(Moniteur belge n°194-195, des 26 et 27 décembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi trois quarts.
M. Jacques fait l’appel nominal, après quoi
M. Dellafaille lit le procès-verbal ; il est adopté.
M. Jacques analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi relatif au transit des sucres.
M. Osy. - Messieurs, je demande à dire un mot sur le paragraphe additionnel proposé par M. Delehaye. Je le combats parce que son adoption ruinerait le commerce d’exportation. Vous avez, en effet, par le premier paragraphe du projet, défendu en principe le transit par les frontières de terre. Maintenant, si vous adoptez l’amendement de M. Delehaye, vous empêcherez les sucres entrés par Ostende ou par Anvers d’être exportés à l’étranger par la même voie ; c’est un préjudice énorme que vous causez au commerce, et je le prouve par un exemple : j’achète une cargaison de sucre au Havre ; je la fais transporter à Anvers, où je la dépose en la faisant déclarer en transit ; je garde mes sucres autant que bon me semble, pour attendre le moment favorable à la vente ; eh bien ! si les sucres viennent à augmenter au Havre, je ne pourrai pas y exporter les miens pour les vendre. On sent tout ce qu’il y a là de préjudiciable au commerce.
M. Delehaye. - Le paragraphe 2, adopté dans la séance de jeudi, répond aux observations faites par l’honorable préopinant. Quant à moi, je n’envisage pas comme transit la transaction commerciale dont parle mon collègue, mais un dépôt à l’entrepôt ; ce mode avait déjà été signalé par M. Serruys, et sur ses observations vous avez, contrairement à l’avis que j’ai eu l’honneur d’émettre, adopté l’explication donnée par M. Destouvelles. Si vous rejetez mon amendement, la fraude pourra renaitre ; car alors les sucres français, importé par Anvers ou Ostende, retourneront en France, par un des bureaux de terre.
M. Serruys. - L’observation faite par M. Osy est parfaitement juste, et c’est précisément ce que j’avais dit avant-hier sur l’amendement de M. Delehaye. Il est bien certain que si vous adoptez cet amendement, le sucre qui arrivera à Anvers du Havre ne pourra pas être réexporté ; ainsi le négociant qui trouverait plus avantageux pour lui d’aller l’y vendre, n’aurait pas cette faculté.
M. Jamme. - Je voudrais que M. Serruys nous dît s’il n’y a pas dans les ports de mer une manière particulière d’entreposer qui n’interdise pas l’exportation, et qui en même temps ne serve pas à la fraude ; et c’est pour cela que nous avons voulu interdire le transit par la frontière de terre.
M. Delehaye. - Le mot « transit » porte avec lui sa définition. On ne peut entendre par là que la faculté de faire passer des marchandises au travers d’un pays. Quand on ne veut pas transiter des marchandises, on peut les entreposer pour les réexporter ensuite.
M. Duvivier. - Il n’est pas douteux que la définition que vient de donner le préopinant ne soit celle du transit ; mais il y en a de trois espèces : d’abord celui qui se fait de l’étranger à l’étranger, en traversant le pays ; en second lieu, celui qui se faisait de houilles belges avant le canal d’Antoing ; ces houilles sortaient par Condé, et après avoir parcouru en France une partie de l’Escaut, elles rentraient en Belgique. Indépendamment de ces deux espèces de transit, il y a encore celle qui a été désignée par M. Serruys, et qui consiste à rétrograder vers le pays d’où la marchandise est venue. Il est important que l’on puisse rétrograder, c’est ce qui a été très bien démontré.
M. Osy. - Si je comprends bien le transit, c’est le commerce d’entrepôt ; il faut qu’un négociant qui a entreposé des marchandises, puisse, en les retirant de l’entrepôt, leur donner la direction qu’il juge la plus convenable, les faire transiter si bon lui semble, on les réexporter s’il lui convient ; or, c’est ce que lui interdirait l’amendement de M. Delehaye. Je concevrais cet amendement si le premier paragraphe n’existait pas, mais quand vous avez déclaré en principe que le transit par terre est interdit, il faut au moins que vous le permettiez par mer. Il nous arrive très souvent, à nous négociants d’Anvers, d’acheter des cargaisons de café au Havre pour les revendre au Havre. Nous le pouvons parce que les capitaux d’Anvers sont plus puissantes que ceux du Havre, et ainsi nous commerçons au préjudice des Français. Si vous nous ôtez cette faculté, nous perdons le peu de commerce qui nous reste, car les Hollandais font aussi ce genre de commerce, et ils le feront ainsi sans concurrence.
M. Dumortier partage l’opinion de MM. Serruys et Osy. Il appuie la suppression de l’amendement de M. Delehaye. Il demande en même temps que l’on rétablisse les bureaux de transit de Hertain et Bruly, comme l’avait proposé la section centrale. Il faut remarquer que le rétablissement de ces bureaux est une justice que l’on doit à la province de Namur et à la ville de Tournay. A l’appui de sa demande, il soutient que dans aucun bureau la fraude n’a été moins active que dans le bureau de Hertain.
M. le président. - Je ne sais pas s’il est permis de revenir sur un amendement qui n’avait pas été appuyé.
M. Dumortier. - Il n’était pas nécessaire qu’il le fût, c’est la section centrale qui l’avait proposé.
M. Delehaye. - Ce n’est que sur les amendements adoptés que l’on peut discuter.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et non numéroté) M. Goethals. - Messieurs, dans la discussion d’avant-hier, la chambre avait écarté d’abord l’amendement que j’avais eu l’honneur de lui présenter pour demander la suppression de sortie de Hertain et de Bruly ; mais, plus éclairée, elle sentit enfin la justesse de mes observations, en adoptant l’amendement de mon honorable collègue M. Destouvelles.
Je vois avec peine rouvrir aujourd’hui une discussion que je croyais décidément fermée par le vote de la chambre dans sa séance d’avant-hier, et je regrette, surtout, de voir de nouveau mettre en question la prospérité du commerce des raffineurs honnêtes et les profits du trésor.
En effet, messieurs, mû par des intentions généreuses, le gouvernement vous propose de permettre le transit des sucres étrangers ; mais, prévoyant en même temps les moyens de fraude que cette mesure peut ouvrir à des spéculations ruineuses à la fois pour le trésor et pour le commerce, il a limité l’exportation à trois bureaux, par terre, sur des points où une surveillance active permet de réprimer les abus.
Que demande-t-on aujourd’hui, messieurs ? L’ouverture d’un deuxième bureau sur la frontière du Hainaut, lorsque déjà on a convenu que la sortie par Quiévrain donnait lieu à beaucoup de fraudes.
On a dit qu’il ne suffisait pas de parler de ces abus, mais qu’il fallait les constater par des procès-verbaux de saisie, et qu’il ne s’en était guère fait dans la direction de Hertain. Je réponds à cela que je connais cette localité, et que c’est précisément parce que la fraude y est si facile, que les douaniers ne parviennent pas à y atteindre les fraudeurs.
Maintenant qu’arrivera-t-il si vous accordez la sortie par ce bureau ? Les sucres arriveront en masse de la Hollande sur Anvers, et seront déclarés en transit pour la France par le bureau de Hertain ; eh bien ! ces sucres seront déchargés de tout droit à la frontière du Hainaut, et passeront de là sur le chemin mitoyen, soi-disant pour entrer en France ; mais comme la France en prohibe entièrement l’entrée sur son territoire, et que ses douaniers sont moins facile sà surprendre que les nôtres, ce sera en définitive en Belgique que ces sucres seront infiltrés sans avoir payé aucun droit ; et ainsi, des spéculateurs hollandais profiteront de notre complaisance, pour s’enrichir au préjudice du trésor et de nos raffineries indigènes.
Voulez-vous vous convaincre, messieurs, de l’importance de ce que j’avance ici ? Remarquez seulement qu’un des considérants de l’arrêté du 25 mars dernier, qui avait sagement fermé tout autre bureau par terre que ceux de Menin, Quiévrain et Henri-Chapelle, dit : « que c’est sur les rapports des gouverneurs de la Flandre occidentale, du Hainaut, d’Anvers, etc., qui rendent compte des fraudes considérables et multipliées qui se commettent à l’exportation des sucres avec décharge des droits, que cette mesure a été prise. » Aussi j’ose prédire au gouvernement qu’il ne tardera pas à s’apercevoir des abus que fera renaître l’ouverture des bureaux de Hertain et de Bruly, qu’il a, selon moi, imprudemment permis pour les sucres du pays, par son arrêté du 9 de ce mois.
Je pourrais en dire davantage, messieurs, pour vous faire maintenir la décision que vous avez prise avant-hier ; mais l’exemple que je viens de vous citer, concernant les sucres qui seront importés de la Hollande, doit suffire pour vous rendre inébranlables.
(Moniteur belge n°194-195, des 26 et 27 décembre 1831) M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, je traiterai la question qui a été soulevée tout à l’heure ; elle est assez compliquée pour qu’en n’en examiner pas deux à la fois.
En vertu du paragraphe premier de la loi, le transit par les frontières de terre est prohibé. Maintenant, il y a deux manières d’envisager la question ; d’abord, sous le rapport du transit par mer ; en second lieu, sous le rapport de l’entrepôt. On a dit que la loi d’entrepôt était la même que celle du transit, et qu’en réglant ce dernier vous portez atteinte à l’autre. C’est une erreur. La loi du 21 mars 1828 règle la manière dont doit être fait l’entrepôt, les droits et les obligations de celui qui entrepose, et les dispositions de cette loi ne permettent pas de confondre entre le transit et l’entrepôt. Pour moi, j’ai toujours considéré les entrepôts établis par la loi, comme des magasins placés en-dehors du pays, destinés aux marchandises étrangères ; comme des îlots qui n’appartiennent ni à la Belgique, ni à personne ; en un mot, comme un territoire neutre, dont tous peuvent user, et qui n’appartient à personne. Une fois les marchandises placées là, elles peuvent en sortir, soit pour transiter, soit pour être exportées, suivant la volonté et la déclaration de ceux à qui elles appartiennent. Vous êtes les maîtres de manipuler vos marchandises à l’entrepôt, de les faire sortir du pays, ou de les vendre aux consommateurs, ou de leur faire parcourir le pays pour en sortir, comme si elles n’y avaient jamais séjourné : voilà comment je conçois l’entrepôt. Vous voyez, messieurs, que les restrictions apportées au transit par le projet n’empêcheront pas nos négociants de se livrer à toutes les spéculations possibles en faisant exporter leurs marchandises ; toutefois, pour qu’il ne puisse y avoir de doute à cet égard, je propose d’ajouter à l’article additionnel les mots suivants : « sauf les cas prévus par la loi du 21 mars 1828. » (Appuyé ! appuyé !)
M. Osy. - J’appuie les observations et les amendements de M. de Brouckere.
M. Jamme l’appuie pareillement.
M. Duvivier. - M. le ministre de la guerre a parfaitement bien défini l’entrepôt. L’entrepôt est un véritable asile donné à la marchandise étrangère pour y recevoir une destination ultérieure. Je reviens à ce qu’a dit M. Dumortier. (Non ! non ! Interruption.)
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Je demande à faire une motion d’ordre. Examinons les questions séparément. La loi est d’un assez grand intérêt pour qu’on n’examine qu’un objet à la fois.
