(Moniteur belge n°168, du 30 novembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
M. Lebègue fait l’appel nominal.
M. Dellafaille lit le procès-verbal, qui est adopté.
Quelques pétitions sont analysées. Elles sont renvoyées à la commission.
M. Jacques demande un congé de huit jours.
- Accordé.
M. Destouvelles s’excuse de ne pouvoir assister aux séances de la chambre pour cause d’indisposition.
M. le président. - La lecture d’une proposition de M. Zoude a été autorisée dans les sections. Cette lecture va être faite à la chambre.
M. Lebègue lit cette proposition ainsi conçue :
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre le projet de loi suivant :
« Léopold, etc.
« Vu la loi du 3 mars 1831, qui modifie le tarif des droits d’entrée sur les fers ;
« Considérant que les motifs qui ont déterminé l’adoption de cette loi subsistent dans toute leur force ;
« Avons, etc.
« Article unique. La loi du 3 mars 1831, dont l’effet devait cesser le 31 décembre prochain, continuera à recevoir son exécution jusqu’au 31 décembre 1832. »
- La chambre fixe mercredi prochain pour les développements de cette proposition.
M. le président annonce que M. Barthélemy a déposé sur le bureau une proposition qui sera renvoyée aux sections.
M. Jonet, rapporteur de la commission chargée de l’examen de la proposition de M. Nothomb, est appelé à la tribune, et conclut à l’ajournement de cette proposition jusqu’à l’exécution du traité de paix imposé à la Belgique par les cinq puissances.
- La discussion en est remise à jeudi prochain.
M. d’Huart fait ensuite le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi sur les armes, et il en propose l’adoption pure et simple.
- La discussion est fixée à jeudi prochain.
L’ordre du jour est la discussion sur la prise en considération du projet de résolution de la commission d’enquête.
M. Blargnies. - Messieurs, le peuple que nous représentons a essuyé, au mois d’août dernier, un affront qu’il déplore d’autant plus que l’occasion de le lever lui a été ravie, et qu’il attribue au triomphe des Hollandais, le traité infligé à la Belgique par la conférence de Londres.
Nous avons été témoins que de tous les points du territoire la nation s’est portée à la rencontre de l’ennemi, pleine d’ardeur et d’enthousiasme ; nous savons qu’elle n’a reculé devant aucun des sacrifices qui lui avaient été demandés pour soutenir la lutte contre le roi Guillaume ; les moyens qu’elle avait mis entre les mains du gouvernement devaient assurer l’honneur de ses armes, l’intégrité de son territoire, et son indépendance ; elle avait droit d’y compter.
Honneur de ses armes, intégrité du territoire, indépendance, tout a été joué et perdu.
Forte de la conscience de son courage, et de la conviction d’avoir fait son devoir, elle se dit innocente de ces malheurs ; elle vous demande de constater solennellement les causes et les auteurs de ces désastres ; elle réclame justice, si pas vengeance.
Vous n’avez pas été sourds à sa voix, messieurs, et, pour satisfaire à ce qu’exigeaient de vous l’opinion publique et l’honneur national outragé, vous avez institué une commission chargée de proclamer la vérité sur les tristes événements dont nous gémissions tous.
La commission a senti toute l’importance de son mandat, et elle a tâché de s’élever à la hauteur de la mission qui lui était confiée.
Vous n’avez donc pas à craindre qu’elle se laisse guider dans l’accomplissement de ses devoirs par des sentiments d’animosité contre des citoyens que la voix du peuple a désignés comme auteurs de ces malheurs, qu’elle s’abandonne à des vues, à des ressentiments personnels, qu’elle dirige ses travaux dans le dessein prémédité d’arriver à un scandale inutile ou de perdre qui que ce soit ; elle se propose uniquement la justification du peuple belge, la manifestation de la vérité sur les causes des calamités qui l’ont accablé au mois d’août ; toute supposition contraire ne peut être qu’intéressée, imaginée pour sauver des turpitudes ou entraver l’enquête.
Ce n’est pas, toutefois, que les Belges aient besoin de se justifier aux yeux de ceux qui ont suivi avec attention la marche de la politique générale ; il n’est pas un homme de sens qui, après avoir mûrement réfléchi, ne soit convaincu que la Belgique a été entraînée dans l’abîme par les complices ou les dupes de ceux qui avaient intérêt à la mettre en tutelle, à dépopulariser les révolutions, à salir la cause des peuples, à flétrir une couronne déférée par les vœux libres d’une nation, et à y imprimer un octroi de droit divin. La défaite des Belges n’était-elle pas le seul moyen de maintenir et d’assurer des résultats promis à leur détriment ? Tout n’a-t-il pas évidemment été calculé à l’avance, l’irruption et la retraite des Hollandais ?
S’il n’en était pas ainsi, le roi Guillaume aurait-il attendu si longtemps ? Lui aurait-on permis de nous attaquer ? Se serait-il retiré si facilement et au premier signal ? Ne savait-on pas à point nommé ce qui se passant en Hollande ? Ne connaissait-on pas les progrès des armements de nos ennemis, et, si nous avions été assez stupides pour ne pas nous en enquérir, nos prétendus amis ne pouvaient-ils pas nous en informer ? Pourquoi n’a-t-on pas égalé les préparatifs de défense aux moyens d’invasion ? La tâche la plus difficile n’a-t-elle pas consisté à obtenir que notre armée fût organisée ou disposée de manière à assurer le singulier triomphe dont nous avons été témoins ?
Que serait-il arrivés si nous nous étions présentés au combat dans une attitude digne de nous, et que, le succès couronnant nos efforts, nous fussions entrés dans les provinces hollandaises ? Eût-il été possible alors d’arrêter la propagande révolutionnaire et d’éviter la guerre générale ? Non, assurément non. Croyez-moi, messieurs, ces prévisions n’ont pas échappé à tout le monde. Là est le mot de l’énigme de notre défaite : il fallait, à tout prix, éviter la guerre et trouver le moyen de ne pas tenir les promesses qui nous avaient été faites ; on a organisé notre déroute, on a imaginé le drame cruel où le roi et nous nous avons figuré comme victimes !
Telles sont, messieurs, les causes secrètes, mais véritables, de nos désastres ; comme membres de la commission que vous avez instituée, nous avons à les constater juridiquement et à rechercher si des Belges y ont donné la main. Cette tâche est grande et pénible ; nous avons cru que, pour la remplir, il convenait de promulguer une loi connue dans les termes suivants :
« Vu l’article 40 de la constitution ;
« Art. 1er. Toute commission d’enquête siège au Palais de la Nation.
« Art. 2. Elle peut déléguer un ou plusieurs de ses membres, à l’effet de procéder aux investigations des actes qu’elle juge nécessaires.
« Elle peut également déléguer, pour le même objet, des fonctionnaires de l’ordre judiciaire, administratif ou militaire.
« Art. 3. La commission a le droit de compulsoire dans les dépôts publics, et dans les archives des départements ministériels.
« Art. 4. Tous fonctionnaires publics, de quelque ordre que ce soit, sont tenus de fournir, à la première réquisition de la commission, les renseignements, communications, actes et pièces qu’elle juge nécessaires, par copie ou par extraits, et ce dans un délai déterminé.
« Art. 5. Le défaut d’obtempérer à une demande de compulsoire, de renseignements ou de communications, sera passible d’une amende qui ne pourra excéder cent florins par jour de retard.
« Cette peine sera prononcée par la commission, partie ouïes et dûment appelées, sans autre formalité et sans appel ni recours en cassation.
« Art. 6. La commission fait comparaître toutes personnes qu’elle croit utile d’entendre. Elle les fait citer par un huissier de la chambre, ou par un huissier ordinaire.
« Les indemnités payées aux témoins, en matière civile, sont accordées aux personnes cités qui les requièrent.
« Art. 7. La chambre peut ordonner que l’audition des témoins aura lieu sous la loi du serment, en ces termes :
« Je jure (promets) de dire la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité.
« Art. 8. Toute personne sera tenue de comparaître et de déposer ; sinon, elle pourra y être contrainte par la commission, qui à cet effet prononcera, parties ouïes ou dûment appelées, sans autre formalité, sans appel ni recours en cassation, une amende qui n’excédera pas cent florins, et pourra ordonner que la personne citée sera contrainte par corps à venir donner son témoignage.
« Art. 9. Le recouvrement des amendes aura lieu comme en matière pénale ordinaire.
« Art. 10. La commission ou ses délégués dresseront procès-verbal de leurs opérations.
« Art. 11. Les opérations des commissions d’enquête ne pourront être arrêtées ni par l’ajournement, ni par la clôture des chambres. »
Cette proposition mérite-t-elle d’être prise en considération ? Telle est la question à décider aujourd’hui.
Serait-il bien possible, messieurs, qu’une assemblée belge ne prît pas en considération une mesure destinée à réhabiliter le nom belge en Europe ? Je n’ose le croire. Quoi ! l’honneur national outragé a nécessité la révolution de septembre, et un projet de loi conçu pour le conserver intact ne mériterait pas d’être discuté !
Je vais, à tout événement, vous démontrer qu’il est en harmonie avec la constitution ; qu’il est nécessaire, indispensable, et qu’il rentre dans le mandat que vous avez daigné nous confier.
Par l’article 40 de notre loi fondamentale, la chambre a le droit d’enquête.
Ce droit constitue un de ses pouvoirs constitutionnels ; il doit être indépendant.
Aussi est-il indéfini quant à son étendue, quant à son exercice.
L’article 40 confère donc à la chambre le droit d’enquête avec tous les moyens d’exécution.
Il nous est impossible de mettre ce droit en action sans faire comparaître des témoins devant nous, sans réclamer des agents du gouvernement les renseignements utiles à la découverte de la vérité.
La faculté de citer des témoins et de demander aux hommes du pouvoir les documents et pièces nécessaires serait souvent illusoire ; elle le deviendrait chaque fois que les ministres auraient intérêt à sauver leur responsabilité si la chambre n’avait l’autorité de décerner des peines contre les récalcitrants.
Par la force des choses et la généralité des termes de l’article 40, le droit d’enquête comprend donc en lui-même celui de citer des témoins, d’obtenir des agents du gouvernement les pièces et renseignements nécessaires, et celui de prononcer des pénalités contre ceux qui refuseraient d’obéir.
J’ai entendu dire que le projet porte atteinte au principe de la distinction des pouvoirs, et que, violant l’article 94 de la constitution, il érige la chambre en commission, en tribunal extraordinaire.
Notre commission se borne, comme je viens de le démontrer, à déclarer les conséquences de l’article 40 de notre pacte fondamental, et s’il donne à la législature des attributions judiciaires, c’est que l’article précité fait réellement de la chambre, en cas d’enquête, un tribunal non pas extraordinaire, mais ordinaire et constitutionnel.
Quand on réfléchit un instant à l’idée que représente ces mots : « commission, tribunal extraordinaire, » de bonne foi, est-il permis de voir quelque chose de pareil dans la chambre exerçant un pouvoir constitutionnel, et décernant, pour y parvenir, des amendes contre ceux qui ne voudraient pas lui dévoiler la vérité ?
Dans le système des adversaires du projet, le droit d’enquête serait une chimère, une déception ; la chambre ne pourrait l’exercer que sous la tutelle de l’autorité judiciaire, si elle devait renvoyer aux juges ordinaires le soin d’appliquer les peines encourues par ceux qui mépriseraient ses injonctions ; elle serait contrôlée par un pouvoir secondaire.
Dès que vous admettrez, et vous le devez, la possibilité que les tribunaux fassent manquer une enquête par mauvais vouloir, par des lenteurs calculées, par des arrêts contraires aux réquisitions de la chambre ou de ses délégués, vous paralysez, vous annulez le droit que lui confère l’article 40 de la constitution, si vous en placez la sanction dans la main des magistrats.
Ce droit est, comme je l’ai dit, un des pouvoirs constitutionnels de la chambre.
