiné le procès-verbal des élections de Waremme. Il résulte de cet examen que M. Fleussu a été régulièrement élu. La commission conclut à l’admission.
- M. Fleussu est proclamé membre de la chambre et prête serment.
M. le président. - On va procéder à la nomination des membres de la commission de l’adresse.
M. Devaux. - M. le président, je vous prierai de lire les noms des six membres qui ont obtenu le plus de voix.
M. le président. - C’est ce que j’allais faire.
Dans la séance précédente, messieurs, vous avez nommé, par un second scrutin, membres de la commission de l’adresse MM. Fallon, Dubus et Devaux. Il reste à nommer trois autres membres de cette commission ; ils doivent être choisis parmi les six noms suivants, qui ont obtenu le plus de voix sans avoir la majorité : MM de Theux, qui a obtenu 35 voix ; Gendebien, qui en a obtenu 31 ; de Muelenaere, qui en a obtenu 31 ; Dumortier, qui en a obtenu 29 ; Jaminé, qui en a obtenu 29 et d’Huart, qui en obtenu 28.
- Le scrutin de ballottage s’effectue : on le dépouille, et voici le résultat qu’il présente :
M. de Theux a obtenu 38 suffrages ; M. Dumortier 41 ; M. Jaminé 37 ; M. Gendebien 36 ; M. de Muelenaere 33 ; M. d’Huart 31.
M. le président. - Le nombre des votants est 73 ; ainsi MM. de Theux, Dumortier et Jaminé ont obtenu la majorité absolue en même temps que la majorité relative, et je les proclame membres de la commission de l’adresse.
M. le président procède, par le tirage au sort, à la composition des six sections dans lesquelles se partage la chambre pour l’examen préparatoire des lois et des propositions. Comme tous les représentants élus ne sont pas encore admis, chaque section ne compte que 15 membres.
M. Jullien., président et rapporteur de la commission de vérification a la parole. - Messieurs, dit l’honorable membre, j’ai à vous faire le rapport sur les élections de la ville de Bruxelles.
Le collège de Bruxelles avait à procéder à la nomination de deux représentants en remplacement de MM. Bourgeois et Lefebvre, devenus membres de la cour de cassation. Le collège a été divisé en dix sections. La première opération électorale ne donna aucun résultat.
Un scrutin de ballottage eut lieu entre les quatre candidats qui avaient obtenu le plus de suffrages ; c’étaient MM. Fortamps, Vanderbelen, de Gamond, Jottrand, qui, sur 467 votants, ont eu respectivement 306, 271, 195 et 150 voix. En conséquence MM. Fortamps et Vanderbelen ont été proclamés, par le bureau central, membres de la chambre.
Le procès-verbal des élections a paru régulier à la commission, et elle conclut à l’admission des élus de Bruxelles.
Je dois faire une observation pour que vous ne croyiez pas que la commission a varié dans sa manière d’envisager les procès-verbaux. Hier elle a proposé l’ajournement de l’élu de Courtray parce qu’au procès-verbal du bureau central n’étaient pas joints les procès-verbaux des sections pour Bruxelles, les procès-verbaux des sections manquent également ; mais le procès-verbal du bureau central en fait mention et fait connaître le résultat des opérations des sections, tandis que le procès-verbal du bureau central de Courtray ne fait rien connaître.
Le procès-verbal de Bruxelles renfermant tous les documents propres à éclairer la commission, c’est pour ce motif qu’elle a conclu à l’admission.
- Les conclusions de la commission sont adoptées. En conséquence MM. Fortamps et Vanderbelen sont proclamés membres de la chambre.
M. Fortamps est introduit et prête serment.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - M. M. le général Goblet, ministre ad interim des affaires étrangères, monte à la tribune. Un grand silence règne dans l’assemblée. Ce ministre s’exprime dans les termes suivants. - Messieurs, le 21 de ce mois, il y aura deux années que nous sommes entrés dans la voie diplomatique. Le bon sens national applaudit sans mesure à l'annonce qui fut faite, à cette tribune, de la cessation des hostilités demandée à la Belgique révolutionnaire par les cinq grandes puissances européennes. Dès lors, à travers le voile qui obscurcissait encore l'avenir, nous reconnûmes la possibilité de placer la Belgique au rang des nations ; dès lors nous pûmes pressentir que nous n'avions pas en vain secoué le joug qui nous avait été imposé en 1814.
Cependant, messieurs, des voix nombreuses ne tardèrent pas à blâmer le gouvernement provisoire d'avoir adopté le seul parti d'où pussent résulter l'indépendance et la possibilité d'obtenir enfin des institutions qui convinssent à nos mœurs et au génie de la Belgique.
Heureusement, la majorité de la représentation nationale sut discerner ce que pouvaient dicter des sentiments généreux, mais irréfléchis, de ce qu'exigeaient les véritables intérêts du nouvel Etat.
A toutes les époques, ceux à qui la Belgique avait confié la direction et la défense de ses intérêts, conçurent qu'en donnant au gouvernement les moyens d'armer la nation, ils lui procuraient ceux de négocier avec efficacité ; en imposant des sacrifices à la patrie, ils n'ont pu avoir pour but immédiat d'y mettre le comble en la lançant au milieu des incalculables hasards d'une guerre dont tout pouvait surgir, hors l'indépendance.
L'adoption des préliminaires de paix par le congrès national, donna pour ainsi dire force de loi à cette vérité, que c'était aux négociations à marquer la place que la Belgique devait occuper dans la société européenne.
Cette loi, messieurs, loin de la répudier comme le honteux héritage d'un pouvoir pusillanime, vous l'avez en quelque sorte corroborée quelques mois après, en autorisant le gouvernement du Roi à souscrire aux 24 articles du 14 octobre 1831.
Dans une occasion récente, je vois cette loi dominer les pensées qui vous agitaient, et son action se fait remarquer dans toutes les phrases de votre adresse au Roi.
Ainsi, depuis deux années, les affaires belges sont restées sans interruption soumises à l'influence diplomatique. A toutes les époques on a parfaitement senti que cette intervention était la condition sine qua non de notre admission au sein de la grande famille des nations européennes.
Tout a été dit sur cette importante question : vous avez donné gain de cause à ceux qui l'ont plaidée devant vous selon les principes du droit public européen, seul point de vue sous lequel il soit possible de l'envisager. Croire qu'il soit encore nécessaire de la développer serait, messieurs, douter de votre sagesse.
Je me propose donc de baser tous les raisonnements que j'aurai l'honneur de vous présenter dans le cours de ce rapport sur le véritable état des choses, je veux dire sur l'impossibilité où nous sommes de répudier les engagements qui nous lient aux cinq grandes puissances représentées dans la conférence de Londres. Les dernières communications faites à la chambre n'ont pu avoir pour objet que de montrer que le plan de conduite adopté par le gouvernement, et auquel vous aviez adhéré, se poursuivait avec énergie et persévérance.
Pleinement rassurantes sous ce point de vue, ces communications n'étaient cependant pas de nature à détruire toutes les incertitudes sur la marche ultérieure des évènements, à faire espérer le prompt dénouement d'une question que des difficultés nouvelles semblaient être venues compliquer encore.
Je me félicite, messieurs, d'être aujourd'hui dans une position plus favorable que n'était alors mon prédécesseur, pour vous révéler les causes qui avaient donné naissance à ces difficultés, maintenant en partie disparues.
L'attitude calme et pleine de dignité que sut garder la Belgique, la confiance que son gouvernement conserva dans les traités qui lui garantissaient son indépendance, ont enfin triomphé des obstacles qu'éprouve toujours un nouveau royaume à se constituer, en présence d'un état de choses fondé sur des traités multipliés.
C'est placé dans une situation meilleure, que je vais chercher à faire apprécier à la chambre la nécessité où s'est trouvé le gouvernement de dévier momentanément du système exposé dans les documents communiqués le 12 juillet dernier ; si, après le succès qu'il vient d'obtenir, il a encore besoin de justification, il la trouvera dans les détails et les explications que j'aurai l'honneur de donner à la chambre.
J'ose réclamer, messieurs, toute votre attention ; j'ai le plus vif désir de justifier à vos yeux la conviction qui a eu sur moi tant d'empire, lorsque je consentis à me charger d'une responsabilité d'autant plus redoutable qu'elle était individuelle. Je ne me suis pas dissimulé la nature et la multiplicité des chances auxquelles je m'exposais. Si l'ambition, si l'amour du pouvoir avaient été le mobile de ma conduite, j'eusse reculé sans doute, je n'eusse certainement pas accepté le fardeau du ministère dans un semblable moment. Mais, messieurs, il existait en moi un sentiment plus fort, plus raisonné, celui de la nécessité de consolider l'indépendance de la patrie et de lutter même, pour y parvenir, contre ces idées généreuses si bien comprises par le peuple belge, mais dont l'application inopportune pouvait avoir les conséquences les plus fatales.
Vous voyez, messieurs, combien dans de telles circonstances, je dois tenir à vous prouver à quel point étaient fondés les motifs sur lesquels j'appuyais ma conviction.
Pour atteindre ce but, je dois, messieurs, remonter assez haut, et partir d'un événement qui généralement a produit une impression défavorable sur les esprits. C'est de la ratification russe que je veux parler.
Les actes qui, depuis cet événement, ont signalé notre politique extérieure ont déjà fait l'objet d'un rapport à la chambre. Mais, forcé de renfermer ses explications dans des limites très étroites, mon honorable prédécesseur a dû laisser quelques lacunes qu'il importe de combler. Les détails dans lesquels je vais entrer seront étendus ; mais ils sont indispensables, pour faire envisager, sous son vrai jour, l'état actuel des choses, qui généralement est peu compris. Ces détails, d'ailleurs, que la position où je me suis trouvé m'a mis, plus que tout autre, à même de recueillir, sont de nature à jeter une lumière assez vive sur les difficultés qui attendent la diplomatie belge ; et au point où nous en sommes, je crois qu'il ne vous sera pas désagréable, messieurs, de voir éclaircir quelque peu un avenir qui cause encore bien des inquiétudes.
La ratification russe, messieurs, était venue compléter la sanction donnée par les cinq puissances au traité du 15 novembre, mais elle était soumise à des réserves qui semblaient remettre en question quelques-uns des points fixés par les stipulations de ce traité et porter une atteinte plus ou moins grave aux droits acquis par la Belgique.
C'étaient ces droits qu'il importait de maintenir, en combattant, en neutralisant les conséquences de l'événement dont il s'agit.
Tel a été le but du plan de conduite que le gouvernement a cru devoir adopter alors.
Il a considéré le traité du 15 novembre comme susceptible d'une exécution immédiate dans ses principales parties, et notamment en ce qui concerne l'évacuation du territoire irrévocablement assigné à la Belgique.
Les négociations nouvelles auxquelles les autres parties du traité étaient sujettes devant avoir lieu de gré à gré, il en résultait qu'il était libre à la Belgique d'y prendre part sous telle condition qu'elle pourrait juger conforme à ses droits et à ses intérêts.
Le gouvernement résolut donc de ne se prêter à aucune négociation nouvelle avant l'évacuation du territoire.
Quelle était alors, messieurs, la position de la Belgique et de la Hollande à l'égard de la conférence ?
La Belgique se trouvait incontestablement dans son droit.
La Hollande, en refusant de se soumettre aux effets de l'arbitrage prononcé par la conférence, prolongeait les incertitudes qui fatiguaient l'Europe et se rendait coupable envers celle-ci d'une résistance préjudiciable aux intérêts de tous.
Tant que cette résistance a duré, le plan de conduite que le gouvernement s'était tracé a été favorablement accueilli par la conférence : il était naturel qu'au refus absolu de la Hollande, la Belgique pût opposer la condition absolue de l'évacuation préalable.
Mais de là à l'emploi immédiat des mesures coercitives, la distance était grande. Il fallait, pour arriver à ces dernières, vaincre bien des répugnances. Ainsi, quoique les notes qui furent remises par moi le 1er et le 8 juin et dont mon prédécesseur vous a donné connaissance, fissent mention de ces mesures, la conférence évita de se prononcer sur ce point dans sa réponse du 11 du même mois, par laquelle, ainsi qu'on vous l'a fait observer, elle s'est placée sur la même ligne que le gouvernement belge.
Ce silence tenait à plusieurs circonstances.
Dans une fraction de la conférence, il y avait les répugnances dont je viens de parler, et l'opinion que la force ne pouvait être employée contre la Hollande qu'après avoir épuisé tous les moyens possibles de l'amener à un arrangement amiable. Cette manière de voir se fondait principalement sur le silence du traité, quant à la nature des moyens à employer et à l'époque à laquelle il y aurait lieu de les employer.
Des considérations d'intérêt politique et commercial faisaient pencher naturellement l'autre fraction de la conférence vers la même opinion ; de sorte que celle-ci ne rencontra pas d'objection bien sérieuse.
Quoi qu'il en soit, il fut jugé utile de prendre acte du principe posé dans la note de la conférence du 11 juin. C'est ce que je fis par la note du 29, où sont déduites toutes les conséquences de ce principe.
Sur ces entrefaites, la conférence faisait de nouveaux efforts pour ramener les prétentions du cabinet de La Haye à une expression telle qu'elles fussent de nature à être goûtées par la Belgique, ou du moins qu'elles se rapprochassent autant qué possible des dispositions du traité qui faisait notre droit.