M. Duvivier, nonobstant cette observation, réfute ce qu’a dit M. Dumortier touchant la fraude faite par le bureau de Hertain, et qui, selon lui, aurait été moindre que partout ailleurs. Il lit deux rapports, l’un du contrôleur des douanes, l’autre du gouvernement du Hainaut, desquels il résulte qu’au contraire la fraude a été très active : 50 employés, dit un des rapports, disséminés comme une nuée de corbeaux (on rit) dans un champ, n’ont pu suffire à l’empêcher, et je porte, dit l’orateur, un procès-verbal, à la suite duquel les Cartouches qui commandaient la bande des contrebandiers (nouveau rire) ont été condamnés à deux ans de prison. Par la lecture de cette pièce, je prouverais que 5 douaniers se sont opposés de vive force à 50 contrebandiers, dont les chefs criaient sans cesse : Frappez ferme ! tuez ces brigands-là !
- L’orateur prononce cette dernière partie de son discours d’un ton très animé et qui excite l’hilarité de l’assemblée.
M. Gendebien. - M. le président, peut-on discuter un amendement qui n’a pas été adopté et y en ajouter d’autres ?
M. le président lit l’article 45 du règlement qui résout négativement la question de M. Gendebien.
M. Gendebien. - Tout amendement étranger à l’amendement adopté dans la séance précédente est donc interdit.
M. le président. - L’amendement de M. de Brouckere n’est pas à proprement parler un amendement, ce n’est qu’une explication.
- Quelques voix.- Tout changement est un amendement.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Tout changement est un amendement, sans doute ; mais l’addition que j’ai proposée ne fait en réalité qu’expliquer l’article proposé par M. Delehaye.
M. Gendebien. - C’est précisément pour qu’on ne s’occupe que de cet amendement que j’ai fait mon observation, et pour qu’on ne s’occupe pas d’amendements étrangers.
M. Jullien. - Mais ce n’est pas un amendement étranger à l’amendement de M. Delehaye. (On est d’accord !) On convient que l’amendement de M. de Brouckere peut être discuté ? (Oui ! oui !) Dans ce cas je n’ai rien à dire.
M. Delehaye. - L’amendement de M. de Brouckere n’ajoute rien au mien, et je le considère comme contenu dans le deuxième paragraphe du projet.
M. le président. - Considérera-t-on l’amendement de M. de Brouckere comme un amendement ou comme une explication ?
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Tout espèce de changement est un amendement ; je ne connais ni explications ni ajoute ; d’après le règlement il n’y a que des propositions et des amendements.
M. de Robaulx. - C’est clair.
M. Dumortier répond aux observations de M. Duvivier et persiste à demander le rétablissement des bureaux de Hertain et de Bruly.
M. Leclercq interrompt l’orateur pour demander le rappel au règlement ; il soutient que, d’après l’article 45 du règlement, on ne peut pas discuter l’amendement de M. Dumortier. Les deux derniers paragraphes de cet article, qui veulent qu’un jour s’écoule entre la séance où un amendement aura été proposé et adopté, et celle du vote de la loi, portent : « Dans la seconde (séance) seront soumis à une discussion, et un vote définitif, les amendements adoptés et les articles rejetés. Il en sera de même des nouveaux amendements qui seraient motivés sur cette adoption ou ce rejet. Tous amendements étrangers à ces deux points sont interdits. »
Cette observation, dit l’orateur, est d’une haute importance, parce que le but que se propose le règlement serait totalement manqué si on pouvait faire de nouveaux amendements le jour du vote de la loi. En effet, qu’a voulu le règlement ? Empêcher qu’on n’adoptât avec précipitation un amendement, qui pourrait bouleverser toute l’économie d’une loi. Cet inconvénient se produirait s’il était permis de proposer des amendements au moment du vote, et vous verriez des membres réserver toujours des amendements pour la fin.
M. Dumortier. - Mon amendement se rattache à celui de M. Destouvelles que vous avez adopté avant-hier.
- Plusieurs voix. - La question préalable !
- La question préalable est mise aux voix sur l’amendement de M. Dumortier: pas un seul membre ne se lève contre.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Hilarité générale.) Je prie la chambre d’être bien convaincue que je n’ai pas voulu l’induire en erreur. (C’est bien ! c’est bien !)
- L’amendement de M. le ministre de la guerre est mis aux voix et adopté.
Une discussion s’engage pour savoir si l’adoption de cet amendement ne s’oppose pas à ce qu’on vote aujourd’hui sur l’ensemble.
M. Destouvelles soutient l’affirmative, en se fondant sur l’article 45 du règlement.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) et M. Ch. Vilain XIIII soutiennent le contraire, et ils prouvent leur proposition par la lecture entière de l’article 45.
- La chambre décide qu’elle passera à l’appel nominal.
L’appel nominal est fait par M. Jacques. Il donne pour résultat l’adoption du projet par 79 voix contre 2, qui sont celles de MM. Dumortier et de Sécus.
L’ordre du jour appelle la discussion sur le budget des voies et moyens.
M. Seron. - Messieurs, lorsqu’en France, au commencement de la révolution, on voulut substituer un nouveau système de contributions, on calcula que la dime seule enlevait le cinquième du produit et des propriétés sur lesquelles elle pesait. On considéra qu’outre la dîme, ces mêmes propriétés supportaient encore sous le nom de vingtièmes et de tailles, d’autres impositions communes aux autres biens-fonds que la dîme n’atteignait pas. On conclut que la nouvelle contribution foncière qu’il était question d’établir, pouvait, sans trop gêner les contribuables, s’élever jusqu’au cinquième de leur revenu net ; et, depuis, cette proportion n’a pas été, que je sache, trouvée excessive. Or, suivant un tableau dressé au ministère des finances, et que l’un de mes honorables collègues a bien voulu me confier, les revenus fonciers imposables de toute la Belgique, rétrécie dans les limites que les 18 et les 27 articles lui ont assignées, s’élèvent d’après les résultants du cadastre à la somme de 83,886,825 fl.
Et d’après un projet de loi présenté par M. le ministre des finances, le montant en principal de la contribution foncière de l’année 1832, doit être fixé à 7,278,111 f. ; en ajoutant à cette somme 2 p. c. destinés à former un fonds de non-valeurs ; et 18 p. c. se composant des centièmes du trésor, des centièmes communaux et autres, en tout 20 p. c., ci 1,455,622 fl., on aura un total de 8,733,733, ce qui fait un peu plus que la dixième partie du revenu net imposable.
Si donc le tableau dont je parle était fondé sur des calculs bien exacts, il s’ensuivrait que la Belgique ne paierait en contribution foncière que la moitié environ du maximum fixé pour la France par les lois de l’assemblée constituante. Mais sans doute ces calculs approchent assez de la vérité pour nous convaincre qu’ici les propriétés territoriales sont trop peu imposées. C’est donc un abus profitable aux riches, préjudiciable à la classe moyenne et au trésor, qui a besoin d’argent, de laisser la contribution foncière sur le pied de 1830, ainsi que le veut le projet de loi, au lieu de l’augmenter, comme je l’ai déjà proposé plusieurs fois, et à cet égard, de remettre les choses dans l’état où elles étaient avant notre séparation de la France.
Quant aux autres contributions, M. le ministre des finances nous dit : « Je ne rappellerai pas de nouveau tout ce qui a pu être fait immédiatement pour soulager le contribuable, et pour détruire la partie la plus odieuse des impôts, ce qui a été opéré par le gouvernement provisoire et par le congrès national. » Je sais que le gouvernement provisoire a supprimé l’abattage ; il le fallait bien : le peuple insurgé n’en voulait plus. Mais où sont les améliorations opérées par le congrès ? Véritablement, il a diminué les patentes, qu’on propose maintenant d’augmenter ; il a diminué aussi les centièmes de la contribution personnelle, mais il a laissé intact le mode vicieux de répartition ou de fixation de ces deux impôts.
Quand j’ai attaqué ce mode j’ai prêché dans le désert. Aujourd’hui qu’on en demande le maintien, ce sera en vain qu’à son tour l’honorable membre M. d’Elhoungne l’aurait combattu par des raisons péremptoires ; ainsi le contribuable continuera d’être assujetti à des déclarations immorales, vexatoires et inutiles, de supporter des frais d’expertise qui ne le sont pas moins ; le patentable paiera toujours autant de droits différents qu’il exerce de différentes professions ; sa cotisation sera encore livrée à l’arbitraire d’un contrôleur et d’un directeur intéressés l’un et l’autre à l’augmenter pour élever le montant des rôles, faire preuve de zèle et se rendre recommandables. La taxe des cheminées subsistera, en exceptant celles qui excèdent le nombre de 12 dans la même maison, car ce n’est jamais où est l’argent qu’il faut le chercher. Il en sera de même de la taxe des domestiques et des chevaux. On continuera à assimiler (comme objet de luxe) la servante de cabaret, le garçon de café, le valet d’auberge, le domestique qui donne ses soins à une pauvre infirme, à la femme de chambre et au laquais à livrée du ci-devant seigneur ; et à la monture de ce dernier, la rosse à bardelle du blatier ou du chirurgien du village. Le facteur paiera vingt florins pour le cheval de selle dont il ne peut se passer, tandis que le maître de forge, pour quatorze florins seulement, tiendra deux chevaux de carrosse et même quatre. Sans doute il sera facile de distinguer le nécessaire du superflu, d’exempter l’un de l’impôt et de n’y soumettre que l’autre : par exemple à la taxe en raison des voitures suspendues dont les riches seuls se servent. Mais il faut ménager ces messieurs, et comme on l’a dit souvent, le peuple a bon dos. Enfin, messieurs, inutilement on aura prouvé qu’un impôt de répartition est mille fois préférable à un impôt de quotité tel que notre contribution personnelle ; inutilement on aura fait voir comment cette contribution surcharge les villes et particulièrement les petites villes, et combien elle rapporte peu dans les communes rurales ; inutilement on dira qu’en France un impôt de quotité ressemblant au nôtre a été reconnu injuste, impraticable, et va disparaître après une seule année d’existence ; ici où l’on ne se presse pas, ici après deux ans d’une révolution faite pour détruire les abus, nous subirons encore une contribution qui, si l’on en excepte la mouture, est sans contredit la plus déraisonnable de toutes celles que la fiscalité néerlandaises eût imaginées.
On laissera subsister également le droit de succession dont, par un renversement de tous les principes, on a frappé les immeubles situés à l’étranger et particulièrement en France, lesquels se trouvent ici imposés et par la France et par nous ; comme si ce n’était pas une prétention insensée de vouloir lever des impôts là où ne peuvent s’étendre notre souveraineté, notre juridiction et notre protection. Et ne croyez-pas qu’on ait l’intention de corriger plus tard cet abus. Non ! Un projet récemment sorti des bureaux ministériels annonce au contraire qu’on veut le perpétuer. Il y a plus, on se propose de rétablir le droit de succession en ligne directe à l’abolition duquel tout le monde a applaudi dans le temps. Je ne sais même si l’on ne veut pas rétablir aussi le serment que la loi de décembre 1817 exigerait des parties déclarantes, serment dérisoire, s’il en fut, puisque les agents du fisc ne devaient pas y croire. On a du moins l’air de regretter que cette formalité ait été supprimée, et savez-vous pourquoi ? Parce que depuis l’abolition du serment, les droits de succession rapportent moins. Mais, quelle que soit la cause de leur diminution, ne produisent-ils pas assez ? Si le gouvernement a besoin de beaucoup d’argent, comme il le paraît, ne peut-il chercher d’autres branches de revenus ? Pourquoi n’a-t-il pas encore proposé le rétablissement du droit de 2 p. c. sur les ventes mobilières ? Pourquoi n’a-t-il pas demandé des impositions sur la consommation à l’intérieur des denrées coloniales, qu’on peut atteindre sans faire crier le pauvre ? Chose singulière ! Sous l’ancien gouvernement on réclamait avec instance une taxe sur le café, que le haut commerce hollandais repoussait de toutes ses forces. Aujourd’hui on n’en parle plus : aurions-nous aussi notre haut commerce ?
