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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 7 mai 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 1616) (Présidence de M. d’Hoffschmidt)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners fait l’appel nominal à 11 heures et quart.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pétitions suivantes adressées à la chambre.

« L’administration communale de Wacken demande que le chemin de fer de Bruges à Courtray passe par Thielt avec embranchement sur Roulers à Ingelmunster. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à ce chemin de fer.


« Plusieurs habitants de Herve, Engilsoul et Engis présentent des observations contre la concession du chemin de fer de Liége à Namur. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à ce chemin de fer.


« Le conseil communal de Houdeng-Aimeries prie la chambre d’autoriser la concession du chambre de Manage à Mons. »

- Même décision.


« Quelques propriétaires de Froid-Chapelle se plaignent de la manière dont le bourgmestre soigne les intérêts de la commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Jean Jacobs réclame l’intervention de la chambre pour obtenir le payement de ce qui lui revient du chef des ouvrages exécutés aux bassins de la ville d’Anvers.

- Même renvoi.


« Par dépêche en date du 6 mai, M. le ministre des travaux publics transmet à la chambre des explications sur les pétitions des habitants de St-Gérard qui réclament contre l’emplacement des barrières de la route concédée de Ligny à Denée. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« M. Deprey informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à ses travaux. »

- Pris pour information.

Projet de loi modifiant les droitds sur les céréales

Discussion générale

M. le président – M. de La Coste a déposé l’amendement suivant :

« Art. 2 (nouveau) § 1er. Le gouvernement est autorisé à permettre la mouture, dans le pays, de froments étrangers, à charge de réexporter par mer, et par les bureaux à désigner par le gouvernement, les farines qui en proviendront.

« §2. Cette faculté ne sera accordée que sous caution suffisante, pour des grains reconnus de bonne qualité et jusqu’à concurrence de d’une quantité à déterminer par le gouvernement pour chaque établissement.

« 6 3. Les établissements dans lesquels les grains seront moulus devront être éloignés d’au moins 2,500 mètres de la frontière.

« § 4. Le compte des importateurs sera déchargé par l’exportation de farine blutée de bonne qualité et de son, dans la proportion d’au moins 75 kilogrammes de farine et de 23 kilogrammes de son par 100 kilogrammes de froment.

« Néanmoins, on pourra renoncer à la libre exportation du son, en payant un droit d’entrée de 10 centimes par 100 kilog.

« § 5. La bonne qualité des farines sera constatée par des experts nommés par le gouvernement, et rétribués au moyen d’une indemnité de 20 centimes au plus par 100 kilog., à charge des exportateurs.

« §6. Le gouvernement est autorisé à prescrire par arrêté royal telles autres conditions auxquelles il croira devoir subordonner la jouissance du bénéfice de la présente loi.

« § 7. Toute substitution ou tout mélange de matières hétérogènes, aux farines présentées à l’exportation, sera puni, à charge de l’exportateur et de ses agents solidairement et sauf leur recours les uns envers les autres, d’une amende égale à la double valeur, au taux des mercuriales, de toute la partie de farines dans laquelle la substitution ou le mélange aura eu lieu. »

La parole est à M. de La Coste pour développer son amendement.

M. de La Coste – Messieurs, quoique je n’aie réclamé la parole que pour développer mon amendement, je demanderai la permission de commencer par vous présenter quelques vues relativement à la question générale.

Messieurs, dans ce moment l’illustre chef de l’opposition anglaise, lord John Russel, s’apprête à soutenir devant le parlement une série de résolutions dans lesquelles j’ai remarqué ce principe : « Les lois qui établissent des droits protecteurs diminuent l’utilité du travail, limitent la liberté des échanges et chargent les peuples de taxes inutiles. »

Voilà le principe que pose le chef de l’opposition anglaise, et ensuite, messieurs, par deux propositions qui suivent, il en déduit comme corollaire, la nécessité de modifier les lois qui, en Angleterre, offrent une protection à l’agriculture, lors même que les prix des blés sont arrivés à un taux qui excède celui que nous appellerions un prix de famine, le prix des années sous ce rapport les plus désastreuses de notre pays.

Messieurs, je ne viens pas soutenir les principes de lord John Russel mais je dis que cet homme d’Etat est conséquent, je dis qu’il agit logiquement lorsqu’il commence par poser le principe de la liberté de l’industrie et du commerce pour arriver aux modifications qu’il veut apporter aux lois des céréales.

Dans notre pays, messieurs, ce n’est pas tout à fait ainsi que l’on procède. Successivement, messieurs, non pas suffisamment au gré de plusieurs opinions, nous avons augmenté la protection accordé aux diverses industries. Nous l’avons fait même, par la loi des droits différentiels, en faveur de la branche d’industrie, si je puis me servir de cette expression, qui dans tous les pays exige le plus de liberté, c’est-à-dire en faveur du commerce. On l’a fait, messieurs, non-seulement par des lois, mais par des arrêtés gouvernementaux qui paraissent dans l’intervalle de nos sessions. Et cependant, messieurs, relativement à l’agriculture, qu’a-t-on vu ? On a vu la protection successivement affaiblie, non-seulement par certaines manœuvres que je ne veux pas ici qualifier, que je ne veux pas accuser de fraude, mais par des manœuvres dont l’existence n’est pas contestée, quoiqu’on conteste l’importance de leurs résultats, non-seulement, dis-je, par ces manoeuvres, mais par le traité avec le Zollverein qui réduit les droits d’un dixième sur une grande partie de nos importations par mer, et par la convention avec la Hollande qui réduit à un quart les droits sur une partie de nos importations par terre.

Qu’est-il résulté de cela, messieurs ? Il en est résulté que l’agriculture, à tort ou à raison, s’est crue sacrifiée, qu’elle a cru ne pas exciter, soit auprès du gouvernement, soit auprès des chambres la même sympathie que les autres industries. Il y a eu une réaction. On a dit dans les campagnes ce qu’on a dit dans cette chambre hier encore. On a dit : Sommes-nous des ilotes ? Sommes-nous des parias ?

Messieurs la proposition qui nous occupe en ce moment est une conséquence de cette réaction ; c’est une conséquence des mesures que j’ai énumérées et des propositions que l’honorable M. Rogier énumérait hier.

Je ne considère pas, messieurs, cette proposition comme ayant une bien grande portée ; je ne la considère pas comme devant avoir une très-grande influence, mais je la considère comme un temps d’arrêt dans cette marche que je viens de signaler ; je la considère comme une marque de sympathie envers l’agriculture ; je la considère comme une sorte de transaction, et je dois dire que cette transaction, dans les localités que je connais le mieux, est officiellement acceptée par les organes du commerce, par les organes de la principale population urbaine.

Messieurs, c’est sous ce rapport, et sans entrer dans les détails de la loi, à laquelle je regrette de ne pas voir un caractère plus permanent, que je suis disposé à adopté cette transaction.

Messieurs, je ne vois rien d’inconstitutionnel dans les propositions de la section centrale ; car on est assez d’avis, je crois, que la grande majorité de la chambre sera d’accord avec l’honorable M. Lys, que, s’il y a dans le projet du sénat une disposition qui fait naître une question délicate, la compétence du sénat, quant à une partie de ce projet et à une partie très-importante, n’est pas contestable. C’est l’opinion de l’honorable M. Lys, du moins c’est la tendance de son amendement.

La partie contestable aux yeux de quelques membres, c’est uniquement celle qui s’occupe du tarif ; mais si la proposition du sénat, dégagée de cette partie contestée, faisait la base de la discussion, chaque membre de cette assemblée aurait le droit d’introduire la modification au tarif proposée par la section centrale, comme amendement dans la loi.

Par conséquent, messieurs, tout en respectant les scrupules constitutionnels de quelques membres, je ne les partage pas. Je dis même que la marche que l’on a suivie a, sous le rapport de nos prérogatives, une véritable avantage. J’aime en général une marche franche ; je n’aime pas ce qui peut avoir l’air de faux-fuyants. Mais ici, outre que nous évitons un conflit, nous garantissons notre prérogative. Car vous avez vu, messieurs, qu’un jurisconsulte très-éminent, qui fait partie de cette assemblée, était prêt à soutenir la légalité de l’intervention du sénat dans toute son étendue.

M. le président – Je crois devoir faire remarquer à l’orateur que cette question n’est plus en discussion, qu’il ne s’agit plus que du fond.

M. de La Coste – Je pensais qu’hier on avait dit que l’ordre du jour n’empêchait pas de traiter cette question. On a dit qu’on ne passait pas à l’ordre du jour sur les discours futurs, mais sur la proposition de question préalable.

M. le président – La parole ne vous avait été accordée que pour développer votre amendement.

M. de La Coste – Messieurs, je n’insisterai pas sur ce point. Je voulais prouver que la marche que nous avons suivie est dans l’intérêt de notre prérogative, parce qu’on ne pose pas de précédent qui puisse être invoqué contre elle. Puisqu’il paraît à M. le président que cela ne rentre pas dans l’objet de la discussion, je laisserai cette preuve de côté.

Messieurs, de même qu’en thèse générale, je pense que la protection doit s’appliquer à l’agriculture comme aux autres industries, je veux aussi pour ces autres industries une protection raisonnable. C’est pour ce motif que j’ai proposé un amendement en faveur de la mouture pour l’exportation.

(page 1617) A cet égard, messieurs, il a existé des dispositions dont la force exécutoire est venue à cesser en 1842. La section centrale dit, dans son rapport, que ces dispositions étaient alors devenues inutiles, parce que, l’entrée des blés étant libre, l’industrie de la mouture n’avait pas intérêt à obtenir la restitution de droits qui n’existaient pas.

Maintenant, messieurs, ce motif a cessé ; car les droits existeront à peu près dans tous les cas, puisqu’il y en aura jusqu’au prix de 24 francs.

A la vérité, il ne sera guère alors qu’un droit de balance, un droit de 25 centimes par hectolitre ; mais le but de la loi est aussi que le droit qui existe actuellement ne soit pas éludé. Par conséquent, la position où nous devons nous placer est celle d’un droit effectif, d’un droit réellement perçu. Dès lors, messieurs, si nous n’accordons pas à l’industrie de la mouture les facilités que nous lui avons accordées en 1840, elle se trouvera évidemment dans une position désavantageuse. Déjà, messieurs, cette industrie ne peut pas soutenir la concurrence avec l’industrie similaire française. Elle a donc besoin plutôt d’être encouragée que d’être découragée. Cette industrie, messieurs, se lie à l’intérêt de notre navigation, à l’intérêt de nos ports ; elle se lie aussi à l’intérêt de l’agriculture, car, dans les années de surabondance, il importe que nous ayons des moyens d’exportation.

Tels sont les motifs, messieurs, qui m’ont engagé à reproduire, avec quelques changements, l’art. 2 du projet du sénat. Ces changements ont eu en partie pour but de rassurer ceux qui pourraient craindre que la disposition ne donnât lieu à quelques abus. C’est pour cela, messieurs, que j’ai renforcé la surveillance du gouvernement. D’un autre côté,j’avais reçu de très-bonne source, des réclamations quant à la proportion fixée relativement à l’exportation des farines. Voici ce que m’a écrit, à cet égard, un industriel haut placé dans la hiérarchie commerciale :

« Pour ce qui est de la disposition qui autorise la mouture du froment en entrepôt, ; l’auteur du projet s’est évidemment trompé sur le rendement : il faut du bon froment des environs de Louvain, et je pense que c’est le meilleur du pays, pour rendre 75 p.c. de farines, et sur ces 75 p.c., il y a, au moins, 15 kilog. de farine qui n’est pas propre à l’exportation ; mais ceci ne tire pas à grande conséquence ; seulement il faudrait y substituer 15 kil. de farine, provenant du froment indigène, pour lesquels on garderait une quantité égale, mais de moindre qualité. »

D’ailleurs, messieurs, si vous voulez prendre la peine de faire le calcul des résultats de la différence entre le rendement de 75 p.c. et celui de 78 p.c., vous verrez que cela revient, y compris les 16 centimes additionnels, à une différence pour le trésor et par conséquent pour la protection agricole de 1,640 francs sur un million de kilogrammes. Or, cela peut être considéré sans aucune importance, et encore faut-il en déduire quelque chose à cause du droit sur le son.

Voilà, messieurs, les considérations que j’avais à présenter en faveur de mon amendement.

M. Osy (pour une motion d'ordre) - L’honorable M. de La Coste vient de reproduire une des dispositions du projet de loi du sénat. Je pense que ce n’est pas le sénat qui a établi des calculs pour savoir si le rendement est de 75 ou 78 p.c. Il est impossible que le gouvernement n’ait pas donné, à cet égard, des renseignements au sénat. Je désire que M. le ministre de l'intérieur veuille bien, dans le cours de la discussion, nous donner des explications sur ce point.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce chiffre du rendement est emprunté à la loi de 1841, qui a cessé d’être en vigueur. L’honorable M. de La Coste s’est trompé en supposant qu’en 1840 le gouvernement et la législature avaient ignoré que le rendement ne fût pas en réalité de 78. On savait parfaitement que le rendement est mois élevé ; on savait qu’il y avait un déficit, on l’a déclaré, mais on a voulu que ce déficit fût comblé au moyen de grains indigènes. Je dois aussi dire à la chambre que je n’ai reçu aucune réclamation de ce chef ; les industriels qui s’occupent de convertir les grains étrangers en farine s’estimeraient heureux si l’on remettait en vigueur une disposition conforme à celle de la loi de 1840, qui fixe le rendement à 78 p.c. ; ils consentiraient à combler le déficit avec des grains du pays. Voilà ce qui résulte des renseignements que j’ai reçus. (Interruption.) Je ne soutiendrai pas d’une manière absolue le chiffre de 78. Si la chambre veut faire une plus grande concession aux établissements de mouture, elle pourra fixer un rendement de 75 ; je ne m’y opposerai pas, mais je dois dire que je n’ai reçu aucune réclamation de ce chef. Il est reconnu que le rendement de 78 est un rendement forcé qui doit être atteint au moyen de l’addition de grains du pays.


M. de Mérode – L’économie politique, si elle oubliait l’agriculture, tomberait dans la même erreur qu’un astronome qui omettrait le soleil dans le tableau des cieux. Ainsi s’exprimait M. Michel Chevalier, dans son discours d’ouverture au Collège de France, le 2 mai 1841 ; et cependant, à entendre certaines personnes qui traitent, soit dans cette enceinte, soit au dehors, l’importante question des céréales, l’économie politique n’aurait point à s’en occuper, car il suffirait du commode laisser faire, laisser passer, qui ne demande pas plus de contention d’esprit qu’il n’en faut au spectateur assis sur le bord d’un fleuve pour regarder couler l’eau.

Remarquez cependant, messieurs, que ceux-là mêmes qui admettent l’insouciance, quand il s’agit de maintenir une certaine valeur aux grains indigènes, ne trouvent pas mauvais qu’on prohibe la sortie des subsistances, dès qu’il y a menace de disette. Ainsi donc l’agriculture doit être l’esclave des diverses industries. Pour elle, restriction de débit quand il y a rareté et cherté de ses produits (ce que j’approuve assurément, et c’est pourquoi je repousse le droit fixe préféré par M. Rogier) ; absence de mesure protectrice quand arrive leur dépréciation.

On dirait qu’aujourd’hui le suprême bonheur d’une nation consiste à extraire, non pas le plus de substances alimentaires susceptibles d’être récoltées sur le sol, mais le plus de charbon ou d’autres minerais enfouis sous le sol. Néanmoins la prudence conseillerait de ne pas exciter la multiplication de l’espèce humaine dans un Etat dont la terre est généralement favorable à l’agriculture, de l’exciter, dis-je, par une industrie manufacturière exubérante sans chercher à obtenir une production agricole en équilibre avec les besoins du peuple ; lorsque j’entends affirmer, ce que j’ignore, que la Belgique ne fournit pas assez de céréales pour nourrir ses habitants, loin de croire qu’il faut faciliter l’introduction à bas prix des céréales étrangères, j’en conclus qu’il faut encourager la production des nôtres, qu’il faut en tirer le plus possible de nos propres campagnes, afin de ne pas être par trop tributaire de l’étranger pour la chose la plus nécessaire à une nation.

J’ajoute qu’en admettant l’hypothèse d’après laquelle le nombre de bouches surpasserait les moyens d’alimentation, il serait à propos d’éviter l’impulsion gouvernementale appliquée au développement d’une autre industrie que l’industrie agricole, et de concentrer sur celle-ci toutes les faveurs administratives. Chaque jour nous montre toutefois, chez nous, une tendance entièrement contraire à cette direction. Les plus tristes exemples que nous fournit, soit notre royaume, soit les autres Etats, n’arrêtent pas l’engouement pour la multiplication des ouvriers de fabriques destinés à vivre aux dépens des pays étrangers, et parmi eux je comprends les extracteurs de minerais, tandis que peu d’intérêt semble s’attacher à la richesse agricole.

