(Moniteur belge n°16, du 16 janvier 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi un quart.
M. Lebègue fait l’appel nominal.
M. le président. - Nous ne sommes pas en nombre ; nous attendrons un instant.
- Après un quart d’heure d’attente, plusieurs représentants entrent dans la salle.
M. Dellafaille lit le procès-verbal, qui est adopté.
M. Lebègue analyse les pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
M. Dams demande un congé de 10 jours pour des affaires indispensables.
- La chambre, consultée, accorde le congé après une double épreuve.
Deux sections, ayant autorisé la lecture de la proposition de M. F. de Mérode, M. Lebègue lit cette proposition ainsi conçue :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Vu la loi du 20 octobre 1831, portant, article unique :
« L’indemnité mensuelle fixée par l’article 52 de la constitution commence à courir, pour les députés élus avant la session, à dater du jour de l’ouverture des chambres, s’ils prêtent serment dans les huit jours qui suivent la vérification de leurs pouvoirs.
« S’ils ne prêtent pas le serment dans ce délai, l’indemnité ne court qu’à dater du jour de la prestation du serment.
« Pour les députés élus pendant la durée d’une session, l’indemnité leur est due à dater de la prestation de leur serment. »
« Considérant que cette loi ne prévoit point le cas d’absence sans congé, et voulant pourvoir à cette lacune ;
« Nous avons ordonné, de commun accord avec les chambres, décrété, et nous ordonnons ce qui suit :
« L’indemnité mensuelle fixée par l’article 52 de la constitution cesse de courir pour les membres absents pendant le temps que dure leur absence sans congé.
« Des listes de présence, signées chaque jour de séance par les membres, serviront à déterminer le temps. »
M. le président. - Quel jour M. F. de Mérode entend-il fixer pour le développement de sa proposition ?
M. F. de Mérode. - Je désirerais être entendu sur-le-champ.
- La chambre accorde la parole à M. de Mérode.
Plusieurs membres. - A la tribune !
M. F. de Mérode (de sa place). - On m’entendra bien d’ici. (Non ! non ! A la tribune !)
- L’honorable membre monte à la tribune, et présente les développements de sa proposition.
(Moniteur belge n°17, du 17 janvier 1832) Messieurs, jeudi dernier, j’ai réclamé contre un abus grave, celui de l’absence de beaucoup de nos collègues qui se donnent à eux-mêmes des congés ou prolongent à leur gré, au-delà du terme fixé par la chambre, les relâches qu’elle juge convenable d’accorder à la généralité de ses membres. J’ai exprimé le regret que la loi régulatrice de l’indemnité déterminée par l’article 52 de la constitution accordât indistinctement cette indemnité aux membres absents comme à ceux qui mettent la plus grande exactitude à remplir leur mandat ; je ne prétendais adresser à la chambre que des observations justifiées par un à-propos de circonstances très favorables à leur développement.
Si je me suis écarté du règlement, j’en demande pardon à la chambre ; mais telle n’a point été mon intention. Hier, j’ai déposé sur le bureau la motion que j’ai eu l’honneur de vous indiquer, et je n’insisterai pas sur les motifs qui doivent vous déterminer, messieurs, à vouloir bien y accorder une attention favorable.
Je chercherai seulement à justifier l’article additionnel, qui fait l’objet de ma proposition, de toute reproche d’inconstitutionnalité, et à prouver, en peu de mots, qu’il est facile et simple dans l’exécution.
L’article 52 de la constitution porte : « Chaque membre de la chambre des représentants jouit d’une indemnité mensuelle de 200 fl. pendant tout la durée de la session ; ceux qui habitent la ville où se tient la session ne jouissent d’aucune indemnité. »
La seconde partie du texte de cet article indique clairement l’intention du législateur : « Ceux qui habitent la ville où se tient la session ne jouissent d’aucune indemnité. » Ce n’est donc point un traitement qui est attribué par la constitution aux membres de la chambre des représentants, mais un simple dédommagement mensuel des frais que leur occasionne l’obligation de vivre hors de leur domicile. Or, messieurs, celui qui demeure chez lui sans y être dûment autorisé par vous ne remplit pas la condition d’absence de son domicile, qui seule lui donne le droit de percevoir le dédommagement ou l’indemnité, très justement attribuée au député soumis à des frais extraordinaires par le déplacement du lieu habituel de sa résidence. Remarquez, messieurs, combien l’article 52, interprété comme donnant un droit absolu de percevoir mensuellement 200 florins au membre qui n’assisterait à nos délibérations que quelques jours pendant chaque session, serait antirationnelle. Un autre membre de la chambre, domicilié à Bruxelles, et très exact à se rendre à vos séances, exerce gratuitement ses fonctions législatives et consacre tout son temps aux intérêts publics, et cependant la loi ne lui accorde aucune rétribution ; son collègue, étranger à la capitale, vaque commodément à ses propres affaires et ne s’occupe de celles de l’Etat que par exception, et il jouira pendant une session de six mois de 1,200 fl., c’est-à-dire de 3,500 francs d’indemnité.
