(Moniteur belge n°109, du 18 avril 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à 11 heures.
Après l’appel nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal qui est adopté.
M. Liedts analyse quelques pétitions qui sont renvoyées à la commission.
M. Taintenier, élu par le district de Mons, et dont l’admission avait été précédemment proclamée, prête serment.
L’ordre du jour est la suite de la discussion du budget de l’intérieur.
(Supplément au Moniteur, non daté et non numéroté) M. Goblet. Quoique, dans mon opinion, il n'y ait lieu à discuter en ce moment que le chiffre des allocations demandées par le gouvernement, plusieurs orateurs ont cru, dans la discussion générale du ministère de l’intérieur, devoir traiter de l’utilité d’un changement de système dans l’organisation actuelle des travaux publics. En général, je partage l’opinion des honorables membres sur quelques vices du système actuel, dont je pense, toutefois, qu’ils se sont exagéré l’importance ; mais, selon moi, le temps n’est pas encore venu, où ce changement de système puisse se faire sans inconvénients.
En effet, messieurs, les systèmes entre lesquels se partagent actuellement l’opinion des hommes instruits qui les ont discutés, ne sont pas nombreux ; ils se réduisent à deux, le système français, qui est aussi le nôtre, et le système anglais. Dans ce premier, l’Etat se réserve la conception et la direction absolue des travaux ; dans le second, il abandonne à l’industrie particulière le soin de les concevoir et de les exécuter.
Je ne nie pas, messieurs, tous les avantages de ce dernier système, dont le plus grand à mes yeux est la garantie qu’il donne au pays, que les travaux véritablement utiles, seront seuls entrepris.
Mais, messieurs, l’établissement de ce système, suppose l’existence d’une bonne législation des travaux publics ; et sous ce rapport, nous avons tout à créer, ou du moins tout à refondre, pour mettre ce qui existe en harmonie avec notre régime constitutionnel, et ce travail ne peut être entrepris, tant que ce régime n’a pas reçu ses applications les plus immédiates à l’organisation intérieure du pays.
Dans une telle situation, il ne nous reste dans le moment actuel qu’à rechercher, si, en comparant ce qui se passe chez nous, avec ce qui existe chez nos voisins, où règne le même système que le nôtre, nous pouvons obtenir quelques économies sur les frais qu’occasionne notre administration des travaux publics.
Messieurs, en résumant les conclusions des diverses sections, votre section centrale a émis l’opinion que la somme de 105,800 fl. qui était demandée pour les traitements et indemnités des ingénieurs et conducteurs des travaux publics pouvait être réduite de 10,800 fl. Et par suite elle vous a proposé de n’allouer pour cet article que 95,000 fl.
J’ai recherché, messieurs, les motifs sur lesquels reposait la possibilité d’une telle économie, tant dans le rapport qui vous fut présenté le 11 novembre 1831, que dans celui relatif au budget en discussion, et je n’y ai point trouvé de fondement bien positif à la réduction qui vous est proposée. Dans le rapport du 11 novembre 1831, il était dit, il est vrai, que « l’administration du génie est assise sur les bases du système hollandais, tandis que, sous le rapport des économies la préférence est évidemment due au système français. »
Mais, messieurs, cette assertion est susceptible d’être victorieusement combattue sous plusieurs rapports : d’abord le nombre des ingénieurs n’est pas en Belgique le douzième de celui qui existe en France, tandis que d’après le rapport de l’étendue et de la population, il devrait être au moins d’un huitième, et certainement beaucoup plus élevé, si l’on considère que, relativement à la France, la Belgique contient un bien plus grand nombre de travaux publics.
D’autre part, si l’on fixe son attention sur l’organisation française, l’on verra que, dans les hauts grades, la proportion est toute à notre avantage. En France, le nombre des inspecteurs, appelés inspecteurs divisionnaires, est triple de celui des inspecteurs-généraux ; ici les deux nombres sont égaux, il n’y en a qu’un seul de chaque espèce.
Chez nos voisins le nombre des ingénieurs en chef en service spécial dépasse de plus d’un cinquième celui des départements ; ici nous n’avons qu’un nombre d’ingénieurs en chef égal à celui de nos provinces.
Quant aux ingénieurs ordinaires, le nombre de ceux de première classe n’est ici que le tiers de celui des ingénieurs ordinaires de deuxième classe, tandis que, dans l’organisation française, les deux nombres sont à peu près les mêmes.
En comparant les sous-ingénieurs aux aspirants et élèves de l’organisation française, on trouve dans ces derniers grades que la proportion des titulaires est véritablement celle des populations.
Il n’est point possible d’étendre la comparaison à la classe subalterne des conducteurs, puisqu’on a réuni sous ce nom en Belgique deux classes d’employés qui sont distinctes en France, celles des conducteurs et des piqueurs, et dont la dernière ne figure pas, quant au personnel, dans l’organisation de 1804.
Les fausses notions que l’on a sur le bon marché de l’administration française des ponts et chaussées, ont été puisées dans cette organisation.
D’abord on n’y a considéré que la distribution des ingénieurs pour le service ordinaire, sans comprendre le service extraordinaire qui exigeait, soit pour les projets, soit pour les travaux neufs de routes et canaux, un personnel beaucoup plus nombreux que le service ordinaire.
En second lieu, il a bientôt été reconnu que le nombre d’ingénieurs placés dans chaque département était insuffisant, même pour le service ordinaire, et, par les dispositions spéciales du directeur-général, le nombre en a été doublé presque partout ; comme je pourrais le prouver pour plusieurs départements de la Belgique.
Après avoir ainsi considéré le personnel relativement au nombre proportionnel de chaque grade, si l’on passe à l’examen de la hauteur des traitements, l’on ne trouve pas que les ingénieurs soient en Belgique notablement plus rétribués qu’en France. Il y a même infériorité dans certains cas : le traitement des inspecteurs-généraux est en France de 12,000 francs il était en Belgique de 6,000 fl. et il a été réduit à 5,000.
Celui des inspecteurs-divisionnaires est de 8,000 francs ; on accorde 4,000 fl. à l’inspecteur belge.
Les ingénieurs en chef de deuxième classe ont, en France 4,500 francs, et en Belgique 2,400 florins.
Il est vrai qu’ici les ingénieurs en chef de première classe ont un traitement relativement plus élevé, et c’est peut-être le seul qui pourrait être diminué ; mais, dans ce moment, il n’en existe que deux, et, en supposant une diminution de deux ou trois cents florins sur leur traitement, il n’en résulterait, au plus, qu’une économie de 600 florins.
Je sais que la différence est relativement plus considérable entre les traitements des ingénieurs ordinaires de première et ceux de deuxième classe en France et en Belgique ; mais il n’a pas échappé aux personnes qui, dans le premier de ces pays, ont suivi, avec quelque attention, la marche de l’administration des travaux publics qu’un de ces vices résultait des rétributions trop faibles des ingénieurs ordinaires. Elle ne leur laissent pas, en effet, le moyen de rendre un service aussi actif que l’exige le bon emploi des deniers de l’Etat.
Depuis quelques temps, messieurs, la hauteur des frais de déplacement paraissent, en Belgique, exciter des vives réclamations.
A ce sujet, je me permettrais de soumettre à l’assemblée quelques observations : on peut, en général, classer les tournées que doivent faire les fonctionnaires de divers administrations en deux catégories : les tournées fixes et régulières, et les tournées irrégulières, que le fonctionnaire entreprend lorsqu’il juge sa présence utile près de certaine administration ou de certains travaux.
Je ne vois nul inconvénient à ce que l’on accorde une somme fixe et peu considérable pour les premières, si toutefois les appointements sont d’ailleurs assez considérables pour ne point mettre le fonctionnaire dans l’embarras ; mais quant aux tournées irrégulières et dont il est laissé à l’individu d’apprécier l’utilité, je trouve qu’elles doivent être payées suivant tarif et à un taux assez élevé pour que l’employé n’éprouve aucun préjudice à se mettre en route : sans cela il peut en résulter les plus graves inconvénients.
L’on a prétendu que la hauteur des tarifs est, ou était telle, que certains fonctionnaires voyageaient pour augmenter leur avoir, et, afin d’apaiser des clameurs assez violentes, le gouvernement a décidé qu’il donnerait annuellement aux ingénieurs dans les provinces une sommes déterminée pour indemnités de voyage.
Messieurs, je ne crains point d’être démenti, en assurant que s’il existait des personnes capables de voyager pour accroître leur revenu, désormais elles resteront presque toujours chez elles, pour jouir de l’indemnité sans l’appliquer à l’intérêt de l’Etat, et même en lui portant les préjudices les plus notables. A mon avis, les indemnités payées suivant tarif sont les meilleures, quand elles sont assez élevées pour que le fonctionnaire soit complètement dédommagé de ses déplacements, et s’il en est autrement, l’on peut prédire l’existence des abus le plus graves dans l’exécution des travaux publics.
Messieurs, votre section centrale est tombée dans l’erreur, en croyant qu’un arrêté du 19 janvier 1832 ayant diminué les frais de bureau et de déplacement, cette diminution devait amener une dans la somme qui dès le mois de décembre a été portée au budget pour cet objet.
