(Moniteur belge n°112, du 21 avril 1832 et Moniteur belge n°113 du 22 avril 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à 10 heures et un quart.
Après l’appel nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal qui est adopté.
M. Liedts analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) demande la parole. (Mouvement de curiosité.) Il s’exprime ainsi. - Messieurs, dans les séances d’hier plusieurs préopinants ont signalé avec une juste indignation le crime qui avait été commis sur la personne de M. Thorn, membre du sénat et gouverneur de la province du Luxembourg. Ce fait que je me plaisais à croire jusqu’au dernier moment exagéré, tant il y avait de déloyauté et de manque de bonne foi, nous a été malheureusement confirmé hier soit par deux membres des états du Luxembourg.
Au sortir de votre séance, je me suis empressé d’en référer à S. M. Le Roi, messieurs, pense qu’il est de la dignité de son gouvernement et de la nation d’exiger réparation d’un acte qui, s’il n’est pas désavoué par le gouvernement hollandais, doit être considéré comme une violation scandaleuse du territoire et du droit des gens. Des ordres ont été donnés à l’instant même pour prévenir le retour de pareils actes dans cette province. Je me suis déjà occupé cette nuit et je vais m’occuper encore des instructions qui m’ont été données.
L’ordre du jour est la suite de la discussion du budget de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Hier, messieurs, on m’a demandé des explications sur les dépenses du culte catholique ; je vais les donner à l’assemblée.
Ici, l’orateur lit un tableau où se trouve désignées les différentes sommes affectées à l’archevêque de Malines, et aux évêques de Liége, de Namur, de Tournay et de Gand. Il ajoute : Vous voyez, messieurs, qu’il n’y a pas absolument d’identité entre les allocations des divers évêchés ; mais cela provient de l’ancienne organisation, et je crois qu’il n’y a pas lieu à toucher à ce qui existe. Il sera plus tard présenté un rapport général à la législature pour mettre à exécution l’article de la constitution relatif au paiement des cultes. Quant à l’érection du nouveau siège de Bruges, la proposition en a été faite par la section centrale, et la chambre a adopté hier la somme qui lui était proposée.
M. Barthélemy fait remarquer que le palais de l’archevêché de Malines, qui a coûté fort cher et qui est un bâtiment neuf et magnifique, n’exige pas de réparations ; par conséquent, il ne conçoit pas la somme que l’on demande pour cet objet. Il ne voit pas la nécessité d’accorder des allocations pour dépenses diverses. Quant aux bourses et demi-bourses des séminaires, il ne pense pas qu’elles soient mises à la charge de l’Etat par la constitution, car il les regarde comme de pures gratifications et des actes de bienveillance qu’on peut supprimer quand on voudra.
M. Jullien. - Je suis charmé de voir que, malgré la révolution, il y a des places qui ne changent point ; par exemple, une place de chanoine est toujours une place de chanoine. (Rire général.) Je demanderai seulement si l’on a besoin de douze chanoines dans l’archevêché de Malines, de neuf chanoines dans l’évêché de Tournay, etc. et si l’on ne pourrait pas supprimer ces chanoines pour appliquer l’économie qui en résulterait à ces pauvres desservants qui jouissent de si minces rétributions.
C’est parmi le bas clergé, messieurs, que j’ai trouvé ces bons pasteurs dont un honorable membre nous a fait naguère un portrait si poétique, que nous avions lu quelquefois (on rit), et je crois qu’il mérite toute votre sollicitude.
L’orateur ne trouve pas les explications fournies par M. le ministre suffisantes ; il désire savoir, pour ce qui concerne les bourses et demi-bourses des séminaires, comment et à qui elles sont données. Il termine en faisant observer que, sur la somme globale demandée, on pourrait trouver de quoi payer l’évêché de Bruges.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je répondrai à l’observation de M. Barthélemy relativement aux dépenses diverses, que ces espèces d’allocations ne sont pas mises à la disposition des chefs de diocèses, mais ne sont employés que sur les demandes de l’autorité provinciale. Quant au palais de l’archevêché de Malines, il n’est pas terminé, et, d’après l’avis de l’architecte, il faudrait pour l’achever une somme de 75,000 fl., que nous ne demandons point, et que la chambre ne voudrait probablement pas accorder dans les circonstances actuelles.
Les bourses et demi-bourses des séminaires sont déjà conférées ; il est impossible qu’on veuille les supprimer en ce moment.
Quant aux chanoines, ils sont payés en vertu d’arrêtés organiques, et le gouvernement ne pouvait rien changer à leurs traitements. En résumé, je ne puis que répéter que, pour mettre plus d’uniformité dans les dépenses des diverses provinces, il sera soumis un rapport général à la législature.
M. Fallon. - Messieurs, dans le détail dont M. le ministre vient de nous donner communication, j’ai remarqué deux espèces de dépenses qui doivent fixer plus particulièrement notre attention, ce sont les traitements des professeurs près les séminaires et les bourses attachées à ces séminaires. Je ne pense pas que le clergé soit d’intention de soumettre l’instruction des séminaires à la surveillance et à l’inspection du gouvernement.
S’il en est ainsi, la chambre ne peut voter une allocation pour ces sortes de dépenses, parce que l’article 17 de la constitution s’y oppose. Cet article en effet ne charge le trésor que des frais de l’instruction publique, tels qu’ils sont réglés par la loi, et ne permet pas, par suite, de subsidier des établissements indépendants de l’administration publique.
M. Ch. Vilain XIII. - Lorsqu’on a discuté l’article 117 de la constitution au congrès, dont j’étais secrétaire, j’ai quitté la place où siège maintenant M. Liedts, à côté de M. le président, et je me suis mis à la place où siège en ce moment M. Leclercq, pour voter contre cet article ; mais, puisqu’il a été adopté, je vais expliquer quel en a été le sens et le but.
En admettant cet article, le congrès a voulu que le clergé fût payé sur le pied où il se trouvait organisé. On a voulu l’indemniser de la perte de ses biens confisqués lors de la révolution française, et dont l’Etat belge avait hérité. Il est juste que la nation, qui a profité de cette confiscation, soit chargée de pourvoir aux besoins du clergé.
Autrefois, messieurs, il n’y avait pas de bourses de séminaires, mais le clergé admettait gratis les jeunes gens dans des établissements ecclésiastiques. Qui lui a enlevé la faculté de le faire ? C’est la confiscation dont a profité l’Etat belge. Or il est juste que les frais de ces bourses soient supportés par l’Etat.
Quant au palais de Malines, il a été commencé sous les proportions beaucoup trop belles et trop grandioses par l’ancien gouvernement ; mais il est loin d’être achevé. Le roi Guillaume, qui était très bien alors avec M. de Méan, archevêque de Malines, l’avait fait construire pour allécher en quelque sorte les autres chefs du clergé ; mais en 1825 et 1826, lors de la fameuse discussion du collège philosophique, le roi fit abandonner ces palais, de sorte qu’il était inhabitable. Ce n’est que depuis un an qu’il a été préparé, et dans ce moment l’archevêque y habite, mais il n’est pas achevé. Il n’est donc pas exact de dire qu’il n’exigera pas de réparations.
(Moniteur belge n°116, du 25 avril 1832) M. d’Elhoungne. - Je ne reprends la parole dans la discussion actuelle que pour combattre une opinion émise par l’honorable préopinant, que je regarde comme erronée en fait et en droit, et comme conduisant aux conséquences les plus dangereuses pour la fortune publique et partant pour la tranquillité du pays.
L’honorable préopinant vous a dit, messieurs, que le clergé catholique jouit de traitements à titre d’indemnité pour les biens qu’il a perdus pendant notre réunion à la France.
Ce n’est pas la première fois que cette opinion a été professée à cette tribune : d’autres membres l’avaient déjà émise. Pour empêcher qu’on ne la regarde comme l’expression de l’opinion de la chambre, je crois devoir la réfuter.
En effet, messieurs, si le clergé catholique figure à notre budget, c’est uniquement en exécution d’une disposition de la constitution : « Les traitements et pensions des ministres des cultes, porte l’article 117, sont à la charge de l’Etat. » Aussi, les ministres des cultes dissidents, ceux du culte israélite figurent-ils à notre budget aussi bien que le clergé catholique ; et tous au même titre, en exécution de l’article 117 de la constitution.
Si le clergé catholique avait obtenu ces traitements à titre d’indemnité il est évident que nous n’aurions rien à accorder aux ministres des autres communions religieuses. Quels biens possédaient ces dernières dans nos provinces ? Qu’est-ce que la publication des lois françaises est venue leur enlever chez nous ? Messieurs, qu’on daigne se rappeler l’état des cultes israélite et réformé avant notre réunion à la France ; qu’on daigne se souvenir que ceux qui professaient ces cultes étaient à peine tolérés, et que leur culte, tout au plus célébré en secret, n’y possédait rien, et l’on conviendra de bonne foi que ce n’est pas à titre d’indemnité que les ministres de tous les cultes sont salariés par le trésor.
A quoi tient cette disposition ? A nos mœurs actuelles, à une nécessité du moment, à une déférence pour des habitudes fort anciennes. Jusqu’à ce que l’esprit de tolérance religieuse ait modifié davantage nos mœurs, on tentera en vain de faire pourvoir aux frais de chaque culte par ceux qui le professent. En attendant, le congrès a pris les ministres des cultes dans la position qu’ils avaient en 1830, et a voulu les y maintenir, c’est-à-dire que le trésor continuera à les salarier tous, ainsi qu’ils l’étaient précédemment.
L’opinion que je combats ne m’aurait pas fait prendre la parole, si, en même temps qu’elle me semble une erreur, je ne l’avais pas crue dangereuse.
Messieurs, la révolution française a froissé une multitude d’intérêts. Le temps, et les immenses bienfaits sortis de cette révolution ont cicatrisé les plaies. Mais consacrez l’opinion que le clergé catholique a obtenu des traitements pour les ministres, à titre d’indemnité, et bientôt vous vous verrez assaillis d’une énorme masse de réclamations ; et je vous le déclare d’avance, messieurs, la Belgique n’est pas assez riche pour réparer tous les malheurs individus occasionnés par les commotions politiques qui remontent à 1787. L’adoption du principe de l’indemnité pour le clergé catholique légitimerait toutes les réclamations que vous ne pourriez rejeter sans occasionner les grands mécontentements qu’excite tout acte qui blesse le premier principe de la justice distributive, l’égalité de tous devant la loi, et que vous ne pourriez admettre sans ruiner le trésor, obérer le pays et l’exposer à tous les dangers inhérents aux désordres dans les finances.
(Moniteur belge n°112, du 21 avril 1832) M. Dewitte. - La majoration pour l’érection d’un évêché à Bruges a été admise sur la proposition de M. Jullien…
M. Jullien. - Ce n’est pas moi qui l’ai faite.
M. Dewitte. - Sur la proposition de M. de Roo. Il est toujours constant qu’elle a été appuyée et adoptée. Or, je trouve maintenant très étonnant qu’on n’accorde pas pour les autres évêchés ce qu’on a accordé pour celui de Bruges.
M. Barthélemy répond àM. d'Elhoungne que le principe d’une indemnité envers le clergé a été consacré par un décret de l’assemblée nationale, pour confiscation de ses biens, et que, les Etats ne mourant pas, cette obligation a passé à la charge des successeurs du gouvernement français ; mais comme la dette ne s’étend qu’aux nécessités du culte, il pense que le ministre de l’intérieur aurait dû interpeller les chefs de diocèse pour savoir quels sont leurs besoins, car si la piété des fidèles leur apporte des dons, il en résultera que le gouvernement doit moins avoir à leur payer.
M. l’abbé de Haerne. - Ce n’est point par erreur, comme on l’a dit, que M. Charles Vilain XIII a expliqué que les dépenses du culte catholique étaient mises à la charge de l’Etat en compensation des biens qui lui ont été confisqués ; c’est un principe généralement admis par le clergé, et, si l’on soutenait le principe contraire, je crois qu’il préférerait renoncer à la somme qu’on lui alloue, plutôt que d’en subir les conséquences. C’est pour avoir perdu de vue ce principe qu’un membre de cette assemblée vous a adressé plusieurs questions sur les chanoines, sur les bourses des séminaires. Mais qui a privé le clergé de la faculté de faire lui-même le fonds de ces bourses et de s’entretenir à ses frais ? Voilà ce que je lui demande à mon tour.
L’orateur combat ensuite la conclusion qu’a tirée M. d'Elhoungne de ce qu’une somme est aussi portée au budget pour le culte protestant, qui n’a pas été dépouillé de ses biens, et il fait remarquer en passant que le culte protestant compte des désignations sur lesquelles on pourrait bien demander des renseignements, telles, par exemple, que celles des diverses personnes attachées au culte, de lecteurs, de pensions d’enfants et de marguilliers, etc. Il ajoute que dans ce culte un pasteur de la Flandre occidentale jouit d’une pension de 1,400 fl., tandis que le premier curé de la ville de Gand, qui a 14,000 ouailles, n’a qu’un traitement de pareille somme.
M. Goethals, d’après les explications de M. le ministre de l'intérieur, déclare retire son amendement.
M. Dubus fait observer que la somme demandée est loin d’atteindre le chiffre du budget décennal et même celui de 1830. Quant à la question soulevée à l’occasion de l’article 117 de la constitution, il ne doute pas qu’il y avait en faveur du clergé un droit préexistant résultant de la confiscation de ses biens, qui s’élevaient, dit-il, à 2 ou 3 milliards sans compter les dîmes. Il ne conçoit pas les sarcasmes qu’on a lancés contre les chanoines, et qu’on trouve leurs traitements exagérés. Il ajoute que, si l’on supprimait un chanoine à 80 fl. pour répartir l’économie sur 800 curés, il n’aurait qu’un florin chacun.
