(Moniteur belge n°156, du 19 novembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure et demie.
M. Jacques fait l’appel nominal, et lit ensuite le procès-verbal, qui est adopté.
M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui ont été adressées à la chambre ; elles sont renvoyées à la commission.
M. le président. - L’ordre du jour est la discussion générale du projet de loi sur les crédits du ministre de l’intérieur ; mais M. Destouvelles demande auparavant la parole pour faire une proposition d’urgence.
M. Destouvelles. - La proposition que j’ai l’honneur de soumettre à la chambre est d’une extrême urgence ; je désirerais qu’elle ne fût point assujettie à la lenteur des formalités prescrites par le règlement, et qu’on la discutât immédiatement après le projet qui est actuellement en délibération. Cette proposition, messieurs, a pour objet de faire intervenir une loi qui suspende le recouvrement de l’emprunt de douze millions dans les parties du Luxembourg ou du Limbourg qui seront détachées de notre territoire, dans le cas de l’exécution des 24 articles qui nous sont imposés par la conférence. Comme j’avais l’honneur de vous le dire, cette mesure est extrêmement urgente, car le recouvrement de cet emprunt se fait déjà ; et certes, si nos compatriotes sont destinés à devenir Hollandais, ils ne pourront ni ne doivent être tenus de payer cet impôt.
Le règlement porte que toute proposition sera renvoyée aux sections, pour savoir si l’auteur en devra faire la lecture à la chambre. A cette formalité le règlement en ajoute beaucoup d’autres, dans le but d’éviter la précipitation qui est toujours nuisible en matière de législation. Mais, ici, messieurs, la mesure que je propose est indispensable pour tous, parce qu’il y aurait sans cela injustice flagrante à l’égard des habitants du Luxembourg et du Limbourg qu’elle concerne. Je pense donc que la chambre prendra ma proposition en considération.
M. de Theux. - La proposition ne peut être certainement discutée aujourd’hui. Je crois qu’il conviendrait de la renvoyer aux sections, afin qu’elles jugent s’il est nécessaire d’abréger les délais prescrits par le règlement.
M. Verdussen demande qu’elle soit renvoyée à une commission.
M. Devaux. - L’importance de la proposition de notre honorable collègue doit nous engager à ne pas violer notre règlement, et ici moins que jamais. Le règlement permet même d’abréger les délais en cas d’urgence. Il me semble qu’il faudrait, pour agir régulièrement, renvoyer la proposition aux sections, qui se réuniraient après la séance.
M. Lebeau. - Quel que soit le sort de la proposition de M. Destouvelles, le gouvernement doit avoir une opinion à l’égard de l’objet qu’elle a en vue. Il l’approuve ou ne l’approuve pas. S’il l’approuve, il peut déjà donner des ordres pour que le recouvrement de l’emprunt soit suspendu par rapport aux habitants du Limbourg et du Luxembourg, qui seraient susceptibles de devenir Hollandais. Par cela seul qu’il a éveillé l’attention du pouvoir sur ce point, son but est atteint.
M. Destouvelles déclare qu’il s’est entendu avec M. le ministre des finances, avant de faire sa proposition, qu’il rend toute justice au gouvernement, parce qu’il a pris des mesures dès le 5 novembre pour qu’on n’agît pas avec rigueur à l’égard des contribuables que concerne la mesure qu’il demande ; mais qu’il ne peut cependant se dispenser d’exécuter la loi, à moins d’une autre disposition légale, selon les termes de l’article 112 de la constitution. L’orateur se range à l’opinion de M. Devaux, qui demande le renvoi aux sections après la séance.
M. A. Rodenbach. - Je crois la mesure dont il s’agit d’autant moins urgente que M. le ministre des finances a déjà donné des ordres ayant pour effet d’obtenir le but qu’elle se propose. D’ailleurs, messieurs, les habitants du Limbourg et du Luxembourg sont encore Belges ; ils ne doivent pas être dispensés dès à présent du paiement de l’impôt.
M. H. de Brouckere. - Notre honorable collègue se méprend évidemment sur l’objet de la proposition. Il ne s’agit pas de dispenser les habitants du Limbourg et du Luxembourg de l’impôt, mais de suspendre la perception de l’impôt, parce que, s’ils doivent passer sous le joug hollandais, ce serait une injustice que de le leur faire payer. Il n’est donc question que de suspendre cette perception jusqu’à ce qu’il ait été pris une décision définitive sur les 24 articles, sauf à les faire payer dans le cas où ces 24 articles ne seraient pas exécutés ; et ils viendront, n’en doutez pas, payer avec plaisir.
- La proposition est renvoyée à l’examen des sections.
M. Mary. - Messieurs, le rapport que vous a présenté votre commission de crédit sur celui à accorder au ministère de l’intérieur continue, comme les rapports qu’elle vous a précédemment faits sur les autres ministères, à émettre des vues d’économie pour l’avenir, tout en admettant les dépenses effectuées pour 1831. Comme ces vues pourraient être adoptées dans le budget qui vous sera présenté pour 1832, nous devons les examiner dès à présent, tout en discutant le projet de loi qui vous est soumis, émises dans la vue bien louable d’alléger les charges qui pèsent sur les contribuables ; nous devons cependant voir si la commission n’a pas quelquefois sacrifié au chiffre une dépense qu’il est d’une bonne administration de laisser, sinon subsister en entier, du moins en partie, avant que l’expérience nous ait appris s’il était convenable de la supprimer totalement. Je vais parcourir quelques parties du rapport de votre commission, tout en rendant hommage aux intentions qui ont dicté ses propositions.
Il ne semble pas qu’elle ait apporté d’autres réductions aux frais portées par les budgets économiques des provinces que celles qui pèsent sur les traitements du gouverneur et du greffier du Brabant. Cependant je trouve que, pour les neuf provinces, on a réclamé une somme de 18,000 florins, ou 2,000 florins par province, pour les frais de route et de séjour des états provinciaux, malgré l’observation judicieuse du gouverneur du Brabant, que cette allocation est inutile puisque les états ne doivent pas se réunir cette année. Si la commission de crédit a alloué cette somme, je croirai vous en proposer la suppression.