S’il est soumis à l’autorité judiciaire, quant à son exercice, il cesse d’être une prérogative de la législature ; il n’est plus qu’un vain mot.
Dira-t-on qu’il y a de trop graves inconvénients à ouvrir les dépôts et les archives du gouvernement aux commissions d’enquête ; que l’on doit absolument repousser pareille inquisition ?
Ma réponse est dans l’essence même du gouvernement représentatif.
Ce gouvernement est ou doit être celui de la publicité et de la vérité.
Ceux qui sont placés à sa tête doivent prêcher d’exemple, et en faciliter la manifestation de tous les moyens.
D’après ces principes, les actes d’un gouvernement représentatif doivent être accessibles à tous les citoyens, et spécialement aux représentants du peuple que, dans de graves circonstances, la législature investit de la haute mission de constater des faits qui intéressent l’honneur ou la prospérité du pays.
Dans ces investigations, l’on ne doit respecter que les exceptions déterminées par la constitution même, et les limites que les hommes investis de la confiance de la chambre sauront apprécier.
La faculté de compulser les archives des départements ministériels, telle que nous la proposons, est la sanction et le véritable complément du régime représentatif ; sans elle le gouvernement de la publicité n’est qu’un édifice tronqué.
Où s’arrêteraient les partisans de l’opinion contraire ? Quelle pièces, quels documents, quels dépôts publics, quelles archives ministérielles abandonneraient-ils aux commissions d’enquête ? Quels renseignements refuseraient-ils ? Quelle règle de conduite imagineraient-ils qui ne leur rendît le droit d’enquête si difficile qu’il deviendrait impossible à exercer ?
Je viens de vous démontrer que le projet est conforme à la constitution.
Son adoption devant aider a chambre à accomplir l’obligation la plus sacrée envers le peuple belge, celle d’effacer la tache faite à l’honneur national, je n’ose croire qu’on tente de l’écarter par des moyens de forme : quand il s’agit d’honneur national, il y a toujours urgence.
Je ne puis penser non plus que l’on conteste à la commission le droit de faire la proposition de loi qui est soumise à votre délibération ; elle répondrait en vous exhibant son mandat, et en vous disant que, si, pour l’exécuter, elle est forcée de vous présenter un projet de loi, elle doit, elle peut nécessairement le faire.
Elle a la faculté, l’obligation de conclure dans les rapports qu’elle vous soumet ; elle conclut ici par une proposition de loi.
Dira-t-on que la proposition ne se borne pas à l’enquête spéciale dont il s’agit, qu’elle s’applique à toutes les enquêtes possibles ? Il y a mêmes raisons pour toutes. Au surplus, qu’à cela ne tienne, un amendement pourrait la borner à la recherche des causes de nos désastres.
Réfléchissez-y bien, messieurs, la nation tient à venger son honneur profondément blessé. Ne chicanons pas sur des moyens de pure forme ; allons au fait, comme le peuple au mois d’août marchait droit aux Hollandais, si la constitution n’est pas blessée par le projet, si les mesures proposées sont utiles, nécessaires dans toutes les circonstances là où il y aura lieu à enquête, hâtons-nous de les convertir en loi, et commençons par les prendre en considération.
M. H. de Brouckere. - Je me lève pour combattre la prise en considération de la proposition qui vous est soumise ; mais avant d’entrer en matière, j’ai à vous présenter quelques réflexions dont je me flatte que vous voudrez bien apprécier la justesse et l’à-propos.
Vous ne l’ignorez pas plus que moi : chaque fois que vos discussions, comme celles du congrès, ont eu pour objet une question importante, et, par sa nature, en dehors de celles qui vous occupent habituellement, les membres qui estimaient devoir professer une opinion autre que celle qui s’annonçait comme devant être celle de la majorité, ont non seulement eu à combattre des arguments, présentés avec force et chaleur ; ils ont encore eu à lutter contre des soupçons plus ou moins pénibles, contre des accusations d’arrière-pensées toujours fâcheuses. Telle est encore aujourd’hui la position de ceux qui professent l’opinion que j’ai annoncée comme étant la mienne. Vous entravez les opérations d’enquête, vous l’empêchez d’avancer dans sa marche ; il faut que vous ayez à cela quelque intérêt, il faut que vous ayez à redouter le résultat de cette enquête.
Voilà les suppositions qui se répètent ; et ce que je regrette surtout, c’est que ces suppositions ne sont même pas étrangères à certains membre de la chambre. Il faut donc s’armer de quelque courage pour s’exposer à des soupçons aussi peu honorables : ce courage, je l’aurai, et, dans cette occasion comme dans les autres, aucune considération ne m’empêchera d’énoncer une opinion consciencieuse, et j’ose le dire désintéressée. Oui, messieurs, désintéressée : car ce n’est pas à moi que l’on reprochera (ceux qui me connaissent du moins) d’avoir manqué de patriotisme et de zèle pour la cause publique ; ce n’est pas moi qu’ils soupçonneraient d’avoir des craintes et des arrière-pensées. Quand ce serait sur ma conduite personne que l’enquête devrait se faire, je n’aurais point lieu de la redouter.
J’entre en matière.
Vous vous rappellerez peut-être que, lorsque la proposition vous fut faite d’ordonner une enquête à l’effet de rechercher les causes et les auteurs de nos désastres, je m’élevai avec chaleur contre cette proposition que je soutins être inconstitutionnelle, ne devoir mener à aucun résultat utile, pouvoir entraîner des suites fâcheuses.
Je crus qu’elle était inconstitutionnelle parce que, quelques illimité que paraisse l’article 40 de la constitution qui donne au chambres le droit d’enquête, ce droit rencontre cependant des limites bien tracées dans les autres dispositions de la charte mise en rapport avec cet article 40, et dans les limites mêmes devant lesquelles s'arrête le pouvoir de la chambre. Ainsi, la chambre étant chargée de la mise en accusation des ministres, le cas échéant, peut ordonner une enquête sur leur conduite lorsqu’elle lui paraît coupable. Ainsi la chambre, ayant mission de voter les impôts, pourra, quand elle le jugera à propos, ordonner une enquête pour s’assurer si tel ou tel impôt est bien assis, s’il ne vaudrait pas mieux le remplacer par tel ou tel autre. Enfin, elle fera procéder à une enquête chaque fois qu’elle désirera s’éclairer d’une manière particulière sur l’un ou l’autre des objets qui rentrent dans ses attributions. Mais quand elle ordonne de rechercher « les auteurs » de nos désastres, elle dépasse ses attributions, tout aussi bien que si elle faisait procéder à une enquête pour rechercher les auteurs d’un crime, quel qu’il soit, parce qu’elle n’a pas mission de rechercher ni de constater les crimes, pas plus les crimes politiques que les crimes ordinaires commis par d’autres que des ministres.
J’ai soutenu que l’enquête ne produirait aucun résultat : et en effet, nous connaissons les causes de nos désastres. Confiance aveugle dans l’avenir, défaut de prévoyance et d’ordre, manque de talents de la part de certains chefs, incapacité et mollesse dans ceux qui avaient organisé notre armée, négligence dans la distribution des vivres, voilà les causes de nos disgrâces ; car, au reste, il n’entre dans la pensée de personne d’accuser le courage du soldat belge, courage dont il a fait preuve dans tant de batailles, courage auquel, depuis tant de siècles, l’Europe entière rend justice. Quand on aura constaté cette incapacité, ce défaut de prévoyance, cette fatale prévoyance, cette fatale négligence, serons-nous plus avancés ? Non, messieurs.
J’ai ajouté que l’enquête aurait des suites fâcheuses : et, en effet, outre les frais qu’elle entraînera, elle aura pour résultat d’exciter des haines, des inimitiés, des jalousies entre les chefs militaires, entre lesquels il vaudrait mieux d’efforcer de faire régner un accord dont l’absence ne s’est que trop fait sentir. L’opinion que je professais il y a un mois, je l’ai conservée aujourd’hui ; la réflexion n’a fait que démontrer de plus en plus à quel point elle est fondée.
Cependant l’enquête fut ordonnée ; une commission, composée d’hommes que la chambre honore de toute sa confiance, et qui en sont dignes à tous égards, en fut chargée. Mais, ce qui était facile de prévoir, elle fut arrêtée dans ses premiers pas, parce qu’aucune loi n’avait règlé sa marche, n’avait déterminé ses pouvoirs, ni les formes de sa procédure. Qu’avait-elle à faire ? L’article 63 le lui indiquait suffisamment : elle devait faire à la chambre un rapport dans lequel elle eût exposé la difficulté qu’elle avait rencontrée, et la chambre eût discuté ce rapport ; et alors un ou plusieurs membres, usant de la prérogative consacrée par l’article 27 de la constitution, eussent pu présenter un projet de loi tendant à lever cette difficulté.
Au lieu de cela elle a cru plus simple de rédiger elle-même un projet de loi, et remarquez-le bien, un projet qui porte, non sur l’enquête ordonnée par la chambre, mais sur toutes les enquêtes qui pourront être plus tard jugées nécessaires. Ici elle est évidemment sortie de sa mission, puisqu’elle n’avait point charge de nous présenter un semblable projet, et je ne reconnais ni aux commissions, ni aux membres de la chambre d’autres droits que ceux qu’une disposition de la constitution ou du règlement leur confie. Or, il est impossible que la commission s’étaie d’une disposition quelconque pour établir le droit dont elle a cru pouvoir faire usage.
Mais, dira-t-on, votre opposition ne tend qu’à élever une question oiseuse, puisqu’il importe peu que la proposition soit signée par le président et le secrétaire, au nom de la commission, ou qu’elle le soit par les sept membres.
D’abord il n’est jamais oiseux de réclamer l’application du règlement, et de s’opposer à un empiétement, quel qu’il soit ; et, en supposant même que cet empiétement n’aurait rien de dangereux dans le cas qui nous occupe, il établirait un antécédent qui ne manquerait pas d’être invoqué pour soutenir d’autres empiétements, et ainsi le règlement tomberait bientôt en désuétude.
En second lieu, si la commission, se conformant à l’article 63, se fût bornée à vous faire un rapport, nous eussions discuté ce rapport, nous eussions examiné ce qu’il convenait de faire pour tirer la commission de l’embarras où elle se trouvait, et peut-être la discussion nous eût-elle indiqué une autre voie à suivre que celle adoptée par la commission.
Enfin, je doute, messieurs, que les sept membres de la commission voulussent apposer leur signature à la proposition qu’elle a présentée aujourd’hui en nom collectif, et dont la responsabilité ne tombe sur personne individuellement. Et, ce qui prouve surabondamment mon opinion, c’est l’importance que les membres de la commission attachent à ce que la proposition conserve sa forme actuelle ; et je ferai remarquer, à cette occasion, qu’à la séance de mercredi un membre de la commission a lui-même voté contre la lecture, preuve évidente qu’il ne partage pas la manière de voir de la majorité de ses collègues.
La proposition ne péchât-elle donc que dans la forme, je soutiens que la chambre ne pourrait la prendre en considération sans violer son règlement, sans consacrer un empiétement, sans approuver une irrégularité, sans établir un précédent dangereux et dont elle aurait bientôt lieu de se repentir.
Mais si maintenant, nous analysons succinctement les dispositions du projet de loi, c’est alors qu’apparaîtra d’une manière plus évidente encore l’obligation d’adopter l’ordre du jour.
Comment, en effet, la chambre pourrait-elle prendre en considération un projet qui tend à l’investir des droits les plus exorbitants et les plus inconstitutionnels, à confondre tous les pouvoirs, à établir en quelque sorte dans son sein un nouveau gouvernement vis-à-vis du gouvernement constitutionnel ?
D’abord tous les fonctionnaires publics, tant de l’ordre judiciaire et administratif que les militaires eux-mêmes, mis à la disposition de la commission, de manière qu’il dépend de son bon plaisir de les distraire tant et aussi longtemps qu’elle le voudra, des devoirs de leurs charges.