Jamais, ou rarement, on ne montre de jalousie contre l’industriel qui fait une rapide fortune, mais on est enclin à envier le propriétaire qui voir augmenter son revenu par le prix des baux. Ce n’est pourtant pas lui qui m’occupe, messieurs, c’est la multitude ; et quand je vois la pauvreté de tant de familles dans nos Flandres, quand je vois le paupérisme périodique déplorable des districts manufacturiers de l’Angleterre, quand je vois la misère affreuse des tisserands de la Silésie, quand je compare l’arrondissement de Lille, département du Nord, pourvu de terres excellentes, mais surchargées d’industries, à l’arrondissement d’Avesnes, infiniment moins fertile, mais plus exclusivement peuplé d’agriculteurs et d’ouvriers occupés dans ses forêts, je ne puis m’empêcher de souhaiter, pour le bien-être futur de mes compatriotes, un goût plus vif pour l’extension de la production agricole que pour des moyens d’existence factices qui peuvent décliner rapidement comme ceux qui possédaient la Flandre et la Silésie, par l’industrie des toiles, qu’on devait cependant considérer comme l’une des plus sûres et des mieux établies.

Je ne répéterai pas ce que nous ont fort bien dit déjà MM. Pirson et de Theux. Je ne ferai qu’une observation, qu’on n’a pas présentée, je pense, et qui tend à démontrer que si je veux de précautions douanières, afin d’empêcher le trop bas prix des céréales, le bas prix provenant, bien entendu, non de l’abondance intérieure, toujours désirable, mais de l’exportation extérieure, ce n’est pas dans le but de favoriser l’augmentation des baux, mais une plus grande production de denrées indigènes. Chacun sait que, pour bien préparer une terre, il faut beaucoup de travail ; que, pour l’améliorer temporairement, il faut y transporter divers amendements, ou engrais. Or, le bénéfice qu’on retire de ces opérations est absolument, pour le fermier, distinct du prix de son bail, il se rapporte exclusivement à la valeur de la récolte. Si elle vaut mieux que les frais du travail de culture extraordinaire par lequel on aura obtenu cette récolte, le fermier ne regrettera pas ses peines, ses dépenses en journées d’ouvriers ; si elle vaut moins que les peines et les dépenses, à cause du bas prix des substances produites, le fermier se contentera de procédés moins coûteux et en résumé plus profitables, quoique moins productifs ; il cessera de se livrer à une œuvre ingrate ; il se renfermera dans la routine ordinaire, et l’expérience prouve que telle est la manière d’agir habituelle dans les campagnes. Aussi est-ce à cause de ce résultat que feu notre loyal collègue M. Peeters, désintéressé pour lui-même, zélé pour ses commettants, insistait constamment sur la nécessité d’encourager la culture du seigle dans les terres maigres de la Campine, à un prix rémunérateur suffisant.

En ce qui concerne le propriétaire indigène, on peut dire également que s’il est plus riche, il dépensera plus dans le pays. Qu’importe à l’ouvrier carrossier, l’ouvrier ébéniste ou tapissier, par exemple, que le pain soit à très-bon compte, si l’on commande peu ou point de voitures et de meubles, et s’il reste les bras croisés pendant plusieurs mois.

Messieurs, j’ai dit un mot tout à l’heure de la richesse plus ou moins grande des propriétaires belges, mise en regard des bénéfices que l’on peut procurer, à leur désavantage, aux étrangers. Vous me ferez, je n’en doute pas, l’honneur de croire que je suis homme assez sérieux pour ne pas m’inquiéter beaucoup de la quantité de voitures ou de harnais qu’il peut y avoir dans les remises et les selleries des personnes favorisées de la fortune, de la quantité de tapis ou de fauteuils qui ornent leurs appartements. Ceux qui me feraient l’honneur de venir chez moi ne me trouveraient pas, sous ces rapports, très-bien monté, parce que j’aime mieux tapisser les chemins vicinaux avec des pierres, là où je possède quelque chose, que des chambres avec des tissus plus doux. Mais cependant il n’en est pas moins vrai qu’un grand nombre d’ouvriers de cette capitale où nous siégeons et d’autres grandes villes tirent leurs moyens d’existence du superflu que viennent y dépenser les propriétaires plus ou moins riches du pays, et ce ne sont pas les marchands de grains de Dantzick ou d’Odessa ou les fabricants de coton de l’Angleterre qui donnent des moyens de travail et d’existence à ces ouvriers, comme aussi ce ne sont pas les dames de Londres ou de la Suède, où nous achetons beaucoup de bois, qui entretiennent les couturières et les brodeuses de nos villes, et qui achètent dans nos boutiques.

Dès lors, il ne faut pas nous menacer de la colère du peuple parce que (page 1618) nous cherchons à conserver chez nous le plus de ressources possibles à placer dans les mains de notre peuple ; car c’est là mon but essentiel dans la part que je prends à cette discussion, et les vingt et un consignataires de la proposition de M. Eloy de Burdinne ont assez d’humanité bien connue pour que je les croie animés du même sentiment. Certes, M. l’abbé de Haerne, qui s’est si généreusement occupé des pauvres dans son district où il y en a malheureusement beaucoup par suite de la décadence de l’industrie des toiles, n’a pas envie de les affamer.

En sa qualité de membre du clergé, il n’ignore pas d’ailleurs que, selon la foi chrétienne, dans le jugement qui doit suivre cette vie, si nous sommes condamnés, ce sera particulièrement pour avoir négligé de donner à manger à ceux qui ont faim, de vêtit ceux qui sont nus, de visiter ceux qui sont en prison, en un mot, pour avoir vécu en égoïstes, insouciants des besoins de nos frères, dont la condition réclamait spécialement notre sollicitude.

Quant à moi, je porte la mienne sur ceux qu possèdent ou cultivent le sol en Belgique, sous le point de vue de la solidarité qui existe entre eux et la généralité des Belges. Je n’ai donc pas à craindre la colère du peuple, à moins qu’on ne se plaise à l’égarer par des déclarations, au lieu de discuter paisiblement et avec bonne foi.

Une circonstance qui m’a paru singulière, c’est de voir l’accord de MM. Manilius et Rogier, qui jusqu’à présent m’avaient semblé complètement en dissidence sous le rapport des idées d’économie politique ; car l’honorable M. Manilius ne trouve pas du tout bon que pour habiller le peuple en cotonnades à meilleur compte, on laisse entrer facilement les étoffes étrangères au préjudice de nos fabriques gantoises ; plus d’une fois il a manifesté sa vive impatience contre ce système ; il veut le marché intérieur ; tandis que son adversaire habituel jusqu’à ce jour, fait du cosmopolitisme très-avancé, s’inquiétant peu de l’origine nationale ou exotique des habits, et prétendant qu’il importe surtout de les acheter à bon marché. Moi, messieurs, je l’ai déjà dit, c’est avec M. Manilius que je sympathise, mais avec une idée d’ensemble, avec une idée de réciprocité sincère entre tous les Belges, agriculteurs et fabricants.

Du reste, je ne veux pas exagérer la protection agricole ; je ne veux pas porter si haut le prix des grains que l’on en vienne, en Belgique, à cultiver les pierres. L’honorable M. Lys, qui a fréquemment sous les yeux les rocailles des environs de Verviers, peut être persuadé que je n’ai pas la moindre envie d’encourager l’agriculture au point que l’on doive arracher quelques maigres épis à des terrains que la nature destine à la nourriture des chèvres.

Aussi refuserais-je mon concours à une loi exclusive des céréales étrangères. Mais il ne s’agit que d’une protection très-modérée, très-inférieure à la protection des lois françaises et anglaises. Et loin de croire que le projet en discussion soit trop favorable à l’agriculture, soit préjudiciable au consommateur, je pense qu’à l’égard de l’orge, particulièrement, le droit demeure beaucoup trop faible, et qu’il résulte de son insuffisance un préjudice réel porté à la culture d’un grain approprié à certaines terres qui méritent comme les autres la sollicitude de l’Etat.

Messieurs, l’honorable M. Rogier a dit que jamais on ne pourrait plus réduire le droit protecteur s’il était reconnu trop élevé, parce que les baux s’opposeraient à cette mesure ; eh bien, si la surélévation du droit se démontrait dans un temps quelconque, je n’hésiterais pas à voter la réduction qui occasionnerait, j’en conviens, quelque embarras momentané aux fermiers, mais cet inconvénient devrait être accepté dans l’intérêt public, comme nous croyons que devrait être acceptée, dans le même intérêt public, la modification proposée maintenant par la section centrale.

M. Delehaye – L’honorable député d’Anvers, qui siège près de moi vous a dit hier qu’il regrettait beaucoup qu’un projet aussi important dût être discuté à la fin d’une session. J’éprouve le même regret. Mais ce qui, d’après moi, est beaucoup plus déplorable, c’est que nous soyons obligés d’imposer un nouveau droit sur les céréales, dans la même session où nous n’avons pas trouvé le moyen de rien faire pour un grand nombre d’ouvriers que la malencontreuse loi sur les sucres a jeté sur le pavé.

Lorsqu’il s’est agi de cette loi, nous avons été d’accord sur une mesure provisoire qui devait fournir à la classe ouvrière des moyens d’existence, et nous assurer une partie des avantages qu’offrait aujourd’hui l’empereur de Russie. Le gouvernement ne souscrivit pas à cette mesure ; sa sympathie pour la classe ouvrière est nulle ; mais quand il s’agit d’améliorer le sort des propriétaires, sa sympathie est pour eux plus grande. Voilà ce qui, d’après moi, est beaucoup plus regrettable. Je crains que le pays ne s’aperçoive que notre sollicitude pour la classe ouvrière ne se manifeste que par des paroles et que, quand il s’agit des riches, des propriétaires, des électeurs enfin, nous sommes tout prêts à leur accorder ce qu’ils demandent.

Avant d’entamer la discussion, il me sera permis de répondre aux reproches adressés au chef-lieu du district dont j’ai l’honneur d’être le représentant. Lorsqu’il s’agit d’accusations, c’est toujours de Gand qu’il s’agit. Alors même que d’autres villes sont dans la même situation, on oublie les autres localités pour n’accuser que la ville de Gand.

Gand, me dit-on, conserve le droit de mouture. En effet, Gand a maintenu le droit de mouture pour le froment. Ce droit, je le condamne tous les jours. Le conseil communal de Gand a les mêmes intentions que moi, il n’établit pas ce droit avec plaisir ; mais il est dans la même position que nous. Que faisons-nous ? Depuis quinze ans ne protestons-nous pas contre notre loi inique sur le sel ? Tous les ans, l’honorable M. Eloy de Burdinne a répété qu’il y avait nécessité de modifier la loi sur le sel. Cependant nous la maintenons, que dis-je ? nous l’avons aggravée. Nous trouvions peut-être notre justification dans la nécessité qui ne nous permet pas de diminuer les impôts ; Gand cependant n’a pas aggravé la charge.

Depuis quinze ans, nous reconnaissons tous les vices des bases fixées par la loi, pour la contribution personnelle ; cependant nous la conservons, parce que nous n’avons pas trouvé le moyen d’y substituer d’autres bases.

Gand est dans la même position. Le droit de mouture est, pour cette ville, la source d’un revenu de 60 mille francs. Soyez persuadés que, lorsqu’elle le pourra, ce sera le premier impôt auquel elle renoncera.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il y a erreur ; ce droit a produit à la ville de Gand, en 1843, une somme de 225 mille francs.

M. Delehaye – Je remercie M. le ministre de l'intérieur de ce renseignement, qui vient à l’appui de mon opinion. Il n’est pas facile de remplacer un revenu de 225 mille francs.

M. Rodenbach – Mais vous n’avez pas besoin de le remplacer. Vous n’avez qu’à ne pas faire de palais.

M. Delehaye – Les paroles de M. Rodenbach ne parviennent pas jusqu’à moi ; je ne puis donc pas y répondre. Les propriétaires de la ville ne gagnent rien à cet impôt. C’est un impôt contre lequel nous protestons. Les reproches dont il est l’objet de la part de l’honorable M. Eloy de Burdinne me surprennent dans la bouche d’un membre qui a dit que, plus le droit serait élevé, plus les céréales seraient à bon marché. L’administration communale pourrait lui répondre qu’elle ne maintient le droit que pour s’assurer s’il est vrai que, plus le droit est élevé, comme il l’a dit, plus le pain sera à bon marché.

M. Eloy de Burdinne – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Delehaye – L’honorable M. Rodenbach trouve ce droit inqualifiable, inadmissible ; il pense qu’il faut le supprimer. Mais comment ce droit, qu’il trouve inqualifiable, le propose-t-il lui-même ? Le droit de mouture qui existe à Gand n’est pas le tiers de celui proposé par les 21.

M. Rodenbach – Si fait. Je demande la parole.

M. Delehaye – C’est un droit local ; c’est donc un droit que tout le monde paye. Qu’on ne se figure pas qu’il pèse sur la classe ouvrière ; car, grâce à la sollicitude du gouvernement pour la classe ouvrière, elle ne consomme plus uniquement du froment ; elle se voit obligée de substituer au froment une partie de seigle ; or, le droit de mouture, établi à Gand, n’atteint pas le seigle.

Il y a une autre considération : chacun sait que la ville de Gand a d’immenses faubourgs qu’habite la classe ouvrière ; le droit d’octroi, que l’honorable M. Rodenbach trouve inqualifiable, n’atteint donc pas les ouvriers.

Mais vous, par votre proposition, que faites-vous ? Voulez-vous atteindre les habitants des villes seulement ? Non ; vous frappez la classe ouvrière des villes et des campagnes. La section centrale excepte le seigle, mais il est compris dans la proposition des 21.

Puisque j’en suis à répondre aux reproches de deux honorables membres, il me sera permis de dire un mot en réponse à l’honorable M. Van Cutsem. Il a hier expliqué son idée ; il a dit comment il serait possible qu’en protégeant la culture des céréales, le prix du pain vînt à tomber. S’il en était ainsi, les consommateurs et les diverses branches d’industrie qui emploient des céréales y trouveraient avantage. Sans doute il en serait ainsi, s’il était accordé à l’agriculture une protection très-forte. Mais l’honorable M. Van Cutsem ne voit pas que ce qu’il veut, par sa proposition, c’est que le cultivateur ait un prix favorable. Si le prix baisse, l’argument tombe. Vous voulez que le prix des céréales se maintienne assez élevé, dans l’intérêt de l’agriculture ; vous ne devez pas chercher à l’abaisser ; car ce serait un résultat contraire au but, avoué, incontestable, que vous vous êtes proposé.

J’ai entendu M. le ministre de l'intérieur nous dire qu’il avait des craintes sérieuses que les céréales atteignent bientôt le terme fatal de 20 fr.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Par un moyen factice.

M. Delehaye – Je crains autre chose. Je crains que, le prix de 20 fr. étant atteint, nous ne soyons dans un état de commotion ; car la position actuelle de nos ouvriers exige que les céréales soient à bas prix.

Mais, dit M. le ministre de l'intérieur, je crains que ce prix ne soit atteint par un moyen factice. J’ai la même crainte. Mais fait-il pour cela augmenter le droit ? Adoptez la mesure sage adoptée par le sénat ; indiquez un plus grand nombre de marchés régulateurs ; au lieu de 4 mercuriales, lisez-en deux. Au moyen de ces mesures, cette hausse factice ne sera plus à craindre.

Aujourd’hui, nous sommes dans une position difficile ; quels que soient les efforts que fera le commerce pour introduire en exemption de droits des céréales, la chose serait impossible. L’on chercherait inutilement une grand quantité de céréales, aucune crainte sérieuse ne peut vous assaillir. Remarquez, messieurs, que la récolte est menacée, qu’il est probable que vous vous trouverez dans la nécessité d’avoir recours à l’étranger, la récolte prochaine étant insuffisante pour satisfaire aux besoins du pays.

Ces craintes, le gouvernement ne les a pas réellement. C’est un moyen oratoire à l’appui de l’opinion qu’on soutient.

C’est un moyen auquel on a eu également recours, lorsqu’il s’est agi de la libre entrée de 12 millions de kilog. Alors on disait : Ne craignez rien, la Belgique est loin de produire ce qu’il faut pour sa consommation. On était dans le vrai alors ; non, la Belgique ne produit pas ce qui est nécessaire pour sa consommation ; (l’honorable M. Eloy de Burdinne n’est pas de cet avis) ce qui le prouve, c’est que la Belgique importe plus qu’elle n’exporte ; cela est incontestable, il est certain que la production indigène ne suffit pas à sa consommation.

Messieurs, je suis partisan de toutes les protections que l’on veut accorder (page 1619) au travail national ; je ne demande pas seulement une protection pour les industries qui s’exercent dans la ville de Gand, je réclame une protection pareille pour la principale des industries, pour l’agriculture.

Je veux que l’agriculture soit encouragée ; mais je veux un encouragement qui n’ait pas pour but d’augmenter les revenus des propriétaires des terres, mais qui profite directement aux cultivateurs.

Et quelle espèce de protection, d’encouragements fait-il accorder à l’agriculture ? C’est surtout, comme l’a dit précédemment un honorable député d’Alost dans un discours remarquable, c’est la propagation de l’enseignement agricole dans le pays ; il faut mettre à la disposition du cultivateur tout ce qui peut tendre à augmenter ses connaissances agricoles. Et cela est surtout nécessaire dans les Flandres.