Les travaux publics auront coûté, en 1831, 2,450,000 fl. ; la moitié de cette somme a été employée à l’achèvement du canal de Charleroy à titre d’avance aux entrepreneurs, et des routes de Bruxelles à Ninove, ainsi que de Dinant à Neufchâteau. L’autre moitié constitue donc la dépense ordinaire, qui paraît trop élevée, si l’on considère que la route qui doit la couvrir ne consistait, d’après le compte de 1827, qu’en moins d’un million pour droits de barrières et péages, et 50,000 florins en redevances des mines. Je crois cependant qu’au moment où nous allons avoir à ouvrir de nouvelles routes, de nouveaux canaux pour procurer des débouchés aux produits de notre industrie et à notre commerce, nous devons user d’une prudente réserve, en touchant au personnel de cette administration. Nous allons avoir besoin de ses talents, et j’aimerais mieux apporter quelques réductions dans les traitements, dans les frais de bureau et de déplacement, que de supprimer les employés. Pour l’ancien royaume des Pays-Bas, il y avait deux inspecteurs-généraux ; nous n’en avons plus qu’un seul. Il y avait quatre inspecteurs divisionnaires ; il n’en reste également qu’un seul, dont la commission propose la suppression : et cependant, messieurs, celui qui occupe ce poste est une de nos plus hautes capacités dans cette partie. Il a été autrefois visiter, sur l’ordre du gouvernement, les travaux de l’Angleterre. Il en a rapporté des données utiles, et nous lui devons les canaux d’Antoing et de Charleroy, si remarquables sous le rapport des ouvrages d’art et de la difficulté vaincue. Il a en portefeuille des projets de canalisation réclamés par l’industrie du Hainaut et de la Flandre, projets susceptibles d’être mise de suite en concession sans frais pour l’Etat. A une époque où, malheureusement, nous ne sommes pas riches en spécialités, je pense qu’il serait nuisible de provoquer le renvoi d’un homme qui a donné des preuves d’un beau talent.
Les énormes avances que nous aurons dû faire en 1831, pour des travaux extraordinaires de routes ou de canaux, sont un motif puissant pour nous engager à adopter un mode qui grève moins l’Etat lorsqu’il aura à établir de nouveaux travaux de ce genre. Ce serait surtout d’en concéder l’octroi à des conditions assez favorables pour attirer l’or du capitaliste ; ce serait encore de faire des emprunts spéciaux, hypothéqués sur les travaux qu’ils serviraient à exécuter, et qui donneraient, indépendamment de l’intérêt égal, le bénéfice éventuel des barrières ou péages pendant un temps déterminé. D’ailleurs, en fait de travaux publics, il est de principe général qu’ils doivent rendre, dans un terme fixé, les sommes employées à leur exécution : s’ils ne le peuvent, c’est qu’ils n’avaient pas une utilité suffisante pour en exiger l’entreprise. Il n’est, à cet égard, que de rares exceptions.
La commission propose aussi la suppression de la place d’inspection des universités. J’ignore si, dans la loi qui vous sera présentée sur l’instruction publique, loi qui pourra apporter des modifications au système universitaire actuellement en vigueur, il sera jugé convenable de supprimer ces fonctions ; mais aujourd’hui je regarde cette mesure comme dangereuse. Les attributions de l’inspecteur des universités sont fixées par le règlement qui régit ces institutions : supprimer cette place, ce serait donc introduire une lacune dans le règlement actuel ; ce serait rompre un chaînon essentiel de l’administration. D’ailleurs, les universités sont éloignées les unes des autres, ; la surveillance unique qui les parcourt peut introduire dans l’une des améliorations qu’elle rencontre chez les autres, et détruire les abus qui s’introduiraient chez elles. Je pense donc que, provisoirement, il suffirait d’apporter quelque réduction au traitement et aux frais de voyage de cet employé supérieur.
La commission croit qu’il ne faudrait plus allouer, au budget prochain, de subside pour l’observatoire de Bruxelles. Cette mesure me semble désastreuse, si même elle ne nous entraînait pas à manquer à des engagements que l’on aurait pris pour compléter la série des instruments astronomiques dont cet établissement aurait encore besoin.
Lorsque l’on examine d’un point élevé l’ensemble d’un pays, l’œil n’y aperçoit qu’une seul ville que, pour la facilité de l’administration, on a divisé en sections, appelées communes, sans qu’aucune limite naturelle les sépare d’ordinaire entre elles. Là, dans un centre commun, l’on établit, dans l’intérêt de la généralité des habitants, des grands foyers de lumière, auxquels chacun est appelé à participer. On les place habituellement dans les capitales, parce que l’action, l’appui de l’autorité centrale, leur y assure une plus grande prospérité, que la réunion des spécialités dans chaque genre leur garantit plus d’éclat. Chacun peut venir y puiser les connaissances dont il a besoin ou qui lui sont nécessaires pour l’état qu’il veut embrasser. Ces établissements, tout en procurant au pays le moyen de former des hommes distingués dans chaque branche des connaissances humaines, nous permettent de nous passer du secours d’Etats voisins, et de procurer à nos compatriotes des professions variées. De ce genre est l’observatoire, le seul qui existe aujourd’hui en Belgique, tandis que, lorsqu’on l’a érigé, il y en avait déjà deux autres dans les provinces septentrionales de notre ancien royaume. Le gouvernement d’alors avait trouvé la ville de Bruxelles, disposée à construire, pour cet usage particulier, des bâtiments qui ont coûté plus de 75,000 fl. Cet observatoire est, en outre, fourni dans ce moment, d’une partie des instruments qui lui étaient nécessaires et qui ont coûté de fortes sommes.
Il est destiné à former des astronomes, des marins, des calculateurs ; à préserver le pays des désastres des marées ; à fournir, dans une contrée qui compte plusieurs ports de mer, des pilotes habiles, des notions utiles, souvent indispensables. N’y aurait-il pas, dès lors, messieurs, une espèce de vandalisme à vouloir supprimer un pareil établissement, que les peuples civilisés ont toujours protégé ? Que les frais en paraissent trop considérables, je le crois ; mais entre une réduction de subsides ou leur entière suppression, la distance est grande, et, pour ma part, je ne pourrais m’associer à une mesure contraire aux intérêts bien entendus de notre commune patrie.