On nous dit : il faut du temps pour établir avec maturité un nouveau système financier convenable ; la précipitation est dangereuse dans des matières aussi graves. Mais on nous tenait le même langage il y a un an ; on nous faisait des promesses qu’on n’a pas exécutées. Pour moi, je pense que dans l’espace de trois moins on peut, avec de la bonne volonté, changer, si ce n’est en totalité, du moins en grande partie, le système néerlandais qui pèse toujours sur nous, détruire de graves abus, soulager la classe moyenne et laborieuse, et nous mettre sur la voie qui doit conduire à ce but désirable d’atteindre les contribuables de toutes les classes dans la proportion de leurs facultés. Je suis donc prêt à voter le maintien pour trois mois de toutes les impositions existantes, et particulièrement de celles dont la perception ne pourrait être suspendue sans causer un tort irréparable au trésor, je veux parler des accises, des droits d’enregistrement, de timbre, d’hypothèques, de douanes et autres analogues. On a dit et répété à satiété, dans cette enceinte, que ce provisoire nous tue, et c’est du provisoire que je viens proposer ; oui, mais c’est aussi du provisoire que demande le ministre des finances, avec cette différence qu’au lieu que je borne à trois mois la durée du système actuel d’impôts, il entend, lui, la prolonger jusqu’à la fin de l’exercice 1832, c’est-à-dire pendant un an. Au reste, en maintenant les contributions directes telles qu’elles existent jusqu’au 31 mars prochain, la perception pourrait en être faite sur les rôles de 1831.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, l’honorable membre qui descend de la tribune propose de ne voter l’impôt que pour trois mois, se fondant sur le système vicieux de finances qui nous régit. Je sens, comme lui, tout le besoin que nous avons de réviser notre système financier ; mais si vous ne votez le budget des voies et moyens que pour trois mois, dans trois mois nous ne serons pas plus avancés que nous ne le sommes maintenant. Depuis plusieurs mois, mon collègue du ministère des finances s’occupe de cette révision, vous savez qu’il a nommé une commission pour cet objet : cette commission s’en occupe ; mais certainement son travail ne sera pas prêt, dans trois mois, à être mise en exécution. L’honorable membre voudrait qu’on mît un fort impôt sur les denrées coloniales, et il a accusé le haut commerce de s’y être toujours opposé ; certes, je n’ai jamais appartenu au haut commerce, et quand, sous l’ancien gouvernement, il a été question de cet objet, j’ai demandé avec instance un fort impôt sur les denrées coloniales ; mais si aujourd’hui on voulait mettre un impôt sur le café, je m’y opposerais, parce qu’alors nous étions entourés de pays dans lesquels un impôt égal ou supérieur au nôtre frappait cette denrée, tandis que maintenant la Hollande ne prélèvera que peu ou point d’impôt sur le café. Je cite ce point, seulement pour vous prouver combien il y a de difficultés à surmonter quand il s’agit du moindre changement dans un nouveau système d’impôt. Je maintiens que, pour refondre entièrement notre système, non seulement trois mois ne suffiraient pas, mais que ce ne serait pas trop de huit à dix mois.
Quant à l’impôt foncier, le préopinant a trouvé qu’il n’était pas assez élevé, et je le crois comme lui ; mais il se trompe quand il dit que l’assemblée constituante décréta qu’il l’élèverait jusqu’à un taux de 5 p. c. : jamais l’impôt foncier n’a été plus élevé qu’il l’est. L’assemblée constituante pensa que cet impôt pourrait s’élever jusqu’au cinquième du revenu ; mais nulle part, à moins peut-être dans quelques localités, par suite d’une mauvaise répartition, l’impôt n’a été à ce taux. Je ferai remarquer, au reste, qu’aujourd’hui l’impôt foncier s’élève réellement à 12 p. c., à cause des exemptions accordées. Vous savez que les propriétés nouvellement bâties jouissent d’une exemption de huit années, que les propriétés réparées jouissent d’une exemption de quatre ans ; je ne sais pas au juste à combien s’élèvent ces exemptions, mais il en résulte, terme moyen, que l’impôt est porté à 12 p. c.
M. Seron. - Quand j’ai parlé d’impôt sur les denrées coloniales, je n’ai pas entendu un impôt qui entrave le commerce, mais un impôt qui atteignît le consommateur. Quant à la contribution foncière, j’ai raisonné d’après ce qui s’est passé dans mon département, celui des Ardennes : je n’ai pas dit que l’assemblée nationale avait décrété qu’il s’élèverait au cinquième, mais qu’on avait reconnu qu’il pouvait aller jusqu’à ce taux. Si vous calculez le montant des dîmes et de la taille que l’on payait dans ce pays, vous verrez, en effet, que ce taux n’est pas excessif.
M. Pirson. - Le projet de loi aujourd’hui en discussion semble d’abord n’avoir pour objet que la perception des contributions directes et indirectes, à partir du 1er janvier 1832, pour l’exercice de l’année. En effet, il ne peut y avoir interim dans cette perception ; je reconnais avec le ministère et avec la commission centrale qu’il est impossible d’introduire, dès le 1er janvier, un nouveau système de finances. J’admets donc, par nécessité, la continuation de la perception de la contribution foncière pour l’année, mais seulement pour six mois en ce qui concerne la contribution personnelle, patentes et accises. Il faut pour celles-ci limiter un terme ; il n’y a pas d’autre moyen de forcer le ministère à nous présenter un système plus approprié au vœu général. Du reste, j’adhère à tous les amendements de la section centrale.
L’orateur présente ensuite quelques observations sur le budget général. Il revient sur la question qu’il a soulevée précédemment à la chambre, sous la forme d’une motion d’ordre, relativement à la somme de 250,000 florins, si point 500,000, que doit annuellement la banque de Bruxelles à la liste civile. Il expose qu’en vertu de l’article 31 de la loi fondamentale du royaume des Pays-Bas, le roi s’est fait assigner, en propriété, des domaines jusqu’à concurrence de 500,000 florins de revenu, en déduction de 2,400,000 florins de la liste civile ; qu’il a doté de ces biens la banque de Bruxelles, à la condition de lui payer annuellement 500,000 florins, et que la banque ne peut se dispenser d’en verser au trésor de la Belgique, au moins la moitié tous les ans, à partir du 1er janvier 1830. Il ajoute que la banque aura bien pu faire autre chose pour la Belgique, qu’elle aurait pu faire l’avance de 2,800,000, montant du crédit que la chambre a ouvert le 3 de ce mois au ministre de la guerre, en retirant un intérêt juste et raisonnable ; ce qui aurait mis le pays en état de ne pas recourir à un emprunt désastreux. Il termine en demandant à M. le ministre des finances des explications sur ce qui l’a empêché de faire mention au budget des voies et moyens des sommes dues par la banque au trésor public, à compte sur ce que celui-ci doit à la banque de Bruxelles.
M. Mary engage ses collègues à faire abnégation de tout intérêt provincial pour ne songer qu’à l’intérêt commun ; il désire des améliorations autant que personne, mais il ne croit pas que l’on doive se hâter si l’on veut faire quelque chose de stable et d’irréprochable ; il votera pour le projet de loi.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et non numéroté) M. Mary. - Messieurs, l’ordre social présente une vaste association d’individus qui, rassemblées dans un intérêt commun, doivent à l’Etat le secours d’une partie de leurs facultés. Miliciens, gardes civiques, ils aident à la défense de la patrie ; leurs lumières secondent la marche des affaires dans les communes, dans les provinces, dans le gouvernement. Quant aux dépenses de la communauté, elles doivent être supportées par chacun de ses membres ; mais de quelle manière et dans quelles proportions ? C’est en cela que consiste la difficulté. La loi du 12 juillet 1821 a fixé les bases du système d’impôts qui nous régit aujourd’hui, et qui se trouve développé dans le budget des voies et moyens que nous discutons en ce moment. Comme toute contribution, de quelque nature qu’elle soit, a des inconvénients graves et fâcheux, et qu’en définitive, il n’y a de choix qu’entre les moins mauvaises, on n’a pas fait faute d’attaques à la loi de 1821, qui d’ailleurs aurait dû recevoir de nombreuses modifications par celle du 30 juin 1830. Celle-ci qui n’a pas reçu d’exécution établissait, en remplacement de la mouture et de l’abattage, un impôt sur le café et une augmentation des accises perçues sur le sel, les vins étrangers, les boissons distillées à l’intérieur, les bières et vinaigres indigènes, le sucre et la contribution personnelle. Certes, le meilleur système d’impôts serait celui qui laisserait à chacun cette portion de revenu nécessaire pour satisfaire aux besoins de la vie, n’attendrait que le superflu et n’entamerait pas les capitaux. Mais malheureusement il semble impraticable. Il faut donc chercher à diversifier l’impôt, afin d’atteindre tous les contribuables, en raison de leurs facultés. Les impôts sur la consommation, connus sous le nom de douanes et d’accises, lorsqu’ils ne s’attachent pas aux objets de première nécessité, mais bien à ceux dont l’usage semble faire partie de notre superflu, méritent une juste préférence. Lorsqu’ils sont établis avec ménagement et modération, lorsqu’ils n’atteignent l’objet imposable qu’au moment où il va être livré au consommateur, il a même cet avantage que la hauteur des produits donne la mesure de la prospérité nationale : si elle l’élève, il y a accroissement du bien-être public ; si elle s’abaisse, il y a malaise, et le législateur est dès lors prévenu de la diminution des facultés des contribuables, de la nécessité de restreindre les dépenses.
Au surplus, messieurs, nous n’avons ni le temps, ni les renseignements nécessaires pour porter des changements au système d’impôts pour 1832 ; je me bornerai donc à voter leur maintien avec d’autant moins de difficulté qu’ils ne s’élèvent qu’à 31,421,000 fl., tandis que, d’après les comptes de 1827, les provinces méridionales intervenaient dans les recettes de l’Etat pour 43 millions. Il en résulte donc une diminution de près de 12 millions, dégrèvement notable dans nos impôts.
Je m’arrêterai seulement à examiner une question soulevée par votre section centrale, quant à la contribution foncière. Des 2,510 communes dont se compose la Belgique, la moitié ou 1,255 sont cadastrées et expertisées ; en d’autres termes, sur 2,944,298 bonniers, la moitié ou 1,534,041 forment la superficie des communes expertisées. Dans ces dernières communes, la proportion de la contribution foncière en principal de 1830 avec le revenu imposable s’élève à 8 65 p. c. La Flandre orientale (quelques mots illisibles) ex cette proportion de 2 72/100, ainsi la moitié seulement de la proportion de la Flandre orientale. La section centrale propose de dégrever de 5 p. c. la contribution des deux Flandres et rien sur celle d’Anvers : ce serait une nouvelle injustice ; car si on voulait dégrever la Flandre orientale de 5 p. c., les deux autres provinces devraient être dégrevées chacune seulement de 2 1/2 p. c., ce qui ferait pour la Flandre orientale une diminution d’impôts de 84,686 fl. pour la Flandre occidentale de 35,591 fl., et pour Anvers de 18,213 fl. Cette somme totale de 138,490 fl. diminuerait d’autant les ressources de l’Etat, à une époque où nos dépenses excèdent déjà nos recettes.