Dans les Flandres, comme ailleurs, le principal bénéfice du cultivateur ne consiste pas dans la culture seulement des céréales ; il consiste encore et surtout dans l’élève du bétail. Il faut donc encourager la culture des herbes fourragères ; il faut engager le cultivateur à bien entretenir son étable. Quand les céréales sont à bas prix, qu’arrive-t-il ? C’est que le cultivateur peut en consacrer une partie notable à la nourriture du bétail ; il peut élever un grand nombre de têtes de bétail ; là gît le véritable intérêt du cultivateur ; il n’a pas seulement l’avantage de la vente que lui procure les sommes dont il a besoin pour payer son fermage et pour faire face à toutes ses autres dépenses. Il possède encore la faculté de se procurer des engrais si nécessaires à son exploitation.

Je le répète, les cultivateurs des Flandres, qui vendent des céréales, sont en très-petit nombre. C’est un fait connu de tous les habitants des Flandres. Sur 10 cultivateurs, il en est tout au plus deux qui vendent des céréales. Les cultivateurs les plus nombreux sont ceux que nous nommons, dans le patois flamand, vachers ; ils ne vendent pas de céréales ; ils entendent mieux leurs intérêts : ils consacrent une partie de leurs céréales à la nourriture de leur bétail.

Mais, a dit tout à l’heure M. de Mérode, l’honorable M. Manilius a voulu une protection pour tous les cotons. Oui, et moi aussi, je veux cette protection, mais il y a entre cette protection, et celle que l’on demande en ce moment, une différence immense : la protection du coton peut être très-étendue, la production des céréales est essentiellement limitée.

Je dis que la production des céréales est limitée, et si elle vient à ne pas suffire aux besoins des populations, elle peut gravement compromettre la sûreté d’un pays.

Mais, me dit l’honorable M. de Garcia en m’interrompant, et je le remercie de son interruption, il faut encourager le défrichement des terres. Oui, messieurs, il faut pousser au défrichement, et c’est précisément pour cela que je veux accorder une protection. Mais je dis que lorsque vous avez une protection certaine et qui vous assure le marché intérieur jusqu’à la somme de 20 fr., vous pouvez très-bien arriver au défrichement, et ce qui le prouve, c’est que dans la Flandre orientale, il n’y a presque plus de bois ; tous les bois, toutes les bruyères y sont défrichés.

On s’est donc contenté de la loi qui nous régit aujourd’hui ; on a trouvé qu’un prix rémunérateur de 20 fr. était plus que suffisant. Le prix rémunérateur doit nécessairement varier d’année en année. Ce fait de la variation annuelle du prix rémunérateur est si bien reconnu en Angleterre, qu’en vertu d’un statut qui, il est vrai, n’existe plus, le gouvernement nommait tous les ans des commissaires chargés de fixer le prix rémunérateur d’après la récolte. Et cette variation dans le prix rémunérateur est un fait inévitable : si dans une année de disette, le prix de 20 fr. est un prix rémunérateur, il n’en sera plus un dans une année abondante, il descendra à 18 et même à 15 fr.

Messieurs, je n’ai pas besoin de vous dire que moi aussi je suis grand partisan de l’industrie agricole ; à mes yeux, l’industrie agricole, je l’ai déjà dit et je le répète, l’industrie agricole est la première des industries ; mais ce n’est pas un motif pour que vous fassiez à cette industrie des faveurs que l’on refuserait aux autres industries ; il faut combiner, généraliser votre système de protection, de manière à donner le moyen à toutes les industries de lutter contre l’industrie étrangère. Comment voulez-vous, par exemple, que l’industrie cotonnière, l’industrie linière, puissent soutenir la concurrence contre les industries similaires étrangères, alors que ce qui est le plus nécessaire à l’ouvrier est à un prix qu’il ne peut atteindre ?

Messieurs, je vous ai dit quel était, dans mon opinion, le parti qu’il fallait prendre. Je partage l’avis de M. le ministre de l'intérieur, quand il vous a dit qu’il était nécessaire de mettre un terme aux hausses factices. Je pense que la proposition du sénat nous fournirait l’occasion de mettre un terme à ces hausses factices. Si, dès le principe, sans recourir à des tours de passe-passe, le gouvernement était venu nous dire franchement son opinion sur cette proposition, s’il ne s’en était pas fait un moyen pour écarter la proposition des 21 ; si le gouvernement, agissant avec bonne foi, avait indiqué les mesures à prendre pour mettre un terme aux hausses factices, l’affaire serait faite depuis longtemps. Mais le gouvernement, n’osant aborder la proposition des 21, a élaboré un projet dans les bureaux, et l’a livré au sénat.

M. le ministre de l'intérieur me fait un signe de dénégation. Le fait a été affirmé dans la séance d’hier par un honorable membre qui est incapable de produire ici des assertions inexactes ; et lorsque le fait a été articulé, M. le ministre de l'intérieur n’a pas songé à le révoquer en doute. Un fait est donc acquis au débat ; c’est que le projet du sénat a été élaboré dans les bureaux du gouvernement ; et pourquoi ? Pour déjouer la proposition des 21 qui font partie de la majorité et envers lesquels le gouvernement se montrait dès lors fort-peu reconnaissant.

Messieurs, la loi de 1834 n’avait qu’un défaut. Cette loi était favorable à l’industrie agricole ; dès le principe, elle a été accueillie avec faveur par l’industrie agricole.

Elle n’a soulevé de réclamations que de la part du commerce qui seul s’est récrié ; l’industrie agricole n’a commencé à se plaindre qu’en 1843, lors des hausses factices. Eh bien, ne suffisait-il pas de mettre un terme à ces hausses factices ? Si le gouvernement s’était borné à ce fait, s’il avait émis franchement son opinion, je suis sûr que la mesure qu aurait été prononcée pour faire cesser ce fait, aurait réuni une grande majorité dans cette chambre. Je pense encore que nous devons restreindre cette mesure, dont on doit se contenter, si les réclamations qu’on a faites sont sincères.

Il ne me reste plus qu’à dire un mot sur la proposition de l’honorable M. Zoude qui demande la faculté d’importer, dans le canton de Bouillon, une certaine quantité de céréales avec exemption de droits.

Si vous adoptiez cette proposition, vous poseriez un singulier antécédent. Vous avez déjà autorisé une introduction de céréales dans l’intérêt de plusieurs provinces. Sous quel prétexte ? Sous le prétexte que ces provinces ne produisent pas de céréales.

Mais savez-vous ce qui nous manque, à nous Flamands ? C’est la houille, c’est le charbon ; eh bien, ne serions-nous pas en droit de vous dire, en présence de l’antécédent que vous auriez posé : Nos provinces ne produisent pas de houille ; nous sommes obligés de lutter péniblement contre l’industrie anglaise, et vous nous faites payer la houille plus cher que nous ne l’obtiendrions en Angleterre ; accordez-nous donc la faculté d’importer une certaine quantité de ces houilles en exemption de tous droits.

Messieurs, nous dira-t-on, vous avez des chemins de fer et des canaux. Mais je dirai à l’honorable M. Zoude que, malgré nos chemins de fer et nos canaux, nous payons la houille extrêmement cher. Eh bien, je ne demande pas, moi, qu’on nous accorde cette faveur, j’en fais le sacrifice dans l’intérêt général. Quoique ma province dût retirer de cette mesure un immense avantage, je ne la réclame pas ; je veux, moi, que l’industrie houillère du pays soit protégée, et j’aime encore mieux payer un droit que d’exposer mon pays à la concurrence étrangère.

Mais alors que nous nous soumettons volontiers à ce droit, pourquoi viendrait-on demander une exemption pour les céréales ? Si je repousse une proposition qui serait éminemment favorable à l’industrie de ma province, pourquoi l’honorable député de Neufchâteau, qui a manifesté sa sympathie pour l’agriculture, pourquoi demande-t-il une exemption pour les céréales ? Si quelque chose est défavorable à l’agriculture, c’et la concurrence étrangère que l’honorable veut lui amener. La quantité des céréales qui fait l’objet de son amendement, est assez minime ; mais si vous l’ajoutez aux quantités dont vous avez déjà autorisé l’importation, le résultat devient considérable.

Je le dis, dans mon opinion, il faut une protection à l’industrie agricole, il faut mettre un terme aux hausses factices, mais il ne faut pas de nouvelles charges publiques. Ces charges nouvelles, qui doivent peser sur la classe ouvrière, je les repousserai à un double titre, d’abord parce que la classe ouvrière est dans l’impossibilité de les supporter, et ensuite parce qu’il serait contraire à la dignité de la chambre, qui a repoussé les réclamations des ouvriers, de voter une aggravation de charges qui doit frapper particulièrement la classe ouvrière.

M. de Corswarem – Messieurs, la plupart des signataires de la proposition des 21 nous ont fait connaître les raisons pour lesquelles ils ont signé cette proposition. Je viens, à mon tour, vous déclarer pourquoi je ne l’ai pas signée.

lorsqu’on a présenté cette proposition à ma signature, j’ai demandé quel tarif on proposait d’introduire. On m’a répondu que c’était le tarif français de la deuxième classe.

Comme la deuxième classe française comprend des départements qui n’ont aucune ressemblance avec nos provinces, j’ai trouvé ce tarif trop élevé et je n’ai pas voulu signer la proposition.

La France est divisée en quatre classes ; on a fait cette division surtout contre l’introduction des grains de la mer Noire. La première classe, dans laquelle les droits sont les plus élevés, comprend tous les départements des côtes de la Méditerranée et la Corse, parce que c’est dans cette contrée que les grains d’Odessa pouvaient s’introduire le plus facilement et faire la plus grande concurrence aux produits du sol.

La deuxième classe comprend les côtes de l’Océan et les départements limitrophes de ceux de la première zone. Dans cette classe, les blés de la mer Noire ne peuvent plus s’introduire au même taux que dans la première, parce que devant faire le tour de l’Espagne, passer par le détroit de Gibraltar, les frais de transport y sont beaucoup plus élevés ; on n’a donc plus besoin d’une protection aussi forte pour la deuxième zone que pour la première. Cependant, on nous proposait ici un droit semblable à celui qui existe pour les départements de la deuxième zone qui sont ceux environnant Bordeaux et Toulouse. C’est ce droit que j’ai trouvé trop élevé, parce que nous n’avions pas autant à redouter la concurrence de la mer Noire. La Belgique est dans une toute autre position que les départements de la Gironde, des Basses-Pyrénées, de la Haute-Garonne qui sont des départements vinicoles ; là les céréales ne servent qu’à la nourriture des hommes et des animaux ; elles ne sont la manière première d’aucune industrie, tandis que chez nous, outre que les céréales servent à la nourriture des animaux et des animaux, elles sont la matière première de deux industries importantes : des brasseries et des distilleries. Notre pays n’ayant donc aucune similitude avec la deuxième zone de la France, son tarif ne peut pas être applicable chez nous. Si on avait proposé le tarif de la troisième zone, qui comprend les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme, de la Seine inférieure, qui ont plus de ressemblance avec notre pays, j’aurais signé la proposition ; et au lieu de 21 signataires elle e aurait eu 22. Quand même on aurait diminué un peu pour la Belgique la protection que l’on donne à la troisième zone de la France, je l’aurais encore (page 1620) admise, parce que déjà dans la troisième zone de la France, on cultive la vigne, qu’on ne cultive pas ici.

Il y a une zone en France où les droits sont moins élevés que je ne voudrais les voir en Belgique ; cette zone comprend les départements de la Meuse, de la Moselle, des Ardennes. Ces départements ont le plus de ressemblance avec le Luxembourg et une partie de l’arrondissement de Verviers, mais nous avons accordé des entrées de faveur assez considérables à la province de Luxembourg et à une partie de l’arrondissement de Verviers pour mettre ces contrées sur le même pied que la quatrième zone française.

Si donc je n’ai pas donné mon adhésion à la proposition des 21, c’est que je l’ai trouvée un peu exagérée. Plusieurs honorables membres de l’assemblée ont regretté le retrait du projet de loi de 1843. Messieurs, quand ce projet de loi fut présenté, il excita une émission générale ; de toutes parts, un cri de réprobation s’éleva. Il ne paraît pas que l’émotion soit si grande ni si générale aujourd’hui, si j’en juge par le petit nombre des personnes qui viennent assister à cette discussion.

En 1843, on proposait aux céréales une protection de 31 fr. 50c. par mille kilog. quand le prix serait de 19 à 20 fr. ; d’enlever une protection de 20 50 quand le prix serait entre 18 et 19 fr. On proposait encore d’enlever 9,5 de protection quand le prix serait de 17 et 18 fr. ; on ne consentait à accorder une augmentation de protection de 1 50 que quand le prix serait entre 16 et 17 fr. et une augmentation plus considérable, de 12 50, quand il descendait entre 16 et 15 fr.

Si le prix du froment tombe à 15 fr., nous pouvons dire que l’agriculture serait ruinée. A ce prix elle ne peut plus produire. La députation permanente de la province de Brabant, consultée sur le projet de 1843 proposa la prohibition absolue quand le prix serait au-dessous de 16 fr.

L’industrie et le commerce ont des droits protecteurs pour tous leurs produits, pour toutes leurs opérations. Ces droits sont surtout supportés par l’agriculture et la propriété. Aujourd’hui, quand on demande une protection pour l’agriculture et le propriétés, dont les agriculteurs et les propriétaires supporteraient la plus grande part, puisque ce sont eux qui ont le plus grand nombre de bestiaux à nourrir, qui consomment le plus de grains, l’industrie et le commerce ne consentent pas à en supporter leur part ; ils veulent bien que les propriétaires et les agriculteurs supportent une protection en leur faveur, mais ils ne veulent pas de la réciprocité.

La question à examiner est celle de savoir si le tarif actuel est trop élevé. Je crois que, jusqu’à présent, personne n’a critiqué la trop grande élévation du tarif. Nous pouvons dire que le tarif actuel est une espèce de droit fixe ; car il est immuable entre 15 et 20 fr. Quand il tombe au-dessous de 15 fr., c’est une exception ; quand il s’élève au-dessus de 20 fr., il convient de ne plus lui accorder la protection entière. Mais il faudrait amortir l’effet des variations trop fortes entre un droit de 37 fr. 50 et zéro. On aurait pu procéder par degré d’une manière moins sensible que ne le propose la section centrale.

En adoptant un droit de 12 fr. 50 quand le prix est de 20 à 22 fr., la protection revient à 97 centimes par hectolitre. C’est le moindre droit qu’on puisse établir entre 3 fr. et rien. Quand le droit est de 22 à 24 fr., le droit proposé par la section centrale est de 24 centimes.

L’honorable M. Osy s’est trompé quand il a pensé qu’il était de 56 cent., ce droit est de 24 centimes. Ce n’est qu’un droit de balance. En France, quel que soit le droit existant, le droit de balance est de 25 cent. L’honorable M. Rogier a demandé si les circonstances étaient changées depuis 1834, pour que la loi doivent également être changée. Je crois que les circonstances sont considérablement changées depuis 1834. En 1835, 1836 et 1837 et toutes les années antérieures, les importations n’ont jamais dépassé deux millions de kilogrammes par année, tandis que pendant les cinq dernières années,de 1850 à 1844, la moyenne des importations a dépassé 30 millions. Elles sont donc 15 fois plus fortes qu’elles n’étaient en 1834. Sous ce rapport donc les circonstances ont changé. Elles ont également changé sous le rapport du prix. Dans les première année de notre régénération, en 1830, 1831 et 1832, le prix s’était toujours bien soutenu. En 1830 le prix était de 20 fr. 61 c. ; en 1831 le prix était de 22 89 ; en 1832 de 20 93. A cette époque l’industrie souffrait ; elle souffrait surtout parce que nous n’avions pas de relations établies avec les autres pays. Cependant les impôts, surtout les impôts extraordinaires, tels que les emprunts de 10 et de 12 millions, sont rentrés avec une régularité extraordinaire qu’on ne peut attribuer qu’au prix rémunérateur qu’obtenaient les cultivateurs, car ces contributions frappaient sur les propriétés ; c’était la seule ressource où l’on pût puiser, et on n’a pas manquer d’y puiser largement. Après, les prix ont commencé à baiser. En 1833, le prix est descendu à 14 fr. 75 c. ; en 1834, il est descendu à 13 fr. 19 c. Alors on a senti la nécessité d’accorder une protection à l’agriculture. La loi de 1834 est survenue, les prix ont immédiatement repris faveur ; en 1835, ils ont remonté à 14 fr. 67 c. ; en 1836, à 15 fr. 58 c. ; en 1837, à 16 fr. 62 c. ; en 1838, à 21 fr. 17 c. ; en 1839, à 23 fr. 86 c. Mais après 1839 ont commencé les grandes importations. En 1840, on importa 28 millions ; en 1841, l’importation a été de 17 millions ; en 1842, de 55 millions ; en 1843, de 42 millions ; en 1844, elle n’a plus été que de 13 millions. Cependant, jusqu’en 1837, on n’avait jamais importé plus que deux millions. Jusqu’en 1837, jamais la pénurie ne s’était fait sentir dans le royaume. Cette importation eut une influence très marquée sur les céréales : En 1840, le prix tomba à 22 fr. 21 c. ; en 1841, à 19 fr. 98 c. ; en 1842, il remonta à 22 fr. 16 c., et retomba ensuite, en 1843, à 19 fr. 41 c., et en 1844, à 17 fr. 75 c.

