(Moniteur belge n°72, du 12 mars 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.
M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
M. Angillis, rapporteur de la commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. Quirini élu par le collège électoral du district de Louvain, conclut à l’ajournement de son admission pour défaut de convocation des électeurs en temps utile.
- Ces conclusions sont adoptées.
L’ordre du jour est la discussion générale des budgets pour entendre le rapporteur de la section centrale.
(Moniteur belge n°87, du 27 mars 1832) M. Dumortier. - Messieurs, c’est toujours un travail infiniment difficile et pénible que l’examen approfondi du système financier et de tous les rouages administratifs d’un Etat. Mais ce travail devient bien plus pénible lorsqu’il amène ce résultat fâcheux, la nécessité d’opérer des économies, d’apporter des réductions dans les traitements des fonctionnaires publics, ou bien d’augmenter, outre toute mesure, les impôts qui pèsent sur le peuple.
Telle est cependant, messieurs, la position où s’est trouvée votre section centrale en présence des budgets qui vous sont soumis, et des procès-verbaux de vos diverses sections manifestant tous unanimement la volonté des économies. Dans cet état de choses, elle a rempli son mandat à l’acquit de son devoir, nonobstant les clameurs qu’elle prévoyait bien s’élever de toutes parts contre elle et son rapporteur ; et vous n’ignorez pas, messieurs, qu’au-dedans et au-dehors de cette chambre, les personnalités ne nous ont pas manqué, et que le ministre le premier est sorti des bornes prescrites par les convenances parlementaires.
Ici, je dois pour ce qui me concerne, m’expliquer sur l’espèce d’amende honorable faite, dans la séance d’hier, par le ministre des finances. Je déclare d’abord que j’ai vu avec plaisir disparaître du mémoire mon nom sans cesse préféré, et certaines phrases souverainement injurieuses pour moi ; mais lorsque le mémoire que l’on a fait imprimer est encore gonflé de personnalités et d’injures, et que, précisément au moment où on le distribue à la chambre, le ministre déclare en propres termes que « le seul tort qu’il a eu, c’est celui de m’avoir personnellement nommé, » je dois croire qu’il persiste dans les injures contenues dans ce mémoire ; et, si je me déclare franchement satisfait pour celles rétractées, je suis loin de l’être pour celles maintenues et celles rétractées, je suis loin de l’être pour celles maintenues et qui, imprimées par ordre de cette chambre, seront nécessairement reproduites dans tous les journaux du pays.
Mon devoir est donc aujourd’hui de justifier la section centrale et son rapporteur, et c’est ce que je vais faire en démontrant la fausseté des allégations de M. le ministre des finances, lorsqu’il dit que notre rapport contient une foule d’erreurs de calcul, de réticences, de contradictions et d’assertions hasardées ou inexactes. Mais, avant d’entrer en matière, je dois répondre à une expression échappée à l’honorable député à qui est confié le portefeuille de la guerre, et qui, répondant à mes observations, nous a désignés sous le nom d’adversaires du gouvernement. Non, messieurs, votre section centrale et son rapporteur ne sont pas les adversaires du gouvernement ; non, le gouvernement n’a pas d’adversaires dans cette enceinte ; tous, tant que nous sommes, nous voulons le maintien du gouvernement sorti des barricades, du gouvernement qu’a produit la révolution. Mais, si nous sommes unanimes sur le but qui nous dirige, nous pouvons différer sur les moyens d’y parvenir, sans pour cela être les adversaires du gouvernement. Je repousse donc, au nom de la chambre tout entière, une expression qui, mal comprise, pourrait jeter du louche sur l’opposition, et sur ceux qui veulent l’adoption du système des économies.
M. le ministre des finances commence par chercher à détruire le déficit de 23 millions que je vous ai présagé pour la fin de 1832, dans le cas où nous devions maintenir notre armée sur le pied de guerre. Il établit un calcul, cherche à prouver qu’il ne reste que 1,189,333 fl., et finit par dire : « Ainsi s’évanouit un des faits qui présentaient le plus de probabilités. » D’après cela on penserait au premier aperçu qu’il a anéanti le déficit que nous avons montré : il n’en est rien cependant, puisque tout son calcul ne repose que sur la somme de 2,933,333 fl., et que ce n’est qu’au moyen d’une singulière réticence qu’il l’a rapproché de la somme de 23 millions, avec laquelle elle n’a qu’un rapport éloigné. Ainsi le ministre ne détruit aucunement le résultat que nous avons présenté.
Voyons maintenant les pièces de son calcul.
Le ministre nous reproche d’avoir porté en compte au déficit de 1832 l’arriéré de la liste civile, montant à la somme de 133,333 fl., et les 2,800,000 fl. de crédit extraordinaire pour la guerre qu’il voudrait imputer à l’exercice de 1831. Ce reproche serait fondé, si les recettes de cet exercice avaient excédé les dépenses. Mais c’est là, messieurs, une observation bien insignifiante quant au résultat que nous nous proposions, celui de connaître le déficit de 1832 ; car il est constant que les recettes de l’exercice de 1831 sont loin d’avoir couvert les dépenses, et que dès lors il y aura un solde à porter en débit au budget de 1832, dans lequel figurera nécessairement l’arriéré de la liste civile.
Le ministre nous reproche d’avoir négligé de déduire de l’arriéré de la liste civile la somme de 44,000 fl., demandée en 1831 pour réparation des palais. Si nous n’avons pas fait cette réduction, c’est que la question de savoir s’il convient de faire peser sur la liste civile les sommes par elle perçues, tandis que la loi n’en parle pas, nous a paru très délicate, et que nous n’avons pas voulu la trancher nous-mêmes.
Le ministre nous reproche de n’avoir pas tenu compte de l’excédant des recettes de 1831 : j’ai déjà répondu à ce reproche et fait voir que la section centrale avait, au contraire, indiqué cette ressource dans les termes les plus formels ; mais, n’en connaissant pas au juste le montant, nous n’avons pu la faire entrer en ligne de compte ; et, quant à la rentrée des avances faites pour achat des matières premières pour les prisons, s’élevant à la somme de 600,000 florins, que le ministre nous reproche de n’avoir pas portés en compte, pouvions-nous, je vous le demande, prévoir une ressource qui décèle l’irrégularité la plus grave, puisqu’il n’en est fait nulle mention au budget, malgré l’article 115 de la constitution ?
C’est au moyen de semblables arguments que le ministre s’écrie : « Que dois-on espérer du gouvernement qui a été assez avare des deniers publics pour se trouver à même de couvrir des dépenses imprévues d’une telle importance ? Est-ce donc là ce pays dont le rapporteur ferait désespérer ? » Quoi ! messieurs, on viendra vous dire qu’on est avare des deniers du peuple lorsque, pour couvrir les dépenses, on a recours à deux emprunts forcés ! N’est-il pas étonnant d’entendre le ministre tenir un pareil langage lorsqu’il nous présente un budget de dépenses qui dépasse de beaucoup celui de l’année dernière, lorsqu’une foule d’employés, non contents de leurs gros traitements, ont encore reçu des augmentations ?
Quant à l’inculpation personnelle de jeter le pays dans le désespoir, rien n’est plus facile que d’y répondre, en vous lisant une phrase que la section centrale a cru devoir retrancher de mon rapport. Après avoir établi par les moyennes que la Belgique paiera moins qu’elle ne payait sous le royaume des Pays-Bas, j’ajoutais : « Ainsi vous voyez, messieurs, combien notre beau pays offre encore de ressources, combien sont grands les avantages que nous a produits la révolution, et le préjudice énorme que nous eussions essuyé par suite d’une restauration, si jamais elle avait pu s’exécuter. Alors on aurait vu nécessairement se rétablir les impôts les plus odieux, la mouture, l’abattage et cet affreux cortège de vexations fiscales, de mesures acerbes et tyranniques, que la révolution a pour jamais chassés du sol de la patrie. »
Telles sont, messieurs, les paroles que la section centrale a cru devoir retrancher du rapport et qui démontrent la fausseté de l’accusation du ministre envers le rapporteur, de vouloir jeter le pays dans le désespoir. Mais, si je repousse cette injure pour moi-même, je dois aussi la repousser pour la section centrale tout entière. Non, messieurs, il n’est personne de nous qui veuille pousser la nation au désespoir : ne sommes-nous pas tous hommes de la révolution ? N’avons-nous pas tous un intérêt positif et personnel à diriger le vaisseau de l’Etat vers le port ? Mais ce que nous voulons ainsi, c’est éviter de le faire tomber dans des écueils qui amèneraient nécessairement sa ruine.
