(Moniteur belge n°163, du 11 juin 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance s’ouvre à une heure.
M. Dellafaille procède à l’appel nominal. Il donne lecture du procès-verbal, la rédaction en est adoptée.
M. Jacques fait connaître successivement l’objet de plusieurs pétitions adressées à la chambre ; les pétitions sont renvoyées à la commission spéciale.
- Un congé de huit jours est accordé à M. Serruys.
M. Mary demande la parole pour une motion d’ordre. - Messieurs, il y a quatre jours que vous avez renvoyé aux sections de la chambre le projet de loi sur les distilleries. Depuis cette époque. la chambre, occupée d’intérêts majeurs, n’a pu se réunir en sections ; aujourd’hui, il ne s’y est présenté qu’un ou deux membres. Je crois cependant qu’il est utile de porter une loi sur les distilleries ; actuellement la fraude est trop facile, car il faut apporter des changements à la législation qui nous régit. Il me semble qu’il serait nécessaire de nommer une commission pour examiner la loi, ou bien de réunir les rapporteurs des sections pour opérer le travail.
Trois principes sont en présence : en 1814 on admet l’abonnement ; en 1822 on a établi l’impôt sur les produits ; dans le projet qui nous est présenté, on propose l’impôt sur les matières en macération. Il est indispensable que la chambre prenne promptement une décision. Je demande donc qu’il vous plaise de décider que les sections nommeront chacune un membre pour former la commission qui examinera la loi.
M. Dumortier. - La proposition de l’honorable préopinant est tardive. J’ai partagé avec lui l’opinion qu’il fallait soumettre la loi sur les distilleries à une commission ; mais la chambre en a décidé autrement, et la loi est soumise aux sections. Lorsque l’on a fait le règlement, on a même demandé, c’est, je crois, M. de Brouckere, que jamais il n’y eût des commissions.
M. Ch. de Brouckere. - Non ! non !
M. Dumortier. - Toujours a-t-il été dit que l’examen par les commissions n’éclairait pas la chambre. On a cité des lois spéciales, et précisément celle sur les distilleries, pour montrer que peu de personnes avaient des notions sur cette matière, et que la chambre avait besoin d’une discussion préparatoire dans les sections pour acquérir les connaissances indispensables pour émettre un vote consciencieux.
M. Mary. - Les sections peuvent nommer des rapporteurs ; ainsi, il y aura six rapporteurs qui feront une commission. La chambre, en revenant sur sa première décision, peut adopter ma proposition.
M. Poschet. - Je m’oppose à la nomination des commissions. Le travail des sections est tout ce qu’il y a de plus essentiel ; je vois avec regret qu’on met une grande négligence à se rendre dans les sections ; ces réunions éclairent tout le monde. Quant à moi, je ne pourrai que par ce moyen m’instruire sur l’objet dont il s’agit ; et si l’examen de la loi n’a pas lieu de cette manière, je serai obligé de m’abstenir.
M. Destouvelles. - L’opinion de M. Mary peut être adoptée ; il est évident que les rapporteurs des sections peuvent se réunir. Cependant, il faut qu’un examen préalable de la loi ait lieu dans les sections, car que feraient des rapporteurs qui n’auraient rien à rapporter ? (On rit.) Quelque sentiment douloureux que j’éprouve en voyant la stagnation de cette branche de notre industrie qui a une si grande influence sur notre commerce et notre agriculture, je pense néanmoins qu’il faut attendre quelques jours : nous serons éclairés par les discussions qui auront lieu dans les journaux, et les documents qu’ils fourniront pourront être d’une grande utilité.
M. Jullien. - L’ordre du jour.
M. le président. - Plusieurs sections se sont ajournées...
M. Mary. - Je retire ma motion.
M. le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de loi sur l’organisation judiciaire. La chambre en est à l’article 18.
« Art. 18. La cour de cassation se divise en deux chambres, dont l’une porte le titre de chambre des requêtes, l’autre celui de chambre civile et criminelle. »
M. Jonet. - Dans l’hypothèse où il n’y aura pas de chambre des requêtes, hypothèse dans laquelle nous devons nous placer en conséquence du vote de la dernière séance, il est évident qu’une partie de l’article 18 doit être supprimée, et que l’autre doit être modifiée. Il doit en être de même de l’article 20, qui détermine les attributions de la chambre des requêtes et de la chambre criminelle. Le principe étant écarté, les conséquences sont également écartées.
Cependant il est dit dans la constitution que les ministres seront jugés par les chambres réunies de la cour de cassation. Il faut donc deux chambres dans cette cour ; mais quels noms porteront-elles ? Chambre criminelle, et chambre civile ; cette dénomination n’est pas exacte. Au reste, la chambre des affaires criminelles aurait-elle assez d’affaires pour être occupée ? Si elle n’en avait pas assez, il faudrait qu’elle s’occupât d’affaires civiles.
Quelque division qu’on fasse dans la cour de cassation, il faut donner aux chambres des attributions particulières ; car sans cela, l’une pourrait décider dans un sens, et l’autre dans un sens contraire sur la même question. Il faut éviter cet inconvénient, il fait encore atteindre un autre but, c’est de donner aux chambres une égalité de travail. J’ai cru qu’en donnant à la première chambre connaissance des pourvois en matière criminelle, correctionnelle et de police, des demandes en règlement de juge, un renvoi d’un tribunal à un autre, des prises à parties et des conflits d’attribution. Si la chambre y consent, je soumettrai mon amendement.
M. de Roo. - L’ordre proposé dans l’amendement ne me paraît pas convenable ; de tout temps, la chambre civile a été la première et la chambre criminelle la seconde ; d’un autre côté, l’amendement semble incomplet. Il peut arriver qu’une chambre soit surchargée, tandis que l’autre chômerait ; il faut éviter cet inconvénient, et pour cela, on pourrait ajouter à l’énumération des attributions de la chambre criminelle, les mots suivants :
« Néanmoins il sera loisible à la cour, en cas de surcharge, de renvoyer les affaires d’une chambre à l’autre. »
M. Ch. de Brouckere. - Avant de décider s’il y aura des chambres et de déterminer leurs attributions, je crois qu’il faut décider combien de juges il y aura dans la cour de cassation.
Si l’on établit des chambres, il faut encore savoir de combien de conseillers chacune sera formée. L’honorable M. Barthélemy a dit qu’il suffisait de 9 membres dans une chambre, et de 7 membres dans l’autre. On peut dire que les deux chambres auront nombre égal de conseillers. Je demande que nous revenions à l’article 2 dont la discussion a été ajournée.
M. Leclercq. - Il me semble qu’avant de reprendre l’article 2, il faut savoir combien il faudra de conseillers dans chaque chambre pour prononcer un jugement.
M. Jonet. - C’est aussi ce qu’il faut décider par les cours d’appel.
M. Destouvelles. - Pour procéder graduellement, il faut commencer par les tribunaux de première instance. On doit d’abord dire : le tribunal de première instance est composé de tant de juges. Le nombre des juges augmente pour les cours d’appel ; il augmente encore pour la cour de cassation. Telle est l’économie établie dans le projet de loi. Cet ordre est le seul rationnel.
M. Lebègue. - Il faudra savoir quel est le nombre des juges et des conseillers nécessaires pour rendre jugement ou arrêt avant de déterminer le nombre total des membres d’un tribunal ou d’une cour.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Y aura-t-il deux chambres ou une seule ; cette question est préjudicieuse. Mais pour savoir combien il y aura de membres à la cour de cassation, il faut auparavant savoir combien de conseillers sont nécessaire pour rendre arrêt.
Messieurs, avant de résoudre cette question pour la cour de cassation, on doit la résoudre pour les tribunaux de première instance et pour les cours d’appel ; il y a connexité.
M. Leclercq. - Je proposerai à la chambre de commencer la discussion par l’article 46, et d’arriver ensuite et successivement aux articles 40, et 2 et à la proposition de M. Jonet.
La chambre adopte cet ordre de discussion.
M. le président. - L’article 46 est ainsi conçu :
« Art. 46. Les tribunaux de première instance ne peuvent rendre jugement qu’au nombre de trois juges y compris le président sauf ce qui est statué pour les appels en matière correctionnelle et par les articles 41 et 42. »
M. Devaux. - Je ne m’opposerai pas à l’adoption de cet article si on laisse indécise la question de savoir par quels tribunaux seront décidés les appels de police correctionnelle. Si on ne demande ici qu’un vote provisoire, afin de préparer les bases d’après lesquelles le nombre des conseillers de la cour de cassation sera fixé, je donne mon adhésion.
M. Jaminé. - Il faut diviser l’article et ne mettre en délibération que la première partie :
« Les tribunaux de première instance ne peuvent rendre jugement qu’au nombre de trois juges y compris le président. »
M. le président. - D’après la proposition de M. Devaux, nous ne mettrons en discussion que la première partie de l’article 46.
M. Jonet. - Lorsque la section centrale a adopté l’article 46, elle a cru que les cours d’appels ne prononceraient d’arrêts qu’avec cinq conseillers. Si l’on adoptait une autre opinion, si l’on voulait sept conseillers pour rendre arrêt, je ne vois pas pourquoi en première instance on n’admettrait pas 4 et même 5 juges pour prononcer jugement, trois juges dans les autres circonstances ne sont pas suffisants ; c’est ce que l’on a éprouvé à Bruxelles. Je demande que les tribunaux de première instance puissent prononcer avec quatre juges.