- On demande la clôture.
M. le président se dispose à mettre aux voix l’article.
M. Jullien propose de prendre la somme de 21,155 fl. pour l’érection d’un évêché à Bruges sur la somme globale de la lettre A, affectée aux évêchés et à l’archevêché.
M. Dubus fait observer que ce serait contraire à l’opinion de la section centrale et au vote de la chambre, qui ont entendu majorer l’article de cette somme et non pas le diminuer en l’y comprenant. Il demande en conséquence la question préalable.
M. Jullien demande à développer son amendement. Il déclare, relativement à l’article 117 de la constitution, partager l’avis de M. d'Elhoungne ; or, si l’on veut, dit-il, que ce soit une indemnité qu’accorde la constitution, cette indemnité ne peut s’étendre qu’aux sommes absolument nécessaires pour le culte. Quant aux chanoines, sur lesquels on a dit qu’il avait lancé des sarcasmes amers, il n’en voit pas la nécessité, si le culte peut marcher sans ces chanoines. Du reste, il fait observer qu’on présente toujours la question de spoliation comme si elle avait été entière, tandis qu’on a accordé à des moines des bons avec lesquels ils ont acheté de belles propriétés, et qu’on a rendu aux fabriques les biens des églises qui n’avaient pas été aliénés.
- La question préalable proposée par M. Dubus est mise aux voix et adoptée.
Le chiffre total de l’article premier s’élevant à 160,292 fl. est également adopté.
« Art. 2. Culte réformé. Traitements des ministres et autres frais : fl. 33,260. »
M. Barthélemy., d’après les termes généraux de la constitution, ne voit pas la nécessité de payer les pensions de tous les cultes, et il demande la suppression de l’article.
M. d’Huart. - Je ne m’attendais pas, messieurs, à ce qu’un membre de cette assemblée vînt contester…
- De toutes parts. - Il est le seul, c’est inutile.
Après un léger débat, l’allocation est adoptée.
« Art. 3. Culte israélite. Traitements et autres frais : fl. 2,500. »
M. Lebeau. - Je viens demander la réparation d’une erreur de chiffre. On a consulté, pour fixer cette allocation, le budget de 1831, et l’on n’a pas fait attention que la somme n’était que pour un semestre. Je propose donc de majorer l’allocation de 2,500 fl. qui sont nécessaires pour le culte israélite, et, si le consistoire n’a pas élevé plus haut sa demande, c’est qu’il a apprécié les circonstances où se trouve le pays. Je ne pense pas que l’on se refuse à une allocation aussi juste et je fais appel à toutes les opinions de cette chambre parfaitement concordantes sur le principe de la liberté des cultes. (Appuyé ! appuyé !)
M. Angillis combat cette majoration.
M. H. de Brouckere. - Je ne conçois pas la manière de M. le ministre de l'intérieur de défendre un budget. On propose des majorations et des diminutions, cela lui est égal ; il ne fait pas connaître quelle est son opinion sur ces amendements.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) répond que s’il n’a pas pris plus tôt la parole, c’est qu’il est d’usage de laisser d’abord développer et discuter un amendement, sauf aux ministres à demander la parole quand il leur paît. Du reste, il n’approuve pas la majoration ; car, comparant l’état de choses actuel avec ce qui existait, sous le gouvernement hollandais, et prenant la moyenne du chiffre des années précédentes, il trouve l’allocation suffisante.
M. Dumortier combat cet argument de M. le ministre de l'intérieur, et appuie l’amendement de M. Lebeau.
M. Ch. Vilain XIIII appuie aussi la proposition de M. Lebeau, et il fait valoir pour motif la nécessité d’un nouveau consistoire, par suite de la séparation avec la Hollande, et d’un grand rabbin qui doit être versé dans la langue hébraïque et dans l’étude de la Bible.
M. Lebeau insiste par le même motif pour la majoration qu’il demande, et annonce qu’un homme très distingué et très instruit attend que cette somme soit versée pour venir se mettre à la tête du culte israélite.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) déclare que du moment où l’on croit qu’un grand rabbin est nécessaire, il ne s’oppose pas à la majoration.
M. A. Rodenbach. - Je ne veux pas circonscrire le traitement des Juifs. (On rit.) Mais je ferai remarquer qu’il serait dangereux de toujours faire ainsi des majorations.
- La majoration proposée par M. Lebeau est adoptée.
Le chiffre total de l’article s’élevant à 5,000 fl. est également adopté.
« Art. 1er. Frais de voyage de l’inspecteur-général et de ses aides de camps : fl. 8,000. »
La section centrale propose de n’allouer que 2,000 fl.
M. Ch. Rogier appuie la réduction de la section centrale, mais il appelle l’attention du gouvernement sur la garde civique et demande que l’inspecteur-général remplisse exactement ses fonctions. Il nie que tout le mal dont on se plaint provienne des vices de la loi sur la garde civique, mais il dit qu’il faut l’attribuer à ce que cette loi n’est pas exécutée à la lettre.
M. Delehaye pense que le mal vient en premier lieu de la constitution qui prescrit l’élection des officiers par les gardes, et qu’il faudrait commencer par provoquer un changement à cet égard dans la loi fondamentale.
M. Lebeau fait remarquer qu’il est toujours dangereux de toucher à la constitution, mais que rien n’empêche de faire une loi organique qui exige pour la nomination des officiers des conditions d’éligibilité.
M. Ch. Rogier observe que, d’après les paroles de M. Delehaye, il résulterait que ce n’est pas aux vices de la loi sur la garde civique qu’il faudrait attribuer le mal, mais à la constitution. Il croit qu’il faut attendre le temps nécessaire pour que le principe de l’élection des officiers produise tous ses résultats, et il ajoute que si la garde civique était aussi bien soignée que la troupe de ligne, elle marcherait avec le même pied.
M. Jamme pense que le mauvais choix des officiers vient d’un défaut de civisme, qui empêche que tous les gardes électeurs se réunisse à leur poste.
M. Dumortier répond qu’il y a encore du civisme et de l’énergie dans la nation, mais que c’est au gouvernement à entretenir dans le cœur des citoyens le feu sacré de l’indépendance. Quant à la loi sur la garde civique, il la trouve vicieuse sous plusieurs rapports.
M. Jamme. - L’honorable membre a mal interprété mes paroles ; je n’ai point entendu inculper la masse de la garde civique, mais son organisation défectueuse.
- On demande la clôture.
La réduction proposé par la section centrale est adoptée.
« Art. 2. Frais de bureau du grand état-major : fl. 7,750. »
La section centrale propose de n’allouer que 3,000 fl.
Le chiffre ainsi réduit est adopté.
M. Barthélemy propose de supprimer ce chapitre parce que, selon lui, il ne faut pas accorder aux établissements de charité une somme à titre de secours, mais un chiffre déterminé égal à leurs dépenses d’après liquidation, et d’y substituer une allocation de 300,000 fl. pour les enfants trouvés.
M. Fallon. - Dans le développement des motifs de l’amendement que j’ai proposé pour faire cesser le régime vicieux des enfants trouvés et abandonnés, et forcer le gouvernement à rentrer dans la voie légale, j’ai invoqué le jugement que l’assemblée constituante, la convention nationale et le corps législatif ont successivement porté sur cette matière d’intérêt général, et j’ai appelé votre attention sur les hautes considérations d’économie administrative qui ont motivé ce jugement, et qui avaient été puisées dans les leçons de l’expérience.
Je ne vous retracerai pas de nouveau ces diverses considérations : l’humanité qui, comme la justice, est un des principaux devoirs du législateur ; l’impérieuse nécessité de prévenir les infanticides et d’éviter tout ce qui peut offenser et alarmer la morale publique ; l’impossibilité de constater le véritable domicile de secours de l’enfant trouvé, puisque le lieu de l’exposition est rarement celui de la conception de la naissance de l’enfant ou du domicile de la mère, vous ont convaincu suffisamment sans doute que, puisqu’il n’existe pas de moyen d’asseoir, sinon arbitrairement, l’obligation de l’entretien sur la commune de l’exposition, cette obligation doit naturellement peser sur l’Etat.
Telle était, messieurs, la doctrine de la loi du 27 frimaire an V, développée dans le décret du 19 janvier 1811, et cette doctrine avait gouverné la Belgique depuis trente ans, lorsque l’arrêté inconstitutionnel du 6 novembre 1822 substitua, au régime de la loi, un régime de désordre, d’inhumanité et d’injustice, mesure d’autant plus brutale et inconsidérée qu’on n’avait pas même réfléchi que, si la fiction du domicile de secours pouvait convenir à l’avenir, il était inapplicable au passé.
En effet, pour ne pas créer un odieux effet rétroactif, il fallait tout au moins prendre une mesure transitoire à l’égard des enfants que certains villes avaient recueillis du dehors, sous la foi de la législation existante.
Appliquer aux enfants trouvés, alors existants, le système de l’exposition comme domicile de secours, c’était une violation par trop révoltante du principe législatif le plus élémentaire.
C’est notamment sur la ville de Namur que cette brutale absurdité vint peser de tout son poids.
Elle s’était empressée de se conformer à la loi du 27 frimaire an V, et, en cela, elle avait devancé la ville de Liége, celle de Luxembourg et le département des Ardennes. Les barques établies sur la Meuse, qui chaque jour mettait cette ville en relation avec Huy et Liége, Dinant et Givet, offraient des moyens de transport très commodes, et l’on en profitait amplement comme l’on en profite encore.
Ne croyant pas, messieurs, qu’appartenant à la ville de Namur, je me laisse entraîner ici à quelque exagération. J’invoque le témoignage des chiffres, et ce témoignage ne peut être suspect.
Vous connaissez, comme moi, l’énorme différence de population entre la province de Namur, celle de Liége, le Luxembourg et le département des Ardennes.
Voyez cependant le chiffre : à la fin de 1821, à l’époque de l’innovation hollandaise, l’hospice de Liége n’avait que 280 enfants, la ville de Luxembourg n’en avait que 264, tandis que l’hospice de Namur en comptait 958. Il y a plus, et cela prouve combien il est difficile de rompre les habitudes et de brusquer un changement de législation, c’est que la suppression des tours, bien loin de faire descendre le chiffre dans le dépôt de Namur, n’y avait produit qu’une forte augmentation. Un an après la nouvelle mesure, en 1823, on y comptait 1,159 enfants, 1,083 au-dessous de 12 ans, et 76 au-dessus de cet âge.
Aussi, comme je l’ai déjà fait observer, en 1823 le budget de cette ville avait été forcé par ordre supérieur, de vingt mille florins à compte seulement d’un contingent de 41,139 fl. 99 c., et son budget de 1825 se trouva grevé de la même manière, c’est-à-dire aussi despotiquement, de 84,997 fl. 49 c. pour les premiers exercices de 1823, 1824 et les deux premiers trimestres de 1825 ; et vous savez, messieurs, que cette ville ne contient pas 20,000 âmes de population.
Il n’y avait évidemment pas de moyen de supporter une charge aussi accablante, et cependant le gouvernement n’en resta pas moins tenace. Il essaya d’engager les états provinciaux à venir au secours de la ville ; mais le système du lieu de l’exposition pour domicile de secours, appliqué surtout au passé, n’était pas une moindre injustice pour la province que pour la ville, et ils se bornèrent à établir un impôt provincial sur les chiens, dont une partie insignifiante, égale à peu près à ce qu’elle fournissait elle-même à l’impôt, fut attribué à la ville.
Aussi, ayant en vain frappé à différentes reprises à la porte du ministère, elle a fini par saisir la planche de salut que lui offraient nos nouvelles institutions, et elle n’a plus porté une obole pour les enfants trouvés dans les budgets de 1831 et de 1832.
Permis sans doute aux partisans du système hollandais de critiquer cette mesure et de la taxer d’inhumanité, mais il n’en restera pas moins vrai que cette ville ne fait qu’user de son droit.
Elle n’est tenue d’obéir qu’à la loi, et le seul régime légal existant est celui de la loi du 27 frimaire an V, qui, à coup sûr, n’a pu être abrogé par l’arrêté inconstitutionnel du 6 novembre 1822.
L’article 110 de la constitution ne permet pas de la grever d’une charge quelconque que du consentement de son conseil communal ou par une loi non seulement exceptionnelle mais encore « nécessitée par l’expérience. » Tels sont ses termes.
Donc, aussi longtemps que cette loi ne sera pas faite, et sans doute l’expérience repoussera celle qui voudrait légaliser le système du lieu de l’exposition pour domicile de secours, il n’y a pas de moyen de forcer la ville de Namur à s’imposer davantage pour les enfants trouvés.
Quant à la province, pas de moyen non plus de la forcer à remplir le déficit, car à son égard non seulement il n’existe pas de loi qui lui en impose l’obligation, mais il y a même absence d’arrêté.
Dans cet état de choses, il y a donc, pour le gouvernement, nécessité absolue de fournir des subsides pour les enfants trouvés, jusqu’à ce que la législature ait substitué, s’il y a lieu, un nouveau régime au seul régime actuellement existant, à celui de la loi du 27 frimaire an V et du décret du 19 janvier 1811.
Pressé par ces diverses considérations, il était impossible au ministre de l’intérieur de justifier l’arrêté inconstitutionnel du 6 novembre 1822 ; aussi n’a-t-il invoqué que des moyens bien faibles dans la défense de ce système.
Il a dit que me prévalant de la loi du 27 frimaire an V, j’avais oublié la loi du 19 juillet 1819 qui, en France a mis l’entretien des enfants trouvés à la charge des départements et des communes.
A semblable objection la réponse est facile.
Si telle loi existe, il ne faut pas me reprocher de l’avoir oubliée, car je ne l’ai pas connue, et aucun de nous n’a dû et ne doit la connaître.