On m’a reproché les évaluations des emprunts présentées par la section centrale. « Est-ce bien, vous a-t-on dit, est-ce bien au rapporteur à venir peser le crédit belge et vous dire qu’à la paix il ne vaudra que 83 p. c. ? » Pourquoi M. le ministre vient-il ainsi dénaturer le rapport de la section centrale ? Où avons-nous dit qu’à la paix le crédit belge ne vaudra que 83 p. c. ? Lorsque nous avons établi de semblables calculs, c’était dans l’hypothèse où l’état de guerre continuerait pendant toute l’année ; et, dans ce cas, il n’est personne qui ne reconnaisse que notre calcul est loin d’être aussi injurieux au pays que le ministre le représente.
J’arrive, messieurs, au reproche que me fait le ministre, celui d’avoir, je ne sais dans quel but, dit-il, négligé le produit de la vente des domaines. Je ne sais dans quel but ! C’est ainsi, messieurs, qu’en donnant, en passant, un coup de patte ministérielle (on rit) au rapporteur, on vient jeter du louche sur le but qui le dirige. Mon but, je le répète encore, est le salut de l’Etat, le bien-être du pays, et il ne vous appartient pas de jeter du louche sur ma conduite. Mais pourquoi, messieurs, votre section centrale n’a-t-elle pas tenu compte du produit de la vente des domaines ? C’est que vous vous êtes unanimement opposés à cette vente, et que vous avez déclaré vouloir attendre des temps meilleurs pour aliéner les domaines. Pouvions-nous, en présence de cette résolution, porter en recettes un crédit refusé par la représentation nationale ? Ce n’est donc qu’en substituant sa volonté à celle de la chambre que le ministre parvient à un résultat différent de celui que nous vous avons présenté.
On reproche à votre section centrale d’avoir voulu forcer les dépenses, en supposant le pied de guerre pendant toute l’année, tandis que, suivant le ministre, il suffit de les compter pour six mois. Messieurs, c’est encore là une erreur nouvelle : votre section centrale a raisonné d’après les budgets qui vous sont présentés par le ministère. D’abord, elle a calculé les dépenses dans l’état de paix, et, se fondant sur les documents fournis par le ministère, elle est arrivée à ce résultat, que l’année 1832 offrira, « toutes choses restant dans l’état actuel, » un déficit de 8,839,000 fl. Ensuite elle a calculé, d’après le budget, pour l’état de guerre, et elle vous a démontré le déficit de 23 millions qui nous attend. Maintenant, le ministre peut se placer dans une position intermédiaire ; il peut raisonner juste dans son hypothèse : mais est-ce à dire pour cela qu’il a détruit les calculs de la section centrale ? Non, messieurs, parce que nous partons d’un point différent, parce que votre section centrale a raisonné d’après les documents imprimés et fournis à la chambre, tandis que le ministre se place dans une hypothèse incertaine.
Ceci s’applique encore au calcul présenté par le ministre pour les recettes de 1832, qu’il dit devoir s’élever à 35 millions, dans la supposition même qu’aucun impôt ne vienne accroître les ressources du trésor. Or, j’ouvre le budget des voies et moyens qui vous est présenté par le ministre lui-même, et j’y trouve que les recettes sont évaluées à la somme de 31,421,972 fl., sur quoi il faut encore déduire la réduction de 5 p. c. opérée sur le foncier dans les Flandres, et s’élevant à 155,000 fl., ainsi que celle sur les droits des vins entrant par la frontière de terre. Vous le voyez donc, messieurs, le ministre, pour prouver la fausseté des raisonnements de la section centrale, s’écarte des documents qu’il a lui-même présentés à l’assemblée, et puis il vient vous représenter l’état de nos finances comme étant dans une situation satisfaisante.
J’arrive maintenant au déficit annuel probable que votre section centrale a évalué à 8,839,000 fl., en évaluant les dépenses à la somme de 40 millions, tandis que le ministre prétend qu’elles ne s’élèveront qu’à 35 millions. D’où provient donc cette différence ? C’est que votre section centrale a raisonné d’après les budgets qui vont sont présentés, et, comme elle l’a dit et répété vingt fois, « toutes choses restant dans l’état actuel, » tandis que le ministre établit des calculs éventuels qui ne reposent sur rien.
Ainsi, pour établir que la dette publique ne s’élèvera qu’à la somme de 12,280,000 fl., il commence par supprimer les intérêts des cautionnements et les rentes viagères ; il ne tient aucun compte de l’emprunt que nous aurons à faire pour combler le déficit de 1832, si l’état de guerre est maintenu, ni du fonds d’amortissement à créer pour la dette hollandaise ; et quant aux pensions, il les réduit à un million, tandis qu’au budget, en y joignant les traitements d’attente, elles s’élèvent à la somme de 1,540,000 fl. Il est vrai que les pensions ecclésiastiques doivent tôt au tard s’éteindre, et c’est ce que votre section centrale a soigneusement développé. Mais, pour arriver à ce résultat, il s’écoulera bien des années encore, et d’ici là nous devrons toujours y faire face. Et puis, n’aurons-nous pas une augmentation de pensions militaires par suite de l’état de paix ? N’aurons-nous pas à payer les pensions que les 24 articles nous imposent ?
La justice, la police et les prisons figurent, dans le compte présenté par M. le ministre, pour la somme de 2,200,000 fl., tandis que ces mêmes administrations sont portées au budget pour environ 2,160,000 fl. L’augmentation de dépenses résultant de la création d’une troisième cour d’appel et de la cour de cassation n’est donc évaluée qu’à 40 fl. Il est vrai que le ministre des finances, qui s’élève partout ailleurs si fort contre les économies, regarde ici des économies comme faisables. Eh quoi ! lorsque l’on parle de réduire les plus grands traitements, vous opposez une résistance invincible , et vous appelez les économies sur le département de la justice. Ignorez-vous donc l’état précaire des fonctionnaires inférieurs de l’ordre judiciaire, dont la plupart ne reçoivent que 800 à 1,200 fl. ? Ignorez-vous que, si on devait les rétribuer comme ceux de votre ministère, il faudrait majorer de plusieurs millions le crédit proposé pour le département de la justice ?
Les finances ne figurent, dans le compte présenté par M. le ministre, que pour la somme de 4,920,000 fl., tandis que dans le budget qu’il nous propose elles s’élèvent à 5,490,431 fl. , sur quoi il n’entend pas consentir à la plus petite réduction. Mais il est une chose digne de remarque, c’est que le chiffre total présenté par votre section centrale pour ces ministères s’élève à 4,796,000 fl. Or, si vous ajoutez les 100,000 florins demandés pour le service rural des postes que votre section centrale n’a fait qu’ajourner à des temps meilleurs, vous verrez que notre calcul ne diffère de celui du ministre que de la faible somme de 23,707 fl. Je vous le demande, messieurs, cet aveu du ministre ne prouve-t-il pas jusqu’à l’évidence combien sont fondées les réductions proposées par la section centrale ? On pourra varier sans doute sur les articles susceptibles de réduction, mais toujours est-il que la somme intégrale n’offre rien d’exagéré.
Le crédit de l’intérieur est porté dans le compte du ministre pour 5 millions, tandis que le budget qui nous est présenté s’élève à la somme de 6,505,744 fl. Il est vrai qu’il faut en distraire la police et les prisons, que le ministre transporte à la justice, tandis que dans le budget ces deux branches se trouvent à l’intérieur ; mais il est aussi très vrai que malgré cela, ce chiffre est encore un demi-million de florins au-dessous de celui présenté par le ministre, tandis qu’il est constant que la paix nécessitera des augmentations réelles au budget de l’intérieur pour la création d’objets d’art nécessaires à l’industrie, lorsque les revenus sont insuffisants pour couvrir la dépense première.
Enfin le crédit de la guerre n’est évalué qu’à 8 millions pour le pied de paix, au lieu de 11,800,000 fl. que le budget actuel nous demande. Cette évaluation résultant d’une explication verbale du ministre est aussi entrée dans les calculs présentés par votre section centrale relativement au dernier minimum possible, et si nous ne l’avons pas admise dans ceux qui commencent le rapport général, c’est que nous avons raisonné sur les budgets eux-mêmes et non sur des éventualités.