C'est alors que le 65ème protocole vit le jour. Il renfermait la proposition de suspendre jusqu'après l'évacuation territoriale, les articles au sujet desquels des difficultés s'étaient élevées.
La réponse du gouvernement hollandais à cette proposition venait de parvenir à Londres ; comme à mes yeux elle équivalait à un refus positif, je saisis cette occasion de demander formellement que la conférence arrêtât immédiatement l'emploi des moyens de coercition propres à satisfaire aux justes exigences de la Belgique.
Le jugement que j'avais porté des propositions hollandaises ne fut pas entièrement partagé par la conférence. Quoique déclarées inadmissibles dans leur ensemble, elles lui parurent cependant indiquer un rapprochement sur les points essentiels du traité et des dispositions conciliatrices à l'égard des difficultés renfermées dans quelques articles.
Nous étions alors dans les premiers jours de juillet, et à cette époque la conférence ne paraissait pas encore attacher un caractère indestructible à l'édifice qu'elle avait élevé avec nous le 15 novembre 1831, sur les bases posées par elle-même le 14 octobre précédent.
S'il est inutile, messieurs, de rechercher ici les motifs sur lesquels elle s'appuyait, toujours est-il vrai que des propositions me furent faites qui, en dernière analyse, ne tendaient à rien moins qu'à renouveler une discussion que le traité du 15 novembre, ratifié par les cinq puissances, avait close définitivement.
Je repoussai avec énergie des propositions aussi peu conformes à nos droits, et mes efforts ne furent pas vains. La question avait été déplacée : je la reportai sur le terrain du traité, où, peut-être, elle n'avait pas été, jusque-là, franchement assise.
Pour éviter désormais de semblables écarts et des débats stériles pour l'avancement de la négociation, je remis, le 7 juillet, la note déjà communiquée à la chambre par mon prédécesseur : elle confirma le résultat important que j’avais obtenu la veille, dans une réunion de la conférence où j'avais été appelé pour connaître les propositions dont je viens de faire mention, et où j'avais réussi à faire abandonner tout projet de changer, quant au fond, le traité du 15 novembre.
Ce résultat, je dois ici le reconnaître hautement, était dû au système que j'étais chargé de soutenir ; mais c'était tout ce qu'on devait attendre de ce système qui n'avait été imaginé que dans la double hypothèse : d'abord, que la résistance de la Hollande ne pouvait être vaincue que par l'emploi de la force ; en second lieu, qu'après tant et de si douloureux sacrifices, des sacrifices nouveaux allaient encore être exigés de la Belgique.
Or, la Hollande, cédant, en apparence du moins, à la persuasion, entrait dans la voie des concessions, et la conférence détrompée sur l'idée qu'elle paraissait s'être faite de notre facilité à céder « était forcée de regarder définitivement avec nous le traité du i5 novembre comme notre droit public. »
Par conséquent, des éventualités qui avaient donné naissance à notre système, l'une semblait être sur le point de disparaître, l'autre pouvait être considérée comme détruite par les protestations que j'avais faites au sein de la conférence. Vous apprécierez comme moi, messieurs, toute l'importance de ce résultat.
Quoi qu'il en fût, dans l'état où les choses se trouvaient alors, et selon notre manière de voir, les points sur lesquels la conférence avait à fixer son attention, étaient ceux qu'elle avait passés sous silence dans la note du 11 juin.
Je les lui rappelai dans une note que je lui adressai le 9 juillet.
Note adressée à la conférence par le plénipotentiaire belge le 9 juillet 1832
« Londres, le 9 juillet 1832.
« Le soussigné plénipotentiaire de Sa Majesté le Roi des Belges, ayant tout lieu de penser que, par suite de la réponse du cabinet de La Haye aux dernières propositions de la conférence, celle-ci va s'occuper sans délai des mesures qu'elle jugera propres à amener enfin la conclusion d'une question dont la solution immédiate, comme elle l'a elle-même reconnu, est plus que jamais un des premiers besoins de l'Europe, a l'honneur d'informer LL. EE. les plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, que leur silence sur plusieurs points importants des notes qu'il leurs a remises est de nature à amener des difficultés qu'il importe de prévenir.
« En conséquence, le soussigné vient prier LL. EE. de vouloir bien se rappeler que, dès le 7 mai dernier, il leur a été fait par M. Van de Weyer la proposition de déclarer la Hollande déchue de tous les arrérages de la dette, et que le soussigné a reproduit cette proposition dans ses notes du 1er, du 8 et du 29 juin, et notamment dans cette dernière où il croit avoir démontré les droits de la Belgique à être indemnisée des frais d'armement que la non-adhésion du Roi de Hollande aux 24 articles lui a fait supporter.
« Aux considérations relatives à l'état de guerre dans lequel la Belgique s'est vue, par suite de ce refus, forcée de rester, viennent se joindre celles résultant de la privation des avantages pour lesquels une plus forte dette a été imposée à la Belgique, telle que la navigation des eaux intermédiaires, etc.
« Considérations sur lesquelles le soussigné a l'honneur d'appeler toute l'attention de LL. EE. les plénipotentiaires.
« Il ne peut douter que la conférence ne veuille bien, parmi les déterminations qu'elle va arrêter, comprendre la satisfaction que le gouvernement belge est en droit d'attendre de la demande qui vient d'être rappelée.
« Cette confiance est d'autant plus fondée que la conférence a reconnu la justice de cette demande, en déclarant dans l'annexe B du protocole n° 68 que « s’il n'était pas fait usage dans un terme très rapproché des facilités offertes à Sa Majesté le Roi des Pays-Bas, il ne tiendrait plus à elle d'empêcher, que les nouveaux retards qui succéderaient à tant d'autres n'entraînassent pour la Hollande les suites les plus graves ; parmi lesquelles figureraient en première ligne le refus que ferait la Belgique à bon droit de payer, à partir du 1er janvier 1832, les arrérages de sa quote-part à la dette du royaume-uni des Pays-Bas, forcée qu'elle serait à en employer le montant à la défense légitime de son territoire. »
« En rappelant cette déclaration, le soussigné prendra la liberté de prier LL. EE. les plénipotentiaires de vouloir bien observer que le bon droit de la Belgique ne date pas du dernier refus du cabinet de La Haye, comme il semblerait résulter des termes dont ils se sont servis, mais qu'il a pris naissance le jour même où la Hollande a repoussé les 24 articles.
« Le soussigné saisit, etc.
« (Signé ) Goblet. »
Le 13 juillet, je reçus la communication suivante :
Note adressée au plénipotentiaire belge par la conférence le 13 juillet 1832
« Londres, le 13 juillet 1832.
« Les soussignés plénipotentiaires des cours d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, ont l'honneur d'informer M. le plénipotentiaire belge, qu'ayant reçu des communications du plénipotentiaire de Sa Majesté le Roi des Pays-Bas relativement aux démarches dont parlait leur note du 11 juin à M. le général Goblet, et ayant trouvé dans ces communications un rapprochement sur la question essentielle du territoire, et des observations fondées sur quelques points compris dans leurs propositions, ils viennent de réitérer leurs démarches de la manière la plus instante dans le but qu'indiquait la note adressée le 11 juin à M. le plénipotentiaire belge.
« Les soussignés ont l’honneur de renouveler à M. le plénipotentiaire de S. M. le Roi des Belges l'assurance de leur considération très-distinguée.
« (Signé) Wessemberg, Mareuil, Palmerston, Bulow, Lieven, Matuszewic. »
Cette note, qui fait partie des annexes du protocole n° 67, ne répond nullement à la mienne du 9. Il semble qu'en me l'adressant, la conférence n'ait eu d'autre but que de se justifier, aux yeux de la Belgique, des nouvelles démarches qu'elle tentait auprès du cabinet de La Haye dans l'espoir de le voir enfin consentir à un arrangement pacifique et de gré à gré.
Cet espoir était bien peu fondé ; mais en supposant même qu'il se réalisât, il était toujours fort douteux que la Belgique accédât aux propositions annexées au 67ème protocole, seconde édition du 65ème, quand bien même la Hollande l'eût précédée dans cette voie.
Nous n'avons participé, en aucune manière, aux travaux qui donnèrent naissance aux deux documents dont il s'agit ; le cabinet de La Haye devait, pour le contre-projet qu'il opposa à la conférence, nous épargner la tâche de nous prononcer sur son contenu.
En faisant parvenir au ministère la communication de la conférence, rapportée ci-dessus, j'attirai son attention sur diverses particularités dont la connaissance me permettait de pressentir le parti qu'allait prendre le gouvernement hollandais.
J'avais tout lieu de penser que la Hollande commençait à s'apercevoir que par une plus longue résistance, franchement mise à exécution, elle finirait par se compromettre aux yeux de l'Europe entière.
C'en était assez pour me donner la certitude que sans répondre positivement aux injonctions des plénipotentiaires de Londres, le gouvernement hollandais opposerait aux propositions émanées de ceux-ci, des propositions dans lesquelles il chercherait à tirer des réserves russes le parti le plus avantageux à ses prétentions, de manière à attirer la négociation sur le terrain de ces réserves.
Ce parti moyen dont l'éventualité n'avait pas été considérée lors de l'adoption du système de l'évacuation préalable, devait placer la Belgique dans une position si fausse que je n'hésitai pas à demander de nouvelles instructions. Je représentai que celles dont j'étais porteur n'ayant pas prévu les circonstances qui étaient sur le point de surgir, j'allais me trouver pris au dépourvu dans une conjoncture peut-être décisive pour nous. J'insistai donc pour être mis à même d'opposer en temps opportun aux propositions hollandaises relatives aux articles litigieux du traité, un ultimatum où seraient exposés les points sur lesquels le gouvernement serait disposé à céder, moyennant de justes compensations.
Pénétrant en quelque sorte la pensée intime de la conférence, je m'attachai à faire ressortir la différence qui la séparait du gouvernement belge au point de départ. En effet, d'après les représentants des puissances, les résolutions du gouvernement étaient contraires aux stipulations de l'article 24 du traité du 15 novembre, dans le cas du moins où la Hollande accéderait purement et simplement aux 24 articles ; car alors, disait-on, l'évacuation territoriale devient nécessairement la conséquence du traité à intervenir entre la Hollande et la Belgique, tandis que le gouvernement belge considère cette évacuation comme étant, en tout état de cause, une conséquence immédiate et nécessaire du traité du 15 novembre déjà conclu avec les puissances.
Une accession pure et simple de la part du cabinet de La Haye n'était pas probable. Cependant l'objection que ce cas soulevait était fondée, et il importait de ne pas compliquer par là notre position.
Telles sont, en résumé, messieurs, les considérations que je fis valoir pour démontrer la nécessité de mettre mes instructions en harmonie avec les circonstances que je prévoyais. Cependant, dominé par des scrupules dont la source est trop respectable pour que je me permette de les blâmer, le ministère ne crut pas que la loi de la nécessité, quelque impérieuse qu'elle fût, l'autorisât à s'écarter de la ligne de conduite que lui traçaient des engagements absolus. Il persista dans ses résolutions précédentes ; mais il reconnut juste l'objection tirée de l'article 24 du traité, et il m'autorisa à la faire disparaître.
Les instructions supplémentaires que je reçus à cet égard sont datées du 23 juillet.
Bientôt l'arrivée de la réponse, de la Hollande au protocole n°67, me fournit l'occasion de présenter une note, en date du 30 juillet. J'y déclare que si le gouvernement hollandais acceptait les 24 articles sans condition, le gouvernement belge se soumettrait à l'application de l'article 24 du traité du 15 novembre, portant que : « aussitôt après l'échange des ratifications du traité à intervenir entre les deux parties, les ordres nécessaires seront envoyés pour l'échange des territoires. »
Note adressée à la conférence par le plénipotentiaire belge, le 30 juillet 1832
« Londres, le 30 juillet 1832.
« Le soussigné, plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges, a eu l'honneur de recevoir de LL. EE. les plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, réunis en conférence à Londres, une note en date du 13 juillet, par laquelle ils ont bien voulu l'informer qu'ils venaient de réitérer de la manière la plus instante leurs démarches auprès du cabinet de La Haye, dans le but qu'indiquait leur note du 11 juin. Il est aujourd'hui de notoriété que la réponse du gouvernement hollandais aux démarches dont il vient d'être parlé est depuis plusieurs jours parvenue à la conférence, qui n'a pas encore jugé à propos d'en faire connaître le contenu au soussigné. Ce silence l'autorise à penser que ces démarches n'ont pas produit le résultat que l'on en attendait ; il rend assez plausible la crainte que la conférence ne soit disposée à entrer de nouveau dans une voie qui ne peut la conduire au but qu'elle s'est proposée, par cela même qu'elle n'a pas pour point de départ les engagements contractés envers la Belgique par le traité du 15 novembre 1831.
« Le soussigné ne doute pas que, dans cette circonstance, LL.EE. les plénipotentiaires des cinq cours ne soient guidés par des vues de paix et de conciliation ; mais il croit de son devoir de déclarer qu'il n'est pas possible à son gouvernement de s'y associer, à moins qu'il ne ferme entièrement l'oreille aux leçons du passé, qui est là pour le tenir en garde contre les espérances illusoires.
« Certes, le cabinet de Bruxelles ne peut être accusé d'avoir retardé par sa conduite un dénouement que l'Europe entière appelle de ses vœux, parce que sa tranquillité y est attachée ; il a su faire à cette considération de paix générale, dont il a apprécié l'importance, tous les sacrifices que comportaient son honneur et les intérêts de la Belgique.