Le gouvernement demandait aussi un subside de 10,000 florins pour le théâtre de Bruxelles. La commission en propose le retranchement ; mais était-ce bien, en cette somme, réclamer un privilège particulier au détriment de la généralité des habitants ? Oui, si dans un théâtre on ne voit qu’un amusement particulier, dont profitent seulement ceux qui s’y rendent ; mais il n’en est pas ainsi. En accordant un subside au théâtre de Bruxelles, on permet d’y appeler des sujets distingués, soit comme acteurs, soit comme musiciens ; et dès lors on peut les employer supplétoirement dans des conservatoires de musique, de déclamation, de danse, qui déjà sont établis, mais qui demandent à être favorisés. On y a déjà formé des artistes nationaux dans ces divers genres, tandis qu’auparavant il fallait les prendre à l’étranger. Ils commencent à peupler une partie de nos scènes dramatiques, de nos orchestres ; on y a créé d’habiles musiciens qui ajoutent à la pompe de nos cérémonies religieuses. Sans appui, que deviendra chez nous la peinture des décorations, de cet art de rendre la nature de grandes proportions, avec toute la richesse de ses perspectives ? Jadis Paris nous fournissait ses peintres décorateurs ; depuis quelques année, Bruxelles les formait, et c’était par eux que nos villes voisines embellissaient à peu de frais leurs théâtres. Que de sources de professions variées nous allons tarir, si nous nous refusons à favoriser les réservoirs d’où elles peuvent prendre leurs cours ! Cependant, si le gouvernement refuse de les encourager en ne fournissant pas de salaire à l’établissement qui les créait, elle vont bientôt disparaître. Et que l’on ne dise pas que le théâtre de Bruxelles peut se soutenir de ses propres ressources. Dans chaque des deux années expirées au 20 avril 1830, l’ex-roi lui avait fourni au-delà de 80,000 florins. Il payait en outre pour ses loges et celles de sa famille 21 à 22,000 florins, ce qui faisait plus de 100,000 florins de subside annuel. Aujourd’hui, le personnel de ce théâtre est aussi nombreux qu’autrefois ; il est moins rétribué, mais il donne l’existence à plusieurs centaines d’individus. La ville de Bruxelles a renoncé à demander à la nouvelle administration qui le dirige 13,000 florins pour la location de ses deux salles ; les hospices ont abandonné leur ancien droit de 10,000 florins contre quelques représentations à bénéfice. Le subside que l’on pourrait faire reparaître au budget prochain ne devrait donc être que d’une somme modérée. Il pourrait n’être accordé que sous la condition de faire venir des artistes distingués, capables de donner à des Belges l’enseignement nécessaire dans les conservatoires de musique, de déclamation, de danse, et de donner un bon atelier de peintres décorateurs, branche d’industrie qui peut s'acclimater chez nous.
C’est par les mêmes motifs, et parce que je les regarde aussi comme d’un intérêt général évident, que j’approuverai les secours accordés aux conservatoire des arts et métiers, à l’école industrielle de Gand, aux académies des beaux-arts d’Anvers, de Bruxelles et de Bruges.
Je reconnais la nécessité de faire des économies, je partage en ce point l’opinion de la commission. Celles que je ne puis approuver dans son travail se bornent à quelques milliers de florins sur le budget de l’intérieur, qui s’élève à près de 9 millions. Un sage père de famille regarde que le capital le mieux employé est celui qui sert à donner de l’éducation à ses enfants ; c’est celui qui, d’ordinaire, lui rapporte le plus haut intérêt. Nous sommes ici, vis-à-vis de nos concitoyens, le père de famille chargé de leur ouvrir toutes les voies d’une instruction variée et propre à leur assurer des moyens futurs d’existence.
Le budget du ministère de l’intérieur, s’il reproduisait en 1832 le chiffre qu’il présente aujourd’hui, prendrait plus du quart de nos revenus ; mais la dépense qu’il porte pour les administrations des prisons et de la sûreté publique doit être transportée au budget du ministère de la justice. Il y a, en outre, trois millions de frais extraordinaires pour travaux, avances faites aux communes, prêts à l’industrie, indemnités de guerre ou d’émeute. Des améliorations indiquées par l’expérience peuvent aussi amener une réduction dans les dépenses ; cependant s’il est vrai que le plus souvent les institutions ne se consolident, ne s’établissement d’une manière convenable qu’après un long temps, nous devons avoir d’autant plus de soin à ne pas détruire à la légère celles qui existent. Démolir un édifice est bientôt exécuté ; mais il faut des mois, des années pour le reconstruire et en attendant l’on se trouve sans abri.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, il faut rendre justice à la commission que vous avez chargée d’examiner le projet de loi en discussion. Elle l’a examinée avec la plus scrupuleuse attention, et elle a procédé à son travail avec le plus grand soin. Elle a eu en vue deux objets très importants : l’économie dans les dépenses publiques, et la simplification des rouages de l’administration, dont la marche est d’autant plus lente et d’autant plus difficile que ces rouages sont plus compliqués.
Je déclare d’abord que je ne puis partager, en aucune manière, l’opinion des deux honorables orateurs qui, dans la séance d’hier et celle d’aujourd’hui, ont combattu avec beaucoup d’énergie les suppressions proposées relativement à quelques établissements, sur le motifs que ces établissements sont utiles. Messieurs, je conviens que ces établissements peuvent être utiles ; mais consultez l’état de nos finances, et vous sentirez le besoin de nous borner aux dépenses exactement nécessaires, et d’éviter celles qui n’auraient qu’un objet d’agrément et même de simple utilité.
L’orateur passe en revue les différentes sections du rapport de la commission. A la section 2, il émet le même vœu que la commission, de voir les budgets économiques des provinces dressés d’après un modèle uniforme, pour faire cesser un grand nombre d’abus. Il demande s’il n’y aurait pas une diminution à faire dans le traitement des médecins et chirurgiens civils qui sont chargés du service d’examen pour la milice, et il croit même que leurs fonctions pourraient être attribuées aux médecins et chirurgiens militaires.
A l’occasion de la section 4, où il est parlé du traitement des ingénieurs et employés des ponts et chaussées, M. H. de Brouckere s’étonne que le génie civil ne soit pas chargé de l’entretien des palais et édifices de l’Etat, parce que cela occasionnerait la réduction de gros traitements, et par conséquent une économie indispensable. Du reste, il demande qu’on se borne aux réparations indispensables.
Quant au traitement des ministres du culte, l’orateur remarque qu’il y a une disproportion, relativement aux provinces, qu’on ne peut expliquer : par exemple, pour la province du Luxembourg, comparée à celle d’Anvers.
Ensuite, et pour ce qui a rapport aux archives du royaume, il ne sait pourquoi on a enlevé, par la force, des archives qui étaient déposées dans certaines localités.
Il termine ainsi : Je finirai par une dernière observation. J’ai vu dans les journaux qu’on a alloué une somme de 10,000 florins à un gouverneur, pour subvenir aux frais d’ameublement de son hôtel. J’aime à croire que cela est faux ; mais s’il en était autrement, j’avoue que l’allocation d’une somme aussi forte, dans un moment où nous sentons tous le besoin impérieux de ménager les deniers publics, me paraîtrait inexplicable.
M. Gendebien. - J’éprouve un véritable embarras en ce moment, messieurs ; car la commission avait d’abord arrêté que le premier rapport qu’elle a fait sur les crédits provisoires serait renvoyé aux ministres : le lendemain il a été reconnu par la chambre que cela serait inconvenant, parce que nous devions nous borner à faire des lois, et ne pas envoyer des renseignements aux ministres. Cependant, la commission a continué de faire des rapports du même genre et d’indiquer des économies ; de sorte que je ne sais pas si je devrais présenter mes observations sur ces suppressions. Cependant, je le ferai en peu de mots.
D’abord, je ne puis admettre, sans examen ultérieur, la suppression de l’administrateur de l’instruction publique. Dans les circonstances où nous sommes, je regarderais cette suppression comme un acte de la plus haute importance.