Evidemment, le défaut de présence sans motifs reconnus valables par la chambre, et l’indemnité, impliquent contradiction ; l’article 52 ne peut constitutionnellement exiger une telle anomalie.
Non seulement il ne l’exige point, mais il la réprouve, puisqu’il n’accorde absolument rien aux membres dont la résidence ordinaire est Bruxelles. Or, messieurs, si le député habitant Bruxelles n’a rien à déclarer du trésor en vertu de l’article 52, ce n’est pas, sans doute, parce qu’il est moins utile au pays qu’un de ses collègues habitant Bruges ou Namur, mais parce qu’il est dispensé de tous frais extraordinaires d’établissement et d’entretien.
Or, je le demande, de quelle dépense particulière, résultat de son mandat, pourrait-on indemniser M. l’abbé de Foere, depuis l’ouverture de la session ? Des frais d’un voyage en diligence de Bruges à Bruxelles et retour. Certes ce voyage ne coûte pas 600 florins. Je cite un nom que celui qui le porte honore par sa générosité et le désintéressement de son caractère ; je le cite, parce que M. de Foere m’a déclaré positivement qu’il ne prétendait recevoir aucune rétribution lorsqu’il ne remplissait point ses fonctions législatives, attendu, me disait-il lui-même, que l’indemnité suppose un détriment quelconque souffert par l’indemnisé, et que la simple qualité de représentant n’est point, de sa nature, onéreuse au titulaire. Tout en faisant ici l'éloge du principe que je partage avec mon honorable ami M. l’abbé de Foere, je regrette qu’il n’aperçoive pas l’urgente nécessité de se mettre en droit de percevoir l’indemnité qui lui serait dévolue.
En vain, messieurs, voudrait-on accuser ma proposition d’être contraire à la dignité de la chambre. Elle ne tend pas à punir les membres absents sans congé, par une retenue ; loin de moi une pareille pensée ; mais il s’agit d’être juste, il s’agit de ne point interpréter largement, aux dépens du trésor public, l’article 52 de la constitution.
Lorsque cet article s’interprète si naturellement dans un sens contraire à la magnificence par la fin de son propre texte : « Ceux qui habitent la ville où se tient la session ne jouissent d’aucune indemnité, » peut-être essaiera-t-on de m’opposer la première phrase de l’article, vu qu’elle porte que chaque membre de la chambre jouit d’une indemnité mensuelle de 200 fl. pendant toute la durée de la session. Eh bien ! quel est le sens véritable de ces paroles, combiné avec la fin du même texte, dont il est impossible de les isoler équitablement ? Ce sens, messieurs, est que chaque période d’un mois employé par le représentant aux travaux législatifs, qui l’obligent à abandonner ses foyers, sera indemnisée par 200 fl.
L’explication de ce sens est encore que, pendant toute la durée de la session, fût-elle d’une année entière, la même indemnité appartiendra aux membres qui sont déclarés y avoir droit mensuellement, c’est-à-dire, aux membres non domiciliés dans la capitale, et assujettis aux dépenses qu’ils sont forcés d’y faire extraordinairement, en se rendant au poste où leur mandat les appelle. Ainsi, messieurs, l’adoption de l’article subsidiaire que j’ai l’honneur de vous soumettre, laissera intacte pendant toute la durée de la session, l’indemnité mensuelle du député, qui ne s’absente que dans les termes du règlement, c’est-à-dire avec votre autorisation. Cette adoption remédiera à un abus manifeste et opposé, d’une manière palpable, au véritable sens de l’article 52, qui attribue aux membres de la chambre, non pas un salaire, non pas des appointements mensuels, mais la compensation approximative de ce que chaque mois, passé hors du foyer domestique, exige de dépenses pendant la durée d’une session.
Je me permettrai ici de faire une observation qui se rapporte directement à l’objet qui nous occupe ; il me semble que la chambre ne devrait pas se montrer trop difficile à accorder des congés, lorsqu’elle est certaine que l’absence des membres qui réclament l’autorisation de vaquer temporairement à leurs affaires, n’entravera pas ses délibérations. Si j’ai tant insisté sur la signification vraie du terme indemnité, je suis forcé de reconnaître et je reconnais volontiers que les élus du pays à la chambre des représentants exercent des fonctions gratuites, comme nous admettons nécessairement que les députés envoyés à Paris et à Londres en mission par le congrès ont rempli gratuitement ces missions, bien que les frais de voyage aient été portés au compte de l’Etat.