Le droit de compulsoire, accordé dans sa plus grande étendue, de manière que pas une pièce d’un ministère ni d’une administration ne pourra être soustraire à son investigation.
A la commission appartiendra le droit de citer des témoins, de leur faire prêter serment, de prononcer des amendes, et des amendes exorbitantes, puisqu’elles peuvent monter à cent florins par jour de retard, de lancer des contraintes par corps.
Ajoutons à cela l’opinion professée par beaucoup de personnes, que la chambre peut ordonner des enquêtes en toute matière, quelle qu’elle soit ; et je ne crains pas d’avancer qu’avec un pareil principe et armée d’une loi conforme au projet, il ne tiendra qu’à une chambre législative d’accaparer tous les pouvoirs : oui, tous les pouvoirs, puisqu’elle pourra disposer de tous les fonctionnaires pour procéder « aux actes qu’elle leur prescrira, » de quelques natures qu’ils soient ; qu’elle aura en son pouvoir toutes les archives, et qu’elle exercera une grande partie des prérogatives reconnues à l’ordre judiciaire.
On me demandera de quelle autorité je m’appuie pour restreindre ainsi le droit d'enquête: je réponds de l’autorité de la constitution, de celle de la saine raison. Comme je l’ai déjà dit, il ne faut expliquer l’article 40 que tota leges perspectu, c’est-à-dire qu’il faut, pour le comprendre, le mettre en rapport avec les autres dispositions, et restreindre le droit d’enquête aux choses qui rentrent dans les attributions de la chambre. Aller plus loin, oui, messieurs, serait, selon moi, violer la constitution et outrager la saine raison.
Mais l’Angleterre ! Voyez comme s’entend en Angleterre le droit d’enquête ! On l’a dit plus d’une fois : les coutumes de la vieille Angleterre ne peuvent servir d’exemple à un gouvernement nouveau comme le nôtre, parce que là les empiétements, les confusions de pouvoir sont peu à craindre, les droits de chacun y étant limités par un long usage ; parce que d’ailleurs ces coutumes y sont en harmonie avec l’esprit public, qui est en Angleterre tout autre chose qu’il n’est ici, qu’il n’est dans tous les Etats du continent.
C’est à tort, du reste, je ne crains pas de le dire, que l’on cite toujours le droit public de l’Angleterre comme modèle à suivre partout : et, en l’examinant de près, nous y verrions une foule de vices et d’abus, que certes nous ne serions guère désireux de transplanter chez nous. Je vous demande, par exemple, quel effet produirait chez nous l’apparition d’une proclamation semblable à celle que le roi d’Angleterre vient d’adresser à ses sujets, relativement aux associations ? Si c’est ainsi qu’on entend la liberté dans les trois royaumes, préférons celle qui existe chez nous.
Que la commission veuille bien croire cependant que, dans tout ce que j’ai dit, il n’y a pas un seul reproche pour elle ; je proteste d’une estime toute particulière pour chacun de ses membres. Mais sa position était difficile : vous l’avez chargée d’une enquête que je regarde comme impossible, comme inconstitutionnelle ; pour pouvoir s’acquitter de sa mission, elle a cru devoir nous présenter le projet en discussion. Je ne doute point qu’elle n’ait agi d’une manière conforme à ce que lui prescrit sa conscience ; moi, j’obéis à l’impulsion de la mienne en votant pour l’ordre du jour, ou, pour me servir des termes consacrés par le règlement, pour que la chambre déclare qu’il n’y a pas lieu de délibérer.
M. Barthélemy. - Messieurs, je me proposais de me borner à vous présenter une fin de non-recevoir, résultant de l’article 46 de notre loi fondamentale ; mais j’ai entendu ici des arguments si extraordinaires, que je ne puis me dispenser d’y répondre. On a dit : « Il s’agit de venger l’honneur du peuple belge ! » Et quoi ! messieurs, appartient-il à quelqu’un de nous déclarer que le peuple belge a été déshonoré ! Comment, deux généraux imbéciles (on rit), deux généraux incapables ont laissé ouvertes les portes du pays, et à cause de cela la nation est déshonorée ! Non, messieurs, ce seront les généraux qui auront été déshonorés, et non pas la nation.
Après cela, on vous a dit qu’on avait voulu empêcher la guerre générale et la propagande. Mais peut-on admettre que si quelqu’un voulait empêcher la guerre générale et la propagande, ce serait un monstre ! (On rit.) Eh bien ! je le déclare que s’il en est ainsi, je suis un monstre… (Hilarité générale.) Je déclare que j’ai fait, et que je ferai toujours dans cette chambre tout ce qui dépendra de moi pour empêcher la guerre générale et la propagande ; car, si nous l’avons faite pour notre compte, je n’en veux pas faire pour le compte des autres. S’il y a quelqu’un qui soit coupable d’avoir voulu la guerre générale, c’est le roi Guillaume. Chacun sait que son désir a toujours été de voir renverser le ministère pacifique de Casimir Périer : toute la diplomatie de l’Europe connaît les intentions de Guillaume à cet égard.
Après ces courtes réflexions, je devrais m’en rapporter aux raisonnements pleins de logique et de force qu’a fait valoir notre honorable collègue M. Henri de Brouckere ; mais je suis obligé de revenir à un argument tiré de l’article 46 de la constitution, dont on n’a pas fait usage. Il est ainsi conçu : « Chaque chambre détermine par son règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. »
Eh bien ! messieurs, quelles sont les attributions de la chambre ? Le pouvoir législatif en est la principale. Le pouvoir judiciaire, dans deux cas seulement, est encore dans les attributions de la chambre. Après celles-là, je n’en connais pas d’autres. Elle a le pouvoir judiciaire dans deux cas : d’abord pour les contestations relatives aux qualités d’admission de ses membres ; ensuite elle n’exerce plus qu’une portion de pouvoir judiciaire qui va jusqu’à la mise en accusation des ministres. Hors de là, tout son pouvoir est législatif. Eh bien ! elle a le droit d’enquête ; mais a-t-elle ce droit en dehors de sa puissance législative, en dehors du pouvoir judiciaire qui lui est conféré ? Non, certainement. Si l’on avait entendu lui accorder un droit indéfini, on n’aurait pas borné ses attributions. Tout ce qu’elle peut faire, c’est d’appliquer l’article de la constitution dans l’ordre de ses attributions. D’ailleurs, je soutiens qu’il ne faut pas de loi, et je ne conçois pas comme on a déjà oublié la discussion dans laquelle plusieurs orateurs vous ont démontré clairement que, si vous faisiez une loi, vous perdriez peut-être les prérogatives que la constitution vous confère par suite du refus du sénat d’adopter cette loi et du pouvoir royal de la sanctionner. J’ai eu déjà l’honneur de vous citer l’exemple des chambres françaises. L’année dernière, les journaux et la chambre des députés de France ont discuté la question de savoir si la commission nommée proposerait une loi pour régler l’exercice du droit d’enquête. Eh bien ! messieurs, Bérenger, rapporteur de cette commission, est venu, le 19 août, présenter un seul article par lequel elle demandait à être autorisée à user du pouvoir accordé aux juges d’instruction et aux chambres du conseil. La commission a dit dans son rapport : « Le charte nous donne le droit d’accuser. Or, que fait, en ce cas, le pouvoir judiciaire ? Le juge d’instruction prend des informations, et la chambre du conseil décide qu’il y a lieu ou qu’il n’y a pas lieu à la mise en accusation. Eh bien ! nous demandons que leurs droits nous soient donnés. » Et la chambre les a accordés à sa commission. Ensuite la chambre des pairs s’est considérée comme étant dans la position de la cour d’assises. Tout cela a été réglé par chacune des chambres seule, et toutes les autorités et les témoins, dont elle avait besoin pour l’instruction du procès, leur ont obéi, parce que, dans cette partie, les chambres étaient constitutionnellement judiciaires. En conséquence, je demande que la chambre repousse la proposition par une fin de non-recevoir, tirée de l’article 46 de la constitution ; et s’il fallait discuter le fond, je m’en rapporterais aux développement lumineux de M. H. de Brouckere. Je ferai observer, en terminant, que la chambre a tout ce qu’il lui faut pour exercer son pouvoir judiciaire : et prenons garde, messieurs, de ne pas donner aveuglément à une commission des pouvoirs dont elle pourrait abuser. Adopter le projet, ce serait véritablement instituer un comité de recherche. Eh bien ! messieurs, dans la révolution française on avait aussi établi un comité de recherche, qui bientôt est devenu un comité de sûreté générale, et plus tard un comité de salut public. Plaise à Dieu que nous n’imitions pas cet exemple, et que nous n’établissions pas un précédent qui nous conduise à de telles extrémités.
(Moniteur belge, sans date et sans numérotation) M. Milcamps. - Messieurs, ce n’est que dans le cas d’accusation des ministres que je puis reconnaître à la chambre des représentants un droit d’enquête judiciaire : je me fonde sur la disposition transitoire de l’article 134 de la constitution, portant que, jusqu’à ce qu’il y soit pourvu par une loi, « la chambre aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre. »
Ce n’est qu’en vertu de cette disposition transitoire que vous avez pu nommer une commission d’enquête.
Quelle mission la chambre a-t-elle entendu donner à cette commission ? A mon avis, celle de rechercher, par tous les moyens que la raison et la prudence conseillent, les causes de nos désastres, et surtout s’il existe contre l’un ou l’autre des anciens ministres une prévention quelconque.
Votre commission ne pense pas qu’elle soit circonscrite dans ces limites ; elle croit qu’en vertu de sa délégation, elle est appelée à remplir tous les devoirs préalables à l’accusation.
Dans cette pensée, elle vient vous proposer un mode de procédure, proposition qu’elle appuie de l’article 40 de la constitution.
Ici, messieurs, je dois fixer un instant votre attention sur cet article. Il est ainsi conçu : « Chaque chambre a le droit d’enquête. »
Cette disposition constitutionnelle, dans mon opinion, ne peut et ne doit s’entendre que d’une enquête administrative ; car l’une des chambres, le sénat, n’ayant pas le droit d’accuser, comment lui concéder celui d’informer judiciairement ?
Le droit d’enquête judiciaire résulte virtuellement des articles 90 et 134 de la constitution.
Je prévois une objection : « La disposition de l’article 40 est générale et absolue ; la chambre des représentants fera des enquêtes administratives et judiciaires, et le sénat, des enquêtes administratives ou extra-judiciaires. »
Je réponds : si cette disposition est générale et absolue, si elle ne fait aucune distinction, vous ne pouvez vous-même en faire. Dès lors, l’on serait conduit à cette conséquence absurde, que les deux chambres pourraient faire une information judiciaire contre toute personne, pour toute espèce de crime, de délit et de contravention ; et cependant, l’on doit convenir qu’à la chambre des représentants seule appartient le droit, l’unique droit d’accuser les ministres, et ce droit d’enquête judiciaire n’en est que la conséquence.
Mais si le droit d’accuser n’a pu résulter, au moment où la commission d’enquête a été nommée, que de l’article 134 de la constitution qui attribue à la chambre un pouvoir discrétionnaire, voyons de quelle manière la chambre a entendu exercer ce pouvoir discrétionnaire.
Suivant moi, la chambre, en nommant une commission d’enquête, n’a entendu établir qu’un comité de recherches ou d’informations, à l’instar des commissions telles que celles des finances, de l’industrie et du commerce, auxquelles elle ne donne aucune direction. Si elle avait eu une intention plus large, usant du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 134, elle eût, par une simple résolution, tracé à la commission des règles à suivre ; ou bien, usant de l’initiative qui lui appartient, elle eût, aux termes de l’article 90 de la constitution, proposé une loi pour déterminer les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux.
Mais, dira-t-on, la commission vient précisément exercer cette initiative que vous accordez à la chambre.