Je ne puis admettre non plus, sans examen, l’adjonction de l’administration des prisons au ministère de la justice, en la séparant de l’administration de bienfaisance, parce qu’elles ont des rapports si intime entre elles, qu’il serait très dangereux de les diviser.
Je pense de même relativement à la suppression proposée de l’administrateur spécial et de l’inspecteur des prisons. Chacun sait que le plus souvent, les prisons renferment des hommes du peuple qui sont conduits au crime par la misère. Si nous ne pouvons encore améliorer la condition morale et physique de cette classe intéressante, de manière à lui éviter la prison où elle est entraînée en quelque sorte par une fatale nécessité, il faut au moins que les malheureux qui sont tombés sous les verrous y trouvent des améliorations à leur sort ; et pour cela il faut des hommes qui aient des connaissances spéciales à cet égard, et non pas un chef de division qui s’acquittera de sa fonction par routine et en observant seulement l’exactitude des chiffres.
L’orateur déclare qu’il ne connaît pas particulièrement l’administrateur des prisons, mais qu’il sait que c’est un homme actif, laborieux et très capable. Il s’est chargé de ces pénibles fonctions quand le canon hollandais grondait encore. Quant à l’inspecteur des prisons, ajoute-t-il, il m’est personnellement connu ; c’est un homme qui joint à des études spéciales une grande activité ; et si quelqu’un est capable d’introduire de salutaires réformes dans le système pénitentiaire, c’est lui sans contredit ; il est peut-être plus capable de rendre service à l’humanité sur ce point important. Plusieurs projets rédigés par lui sont déposés au ministère de l’intérieur, et ils attestent une grande expérience et une haute capacité ; quant à son administration, vous pouvez en voir les résultats dans un tableau sur les prisons publié récemment par le Courrier belge. (L’orateur cite encore une lettre insérée dans l’Indépendant de dimanche dernier.)
La commission a pensé qu’on pourrait supprimer une des sept divisions. Je dis, moi, qu’on pourrait en supprimer trois et même quatre. Voulez-vous savoir l’origine de l’abus ? Il vient de ce qu’on a copié mot à mot l’organisation du ministère de l’intérieur pour la France, et on l’a même copiée si servilement qu’on y a compris « les bagnes ; » et il y a quinze ans qu’il n’y a plus de bagnes dans le royaume.
L’orateur invite le ministre à réduire son prochain budget ; relativement aux frais de bureaux, ports de lettres et paquets et à ceux d’impression et de reluire ; car en réduisant le personnel des bureaux, il est aussi possible de faire des économies sur les fournitures.
Quant au chauffage et à l’éclairage portés pour 4,000 fl., l’orateur déclare qu’il a calculé, et qu’il n’a jamais pu trouver qu’on eût besoin de plus d’un tiers de cette somme.
Il s’élève aussi contre l’allocation de 2,000 florins pour achats et réparations de meubles du ministère de l’intérieur, tandis que le ministre de la justice n’a demandé que 300 florins seulement pour cet objet, en y comprenant, en outre, l’entretien des locaux. Il a vu aussi une somme considérable figurer dans les crédits du ministre des affaires étrangères pour mobilier. Il faut, dit l’orateur, que MM. les ministres se contentent d’administrer les affaires du peuple, et qu’ils ne visent pas à avoir de beaux fauteuils et à fouler sous leurs pieds de beaux tapis. Il faut couper court à tous ces abus, et que les ministres n’aient plus d’autre ambition que celle de représentation une nation heureuse, et non pas d’afficher un luxe scandaleux.
Il y a aussi une réduction à faire dans les dépenses du ministère de la justice ; car j’ai été ministre de la justice, et M. de Facqz secrétaire-général, et tous deux nous avons renoncé à notre traitement. Je pense donc qu’il faudrait faire cette réduction.
Quant au génie, l’orateur pense qu’il faudrait réunir le génie civil au génie militaire.
Il s’abstient de parler de l’instruction publique ; mais il fait remarquer qu’il n’y aura jamais de bonne administration publique sans une école normale, et invite le ministre de l’intérieur à méditer sur ce point.
Il n’est pas d’avis non plus de supprimer le bibliothécaire de Bourgogne, qu’il cite comme un homme distingué par ses connaissances, par son patriotisme, et par les services qu’il a rendus pendant la révolution.
Il en dit autant de l’archiviste-adjoint, qui a sauvé les archives en 1814 au péril de sa vie, lors de l’entrée des cosaques.
On propose, dit l’orateur, de supprimer l’archiviste-adjoint, dans l’intention sans doute de conserver l’archiviste en chef. Mais je ferai remarquer que ce dernier est étranger : sans doute il a des connaissances, mais pas des connaissances spéciales comme son adjoint ; et, en outre, il n’a pas l’avantage comme celui-ci de pouvoir prouver les services qu’il a rendus à la révolution.
Au surplus, je me réserve de développer plus au long toutes ces observations, lorsqu’on discutera le budget.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je demande la permission de répondre à une observation qui m’est en quelque sorte personnelle. L’orateur qui vient de parler s’est élevé avec force contre l’allocation de 2,000 fl. pour achat de mobilier. Si ce reproche s’adresse à moi, je suis à même de prouver que, depuis que je suis au ministère, je n’ai autorisé aucune dépense pour meubles, car je trouvais que les appartements étaient assez bien meublés pour moi. Mais chacun se rappelle qu’on a fait du ministère de l’intérieur un hôpital militaire, et il faut remettre les appartements en état. D’ailleurs, le budget n’a pas été rédigé par moi.
M. Gendebien déclare à M. le ministre que ce n’est pas à lui qu’il a entendu adresser un reproche.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - J’avais cru que c’était pour moi, parce que l’orateur a parlé, en outre, d’une forte allocation pour meubles figurant au budget du ministre des affaires étrangères. Mais là étaient des meubles qui appartenaient au ministre de la guerre, et que celui-ci a réclamés.
M. Gendebien. - Je n’ai entendu faire remarquer rien autre chose que l’omission de la commission sur ce point. Quant au passé, je regrette que les dépenses aient été faites, et je désire qu’on n’en fasse plus à l’avenir.
M. d’Huart. - Messieurs, arrivés à la fin de l’année, il ne nous est plus guère possible de modifier les budgets qui nous sont présentés par les ministres ; ces budgets sont de véritables comptes de dépenses faites : tout ce que l’on peut convenablement exprimer en une pareille occasion, ce sont des vœux pour l’avenir.
J’applaudis généralement aux vues d’économie de la commission, pour ce qui concerne le département de l’intérieur dont il s’agit aujourd’hui, et j’insiste avec elle pour la suppression de toutes les sinécures, déguisées n’importe sous quels noms : ces emplois d’administrateurs et d’inspecteurs-généraux sont autant de rouages ruineux et nuisibles qui ralentissement la marche du service, et qui font que les ministres abandonnent à des tiers l’examen d’une quantité d’affaires qu’ils devraient voir par eux-mêmes.