Nous avons raisonné dans cette hypothèse que la surtaxe qui se trouve dans les communes expertises de ces trois provinces, se reproduit également dans celle qui ne le sont pas ; mais cela n’est pas certain, n’est même pas probable ; en effet, sur 142 communes dont se compose la province d’Anvers, elle ne compte de 30 d’expertisées ; la Flandre occidentale, sur 250 communes, n’en a que 76 d’expertisées ou environ le quart et la Flandre orientale, sur 293 communes, n’en a d’expertisées que 138. Eh bien ! l’on sait que dans ces provinces, les villes et spécialement Gand, Bruges, Ostende sont ménagées et ne paient pas l’impôt foncier dans les proportions que nous venons d’indiquer. Il y a plus, c’est que dans les arrondissements voisins de ces provinces, et je citerai entre autres celui de Tournay, on paie, dit-on, dans la même proportion de 5 à 10 p. c. de la contribution. Il faudra donc, à l’achèvement du cadastre, une nouvelle péréquation, non seulement entre les provinces, mais entre les arrondissements et les communes qui paient aujourd’hui dans des proportions différentes. Si, dans les provinces boisées, l’impôt foncier ne semble pas se payer dans les mêmes rapports que dans les provinces des deux Flandres et d’Anvers, cela provient de ce que l’expertise des bois s’est faite sur le prix moyen des ventes de 1816 à 1826, période pendant laquelle elles se faisaient à des prix fort élevés. En outre, les bois taillis s’aménagent en 12 ou 17 ans, en terme moyen, au bout de quinze ans ; et vous savez, messieurs, que l’argent placé pendant ce temps, à l’intérêt composé de 5 p. c., vient à se doubler : il s’ensuit qu’en payant une contribution de 7 fl. pour un revenu présumé de 100 fl., c’est comme si l’on payait 14 fl., somme qui ne va en décroissant que vers l’époque de la mise en exploitation des bois. En outre, la haute futaie, dont le prix est si variable, entre également dans l’expertise et ne s’exploite souvent qu’au bout d’un siècle. Enfin, les bois ne sont en ce moment presque d’aucun rapport dans les provinces où ils servaient à alimenter les forges, et votre section centrale vous a même dit, lors de la discussion de la loi sur les fers, qu’il y avait en ce moment 800 mille bonniers propres à être exploités, qui ne peuvent l’être faute d’acheteurs. Ce sont les propriétaires des bois qui auraient droit de réclamer un dégrèvement plutôt que ceux des provinces dont le sol, étant destiné à l’agriculture, donne un rapport annuel, certain, immédiat, et qui, cette année encore, a été d’un produit très favorable. Cependant, ils sentent que l’Etat a aujourd’hui de grands besoins à remplir, et vous pouvez assez compter sur leur patriotisme pour ne pas croire qu’au milieu de la crise actuelle ils viennent vous présenter des réclamations en modération d’impôts. Ils le feront d’autant moins que vous devriez agir presque en aveugles, et vous trouver, dès lors, exposés peut-être à ne réparer une injustice que par une autre injustice plus grave. Une péréquation proportionnelle pourra, devra même, s’établir en des temps plus tranquilles, lorsque nous aurons des données certaines, et non pas vagues, lorsqu’enfin des renseignements officiels, aujourd’hui renfermés dans Luxembourg et Maestricht, nous feront connaître les justes rapports de l’impôt foncier dans les provinces de Luxembourg et de Limbourg.
Un honorable préopinant vient de vous proposer d’augmenter l’impôt foncier : je ne puis partager cet avis : quoi que l’on fasse, l’assiette, la répartition de cet impôt seront toujours arbitraires. Il se perçoit par douzièmes, et ainsi à des époques où le cultivateur n’a pas toujours réalisé les produits de son champ. Enfin, il offre un utile recours dans des circonstances urgentes, comme nous en avons eu l’exemple pour les deux emprunts forcés, décrétés dans le cours de cette année.
S’il pouvait exister quelque différence dans le rapport de l’impôt foncier des diverses provinces, on devrait considérer que, dans l’ensemble de tous les impôts, la Flandre orientale n’intervient que pour 6 millions de florins, la Flandre occidentale et Anvers chacun pour 5 millions, tandis que le Brabant paie 9 millions et le Hainaut 5 ; qu’il en résulte donc que dans le Brabant un habitant paie dans les divers impôts, et par an, environ 15 florins, dans la province d’Anvers 10 florins, dans celle de la Flandre orientale 8 florins 50 c., dans celle de la Flandre occidentale, du Hainaut, de Liége et de Namur 8 florins, dans celles du Limbourg 7 florins et du Luxembourg 5 florins.
Faisons abnégation de tout intérêt provincial. Représentants de la nation, ne voyons dans le peuple belge qu’une même famille, dont les enfants doivent bien moins chercher à se décharger de quelque impôt qui n’a rien eu de pesant ni de lourd jusqu’à ce jour, que d’augmenter les ressources dont l’Etat a un pressant besoin pour assurer, pour garantir notre indépendance. Qu’au retour de la paix, nous cherchions à atteindre une meilleure répartition d’impôts qui, quoi qu’on fasse, sera toujours fautive dans quelques-unes de ses parties ; je le désire autant qu’aucun d’entre vous ; mais je regarde cet essai comme dangereux, dans un moment où nous devons former une même chaîne pour résister à l’ennemi commun.
(Moniteur belge n°200, du 1er janvier 1832) M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, je ne fatiguerai pas l’attention de l’assemblée par de bien longues récriminations contre le ministère de nous avoir mis dans l’obligation de voter les subsides avec tant de précipitation. Quatre jours à peine sont laissés, non pas à la chambre des représentants, mais aux deux corps législatifs réunis, pour discuter, amender, et finalement approuver le système d’impôts qui doit pendant toute une année peser sur la nation. Dans cette position délicate, les représentants se voient placés entre deux dangers, dont l’un est de grever les contribuables avec injustice et inégalité, s’ils approuvent ; dont l’autre est de mettre immédiatement le désordre dans toute l’administration, s’ils rejettent. Je regrette donc vivement qu’un laps de temps plus long n’ait pas été donné aux délibérations des chambres, sur la discussion des voies et moyens de l’exercice prochain. Ce temps aurait été utilement employé non pas à fonder un nouveau mode d’impôts, mais à l’examen approfondi des contributions telles qu’on nous les présente aujourd’hui. Car je crois, ainsi que le ministère, ainsi que la section centrale, que le moment n’est pas venu d’asseoir les impositions sur une nouvelle base, aussi longtemps que l’Etat belge n’a pas pris sa position en Europe, que ses limites ne sont pas dessinées, que sa base est en quelque sorte vacillante. Comment créer du définitif là où bien des choses sont provisoires, faire une estimation exacte du foncier là où l’on ignore l’étendue de son territoire, des impôts indirects là où l’on doit encore, en tâtonnant et au jour le jour, grever les produits étrangers ou régnicoles d’après les besoins ou la bonne volonté de nos nombreux voisins. Il était donc de toute obligation comme de toute prudence de continuer provisoirement le système actuel dans son ensemble, et je ne puis qu’approuver cette marche.
Mais, par le peu de temps qu’il nous reste, ce n’est que brièvement qu’il me sera permis de jeter des observations sur des parties de ce système et de suggérer quelques idées sur sa prochaine amélioration. Je m’attacherai surtout à ce qui peut intéresser plus particulièrement les provinces des Flandres, et je placerai en première ligne l’impôt foncier.
Comme député d’une de ces provinces, je ne puis d’abord qu’appuyer de toute ma coopération le dégrèvement de 5 p. c. que propose la section centrale. Les lumières dont cette section a été éclairée l’ont engagée à faire cette proposition, et l’équité dont l’assemblée est animée ne peut manquer de la lui faire accueillir. Mais comme il règne encore quelques doutes sur l’inégalité répartition qui pèse sur les Flandres, je crois utile de mettre entièrement au jour cette grave injustice. Il conste, d’après des notes exactes, que depuis bien des années la province de la Flandre orientale est surtaxée de plus de 400,000 florins. Cette surtaxe n’était pas ignorée du gouvernement hollandais, et il a été plusieurs fois disposé à la répartir plus équitablement. Les travaux du cadastre seuls l’arrêtèrent. Cependant ces mêmes travaux démontraient chaque jour plus évidemment l’inégale répartition ; aujourd’hui plus de 200 communes sont expertisées dans les deux provinces des Flandres, donnant une superficie de 286,221 bonniers, et cette expertise prouve à suffisance la surtaxe que je viens de signaler. Le dégrèvement de 5 p. c. n’est donc que de rigoureuse justice. Je dis plus, ce léger dégrèvement ne doit être envisagé par la représentation que comme le premier retour à un meilleur état de choses, que comme la seule réparation possible pour le moment du sacrifice dont les Flandres, depuis plus de 25 ans, ont senti le fardeau. Cette réparation était due à des provinces qui, dans les derniers temps surtout, ont tant souffert des maux de la guerre, ont vu leurs villages ravagés, la partie la plus féconde de leurs terres, au milieu de la moisson, inondée par les irruptions et les efforts de l’ennemi, et même, dans cet instant, sont encore journellement appauvries par des ruptures de digues et d’écluses. On ne fera donc en cela qu’alléger leurs souffrances au lieu de les terminer, et si je n’insiste pas sur de plus grands soulagements, c’est que j’ai l’espoir bien fondé que la révolution doit insensiblement réparer toutes les injustices, et surtout celles qui pèsent sur plus d’un million de Belges.
Avant d’abandonner la Flandre, permettez, messieurs, à un de ses députés de vous entretenir du lin, ainsi que d’autres vous ont parlé du fer ; le tissage du lin répond dans les Flandres au travail de la clouterie dans les provinces wallonnes : c’est dans la classe la plus pauvre que cette industrie s’exerce, et elle forme le gagne-pain de l’artisan et du petit cultivateur, en cela cependant différente de la préparation des clous, que c’est dans le pays même qu’elle trouve toute la matière première. Il importe donc que cette matière soit au plus bas prix possible et que surtout cette matière, le lin de nos campagnes, ne puisse jamais lui manquer. On est loin maintenant de cet avantage, le lin est très cher et les toiles sont à vil prix. La concurrence étrangère, et les vices de notre législation, en sont les principaux motifs. Il est difficile de combattre la première, mais on peut apporter un prompt remède au second inconvénient. La sortie du lin n’est, dans ce moment, taxé qu’à trois florins par cent kilogrammes ; celle du fil, au contraire, l’est à quatre florins. Qu’arrive-t-il ? C’est que la France et l’Angleterre, trouvant en Belgique le lin le plus beau et le mieux cultivé de toute l’Europe, et en cela tributaire des produits de notre sol, viennent chaque année en enlever la plus grande part, et par des procédés mécaniques, le transformant dans leurs manufactures en tissus divers, le réimportent ensuite en gagnant ainsi tout le prix de la main-d’œuvre. Entre-temps nos pauvres fileuses, qu’un droit de 4 florins par cent kilog. sur le fil travaillé est loin de favoriser, qui doivent du reste acheter le lin en surenchérissant sur le prix offert par l’étranger, ont dû cesser leur utile travail, et tous ces petits ménages de la Flandre, perdant ainsi toute ressource, tombent la plupart dans la mendicité et à charge des communes. Ajoutons que nos tisserands, seconde classe industrielle des campagnes, devant, à l’intérieur, ainsi qu’à l’étranger, lutter contre les tissus de coton ou même ceux fabriqués de nos propres lins, perdent aussi tout le bénéfice de ce beau commerce des toiles, qui faisait jadis la gloire des Flandres. Il est temps qu’un remède soit apporté à ces pertes, et le seul à mes yeux est de doubler à la sortie le droit sur le lin brut, en laissant le droit actuel sur le fil ou même en abolissant ce droit. Cette taxe ainsi doublée n’empêcherait pas les étrangers de fréquenter nos marchés, car ils ne peuvent se passer de nos lins, et permettrait au petit peuple de s’en fournir à meilleur prix. Il ne pourrait également nuire aux cultivateurs, car la plupart de ceux-ci, hormis dans le pays de Waes, étant simultanément producteurs et tisserands, gagneraient d’une part ce que de l’autre ils auraient à souffrir, et cette branche de commerce pourrait ainsi reprendre quelque activité. J’ai cru utile de réveiller l’attention du gouvernement sur cette question ; il ne peut tarder de la résoudre, car elle touche à nos plus chers intérêts, et soit par une loi spéciale, soit par un bon traité de commerce avec la France, cette industrie doit être secourue.