Or, messieurs, il faut avouer qu’il est dur pour un propriétaire, et plus encore pour un négociant, je dirai même pour un fonctionnaire public, de quitter sa maison, sa famille, tous les avantages qu’on trouve réunis chez soi, et de venir pendant plusieurs mois consécutifs, chaque année, s’établir ailleurs et négliger ses propres intérêts, en se soumettant à un joug quotidien qui ne se laisse pas que d’être très pesant.
Ce fardeau paraît à plusieurs personnes si pénible, qu’elles refusent nettement de s’en charger ; cependant il convient que l’Etat soit représenté par d’honorables citoyens, par des hommes capables et intègres, et non par des intrigants disposés à faire métier de tout. Rendez donc supportables, autant que possible, les fonctions gratuites des membres de cette chambre ; encouragez ceux qui ont le patriotisme de les accepter, en ne resserrant pas trop les chaînes qu’ils consentent à supporter. Il me semble qu’il y aurait prudence et sagesse, de notre part, à donner des congés successifs jusqu’à concurrence du quart des membres qui composent l’assemblée. On les refuse quelquefois avec trop de rigueur, selon moi, à des hommes qui rendent des services essentiels à des villes populeuses.
Lorsqu’un bourgmestre d’Anvers ou de Liége réclame la permission d’y passer quelques jours, jamais, jusqu’ici, je n’ai repoussé sa requête. Il en est de même à l’égard d’un gouverneur de province ; car les électeurs qui nomment, pour les représenter, des hommes auxquels une place importante ne permet point de quitter sans relâche le siège de leur administration, ont consenti d’avance à subir l’inconvénient de ces doubles fonctions. La constitution même a jugé préférable de les autoriser que de les interdire, puisqu’elle admet leur compatibilité. Je crois avoir prouvé, messieurs, que vous pouviez, peut-être que vous deviez, en consultant et l’intérêt et l’esprit de la constitution, admettre les modifications que j’ai proposées à la loi qui règle l’exécution de l’article 52.
Je crois aussi avoir plutôt relevé qu’affaibli la considération due à la chambre dont j’ai l’honneur d’être membre ; il me reste à démontrer, quant au moyen d’application annexé à mon projet, qu’il est aussi simple que facile à réaliser.
Dès les premières séances du congrès, des listes de présence furent déposés dans la salle qui précède celle où vous délibérez. La coutume de signer ces listes, en arrivant, fut généralement suivie ; elle s’est perpétuée dans la chambre à laquelle nous appartenons en ce moment. La signature inscrite sur ces listes donne la preuve irrécusable que tel député paraît tel jour à la séance ; il n’en faut donc pas davantage pour connaître les congés accordés par la chambre, puisqu’ils sont énumérés au procès-verbal. Sans doute, messieurs, la liste de présence ne démontre pas complétement l’assiduité du représentant. S’il arrive tard, il n’obéit point à son mandat comme celui qui répond à l’appel nominal d’ouverture et se rend exactement dans les sections ; mais, du moins, il a droit à l’indemnité mensuelle, parce qu’il en remplit la condition légalement exigible ; il n’est point dans son lieu de résidence habituelle, il est dans la capitale, ne reste pas étranger à ses travaux. Aller plus loin serait entrer dans la loi des amendes infligées aux retardataires. Nous ne sommes ici ni des soldats, ni des écoliers punissables. Cependant, nous ne sommes pas, non plus, des juges à traitement fixe, par mois ou par an, n’importe ; nous n’avons à recevoir qu’une indemnité. Et l’effet cesse nécessairement avec la cause que la motive, conformément au point incontestable de la loi.
Peut-être m’interrogera-t-on sur le fruit que j’espère recueillir de ma proposition, si vous juger convenable de l’adopter. Sera-ce plus de régularité, plus d’activité dans la marche de l’assemblée ? Sera-ce une économie pour le trésor public ? Ce sera, messieurs, décidément l’un ou l’autre. Et les deux résultats sont bons, sans que le premier soit infiniment préférable au second. Si trente ou quarante membres, chaque jour, manquent à vos séances, les finances y trouveront une économie regrettable, sans doute, de 6 ou 8,000 florins par mois ; mais enfin mieux vaut l’économie qu’une dépense inutile, mieux vaut justice que faveur et sinécure. J’ai dit.
(Moniteur belge n°16, du 16 janvier 1832) - Six membres appuyant la proposition, la discussion sur la prise en considération est immédiatement ouverte.