Je dirai, en passant, messieurs, qu’en demandant la suppression de quelques emplois, je n’entends pas nuire aux titulaires ; mais je crois que nous ne devons pas nous occuper ici des personnes, et j’ajouterai même qu’il ne serait pas convenable de le faire.
Lorsque l’on pense aux charges énormes qui pèsent sur le peuple, et aux sacrifices continuels que l’on exige de lui, n’est-il pas déplorable de voir dépenser, pour police préventive, une somme de 30,950 fl., non compris celle de 6,900 fl. pour traitement et logement des agents supérieurs de cette même police ? N’est-ce pas là une véritable dilapidation ? Je déclare à l’avance que, si pareilles allocations étaient portées au budget de 1832, cela me suffirait pour le rejeter en entier.
J’approuve les réductions indiquées par la commission, sur les traitements et sur les indemnités des ingénieurs et employés des ponts et chaussées ; mais je pense, comme l’honorable membre M. Mary, qu’il n’y a pas lieu de diminuer le personnel. Les travaux publics sont de première nécessité en Belgique ; et, malgré la grande extension qu’ils ont reçue pendant la durée du royaume des Pays-Bas, il reste encore beaucoup à faire pour subvenir aux besoins du commerce. Il est à espérer que nos relations avec la France et avec l’Allemagne ouvriront quelques débouchés à nos produits ; et dans ce cas, de nouvelles communications devenant nécessaires, le secours de tous nos hommes de l’art sera indispensable.
Je ferai encore une remarque. S’il est vrai que le revenu des routes provinciales doit être employé séparément dans chaque province pour l’entretien et l’amélioration de ces mêmes routes, il n’en est pas de même de l’excédant de revenus qu’il pourrait y avoir sur les grandes communications. Dans ce cas, le gouvernement peut employer cet excédant là où il l’ordonne, en travaux aux routes (article 3 de la loi du 6 mars 1831). La commission a donc commis une erreur en disant, dans son rapport, qu’à l’avenir les subsides en faveur des routes de deuxième classe devront disparaître du budget. Elle s’est aussi trompé en avançant que le produit de ces routes suffisait pour les besoins, dans chaque province. Il en est où les revenus sont de beaucoup insuffisants, et il n’y aurait bientôt plus de routes dans certaines localités, si le gouvernement ne venait pas à leur secours.
Il m’est impossible de partager l’opinion émise par deux honorables préopinants, qui voudraient voir allouer, dorénavant, des secours à la société d’horticulture de Bruxelles, à la société d’émulation de Liége, aux écoles de musique de Bruxelles et de Liége, et au théâtre de Bruxelles. Je trouve que la commission, en exprimant le désir que de telles allocations ne figurent plus à l’avenir au budget de l’Etat, a été guidée par un sentiment de justice, et c’est avec raison qu’elle a dit qu’en général les secours spéciaux constituent des privilèges au détriment de la généralité des contribuables : en effet, quel bien peut-il résulter de l’existence des divers établissements susmentionnés, pour l’agriculteur et l’industriel ? Aucun, et cependant ce sont eux qui paient la presque totalité des impôts. Les villes où lesdits établissements se trouvent en retirent tous les agréments et les avantages ; il est donc juste qu’elles pourvoient seules aux frais.
Je ferai une dernière observation.
L’honorable M. H. de Brouckere a témoigné de la surprise de ce que, dans le Luxembourg, les frais du culte sont plus élevés que dans la province d’Anvers ; cela s’explique parce que les communes sont infiniment plus nombreuses qu’ailleurs ; les villages ont généralement une population qui n’excède pas 2 ou 300 à mes ; ils sont disséminés à d’énormes distances les uns des autres, et on conçoit que le même ecclésiastique n’a très souvent que 5 ou 600 à mes dans sa paroisse.
M. le ministre de la justice (M. Raikem), répondant à l’observation de M. Gendebien, que lui, ministre de la justice, et M. de Facqz, secrétaire-général, ont refusé leur traitement, déclare que l’allocation est faite pour toute l’année, et que s’ils y ont renoncé, on ne portera aucunes dépenses à cet égard.
M. Gendebien. - Mais je trouve ici une somme totale, comme si le ministre et le secrétaire-général avaient été payés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il est à remarquer, messieurs, que l’allocation sur les traitements est toute spéciale, et qu’on ne peut l’imputer sur autre chose. Si donc un ministre et un secrétaire-général ne touchent pas cette allocation, elles tombent en économie. Ainsi il n’est pas possible qu’il y ait une erreur sur ce point. M. Gendebien et M. de Facqz ont refusé leurs traitements pendant tout le temps qu’ils ont été aux affaires. Eh bien ! l’allocation tombe en économie jusqu’à concurrence.
M. Barthélemy. - C’est moi qui ai fait récapituler, au moins de juin dernier, les sommes dont chaque ministère avait besoin pour le troisième trimestre. On trouva alors que 91,000 fl. restaient à dépenser sur le crédit ouvert précédemment au ministère de la justice ; on ajouta à cette somme 100,000 fl. pour les besoins du troisième trimestre.
M. C. Rodenbach. - Messieurs, si je demande la parole dans cette circonstance, c’est uniquement pour protester contre les vœux émis par la commission dans son rapport sur le budget de l’intérieur. Elle propose de réunir l’administration des prisons au ministère de la justice ; les établissements de bienfaisance seraient détachés de cette administration, et resteraient dans les attributions du ministère de l’intérieur, à cause de leur connexité avec les administrations locales et provinciales. Examinons d’abord la possibilité et l’utilité de cette division.
L’ancien gouvernement, en réunissant les prisons et les établissements de bienfaisance, avait entrevu les rapports intimes qui existent entre ces institutions. Soulagement de l’indigence, répression de la mendicité, punition des délits, école pour les pauvres, dépôts de mendicité, asiles ouverts à l’indigence, prisons, moyens préventifs et répressifs, tout cela se lie, tout cela ne forme qu’un système : de telle sorte qu’on ne peut en retrancher une partie sans détruire l’unité qui doit en assurer l’efficacité. Au lieu de borner ce système à présenter l’emprisonnement et le travail comme les moyens de punir les crimes déjà commis, il s’agit d’appeler l’attention du législateur sur les moyens de les prévenir, en proposant des mesures sur la pauvreté, la mendicité, la paresse et le vagabondage, grandes sources des délits qui envoient dans nos prisons la majeure partie des individus qu’elles renferment.
La société politique doit une entière protection à tous ses membres, dans leurs personnes, leur réputation et leurs propriétés ; elle doit aussi la subsistance à ceux qui ne peuvent se la procurer par eux-mêmes. Les lois pénales, qui tendent à supprimer les délits, sont les conséquences de la première obligation, et celles qui tendent à soulager la détresse sont la conséquence de la seconde. Ces deux obligations sont étroitement liées.