Quoique ne votant ici qu’un mode d’impôt tout passager, outre les éclaircissements que je viens de donner, il ne serait peut-être point superflu d’ajouter quelques réflexions sur d’autres points d’objets imposables. Je crois que le droit de patente, tel qu’on le propose, ne doit plus être diminué. L’industrie a sans doute eu de grandes souffrances à subir, et souffre encore ; mais les Belges de toutes les classes, hormis quelques grands propriétaires, les ont partagées ; il faut donc que l’industrie ait dans les charges une part égale, il faut aussi que le haut commerce n’en soit pas excepté, ou plutôt que les consommateurs des productions qu’il livre au pays en soient atteints. Il faut que, dans le courant de l’année qui va s’ouvrir, le gouvernement songe à frapper d’impôt la consommation du café, du sucre, et peut-être même du tabac. Ce sont là tous objets dont l’usage n’est pas indispensable à l’existence des classes moyennes, et dont l’impôt est facile à percevoir, s’il n’est pas élevé. Il serait étonnant qu’après avoir, sous le régime hollandais, insisté avec tant de force pour l’imposition des denrées coloniales, on trouvât maintenant des difficultés à l’établir. Tout doit le faire désirer, et rien, que je sache, pas même le voisinage de la Hollande, ne peut entièrement s’y opposer.
Rien n’empêche également de maintenir les taxes des domestiques et des chevaux de luxe. Là on frappe la richesse sans gêner la position des contribuables ; mais j’aimerais à voir porter, dans le prochain système, des modifications sur l’impôt du mobilier et des loyers des maisons. Cette loi exige des visites domiciliaires, une espèce d’inquisition de personnes et d’effets dans l’intérieur des ménages, dont la répétition, souvent inévitable, attaque la liberté personnelle, et répugne surtout aux nombreux étrangers qui fréquentent la Belgique avec une sorte de préférence, et que cette loi blesse plus directement.
Et terminant, j’émets le désir de voir le gouvernement profiter du temps que nous lui donnons pour chercher sans relâche les éléments d’impositions libérales et faciles. Déjà il a su détruite ces impôts qui blessaient la morale publique, tels que l’abattage, la loterie et la déclaration sous serment. Il saura aussi repousser ceux qui choquent la liberté des citoyens, tels que les nombreuses visites domiciliaires. La nation a lieu d’attendre ce résultat d’une révolution qui s’est faite en grande partie contre un régime d’impôts excessifs et immoraux, et ici encore son espoir ne peut être déçu.
(Moniteur belge n°194-195, des 26 et 27 décembre 1831) M. Delehaye se plaint de la surtaxe des Flandres ; il votera cependant pour le projet.
M. Helias d’Huddeghem. - Messieurs, je pense aussi qu’il est impossible, pour le commencement de l’exercice 1832, de changer le système qui sert de base au projet de loi sur les voies et moyens. Mais j’espère que vous voudrez bien me permettre quelques observations générales.
D’abord, pour ce qui concerne la contribution foncière, je ne vous répéterai plus ce que j’ai dit, à une autre occasion, et ce que deux honorables collègues, qui siègent parmi nous, ont si éloquemment établi aux états-généraux. Seulement, je dirai que ce n’est pas sur des présomptions qu’est établie la surtaxe des Flandres. Vous savez que le cadastre est achevé pour les deux cinquièmes dans les Flandres. Eh bien ! je tiens en main un mémoire concernant la répartition de l’impôt foncier, entre les différentes provinces du royaume, par un inspecteur du cadastre, conjointement avec plusieurs employés de l’administration générale et des provinces. Ces messieurs établissent, par des calculs sur des opérations déjà faites des communes cadastrées, que la Flandre orientale paie 13 à 14 cents 1/4 par fl. de revenu, tandis que les provinces de Hainaut et de Liége ne paient que 7 c. par fl. de revenu.
L’orateur émet le vœu que cette proportion énorme qui pèse sur les Flandres soit répartie entre les autres provinces, et que l’on fasse une révision générale des lois de l’impôt de l’enregistrement, sous le point de vue de diminuer l’impôt sur le sel, et se prononce contre le mode qui sert de base à la loi des patentes, mode qui entraîne de grands griefs, dont quelques-uns se rattachent particulièrement aux habitants des villes.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et non numéroté) M. Tiecken de Terhove. - Messieurs, dire que notre système financier est mauvais, vicieux, ce serait dire ce que tout le monde sait ; exprimer le désir de le voir changer le plus tôt possible et de le voir établi sur des bases justes et équitables, et qui doivent toutes tendre à soulager cette classe de contribuables qui mérite toute notre sollicitude, c’est un sentiment que tout le monde partage. Tous, nous partageons le regret qu’un nouveau système financier n’ait pu être introduit pour l’année 1832 ; mais nous devons faire la part des circonstances, qui n’ont pas permis à M. le ministre de préparer ce travail, travail important, qui demande la plus mûre réflexion et qui doit être élaboré avec soin et sans précipitation.
C’est avec plaisir que j’apprends de M. le ministre que la commission s’occupe sans relâche des améliorations à apporter aux lois qui régissent la contribution personnelle, le sel, le sucre, les eaux-de-vie indigènes, le transit, les droits de succession et ceux de l’enregistrement ; mais je regrette que M. le ministre ne nous ait pas dit un mot de nos brasseries, qui sous le gouvernement hollandais ont été l’objet de tant d’entraves, de tant de vexations, qu’il semble que son intention était de les détruire entièrement. Cette branche importante de notre industrie mérite d’autant plus de fixer l’attention du gouvernement et des chambres, que la bière, boisson saine et substantielle, fut de tout temps la bière habituelle de nos populations, à laquelle le gouvernement hollandais, sans doute dans l’intérêt du haut commerce, a voulu substituer le café. Autrefois il y avait partout dans nos campagnes, chez tous les fermiers, des brasseries ; presque tous nos cultivateurs faisaient eux-mêmes leur bière, boisson qui entretenait leur force, pour soutenir les rudes travaux auxquels ils doivent se livrer pour l’entretien de leurs familles. Aujourd’hui la plus grandes part de nos brasseries de campagne ont disparu, ou chôment, et le pauvre cultivateur s’est vu forcé de ne boire que du café, boisson d’une substance malsaine et propre à dégénérer la race.
Nos brasseries de campagnes avaient encore cet avantage, qu’ainsi que les distilleries agricoles elles exerçaient la plus utile influence, produisaient les plus heureux résultats sur notre industrie agricole, à laquelle elle est intimement liée. Aujourd’hui que l’intérêt du peuple prévaudra sans doute sur l’intérêt du haut commerce, j’espère que nos brasseries, notre industrie agricole, obtiendront la protection à laquelle elles ont droit ; j’espère que M. le ministre des finances nous présentera, dans l’année 1832, une loi qui, dégageant nos brasseries de toutes les formalités vexatoires qui les entravent, et diminuant considérablement le droit d’accise, leur donnera une nouvelle vie, et mettra le pauvre cultivateur à même de reprendre sa boisson habituelle.
(Moniteur belge n°194-195, des 26 et 27 décembre 1831) M. Pirmez. - M. Helias a pris pour base de la surtaxe de sa province le nombre de bonniers qu’elle contient. C’est prendre une base bien défectueuse. Ce n’est pas par le nombre, mais bien par la qualité qu’il faut juger ; car une province qui ne contiendrait que douze bonniers, tandis qu’une autre en contiendrait mille, pourrait payer le même impôt que cette dernière, sans pour cela être surtaxées.
M. le ministre des finances (M. Coghen) convient que le système des finances est défectueux ; mais si l’on considère les difficultés d’un changement radical de système, on conviendra que le gouvernement a assez fait en nommant une commission qui s’en occupe activement. On se plaint de l’impôt personnel ; la base en est vicieuse, mais telle qu’elle est exécutée aujourd’hui, la loi est plutôt en faveur du peuple que contre lui. Le système des patentes sera amélioré. Il y aurait inconvénient à ne voter le budget des voies et moyens que pour trois ou six mois, parce que dans ce délai il est douteux que le système puisse être changé.
Répondant à l’interpellation de M. Pirson, relativement à la banque, l’orateur dit que si la banque est débitrice du gouvernement, elle a aussi des droits à réclamer ; ce sera l’objet d’un litige que les tribunaux devront vider : en attendant, le conseil de la banque a refusé de payer les sommes qui lui étaient réclamées pour la liste civile et pour le syndicat d’amortissement, parce qu’elle craignait d’être obligée de payer deux fois. Le litige devra être ajournée jusqu’à la liquidation à faire avec la Hollande.
M. Thienpont. - La justice distributive doit essentiellement présider à la répartition de tout impôt ; il faut que tout citoyen supporte sa quote-part dans les charges de l’Etat, dans une juste proportion, à raison ou de ses facultés ou de son industrie. Il est universellement reconnu que, depuis nombre d’années, ces principes ont été violés dans la répartition de la contribution foncière à l’égard de quelques provinces, et surtout à l’égard des deux Flandres ; il en est résulté une surtaxe annuelle, d’après les renseignements fournis par le ministère des finances, pour la Flandre orientale de 401,387 fl., et pour la Flandre occidentale de 176,820 fl. La section centrale, tout en reconnaissant cette violation à l’égard de ces provinces, et, par conséquent, la surtaxe, a cru ne pouvoir, sans s’exposer à remplacer une injustice par une autre, vous proposer une diminution égale à celle que présente le travail de M. le ministre des finances. Elle s’est bornée au cinquième. Je conçois, messieurs, les motifs de la section centrale : j’admets qu’aussi longtemps que les opérations cadastrales ne sont pas achevées, il est impossible de parvenir à une péréquation exacte ; mais j’estime que, sans dépasser la limite au-delà de laquelle il y a surtaxe, on pourrait diminuer l’impôt foncier de 10 p. c., c’est-à-dire à 2/5 de la surcharge réelle que présente le travail ministériel ci-dessus invoqué, sinon dans les deux provinces, au moins dans celle de la Flandre orientale ; c’est là le but, messieurs, de l’amendement que je viens de déposer, et j’ose me flatter, messieurs, d’après les principes de justice et d’équité qui dirigent toutes vos décisions, que vous l’accueillez favorablement.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et non numéroté.) M. Angillis. - Messieurs, de tous les Etats de l’Europe, les Pays-Bas étaient les plus mal gouvernés sous le rapport des finances. On se voyait plongé dans un gouffre de dettes et d’engagements publics, dont les intérêts absorbèrent une grande partie des revenus, et qui, loin de se liquider, s’accroissaient toujours par les emprunts.