M. Poschet demande la parole. Il déclare que nul, plus que lui, ne blâme la conduite des membres qui arrêtent les délibérations de la chambre par leur négligence ; qu’il est scandalisé, mais qu’il ne peut approuver la proposition de M. F. de Mérode, parce que c’est par l’honneur et non par l’argent qu’il faut stimuler le zèle de MM. les représentants.
- La question de prise en considération est mise aux voix et rejetée.
L’ordre du jour est la discussion sur le projet de loi relatif aux mines.
M. Corbisier, premier orateur inscrit…
M. Osy. - Je désirerais que M. le président envoyât près M. le ministre des affaires étrangères pour l’inviter à se rendre ici, parce que j’ai l’intention de demander des explications sur la ratification du traité de paix qui nous a été imposé par la conférence.
M. Milcamps. - Il me semble que cette proposition est prématurée, car le terme fixé pour la ratification n’expire que le 15. Il faudrait l’ajourner à lundi.
M. Mary. - Je crois qu’il est nécessaire d’accorder au gouvernement tout le temps qu’il jugera convenable.
M. Osy. - C’est ainsi que je l’entends. Quand M. le ministre sera présent, il nous dira s’il peut donner les explications que je demande, à la séance de ce jour, ou s’il juge convenable de le faire plus tard.
- En attendant l’arrivée de M. de Muelenaere, la discussion du projet continue.
M. Pirmez lit un assez long discours, dans lequel il critique vivement la loi de 1810, qu’il trouve injuste autant que défectueuse. Il conclut à l’ajournement, espérant que, d’ici à la session prochaine, le gouvernement aura le temps de concevoir et de présenter une bonne loi sur cet objet.
- Après ce discours, M. de Muelenaere entre dans la salle.
M. Osy a la parole ; il s’exprime ainsi. - Je désire que M. le ministre des affaires étrangères donne à la chambre des informations sur l’article qui s’est trouvé avant-hier dans le Moniteur, relativement à la ratification par l’Autriche et à l’espoir qu’il a que le traité du 15 novembre (les 27 articles) sera ratifié par l’Autriche, la Prusse et la Russie.
Je désire savoir également si la nouvelle que la ratification est remise au 30 de ce mois est officielle.
M. le ministre est invité de donner à la chambre toutes les informations qu’il trouvera convenable sur nos relations diplomatiques.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) annonce à la chambre qu’il est occupé, en ce moment même, à prendre connaissance de toutes les pièces relatives à cette importante affaire, et il croit qu’avant 4 heures il sera à même de présenter un rapport à la chambre, si elle le juge convenable. (Oui ! oui !
- Après cet incident, M. le ministre se retire, et M. Milcamps a la parole sur le projet dont la discussion avait été interrompue un moment.
M. Milcamps. - Messieurs, d’après la proposition du projet de loi, et les motifs qui vous en ont fait ajourner la discussion, je dois présumer que, dans la pensée du gouvernement et des membres de cette chambre, la loi du 21 avril 1810 continue d’être en vigueur dans toutes ses dispositions, et que l’on reconnaît que « toutes contestations relatives à l’existence des concessions, au maintien des droits des concessionnaires à raison du titre qui leur a été conféré, ou qui, sur de nouvelles demandes, leur serait conféré à l’avenir, sont du ressort du pouvoir administratif ; » car évidemment « toutes discussions relatives aux indemnités qui peuvent être dues par les exploitants aux propriétaires des terrains superficiels, les demandes pour voie de fait ou pour dommages quelconques, sont du ressort des tribunaux. »
Si l’on accorde ces points, que, d’ailleurs, je soutiendrais si on les contestait, j’en tire cette conséquence que nous n’aurions pas dû ajourner la discussion du projet de loi qui nous est soumis, et que nous aurions le plus grand tort de persister dans cette mesure.
En effet, si la loi du 21 avril 1810 est obligatoire, la chambre n’a pas le pouvoir, en paralysant l’action du pouvoir exécutif, de suspendre cette loi par voie indirecte ; car on ne peut faire indirectement ce que l’on ne peut pas faire directement.
Or, l’ajournement ne peut, suivant moi, produire d’autre résultat que de paralyser l’action du pouvoir exécutif, d’empêcher ou d’arrêter l’exécution de la loi. C’est ce que je vais démontrer.
L’article 28 de la loi du 21 avril 1810 dispose « qu’il sera statué définitivement sur les demandes en concession par un décret délibéré en conseil d’Etat. »
Notre constitution ayant fait disparaître le conseil d’Etat de nos corps politiques, le gouvernement, pour pouvoir disposer sur les demandes en concession, et conséquent aux principes, vient vous proposer d’investir provisoirement le conseil des ministres des attributions du conseil d’Etat, en ce qui concerne l’exécution de la loi du 21 avril 1810.