« L'acceptation des 24 articles et la signature du traité du 15 novembre qui en a été la suite sont des témoignages éclatants et irrécusables de son désir de contribuer à hâter, autant qu'il était en lui, la clôture des négociations de la conférence de Londres.
« Cette conduite ne s'est point démentie ; les derniers actes du soussigné, alors même qu'il insistait avec le plus de force sur l'emploi des mesures coercitives, nécessaires pour amener l'exécution du traité du 15 novembre, sont encore empreintes de cet esprit de conciliation qui n'a cessé d'animer le cabinet de Bruxelles, malgré le peu de succès qu'il en avait obtenu. En effet, dans les notes que le soussigné a eu l'honneur de présenter à LL. EE. les plénipotentiaires, sous la date du 1er et du 8 juin, il leur a fait connaître que du moment où le traité aurait reçu un commencement d'exécution, le gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges ne se refuserait pas à prendre part à des négociations nouvelles sur les parties dudit traité qui en sont susceptibles, dans le but de concilier les intérêts réciproques de la Belgique et de la Hollande.
« Ce système, qui a reçu la haute approbation de la conférence elle-même, dans sa note du 11 juin, adressée au soussigné, a été suffisamment exposé, tant dans les notes prémentionnées que dans celles du 29 juin et du 7 juillet ; s'il indique dans le cabinet de Bruxelles une défiance, ce sentiment a sa justification dans les faits qui ont surgi depuis la signature du traité du 15 novembre, et qui sont restés sur la route que la négociation a parcourue depuis cette époque, comme des phares indiquant les écueils qu'elle doit désormais éviter.
« Les sacrifices auxquels la Belgique a consenti alors semblaient les derniers ; cependant les retards apportés depuis six mois à l'exécution dudit traité, malgré de solennels engagements, sont venus en augmenter considérablement la somme. Si la Belgique s'y est résignée, le soussigné ne saurait croire que l'on veuille maintenant y trouver un motif pour espérer de l'amener à souscrire à des modifications préalables qui seraient la source d'autres sacrifices, et à abandonner ainsi son droit à l'exécution pure et simple du traité en question, sans avoir obtenu une garantie matérielle de l'irrévocabilité des nouveaux arrangements.
« Le gouvernement du Roi ne peut trouver une telle garantie que dans la possession du territoire qui est irrévocablement assigné à la Belgique.
« A cet égard, il a été présenté au soussigné une objection tirée de l'article 24 du traité du 15 novembre, duquel il résulte que l'évacuation des territoires ne doit avoir lieu que quinze jours après l'échange des ratifications du traité à intervenir entre les deux parties.
« Le soussigné se plaît à en reconnaître la justesse, pour le cas implicitement supposé par l'article 24, où l'acceptation de la Hollande serait pure et simple ; mais il prendra la liberté de faire observer que cette objection deviendrait sans valeur aucune du moment où l'on s'écarterait du traité, car l'article 24 ne peut s'entendre que de celui-ci même, considéré comme complet dans toutes ses parties, et non subordonné à de nouvelles négociations. Que le gouvernement hollandais accepte donc sans condition, et le gouvernement belge, sans égard aux retards apportés à l'exécution, se soumettra à l'application dudit article. Jusque-là, le cabinet de Bruxelles ne peut que persister dans la marche qu'il a cru devoir adopter.
« En conséquence, le soussigné continue à se référer aux diverses notes remises à LL. EE. les plénipotentiaires des cinq cours, et il a l'honneur d'appeler de nouveau leur attention particulière sur les demandes qui terminent celle du 29 juin, et sur lesquelles ils ne se sont pas prononcés jusqu'à ce jour. Leur silence sur ces points importants, joint aux circonstances nouvelles qui pourraient les faire perdre de vue par LL. EE., a engagé le soussigné à leur présenter les observations qui précèdent ; il ose espérer que la conférence ne verra dans cette démarche que le désir d'éviter des discussions sans résultat possible, et de hâter ainsi le moment où seront réalisés, par la solution de la question belge, les vœux de tous les cabinets de l'Europe.
« Le soussigné saisit avec empressement cette occasion pour offrir à LL. EE. les plénipotentiaires des cinq cours l'assurance de sa considération la plus distinguée.
« (Signé) Goblet. »
J'ai dit que la Hollande commençait à s'apercevoir que sa résistance finirait par la compromettre entièrement. L'idée de nous transmettre ses torts était apparue dans sa réponse du 30 juin, au 65ème protocole. Elle devint manifeste dans sa réponse qui, en dernière analyse, ne fut ni négative ni affirmative.
D'ailleurs, pour parvenir à son but, le cabinet de La Haye ne négligea aucun des moyens qui pouvaient le favoriser. Les ministres auprès des diverses cours de l'Europe eurent ordre de représenter la Belgique comme repoussant, par son refus de négocier, tout arrangement amiable, et comme mettant ainsi obstacle au raffermissement de la paix générale.
A Londres, le plénipotentiaire néerlandais se disait muni des pouvoirs nécessaires pour entamer des négociations sur la base des propositions qu'il présentait. On en pouvait conclure que les propositions n'étaient pas encore l'ultimatum de la Hollande.
Les conférences que plusieurs des plénipotentiaires de Londres eurent avec le représentant du roi Guillaume, parurent rendre ce fait évident et donnèrent de fortes raisons de croire que ce plénipotentiaire était autorisé à céder sur le fond de presque tous les articles du traité du 15 novembre. Les difficultés à régler ne devaient, dès lors, porter que sur la forme de ces articles.
Ainsi se réalisaient toutes mes prévisions. En nous renfermant dans un système aussi absolu que l'était celui de l'évacuation préalable, nous donnions à notre conduite un caractère d'opiniâtreté que nous ne pouvions convenablement justifier.
En effet, à quoi semblaient se borner alors les prétentions du cabinet de La Haye ?
Avoir préalablement régler des difficultés dont l'existence lui était même avantageuse et qu'il avait le moyen d'éterniser, si la solution en était différée jusqu'au moment où les deux parties adverses seraient abandonnées à elles-mêmes.
Ces vues indiquaient dans le gouvernement hollandais une espèce de bonne volonté propre à faire impression et ne pouvaient manquer d'être accueillies. Non seulement elles ne blessaient pas les droits, mais elles semblaient, aux yeux des puissances, servir les intérêts de la Belgique.
La conférence devait, jusqu'à preuve du contraire (et la Belgique seule pouvait l'administrer), considérer comme sincère le revirement qui venait d'avoir lieu dans la politique hollandaise : comment pouvait-elle, dans cet état de choses s'empêcher de nous considérer comme prenant vis-à-vis d'elle l'attitude que, par une déférence simulée ou réelle, la Hollande venait d'abandonner ?
En cela, nous entrions, à souhait, dans les desseins de notre adversaire qui, s'emparant avec adresse de nos résolutions déclarées irrévocables, avait pensé qu'il pouvait, sans danger pour lui, feindre des dispositions conciliatrices qui étaient loin de ses véritables intentions.
Les torts se déplaçaient ainsi : ils pesaient d'abord sur la Hollande ; maintenant c'étaient nous qui les assumions, c'était de nous que venaient les obstacles à un arrangement définitif que l'Europe paraissait attendre avec tant d'anxiété.
L'obstination que le gouvernement belge mettait à suivre un plan de conduite qui ne s'appliquait plus aux circonstances, ne pouvait être justifiée qu'en montrant, par les antécédents, combien il avait de motifs pour refuser de prendre part à des négociations nouvelles avant d'avoir obtenu des garanties qu'il ne pouvait trouver que dans l'évacuation territoriale.
Ces considérations m'avaient engagé à rédiger et remettre la note du 30 juillet que j'ai citée précédemment.
Le ministère approuva le langage que j'avais tenu dans cette circonstance ; il reconnut, que vu l’impossibilité de modifier le système suivi jusqu'alors, impossibilité résultant des engagements pris envers les chambres, j'avais suivi la seule marche qu'il y avait à adopter. Je reçus en même temps ordre de compléter la note dont je viens de donner connaissance à la chambre, par un résumé raisonné des faits et des arguments exposés dans les offices précédemment remis à la conférence. C'est ce qui donna lieu à un mémoire en date du 9 août.
Tous les sacrifices qu'avait faits la Belgique y sont développés, tous les griefs dont elle croyait avoir à se plaindre s'y trouvent récapitulés. L'étendue de cette pièce me détermine à ne pas vous en donner lecture ; vous la trouverez parmi les pièces imprimées à la suite de ce rapport.
Aucune réponse officielle n'intervint de la part de la conférence ; mais les entretiens nombreux que j'ai eus avec ses membres, soit collectivement, soit en particulier, me mettent à même de remplir cette lacune.
Le résumé que j'en vais faire initiera la chambre aux pensées qui agitaient alors la conférence et peindra fidèlement l'état des choses à l'époque dont il s'agit.
« Nous reconnaissons, disait-on, l'impossibilité qui existe pour la Belgique de faire des concessions nouvelles, dans ce sens qu'elle ne peut sacrifier aucun des avantages essentiels que le traité lui garantit. Mais il ne serait pas raisonnable de supposer que le gouvernement belge voulût refuser obstinément d'accéder à des modifications, si le cabinet de La Haye venait à en proposer qui, ne changeant rien que la forme des articles ou le mode de leur exécution, laissassent intacte à la Belgique la jouissance réelle des avantages résultant du traité ; ou bien encore à des modifications qui, en enlevant l'un ou l'autre de ces avantages, offriraient en retour une compensation équivalente. »
Si, par quelques arrangements et modifications de cette espèce, ajoutait-on, le gouvernement hollandais pouvait être amené à signer le traité de paix et de séparation avec la Belgique, une telle conclusion serait évidemment à l'avantage de tous.
Le plénipotentiaire hollandais, m'assurait-on, était prêt à proposer, de la part de son gouvernement, des modifications à ceux des articles du traité sur lesquels portaient les objections du roi des Pays-Bas, modifications qui, à beaucoup d'égards, se rapprochaient de très près des stipulations du traité, et dont quelques-unes étaient peut-être tout aussi avantageuses à la Belgique que les articles correspondants du traité lui-même.
Dans tous les cas, ces propositions paraissaient mériter d'être prises en considération et ouvraient la perspective d'un arrangement mutuellement satisfaisant pour les deux parties.
On ajoutait que « comme la conférence avait déjà prononcé sa sentence, elle ne pouvait pas émettre elle-même de nouvelles propositions. »
De tout cela, messieurs, on concluait que, pour l'intérêt de la négociation, le plénipotentiaire belge à Londres, devait être muni d'amples instructions sur ce que réclamaient réellement les intérêts de la Belgique, et recevoir des pouvoirs pour conclure avec le plénipotentiaire hollandais un traité mutuellement acceptable pour les deux pays.
La position nouvelle qu'avaient prise les plénipotentiaires de Londres, est nettement indiquée par ce qui précède : elle pourra paraître bizarre au premier coup d'œil, puisque la conférence semblait ne vouloir ni négocier de nouveau par elle-même, ni exécuter le traité.
Mais si, d'un côté, l'on se rappelle que ce traité avait été définitivement reconnu comme notre droit, l'on cessera de s'étonner que la conférence ait reculé devant l'initiative de négociations qui ne pouvaient être entamées que par les deux parties intéressées.
Sous le second rapport, cette position n'était pas moins conforme à la nature des choses, puisque les puissances signataires du traité du 15 novembre, bien qu'elles en eussent garanti l'exécution à la partie acceptante, n'avaient cependant pas stipulé l'époque à laquelle il serait exécutable pour la partie récalcitrante.
Vous avez pu, messieurs, apprécier la justesse des observations et des arguments que je viens de vous présenter en un seul faisceau. Si vous vous rappelez que, malgré le changement survenu dans notre situation politique, mes instructions étaient restées tout aussi absolues qu'auparavant, vous ne pourrez vous empêcher de convenir avec moi que plus ces arguments étaient logiques, plus embarrassante devait être la position de celui qui, appelé à y répondre, n'avait à y opposer, pour ainsi dire, qu'une fin de non-recevoir, basée uniquement sur la teneur de ses instructions.
Cette position, messieurs, c'était la mienne, c'était celle de M. Van de Weyer qui, depuis le 18 août, était venu reprendre son poste auprès du gouvernement britannique et s'associer à mes travaux, sans autres instructions que l'ordre de se conformer à celles dont j'étais muni.
Nos instances réunies furent vaines pour obtenir de la conférence une réponse officielle aux points qui avaient été l'objet de demandes formelles dans les notes que j'avais remises depuis le 13 juillet.
Par suite de ce silence, nous reçûmes ordre d'adresser à la conférence la déclaration renfermée dans la note dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture. Cette pièce a été remise le 31 août.
Note adressée à la conférence par les plénipotentiaires belges le 31 août 1832
« Londres, le 31 août 1832.
« Les soussignés plénipotentiaires de Sa Majesté le Roi des Belges, ayant exposé à leur gouvernement que les dernières communications que l'un d'eux a eu l'honneur de faire à LL. EE. les plénipotentiaires des cours d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, réunis en conférence à Londres, étaient restées jusqu'à présent sans réponse, ont reçu l'ordre de faire une nouvelle démarche auprès de LL. EE. les plénipotentiaires des cinq cours et de leur adresser la déclaration suivante :
« Par les 24 articles du 15 octobre la conférence a prononcé définitivement sur les différends qui divisent la Belgique et la Hollande ; en souscrivant à cet acte, la Belgique en a fait son droit public. Dès lors, la conférence a cessé d'avoir la faculté d'imposer de nouveaux engagements à la Belgique, sur laquelle son action se trouvait épuisée.