La complication de la fiscalité fut telle, que presque personne ne put en débrouiller les fils. Elle avait ses mystères, qui n’était connus que des initiés, les membres du syndicat. Par une longue durée et par l’accroissement de ces abus, il s’était formé dans la nation une nation particulière et privilégiée ; c’était la réunion de tous ceux dont les abus composaient la vie et l’existence. Elle vivait aux dépens de l’autre, et sa coalition inévitable empêchait qu’on ne pût faire aucune réforme utile.
Tous les systèmes financiers que le dernier gouvernement nous a donnés n’ont pu soutenir le poids d’une existence un peu durable. En effet, quel est le fruit heureux et solide de tant d’épineux et sombres travaux, de tant de veilles aussi tristes que laborieuses ? Que nous ont-ils offert jusqu’à présent ? Les plus insipides et les plus ennuyeux recueils de lois, d’instructions et d’interprétations que puisse enfanter l’union d’une patience infatigable et d’un zèle vétilleux.
On tremble à la vue de cet amas confus des lois financières environnées de gloses, de commentaires, d’instructions qui détruisent le peu de bonnes choses, et obscurcissent ce qui est encore compréhensible ; tout cet épouvantable fatras fait une compilation monstrueuse, dans laquelle vont se perdre toutes les combinaisons de l’esprit humain.
De nouvelles lois financières sont donc devenues indispensables ; car le recueil de nos lois de finances ne ressemble pas mal au livre de Sybille, à cela près qu’il contient moins d’oracles. Mais on ne doit pas oublier qu’il faut faire en finances comme en géométrie, chercher la solution des problèmes, et ne croire qu’aux démonstrations. Ce qui convient à notre pays est un système d’impôts qui ménagera l’agriculture et l’industrie, qui respectera, enfin, la liberté du commerce, liberté sagement calculée sur les dispositions de nos voisins ; un système qui, simple et clair, aisément conçu de tous ceux qui paient, déterminera la part qu’ils doivent, rendra facile la connaissance, si nécessaire, de l’emploi des revenus publics, et mettra sous les yeux de tous les Belges le véritable état des finances, jusqu’à présent labyrinthe obscur où l’œil n’a pu suivre la trace des trésors de l’Etat.
Je suis bien aisé que cette nécessité soit reconnue par le gouvernement lui-même ; mais, malheureusement, malgré tout le zèle, dit-on, des membres qui composent la commission nommée ad hoc par le gouvernement, il paraît qu’on n’a pas encore pu répondre aux vœux de la nation et du gouvernement. Car, en cherchant à trouver les meilleures bases pour établir les impôts, il est si facile de s’égarer dans cette route, et si rare en même temps de posséder toutes les connaissances pratiques pour établir ces impôts de manière qu’ils puissent concilier tous les intérêts, et de la totalité des habitants, et du trésor ! La tâche de la commission n’est sans doute pas sans difficulté ; mais enfin, la tâche n’est pas impossible. Tout en renouvelant mes vœux, il faut bien se résoudre à supporter encore, pendant tout une année, un très mauvais système d’impôts : je me soumets à cette dure nécessité, parce qu’il paraît impossible de faire autrement, et je voterais pour le projet, si la contribution foncière n’en faisait pas partie, réservant les nombreuses observations que j’ai à faire sur le système d’impôts qui nous régit encore, pour un temps plus opportun.
La contribution foncière, avec son inégale répartition qui pèse depuis longtemps sur les deux Flandres et sur la province d’Anvers, et qui figure parmi les voies et moyens, me force de voter contre le projet. Je ne voudrais blesser personne, encore moins entraver l’adoption d’une loi qui doit procurer au gouvernement les ressources qui lui sont nécessaires ; mais quand je vois continuer une injustice aussi révoltante que l’inégalité dans la taxe, il m’est impossible de ne pas expliquer ma pensée : le cri de ma conscience, la connaissance de mes devoirs, et mon intime conviction m’empêchent de garder le silence.
Je sens, messieurs, que, quand on veut traiter une matière aussi importante, le premier devoir d’un représentant de la nation doit être de purger son âme de tout préjugé, de toute passion, de toute prédilection géographique ; car la vérité n’est jamais que relative quand elle est subordonnée à nos affections. Ces réflexions sont toujours présentes à ma pensée, et, en réclamant aujourd’hui contre la surtaxe qui pèse depuis longtemps sur trois provinces, je me considère, non comme député d’une de ces provinces, mais comme député de la nation, comme un homme qui n’a jamais souffert sans opposition l’injustice, par plus pour les autres que pour lui-même.
Je défendrai donc la cause de la justice devant les sages qui m’écoutent, et je ne serai pas mécontent de moi-même, si je me rends digne de mon sujet et de mes collègues.
De toutes les impositions qui ont été inventées jusqu’à ce jour, je n’en trouve que deux espèces qui soient établies sur des bases certaines, savoir : la contribution foncière, qui doit être en proportion avec les revenus, lorsqu’elle est répartie avec sagesse ; et les droits d’enregistrement qui seraient en proportion avec la circulation des capitaux, s’ils étaient rendus à leur simplicité primitive.
La contribution foncière a pour principe fondamental l’égalité proportionnelle ; cette égalité, qui devrait être la base de tout impôt, peut, dans la contribution foncière, recevoir une application plus exacte que dans aucune autre, parce que les revenus sur lesquels elle porte sont susceptibles d’une évaluation précise.
La loi qui crée une contribution, répartie par égalité proportionnelle sur toutes les propriétés territoriales, à raison de leur revenu net, est du 1er décembre 1790.
Cette contribution, la plus juste de toutes celles que le génie inventif du fisc ait fait naître, remplace tous les impôts indirects qu’un usage arbitraire variait suivait les localités, et dont l’inégalité rendait, pour ainsi dire, les habitants d’une même contrée étrangers les uns aux autres. Les privilèges furent en même temps abolis, car toutes les propriétés foncières furent soumises à la base ; il n’y eut d’autres exceptions que celles réclamées dans l’intérêt de l’agriculture, et seulement pour un espace de temps qui permettait aux propriétaires qui avaient fait des avances considérables, de les retirer.
Rien de plus juste, rien de plus conforme aux principes éternels de l’équité, que de soumettre la totalité de la surface du royaume à un impôt proportionnel, puisque toutes les propriétés, mêmes les moins productives, sont également protégées par la force publique.
Cependant, cette loi, qui est une des belles conceptions de cette assemblée célèbre, qui fera toujours la gloire de l’éloquence tribunitienne ; cette loi, dis-je, a confirmé cette vérité, souvent perdue de vue par les hommes d’Etat de tous les pays, qu’il y a quelquefois une grande distance de la formation d’un projet à son exécution. On aurait dû commencer par où l’on a fini, c’est-à-dire par l’établissement du cadastre, seul moyen de remplir le but de la loi. En décrétant le principe, on n’avait pas parcouru toutes les conséquences : les municipalités et des commissaires, pris dans chaque village, furent chargés de faire les évaluations et toute l’assiette de la contribution ; dès lors le but de la loi était manqué, puisque la porte restait ouverte à l’arbitraire. Pour remédier à ce grave inconvénient, le législateur décréta, par la loi de 16-28 septembre 1791, la levée d’un plan topographique de chaque commune. Mais l’assemblée constituante, entraînée d’objet en objet autant par son enthousiasme que par l’exaltation de ses idée et le génie brillant de ses orateurs, n’ait eu le temps que de poser les principes généraux, et elle abandonna les détails et l’exécution aux assemblées qui devaient la suivre. Ces assemblées, emportées elles-mêmes par les circonstances, n’ont pas eu non plus la liberté de s’en occuper, et la levée du cadastre demeura ajournée.
Si la levée du cadastre demeura ajournée, il n’en fut pas de même de la contribution foncière : elle resta, malgré les vices qui s’étaient, dès le principe, glissés dans sa répartition ; chaque année, jusqu’à l’époque où la loi du 3 frimaire an VII a été rendue, a vu naître des dispositions législatives, non pour rendre la répartition meilleure, mais seulement pour activer le renouvellement de la contribution. Cette loi du 3 frimaire, qui tend à établir, d’une manière un peu moins embrouillée, les masses imposables par la contribution foncière, renferme ou plutôt rappelle les principes de la répartition ; elle règle de nouveau les exceptions, et détermine le mode de son assiette et de son recouvrement. Cependant, tous les efforts du législateur pour parvenir à une répartition équitable n’ont fait que confirmer la première idée, que, sans le secours du cadastre, point de possibilité pour parvenir à une scrupuleuse égalité proportionnelle.
Et comment en serait-il autrement ? Comment espérer de trouver, dans chaque commune du royaume, des hommes assez éclairés, assez désintéressés, et surtout assez impartiaux pour faire une exacte évaluation du revenu net imposable ?
Le revenu imposable d’une terre, dit la loi, est ce qui reste à son propriétaire, déduction faite, sur la totalité du produit, des frais de culture, semences, récoltes et entretien. Ces déductions sont très inégales, car les frais de culture sont très multipliés, et pour cela peu faciles à évaluer en détail. On ne suit pas partout, ni la même méthode, ni les mêmes procédés. D’un autre côté, les productions ne sont pas toujours égales, ni en qualités, ni en quantités, ni en valeurs. Il est impossible de semer chaque année la même quantité de céréales, de graines oléagineuses, de lins et autres plantes, parce que, dans un pays om l’agriculture est comptée pour quelque chose, on sait que, quelque soin que puisse donner le cultivateur au choix et à la préparation des engrais, il n’obtiendrait pas une bonne récolte, s’il ne laissait pas toujours un intervalle assez long entre la production des mêmes végétaux. De là, nécessité, pour faire l’évaluation du revenu imposable, de calculer sur un nombre d’années déterminé de manière que toutes les terres puissent produire successivement les fruits dont elles sont susceptibles, et que des récoltes abondantes puissent compenser les années malheureuses. On aurait dû sentir que le but de la loi ne pouvait être atteint que par une suite d’opérations très exactes, et successivement vérifiées au moyen de précautions multipliées.
C’est pour avoir négligé ces précautions, c’est pour avoir perdu de vue cette vérité, que les produits des terres ne sont en grande partie que les remboursements des dépenses du cultivateur, c’est le manque de notions préliminaires indispensables, c’est enfin l’absence de données certaines qui ont fait commettre dans le principe de si grandes injustices, et dont les deux Flandres et la province d’Anvers souffrent seules en Belgique.