Oui, quant au mode de procédure seulement ; mais l’on remarquera que, sous la forme d’une loi générale, la commission vient proposer une loi spéciale virtuellement pour ce qui la concerne.
La commission suppose un fait accompli. Elle suppose que la chambre lui a délégué tous ses pouvoirs, jusqu’à l’accusation exclusivement.
Certes, pour ma part, je ne puis concéder ce point.
Dans mon opinion, et comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire, je pense que la chambre ne s’est pas jusqu’ici dessaisie d’aucune de ses attributions, qu’elle n’a donnée à sa commission d’enquête qu’une simple mission de faire des recherches, de recevoir les déclarations de tous les citoyens qui voudraient donner des détails, sauf, après avoir entendu le rapport de sa commission sur le résultat de ses recherches, à statuer comme il appartiendra.
Supposons (car je n’ai exprimé ici que mon opinion personnelle), supposons que, contre ma manière de voir, la chambre ait entendu, par le décret institutif judiciairement jusqu’à l’accusation. Devons-nous prendre en considération le projet de loi qui nous est soumis ?
Je pense que nous ne le pouvons pas, parce que quelques dispositions de ce projet de loi me paraissent inconstitutionnelles, et qu’on ne doit jamais prendre en considération des propositions qui portent atteinte aux lois fondamentales.
Je regarde comme inconstitutionnel l’article 3 du projet. Les grands motifs qui, dans les gouvernements monarchiques représentatifs, ont porté le pouvoir constituant à déférer au Roi le droit de faire la paix et de déclarer la guerre sont, entre autres, la nécessité du secret des négociations, la célérité et aussi le secret des mesures offensives et défensives. Or, le projet permet de fouiller dans les archives des départements des affaires étrangères et de la guerre.
Je regarde également les articles 5, 8 et 11 du projet, comme inconstitutionnels. Ils ne me paraissent pas pouvoir se concilier avec les articles 90, 94 et 134 de la constitution. Il annihile la chambre en cette matière.
L’article 90 dispose qu’une loi déterminera les cas de responsabilité les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux.
L’article 94 porte qu’il ne peut être créé de commissions, ni de tribunaux extraordinaires, sous quelques dénomination que ce soit.
Enfin l’article 134 confère à la chambre des représentants, jusqu’à ce qu’il y soit pourvu par une loi, un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre.
De ces diverses dispositions je conclus bien que la chambre peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, exiger pour l’accusation des renseignements de tous les fonctionnaires, inviter à comparaître devant elle toutes personnes qu’elle croit utile d’entendre ; que, pour ces opérations, elle peut déléguer quelques-uns de ses membres, et ainsi une commission. J’en conclus encore qu’ayant le droit d’accusation, une loi pourrait peut-être autoriser à prononcer des peines pour refus de compulsoire dans certains cas, pour défaut de comparution de témoins cités, même la contrainte par corps ; mais je ne puis conclure que ces derniers pouvoirs puissent être donnés directement par la loi à une commission particulière, qui les exercerait même après la clôture des chambres ; car telle est la disposition du projet de loi. Ce serait, à mon avis, une violation des articles 70 et 94 de la constitution.
Les auteurs du projet croient qu’on peut confier ces pouvoirs directement à la commission par analogie, sans doute, de ce qui est statué par le code d’instruction criminelle, relativement au juge d’instruction, notamment par les articles 34 et 80 de ce code. Mais je ne saurais partager cette opinion. Si ce système (et c’est le système du projet de loi) pouvait être consacré, la commission d’enquête absorberait tous les droits de la chambre. Car remarquez-le bien, messieurs, suivant le projet, le droit de compulsoire, de réquisition, de condamnation et d’arrestation, la commission ne l’exercerait point au nom de la chambre, ni par délégation ; mais elle recevrait cette attribution directement de la loi. Lisez bien ce projet. Cette commission, en tout ce qui concerne sa marche, devient tout à fait indépendante de la chambre : qu’elle agisse ou qu’elle n’agisse point, qu’elle prenne une bonne ou une mauvaise direction, vous êtes sans influence, sans droit sur elle. Je me trompe, messieurs, vous pourrez la révoquer et en nommer une autre ; mais une autre agira de même, et faire naître les mêmes difficultés. Ces graves inconvénients, mieux que tous les raisonnements que je pourrais faire, vous démontrent assez que le projet de loi ne doit pas être pris en considération. Je voterai contre cette prise en considération.
(Moniteur belge n°168, du 30 novembre 1831) M. Tiecken de Terhove. - M. Barthélemy a dit que la commission n’est pas compétente pour rechercher si la nation a été blessée dans son honneur ; et, dans le même moment, M. Barthélemy se donner la ridicule compétence d’inculper, d’attaquer des officiers-généraux. Ce ne sera pas, sans doute, une sortie aussi inconvenante qui pourra porter atteinte à la réputation d’officiers qui ont fourni une carrière aussi longue qu’honorable et périlleuse ; et je pense que les paroles inconsidérées de ce fougueux vieillard seront jugées par la chambre comme elles le méritent.
M. Barthélemy. - Je n’ai nommé personne. J’ai dit que, dans la supposition où des généraux imbéciles et incapables auraient ouvert les portes du pays, ce n’était pas une raison pour dire que le pays était déshonoré.
M. Jullien. - Messieurs, plus la discussion avance, plus elle se complique. Quelque graves que soient les questions que cette discussion a soulevées, j’essaierai de réduire toutes les difficultés à leur plus simple expression et de les mettre à la portée de tout le monde. Posons d’abord les bases.
Aux termes de la constitution, chaque chambre a le droit d’enquête, et elle détermine le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. Par conséquent, elle n’a pas besoin du concours de l’autre chambre. La constitution lui permet encore d’accuser les ministres. Voilà donc le droit constitutionnel de la chambre, et toutes les subtilités du monde ne pourraient le faire disparaître. Maintenant qu’a fait la chambre ? Pour donner satisfaction à l’exigence populaire, elle a ordonné l’enquête et nommé une commission. Qu’a fait à son tour la commission ? Il lui fallait les moyens de remplir sa mission : elle s’est présentée devant la chambre avec un rapport dans lequel elle demandait ces moyens. J’ai été fort surpris de voir sa proposition écartée par une fin de non-recevoir. On a prétendu qu’elle se trouvait dans la position d’un membre de la chambre usant du droit d’initiative. Si la clôture ne m’avait pas coupé la parole, j’aurais démontré que c’était une erreur complète. Car la commission n’était pas du tout dans la position d’un membre faisant seul une proposition ; cette commission, c’était vous-mêmes. Ne pouvant faire par vous-mêmes tout ce que comportait l’enquête, vous lui avez délégué votre droit pour vous représenter. Maintenant elle vient vous demander les moyens d’exercer ce droit ; c’est à vous de les lui donner. Si elle demande trop, vous n’avez qu’à régler le mandat que vous lui confiez. Il est une règle de droit qui dit : On fait soi-même ce qu’on fait par mandataire. Eh bien ! c’est le mandataire qui se présente devant son mandant pour régler l’exercice de son mandat. Mais elle vous propose une loi. Je pense, messieurs, qu’il n’en est nullement besoin, parce que, comme vous l’a fort bien dit notre honorable collègue M. Barthélemy, c’est en vous-mêmes que vous devez trouver tous les moyens nécessaires. Toute la question est donc de savoir quels sont les pouvoirs que vous avez-vous-mêmes, et par conséquent ceux que vous pouvez déléguer. Eh bien ! quel est votre pouvoir ? C’est de faire l’enquête. Quel est le but de cette enquête ? C’est de connaître les causes et les auteurs de nos désastres. Or, quand vous connaîtriez ces causes de désastres, vous userez de votre seconde prérogative qui est la mise en accusation : mais il serait injuste de commencer à accuser avant de connaître les faits. Toujours est-il, en définitive, que vous avez le droit incontestable de régler l’enquête comme vous l’entendez. On vous a cité l’article 46 de la constitution ; eh bien, je m’en appuie aussi. Il porte que chaque chambre déterminera par son règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. Or, vous n’avez rien déterminé à l’égard du mode de l’enquête dans votre règlement ; mais c’est une lacune à combler, et vous pouvez le faire maintenant. Cette question, au reste, n’est pas nouvelle ; elle s’est présentée l’année dernière à la chambre des députés de France.
(Ici l’orateur cite les objections qu’on faisait valoir à la chambre des députés, lors de la discussion sur le mode de l’enquête, et un passage de l’opinion de M. Dupin aîné.)
Mais, ajoute-t-il, on dira peut-être qu’il ne s’agit pas ici de l’accusation des ministres, mais d’une enquête administrative. Je ne conçois pas qu’on puisse écarter notre droit d’enquête avec cette fin de non-recevoir. C’est comme si l’on disait : Nous voulons une enquête, et nous ne voulons pas d’enquête.
Maintenant, faut-il une loi pour donner à la commission le moyen de s’entourer de toutes les informations ? Non, il ne faut qu’une autorisation ; et quant à moi, je déposerai ma proposition, qui consistera à dire qu’en faisant droit sur le rapport de la commission, on lui attribue tous les pouvoirs que la loi donne aux juges d’instruction. Je m’arrête là, et ne demande pas pour la commission les pouvoirs de la chambre du conseil, parce qu’elle n’en a pas besoin.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et non numéroté) M. Fallon. - Messieurs, lorsque le règlement a soumis à l’épreuve de la prise en considération un projet de loi proposé par un ou plusieurs membres de la chambre, il a voulu empêcher que la chambre fût distraite de ses fonctions législatives par l’examen en sections de la discussion des propositions évidemment en dehors de ses attributions, ou dont la nécessité ou l’utilité ne seraient pas suffisamment démontrées.
C’est donc lorsqu’il s’agit de savoir si l’on se livrera à l’instruction et à la discussion d’un projet de loi émanant de la chambre, qu’il importe de l’examiner dans son ensemble avec la plus scrupuleuse attention.
C’est ainsi que je vais envisager le projet de loi dont il est question.
Considéré dans son objet, je ne puis qu’applaudir aux intentions patriotiques dont il renferme le témoignage. Je désire aussi ardemment que tout autre que la véritable cause de nos derniers désastres soit connue, et que leurs auteurs soient flétris ; je désire surtout qu’il soit pris des mesures pour que la nation n’ait plus à déplorer à l’avenir d’aussi funestes revers.
Considérée dans les détails, la discussion me conduirait trop loin ; je n’y ferais pas un pas sans faire surgi des questions d’ordre politique de la plus haute importante :
La garantie que la chambre a voulu se ménager dans ce concours simultané de tous les membres de la commission, complétement dénaturée par un droit de délégation, qui pourrait limiter cette garantie à un seul de ses membres ;
Compulsoires illimités dans les dépôts publics et dans les archives des départements ministériels, sans aucun égards aux secrets des familles et de l’Etat ;
Confusion des pouvoirs, usurpation du pouvoir judiciaire ;
Véritable commission extraordinaire, formellement proscrite par la constitution et de nature à rendre illusoire la garantie de la liberté individuelle, et à dégénérer en inquisition odieuse, puisque chaque habitant ne se trouverait pas seulement assujetti à des déplacements frayeux, mais encore à devoir révéler, sous la foi du serment, les plus intimes secrets ;
Magistrats d’information, en même temps de tout ce qui peut résister légalement ou illégalement à ses volontés, pouvant appliquer d’énormes amendes, pouvant au besoin remplacer indirectement la confiscation des biens, et exerçant à leur gré la contrainte par corps ;
Mandataires plus puissants que les mandats, et existant encore alors que les mandats n’existent plus.
Je ne m’arrête plus à tous ces détails qui, pour le moment, ouvriraient un trop vaste champ à la discussion. Il suffit qu’à mes yeux le système même que l’on demande d’organiser soit inconstitutionnel, pour que je laisse à l’écart l’examen des nombreux abus qu’il pourrait produire et développer.