Déjà à cette époque il avait été décidé que les ingénieurs dans les provinces auront des indemnités fixes et annuelles, et par suite l’arrêté dont il est question, ne peut s’appliquer généralement qu’aux frais de route de l’inspecteur-général et de l’inspecteur, et par suite, l’observation de la section centrale ne peut pas être l’objet d’une réduction sensible sur la somme de 23,000 fl. demandée pour les frais de bureau et de déplacement de tous les ingénieurs et conducteurs du royaume.
Quand il s’agit, messieurs, des traitements de toutes espèces des ingénieurs, il ne faut point perdre de vue que pour être admis dans le corps des ponts et chaussées, il faut avoir dépendé un temps et un capital considérable, afin de se donner l’éducation scientifique nécessaire, et qu’alors si ces mêmes hommes, avec leurs connaissances acquises, s’étaient voués à quelques profession industrielle civile, elle leur aurait, selon toutes les probabilités, procuré une existence plus prospère et plus indépendante.
L’équité naturelle veut que le public qui recueille le fruit de leurs dépenses, de leurs études, de leurs travaux, même de leur indépendance, leur assure un traitement qui soit au moins une indemnité, si pas un équivalent, de tous les sacrifices.
Je sais fort bien, messieurs, que ces considérations sont quelquefois répudiées dans cette enceinte, et toutes graves qu’elles me paraissent, sont de nulle valeur aux yeux de quelques-uns de nos honorables collègues. Heureusement que l’on peut, dans la question qui nous occupe, trouver dans l’intérêt même de l’Etat assez de motifs pour rétribuer convenablement les hommes instruits, chargés de concevoir et d’exécuter les travaux publics.
Il faut se rappeler que les ingénieurs des ponts et chaussées ont souvent à surveiller des entrepreneurs fort riches et à qui un relâchement coupable pourrait faire acquérir de nouvelles richesses. Il faut donc que l’existence de ces ingénieurs soit honorable, pour les mettre à l’abri, non seulement de toute espèce de séduction, mais encore des partialités que ces mêmes hommes influents pourraient parvenir à soulever contre eux, au sein même des administrations supérieures pour les faire repentir de leur intégrité.
En outre, lorsqu’il s’agit de communications nouvelles à établir, de puissantes rivalités s’élèvent, de grands propriétaires se disputent, ou veulent enlever, soit à des communes, soit à des hommes moins favorisés de la fortune, la direction avantageuse que leur assurait la nature des lieux et celle de la communication elle-même. Dans un tel cas, l’impartialité de l’ingénieur est souvent la seul garantie que l’utilité générale, les intérêts privés, l’équité, les convenances ne seront pas trahis, et cette impartialité elle-même a besoin à son tour d’être garantie par une situation sociale entourée de considération.
Si de ces réflexions que l’on peut appeler morales, l’on en vient aux objets mêmes de la carrière du génie civil, peut-on nier que la responsabilité des ingénieurs et d’autant plus grande, qu’il est plus facile de les tromper dans les travaux qui leur sont confiés ? L’on doit donc exiger d’eux, outre leurs connaissances, une grande activité, du zèle et de la sévérité ; or, comment en exiger toutes ces qualités si, au milieu de leurs nombreuses occupations, ils sont encore tourmentés par la crainte ou l’impossibilité de déployer cette surveillance active qui maintient l’ordre et la régularité, si essentiels à toute bonne exécution.
Que l’on diminue leurs traitement, et la bien faible économie que l’on obtiendra, coûtera peut-être des sommes énormes, sans qu’il y ait de la faute de celui que l’on a privé des moyens de faire son devoir avec toute l’activité possible. Cette considération, messieurs, est plus grave que l’on ne pense. Prenons, d’ailleurs, les hommes tels qu’ils sont ; n’allons pas raisonner sur une perfection qui n’est généralement pas l’attribut de l’humanité : un travail mal rétribué est presque toujours mal fait.
Dans la catégorie des fonctionnaires qui nous occupe, on peut encore moins que dans toute autre, en destituant ceux qui ne feraient pas leur devoir, prétendre trouver toujours assez d’individus pour les remplacer.
D’ailleurs, messieurs, ne sait-on pas quelle différence il existe entre un employé peu zélé et un employé qui a mérité sa destitution ? Il y a tant de degrés dans la manière de faire son devoir, que l’Etat pourrait être de toutes parts bien mal servi sans que l’on puisse trouver des coupables.
Messieurs, la section centrale a exprimé le désir de voir supprimer les fonctions d’inspecteur, mais il me paraît que ces fonctions sont nécessaires aussi longtemps qu’il existera une intervention, une influence quelconque du gouvernement dans l’administration des ponts et chaussées. L’inspecteur, quoi que hiérarchiquement soumis à l’inspecteur-général, est l’homme du ministre ; c’est un agent à sa disposition, par lequel il est à même de voir et de prononcer sur tous les conflits possibles entre les ingénieurs en chef des provinces voisines et même entre les diverses autorités de ces provinces.
L’établissement d’une nouvelle communication donne ordinairement lieu à mille contestations, et c’est même souvent ce qui en arrête l’exécution en dépit de son utilité la plus évidente.
C’est alors, messieurs, que l’inspecteur, étranger aux localités et susceptible de se transporter en tous lieux, pourra éclairer le ministre et le mettre à même d’apprécier la vérité de toutes les allégations diverses.
L’on n’objectera pas que l’inspecteur-général peut être chargé de toutes ces missions, puisqu’il a déjà à traiter toutes les questions du personnel et à donner son avis sur tout ce qui est ouvrage d’art dans les divers provinces du royaume. Ce serait donc le détourner de la partie la plus essentielle de ses fonctions que de l’obliger sans cesse à des courses extraordinaires.
Je regarde donc l’emploi d’inspecteur comme un des rouages les plus essentiels d’une bonne administration des travaux publics.
Messieurs, un orateur s’est beaucoup récrié sur les dépenses qu’occasionne ce que l’on veut bien appeler l’état-major de l’administration ; il a même proposé de changer tout à fait le système pour se décharger de cet état-major, dont l’orateur lui-même ignore sans doute la composition, car, sans cela, il n’en serait pas effrayé : en effet, il ne se compose actuellement que de l’inspecteur-général et de l’inspecteur dont nous venons de faire mention.
Je ne compte pas un ingénieur en chef de deuxième classe qui remplit les fonctions de chef de division au ministère de l’intérieur et par suite n’est pas compris dans les frais du personnel du corps des ponts et chaussées. Cet état-major est donc bien peu considérable, surtout quand l’orateur lui-même qui veut le supprimer reconnaît que dans tous les cas, il est nécessaire d’avoir un inspecteur près du ministre.
Il me paraît, messieurs, que je ne puis mieux terminer le peu d’observations que je viens d’émettre sur l’administration des travaux publics, qu’en comparant ce qu’on propose de vous la faire payer à ce qu’elle a coûté en Belgique, depuis l’établissement du corps des ponts et chaussées dans les premières années du siècle.
Sous l’empire français la dépense des ingénieurs, dans les neuf départements qui forment aujourd’hui le royaume de Belgique, était de 374,900 francs ou fl. 177,140 25 ; sous le gouvernement hollandais la dépense des ingénieurs du waterstaat dans les neuf provinces méridionales s’élevait à 216,320 fr., tandis que pour le même objet, on ne vous demande pour 1832 qu’une somme de 105,800 fl., c’est-à-dire moins que la moitié.
Si donc l’on compare la dépense sous l’empire français à celle que l’on vous propose aujourd’hui, quoiqu’on en ait dit, que la première est supérieure de 71,340-25 fl., et, de plus, si l’on veut se reporter à l’époque de 1800 à 1814, et se rappeler comment les routes étaient entretenues, comme la police s’y faisait, l’on pourra sans partialité rendre la justice due au corps actuel des ponts et chaussées.
Messieurs, dans l’état présent ce corps n’est points onéreux au pays, tout ce qu’il fait produit et produira, et plus il fera moins il coûtera, puisque la dépense reste la même, quand les moyens de recettes s’accroissent par ses soins et son talent.
Ce sont, messieurs, tous ces motifs qui me déterminent à me prononcer fortement contre toute réduction sur les traitements et les indemnités des ingénieurs et conducteurs, faisant l’objet de l’article 2 du chapitre III du budget qui vous est présenté.
(Moniteur belge n°109, du 18 avril 1832) M. Barthélemy demande la parole et monte à la tribune.
M. d’Huart. - Je prie la chambre de m’entendre pour une motion d’ordre. Je ferai remarquer que ce n’est pas le moment de traiter la question de la décentralisation ; on ne devra s’en occuper que lors de la discussion de la loi provinciale. En conséquence, si M. Barthélemy a l’intention de parler sur cet objet, il me semble qu’il ferait mieux d’attendre jusqu’à la loi provinciale. (Appuyé !)
M. Osy demande la parole pour une motion d’ordre. Il fait observer qu’il est inutile de s’occuper en ce moment des ingénieurs, puisqu’il n’en est fait mention qu’à l’article 2. En conséquence, il demande qu’on se borne d’abord à discuter ce qui a rapport à l’article premier, soit à revenir ensuite sur les ingénieurs, lors de la discussion de l’article 2. (Oui, oui, Appuyé !)