« Les obstacles ne viennent que de la Hollande ; il appartient donc à la conférence de les faire disparaître et d'employer tous les moyens propres à amener le cabinet de La Haye à adopter l'acte auquel celui de Bruxelles s'est déjà soumis.
« Le traité du 15 novembre a été revêtu de la sanction commune des cinq grandes puissances ; et ces ratifications successives ont irrévocablement fixé la position de la Belgique. Le gouvernement du Roi s'est trouvé ainsi autorisé à demander qu'on le mît en possession des parties de territoire dont l'occupation par les troupes hollandaises constitue un acte permanent d'hostilité.
« Juge des garanties dont il croit avoir besoin, appréciateur des précautions qu'il doit adopter, le cabinet de Bruxelles a résolu de ne prendre part aux négociations sur les points secondaires qui en sont susceptibles qu'après cette évacuation territoriale ; et en cela il a usé d'un droit incontestable.
« Il n'est pas moins certain que dès le 31 janvier 1832, la Belgique avait le droit d'exiger l'exécution du traité du 15 novembre : cependant depuis lors, elle est restée privée de tous les avantages de ce traité ; elle continue à être forcée de maintenir ses armements et même de les augmenter par suite du refus du gouvernement hollandais. Le cabinet de La Haye se trouve ainsi placé à l'égard de la Belgique, dans la position que la conférence avait en vue, lorsqu'elle déclara dans sa note du 11 juin aux plénipotentiaire néerlandais que « c'est à bon droit que la Belgique refuserait de payer, à partir du 31 janvier 1832, les arrérages de sa quote-part de la dette du royaume-uni des Pays-Bas, forcée qu'elle serait à en employer le montant à la défense légitime de son territoire. »
« Dans cet état de choses les soussignés sont chargés de déclarer à LL. EE. les plénipotentiaires des cinq cours, que le gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges se considère comme libéré, à partir du 1er janvier 1832 du paiement des arrérages de sa quote-part de la dette, et que les sommes qu'il est forcé d'employer dans le but indiqué par la conférence elle-même, étant bien supérieures au montant de ces arrérages, le cabinet de Bruxelles se réserve de s'indemniser d'une manière plus complète en les imputant sur le capital de la rente annuelle.
« Les soussignés sont en outre chargés d'insister, de nouveau, sur la nécessité de l'exécution immédiate du traité du 15 novembre par l'emploi de moyens coercitifs. Si contre toute attente, cette réclamation restait vaine comme celles qui l'ont précédée, on ne saurait contester à la Belgique le droit de prendre elle-même les mesures propres à amener un résultat depuis si longtemps attendu.
« Les soussignés saisissent avec empressement cette occasion, pour offrir à LL. EE. les plénipotentiaires des cinq cours l'assurance de leur considération la plus haute.
« (Signé) Sylvain Van De Weyer, Goblet. »
Quelque pressant que fût le ton de cette note, elle n'engagea pas encore les plénipotentiaires de Londres à se prononcer sur les questions qui y étaient de nouveau soulevées. Ils ont pris soin de se justifier de ce silence dans leur mémorandum du 24 septembre.
Bien qu'il soit déjà connu de vous, messieurs, par l'insertion qui en a été faite dans les journaux, vous me permettrez de vous en rappeler les passages suivants qui vous donneront la clef de la conduite de la conférence dans la circonstance dont je parle, tant à notre égard qu'à celui du cabinet de La Haye dont les dernières propositions étaient également restées sans réponse. Vous y verrez en même temps, l'expression des motifs qui ont engagé lord Palmerston à faire une démarche dont la Hollande n'a su ni profiter ni apprécier l'esprit.
Voici ce que je lis dans le document en question, que l’on ne peut s'empêcher de considérer malgré quelques erreurs, comme très important pour la Belgique.
« La conférence, y est-il dit, était déterminée à ne plus poursuivre officiellement une polémique que le cabinet de La Haye paraissait s'appliquer à rendre interminable ; néanmoins le désir toujours subsistant d'arriver par des voies conciliantes à l'arrangement d'un litige qui intéresse à un si haut point toute l'Europe, avait conduit les membres de la conférence à essayer dans des conversations particulières de rapprocher les deux parties.
« L'entreprise offrit des difficultés. La Belgique, armée du traité conclu avec elle, en réclamait l'exécution ; elle ne voulait entendre à aucune négociation nouvelle qu'après l'évacuation de la citadelle d'Anvers. De son côté le roi des Pays-Bas ne sortait point du cercle dans lequel il s'était retranché.
« Cependant comme son plénipotentiaire s'était annoncé pour avoir de nouveaux pouvoirs, et montrait la disposition d'apporter des facilités au règlement des points que la conférence ne pouvait s'empêcher de regarder comme exigeant des changements, celle-ci se flattait d'être enfin parvenue au point de n'avoir plus à vaincre que des difficultés secondaires et de rédaction.
« Pour les aplanir définitivement le concours direct des plénipotentiaires belges devint indispensable.
« On en représenta la nécessité au gouvernement belge, et afin de le convaincre des chances favorables qu'offrait alors la négociation, on lui fit confidentiellement part des modifications auxquelles le plénipotentiaire néerlandais s'était déjà prêté, ou semblait être prêt à souscrire. Cette représentation n'eut toutefois pas encore l'effet désiré.
« Le gouvernement belge déclina de se prononcer sur ces modifications, alléguant que le rejet du 67ème protocole par le cabinet de La Haye annonçait de sa part des vues qui rendaient toute négociation impossible avec la Belgique.
« En attendant, les deux gouvernements hollandais et belge donnaient chaque jour à leurs armements un développement et une activité, qui faisait craindre une explosion prochaine.
« Les journaux des deux pays s'emparèrent des questions où des intérêts rivaux se rencontraient, et, en les agitant, dévoilèrent de telles intentions du cabinet de La Haye, par rapport à la navigation de l'Escaut, qu'on ne peut guère être surpris de voir s'élever en Belgique des réclamations contre de pareilles intentions et nommément contre l'application provisoire du tarif de Mayence à l'Escaut.
« Ce fut dans ces circonstances, et afin de constater les véritables intentions du cabinet de La Haye et de pouvoir alors combattre avec conviction les doutes ou les prétentions du gouvernement belge que le plénipotentiaire britannique placé naturellement comme intermédiaire entre les deux parties, à la suite de plusieurs conversations séparées, tantôt avec les plénipotentiaires de la Hollande et de la Belgique, tantôt avec les membres même de la conférence, tira de son propre fond, et présenta confidentiellement à M. le baron Van Zuylen, une rédaction nouvelle des points litigieux sur lesquels les deux parties paraissaient le plus éloignées de s'entendre. »
Les citations que je viens de faire nous conduisent, messieurs, jusques dans les premiers jours de septembre.
Le thème de lord Palmerston nous fut alors confidentiellement communiqué. Il était difficile de se dissimuler que les bases posées par le ministère anglais étaient de nature à pouvoir être discutées par nous.
Mais des engagements auxquels le ministère donnait une valeur tellement absolue que, par le changement survenu dans la situation extérieure, ils étaient la seule base du système que l'on suivait avec une si consciencieuse persévérance : ces engagements, dis-je, considérés comme liant le gouvernement d'une manière irrévocable, s'opposaient à une semblable discussion ; cet obstacle, selon nous, devait néanmoins céder à des considérations plus élevées.
Au point où les choses en étaient venues et d'après la tournure qu'elles avaient prise, en présence des intérêts d'un ordre supérieur, qui devaient nous engager à ne livrer notre existence politique à la fortune des armes que quand tous les autres moyens possibles auraient été épuisés, il n'y avait pour la Belgique d'autre alternative que de rester dans le statu quo, ou bien de consentir à des négociations ayant pour objet le règlement des difficultés que le traité du 15 novembre avait laissées sans solution.
La déclaration du statu quo ne blessait pas les engagements pris par le gouvernement envers la représentation nationale. Considéré dans ses rapports avec les intérêts matériels du pays, le provisoire ne paraissait pas nous être aussi préjudiciable qu'à nos adversaires ; on pouvait donc espérer que ce moyen serait de nature à vaincre la résistance du cabinet de La Haye en le réduisant de guerre lasse.
Mais on objectait qu'il était fort douteux que dans l'état de fermentation morale qui tourmentait les esprits, on pût obtenir cette patience calme et froide et cette inébranlable fermeté, indispensables pour exécuter un plan de conduite qui exigeait le concours de la nation tout entière. Sous ce point de vue, un résultat prompt était nécessaire, indispensable, et la déclaration du statu quo ne pouvait avoir que des effets très lents.
D'un autre côté, l'adoption pure et simple des 24 articles par le gouvernement hollandais, ne pouvait plus être regardée comme un résultat que l'Europe dût désirer, puisqu'elle aurait encore laissé subsister des difficultés capitales, et partant, toutes les incertitudes existantes. Enfin, loin de nous faire reprendre notre position normale vis-à-vis des puissances, le système que je discute nous donnait, à leurs yeux, des torts de plus en plus graves. C'en était assez, concluait-on pour nous défendre d'y penser.
Ainsi nous n'avions réellement qu'un seul parti à prendre, celui de consentir à une négociation directe avec la Hollande, négociation qui, renfermée dans les limites que traçaient nos droits et l'urgence d'un prompt dénouement, n'était d'aucun danger pour la Belgique. En consentant à prendre connaissance des propositions du plénipotentiaire hollandais, le gouvernement belge ne renonçait à aucun des droits qui lui étaient acquis par le traité du 15 novembre. Il pourrait faire des réserves formelles de ce chef ; rompre les négociations quand il lui plairait, et reprendre sa position précédente, sans avoir perdu aucun de ses avantages.
Cette tentative de négociation, soit qu'elle fût couronnée des succès que l'on semblait attendre d'une coopération sincère de la part de la Hollande, soit qu'elle fût rendue infructueuse par le mauvais vouloir de celle-ci, cette tentative, dis-je, ne pouvait manquer de tourner à l'avantage de la Belgique. Dans le premier cas, ma proposition est évidente : toutes les difficultés qui devaient s'aggraver à mesure que la solution en serait plus éloignée, s'aplanissaient à l'avance. Quant au cas où la Hollande viendrait à refuser l'occasion que nous lui offrions, ne se démasquait-elle pas par ce refus ? Ne nous serions-nous pas mis alors en règle à l'égard de l'Europe, et le résultat ne pourrait-il pas être considéré comme un progrès, comme un avantage ?
Ces considérations nous parurent assez puissantes pour agir sur le gouvernement du Roi. Mais elles exigeaient des développements trop étendus pour que nous songeassions à en faire l'objet d'une correspondance, d'où devaient nécessairement provenir de longs délais. Or, il devenait indispensable de prendre une détermination d'autant plus prompte que nous étions plus près de la mauvaise saison. Je me crus donc autorisé à me rendre à Bruxelles pour exposer au gouvernement la véritable situation des choses. J'hésitai d'autant moins que je laissais M. Van de Weyer à Londres, et que l’état dans lequel se trouvaient alors les affaires, n'exigeait pas la présence dans cette capitale de deux plénipotentiaires.
J'étais porteur du thème de lord Palmerston.
En faisant cette démarche, qui fut approuvée par le gouvernement, j'avais deux objets à remplir : démontrer la nécessité de donner une preuve nouvelle et incontestable de notre désir de hâter, autant qu'il était en nous, le dénouement d'une question qui tenait l'Europe en suspens ; prouver au ministère d'alors que ses engagements ne le liaient pas de manière à ne pas lui permettre de sortir momentanément du plan de conduite qu'il s'était tracé.
J'atteignis sans peine le premier objet ; quant au second, des scrupules à la délicatesse desquels je ne puis m'empêcher de rendre un nouvel hommage, ne permirent pas à MM. les ministres de penser avec moi que les négociations auxquelles ils s'étaient engagés à ne point participer, ne pouvaient s'entendre que de négociations d'où pourraient résulter de véritables modifications du traité du 15 novembre, et non de négociations sur l'interprétation et le mode d'exécution de quelques-uns des articles de ce traité.
Ainsi, il était loin de ma pensée d'engager le gouvernement à céder un seul des droits, un seul des avantages que la Belgique avait acquis par le traité du 15 novembre. Non, messieurs, toute proposition qui aurait pu avoir cette tendance, nous eût trouvés sourds, et jamais je n'eusse consenti à m'en charger. Mais il ne s'agissait, ni de concessions ni même de négociations nouvelles. On proposait de rendre préalables les négociations ultérieures admises par les 24 articles pour l'exécution de quelques-uns d'entre eux. Si c'était là une modification, elle n'était certainement pas dans la catégorie de celles que le système sanctionné par les chambres avait pour objet de prévenir. Elle n'avait d'autre but que d'aller au-devant des difficultés qui, de secondaires qu'elles avaient d'abord paru, avaient été reconnues capitales.
Cependant les ministres se regardaient comme personnellement dans l'impossibilité de diriger le système que les nécessités du moment faisaient un devoir d'adopter ; ils offrirent leur démission et en se retirant, ils emportèrent d'augustes regrets justement mérités.