M. Destouvelles. - Il existe des tribunaux de première instance où il n’y a que trois juges ; il serait impossible de les faire juger à quatre. (On rit.) Il faut de l’uniformité.
- Une voix. - Il y a des suppléants.
M. Destouvelles. - La mission des suppléants n’est légitime que quand les juges sont empêchés ; leur titre l’indique suffisamment. Et quand les suppléants sont eux-mêmes empêchés, le tribunal est complété par les avocats, selon l’ordre d’inscription.
M. Bourgeois. - Il y a des tribunaux composés de plus de trois juges. Le nombre des juges varie selon la population, le nombre des affaires. Il est vrai, comme l’a dit M. Jonet, que dans beaucoup de circonstances les tribunaux de première instance ne peuvent juger à moins de quatre juges ; donnez donc la faculté de le composer ainsi ; quelquefois un juge est chargé d’une expertise ou d’autres fonctions. Tout peut se concilier en mettant dans l’article trois juges au moins.
M. Jullien. - On lit dans l’article : « Les tribunaux de première instance ne peuvent rendre jugement qu’au nombre de trois juges. » Cela veut-il dire qu’il ne faut que trois juges ? Alors la rédaction n’est pas claire. Mais dans les tribunaux où il y a deux sections, l’une prononce avec trois juges et l’autre avec cinq. Si vous restreignez le nombre à trois, vous allez rendre des juges inutiles. J’appuie la proposition de M. Bourgeois.
M. Liedts. - L’honorable M. Jullien a très bien saisi le sens de l’article 46 ; la section centrale a voulu qu’à l’avenir les tribunaux de première instance ne puissent siéger qu’au nombre de trois juges, ni plus, ni moins. M. le rapporteur vous a déjà indiqué l’un des motifs qui ont déterminé la section centrale à introduire cette innovation ; c’est qu’il est en effet assez bizarre que la même contestation soit soumise dans certaines parties du royaume à trois juges et dans d’autres parties à cinq juges.
Un deuxième motif c’est que si l’on permet de siéger à quatre juges, on s’expose à voir un partage de voix, ce qui entraîne des frais pour les plaideurs et retarde la fin du procès.
Enfin si l’on permet aux tribunaux de première instance de siéger à 5 ou 6 juges, il n’y aura plus de gradation entre le nombre de conseillers qui connaîtront de l’affaire en appel, et celui des juges qui en ont connu en premier ressort. L’article doit rester tel qu’il est.
M. Leclercq. - La section centrale a voulu éviter l’inconvénient du soupçon qui planait sur un tribunal où l’un des juges pourrait s’absenter d’une cause, et un autre juge d’une autre cause ; c’est pour cela que dans tous les cas elle fixe le nombre des juges à trois. Ce nombre suffit quand l’affaire n’est pas considérable ; si l’affaire est considérable, il y a appel. Alors la question est décidée par sept juges.
M. Barthélemy. - J’appuie la proposition de la section centrale selon l’idée de M. Leclercq. Dans une grande ville il faut que le tribunal de première instance ait une section de commerce, une section civile, un juge d’instruction ; en tout il fera huit juges. Des raisons d’économie doivent d’ailleurs engager à fixer le nombre des juges. Il faut que l’on sache à quoi s’en tenir sur les dépenses de l’Etat.
M. Helias d’Huddeghem. - Dans les tribunaux de première instance, comme à Bruxelles, où il y a un grand nombre de causes, vous savez que les juges ont des commissions à remplir, des interrogatoires à faire, etc. Si vous réduisez le tribunal à trois, vous rendrez le service impossible. Vous savez que dans les affaires sommaires, quand une enquête doit être poursuivie, on remet la cause de huitaine en huitaine ; si indépendamment de l’enquête, un juge s’absente, il sera impossible de terminer l’affaire. J’appuie l’amendement de M. Bourgeois.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - S’il n’y a que trois juges, vous pourrez, dit-on, rendre le service impossible ; car, il y aura des enquêtes, et il arrivera des interruptions. Je puis citer la ville de Liége où le tribunal de première instance a deux sections composée chacune de trois juges, et cependant on n’y trouve pas d’inconvénients, et les affaires marchent très bien.
M. Devaux. - Tout en appuyant l’article de la section centrale, je ne sais pas s’il est assez clair et s’il dit tout ce qu’il veut dire.
Je voudrais qu’une autre locution fut employée pour dire que le nombre des juges ne peut être au-dessus ou au-dessous de trois. En lisant l’article j’ai douté de son véritable sens. Ne pourrait-on pas dire : ne peut rendre jugement qu’au nombre fixe de trois juges ?
M. Jullien. - Et que faites-vous du président du tribunal ?
M. Devaux. - Y compris le président ; c’est dans la loi… Quand il aura des juges qui chômeront on les supprimera ; car c’est le grand nombre de juges qui est la plaie de l’ordre judiciaire, parce qu’il force à admettre trop de médiocrités.
M. Helias d’Huddeghem. - Avant la constitution de l’an VIII, il y avait un certain nombre de juges....
M. Destouvelles. - Ce n’est pas là la question, (La clôture ! la clôture !)
- La chambre ferme la discussion.
M. le président. - L’amendement de M. Bourgeois consiste mettre « trois juges au moins. »
- L’amendement, mis aux voix, n’est pas adopté.
M. H. de Brouckere. - L’amendement de M. Devaux consiste à mettre : « Au nombre fixé de trois juges. »
M. le président. - M. Devaux présente-t-il un amendement ?
M. Devaux. - Oui, monsieur.
M. Dumont. - Le mot « fixe » me paraît inutile.
M. Lebeau. - L’article est assez clair, d’après la discussion.
M. Jullien. - J’insiste pour que l’on mette « le nombre fixe de trois juges, » quoique ce soit une cheville législative.
Dans des tribunaux de première instance, il y a neuf juges, si vous les obligez de siéger avec trois juges, que ferez-vous de ceux que vous mettrez hors de service ?
- Le mot « fixe » est mis aux voix et adopté.
La première partie de l’artice 46 est ainsi rédigée :
« Les tribunaux de première instance ne peuvent rendre de jugements qu’au nombre fixe de trois juges, y compris le président. »
On la met aux voix et elle est adoptée.
La chambre passe à la discussion de l’article 40, ainsi conçu :
« En matière civile, les cours d’appel ne peuvent juger qu’au nombre de sept conseillers. »
M. le ministre de la justice a proposé, dans une séance précédente, de réduire ce nombre à cinq.
M. Jaminé. - Que M. le ministre de la justice nous donne les motifs de son amendement.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs par suite de l’amendement que j’ai présenté sur l’article 40, il serait ainsi rédigé : « Les cours d’appel ne peuvent rendre arrêt qu’au nombre de 5 conseillers y compris le président. »
Sous la loi de l’an VIII, sept conseillers étaient nécessaires en matière civile ; sous la loi de l’an 1810, pour les matières correctionnelles, il suffisait de 5 conseillers et de 5 juges dans les tribunaux de chef-lieu de département. Postérieurement il a suffi de 5 conseillers pour rendre arrêt en matière civile ; je crois que ce nombre est suffisant et qu’avec une chambre composée de 6 membres instruits, l’arrêt rendu est aussi bon que s’il l’avait été par 7 conseillers. Un motif d’économie vient à l’appui de cette proposition.
Le choix entre le nombre 5 ou le nombre 7 est tout à fait arbitraire ; on peut se décider indifféremment pour l’un ou pour l’autre. Ce choix tient à la question de savoir s’il est plus utile d’avoir un grand nombre de juges ou un moindre nombre, question vivement débattue et pas encore résolue.
Mon opinion est que cinq conseillers suffisent pour rendre arrêt.
M. Van Meenen. - Et moi, je crois que cinq conseillers sont un nombre insuffisant. Le nombre des conseillers nécessaires pour rendre arrêt peut être déterminé d’après un principe. Ce principe le voici : Il faut que l’arrêt qui infirme soit porté par un nombre de juges tel qu’il surpasse le nombre les juges qui ont porté le premier jugement.
Or, le jugement rendu par trois juges peut l’avoir été à l’unanimité. Il ne peut donc être réformé par cinq juges dont la majorité n’est que de trois.
La cour qui prononce l’arrêt doit être composée d’un nombre de juges tel que la majorité l’emporte sur l’unanimité des juges du tribunal inférieur. Il faut donc au moins sept conseillers, dont la majorité est quatre.
M. Leclercq. - Messieurs, à ce que vient de dire l’honorable M. Van Meenen, on peut ajouter d’autres considérations. Il me semble que les lumières de sept magistrats choisis avec soin, présentent plus de garanties que 5. On a dit qu’il était plus difficile de trouver 7 bons juges que d’en trouver 5 ; s’il s’agissait d’une augmentation considérable de juges pour le pays, la difficulté serait réelle, mais ne peut exister pour une si petite augmentation.
Quant aux raisons d’économies, il me semble qu’elles ne peuvent être mises en balance avec une bonne justice.