L’honorable baron Osy, en vous disant que les importations de 1840 à 1844 avaient été quadruples, indiquait les importations de 1835 à 1839, inclus, à 40,000 kilog., et celles de 1840 à 1844 à 160,000. Je ne sais où il a trouvé ces chiffres. Je trouve dans les documents communiqués que de 1835 à 1839 elles ont monté à 32 millions et que de 1840 à 1844 elles ont monté à 147 millions, le tout après déduction des quantités réexportées. Je trouve donc aussi que, pendant les cinq dernières années, elles ont été quadruples des cinq premières.

De ce fait seul il a conclu que nos besoins ont augmenté, mais les chiffres prouvent aussi que cette augmentation d’importation a fait monter la valeur de nos produits.

L’honorable membre a dit aussi que, pour les céréales, les réclamations sont des plus vives en Angleterre. Je le conçois, surtout quand on considère le droit dont l’importation des céréales y est frappée.

En Angleterre, lorsque d’après les propositions de la section centrale, l’entrée serait parfaitement libre en Belgique, on paye 6 fr. 88 par hectolitre. Lorsque, d’après les propositions de la section centrale, on payerait ici un droit de balance de 24 centimes, c’est-à-dire lorsque les prix sont à 23 et à 24 fr., on paye en Angleterre un droit de 7 fr. 31 et de 7 fr. 47. Lorsque, d’après les propositions de la section centrale, on payerait dans notre pays 97 centimes par hectolitre, on paye en Angleterre 8 fr. 17 et 8 fr. 60. je puis donc très bien comprendre que les réclamations soient des plus vives en Angleterre.

Pour ce qui est de l’enquête parlementaire, je crois, messieurs, qu’il est inutile que je vous en parle. Tout le monde, je pense, reconnaît l’impossibilité d’une enquête agricole. D’ailleurs on connaît d’avance tous les résultats. Demandez à ceux qui produisent des grains s’il faut une protection, ils diront oui ; faites la même demande à ceux qui ne produisent pas, mais qui en consomment, ils vous diront non. On peut donc très-bien se dispenser de faire une enquête.

Plusieurs membres paraissent pencher vers l’établissement d’un droit fixe de 2 fr. par hectolitre. Messieurs, ce droit fixe équivaudrait au droit de 25 fr. 60 par 1,000 kil. ; il paraît que ce droit fixe ne s’arrêterait nulle part. Il se pourrait que lorsque, d’après les propositions de la section centrale, on ne payerait que 97 centimes par 1,000 kil., avec le droit fixe on payerait 25 fr. 60. ; qu’on payerait encore 25 fr. 60 lorsque, d’après les propositions de la section centrale, on ne payerait que 24 centimes ; qu’on payerait toujours 25 fr. 60 c., lorsque, d’après les propositions de la section centrale, l’entrée serait parfaitement libre. Je crois que ce droit fixe est une véritable utopie.

L’honorable M. Osy nous a dit : « Mettez un impôt de 12 fr. 50 jusqu’à 22 fr., on atteindra le prix de 22 fr. 01 c., et on n’importera qu’à 22 fr. 01 c. avec un droit de 3 fr. par 1,000kilog., le tout au détriment du consommateur. »

Je sais, messieurs, que cela pourrait se faire. Cependant, c’est un axiome dans le commerce, que plus la valeur de l’objet est élevée, plus il est difficile de le faire hausser encore. Si donc à 20 fr., il est possible d’augmenter la valeur d’un hectolitre de blé, je crois qu’il est extrêmement difficile de la faire hausser au-dessus de 21 fr., et qu’il est d’une difficulté presque insurmontable de la faire hausse au-delà de 22fr., à moins que les circonstances n’y contribuent grandement.

Messieurs, le droit suel, sans une augmentation du nombre de marchés régulateurs, ne me paraît pas suffisant non plus pour parer aux inconvénients que l’on a signalés, comme il me paraît que l’augmentation du nombre des marchés régulateurs, sans la gradation des droits, ne préviendrait as ces mêmes abus.

On nous a aussi dit que de 1819 à 1831 le prix du froment ayant été de 16 fr. 68, et de 1832 à 1844 de 18 fr. 47 c. ; la position des propriétaires s’est améliorée de 2 fr. et qu’ainsi ils ont pu augmenter leurs baux.

Messieurs, il est vrai que pendant cette période les prix moyens ont varié.

En 1819, le prix moyen à été de 18 fr. 81 c., en 1820 de 16 fr. 19 c., en 1821 de 13 fr. 62 c.., en 1822 de 14 fr. 41 c., en 1823 de 13 fr. 52 c. et 1824 de 11 fr. 09 c.

Chacun de vous, messieurs, se souviendra encore de la misère qu’il y avait dans le pays, lorsque le prix du froment était à 11 fr. 09 c. l’hectolitre.

En 1825 et 1826 il est remonté jusqu’à 12 fr. 23 et 14 fr. 19.

Ainsi, la période de 1919 à 1831, que l’on a choisie, est la période la plus calamiteuse que la Belgique ait traversée depuis un demi-siècle ; ce choix donc n’est pas heureux pour en faire la comparaison avec la période 1832 jusqu’à présent.

On prétend toujours que la loi n’aura pour but que de donner aux propriétaires la faculté d’augmenter le prix des baux.

Messieurs, le prix des baux a augmenté pour plusieurs raisons.

Cette augmentation de la valeur du sol est premièrement provenue de ce que, en 1830, 1831 et 1832, les prix élevés des céréales ont permis à une foule de cultivateurs d’acheter des portions de sol, et d’entrer ainsi en concurrence avec les anciens propriétaires et de devenir propriétaire à leur tour.

La valeur du sol a également augmenté parce que beaucoup de négociants ont fait d’excellentes affaires, ont retiré des capitaux du commerce et sont venus, en concurrence avec les anciens propriétaires, acheter une grande partie du sol.

Il y a beaucoup de personnes, messieurs, qui ignorent cette circonstance.

(page 1621) Cela est tellement vrai que, me trouvant un de ces jours derniers, en conversation avec l’honorable M. Lys, ici présent, cet honorable membre nous déclara qu’il ignorait qu’un fabricant de Verviers, que j’eus l’honneur de lui nommer, possedât des propriétés. Il est très-vrai que ce fabricant ne possédait pas de propriétés dans les environs de Verviers, mais à ma connaissance, à la connaissance d’autres membres de cette assemblée et de plusieurs autres personnes qui étaient présentes à la conversation, il possédait des propriétés très-considérables dans le Limbourg.

C’est cette concurrence que les commerçants, que les négociants et que les producteurs de céréales sont venus faire aux propriétaires, qui a amené l’augmentation du prix du sol.

Ensuite, messieurs, l’augmentation de la valeur des céréales a excité une plus grande concurrence entre les cultivateurs qui sont venus d’eux-mêmes offrir des prix plus forts aux propriétaires ; et c’est, en définitive, l’augmentation de la valeur des céréales qui a fait augmenter le prix des fermages, tandis que, d’après ce que soutiennent nos honorables adversaires, on n’aurait qu’à élever le prix des fermages pour faire élever le prix des céréales.

Il est de notoriété, messieurs, qu’il y a quelques années on pouvait acheter de propriétés foncières qui rapportaient 4 et jusqu’à 5 p.c., et qu’aujourd’hui on est très-heureux lorsqu’on obtient la moitié de ce revenu. Au moins il en est ainsi dans ma province.

Il y aurait encore une chose à vérifier, messieurs ; mais il serait difficile de la constater exactement ; c’est de savoir si les fermages des biens appartenant à des négociants et à des industriels sont moins élevés ou plus élevés que les fermages des biens appartenant à des propriétaires proprement dits, à des personnes qui ne possèdent que des terres.

Mais comme je ne puis me livrer, à ce sujet, qu’à des conjectures, je ne me permettrai pas de les communiquer à la chambre.

L’honorable comte de Mérode voudrait que, pour encourager la culture de l’orge, on adoptât un droit plus protecteur. Pour cette céréale, je ne puis partager cette opinion. Je crois que la culture de l’orge ne doit pas être encouragée. C’est la céréale qui épuise le plus la terre et qui lui rend le moins. La paille d’orge étant presque nulle, ceux qui cultivent beaucoup d’orge doivent racheter de la paille pour ne pas détériorer leurs terres.

Je regrette, avec l’honorable M. Delehaye, le droit de mouture existant à Gand. Mais je ne suis pas d’accord avec lui, lorsqu’il dit que ce droit est moins élevé que celui proposé par la section centrale.

M. Delehaye – J’ai dit par les vingt et un.

M. de Corswarem – J’avais mal compris.

Ce droit est d’1 franc 77 c. par hectolitre, tant lorsque la section centrale propose un droit de 97 c., que lorsqu’elle n’en propose qu’un de 24 c., et même lorsqu’elle propose de laisser l’entrée entièrement libre. Le droit proposé par la section centrale est protecteur de l’agriculture, et celui de la ville de Gand est un droit de consommation. On ne peut donc comparer ces droits.

On dit qu’un droit très-élevé existe également à Termonde ; ce droit, on me l’a expliqué, a une origine très-respectable. Mais comme la cause en a disparu, il est juste que l’effet disparaisse aussi.

Après la désastreuse récolte de 1816, à Termonde, il y avait un très-grand nombre de familles indigentes, aux besoins desquelles le bureau de bienfaisance ne pouvait subvenir. C’est pour venir à leur aide que le conseil communal a établi sur les grains un droit qui existe encore aujourd’hui. On a donc fait payer ceux qui mangeait du pain, pour en donner à ceux qui ne manquaient. C’est un motif très-louable. Mais aujourd’hui que le motif a disparu, je voudrais que l’effet disparût aussi, et que la loi sur les octrois, annoncée par M. le ministre de l'intérieur, mît un terme à toute exagération du droit d’octroi.

M. le président – La parole est à M. Coghen, inscrit sur le projet.

M. Coghen – La question qui nous occupe est certes une des plus difficiles dont la législature puisse être saisie, tant il y a d’intérêts divergents en regard. Et d’abord l’agriculture, un des grands intérêts qui doivent être protégés, et que, je crois, nous devons tous protéger, puis le consommateur qui a droit à toute notre attention (n’oublions pas que la classe la plus nombreuse est celle qui est condamnée aux plus rudes privations), et enfin le commerce qui a besoin d’un droit tel qu’il puisse librement agir, sans nuire aux intérêts du trésor ni à ceux d’une industrie qui occupe les trois quarts de la population du pays.

Il faut en convenir, la loi de 1834 est incomplète ; son vice radical, pou le froment, tient à cette transition subite de 43 fr. 50 c. de droits, quand le prix est à 19 fr. 99 c., à zéro, à la libre entrée, pour un seul centime d’augmentation dans le prix. La spéculation s’en est emparée ; on a déversé dans le pays une masse de grains au détriment du trésor et de l’agriculture.

Le projet qui nous occupe présente déjà un moyen de remédier à l’inconvénient qu’il y aurait à la possibilité d’influencer le prix des marchés, d’introduire facilement sans droits des quantités de céréales ; or, le nombre de 22 marchés régulateurs rendrait très-difficiles de pareilles manœuvres ; ce serait donc un moyen assez efficace pour prévenir cet inconvénient.

Pour s’occuper sérieusement de cette question et pour l’examiner, la vider à fond, je crois que la chambre a trop peu de temps ; nous avons 11 projets de loi à notre ordre du jour ; il doit s’accroître de quelques rapports qui ne sont pas encore déposés. D’autre part, nous avons l’intention presque avouée de nous séparer samedi prochain ; nous avons donc presque autant de lois que d’heures de séances. Si donc on ne veut pas prolonger la session, il me paraît impossible de s’occuper sérieusement de la loi sur les céréales.

Une nouvelle loi est nécessaire. Par suite des diverses modifications qui ont été successivement adoptées, cette législation constitue une véritable marqueterie. J’ai une certaine habitude de cette législation ; cependant à tout moment j’hésite, je ne sais où nous en sommes tant il y a de variété dans les dispositions sur cette matière. Je suppose que cet embarras doit être partagé par le gouvernement lui-même.

Vous êtes saisis de document statistiques, du prix des céréales venant de l’étranger, des mercuriales depuis un grand nombre d’années. Il y a quelques documents qui vous manquent encore.

Vous avez la loi présentée en 1841, par notre honorable président, alors ministre de l’intérieur ; la loi de 1843 présentée par l’honorable ministre de l’intérieur actuel. Nous avons la proposition de nos honorables collègues ; nous avons la proposition du sénat. Il me semble que si, dans l’intervalle des sessions, le gouvernement réunissait une commission dans laquelle il appellerait non pas ceux qui veulent la liberté illimitée du commerce des grains, ni ceux qui veulent une protection exagérée, il serait très-facile de faire une loi qui obtiendrait non pas l’approbation générale, ce qui est difficile, mais l’approbation de la très-grande majorité des habitants du pays.

En attendant, je crois, messieurs, qu’il serait possible de prévenir les inconvénients dont on se plaint, au moyen de l’article 1er, relatif au nombre des marchés régulateurs et au moyen d’un article 2 nouveau que j’ai l’honneur de proposer. Cet article serait ainsi conçu :

« Par dérogation à l’article 5 de la loi du 31 juillet 1834, le gouvernement pourra, alors même que le prix moyen du froment de deux semaines auparavant aurait atteint 20 fr. par hectolitre, en suspendre la libre entrée, si ce prix est le fait de manœuvres contraires aux intérêts de l’agriculture et du trésor. Toutefois, si la moyenne des deux semaines suivantes se maintient à 20 fr. ou au-delà par hectolitre, l’article 5 de la loi susdite reprendra son effet. »

De cette manière, messieurs, le gouvernement serait armé contre l’abus. Il pourrait savoir, et par lui-même, et par les autorités locales, si la hausse survenue est l’effet de manœuvres qu’il faut prévenir et déjouer dans l’intérêt de l’agriculture.

M. Manilius - Messieurs, malgré les développements que l’honorable député de Bruxelles vient de donner à son amendement, je ne me trouve pas à même, après une première lecture, de me prononcer sur cet amendement. J’attendrai donc la suite de la discussion pour présenter des observations à cet égard.

Un autre amendement nous a été présenté, hier, par l’honorable M. Dumortier. Je viens appuyer cet amendement qui consacre d’ailleurs l’opinion que j’ai exprimée dans la section centrale. Je suis charmé de voir que mon opinion a obtenu quelque triomphe dans l’idée des membres qui ont signé la proposition primitive. Je verrais avec le plus grand plaisir retrancher du projet ce qui est relatif aux recettes.

D’un autre côté, messieurs, je voudrais voir introduire dans la loi l’article nouveau qui a été proposé par l’honorable député de Louvain. Il serait d’autant plus nécessaire d’admettre cette disposition que nous sommes en ce moment sans législation sur l’exportation des farines. La législation qui existait à cet égard a cessé d’être en vigueur depuis le 1er avril 1842.

Il est vrai, messieurs, que, depuis cette époque, le besoin d’une semblable législation ne s’est pas fait sentir, parce que le prix des céréales dans les pays étrangers n’a pas permis d’opérer l’exportation ; mais, messieurs, les circonstances peuvent changer, et comme nous sommes à la veille de nous retirer et qu’il est plus que probable que dans la session prochaine nous ne toucherons pas à la question des céréales, il serait à craindre que nous restions encore longtemps privés d’une législation sur la sortie des farines, législation qui est de la plus grande utilité pour l’industrie si intéressante dont il s’agit. Cette industrie possède plusieurs grands établissements dans le pays, et nous ne pouvons pas refuser de faire pour elle ce que nous faisons pour toutes les autres industries.

Je déclare, messieurs, que je serai extrêmement bref dans les observations que j’ai encore à présenter. La discussion me paraît très-avancée, et je tâcherai de la prolonger le moins possible.

Tout à l’heure, un honorable député de Hasselt nous a démontré combien il y a à parier sur la question des céréales, et cependant, d’après son avis, s’il se faisait une enquête, on ne répondrait que par un oui ou par un non. Il me paraît que l’honorable n’a pas répondu à la question des céréales par un oui ou par non, car il a parlé pendant une heure. Si une enquête agricole se faisait, je pense que ceux qui seraient chargés de la faire ne se borneraient pas à demander aux cultivateurs s’ils veulent une augmentation, et aux consommateurs s’ils s’opposent à une augmentation ; je pense qu’ils examineraient la situation agricole sous toutes ses faces, comme on le fait dans d’autres pays. Messieurs, il y a eu des enquêtes en Angleterre, à plusieurs reprises, et vous pouvez voir dans la bibliothèque les nombreux documents qui prouvent qu’une session ne suffirait peut-être pas pour étudier mûrement cette question. Messieurs, si je ne veux pas d’un droit de 12 fr 50, ce n’est pas que je ne veuille pas de protection pour l’industrie agricole ? Je veux si bien protéger l’industrie agricole que j’accepterai toutes les mesures qui seraient proposées, peut-être même l’amendement de l’honorable M. Coghen pour qu’il y ait une exécution véritable et réelle de la loi de 1834.