Cette loi exotique, si elle existe, est tout à fait étrangère à la Belgique, et ne peut pas conséquent justifier la dérogation au système légal qui nous régit.
Si M. le ministre pense qu’en cette matière il convient que la Belgique imite la France, il lui sera libre de concevoir un projet de loi, et d’argumenter de la loi du 19 juillet 1819 pour l’appuyer.
Nous aurons alors cette loi sous les yeux, nous pourrons en apprécier le mérite, nous verrons le moyen qui y a été employé pour accommoder le passé au futur et éviter l’effet rétroactif, et nous verrons surtout si elle peut germer à côté de l’article 110 de la constitution.
Entre-temps, il serait fort imprudent de se laisser ainsi entraîner sans examen à l’adoption d’une innovation étrangère, et, à cet égard, la chambre a fait preuve tout récemment de toute sa circonspection lorsqu’il s’est agi de l’administration de l’enregistrement.
M. le rapporteur de la section centrale insistait sur le nouveau système français, plus économique, qui avait remplacé, par des traitements fixes, les traitements proportionnels aux produits ; et la chambre a agi fort sagement en se réservant d’y prendre égard ; alors que l’expérience aura pu justifier de l’utilité de la mesure.
La loi française du 19 juillet 1819 doit donc être mise hors cause.
La ville de Namur, étant celle qui se trouve le plus cruellement maltraitée par le système néerlandais, était précisément celle que, par ma position, je pouvais plus aisément citer comme exemple.
Or, voyez, messieurs, comment M. le ministre s’est impitoyablement attaché à soustraire cet exemple à votre attention.
La réclamation de cette ville, dit-il, serait fondée si elle eût été obligée d’avoir un tour pour recevoir le dépôt des enfants ; mais cette obligation n’existe plus depuis longtemps.
Est-ce bien sérieusement qu’il m’a opposé une exception aussi inexacte en fait qu’elle est inhumaine ?
Depuis la loi du 27 frimaire an V jusqu’à l’arrêté arbitraire du 6 novembre 1822, c’est-à-dire pendant 26 ans, la ville de Namur a été obligée d’avoir un tour pour recevoir les enfants, et elle s’est soumise à cette obligation. Après 1822, cette obligation a cessé, et là comme ailleurs le tour a été supprimé.
Mais alors que cette obligation a cessé, le dépôt se trouvait peuplé d’enfants qui n’y avaient été reçus que pour le compte du gouvernement.
Sur ce point l’argument ministériel n’a donc d’autre mérite que d’esquiver la question ; car, à coup sûr, on n’ira pas jusqu’à prétendre que le système du lieu du dépôt doit être le lieu du domicile de secours.
Quant à ceux qui y sont entrés après 1822, en supposant qu’il soit vrai que cette ville ne se soit pas autant empressée que d’autres villes à fermer le tour, ce qui n’est nullement exact, ne serait-ce pas outrager la morale que de convertir un acte d’humanité en une fin de non-recevoir ? M. le ministre ignore-t-il, d’ailleurs, que la suppression tardive, si suppression tardive a eu lieu, n’avait produit d’autre effet que de faire remplacer le tour par le seuil de la porte de l’hospice, où l’on déposa ensuite nuitamment ces innocentes victimes ?
Au surplus, dit M. le ministre, il n’y a pas de système uniforme dans le royaume. Dans des localités, les maisons d’enfants trouvés sont à la charge des provinces, et dans d’autres à la charge des communes. Je prends acte de cet aveu, parce qu’il justifie à lui seul l’amendement que je propose.
En effet, c’est précisément parce qu’il n’y a pas de système uniforme qu’il faut s’empresser de faire cesser ce désordre et rentrer dans le système légal, qui ne permet moins encore de prendre le lieu de l’exposition pour base d’une répartition quelconque. Il faut une loi pour cela, et elle n’existe pas.
Il y aurait injustice, ajoute M. le ministre, à charger le trésor de la dépense, parce que c’est dans les grandes villes que l’on expose les enfants ; et il cite pour exemple la province de Luxembourg où, dit-il, il n’y a pas d’enfants trouvés.
Ces exemples ne pouvaient pas être plus mal choisis.
Sans doute, c’est dans les villes que l’on expose les enfants et la raison en est simple. C’est que c’est dans les villes que se trouvent les établissements destinés à les recueillir, et qu’en conséquence ils y sont apportés des communes rurales.
Quant au Luxembourg, si M. le ministre n’y entend pas parler d’enfants trouvés, ce n’est pas du tout parce que ce pays serait plutôt frappé de stérilité que tout autre, ni à cause que les filles mères y seraient plus disposées qu’ailleurs à conserver le témoignage de la faiblesse ou du libertinage, mais bien parce que la ville de Luxembourg ne s’occupe pas de son administration intérieure. C’est dans cette ville et dans celle de Namur que sont les enfants qu’il ne trouve pas dans le Luxembourg.
Enfin, sentant bien que, malgré toutes ces exceptions dilatoires, il n’est pas possible de dévier plus longtemps du régime légal, il avoue qu’il serait équitable que l’Etat fût chargé d’une partie de la dépense ; que c’est à cause de cela qu’il a demandé une somme de 100,000 florins pour venir au secours des établissements de bienfaisance, et qu’une partie de cette somme pourra être employée à secourir les hospices d’enfants trouvés, au moins dans certaines villes, que l’existence de leurs tours expose plus particulièrement à recevoir des enfants qui leur sont étrangers.
J’avoue que je ne conçois rien à ce système bâtard ; et d’abord je prierai M. le ministre de traiter plus logiquement la ville de Namur.
Il n’y a qu’un moment qu’il repousse les doléances de la ville de Namur, en lui opposant qu’elle n’avait qu’à fermer son tour, et voilà tout à coup qu’il veut accorder une part privilégiée dans le subside aux villes qui tiendront leurs tours ouverts, de manière que la ville de Namur serait punie parce que prétendument elle n’a pas fermé assez tôt son tour, et qu’elle serait encore punie parce qu’elle ne le rouvrirait pas.
Que veut dire, d’ailleurs, ce nouveau système d’équité au moyen duquel le ministère ouvrirait ou fermerait la bourse à volonté ?
Ce n’est pas le secours de l’équité que je réclame, c’est celui de la justice. C’est le régime de la loi dont je demande l’exécution, et, sous ce régime, il n’est pas libre au ministre, dans la répartition du subside, de créer des privilèges pour certaines villes, et c’est partout que les tours doivent se trouver ouverts jusqu’à ce qu’une loi vienne les fermer.
Ce n’est pas non plus globalement et avec tout autre genre de secours à donner aux établissements de bienfaisance que le subside peut être voté, puisqu’ainsi il pourrait être distrait de sa destination ; et la matière vaut bien la prime d’une allocation spéciale.
Si donc M. le ministre insiste pour obtenir quelque chose pour secours aux établissements de bienfaisance, secours dont la nécessité ne me paraît pas démontrée, j’espère que la chambre voudra bien faire de mon amendement un article séparé.
Quant au chiffre que je demande, il est certain que si, comme il est urgent de le faire, on rentre franchement dans le régime légal, il est loin d’être exagéré, puisqu’il faut pourvoir aux frais des deux exercices, et que, dans tous les cas, il ne sera disposé du crédit que jusqu’à concurrence des besoins.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l’honorable M. Barthélemy a critiqué la demande que j’avais faite de la somme pour subsides à accorder aux établissements de bienfaisance ; il a dit que, si elle a pu être convenable en 1831, elle ne pouvait l’être pour 1832. Je ferai observer à l’honorable membre qu’il faut, pour apprécier ma demande, se rappeler les circonstances dans lesquelles nous nous trouvions lorsque j’ai présenté mon budget. Je ferai observer en outre qu’il est possible que certains établissements de bienfaisance, dont les ressources ne seraient pas suffisantes, aient besoin de recourir aux caisses de l’Etat dans le courant de l’année.
La section centrale a reconnu cette nécessité, et, sous ce rapport, je ne m’opposerai pas à la réduction qu’elle a proposée. Maintenant M. Barthélemy s’oppose à l’allocation demandée pour les établissements de bienfaisance, parce qu’il voudrait qu’une loi en réglât la répartition. Mais, en attendant que cette loi existe, ne faut-il pas mettre le gouvernement à même de pouvoir venir au secours des établissements de charité ? Il y a d’ailleurs des engagements pris avec certains de ces établissements, il y a dette contractée et à laquelle on ne peut se soustraire.
Répondant maintenant à ce que vient de dire l’honorable préopinant, je ne dirai que mon opinion n’est pas que l’on puisse invoquer aujourd’hui les lois françaises pour mettre la dépense des enfants trouvés à charge de l’Etat. Il est survenu, en effet, de grands changements dans ce qui était observé à cet égard, avant l’arrêté royal qui met cette dépense à la charge des communes.
La législature elle-même s’est soumise à cet arrêté en ne portant pas cette dépense aux budgets postérieurs ; Convient-il maintenant de mettre les enfants trouvés à la charge de l’Etat ? Décider la question affirmativement, ce serait, je pense, favoriser beaucoup l’abandon des enfants, en enlevant à leurs parents l’inquiétude qu’ils doivent avoir sur leur droit. Tous les enfants abandonnés n’appartiennent pas à des familles inconnues, et je n’en veux pour preuve qu’un fait que vous connaissez tous ; je veux parler de la suppression du tour à Maestricht : cette suppression eut lieu, on renvoya les enfants à leurs parents, qui presque tous étaient connus. En attendant qu’une loi règle le sort des enfants trouvés, j’ai cru devoir demander un faible crédit pour les établissements qui en ont le plus besoin.
Du reste, la question traitée par les orateurs qui m’ont précédé est grave et mérite une discussion approfondie, qui ne pourrait avoir lieu qu’à l’occasion d’une loi sur la matière, et non incidemment au budget. Quant aux amendements de MM. Fallon et Barthélemy, ils pourraient venir lors de la discussion sur les lois provinciale et communale, parce qu’alors on devra régler ce qui est à charge des communes et des provinces ; par ces divers motifs, je crois qu’il n’y a pas lieu d’adopter ces amendements.
M. Brabant. - Messieurs, on répété bien souvent, depuis que nous discutons les lois financières, que le budget était une loi d’exécution, et cependant on recule aujourd’hui qu’il faut exécuter une loi. Il s’agit, en effet, ici, de savoir si la loi de l’an V, qui n’a pas été révoquée légalement (car c’est un arrêté du roi qui en a suspendu l’effet), sera ou non exécutée. Or, il ne peut y avoir de difficulté sur cette question. On veut ajourner le règlement du sort des enfants trouvés jusqu’à la discussion d’une loi sur la matière ; et, en attendant, que fera-t-on ? On ne le dit pas. Je dis, moi, qu’il faut que la loi de l’an V s’exécute sous peine de mort des enfants trouvés.
M. Fallon vous a dit, et ce n’est pas un tableau imaginé tout exprès pour vous attendrir qu’il vous a présenté, M. Fallon a dit : « Je vous ai dit que 800 enfants étaient à la charge de la commune de Namur ; j’ajouterai que le budget de la ville porte pour cet objet une dépense de 16,000 fl., outre laquelle la province contribue pour celle de 9,000 indépendamment de quelques communes rurales qui y contribuent pour plus de 300 fl. ; en tout, près de 26,000 fl.
Je vous le demande, messieurs, une commune comme celle de Namur peut-elle supporter de semblables charges ? Pût-elle les supporter, il serait encore injuste de l’en accabler, car ces enfants ne sont pas les siens, et il est impossible que, sur une population de 20,000 âmes, il y eût 800 enfants trouvés de 1 jour à 14 ans, âge auquel la loi de l’an V n’accorde plus de secours à ces enfants. On vient de tout le royaume conduire des enfants à Namur, et à mon dernier voyage j’ai dressé procès-verbal de l’abandon d’un enfant âgé de 3 ans qui avait été laissé au milieu de la rue et qui était évidemment de la campagne. Je le répète, si on ne veut pas exposer 800 enfants à mourir de faim, il faut adopter l’amendement de M. Fallon.
(Moniteur belge n°116, du 25 avril 1832) M. Angillis. - Messieurs, deux orateurs ont soulevé une question importante, savoir : si l’entretien des enfants trouvés doit être une charge de l’Etat, ou si elle est une charge de chaque localité. Cette question, messieurs, se rattache à une autre, celle de savoir si on ne peut pas restreindre l’exposition des nouveaux-nés sans multiplier l’infanticide. L’examen de ces deux questions, surtout de la dernière, exigerait de longs développements ; mais, comme ce n’est pas le moment de la traiter dans toute son étendue, de l’analyser dans ses causes les plus intimes, j’ajournerai donc mes idées pour un temps plus opportun.
Il y a, messieurs, diversités d’opinions, d’abord sur l’utilité des hospices destinés à recevoir les enfants trouvés, et ensuite sur la question soulevée par les honorables membres.
Le préjugé en faveur des maisons d’enfants trouvés est général dans les pays catholiques ; c’est sans doute un préjugé bien respectable, mais il ne s’ensuit pas, de ce qu’un préjugé soit respectable, qu’il faille lui sacrifier la raison et tout le bien que la vérité peut faire à la société.
Je dois faire remarquer, messieurs, que la dernière législation française dans la Belgique, sur les enfants trouvés, avait quelque tendance pour mettre l’entretien de ces enfants à la charge des villes et communes ; le décret du 11 juin 1810 en fournit la preuve. Ce décret statue qu’en cas d’insuffisance des fonds affectés, les préfets affecteront à cette dépense ce qui pourrait rester disponible sur le montant de la retenue faite sur les revenus des communes, pour la compagnie de réserve du département, et que si, après cette affectation, il y a encore insuffisance, ils proposeront un prélèvement additionnel sur les revenus des communes.