Mais quels motifs fondés avons-nous de ne pas accueillir cette proposition ? ou, au moins, de ne pas prendre une mesure qui supplée le conseil d’Etat en cette matière ? Aucun.
La loi du 21 avril 1810 est en vigueur.
La loi est obligatoire pour tous.
Il appartient au pouvoir exécutif d’assurer l’exécution des lois.
Or, que vient demander le gouvernement ? Un moyen d’exécution, un conseil qui l’éclaire dans l’examen des demandes en concession. Lui refuser ce conseil, c’est paralyser l’action du pouvoir exécutif ; c’est mettre ce pouvoir qui doit tenir à ses prérogatives et les conserver, dans la nécessité de se passer de conseil, ou d’en prendre ce qui bon lui semblera. Car je vous prie de remarquer, et je ne crois pas me tromper, que, d’après l’ancienne loi fondamentale, le roi décidait seul, après avoir pris l’avis de son conseil d’Etat.
Je demandais, il n’y a qu’un instant, quels motifs nous avions de ne pas accueillir le projet de loi. Voici ceux que la commission a apportés : qu’il n’y a aucune nécessité d’accorder de nouvelles concessions, dont l’examen peut, sans inconvénient, être remis jusqu’à la révision des lois des 12 juillet 1791 et 21 avril 1810. Mais est-ce à la chambre des représentants à apprécier l’opportunité des demandes en concession ? Lui est-il permis de tenir un pareil langage ? N’est-ce pas établir une confusion de pouvoirs ? Car, enfin, c’est au pouvoir exécutif qu’il appartient de juger du mérite des demandes en concession, de les accorder ou de les refuser.
Quelques honorables orateurs, MM. Fallon et Pirmez, dans une séance précédente, ont appuyé l’ajournement ; ils ont dit : « La loi du 21 avril 1810 porte atteinte à la règle « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous, » surtout en ce qui concerne le minerai qui, ajoutent-ils, en Belgique, se récolte à la surface de la terre et peut être recueilli par le propriétaire. » Mais supposons, quant au minerai, l’objection fondée ; supposons même d’autres objections ; j’y verrai bien un motif de déroger à la loi, mais non celui de suspendre, par voie indirecte, l’exécution de la loi entière, qui porte sur une infinité d’autres objets.
Véritablement, messieurs, par l’ajournement, la chambre suspendrait indirectement la loi, et pour bien du temps. Un honorable membre, M. Leclercq, a dit, et je suis parfaitement de son avis : « Ce n’est pas dans le cours de cette première session, ce n’est pas dans un an, ni peut-être dans deux, que la législation pourra donner à la nation une bonne ou meilleure loi sur les mines. » Eh bien ! il me semble qu’en attendant, la loi du 21 avril 1810 doit, comme toutes les autres lois, être exécutée, ou bien il faut, si elle est mauvaise, l’abolir.
Jusqu’à présent, messieurs, j’ai raisonné dans le sens que la loi du 21 avril 1810 continuait d’être en vigueur dans toutes ses dispositions ; mais ne viendra-t-on pas soutenir que la disposition qui confère au Roi de prononcer sur les demandes en concession est inconciliable avec l’article 93 de la constitution ? Tel n’est point mon avis ; car la loi du 21 avril 1810 n’a pas pour objet des droits privés, de leur nature rigoureux et exigibles, mais des droits privés essentiellement mélangés avec des droits publics, avec l’intérêt de l’Etat. Il faut donc restreindre l’article 93 dans ses limites.
Toutes les fois qu’il ne s’agira que de contestations sur des droits civils, mots opposés aux droits publics, elle seront du ressort des tribunaux.
Mais, lorsqu’il y aura collision ou mélangé des droits civils avec des droits publics, rien n’empêchera qu’une loi établisse une juridiction contentieuse, administrative, coordonnée au système constitutionnel. Et ici, messieurs, j’invoque l’article 94 de la constitution, portant : « Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu’en vertu d’une loi. »
Remarquez la succession de deux expressions : « Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu’en vertu d’une loi. »
Ainsi, la loi peut établir une juridiction contentieuse.
Mais, qu’est-ce qu’une juridiction contentieuse, sinon le pouvoir de celui qui a droit de juger d’après des lois, mais sans qu’il lui soit permis de statuer arbitrairement ? On entend encore, par ce mot, le ressort, l’étendue du lieu où le juge a le pouvoir.
S’agit-il donc d’exploitation de mines, de dessèchement de marais, de construction d’usines, de décision en matière de milice, de contributions, de digues ou polders, rien ne s’opposera à ce qu’on accorde au pouvoir administratif une juridiction contentieuse. Tel doit être le sens et le vœu de l’article 94 de la constitution. L’entendre dans un sens différent, c’est supposer dans ses termes une superfluité de paroles inutiles, une véritable redondance. Quant aux pouvoirs du Roi, voyez la prévoyance du législateur dans l’article 78 de la constitution.