- La chambre ferme la discussion sur l’ensemble du chapitre, et décide que l’on va procéder à celle de l’article premier.
M. H. de Brouckere. - Je demande la parole pour faire une interpellation à M. le ministre de l'intérieur. Il est nécessaire avant tout qu’il s’explique sur un point important. J’ai vu annoncé dans les journaux et affiché partout que la route en fer d’Anvers à Cologne devait être adjugée dans le courant du mois de mai prochain. Je demande à M. le ministre si, dans le cas où le traité du 15 novembre ne serait pas conclu avant cette époque, et j’espère toujours qu’il ne le sera pas, cette adjudication aurait également lieu.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je répondrai à l’honorable M. H. de Brouckere que si le traité n’est pas ratifié et mis à exécution avant l’époque fixée pour l’adjudication dont il s’agit, les adjudicataires ne se présenteront point. Dans ma pensée, l’adjudication ne devait avoir lieu qu’après la conclusion du traité.
M. Osy fait remarquer qu’il serait bien plus avantageux pour le pays de faire passer le chemin de fer par Sittard, ainsi que cela est stipulé dans le traité de paix, parce que la percée serait ainsi bien plus commode et moins frayeuse. D’un autre côté, il faudrait connaître les intentions de la Prusse sur cette entreprise ; car sans cela on ne trouvera pas d’adjudicataires. Il pense donc qu’il est nécessaire d’attendre la conclusion du traité avant de procéder à l’adjudication.
J’ai maintenant, ajoute l’orateur, à parler des sommes accordées l’année dernière pour les travaux des polders Lillo et de la Tête de Flandre. Quand il s’est agi d’accorder une somme de 60,000 fl. pour les polders de la Tête de Flandre, j’ai dit que c’était de l’argent inutile, parce que les Hollandais empêcheraient les travaux, et je ne me suis pas trompé.
Quant à ceux de Lillo, je désire savoir si l’on a mis en adjudication une digue provisoire ou une digne définitive. Ainsi voilà trois questions que j’adresse au ministre de l’intérieur.
- M. le ministre de l'intérieur étant sorti pour se procurer des pièces qui lui manquent, on attend son retour, et quand il a repris sa place, M. Osy répète ses questions.
M. Jullien. - Il faudrait avant répondre à la demande de M. H. de Brouckere.
M. d’Elhoungne demande la parole pour présenter la question sous un autre aspect. Il dit que, le chemin de fer devant traverser un territoire étranger, il fallait marcher de concert avec le gouvernement prussien, et de plus, avant d’en tracer le plan, ne pas s’en rapporter seulement aux ponts et chaussées, mais faire un appel à l’industrie, au commerce et au pays en général.
Il ne conçoit pas la précipitation qu’a mise le gouvernement dans cette affaire, parce qu’il fallait attendre la conclusion du traité pour faire passer la route par Sittard, et d’un autre côté se mettre d’accord avec la Prusse. Sans cela il regarde le projet comme un projet en l’air, et le but lui paraît entièrement manqué.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’avais déjà répondu à l’interpellation de M. de Brouckere, en disant qu’il ne se présenterait pas d’adjudicataires avant la conclusion de la paix. C’était dire assez que l’adjudication n’aurait pas lieu avant cette époque.
Maintenant je passe aux observations de M. Osy. C’est au mois de septembre que le gouvernement conçut le projet d’une route en fer d’Anvers à Cologne, et vous pensez bien, messieurs, que pour un projet aussi important, force a été au gouvernement d’entrer dans des travaux préparatoires. On dit qu’il ne fallait pas aller si vite ; mais il y avait extrême urgence, et nous avons dû fixer pour l’adjudication l’époque où nous croyions que la paix serait conclue. Mais nous sommes-nous trompés dans nos prévisions ? C’est ce que les événements prouveront ; mais il était toujours nécessaire de faire faire les plans et d’indiquer l’époque de l’adjudication.
On a dit qu’il fallait avant s’entourer de renseignements et d’informations. Mais le projet a été fait par des hommes de mérite qui ont su apprécier tous les avantages et les inconvénients de l’entreprise. Quant au passage par Sittard, il sera peu avantageux avec les conditions qui nous sont imposées par le traité du 15 novembre. Maintenant, pour ce qui est de l’accord avec la Prusse, ce sera l’objet d’une négociation particulière, et j’ai tout lieu de croire qu’il ne se rencontrera aucune difficulté, parce que le gouvernement prussien a le même intérêt que nous à l’entreprise.
Aux autres questions de M. Osy, je répondrai que la grande digue n’a pu être adjugée encore, par le motif qu’il a signalé lui-même, mais que des travaux provisoires ont été faits pour empêcher les inondations ; et j’ai reçu des renseignements desquels il résulte que ces travaux sont très solides et résistent aux ouragans.
M. Osy. - Nous avons donné 60,000 fl. pour les travaux de la Tête de Flandre : j’avais objecté dans le temps qu’ils seraient empêchés par les Hollandais ; je demande aujourd’hui s’ils ont été adjugés.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) répond négativement.
M. Gendebien. - M. le ministre n’a pas répondu à la demande de M. H. de Brouckere. Il est étonnant, quand des questions aussi précises et aussi pertinentes lui sont faites, qu’il les élude ; on demande si l’adjudication aura lieu avant la paix, et il répond qu’il ne se présentera pas d’adjudicataires avant cette époque : d’où je tire la conclusion que, s’il s’en présentait, l’adjudication aurait lieu. D’un autre côté, on désire que cette adjudication ne se fasse pas avant que l’on connaisse les intentions de la Prusse. Il faut, à ces interpellations, non pas des réponses évasives, mais des explications catégoriques.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai déjà répondu, et d’ailleurs je ferai remarquer que ce n’est pas un objet sur lequel la chambre soit appelée à délibérer, car je ne demande pas de crédit à cet égard.
M. Gendebien. - Un de mes collègues m’assure cependant qu’il est demandé un crédit de 6,000 fl. pour les plans ; d’ailleurs, n’y eût-il aucune demande de crédit, nous sommes les maîtres de vous refuser votre budget tout entier, si vous ne nous donnez pas les renseignements dont nous avons besoin.
Aussi longtemps que vous ne serez pas d’accord avec la Prusse, toutes les mesures que vous prendrez seront vaines. Comment ! vous allez commencer une route qui coûtera plusieurs millions, sans vous être concertés avec le gouvernement prussien, et vous ne voyez pas que, quand ce sera un fait consommé, ce gouvernement tirera avantage de la position où vous vous serez placés ! Il consentira, mais il vous prescrira des conditions. Vous auriez dû, avant de rien faire, prendre au moins la précaution la plus ordinaire qui puisse entrer dans la tête d’un homme qui jouit de ses cinq sens. (On rit.)
L’orateur ajoute qu’il ne voit nulle nécessité de procéder aussi rapidement à l’adjudication.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Les difficultés que l’on élève aujourd’hui ont été longuement discutées au conseil des ponts et chaussées et au conseil des mines, et la mesure n’a été décidée qu’après de mûres délibérations. La mise en adjudication du chemin de fer dont il s’agit était une mesure convenable aux intérêts du pays, et je crois qu’on ne peut y opposer aucune objection sérieuse.
Relativement au traité avec la Prusse par rapport au passage sur son territoire, je ferai remarquer qu’il n’est question en ce moment que d’adjuger la première section des travaux. On a dit : En agissant ainsi, vous vous engagez dans des dépenses énormes. Mais le gouvernement n’a aucunes dépenses, elles sont à la charge des entrepreneurs.
M. Rogier. - La discussion est prématurée, car le gouvernement ne demande pas de fonds pour cet objet ; du moins, il n’en demande que pour les plans. La question de savoir si la route de fer passerait par Sittard a été longuement débattue par les ingénieurs, qui, permettez-moi de le dire, étaient plus compétents que vous pour la résoudre, et ils ont décidé qu’elle passerait par Liége en raison des nombreuses communications de cette ville avec Anvers. Or, je ne conçois pas comment on veut tourner contre le ministre une tentative qui lui fait honneur et qui est faite dans l’intérêt du pays, pour l’avantage du peuple. Il fallait bien avant tout dresser les plans et les soumettre à la Prusse pour lui dire : Voilà la route que nous voulons suivre.
D’ailleurs, ce projet n’est pas si défavorable qu’on veut bien le dire. Il est parvenu à ma connaissance que des commerçants de Cologne ont écrit à leurs correspondants qu’ils avaient le plus vif désir de prendre part à l’adjudication. D’ailleurs le ministre ne se trouve aucunement lié. Si, par suite du retard de la conclusion du traité, l’adjudication ne peut avoir lieu à l’époque indiquée, on la reculera ; mais, dans tous les cas, les adjudicataires ne seront pas dupés, car ils ne se jetteront pas en aveugles dans une entreprise périlleuse.