Indépendamment de ces causes générales, il en existe une toute particulière pour la Flandre occidentale. Quand le gouvernement français voulut introduire la contribution foncière dans la Belgique autrichienne, il s’écarta du principe établi par la loi, pour suivre un système qui lui parut plus expéditif, mais qui fut en même temps souverainement injuste. Au lieu donc de faire au préalable procéder à l’évaluation des masses imposables, pour ensuite déterminer, d’après l’évaluation générale, le contingent de chaque département, il se contenta de prendre pour base de cette première répartition les montant des impositions directes payées par les provinces respectives à l’ancien souverain. Les contributions directes, lorsqu’elles n’étaient pas aggravées par des subsides extraordinaires, étaient très modérées, mais très inégales. Nous avions dans la Flandre des impositions provinciales, connues sous le nom de moyens apurants, et qui consistaient en des droits établis sur les boissons de toute espèce pour faire face aux frais et dettes de la province ; ces contributions étaient d’un produit assez considérable. Dans le tableau que les premières administrations durent dresser des contributions directes payées au gouvernement autrichien, l’administration de la Flandre, composée de personnes étrangères à la province, confondit les contributions directes avec les impositions provinciales, et la Flandre, par cette inexplicable méprise, fut la victime de son inepte administration ; car le contingent fut assigné sur une base aussi fausse, aussi erronée, aussi éloignée de la vérité. L’erreur fut bientôt reconnue, mais elle ne fut point redressée pour cela. De nombreuses réclamations furent présentées par les cantons, les communes et les contribuables : privé du secours du cadastre, on dressa un tableau comparatif avec la taxe imposée à d’autres départements, et, au moyen des relevés exacts des sommiers des revenus des domaines dits nationaux, des baux des biens patrimoniaux, et des baux des biens ecclésiastiques et des églises, passés par les propriétaires dépossédés par le gouvernement de la république, au nom de la liberté, de l’égalité, et surtout, de la fraternité, on parvint à établir la surtaxe, et à faire en l’an VIII un appel à l’égalité proportionnelle. Dans sa réclamation, la province indiqua les départements du Pas-de-Calais, du Nord et de Jemappes, maintenant le Hainaut. Une réunion de plusieurs préfets fut ordonnée à Lille ; la Flandre y fut représentée par feu M. le ministre de Konink ; et là, dans cette réunion, la surtaxe fut reconnue.
Une nouvelle commission fut nommée en l’an X : le travail de cette commission confirma de la manière la plus solennelle la réclamation de la Flandre ; elle proposa un premier dégrèvement provisoire de 157,000 fr. « Sans doute, disait M. Fabre de l’Aube, rapporteur de la commission, le dégrèvement proposé n’est pas d’une haute importance relativement à la surtaxe ; mais la commission désire que, pour ceux qui auront lieu à l’avenir, les observations qu’elle vient de faire soient prises en grande considération. »
Tel fut en substance le rapport de la commission nommée dans le sein de la représentation nationale ; on avait donc tout lieu d’espérer un résultat favorable ; mais le gouvernement français, constamment préoccupé par des obstacles qui l’entouraient de tous côtés, n’a pu donner suite à un objet qui, probablement, n’avait pas à ses yeux la même importance que ses relations étrangères, relations qui absorbèrent toute son attention. Le conseil général du département renouvela, à chacune de ses sessions, le rappel à l’égalité proportionnelle, et ces réclamations n’ont cessé qu’avec la domination française dans la Belgique. A peine le royaume des Pays-Bas fut-il constitué, que le gouvernement s’occupa du cadastre, et dès cette époque il eut connaissance de l’inégalité dans la répartition de la contribution foncière : les lois des 11 février et 28 décembre 1816 en sont la preuve.
Telle est, messieurs, l’analyse historique et de l’origine de la contribution foncière, qui établit pour principe l’égalité proportionnelle et qui ne peut avoir d’autre base, et de la surtaxe qui pèse encore sur trois provinces de la Belgique.
Sous le gouvernement hollandais, les députés des provinces qui profitent depuis trop longtemps de l’injustice qui accable les autres, nièrent la surtaxe ; ils invoquèrent toujours le cadastre contre les réclamations ; mais enfin le cadastre apparut comme un météore brillant au milieu de cette longue contestation, au milieu du conflit entre les provinces : le cadastre exposa au grand jour des abus révoltants, des injustices criantes ; il découvrit dans la Gueldre deux mille bonniers des meilleures terres qui n’avaient jamais rien payer dans la contribution foncière ! Il confirma enfin les réclamations des deux Flandres et de la province d’Anvers.
Le gouvernement hollandais, frappé de tant de preuves, et l’inégalité de la taxe lui ayant été démontrée par tous les moyens qui sont à la portée des connaissances humaines, proposa en avril 1827 une loi de péréquation. Jamais projet ne fut mieux conçu, mieux combiné. Destiné à acquitter la dette de la justice, à revenir vers cette égalité proportionnelle si longtemps méconnue, cette base de toute imposition, ce principe fondamental de la contribution foncière, ce projet rencontra une forte opposition. Le cadastre qu’on avait invoqué autrefois, qu’on mettait en avant contre les réclamations, comme une fin de non-recevoir, fut cette fois critiqué. On débita une longue série d’idées métaphysiques sur les opérations cadastrales, parce qu’on n’avait pas assez approfondi les idées réelles sur cet important travail. On se plongea sans cesse dans les nuages de la théorie, parce qu’on mettait de côté les notions fondamentales de la contribution foncière. Enfin le projet fut adopté ; mais il fut rejeté par les pères de la patrie, par la première chambre. Ce rejet fut considéré dans les provinces lésées comme une calamité publique : l’homme, agité par des pensées profondes, sent à la vue d’une erreur préjudiciable ébranler son imagination ; de sombres réflexions contristent son cœur ; alors, à son tour, il passe lui-même les bornes de la modération, il ne voit que le mauvais côté de la médaille ; il prend pour un intérêt personnel, qui agit toujours en raison inverse du devoir, ce qui dans le fait n’est que le résultat d’une opinion erronée ; d’un fait isolé il conclut au général, et s’imagine que désormais toute justice lui sera refusée. Tel est l’effet que produisit en Flandre le rejet du projet de loi de péréquation. Le projet changé fut reproduit dans le mois de décembre de la même année 1827 ; les mêmes débats recommencèrent ; et finalement il fut rejeté à la majorité d’une seule voix.
Je vous demande pardon, messieurs, de cette petite digression, qui a peut-être un peu fatigué votre attention : cependant cette digression entre dans le fond de la question ; car, comme il s’agit d’une réclamation qui, pour la première fois, se présente dans cette chambre, j’ai pensée qu’il était non seulement permis, mais même indispensable d’entrer dans quelques détails pour mettre la chambre à même d’apprécier à sa juste valeur, et les motifs des réclamations des provinces surtaxées, et les motifs qui on jusqu’à ce jour fait durer l’injustice.
On a argumenté, et on argumente encore, de la richesse des provinces qui réclament contre la surtaxe, et on pense trouver dans cette supposition une fin de non-recevoir. Cette argumentation prouve, messieurs, qu’on oublie toujours le principe de la contribution ; car si cette assertion était aussi vraie qu’elle est inexacte, encore ne serait-elle d’aucune valeur. La contribution foncière n’est pas basée sur la fortune du contribuable, mais uniquement sur le revenu net de sa propriété : elle est donc absolument indépendante des facultés de celui qui la paie. Et quand on demande une somme proportionnelle du revenu net des propriétés territoriales, lorsque l’impôt est bien réparti, on demande la même chose partout. Si deux terrains, d’une égale étendue, situés dans deux provinces différentes, donnent, l’un un revenu net de cent, et l’autre un revenu de cinquante, il est incontestable que la cotisation du premier doit être le double de la cotisation du second.
L’aisance plus ou moins grande du contribuable ne fait donc rien à la chose ; c’est la propriété seule qui est chargée de la contribution. La loi du 1er décembre 1790, et celle du 3 frimaire an VII, portent que « le revenu net d’une terre est ce qui reste à son propriétaire, déduction faite, sur le produit brut, des frais de culture, semences, récoltes et entretien. »
Si donc la propriété produit peu, elle paiera peu ; mais il faut toujours qu’elle paie en proportion de son revenu net. Si elle produit beaucoup, elle paiera également en proportion, quand cette proportion est observée, chacun paie ce qu’il doit payer. Le propriétaire n’est ici qu’un agent qui paie une somme déterminée avec une portion des fruits que donne la propriété. Voilà toute la théorie sur laquelle repose la contribution foncière. C’est donc à tort qu’on argumente toujours de la prétendue richesse des provinces surtaxées ; la seule question à examiner est celle de savoir si l’égalité proportionnelle est observée : cette question, messieurs, n’est pas douteuse ; l’œuvre du cadastre, qui est maintenant assez avancée pour pouvoir raisonner sur des données certaines, sur des preuves mathématiques, démontre à l’évidence que l’inégalité existe. Le gouvernement hollandais, malgré les clameurs de quelques provinces du nord, malgré les intrigues de ces riches propriétaires qui occupent constamment tous les degrés du trône ; ce gouvernement qui aurait peut-être désiré retarder sa décision pour rendre service à ses obséquieux amis, a été forcé, pour ainsi dire, se rendre à l’évidence : il a hautement reconnu que la surtaxe existe. Deux projets de loi ont été par lui présentés pour y remédier ; ces projets ont été soutenus par ses commissaires et défendus avec zèle, bonne foi et talent. Voici la proportion établie par l’ancien gouvernement, d’après les opérations cadastrales : le contingent de la contribution fut calculé à raison de 11 3/4 du cent du revenu net ; les deux Flandres payèrent et paient encore, l’une 16 1/4 et l’autre 15 3/4. J’ai oublié le taux de la province d’Anvers, mais les autres provinces descendaient à 9, 8, et même à 7. Voilà les renseignements authentiques qui ont été fournis, et ces renseignements méritent certainement plus de foi qu’une misérable note de la façon d’un employé qui paraît avoir été distribuée à quelques membres de la chambre.
Je crois déjà avoir dit, messieurs, qu’avant que le cadastre pût établir la surtaxe, il fut constamment invoqué pour faire rejeter les réclamations comme prématurées ; mais quand, par ses nombreuses opérations, il fut à même de prouver que la surtaxe existait réellement sur quelques provinces, alors on changea de langage, on attaqua cet indiscret cadastre qui, malheureusement, prouvait trop ; on critiqua le mode suivi par les opérations cadastrales. A ces attaques, les employés supérieurs du cadastre ont répondu ; et il leur a été très facile de réfuter les objections des adversaires, non pas des opérations cadastres, mais du véritable retour vers la justice.
Puisqu’on parle toujours de la richesse des Flandres, et quoique cette demande soit absolument indépendante de la demande vers cette égalité proportionnelle qui est la base de la contribution foncière, comme je l’ai déjà prouvé, il ne sera pas inopportun de dire un mot sur cette prétendue richesse territoriale. Il existe, messieurs, sur les Flandres, une foule d’informes productions sous tous les titres en usage, mais où l’ignorance la plus complète de la nature du sol, des frais énormes qu’exige la culture des terres, et la conservation d’une immense partie de nos propriétés calamiteuses, se déguise sous un air d’assurance qui n’impose qu’à ceux qui sont étrangers à ces provinces.
Le sol de la Flandre, messieurs, à l’exception d’une petite partie que, par son insalubrité, on peut nommer la Sibérie de Belgique, n’est nulle part productif de sa nature. Sans les soins de l’homme, sans des dépenses énormes, il serait impropre à la végétation. Ce sol renferme peu de moyens nutritifs : l’engrais doit nécessairement suppléer à ce que la nature a refusé à la terre ; de là la nécessité d’un engrais abondant et varié, qui absorbe une forte partie du gain du cultivateur. Les bonnes récoltes qu’on obtient quelquefois ne sont, en grande partie, que la restitution de ces avances considérables, souvent hasardées sans doute, mais toujours indispensables pour obtenir les fruits de la terre. C’est là l’explication de cette espèce de phénomène, la solution de ce singulier problème qu’on observe en Flandre, de rencontrer des cultivateurs peu moyennés au milieu de récoltes abondantes. Sans doute la pauvreté ne se montre pas toujours dans toute sa nudité chez le cultivateur flamand, et pourquoi ? La raison en est fort simple : c’est que la misère regarde souvent à la porte de l’homme laborieux, sans jamais entrer chez lui. Si ceux qui ont eu la prétention d’écrire sur la richesse des Flandres avaient médité cette remarque, ils n’auraient pas confondu l’active industrie qui ne connaît ni le repos, ni les commodités de la vie, pour repousser la pauvreté avec la véritable aisance.