Ainsi se trouve justifiée l’assertion précédemment émise, que la différence des résultats présentés par le ministre et la section centrale provient de ce que nous avons raisonné dans deux hypothèses différentes. Notre hypothèse, à nous, ce sont les budgets qui nous sont présentés, ce sont les pièces imprimées et distribuées à cette chambre ; voilà sur quoi nous avons basé nos calculs, sans en sortir jamais ; et nous défions le ministre de prouver que nous nous en soyons une seule fois écartés. Nous avons plusieurs et plusieurs fois répété, dans notre rapport général, que nous établissions nos calculs, « toutes choses restant dans l’état actuel, » tandis que les calculs du ministre reposent constamment sur des éventualités, des espérances, qui ne sont nullement en harmonie avec les budgets qui sont présentés ; par conséquent, n’offrent rien de positif et de certain, et ne détruisent, en aucune manière, les résultats présentés par la section centrale.
Après cela, n’est-il pas absurde d’entendre le ministre déclarer que notre avenir financier est parfaitement garanti, et qu’il attend que le rapporteur et les membres de la section centrale viennent déclarer à cette tribune qu’ils se sont trompés ? Si vous voulez prouver notre erreur, démontrez ou bien que nous avons pris de fausses notes, ou bien que nous avons fait de faux calculs ; mais, s’il est vrai que nous n’avons pris pour base que les pièces présentées par vous-même à cette chambre, imprimées et distribuées à tous les membres de l’assemblée ; s’il est vrai que nos calculs sont d’une exactitude irréprochable, alors ayez la franchise de reconnaître que, par crainte des économies, vous vous êtes mis, pour nous combattre, toujours en dehors de la question, et que nos résultats restent dans toute leur intégrité. En établissant vos calculs, vous êtes vous-même forcé de reconnaître qu’il y aura un déficit pendant plusieurs années, tant il est vrai que la vérité perce toujours. Eh bien ! c’est ce déficit que la section centrale a voulu sonder, c’est lui qu’elle a voulu combattre, parce qu’elle n’ignore pas que les déficits augmentent considérablement la dette publique et que la dette est le chancre des gouvernements représentatifs.
Ici, messieurs, je dois répondre à une objection souvent répétée dans cette discussion, que les peuples paient d’autant plus d’impôts qu’ils jouissent de plus de liberté. Je ne puis assez m’élever contre une erreur aussi manifeste, qui tendrait à faire détester la liberté et chérir le despotisme. Non, la liberté n’augmente pas par elle-même les impôts qui pèsent sur le peuple, et, s’il fallait en citer des exemples, je vous citerais la Suisse et l’ancienne Belgique, où l’on jouissait d’autant de liberté que partout ailleurs, sans payer de lourds impôts. Mais, ce qui augmente les charges des gouvernements constitutionnels, c’est la dette publique qui résulte presque toujours de l’action des gouvernements représentatifs ; c’est là, messieurs, il faut le dire, le chancre des gouvernements constitutionnels.
Tous nos efforts doivent donc tendre à la diminuer le plus possible, et surtout à éviter les déficits qui ne font que l’accroître chaque année, et creusent ainsi un abîme sous nos pas.
En parlant des charges que la paix doit nécessairement nous apporter, le ministre tranche une question des plus délicates, celle de l’indemnité des pertes occasionnées par la révolution. Dans son rapport général, votre section centrale avait présenté cette question avec toute la réserve qu’elle exige ; le ministre, au contraire, la tranche sans hésiter, et vient déclarer à la chambre qu’elle ne pourra se refuser à indemniser, par une mesure générale, tous ceux qui ont souffert de la révolution. Quoi ! un ministre du roi viendra prétendre que la nation est redevable envers les Libry et les Van Maanen des résultats de la juste fureur du peuple ! N’est-ce pas, messieurs, ravaler la révolution que de déclarer qu’il faut, par une mesure générale, confondre les hommes dégradés qui n’ont cessé de nous avilir, avec les innocentes victimes d’une erreur populaire ? Messieurs, s’il est toujours imprudent de trancher des questions de cette importance, c’est surtout sous l’influence de certains hommes qui n’ont pas toujours montré de l’aversion pour les ennemis de la patrie.
J’arrive à la réfutation, présentée par le ministre, de la comparaison entre les dépenses de la Belgique et celle de l’ancien gouvernement des Pays-Bas ; suivant lui, la population de la Belgique étant à celle de la Hollande contre 37 est à 25, c’était dans cette proportion qu’il fallait établir notre part dans les impôts du royaume des Pays-Bas. Le ministre ne peut ignorer cependant que cette supposition est en contradiction manifeste avec tous les tableaux de recette présentés aux états-généraux. Mais ce que nous savons tous, c’est que la Hollande, qui avait le plus grand intérêt à nous faire payer le plus possible dans la dette des Pays-Bas, a déclaré à la conférence que les provinces méridionales ne contribuaient dans les impôts que pour seize trente unièmes.
Cette considération paraîtra décisive à tout homme impartial, puisqu’elle repose sur l’intérêt de la Hollande, et elle prouve combien est peu fondée la supputation du ministre. Il en est de même du reproche qu’il nous adresse d’avoir négligé de tenir compte des paiements du syndicat à la décharge du budget. Cette critique ne repose sur rien, puisque, si l’on tient compte des paiements faits par le syndicat à la décharge du trésor, il faut aussi tenir compte de ses recettes à charge du trésor, ainsi que des capitaux qu’il possède, et par là on arrivera toujours au même résultat.
Je ne répondrai pas, messieurs, au reproche qui nous est adressé d’avoir fait un double emploi des dépenses imprévues. Ce reproche serait fondé si nous en avions fait figurer deux fois la somme dans les comptes ; mais lorsque nous nous sommes bornés à les extraire pour en présenter le chiffre total, il est difficile de concevoir comment des hommes qui se targuent d’être financiers, et d’entendre seuls quelque chose en finances, pourraient établir la preuve du prétendu double emploi qu’ils signalent. C’est cependant au moyen des assertions que je viens de vous signaler que le ministre prétend que le rapport de la section centrale renferme une foule d’erreurs de calcul, de réticences, de contradictions, d’assertions hasardées ou inexactes ! Voyez maintenant, messieurs, auquel de nous de pareils reproches peuvent s’adresser.
Je viens de répondre à la critique, faite par le ministre, de l’exposé de notre état financier, d’après le rapport de votre section centrale ; je vous ai montré sur quelles bases reposaient ses argumentations ; il me reste à rencontrer ses objections dans l’application des principes d’économie qui en découlent.
Abordant la comparaison des traitements des employés de la cour des comptes avec ceux des divers ministères, le ministre va jusqu’à dire qu’une simple lecture du rapport de la cour des comptes aurait évité au rapporteur le tort de mettre en parallèle des choses qui n’ont aucune similitude ; et ce qui le prouve, suivant lui, c’est que chaque chef de division de la cour des comptes n’a sous lui que trois ou quatre employés, tandis qu’aux finances ils en ont jusqu’à seize. J’ai déjà démontré la fausseté de l’allégation du ministre, en faisant remarquer qu’un chef de comptabilité est la même chose dans chaque administration. Quant au nombre d’employés, j’en conclus que la cour des comptes a été montée sur un pied économique, tandis que les ministères sont infiniment trop compliqués. Le devoir du gouvernement est de simplifier les rouages de l’administration, et non d’augmenter chaque jour le nombre des employés. Quant à ce que j’ai avancé, que les chefs de division sont de troisième rang aux finances et de premier rang à l’intérieur, il suffit d’observer que, dans ce dernier ministère, ces fonctionnaires sont en contact immédiat avec le ministre, tandis qu’aux finances ils ont au-dessus d’eux des directeurs, des inspecteurs généraux et des administrateurs. Si maintenant nous les avons mis en parallèle, c’est qu’ils le sont dans les budgets que vous nous présentez.
Pour détruire la comparaison que nous avons établie entre le produit de l’enregistrement et les frais d’administration centrale en France et en Belgique, le ministre prétend que nous sommes partis de donnes inexactes : eh bien ! messieurs, ces donnes inexactes sont encore les budgets de France et de Belgique, dont les chiffres que nous vous avons présentés ont été extraits. Maintenant n’est-il pas plaisant d’entendre le ministre vouloir prouver que l’administration centrale belge est plus économe que celle de France, parce que les traitements supérieurs sont moins élevés ? Quoi ! vous voudriez que, sans égard à la population, les administrateurs fussent rétribués à l’égal de la France. Jamais existât-il rien de plus absurde qu’un pareil système ? Ne voyez-vous pas que poussé dans ses conséquences, vous arriveriez à ce résultat que le directeur de l’enregistrement de la république de Genève ou de celle de Saint-Marin devrait jouir de 25,000 f. de traitement ?