Il s’agit d’une expérience faite pendant longues années ; depuis l’an VIII, on juge en matière civile avec 7 juges ; si l’on a depuis jugé avec 5 juges, cela tient à une circonstance particulière qui n’existe plus ; c’est qu’en 1815 on avait établi une chambre de cassation qui jugeait avec sept juges.
A Bruxelles, à Liége, les cours n’ayant que onze conseillers, il a fallu leur permettre de juger avec cinq.
C’est par ces considérations qu’on a dérogé aux règles qui exigeaient sept juges.
Je le répète, les lumières réunies de sept juges présentent plus de garanties que cinq, et donnent plus de considération au tribunal.
M. Barthélemy. - L’amendement de M. Van Meenen suppose parfaite égalité entre les lumières des juges et des conseillers. J’admets qu’un tribunal de trois juges prononce à l’unanimité ; et je dis que l’infirmation du jugement, par trois conseillers sur cinq, présente des garanties suffisantes parce qu’il y a plus de capacité dans les trois conseillers que dans les trois juges.
Vos juges sont mal payés, horriblement mal payés. Pour avoir ce qu’il y a de mieux dans vos tribunaux, il faut mieux payer. Les avocats qui ont quelques affaires ne se présentent pas pour être juges ; si on leur offrait de monter sur le siège, ils refuseraient. Payez mieux les juges et pour cela diminuez-en le nombre.
M. Van Meenen. - M. Barthélemy dit que je ne tiens aucun compte de la supériorité des lumières des conseillers d’appel ; mais les lumières ne s’apprécient pas par le public ; elles ne sont pas perceptibles.
Il n’est pas défendu aux juges de première instance d’avoir des lumières étendues et même supérieures à celles des conseillers d’appel ; mais ce que nous devons chercher, c’est quelque chose d’évident à tous les yeux, et ce qu’il y a d’évident pour tous, c’est le nombre. C’est pour cela que je tiens à ce que le tribunal supérieur soit composé d’un nombre de membres tel que la majorité excède l’unanimité du tribunal inférieur.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Si l’on adoptait le principe du préopinant, voyez où il nous conduirait.
Il faut que la majorité du juge d’appel surpasse l’unanimité du tribunal de première instance et de là on demande sept conseillers.
S’il doit en être ainsi en appel, à plus forte raison doit-il en être ainsi en cassation.
- Une voix. - Non !
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Or, l’unanimité en appel étant de 7 juges il en faudrait 15 en cassation, parce qu’alors il y aura huit pour majorité. Je ne pense pas qu’on veuille mettre 15 conseillers dans chaque section de la cour de cassation. En France il n’y a que 11 conseillers à la section civile.
On a dit que l’on trouverait plus de lumières dans 7 juges que dans 5, cela est possible ; mais il peut arriver aussi qu’il y ait plus de lumières dans 5 conseillers que dans 7. Le choix entre ces chiffres tient à une sorte d’arbitraire.
Il me paraît que 5 conseillers bien instruits suffisent pour rendre un bon arrêt.
Le nombre de 5 sera un moyen de faire des économies et de donner des appointements plus élevés à des hommes plus éclairés.
M. Devaux. - Une foule de raisons s’opposent à l’adoption de l’article de la section centrale.
On a invoqué des motifs d’économie ; c’est un argument puissant ; mais ce n’est pas seulement de la question d’argent que nous devons nous occuper ; nous devons aussi prendre en considération la question d’économie, d’hommes de mérite et de capacité, si je puis m exprimer ainsi.
Pour trois cours d’appel, de chacune 25 membres il vous faut 75 conseillers ; pour la cour de cassation vous aurez également besoin de 25 conseillers, total cent ; non compris les parquets, et le barreau de chacune de ces cours. Que vous restera-t-il d’hommes de mérite pour les tribunaux de première instance ? Les promotions qui vont avoir lieu les dépouilleront encore des capacités qu’ils possèdent.
La grande plaie de l’ordre judiciaire, c’est le grand nombre de juges qu’il exige ; c’est qu’il lui faut plus de capacités qu’il ne s’en produit ; cela est vrai en Belgique, cela est vrai en France, cela est vrai par tout le monde.
Si je ne craignais de passer pour paradoxal, j’irais plus loin que M. Van Meenen ; mais je suis convaincu qu’il faut plutôt considérer la qualité que la quantité.
D’après le principe de M. Van Meenen, il faudrait 21 conseillers à la cour de cassation. Ce principe exige que la majorité du tribunal qui infirme surpasse le nombre des juges qui ont rendu la décision annulée. Eh bien, en première instance le jugement a pu être rendu à l’unanimité des 3 juges ; en appel le jugement a pu être confirmé par l’unanimité des conseillers ; total 10 juges ; donc il faut en effet 21 conseillers à la cour de cassation, dont la majorité 11 pourra casser le jugement.
On a cherché à soumettre à des calculs les chances de vérité que pouvaient présenter les jugements des tribunaux ; mais à cet égard, les mathématiciens sont depuis longtemps en discordance avec les jurisconsultes.
Quand un tribunal est composé de 3 juges, la décision est prononcée à la majorité de 2 contre 1, par conséquent, la garantie ou la probabilité que cette décision approche de la vérité est double des chances de l’erreur.
Pour 5 conseillers la majorité est de 3, la minorité 2 ; la probabilité ou la certitude de l’exactitude de l’arrêt diminue ; 3 n’est pas double de 2.
Je n’admets pas ces calculs, parce que les probabilités morales sont soumises à d’autres lois que les probabilités physiques, sont moins certaines.
Je voudrais que les cours d’appel pussent juger à 5 conseillers ; et si quelques conseillers restaient, je voudrais qu’elles pussent juger à 7 membres.
M. Destouvelles. - Je me rallie à l’opinion de M. Van Meenen ; ce qu’il vous a dit est de la plus exacte vérité et est confirmé par l’expérience.
Quant à la cour de cassation, les conséquences que l’on a voulu tirer du nombre des juges de première instance et d’appel sont erronées, car la cour de cassation ne juge pas le fait, ne juge pas le fond. Elle est un tribunal spécial dont les attributions n’ont aucune connexité avec celles des autres tribunaux ; elle juge dans l’intérêt de la loi ; quand elle casse, elle renvoie devant une autre cour. Mais les raisonnements que l’on a fait s’évanouissent et il n’est pas nécessaire que les membres de cette cour soient en proportion du nombre des membres des autres tribunaux.
M. Van Meenen. - On combat mon principe, non en lui-même, mais en tirant des conséquences. La cour de cassation, comme on vient de le dire, ne juge ni du fait, ni du droit ; elle ne juge que de la conformité de l’arrêt avec la loi. Lorsqu’elle a trouvé que l’arrêt n’est pas conforme, elle renvoie, et pour la forme et pour le fonds, à une autre cour, laquelle juge les deux chambres réunies, du moins, d’après le projet en discussion.
Mon principe est resté jusqu’ici inattaquable.
Les motifs d’économie sont infiniment respectables ; mais il faut considérer la justice comme étant la première dette des gouvernements aux peuples, et nous ne devons pas trop nous enquérir combien elle coûtera ; c’est au budget que nous nous occuperons de cette question.
On a parlé des capacités… Jusqu’ici on ne s’est pas aperçu du manque de capacités. Quant à moi, je dirai : ne restreignez pas les moyens d’employer les capacités, car c’est le seul moyen de les créer.
La vérité c’est l’unanimité ; eh bien ! ne prenez qu’un seul juge en première instance pour avoir la plus grande probabilité. Il vous suffira ensuite de trois conseillers en appel, et vous réglerez votre échelle judiciaire d’après ce nombre.
Voulez-vous, en effet, n’admettre qu’un seul juge en première instance ?
M. H. de Brouckere. - Messieurs, la décision de la question qui nous occupe ne doit être soumise à l’influence d’aucun calcul. Ceux que nous a présentés M. Van Meenen ont été déjà réfutés ; ceux de M. Devaux ne me semblent pas plus justes ; les mathématiciens dont il nous a parlé n’ont jamais basé leurs calculs que sur une seule supposition, savoir que le jugement aurait été rendu à la simple majorité ; on sent que les résultats seraient tout à fait différents si on prenait une autre base.
Il me semble, moi, que la question se réduit à savoir ce qui présente le plus de garantie aux plaideurs, d’un arrêt rendu par sept juges ou d’un arrêt rendu par cinq seulement. Je trouve beaucoup plus de garantie dans le nombre de sept juges et les raisons données tout à l’heure par M. le ministre de la justice n’ont exercé aucune influence sur moi. Je sais bien comme lui que cinq bons juges valent mieux que sept mauvais ; mais ce n’est pas là la question, elle gît tout entière dans celle-ci : vaut-il mieux être jugé par sept juges que par cinq ? Pour moi l’affirmative n’est pas douteuse, et je ne conçois pas comment elle le serait pour quelqu’un.
On objecte la difficulté de trouver de bons juges. Je crois qu’il sera tout aussi facile d’en trouver sept que cinq, et c’est pourquoi je voterai pour que l’article soit maintenu. L’expérience est pour tous, messieurs, dans cette question. Autrefois les cours pouvaient juger au nombre de cinq conseillers, et bien, à l’exception des cas rares où il était impossible d’en réunir sept, elles ne siégeaient jamais en nombre inférieur. Mais, dit-on, ce n’est pas la quantité de juges qu’il faut désirer, c’est la qualité. Moi, je dis que c’est l’une et l’autre. Jusqu’ici on a toujours pensé que le tribunal supérieur devait être composé d’un plus grand nombre de juges que celui dont il est destiné à réformer les arrêts, c’est mon opinion, j’appuie donc l’article 40.