Le décret du 19 janvier 1811, qui accorde une somme annuelle de quatre millions pour contribuer au paiement des mois de nourrices et des pensions des enfants trouvés, charge en dernier lieu, comme le décret précédent, les communes de suppléer à l’insuffisance. Vous voyez, messieurs, que dès cette époque on voulait faire supporter une partie de cette dépense par les communes. Cependant le principe restait toujours, et c’est pour avoir aboli le principe posé par une loi, par une loi qui jamais n’a été abrogée légalement, qu’on réclame aujourd’hui avec raison.
Le roi Guillaume, qui exerçait en Belgique l’autorité d’un souverain absolu, avant même que la souveraineté ne lui fût octroyée par les puissances (et à cet égard, l’histoire n’oubliera pas que, par un simple arrêté du 6 novembre 1814, il supprima le jugement par jury en matière criminelle, et que le lendemain 7 novembre, dans son discours d’ouverture aux états-généraux de la Hollande, il répéta que rien de positif n’était encore décidé sur le sort des Pays-Bas : probablement que la promesse de vendre la Belgique existait déjà, et que le futur acquéreur voulait appliquer le principe que la promesse de vendre vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix) ; le roi Guillaume, qui paraissait avoir une affection toute paternelle pour le régime des ordonnances, a déclaré en 1814, par un arrêté qui ne paraît pas avoir été publié, que l’entretien des enfants trouvés serait à la charge des communes. Cet arrêté légal ou illégal n’a jamais été exécuté, et a même été peu connu ; mais un arrêté du 1er juin 1816, arrêté que j’ai vainement cherché dans la collection des lois qui se trouve dans notre greffe, ordonne de former un fonds commun dans les provinces méridionales, pour subvenir à l’entretien des enfants trouvés et abandonnés. Pour faire la répartition de ces frais, on prit pour base la population, et le contingent dans la Flandre occidentale (je dis la Flandre occidentale, parce qu’il paraît qu’il y a des provinces, où cette répartition a été inconnue) a dû payer à raison de sa population, dans les années 1816 et 1817, 77,876 fl., tandis que ses propres frais ne se sont élevés qu’à 26,127 fl. au-delà des dépenses qu’elle a été tenue de faire pour l’entretien des enfants à sa charge. Sur nos réclamations aussi nombreuses que pressantes, le ministre a enfin répondu, le 8 mai 1818, que S. M. avait décidé qu’il était impossible de revenir sur ce qui avait été fait, mais que les motifs de notre réclamation seraient pris en grande considération à l’avenir.
Voilà, messieurs, de quelle manière on disposait de l’argent du peuple par de simples arrêtés, inconstitutionnellement rendus, et sans aucune justification de l’emploi des sommes ainsi extorquées. Et un fait digne de remarque, c’est que dans ce premier prétendu fond commun, les provinces septentrionales n’y ont rien fourni ; toute la sollicitude du gouvernement était tournée vers les provinces méridionales.
En 1818, les contingents ont été diminués partout, ce qui justifie mon accusation de tripotage. Par un arrêté interprétatif, en date du 17 juin 1823, le roi a décidé que les enfants abandonnés, dont le domicile pourra être déterminé d’après la loi du 28 novembre 1818, seront entretenus aux frais des communes où ils auront été exposés ou abandonnés à la commisération publique. On voit dans toutes ces ordonnances le même arbitraire, les mêmes inconstitutionnalités.
Au reste, messieurs, je pense que la dépense qui résulte de l’entretien des enfants trouvés, doit être une dépense commune ; en effet, un enfant abandonné par ses parents, par des parents inconnus, n’appartient à aucune localité particulière ; c’est donc un enfant de la patrie, et la patrie doit se charger de son entretien.
Il est si facile, d’ailleurs, de déposer le nouveau-né dans un autre lieu que celui de sa naissance ; et, à l’exception des grandes villes, on n’exposera jamais l’enfant dans le lieu du domicile de ses parents ; et même dans les grandes villes, un grand nombre d’étrangères s’y rendent pour faire leurs couches et se défaire de l’enfant à peu de frais et sans honte.
Je pense donc que la justice et l’humanité réclament également en faveur de cette mesure : la justice, parce qu’il est impossible de déterminer la localité à laquelle le nouveau-né appartient, dès lors il appartient à la société entière ; l’humanité, parce que quand les frais sont supportés en commun, on recueillera avec plus de soin ces malheureuses victimes de la barbarie de leurs parents, et le premier de tous les sentiments, l’humanité, y gagnera. Cette opinion, messieurs, est née avec le christianisme ; qu’il me soit permis de vous citer la belle loi que fit proclamer Constantin en 315.
« Si un père ou une mère, dit-il à ses fonctionnaires, vous apporte son enfant qu’une extrême indigence l’empêche d’élever, les devoirs de votre place sont de lui procurer et la nourriture et les vêtements, sans nul retard, parce que les besoins d’un enfant qui vient de naître ne peuvent être ajournés. Le trésor de l’empire et le mien, indistinctement, fourniront à ces dépenses. »
Je vais encore, messieurs, et pour finir, vous citer quelques lignes d’une ordonnance, et si je ne vous disais pas à quel pays elle appartient, vous ne le devineriez jamais. « Les enfants trouvés, fruits malheureux du crime ou de la misère, ont droit à la pitié des hommes. Celui qui trouve un enfant dans tout lieu quelconque doit lui procurer tous les secours de la charité et de la bienfaisance.
« Si aucun individu ne se charge d’un enfant trouvé, il appartient à l’Etat, et c’est des deniers publics qu’il doit être nourri et élevé. »
Eh bien ! messieurs, cette ordonnance, qui ferait honneur à une nation chrétienne, est extraite du code civil de la Turquie.
(Moniteur belge n°112, du 21 avril 1832) M. Fallon. - Je suis extrêmement malheureux, messieurs, dans toutes les propositions que je fais. A chacune d’elles, M. le ministre oppose une fin de non-recevoir, prise de la nécessité d’ajourner la discussion jusqu’à une loi à présenter ultérieurement. Heureusement que, pour le coup, il m’a fourni lui-même le moyen de la repousser. M. Barthélemy a dit qu’il fallait attendre une loi pour régler la répartition de la somme demandée pour les établissements de bienfaisance. A cela, qu’a répondu le ministre ? qu’il fallait bien, en attendant, mettre le gouvernement à même de secourir les établissements qui en auraient besoin. Eh bien ! moi je m’empare de sa réponse, et je lui dis : La loi existe, il n’est pas besoin de l’attendre ; elle règle le sort des enfants trouvés, pour lesquels mon allocation est demandée : exécutez-la.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant vient de faire une singulière argumentation à propos d’une observation que j’avais adoptée à la chambre. Il suivrait de ce qu’il vient de dire que j’ai adopté en entier son système sur les enfants trouvés. Il n’en est rien. J’ai dit au contraire que je voyais des inconvénients graves à charger l’Etat de cette dépense, et qu’il serait imprudent d’adopter un principe dont il est impossible de prévoir la portée et de calculer les conséquences.
(Moniteur belge n°113, du 22 avril 1832) M. Barthélemy. - En effet, messieurs, comme vient de le dire M. Fallon, nous n’éprouvons, de la part de M. le ministre, que des fins de non-recevoir. Il dit qu’il faut attendre la discussion d’une loi ; mais nous en avons une, pourquoi ne pas l’exécuter ? Le ministre fait une autre objection. Ce n’est pas à l’occasion du budget, dit-il, que l’on peut discuter cette question ; et, chaque fois que la matière lui déplaît, il nous fait la même réponse.
Le budget est fait pour régler toutes les dépenses de l’Etat ; une loi met celle des enfants trouvés à sa charge ; je propose 300 mille fl. Pour cet objet, M. Fallon 250 mille : choisissez.
Mais, si vous adoptez le principe, nous dit-il encore, on en sait pas où cela ira, ni à quoi se portera la dépense. Vous le saurez quand vous voudrez. Il n’y a pas si longtemps que la dépense a été supprimée. Reportez-vous aux années qui ont précédé l’arrêté de 1822, et vous saurez ce qu’il en coûtait alors. J’ai appris dans vos bureaux, moi, que les dépenses qui font actuellement les communes se portent à 325,000 fl. ; mais, comme il y a diverses fondations affectées à ce service, je n’ai proposé que 300,000 fl.
Maintenant, dit le ministre, la dépense augmentera, si vous consacrez le principe. Eh ! non, et elle n’augmentera pas ; elle n’a pas augmenté depuis que vous en avez chargé les communes, et, depuis 20 ans que je m’occupe de ces questions, elle a été toujours la même. Ainsi, cette objection ne signifie rien. D’ailleurs, vous avez la ressource dans la loi de l’an V elle-même, qui dit que, si les fonds alloués par l’Etat ne sont pas suffisants, les communes y pourvoiront.
Vous ne pourriez et vous n’oseriez soutenir que l’arrêté de 1822 ait été porté légalement ; la loi qu’il révoquait en a reconnu l'autorité, en ne portant plus la dépense au budget. Mais vous savez bien que les états-généraux n'avaient pas l'initiative des propositions de loi, et qu'ils n'avaient pas le droit de porter, par amendement, des augmentations au budget ; en tout cas, ce ne serait pas une fin de non-recevoir à nous opposer, à nous qui sommes rentrés dans les voies constitutionnelles et qui sommes en droit de réclamer l'exécution des lois. (Aux voix ! aux voix !)
M. Rogier. - On ne peut pas adopter, sur une discussion aussi brève, un principe aussi grave que celui qui mettrait à la charge de l’Etat les dépenses des enfants trouvés. Cette opinion peut être soutenue sans doute, mais l’opinion contraire peut l’être aussi, et ce n’est pas en une séance que les arguments pour et contre peuvent être pesés et jugés. Je trouve prématurée la proposition de M. Barthélemy, et je demande qu’en attendant l’allocation demandée par le ministre soit maintenue.
M. d’Elhoungne. - Il me semble, messieurs, que la question peut être réduite à des termes très simples. Il s’agit de savoir si c’est l’Etat ou si ce sont les communes qui doivent supporter la dépense des enfants trouvés. L’auteur de la proposition vous a cité une loi qui met cette dépense à charge de l’Etat. A cela, il est impossible de rien opposer, à moins de rapporter une loi abolitive de la première. Rapporte-t-on cette loi ? Non. Qu’oppose-t-on donc ? un arrêté royal de 1822. Or, le roi pouvait-il abroger une loi par un arrêté ? Non ; il n’exerçait pas le pouvoir législatif seul et sans le concours des chambres ; son arrêté n’était pas une loi, et une loi ne peut être abrogée que par une autre loi. La loi de l’an V subsiste donc toujours. Il faut qu’elle soit mise à exécution. Mais, dit-on, cela augmentera de beaucoup le chiffre du budget. C’est fort douloureux sans doute ; mais, puisque la loi existe et qu’elle a imposé une dette à l’Etat, il faut de cette dette soit payée ; aussi bien est-ce une dette sacrée, tant par sa nature que par l’acte qui l’a fondée. Je ne vois donc aucune raison d’écarter la proposition de l’honorable M. Fallon.
M. Gendebien. - J’avais demandé la parole pour présenter à la chambre l’observation de M. d'Elhoungne ; j’ajouterai à ce qu’il a dit que, puisque la question est décidée par une loi non abrogée, il est impossible au gouvernement de se soustraire à son obligation ; mais, quand la loi n’existerait pas, il n’en faudrait pas moins adopter la proposition.
Messieurs, il y a deux manières de régler le sort des enfants trouvés. C’est de ne rien faire pour eux, ou de leur fournir tout ce qui est nécessaire pour les introduire dans le monde. Ne leur accorder rien, ce serait une atrocité qui n’aurait pas de nom. Il faut donc leur fournir tout ce qui est nécessaire ; et ne craignez pas la dépense, elle ne sera pas énorme. Que leur faut-il en effet ? Donnez-leur une éducation élémentaire qui ne vous coûtera pas cher, le lecture, l’écriture, le calcul ; faites-leur apprendre un métier, et qu’en récompense des services qu’ils auront reçus de l’Etat, ils soient obligés de le servir pendant 15 ou 20 ans. Faites-leur apprendre le métier des armes, et ils ne seront pas plus malheureux que les miliciens que vous arrachez à leurs foyers, et ils diminueront d’autant le contingent de la milice, tout en donnant à l’armée de bons soldats, de bons tailleurs, de bons cordonniers. (Aux voix ! aux voix ! La clôture !)
M. Liedts. - Je dois relever une erreur de fait qui a été avancée dans la discussion. On a dit que les lois françaises mettaient les enfants trouvés à la charge de l’Etat ; c’est une erreur. Voici le décret de 1811, qui règle au contraire, en exécution de la loi de l’an V, qu’une somme de 4 millions de fr. sera répartie entre les divers départements, en proportion du nombre des enfants trouvés de chacun d’eux.
La répartition de cette somme eût donné à la Belgique une somme de 500,000 francs.
M. Fallon. - Eh bien ! je ne demande que 250,000 florins.
M. Barthélemy insiste pour que la loi de l’an V soit exécuté et pour l’adoption de son amendement.
M. Fallon. - Je prie M. Rogier de résoudre ce problème. Il y a 8 ou 900 enfants trouvés à Namur ; la commune a refusé de faire des fonds pour eux : qui pourvoira à leurs besoins ?
M. Rogier. - S’il prend envie à la commune de refuser des fonds qu’elle a alloués jusqu’ici, il me serait assez difficile de dire comment on y suppléera ; mais il y aurait quelque moyen administratif à prendre. Si j’étais membre de la députation des états, je refuserais d’approuver le budget de la commune si elle n’avait pas refusé légalement.