Ce qu’il faut à l’administration centrale de l’enregistrement, c’est plus que partout ailleurs de bons employés, mais en petit nombre ; au contraire, nous voyons, par le budget et les tableaux qui nous ont été fournis, que ce nombre est plus considérable qu’à l’administration des contributions, laquelle demande à elle seule un personnel plus considérable que tout le reste des finances. Ce qu’il faut encore à l’enregistrement, c’est que les traitements des employés soient fixés, et qu’ils ne participent pas au produit des recettes : c’est là ce qu’ont demandé toutes les sections.
J’arrive, messieurs, à des reproches d’une nature plus grave, faits à votre section centrale et à son rapporteur par le ministre des finances.
En présentant les budgets, le ministre avait déclaré que le budget de son ministère offrait une diminution de près de 400,000 fl., et dès lors, la chambre et la nation ont dû croire que de grandes économies avaient été faites. Mais, en rapprochant le chiffre du budget de cette année de celui de l’année dernière, votre section centrale avait remarqué qu’il en résultait au contraire une augmentation de deux cent mille florins, et elle s’était demandé ce qui pouvait porter le ministre à proclamer ainsi des économies, lorsqu’au contraire il présente une augmentation de dépense. Que répond à cela le ministre ? « Si le rapporteur, dit-il, se fût donné la peine de lire le budget en entier, il se fût épargné une semblable question. » Vraiment, messieurs, je ne sais comment qualifier une accusation aussi injurieuse, mais dont vous saurez tous faire justice. Oui, nous avons lu le budget ; nous l’avons lu, relu et médité, nos rapports en sont la preuve, et c’est précisément à cause que nous l’avons étudié longuement, que nous pouvons facilement démontrer qu’il n’existe aucune réduction dans les dépenses ; qu’au contraire il s’y trouve des augmentations évidentes.
Voulez-vous savoir, messieurs, quelles sont les économies opérées par le ministre des finances ? C’est la suppression des frais de perception des deux emprunts forcés qui avaient coûté au trésor, l’un 360,000 et l’autre 260,000 fl. Singulière économie, vraiment, que la suppression des frais de perception d’un impôt temporaire ! En présence de pareils faits, je dis que le ministre trompe la chambre et la nation toute entière, lorsqu’il signale l’économie alors qu’il n’existe qu’une augmentation de dépenses ; je dis qu’il injurie le rapporteur de la section centrale lorsqu’il l’accuse de n’avoir pas lu ce qui fait l’objet de son rapport.
Cette injure, au reste, n’est pas la seule que se soit permise le ministre ; vous avez pu voir, messieurs, que le mémoire tout entier n’est qu’un acte d’accusation contre le rapporteur et la section centrale. Il est des faits que je ne puis laisser sans réponse.
Votre section centrale, en exprimant le vœu de la suppression des administrateurs généraux, avait cru devoir s’appuyer sur l’opinion précédemment émise par la commission des crédits provisoires. Le ministre, pour écarter cette demande, fait peser sur nous une accusation des plus graves, celle d’avoir dénaturé l’opinion de la commission. Voici, d’abord, le passage de son discours :
« La commission des crédits provisoires de 1831 n’a pas, comme le dit M. le rapporteur, manifesté le vœu de voir supprimer les administrateurs généraux : Elle a discuté s’il ne conviendrait pas de supprimer la place d’administrateur des contributions directes, vu qu’il y a deux directeurs ; toutefois, elle n’a pas fixé son opinion. Telles sont, messieurs, les expressions textuelles de cette commission. Je m’étonne que l’honorable rapporteur les dénature. »
Messieurs, si l’accusation d’avoir dénaturé un acte est toujours odieuse pour celui qui en est l’objet, que sera-ce si je puis vous prouver que les expressions dont je me suis servi sont textuellement les mêmes que celles de la commission dont on prétend que j’ai dénaturé le texte ? (Mouvement.)
Je tiens en mains, messieurs, le rapport fait à cette chambre le 11 novembre dernier, imprimé et distribué par ordre de la chambre et signé : Angillis, Legrelle, Osy, Leclercq, d’Elhoungne et de Theux. Voici les expressions textuelles du passage relatif aux administrateurs : « La commission a pensé qu’en général les places d’administrateurs ne sont pas nécessaires dans de petits Etats ; que les administrations spéciales tendent toujours à un développement et que leurs frais deviennent hors de proportion, soit avec les besoins du service, soit avec les finances de l’Etat, et qu’il est d’ailleurs préférable que le ministre agisse plus immédiatement dans l’administration de son département. »
En présence d’un texte aussi positif, n’est-il pas étrange de voir le ministre prétendre que le rapporteur de votre section centrale a dénaturé les expressions de la commission, lorsque ces mêmes expressions sont textuellement reproduites dans le rapport ? (Interruption.)
Messieurs, vous me devez votre appui. Lorsque j’ai accepté les pénibles mais honorables fonctions de rapporteur de votre section centrale, je ne suis plus le représentant du district de Tournay ; je suis le représentant de la chambre toute entière. Vous ne pouvez, vous ne devez pas souffrir que le ministre vienne ainsi me flétrir dans le sein de la représentation nationale, qu’il vienne me déclarer coupable du crime des faussaires, alors qu’il est évident que son allégation repose sur la plus manifeste de toutes les faussetés. Si vous permettez une pareille injure, jamais, plus jamais vous ne trouverez un rapporteur. Et voilà pourtant que le discours du ministre, imprimé et distribué par ordre de la chambre, se trouvera reproduit dans tous les journaux comme une vérité démontrée, comme si la chambre avait reconnu que son rapporteur est un faussaire. Messieurs, je fais ici la motion formelle que la chambre déclare dans son procès-verbal qu’en ordonnant l’impression et la distribution de ce mémoire, elle n’a nullement entendu approuver les injures contre le rapporteur de la section centrale.
- De toutes parts. - Appuyé ! appuyé !
M. Dumortier. - S’il est au reste certain que, loin d’avoir dénaturé les expressions de la commission, je les ai textuellement rapportées dans le rapport, il m’est facile de démontrer que le ministre a dénaturé les miennes, pour avoir par là occasion de m’injurier ensuite. Je pourrais vous en citer plusieurs exemples ; un seul suffit pour le prouver.
Votre section centrale, cherchant à expliquer la différence entre le budget de 1832 et la moitié de celui de 1830, avait dit que la différence en plus que présente le budget de 1830, sur les non-valeurs, n’est que temporaire et devra nécessairement disparaître. Voulez-vous savoir, messieurs, ce que répond à cela le ministre ? « Je ne puis, dit-il, vous faire partager l’espoir qu’on vous donne de voir un jour disparaître du budget le chiffre des non-valeurs. Je suis fâché, ajoute-t-il, de voir que l’honorable rapporteur ne sache pas ce que c’est. »
Je vous le demande, messieurs, comment qualifier une pareille mauvaise foi ? Pouvez-vous souffrir que l’on vienne ainsi dénaturer nos expressions, pour venir nous dénigrer ensuite ? Mais il fallait bien déchirer cet importun rapporteur, qui vient ainsi, proposant des économies, troubler le repos de tous les hommes qui se trouvent attachés aux feuilles du budget.
Votre section centrale et son rapporteur ne sont pas d’ailleurs, messieurs, les seuls attaqués dans le mémoire de M. le ministre. A propos des comptes de 1830, il vous assure qu’il est à craindre de ne trouver aucun élément de compte, aucune pièce justificative à l’appui des nombreuses dépenses de toute nature faites à cette époque. Je laisse aux membres du gouvernement provisoire de relever de telles allégations ; pour moi, j’ai trop d’estime.
M. Rogier. - Poursuivez dont la lecture du discours du ministre.
M. Dumortier continue. - « Quoi qu’il en soit, je suis heureux de pouvoir annoncer à la chambre que la situation du compte, relative au quatrième trimestre de 1830, ne laissera rien à désirer sous le rapport de la régularité, ce qui concerne l’indication de l’exercice au 31 décembre 1830. »
M. Rogier. - Vous voyez que vous n’avez pas lu le rapport. (Bruit, interruption.)
M. Dumortier. - Voilà une chose vraiment singulière. Tout à l’heure le ministre vient prétendre que je n’ai pas lu le budget ; maintenant un gouverneur de province vient soutenir que je n’ai pas lu le rapport. Voulez-vous donc, messieurs, souffrir de pareilles absurdités ? Pour moi, je l’avoue… (Bruit, vives réclamations.)