Ici, messieurs, je devrais vous parler des conséquences à résulter d’une juridiction contentieuse à accorder au pouvoir administratif ; je veux parler de l’exécution parée, ou simplement de l’exécution ; mais cette matière m’entraînerait trop loin. J’en ai fait assez pour motiver mon vote contre un nouvel ajournement du projet de loi, et pour justifier la nécessité d’une mesure qui supplée le conseil d’Etat en matière de mines. Sur ce point, je réserve mon vote jusqu’à ce que la discussion soit épuisée.
M. Gendebien. - Il me semble, messieurs, qu’on a anticipé sur la question. Tout ce que vous a dit M. Pirmez est susceptible de discussion, mais ce n’est pas ici le moment. Il ne s’agit maintenant que de savoir si nous discuterons ou non. Or, messieurs, vous ne pouvez ajourner la discussion sans consacrer un déni de justice ; car si vous prononciez cet ajournement, il en résulterait que la loi de 1810 ainsi que tous les droits litigieux relatifs aux mines, qui doivent être renvoyés par le gouvernement devant les tribunaux, demeureront en suspens : et ce serait là un véritable déni de justice. Je pense que cette observation seule suffit pour vous faire sentir la nécessité d’aborder la discussion.
M. Mary. - Je ne pense pas, comme l’honorable préopinant, que nous ne devions d’abord discuter que la question d’ajournement. Ce n’est qu’après avoir examiné le fond que nous saurons s’il est nécessaire d’ajourner ou non.
Passant à la question du fond, l’orateur ne pense pas qu’il soit nécessaire de réviser la loi de 1810, qui paraît bonne et dont personne, depuis quinze ans, n’a demandé le rapport. Il appuie son opinion de diverses observations, et termine en disant que la chambre doit repousser l’ajournement et voter pour le projet du gouvernement, auquel il proposera un amendement lors de la discussion des articles.
M. Barthélemy. - J’ai entendu avec autant de peine que de surprise les blasphèmes d’un préopinant (on rit) contre une des meilleures lois qui soient sorties du corps législatif de France. Je me crois obligé de relever tout ce qu’il y a d’inconvenant, il faut le dire, dans cette sortie. Le législateur de 1810 n’a été que l’écho de celui de 91, et tous les reproches qu’on a adressé à la loi dont il s’agit doivent retomber sur le célèbre Mirabeau, qui détermina le corps législatif à poser les principes contre lesquels on réclame, et cela par un discours qu’il prononça à la séance du 7 mars, et qui fit l’admiration de tous les législateurs.
Dans ce discours, le droit des propriétaires était respecté. Quand ils exploitaient par eux-mêmes et qu’ils faisaient les dépenses pour les travaux, le corps législatif jugea à propos de les maintenir ; mais, quand ils refusaient d’exploiter la mine ou qu’ils ne pouvaient pas le faire par faute de ressources suffisantes, ou bien encore quand, parvenus à une certaine profondeur, ils ne pouvaient aller plus loin, parce qu’ils en étaient empêchés par leurs voisins, on s’est demandé si, dans tous ces cas, il fallait laisser enfouie dans le sol la richesse territoriale : et voilà pourquoi on a décidé que la faculté de concéder les mines serait mise à la disposition de la nation ; voilà ce qui a amené les dispositions de la loi de 1791, confirmées par celle de 1810.
Examinant ensuite la question de savoir comment sera remplacé le conseil d’Etat, l’orateur croit que c’est le conseil des ministres qui est aujourd’hui le conseil d’Etat ; car ce corps n’était qu’un certain nombre de personnes nommées par le roi pour former son conseil. Il s’oppose à l’ajournement, car ce serait arrêter l’exécution de la loi ; et la chambre ne peut le faire, par le motif qu’en supposant même qu’on voulût réviser la loi de 1810, ce ne serait que pour les concessions futures et non pour les anciennes, auxquelles on ne peut toucher. La chambre sentira donc la nécessité de ne pas suspendre la loi et, par conséquent, de repousser l’ajournement.
M. Poschet déclare qu’il adhère complétement à l’opinion de MM. Gendebien et Barthélemy, et qu’il repousse l’ajournement ; mais il annonce qu’il proposera un amendement au projet.
M. Jonet. - Je vous rappellerai, messieurs, que la commission a été nommée à l’occasion de plusieurs amendements qui avaient été proposés. Ce fut en examinant ces divers amendements que la commission fut convaincue de la nécessité d’ajourner la question jusqu’à la révision d’une partie de la loi de 1810 ; car elle contient des dispositions évidemment injustes. D’après le droit naturel, la propriété de la surface emporte la propriété de tout ce qui se trouve enfoui dans la terre, sous quelque forme, de quelque nature et sous quelque dénomination que ce soit.