Le Roi daigna m'offrir le portefeuille des affaires étrangères. Dans toute autre circonstance, l'éloignement que j'avais à faire partie d'un ministère quelconque, ne m'aurait pas permis de céder aux désirs de Sa Majesté, quelque pénétré que je fusse du témoignage de confiance qu'elle me donnait. Mais j'appréciais vivement l'impérieuse nécessité d'imprimer une direction nouvelle à notre politique extérieure : je voyais un immense avantage à renoncer subitement à ce système auquel le cabinet de La Haye nous croyait, non sans quelque raison, irrévocablement liés. Ces convictions firent taire toutes mes répugnances, et je consentis à me charger momentanément du département des affaires étrangères.
Il y avait, comme je viens de le dire, un avantage immense à recueillir d'un changement subit de système. Oui, messieurs, lord Palmerston venait d'envoyer à La Haye son projet de traité ; de nouvelles instructions allaient être adressées au représentant du roi Guillaume à Londres, et j'avais les plus fortes raisons pour ne pas douter que ces instructions ne fussent rédigées dans l'hypothèse que nous persisterions dans notre refus d'entrer en négociation.
Il s'agissait donc de placer le plénipotentiaire hollandais dans une fausse position, si les offres de négociation qu'il avait faites de la part de sa cour n'étaient pas sincères ; il s'agissait de l'amener en présence de la conférence, et là de le convaincre de n'avoir fait montre de bonne volonté que lorsqu'il était certain de n'en pas rencontrer chez nous.
Les vues du gouvernement belge étaient donc clairement définies : entamer une négociation qui devait être terminée avant que la reprise des hostilités ne devînt impossible, s'il y avait bonne foi dans le cabinet de La Haye ; dans le cas contraire, le démasquer aux yeux mêmes de ceux qu'il était parvenu à abuser par des propositions de conciliation.
Je ne perdis point de temps. Nommé au ministère le 18 septembre, des pleins pouvoirs furent expédiés le même jour à M. Van de Weyer pour entrer en pourparlers avec le plénipotentiaire hollandais ; j'y joignis des instructions raisonnées et précises sur l'objet de ces pourparlers et sur les vues du gouvernement. La négociation n'ayant pas été entamée, je me vois, malgré mon vif désir de vous communiquer ces instructions, dans la nécessité de les tenir secrètes jusqu'à la clôture des discussions auxquelles elles doivent, tôt ou tard, servir de direction. Aujourd'hui, messieurs, je me bornerai à vous dire que toutes les précautions furent prises pour déconcerter, tout d'abord, les arrière-pensées qui auraient pu être conçues. Je devais mettre notre adversaire dans l'impossibilité de faire dégénérer les pourparlers en interminables controverses, afin de nous forcer à rester dans l'inaction. A cet effet, les pleins pouvoirs délivrés au plénipotentiaire belge furent déclarés caducs le 10 octobre, dans le cas où la négociation n'eût pas été entamée, ou qu'elle n'eût pas fait, à cette époque, les progrès que nous étions en droit d'exiger.
La démarche à laquelle nous consentions ne pouvait, comme déjà j'en ai fait l'observation, porter atteinte aux droits de la Belgique. Néanmoins, par une précaution que la chambre ne manquera pas d'apprécier, il fut prescrit à notre plénipotentiaire de faire officiellement les réserves les plus expresses sur le maintien du traité du 15 novembre, afin qu'on ne pût se flatter de l'espoir de faire tourner notre bon vouloir à notre propre préjudice.
Ces réserves sont exprimées dans la note par laquelle M. Van de Weyer annonça à la conférence qu'il était enfin muni des pleins pouvoirs pour entrer en relation directe avec le plénipotentiaire néerlandais. Cette note était ainsi conçue :
« Note adressée à la conférence par le plénipotentiaire belge, le 20 septembre 1832.
« Londres, le 20 septembre 1832.
« Le soussigné plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges a l'honneur de porter à la connaissance de LL. EE. les plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, réunis en conférence à Londres, qu'il vient d'être muni par son gouvernement de pleins pouvoirs pour entamer une négociation directe avec les plénipotentaires de Sa Majesté le roi des Pays-Bas, et pour conclure et signer un traité définitif entre la Belgique et la Hollande. LL. EE. les plénipotentiaires des cinq cours verront dans cette démarche une preuve nouvelle et éclatante des efforts que fait sans cesse Sa Majesté le roi des Belges pour écarter de l'Europe le fléau de la guerre et terminer par des voies amiables des différends qu'une disposition analogue dans l'autre partie eût depuis longtemps aplanis. Cependant, tout en consentant à ouvrir avec la Hollande une négociation définitive et de courte durée, Sa Majesté entend bien ne porter par là aucune atteinte ni aucun préjudice à ses droits. En conséquence, le soussigné a reçu l'ordre de déclarer, comme il le fait par les présentes, que Sa Majesté le roi des Belges se réserve la faculté de rompre, quand il le jugera convenable, les négociations directes avec la Hollande ; de maintenir le traité du 15 novembre 1831, qui, par rapport aux cinq puissances, demeure complet et irrévocable, et de réclamer de la conférence l'exécution des engagements contractés par les cours qu'elle représente.
« Le soussigné en transmettant à LL. EE. les plénipotentiaires des cinq cours l'expression de ses réserves expresses et formelles, les prie d'agréer l'assurance de sa plus haute considération.
(Signé) Sylvain Van De Weyer. »
Je laisse, messieurs, à la conférence elle-même le soin de vous dire ce qui accompagna et suivit cette communication, à laquelle elle attacha une grande importance, jusqu'au jour où elle soumit à une épreuve décisive le représentant de la cour de La Haye.
« Pendant qu'une démarche aussi positive, dit le mémorandum du 24 septembre, avait lieu de la part du gouvernement belge, celui des Pays-Bas adressait à la conférence, qui ne l'avait pas provoquée, une nouvelle note plus acerbe qu'aucune des précédentes, plus éloignée qu'aucune du bon esprit de conciliation, et pour laquelle il réclama hautement, sans délai, la signature immédiate du traité qu'il a proposé à la conférence par sa note du 30 juin, renouvelée par celle du 25 juillet.
« Le premier effet de cette note, qui a tout l'air d'un manifeste contre la conférence, a dû donner à celle-ci la pensée que toutes les voies de conciliation étaient épuisées ; qu'il n'y avait plus aucun moyen de rapprocher les parties, et que ses propres délibérations devraient prendre une autre marche, porter sur un autre objet.
« Cependant, toujours remplie du désir unanime de s'interposer dans une lutte si animée, pour en éloigner les périls, elle a résolu de faire encore auprès du baron Van Zuylen, une dernière tentative, dans la vue de s'assurer si, nonobstant le silence peu convenable de son cabinet sur les propositions confidentielles que lui-même lui a transmise, il n'a pas reçu des instructions et pouvoirs suffisants pour discuter sous les auspices de la conférence et avec le plénipotentiaire belge les rédactions proposées, de manière à en faire sortir un arrangement définitif. »
Cette dernière tentative, dont parle la conférence, eut lieu dans ses réunions des 24 et 25 septembre. Vous trouverez, messieurs, au nombre des pièces jointes au présent rapport, parmi les annexes du 69ème protocole, la série des questions qui furent posées au plénipotentiaire hollandais, dans les réunions dont il s'agit.
Ces questions, considérées en elles-mêmes, étaient pour le gouvernement belge, d'une importance qui n'échappera pas à la chambre. Elles constatent, en effet, dans un acte émané de la conférence :
1° Quelle est la pensée de la conférence sur la libre navigation de l'Escaut ;
2° Que les modifications n'ont été proposées qu'avec une demande de compensation pour la Belgique.
Les réponses faites aux questions dont il s'agit, donnèrent lieu à de nombreuses observations de la part de la conférence ; elles ne permirent plus de douter que « tout espoir de conciliation était pour le moment illusoire et qu'il ne restait plus à la conférence qu'à envisager la question belge sous ce point de vue, et à se concerter sur la marche à suivre ultérieurement. »
Telle était ma conviction, et dès lors je n'hésitai pas à informer notre plénipotentiaire que ses pouvoirs étaient expirés. Cette conviction ne pouvait manquer d'être partagée par tous les plénipotentiaires. Mais il en était une autre qui ne pouvait être l'objet de la même unanimité : c'était la nécessité d'en venir immédiatement aux moyens les plus énergiques pour vaincre l'obstination du cabinet de La Haye.
Notre position et celle de la Hollande étaient clairement définies : de la part de la Belgique, un acte de condescendance dans l'intérêt de la conservation de la paix de l'Europe ; de la part de la Hollande, une résistance calculée dans un but tout opposé.
« Dans la voie diplomatique, écrivais-je à M. Van de Weyer, nous avons atteint le dernier terme. La Hollande a été mise à l'épreuve, nous l'avons démasquée ; nous avons montré que les bonnes dispositions qu'elle manifestait depuis deux mois étaient le résultat d'une tactique. Au-delà de ce refus nouveau de la Hollande, il n'y a plus pour la conférence d'autre alternative que de renoncer à terminer l'affaire belge, ou de la terminer par la force. »
C'est à faire considérer la question sous ce point de vue que tendirent dès lors tous nos efforts, notre réussite fut complète auprès d'une fraction de la conférence ; si l'autre fraction a paru rester insensible à nos arguments, on ne peut, messieurs, s'en étonner : les obstacles se trouvaient hors de notre atteinte.
Le 30 septembre, le protocole n°69 fut signé ; par lui-même il est insignifiant, mais ses annexes lui donnent une grande importance.
Parmi ces pièces, j'ai déjà eu l'honneur de vous signaler, messieurs, la série des questions posées en conférence au plénipotentiaire néerlandais. J'appellerai de nouveau votre attention sur le mémorandum (annexe C), dont j'ai cité précédemment plusieurs passages pour vous faire observer que, par son insertion aux actes de la conférence :
1° Les bases posées par lord Palmerston acquièrent en quelque sorte un caractère d'authenticité, et désormais il serait impossible de nier l'engagement qui en résulte.
2° Il est officiellement, et dans les termes les plus formels, reconnu à la Belgique le droit de réclamer de chacune des cours l'exécution du traité du 15 novembre.
Considéré dans son ensemble, le protocole n°69 confirme dans des actes unanimement adoptés par la conférence, les droits acquis par la Belgique.
J'arrive, messieurs, au protocole n°70, qui fut signé le 1er octobre. Vous connaissez déjà ce document important que tous les journaux ont publié ; vous avez sans doute remarqué que toutes les opinions s'y réunissent pour blâmer hautement la conduite du cabinet de La Haye, si opposée à toutes les protestations conciliantes par lesquelles il espérait de donner le change à l'Europe.
Le protocole n°70, quoique très étendu, peut se résumer en peu de mots. Permettez-moi, messieurs, de mettre ce résumé sous vos yeux : il sera utile pour déterminer la position prise à l'époque du 1er octobre par chacune des puissances représentées dans la conférence de Londres.
« La France et l'Angleterre font une proposition tendante, 1° à ce que la Belgique soit libérée, à partir du 31 janvier 1832, des arrérages de la dette ; et 2°, si au 15 octobre le territoire belge n'était pas évacué, à frapper la Hollande d'une amende hebdomadaire d'un million de florins, imputable sur les arrérages dus au 31 janvier 1832, et ultérieurement sur le capital de la dette.
« Les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie se disent prêts à accueillir la première partie de cette proposition ; mais ils se déclarent sans pouvoirs suffisants pour adhérer à la seconde partie, et pour exiger du gouvernement des Pays-Bas, sous peine d'amende, l'exécution partielle d'un traité auquel il n'a pas encore accédé.
« Ils déclarent en outre que, dans le cas où, des mesures coercitives seraient mises à exécution par la France et l'Angleterre, leurs cours ne pourraient s'y associer. En conséquence, la Prusse propose d'en référer à la cour de Berlin, qui ferait sans doute une nouvelle démarche auprès du gouvernement néerlandais. L'Autriche et la Russie consentent, vu l'urgence, à adopter pour règle de conduite les décisions que la cour de Berlin ferait connaître.
« Les plénipotentiaires de France et d'Angleterre expriment leurs regrets de ne pouvoir adhérer à cette proposition ; ils déclarent que toutes les voies de conciliation ayant été épuisées, le moment est venu d'employer des mesures décisives contre la Hollande ; ils font les réserves les plus formelles sur l'emploi de tous les moyens que les deux gouvernements pourraient mettre en œuvre pour remplir leurs engagements envers la Belgique et pour donner force au traité. »
C'est ainsi, messieurs, que s'est trouvé solennellement posé le principe de la coercition. Ce résultat, à quoi l'attribuer, si ce n'est à la direction nouvelle donnée, le 18 septembre, par le gouvernement belge à sa politique extérieure ? Jusqu'à cette époque, celles des cinq grandes puissances qui accueillaient avec le plus d'indulgence la conduite du cabinet de La Haye, pouvaient à bon droit, soutenir qu'il n'y avait pas lieu d'admettre l'emploi des mesures coercitives, et la France et l'Angleterre n'avaient guères d'objection fondée à leur opposer. Mais du moment où le consentement de la Belgique et le refus de la Hollande d'entrer en relation directe, eurent débarrassé la voie diplomatique du dernier moyen de conciliation qui s'y offrait encore, la nécessité d'un prompt recours à des mesures extraordinaires et matérielles est hautement proclamée ; et si cette déclaration amène une dissidence d'opinions dans la conférence, cette dissidence porte tout entière sur les moyens à employer, et nullement sur le principe.