L’honorable député de Waremme m’a fait observer que si les ouvriers de Gand se trouvaient dans l’impossibilité de pourvoir à leurs besoins au moyen de leur travail, c’est parce que la ville de Gand perçoit un droit de mouture. L’honorable M. Delehaye a déjà répondu à cette observation ; mais je dirai à l’honorable député de Waremme que je n’ai pas fait allusion aux ouvriers qui habitent la ville de Gand ; (page 1622) pour ma part, j’en ai au-delà de 700 qui habitent les campagnes, et qui, s’ils ne travaillaient pas une partie de la nuit pour achever leur tâche, n’auraient pas de quoi acheter, non pas du pain de froment, mais du pain de seigle. (Interruption.)

Je les paye pour la tâche qu’ils offrent de faire, et si je voulais obtenir la main-d’œuvre à meilleur compte, je n’aurais qu’à renvoyer les ouvriers que j’ai maintenant et j’en trouverais immédiatement d’autres au nombre double, qui travailleraient à plus bas prix. On gémit de voir arriver de 7 ou 8 lieues de distance des malheureux qui offrent de travailler au-dessous du prix. (Interruption.) Si l’honorable M. Eloy de Burdinne doute de l’exactitude de mes assertions, je lui citerai les localités d’où ces ouvriers viennent. Ils viennent de la Flandre occidentale et surtout des environs de Thielt et de Thielt même.

Du reste, messieurs, ce n’est pas aux députés de Gand qu’on peut reprocher les actes de la régence de cette ville. Nous ne sommes pas ici pour défendre ces actes, qui sont autorisés par le pouvoir exécutif. Nous ne sommes pas les représentants de la ville de Gand, nous sommes les représentants de la nation, et comme tels, nous repoussons toute allusion spéciale à l’administration de la localité que nous habitons. Que dirait l’honorable M. Eloy de Burdinne si l’on venait s’occuper ici de la commune de Burdinne, si l’on venait critiquer les actes de l’administration de cette commune ? (Interruption.) Que faites-vous à Burdinne ? Est-ce que vous n’avez pas une capitation, un impôt payé par tous les individus qui habitent la commune ?

M. Eloy de Burdinne – Non.

M. Manilius – Votre commune n’a donc pas de ressources, ou est-elle propriétaire, vit-elle de ses revenus ?

L’honorable M. Eloy de Burdinne est venu nous dire : « Mais l’industrie cotonnière est venue constamment réclamer des mesures de protection et des subsides. » Messieurs, c’est pour la trentième fois que cette objection est faite, et c’est pour la trentième fois que nous sommes obligés de dire que nous repoussons les subsides, que nous ne voulons pas de subsides, que les subsides ont presque toujours été un malheur pour ceux qui les accueillaient. Il n’y a pas huit jours, a-t-on dit, qu’il nous a été demandé 700,000 fr. pour l’industrie.

Mais non, messieurs, ce n’est pas pour l’industrie que ces 700,000 fr. vous ont été demandés, c’est pour une banque à laquelle on avait prêté de l’argent, afin qu’elle pût en prêter à d’autres. On lui avait même prêté cet argent sans y être autorisé par une loi, et je ne sais pas où on l’a pris. C’est pour régulariser cette affaire qu’on est venu nous demander les 700,000 fr. dont il s’agit. L’honorable député de Waremme a donc bien tort de venir nous dire que cette somme vous a été demandée. Comment ! l’industrie vient demander des subsides ! Mais, encore une fois, le prêt dont il s’agit n’a servi qu’à faire perdre leur fortune en tout ou en partie aux malheureux industriels qui se laissent séduire par cet appât.

Et l’on viendra dire après cela que l’industrie demande des subsides ! Mais aussi longtemps que j’ai eu à parler au nom de l’industrie, avant même de siéger dans cette enceinte, j’ai toujours déclaré au gouvernement que nous repoussions les subsides, que nous demandions seulement une bonne législation. Voilà le langage que nous avons toujours tenu et que nous tenons encore aujourd’hui.

L’honorable M. de Mérode a trouvé étrange que lorsqu’il s’agit de protéger les céréales, je ne sois pas aussi zélé que lorsqu’il s’est agi de protéger les cotons. Il me sera bien facile de répondre à l’honorable comte de Mérode.

Quand il s’est agi de protéger les fers, j’ai voté la protection ; quand il s’est agi de protéger les houilles, je me suis empressé d’appuyer la mesure ; quand il s’est agi de protéger l’entrée du bétail, j’ai voté en faveur des éleveurs de bestiaux ; quand il s’est agi de protéger les herbages, les foins, j’ai moi-même, au nom de la commission d’industrie, fait un rapport favorable à l’agriculture. Je répondrai donc à l’honorable comte de Mérode que je suis protecteur lorsque la protection est juste et raisonnable. Je crois qu’il n’est personne dans cette enceinte qui n’ai donné plus de preuves de tendances pour la protection, et cela sans exception aucune. J’ai toujours suivi les mêmes principes, avec la même générosité pour tous, et alors que l’industrie la plus considérable de mon district se trouvait plus ou moins gênée ; mais il fallait de la réciprocité, et j’ai voulu cette réciprocité.

L’honorable comte trouve encore étonnant que je sois d’accord avec l’honorable M. Rogier, dans cette question. Messieurs, je me suis trouvé d’accord avec l’honorable comte de Mérode en d’autres occasions ; peut-être demain se présentera-t-il une question sur laquelle je serai en désaccord avec l’honorable M. Rogier. D’ailleurs, messieurs, je ne trouve pas très-charitable de la part de l’honorable comte de venir en quelque sorte éveiller des inimitiés entre les membres qui auraient pu se trouver en différent sur des questions d’économie, sur des questions de politique.

L’honorable comte nous a récité les sept œuvres de miséricorde : il a dit qu’il fallait s’entraider, être charitables et miséricordieux. Eh bien ! je ferai observer à l’honorable comte que, quoique j’ai été élevé du temps de l’empire, j’ai cependant appris à être aussi charitable, aussi miséricordieux que ceux qui puisent leur instruction dans les nombreux collèges dont le pays est aujourd’hui parsemé ; l’on m’a appris surtout dans mon pays, où j’ai puisé mon instruction et dont j’ai pris les mœurs, l’on m’a appris à ne pas être vindicatif, à être conciliant, au contraire. Je crois donc que l’honorable comte aurait pu se dispenser de faire cette observation à mon égard.

Messieurs, comme j’ai promis d’être bref, je terminerai là mes observations.

Je déclare de nouveau que je voterai contre la loi ; que cependant je voterai pour l’amendement de l’honorable M. de La Coste, amendement que je considère comme à peu près accepté par le gouvernement. Cependant M. le ministre nous a fait observer tout à l’heure que le rendement établi par l’ancienne législation était de 78, tandis que celui proposé par l’honorable M. de La Coste était de 75. Cette différence, quoique minime, pourrait peut-être empêcher M. le ministre de se rallier à l’amendement de l’honorable M. de La Coste. Je proposerai donc par sous-amendement de rétablir le rendement de 78, d’autant plus que l’honorable M. Nothomb nous a déclaré que depuis qu’il est au ministère, et il y a déjà longtemps qu’il y est, il ne lui était parvenu aucune plainte de la part des industriel. Cette seule considération m’engager à présenter mon sous-amendement qui consiste à rédiger comme suit le § 4 de l’amendement de l’honorable M. de La Coste.

« Le compte des importateurs sera déchargé par l’exportation de farine blutée de bonne qualité et de son, dans la proportion d’au moins 78 kilog. de farine et de 20 kilog. de son par 100 kilog. de froment. »

- L’amendement de Manilius est appuyé.

M. de Muelenaere – Messieurs, je suivra l’exemple de l’orateur qui vient de se rasseoir. Le temps et les circonstances nous pressent. Je renfermerai donc le peu d’observations que j’ai à vous présenter dans le cercle le plus restreint.

J’apprécie, messieurs, les motifs qui ont déterminé la conduite de votre section centrale. Il est fâcheux néanmoins que l’époque trop avancée de la session ne nous ait pas permis de nous occuper d’un projet de loi définitif sur les céréales. En pareille matière, une mesure temporaire, une mesure provisoire, par cela même qu’elle n’est que provisoire, produit rarement tous les résultats qu’on est en droit d’en espérer. Une discussion approfondie d’ailleurs eût contribué probablement à dissiper bien des préjugés, bien des erreurs. Il serait temps enfin, messieurs, que l’on fît comprendre à l’ouvrier de nos fabriques qu’il est frère de l’ouvrier de nos campagnes, que tous les deux doivent trouer dans leur travail des moyens honnêtes d’existence et que tous, sans distinction, ont le même droit aux sympathies et à la sollicitude du pouvoir législatif.

L’agriculture, a dit un honorable député de Verviers, ne doit pas oublier qu’elle est intéressée au développement de l’industrie manufacturière. Mais on ne devrait pas oublier non plus que l’industrie manufacturière est intéressée au plus haut degré à la prospérité agricole ; que l’une et l’autre ont besoin d’un secours mutuel.

Il est vraiment fâcheux, messieurs, que chaque fois qu’il s’agit d’une loi sur les céréales, on nous oppose sans cesse un argument qui, à force d’être répété, est devenu en quelque sorte banal : c’est que cette loi n’est pas une loi protectrice de l’agriculture, n’est pas une loi protectrice du cultivateur ni de l’ouvrier, mais que les avantages de cette loi tournent exclusivement au profit de quelques centaines de grands propriétaires.

Messieurs, s’il en était véritablement ainsi en Belgique, si c’était là notre position, je crois que nous pourrions garder le silence. Car, il est probable que, si quelques centaines de propriétaires seuls avaient le privilège exclusif d’être intéressés à l’agriculture, la voix de ces propriétaires serait assez influente pour se faire obéir. Toutefois j’ai voulu me rendre compte à moi-même ; car, je vous le déclare franchement, mon intention n’est pas et mon intention ne sera jamais de favoriser exclusivement quelques propriétaires, quel grand même que soi leur nombre.

Mais j’ai voulu me rendre compte à moi-même de notre véritable position à cet égard, et ici je dois regretter que les documents statistiques dont a parlé M. le ministre de l'intérieur, ne soient pas achevés. Toutefois j’ai pris des renseignements dans la province que j’habite ; ces renseignements sont puisés à des sources certaines, dans un travail officiel.

La Flandre occidentale, une des provinces agricoles par excellence, a une superficie de 323,443 hectares. Dans ce nombre sont compris 4,000 hectares à peu-près de dunes et autres terres improductives jusqu’à présent. A quel chiffre officiel pensez-vous que s’élève le nombre des propriétaires dans la Flandre occidentale ?

Au 1er janvier 1843, le nombre des propriétaires dans cette province était de 93,592. Du 1er janvier 1843 au 1er janvier 1844, ce nombre a été augmenté de 752, de manière que le nombre de propriétaires était de 94,334.

Messieurs, depuis quelques années, le nombre de propriétaires a été constamment en augmentant. Cela résulte du morcellement progressif de la propriété.

Ce morcellement est tel depuis un certain nombre d’années, qu’il est impossible de prévoir où il s’arrêtera.

Il résulte de ces chiffres que la loi que vous faites ne tournera pas exclusivement au profit de quelques centaines de propriétaires. Car, je crois, que le même résultat se reproduira à peu près dans toutes les provinces, et à peu près aussi dans la même proportion avec le nombre d’hectares.

Mais cette objection, après tout, comme on l’a fait observer, cette objection trouvera sa place dans toute discussion de loi de douane, car chaque fois que vous accorderez une protection à une industrie, il est évident que ce droit protecteur ne tournera pas directement au profit de l’ouvrier ; c’est le fabricant, avant tout, qui y trouvera lui-même son bénéfice, et ce n’est qu’indirectement que l’ouvrier en profitera ; et cependant, nous avons fait des lois de protection pour toutes les industries.

L’ouvrier, a-t-on dit, a besoin de pain, il a le droit de vivre. Incontestablement l’ouvrier a le droit de vivre, il a besoin de pain, mais il a besoin aussi de se vêtir, de se loger, de se chauffer ; il a une foule d’autres besoins. Or, toutes les industries qui pourvoient à ces besoins autres que celui du pain, sont protégées dans des proportions bien plus considérables que l’agriculture. (page 1623) Il est telle de ces industries qui jouit d’une protection de cent pour cent environ. Dès lors il n’est pas étonnant que de temps en temps on réclame une protection pour l’agriculture. Cette protection ne doit pas être exagérée, exorbitante, car le prix élevé du pain ne serait pas seulement un malheur pour l’ouvrier, mais ce serait un bien plus grand malheur encore pour le propriétaire et surtout pour le cultivateur. En effet, en temps de disette, c’est avant tout le cultivateur qui est presque toujours obligé de venir au secours des ouvriers.

Je dis donc que ce que nous demandons, ce n’est pas le haut prix du pain ; le haut prix du pain tournerait évidemment contre le cultivateur, et c’est en faveur du cultivateur que nous demandons une protection.

Ce que nous demandons, c’est que les grains du pays ne soient pas dépréciés par l’introduction des céréales étrangères ; c’est qu’on maintienne, autant que possible, le taux qu’on appelle le prix rémunérateur. Eh bien, le projet de la section centrale est conçu dans ce but. La section centrale l’a dit formellement : le but qu’elle se propose, en vous soumettant son projet, c’est d’éviter de trop grandes fluctuations, c’est d’éviter les hausses et les baisses considérables, c’est de maintenir, autant que possible, le taux du froment au prix de 18 à 20 fr.

Dans ce but, la section centrale propose deux mesures. La première de ces mesures est une mesure purement réglementaire ; elle consiste a augmenter le nombre actuel de marchés régulateurs. Je pense qu’il n’est pas un membre dans cette chambre qui ait la moindre objection à faire contre une pareille mesure.

La section centrale a parfaitement compris une chose, c’est que, du moment où vous arrivez au prix reconnu comme prix rémunérateur, vous n’avez plus aucune protection. Evidemment, par l’introduction des céréales étrangères, le prix du froment doit immédiatement descendre au-dessous de ce prix, s’il n’y est pas maintenu par des circonstances extraordinaires. C’est uniquement dans ce but que la section centrale a proposé les autres échelles, c’est-à-dire une échelle pour le prix du froment, lorsqu’il varie de 22 fr. à 22, et alors elle vous propose 12 fr. 50 ; une autre échelle, lorsque le prix varie de 22 fr. à 24 fr., et alors la section centrale propose 3 fr. par 1,000 kil.

Messieurs, le droit proposé par la section centrale, lorsque le prix du froment sera de 20 à 22 fr. sera de 93 centimes par hectolitre de froment. Lorsque le prix variera de 22 à 24 fr., le droit protecteur sera d’environ 25 c. par hectolitre.

Eh bien, je pense que l’établissement de ce droit ne peut avoir aucune influence sur le sort de la classe ouvrière. Ce droit, d’abord, est fort minime. Ensuite, ce qui me confirme dans cette opinion, c’est ce qui se fait dans quelques villes et notamment dans la ville industrielle, par excellence du pays. Je suis loin de blâmer cette mesure ; c’est à cette ville de savoir si elle a pu établir et si elle peut maintenir ce droit. C’est son affaire.

Ainsi, qu’il me soit permis de vous faire connaître exactement la nature de ce droit. Ce n’est pas un droit protecteur, mais une taxe locale, c’est-à-dire un droit de consommation. Vous savez tous que les droits protecteurs n’exercent assez souvent aucune influence sur le prix du pain ; il arrive fréquemment que le prix du pain ne monte pas à raison du droit qu’on perçoit. Mais c’est là un droit protecteur, c’est d’ailleurs un droit établi pour protéger l’industrie nationale. Mais lorsque le droit protecteur devient un droit de consommation, le droit n’est établi que dans l’intérêt d’une caisse communale.

Du reste, j’ai uniquement rappelé la mesure prise par cette ville industrielle, parce qu’elle me confirme dans l’opinion où je suis, que le droit qu’on vous propose ne peut avoir aucune influence sur la classe ouvrière. En effet , je vous ai dit tout à l’heure, que lorsque le prix du froment varie de 20 à 22 fr., le droit proposé par la section centrale n’est pas d’un franc ; et que lorsque le prix du froment varie de 22 à 24 fr., le droit de la section centrale n’est que de 25 centimes.

Et cependant, messieurs, dans la ville à laquelle je fais allusion, de tout temps, quel que soir le prix du froment, lorsqu’il est à 20 fr., 22 fr., 24 fr. ou 26 fr., sans distinction, quand il n’existe plus aucun droit protecteur quelconque, on perçoit dans cette ville une taxe communale. Savez-vous quelle est l’importance de cette taxe ? Elle est de 20 fr. 40 c. par mille kilogrammes, 1 fr. 70 c. par hectolitre. Pour la fleur de farine on paye 2 fr. 60 c. par hectolitre.