Il faut bien reconnaître que, suivant le projet, la commission exercerait le droit d’enquête dans toute sa plénitude ; et voilà précisément ce que la constitution ne permet pas.
C’est à la chambre, et à la chambre seule, que l’article 40 confère le droit d’enquête.
La chambre peut-elle déléguer l’exercice de ce droit à une commission ? C’est la question qui, pour moi, domine le projet, et dont la négative me paraît incontestable.
C’est un principe trop élémentaire pour qu’il ait besoin de justification, qu’en matière de juridiction ou d’attributions, et surtout d’attributions constitutionnelles, la délégation des pouvoirs ou de leur exercice n’est admissible que dans les cas spécialement déterminés par la constitution elle-même.
Or, ce n’est qu’à la chambre que la constitution confère le droit d’enquête, et, par conséquent, la chambre n’a pas celui d’en déléguer l’exercice à une commission, ce qui aurait lieu cependant, si le système du projet était admis ; car alors c’est bien la commission, et non la chambre, qui, en fait exercerait le droit d’enquête.
La chambre a le droit de vérifier les pouvoirs de ses membres. Elle peut nommer une commission pour lui faire tel rapport ou telle proposition qu’elle juge convenable ; mais, s’il y a lieu à des informations préalables, c’est la chambre et non la commission qui ordonne les mesures d’exécution.
La chambre a le droit de statuer sur les pétitions. Que dirait-on, si la commission de pétitions venait proposer un projet de loi tendant à lui conférer le droit de prendre par elle-même telles informations ou telles mesures qu’elle trouverait convenir, sur l’objet de ces pétitions, avant d’en faire rapport ?
On repousserait, sans doute, semblable demande, par la raison que c’est la chambre seule qui est investie du droit de requérir des explications des ministres, et d’ordonner telles informations qu’elle juge convenir, et que ce droit ne peut être délégué à une commission.
Il ne peut en être autrement des droits d’enquête ; la chambre ne peut pas davantage en déléguer l’exercice.
Sans doute, lorsque l’on veut la fin, il faut bien vouloir les moyens ; mais aussi, et dût-on même rencontrer des difficultés insurmontables pour atteindre le but, encore ne faudrait-il vouloir que des moyens constitutionnels.
La constitution n’ayant pas défini de quelle manière les chambres pourraient exercer respectivement le droit d’enquête, c’est à elles seule et non à des commissions qu’il appartient de prescrire les mesures, et d’ordonner les informations applicables à chaque cas particulier sur lequel elle entend exercer son pouvoir.
En conférant à la chambre le droit d’enquête, c’est la chambre entière que la constitution a donné à la nation pour garantie qu’il ne sera pas abusé de ce droit exorbitant et dangereux, s’il n’était pas exercé avec prudence et circonspection.
Or, je vous le demande, messieurs, que resterait-il à faire à la chambre dans le cas actuel, si le projet proposé pouvait être accueilli ? Rien, et absolument rien. C’est la commission qui aurait usé du droit d’enquête, et qui l’aurait entièrement épuisé. C’est elle seule, et non la chambre, qui serait responsable des abus qui pourraient s’être glissés dans l’exercice de ce droit ; et ainsi, la nation se trouverait dépouillé d’une garantie que la constitution a placée dans la chambre, et non dans une commission.
Je sais que, la requête étant achevée, il resterait à la chambre à en apprécier le mérite, et à prendre ensuite telle résolution qu’elle jugerait convenir.
Mais ce droit de statuer sur le mérite de l’enquête n’est que tout à fait secondaire ; la constitution n’en parle même pas, parce que l’un est nécessairement la conséquence de l’autre.
Mais l’un et l’autre sont exclusivement placés dans les attributions de la chambre, et l’un ne peut pas plus que l’autre être délégué sans violer la constitution.
Par ces motifs, je voterai contre la prise en considération.
(Moniteur belge n°168, du 30 novembre 1831) M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour dire quelques mots explicatifs de mon vote. Dans la langue française, le mot "enquête" signifie recherche judiciaire ou civile. J’en appelle à l’autorité de Boiste, le meilleur dictionnaire de nos jours. Je pense que notre commission d’enquête doit être investie d’un pouvoir fort étendu, si nous voulons atteindre les auteurs de nos désastres, et en découvrir les causes secrètes. Aucun de nous n’ignore que le fatal cri de « sauve qui peut » a été proféré dans l’armée de Daine. Personne ne peut donc affirmer qu’il n’y ait pas eu de traitres. Quand, la première fois, on voulut mettre en accusation de Villèle, la chambre a trop borné le pouvoir de la commission, et voilà pourquoi il n’y a point eu de résultat. On a agi tout autrement lors des fatales ordonnances de Charles X ; la commission a été investie de tous les droits du juge d’instruction. Ainsi les poursuites ont été faites ; et les Peyronnet, les Polignac et autres violateurs de la charte française, expient en ce moment leur crime au château de Ham.
M. Barthélemy nous a parlé de propagande ; je vous le demande messieurs, est-ce que, par haine pour la propagande révolutionnaire, la Belgique doit faire banqueroute à l’honneur ?
M. Van Meenen établit que le projet de la commission, bien qu’on l’appelle projet de résolution, n’en est pas moins un projet de loi. Or, en l’admettant comme projet de loi, il faudra qu’il suive les formes ordinaires, et qu’il passe au sénat et soit sanctionné par le roi. Donc ce ne sera plus la chambre qui règlera seule ses propres attributions, et c’est faire dépendre le droit d’enquête de l’approbation des autres branches du pouvoir législatif. Il appuie ces raisonnements de plusieurs observations, et combat l’argument de M. Jullien, consistant à dire que la chambre a délégué son droit d’enquête. Au surplus, ce droit d’enquête emporte celui de compulser les archives, les dépôts publics, de faire citer, devant celui qui l’exerce, les personnes qui peuvent donner des renseignements, et de faire amener, soit par mandat de comparution, soit autrement, les inculpés. Ainsi donc, le projet de loi est inutile.
En votant contre la prise en considération, dit en terminant l’orateur, je ne pense pas qu’on m’accuse de vouloir entraver l’enquête. A en juger par le vague des termes dans lesquels cette enquête est conçue, j’ai toujours cru qu’elle n’aboutirait à rien ; mais puisqu’on en a jugé autrement, conformons-nous du moins aux termes de la constitution.
M. le président appelle à la tribune M. Nothomb.
M. Nothomb. - M. le président, comme je suis inscrit contre la prise en considération, j’aimerais mieux ne parler qu’après un orateur pour.
M. le président. - N’y a-t-il personne qui veuille parler pour ?
M. de Robaulx. - Non, la majorité est contre ! (On rit.)
M. Seron. - Il faut donc prononcer la clôture !
- D’autres voix. - La clôture !
- D’autres voix. - Non ! non ! (Bruit. La clôture ! la clôture !)
M. le président. - Y a-t-il dix membres qui demandent la clôture ?
- Plusieurs membres se lèvent.
M. Leclercq. - Messieurs, il me semble que ce que vient de dire M. Van Meenen est plutôt pour que contre la prise en considération ; car qu’importe à la commission que ce soit par une loi ou par un règlement qu’on la mette à même de remplir la tâche qui lui est imposée ?
- Quelques voix. - La clôture !
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole contre la clôture. Il me semble, messieurs, que la chose est assez importante pour mériter une discussion plus approfondie. Si le projet a été attaqué avec force par ses adversaires, les membres de la commission n’ont pas été entendus, et je crois qu’il convient de les entendre avant de clore la discussion. (La clôture ! la clôture ! Non ! non ! Agitation.)
M. H. de Brouckere. - Je ne vois pas pourquoi ceux qui se disposent à parler pour la prise en considération renonceraient à leur tour de parole.
M. Leclercq. - Je me propose de parler pour ; mais, en qualité de membre de la commission, j’attendais que ceux qui combattent le projet eussent parlé, pour répondre à leurs arguments en résumant la discussion. Nous devions d’autant plus nous attendre à cette marche, que le ministère lui-même avait annoncé qu’il considérait la question comme une question de gouvernement, et que nous étions en droit de penser qu’il prendrait part à la discussion. Or, le ministère n’a pas encore parlé.
M. le président.- Il paraît qu’il y a une tactique des deux côtés pour ne pas prendre la parole.
M. Leclercq. - Il n’y a pas de tactique ; les choses se passent ainsi à la chambre française. Lorsqu’une discussion est ouverte, le rapporteur de la commission prend la parole à la fin pour résumer la discussion. Au moment de clôture une discussion, si un ministre demande la parole, on la lui accorde toujours. Nous pensions que la chambre voudrait suivre cet usage ; il n’y a donc pas là de tactique, comme l’a dit M. le président.
M. le président. - J’ai dit qu’il y avait tactique des deux côtés.
M. Gendebien. - C’est une injure pour les deux côtés de la chambre.
- L’hésitation continue : les uns demandent la clôture, les autres s’y opposent. L’agitation est extrême.
M. de Robaulx. - C’est très plaisant.
M. le président. - On a demandé la clôture, je vais la mettre aux voix.
- On procède à l’épreuve et à la contre-épreuve.
M. le président. - Il paraît qu’il y a majorité contre la clôture. (Vives réclamations. L’appel nominal ! l’appel nominal !)
Veut-on l’appel nominal ? On va y procéder.
M. Van Meenen et M. Nothomb demandent la parole.
M. de Robaulx et d’autres. - On ne peut pas parler entre deux épreuves.
M. Nothomb. - C’est pour une motion d’ordre.
- Les mêmes. - On ne parle pas entre deux épreuves.
M. le président. - On peut toujours parler pour le rappel au règlement ; il y a eu à cet égard un précédent dans une circonstance assez solennelle.
M. Nothomb. - Il n’y a pas lieu de faire l’appel nominal ; car n’ayant plus d’orateurs inscrits et personne ne voulant parler, la clôture est de droit.
M. de Robaulx. - On peut vouloir parler sans s’être fait inscrire.
M. H. de Brouckere. - On ne met aux voix la clôture de la discussion que lorsqu’il y a réclamation de la part de quelqu’un pour que la discussion continue ; mais ici tout le monde est d’accord (vives réclamations), tout le monde est d’accord (non ! non !) Je dis que tout le monde est d’accord ; car personne ne voulant parler, la discussion est fermée d’elle-même. (L’agitation va croissant).
M. Leclercq. - Je demande la parole.
M. Delehaye. - M. le président, faites procéder à l’appel nominal sur la clôture.
M. Poschet. - Je demande la parole.
M. A. Rodenbach. - M. Poschet demande la parole. (Le tumulte continue ; les uns demandent la parole, les autres réclament l’appel nominal.)
M. le président. - Messieurs, il me semble que l’appel nominal lèvera toute difficulté. En définitive, ce sera la majorité de la chambre qui décidera. (Oui ! oui !) On va donc procéder à l’appel nominal.
M. de Woelmont. - L’appel nominal est inutile. Il est constaté que personne n’a voulu prendre la parole. (L’agitation recommence.)
M. le président. - Il n’y avait que M. Nothomb d’inscrit ; il a renoncé à la parole.
M. H. de Brouckere. - Il est bien entendu qu’on ne fait l’appel nominal que parce que personne ne veut prendre la parole. Que si quelque orateur voulait parler, soit pour, soit contre le projet, je m’opposerai à la clôture.
M. Gendebien. - Il m’importe peu que l’appel nominal ait lieu on non ; mais ce qui m’importe, c’est que le règlement soit observé, et l’article 6 dit : « Dans le doute, après deux épreuves, la discussion continue. »
M. Ch. Vilain XIIII, parlant au milieu du bruit. - Il n’y a eu qu’une épreuve ; l’épreuve et la contre-épreuve ne font qu’une seule épreuve. Je demande donc que la seconde épreuve soit faite.