Messieurs, pour rendre plus saillant l'effet que je ne crains pas d'attribuer ici au changement de système, je ferai quelques pas en arrière et j'appellerai votre attention sur une démarche faite, au mois de juin dernier, auprès des gouvernements français et anglais.
Le 11 juin, le gouvernement avait jugé opportun d'accompagner ses réclamations auprès de la conférence pour l'exécution du traité du 15 novembre, de réclamations directes à la France et à l'Angleterre. Nous demandions que des mesures coercitives fussent prises pour rendre effective et réelle la garantie d'exécution contenue dans le traité lui-même.
Cette note fut remise à Londres le jour même où je recevais comme plénipotentiaire près la conférence, sa note du 11 juin, communiquée dans le temps à la chambre ; peu de jours après, le gouvernement britannique adressait à l'agent belge accrédité près de lui la note suivante :
« Le soussigné, principal secrétaire d'Etat de Sa Majesté pour les affaires étrangères, a l'honneur d'accuser réception de la note qui lui a été adressée le 13 courant par M. Wallet, chargé d'affaires de Sa Majesté le roi des Belges, et, en réponse, il demande la permission de dire qu'il se flatte que M. Wallet trouvera qu'on est allé, jusqu'à certain point, au-devant de l'objet de sa communication par la note que les plénipotentiaires des cinq cours, réunis en conférence pour les affaires de la Belgique, ont adressée au plénipotentiaire de Sa Majesté belge.
« Le soussigné prie M. Wallet de recevoir les assurances, etc.
« (Signé) Palmerston. »
Un office d'une teneur analogue fut adressé de la part du gouvernement français à l'envoyé du Roi à Paris, qui avait remis, le 13, une déclaration identique au cabinet des Tuileries.
Vous vous rappelez sans doute, messieurs, comment alors la France et l'Angleterre avaient satisfait à nos réclamations : c'était en arrêtant, de commun accord avec les autres puissances, les propositions annexées au 65ème protocole.
Rapprochez maintenant, messieurs, ce langage du langage si ferme et si énergique, tenu par les plénipotentiaires anglais et français dans la conférence du 1er octobre ; rapprochez des protocoles n°65 et 67, le procès-verbal de cette importante réunion, et jugez si les résultats obtenus en dernier lieu ne sont pas dus au changement de système du gouvernement belge, qui mit ainsi la France et l'Angleterre à même de prendre une attitude qui ne pouvait dès lors soulever aucune objection.
Quoiqu’il en soit, c'est le 1er octobre seulement que la question belge s'est trouvée irrévocablement fixée sur le terrain de l'exécution. Notre conduite dès lors était clairement indiquée : il ne nous restait qu'à invoquer auprès des puissances garantes du traité du 15 novembre, le principe qui se trouve posé dans le 70ème protocole. Aussi, dès l'instant où le gouvernement acquit la connaissance de cet important document, la résolution fut-elle prise de demander formellement l'exécution de la garantie stipulée par l'article 25 du traité.
C'est par suite de cette résolution que fut rédigée la déclaration dont je vais avoir l'honneur de donner lecture à la chambre : elle fut signifiée le 6 octobre au gouvernement français, et le 8 au gouvernement anglais. Voici le texte de la déclaration notifiée à la France :
« Bruxelles, le 5 octobre 1831.
« Le soussigné, ministre des affaires étrangères de Sa Majesté le roi des Belges, ayant rendu compte à son souverain de l'état des négociations ouvertes à Londres, et principalement des nouveaux actes intervenus depuis que le plénipotentiaire belge a été muni des pouvoirs nécessaires pour entrer directement en relation avec le plénipotentiaire hollandais, a reçu l'ordre de faire la déclaration suivante à S. Exc. le ministre secrétaire d'Etat de Sa Majesté le roi des Français au département des affaires étrangères.
« Le gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges s'étant adressé sous la date du 12 et du 13 juin aux cabinets des Tuileries et de St-James, pour réclamer l'exécution des engagements contractés par le traité du 15 novembre, reçut pour réponse que la conférence s'occupait des moyens propres à amener sans délai ce résultat.
« Fort de cette assurance et de l'approbation donnée par la note de la conférence du 11 juin au plan de conduite qu'il s'est tracé, le gouvernement belge comptait sur un dénouement prochain de difficultés trop longtemps prolongées, lorsque la Hollande donna subitement aux négociations une direction nouvelle et inattendue.
« Le cabinet de La Haye, en paraissant s'offrir à négocier un arrangement direct avec le gouvernement belge, avait fait croire à l'existence d'un moyen pacifique dont il restait encore à user ; en arrêtant ainsi la conférence et en donnant le change à l'opinion, il était parvenu à rejeter sur la Belgique la responsabilité des retards.
« C'est ce qui engagea le roi des Belges à se départir momentanément de la résolution de ne prendre part à aucune négociation avant l'évacuation du territoire belge. En conséquence, des mesures furent arrêtées par Sa Majesté pour ouvrir une négociation directe, à l'effet de s'assurer d'une manière certaine s'il était possible d'obtenir un arrangement à l'amiable avec la Hollande.
« L'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du roi des Belges, à Londres, fut muni le 18 septembre de pleins pouvoirs à l'effet de négocier, conclure et signer un traité direct avec le plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Pays-Bas ; le plénipotentiaire belge, en instruisant la conférence de sa nouvelle mission, déclara par une note du 20 septembre que le roi des Belges entendait ne porter aucune atteinte ni aucun préjudice à ses droits, qu'il se réservait, si la négociation directe restait sans résultat, de réclamer l'exécution des engagements contractés par chacune des cinq cours.
« Le gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges ne tarda pas à acquérir la connaissance de la note adressée à la conférence par le plénipotentiaire néerlandais, sous la date du 20 septembre, ainsi que du résultat des travaux auxquels les plénipotentiaires des cinq cours se sont livrés dans leurs réunions des 24, 25 et 26 du même mois. Il a puisé dans ces documents la conviction que le gouvernement néerlandais ne saurait être amené par les voies ordinaires de la négociation à un rapprochement direct avec la Belgique, et que tout espoir de conciliation étant devenu illusoire, il ne reste plus qu'à envisager la question belge sous ce point de vue. Dans cet état de choses, le gouvernement français reconnaîtra sans doute qu'il est dans les devoirs du soussigné de protester au nom de son souverain contre toute mesure qui pourrait encore laisser ouverture à des négociations dont une longue expérience a démontré la stérilité, soit qu'elles aient été tentées par l'action simultanée et réunie des cinq cours représentées à la conférence, soit qu'elles l'aient été par l'action séparée de quelques-unes d'entre elles. Ces dernières n'ont plus à se faire illusion sur leur influence auprès du cabinet de La Haye, surtout après l'échec éprouvé par le comte Orloff, dans la mission toute bienveillante dont il avait été chargé par la cour de Russie. Des efforts nouveaux resteraient, comme par le passé, inefficaces, et n'auraient évidemment pour résultat que de prolonger des délais préjudiciables non seulement à la Belgique, mais à l'Europe entière qu'ils tiennent en suspens, le désarmement général étant en quelque sorte attaché à la solution de la question belge.
« Le temps est donc venu de mettre à exécution un traité revêtu depuis cinq mois de la sanction commune des cinq cours, et dont l'inaccomplissement expose la paix de l'Europe à des dangers croissants et continuels. Au-delà du nouveau refus du gouvernement hollandais, il n'y a plus, pour arriver à ce résultat, que l'emploi des forces matérielles, car on ne peut supposer que les puissances admettent un ajournement indéfini qui porterait la plus grave atteinte à l'ordre public européen, et qu'après deux ans de laborieuses négociations un traité solennellement ratifié reste sans exécution.
« En conséquence, le soussigné a reçu l'ordre formel de son souverain, de réclamer du gouvernement de Sa Majesté le roi des Français l'exécution de la garantie stipulée par l'article 25 du traité du 15 novembre 1831 conclu avec la Belgique. Les circonstances requièrent des mesures vigoureuses et efficaces. Le soussigné ose espérer que le gouvernement français n'hésitera pas à les prendre, en exécution des engagements contractés envers la Belgique.
« Le soussigné prie S. Exc. le ministre secrétaire d'Etat de Sa Majesté le roi des Français au département des affaires étrangères, de mettre la présente déclaration sous les yeux du roi son auguste maître, et saisit cette occasion d'offrir à S. Exc., etc.
« (Signé) Goblet. »
Le gouvernement britannique ayant reçu une semblable déclaration, lord Palmerston en accusa réception par note du 10 octobre, en ajoutant qu'elle serait « immédiatement placée sous les yeux du roi. »
Messieurs, en s'adressant de préférence à la France et à la Grande-Bretagne, le gouvernement n'a pas entendu attacher aux ratifications de ces deux puissances, une plus grande valeur qu'aux ratifications des trois autres : suivant lui, toutes se sont placées sur la même ligne, toutes se sont liées au même titre, au même degré. Mais l'éloignement des cours de Berlin, de Vienne et de Saint-Pétersbourg, s'opposait à ce que nous pussions obtenir d'elles un concours immédiat, et la saison était trop avancée pour qu'il nous fût permis d'attendre.
Néanmoins, on pouvait donner à la préférence que nous accordions aux deux cours une interprétation fâcheuse qu'il importait de prévenir. Le plénipotentiaire du Roi près la conférence fut, en conséquence, chargé de lui adresser une copie de la déclaration dont il s'agit, et de lui faire en même temps connaître les motifs qui avaient guidé le gouvernement dans cette circonstance.
M. Van de Weyer s'acquitta de cette tâche dans les termes suivants :
Note adressée par le plénipotentiaire belge à la conférence, le 11 octobre 1832
« Le soussigné, plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges, a l'honneur d'informer LL. EE. à la conférence de Londres qu'il a remis le 8 octobre à S. Exc. lord Palmerston, principal secrétaire d'Etat de Sa Majesté britannique au département des affaires étrangères, une note signée par M. le général Goblet, ministre d'Etat chargé ad intérim du portefeuille des affaires étrangères à Bruxelles, et datée du 8 octobre, dans laquelle ce ministre déclare qu'en vertu des ordres formels de Sa Majesté le roi des Belges, il réclame de la Grande-Bretagne l'exécution de la garantie stipulée par l'article 25 du traité conclu le 15 novembre 1831 avec la Belgique, et ratifié par les cinq grandes puissances. Le soussigné a l'honneur de joindre ici une copie de cet office.
« L'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges près de Sa Majesté le roi des Français avait reçu en même temps que le soussigné l'ordre de remettre une note semblable également signée par le général Goblet.
« Si le gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges s'est adressé à la France et à la Grande-Bretagne, c'est parce que, à raison de la distance où il se trouve de Vienne, de Berlin et de St-Pétersbourg, et vu l'urgence extrême des circonstances, il a cru qu'il importait d'invoquer d'abord la garantie des cabinets dont la réponse pouvait arriver avec le plus de promptitude. L'époque avancée de la saison, la nécessité d'obtenir une solution immédiate à un résultat définitif ont seules empêché le roi des Belges de réclamer en même temps, des cours d'Autriche, de Prusse et de Russie l'exécution d'un traité qu'elles ont toutes revêtu d'une commune sanction. Cependant le soussigné s'empresse de transmettre à la conférence de Londres, copie de l'office par lequel le gouvernement belge expose aux cours de France et d'Angleterre la nécessité d'employer tous les moyens qui sont en leur pouvoir, pour amener la réalisation d'un traité dans lequel chacune des cinq puissances a contracté les mêmes engagements envers la Belgique, et s'est liée au même titre envers Sa Majesté le roi des Belges.
« Le soussigné saisit cette occasion de renouveler à LL. EE. les plénipotentiaires, les assurances de sa haute considération.
« Londres, le 11 octobre 1832.
« (Signé) Sylvain Van De Weyer»
Le gouvernement ne jugea pas encore cette communication suffisante, et par une précaution, surabondante peut-être, mais dont la chambre ne manquera pas d'apprécier la haute convenance, nos envoyés à Berlin et à Vienne reçurent l'ordre de faire directement la même communication aux gouvernements prussien et autrichien.
Voici le texte de la lettre d'envoi dont cette communication fut accompagnée.
Note adressée au cabinet de Vienne par le baron de Loë, envoyé extraordinaire de S. M. le roi des Belges près la cour d'Autriche.
« Le soussigné envoyé extraordinaire, plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges, a l'honneur, d'après les ordres de son souverain, de porter à la connaissance de son altesse sérénissime le prince de Metternich, que les nouvelles ouvertures faites à Londres ayant constaté l'impossibilité d'un arrangement direct et à l'amiable avec le cabinet de La Haye, le gouvernement belge s'est adressé par la note ci-jointe à LL. MM. le roi des Français et le roi de la Grande-Bretagne, pour demander l'exécution du traité du 15 novembre 1831, par l'emploi de mesures coercitives matérielles.
« Le soussigné a été chargé d'exprimer en même temps les regrets qu'a éprouvés le roi des Belges en échouant dans cette dernière tentative de conciliation, et de déclarer que si Sa Majesté ne s'est pas également adressée à Sa Majesté l'empereur d'Autriche, c'est que l'éloignement des lieux eût rendu impossible tout concours immédiat, et que tout nouveau retard à une époque aussi avancée de l'année, eût été préjudiciable au repos de l'Europe. Le roi des Belges, en s'adressant à ses alliés, qui depuis longtemps avaient fait les préparatifs nécessaires, n'a entendu méconnaître ni infirmer aucun des engagements résultant pour l'Autriche du même traité du 15 novembre.