M. Fleussu. - Je remarque que dans nos discussions, tantôt on invoque l’expérience, tantôt on n’en tient aucun compte. S’agit-il de la chambre des requêtes ? On invoque l’expérience. S’agit-il de fixer le nombre des juges appelés à rendre un arrêt ? On n’en tient aucun compte.
Depuis longtemps en France les cours siègent au nombre de sept juges, et il ne paraît pas qu’on soit près de se départir de cet usage. Il en a été toujours de même chez nous. Si quelquefois à Liége on a jugé en nombre inférieur, le préopinant qui siège au-dessus de moi vous en a expliqué le motif. Ces cas, du reste, ont été très rares, et je demanderai à M. le ministre de la justice qui a assez longtemps suivi les audiences de la cour, combien de fois il lui est arrivé de plaider devant cinq juges. Je maintiens pour ma part que ce n’a pu être que fort rarement, et qu’en réalité la cour n’a siégé au nombre de cinq juges que quand il y a eu absolue impossibilité d’en trouver sept.
Remarquez-le bien, messieurs, quand il s’agit des tribunaux de première instance, vous pouvez réduire le nombre des juges à trois, parce que là, il ne s’agit de prononcer en dernier ressort que pour une valeur de 1,000 francs et au-dessous. Les cours d’appel, au contraire, prononcent sur tout votre avoir, sur votre fortune entière, et elles prononcent en dernier ressort et définitivement sans pourvoi ni recours si elles décident la question en fait, parce que comme vous le savez, la cour de cassation ne juge que du point de droit. Les cours jugent de toute votre fortune, tout ce que vous possédez au monde peut être l’objet de leurs décisions : est-ce trop pour en confier le dépôt que de demander le concours de sept personnes ?
Messieurs, la justice est une dette que vous devez payer à tous les citoyens, et il est assez singulier que dans une question de cette nature on vienne mettre en avant des raisons d’économie. L’économie ! Quand vos intérêts les plus chers, les plus précieux sont confiés à la justice ! Mais, il n’y en aura pas d’économie. En effet, le traitement des conseillers est de 5,000 francs, et il n’est pas probable que vous en éleviez le chiffre. Si vous l’élevez, ce ne sera dans tous les cas que de très peu de chose, et l’économie devient insignifiante. Et si vous l’élevez, la diminution du personnel ne changera rien à la dépense. Il n’y a donc pas de raison pour réduire le personnel des cours ; ne savez-vous pas d’ailleurs que les grands corps s’observent mieux, que l’influence de quelques hommes distingués s’y fait moins sentir ? Dans un petit tribunal, un homme ou deux plus éclairés ou prétendus tels, peuvent y exercer une grande influence. C’est à tel point que quand on plaide devant un tribunal de première instance, on sait sur qui l’on doit influer si l’on veut gagner son procès, les avocats n’y manquent pas. Enfin, messieurs, on sait que peu corrompt peu.
On a répondu à M. Van Meenen que d’après son système, il fallait que la cour de cassation jugeât au nombre de 21 conseillers. C’est une erreur, parce que s’il est essentiel que la cour d’appel juge en nombre supérieur, il n’en est pas de même de la cour de cassation qui, comme on vous l’a dit assez souvent depuis trois jours, ne juge pas le procès, mais le jugement lui-même. J’appuierai le maintien de l’article.
M. Gendebien. - J’aurai peu de chose à dire après tout ce que vous ont dit les honorables préopinants. J’aurais proposé, mais je n’ai pas osé faire cette proposition de faire rendre les jugements de première instance par un seul juge.
Je n’ai pas osé parce que je pense que nous ne sommes pas encore arrivés à ce temps où l’on pourra comprendre l’utilité d’une semblable réduction. Elle est cependant assez facile à comprendre. Quand un juge de première instance sera chargé de prononcer seul, sa responsabilité sera si grande qu’il y regardera à plus d’une fois avant de juger et qu’il passera plus d’une nuit à méditer son jugement. De la manière dont se font maintenant les choses en première instance, c’est presque toujours le président qui fait le jugement ; les autres juges s’en reposent sur lui, en sorte que vous avez des décisions rendues avec un peu plus de précipitation et avec beaucoup moins de garanties. Si on adoptait un seul juge en première instance on sent qu’il faudrait réduire le nombre des juges de l’appel, et je crois que les justiciables au lieu d’y perdre y gagneraient beaucoup.
Mais je ne veux pas entrer maintenant dans cette discussion, je ferai seulement une question à la chambre. Comment entend-elle que les juges soient rétribués ? Si elle veut qu’ils le soient bien, je ne m’opposerai pas à ce qu’on admette sept juges. Ainsi, pour moi, toute la question est de savoir comment vous les payerez ; si vous les payez bien, je le répète, je consentirai volontiers à admettre le nombre de sept juges. Dans le cas contraire,je vous engagerais à réduire le nombre à cinq et à les payer mieux. Mais si vous admettez le nombre de sept, qu’arrivera-t-il ? Quand vous discuterez le budget, c’est que vous aurez posé le chiffre sept, et que vous devrez adopter les conséquences de cette prémisse, c’est-à-dire voter des sommes suffisantes pour rétribuer ce nombre de juges car il faudra toujours en venir là si vous voulez avoir de bons magistrats.
Faites-y attention messieurs, l’étude du droit est une étude pénible, longue, aride, et à laquelle ne se livrent que les hommes qui y sont forcés par leur position. Ce sont d’ordinaire des hommes peu fortunés qui s’adonnent à cette étude rebutante ; si après de longs travaux, vous ne leur présentez qu’une misérable perspective, vous fermez l’accès de la magistrature aux hommes de mérite. Que voulez-vous par exemple que fasse un conseiller à Bruxelles, avec un traitement de 5,000 fr., s’il est marié, (si vous voulez les condamnez au célibat, c’est différent), que voulez-vous, dis-je, qu’il fasse avec 5,000 fr. s’il est marié, et s’il est père de famille ? Lésiner sur les sommes destinées à l’administration de la justice, réduire le nombre des magistrats et payez-les un peu mieux ; sans cela vous n’aurez que des hommes peu capables, car vous n’aurez pas d’avocat un peu occupé qui veuille accepter une place de conseiller et si vous en trouvez qui l’acceptent, payez-les au moins de manière à ce qu’ils ne regrettent pas leur profession d’avocat.
M. Lebeau. - Je suis entièrement de l’avis du préopinant. Je crois qu’en fait de magistrature, comme en fait d’administration, ce n’est pas la quantité qu’il fait considérer, mais la qualité ; il faut aussi la bien payer, et la bien payer non seulement en argent, mais encore en honneurs et en considération, parce qu’il est des professions qui aussi bien que les fonctions publiques, vous donnent, et de l’argent et de la considération.
Il y a concurrence sous ce rapport entre les fonctions publiques de la magistrature et d’autres professions tout aussi indépendantes, et je trouve même que jusqu’ici l’opinion publique a fort inégalement réparti la considération à laquelle les fonctions publiques ont droit comme les professions indépendantes. Il y a un double attrait, par exemple, pour le barreau ; l’indépendance la plus absolue de position et des avantages pécuniaires très élevés ; et cependant le barreau est la pépinière de la magistrature. Si celle-ci n’est pas convenablement rétribuée, quel avocat distingué voudra s’y vouer ? Il y a donc de bonnes raisons pour préférer la qualité à la quantité, et si vous vous décidez pour la première, soyez sûrs que votre décision sera ratifiée par l’opinion publique.
Ce que vous a dit M. Gendebien de l’absence de responsabilité qui résulte de la composition trop nombreuse d’un corps, et de l’avantage attaché, sous ce rapport, à un juge unique, n’est pas une utopie. En Angleterre, on en a fait l’expérience. Là, la première cour du royaume ne se compose que d’un seul juge, le chancelier, et la responsabilité a si bien le résultat signalé par l’honorable membre, que des hommes dont les antécédents laissaient parfois à désirer, ont dans cette position élevée, qui le mettait en face du public, montré la plus noble et la plus invariable intégrité. Il n’y a guère d’exemple qu’un chancelier ait jamais déshonoré le siège où il s’était assis.
La question d’argent n’est pas ici à dédaigner, car si vous décidez qu’il y aura sept juges en appel, ce nombre influera nécessairement sur celui des juges de cassation, vous devriez augmenter le corps judiciaire ; et 25 magistrats de plus font un excédent de dépense de 150 mille francs.
Il faut, d’un autre côté, améliorer la condition des conseillers, ou vous n’aurez à l’avenir que des hommes médiocres pour occuper vos sièges, et vous n’y attirerez jamais les avocats de quelque mérite. Si vous n’améliorez pas la position des conseillers, tout le monde est, du moins, d’accord qu’il faut améliorer celle des tribunaux de première instance. Il est impossible de souffrir plus longtemps qu’un juge soit plus mal payé qu’un commis d’accise (c’est vrai !) ; que voulez-vous que fasse un père de famille avec un traitement de 1,700 fr. (Car, messieurs, il y a des juges de première instance qui n’ont pas davantage), s’il n’a pas déjà une fortune à lui ? Reversez le superflu que vous destiniez à un personnel inutile dans les cours supérieures, sur les tribunaux inférieurs, et vous aurez changé la position, que vous-même avez plus d’une fois déplorée, des juges de première instance.