M. d’Elhoungne – Et le seigle !

M. de Muelenaere – On a cessé de percevoir un droit sur le seigle ; mais primitivement on a perçu un droit sur le seigle. Je ne pense pas que dans la ville de Gand on mange du seigle.

M. Delehaye – Les ouvriers en mangent.

M. de Muelenaere – Messieurs, je le répète, je n’ai cité ce qui se fait dans cette vile que parce que l’exemple de cette ville me confirme dans cette opinion, que le droit proposé par la section centrale ne peut avoir aucune influence quelconque sur le sort de la classe ouvrière. En effet, s’il en était autrement, évidemment cette ville, en supprimant cette taxe locale, pourrait replacer la classe ouvrière dans une position meilleure que celle qu’elle avait avant, puisque ce droit est beaucoup plus élevé que celui que propose la section centrale.

Messieurs, je me bornerai quant à présent, aux observations que j’ai eu l’honneur de présenter. Je pense que l’on peut, sans inconvénient, adopter la proposition de la section centrale. Cette proposition suffit aux exigences du moment. C’est d’ailleurs tout ce qu’il est possible de faire à l’époque avancée de la session.

Un grand nombre de membres – Aux voix ! aux voix ! la clôture !

M. Delfosse – Je demande la parole contre la clôture.

M. de Tornaco – Je demande aussi la parole contre la clôture.

M. Delfosse – Je suis inscrit, je demande à être entendu, je serai très-court ; il s’agit d’une des questions les plus graves qui puissent se présenter. Prenez garde, messieurs ; la loi fera naître des plaintes très-vives, mais elles seront plus vives encore si on ne laisse pas toute liberté à la discussion.

M. de Tornaco – Je désire aussi dire quelques mots sur cette question, car mes intentions à l’égard de l’agriculture ne peuvent être douteuses, et cependant, je suis forcé de voter contre le projet de la section centrale. Mon opinion est en faveur de l’ajournement proposé par l’honorable M. Cogels. Je pense comme l’honorable comte de Muelenaere, qui vous a dit qu’une discussion approfondie était nécessaire sur la question des céréales ; mais je ne tire pas de là la même conclusion que lui. Comme je suis convaincu que nous devons ajourner la question jusqu’au moment où nous pourrons nous livrer à une discussion complète qui nous permette de faire disparaître les préventions que soulève la proposition dont la chambre est saisie par 21 de ses membres.

M. le président – M. Dumortier a déposé un amendement ainsi conçu : Article nouveau : « Par dérogation à la loi de 1834, l’élévation du taux moyen des marchés régulateurs devra avoir lieu pendant quatre semaines consécutives pour que l’abaissement du droit ou la libre entrée soit prononcée par le gouvernement. »

M. Cogels – Je ne pense pas qu’on puisse clore la discussion, car je sais qu’un amendement doit être présenté pour donner à la loi le caractère que tout le monde a reconnu qu’elle devait indispensablement avoir. Personne n’a réclamé la loi comme définitive. Le gouvernement, la section centrale, la majorité, tout le monde a consenti à ne l’adopter que comme loi temporaire. Il est indispensable que ce caractère soit défini et, comme pour toute loi temporaire, que l’on fixe un terme au-delà duquel elle cessera d’être en vigueur si elle n’est pas renouvelée. Quoique mon intention soit de voter contre la loi, qu’elle soit temporaire ou définitive, j’aimerais mieux voir une révision rendue obligatoire et stipulée dans la loi même que de voir attribuer encore une fois, sans aucune garantie, un caractère provisoire à une loi qui, dans quelques années, pourra bien avoir acquis un caractère définitif.

M. de La Coste – Avant qu’on ne prononce la clôture, je demande à dire que, pour ne pas compromettre mon amendement, je me rallierai au sous-amendement de M. Manilius.

M. Lys – Messieurs, on peut d’autant moins clore la discussion, que la loi est en un seul article, qu’il faut, par conséquent, que tous les amendement soient présentés avant la clôture. Plusieurs membres ont déclaré qu’ils présenteraient des amendements ; moi-même, mon intention est d’en présenter un.

M. Dumortier – J’ai eu l’honneur de déposer un amendement ; il n’est, en d’autres termes, que la reproduction d’un paragraphe du projet du sénat, que j’avais l’intention de faire mien. J’ai le droit de le développer ; je demande à être entendu.

M. Smits – J’étais inscrit pour parler sur l’article. Mon intention est de présenter un amendement pour rendre temporaire la disposition du projet de la section centrale qui concerne le tarif. Je présenterai cet amendement, et j’espère que la chambre me permettra de le développer ; il rentre, du reste, dans l’esprit des observations qu’on présentées tous les orateurs que vous avez entendus. Le voici :

« Par dérogation à la loi de 1834, temporairement et jusqu’au 31 décembre 1847, le droit, etc. Le reste comme au projet de la section centrale. »

M. d’Huart – Il est impossible de clore maintenant ; on vient de présenter trois amendements ; il faut en entendre les développements. D’un autre côté, des membres demandent à motiver leur vote. Je ne pense pas que ces discours doivent être bien longs à en juger par ceux que nous avons entendus ; mais si la chambre est pressée de clore, je renoncerai aux moyens que je voulais faire valoir pour détruire les arguments présentés et qui sont dans le cas de faire croire ce qui n’existe pas.

M. Rodenbach – Il paraît qu’il y a encore quinze ou seize orateurs inscrits. Moi-même je le suis ; je renoncerai très-volontiers à mon tour de parole ; mais si on témoigne le désir d’entendre quelques orateurs encore, je les prie de vouloir être très-laconiques ; car il est très-probable que samedi prochain nous rentrerons dans nos foyers. Nous devons doter le pays de chemins de fer, nous avons encore à voter des projet d’une haute importance. Si on veut encore s’occuper pendant quelques heures de la loi que nous discutons, qu’on se réunisse ce soir, afin que nous puissions terminer cette loi aujourd’hui.

J’espère qu’on sera court, car le pays attend de nous d’autres lois.

M. le président – Je vais mettre la clôture aux voix.

Plusieurs membres – On n’insiste plus.

M. Dubus (aîné) – Je demande qu’on accorde la parole aux auteurs des amendements.

M. Dumortier – J’ai eu l’honneur de déposer deux propositions. C’est sur ces deux propositions que je dois parler. La première est une motion d’ajournement des chiffres de la section centrale, de manière à n’avoir à discuter et voter que des dispositions réglementaires relatives aux (page 1624) céréales. La deuxième est une disposition du sénat que j’ai fait mienne, en la modifiant quelque peu. Si on consentait à ajourner la partie relative à la tarification, la loi que nous voterions serait encore une loi excessivement importante, puisqu’elle augmenterait le nombre des marchés régulateurs ; au moyen de la disposition du sénat amendée que j’ai faite mienne, il faudrait quatre semaines pour que le droit fût abaissé ; une troisième disposition est relative au seigle ; une quatrième proposée par M. de La Coste, concerne les farines. Vous auriez encore là une loi très-importante, loi qui, à mon avis, suffirait aux besoins actuels, et qui laisserait entière toute la question de tarification des céréales.

J’entends qu’on me demande : Pourquoi, vous, qui avez toujours défendu l’agriculture, vous opposez-vous à la discussion de l’augmentation proposée par la section centrale, de 20 à 22 fr., et de 22 fr. à 24 fr. ? Je réponds à cela que c’est précisément parce que je ne vois pas le moyen d’arriver à une discussion sérieuse de la loi, dans l’intérêt de l’agriculture et de la classe ouvrière, si ce n’est en reprenant la discussion de la législation toute entière.

Quels sont les grands vices de la législation actuelle ? Ils sont au nombre de deux. Le premier, c’est qu’il n’y a pas en réalité d’échelle de gradation, puisque le droit est maintenant fixé comme suit :

6 fr. lorsque le prix de l’hect. De froment est de 12 à 15 fr,

3 fr. de 15 à 20 fr.

Entrée libre au-delà de 20 fr.

Il n’y a donc pas de gradations ; il n’y a de protection ni pour l’agriculture, ni pour la classe ouvrière. Le vice de la loi, c’est que lorsque le froment est à 19 fr. 99, taux moyen, le droit est passablement élevé et qu’une hausse d’un centime détermine la libre entrée. Il résulte de là que, faute d’un centime d’augmentation, la classe ouvrière doit payer un droit élevé, et que, par suite de cette augmentation d’un centime dans le prix, l’agriculture n’est plus protégée.

Ce vice de la législation de 1834 n’est pas dû à l’honorable M. Eloy de Burdinne, qui voulait qu’il en fût autrement ; il est dû à des considérations étrangères à sa proposition, qui ont prévalu.

Aujourd’hui, mieux éclairés, nous devons reconnaître que là est le vice de la législation de 1834 ; que la proposition de la section centrale ne remédie pas à cet état de choses.

Le deuxième vice de la loi de 1834, c’est le petit nombre des marchés régulateurs. Il résulte de là qu’il est facile d’opérer sur les petits marchés, dans des localités où il n’y pas, en réalité, de marché, une hausse factice et d’éluder la loi protectrice, votée en 1834.

Si nous voulions renouveler la discussion sur toute la législation relative aux céréales, nous resterions réunis bien longtemps encore. Vous voyez par le nombre des orateurs inscrits (ils sont au nombre de seize) qu’il n’est pas possible de discuter cette question à fond. Le mieux serait d’ajourner la révision de la tarification. Alors nous ferions chose très-avantageuse à l’agriculture. Veuillez le remarquer, il n’y a aucun danger à maintenir les droits actuellement existants, puisque le prix du froment est, taux moyen, de 18 fr. 20 c., avec le petit nombre de marchés régulateurs que nous avons maintenant. Quand vous aurez doublé le nombre des marchés régulateurs, quand vous aurez établi des marchés réels, comme le propose la section centrale, alors le taux moyen sera, non plus de 18 fr. 20 c., mais seulement de 17 fr. 20 c.

Vous voyez donc qu’il n’y a pas urgence de prendre une mesure qui n’est nullement en relation avec les dispositions de la loi actuelle, d’expédier la discussion d’une loi beaucoup plus importante dans l’intérêt de l’agriculture et de la classe ouvrière. Je pense donc que tout doit nous porter à faire ajourner la question de tarification.

Je dirai deux mots des deux amendements que j’ai eu l’honneur de présenter ; ils sont relatifs, non pas à la tarification, mais au mécanisme de la loi.

Dans l’état actuel des choses, il suffit que, pendant deux semaines, le prix des grains ait atteint le taux de 20 fr. pour le froment, et de 16 fr., pour le seigle, moyenne des marchés régulateurs, pour que l’entrée soit libre. Or, rien n’est plus facile que d’opérer une hausse factice. Cette hausse, il est vrai, est rendue plus difficile par l’augmentation du nombre des marchés régulateurs. Mais il y avait dans le projet adopté par le sénat, une disposition tout à fait favorable, surtout en l’amendant, comme je l’ai fait. C’est la disposition qui ordonne quatre semaines de hausse, pour que le gouvernement puisse abaisser le droit.

D’après le projet du sénat, on ne pouvait élever le droit que quand il y avait eu également quatre semaines de baisse. Il résulterait de là que, quand le prix des grains viendrait à baisser, il faudrait attendre quatre semaines pour que l’agriculture fût protégée. Dans l’intervalle, une quantité considérable de grains étrangers pourrait être introduite dans le pays. C’est pour cela que, dans mon amendement, je me suis borné à demander exclusivement l’avantage pour l’agriculture, dans le cas de hausse, laissant pour le cas de baisse les choses dans l’état où elles se trouvent.

Quant à la question de tarification, je la laisse entière.

Je tiens beaucoup à ce que la chambre examine dans son entier la loi sur les céréales. Le district que j’ai l’honneur de représenter a envoyé, en faveur de notre proposition une pétition qui porte plus de 1,500 signatures. Je ne puis donc pas l’abandonner.

M. d’Huart – Pourquoi pas ?

M. Dumortier – Parce que c’est ma conviction, et parce que cette proposition a été appuyée par 1,500 pétitionnaires de mon district.

C’est par ces motifs que je tiens à ce que la proposition des 21 soit discutée. Et je déclare formellement que si la motion d’ajournement n’était pas adoptée, je demanderais que la proposition des 21 fût discutée et mise aux voix.

M. Smits – Je m’étais proposé de m’étendre assez longuement sur la loi des céréales. Mais, pour satisfaire au désir que la chambre vient de manifester, je tâcherai d’être aussi bref que possible.

Cependant, je tiens à déclarer que si nous avions une loi nouvelle, un système nouveau à discuter, je tâcherais de démontrer que c’est le système du droit fixe qui devrait mériter la préférence, système qui donnerait au commerce la liberté d’action et de confiance, et au trésor un nouveau revenu d’un million et demi à deux millions, qui, à son tour, permettrait peut-être de réduire proportionnellement les charges dont l’agriculture est actuellement grevée.

Nous n’avons pas de système nouveau à discuter, et nous n’avons à examiner que la proposition de la section centrale. Cette proposition satisfait-elle à tous ces intérêts ? Quant à moi, j’ai toujours pensé que, lorsque la hausse du froment avait porté le prix de l’hectolitre à 20 fr., la loi devait reporter toute sa sollicitude sur le consommateur, comme ayant jusque-là protéger efficacement les intérêts agricoles. Toutefois, messieurs, je ne serais pas éloigné, quant à moi, d’aller jusqu’à l’adoption des chiffres proposés par la section centrale qui n’accordent en effet pour la première échelle du droit qu’une protection de 26 c. en moyenne, et pour la seconde échelle, celle de 1 franc par hectolitre. Mais, si j’adoptais cette proposition, ce ne pourrait être qu’à une seule condition : c’est que la disposition qu’on vous présente soit temporaire.

Jusqu’ici, messieurs, faute de renseignements suffisants, faute de documents statistiques, on n’a pu élaborer convenablement une loi sur cette grave question. Les commissions d’agriculture, les chambres de commerce ont pu se guider d’après des renseignements locaux, mais nullement d’après des renseignements généraux applicables à tout le pays.

L’honorable ministre de l’intérieur nous a dit, dans une de nos précédents séances, qu’il s’occupait de recueillir tous les renseignements désirables. Ces renseignements, messieurs, sont longs à élaborer et la connaissance spéciale que j’ai de ces sortes de travaux, me fait croire qu’il serait impossible de les avoir complétés avant l’année 1847. C’est pour cela et pour laisser au gouvernement le temps de rassembler tous les renseignements et de mûrir un projet définitif, que je propose de rendre temporaire la disposition de tarification proposée par la section centrale et de la faire cesser au 31 décembre inclusivement.

Je déclare de nouveau, messieurs, que si l’on adopte cet amendement, j’irai jusqu’à adopter les chiffres proposés par la section centrale ; et que si, au contraire, la chambre ne veut pas de l’amendement que je propose, je refuserai l’augmentation de droit qui vous est proposée par la section centrale. Je veux avoir à cet égard des garanties. Je crois d’ailleurs, que mon amendement rentre dans la manière de voir de la chambre, puisque tout le monde a déclaré qu’on ne voulait qu’une mesure temporaire, en attendant que le gouvernement eût pu recueillir tous les renseignements nécessaires pour arriver à une solution définitive.

- L’amendement de M. Smits est appuyé.

M. le président – M. Lys vient de déposer l’amendement suivant :

« Par dérogation à la loi du 31 juillet 1834, le droit d’entrée sur le froment est fixé, lorsque le prix de l’hectolitre est de 22 fr. 01 c. à 24 fr., en principal, à 3 fr. par 1,000 kilog. ; lorsque le prix de l’hectolitre est de 20 fr. 01 à 22 fr. en principal, à 6 fr.

« Lorsque le prix de l’hectolitre de froment sera de 18 à 20 fr., le droit d’entrée sera de 25 fr. »

La parole est à M. Lys, pour développer son amendement.

M. Lys – Messieurs, je crois avoir démontré, dans la discussion, que le projet, tel qu’il vous est présenté par la section centrale, est uniquement à l’avantage des grands propriétaires et au détriment des consommateurs. Et comme, ainsi que vous l’a dit l’honorable M. Eloy de Burdinne, ce sont les malheureux qui mangent le plus de pain, l’impôt pèsera d’autant plus sur eux. Ainsi, véritablement, l’impôt sera au détriment du pauvre et en faveur du riche propriétaire.

Inutilement, messieurs, l’honorable député de Courtray a voulu vous démontrer qu’il n’en était pas ainsi, parce que dans sa province, vous a t-il dit, il y avait plus de 80,000 propriétaires. Mais, messieurs, il est précisément venu prouver par là l’avance que j’avais fait, car s’il y a autant de propriétaires dans la province de la Flandre occidentale, cela prouve qu’au nombre de ces propriétaires, il y en a une immense quantité à qui l’impôt ne profitera pas, parce qu’ils ne cultivent pas assez de froment au-delà de ce qui est nécessaire pour leur consommation, et que parmi eux se trouvent seulement quelques vingtaines de grands propriétaires qui seuls profiteront des effets de votre loi.