M. d’Huart. - Il me semble que la réponse qu’a faite M. le ministre est suffisante. D’ailleurs, ce n’est qu’à l’article 6 qu’un crédit est demandé pour les plans du chemin de fer. Il n’y a donc pas lieu de s’occuper de cet objet à l’occasion de l’article premier.
M. Destouvelles. - Il est une question grave, messieurs, c’est celle de savoir si l’on adjugera la première section de la route en fer, avant de s’être concerné avec la Prusse. On a dit que cela serait toujours avantageux au pays ; mais je ferai remarquer que le but que l’on s’est proposé, c’est de pousser la route jusqu’à Cologne, et, si l’on ne se met pas d’accord avec le gouvernement prussien pour le passage sur son territoire, ce but sera entièrement manqué, et la route ne sera qu’une impasse.
L’orateur, pour faire sentir la nécessité de prendre toutes les précautions auprès du gouvernement prussien, dit qu’il a vu lui-même, comme membre des états du Limbourg, l’embarras où l’on s’est trouvé par suite du refus de la Prusse pour la continuation de la route de Maestricht à Aix-la-Chapelle, et qu’il a fallu deux ans de négociation avant d’obtenir aucun résultat.
M. Osy persiste à dire que le ministre de l’intérieur a agi avec trop de précipitation dans cette affaire, et il pense qu’il aurait fallu faire aussi un plan de la route par Sittard.
M. Nothomb. - Si le gouvernement, en mettant en adjudication le chemin de fer, avait dit : Je m’engage à faire continuer la route par la Prusse, je concevrais les scrupules des honorables membres ; mais il n’en est rien, et j’avoue que je ne comprends pas cet intérêt si grand que l’on prend tout à coup pour les entrepreneurs. Le gouvernement met seulement en adjudication la première section de la route, et je regarde cela comme un véritable contrat aléatoire. Si la Prusse consent à continuer la route, l’entreprise sera extrêmement avantageuse ; si elle ne la continue pas, il y aura moins de chances pour les entrepreneurs.
A ce propos un fait se présente à mon esprit. Le canal de Roubaix a été creusé sur le territoire français ; s’il était continué sur le nôtre, les chances deviendraient bien plus avantageuses, c’est un cas parfaitement analogue à celui nous occupe.
Mais, dit-on, vous auriez dû avant tout négocier avec la Prusse. Eh ! croyez-vous donc, messieurs, que la France aurait consenti de prime abord à une entreprise qui doit amener la ruine de sa plus ancienne alliée ? Non certainement : que ce soit un fait consommé, et le gouvernement prussien se hâtera d’en profiter ; mais, si on lui avait demandé son concours avant d’avoir rien fait, il s'y serait refusé.
M. Jullien. - Je répondrai d’abord à ceux qui croient que ce n’est pas le moment de s’occuper du chemin de fer d’Anvers et Cologne, qu’on peut adresser toutes les questions et demander tous les renseignements que l’on veut à un ministre, du moins pour ce qui a rapport à son département.
Je pense aussi que le passage par Liége offrira peut-être des difficultés insurmontables, à cause des accidents de terrain, tandis qu’il eût été bien plus facile et moins coûteux par Sittard.
Mais, dit-on, pourquoi vous intéresser autant aux entrepreneurs ? Pourquoi, messieurs ? C’est que l’intérêt des entrepreneurs touche à ceux de la nation elle-même ; car souvent il arrive qu’ils font banqueroute, et c’est le gouvernement qui supporte les dommages. Remarquez bien qu’il faudra autoriser des expropriations de terrains ; et par qui devront-elles être payées si les entrepreneurs faillissent ? Par le gouvernement. Vous voyez donc qu’il est utile de prendre en considération les intérêts des entrepreneurs Mais il est une autre question bien plus grave selon moi, c’est celle de savoir si le gouvernement a le droit de faire des concessions à perpétuité. Je ne le pense pas.
L’orateur invoque l’article 78 de la constitution, pour démontrer qu’une loi est nécessaire et qu’il n’y en a pas qui permette au gouvernement de faire des concessions à perpétuité.
M. H. de Brouckere. - La question du chemin de fer est de la plus haute importance, et elle trouve parfaitement sa place ici ; car, quand l’adjudication sera faite, il n’y aurait plus rien à faire. Les explications qui viennent d’avoir lieu prouvent que M. le ministre n’a pas fait preuve de prudence et de précaution en cette circonstance.
Comme M. Nothomb, je me soucie fort peu des intérêts des adjudicataires ; mais ceux de la nation m’importent beaucoup. Or, avant de commencer la route d’Anvers à Cologne, il faut s’assurer des intentions de la Prusse. Sans cela qu’arrivera-t-il ? Le gouvernement prussien dira qu’il aurait voulu telle autre direction.
Qu’a ajouté M. Nothomb ? Croyez-vous que le gouvernement prussien continuera une route qui serait la ruine de son ancienne alliée ? Eh bien ! si la Prusse ne la continuera pas, pourquoi la commencez-vous ? Qu’on fasse le plan du passage par Sittard, et alors la chambre verra si elle doit vous accorder son vote ; je dis son vote parce que je pense, comme M. Jullien, que le gouvernement ne peut faire des concessions à perpétuité, sans une loi spéciale rendue en vertu de la constitution.
M. Destouvelles fait remarquer qu’il faut veiller aux intérêts des entrepreneurs en ce sens, que moins la route sera coûteuse, moins il y aura de difficultés de terrains à surmonter, plus le droit de péage sera modique pour les particuliers. Il insiste pour que l’on s’assure des intentions de la Prusse, et, quant à la question constitutionnelle soulevée par M. Jullien, il est tout à fait de son avis ; et il cite à l’appui l’article 113 de la constitution, parce que le droit de péage lui semble une contribution sur les particuliers, et qu’il faut une loi pour autoriser cette contribution.
M. Jamme. - Messieurs, je suis aussi d’opinion qu’avant d’annoncer la mise en adjudication de la route, il convenait de s’être assuré des intentions de la Prusse à l’égard de cette route, et surtout si cette puissance consentira à modifier son tarif de transit, dont le maintien serait à lui seul l’obstacle le plus insurmontable au succès de l’entreprise ; car, messieurs, de la connaissance bien constatée des intentions de la Prusse ou d’une négociation terminée au sujet de cette route avec cette puissance, il résultera des conditions pour l’entreprise beaucoup plus favorables pour le commerce.
Je ferai néanmoins observer qu’il ne m’est pas démontré que ce ne serait pas un avantage suffisant pour déterminer la construction de cette route, lors même qu’elle viendrait se terminer à la Meuse et de à se prolonger jusqu’à Liége.
On a beaucoup parlé de la différence de dépenses qu’occasionnerait cette route aboutissant à la Meuse près de Sittard ou près de Liége, comme si la différence en moins pour aboutir près de Sittard devait seule amener la solution de la question ; mais, messieurs, je pense que, sans être accusé de parler en faveur des intérêts de la province que j’ai l’honneur de représenter, je puis cependant faire remarquer que Liége est une des villes les plus populeuses du royaume, qu’elle est placée au centre de la province la plus éminemment industrieuse du pays, qu’elle est traversée par un fleuve qui communique avec toutes les eaux de la Hollande, et dans les rivières affluentes établissement des communications faciles avec quatre de nos provinces, le Luxembourg et la France. Je pense, messieurs, que Liége, qui déjà tient un si beau rang parmi les villes manufacturières de la Belgique par l’importance et l’universalité de son industrie, mériterait bien quelques avantages, avantages qui, bien jugés, devraient être considérés comme étant d’intérêt général.
Je borne à ce peu de mots mes observations, me réservant de les développer en temps opportun.
M. Van Meenen pense aussi qu’il s’agit ici de créer une cause majeure d’expropriation et une véritable contribution, ce qui sort des attributions de l’administration ordinaire, et exige le concours de la législature.
M. Nothomb soutient, en réponse à ce qui a été dit contre son opinion, ou que les adjudicataires, si l’entreprise n’offre aucune chance, ne se présenteront pas, et qu’alors la mesure prise par le ministre n’aura été qu’une espèce de passe-temps administratif, ou qu’ils trouveront l’entreprise avantageuse et se rendront adjudicataires à leurs risques et périls. Quant au droit de péage sur les particuliers, l’intérêt étant le mobile des actions humaines, il a l’assurance que les entrepreneurs le fixeront à un tel taux que les citoyens y trouveront de l’avantage.
On a trouvé étonnant, ajoute-t-il, que j’aie dit que le gouvernement prussien ne donnerait pas de prime abord son assentiment. Mais cela se conçoit parfaitement, messieurs ; car il faut une bien plus grande énergie d’esprit pour se décider sur un fait encore à consommer que sur un fait déjà consommé. Je persiste à croire que le gouvernement prussien, qui éprouve peut-être, en ce moment, quelques répugnances en considération de son alliée, ne les éprouvera plus quand le fait sera consommé, et il voudra en profiter en faveur des provinces rhénanes, pour lesquelles il a montré tant de sollicitude pendant tant d’autres.