Ainsi donc, les prisons et les dépôts ou maisons de refuge et de travail ne forment, en quelque sorte, qu’une institution unique.
Les travaux à exécuter dans les deux départements doivent être combinés de manière à s’entraider ; toute l’unité du système dépend de l’unité d’administration et de surveillance. On ne pourrait, comme on le propose, remettre les prisons à la justice, pour laisser les dépôts à l’intérieur, sans s’exposer à désorganiser à jamais ces établissements qui, pour atteindre leur but, ont besoin, sous tous les rapports, de se prêter un mutuel appui.
Ce que je viens de dire des maisons de refuge et de travail s’applique également aux autres institutions de charité : les travaux relatifs à la séquestration et l’amélioration du sort des aliénés, sourds et muets, et des aveugles ; la révision des lois, arrêtés et règlements concernant la mendicité, les bureaux de bienfaisance ; les mesures à prendre relativement aux colonies agricoles, tout cela se rattache à la réorganisation des dépôts, fait partie du même système, et doit rentrer dans le plan de réforme générale des prisons et des établissements de bienfaisance dont le gouvernement s’occupe en ce moment.
Maintenant transportera-t-on l’administration chargée de ces divers objets au département de la justice, ou la laissera-t-on au département de l’intérieur ?
Si, par la nature de ses attributions, cette administration a des rapports indispensables avec les communes et les provinces, et se rattache, à cet égard, plus particulièrement à l’intérieur, elle a aussi des rapports non moins fréquents avec la justice, pour les grâces, etc., et avec la guerre, pour le travail et le service sanitaire dans les établissements pénitenciers.
Organisée comme elle l’est, elle pourrait, sans inconvénient, être rangée, et presque au même titre, dans chacun de ces trois départements principaux.
Comme argument en faveur de la division, on a allégué qu’il en résulterait une diminution de besogne pour le ministère de l’intérieur, qui est actuellement surchargé.
Mais cet excès de besogne résulte bien plus de la mauvaise organisation, ou plutôt de l’absence d’organisation de ce ministère, que de la quantité d’objets qu’il embrasse.
La division et la répartition des diverses attributions du ministère de l’intérieur ont été calquées sur l’organisation de ce département sous l’empire français ; c’est une erreur grave, que d’avoir voulu appliquer à un petit pays ce qui était nécessaire par l’étendue d’un Etat de premier ordre ; aussi y aurait-il, suivant moi, avantage et économie à centraliser ces diverses branches éparses, et à substituer aux nombreuses divisions actuelles trois ou quatre administrations principales, dont les chefs travailleraient avec le ministre, et recevraient de lui l’impulsion.
Cette nécessité de centralisation a été reconnue particulièrement aux départements de la guerre et des finances : pourquoi la méconnaîtrait-on à l’intérieur ?
Un inspecteur est attaché à l’administration des prisons et des établissements de bienfaisance, de même qu’il y a des inspecteurs aux finances, à la guerre, aux ponts et chaussées, etc.
La commission, en se fondant sur les vrais principes d’unité d’administration, pense qu’il serait avantageux de supprimer l’inspection spéciale des prisons, et de l’attribuer, ainsi que la direction, aux gouverneurs des provinces.
L’énumération seule des attributions confiées à ce fonctionnaire, et des travaux dont il est chargé, suffit pour prouver que cette suppression, loin d’être avantageuse, laisserait au contraire une grande lacune dans l’action gouvernementale.
Les réformes et les améliorations qu’il est essentiel d’introduire dans les prisons et dans les établissements de bienfaisance exigent des administrateurs qui aient des connaissances spéciales, et dont les études aient été dirigées vers ces objets. Ces réformes et ces améliorations nécessitent aussi de l’unité pour parvenir à mettre en pratique des plans philosophiquement conçus, et dont la non-exécution serait une espèce de vandalisme.
J’ai cru, messieurs, devoir vous soumettre ces diverses considérations, parce que la division proposée par la commission pourrait influer, suivant moi, d’une manière défavorable sur la confection du budget prochain.
Il ne suffit pas d’avoir en vue une sévère économie ; il s’agit aussi de bien administrer, de chercher à améliorer, autant que possible, la condition morale des pauvres et des détenus des diverses classes.
M. Jamme (pour une motion d'ordre). - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je ne sais pas, messieurs, si nous concevons bien ce qui nous occupe en ce moment. Je rends justice assurément aux intentions des préopinants et aux lumières supérieures qu’ils apportent dans la discussion ; mais il me semble que ce n’est pas ici le lieu de les placer. Nous ne discutons pas, en effet, le budget de 1831, puisqu’il est convenu que nous le laissons de côté. Nous discutons encore moins celui de 1832, puisqu’il ne nous a pas encore été présenté ; cependant toutes les observations que vous venez d’entendre ne peuvent s’appliquer qu’à la discussion du budget, et s’y livrer maintenant, c’est, selon moi, une perte de temps. Il ne s’agit maintenant que d’allouer des crédits provisoires, pour que la marche du gouvernement ne soit pas entravée, jusqu’au temps où nous discuterons le budget. Attendons que le moment soit venu. Je le répète, j’ai entendu avec un vrai plaisir les développements lumineux des préopinants ; mais je crois que ce n’était pas en ce moment qu’ils devaient s’y livrer.
M. Osy. - Pour répondre à la motion d’ordre faite par M. Jamme, je dirai à la chambre que mon intention était de prendre la parole pour parler sur les allocations de fonds accordés à l’industrie et aux villes. Sur ces deux objets, MM. Dumortier et Mary ont fait des objections qui resteraient sans réponse si la clôture de la discussion était prononcée.
M. H. de Brouckere combat la motion d’ordre faite par M. Jamme. Il est impossible, dit-il, de ne pas discuter les conclusions de la commission ; car, si elles ont un but, il faut entendre les observations de ceux qui y sont contraires. L’opinion émise dans le rapport de la commission semblerait être l’opinion de la chambre, si la chambre ne la combattait pas. L’orateur termine en émettant le vœu de voir continuer la discussion ; car le ministère pourra faire son profit de l’ensemble des opinions de la commission, et de celles qui seront émises par les divers orateurs, et il y aura égard dans la présentation du budget de 1832.
- Après un débat sur la motion d’ordre, auquel ont pris part M. Leclercq, M. de Theux, M. Devaux et M. d’Elhoungne, la proposition de M. Jamme est rejetée, et la discussion continue.
M. Osy rappelle qu’au commencement de l’année, il a fait partie de la commission de l’industrie, dont M. le Hon était le président. Nous allouâmes des fonds à l’industrie, plutôt pour donner du travail à quelques ouvriers, que pour seconder le développement de l’industrie. De tels secours, s’ils étaient continués de la même manière, seraient plus nuisibles qu’utiles. Je suis d’avis, si l’année prochaine nous pouvons disposer de quelques fonds, d’établir des primes d’exportation, en prévenant les industriels que tous les ans ces primes seront diminuées ; de cette manière, les industriels seront obligés de faire tous leurs efforts pour rivaliser avec l’étranger.