L’honorable député de Courtray s’est mis aussi fort à l’aise en prétendant que le prix rémunérateur était de 20 fr. tandis qu’on a toujours regardé comme tel le prix de 18 fr.

L’honorable M. Eloy de Burdinne me fait un signe négatif ; cependant dans la section dont je faisais partie, il en est convenu.

M. Eloy de Burdinne – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Lys – Ainsi, messieurs, on peut dire avec raison qu’il n’y aura nul bénéfice pour le cultivateur, qu’il n’y aura d’avantage réel que pour les (page 1625) grands propriétaires, et que votre loi favorisera le riche au détriment du pauvre.

Messieurs, mon amendement réduit à 6 fr. le droit de 12 fr. 50 proposé par la section centrale, lorsque le froment atteint le prix de fr. 20 01 à 22 fr. Il doit être adopté, s’il est bien vrai qu’on ne veut pas aggraver la position du consommateur. Et c’est ce qu’on vous déclare continuellement ; tout le monde prétend que la proposition qui vous est faite n’est pas à l’avantage de l’agriculture, que ce n’est qu’un moyen pour empêcher qu’il y ait connivence coupable pour faire élever le prix des grains.

Cependant, messieurs, le droit de 12 fr. 50 avec les 16 centimes additionnels, sera de 14 fr. 48. En prenant les choses comme les a expliquées l’honorable M. Rodenbach, cet impôt équivaudra à un centime et demi par kilog. de pain ; et chez les pauvres, messieurs, les familles sont souvent nombreuses. Eh bien, pour une famille composée du père, de la mère et de sept enfants, cela fera par jour un impôt de 7 centimes et par année, de 25 fr. 55 c. Voilà, messieurs, l’impôt que vous allez faire peser sur les classes pauvres, alors que pour elles le prix de 20 fr. est déjà extrêmement élevé, et ne leur permet d’employer le salaire de leurs journées qu’à se nourrir et non à se vêtir.

Si vous élevez l’échelle de protection au-delà de 20 fr., il faut, pour être conséquent, la baisser de 18 à 20 fr., c’est pourquoi j’ai proposé alors un droit de 25 fr.

Je dirai finalement, messieurs, qu’il n’y a nulle urgence et même nulle actualité dans la discussion actuelle, enfin je ne présente ces amendements, que pour le cas où l’ajournement ne serait pas admis ; forcé que je suis de prendre de l’avance, parce que le projet ne présentant qu’un seul article, levcote doit suivre immédiatement la clôture de la discussion générale. D’ailleurs, l’amendement de M. le comte Coghen doit satisfaire ceux qui ne demandent l’augmentation des droits qu’en vue de manœuvres frauduleuses, car il renferme l’augmentation des marchés et le droit au gouvernement d’empêcher les effets de menées de fraudes, ce qui soit leur donner satisfaction entière. Ainsi, de deux choses l’une, ou par votre projet vous voulez l’augmentation du prix du pain, et alors l’amendement ne suffit pas, car si vous ne voulez que la garantie contre la fraude, l’amendement susdit doit vous donner plein apaisement.

M. Eloy de Burdinne (pour un fait personnel) ) – Messieurs, l’honorable M. Lys vous a dit que 18 fr. formaient le prix rémunérateur, le prix normal. J’ai témoigné par un signe que je ne partageais pas cette opinion. Il s’est permis de dire alors que, dans la section centrale, j’en étais convenu.

Je regrette que l’honorable M. Lys ait perdu de vue ce qui s’est passé à cette section. Si sa mémoire était fidèle, il se rappellerait que c’est l’honorable M. Rogier qui a dit que 18 fr. était le prix rémunérateur et qu’il s’étonnait que dans la loi de 1834 on l’eût fixé à 20 fr.

M. Rogier – J’ai dit que dans le rapport de l’honorable M. Coghen le prix rémunérateur était de 18 fr.

M. Eloy de Burdinne – Effectivement. Et j’ai répondu à cela que si l’on voulait garantir au cultivateur le prix de 18 fr., il s’en contenterait. C’est ce que je dis encore. Si, par exemple, le commerce d’Anvers, c’est-à-dire les grands propriétaires, les grands financiers, les banquiers voulaient garantir au cultivateur le prix de 18 fr. par hectolitre, je croix que je pourrais renoncer à ma proposition.

M. le président – Je vous prie de vous borner au fait personnel, d’autant plus que vous êtes inscrit sur le fond.

M. Eloy de Burdinne – Je me borne au fait personnel, M. le président ; je rectifie un fait.

L’honorable M. Lys persiste toujours à prétendre que nous avons voulu frapper d’un droit le consommateur. C’est là une grave erreur.

Plusieurs membres – C’est le fond.

M. Eloy de Burdinne – En ce cas je bornerai là mes observations sur le fait personnel.

M. Lesoinne – Messieurs, j’avais demandé la parole pour appuyer l’amendement de l’honorable M. Dumortier. J’avais moi-même l’intention de présenter un amendement pour demander l’ajournement de toute la discussion à la session prochaine. Cependant je ne m’opposerai pas à la discussion de la disposition relative aux marchés rémunérateurs.

Tout ce qui s’est dit dans cette discussion, messieurs, ne m’a pas prouvé qu’il fût nécessaire de frapper de nouveaux droits. Aucun des membres qui ont pris la parole, n’a prouvé cette nécessité.

Quant à la question du prix rémunérateur, beaucoup de personnes ont des opinions divergentes.

Je pense donc, messieurs, que nous devons ajourner à la session prochaine tout ce qui est relatif aux recettes. Dès lors je m’opposerai à l’amendement de l’honorable M. Smits ; je ne l’ai pas entendu développer, mais je pense qu’il admet le projet de la section centrale.

Au commencement de cette discussion, M. le ministre de l'intérieur nous a promis des documents qui nous mettraient à même d’approfondit la question. Je crois, messieurs, que nous devons attendre ces documents avant de pouvoir nous prononcer sur le point de savoir s’il y a nécessité d’augmenter les droits. Je voterai donc pour l’amendement de l’honorable M. Dumortier.

La crainte que l’on a manifestée, c’est que la manœuvre qui a eu lieu en 1843, ne se renouvelât. Ce danger n’existe pas, les grains qui se trouvent dans les entrepôts voisins sont en trop petite quantité pour permettre une pareille spéculation. La Russie vient d’autoriser la libre importation dans ses ports septentrionaux. Je ne pense donc pas qu’il y ait le moindre danger de voir inonder, comme on le dit, le pays de céréales étrangères lorsque les prix auront atteint 20 francs.

M. Malou, rapporteur – Je me propose d’examiner aussi brièvement que possible les principales objections qui ont été faites contre le projet de la section centrale, et qui se résument pour la plupart dans les amendements qui ont été présentés. Qu’il me soit permis néanmoins de faire une observation préliminaire sur le système même de notre législation. J’entends sans cesse invoquer un droit fixe. J’entends dire que ce serait le système le plus utile, le plus avantageux au pays. Mais, messieurs, pour se rendre compte de la réalité des effets d’un droit fixe, il faut se placer dans deux hypothèses différentes.Je demande ce qu’est un droit fixe de 27 fr., par exemple, comme on l’a proposé, lorsque le blé tombe à 12 fr., et je demande ce qu’est ce droit fixe lorsque le blé atteint le prix de 28 fr. Au prix de 12 fr., le droit fixe n’est rien ; au prix de 28 fr., le droit fixe est une chose tellement exorbitante, tellement odieuse, je dirai, que si le blé montait seulement à 24 fr., il serait impossible de maintenir le droit fixe. Ainsi ce que l’on demande est une protection illusoire pour l’agriculture quand le blé est à bon marché ; une protection impossible quand le blé est cher.

Il y a quelque chose de plus, messieurs ; avec le droit fixe la stabilité que vous espérez est impossible. Petite nation, vous êtes dominée par les événements naturels et par les législations des grandes nations qui vous entourent. Je suppose un droit fixe établi en Belgique, je suppose une mauvaise récolte dans un des grands pays qui nous entourent, je suppose une hausse très-rapide et progressive, des besoins immenses à satisfaire ; mais vous renonceriez immédiatement au système d’un droit fixe parce que vous verriez que dans le maintien, même temporaire, de ce système se trouve la famine pour le pays. Le droit fixe est donc une grande illusion.

Le droit fixe condamné, reste le système de l’échelle graduée, progressive, établie par la loi de 1834. Cette loi est-elle parfaite ou ne l’est-elle pas ? Il résulte de toutes nos discussions, suivant une expression souvent employée, qu’il y a quelque chose à faire. Que faut-il faire, que peut-on faire dans le moment actuel ? Peut-on, à l’époque où nous sommes parvenus, discuter les bases mêmes de la loi de 1834 ? Eh, messieurs, c’est là une chose complètement impossible. La question des céréales est peut-être, dans l’économie d’un peuple, la plus grande de toutes, la plus difficile, celle qui exige le plus d’étude. Eh messieurs, qu’il me soit permis de le dire en passant, il est encore bien des côtés de cette grande question qui n’ont pas été touchés dans nos débats ; il y a des considérations, des comparaisons à établir, qui n’ont pas été touchées.

Il est donc impossible, à mes yeux, de réviser aujourd’hui, dans toutes ses bases, le système de la loi de 1834. Nous sommes seulement amenés à n’admettre aujourd’hui qu’un complément de cette loi, à n’admettre que les mesures reconnues strictement nécessaires. C’est à ce point de vue, messieurs, que la section centrale s’est placée.

Il y a un vice évident dans la loi de 1834, c’est la transition brusque d’un droit élevé à la libre entrée. C’est ce vice que nous avons voulu corriger. L’expérience que nous entreprenons démontrera si, comme l’honorable M. Rogier l’a dit dans la séance d’hier, le remède que nous proposons tous, est inefficace ; mais, à cet égard, je n’admets pas d’autre indication certaine, que l’expérience à laquelle nous allons nous livrer.

Il y a un motif très-puissant, messieurs, pour toucher à la loi de 1834, c’est que déjà l’on y a touché. On a amoindri et par les lois, et par les faits, la protection qu’elle devait assurer à l’agriculture.

La disposition ainsi motivée, est temporaire de sa nature. Elle est tellement reconnue comme temporaire que personne ici n’a entendu y attribuer un caractère définitif. Mais pourquoi n’a-t-on pas mis dans la loi un terme fatal auquel ses effets viendraient à cesser ? Le motif est extrêmement simple. C’est à raison de l’importance même de la question, c’est à raison des circonstances qui peuvent varier, qui peuvent varier dans un sens ou dans l’autre. La question des céréales est tellement grave qu’il faut que les chambres et le gouvernement soient juges de l’opportunité de l’introduction (si je puis m’exprimer ainsi) de cette grande question. Que faites-vous si vous établissez un terme fatal auquel viendront à cesser les effets de la loi ? Evidemment, vous attendrez, pour soulever la question, que ce terme soit sur le point d’expirer. Eh bien, pouvez-vous dire quelles seront alors les circonstances ? Pouvez-vous dire si alors la révision sera opportune, sui elle sera même possible ?

Il me suffit, à moi, qu’il soit bien entendu que la loi est temporaire par son essence, et que la question d’opportunité seule devra déterminer, soit le gouvernement soit chacun d’entre nous, à introduire de nouveau cette question.

Nous n’avons pas admis, messieurs, la prolongation de la durée des mercuriales : nous avons vu là une disposition inutile dans un sens, et dangereuse dans l’autre ; elle est inutile en ce sens que la loi aura corrigé le vice auquel il s’agit de remédier, du moment que vous aurez augmenté e nombre des marchés régulateurs et que vous aurez établi un droit au-dessus de 20 francs ; elle est dangereuse dans ce sens qu’elle ferait durer trop longtemps un même régime alors que les faits, en matière de céréales, peuvent changer très-rapidement.

Lorsque nous sommes arrivés, pour ainsi dire, au terme de ces débats, on nous propose, messieurs, d’ajourner la question jusqu’à la session prochaine ; mais s’il est vrai de dire qu’elle excite par elle-même tant d’émotion, je le demande à tous les membres de la chambre, n’est-il pas de l’intérêt bien entendu du pays de vider cette question, sauf à la reproduire ? Mais de ne pas la laisser peser sur la situation du pays, de ne pas en faire une cause d’agitation, une arme dont on se servirait tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. C’est pour ce motif, messieurs, que dès le début de la (page 1626) discussion, j’ai eu l’honneur de faire remarquer à la chambre que le vote du projet me paraissait devoir emporter une solution actuelle, sauf à reproduire plus tard la question.

(page 1632) J’ai demandé la parole pour appuyer la proposition d’ajournement qui a été faite par l’honorable M. Dumortier. Et d’abord je ferai ressortir une contradiction dans laquelle l’honorable M. Malou vient de tomber. L’honorable M. Malou nous a dit, pour combattre l’ajournement, qu’il serait dangereux de laisser substituer l’agitation des esprits. Cette observation ne se concilie guère avec le caractère provisoire de la mesure proposée par la section centrale.

Tout le monde, dans cette enceinte, s’accorde à dire que la question des céréales n’a pas été suffisamment étudiée ; les renseignements que nous possédons sur cette matière sont loin d’être complets ; le gouvernement sent la nécessité de nouvelles investigations, l’honorable M. Eloy de Burdinne ne pourra nous communiquer que plus tard le résultat des recherches auxquelles il s’est livré, pendant les vacances, sur la production agricole. Dans cet état de choses, ce qu’il y a de mieux à faire, ce qu’il y a de plus raisonnable, c’est d’attendre, pour toucher au tarif de la loi de 1834, que tous les renseignements soient recueillis et produits ; alors seulement nous pourrons nous prononcer en connaissance de cause.

Il y aurait de la légèreté, il y aurait de l’inhumanité à prendre des mesures qui aggraveraient indubitablement le sort des classes ouvrières, avant de s’être assuré que l’intérêt de l’agriculture les réclame impérieusement. Le projet de la section centrale a, j’en conviens, une portée moins dangereuse que la proposition des 21 ; il n’est pas de nature à jeter autant d’inquiétude dans le pays, cependant il présente encore un caractère de gravité que l’on ne saurait méconnaître.

(page 1633) Jusqu’à présent on avait cru que la loi de 1834 assurait une protection suffisante à l’agriculture ; beaucoup de personnes trouvaient même cette protection trop forte ; c’était, il y a peu de temps encore, l’avis du gouvernement, puisqu’il est venu nous proposer, à deux reprises, en 1841 et 1843, de modifier la loi de 1834 dans un sens favorable aux consommateurs ; la section centrale nous propose au contraire de renforcer la protection, elle veut des droits d’entrée, alors même que le prix des grains serait au-dessus de 20 francs.

Ce serait là, messieurs, une mesure extrêmement grave. Lorsque le prix des grains est au-dessus de 20 francs, c’est en général que la récolte a été mauvaise ; c’est que les grains sont peu abondants ; dès-lors bien loin de frapper les grains étrangers d’un droit d’entrée, il serait prudent de les attirer dans le pays, d’en faciliter l’importation.

Il faut aussi réfléchir avant de dire aux classes ouvrières : « Deux ministères successifs, pris dans des rangs opposés, vous ont fait espérer une amélioration à votre sort, au moyen de modifications qui devaient amener une baisse dans le prix du pain ! Eh bien ! non seulement nous vous enlèverons les espérances que vous avez conçues, mais nous irons plus loin, nous prendrons des mesures pour vous faire payer le pain plus cher. » N’en doutez pas, messieurs, ce langage produirait un fâcheux effet sur les populations.

Comment M. le ministre de l'intérieur, qui avait présenté le projet de 1843, a-t-il pu accepter la proposition de la section centrale ? Eh, mon Dieu, par une raison bien simple, par la raison qui l’a fait abandonner le projet de loi sur le jury d’examen. M. le ministre de l'intérieur a parfois de bonnes idées ; c’était une bonne idée, au point de vue gouvernemental, de vouloir que le jury d’examen fût nommé par le Roi ; c’était une bonne idée, à tous les points de vue, de vouloir soulager les classes pauvres. Malheureusement M. le ministre de l'intérieur n’a jamais le courage de son opinion en présence de la majorité. Lorsque les bonnes idées qui viennent parfois à M. le ministre de l'intérieur, déplaisent à la majorité, il s’empresse d’y renoncer préférant la conservation de son portefeuille à l’honneur de tomber en soutenant un projet utile.

C’est ainsi qu’il a sacrifié la prérogative royale qu’il avait d’abord défendue avec talent ; c’est ainsi qu’il va se tourner contre les classes pauvres, après avoir montré pour elles une juste sollicitude. La loi des céréales sera le pendant de la loi sur le jury d’examen. Ces deux lois attesteront, l’une comme l’autre, la faiblesse ambitieuse de M. le ministre de l'intérieur, elles fourniront une triste page à son histoire.