M. le président. - Nous allons faire une seconde épreuve par assis et levé.
- On procède à cette seconde épreuve. La clôture est rejetée.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et non numéroté.) M. Leclercq. - Messieurs, si les membres de la commission ont tardé aussi longtemps à prendre la parole, c’est qu’ils croyaient qu’après avoir exposé par l’organe de l’un d’entre eux les motifs qui les avaient déterminés à présenter le projet de loi, il était convenable qu’ils entendissent auparavant les orateurs qui se proposaient de le combattre pour résumer ensuite toute la discussion et mettre ainsi la chambre en état de prononcer en parfaite connaissance de cause. C’est que, d’un autre côté, le ministère ayant annoncé qu’il regardait ce projet comme une question de gouvernement, et demandé qu’on ne fixât pas la discussion à un jour trop rapproché, parce qu’il fallait lui donner le temps de se préparer à le combattre, nous pensions qu’il prendrait la parole avant la clôture. Tel est le motif qui nous a fait attendre jusqu’à présent pour prendre la parole. Le ministère n’a pas parlé, quoique présent dans cette enceinte. Force nous est bien de répondre dès à présent aux membres qui ne partagent pas notre opinion.
A l’occasion du projet de loi que vous a présenté la commission d’enquête, ont été soulevées de nombreuses et graves questions. A côté de questions de règlement ont été soulevées des questions de haute politique et de liberté. L’on a cherché à vous montrer le pouvoir législatif envahissant et le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire ; l’on a cherché à vous inspirer la plus vive appréhension sur la sécurité de l’Etat par l’entrée dans le gouvernement, que la chambre, vous a-t-on dit, allait s’ouvrir à l’aide de ce projet ; l’on a cherché à vous inspirer la plus vive appréhension sur la liberté des citoyens, par le droit qu’elle allait, vous a-t-on dit, s’arroger de les juger.
Vous serez sensibles, autant que vous le devez, à de pareilles appréhensions ; vous vous montrerez, autant que vous le devez, susceptibles sur tout ce qui peut compromettre la sécurité de l’Etat et la liberté des citoyens ; mais vous prendrez garde de vous laisser aller à l’entraînement d’une pareille susceptibilité ; l’entraînement détruit au lieu de conserver. Vous prendrez garde que, sous prétexte de conserver la sécurité de l’Etat et la liberté des citoyens, on ne vous conduise au renversement des institutions sur lesquelles reposent et la sécurité de l’Etat et la liberté des citoyens ; vous prendrez garde surtout à ce qui s’est passé en Belgique depuis dix mois, à ce que pensera et dira de vous l’Europe : ces Belges, dira-t-elle, n’ont su se distinguer que par leur jactance, à les entendre, ils pouvaient défier toutes les puissances réunies, à les entendre, ils n’avaient qu’à montrer une blouse aux Hollandais, et les Hollandais devaient fuir devant eux. Les Hollandais se sont montrés, et en huit jours il n’y avait plus de Belges devant eux !
Et depuis, au lieu de rentrer dans le rôle modeste dont ils n’auraient jamais dû sortir, ils n’ont pas diminué de jactance ; à les entendre, ils avaient été trahis, on les avait laissés sans organisation ; on les avait laissés dans un état tel que le peuple le plus brave, le plus riche et le plus fort devait succomber devant le plus lâche, le plus pauvre et le plus faible. Ils ont annoncé qu’une enquête ferait justice des auteurs de leurs désastres, ils ont ordonné cette enquête, ils ont nommé une commission pour y procéder, ils en ont fait grand bruit, mais ils comptaient bien ne pas y donner suite ; ils espéraient que leurs commissaires ne seraient pas assez imprudents, pour venir réclamer d’eux les pouvoirs qu’ils avaient eu soin de ne pas leur donner ; mais ces commissaires ont eu cette imprudence, ils sont venus réclamer ces pouvoirs, et pour ne pas les donner, pour ne pas avouer leur honte, ils les ont repoussés par de vains subterfuges. Voilà, messieurs, ce que dira l’Europe si vous vous laissez aller aux scrupules qu’on cherche à vous inspirer, et si elle le dit, soyez-en sûrs, une vaste tache souille la Belgique ; cette tache s’étendra encore et deviendra ineffaçable pour nous, que vous avez chargés du pénible honneur de rechercher les causes et les auteurs de nos désastres, pénétrés du sentiment de nos devoirs, pleins de respect pour la constitution, mais aussi soucieux de l’honneur national nous avons dû ne nous dissimuler aucune des difficultés que l’on pouvait élever contre le projet, sans nous laisser dominer par aucun scrupule. Nous les avons toutes mûrement examinées, nous nous sommes même un instant pénétrés de ces scrupules pour mieux en apprécier la valeur, et nous sommes sortis de cette épreuve convaincus qu’il n’y avait que des scrupules, et que pour des difficultés, il ne pouvait y en avoir de sérieuses.
Trois questions de règlement ont été agitées avant celles qui se rattachent aux dispositions du projet de loi lui-même. La prise en considération doit-elle être écartée, parce que ce n’est pas par voie législative, mais par voie réglementaire que doivent être portées les dispositions qui vous sont soumises par cette question ? Ceux qui l’ont soulevée veulent étendre outre-mesure, vous le voyez, l’autorité de la chambre. Par les deux questions qui vont suivre, d’autres adversaires du projet se jettent dans une extrémité opposée, et soutiennent d’abord qu’aucune commission ne peut, aux termes du règlement de la chambre, présenter des projets de loi, et surtout des projets de lois organiques ; en second lieu, qu’il faudrait au moins qu’une commission, pour le faire, en eût reçu de vous la délégation, et que la commission d’enquête ne l’a pas reçue.
Reprenons chacun de ces questions.
Est-ce pas voie réglementaire que vous devriez ici statuer ? Non, messieurs, car jamais l’on n’a entendu autre chose par règlement d’une assemblée délibérante que les dispositions qui règlent sa marche intérieure ; mais dès qu’il s’agit pour l’assemblée d’étendre son action hors de son enceinte, de la faire porter sur la société, sur les personnes, dès lors elle rentre dans le domaine de la loi ; car la loi c’est la règle qui lie et la société et les personnes, qui détermine la marche et de la société et des personnes. Or, la loi ne peut être faite que par le concours et des chambres et du Roi. Les dispositions que nous vous présentons doivent vous obliger à étendre votre action à l’extérieur ; elles doivent donc rester entièrement étrangères au domaine des règlements. Je n’ajouterai plus qu’une considération et elle est décisive : vous ne pouvez donner des ordres sans y ajouter une sanction. Cette sanction ne peut être qu’une peine, et le projet de loi en contient. Or, suivant l’article 9 de la constitution, nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu d’une loi ; cette question est donc résolue. La prise en considération ne peut être écartée, parce que nous vous aurions présenté une loi au lieu d’un règlement. Je terminerai en vous rappelant que ce que vous pouvez faire par le règlement, à plus forte raison le pouvez-vous faire par une loi.
Passons à la deuxième question : Une commission peut-elle présenter des projets de loi ? Vous n’exigerez pas de nous que nous venions vous démontrer de quel droit nous, membres de la chambre, membres d’une commission nommée par elle, nous venons vous en présenter ici, car pour toute démonstration, nous n’avons qu’à répondre qu’aucune loi ne nous le défend ; que la liberté naturelle forme la règle générale, qu’une défense seule pourrait nous arrêter ; que toute défense est une exception à la règle ; que toute exception doit être expresse, et que nous défions qui que ce soit d’en trouver trace dans le règlement. Nous pouvons donc, pour résoudre cette question, nous borner à répondre aux raisons par lesquelles on cherche à nous repousser. Elles sont de deux espèces, les unes purement négatives, les autres fondées sur de prétendus principes d’ordre.
Les premières répondent sur le silence du règlement à l’égard du droit qu’exerce la commission, sur ce que le règlement permet à un membre de la chambre de présenter des projets de loi, tandis qu’il ne le permet pas à une commission ; mais de ce que le règlement garde le silence sur le droit que nous exerçons, de ce qu’il accorde à un membre de la chambre une permission qu’il n’accorde pas à une commission, peut-on raisonnablement en tirer la conséquence que son silence équivaut à une prohibition ? Non, bien certainement, ou il faudrait renverser les principes, faire de l’exception la règle, et de la règle l’exception, en disant que ce qui n’est pas expressément permis est défendu ; il faudrait en outre aller jusqu’à soutenir que le silence ne peut pas résulter d’une simple omission que l’on a eu des motifs de faire, et des motifs il en existe ici, pour ne rien dire du droit de présenter des projets de loi, exercé par une commission, et pour accorder au contraire ce droit à un membre unique de la chambre. En effet, aux termes de la constitution, la chambre a l’initiative des lois, elle peut donc déléguer cette initiative à une commission sans qu’il soit nécessaire d’en parler dans le règlement ; mais il n’en est pas de même d’un simple membre de la chambre : ce membre n’a pas l’initiative des lois d’après la constitution ; il fallait donc, si l’on voulait qu’il pût présenter des projets, que la chambre en fît l’objet d’une disposition expresse du règlement, et que par là, elle lui donnât une délégation générale. Voilà déjà un motif pour parler dans le règlement de l’exercice de l’initiative par un membre, et pour n’en rien dire de la part d’une commission. Il est encore un autre motif : un membre unique ne pouvait présenter des projets qu’en vertu d’une délégation générale de la chambre : il fallait bien des dispositions spéciales dans le règlement pour prévenir l’abus qu’il pourrait faire de cette initiative ; mais l’inutilité de semblables dispositions à l’égard d’une commission est évidente, parce que celle-ci a reçu une délégation spéciale de la chambre qui a choisi chacun de ses membres, qui les a choisis pour un objet déterminé, qui les a choisis en considération de leurs qualités personnelles mises en rapport avec cet objet, de sorte qu’elle a par là toute garantie que l’usage de sa légation spéciale sera exempt d’abus.
Enfin, messieurs, une dernière raison qui rendait superflue toute disposition à cet égard dans le règlement, c’est qu’accordant le droit d’initiative à un membre seul, il allait sans doute qu’une réunion de membres, une commission devait avoir le même droit.
Mais on insiste, et c’est ici que se présentent ces raisonnements déduits de prétendus principes d’ordre. On peut bien, vous dit-on, permettre à un membre de présenter des projets de loi, parce que ses propositions sont revêtues de sa signature, qu’il en porte la responsabilité morale, qu’ainsi les abus ne sont point à redouter ; mais il n’en est pas de même d’une commission dans le sein de laquelle les résolutions se prennent à la majorité des voix. Cette majorité se compose de personnes inconnues, et il n’y a aucune responsabilité. Ce raisonnement, s’il était vrai autant qu’il l’est peu, ne prouverait autre chose, si ce n’est qu’il serait utile d’interdire à une commission de présenter des projets de loi ; mais il ne prouve pas que le silence du règlement équivaille à une prohibition, à une exception à la règle générale. Du reste, ce raisonnement n’est pas juste ; il repose sur une supposition fausse, sur la supposition que l’on ne connaît pas les membres de la majorité d’une commission, ce qui la soustrait à toute responsabilité. C’est une erreur, et cette erreur provient de ce que l’on a mal-à-propos comparé ce qui s’est passé dans ce cas à ce qui se passe parmi des juges. Lorsqu’un tribunal a formé son jugement et l’a prononcé, tout est fini, et les auteurs du jugement restent inconnus ; mais il n’en est pas de même d’une commission ; lorsque son projet est arrêté, tout n’en reste pas là ; il est présenté à la chambre, il est soumis à une discussion, à un vote public. Les opinions de la majorité de cette commission paraissent au grand jour, et par cette publicité reste entière toute leur responsabilité morale. Il n’y a donc, sous quelque point de vue qu’on envisage cette question, aucun motif pour ôter à une commission le droit de présenter des projets de loi. Il n’y a pas de défense dans le règlement. Son silence n’emporte pas exclusion. Son silence résulte d’ailleurs de raisons qu’il est facile d’apprécier. Je ne ferai plus qu’une observation, et elle me semble concluante, abstraction faite de tout ce que j’ai pu vous dire. Il s’agit ici d’une enquête ; or, il ne se trouve dans le règlement aucune disposition relative à cette partie de vos pouvoirs constitutionnels ; il est donc impossible d’argumenter d’aucune disposition du règlement pour écarter, sous prétexte d’un défaut de forme, la prise en considération. La commission d’enquête qui vous a présenté le projet de loi n’existe en vertu d’aucune disposition du règlement. Parcourez-les toutes, et vous n’y trouverez rien qui vous ait autorisés à la nommer. Le règlement vous permet bien de nommer des sections, de nommer des commissions permanentes d’industrie et de finances, de nommer des commissions de pétitions, de nommer enfin, indépendamment de ces commissions, des commissions spéciales pour l’examen d’une ou de plusieurs propositions. Mais nulle part vous n’y trouverez rien qui vous autorise à nommer une commission d’enquête. Cette commission n’existe donc pas en vertu du règlement ; ce n’est donc point dans le règlement que vous devez chercher des règles qui lui sont applicables ; elle n’existe qu’en vertu de la constitution, qu’en vertu du besoin de mettre en exécution l’une des plus précieuses prérogatives qu’elle accorde aux chambres ; c’est donc aussi dans la constitution, et uniquement dans la constitution, qu’elle peut aller puiser ses droits et ses règles d’action.