On vous a dit que les cours étaient souveraines pour décider irrévocablement de la fortune des citoyens, quand elles jugeaient en fait, la cour de cassation ne pouvant s’occuper de la réformation de leur arrêt que sous le rapport du droit. Mais des questions de fait sont des questions de pur bon sens ; elles sont presque toujours faciles à décider. C’est à tel point que la loi a investi les jurés du droit de les juger et de les juger, non seulement en matière de répression, mais encore dans des questions purement civiles.
C’est ainsi que cela se pratique en Angleterre pour certains cas, et aux Etats-Unis pour presque tous. Les questions purement de fait, n’exigent ni ces grandes lumières, ni ce grand nombre de juges, dont nous a parlé M. Leclercq, puisque la loi en a remis la décision au jury, même dans les cas où il ne s’agit de rien moins que de l’honneur et de la vie des citoyens.
Vous remarquerez d’ailleurs, que les juges d’appel sont moins susceptibles de se tromper que les juges de première instance ; en première instance l’instruction est moins complète ; les juges d’appel, indépendamment des lumières qu’ils peuvent tirer du jugement, l’entendent discuter par des avocats plus éclairés ; ajoutez deux juges de plus et voyez si ce ne sont pas là des garanties assez grandes.
L’honorable M. Fleussu a parlé de certaines influences, sur lesquelles il fallait agir ; si je ne me trompe, M. Fleussu a voulu dire qu’il y avait dans chaque chambre d’une cour, quelques hommes sur l’opinion desquels se forme celle des autres, et qui leur servent de fanal. Cela veut dire qu’un juge dirige la conviction de ses collègues : et qu’il suffit de frapper fort sur certaines convictions pour que les autres en reçoivent le contrecoup ; que c’est précisément ce que je ne veux pas ; c’est pour cela qu’au lieu de voir les hommes de mérite clairsemés dans le personnel nombreux de nos cours, je veux qu’on en réduise le nombre, et qu’il n’y ait autant que possible dans chacune d’elles que des hommes de mérite.
Voilà par quelle considération je demande qu’on réduise de 7 à 5 le nombre des juges, parce que je le répète, la quantité est de beaucoup en cette matière préférable à la quantité. C’est d’après ce principe que je voterai toujours dans des questions de cette nature.
M. Leclercq. - Je me bornerai à une seule observation qui n’a pas encore été faite. Mais je dirai d’abord, pour répondre à l’honorable préopinant, que les questions de fait ne sont pas toujours des questions de simple bon sens ; il y a souvent, au contraire, des questions de fait qui se mêlent aux questions de droit, et qui deviennent ainsi très ardues, et très difficiles à décider.
J’en viens à mon observation. Elle se réduit à une question de chiffres, et un chiffre suffit souvent pour répondre aux meilleurs arguments. Nous ne trouverons pas, nous dit-on, assez de capacités, si vous fixez à 7 le nombre des conseillers. Mais de cinq à sept, quelle est la différence ? Pour toutes les cours du royaume, ce sera une différence de 16 juges, quatre pour chacune des trois cours, et quatre pour la cour de cassation. Voilà 16 capacités qu’il vous faudra de plus que si vous adoptiez le nombre de cinq. Je vous le demande, sera-t-il difficile, en Belgique où l’on s’adonne si fort à l’étude du droit, de trouver ces seize capacités ? Mais l’économie, dit le préopinant, s’élèvera à 150 mille francs. 150 mille francs, soit. Mais qu’est-ce qu’une pareille économie, quand il s’agit de la bonne administration de la justice, et sur un budget de 40 millions ?
Mais, dit-on, la responsabilité diminue, dispersée qu’elle est sur un plus grand nombre de juges. Cela serait vrai dans un grand corps, mais ici le nombre n’est pas assez considérable pour redouter un semblable inconvénient ; d’ailleurs, messieurs, si l’on pouvait supposer que des juges se respectassent assez peu, et méconnussent à ce point l’importance de leurs fonctions et la sainteté de leurs devoirs, que de consulter autre chose que leur opinion consciencieuse, dans les décisions qu’ils sont appelés à rendre, croyez-vous qu’ils se retiendraient mieux avec deux juges de moins ? Je terminerai, messieurs, en invoquant à l’appui de mon opinion, l’expérience. Toujours les cours de Liége et de Bruxelles ont siégé au nombre de sept juges ; voici ce qu’on lit à ce sujet dans les observations de la cour de Bruxelles :
« Beaucoup de jurisconsultes sont d’opinion de rétablir la règle antérieure au régime hollandais, et suivie en Prusse en Hollande etc., de juger en appel au nombre de sept au cinq, nombre qui n’avait été restreint à cinq que provisoirement à et à cause du surcroît d’occupation occasionné par le service de la cour de cassation.
« Il est peu de magistrats ayant siégé quelque temps dans une cour d’appel, qui ne partagent cette opinion. M. Kockaert, jurisconsulte profond et éclairé, était de cet avis. A peine nommé premier président, il avait voulu que les chambres siégeassent autant que possible au nombre de sept. »
Les barreaux de Liége et de Bruxelles sont de cet avis, et je vous rappellerai ce que vous a dit à cet égard l’honorable M. Fleussu, qu’à Liége la cour n’a siégé au nombre de cinq conseillers que quand il était impossible d’en réunir sept.
M. Jullien. - Il y a des doctrinaires un peu moroses à la vérité, qui pensent que dans tous les corps délibérants la raison et le bon sens est toujours du côté de la minorité, parce qu’ils disent que dans une réunion de neuf individus par exemple, il est plus probable qu’on rencontrera cinq imbéciles, que cinq hommes de capacité. Je ne repousse pas tout à fait cette doctrine, elle en vaut peut-être une autre, mais vous conviendrez au moi avec moi, messieurs, que jusqu’à présente elle n’a pas encore été admise dans aucune assemblée délibérante. Quant à moi je suis toujours de l’ancien système, et je continue à penser que la présomption est que la raison est du côté de la majorité.
Or si cela est, il faut adopter l’opinion des honorables préopinants qui ont fait le calcul que le jugement pourrait être confirmé ou infirmé en appel par un nombre de juges égal à celui qui a rendu le jugement dont est appel.
Car dans ce cas on n’a que la présomption des capacités supérieures. Mais, messieurs, les capacités ne se pèsent pas, c’est le nombre qui compte, et il y a dans les tribunaux de première instance, tels juges qui sont bien supérieurs à tel conseillers, et qui ne sont juges de première instance que parce qu’ils dédaignent ou ignorent l’art de l’intrigue et l’emploi de tous ses moyens connus par lesquels on arrive aux grandes places.
On a dit que si vous admettez sept conseillers, cela vous obligerait à augmenter beaucoup le nombre des juges de cassation. Oui, si la cour était un troisième degré de juridiction ; mais, une discussion de trois jours vous a prouvé le contraire, et on vous en dit les raisons assez souvent, pour que vous en soyez maintenant convaincus.
Les questions de fait, que l’on vous a représentées comme d’une grande simplicité et comme de pures questions de bon sens sont, messieurs, d’autant plus difficiles à décider que toujours le droit repose sur le fait et que si on ne connaît pas avant tout parfaitement la question de fait, il est impossible de bien juger le droit.
Tout milite donc pour admettre le nombre de sept juges. Que si vous décidiez pour cinq, n’oubliez pas que des cas de maladie ou d’empêchement, des cas de récusation, les présidences des cours d’assises, viendront entraver la marche de la justice et la rendre peut-être impossible. Je pense qu’il n’est pas possible qu’une cour rende des arrêts à moins de sept juges.
- On demande la clôture, elle est mise aux voix et adoptée.
M. le président relit l’amendement de M. le ministre de la justice.
M. Barthelemy. - Est-ce en toute matière qu’il n’y aura que cinq juges ?
M. Liedts. - En matière civile seulement.
M. le président. - L’amendement ne le dit pas.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Pour ne rien préjuger sur la question relative aux appels de police correctionnelle, je consens à ce que mon amendement ne s’applique qu’en matière civile.
M. le président. - L’amendement sera donc rédigé ainsi : « En matière civile les cours d’appel ne peuvent juger qu’au nombre de cinq conseillers, y compris le président. »
- L’amendement est mis aux voix. L’épreuve et la contre-épreuve sont douteuses.
L’appel nominal !
On procède à l’appel nominal dont voici le résultat : sur 55 votants, 27 ont répondu non, 28 oui.
L’amendement est adopté.
Ont voté pour : MM. Barthelemy, Brabant, Boucqueau de Villeraie, Coppens, de Meer de Moorsel, de Sécus, de Terbecq, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Domis, Dumoriter, Goethals, Hye-Hoys, Jacques, Liedts, Milcamps, Olislagers, Poschet, Raikem, A. Rodenbach, Seron, Thienpont, Verdussen, Verhaghen, Ch. Vilain XIIII, Vuylsteke.