Ici, l’orateur cite le droit romain, et fait l’historique de la législation sur les mines. Il s’attache à démontrer que la dernière loi sur cette matière (celle du 21 avril 1810) consacre une grave injustice, en dépouillant les propriétaires de la surface du droit de faire des extractions dans leurs terrains jusqu’à la profondeur de cent pieds, que leur accordaient la loi précédente et les anciennes coutumes. Il est donc de toute équité, selon lui, de suspendre la loi de 1810 ; et si la chambre rejetait l’ajournement, il deviendrait nécessaire que la commission fît un second rapport.
M. Nothomb. - Je repousserai également le projet présenté par le gouvernement, et l’ajournement proposé par la commission. Voici en quels termes doit être posée la question : Y a-t-il lieu de suspendre définitivement ou temporairement la loi de 1810 ? Or, ajourner l’exécution de cette loi, c’est accorder aux propriétaires le monopole exclusif d’une branche d’industrie des plus intéressantes ; c’est rendre impossible toute concession nouvelle, et empêcher les produits qui pourraient résulter de ces concessions.
Au fond, je ne répéterai pas toutes les observations que l’on a fait valoir ; mais je vous ferai remarquer qu’il y a dans cette question deux opinions extrêmes qu’il faudrait concilier, entre lesquelles il faudrait, en quelque sorte, amener une transaction. La première de ces opinions défend l’intérêt du propriétaire foncier, et la seconde l’intérêt de l’industrie générale, qui exige qu’une mine soit exploitée, même malgré le propriétaire de la surface. Ceux qui parlent en faveur du propriétaire foncier soutiennent que le droit qu’il a sur le dessus emporte le dessous, et s’étend jusque dans les entrailles de la terre. De cette manière, l’exploitation des mines serait entièrement abandonnée au gré des propriétaires. D’un autre côté, les partisans de l’intérêt général viennent dire que le propriétaire, en acquérant son terrain, ne pouvait compter sur la mine, sur la richesse qui se trouvait au-dessous. En conséquence, le gouvernement, en disposant de cette mine, ne blesse aucunement le droit du propriétaire de la surface, qui ne comptait pas sur le dessous. Voilà deux opinions dont il s’agit.
Maintenant, il me semble que la loi de 1810, contre laquelle se sont élevées tant de réclamations, en accordant trop à l’industrie, a perdu de vue le droit du propriétaire foncier.
Ici, l’orateur cite l’article 3 de la loi de 91, et démontre qu’elle présente plus de garanties pour le propriétaire foncier que celle de 1810, et il pense que cette dernière pourrait être corrigée, en remettant en vigueur la disposition qu’il a citée.
Quant à la seconde question, relative au conseil d’Etat, il ne peut partager l’opinion de M. Barthélemy, qui pense que le conseil des ministres puisse lui être assimilé. Sous l’empire, le conseil d’Etat embrassait tout le contentieux administratif ; or, comment pourrait-on abandonner tout le contentieux administratif aux ministres, déjà chargés de leurs départements ?
Après diverses opérations, l’honorable membre émet le vœu que l’on examine si le conseil d’Etat ne pourrait pas être replacé par des tribunaux administratifs, et s’il n’y a pas lieu de transporter dans la justice administrative une partie des garanties de l’ordre judiciaire. Il désire donc que la question, dans toute sa généralité, soit renvoyée à une commission spéciale, laquelle examinera ces deux points :1° Quelles garanties faut-il accorder au propriétaire foncier ? 2° et comment replacera-t-on le conseil d’Etat ?
M. Gendebien réfute les objections faites en faveur de l’ajournement, et il demande que l’on discute le projet, auquel il proposera un amendement tendant à ce que les questions sur les mines soient déférées à l’une des chambres des cours de Liége ou de Bruxelles. De deux choses l’une, dit-il en terminant : ou l’on ne se plaindra pas des concessions, et alors nous n’avons rien à discuter ; ou bien, s’il y a opposition, l’affaire sera réglée par les cours de Liége ou de Bruxelles. Il n’y a donc aucune difficulté.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere), qui est arrivé depuis quelques minutes, demande la parole. Il monte à la tribune et s’exprime en ces termes. - Messieurs, dans la séance du 19 novembre dernier, j’ai eu l’honneur de vous communiquer le traité du 14 du même mois, par lequel les cinq puissances, représentées à la conférence de Londres, reconnaissent l’indépendance de la Belgique aux conditions déterminées par les 24 articles du 15 octobre, et le Roi que la Belgique a choisi.