- Plusieurs voix. - Ah ! légalement, vous voyez bien.
M. Rogier. - M. Fallon m’interpelle ; je réponds, et, laissant de côté la question de légalité, je persiste à dire que je refuserais mon approbation au budget tant que la dépense n’y serait pas portée. Je crois au reste que c’est trop s’alarmer pour l’année à venir sur le sort des enfants trouvés. Si la ville de Namur, sans s’inquiéter du sort de ces enfants, rejette tout allocation, je dirais qu’indépendamment du reproche d’inhumanité dont on pourrait la taxer, la province, dont le budget n’est pas encore réglé, devra suppléer au refus de la commune.
M. Lebeau. - Il me semble, messieurs, qu’ici il y a deux questions à examiner : la question de légalité et la question d’humanité. Toutes les autres, agitées à cette occasion, ne me semblent pas ici à leur place. En votant sur l’amendement de M. Fallon, je n’entends nullement me prononcer sur le principe, et la question de savoir qui de l’Etat ou des communes doit supporter la dépense restera intacte.
L’orateur dit que la question de légalité ne peut faire la matière d’un doute, et que la loi de l’an V n’est pas abrogée. Quant à la question d’humanité, si les communes, les provinces et l’Etat, chacun la loi à la main, refusent de venir au secours des enfants trouvés, pendant ce conflit ces enfants seront exposés à mourir de faim, et c’est sans doute ce que personne ne voudrait. Il faut donc voter une somme pour cette dépense.
- La clôture est réclamée avec instance.
M. Dumortier et M. Jamme parlent contre la clôture ; ils ne trouvent pas la question assez éclaircie.
M. Dumortier obtient, après un léger débat, la parole sur le fond de la question. Il conteste que les lois françaises aient mis la dépense à charge de l’Etat, et il en donne pour preuve l’observation faite par M. Liedts. L’honorable membre pense qu’il y aurait injustice à obliger toutes les provinces à contribuer à la dépense, puisque toutes n’ont pas d’enfants trouvés, celle de Luxembourg notamment. Il remarque ensuite que les enfants trouvés sont en bien plus grand nombre dans les villes de garnison, et il trouve juste que celles qui ont l’avantage d’une garnison en aient aussi les inconvénients. (Hilarité générale.) L’orateur termine en disant qu’il n’est pas éloigné d’accorder un subside, mais sans rien préjuger sur le principe.
M. Fallon. - Je consens à ce qu’on rédige l’article ainsi : « Subsides pour les enfants trouvés. »
M. Devaux. - Je demande la parole pour une motion d’ordre ; il me semble qu’il serait raisonnable de renvoyer les amendements à la section centrale. Il est évident qu’il n’y a ici qu’une opinion préparée à la discussion ; le renvoi à la section centrale donnerait à chacun le temps et le moyen d’examiner les questions qui viennent d’être soumises à la chambre, et on prendrait ensuite une décision bien plus réfléchie.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) appuie le renvoi à la section centrale.
M. Fallon. - Le renvoi est inutile ; il y a huit jours que mon amendement a été inséré au Moniteur ; il est connu de tous, et chacun a eu le temps d’y songer.
- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix et rejeté.
M. Barthélemy et M. Fallon s’entendent pour réduire leur demande à 200,000 fl.
M. Rogier. - Quand M. Barthélemy a proposé le chiffre de 300,000 fl., il avait fait ses calculs ; comment se fait-il maintenant qu’il le réduise de 100,000 fl. ? Je demande des explications à cet égard.
M. Jullien.- Le chiffre est réduit, parce qu’il ne s’agit que de secours provisoires, en attendant que les difficultés soulevées dans la discussion soient résolues. Je ne trouve pas juste que la ville de Namur supporte seule la dépense des nombreux enfants trouvés qu’on y porte de tout le royaume. (Oh ! oh !) Oui, messieurs, de tout le royaume. On porte bien des enfants trouvés de Bruges au tour de Dunkerque. J’ai vu plus d’une fois l’hospice de Dunkerque réclamer le paiement de sommes qui étaient dues pour des enfants portés de la Flandre occidentale. On va porter les enfants trouver aussi loin que l’on peut, parce que, dans ces sortes d’affaires, il y a presque toujours une honte à cacher.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande qu’on supprime dans l’article le mots « enfants abandonnées, » parce que ceux de cette catégorie dont le domicile de secours serait connu ne doivent pas venir diminuer les secours accordés aux enfants trouvés.
M. Fallon. - C’est juste.
M. Brabant. - Il est impossible que M. Fallon l’entendît autrement. (Aux voix ! aux voix !)
M. Rogier. - Je demande à faire une réduction.
M. le président. - Voici un amendement de M. Dumortier tendant à réduire l’allocation à 100,000 fl.
M. Rogier. - C’est mon amendement, je demande à le développer.
- Voix nombreuses.- Non ! non ! Il est plus de deux heures et demie.
M. Rogier. - Eh ! messieurs, il s’agit de 100,000 fl. ; vous vous êtes souvent montrés plus scrupuleux pour une somme de 1,000 fl.
M. le président. - La suite de la discussion est renvoyée à ce soir.
M. Rogier. - Je demande la parole pour ce soir.
- La séance est levée à 3 heures moins un quart.
(Présidence de M. de Gerlache.)
L’appel nominal est fait à six heures et demie.
M. le président. - Messieurs, j’ai reçu une lettre de M. l’inspecteur-général de la garde civique, qui réclame contre le vote émis ce matin par la chambre sur l’allocation qui le concerne. Veut-on en avoir connaissance ?
- Plusieurs voix. - Non ! non ! C’est une affaire consommée.
Autres voix. - Il y a décision de la chambre.
M. le président. - Messieurs, nous en étions restés à l’amendement de M. Dumortier, tendant à accorder un crédit de 100,000 fl. pour les enfants trouvés.
M. Lebeau. - Avant d’ouvrir la discussion, je demande à dire un mot sur la lettre dont on vient de parler. Je conçois très bien, messieurs, qu’une personne étrangère ne puisse pas prendre part à nos débats ; mais il me semble qu’on peut considérer la lettre de M. d’Hoogvorst comme une pétition : en conséquence, j’en demande le renvoi à la commission des pétitions.
M. Dumortier. - Il n’y a pas de commission de pétitions en ce moment, et le renvoi serait donc inutile. Depuis ce matin j’ai vu M. le général d’Hoogvorst, qui m’a démontré l’impossibilité de pourvoir aux dépenses nécessaires avec l’allocation qui a été votée. Je demande le renvoi de sa lettre à la section centrale.
- Ce renvoi, appuyée par M. Bourgeois, M. Rogier et M. H. de Brouckere, est ordonné.
On reprend la discussion sur le budget de l’intérieur.
M. Rogier appuie l’amendement de M. Dumortier.
M. Mary passe en revue toute la législation existante sur les enfants trouvés ; il pense que les communes doivent contribuer à la dépense pour moitié ; il rectifie le chiffre donné ce matin par M. Barthélemy sur ce que coûte l’entretien de ces enfants, et dit que ce chiffre s’élève à 345,000 fl. au lieu de 325 mille ; en conséquence, il propose d’allouer pour cet objet un crédit de 175 mille fl.
M. Bourgeois trouve insuffisante la somme proposée par M. Dumortier. Il votera pour l’amendement de M. Fallon.
M. Barthélemy. - L’Etat est obligé pour la partie principale, et, quand on oppose le décret de 1811, on ne détruit pas l’effet de la loi de l’an V, car ce décret ne fut que le prélude de ce que Guillaume fit plus tard par son arrêté de 1822. Napoléon, ayant besoin d’argent pour faire la guerre, rendit, arbitrairement, un décret qui réduisait les secours à 4 millions de francs ; mais ce décret était illégal comme l’arrêté de Guillaume. Je voterai pour l’amendement de M. Mary.
- Voix nombreuses.- La clôture ! la clôture !
M. Dumortier. - Vous ne pouvez pas mettre aux voix la violation du règlement. J’ai le droit de développer mon amendement. Je demande la parole contre la clôture.
M. le président. - Vous avez la parole contre la clôture.
M. Dumortier. - Messieurs, mon honorable ami M. Dubus a trouvé, depuis ce matin, une loi qui met la dépense à la charge des départements ; il faut que cette loi soit connue de la chambre.
M. Barthélemy interrompt M. Dumortier par un mot que nous n’avons pu saisir.
M. Dumortier. - Je prie qu’on ne l’interrompe pas ; quand M. Barthélemy parlera pour ses enfants trouvés, je l’écouterai. (Bruit, interruption. La clôture ! la clôture ! Le tumulte va toujours croissant.)
M. Dubus. - Je demande la parole pour un rappel au règlement. Quand un membre a présenté un amendement, le règlement lui donne le droit de le développer ; on ne peut se refuser à l’entendre. M. Dumortier doit donc parler, puisqu’il le demande.
- Plusieurs voix. - Il l’a développé ce matin. (La clôture ! la clôture !)
M. le président. - Si on insiste pour la clôture, je ne puis me dispenser de la mettre aux voix.
M. Dumortier. - C’est contraire au règlement. (Agitation.)
M. le président met la clôture aux voix ; elle est rejetée.
M. Dumortier. - Messieurs, lorsque j’ai eu l’honneur de déposer mon amendement, je ne connaissais pas toutes les lois de la matière, et ceci prouve combien il est dangereux de lancer ainsi au milieu du budget des questions aussi délicates. Si je ne considérais que l’intérêt de la localité à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir…
M. Barthélemy. - Vous nous avez dit cela ce matin.
M. Dumortier. - Il est étonnant que M. Barthélemy…
M. le président. - Silence, messieurs, n’interrompez pas l’orateur.
M. Dumortier répète sa phrase et ajoute que, sous l’ancien gouvernement, les provinces portaient à leur budget les sommes nécessaires pour les enfants trouvés et abandonnés.
M. Delehaye. - On sait cela. (L’agitation de l’assemblée est constante.)
M. Dumortier. - Si ces messieurs voulaient me laisser parler ? Depuis ce matin, mon honorable collègue et ami M. Dubus a trouvé une loi du mois de ventôse an XIII, qui met au rang des dépenses communales celle des enfants trouvés. L’orateur lit deux ou trois articles de cette loi pour prouver son assertion, et déclare d’après cela qu’il ne votera aucune allocation pour les enfants trouvés et qu’il retire son amendement. (Aux voix ! aux voix !)
M. Jamme prononce au milieu du tumulte les paroles suivantes. - Messieurs, je ne traiterai nullement la question au fond ; assez d’orateurs l’ont fait avant moi ; cette question est d’une haute importance. Nous n’avons aujourd’hui à nous occuper que d’une mesure transitoire, et je ne la considérerai que sous le rapport de son chiffre et de l’équité. J’ai déposé sur le bureau un amendement tendant à élever le crédit pour subside aux communes, pour subvenir à la dépense que leur occasionnent les enfants trouvés, à 150,000 fl.
Messieurs, si vous allouez une somme moindre, vous n’aurez adopté qu’une demi-mesure, et, d’après ce que nous ont dit MM. Fallon et Brabant, il ne faut pas de demi-mesure, et il y a la plus grande urgence.
Messieurs, les enfants trouvés doivent être, selon moi, considérés comme les enfants de la nation ; donc leur entretien constitue une charge de l’Etat. Je ne puis admettre la proposition de l’honorable M. Mary ; il n’y aurait aucune justice de vouloir pour le moment que les communes intervinssent pour une partie de la dépense, parce que la répartition du subside ne pourrait se faire qu’en raison du nombre des enfants existant actuellement, et que ces enfants se trouvent accumulés dans les seules villes, où il y a des hospices, où on les a apportés de tous les points du pays.
Vous ne ferez jamais rien d’équitable, en laissant cette dépense ou partie de cette dépense aux charges des communes, parce que toujours il y aura impossibilité de constater le lieu de naissance de ces enfants qui, communément, sont transportés loin du lieu qui les a vus naître.
Je désire beaucoup voir la chambre se ranger à mon opinion. (Aux voix ! aux voix ! La clôture !)
M. Fallon. - Je n’ai qu’un mot à dire. Ce que vient de nous dire M. Dumortier ne prouve rien. Il résulte, en effet, de la loi de l’an XIII ce qui résulte du décret de 1811, que la dépense principale est à la charge du gouvernement, et que les communes ou les départements doivent suppléer à ce qui manque.
- La clôture, réclamée avec de nouvelles instances, est mise aux voix et rejetée.
Les amendements de MM. Fallon, Jamme et Mary sont successivement mis aux voix et rejetés.
M. Rogier reprend l’amendement abandonné par M. Dumortier, qui porte l’allocation pour les enfants trouvés à 100,000 florins.
- Cet amendement est mis aux voix en ces termes, qui avaient été proposés par M. Mary dans la réduction de son amendement : « Subsides pour fournir à l’entretien des enfants trouvés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fl. 100,000. »
L’épreuve et la contre-épreuve sont douteuses ; on procède à l’appel nominal dont voici le résultat : 73 votants ; 44, oui ; 29, non. L’amendement est adopté. Il devient l’article 3 du chapitre X.
L’article premier de ce chapitre est adopté en ces termes : « Frais d’entretien et de transport des mendiants dont le domicile de secours est inconnu et qui tombent à charge du trésor : fl. 6,000. »
« Art. 2. Secours à accorder aux établissement de bienfaisance en cas d’insuffisance de leurs ressources : fl. 100,000. »
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il me semble que d’après le vote émis par la chambre sur les enfants trouvés, on peut réduire de moitié cette allocation sans compromettre le service.