Ces observations, qui décident la question, me font rencontrer ici une nouvelle difficulté qui a été soulevée tout récemment. L’on vient de vous dire que la commission accordait bien le droit d’enquête aux chambres, mais qu’elle ne leur permettait pas de le déléguer à une commission. Messieurs, c’est là une question que vous avez jugée et qu’il n’appartenait pas à nous, membres de votre commission d’agiter de nouveau. Vous nous avez nommés, et, jusqu’à ce que vous nous ayez révoqués, nous avons dû accomplir notre mandat. Du reste, ce n’est pas le droit d’enquête que vous nous avez délégué, vous nous avez seulement confié le soin de préparer l’instruction nécessaire à l’exercice de ce droit, de vous faire un rapport de nos travaux, sauf à vous prononcer définitivement et à exercer ainsi le droit que vous avez reçu de la constitution. Ces travaux nous les avons commencés, et c’est afin de pouvoir les accomplir que nous sommes venus vous présenter un projet de loi. Il vous reste à voir si nous avons reçu mission pour vous le présenter, ce qui nous conduit à l’examen de la dernière difficulté de forme qu’on a jetée sous nos pas.
Chercher à résoudre cette question, c’est chercher à vous démontrer que vous avez eu telle intention plutôt que telle autre intention ; que vous avez voulu nous confier telle mission plutôt que telle autre mission ; la question réduite à ces termes, la discussion semble en devenir oiseuse ; il paraît en effet impliquer absurdité et même ridicule de chercher à venir démontrer à une assemblée quelles ont été ses intentions à tel jour déterminé, ce qu’à tel jour elle a voulu ou n’a pas voulu faire. La commission a pensé que puisqu’il n’existait aucune loi régulatrice du droit d’enquête, et qu’elle avait été chargée de présenter une enquête, la chambre avait bien voulu en même temps la charger du préliminaire indispensable d’un projet de loi sur la matière, parce que qui veut la fin veut les moyens. Si la commission est dans l’erreur, cette erreur doit être évidente pour vous, d’un mot vous pouvez la dissiper ; prononcez ce mot et tout sera dit.
Je n’entrerai donc dans aucune discussion. Je me bornerai à soumettre quelques questions aux membres de l’assemblée qui pourraient douter des intentions de la majorité ; je leur demanderai :
1° La chambre, en instituant une commission d’enquête, a-t-elle ignoré que cette commission ne pourrait accomplir sa mission sans sortir de son sein pour agir à l’extérieur ?
A-t-elle ignoré que cette action, tendant à la découverte des abus et des coupables, tendant à déraciner les uns et à signaler les autres aux poursuites de la justice, devrait mettre nécessairement en contact avec les personnes et privées et publiques, depuis le rang le plus bas jusqu’au rang le pus élevé, où commence la responsabilité ?
A-t-elle ignoré qu’une action sur les personnes ne pouvait s’exercer sans que celui qui l’exerce ne soit revêtu d’autorité, sans que cette autorité n’ait été réglée par la loi ?
A-t-elle ignoré qu’il n’existait dans ce pays ni dans aucun pays voisin, ni loi ni règlement qui autorisât cette action, ou pût servir de guide pour l’examen ?
A-t-elle ignoré que jetée de son sein de la société, la commission d’enquête se trouvant sans autorité, sans loi qui réglât sa marche, qui lui donnât pouvoir sur les personnes, elle se trouverait complètement paralysée ?
A-t-elle ignoré que s’il en était ainsi, le droit d’enquête allait devenir illusoire la première fois qu’il était exercé et dans la circonstance la plus grave qu’il soit possible d’imaginer, dans une circonstance où il y va de l’honneur du pays, où il peut arriver que les recherches conduisent à la découverte d’un crime de haute trahison envers l’Etat ?
A-t-elle pu vouloir qu’il en fût ainsi ?
N’a-t-elle point su qu’il en serait ainsi, à moins qu’avant de charger une commission de procéder à l’enquête, elle n’eût chargé une commission de lui présenter une loi, ou qu’elle n’en considérât la commission d’enquête elle-même comme chargée en vertu de cette maxime que j’ai énoncée tantôt : Qui charge d’atteindre un but, charge de faire ce qui est nécessaire pour l’atteindre ?
Qu’on examine ces questions, qu’on y réponde, et si l’examen est attentif, si la réponse est franche, on arrivera aux mêmes conséquences qu’à celles auxquelles est arrivée la commission d’enquête. La chambre a ordonné une enquête, elle savait qu’il n’existait aucune loi qui en réglât la marche, elle savait qu’il fallait une loi, elle n’en a pas fait : elle a pourtant nommé une commission ; elle a prescrit à cette commission d’agir ; elle a donc voulu qu’elle préparât un projet de loi à cet effet. Telle est la conséquence à laquelle il faut bien arriver. Et qu’on ne vienne pas nous dire que si nous avions le pouvoir de présenter un projet de loi, nous n’avions pas le pouvoir de présenter un projet de loi général, nous devions le restreindre au cas particulier de l’enquête sur les désastres du mois d’août ! Pour s’attacher à cette difficulté, il faudrait oublier les premiers principes en matière de législation ; il faudrait oublier qu’on ne fait pas de loi pour un cas spécial ; que l’on doit embrasser dans chaque loi, sous des termes généraux, tous les cas analogues ; qu’on le soit sous peine de faire perdre à la loi ce caractère d’impartialité sans lequel elle ne peut se concilier le respect et l’obéissance nécessaires à sa durée ; qu’on le doit sous peine de faire autant de lois qu’il y a de cas particuliers, ce qui en peu de temps doit faire de la législature un véritable dédale.
Et qu’on ne vienne pas nous dire que si la commission se trouvait arrêtée dans son opération, elle devait venir exposer à la chambre son embarras, et que la chambre y eût pourvu ; car pour cela, messieurs, il eût fallu que votre commission eût supposé que la chambre avait voulu commencer l’œuvre par la fin, en ordonnant une enquête pour ordonner ensuite une loi, sans laquelle il ne pouvait y avoir d’enquête. Cette dernière supposition aurait été aussi injurieuse à vos lumières que la première l’était à vos sentiments, et la commission a dû s’en abstenir pour accomplir son mandat dans toute son étendue.
Considéré dans son ensemble, le projet de loi se rattache, comme vous avez dû vous en convaincre par la discussion d’hier, à deux questions principales.
Les pouvoirs, que ce projet confère à la chambre, lui appartiennent-ils ? Les moyens d’exercer ces pouvoirs sont-ils constitutionnels ?
Les pouvoirs que le projet confère à la chambre sont très étendus, j’en conviens ; mais, avant de lui en faire un motif de reproche, prenons garde que ce reproche ne retombe sur la constitution ; vous lui portez trop de respect pour aller jusque-là, et c’est pourtant ce qui arriverait si les pouvoirs, que le projet attribue aux chambres, n’étaient qu’une conséquence naturelle de la constitution : dans ce cas, en effet, vous ne pourriez repousser l’une sans repousser en même temps l’autre.
Voyons donc ce qu’il peut en être à cet égard.
Tout droit, conféré par la constitution à l’un des corps entre lesquels est répartie l’autorité souveraine, emporte avec lui les pouvoirs nécessaires pour l’exercer : s’il en était autrement, il faudrait dire qu’en donnant d’une main le législateur a voulu retirer de l’autre ; il faudrait dire qu’en établissant un droit le législateur a voulu en même temps le paralyser ; il faudrait dire, enfin, qu’il aurait imité l’article, qui crée une machine et néglige d’y placer le ressort destiné à lui imprimer le mouvement.
Une loi organique d’un droit de ce genre doit donc consacrer tous ces pouvoirs ; elle ne peut excéder les limites du droit, mais elle ne peut non plus rester en-deçà. Toute la question se réduit donc à savoir si les limites de droit ont été dépassées ou si elles n’ont pas été atteintes ; qu’elles aient été dépassées, et la constitution aura été violée ; il en sera de même si les limites n’ont pas été atteintes ; le droit restera incomplet, il sera inefficace dans l’une de ses parties.
Le projet de loi qui vous est soumis a-t-il respecté ces principes ? Il tend à organiser le droit d’enquête. Excède-t-il les limites de ce droit ? Ou reste-t-il dans les termes de ces limites ? Vous en aurez jugé, messieurs, quand vous vous serez arrêtés un instant à l’examen de la nature du droit d’enquête, des limites de ce droit, des expressions de la loi constitutionnelle qui le consacre.
Le droit d’enquête s’explique par la dénomination même : c’est le droit de faire des recherches. Ces mots doivent sembler vagues au premier abord, mais ce vague disparaît aussitôt qu’on met le droit de recherche en rapport avec l’être auquel il appartient, avec sa nature, avec sa mission, avec sa fin ; c’est, en effet, pour accomplir sa mission, pour arriver à sa fin, conformément à sa nature, que celui à qui il appartient exercera le droit de faire des recherches.
Appliquons ces simples idées aux chambres investies par la constitution du droit d’enquête : quelle est leur mission, quelle est leur fin ? Répondons à ces questions, et nous devrons reconnaître que les pouvoirs conférés aux chambres par le projet de loi sont compris dans le droit d’enquête.
Faire les lois nécessaires à la société, réformer par des lois les abus qui la tourmente, accorder au pouvoir exécutif l’argent nécessaire aux dépenses publiques, ordonner la mise en accusation des ministres, traitres ou prévaricateurs : telle est la mission des chambres, telle est la fin pour laquelle elles sont instituées. Et ces lois qu’elles sont appelées à faire, où doivent-elles en aller puiser les dispositions ? Est-ce pour un être abstrait qu’elles doivent les faire, ou bien est-ce pour l’être qui vit, qui souffre, qui jouit sous leurs yeux, pour l’homme, pour la société, avec tous ses vices et toutes ses vertus, avec tous ses biens et tous ses maux ? Et si c’est pour l’homme, si c’est pour la société, n’est-ce point dans la nature de l’homme et de la société qu’elles doivent en aller puiser les dispositions ! N’est-ce point dans ce qui vit en rapport avec l’homme et avec la société ? N’est-ce point dans tout ce qui exerce d’influence sur l’homme et la société, et, par cela même, peut en modifier la nature, qu’elles doivent en aller puiser les dispositions ? N’est-ce point dans toutes les circonstances au milieu desquelles s’agite la société ? N’est-ce point surtout dans la nature, dans la direction, dans les actes des pouvoirs qui président à la marche, qui incessamment agissent sur son existence et peuvent la détruire ou lui porter des atteintes funestes, qu’elles doivent puiser les dispositions des lois ? Ces détails, messieurs, que je pourrais étendre bien plus loin encore, suffisent pour vous démontrer outre-mesure, et toute la grandeur de la mission des chambres, et toute la carrière qu’elles doivent parcourir pour arriver à leur fin ; ils suffisent pour vous démontrer tout ce qu’elles doivent embrasser dans leur recherche.