Ont voté contre : MM. Bourgeois, Coppieters, Ch. de Brouckere, H. de Brouckere, Delehaue, d’Elhoungne, Dellafaille, W. de Mérode, de Roo, Desmanet de Biesme, Destouvelles, Dewitte, Dumont, Fallon, Fleussu, Helias d’Huddegem, Jonet, Jullien, Lebègue, Leclercq, Lefèbvre, Mesdach, Raymackers, Vandenhove, Van Meenen, Watlet, de Gerlache.
- MM. de Mérode et Gendebien se sont abstenus.
M. F. de Mérode. - Je me suis abstenu parce que je n’avais pas assisté à la discussion.
M. Gendebien. - Je me suis abstenu, parce qu’aussi longtemps que le traitement des juges ne sera pas fixé à un taux convenable, j’ai la conviction que plus il y aura de juges, plus il y aura de danger pour les plaideurs.
M. Lebeau. - Il faut mettre dans l’amendement le mot « fixe », parce que l’intention de la chambre est évidemment de donner à cet article le même sens qu’à celui qui détermine le nombre de juges de première instance. (Appuyé !)
M. Helias d'Huddeghem. - Il y a opposition de la part de ceux qui ont voté contre.
M. le président. - Le mot « fixe » sera ajouté à l’article.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article 41 ainsi conçu :
« En matière correctionnelle, les arrêts ne peuvent être rendus que par six conseillers.
« En cas de partage, le prévenu est acquitté. »
M. Devaux. - Je ferai remarquer que le vote sur cet article dépend de la question de savoir si les cours jugeront les appels de police correctionnelle, ou si l’on instituera des cours criminelles. Il me semble, maintenant que nous avons déterminé le nombre des juges de première instance et d’appel, que ce serait le cas de revenir à l’article 21, car nous avons les éléments nécessaires pour décider quel sera le nombre des juges de la cour de cassation.
- Une voix - C’est juste !
M. Devaux. - La question de savoir si les appels de police correctionnelle seront attribués aux cours royales viendra plus tard.
M. Jullien. - Je crois que M. Devaux doute si les matières correctionnelles seront soumises aux cours d’appel. Mais d’après le projet de la section centrale, il n’y a pas de doute, rien ne sera changé à l’ordre actuellement existant. Les cours d’appel, comme par le passé, connaîtront des jugements rendus par les tribunaux d’arrondissement qui ressortent du chef-lieu. S’il en était autrement, il faudrait faire tout un nouveau projet, et cela nous mènerait fort loin. On nous avait proposé d’abord un projet complet d’organisation judiciaire, la section centrale s’est aperçue de l’impossibilité de s’en occuper dans cette session, ; nous nous sommes déterminés à n’organiser que la cour de cassation et une troisième cour d’appel. Si, maintenant, on veut nous faire dévier de là, pour nous occuper de la création de cours criminelles, je ne sais pas en vérité jusqu’où cela ira.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, on a plusieurs fois dans cette enceinte reproché au gouvernement de ne présenter que des lois provisoires et point complètes, et aujourd’hui quand on veut proposer un amendement on nous reproche de vouloir trop faire. Il me semble cependant que l’anomalie qui existe dans la loi est assez choquante pour que nous devions nous hâter de la faire disparaître. Pour ce qui me concerne, je veux l’égalité de tous devant la loi, et je ne veux pas qu’un habitant d’un arrondissement étranger à la province où siège une cour soit plus maltraité que celui qui habituera dans le ressort. Or, je vous le demande, n’est-ce pas une anomalie trop forte que celle qui fait que tel habitant de la Belgique est jugé par un tribunal et par un jugement, tandis qu’un autre dans un cas absolument semblable serait jugé par des conseillers et par un arrêt. Je ne peux pas admettre cette bigarrure ; aussi je demande que cet ordre de choses soit changé, et comme mon amendement influera sur le nombre de juges à attacher à chaque cour, je pense qu’il faut en rester à l’article 41 et le discuter avant de revenir à l’article 21.
M. H. de Brouckere. - Ces réflexions rentrent dans celles que je voulais présenter. Selon moi, le système des appels d’aujourd’hui est une véritable absurdité. Il y aura sans doute plusieurs amendements présentés ; j’en présenterai un pour ma part, afin de faire cesser l’anomalie existante, mais cela n’empêche pas d’adopter en ce moment la proposition de M. Devaux.
M. Leclercq. - Si vous n’admettez pas le projet de la section centrale, vous aurez à faire tout un nouveau projet, car il est impossible de changer ce qui existe sans adopter une cour criminelle, et c’est tout un autre système judiciaire à créer. La section centrale à longuement discuté cette question ; mais elle a senti après de longs débats, qu’il serait impossible avec les travaux que nous avons encore à mener à fin, dans cette session, de s’occuper d’autre chose que de l’organisation de la cour de cassation.
M. Barthelemy. - Je ne suis pas du tout de l’avis du préopinant, et je crois très simple et très facile de décider que les appels de police correctionnelle seront portés devant la cour. Dans l’état actuel de la législation, il est certain que les appels portés pour les uns à un simple tribunal de chef-lieu, pour les autres devant la cour, présentent une singulière anomalie. Quel inconvénient y aurait-il à la faire disparaître en décidant que tous les appels seraient portés devant la cour ?
M. Destouvelles. - La séparation de la justice criminelle et de la justice civile a été discutée dans vos sections et dans la section centrale. Dans cette dernière, principalement, elle a été l’objet d’une longue discussion, et il a été résolu négativement à la majorité de cinq contre deux de s’en occuper cette année.
Maintenant on attaque le projet sur un seul point ; il y a anomalie, dit-on, à voir des appels jugés tantôt par un tribunal, tantôt par une cour supérieure. L’égalité devant la loi, et toutes les autres considérations dont on a parlé, n’ont pas échappé à la section centrale, mais elle a reconnu qu’il fallait se contenter pour le moment de faire autre chose, que d’organiser la cour de cassation, une troisième cour et de toucher à quelques autres points, pour mettre votre organisation judiciaire autant que possible en harmonie avec la constitution. Vouloir plus, c’est vouloir bouleverser de fond en comble toute la législation actuelle, et pour faire une loi d’organisation judiciaire complète, je maintiens qu’il serait impossible de terminer un tel travail d’ici au premier janvier.
M. Devaux. - Je demande à faire une motion d’ordre. Il ne s’agit pas maintenant de la séparation de la justice criminelle et de la justice civile ; s’il s’en agissait, on nous permettra de dire qu’il y a de bonnes raisons pour et contre. Maintenant il s’agit seulement de savoir de combien de juges sera composée la cour de cassation, et c’est pour cela que j’ai proposé de revenir à l’article 21 du projet. Je ne crois pas que la question de l’institution de la cour criminelle puisse être traitée maintenant et d’une manière incidente.
M. Leclercq. - La discussion est commencée sur ce point, je ne vois pas ce qui empêcherait de la continuer : ce ne serait pas la discuter incidemment que de lui donner la priorité sur la discussion de l’article 21, et autant vaut la traité maintenant que plus tard.
M. H. de Brouckere. - Il me semble que puisqu’une motion d’ordre a été faire, il fait d’abord voter sur cette motion d’ordre.
- On met aux voix la question de savoir si la discussion continuera sur l’article 41. La question est résolue affirmativement.
M. H. de Brouckere. - Je ne sais pas, messieurs, où l’honorable rapporteur de la section centrale a trouvé que nous voulions tout bouleverser dans le système actuellement en vigueur, ni pourquoi il peut croire que nous ne pouvons faire disparaître l’anomalie qu’on vous a signalée, qu’au moyen d’une loi complète d’organisation judiciaire qui ne serait pas faite d’ici au premier janvier.
Pour moi j’avoue, que je n’ai pas cru que nous fussions réduits à cette extrémité, et je pense qu’il suffira d’un tout petit amendement pour permettre de porter devant la cour supérieure les appels de police correctionnelle, par quelque tribunal qu’ils aient été rendus.
Messieurs, c’est une chose révoltante que certains justiciables soient obligés de porter l’appel de leur cause devant un tribunal de première instance, tandis que d’autres ont la faculté de les porter devant une cour supérieure. Et voyez, messieurs, les singularités qui en résultent. La ville de Tournay, par exemple, a un tribunal ; les appels de ce tribunal sont portés devant le tribunal de Mons, tandis que les appels du tribunal de la petite ville de Nivelles sont portés à la cour de Bruxelles. Je vous demande si ce n'est pas une monstruosité.
Mais, dit-on, si vous décidez que les appels seront portés devant les cours, vous obligez les jurisconsultes à aller à 15 ou 20 lieues de distance chercher une justice qu’ils auraient trouvée à une plus petite distance. Je ne crois pas que les justiciables puissent se plaindre quand tout le monde convient et le rapporteur de la section centrale lui-même, que l’intérêt des justiciables est d'avoir des juges dont les lumières sont pour eux une garantie. D’ailleurs, pour remédier à cet inconvénient, on doit vous proposer un amendement (ce n’est pas que je veuille moi-même l’appuyer, mais enfin je sais qu’on vous le proposera), qui laisserait aux plaideurs la faculté de se pourvoir au tribunal du chef-lieu ou à la cour. Je crois devoir, moi, persister dans mon amendement qui tend à ce que tous les appels soient portés devant la cour.