Je dis, messieurs, que l’œuvre du cadastre est indispensable pour parvenir à une scrupuleuse connaissance du revenu net ; cependant la surtaxe, qui pèse sur les deux Flandres est si évidente, si palpable, que, par exception à la règle, on peut la constater sans le secours d’aucune opération cadastrale : pour cela, il suffit de se promener sur la ligne qui sépare le Hainaut, le Brabant, des deux Flandres ; d’y prendre des deux côtés un terrain de la même contenance et de la même qualité ; de s’informer du montant de l’impôt qu’on paie dans chacune des deux provinces, et on aura la preuve d’une différence de huit à quinze au moins.
Je réclame donc pour les deux Flandres, et pour la province d’Anvers, l’égalité proportionnelle dans la répartition de la contribution foncière, cette égalité que la constitution nous a promise, qui est la base de la loi créatrice de l’impôt et le principe fondamental de toute répartition. Ces provinces vous disent, messieurs : Nous partageons largement avec vous toutes les gênes sociales ; nos enfants, comme les vôtres, ont versé leur sang pour l’indépendance nationale ; ils voleront partout où le Roi et la patrie réclameront leur présence ; mais il existe une grande inégalité dans la répartition de la contribution foncière, ce qui fait que les charges publiques sont inégalement supportées. Conservateurs de notre pacte fondamental que vous avez juré de maintenir, vous ne pouvez plus longtemps souffrir la surtaxe, qui est établie, démontrée à l’évidence, prouvée par tous les moyens qui sont à la portée des connaissances humaines : un écart de la justice doit faire l’objet d’une réparation, mais il ne peut jamais, et dans aucune circonstance, être un titre ou un prétexte pour faire durer la cause de cet écart : mettre fin à cet état de choses, qui constitue un privilège en matière d’impôts, privilège incompatible avec le principe de notre association politique, est pour vous, est pour la puissance publique, un devoir de justice.
Oui, messieurs, faire finir cet état de choses est pour vous un devoir de justice, la justice étant la première dette de la nation ; et comme vous représentez la nation, vous devez la justice au Belge le plus humble comme au Belge le plus élevé : vous la devez donc à 1,700,000 habitants qui la réclament, et qui l’auraient obtenue de l’ancien gouvernement, parce qu’il avait reconnu que leurs droits étaient incontestables ; vous ne pouvez donc pas être moins justes que celui que les Belges ont chassé pour ses injustices.
Faire disparaître toutes les inégalités entre les provinces ; prévenir la ruine de tous les petits propriétaires de la Flandre, qui versent au trésor le tiers et même la moitié de leur revenu pour acquitter la contribution foncière ; détruire le germe des divisions que la différence dans la taxe entretient et augmente en raison de sa durée ; dissiper ces (mots illisibles ou incertains) terroirs qui détournent les propriétaires intelligents de toute amélioration dans la culture des terres ; imposer silence, par le redressement des griefs, à toutes les réclamations contre la surtaxe, telle est la mission, tel est le devoir des représentants du peuple belge.
M. le ministre des finances dit, dans son mémoire, que l’absence des archives de l’œuvre cadastral des parties des provinces de Limbourg et de Luxembourg, qui nous resteront, a empêché qu’on ne proposât une nouvelle répartition de la contribution : ceci me paraît une raison purement dilatoire ; car si on avait eu l’intention de procéder à cette répartition, on aurait pu trouver, dans les pièces et mémoires produits aux états-généraux en 1827 à l’appui du projet de loi de péréquation, tous les documents et renseignements nécessaires pour procéder à cette opération. M. le ministre aurait peut-être bien fait de consulter le projet de loi qui a été soumis aux états-généraux et discuté dans le mois d’avril 1827. Un examen approfondi lui aurait donné la conviction qu’il renferme toutes les précautions humainement possibles pour faire annuellement disparaître les défauts, les imperfections et les vices auxquels tous les ouvrages qui sortent des mains des hommes sont susceptibles. Et remarquez-le bien, messieurs, le projet de loi tendait beaucoup plus à grever qu’à dégrever les provinces septentrionales ; et lorsque vous vous souviendrez que la justice du gouvernement hollandais changeait presque toujours avec les latitudes du globe, alors vous conviendrez que la surtaxe lui était si bien démontré qu’il n’a pu se refuser à l’évidence.
On a donc mauvaise grâce de venir dire, cinq années après, et quand le cadastre a dû avancer beaucoup, qu’on manque de données certaines pour présenter une nouvelle répartition. Cette raison, messieurs, je le répète, est une mauvaise raison. On promet de rendre un commencement de justice en 1833 ; mais l’expérience m’a appris de ne faire aucun cas de ces promesses et de ces déclarations, qui coûtent peu et n’engagent à rien.
A la veille d’un ordre stable et durable, d’une paix qui fixera pour longtemps les destinées de notre patrie, une amélioration calme et progressive se fera bientôt partout remarquer dans notre pays ; une vie animée, telle que l’a créée une véritable, une sage liberté, circulera activement dans toutes les parties du royaume ; l’attachement aux institutions commence à pénétrer dans tous les esprits : des plaintes s’élèvent sans doute encore contre des abus de détails, mais ces plaintes inséparables de la condition humaine, inséparables surtout d’un gouvernement représentatif, ne troublent plus ni l’ordre public, ni les espérances générales ; et cependant, messieurs, au milieu de ce grand mouvement vers un ordre de choses dont il était malaisé de prévoir les résultats définitifs qu’il est agréable d’en contempler la marche progressive et les développements graduels, pourquoi, par quelle fatalité, sommes-nous réduits à voir encore cet éternel sujet d’irritation, cette odieuse inégalité dans la taxe ? Mais, comme M. le ministre ne paraît pas avoir le loisir de s’occuper de cet objet, qui peut-être n’est pas assez important à ses yeux, je dirai aux provinces lésées de s’adresser à la chambre, asile de toute justice. La chambre ne reculera pas devant l’examen de telles réclamations ; elle sait qu’il n’y a pas deux espèces de justice, que la justice est la première dette attachée à ses hautes prérogatives et le premier besoin du peuple ; elle sait que chacun doit payer une part proportionnelle dans les charges de l’association politique ; elle fera disparaître l’inégalité dans la taxe, qui est une vexation pour les uns, et un privilège pour les autres. C’est ainsi, messieurs, que vous enchaînerez le cœur de tous les Belges aux institutions qui doivent faire le bonheur de tous, et vous aurez bien mérité de la patrie.
(Moniteur belge n°194-195, des 26 et 27 décembre 1831) M. Helias d’Huddeghem répond à M. Pirmez, et prouve qu’il n’a pas pris pour base le nombre de bonniers de terrain, mais qu’il a eu égard à toutes les circonstances qui peuvent servir à apprécier la surtaxe.
M. Hye-Hoys. - Messieurs, vous savez qu’au moment de voter l’emprunt de dix millions, les représentants des Flandres ont réclamé contre la surtaxe de la contribution foncière qui pèse sur elles depuis si longtemps. M. le ministre des finances a dû convenir alors que cette surcharge était réelle ; mais pour pallier cette injuste répartition, il invoqua les circonstances et l’urgence de l’emprunt. Les Flandres durent se contenter de cette raison, et continuèrent à payer plus que les autres provinces. M. le ministre promit aux représentants des Flandres de réparer l’injustice criante dont ils se plaignaient à si juste titre ; il était entendu que l’impôt foncier serait assis sur d’autres bases, au moins pour l’exercice 1832. C’est sur ces assurances, et dans la ferme persuasion de les voir se changer en réalité, que je votai pour l’emprunt de dix millions.
Aujourd’hui le ministre nous apprend que le temps n’a pas permis de réparer cette injustice, que la commission, chargée de la révision, s’est trouvée arrêtée dans son travail, parce que les archives du Limbourg et du Luxembourg se trouvent dans les capitales de ces provinces, et que ces capitales sont occupées par l’ennemi. Les prétextes ne manqueront jamais pour perpétuer les injustices, auxquelles il est du devoir de la chambre de mettre enfin un terme ; les sections se sont déjà prononcées contre la prolongation de cet état de choses, et, dans son rapport, la section centrale vous a proposé, par forme d’amendement, un article additionnel, ainsi conçu :
« La somme que les Flandres doivent payer, dans la contribution foncière, est diminuée de 5 p. c. ; le montant de cette diminution sera réduit de l’impôt foncier de la Belgique, et l’article 2 corrigé dans ce sens. »
En adoptant cette proposition, la chambre assurément fera acte de justice, et les Flandres lui sauront gré d’avoir enfin apporté remède à l’iniquité dont elles se plaignaient ; cependant l’injustice ne sera pas encore réparée, et la réduction proposée n’est pas en proportion avec la surtaxe de ces provinces ; pour la Flandre orientale surtout, la surtaxe est de plus de 20 p. c. Ne lui accorder que 5 p. c. de diminution, c’est encore conserver une criante inégalité. Je crois donc qu’il faudrait au moins porter provisoirement cette diminution à 10 p. c., et qu’il importe de veiller à ce que l’impôt foncier soit au plus tôt assis sur des bases uniformes et équitables.
- La suite de la discussion est renvoyée à lundi.
M. Dumortier. - Puisque MM. les ministres sont présents, je désirerais qu’ils voulussent bien nous dire si leur intention est de nous présenter des projets de crédits provisoires.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Plusieurs députés manifestent le désir de nous voir proposer de nouveaux crédits provisoires ; mais je ferai observer à la chambre que ces projets donneront lieu à de longues discussions qui dureront au moins 15 jours, et qui n’amèneraient rien de décisif.D’un autre côté, nous avons fait ce que nous devions, en présentant nos budgets, et la chambre doit considérer qu’il n’est pas besoin de les voter avant la fin de janvier.
M. Gendebien. - Il est vraiment dérisoire que les ministres viennent s’excuser en accusant la chambre. Depuis trois mois, nous attendions sans cesse le budget ; le ministre de la guerre seul a présenté le sien en temps utile. Celui du département de l’intérieur nous a été distribuée il y a quatre jours seulement. Certes, ce n’est pas au ministre de ce département qu’il convient de nous accuser pour sa justification.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je n’ai entendu aucunement accuser la chambre. Mais je répète que, les budgets étant établis, la chambre pourrait les discuter avant la fin de janvier, si elle veut avoir quelque chose de définitif.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, il y a surtout deux choses urgentes, ce sont les crédits de la guerre, parce qu’il faut payer l’armée jour par jour, et le budget des voies et moyens, parce qu’il ne faut pas arrêter la perception de l’impôt. Le contingent de l’armée est encore très pressant, mais à cet égard, il n’y a aucunement de ma faute ; j’avais demandé une quinzaine pour présenter mon budget, et je me suis mis en mesure dans ces quinze jours : cependant, je serai obligé de demander un bill d’indemnité à la chambre pour le contingent de l’armée ; mais, je le répète, il n’y a aucunement de ma faute.
- La séance est levée à 4 heures.