En mettant ainsi en rapport ce droit de recherche avec la nature et les missions des chambres, elles le précisent et en signalent l’étendue ; et ce que je viens de dire des lois, à plus forte raison, du budget et de la mise en accusation des ministres. Le budget ne peut être consenti qu’autant que l’argent demandé soit nécessaire, autant que les agents du pouvoir exécutif inspirent assez de confiance, par tous leurs actes, pour qu’on puisse leur abandonner l’emploi des deniers publics. Et comment saurez-vous que ces agents doivent vous inspirer toute confiance, si vous ne pouvez examiner tous leurs actes ? Comment le saurez-vous si une enquête, qui les embrasse tous, ne peut être ordonnée ? Je n’en dirai pas davantage sur ce point : je ne parlerai pas de la mise en accusation des ministres. Si l’examen de leurs actes peut être interdit, il faut, dès ce jour, renoncer à mettre jamais un ministre, quelque peu adroit, en accusation ; et c’est ainsi que, sous quelque point de vue qu’on examine la mission des chambres, si on la rapproche du droit d’enquête consacré par la constitution, ce droit devient intelligible aux esprits les plus bornés. Ce droit, à la vérité, est immense et infini ; mais c’est que la mission des chambres est également immense : aussi est-ce sans limites qu’il a été consacré par la constitution. Elle l’établit dans l’article, en termes généraux, sans restriction ni exception aucune : c’est à cette généralité qu’a dû répondre le projet organique des pouvoirs nécessaires pour l’exercer. Je n’entrerai point dans les détails des dispositions de ce projet ; je ne ferais que répéter ce que vous avez déjà entendu plus d’une fois ; je me bornerai à dire que, si vous retranchez une seule de ces dispositions, vous apporterez des exceptions au droit d’enquête, vous en apporterez à la constitution, et ce ne sera point le projet de loi seulement que vous aurez repoussé, vous aurez en même temps repoussé la constitution par laquelle seule vous-mêmes existez.
J’ai entendu soutenir que si une commission d’enquête pouvait exercer le compulsoire, que si elle pouvait assigner des témoins, elle ne le pouvait que pour un acte ou pour un fait déterminé, et après avoir obtenu l’autorisation de la chambre. Mais dans ce cas, je demande à ceux qui tiennent ce langage, que deviendrait un compulsoire ainsi annoncé d’avance par une demande d’autorisation ? Les pièces n’auraient-elles pas disparu avant que la demande d’autorisation n’eût même été examinée ? Une enquête soumise à un compulsoire entouré de pareilles formalités, que deviendrait-elles ? Et puis, je le demande encore, où est la possibilité pour une commission de venir vous indiquer les pièces qu’elle a besoin de voir ? Il faudrait, pour le faire, qu’elle connût ces pièces par avance, et, si elle les connaissait, il serait inutile de procéder à un compulsoire, tandis que ce compulsoire est nécessaire précisément parce qu’on ignore quelles pièces peuvent nous fournir des renseignements.
Laissons, donc, messieurs, toutes ces restrictions que l’on voudrait voir dans le projet de loi : ce projet est général comme le droit lui-même ; vous ne pouvez le rejeter ni le modifier, sans rejeter le droit d’enquête, ou tout au moins sans modifier ce droit : la constitution est là. Nous devons nous y rattacher : c’est notre seul titre d’existence ; elle détruit bien tous ces reproches d’usurpation et d’arbitraire qu’on adresse au projet de loi. A entendre quelques orateurs, les chambres vont pénétrer dans le gouvernement, elles vont bouleverser tout le ministère, elles vont s’emparer de tous les secrets de l’Etat et les divulguer. Si ce n’était là, messieurs, des monstres chimériques, qu’on semble se créer comme pour s’effrayer à plaisir ; si ces maux étaient réels, ce n’est point à notre projet de loi qu’il faudrait en adresser le reproche, c’est à la constitution : car je viens de vous démontrer que ce projet n’en était que la conséquence naturelle : ces maux dériveraient donc de la constitution et non du projet de loi. C’est donc la constitution qu’il faudrait déchirer ; mais, aussi longtemps qu’elle existera, force sera bien de la respecter et de l’exécuter.
Du reste, messieurs, ces maux n’arriveront pas ; je vous l’ai dit, ce sont des monstres chimériques ; il est faux que par le projet de loi les chambres doivent entrer dans le gouvernement, bouleverser les ministères et divulguer les secrets de l’Etat.
Ici l’orateur expose en quoi consiste la participation aux actes du gouvernement, parcourt les différents opérations auxquelles doivent se livrer les chambres, pour exercer le droit d’enquête, et en tire la conséquence qu’elles ne porteront point la main au pouvoir exécutif, qu’aucun ministère ne peut être bouleversé par elles, et que s’il est des secrets d’Etat, ce qui pourtant ne peut être qu’une exception au principe de publicité, base des gouvernements constitutionnels, on doit croire que la commission d’enquête, composée d’hommes choisis, sauront à cet égard remplir leur devoir aussi bien que les ministres et les employés des ministères ; que, quant aux secrets légaux, tels que les traités et les négociations entamées, l’exception est consacrée par la constitution, et le projet de loi n’y est pas contraire. Il ajoute qu’apporter, sous de semblables prétextes, des restrictions au droit d’enquête, conduirait bien à en apporter au droit de refuser le budget pour refus de redressement de griefs, et au droit de mise en accusation des ministres ; puis, passant de ces considérations générales à l’enquête que la chambre des représentants a ordonnée, il entre dans tous les détails de cette enquête, développe toutes les circonstances de politique intérieure et extérieure qui ont pu influer sur nos désastres, et prouve que cette enquête spéciale est impossible si le projet n’est pas adopté.
L’orateur s’attache ensuite à démontrer la constitutionnalité des moyens que ce projet confère aux chambres, pour exercer le droit d’enquête. L’autorité, dont il les investit, est celle qu’exerce un simple juge préposé à une enquête ; une commission choisie par les chambres, agissant sous leur surveillance et toujours révocable par elles, n’exercera point une semblable autorité avec plus de danger pour les libertés publiques qu’il n’y en a de la part du juge. Le projet accorde cette autorité par les mêmes motifs que la loi civile l’accorde à un seul juge, quoiqu’il ne forme point à lui seul le tribunal ; il accorde, en outre, cette autorité par cet autre motif, qu’un pouvoir quelconque confié à l’un des corps de l’Etat, dont l’existence est indépendante, doit renfermer en soi l’autorité nécessaire pour l’exercer ; qu’il exclut l’obligation de recourir à l’intervention d’autres corps indépendants ; qu'il pourrait arriver que ces corps fussent eux-mêmes intéressés à ce qu’une enquête ne se fît pas ou manquât de résultats ; que c’est ce qui arriverait, par exemple, s’il s’agissait d’abus qui se seraient introduits dans l’administration de la justice, et l’auraient corrompue.
Après avoir développé ces idées, l’orateur reporte l’attention de l’assemblée sur la France et l’Angleterre, où la distinction des pouvoirs est la base des institutions politiques, où nul citoyen ne peut être distrait de son juge naturel, et où pourtant les chambres ont le droit d’enquête avec pouvoir de contrainte à venir donner les renseignements requis, sans que l’on voie dans ce pouvoir une atteinte aux dispositions constitutionnelles. Il prouve que les motifs pour lesquels il en est ainsi sont applicables à la Belgique et à ses institutions ; il résume ensuite toute la discussion, fait ressortit toutes les conséquences funestes du rejet du projet pour le droit d’enquête et les garanties politiques inhérentes à ce droit, rappelle ce qu’il a dit en commençant sur l’honneur national et les scrupules qui feraient manquer une enquête ordonnée pour laver la tache dont il est souillé, et termine en ces termes :
Nous ne venons pas, messieurs, rechercher un succès d’amour-propre en venant soutenir le projet ; vous nous avez confié une pénible mission, mais nous ne l’avons pas recherchée, nous l’avons reçue, et nous avons dû l’accomplir : nous n’avons point dû examiner si vous aviez bien fait de la décréter avec cette étendue, qui semble aujourd’hui effrayer beaucoup de membres, même parmi ceux qui l’ont votée ; nous n’avons pas dû examiner si vous aviez bien fait de nommer une commission, si vous aviez bien fait de lui donner une délégation générale, au lieu d’une délégation limitée à certains faits et à certains actes. Vos décrets étaient là, et, aussi longtemps que vous ne les aviez point révoqués, ils nous traçaient notre devoir. Nous y avons été fidèles en venant vous présenter un projet sans lequel toute enquête de quelque importance politique sera toujours impossible : c’est maintenant à votre prudence à faire le reste.
(Moniteur belge n°168, du 30 novembre 1831) M. Barthélemy. - Messieurs, il y a autant d’éloquence que de subtilité dans ce que vient de dire le préopinant. (Rires et murmures.) Son raisonnement est une subtilité d’un bout à l’autre. (Nouveaux murmures.) On ne cesse de nous répéter : « Vous avez voulu telle chose, telle chose ; donc vous devez vouloir telle et telle chose. » Il ne s’agit pas, messieurs, de ce que nous avons voulu, mais de ce que veut la constitution ; et si ce que nous avons voulu d’abord est contraire à la constitution, nous ne devons pas vouloir persister dans cette voie.
- L’orateur reproduit ses arguments pour prouver l’inconstitutionnalité de la proposition, et il persiste contre la prise en considération.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux), pour écarter le projet de la commission, soutient que si l’on accordait à la chambre, parce qu’elle a le droit d’enquête, celui de compulser les archives et les documents déposés dans les dépôts publics, et celui de faire arrêter et contraindre par corps les dépositaires de ces archives, il faudrait accorder le même droit au sénat, car l’article de la constitution met les deux chambres sur une même ligne, et attribue à toutes deux le droit d’enquête. L’orateur ne croit pas que l’on puisse accorder aux deux chambres un droit aussi exorbitant que celui de faire des compulsoires dans les archives, aussitôt qu’il plairait à l’une ou à l’autre chambre de nommer une commission d’enquête.
L’orateur, en refusant ce droit à la chambre, ne la croit pas désarmée pour cela et sans moyens de poursuivre l’accusation des ministres. S’il y avait lieu à une telle accusation, la chambre trouverait en elle-même tous les moyens d’arriver à cette accusation. Par ces considérations, l’orateur conclut au rejet de la proposition.
M. d’Elhoungne soutient que la loi est nécessaire pour que l’enquête puisse avoir lieu ; car il faut que les commissaires puissent contraindre les dépositaires des archives, et les témoins récalcitrants, à répondre aux demandes qui leur seront faites : pour les contraindre, il faut des peines, et les peines ne peuvent être prononcées et appliquées qu’en vertu d’une loi. L’orateur conclu de là que ce n’est pas par les voies réglementaires que l’on donnerait à la commission les pouvoirs qui lui sont nécessaires.
En tout cas, dit l’orateur en terminant, la chambre a voulu qu’une enquête fût faite ; elle peut, quand la proposition aura été prise en considération, faire disparaître les défauts qu’on lui reproche ; mais rien ne doit empêcher la chambre de prendre la proposition en considération.
- La discussion est renvoyée à demain à midi.
La séance est levée à 4 heures.
Noms de MM. les représentants absents sans congé à la séance du 28 novembre 1831 : MM. Angillis, Cos, Dautrebande, Davignon, Dewitte, Gelders, Jaminé, Rogier, Watlet.