M. Leclercq. - Au premier abord en effet, il semble qu’il y ait une inégalité choquante à faire juger des délits en appel, par les tribunaux de première instance. Cette inégalité n’est qu’apparente. On veut que l’accusé ait une garantie suffisante. Il s’agit d’une question de fait, question que les jurés décident au criminel. Eh bien, les juges des tribunaux de première instance, jusqu’au nombre de six pour les appels, ne présentent-ils pas une garantie suffisante pour les accusés ?
Les cours d’appel ont plus de connaissances, cela est vrai, pour le droit ; encore pour les questions de fait, les tribunaux de première instance ont assez de lumières, car sans cela il faudrait dire que les jurés n’ont pas assez de lumières.
Il semble qu’en allant devant une cour, le surcroît de dépense est faible ; mais il y a telle partie du ressort de Liége, qui est à plus de 40 lieues de la cour ; s’il faut appeler 20, 30 témoins, il en coûtera cher pour les payer, et celui qui appelle les paie s’il est condamné, s’il est acquitté c’est l’Etat qui paie.
Ajoutez à cela que si vous chargez les cours de prononcer sur les appels de police correctionnelle, il faudra une chambre en permanence.
La chambre des appels de police correctionnelle de la cour de Liége statue sur les jugements rendus dans quatre arrondissements de son ressort, et elle siège quatre jours par semaine ; si elle était obligée de statuer sur les jugements des douze arrondissements de son ressort, elle ne pourrait suffire en siégeant tous les jours ; il faudrait deux chambres au lieu d’une.
Tous ces inconvénients disparaissent par l’emploi des tribunaux de première instance qui présentent des garanties suffisantes.
M. Ch. de Brouckere. - L’honorable M. Leclercq se trompe quand il dit que la chambre des appels de police correctionnelle de la cour de Liége consacre quatre jours par semaine pour quatre arrondissements ; c’est pour six arrondissements.
Celui qui voudra appeler en matière correctionnelle, pourra avoir le choix devant la cour ou devant le tribunal du chef-lieu de sa province ; et cela n’est pas si ridicule. Si le prévenu ne trouve pas assez de garanties dans le tribunal de première instance, il aura la garantie de l’habitant du chef-lieu de l’arrondissement ; je ne vous là rien de choquant, rien de discordant, c’est une faculté de plus donnée aux justiciables.
M. Destouvelles. - L’ordre des juridictions est de droit public ; on ne peut pas laisser à un prévenu la faculté de saisir tel ou tel tribunal. Ceci est une vérité triviale et qui ne peut avoir de contradicteurs.
La faculté d’appeler n’appartient pas seulement aux prévenus elle appartient également au ministère public. Le ministère public aura-t-il également le choix d’appeler devant le tribunal supérieur ou devant le tribunal de première instance.
Où se videront les questions d’appel ? Je ne vois pas de moyens de résoudre cette difficulté : je ne vois pas non plus de moyens de résoudre les difficultés que présenteront les parties civiles quand il y en aura.
Il faut qu’à cet égard la loi ne laisse rien à l’action des parties et qu’elle détermine tout. Si les prévenus pouvaient choisir, il choisiraient pour prendre les positions et se mettre sur le terrain où ils auraient le plus d’avantages.
Quant aux frais lorsque le prévenu qui a été condamné appelle et traduit de nouveaux témoins, le ministère public fait entendre les témoins entendus en première instance parce qu’il faut recommencer une instruction contradictoire.
Si le prévenu est condamné, il dit payer les frais occasionnés par l’audition des témoins.
On ne peut laisser ni aux parties, ni au ministère public le choix du tribunal.
Quant à la différence qu’il y a d’être jugé par des juges ou par des conseillers, j’en ai été pénétré, tellement pénétré, que j’avais rédigé un projet de loi sur cet objet, mais j’ai été obligé d’y renoncer, à cause des circonstances.
La section centrale ne tient pas à son travail : taillez, rognez à votre aise ; nous ne travaillons que pour le bien public si nous nous trompons, nous en ferons l’aveu. Nous avons cherché à faire ce que la loi permet de faire et à le faire promptement.
La proposition du préopinant entraînerait des inconvénients graves. C’est dans l’édification d’un système général qu’on peut refondre la législation.
M. le président donne ici une nouvelle lecture de l’amendement.
M. Gendebien. - Messieurs, tout le monde est d’accord qu’il y a injustice ; mais les membres de la section centrale ont cru qu’il fallait perpétuer l’injustice, à cause de l’impossibilité de trouver un remède. Cette impossibilité existe-t-elle ? Je ne le pense pas.
Je crois que l’amendement de M. de Brouckere ne présente aucune anomalie.
L’ordre de juridiction, dit-on, est d’ordre public, soit ; mais qu’est-ce qui constitue l’ordre public ? C’est le législateur ; eh bien ; nous ferons un ordre public, qui sera sustitué à l’ancien.
Le ministère public pourra aussi appeler… Oui, le ministère public pourra aussi appeler, et si le prévenu trouve bon de suivre la juridiction indiquée par le ministère public, il s’y rendra, sinon, dans un temps donné il choisira le tribunal.
Mais, vous dit-on, s’il y a une partie civile ! eh bien, la partie civile ira devant le tribunal, pour lequel optera le prévenu d’après le principe « actor sequitur forum rei. » Le défendeur suivra le demandeur.
Nous ne faisons pas du neuf. C’est une chose juste d’abord, c’est une chose faisable puisqu’elle s’est déjà faite, et il me semble qu’aucune objection solide ne peut être opposée. Pour ne pas admettre l’amendement, il faudrait qu’il y eût impossibilité ; je crois que nous ne faisons que suivre ce qui a eu lieu sous la loi de 1790.
M. Devaux. - Je regrette que la section centrale ait commence par la cour de cassation pour venir ensuite aux cours d’appel et aux tribunaux de première instance. Je crois que c’est l’inverse qu’il fallait faire. La discussion le prouve.
Aujourd’hui on entame une question qui dans mon sens dépend d’une autre question, c’est-à-dire de savoir comment on jugera le criminel, et si on leur donnera pour accessoire les tribunaux correctionnels. De cette manière, il n’y aurait jamais déplacement que d’un arrondissement à l’autre.
Je dirai, quant à moi, que je ne saurais admettre le système des cours d’assises, tel que le propose la section centrale, système d’après lequel un accusé sera détenu trois mois avant le jugement.
M. Fleussu. - Je crois qu’au lieu de favoriser la défense, nous l’empêchons. Dans le ressort de la cour de Liége, un condamné fera-t-il un voyage de 30 à 35 lieues à tous ses témoins pour aller devant la cour ? Il aimera mieux faire son temps de prison que d’appeler. Voilà le résultat du système.
Le condamné pourra aller devant le tribunal du chef-lieu de l’arrondissement ; mais il y a des parties civiles ; il y a le ministère public… La partie civile, le ministère public n’auront pas d’option, la partie ne sera donc pas égale.
Je serai appelé, je dirai : je ne veux pas me défendre ; c’est ailleurs que je veux me faire entendre. Mais les témoins auront été assignés, et voilà des dépenses considérables.
Si la partie succombe, elle paie des dépenses considérables ; si elle gagne, c’est l’Etat qui paie.
Les juridictions sont d’ordre public ; c’est peut-être la première fois qu’il est venu dans la pensée du législateur de laisser l’option de la juridiction en matière criminelle. On pouvait autrefois s’adresser directement en appel pour les affaires civiles ; mais en matière criminelle la juridiction est d’ordre public, car sans cela il n’y aurait rien de certain, car lorsque vous assignerez, la partie dirait : je ne veux pas du tribunal du chef-lieu ; je veux de la cour d’appel ; vous voulez que se présente devant la cour d’appel ; et pour quoi faire ? Est-ce pour juger une question de droit ? non, c’est une question de fait. Eh bien, cinq juges du chef-lieu d’une province, ne peuvent-ils pas juger aussi bien que cinq conseillers ?
M. Legrelle vous a dit que les appels de police correctionnelle occupaient à Liége la section des appels, quatre jours par semaine, pour six arrondissements ; si vous voulez admettre le principe de l’amendement, il faudra encore que la cour statue sur les appels de six autres arrondissemrnts et vous serez obligés de doubler la section criminelle. Ce n’est pas là faire des économies.
M. Van Meenen. - Messieurs, il semble d’après les questions qui viennent d’être soulevées que nous perdions constamment de vue l’objet réel de la discussion. Rendons-nous compte à nous-mêmes de ce que nous faisons et si nous nous occupons d’une organisation judiciaire à complèter ou seulement de compléter notre organisation constitutionnelle. Si c’est à ce dernier œuvre quue nous travaillons, nous nous contenterons d’organiser la cour de cassation et la troisième cour d’appel, et nous prendrons quelques autres dispositions nécessaires pour harmoniser nos lois avec notre nouvelle organisation politique.