M. Delehaye. - Quoi qu’en en dise, tout ce que dit M. Dumortier est parfaitement exact.
M. Dumortier. - Messieurs, la seconde phrase du ministre n’infirme nullement la première ; car de deux choses l’une : ou bien les comptes ne laissent rien à désirer sous le rapport de la régularité, et alors il est injurieux pour le gouvernement provisoire de prétendre qu’il ne se trouve aucun élément de compte, aucune pièce justificative ; ou bien il ne se trouve aucune pièce justificative, aucun élément de compte, et alors il est absurde de dire que les comptes ne laisseront rien à désirer sous le rapport de la régularité. Je dis donc que cela est dirigé contre le gouvernement provisoire, et, si M. Rogier m’avait laissé achever, j’allais ajouter que j’ai trop d’estime pour les membres de ce gouvernement, et trop de confiance en leur loyauté, pour élever le plus léger soupçon sur leur gestion ; et c’est précisément cette estime et cette confiance qui m’ont porté à signaler ce que je croyais offensant pour eux dans le mémoire du ministre.
J’arrive aux irrégularités signalées dans le rapport général. Je ne sais où le ministre a été chercher le reproche que des pensions sont accordées par simple arrêté ; mais, lorsqu’il vient vous dire que les lois sont encore en vigueur, je ferai observer qu’il n’existe aucune loi qui règle les traitements d’attente, et que, quant aux traitements éventuels des agents diplomatiques, ces traitements ne sont pas susceptibles d’être réglés que par une loi.
J’ai déjà répondu à l’inculpation relative aux passeports et à celle sur les poudres, et j’ai prouvé que, si un crédit est demandé à la marine pour achat de poudres à la guerre ce dernier ministère doit renseigner ce produit au budget des recettes. Mais il est un point que l’on s’est bien gardé de relever, c’est l’inconstitutionnalité de l’arrêté relatif à la cour des monnaies, arrêté inconstitutionnel, s’il en fût jamais. Le ministre aurait beaucoup mieux fait de se justifier sur ce point, plutôt que d’entrer dans la carrière des personnalités et des injures.
Mais voulez-vous savoir d’où vient cet esprit d’aigreur et de personnalité que l’on remarque dans tout le mémoire du ministre ? Lui-même a pris la peine de vous l’apprendre. « Tout l’esprit du rapport, dit-il, est empreint de critique contre ce qu’il appelle gros traitements. » Voilà, messieurs, le nœud de l’énigme ; voilà ce qui a si profondément blessé les faiseurs de M. le ministre. (Marques d’approbation.) Ainsi qu’est-il arrivé ? On a été jusqu’à critiquer amèrement le choix que vous avez fait du rapporteur, à qui l’on reproche de ne pas connaître les premiers éléments du système des finances. « Il semble, dit le ministre, que, si l’on n’a pas fait à cet égard des études spéciales, on devrait abandonner sa croyance à la direction des hommes qui s’en sont occupés. La raison le voudrait ainsi ; mais le rapporteur de la section centrale ne pense-t-il pas que les choses peuvent se passer autrement ? » C’est ainsi que le ministre s’explique sur le compte du rapporteur ; il aurait fallu que j’abandonnasse ma croyance à la direction des hommes qui s’en sont occupés !
Mais qui donc à pu prouver au ministre l’ignorance qu’il me reproche ? Ne suis-je pas industriel comme lui ? Où donc est-il écrit qu’un industriel soit entièrement novice en finances ? Mais non, messieurs, savez-vous quels sont ceux qui sont experts en finances ? Ce sont ces hommes qui, sous l’ancien gouvernement vexaient, pressuraient, tyrannisaient les citoyens ; ces hommes qui ont fait plus détester le gouvernement que le gouvernement lui-même. Mais, direz-vous, nous ne voyons pas où ils ont pu acquérir ces connaissances qu’ils ne trouvent que dans eux-mêmes ; nous ne voyons pas en quoi ils se sont occupés du système financier de l’Etat. Pardon, messieurs, ils s’en sont occupés, et j’avoue même que ce n’est pas sans fruit ; car, lorsque par suite de leurs études ils s’emparaient, au nom du fisc, des biens des fabriques et des pauvres, ils pouvaient toujours dire comme la fable : « Je prends la première parti, parce que je m’appelle…
- Voix nombreuses. - Lion. (Hilarité.)
M. Dumortier. - Messieurs, je dois, avant que de finir, repousser de toutes mes forces une insulte prétendue, que j’aurais faite aux fonctionnaires et employés du département des finances, en reproduisant ce mot d’un grand homme, qu’il fallait leur compter en argent ce qu’aux autres on paie en honneur. Ce grand homme, c’est Napoléon, et je ne crois avoir injurié personne, en m’associant à son idée.
Il me reste à répondre à une objection présentée par M. le ministre de la guerre. L’honorable M. Ch. de Brouckere a prétendu combattre l’adoption des économies par la proposition qui vient d’être faire aux Etats-Unis d’augmenter les traitements des fonctionnaires, et il a fait valoir les motifs apportées en leur faveur dans le rapport fait à ce sujet. Je regrette que l’honorable membre ait méconnu le motif principal de cette augmentation, et ce motif, c’est l’état favorable et prospère des finances des Etats-Unis, qui, par la suppression de la dette publique, permet d’augmenter les traitements des fonctionnaires. Or, rien de semblable n’existe en Belgique, puisque, grâce à la conférence, nous sommes lotis d’une dette qui dépasse de beaucoup nos ressources.
Ne croyez pas au reste, messieurs, que nous ne déplorions nous-mêmes les réductions que nous venons vous proposer, et moi-même, je le déclare, si l’état de nos finances s’améliore ainsi que le ministre l’assure, je viendrai le premier à cette tribune réclamer des augmentations. Mais, forcés par la loi suprême, celle de la nécessité, nous nous sommes vus dans la dure alternative, ou bien d’augmenter les impôts, ou bien de diminuer les dépenses ; et, prévoyant bien l’impossibilité d’augmenter d’un quart les contributions existantes, nous avons été contraints de proposer des réductions sur les dépenses, afin d’augmenter le moins possible les impôts qui pèsent sur le peuple.
Messieurs, je crois avoir établi la justification complète de votre section centrale. Vous jugerez entre nous qui avons raisonné d’après les documents officiels fournis à cette chambre, et le ministre, qui s’est constamment lancé dans des hypothèses et a fondé ses calculs sur des données idéales. Vous apprécierez les expressions qui m’ont été prodiguées. Le reproche d’avoir commis une foule d’erreurs, de réticences, de contradictions et de données hasardées et inexactes : je crois que le jugement ne sera pas difficile.
En finissant, je rendrais justice à l’esprit qui a fait supprimer du discours du ministre ces phrases : « Ce n’est pas au rapporteur à venir discréditer nos finances. C’est abuser le peuple que d’exposer mal notre situation financière ; c’est un acte de lèse-nation, etc. » C’est là une amélioration, sans doute, mais ce qui reste m’a mis dans la nécessité de me placer sur le terrain de mes adversaires, et vous conviendrez, messieurs, que je ne l’ai point cherché, et qu’il est bien pénible, pour avoir exprimé la volonté de la chambre, d’être ainsi chargé de toutes les iniquités.
(Moniteur belge n°72, du 12 mars 1832) M. Gendebien et M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) demandent la parole pour des faits personnels.
M. Gendebien. - Messieurs, lorsqu’il s’agit d’argent, la moindre apparence d’équivoque doit être repoussée par un homme d’honneur. Je ne crois pas que l’intention de M. le ministre des finances et de M. le rapporteur de la section centrale ait été d’impliquer en rien le gouvernement provisoire dans une semblable question ; mais, comme il a été nommé, il m’appartient, comme ayant été un de ses membres, de le justifier de tout soupçon. D’abord je dois déclarer qu’à aucune époque le gouvernement provisoire n’a ni directement ni indirectement disposé d’un écu. Dès le 26 septembre au soir, M. Chazal fut nommé intendant-général, et, je dois le dire à l’honneur de M. Chazal qu’on a trop injustement accusé, son compte a été apuré par la cour des comptes ; il s’est trouvé parfaitement en règle et ne lui a valu que des éloges. Du reste, le gouvernement provisoire n’a eu rien de commun avec ce compte et les autres. Il m’a semblé qu’il était de mon devoir de donner cette explication inutile pour les membres de cette chambre, mais nécessaire pour ne laisser aucun doute dans le public.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, nous avons droit de nous étonne de l’extrême susceptibilité de M. le rapporteur de la section centrale. Il n’est pas jusqu’aux mots d’« adversaires du gouvernement, » que j’ai prononcés dans la séance d’hier, qui n’aient été qualifiés par lui de personnalité. Et cependant on sait que c’est une expression en usage. De même que les ministres sont les organes du gouvernement, ceux qui les combattent en sont les adversaires. (Oui ! oui !) Je crois que M. Dumortier éviterait lui-même toute personnalité, quand je l’ai entendu commencer par ces mots : « Je dois témoigner ma reconnaissance à M. le ministre des finances de ce qu’il a fait une sorte d’amende honorable ; et pourtant il prononce les mots de « faiseurs » et de « souffleurs » qui certes passent tout ce qu’on a pu dire contre lui. » Oui, messieurs, nous avons des faiseurs et des souffleurs, mais pour agir selon nos ordres ; mais prétendre que nous ne faisons rien que d’après nos faiseurs, c’est ravaler le ministère au-dessous du dernier des employés.