« Le soussigné saisit avec empressement cette occasion de renouveler à S. A. S. le prince de Metternich, l'expression de sa considération la plus haute.
« (Signè) B. de Loë. »
Une note conçue absolument dans les mêmes termes, sauf la suscription, fut remise au cabinet de Berlin par le général De Mercx.
Messieurs, en faisant la démarche dont je viens d'avoir l'honneur de vous rendre compte, le gouvernement était loin de penser qu'il se créât l'obligation de la justifier un jour. Elle est en effet si conséquente, et, pour ainsi dire, si légale ; elle était si impérieusement commandée par tous les engagements contractés par le gouvernement et sanctionnés par les chambres, que, selon nous, nous ne pouvions nous en affranchir sans manquer au plus indispensable de nos devoirs, sans nous trouver, messieurs, en opposition manifeste avec vous-mêmes.
La nature de l'intervention réclamée comme se déduisant logiquement des engagements pris par nous et envers nous, ne peut former une question. D'où vient donc qu'elle a été si faussement interprétée, si violemment attaquée dans son principe ?
C'est que la susceptibilité nationale a cru y voir un sentiment de faiblesse et de défiance, injurieux pour l'honneur de la Belgique.
Quelque peu fondée qu'elle soit en droit comme en fait, cette susceptibilité a sa source dans des sentiments trop généreux, pour que je ne me croie pas obligé de lui donner tous ses apaisements.
Le droit d'intervention, messieurs, est écrit dans le traité du 15 novembre 1831 ; il nous lie comme il lie les puissances qui ont signé ce traité avec la Belgique et qui lui en ont garanti l'exécution.
Ce traité, le gouvernement en a fait la charte de sa politique extérieure.
En acceptant la garantie des puissances cosignataires, vous n'avez pas souscrit, messieurs, à un acte déshonorant. S'il en eût été ainsi, jamais vous n'eussiez entendu un orateur (M. Leclercq) distingué par son patriotisme autant que par la force de sa logique, et dont la chambre sentira vivement la perte ; jamais vous ne l'eussiez entendu dire « qu'il fallait demander l'exécution du traité et que nous ne serions dégagés à l'égard des puissances garantes que dans le cas où elles reculeraient devant leurs engagements. »
Si le traité est révocable, s'est écrié un honorable sénateur (Lefebre Meuret) que l'on ne peut accuser de trop de penchant pour la diplomatie, si le traité est révocable, il faut recourir aux armes, s'il est irrévocable il faut sommer la conférence de l'exécuter.
Telle a été la politique du gouvernement. Il a cru, avec vous, messieurs, que l'honneur national consistait à observer et à faire observer les engagements réciproquement pris. Cette politique a eu tout le succès que l'on devait en attendre : elle a montré pour me servir, Messieurs, de vos propres expressions, « qu'il y avait encore quelque chose de sacré dans les conventions humaines » (adresse de la chambre).
Non, Messieurs, le recours à l'Angleterre et à la France, n'est pas attentatoire à l'honneur national ; il est, au contraire, la preuve la plus convaincante de la droiture et de la loyauté belges.
Ce n'est pas parce que nous nous sentions faibles et hors d'état de nous faire justice à nous-mêmes que nous en avons appelé aux puissances ; c'est au contraire, parce que nous avions le sentiment de notre force et que ce sentiment nous donnait le droit d'exiger l'emploi des moyens dont nous n'avions consenti à nous exclure que dans l'intérêt de la paix générale.
Aussi longtemps, messieurs, que les puissances auxquelles notre recours s'est adressé restaient fidèles à leurs engagements, aussi longtemps qu'elles ne répudiaient aucune des conséquences qui en découlaient, le gouvernement ne se serait pas cru en droit de prendre l'initiative des hostilités. Mais il était résolu à n'en appeler qu'aux armes, que le jour où les puissances auraient déclaré que leur intention n'était pas de contraindre le gouvernement hollandais par le seul moyen qui fût maintenant reconnu possible ; alors nous rendions à l'Europe des engagements illusoires, et si le choc des deux peuples, devenu inévitable, faisait jaillir une étincelle qui mît l'Europe en feu, ce n'était plus sur la Belgique que pesait la redoutable responsabilité de cet événement.
Il n'en a pas été ainsi, messieurs. Les récentes déterminations de l'Angleterre et de la France, l'absence de toute opposition de la part des autres puissances, sont venues faire voir que ce n'était pas en vain que nous avions eu foi à la parole donnée, que ce n'était pas en vain que nous avions donné l'exemple d'une religieuse observation des engagements contractés.
Comme Belge, je déplore les nécessités qui résultent, pour mon pays, des obligations imposées par la situation actuelle de L'Europe. Nous eussions mieux aimé être seuls chargés du soin d'affranchir notre territoire, mais l'intérêt général s'opposait à ce que cette mission nous restât dévolue.
Par le traité du 15 novembre, nous avons souscrit à cette réserve ; la rejeter aujourd'hui, ce serait répudier nos propres engagements, et une telle conduite mettrait en péril notre existence de nation.
C'était donc au nom de ce que nous avions de plus précieux, qu'il nous était interdit d'exécuter par nous-mêmes un traité que l'Europe nous garantissait. Mais si la loyauté et nos intérêts nous faisaient une loi d'accepter cette position, le sentiment de notre force était là, nous défendant non moins impérieusement de prendre une part active à l'expédition anglo-française. Notre concours lui aurait donné toute l'apparence d'une croisade contre la Hollande ; il aurait dénaturé le caractère d’une mission toute européenne, et c'eût été de la part du gouvernement belge un acte de pusillanimité, je dirai même de lâcheté, qui n'eût pas manqué d'être répudié par vous.
Cependant, messieurs, n'inférez pas de ce qui précède, qu'une agression ennemie doive nous trouver impassibles et que nous devions confier à des mains étrangères le soin de la repousser. Non, messieurs, cette éventualité se trouve en dehors du cercle tracé par nos engagements. Là, nous conservons toute notre liberté d'action, et nous saurons en user, soit que les troupes hollandaises viennent fouler le sol de notre patrie, soit qu'elles dirigent les moyens destructeurs en leur pouvoir contre de paisibles habitants et leurs propriétés. Nous serions alors placés dans le cas d'une légitime défense, et nous ne reconnaissons à aucune puissance au monde le droit de nous imposer dans son intérêt privé l'obligation de nous offrir sans défense aux coups de nos adversaires.
Je reprends, messieurs, le développement des faits dans l'ordre ils où se sont succédé. Dès mon entrée au ministère, MM. les ministres de l’intérieur, de la justice et des finances avaient cessé de faire partie du conseil comme hommes politiques. Tant que la direction de nos affaires extérieures n'exigea pas de décision de nature à engager plus ou moins la Belgique, je consentis sans peine à assumer sur moi seul toute la responsabilité ministérielle. Il n'en pouvait plus être de même du moment où la sommation adressée le 5 octobre à la France et à la Grande-Bretagne, eut ouvert au gouvernement une carrière nouvelle dans laquelle une action forte et homogène était indispensable.
La nécessité de recomposer le ministère fut vivement sentie ; elle donna naissance aux arrangements ministériels arrêtés le 20 octobre.
Le nouveau cabinet s'est formé et s'est constitué sous des conditions très précises, très rigoureuses, ressortant, comme conséquences nécessaires, de la situation du pays et du système de politique extérieure suivi depuis mon entrée aux affaires.
Des instructions rédigées en conséquence furent adressées à nos agents diplomatiques à Paris et à Londres. En notifiant la composition du nouveau ministère, ils furent chargés de ne pas laisser ignorer les conditions sous lesquelles il s'était constitué. La note verbale remise le 23 octobre par M. Le Hon au cabinet des Tuileries, et dont je vais avoir l'honneur de donner lecture, me dispensera d'entrer à cet égard dans quelques détails. Cette pièce révélera en quelque sorte la pensée intime du ministère. La voici :
Note verbale remise le 23 octobre au ministère français, par M. l'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du Roi des Belges
« L'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges près de Sa majesté le roi des Français, s'est empressé de porter à la connaissance de S. Exc. M. le duc de Broglie, ministre secrétaire d'Etat au département des affaires étrangères, que par suite d'un arrêté royal en date du 20 octobre, le nouveau ministère belge se compose aujourd'hui de MM. le général Goblet, ministre des affaires étrangères, Lebeau, ministre de la justice et Charles Rogier, ministre de l'intérieur. M. le général baron Evain reste ministre-directeur de la guerre, et il sera sous peu de jours pourvu au département des finances.
« Le ministère n'a pu se dissimuler combien étaient graves et pressantes les circonstances dans lesquelles il est appelé à prendre la direction des affaires. Il s'est formé et se constitue sous des conditions très précises, très rigoureuses, qui ressortent comme conséquences nécessaires de la situation du pays et du changement apporté récemment dans le système de politique extérieure. Il a dû prendre en considération plusieurs faits décisifs qui ont en dernier lieu nettement dessiné la position du gouvernement belge et celle de la conférence de Londres vis-à-vis de la Hollande.
« Le Roi, en adhérant au traité du 15 novembre, a, dans l'article 25 additionnel, accepté la garantie que les puissances avaient offerte à la Belgique dès le 15 octobre 1831, lorsqu'elles se réservaient la tâche et prenaient l'engagement de le faire exécuter.
« Il est constant depuis lors, que les puissances ont épuisé près du cabinet de La Haye, avec une longanimité presque sans exemple, tous les moyens d'obtenir non seulement l'exécution de ce traité, mais même son acceptation.
« Une dernière expérience vient de faire disparaître l'obstacle que le gouvernement néerlandais avait su créer par l'offre d'une négociation directe avec la Belgique.
« Tout espoir d'arrangement, après des tentatives si souvent et si vainement répétées, ne seraient aujourd'hui qu'une illusion ; tout ajournement nouveau, qu'un danger de plus.
« Le cabinet de Bruxelles, par sa note du 5 octobre, a réclamé de la France et de la Grande-Bretagne l'accomplissement de la garantie promise. Plein de confiance dans la haute loyauté de ces gouvernements, et dans les assurances qu'il avait reçues, il s'est abstenu de fixer dans cette note le terme passé lequel la Belgique, en cas d'inaction des puissances, devait se considérer comme abandonnée à elle-même.
« Mais peu de jours nous séparent de l'époque de l'année où l'emploi des seuls moyens efficaces de contrainte devient impossible, et aucune mesure coercitive n'est encore commencée.
« Le nouveau ministère n'a consenti à subir la responsabilité de sa position qu'avec la ferme résolution d'accomplir les grands devoirs qu'elle lui impose. Le malaise intolérable du pays, la résistance chaque jour plus prononcée du gouvernement néerlandais, et la saison avancée à laquelle nous touchons, ne permettent plus au gouvernement belge de laisser subsister des doutes sur le terme où commencera pour lui, à défaut de l'intervention des puissances, l'impérieuse obligation d'employer ses propres forces.
« C'est par ces motifs et dans ce but, que le ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges a l'honneur de confirmer à S. Ex. M. le duc de Broglie, la déclaration qu'il lui a faite, que son gouvernement sera dans l'impossibilité absolue de prolonger l'attente dans laquelle il se trouve au-delà du 3 novembre prochain ; que si ce jour arrive, sans que la garantie stipulée ait reçu son exécution, ou au moins un commencement d'exécution, Sa Majesté se verra dans la nécessité de prendre possession par ses propres forces du territoire belge encore occupe par l'ennemi.
« Telle est donc la condition d'existence du nouveau ministère : évacuation du territoire pour le 3 novembre ou un commencement actif d'exécution, soit par l'action des puissances, soit par celle de l'armée nationale. Il ne peut se soutenir au-delà de ce terme si l'une ou l'autre de ces deux hypothèses ne se réalise pas ; ce n'est là de sa part ni une volonté arbitraire, ni un vain engagement ; c'est la loi irrésistible de sa position ; c'est celle qu'imposent aujourd'hui en Belgique à tout ministère quel qu'il soit l'état intérieur du pays et la force des choses.
« S. Exc. M. le duc de Broglie saura apprécier combien est sérieuse la rigueur de ce terme ; combien sont absolues, inflexibles, les nécessités d'une pareille position.
« Il n'hésitera sans doute pas à reconnaître qu'en cette circonstance ce que réclame l'intérêt de la Belgique est en parfaite harmonie avec tout ce que commandent aussi l'intérêt général de l'Europe, la foi des engagements et l'honneur des puissances qui les ont contractés.
« Le ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges saisit avec empressement cette occasion de renouveler à S. Exc. M. le duc de Broglie les assurances de sa haute considération.
« Paris, le 23 octobre 1832. »
Un office d'une teneur analogue fut remis, le 24, au cabinet de St-James par notre envoyé extraordinaire, et notre ministre plénipotentiaire à Londres.
Ces notes furent prises, à Paris comme à Londres, en sérieuse considération : vous en avez la preuve, messieurs, dans les évènements qui occupent en ce moment même la scène politique.