Les propositions qu’on vous fait tendent à bouleverser, on vous l’a déjà dit, l’ordre des juridictions, pour faire disparaître une anomalie qui a existé depuis longtemps sans exciter de plaintes. S’il s’agissait d’une législation nouvelle, je répugnerais d’y introduire cette anomalie, mais de ce que nous cédons à la nécessité en la maintenant provisoirement et jusqu’à ce que nous ayons le temps de créer un nouveau système complet judiciaire, ce n’est pas à dire que nous voulions la perpétuer, comme on semble nous en faire le reproche, nous la ferons au contraire disparaître, car je crois que tout le monde est d’accord sur ce point, aussitôt que nous pourrons. Cependant, différents systèmes surgissent aujourd’hui, les uns veulent que les appels soient portés au chef-lieu de la province, les autres à la cour supérieure, d’autres enfin veulent que les plaideurs puissent opter. On vous l’a déjà dit, messieurs, en police correctionnelle, il peut y avoir trois intéressés ; la partie civile, le ministère public et le prévenu, accordez-vous l’option à tous les trois ? Vous allez faire naître une foule d’incidents seulement sur la question d’option. Je crois qu’on devrait se contenter de statuer maintenant, sans rien préjuger sur le système à admettre ultérieurement en matière d’appels correctionnels, que le nombre des juges sera fixé à tant, et insérer au procès-verbal en adoptant l’article 41 la mention du non-préjugé.
M. Ch. de Brouckere. - Voici la nouvelle rédaction de mon amendement :
« Les articles 200 et 201 du code d’instruction criminelle restent en vigueur. Néanmoins en cas d’appel, il sera libre au prévenu ou aux prévenus, d’accord s’ils sont plusieurs en cause, d’exiger que les jugements soient portés devant la cour d’appel, soit qu’ils aient été rendus par un tribunal de chef-lieu, soit qu’ils l’aient été par un tribunal d’arrondissement.
« La déclaration du ou des prévenus, à cet égard, devra être notifiée dans les dix jours de la signification de l’acte d’appel.
« Faute de déclaration dans ce délai, il sera sensé s’en tenir aux dispositions des articles susmentionnés. »
Le dernier orateur nous a dit, que nous ne nous étions pas bien rendu compte de ce que nous demandions, et qu’en ce moment nous devions nous borner à l’organisation de la cour de cassation, et ne pas proposer d’autres innovations. Mais l’honorable membre a la mémoire bien courte, puisque dans la séance d’aujourd’hui, au moment même, nous venons de décider qu’au lieu de siéger au nombre de 4 ou 5 juges, les tribunaux de première instance ne siégeraient qu’à trois, que les cours qui jusqu’ici avaient siégé au nombre de sept juges ne siégeraient plus qu’à cinq. Certes, ce sont bien là des innovations.
Qu’est-ce que je demande, moi ? Un tout petit changement qui fasse disparaître l’inégalité dont je me plains, et de laisser tout le reste de nos lois en vigueur. Mais l’ordre des juridictions, dit-on, est d’ordre public et il n’appartient à personne d’y porter atteinte : on a dit que c’était là un axiome trivial ; moi, je dis que c’est un ancien préjugé, et qui peut être détruit aussitôt que la loi permettra. Ce sera une innovation chez nous, cela est vrai, mais la même chose existe en Angleterre.
Il faut, dit-on, que les choses soient égales et l’on s’écrie : quoi ! vous permettez au prévenu d’opter pour le tribunal qu’il préfère, et vous ne le permettrez pas au ministère public ! Mais, messieurs, le ministère public a aujourd’hui l’option entre trois tribunaux. Il peut choisir le tribunal du lieu du délit, ou celui du domicile, ou celui où le prévenu est saisi, et il lui est permis de porter la cause devant celui où il lui plaît de m’attraire. On a aussi parlé de la partie civile. Messieurs, il est assez pénible, quand on comparaît à la barre des accusés d’avoir à répondre aux attaques simultanées d’un avocat et du ministère public ; cela est assez pénible, dis-je, pour qu’on accorde l’option au prévenu. J’ai assisté souvent à des audiences de la cour d’assises, et j’ai vu souvent des accusés succomber plutôt sous les coups de l’avocat de la partie civile, que sous ceux du ministère public. Laissons-lui donc l’option. Quand il s’agira du fisc, le fisc subira le sort de toute autre partie.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - D’après ce qui a été dit par les préopinants, il me restera peu d’observations à faire.
La question de la séparation de la justice civile et criminelle, a été discutée dans la section centrale. J’ai même remarqué que dans la discussion, dans les observations générales qu’il a présentées sur la loi, l’honorable M. Jaminé a dit qu’il n’était nullement touché de l’axiome que tous les citoyens sont égaux devant la loi. Voici le passage de son discours :
« La prétendue violation que tous les citoyens sont égaux devant la loi ne me touche pas plus que l’objection que je viens de réfuter ; car il m’est impossible de trouver cette violation dans l’attribution que confère le législateur à un juge de première instance de décider en certain cas, comme juge d’appel ; mais avec les mêmes formes, avec les mêmes garanties pour le justiciable. »
Cette égalité devant la loi n’est pas invoquée à propos dans les circonstances actuelles. L’égalité consiste non pas à faire juger tels ou tels procès par des tribunaux différents, mais à ne pas faire acception de personnes, et à ne pas établir de juridiction pour certaines personnes, comme on le faisait autrefois. Nous avons eu pendant quelque temps la justice criminelle séparée de la justice civile ; les choses ont été changées par la loi du 24 avril 1810. Eh bien, dans les arrêtés portés en vertu de cette loi a-t-on trouvé qu’il y eût violation de l’égalité ? Nullement. Les chartes françaises ont-elles mêmes proclamé l’égalité devant la loi, et personne ne s’est avisé de prétendre en France que l’anomalie qu’on veut faire disparaître fût une inconstitutionnalité.
On vous a déjà démontré que c’était dans l’intérêt des justiciables eux-mêmes que cet ordre de choses était établi. Qui est-ce qui décide les affaires de police correctionnelle ? Ce sont les témoins, plus vous accorderez de facilité aux parties pour les faire entendre, plus vous accorderez de garanties au prévenu et à la vérité. Or, sera-ce accorder plus de facilité en faisant porter les appels devant la cour ? Ne sera-ce pas au contraire, le moyen d’empêcher que bonne justice soit rendue.
Le prévenu pourra opter et votre axiome, dit-on, que l’ordre des juridictions est de droit public est un vieux préjugé. Messieurs, un vieux préjugé, je ne le crois pas. C’est un axiome ancien sans doute, dont la justesse et les effets salutaires sont incontestables et qui a pour lui l’expérience du temps. Il mérite notre respect, et il aura le mien tant qu’on ne m’aura pas démontré clairement les avantages de ce qu’on veut mettre à la place.
- L’orateur termine en faisant remarquer que l’option du ministère public entre trois tribunaux dont a parlé M. de Brouckere est tout à la fois dans l’intérêt du prévenu qui doit désirer d’être promptement et bien jugé, et dans l’intérêt de la justice elle-même.
M. H. de Brouckere persiste dans son amendement.
M. Destouvelles fait de nouveau ressortir l’inconvénient de l’option, en ce que 4 ou 5 prévenus pourraient chacun opter pour un tribunal différent, et dans ce cas il demande quelle est l’autorité qui déciderait.
M. Lebeau appuie l’amendement de M. H. de Brouckere.
M. d'Huart, M. Jullien et M. Leclercq combattent les amendements de %%. H. et Ch. de Brouckere.
M. Barthelemy. - L’amendement ne présente aucune impossibilité ; c’est pour cela que je l’appuie. On a objecté les frais, le transport des témoins ; mais que juge-t-on en matière correctionnelle et où se trouvera-t-il le plus grand nombre d’accusés en matière correctionnelle ? Il y a des choses qui se jugent sur des procès-verbaux. Par exemple, a-t-on trouvé des poids et des mesures fausses ; une vieille aune dans une boutique ? Il y a un assez grand nombre d’affaires de cette espèce. Elles ne donnent pas lieu à discussion ni à appel.
Combien y a-t-il d’appels pour les affaires correctionnelles ? Un dixième. C’est le résultat du relevé des causes, dans les cours et dans les tribunaux.
D’où vient ce dixième ? Il vient du tribunal correctionnel qui a à juger le plus grand nombre d’affaires.
Quel est le tribunal qui a le plus grand nombre d’affaires à juger ? Bruxelles ; les autres ne signifient presque rien.
On parle de vingt, trente, quarante témoins que l’on appellera du fond de la province, pour être entendus à Liége ; mais il y aura peut-être cinq ou six affaires par an, qui dans la contrée la plus éloignée, donnerait lieu à appel ; ainsi on argumente pour le plus petit nombre d’affaires contre la proposition de M. de Brouckere.
En général, pour appeler il suffit de montrer le jugement, et non de produire des témoins. Toutes les difficultés que l’on criant ne valent pas la peine de maintenir l’anomalie.
J’adhère complètement à l’amendement de M. de Brouckere ; si vous ne l’adoptez pas, j’appuierai l’amendement de M. Ch. de Brouckere. (A lundi ! à lundi !)
M. Devaux. Je demanderai la parole pour présenter un amendement. (A lundi ! à lundi !)
M. Gendebien. - Il faut remettre à lundi la discussion et faire imprimer les amendements.
M. Dumortier. - J’appuie la motion. (A lundi ! à lundi !)
- La séance est levée à quatre heures et demie, et la suite de la discussion est renvoyée à lundi.