M. Barthélemy trouve qu’il y a cinq raisons pour ne pas procéder à l’adjudication. (On rit.) La première et la plus importante de toutes, c’est que la loi de 1810 exige un décret délibéré en conseil d’Etat pour les expropriations, et qu’il n’existe plus de conseil d’Etat en Belgique ; la deuxième, que la route passant par Liége coûterait plus cher à construire que le canal de Charleroy ; la troisième, que l’on ne saurait la commencer sans être d’accord auparavant avec la Prusse ; et les deux autres, que le ministre commettrait une double inconstitutionnalité, ainsi qu’on vient de le dire.
M. Jullien. - Je répondrai à l’honorable M. Nothomb que les passe-temps administratifs coûtent trop cher pour qu’on s’en donne souvent le plaisir. Le marché Hambrouk a été aussi un passe-temps administratif, et nous devons veiller à ce que l’on n’en fasse point de semblable. (L’orateur, s’appuyant de l’article 41 du cahier des charges, où il est dit que les concessionnaires percevront à perpétuité un droit de péage sur les marchandises et les particuliers, soutient qu’une telle concession ne peut être accordée que par une loi.)
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’aurai l’honneur de répéter à la chambre que la question de savoir si la route passerait par Sittard a été mûrement examinée par l’administration, et qu’il en est résulté la conviction qu’il y avait plus d’avantage à la faire passer entièrement sur le territoire belge. Je ne crains pas d’ajouter que le gouvernement prussien partage cette opinion, et qu’il préférera voir aller le chemin directement d’Anvers à Cologne, sans toucher au territoire hollandais.
M. Leclercq. - L’honorable M. Jullien a soulevé une question extrêmement grave en ce qu’elle se rattache à la constitution. Il vous a dit que le tarif de péage était une contribution qui ne pouvait être créé qu’en vertu d’une loi, et sans loi, il est impossible de procéder à l’adjudication. Or le ministre n’a rien répondu sur ce point, et il est pourtant nécessaire qu’il s’explique catégoriquement car, sans cela, je déclare que pour ma part je me verrais forcé de lui refuser son budget.
L’orateur s’attache ensuite à prouver par de nouvelles observations l’inconstitutionnalité signalée par M. Jullien.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Si on pense qu’il est besoin d’un projet de loi, je ferai observer que la chambre ayant l’initiative, il dépend de chacun de ses membres d’en présenter un, s’il le juge à propos, pour interpréter la constitution. Quant à moi, je ne crois pas qu’une loi soit nécessaire pour que le gouvernement puisse concéder un droit de péage. J’ajouterai, du reste, que la discussion actuelle est tout à fait imprévue pour moi, et par conséquent je ne m’y étais pas préparé.
M. Pirson. - Le projet de M. le ministre de l'intérieur tranche sur ce que le roi des Pays-Bas a jamais fait de plus odieux, car jamais il ne s’est imaginé qu’il pouvait aliéner à sa volonté une partie du territoire, et établir une contribution sans une autorisation de la législature. L’orateur annonce que si personne ne présente de projet de loi à cet égard, il en présentera un.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je répondrai à l’honorable M. Pirson que sous le gouvernement précédent, plusieurs concessions avec droit de péage ont été faites par simple arrêté.
M. Leclercq. - Ce n’est pas un antécédent dont on puisse s’autoriser ; car telle chose a pu être permise à l’ancien gouvernement, qui serait totalement contraire à l’esprit de la constitution.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Aussi, n’est-ce pas comme antécédent que je cite ces faits, mais seulement pour répondre à l’allégation mal fondée de M. Pirson.
M. Lebeau. - Je crois qu’il est indispensable de mener cette question à une solution ; car si le ministre persiste dans son opinion qu’il peut procéder à l’adjudication sans le concours de la législature, alors que plusieurs membres sont d’avis de refuser son budget pour ce motif, il est nécessaire dans son intérêt, et aussi dans l’intérêt de tous, de prendre une décision. Je crois qu’il y aurait un terme moyen : ce serait, puisque M. le ministre de l'intérieur est prévenu que M. Pirson doit présenter un projet de loi, qu’il nous déclarât qui surseoira à la concession définitive jusqu’à ce que le sort de ce budget soit fixé. Sans cela, je me verrai aussi forcé de refuser son budget. (Appuyé ! appuyé !)
M. Pirson déclare se rallier à cette proposition de M. Lebeau.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Ce que dit M. Lebeau ne s’éloigne pas de ce que j’ai eu l’honneur de dire moi-même : seulement, si une proposition est faite, je désire qu’elle soit discutée le plus tôt possible.
M. Destouvelles et M. Gendebien insistent pour avoir une explication de M. le ministre de l'intérieur.
M. Fallon et M. Osy déclarent également qu’ils voteront contre le budget, si le ministre ne fait pas une déclaration positive.
M. Devaux pense que cette déclaration ne servirait à rien, puisque M. le ministre, comme on l’a dit hier, ne serait aucunement lié, et que d’ailleurs il pourrait être remplacé.
M. Leclercq et M. Ch. de Brouckere insistent pour obtenir du ministre la déclaration dont il s’agit.
M. Lardinois. - Je ferai remarquer que M. le ministre de l'intérieur a déjà accordé des concessions avec droit de péage, et entre autres le pont de Verviers et le chemin d’Audimont.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Les faits cités par le préopinant sont exacts, et je lui ferai observer que c’est lui-même qui a sollicité ces concessions ; du reste, je le répète, le moyen de sortir de cette discussion, c’est de présenter un projet de loi interprétatif de la constitution, et je désire qu’il soit discuté le plus tôt possible.
M. Milcamps. - Il me paraît que dans cette discussion nous ne procédons pas régulièrement. Le gouvernement demande un crédit de 6,000 florins pour faire les frais des plans et devis d’une route en fer. Nous avons avis que la construction de cette route va être mise en adjudication, et que les conditions stipulent des péages. On dit au ministre : C’est inconstitutionnel ; nous refuserons le budget, si vous ne déclarez pas que vous ne procéderez à l’adjudication qu’en vertu d’une loi. Le ministre dit qu’il n’est point préparé à répondre à une question d’une si haute importance ; que, dans son opinion, ces sortes de péages peuvent être établis sans une loi. On insiste, et on lui demande de se prononcer.
Mais, messieurs, il me semble que ce n’est pas ici le cas ni de refuser le budget (je n’ai pas besoin de vous faire sentir les conséquences du refus d’un budget), ni d’insister ; je pense aussi que les péages ne peuvent être établis qu’en vertu de la loi. J’ai déjà eu occasion de m’expliquer à cet égard, en invoquant les usages de l’Angleterre, et je suis porté à penser que d’après cette discussion le ministre n’y procédera pas. S’il y procédait, et que vous regardassiez la stipulation des péages comme inconstitutionnelle, il vous resterait à accuser les ministres. C’est là, messieurs, le droit que vous devriez exercer et non celui du refus des subsides.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Si l’on pense qu’il est besoin d’un projet interprétatif, j’aurai l’honneur d’en présenter un à la chambre.
M. Gendebien. - Mais nous n’avons pas le droit d’interpréter la constitution.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Les uns prétendent que la constitution s’oppose aux concessions, les autres soutiennent le contraire ; il faut nécessairement qu’un projet de loi tranche le différend. Si l’on pense qu’un tel projet est inconstitutionnel, il sera rejeté ; dans le cas contraire, on l’adoptera et tout sera dit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). -Après avoir lu la constitution, je doute beaucoup qu’on puisse astreindre le gouvernement à n’agir comme il l’a fait qu’en vertu d’une loi. Tout ce qu’on peut exiger du ministre, c’est la déclaration qu’il a faite que la concession ne serait pas accordée avant la solution de la question constitutionnelle qui vient d’être soulevée aujourd’hui.
- Plusieurs membres. - Mais il ne l’a pas dit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Pardon, il le dit maintenant.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) incline la tête en signe d’assentiment.
M. Osy. - Je demande que cette déclaration soit mentionnée au procès-verbal.
- De toutes parts. - Non ! non ! il faut s’en rapporter à la loyauté de M. le ministre.
- La discussion sur cet incident est close.
On passe à celle de l’article premier, s’élevant à 481,161 fl., pour l’entretien des routes, ponts et chaussées.
M. Fallon. - Messieurs, avant de s’occuper du chiffre nécessaire au crédit pour l’entretien et la réparation des routes, il est indispensable de s’entendre d’abord sur les véritables besoins auxquels il importe de pourvoir, et sur les obligations que l’Etat doit remplir dans cette branche d’administration.
Les routes sur lesquelles le gouvernement perçoit le produit des barrières, doivent être entretenues et réparées aux frais du trésor.
Ce principe n’est évidemment pas susceptible de controverse, puisqu’il dérive de cette règle invariable de justice, que celui qui perçoit les fruits de la chose doit naturellement pourvoir aux frais de sa conservation.
Cependant le gouvernement hollandais, fertile en expédients, avait trouvé le moyen de dévier à ce principe à son profit, en imposant à certaines localités, par simple arrêté, l’obligation d’entretenir la chose, tandis qu’il en percevait le produit.
Je veux parler, messieurs, des arrêtés de Guillaume, qui, tout en conservant à sa disposition le produit des barrières sur les traverses des routes dans les villes, était parvenu, au moyen d’une véritable déception, à charger ces villes de l’entretien et de la réparation de ces traverses, sans aucune indemnité.