Les efforts soutenus de MM. Le Hon et Van de Weyer ont puissamment contribué à amener ce résultat, et je suis heureux d'avoir cette occasion de reconnaître hautement qu'ils y ont travaillé avec une activité pressante et une force d'argument qui n'est jamais restée au-dessous des circonstances et de la tâche qu'ils avaient à remplir. Cette tâche, messieurs, était loin d'être facile. Bien des obstacles encombraient encore la route. Le 22 octobre, une convention avait été signée entre la France et la Grande-Bretagne, pour amener l'exécution du traité du 15 novembre ; la pensée politique des deux gouvernements avait revêtu la forme d'un traité solennel ; il n'y avait pas à craindre qu'ils se laissassent détourner par des influences latérales. Mais celles-ci pouvaient avoir une action plus ou moins forte sur l'effet des déterminations prises, et c'était cette action qu'il fallait annuler ou du moins amortir, afin qu'il n'en résultât pas de préjudiciables délais.
Que pouvaient, me dira-t-on peut-être, ces délais sur vos propres résolutions ? Rien, messieurs, nos résolutions étaient irrévocables, mais plus nous étions décidés à ne pas prolonger notre attente au-delà du 3 novembre, plus nous aurions cru manquer à ce que nous devions au pays et à l'Europe, en prenant un parti extrême dont nous connaissions les conséquences, sans avoir tout fait pour éloigner la nécessité d'y avoir recours.
En étudiant froidement et sans partialité la situation des puissances prépondérantes de l'Europe, en elle-même, ou par rapport les unes aux autres, vous sentirez parfaitement, messieurs, que les influences dont je viens de parler étaient inévitables.
Pour certaines d'entre ces puissances, le système des ménagements envers la Hollande devait être complètement usé. Chez les autres, la conviction de l'impossibilité d'une solution amiable ne pouvait que difficilement vaincre la répugnance qu'elles éprouvaient à prêter leur adhésion ou leur simple connivence à des mesures de contrainte à main armée, contre une position monarchique que chacun identifiait, pour ainsi dire, avec la sienne propre. C'était même pour ces cours un devoir de position « privée » que de s'attacher à retarder la crise aussi longtemps que possible.
Sous ce point de vue vous étonnerez-vous, messieurs, que le 27 octobre, une tentative nouvelle ait été faite pour ramener la question sur le terrain de la conciliation, désormais reconnu stérile ? Non sans doute.
Et vous vous étonnerez aussi peu que les deux cabinets signataires de la convention du 22 octobre n'aient pas cru devoir dans cette occasion, dévier de la ligne de conduite que leur traçaient leurs engagements.
Le gouvernement ayant eu avis de cette tentative s'était empressé de faire déclarer de la manière la plus expresse à Londres qu'aucun pouvoir ne serait accordé pour négocier avant l'évacuation du territoire quelles que pussent être les offres de la Hollande.
Le même jour, 27 octobre, fut expédié de Londres la sommation du cabinet de St-James à la Hollande et à la Belgique : elle nous fut notifiée le 30 en même temps que celle du cabinet des Tuileries ; je vais avoir l'honneur de lire à la chambre la note française : la teneur de celle du gouvernement britannique est littéralement la même.
« Le soussigné, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Français, près Sa Majesté le roi des Belges, a reçu l'ordre de faire connaître à M. le général Goblet, ministre des affaires étrangères, la détermination que vient de prendre Sa Majesté le roi des Français, d'accord avec Sa Majesté britannique.
« L'inutilité reconnue des efforts si souvent renouvelés pour arriver, par la voie des négociations, à l'acceptation et à l'exécution du traité relatif aux Pays-Bas, conclu à Londres le 15 novembre 1831, les oblige à adopter la seule mesure qui leur reste, pour mettre fin à un état de choses, dont la durée plus longtemps prolongée pourrait compromettre la paix de l'Europe. Ils se voient donc contraints par les considérations ci-dessus mentionnées, et par les engagements qu'ils ont contractés, de procéder immédiatement, par les moyens qui sont en leur pouvoir, à obtenir l'évacuation respective des territoires qui se trouvent occupés par celle des deux puissances à laquelle ils ne doivent plus appartenir.
« En conséquence, le soussigné est chargé de demander que Sa Majesté le roi des Belges veuille bien faire connaître si elle consent à faire évacuer, le 12 du mois de novembre prochain, la place de Venloo, les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que les portions de territoire qui ne font pas partie du royaume de Belgique ; et dans le cas où une réponse formelle et satisfaisante à cet égard ne serait pas faite le 2 du mois de novembre prochain, le soussigné doit déclarer que toutes les mesures nécessaires seront prises pour amener ce résultat.
« Le soussigné saisit cette occasion pour renouveler à M. le général Goblet l'assurance de sa plus haute considération.
« (Signé) Comte de Latour-Maubourg. »
L'envoi d'une réponse satisfaisante était exigé pour le 2 novembre. Cette exigence eut son effet de la part de la Hollande et de la Belgique. Les résolutions des deux gouvernements anglais et français ont donc pris, dès le 2, le caractère d'un commencement d'exécution.
Vous vous rappelez, messieurs, que nous avions déclaré qu'il nous était impossible de prolonger notre attente au-delà du 3 novembre.
Aux termes de la sommation, que je viens de communiquer, nous avions à répondre d'une manière formelle et satisfaisante : dans la pensée du gouvernement, d'accord avec le traité du 15 novembre, l'évacuation ne pouvait être consentie que sauf réciprocité : c'est dans cet état des choses, que la note suivante fut rédigée et remise à l'envoyé de France.
Note adressée le 2 novembre par le ministre ad intérim des affaires étrangères à l'envoyé français
« Le soussigné, ministre des affaires étrangères de Sa Majesté le roi des Belges, a eu l'honneur de recevoir la note en date du 30 octobre dernier par laquelle M. le comte de Latour-Maubourg, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Français, lui fait connaître la détermination que vient de prendre le roi son auguste maître, d'accord avec Sa Majesté britannique, pour arriver à l'acceptation et à l'exécution du traité relatif aux Pays-Bas, conclu à Londres le 15 novembre 1831.
« Le soussigné s'est empressé de mettre cette note sous les yeux de son souverain, et il a reçu l'ordre de déclarer :
« Que Sa Majesté le roi des Belges consent à faire évacuer, le 12 de ce mois, et même à une époque plus rapprochée, la place de Venloo, les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que les portions de territoire qui ne font pas partie du royaume de Belgique, en même temps que le gouvernement belge entrera en possession de la citadelle d'Anvers, ainsi que des forts et lieux situés sur les deux rives de l'Escaut, qui font partie du territoire assigné à ce royaume par le traité du 15 novembre.
« Le soussigné saisit cette occasion de renouveler, etc.
« (Signé) Goblet »
L'envoyé extraordinaire de Sa Majesté britannique reçut le même jour une note exactement semblable.
La réponse du cabinet de La Haye, que les journaux ont publiée a été complètement négative. La flotte combinée se mit donc en mouvement le 5 de ce mois, et l'emploi des mesures maritimes commença.
Le 8, la communication suivante me fut adressée :
Note de l'envoyé français, du 8 novembre 1832
« Bruxelles, 8 novembre 1832
« Le soussigné, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Français près Sa Majesté le roi des Belges, a reçu de son gouvernement l'ordre de faire à M. le général Goblet la communication suivante :
« Leurs Majestés le roi des Français et le roi de la Grande-Bretagne, ayant reconnu la nécessité d'amener par tous les moyens qui sont à leur disposition l'exécution du traité relatif aux Pays-Bas, conclu à Londres le 15 novembre 1831, ont signé une convention destinée à régler l'emploi des mesures que Leurs Majestés se voient appelées à prendre dans le but d'obtenir, dès à présent, l'évacuation des territoires qui sont encore occupés par celle des deux puissances à laquelle, aux termes dudit traité, ces territoires ne doivent plus appartenir. Au nombre de ces mesures se trouve stipulée l'entrée en Belgique d'une armée française, pour le cas où, à la date du 15 novembre prochain, des troupes néerlandaises occuperaient encore le territoire belge. En conséquence de cette stipulation, Sa Majesté le roi des Français a fait réunir sur les frontières du royaume de Belgique une armée dès à présent prête à agir, et qui entrera en Belgique du moment où Sa Majesté le roi des Belges en aura fait exprimer le désir à Sa Majesté le roi des Français.
« Le soussigné, en priant M. le général Goblet de porter ce fait à la connaissance de son auguste souverain, saisit cette occasion de lui offrir les nouvelles assurances de sa haute considération.
« (Signé) Comte de Latour-Maubourg. »
Je répondis à cette communication par la déclaration dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture.
Note du ministre des affaires étrangères, du 9 novembre 1832
« Bruxelles, le 9 novembre 1832. »
« Le soussigné, ministre des affaires étrangères, a reçu de de M. le comte de Latour-Maubourg, une note en date du 8 novembre 1832, par laquelle le gouvernement français informe le cabinet de Bruxelles, que LL. MM. le roi des Français et le roi de la Grande-Bretagne ont concerté, par une convention, les mesures destinées à amener l'exécution du traité du 15 novembre 1831, garantie par LL. dites MM., ainsi que par LL. MM. l'empereur d'Autriche, le roi de Prusse et l'empereur de toutes les Russies.
« Le soussigné s'est empressé de porter cette communication à la connaissance de son souverain, et est autorisé à adresser au gouvernement français la déclaration suivante :
« Les mesures maritimes paraissant devoir rester inefficaces, Sa Majesté le roi des Belges est convaincue que d'autres moyens coercitifs sont indispensables, et exprime le désir que Sa Majesté le roi des Français veuille bien donner des ordres pour que les troupes françaises entrent sur le territoire belge, dans le but d'amener l'évacuation dudit territoire.
« Le soussigné saisit avec empressement cette occasion d'offrir à M. le comte de Latour-Maubourg les assurances de sa plus haute considération.
« (Signé) Goblet. »
Par suite de cette déclaration, l'armée française dès hier a dépassé notre frontière, et bientôt, je l'espère, le gouvernement pourra vous annoncer, messieurs, l'évacuation complète du territoire belge.
N'allez pas croire, messieurs, que le gouvernement considère cette évacuation comme la solution définitive de la question belge : loin de là. Il n'y voit qu'un commencement d'exécution, mais un commencement d'exécution dont il apprécie toute l'importance : c'est un coup mortel porté à l'opinion soigneusement entretenue par le gouvernement de la Hollande, que celle-ci ne manquerait pas de trouver dans plusieurs des cinq puissances un solide appui pour résister aux mesures coercitives dont elle était menacée.
Messieurs, les communications que je viens d'avoir l'honneur de vous faire vous mettront à même de juger, avec pleine connaissance de cause, du système de politique extérieure suivi par le gouvernement.
En arrivant aux affaires, le nouveau ministère avait pour guider sa marche, des engagements solennellement contractés avec l'Europe ; il ne les a pas perdus de vue.
A-t-il dans cette voie satisfait à votre légitime attente ? Vous prononcerez, messieurs, d'après les actes et les événements que chaque jour amènera.
Sûrs de n'avoir été mus que par le désir de bien mériter d'une patrie qui nous est chère avant tout, convaincus d'avoir fait, dans des circonstances difficiles, tout ce qu'exigeaient l'intérêt bien entendu et l'honneur du pays, nous croyons avoir droit à votre confiance, et nous la réclamons avec toute l'assurance que peuvent nous donner les sentiments les plus patriotiques.
Que si vous en jugez autrement, n'hésitez pas à le proclamer ; le pouvoir, messieurs, n'a rien d'attrayant dans les circonstances actuelles.
Ce serait sans regret pour nous-mêmes que nous trouverions dans le jugement de la chambre le devoir de renoncer à de pénibles fonctions. Mais nous croyons avoir le droit d'attendre de vous une résolution franche et nette qui ne nous laisse pas une de ces positions équivoques dans laquelle nous serions condamnés à l’impuissance de remplir pleinement la mission que nous n'avons pas cru devoir refuser, précisément à cause des difficultés semées sur la route et dont l'effet matériel était de restreindre le choix de la couronne.
- Le rapport terminé, on demande de toutes parts qu’il soit imprimé et distribué.
L’impression et la distribution sont ordonnées.
M. le président. - Nous avons à nommer diverses commissions : la commission des finances et des comptes et la commission de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Ces commissions seront composées de sept membres, si personne ne s’y oppose ; elles sont nommées par scrutin et par bulletin de liste à la majorité absolue. La chambre veut-elle s’occuper actuellement de ces nominations ?
M. Devaux. - Il est entré dans la chambre plusieurs membres nouveaux qui ne sont pas connus de tous leurs collègues et dont les connaissances ne sont pas encore appréciées ; il serait convenable, ainsi qu’on l’a fait l’année dernière, d’attendre quelques jours avant de procéder à la nomination des commissions. (Appuyé ! appuyé !)
M. le président. - Il doit être aussi formé une commission de comptabilité composée de six membres ; cette commission est choisie par la chambre ou par les sections.
- Plusieurs membres. - Par les sections ! par les sections !
M. le président. - Messieurs, il n’y a plus rien à l’ordre du jour. Je prie MM. les membres des sections de vouloir bien se réunir pour en nommer les présidents et secrétaires.
Les sections ont aussi à nommer les membres de la commission des pétitions.
Je prierai MM. les membres de la commission de l’adresse de vouloir bien se réunir pour préparer leur travail
Il n’y a rien à l’ordre pour aujourd’hui ou pour demain. A quel jour la chambre veut-elle se réunir ?
M. de Theux. - Il doit y avoir à faire des rapports sur les élections.
- Plusieurs voix. - Réunissons-nous dimanche !
- D’autres voix. - Non ! Lundi ! lundi !
- La séance est levée et la chambre s’ajourne à lundi.