Ce traité devait, d’après la disposition finale, être ratifié dans les deux mois, c’est-à-dire, avant l’expiration du 15 janvier. Des circonstances, qui toutefois ne sont pas de nature à mettre en doute les intentions des puissances, ont occasionné un retard.
Le gouvernement hollandais, ayant refusé d’adhérer à la convention du 15 octobre, a adressé, 10 décembre, à la conférence un mémoire très étendu, où il discute chacun des 24 articles. Ce mémoire, que la presse a rendu public, sera joint au présent rapport.
Le gouvernement hollandais offrait ainsi à la conférence l’occasion d’exposer l’ensemble des négociations commencées à Londres depuis le mois de novembre 1830, et de justifier le résultat qu’elles ont amené. Ce travail n’a pu être achevé que le 4 janvier. La note et le mémoire du même jour prendront place parmi les documents politiques les plus remarquables de notre époque.
Ici, M. de Muelenaere donne lecture du mémoire de la conférence et de la note y annexée. Ces documents sont trop longs pour que nous puissions les rapporter en entier aujourd’hui. Nous en avons, au reste, donné l’analyse il y a peu de jours. Après la lecture de ces pièces, il poursuit en ces termes. - Les plénipotentiaires des cinq cours, désirant que la note et le mémoire du 4 janvier pussent être connus de leurs cours respectives, du gouvernement hollandais, et du public européen, avant que la question belge eût trouvé sa solution définitive, se sont réunis le 11 janvier et ont, de commun accord avec le plénipotentiaire belge, prorogé jusqu’au 31 janvier le terme fixé pour la ratification. Cette résolution est consignée dans le protocole n°54, ainsi conçu :
« Les plénipotentiaires d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie s’étant réunis, le plénipotentiaire de S. M. britannique a fait connaître à la conférence que quoique les nouvelles qui lui étaient parvenues des ministres de S.M. près des cours contractantes, au traité du 15 novembre 1831, lui donnassent l’espoir fondé de l’arrivée prochaine des ratifications de ces cours, il lui paraissait cependant désirable, vu les retards qu’on éprouve par la difficulté des communications à cette époque de l’année, de proroger le terme fixé pour l’échange desdites ratifications jusqu’au 31 de ce mois, afin de faciliter aux cours les plus éloignées le moyen de faire l’échange en question simultanément avec les autres cours.
« Les plénipotentiaires d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, ont déclaré que, partageant l’espoir énoncé plus haut par le plénipotentiaire de S. M. britannique, connaissant d’ailleurs tout le prix que mettent leurs cours à la simultanéité de l’échange des ratifications, et se trouvant même chargés d’en exprimer le désir, ils adhéraient pleinement à la proposition de proroger le terme pour ledit échange jusqu’au 31 janvier.
« De son côté, le plénipotentiaire de France a déclaré que, par suite de l’esprit de conciliation qui l’avait dirigé depuis la première réunion de la conférence, il acceptait la proposition de remettre à quinze jours l’époque de l’échange des ratifications du traité du 15 novembre, ne prétendant cependant pas, par cet acte, rien préjuger sur les ordres qu’il pourra recevoir d’ici à l’époque fixée.
« La proposition de l’ajournement du terme pour l’échange des ratifications jusqu’au 31 janvier, ayant été agréée par tous les plénipotentiaires présents, il a été arrêté de la communiquer au plénipotentiaire belge, qui a été introduit, et qui a fait la déclaration ci jointe.
« Signé, Esterhazy, Wessemberg, Talleyrand, Palmerston, Bulow, Lieven. »
« Le soussigné, plénipotentiaire de S. M. le roi des Belges, ayant reçu communication de la part de LL. EE. les plénipotentiaires d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, d’un protocole signé par eux le 11 janvier 1832, et en vertu duquel les cours contractantes au traité du 15 novembre 1831 conviendraient, pour les raisons énoncées dans cet acte, de proroger jusqu’au 31 janvier 1832, l’époque de l’échange des ratifications dudit traité, déclare adhérer, au nom de S. M. le roi des Belges, au contenu de ce protocole, et consentir à ladite prorogation.
« Londres, le 11 janvier 1832.
« Signe, Sylvain Van de Weyer. »
Messieurs, le gouvernement a trouvé dans les motifs du protocole du 11 janvier, dans la brièveté même du nouveau délai, et dans les actes du 4 janvier, des motifs suffisants pour se rassurer entièrement sur l’avenir du pays. Vous partagerez sans doute cette opinion, qui, nous l’espérons, sera justifiée par l’événement.
- On réclame de toutes parts l’impression.
M. le président. - Le rapport de M. le ministre sera imprimé et distribué.
La séance est levée à quatre heures et demie.