L’article 10 d’un premier arrêté du 17 décembre 1819 était ainsi conçu :
« La partie des grandes routes traversant les différentes villes du royaume, ainsi que les ponts y situés, seront entretenus par lesdites villes, lesquelles auront la faculté d’établir des péages à l’entrée de leurs communes, à l’effet de percevoir les fonds nécessaires. (…) A cet effet, le placement des barrières actuelles sera changé tel qu’il sera jugé utile, après que les régences des villes auront été entendues. »
Au premier aperçu, cette disposition semblait raisonnable ; mais elle n’en était pas moins irréfléchie et inexécutable, et dès lors on pouvait déjà présager qu’elle masquait une tout autre conception.
Mettre à la charge des villes, sans distinction des localités, l’entretien des traverses et des ponts, c’était une absurdité, notamment en ce qui regardait la ville de Namur qui, à coup sûr, n’eût pu, même au moyen de péages, pourvoir à la conservation des ponts qui traversent la Sambre et la Meuse. C’était d’ailleurs multiplier les péages à l’infini et prendre une mesure inexécutable pour le moment, puisqu’alors les barrières, étant affermées, ne pouvaient être déplacées pendant toute la durée des baux.
J’ignore ce qui se passa ailleurs, mais je sais que, lorsque MM. les ingénieurs s’opiniâtrèrent à réclamer à la charge de la ville de Namur le paiement de son contingent dans les entretiens et réparations des traverses, cette ville leur opposa avec raison qu’il fallait d’abord reculer à distance légale les barrières du gouvernement qui étaient presque aux portes de la ville, et qu’il fallait avant tout établir les nouveaux péages, ce qui ne pouvait se faire que sur un tarif qu’il fallait commencer par octroyer.
Cette objection était sans réplique, et elle arrivait sans doute dans un bon moment, car un arrêté déchargea la ville de l’entretien qui avait été exécuté, en la chargeant seulement de soumettre à l’approbation royale, et sans plus de retard, son projet de tarif de péages.
L’administration de la ville, qui n’était pas encore alors familiarisée avec les déceptions hollandaises, s’empressa tout bonnement d’envoyer ce tarif.
Savez-vous, messieurs, ce qui en advint ?
On lui envoya, pour toute réponse, un nouvel arrêté du 25 décembre 1823, par lequel Sa Majesté, considérant que les villes jouissaient de grandes communications, avait trouvé bon de modifier son arrêté précédent du 17 décembre 1819, et de charger les villes d’entretenir les traverses sur les fonds communaux sans indemnités.
Cette nouvelle mesure était révoltante.
En effet, si les villes jouissaient de ces grandes communications, il en était de même de toutes les communes agglomérées sur les routes, et dès lors la mesure, pour être juste, devait être au moins générale.
Si les villes jouissaient de ces grandes communications, le service de l’Etat, l’industrie, le commerce et la généralité des habitants du royaume n’en jouissaient pas moins, et par conséquent la dépense ne pouvait être exclusivement en en totalité à la charge des villes.
Enfin, si dans tous les cas, les villes devaient se charger de la dépense, le gouvernement devait tout au moins s’abstenir de percevoir, par une véritable exaction, le droit de barrière sur ces traverses, et prendre pour point de départ le placement de ses barrières, non le centre, mais la limite de la commune.
Cependant il n’en fut rien. Les barrières restèrent à leur place ; le gouvernement continua à percevoir le produit des traverses et les villes durent se courber sous le joug, parce qu’à défaut par elles de s’exécuter de bonne ou de mauvaise grâce, les ingénieurs étaient là pour faire exécuter d’office, comme les gouverneurs étaient également là pour faire porter d’office les dépenses aux budgets communaux.
Les choses étaient dans cet état lors des événements de septembre 1830. Je pensais que notre révolution avait balayé du sol de la Belgique tous ces arrêtés exceptionnels et arbitraires ; mais je me trompais, puisque je viens d’apprendre que notre ministère roule encore dans la même ornière.
Le ministre de l’intérieur ne doit pas ignorer cependant que nous ne sommes plus dans la même situation, et que s’il s’opiniâtre à vouloir rouler de la sorte, il ne tardera pas à verser.
Je l’ai déjà dit, on finit par se révolter contre ce que l’on croit injuste, et on a beau jeu de se rendre justice à soi-même, lorsque, pour cela faire, il suffit d’employer la force d’inertie.
Or, si (comme cela ne peut pas manquer d’arriver dans quelque localité, et j’en ai l’assurance) certaines villes n’entretiennent plus les traverses, que fera-t-il ?... Il commencera sans doute par mettre sa responsabilité à couvert, et, pour ne pas laisser interrompre les communications, il fera exécuter les réparations d’office.
Il poursuivra ensuite le remboursement des dépenses à la charge des administrations locales. Pour cela faire, deux voies lui seront ouvertes, la voie administrative et la voie judiciaire ; mais il n’obtiendra pas plus de sursis d’un côté que de l’autre.
Administrativement, on le repoussera en lui disant : Commencez par reculer vos barrières, et ne prenez pas pour point de départ de la perception le centre, mais la limite de la commune, ou bien faites-nous compte de ce que vous percevez dans l’intérieur de cette commune. On pourrait même se borner à lui faire observer qu’à défaut d’une loi spéciale, la constitution lui dénie le droit et le moyen de faire porter d’office la dépense au budget communal.
Judiciairement, on ne se donnera pas même la peine d’examiner le mérité de l’arrêté du 25 décembre 1823 ; on se bornera à lui répondre que cet arrêté n’est pas une loi ; qu’il n’a pu imposer d’obligation valable aux communes ; et cet argument sera sans réplique.
D’un autre côté, si même le ministère avait les moyens de forcer l’exécution ultérieure de cet arrêté, il devrait, dans l’intérêt d’une bonne administration, ne pas laisser soulever toutes ces difficultés, car il ne doit pas ignorer que ce qui est fait de mauvaise grâce est ordinairement mal fait, et qu’en faisant l’entretien des traverses à la charge de certaines villes qui n’ont pas les ressources suffisantes pour subvenir à tous leurs besoins, ces traverses seront toujours fort mal entretenues ; et c’est précisément ce qui a lieu en ce moment dans la ville de Namur, que l’on ne pourra bientôt plus traverser sans danger.
Dans cet état de choses, j’ai besoin de savoir, pour déterminer mon vote, si le crédit demandé sera employé à l’entretien des routes, sans en excepter les traverses ; et je prie, en conséquence, M. le ministre de faire connaitre ses intentions sur ce point.
M. Tiecken van Terhove demande si l’arrêté qui met l’entretien des grandes routes de traverse à la charge des villes est encore en vigueur.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je conviens, messieurs, qu’il y aurait lieu de la part de l’administration de concourir pour certaine somme à l’entretien des routes de traverse ; il s’agit de savoir si la chambre veut voter la majoration nécessaire à cet effet.
M. Fallon. - Le gouvernement perçoit un droit de traverse ; il me semble qu’il est de toute justice que l’entretien soit mis à sa charge.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) fait observer que dorénavant les provinces percevront le droit des routes de deuxième classe.
M. Nothomb propose comme intermédiaire entre la législation précédente à 1825, qui mettait cet entretien à la charge du gouvernement, et l’arrêté de 1825 qui l’a mis à la charge des villes, de consacrer en principe qu’un tiers sera supporté par les villes, et les deux autres tiers par l’Etat.
- Après une légère discussion et sur la motion de M. d’Huart, la proposition de M. Fallon est ajournée jusqu’à la discussion de la loi sur les barrières.
M. Fallon propose une majoration pour parer à cette dépense.
M. le président se dispose à mettre aux voix le chiffre de 481,161 fl.
M. Tiecken van Terhove.- J’appellerai un moment l’attention de M. le ministre sur les ponts à bascule.
Ces ponts ont été établis dans la vue de conserver les routes, et par leur moyen constater et empêcher les surcharges, qui causent leurs dégradations ; mais, au lieu d’atteindre ce but, ces ponts sont devenus, dans les mains de la plupart des basculeurs, un véritable instrument de vexation et un moyen scandaleux pour extorquer de l’argent aux charretiers et fermiers ; pas un charretier ne passe avec sa charge sans être mis à contribution. S’il la paie bénévolement, il passe telle sorte que puisse être la surcharge ; s’il est récalcitrant, et qu’il ne veut pas se soumettre aux exigences des basculeurs, vite on le fait monter sur la bascule, et, malgré que le charretier est assuré que sa charge ne dépasse pas le poids voulu, on le chicane, on le vexe, on le menace de procès-verbaux, et si on ne parvient à lui extorquer de l’argent tout au moins, on l’arrête, on le retarde dans sa course et on lui fait perdre ainsi un temps précieux. Ce que je dis est l’exacte vérité. Maints charretiers de profession, maints fermiers m’ont fait souvent des plaintes. Vous voyez qu’au moyen de ces ponts on n’atteint pas le but qu’on se propose.