(Moniteur belge n°116, du 25 avril 1832) M. Rogier. - Messieurs, puisque M. le ministre consent à réduire l’allocation à 50,000 fl., j’aurai peu de choses à dire ; mais je dois dire qu’il serait dangereux au gouvernement de se laisser aller à une générosité trop facile sous prétexte des souffrances du peuple, car je suis de ceux qui pensent que le peuple n’est pas dans un état de misère aussi grand que le prétendent ses soi-disant amis.
Pour prouver son assertion, l’orateur établit par des chiffres que, dans la ville d’Anvers, le nombre des effets mis en gage au mont-de-piété a été moindre en 1831 qu’il ne l’avait été dans les six années précédentes ; ainsi, en 1825, il avait été de 143,442, sur lesquels on avait prêté un capital de 535,950 fl. ;
en 1826, 161,916 gages, capital 616,231 ;
en 1827, 170,235 gages, capital 633,060 ;
en 1828, 174,150 gages, capital 650,872 ;
en 1829, 183,946 gages, capital 691,026 ;
en 1830, 172,891 gages, capital,646,303 ;
en 1831, 134,367 gages, et 483,929 fl. de capital.
L’orateur, interrompu par quelques murmures, continue son énumération ; il prouve que l’année 1831 a été moins féconde en crimes et en délits, en procès faits par le fisc, en prisonniers écroués à Saint-Bernard, que les cinq années précédentes ; il établit aussi que la population du dépôt de mendicité d’Hoogstraeten est moindre de moitié, qu’il n’y a pas eu plus de faillites à Anvers en 1832 que les années précédentes, enfin que dans le premier trimestre de 1832 la régence d’Anvers a accordé 203 autorisations d’ouvrir des cafés ou des cabarets, tandis que dans toute l’année 1829 elle n’en avait accordé que 183.
(Moniteur belge n°113, du 22 avril 1832) M. Delehaye. - Messieurs, c’est, il n’en faut pas douter, un sentiment tout patriotique qui a fait envisager à M. Rogier la position du peuple comme meilleure qu’elle ne l’est réellement. Si je ne craignais l’inconvénient qu’il y aurait à prolonger cette discussion, je dirais tout le contraire. Ses raisons en effet ne sont pas concluantes. Il a dit que, malgré les impôts qui pesaient sur le peuple, le nombre des engagements au mont-de-piété avait été beaucoup moindre en 1831. Eh ! messieurs, ce ne sont pas les gens qui paient des impôts qui mettent leurs effets en gage. (Assez ! assez !)
- Le tumulte que fait la chambre nous empêche d’entendre le peu de mots que l’orateur ajoute. Nous entendons seulement qu’il termine en disant qu’il votera contre l’allocation demandée.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) fait observer qu’on ne peut se dispenser d’accorder au moins 35,000 fl., puisqu’il y a des engagements contractés pour cette somme avec l’établissement de Merxplas.
M. Jullien. - Il faut s’abstenir, messieurs, de prolonger cette discussion ; sans cela, j’aurais à dire quelque chose de semblable à ce qu’a dit l’honorable M. Delehaye. Il me semble que M. le gouverneur d’Anvers, en voulant prouver que le bien-être du peuple est plus grand aujourd’hui qu’avant la révolution, a entrepris une tâche trop difficile.
- De toutes parts. - Assez ! assez ! Aux voix !
M. Rogier. - Je demande la parole. (Non ! non !)
M. A. Rodenbach. - Je n’ai à dire qu’un seul mot ; je dois dire que, sans partager absolument la manière de voir de M. Rogier, il est certain cependant qu’il y a amélioration dans le sort du peuple depuis quelques temps. A Gand, par exemple, où la misère a été si grande, les ouvriers ont généralement du travail et même pour toute la journée. Je le dis parce que cela est vrai. Je suis franc, et si cela n’était pas vrai, je ne le soutiendrais pas ; car j’aime à dire la vérité soit pour soit contre. (Assez ! assez ! aux voix !)
M. Osy, vivement. - Je demande la parole. (Explosion de murmures et de cris : Aux voix !)
Je ne veux parler que sur l’amendement… (Il n’y en a pas !) Il y en a un, messieurs. M. le ministre propose de réduire l’allocation à 50,000 fl., et moi, puisqu’il n’y a d’engagements contractés que pour 35,000 fl., je propose de réduire l’allocation à ce chiffre.
M. Fallon. - C’est ce que je voulais proposer.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - S’il arrivait quelque cas fortuit pendant l’année, et qu’il fallût donner à l’établissement de Merxplas des secours supplémentaires, il serait dangereux de ne pas avoir des fonds pour cela ; car l’établissement risquerait de crouler. C’est pour parer à un tel inconvénient qu’il est prudent de voter plus que nous ne devons actuellement. 15,000 fl. ne sont pas une somme trop forte. (Aux voix ! aux voix !)
M. Rogier. - Je demande la parole. (Non ! non !) pour un fait personnel. (Violents murmures.)
M. Fallon. - D’après ce que vient de dire M. le ministre, je propose de majorer la somme à 50,000 fl.
M. Rogier. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Aux voix ! c’est inutile.) Messieurs, personne ici n’est plus que moi compétent pour savoir si je dois parler sur un fait personnel.
M. le président. - Vous avez la parole pour un fait personnel.
M. Rogier. - Messieurs, il me semble qu’on a exposé d’une manière peu réelle ce que j’avais dit. Je n’ai pas dit que la position du peuple fût brillante, mais j’ai voulu dire et prouver que sa souffrance n’était pas telle qu’on se plaisait à le répandre. Je suis fâché que MM. Jullien et Delehaye n’aient pas trouvé à propos d’étayer de quelques faits leurs assertions. (Aux voix ! aux voix !)
- L’allocation de 50,000 fl. est mise aux voix et adoptée.
« Art. unique. Statistique générale : fl. 2,300. »
- Adopté sans amendement.
« Art. unique. Frais d’un journal pour la publication des pièces officielles et recueillir les séances des chambres : fl. 17,000. »
M. Jullien. - Messieurs, on vous propose, pour fournir aux frais d’un journal officiel dans lequel on donne place aux publications du gouvernement et destiné à recueillir les séances des chambres, de voter un crédit de 17,000 fl. Je déclare que, quant à moi, j’allouerai tout ce qui sera nécessaire pour un journal qui rendrait un compte fidèle de nos séances ; mais, s’il s’agit d’un journal qui les rapport de la manière dont le fait le Moniteur actuel, je déclare que je ne donnerai pas un denier.
Il faut reconnaître une chose, messieurs, c’est que le compte-rendu des séances de la chambre est une dette qu’elle doit payer à la nation. Le pays doit savoir ce qui se passe et tout ce qui se dit dans cette enceinte, afin de pouvoir juger la conduite politique de chacun de ses représentants, et jusqu’à quel point ils continuent de mériter sa confiance. Pour cela, il faut qu’il puisse juger de la physionomie véritable de nos séances, et il ne peut la juger que si on la lui expose fidèlement. Or, c’est ce qu’on ne fait pas, ce qui provient peut-être de tel ou tel rédacteur qui assiste à la séance.
J’entends souvent des orateurs de l’opposition qui s’expriment avec clarté, même avec une certaine élégance ; eh bien ! on les y trouve tronqués, défigurés, pleins de non-sens, souvent même de niaiseries. N’est-ce pas bien pénible de se voir ainsi attribuer toutes les sottises qu’on met sur votre compte ? C’est bien assez d’être responsable de choses qu’on a dites, sans l’être encore des choses qu’on ne dit pas.
Pour vous donner un exemple entre mille de la manière dont les séances sont rendues, je connais un membre de cette chambre, avec lequel je suis intimement lié, qui, dans une discussion assez animée où il s’agissait de M. le ministre de la guerre, prononça un discours pour combattre l’opinion de ce ministre. Le lendemain, voici ce que je lus dans le Moniteur : M. un tel prononça un discours contre la proposition de M. le ministre de la guerre (hilarité), pas autre chose. Et que croyez-vous qu’il y avait après ? M. le ministre répond victorieusement au préopinant (nouvelle explosion d’hilarité), et il s’étendit complaisamment sur ce que le ministre avait dit, et même sur ce qu’il n’avait pas dit. Je vous le demande, est-ce là de l’impartialité ? Ce n’est pas au journaliste à juger de quel côté sont les arguments victorieux ; c’est le public seul qui le juge, et pour cela il fallait rapporter l’un et l’autre discours.
Quand l’on voit de telle chose, messieurs, il est impossible de ne pas voir là l’influence du ministère ; et ce n’est pas pour donner au ministère le plaisir de voir rapporter fidèlement ses discours, et ceux de l’opposition défigurés, que nous devons consentir au crédit qu’on nous demande.
On dira : Mais au moins le Moniteur rapporte les discours écrits. Eh bien ! messieurs, cela n’est pas encore exact. Je connais une circonstance dans laquelle l’ami dont j’ai parlé, ayant prononcé un discours (il s’agissait de la loi des suspects) qu’il remit au Moniteur, vit le lendemain qu’on en avait retranché la partie la plus intéressante ; il s’en plaignit, et on lui donna des raisons qui n’étaient rien moins que satisfaisantes. D’ailleurs, messieurs, qu’est-ce qu’un discours écrit ? Les discours écrits ne s’adressent pas à la chambre. Ce sont des feuilles que l’on écrit chez soi, que l’on tire de sa poche, et que l’on débite souvent sans que la discussion y gagne rien, parce qu’ils ne répondent pas à ce qui vient d’être dit, et que ce n’est pas par eux que l’on peut juger de la physionomie de la chambre. Ce sont les discours improvisés qui constituent cette physionomie ; ce sont ceux-là qu’il est intéressant de reproduire.
On dit que, puisque la tribune est ouverte à tous les journalistes, il ne faut pas craindre que la vérité ne soit pas connue ; car l’un rapporte fidèlement ce que l’autre aura omis. C’est là une erreur. Le Moniteur seul peut rapporter les séances avec fidélité, parce que seul, grâce au subside qu’il reçoit, il peut leur donner assez d’étendue. Les autres journaux ne pourraient y consacrer leurs colonnes sans se condamner à être fort ennuyeux, et l’exactitude rigoureuse serait peu profitable à leur entreprise. Tout ce qu’on peut exiger d’eux, c’est de la fidélité dans la substance des discours dont ils veulent donner une idée.
En un mot, messieurs, ce que je demande, c’est un journal à l’instar de celui qui se publie en France. Un journal, le Moniteur français, que l’on a appelé avec raison l’« inexorable Moniteur », parce qu’il offre sans cesse aux yeux de l’homme public la fidèle expression de ce qu’il fut, de ce qu’il dit en telle ou telle circonstance, et parce qu’il est toujours là comme un témoin vivant, prêt à déposer contre tant d’hommes qui viennent se vendre corps et bien à tout ministre qui consent à les acheter ; ce Moniteur, combien de lâchetés, de bassesses, de turpitudes, n’a-t-il pas dévoilées, mais aussi et par cela même n’a-t-il pas empêchées ! Et combien d’hommes n’a-t-il pas retenu sur le bord du précipice, par la crainte seule de se voir publiquement dévoilés ! Je voterai pour un pareil Moniteur, mais je n’en veux point d’autre.
M. Dumortier. - Messieurs, il est indubitable à mes yeux que le gouvernement doit avoir un journal où il puisse déposer l’expression de sa pensée et consigner la défense de ses actes. Quand nos séances sont ouvertes, les ministres peuvent venir se défendre dans cette enceinte ; mais, quand la session est close, comment feraient-ils, s’ils n’avaient pas un journal à eux pour repousser les attaques auxquels ils sont exposés journellement ?
Mais s’il est vrai que le gouvernement doit avoir un journal à lui, ce que vous a dit l’honorable M. Jullien ne l’est pas moins. Il est une vérité déplorable, messieurs, c’est que les séances sont rapportées avec une partialité choquante. La preuve, c’est que dans cette discussion les journaux n’ont pas une seule fois rendu compte de nos discours à nous, membre de l’opposition, tandis que ceux des partisans du ministère sont fidèlement rapportés. Il faut qu’un pareil état de choses cesse. Ce que je dis ne s’applique qu’au Moniteur.
Nous ne pouvons sans doute exiger que le Moniteur rapporte mot à mot tout ce que nous disons ; mais nous pouvons, nous devons exiger qu’il soit fidèle, exact et impartial dans ses comptes rendus. C’est ce qu’il ne fait pas ; et fort heureux encore quand il ne nous fait rien dire, car en vérité il nous fait parler d’une manière tout à fait contraire à ce que nous avons dit. Au commencement de la session, M. Ch. Vilain XIIII avait proposé, et je regrette qu’on n’ait pas adopté sa proposition, de nommer un sténographe qui aurait été aux ordres de la chambre.
- Une voix. - Il faut le payer !
M. Dumortier. - Sans doute il faut le payer, et nous ne devrons pas y regarder de près si ce que nous disons est fidèlement rendu, tandis que maintenant il est impossible de vous plus d’inexactitude dans le détail de nos séances ; et il faut le dire, cela provient de ce que la même personne donnant son travail à tous les journaux, s’il y a une faute dans l’un, l’erreur se propage dans tous les autres, en sorte qu’on nous juge dans le public non sur ce que nous disons, mais sur ce qu’on nous fait dire. Je déclare donc que, si au commencement de la session prochaine la chambre n’a pas un sténographe à elle, je voterai contre toute allocation pour le Moniteur.