L’orateur s’élève aussi contre les allocations accordées aux villes pour faire travailler la classe ouvrière. Il fait remarquer que, sur 500,000 fl. alloués pour cet objet, Bruxelles seuls a eu 300,000 fl., tandis qu’Anvers n’en a eu que 25,000 fl. ; et cependant, dit-il, la ville de Bruxelles ne s’est pas encore imposée extraordinairement pour un centime. A Anvers, au contraire, un emprunt a été fait, et il a été rempli en un jour par le patriotisme de ses habitants, quoiqu’il s’élevât à la somme de 250,000 fl. Pendant six semaines, pour donner du travail à la classe ouvrière, les habitants d’Anvers ont dépensé une somme de 120,000 fl., somme tout à fait indépendante de la première ; en sorte que la somme totale des dépenses faites par la ville d’Anvers ne s’élève pas à moins de 370,000 fl. Si des secours sont accordés encore pour cet objet, je demande qu’il en soit fait une répartition plus juste. J’aimerais mieux cependant qu’aucune allocation n’eût lieu, et que chaque ville usât de ses propres ressources pour secourir ses habitants.
L’orateur termine par des observations peu importantes sur les fonds alloués pour le théâtre de Bruxelles et la société d’horticulture.
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, la commission, nommée pour examiner les demandes de crédits nécessaires à l’exercice du dernier trimestre de cette année, a cru convenable de faire accompagner ses différents rapports d’observations et de vues d’économie propres à guider le ministère dans la rédaction de son prochain budget.
Ces rapports semblent indiquer au gouvernement la marché qu’il aura à suivre, désormais, dans la distribution et le nombre de ses employés, de ses fonctionnaires, dans les dépenses à éviter, les frais d’utilité secondaire ou d’agrément à suspendre ou à retrancher. Il énonce que le travail de la commission est généralement d’accord avec les opinions émises au congrès, et qu’en le prenant pour guide on peut aussi baser les dépenses sur le pied de la plus stricte économie.
La commission ne donne cependant une partie de ces rapports que comme l’expression de ses vœux et non comme une loi à suivre ; il s’agit donc de voir si ces vœux sont bien en concordance avec les demandes déjà présentées par le ministère, surtout par celui de l’intérieur, et ensuite si tous ces retranchements (quoique proposés dans des vues toutes patriotiques) ne sont pas excessifs et par cela même vicieux ; car, dans un Etat bien gouverné, le tout n’est pas de faire des économies, mais c’est de les faire à propos et là où le service public ne peut en souffrir, vu qu’en dehors de cette règle d’administration, une suppression est souvent une faute politique, et, au lieu d’un bien, amène des pertes, des négligences, ou des malversations dans la conduite des affaires publiques.
Ainsi, quant au premier point, et à l’aspect des diverses opinions émises par la commission et le ministère, j’avoue, messieurs, qu’il devient difficile à un député de fixer ses idées sur la réalité des besoins du gouvernement, et qu’en lisant, par exemple, d’une part le rapport de la commission sur le budget de l’intérieur et la suppression d’administrateurs-généraux qu’elle propose et, de l’autre, les notes explicatives annexées au budget de 1831, et où le ministre énonce qu’après avoir déjà fait toutes les réductions possibles, il serait plus dangereux qu’utile d’en opérer de nouvelles, on balance à émettre son opinion, et l’on craint, ou de gêner le service par trop d’économie, ou par des dépenses superflues de grever la nation.
En effet la commission pense qu’il serait avantageux de supprimer l’inspection spéciale des prisons, et par principe d’unité administrative, d’en attribuer la direction aux gouverneurs des provinces. Mais le gouvernement nous dit qu’il faut au moins une année pour bien apprécier le système actuel des prisons, que le système doit être homogène, sous une même administration ; et, dernièrement encore, nous avons pu juger dans un journal combien le système pénitentiaire s’était amélioré, dans nos trois grandes prisons, depuis peu de mois, et combien le zèle éclairé des nouveaux inspecteurs et administrateurs avait servi à la cause publique par la progression du travail et du produit des détenus. Nos trois grands prisons ont pu se suffire à elles-mêmes toute cette année, et ce résultat est dû en grande partie au mode d’administration centrale et éclairée, qui tend aussi à améliorer l’état moral des détenus. Ces établissements marchent donc convenablement : et, en effet, je ne vois pas trop comment on atteindrait l’unité administrative qu’on ambitionne, en délaissant la direction des prisons à trois ou à quatre gouverneurs séparés, plutôt qu’à un seul chef habile et responsable.
On supprime la place d’inspecteur des messageries : j’y consens, les messageries et les postes devant, selon moi, tomber dans le domaine général ; mais on retranche celle d’administrateur de l’instruction publique, et l’on nous donne pour raison qu’il en résultera une diminution d’employés, et partant plus d’économie. Je le crois aussi, messieurs ; mais, en fait d’instruction publique et de sciences, devons-nous mettre de l’économie ? Devons-nous confier à un chef de division, fonction toute sédentaire, l’inspection de nos hautes écoles et le soin d’y répandre avec profusion les lumières des arts et de la science ? Je ne le crois pas. En outre, on semble préjuger que dorénavant toutes les places d’administrateurs-généraux seront supprimées, et que le ministre devra agir directement et sans intermédiaire dans toutes les branches de son département. Je veux bien croire que ce mode serait moins dispendieux ; mais est-il praticable ? Voilà la question. Un ministre, tout occupé qu’il est, pendant la plus grande partie de l’année, à discuter ou à défendre des projets de loi au sein des chambres, à présider des commissions, à siéger au conseil du souverain, peut-il porter dans chaque direction de son ministère cette attention indispensable à la régularité et à la justesse du travail ? Je laisse le ministre juge de cette possibilité, et de voir si, par des suppressions intempestives, on n’irait point déranger tous les rouages de l’administration. Le ministre, dans son prochain budget, trouve l’occasion toute faite de nous faire part de ses plans et de ses idées ; et comme on a émis des vœux d’économie, j’émets pour ma part ceux d’une bonne et laborieuse administration. Celle-là doit se présenter la première, et l’économie ne vient qu’après : c’est la seule marche rationnelle et possible.
On exige des économies, et à toute force on veut en trouver dans l’éloignement de fonctionnaires habiles et expérimentés, et cela au moment où, d’autre part, on avoue que les capacités manquent, et que notre Etat naissant a besoin, pour s’établir, de s’entourer de toutes les lumières et de tous les renseignements. Si on veut des capacités, messieurs, il faut les payer. On manifeste la volonté de diminuer le nombre des ingénieurs en chef et des sous-ingénieurs, je ne dis pas les appointements (car je crois qu’ils doivent être réduits), et à l’instant même on vient nous dire qu’il importe pour vivifier le commerce, pour réveiller l’industrie, d’ouvrir dans toute la Belgique de nouvelles communications, de construire des routes en fer, de fonder enfin un vaste embranchement de routes et de canaux qui traversent le sol comme un réseau fécond. Et comment projeter dès à présent ces ouvrages sans ingénieurs suffisants, et comment les exécuter plus tard si vous les congédiez aujourd’hui ?