Ces ponts coûtent à l’Etat pour leur entretien et le salaire des basculeurs, et l’Etat n’en retire aucun avantage ; les basculeurs seuls les exploitent à leur profit. Il serait temps qu’on fît cesser cet abus scandaleux et qu’on avisât au moyen de substituer aux pont à bascule un régime qui obtiendrait les résultats qu’on se propose, sans être en même temps un instrument de vexation et d’extorsion. Je recommande cet objet à l’attention à l’attention de M. le ministre, parce que l’abus qu’on en fait est très préjudiciable à l’Etat, aussi bien qu’aux charretiers et fermiers.
M. Leclercq propose une réduction de 16,400 fl. pour les travaux qui ne sont pas nécessaires cette année, c’est-à-dire le redressement de la route de Gand, dont il ne conteste pas d’ailleurs l’utilité.
M. Delehaye s’oppose à cette réduction, par le motif que la ville de Gand à le plus grand besoin de ce redressement, et que si l’on ajournait les travaux à l’année prochaine, ils coûteraient une somme beaucoup plus considérable.
M. Leclercq retire son amendement.
M. Verdussen demande la parole pour une motion d’ordre. Il fait remarquer qu’il est impossible de terminer aujourd’hui le budget, pour voter sur l’ensemble mercredi prochain, et il propose en conséquence de voter de nouveaux crédits provisoires. (Non ! non !), à moins que M. le ministre de l'intérieur ne déclare que celui qu’on lui a accordé lui suffira.
M. Leclercq et M. H. de Brouckere font observer qu’il n’y a pas nécessité pour la chambre de se séparer mercredi prochain.
M. Tiecken de Terhove propose de fixer deux séances par jour, l’une de 10 heures du matin à 2 heures après-midi, et l’autre de 6 à 9 heures.
M. d’Elhoungne s’y oppose et dit qu’il faut au moins avoir le temps, après avoir vaqué à ses affaires, et avoir terminé les travaux de la séance, de respirer le grand air. (On rit.)
Après un léger débat, la proposition de M. Tiecken de Terhove est adoptée après une double épreuve.
On continue la discussion de l’article premier.
M. Fallon, après s’être plaint de l’injustice commise envers les provinces en leur enlevant les routes, propose un amendement qui précéderait l’article premier, et qui tendrait à porter au budget une somme de 500,000 fl. pour expropriation de routes dont les provinces étaient en possession.
(Supplément au Moniteur, non numéroté et non daté) M. Fallon. - J’ai développé précédemment les motifs de l’amendement que je propose et je l’ai fait avec une conviction qui me permet d’espérer que déjà la chambre est disposée à le prendre en considération.
La tâche que j’avais à remplir consistait à démontrer que cet amendement était fondé en principe et qu’il y aurait injustice criante à en ajourner davantage l’application.
Sur la question du principe d’indemnité, j’ai entendu avec satisfaction que les expressions dont M. le ministre de l’intérieur s’est servi dans son projet de loi sur les routes, m’avaient induit en erreur sur ses intentions.
Nous sommes maintenant d’accord sur le principe et j’en prends acte avec d’autant plus d’empressement que j’espère que nos arriverons aussi à nous mettre d’accord sur les conséquences.
La seule question qui reste maintenant en discussion est donc de savoir si l’on peut, sans injustice, différer de s’occupe de la liquidation et du payement des indemnités, non seulement jusqu’à la paix, mais jusqu’au moment où l’on pourra récupérer à La Haye les pièces et documents relatifs à la liquidation qui avait été entamée.
Sur ce point, la réfutation de M. le ministre ne m’a pas donné la même satisfaction.
J’avais dit que c’était surtout dans le budget de l’intérieur qu’il s’agissait de mettre en action les principes libéraux qui avaient fait éclater notre révolution et que, si l’on voulait que la probité administrative y ait gagné quelque chose, il fallait ne pas imiter le gouvernement précédent et ajourner, pour esquiver comme lui, de justes réparations.
J’avais dit que, puisque le budget devait servir de base pour déterminer le chiffre auquel le nouveau système financer devrait atteindre, il ne suffisait pas de chercher à simplifier les rouages de l’administration, à réduire ou supprimer des traitements, mais qu’il fallait encore ne pas masquer les véritables besoins de l’Etat, et par conséquent satisfaire avec franchise et loyauté, aux charges que l’équité et la justice imposent.
J’avais dit qu’avant de nous proposer de consommer la spoliation, qu’avant de nous demander d’envoyer définitivement l’Etat en possession du bien d’autrui, il fallait prendre le parti ou de payer de suite les indemnités de l’expropriation, ou de rendre entre-temps la jouissance des barrières aux communes auxquelles les routes appartiennent.
J’avais dit que si, sur ce point, le ministre ou à son défaut la chambre ne l’exécutait pas volontairement, les tribunaux pourraient bien venir faire notre ouvrage, puisqu’il n’y avait pas moyen de repousser les actions judiciaires en déguerpissement, sinon en règlement et paiement d’indemnités.
J’avais dit enfin que rien ne démontrait la nécessité d’attendre de La Haye le renvoi des titres produits par les parties intéressées, puisque ces titres n’avaient été fournis qu’en copies qui pouvaient facilement être remplacées, les titres originaux étant restés dans les archives des administrations communales et provinciales.
Ces considérations justifiaient parfaitement le reproche que j’adressais au ministre d’avoir autant tardé et de tarder encore à faire un appel aux réclamations des communes, et de renvoyer, pour leur faire droit, à une époque autant éloignée qu’incertaine.
Comment s’est-il purgé de ce reproche ?
Il a fait observer entre autres que, s’il n’avait pas fait encore cet appel, c’est qu’il avait craint d’engager les communes dans de nouveaux frais pour reproduire leurs titres.
C’est bien là avoir des égard fort obligeants, pour les parties intéressées, mais dont je doute fort que celles-ci puissent en savoir gré à M. le ministre.
Et en effet, les frais à faire pour fournir de nouveau les titres, se bornent à quelques copies des pièces. Ces frais sont donc insignifiants, et fussent-ils même plus importants, il n’est pas une commune intéressée qui n’offrirait de les doubler et même de les tripler, pour voir arriver enfin le moment de la justice.
Au demeurant, messieurs, il n’est pas possible de restituer aux communes les routes dont elles ont été spoliées, sans désorganiser l’administration générale des routes et porter la confusion dans cette branche importante du service public.
Il faut donc bien en passer par payer l’indemnité de l’expropriation et plusieurs motifs également pressants nous imposent le devoir de nous en occuper en faisant le bilan de l’Etat.
L’Etat jouit de la chose, tandis qu’entre-temps certaines communes sont forcées de continuer à payer les charges.
L’indemnité est une dette certaine ; elle est le prix de la chose.
Il est de la probité, comme de la dignité de la représentation nationale, de ne pas permettre que les diligences pour y satisfaire soient plus longtemps ajournées.
Le seul moyen efficace, est d’ouvrir un crédit quelconque au budget.
Ce crédit seul pourra arrêter les actions judiciaires, parce qu’il donnera aux communes la garantie qu’on veut réellement les satisfaire sans nouvelle déception, et parce qu’alors il ne dépendra plus du ministre de retarder la liquidation jusqu’au retour des pièces qui sont à La Haye, en renvoyant ainsi les communes indéterminément.
L’ouverture d’un crédit ne présente, du reste, aucun inconvénient, puisqu’il n’en sera disposé qu’au fur et à mesure que les indemnités se trouveront liquidées, et, d’ailleurs, ces liquidations n’offrent elles-mêmes aucunes difficultés bien sérieuses, ni qui réclament un bien long travail.
M. le ministre nous a dit qu’il faudra faire compte des améliorations, et déduire le montant des dettes auxquelles l’Etat a satisfait, ce qui pourrait compliquer le travail.
Quant aux améliorations, il ne pourrait être question de s’en occuper que pour le cas où il s’agirait de rendre les comptes aux communes.
Cette opération est donc parfaitement inutile, dès lors qu’il ne s’agit que de rembourser les capitaux qui ont été levés pour leur construction ; leurs prétentions ne vont pas au-delà.
Quant à la déduction des capitaux, dont le gouvernement s’est chargé et qu’il a liquidés, M. le ministre s’est trompé, tout au moins en ce qui regarde la ville de Namur, puisqu’aucun des gouvernements précédents n’a payé une obole à la décharge des capitaux que cette ville a levés pour l’ouverture et la construction des diverss routes que j’ai indiquées, et desquels capitaux elle est forcée chaque année à payer les intérêts.
Enfin, quant au chiffre, il est de toute évidence que le crédit que je propose est en-dessous des besoins et qui faudra y suppléer au budget de l’année prochaine.
(Moniteur belge n°109, du 18 avril 1832) M. Milcamps. - Messieurs, un honorable membre de cette assemblée, M. Fallon, a proposé au chapitre III, article 2, du budget de 1832, un amendement ayant pour objet d’allouer une somme de 500,000 fl. à titre d’indemnités, pour expropriation des routes dont l’Etat est en possession.
Je viens appuyer cet amendement si, comme je le suppose, le but de son auteur est de destiner cette somme à payer les intérêts à échoir des capitaux levés par les villes ou communes pour la construction des routes.