M. le président. - Voici un amendement qui vient d’être déposé : « Je propose à la chambre de rédiger ainsi l’article en discussion : « Adjudication publique d’un journal pour la publication des actes officiels et du compte-rendu des séances : fl. 17,000. »
M. Gendebien. - Il me semble, messieurs, que le moyen le plus sûr d’obtenir, au meilleur marché possible, la publication des actes officiels et le compte-rendu fidèle des séances, c’est de la mettre en adjudication publique, et je crois d’ailleurs qu’il est de l’essence du gouvernement représentatif de toute faire par adjudication publique. De cette manière, vous trouverez des hommes qui ne demanderont pas mieux que de faire ce travail, et vous éviterez les inconvénients que l’on connaît et qu’il est inutile de signaler. Celui qui restera adjudicataire, soumis à la surveillance des questeurs ou d’une commission de la chambre, remplira ses engagements avec fidélité. Il est certain qu’un journal créé par le gouvernement est un véritable monopole. Je le répète, par l’adjudication publique vous évitez tous les inconvénients signalés, et vous obtiendrez l’impartialité, la fidélité que la chambre est en droit d’exiger.
M. Nothomb. - Je commence par déclarer que je considère les plaintes que vous venez d’entendre comme fondées en ce sens que le Moniteur ne reproduit pas très fidèlement les séances, et comme non fondées qu’on doive l’attribuer à la partialité du rédacteur.
Sous ce rapport, messieurs, je ne crois pas que les orateurs de l’opposition aient plus à se plaindre que les orateurs que l’on considère comme n’étant pas de l’opposition ; car les uns ne sont pas plus maltraités que les autres. Ce qui peut être vrai, c’est que certains discours soient parfois relégués dans le supplément, au lieu d’être classé dans le corps de la séance ; mais cela s’explique par le besoin que l’on a de publier des suppléments, qu’il faut remplir de discours détachés, afin d’éviter des droits de timbre. Je n’ai qu’un mot à dire à l’appui de ce que je viens d’avancer touchant l’impartialité du rédacteur des séances, c’est que le même homme qui fournit les séances au Moniteur, les fournit en même temps à des journaux de l’opposition.
Il faut, dit-on, un journal comme le Moniteur français, et digne qu’on lui applique comme à celui-ci l’épithète d’inexorable. Je suis parfaitement de cet avis, messieurs ; mais savez-vous ce que coûte un pareil journal ? Le Moniteur emploie six sténographes …
- Une voix.- Huit !
M. Nothomb. - … qui, à raison de 5,000 fr. par an, coûtent déjà 30,000 fr. Le Moniteur français que je lis tous les jours, se compose d’une feuille et de deux ou trois suppléments par jour, pour lesquels il se fait des frais énormes d’impression. Savez-vous au contraire ce que coûtent les séances du Moniteur ? Le sténographe du Moniteur belge reçoit 15 fr. par séance. C’est un homme seul qui a fait toutes les séances du congrès ; il y a eu à peu près 112 séances, en sorte que pour tout cet énorme travail, cet homme a eu un peu plus de 1,500 fr. : certes, on conviendra que ce n’est pas trop.
Nous sommes à la séance, nous, sans y prendre beaucoup de peine. Eh bien ! un homme tous les jours vient à cette séance, il écoute tout ce qui se dit, il prend note de tout ; quand la séance est terminée, notre tâche finie, alors la sienne commence ; il doit rédiger et mettre en ordre ce qu’il a entendu, et ce n’est pas 24 heures après, mais après quelques heures seulement qu’il doit livrer son travail à l’impression. Eh bien ! pour ce pénible travail cet homme gagne 15 fr. par jour, et si je voulais comparer son traitement avec l’indemnité allouée à chaque représentants… (Murmures violents et prolongés.) Je ne comprends pas ces murmures, messieurs : on ne juge jamais mieux les choses que par comparaison, et celle-ci n’est choquante pour personne. La rédaction des séance est un travail intellectuel et honorable. (Nous ne recevons pas de traitement !) Je sais bien qu’on ne prétend pas payer les représentants, et que le traitement qu’ils touchent n’est qu’une indemnité ; mais enfin, je ne vois pas pourquoi il ne me serait pas permis de faire la comparaison que j’ai faite.
En résumé, je suis parfaitement d’accord avec les honorables préopinants que le Moniteur a imparfaitement rendu compte de nos séances ; mais, avec la faible somme attribué à cette rédaction, on nous a en donné pour notre argent. Je voudrais que le gouvernement eût les fonds nécessaires pour obtenir plus d’étendue et plus d’exactitude dans les comptes rendus de séances, et toutes les plaintes cesseraient bientôt.
M. Ch. Vilain XIIII. - Je demande la parole pour expliquer à M. Dumortier comment ma proposition n’a pas eu de suite. Aussitôt après l’avoir faite, je pris des renseignements à Paris ; on n’en a donné que j’ai lieu de croire exact. On m’a dit que le Moniteur avait six sténographes, et que ce journal, avec les suppléments qu’il est obligé de publier, coûte au gouvernement 200,000 fr. Vous savez que la chambre ne s’est pas contentée du Moniteur, auquel elle trouvait une teinte un peu ministérielle ; elle a voulu un journal à elle. Elle a fait un arrangement avec les éditeurs du « Sténographes, » qui n’est pas un journal du gouvernement, et qui n’est soumis à la chambre que pour le compte-rendu des séances ; eh bien ! ce journal ne reçoit pas moins de 5,000 fr. par mois. J’avoue, messieurs, qu’effrayé de ces chiffres, je n’ai pas cru devoir donner suite à ma proposition.
M. C. Rodenbach. - Je crois devoir, messieurs, appuyer par quelques mots l’allocation demandée pour un journal officiel.
La publication d’une feuille de cette nature me paraît d’autant plus nécessaire qu’elle est en quelque sorte le seul moyen convenable que possède le gouvernement pour donner une grande publicité aux actes officiels. La législation n’en retire pas moins d’avantages. Le Moniteur est ordinairement le journal qui rend le compte le plus étendu des séances des deux chambres : chose utile, essentielle même pour l’interprétation des lois. L’on pourrait dire que le journal officiel est le véritable dépôt des archives de la représentation nationale.
Si l’on se plaint du Moniteur comme étant dépourvu d’intérêt et comme donnant peu d’articles originaux sur la situation du pays, c’est qu’on ne considère pas que la circonspection, la modération doivent être l’apanage d’un journal officiel, surtout lorsqu’il traite des affaires publiques.
Je pense, messieurs, que dans un moment de schisme, dans un moment où les passions politiques sont encore dans l’effervescence, il est juste d’accorder aux ministres une arène dans laquelle ils puissent défendre les actes de leur administration, repousser les attaques et neutraliser les calomnies auxquelles ils sont souvent en butte.
Pour ces divers motifs, messieurs, j’admets en principe l’existence d’un journal officiel, que je considère comme une conséquence, comme une nécessité du gouvernement représentatif.
Je voterai donc pour la somme demandée et contre l’amendement de l’honorable M. Gendebien, parce qu’il me semble qu’un journal officiel appartient plus particulièrement au pouvoir exécutif.
M. Destouvelles. - Messieurs, il n’est que trop vrai que les séances ne sont pas rendues avec toute l’exactitude désirable. Mais faut-il en conclure qu’il y a partialité de la part du rédacteur ? Non sans doute. C’est la conséquence d’un fait qu’on est forcé de reconnaître. C’est que le personnel des sténographes pour la rédaction du Moniteur n’est pas suffisant. Il est impossible, en effet, que pour une somme aussi modique vous ayez des séances sténographiées d’une manière irréprochable. Nous avons eu dans la section centrale quelque explication avec l’éditeur du Moniteur ; il nous a dit que ce n’est pas un sténographe, mais deux qu’il faudrait.
Je demande, en conséquence, une majoration de 8,000 fl. sur la somme portée au budget. Je ne crois pas que l’adjudication publique, proposée par M. Gendebien, puisse atteindre le but qu’on se propose. Si d’un côté il est juste que la chambre soit jugée d’après le compte exact de ses séances, il est juste d’autre part que le gouvernement ait une feuille pour la défense de ses actes et du système qu’il s’est tracé. Mais je le répète, si on veut un travail satisfaisant, il faut renforcer le personnel des sténographes, et qu’ils soient deux au moins, pour que, quand l’un finit, l’autre commence. C’est ainsi qu’à Paris il y en a plusieurs au Moniteur, de manière que quand l’un cesse d’écrire, l’autre en est averti par un coup de coude, et commence à son tour ; ils coordonnent ensuite leur travail respectif, et ils obtiennent ainsi la régularité nécessaire.
M. Jullien. - L’honorable M. Nothomb veut bien reconnaître la vérité de quelques-uns de nos griefs, mais il refuse de convenir d’une sorte de partialité dans la manière dont se fait le Moniteur. Cependant je lui signalerai une petite particularité qui m’a frappé. Un jour M. Nothomb nous prononça un discours sur les divers systèmes politiques et sur la diplomatie, et je vis, le lendemain, ce discours imprimé en gros caractère que l’on appelle, je crois, cicéro (hilarité générale), tandis que tous les discours de la pauvre opposition sont toujours imprimés en caractère de pied de mouche (nouvelle hilarité), et de manière à empêcher, à la seule vue, les lecteurs d’en entamer la lecture. Voilà un fait vrai, et M. Nothomb a tort de bonne foi pour ne pas en convenir.
On a parlé des grands frais que coûte le Moniteur en France. Messieurs, nous sommes moins nombreux que les députés de France et moins vertueux aussi ; deux sténographes nous suffiraient donc, et, à 5,000 fr. chacun, leur traitement serait assez élevé, et je crois qu’un Moniteur, impartialement rédigé, ayant l’avantage de la publication des pièces officielles, et par cela seul que nul ne peut donner les séances avec autant d’étendue que lui, ferait de tout aussi bonnes affaires que tel autre journal que ce fût.
M. Rodenbach a parlé de la nécessité pour le ministère d’avoir un journal destiné à repousser les attaques dont il peut être l’objet. Je ne veux pas retirer cette faculté au ministère. Cet avantage, je consens bien à le lui accorder, et même à ce que cette feuille soit une cassolette où fumerait tous les matin l’encens de lui ou de ses amis ; mais il ne s’ensuit pas que nous n’ayons le droit d’exiger que cette même feuille contienne un détail fidèle et impartial de ce qui se dit à nos séances. J’appuie donc l’amendement de M. Destouvelles, et on nous accordera par ce moyen tout ce que nous avons le droit de demander.
M. Gendebien. - Je pense que, si on consent à l’adjudication publique, il ne sera pas nécessaire de majorer la somme. Il n’y a pas de journal qui croirait se compromettre en acceptant par adjudication la charge de faire ce qu’on veut exiger du Moniteur. Il y a certains journaux qui répugneraient à traiter avec le ministère par un acte secret. Mais, par adjudication publique, il n’en est pas un seul qui ne s’empressât de traiter. Et je puis affirmer, car j’en ai la conviction, que vous atteindrez, par ce moyen plutôt que par tout autre, le but que vous vous proposez.
Sans entrer dans la question s’il est ou non nécessaire au ministère d’avoir un journal à lui, je répète qu’il n’y a pas de journal qui ne fût bien aise, en touchant tous les trois mois une part aliquote de la somme allouée, de publier et les actes officiels et les séances des chambres. Du reste, de quelque manière qu’on agisse, peu importe, pourvu que désormais les séances soient rendues avec impartialité.
M. Dumortier. - Je ne suis pas étonné que M. Nothomb se montre satisfait du Moniteur, puisqu’il y est si bien traité. On convient que les séances ne sont pas rapportées fidèlement, et on conteste qu’il y ait partialité ; eh bien ! je soutiens qu’il règne dans des comptes rendus une partialité scandaleuse. Je ne puis m’empêcher de le dire, et je pourrais citer un fait qui m’est personnel pour le prouver.
Pendant six semaines, j’ai parlé fréquemment comme rapporteur du budget ; pas un seul de mes discours n’a été rendu dans le Moniteur ; n’est-ce pas, je le répète, une partialité scandaleuse ? On a dit que le rédacteur des séances ne gagnait que 15 fl. par jour : qu’on en donne 30, s’il le faut, et que les séances soient bien rendues. On a dit encore qu’en sortant d’ici, il fallait que le rédacteur s’occupât de faire la séance ; mais c’est précisément ce que je ne veux pas. Je ne veux pas qu’on la fasse la séance ; nous ne voulons pas une fabrique de séances. (Violents murmures.) Il faut au contraire que les séances du Moniteur ne soient que le miroir fidèle de ce qui se passe ici.
Deux sténographes sont indispensables, pour se contrôler mutuellement ; ayons donc des hommes capables, mais je demande que dans aucun cas le sténographe de la chambre ne puisse être attaché à un journal appartenant à des membres de cette chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je pense aussi que le Moniteur doit rendre fidèlement compte des séances, et, quant à moi, je n’ai jamais cru que le ministère dût en influencer la rédaction le moins du monde. Quant à la partialité dont on a parlé, il est hors de doute que quelques individus, par leur relation avec le Moniteur, peuvent exercer une certaine influence sur ce journal, comme d’autres personnes sur d’autres journaux.
Le seul moyen de faire cesser les plaintes qui s’élèvent, c’est de majorer la somme demandée pour le journal officiel ; car il est incontestable que la somme allouée est beaucoup trop minime.
Quant à l’adjudication publique proposée, elle est impossible, et voici pourquoi : Vous savez que, sous le gouvernement du régent, un contrat fut passé avec le sieur Feuillet-Dumus pour la publication du Moniteur. Ce contrat fut fait à des conditions fort onéreuses, et, entre autres clauses, on y en trouve une par laquelle l’impression du Moniteur ne pourra être accordée à un autre éditeur qu’à la condition de payer à M. Feuillet-Dumus un dédit de 12,000 fl. (L’orateur lit l’article du contrat portant cette clause.)