On s’est élevé contre des employés du ministère, et notamment contre un fonctionnaire dont je dois prendre ici la défense. Puisqu’on l’a nommé, je le dirai, pour le justifier de tout soupçon : Oui, pendant 5 mois que j’ai été au ministère des finances, M. Lion a travaillé avec moi, et je dois même déclarer que sans lui je n’aurais pas accepté le portefeuille des finances ; nous lui devons de grandes lumières sur notre état financier, nous lui devons d’avoir débrouillé les affaires du syndicat. Je dirai plus, pendant tout le temps que j’ai présidé l’administration de l’enregistrement et des domaines, je n’ai jamais trouvé chez lui cette fiscalité dont on l’accuse sans cesse.
M. Dumortier a qualifié d’injures des expressions telles que celles-ci : « Le rapporteur sait-il bien cela ? A-t-il consulté telles lois ? » Je ne sais comment il a pu s’offenser de ces paroles.
On a nié l’exactitude de ce qu’a dit M. le ministre des finances dans son discours, que la commission des crédits provisoires de 1831 n’a pas, comme l’avait prétendu M. le rapporteur, manifesté le vœu de voir supprimer les administrateurs généraux, mais qu’ « elle a discuté s’il ne conviendrait pas de supprimer la place d’administrateur des contributions, vu qu’il y a deux directeurs ; toutefois elle n’a pas fixé son opinion. » Eh bien ! je tiens à la main le rapport de cette commission signé Angillis, d’Elhoungne, etc., et j’y trouve textuellement cette phrase. Ce rapport est de novembre 1831.
Il s’est étonné de ce qu’on lui a fait des interpellations, et qu’on lui ait demandé s’il n’avait pas lu le discours du ministre des finances. En effet, messieurs, ce discours est extrêmement clair. M. le ministre s’y exprime ainsi : « Quoi qu’il en soit, je suis heureux de pouvoir annoncer à la chambre des représentants que la situation de compte relative au quatrième trimestre 1830 ne laisserait rien à désirer sous le rapport de la régularité. » Or, qu’est-ce qu’un compte régulier, si ce n’est un compte appuyé sur des pièces authentiques ? Il n’était pas besoin de faire intervenir ici le gouvernement provisoire ; et, si un honorable membre n’avait pas justifié ici M. Chazal, je l’aurais fait moi-même.
Messieurs, l’honorable rapporteur parle toujours d’injures. Mais il croirait, peut-être, que je l’injurie aussi (et, certes, je n’en ai pas l’intention), si je lui disais qu’il a compulsé les budgets des Pays-Bas sans les comprendre ; et je le prouve. Il a dit qu’il y avait un million pour dépenses imprévues. Eh bien ! tout le budget était en dépenses imprévues ; il était divisé par chapitres, et le roi pouvait transférer une somme d’un chapitre à un autre. Quant au million de dépenses imprévues, il était pour le roi seul qui en faisait ce qu’il voulait.
M. Dumortier demande encore la parole. (Non ! non !)
M. le président. - Mais la discussion ne finira pas alors, car M. Coghen désire aussi parler.
- De toutes parts. - Non ! non ! la clôture.
- La discussion sur l’ensemble des budgets est close, et la discussion générale du budget de la guerre est ouverte.
M. C. Rodenbach. - Nous ne pouvons vouloir qu’on défende le pays sans fournir au ministre de la guerre les moyens de le faire avec honneur. Si les prédécesseurs de M. de Brouckere, avaient demandé, en temps opportun, quelques millions de plus pour l’organisation de l’armée, ils les auraient obtenus, et ils auraient par là préserver le pays de désastres que nous ne cesserons de déplorer. La véritable économie consiste à empêcher l’ennemi de ravager nos frontières. Qu’on évalue les pertes occasionnées par sa présence, seulement dans les Flandres, et qu’on nous dise s’il n’eût pas mieux valu entretenir et organiser une armée que d’indemniser pour les inondations et les incendies. Mais, outre les pertes de la fortune, montant dans les Flandres à près de cinq millions de florins, il en est d’autres encore dont on ne répare pas le dommage avec de l’or. Relève-t-on avec de l’or le moral abattu d’une armée ? L’or peut-il faire naître un ardent patriotisme ? Quand l’honneur d’une nation est compromis dans le sort des batailles, le compenserez-vous par de l’or ? Quand, à défaut d’une armée fortement organisée, le sort de tout un peuple est mis dans la balance, qui nous rendra compte du sang répandu ? La responsabilité ministérielle vient trop tard pour ceux qui succombent.
N’oublions pas, messieurs, que l’ennemi que nous avons à combattre n’est pas un ennemi ordinaire ; par lui le droit des gens est méconnu et les lois de l’humanité sont violées. Du jour au lendemain une horde de soldats, renouvelant, au dix-neuvième siècle, les horreurs du moyen-âge, vient inonder les campagnes, pillant, brûlant et assassinant tout ce qui se trouve sur son passage. Qu’attendre, en effet, d’un gouvernement qui naguère encore soudoyait dans le Luxembourg des bandes de brigands chargés de tout dévaster et de tout détruire ? Opposons, messieurs, une digue à de si dangereuses tentatives. Prêtons de la force au ministère qui soutient la cause de la révolution. Ne refusons pas appui et secours, lorsque le devoir le plus impérieux nous ordonne d’unir nos efforts à ceux qui, maintenant du moins, sont intéressés au maintien de l’indépendance de la patrie. S’il n’est plus temps de revenir sur les honteux traités, défendons la Belgique qui nous reste !
Qu’il me soit permis, messieurs, avant de donner mon vote au budget de la guerre, de signaler une lacune qu’il importe de combler. Je veux parler de l’absence d’une décoration militaire. Il est des gens qui escomptent pour de l’argent ou des places, les services qu’ils rendent à leur pays. Il en est d’autres qui n’ambitionnent qu’une récompense d’honneur. Pourquoi donc le gouvernement, à la veille peut-être de la reprise des hostilités, n’institue-t-il pas un ordre militaire ? Pourquoi néglige-t-il ce moyen facile, économique, de reconnaître les belles actions et d’exciter à la valeur ? Je sais que quelques gens qui se décorent du titre de philosophes témoignent de la répugnance pour les ordres de chevalerie, qu’ils considèrent comme des colifichets, comme des moyens de corruption. Mais, messieurs, ces prétendus philosophes sont parfois des égoïstes qui, lors des moments de danger, s’enferment dans leurs maisons comme dans leurs idées et ignorent qu’il n’y a pas de vraie philosophie là où il n’y a point de patriotisme, de désir de gloire. Je cherche aussi en vain sur la poitrine des héros de septembre quelque souvenir honorable. Voudrait-on faire tomber dans l’oubli des événements qu’on pourrait appeler miraculeux ? Voudrait-on renier notre origine, n’accorder des décorations qu’aux militaires actuellement sous les drapeaux ? Ce serait créer un privilège au détriment des braves de septembre, ces éclatants faits d’armées du parc de Walhem, de Berchem, etc., qui ont signalé une révolution tout extraordinaire, présentent à l’imagination quelque chose de surnaturel que par politique même on devrait chercher à éterniser. Plus les dangers étaient grands alors, plus grande et plus vive doit être la reconnaissance nationale pour les hommes qui ont brisé nos fers.
Il appartient à notre jeune royauté à discerner le mérite, à proclamer à la face de la nation les services rendus à la patrie. Tant que Rome conserva ses vertus, ses enfants les plus illustres n’ambitionnaient qu’une couronne de chêne. Rome déchue eut de l’or et des gouvernements pour récompenser ses créatures. Heureux les peuples dont les chefs n’ambitionnent qu’une couronne de chêne !
M. Barthélemy rappelle quel était le montant de l’impôt sous le gouvernement autrichien, et que la réunion à la France a coûté à la Belgique 20 millions de rentes. Il établit que les dépenses s’élèvent de 31 à 34 millions, et il demande si l’on veut diminuer 2 ou 300 mille florins, en rognant les traitements sur quelques employés.