Ce n’est point par toutes ces brusques réductions que je désire voir diminuer les charges du peuple ; ce n’est pas au sein des fonctionnaires habiles, des savants et des artistes que doit s’exercer la cognée de l’économie. Où j’en veux des économies, c’est, pour les communes, dans l’abolition du traitement des bourgmestres et des échevins, places toutes honorables, toutes gratuites sous le gouvernement français, et qui n’ont été rétribuées que depuis le régime hollandais ; c’est dans les allocations ruineuses pour la garde civique, dans les frais de routes alloués aux commissaires de districts par les petits villages. Pour les provinces, je trouve des bénéfices à faire dans les frais de bureau et d’impression, qui devraient être adjugés au rabais, dans le double emploi des correspondances et des fonctionnaires entre les gouverneurs et les communes, qui, souvent par le détour des chefs-lieux de districts, n’offre qu’un surcroît de dépenses et de retards ; pour le gouvernement enfin, dans la diminution des percepteurs de contributions, places très multipliées dans ces derniers temps pour la perception difficile d’impôts odieux, tandis qu’en diminuant les charges, en en réglant la répartition d’après les vœux et le bien-être du peuple, on peut, autant que possible, en effectuer la recette, soit par voie d’abonnement communal, soit par des percepteurs cantonaux. Ce sont là des vues d’économie que je soumets aussi à l’attention des chambres et des ministres, et qui, sans nuire à l’Etat, peuvent grandement soulager les contribuables ; car il importe peu à ceux-ci qu’ils paient aux communes, aux provinces ou à l’Etat, pourvu qu’ils paient moins et profitent plus.
Avant de terminer, je ne puis me dispenser de témoigner mes regrets de voir porter dans les réductions proposées par le ministère, les encouragements à l’instruction primaire, les médailles à décerner aux académies de dessin, et aux entreprises scientifiques ; dans celles proposées par la commission pour l’an prochain, l’allocation rétribuée à l’observatoire de Bruxelles, édifice à la veille d’être achevé, dirigé par un de nos premiers savants, institution unique et indispensable pour le pays, et dont un de nos collègues vous a hier si bien développé les avantages. Je regrette de voir mettre en question la place d’un architecte en titre pour les monuments publics, place occupée aujourd’hui par l’homme de bon goût à qui nous devons le théâtre et les décors de l’inauguration. Je regrette enfin qu’on semble méditer des retranchements envers les écoles de musique ou des établissements des beaux-arts. Toutes ces institutions semblaient devoir fleurir parmi nous, et ce n’est pas dans la Belgique nouvelle qu’on doit en étouffer le développement. Je consens à des économies partout ailleurs que dans l’instruction publique et les arts libéraux ; mais là je veux de la largesse, je veux des encouragements. Les fonds que l’on répand pour la propagation des sciences utiles sont toujours des sommes bien placées : cet argent-là produit un gros intérêt dans l’avenir : il dote la patrie d’une jeunesse instruite et capable ; il lui fournit des citoyens hommes d’Etat, dont les connaissances dirigent avec profit l’administration du pays au-dedans, et avec gloire sa politique au-dehors. Je crois donc qu’en fait de sciences, de beaux-arts, d’instruction publique les chambres ne peuvent assez en faciliter les bienfaits, de commun accord avec le gouvernement. Quant aux autres parties de l’administration, j’attendrai, pour fixer mon opinion, et lors du prochain budget, les éclaircissements du gouvernement, bien plus à même que tout autre de décider là où il faut abattre ou conserver. Le gouvernement saura, j’espère, balancer les besoins du service, les égards dus aux employés anciens et capables, avec les exigences d’une sage économie, aujourd’hui, plus qu’en tout autre temps, indispensable au bien-être des citoyens.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, je crois de mon devoir de faire observer au préopinant qu’il a été induit en erreur sur mes intentions, relativement aux retranchements que j’ai cru pouvoir opérer dans l’administration du département de l’intérieur. J’ai proposé, pour le quatrième trimestre, des réductions qui s’élèvent à la somme de 194,000 florins répartis sur différents chapitres. Mais on se méprendrait sur les intentions du gouvernement, si l’on pensait qu’il a eu en vue de faire des retranchements pour toujours. Souvenez-vous, messieurs, qu’il ne s’agissait pas ici de faire un budget pour l’exercice courant, mais seulement d’obtenir des crédits pour arriver jusqu’à la fin de l’année. J’ai dû combiner les dépenses faites jusqu’au jour de la présentation des projets avec celles qui restaient à faire jusqu’à la fin de l’exercice. J’ai dû calculer les besoins auxquels il restait à satisfaire, et, tout calcul fait, j’ai trouvé qu’il était possible de diminuer les dépenses de 194,000 florins. C’est ainsi que, sur l’instruction primaire, j’ai pu faire une réduction assez importante ; mais on se méprendrait étrangement sur les intentions du gouvernement, si l’on pensait qu’il a voulu que cette réduction eût lieu dans les années suivantes, et qu’il s’opposerait à une augmentation pour l’exercice suivant. Les sommes pour l’instruction primaire n’étant pas toutes employées, j’ai calculé ce qui me restait à dépenser pour les instituteurs primaires d’ici à la fin de l’année, et cette dépense fixée, j’ai trouvé une économie à faire sans que l’instruction en souffrît : je l’ai faite. Si l’on croit que toute la somme allouée primitivement soit nécessaire pour l’exercice de 1832, nous soumettrons la question à la chambre, et son vœu sera accompli.
J’ai cru, messieurs, ces explications nécessaires pour qu’on ne se méprît pas sur les intentions du gouvernement.
M. Gendebien. - Je crois qu’il serait maintenant à propos de renouveler la proposition faite par M. Jamme ; car il résulte de ce que vient de dire M. le ministre que le gouvernement n’aura aucun égard aux observations de la commission pour la confection du budget de 1832.
- La proposition de M. Gendebien, combattue par M. de Theux, M. le Hon et M. Barthélemy, est rejetée.
La discussion est renvoyée à demain à 10 heures.
La chambre se retire dans les sections pour l’examen de la proposition de M. Destouvelles.
La séance est levée à quatre heures.
Noms des représentants absents sans congé à la séance du 17 novembre 1831 : MM. Blargnies, Coppens, F. de Mérode, W. de Mérode, de Robaulx, de Sécus, Dewitte, Gelders, Goblet, Lardinois, Rogier, Seron.