- Une voix. - Mais il y a faculté de résilier.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Oui, messieurs, l’article 10 donne au gouvernement le droit de résilier le contrat en prévenant l’éditeur six mois à l’avance, mais en payant encore une indemnité de 3,000 fl.
Je pense qu’indépendamment du compte rendu des séances, il est indispensable que le gouvernement puisse exposer son opinion dans un journal à lui. Dans le cours de la session, il est peut-être utile qu’il ne soit en contact qu’avec la chambre ; mais, après la session, il doit pouvoir rendre compte de ses actes par la voie de la presse, et librement, dans un journal qui ne puisse lui refuser cette satisfaction.
Je crois donc que le seul moyen pour faire cesser les plaintes, c’est de majorer la somme demandée ; ensuite, de prendre des mesures pour que le compte rendu des séances soit soumis à l’approbation de MM. les questeurs ou de tous autres membres de l’assemblée. (La clôture ! la clôture !)
- La clôture est prononcée.
M. le président. - Il y a deux amendements : celui de M. Gendebien…
M. Gendebien. - Je le retire.
Celui de M. Destouvelles, restant seul, est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. Archives du royaume : fl. 22,800. »
La section centrale propose de réduire l’allocation à 15,300 florins.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) combat la réduction proposée par la section centrale.
M. Angillis. - Messieurs, les archives d’un pays sont une propriété nationale, et une propriété si précieuse que toutes les nations apportent un soin religieux à sa conservation ; et ce n’est pas sans raison ; car c’est par la conservation des actes de ceux qui nous ont précédés sur la scène du monde, que le passé se lie au présent ; c’est dans ce dépôt que le diplomate peut se convaincre que ses confrères des temps passés ne ressemblent pas mal, sous le rapport de la franchise et de la bonne foi, à ses confrères du temps présent ; c’est là que le législateur, par des études approfondies, nourrit sa raison par l’expérience et les connaissances de nos ancêtres ; c’est là enfin que d’immenses matériaux sur notre histoire politique et législative sont mis à la disposition de tous les amis de la science, et que l’homme qui sent le besoin d’apprendre, trouve d’abondantes ressources pour orner son esprit et éclairer sa raison.
Nos archives, messieurs, sont d’une richesse peu commune, et, quand on songe que, pendant des siècles, la Belgique a été dominée par des puissances qui nous traitèrent comme de très humbles serviteurs des circonstances, et qui avaient plus à cœur nos écus que la gloire et l’honneur du pays, et que chaque changement de domination a été marqué par des enlèvements considérables d’une partie de nos documents nationaux, on doit être étonné de se voir en possession d’un trésor aussi précieux.
Maintenant, messieurs, il s’agit de conserver ce qui nous reste ; il s’agit encore d’autre chose, il faut classer ces archives pour les rendre utiles : il faut que nous sachions ce que nous avons, et que nous puissions trouver sans beaucoup de peine, dans cette immense collection, les pièces dont on peut avoir besoin, et pour cela, il ne faut pas seulement classer, il faut encore faire des catalogues ; toutes ces opérations, messieurs, sont plus ou moins dispendieuses, mais, en ce qui tranche la question, c’est qu’elles sont indispensables.
La section centrale, animée d’un ardent désir, très louables sans doute, de nous donner en perspective cette espèce de gouvernement qu’on est convenu d’appeler gouvernement à bon marché, propose une réduction proportionnellement très considérable sur ce chapitre ; je dis très considérable, car, sur une somme de 22,800 florins, elle vous propose de retrancher 7,600 florins : c’est tout justement le tiers de la somme.
Si la section centrale avait raison, ce gouvernement à bon marché, que j’ai toujours considéré comme une plaisanterie, serait réellement possible. Mais, messieurs, il ne suffit pas de faire des réductions sur les dépenses de l’Etat ; car, de même que la proposition d’allocations doit être justifiée par la nécessité, la proposition de réduction doit être justifiée par la possibilité qu’elle puisse se faire sans que le service en souffre, et, dans le chapitre que nous examinons, j’ai la conviction que si la réduction que la section centrale a proposée était adoptée, la classification de nos archives nationale deviendrait impossible, et ce précieux dépôt serait pour la nation à peu près comme s’il n’existait pas.
Je dois à la vérité de déclarer, messieurs, que lorsque j’eus l’honneur de présider la commission des crédits provisoires, je pensais qu’on pouvait porter de l’économie dans cette partie du service public ; mais alors je ne connaissais pas toute l’importance de nos archives ; je suis franchement revenu de cette première opinion, et j’ai la certitude que tous ceux qui partagent cette opinion avoueront leur erreur, s’ils veulent se donner la peine de visiter ce dépôt.
Je voterai donc pour l’allocation demandée.
(Moniteur belge n°116, du 25 avril 1832) M. Helias d’Huddeghem. - Messieurs, personne de nous n’ignore l’importance des archives du royaume de la Belgique sous le triple rapport, comme l’expose fort bien l’auteur d’une brochure qui nous a été remise il y a quelques temps 1° de l’histoire de la patrie, 2° de l’administration publique, 3° des intérêts des citoyens.
Les archives du royaume se trouvent depuis 1822, dans la partie des bâtiments du palais de justice qui regarde la rue de la Paille et la place du grand Sablon ; je dois vous déclarer, messieurs, qu’on ne pourrait leur assigner un local plus dangereux : par le défaut d’espace, une partie des archives se trouvent reléguées dans le grenier, et ainsi exposées à des détériorations journalières. Au-dessous des pièces qui contiennent la plus grande partie du dépôt, sont les bureaux des tribunaux civils et du commerce : le bâtiment est même exposé aux dangers du feu, puisqu’il est contigu à une boulangerie. Les archives ne peuvent donc, sans de graves inconvénients, demeurer dans les bâtiments qu’elles occupent aujourd’hui.
Tous les gouvernements qui se sont succédé dans ce pays ont eu grand soin de ces archives, qui sont un dépôt vraiment digne de l’attention de la législature ; nous montrerons-nous moins jaloux de leur conservation, je ne le crois pas.
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, la section centrale a proposé une réduction de 6,600 fl. sur le chapitre XV. J’appuierai plusieurs de ces réductions, entre autres celle de l’article 6 relatif aux documents à publier pour l’histoire du pays.
Sans aucun doute que ces dépenses peuvent être remises à de meilleurs temps ; mais je ne saurais approuver celles des articles 1, 3 et 5 demandées pour les soins à porter aux archives existantes à Bruxelles, pour celles déposées dans les divers locaux des provinces, et pour les frais de recouvrements des archives belges détenues chez des puissances étrangères ; une grande partie de ces dernières ont été transportées à La Haye, d’autres à Paris et à Vienne, et le devoir impérieux du gouvernement sera de réclamer ces dépôts aussitôt la paix conclue. Il serait impossible d’opérer ces translation avec une somme de 1,000 fl., puisqu’outre les frais de transport, il importera d’envoyer sur les lieux des archivistes capables. Ces frais, du reste, ne seront que temporaires, et c’est sous ce titre qu’ils sont portées au budget.
Quant au salaire des employés et aux frais d’administration du dépôt central à Bruxelles, que l’on veut réduire, je ne puis y souscrire, surtout au moment où c’est dans ces archives que l’on s’efforce de rechercher les anciens titres de la nationalité belge, que l’on a besoin de s’appuyer des documents de notre histoire ou de notre ancienne administration, pour réclamer à l’extérieur l’exécution des traités, pour fournir à l’intérieur toutes les pièces nécessaires aux communes ou aux particuliers pour faire valoir leurs droits de concessions et d’indemnités à charge de l’Etat.
C’est ainsi que, par rapport aux négociations à ouvrir pour l’écoulement des eaux des Flandres, on trouvera aux archives tous les anciens procès-verbaux, tous les documents relatifs à cette affaire entamée jadis sous Joseph II. C’est ainsi que, par rapport aux engagères et autres dettes dues par l’Autriche et la Hollande à des citoyens belges, on pourra s’enquiescer aux archives de la réalité des réclamations et les appuyer de preuves suffisantes. C’est ainsi encore que les particuliers ou les villes qui jadis possédaient des routes, des passages d’eau et d’autres concessions, pourront là recueillir leurs diplômes. Toutes ces recherches doivent être rétribuées ; elles sont considérables et ne peuvent être couvertes que par l’allocation demandée. Déjà on a demandé que le travail des concessions fût soumis aux chambres, et il sera sans doute reconnu que sa prompte expédition est nécessaire.
A cet effet, il faut qu’un certain nombre d’écrivains et d’employés soient mis à l’œuvre pour terminer cette besogne, et qu’ainsi une somme suffisante soit accordée au ministre. Je demanderai donc qu’une augmentation de 5,100 fl. soit ajoutée au chiffre de la section centrale, proposition qui diminuera cependant le chiffre du ministère de 2,500 fl.
(Moniteur belge n°113, du 22 avril 1832) M. Gendebien combat la réduction proposée ; il fait observer qu’on n’improvise pas un archiviste comme un commis de douanes, qu’il faut pour remplir de telles fonctions des hommes spéciaux et capables ; sans cela, on aurait des archives pour le seul plaisir de les avoir, mais elles ne seraient d’aucune utilité.
- L’article premier du chapitre, relatif au traitement de l’archiviste et aux fournitures de bureau, est mis aux voix et adopté, nonobstant l’opposition de M. Dubus, qui s’est attaché à justifier les réductions proposées par la section centrale. Le chiffre de cet article est de 10,000 florins.
L’article 2 porte 2,000 fl. pour frais de translation des archives ; il est adopté sans amendements.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) propose un article 3 ainsi conçu : « Loyer et appropriation d’un location pour la translation des archives : fl. 3,000. »
- Cet article est adopté aussi bien que les articles 4, 5 et 6 ; le premier relatif aux archives de l’Etat dans les provinces, dont le chiffre est de 2,000 fl. ; le deuxième, frais d’inspection des archives dans les provinces, 3,300 fl. ; et le dernier, indemnité pour publication de documents relatifs à l’histoire du pays, 1,500 fl.
« Art. unique. Subsides aux villes et communes, secours, médailles pour actes d’humanité : fl. 807,500. »
(Moniteur belge n°116, du 25 avril 1832) M. Tiecken de Terhove. - Messieurs, il me semble que ce n’est pas à l’Etat à venir au secours des villes et communes ; le trésor ne doit avoir de destination que pour tout ce qui est d’utilité et d’intérêt général. Chaque commune doit établir son budget de dépenses en raison de ses ressources ; mais beaucoup de villes, et surtout les grandes villes, n’ont pas suivi ce principe ; la manie des embellissements en a saisi quelques-unes, les a obérées, et aujourd’hui elles trouveraient fort commode que l’Etat payât leurs folies. C’est justement ce que nous, mandataires de la nation, nous ne devons, nous ne pouvons permettre ; il doit y avoir égalité pour tous, et quelques localités ne doivent pas être favorisées aux dépens des autres.
S’il y a des communes qui, malgré une administration sage et économe, n’ont pas les moyens de satisfaire à des besoins urgents (et il en existe peut-être, surtout parmi les petites villes et les communes rurales, qui anciennement ont été obérées par des prestations de guerre, dont les charges les accablent encore aujourd’hui), ce serait plutôt à l’administration provinciale à venir à leur secours ; elle seule sera à même de juger avec connaissance de cause de leurs besoins, et, si les demandes en secours sont fondées, en adoptant ce principe, on évitera les surprises, on écartera l’intrigue, et rien ne sera accordé à la faveur et à l’obsession. Si contre mon attente cette allocation était accordée, je craindrais beaucoup que les petites communes, qui généralement ont le moins de ressources, n’y participassent guère.
Il me semble, messieurs, qu’en nous demandant une somme si considérable, M. le ministre aurait dû nous présenter un tableau du nombre des villes et communes qui sont destinées à participer à l’allocation demandée, et le contingent de chacune d’elles. Je dois croire que ce tableau doit exister déjà, pour avoir pu déterminer le chiffre. Dans tous les cas, mes honorables collègues qui seraient disposés à accorder la totalité, ou une partie de cette somme, seront sans doute charmés d’avoir quelques éclaircissements à cet égard, pour ne pas devoir voter en aveugles ; pour moi, qui refusais cette allocation et qui en demande la suppression, je n’y tiens pas.
(Moniteur belge n°113, du 22 avril 1832) La section centrale propose de réduire l’allocation à 157,600 fl. M. le ministre se rallie à cette proposition, qui est adoptée.
La chambre adopte ensuite le chapitre XV et dernier, intitulé : Dépenses imprévues, dont l’article unique sera ainsi rédigé : Crédit ouvert pour dépenses imprévues, 20,000 fl.
M. Dubus fait ensuite, au nom de la section centrale, un rapport sur les amendements de M. d’Huart, tendant à accorder un crédit de 5,000 fl. pour l’achèvement de la route de Virton à Arlon ; de M. Fallon, tendant à accorder un crédit de 36,000 fl. à la province de Namur, pour la route de Charleroy vers Rocroy, et de M. Osy, tendant à allouer celui de 230,000 fl., pour payer les primes à payer aux armateurs de navires.
La section centrale a été d’avis de rejeter les trois amendements, le premier, parce qu’il suffira de vérifier que le gouvernement a contracté l’obligation d’aider les communes à construire la route, pour qu’il puisse rendre les fonds suffisants soit sur les 150,000 fl., alloués pour l’agriculture, le commerce et l’industrie, soit sur les dépenses imprévues ; celui de M. Fallon, parce qu’on n’a pas eu le temps de vérifier la justice de la demande, et qu’on pourra, d’ailleurs, demander plus tard un crédit spécial pour cet objet ; enfin, celui de M. Osy, comme intempestif.
- Ces conclusions sont adoptées sans débat notable, et le vote définitif sur le budget, renvoyé à samedi matin à 9 heures.