Mais, ajoute-t-il, ne pourrait-on pas réduire nos dépenses d’une tout autre manière ? Ne pourrions-nous pas nous considérer en état de paix, vu les ratifications de France et d’Angleterre ? Et pourquoi irions-nous faire des frais considérables pour des préparatifs militaires, lorsque nous avons 40,000 Français constamment à nos portes ? (Rire général.) Cela est inutile, messieurs, puisque 40,000 Français et 50,000 Belges valent bien l’armée hollandaise. Je crois donc, d’après cela, que nous pourrions réduire notre armée sur le pied de paix.
M. d’Huart. - Messieurs, s’il est vrai de dire que l’administration de M. le ministre de la guerre ait été entachée de quelques abus, nous devons les attribuer plutôt à l’erreur dont tout homme est susceptible, et aux circonstances difficiles dans lesquelles ce ministre s’est trouvé, qu’à toute autre cause.
Les antécédents de M. Ch. de Brouckere ne datent pas d’hier ; nous l’avons vu combattre avec énergie et désintéressement pour les libertés publiques pendant les dernières années du règne de Guillaume en Belgique ; et, depuis notre régénération politique, n’a-t-il pas, avec dévouement, usé de ses connaissances et de sa prodigieuse activité au profit de pays ? Et n’est-ce pas à lui que nous devons la bonne organisation de notre armée ? A mes yeux, M. le ministre de la guerre offre de précieuses garanties à la nation, et je le crois digne à un haut degré de sa confiance.
Ces paroles ne vous paraîtront pas suspectes dans ma bouche, vous n’avez pas oublié que j’ai moi-même, il y a peu de temps, produit dans cette enceinte de vives plaintes contre ce ministre ; en plus d’une occasion, j’ai prouvé par mes votes que je n’agissais que d’après ma conscience. Il en est encore de même aujourd’hui, et, en vous exprimant ma pensée, je cède au désir de lui rendre justice.
Selon moi, lorsqu’il s’agit d’accorder des subsides au gouvernement, il ne faut pas juger la conduite des ministres par un de leurs actes pris isolément ; il faut les réunir tous et apprécier leur ensemble : voilà comme je me suis formé une opinion à l’égard du ministre de la guerre.
J’accorderai donc mon vote à son budget, sauf à y introduire quelques-unes des modifications qui vous sont proposées par la commission.
Le personnel du ministère me paraît trop nombreux, et je crois qu’il est possible d’obtenir raisonnablement sur ce point une forte économie : cependant le rapport de la commission ne permet pas d’apprécier convenablement la réduction qu’elle propose ; il me semble qu’elle aurait dû fournir quelques développements, et j’attendrai, avant de me prononcer, les explications de M. le rapporteur. Quant au matériel de l’administration centrale, j’adopte la réduction proposée.
A l’égard de la réduction sur la masse d’habillement et d’entretien, je désirerais savoir si elle est consentie par M. le ministre, et dans le cas de l’affirmative, si c’est par erreur qu’il a demandé un cinquième de plus qu’il n’est réellement nécessaire.
Je pense avec la commission que l’allocation demandée à l’article 2 du chapitre 3 pour frais de route et de séjour est exagérée, et je m’en rapporte à sa proposition. Pour ce qui concerne l’article 3 du même chapitre, intitulé « Transports généraux », que l’on vous propose de réduire à 100,000 fl. au lieu de 180,000, j’ai inutilement cherché dans le rapport l’exposé des motifs d’une réduction aussi considérable ; je l’attendrai avant de me prononcer.
Je partage entièrement l’opinion émise par la commission relativement à l’école militaire, ainsi que pour ce qui regarde le haras militaire, à l’exception cependant que, ce dernier existant depuis longtemps, il faudra bien faire face à la dépense qui aura été faite.
Avant l’adoption du budget, je propose d’allouer à cette fin le quart de la somme demandée, c’est-à-dire 5,250 fl. Pour le moment j’adopte les réductions que la commission vous propose de faire subir aux chapitres 6, 7 et 8, sauf à modifier ma résolution si, dans le cours de la discussion, il était démontré que ces réductions fussent trop fortes et susceptibles d’entraver la marche régulière du service. Je dirai, en terminant, relativement au dernier chapitre du budget, que si j’avais pu assister à la séance dans laquelle il a été décidé sur la question de savoir s’il convenait de nommer une commission pour examiner le marché Hambrouck, j’eusse voté affirmativement, parce qu’ayant suivi attentivement dans les journaux les discussions sur cette affaire, et ayant vu que l’on avait produit de part et d’autre, sans preuves à l’appui, des chiffres différents et qui tendaient à faire envisager ce marché sous un point de vue différent, il m’a été impossible de me former à cet égard une opinion précise. Une commission eût découvert la vérité : je regrette vivement qu’elle n’ait pas été nommée.
M. Jamme. - Messieurs, à l’époque actuelle, le budget du ministère de la guerre doit être considéré comme celui des budgets dont la discussion réclame le plus de sagesse et de prudence. D’abord il est un des plus importants sous le rapport des crédits demandés, mais il est surtout le plus important par la nature de ses dépenses et les conséquences fâcheuses qui pourraient résulter du rejet de certains crédits.
Je suis autant que qui que ce soit, messieurs, partisan des économies ; je sens à quel point imminent, elles sont commandées ; mais il faut savoir les faire sans compromettre le salut du pays.
Cependant, à mon avis, les économies proposées par la commission chargée d’examiner le budget du ministère de la guerre pourront se faire sans nuire ni à la force morale, ni à la force matérielle de l’armée. Je pense même qu’il en est encore d’autres, dont je parlerai lors de la discussion, qui peuvent être considérées sous le même point de vue.
Je ne passerai point en revue les réductions proposées ; elles sont connues du ministère, quelques-unes ont même été proposées par lui ; la discussion les soumettra avec méthode à notre délibération.
Les ratifications du traité imposé différent d’arriver : on peut considérer ce retard comme une humiliation de plus que l’on nous impose, et dans ma pensée le temps approche où on essaiera de nous faire consentir à de nouveaux sacrifices.
Je ne manifeste, messieurs, cette opinion, ni par la crainte, ni avec la pensée qu’elle puisse alarmer personne.
Je la manifeste pour que l’on s’attende à l’événement, s’il se présente, et que l’on se prépare à faire preuve de fermeté.
Je suis persuadé que tel seraient les effets que produiraient les nouvelles exigences de la conférence, qu’ils seraient tout opposés à l’hésitation, à la crainte, et qu’ils rallieraient sur un même terrain la majorité, la minorité, le ministère lui-même ; car, il l’a déclaré : et en effet, comment douter de l’accord qui s’établirait entre tous, au moment de défendre l’honneur national trompé, les véritables intérêts du pays ?
Mon opinion, messieurs, sur l’acceptation du traité de Londres n’a jamais varié ; aujourd’hui comme au jour de l’acceptation, je crois encore à notre indépendance, et, eussions-nous refusé le traité, nous eussions toujours été reconnus. Notre indépendance déplaît à certains membres de la conférence, qui consacrent à regret le principe de la révolution en nous constituant ; mais il convient à la politique de tous que la Belgique reste debout. Son avenir est attaché à celui de la France ; je suis persuadé que, dans cet état de choses, une attitude imposante et ferme aura pour résultat de nous épargner quelques nouvelles humiliations.
Les frais de l’armée sur le pied de guerre, si onéreux pour le pays, sont déjà supportés depuis longtemps ; il faut, à l’aide d’une persévérance ferme, éviter d’en perdre les fruits.
Si cet état est onéreux pour le peuple belge, il l’est sans doute davantage pour le peuple hollandais, et sans doute nous ne nous laisserons pas vaincre en patriotisme.
Jusqu’à présent des événements supérieurs à nos prévisions ont maitriser notre destinée. Essayons maintenant de leur commander par notre union, par notre force et par la justice de notre cause.
Je voterai dans le sens de la commission, et je croirai en cela être parfaitement d’accord avec les principes francs et loyaux que je viens de professer.
M. Mary. - Messieurs, dans une de vos précédentes séances, M. le ministre des affaires étrangères a dit que, si le pays était trompé dans son attente, le gouvernement prendrait une détermination digne de lui et de la Belgique. Ces paroles ont été accueillies avec faveur dans cette enceinte, et elles ont eu un long retentissement au-dehors ; mais, pour qu’elles ne soient pas une vaine bravade, il faut une armée capable d’en imposer et, pour constituer une semblable armée, il faut donner au ministre de la guerre les ressources qu’il demande.