Voici mes motifs :
Par octroi du 2 août 1751 et 31 octobre 1764, la ville de Nivelles a été autorisée à construire différentes bras de chaussées et à emprunter, à cet effet, les capitaux nécessaires.
Ces octois contiennent deux clauses remarquables :
L’article premier porte autorisation « de lever successivement, et à mesure qu’il sera nécessaire, les argents dont la ville aura besoin pour ces constructions, au moindre intérêt qu’il se pourra, en rentes viagères ou héritables, sur le pied personnel ou réel, déclarant que l’enregistrement de ces rentes au registre des rentes de la ville, tiendra lieu de réalisation à l’égard de celle qu’on voudra avoir réelles. »
L’article 26 porte : « Le gouvernement autrichien se retient le pouvoir d’unir lesdites chaussées à ses domaines, parmi (ce qui signifie ici moyennant) remboursement à ladite ville des capitaux à lever, et d’acquitter les charges à son indemnité. »
En suite de ces octrois, le magistrat a fait construire des bras de chaussées, savoir : de Nivelles à Mont-St-Jean, de Nivelles à Brai, près de Binche, et de Nivelles à Quatre-Bras. »
Pour ces constructions, la ville a employé de ses deniers une somme de 75,054 fl., et elle a levé sur particuliers des capitaux pour lesquels elle a consenti des rentes annuelles et perpétuelles jusqu’à concurrence de 7 à 8,000 fl., et des rentes viagères jusqu’à concurrence à peu près de la même somme, qu’elle a hypothéquées non seulement sur les chaussées, mais sur ses biens ordinaires.
Les actes de constitution de ces rentes reposent dans deux registres qui se trouvent aux archives de la régence.
Le produit des barrières a constamment été employé à l’entretien des chaussées et à l’acquittement des charges ; mais, ce produit étant insuffisant, elle devait y suppléer au moyen de ses revenus ordinaires qui étaient l’objet d’une comptabilité séparée. Pendant tout le temps que la ville de Nivelles a été en possession de ces routes, elle a payé exactement les canons des rentes.
En 1795, le gouvernement français a réuni ces bras de chaussée au domaine de l’Etat. Dès ce moment la ville a cessé de posséder et administrer ces parties de route, mais aussi dès ce moment elle a cessé de payer les rentes hypothéquées sur ces parties de route.
Des octrois et des actes de constitution de rentes, il résulte que les crédirentiers avaient, tant contre la ville que contre le gouvernement, pour se faire payer, non seulement une action personnelle, mais aussi une action réelle. Vous me pardonnerez, messieurs, ce langage qui tient plutôt du genre judiciaire que du genre délibératif ; car enfin, il s’agit ici de questions de droit.
Mais il ne suffit pas d’avoir l’action, il faut pouvoir l’exercer, et le mode d’exercice de l’action doit résulter de la loi.
Les lois françaises de l’époque (1795) déclarèrent à la charge de la nation les dettes des communes à cause de l’abandon de leurs biens ; mais ces lois n’étaient pas encore publiées en Belgique ; elles ne le furent que par la loi du 5 prairial an VI (1798). Je m’abstiens d’en rappeler les dispositions, et me borne à renvoyer aux questions de droit de Merlin au mot « dettes des communes, » où l’on trouve un arrêt de la cour de cassation de France à cet égard, rendue le 4 fructidor, au profit de la commune de Theux, province de Liége, lequel casse et annule le jugement du tribunal d’appel du département de Sambre-et-Meuse du 22 prairial an VII.
Ainsi, en l’an VII, les créanciers des communes n’avaient d’autre moyen que de faire liquider leurs créances par l’Etat.
Un arrêté du gouvernement français, du 9 thermidor an XI, a voulu, article 4, que « les communes des neuf départements réunis conservassent tous leurs biens, » à la charge de payer leurs dettes.
Cette disposition, quant aux créanciers des rentes affectées sur les chaussées, ne résolvait pas explicitement la question, puisqu’on ne restituait pas des routes aux villes ou communes.
Vous connaissez le décret du 21 août 1810, relatif à la liquidation des dettes des communes.
La plupart des créanciers s’étaient adressés et continuaient à s’adresser au gouvernement français, soit pour être liquidés de leurs créances à charge de l’Etat, soit pour en être payés par les villes et communes. Le gouvernement prenait l’avis des administrations. Celle de Nivelles répondait que les créances, d’après l’article 26 des octrois, étaient une charge du pays ; qu’en contractant, les créanciers avaient eu connaissance de ces octrois ; elle invoquait, puisque l’Etat retenait la possession et la jouissance des routes, la règle que celui qui jouit des avantages d’une chose doit en supporter les charges. Que faisait alors le gouvernement ? Ou il ne répondait pas aux créanciers, ou il leur donnait l’espérance qu’on s’occuperait de cet objet.
Advint le traité de Paris du 30 mai 1814, portant : « Art. 21. Les dettes spécialement hypothéquées dans leur origine sur les pays qui cessent d’appartenir à la France, ou contractés pour leur administration intérieure, resteront à la charge de ces mêmes pays. » Je le cite à cause du principe général qu’il établit.
Vous pressentez bien, messieurs, qu’après la séparation de la France des provinces belges, et leur réunion à la Hollande, les créanciers des rentes affectées sur les chaussées s’adressèrent au gouvernement du ci-devant royaume des Pays-Bas, à l’effet d’être liquidés de leurs créances à charge de l’Etat, ou d’être payés par les villes ou les communes ; mais les mêmes difficultés qui s’étaient élevées sous le gouvernement français, se renouvelèrent, avec cette différence pourtant que, à ce qu’il paraît, quelques villes, Namur et Bruxelles entre autres, payèrent les intérêts des capitaux levés pour la construction des rentes affectées sur les chaussées, tandis que la ville, qui ne s’y croyait pas obligée, et qui d’ailleurs manquait de ressources, n’en fit rien.
Il n’est pas à ma connaissance qu’il ait été pris, sous le gouvernement précédent, des dispositions législatives formelles pour déterminer si les créances qui nous occupent sont une charge de l’Etat ou des communes ; mais les arrêtés particuliers, cités dans le discours de l’auteur de l’amendement, prouvent que le gouvernement n’osait nier le principe que ces sortes de créances sont une charge de l’Etat.
Cependant, messieurs, depuis 1795, et ainsi depuis 37 ans, les créanciers des rentes affectées sur les chaussées construites par la ville de Nivelles n’ont plus été payés. Sous les régimes précédents, cette ville n’a été l’objet d’aucune action judiciaire ; et avant-hier, j’ai reçu l’avis qu’elle était assignée devant le tribunal de Nivelles, à la requête du sieur Takoon de Mons, en paiement d’un rente annuelle affectées sur les chaussées. Devant l’autorité judiciaire s’élèvera la question si la ville est, malgré les lois intervenues depuis la constitution de la rente, demeurée obligée ex contracta. Si l’affirmative était décidée, que de nombreux procès surgiraient !
Je m’émettrai pas, ainsi que je me le proposais, d’opinion sur la question, par cela seul qu’elle est soulevée devant les tribunaux. Mais je crois en avoir dit assez pour provoquer un acte de justice nationale. J’ajouterai que, parmi ces créanciers, il est des misères qu’il faut se presser de soulager. J’en connais que le refus du paiement des rentes a mis à l’aumône ; oui, messieurs, à l’aumône, et c’est particulièrement dans l’intérêt de cette classe que je désirerais voir introduire dans le budget de cette année un crédit destiné à payer les intérêts des rentes affectées sur les chaussées.
L’honorable membre propose par amendement la même somme que M. Fallon pour intérêts de routes à achever sur les chaussées, à payer au fur et à mesure de leur liquidation.
M. Nothomb fait remarquer que ces deux amendements ne sont que le renouvellement de la proposition de M. Barthélemy et qu’avant d’accorder des indemnités, il faut décider si l’on adoptera le principe de l’indemnité. En conséquence, il demande la question préalable.
- Après une longue discussion sur la question préalable, on demande de toutes parts la clôture.
M. Milcamps demande la parole contre la clôture et se plaint avec vivacité de ce qu’on ne veuille pas entendre les orateurs quand il s’agit de l’intérêt du peuple. Comme il rentre dans le fond de la question, il est interrompu par les cris « aux voix ! »
- La clôture est prononcée.
La chambre, consultée sur les deux amendements, les ajourne jusqu’à la proposition de M. Barthélemy.
Le chiffre proposé par le gouvernement est adopté.
« Art. 2. Traitement des ingénieurs et contrôleurs : fl. 105,800. »
La section centrale propose de n’allouer que 95,000 fl.
M. Barthélemy propose de réduire l’allocation à 50,000.
M. Brabant appuie l’allocation demandée par la section centrale, et comparant l’état de choses actuel de la Belgique avec ce qui existait sous le gouvernement français, il la trouve encore de 51,000 fr. plus forte, proportion gardée. En conséquence, il vote pour l’adoption de cette allocation.
La discussion est remise à demain 10 heures.
La séance est levée à 4 heures 1/2.