L’orateur pense qu’il faut exercer le premier ban de la garde civique, parce qu’il ne suffit pas de l’enthousiasme ; il faut encore l’habitude du maniement des armes. Il ajoute en réponse à ce qu’a dit M. Barthélemy, que l’union de la France et de l’Angleterre peut se rompre par un changement de ministère ; il espère que les affaires de l’Europe seront bientôt terminées à la satisfaction générale, mais jusque-là il veut que l’armée soit mise sur un pied respectable. Il termine ainsi :
A l’occasion de l’acceptation du traité des 24 articles, j’ai entendu prononcer les mots de honte et de déshonneur. Eh bien ! messieurs, je l’a accepté ce traité, et je l’ai fait dans l’intérêt de mon pays et pour le sauver de l’anarchie.
M. Angillis. - Messieurs, je devrais voter peut-être contre le budget dont la discussion est à l’ordre du jour pour deux motifs, et je développerai ces deux motifs en deux minutes. J’espère que cette brièveté plaira à l’assemblée : j’entre en matière.
Je devrais voter contre le budget, en premier lieu, pour le fameux marché Hambrouk. Je sais que la majorité de cette assemblée a décidé que ce marché ne fera pas l’objet de l’examen par une commission, mais je sais aussi que nul pouvoir humain ne peut me forcer à partager sa conviction. L’évidence, messieurs, n’est, comme on sait, qu’une qualité relative, qui peut venir ou du jour sous lequel nous voyons les objets, ou du rapport qu’il a entre eux et nos organes, ou de telle autre cause ; car la raison humaine n’a pas une mesure précise et déterminée : d’où il résulte que ce qui est évident pour l’un est souvent obscur pour l’autre, en sorte que tel degré de lumière suffisant pour convaincre l’un est insuffisant pour un autre dont l’esprit est différemment affecté. Donc, que si la décision de la majorité doit servir de règle pour la minorité, elle ne peut détruire, en aucune manière, la conviction contraire.
En second et dernier lieu, je devrais voter contre le budget, parce que le ministre approuve, défend, et même prend sur lui la responsabilité des inconstitutionnalités commises par l’autorité militaire de la ville de Gand. Malgré tout ce qu’on a dit, messieurs, malgré ce luxe des paroles qu’on a étalé pour défendre une cause dont on s’apercevra, trop tard peut-être, les mauvais effets qu’elle produira, on n’a pas pu porter la conviction dans mon âme : je dois persister dans mon opinion.
Je déclare, sur l’honneur, que je ne connais d’aucune manière aucun de ceux persécuteurs ou victimes dans les affaires de Gand ; mais, défenseur des libertés publiques, j’abhorre également l’arbitraire et l’anarchie. La liberté que je réclame n’est point cette espèce de liberté qui dégénère en licence, mais cette liberté sanctionnée par la constitution et fondée sur les lois du pays. Je suis étranger, comme on sait, à la rédaction et l’adoption de notre nouveau pacte social, mais je le désire conserver intact pour le transmettre à mes enfants, comme un gage de l’union indissoluble entre les souverain et le peuple. Tels sont mes sentiments, telle est ma profession de foi.
Pour ces deux motifs, je devrai voter contre le budget ; mais, messieurs, il faut que je sois conséquent avec moi-même, et vous savez, messieurs, que la conséquence avec soi-même, est chose assez rare. J’ai dit, à la séance du 7 de ce mois, que j’espérais que le gouvernement n’oublierait pas que la chambre, en l’autorisant à traiter sur les 24 articles, a fait, en se soumettant à la plus inexorable des nécessités, le dernier sacrifice au maintien de la paix générale, et qu’il devait s’opposer à toutes modifications au désavantage de la Belgique. Or, messieurs, le seul moyen de conserver nos droits est de maintenir notre armée sur un pied respectable : pour cette raison, je voterai pour.
M. Dewitte. - Notre devise est : Union et force. Eh bien ! messieurs, commençons les premiers à donner l’exemple de l’union. Quant à moi, je déclare que j’ai toute confiance dans la capacité et le patriotisme de M. le ministre de la guerre. Il a mis notre armée sur un pied respectable. Par conséquent, je voterai pour son budget.
- Il est quatre heures, on demande la remise de la discussion à lundi prochain.
M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Avant de voter le budget de la guerre, il est indispensable que nous ayons une connaissance exacte de notre état au-dehors, et je demande que M. le ministre des affaires étrangères nous fasse un rapport sur nos relations extérieures. Un membre a dit tout à l’heure que nous n’aurions pas la guerre. Je ne partage pas son avis, mais c’est une question assez grave pour que M. le ministre nous donne des éclaircissements. Je le demande d’autant plus, qu’il circule des bruits de conditions nouvelles que nous prépare la conférence. Les journaux hollandais en parlent, et ceux de notre pays les ont transcrits littéralement. Il est nécessaire que le ministre des relations extérieures s’explique sur ces points. En conséquence, je demande qu’il nous fasse un rapport au commencement de la séance de lundi prochain. D’ici là, il aura le temps de s’y préparer.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - (Mouvement d’attention.) Un honorable préopinant a rappelé des paroles que j’ai prononcées à une précédente séance. Ces paroles, je les avoue, et je n’en retranche pas une syllabe. Le gouvernement veut désormais l’adhésion de toutes les puissances au traité du 15 novembre. Quant aux bruits dont a parlé M. Gendebien, je déclare qu’ils sont dénués de tout fondement ; je déclare que, jusqu’à ce jour, non seulement le gouvernement n’a pas eu à délibérer sur de nouvelles conditions de la conférence, mais qu’aucune proposition ne lui a été faite de ce chef. J’ajouterai que des informations qu’il a reçues des cabinets de Paris, de Londres et de La Haye même, il résulte que nous sommes à la veille de l’adhésion de toutes les puissances. Ce qui vient encore à l’appui de ce que j’ai dit auparavant et ce qui fortifie ma confiance, c’est le discours du président du conseil de France, et, puisqu’on a parlé de son discours, j’en citerai aussi un passage.
(Ici l’orateur donne lecture de tout le passage du discours de M. Casimir Périer, relatif à la Belgique, où il est dit que le gouvernement français a confiance dans la prochaine ratification des cours du Nord, et que dans tous les cas le traité de novembre est maintenant un fait consommé pour l’Angleterre et pour la France. Après quoi il termine ainsi :)
Je suis bien aise d’avoir trouvé l’occasion de vous donner lecture d’une partie de ce rapport, qui doit dissiper toutes les inquiétudes, rassurer le pays, et prouver à la nation comme à ses représentants que le traité du 15 novembre ne recevra aucunes modifications avant la ratification de toutes les puissances.
M. Gendebien. - Je demanderai, d’abord, à M. le ministre s’en entend borner là son rapport.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) répond affirmativement.
M. Gendebien. - Alors, je dirai quelques mots. Je n’ai pas l’intention de jeter l’alarme dans le pays, mais je dis que ce n’est pas dans les paroles d’un ministre de France que la Belgique doit avoir confiance, mais dans ses forces seules et le patriotisme de ses habitants. La question est de savoir si nous nous laisserons endormir par les paroles tombées de la bouche du chef du ministère français. Or, qu’a-t-il dit, messieurs ? « Nous avons la confiance que les cours du Nord ratifieront bientôt. » Mais comparez ce langage du ministre français avec celui du ministre belge. Il y a quatre mois, lors du traité signé à Paris et à Bruxelles, on vous disait que les ratifications n’étaient qu’une simple formalité ; autrefois, c’étaient les mauvais chemins qui avaient retardé l’échange de ces ratifications ; aujourd’hui, ce sont les convenances et les formes. Je déclare que, jusqu’ici, je n’ai nullement la conviction que les ratifications arrivent, et que nous devons agir en tout point comme si nous nous attendions à la guerre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere).- Il paraîtrait que l’honorable M. Gendebien a mal interprété mes paroles, ou qu’il a mal saisi ma pensée. Il m’avait demandé des explications sur l’état des négociations et sur les bruits publics qui circulaient. J’ai réfuté ces bruits, et j’ai dit quelles étaient les assurances reçues par le gouvernement de la ratification prochaine de toutes les puissances. Mais je n’ai pas tiré de là la conclusion qu’il ne fallait pas mettre notre armée sur un pied respectable. Sous ce rapport, au contraire, je déclare que je suis pleinement de l’avis de M. Gendebien. Dès mon entrée au ministère, j’ai dit qu’il fallait négocier, mais qu’il fallait en même temps constituer une force militaire capable d’assurer notre indépendance. Eh bien ! je pense toujours de même. Il faut armer de plus en plus, et nous mettre en état de dire aux puissances : « Nous pouvons résister à la Hollande. »
- La discussion du budget de la guerre est remise à lundi prochain.
La séance est levée à 4 heures et un quart.