On me dira que les nouveaux droits proposés par la section centrale, ne sont pas assez élevés pour exercer une influence sensible sur les prix. Messieurs, toute hausse dans le prix du pain, quelque modique qu’elle soit, est un grand mal pour ceux qui doivent s’imposer les plus dures privations ! Ils en seront d’autant plus affectés, qu’ils comptaient sur une amélioration à leur sort.

Je ne sais si je dois prendre au sérieux l’opinion émise par l’honorable M. Eloy de Burdinne, que les droits d’entrée, bien loin d’amener une hausse, amènent une baisse dans les prix. Cette opinion est trop contraire, je ne dirai pas aux règles de l’économie politique, science que l’honorable député de Waremme paraît avoir en aversion, mais aux plus simples notions du bon sens, pour qu’il soit nécessaire de la réfuter.

L’honorable M. Eloy de Burdinne a cité quelques faits qui prouvent que le prix des grains a été plus bas après l’établissement des droits protecteurs, qu’il ne l’était sous le régime de la libre entrée ; cela est vrai, messieurs, le prix a été plus bas, mais pourquoi ? Parce qu’il y avait une grande abondance. Si les droits protecteurs n’avaient pas existé, le prix aurait été plus bas encore.

M. Eloy de Burdinne – A l’exemple de la France !

M. Delfosse – La France ne se trouve pas dans les mêmes conditions que nous ; chez nous la production des grains est de beaucoup inférieure à la consommation. Vous me permettrez de n’avoir pas plus de ofi dans votre statistique que dans celle du gouvernement.

Messieurs, je m’intéresse comme vous à l’agriculture. Puisque l’on protège l’industrie, l’agriculture doit être protégée aussi, cela est équitable, mais elle doit être protége dans de justes limites. Il y a, en matière de céréales, deux considérations qu’il ne faut jamais perdre de vue. L’on peut, à la rigueur, se passer de la plupart des produits industriels ; on ne peut pas se passer des produits agricoles : la production agricole, bien que susceptible de grands développements, ne peut pas s’étendre aussi loin que la production industrielle. Voilà deux considérations qui compliquent la difficulté et qui doivent faire sentir la nécessité d’une sage lenteur et d’un examen approfondi.

L’agriculture n’est pas dans un état de détresse telle que l’on ne puisse ajourner la question. Si l’on n’a pas d’autre but que d’empêcher l’importation qui pourrait venir à la suite d’une hausse factice, d’une hausse opérée par des moyens frauduleux, l’augmentation du nombre des marchés régulateurs doit suffire ; si l’on ne se contente pas de ce changement, si l’on veut actuellement une modification de tarif, c’est que l’on a un but que l’on n’avoue pas ; c’est que l’on veut résoudre la question avant de l’avoir étudiée.

(page 1626) M. de Garcia – Messieurs, la discussion actuelle a déjà occupé la chambre pendant plusieurs jours ; beaucoup d’orateurs sont encore inscrits, et je désire les entendre. D’un autre côté, il nous reste à voter, avant notre séparation, une foule de projets de loi d’une haute importance pour le pays ; pour ces divers motifs, j’abrégerai mes observations le plus que je pourrai.

Messieurs, tout le monde est d’accord sur un point, c’est que l’industrie agricole est une des industries essentielles du pays… (Interruption.)

Je prie l’honorable M. Fleussu de ne pas m’interrompre ; j’espère bien qu’aujourd’hui il ne renouvellera pas la scène dont la chambre a été le témoin au début d cette discussion.

Je dis donc, messieurs, que l’industrie agricole est une des industries les plus importantes du pays ; elle est la source des plus grandes richesses nationales, et, chez les nations les plus civilisées, elle a été l’objet d’une protection spéciale. L’industrie agricole ne vient pas derrière les industries proprement dites, elle ne se traîne pas à leur remorque, mais elle marche à leur tête. C’est ainsi qu’on la considère en France et en Angleterre, où elle a toujours joui d’une protection spéciale.

Sans doute, mon intention n’est pas de pousser mon pays à l’adoption du système anglais ; mais je désire qu’on adopte pleinement le système français. L’expérience faite par nos voisins du sud prouve que leur système est le plus juste.

On s’est servi de plusieurs arguments pour attaquer les diverses propositions de protection dont la chambre a été saisie. Je répondrai brièvement à ces arguments.

Dans toutes ces propositions, on a cru voir une tendance à faire augmenter le prix des céréales, et à aggraver d’une manière sensible la position du consommateur, la position de la classe ouvrière. L’honorable M. Delfosse est même allé jusqu’à représenter l’opinion de l’honorable M. Eloy de Burdinne comme contraire aux règles de bon sens. Voyons ce qu’il en est.

Pour être à même de décider la question avec exactitude, avec sagesse et prudence, il faut bien se rendre compte du but que l’on poursuit. Le but qu’une bonne loi sur la matière doit atteindre, ce but, dans la pensée des auteurs des différentes propositions dont la chambre a été saisie, n’a été et ne peut être que de réaliser autant que possible un prix normal dans les céréales, le plus rapproché ou le moins éloigné du prix rémunérateur. Ces propositions tendent autant à repousser un prix exorbitant qu’un vil prix dans les céréales, écueils différents, mais également funestes, puisque l’un plonge le consommateur dans le malaise, et l’autre entraîne la ruine du producteur. Toute autre manière d’envisager la question ne peut aboutit qu’à nous égarer dans la discussion actuelle.

Le résultat qu’on doit se proposer, et que personnellement je me propose, c’est que par la loi, le consommateur et le producteur trouvent leurs droits saufs. La loi actuelle doit-elle déranger cet ordre de choses ? Voilà la question à examiner.

Rappelons-nous les chiffres qui ont été présentés par les honorable MM de Theux et Eloy de Burdinne. L’honorable M. de Theux, parcourant les époques marquées par la plus grande liberté, et les époques de restriction (car il ne peut s’agir de prohibition), l’honorable M. de Theux a établi que, sous le régime le plus protecteur, le régime français, le plus bas prix des céréales a été de 17 fr., et le prix le plus élevé de 23 fr. Je parle ici de la loi française de 1832, maintenue jusqu’à ce jour.

Le résultat de cette loi est incontestablement celui qui approche le plus du prix rémunérateur, d’un prix avantageux au producteur sans être nuisible au consommateur. La libre entrée des céréales est bien loin d’avoir produit cet effet, et sous ce régime de 1815 à 1824, on a vu des différences énormes dans les prix qui ont été de 11 à 27 fr.

Ce système de liberté, qui offre des extrémités aussi disparates, n’est évidemment avantageuse ni au consommateur, ni au producteur. L’expérience, qui en cette matière est la plus forte argumentation, repousse donc les objections faites contre la protection que nous réclamons en faveur de l’agriculture.

Dans l’intérêt bien entendu de l’état social, il faut, autant que possible, que le consommateur et le producteur trouvent un prix uniforme sur lequel l’un et l’autre puisse compter. Voilà le véritable problème qu’on doit chercher à résoudre dans la loi.

L’industrie des céréales, ai-je dit en commençant, est une des plus importantes. C’est là, messieurs, que doit se trouver, aux jours de besoin, la réserve du pays ; jusqu’à présent, elle n’existe pas ailleurs.

Naguère on parlait de réserve ; vous savez ce qu’elle est aujourd’hui. Vos caisses sont vides, et si un jour, nous nous trouvons dans des circonstances difficiles, ce sera à l’agriculture que vous devrez avoir recours, ce sera elle qui devra vous fournir le fonds dont vous pourrez avoir besoin pour la défense du pays. Cette industrie est en outre celle qui occupe le plus les bras de nos classes ouvrières. Là les machines ne remplacent pas les hommes, cette industrie réalise, en quelque sorte, l’organisation du travail, puisque les ouvriers qui y sont employés ou au moins une partie reçoivent en nature un tantième des produits.

Et l’on négligerait cette industrie et on la négligerait, alors que vous créez à ses frais, des canaux sur lesquels vous établissez des péages excessivement modiques, dans l’intérêt de l’industrie proprement dite, alors que vous créez des chemins de fer sur lesquels vous transportez les produits industriels à des prix fort bas. Et remarquez que l’industrie agricole trouve très-peu de débouchés par ces nouvelles voies de communication. Il y a plus ; ces voies de communication, loin d’être un avantage pour les céréales du pays, sont favorables aux céréales étrangères qui viennent envahir le marché intérieur (Interruption.) Oui, messieurs, les grains étrangers peuvent arriver à meilleur compte sur les marchés des villes du centre que les grains des cultivateurs qui sont à cinq ou à six lieues de distances de ces marchés par suite des droits de barrière, ou des difficultés à surmonter dans de mauvais chemins ; ces derniers grains sont soumis à des frais de transport plus considérables que ceux qui incombent aux grains étrangers et qui arrivent au cœur du pays par les chemins de fer.

Messieurs, vous avez doté le commerce et l’industrie de ces voies de communication ; eh bien, soyez justes envers l’industrie agricole, donne-lui la protection qu’elle réclame à juste titre.

On a dit que nous voulions affamer le peuple. Cela n’est pas vrai, et ce que j’ai dit le prouve déjà suffisamment. Ce que nous voulons, c’est uniquement un prix normal. C’est la pensée qui m’a guidé quand j’ai signé la proposition des 21 ; et j’avais, pour me déterminer à cette mesure, le résultat de l’expérience qui a été faite en France. Si je pouvais être sûr que le même système, appliqué en Belgique, donnerait le même résultat, je ferais tous mes efforts pour le voir adopter dès aujourd’hui. Mais, en matière aussi grave, il ne faut rien précipiter. S’il m’était démontré que nous sommes dans des conditions différentes, je renoncerais volontiers à une partie du chiffre. Je veux le principe, je veux une protection efficace pour l’agriculture du pays et rien de plus.

Messieurs, je dirai encore un mot sur les marchés régulateurs. Sans doute, en augmentant le nombre des marchés régulateurs, on peut espérer d’atteindre en partie le but qu’on se propose ; mais, seule, cette mesure ne me paraît pas suffisante. L’échelle ascendante que propose la section centrale me paraît devoir concourir avec cette mesure pour obtenir une protection que je considère comme nécessaire et indispensable à l’industrie agricole Il faut bien se rendre compte de ce qui se passe sur un marché régulateur. Dans l’état actuel des choses, ce marché régulateur n’est pas un prix réel. Il est même fâcheux que le gouvernement n’avise pas au moyen d’établir quelque chose de plus sérieux. La plupart des prix sur les marchés régulateurs des villes se font d’une manière irrégulière.

Un acheteur et un vendeur se trouvent sur le marché ; il se fait une vente insignifiante de céréales, et voilà le prix régulateur. Il faudrait évidemment l’intervention du gouvernement, pour avoir quelque chose de plus sérieux, en fait de marchés régulateurs. Le prix de ces marchés ne devraient servir de règle que pour autant qu’il a été vendu une certaine quantité de céréales. La plupart des ventes de céréales se font à domicile. Pour donner de la réalité aux mercuriales, ne serait-il pas utile et même nécessaire d’encourager la vente sur les marchés, de créer des agents pour constater les prix, d’établir même des primes en faveur des cultivateurs qui porteraient et qui vendraient au marché une plus grande quantité de céréales ? Voilà toutes questions sur lesquelles j’attire l’attention du gouvernement.

Cet objet ne touche pas seulement à une question de douane, à la question de protection que nous examinons, mais touche encore à une question intérieure. Aujourd’hui les rentes qui sont dues en nature à des établissements publics, doivent se payer et se rembourser d’après le taux des mercuriales. Or, dans l’intérêt des rentiers comme des crédirentiers, il faut qu’elles soient parfaitement justes. Dans un double but, je crois donc qu’il faut sérieusement aviser aux moyens d’améliorer ce qui se passe sur les marchés régulateurs. Il me resterait beaucoup d’observations à présenter, mais le désir que j’ai manifesté de voir arriver cette discussion fin me détermine à ne pas en dire davantage.

M. Cogels – Messieurs, je viens appuyer la proposition de l’honorable M. Dumortier, proposition tendant à ajourner la disposition de la loi qui est relative à une aggravation de droit, lorsque le prix s’élève au-delà de 20 fr.

« Vous reconnaissez avec nous que la loi de 1834 renferme un danger ; eh bien, indiquez un moyen pour remédier à ce danger, sans être obligé de faire une révision générale de la loi de 1834. Voilà le problème et le problème très-restreint. » Ce sont là les paroles que prononçait M. le ministre de l'intérieur, lorsque j’ai demandé à être inscrit.

Eh bien, je dirai que la loi de 1834 renferme deux dangers ; le premier de ces dangers a été signalé par M. le ministre de l'intérieur ; c’est celui de ces combinaisons à l’aide desquelles on vient déverser tout à coup sur nos marchés, par des hausses factices, les grains qu’on a à l’entrepôt. Or, une condition essentielle pour que ce danger puisse se reproduire, c’est qu’il y ait des grains dans les entrepôts ; eh bien, à l’époque actuelle, il n’y en a pas ; il n’y en a que fort peu dans les entrepôts voisins.

Mais il y a dans la loi de 1834 un autre danger qui a été reconnu par le gouvernement dès l’année 1838, et auquel le gouvernement a obvié fort sagement par la loi temporaire du 3 janvier 1839. Voici quel est ce danger : c’est l’incertitude dans laquelle la loi de 1834 place le négociant, c’est cette incertitude qui empêche le négociant de se livrer à des opérations qui, par la moindre variation dans les prix, peuvent entraîner sa ruine. Or, ce danger est bien plus près de nous que ne se l’imagine M. le ministre de l'intérieur, si la récolte répond aux craintes qu’on a manifestées.

Nous pouvons nous trouver à la fin de l’année, sans apprivoisement ; alors le gouvernement, dans l’intérêt de tous, et même dans l’intérêt de sa propre sécurité, doit faire en sorte qu’à la suite d’un hiver rigoureux qui a épuisé toutes les épargnes de la classe pauvre, il ne se produise pas une cherté de grains qui mettrait le comble à la misère, et susciterait des circonstances dont le gouvernement serait extrêmement embarrassé. Voilà ce que le gouvernement devrait prévoir s’il est sage, voilà ce que nous commande (page 1627) une sage prévoyance. Voilà la position que la prudence conseille de prendre !

La proposition qui nous est faite est ou inutile ou nuisible. Elle est inutile, si la récolte est abondante ; car, si la récolte est abondante, les prix resteront dans les limites de 15 à 20fr. ; alors vous restez sous l’empire de la loi actuelle qui vous assure protection ; elle est nuisible, si la récolte est mauvaise, si les prix s’élèvent au-delà de 20 fr., parce qu’alors, vous vous exposez à être privés des moyens nécessaires pour assurer l’alimentation du peuple.

L’honorable M. de Garcia a cité la loi française, qu’il trouve de nature à établir ce prix normal qu’il voudrait avoir en Belgique. J’en demande pardon à l’honorable membre ; il n’a pas étudié la loi française. La loi française n’est pas de 1832, mais du 16 juillet 1819, car la division en quatre zones, aussi bien que le tarif échelonné, datent de là. Voulez-vous savoir quel a été cet état normal du prix des céréales en France ? Il n’a pas été 17 et 23, comme l’a prétendu l’honorable membre, mais 11 fr. 90 et 33 fr. 25. le prix de 33 fr. 25, c’est en 1829 ; celui de 11 fr. 90 en 1834 ; dans un court laps de temps de cinq années, je prends, je pense, un intervalle assez court.

La loi de 1834 n’a pas eu non plus pour effet d’empêcher ces brusques variations dont on veut prévenir le retour. Nous avons vu en 1836 le prix de 13 fr. 58 et en 1838 celui de 25 fr. et des centimes.

Ainsi donc…

M. de Garcia – Je n’ai pas dit cela !

M. Cogels – Ainsi l’échelle mobile en France, pas plus qu’en Belgique, n’a établi cet état normal dont l’honorable membre voudrait assurer l’existence.

Je ne dirai que deux mots à l’honorable rapporteur sur l’observation qu’il a faite quant au droit fixe. L’honorable M. Rogier et l’honorable M. Smits se sont prononcés en faveur d’un droit fixe. Ce n’est pas le moment de le débattre maintenant ; je dirai seulement qu’il n’exclut pas la prohibition à l’entrée et à la sortie, à certains prix. On peut renfermer ce droit fixe entre deux termes qui ne sont pas complètement illimités ; on peut même pour certaines circonstances, donner au gouvernement des facultés que nous ne pourrions pas lui accorder dans la circonstance actuelle. Quand la question se reproduira, nous la discuterons à fond, nous nous étendrons sur les avantages du droit fixe. Je ne citerai que les années qui ont précédé la loi de 1834, pour prouver qu’il n’est pas hostile à des prix élevés, car de 1829 à 1832, les prix étaient bien plus élevés que les prix rémunérateurs quand il n’y avait aucune espèce de droit.

Eh bien, vous voyez donc que ce qui a amené la baisse des prix avant la loi de 1834, ce n’est pas le droit fixe, c’est un bienfait extraordinaire de la nature, deux récoltes qui ont dépassé toutes les espérances des cultivateurs, et les ont placé dans un état de prospérité dont je leur souhaite le retour.

M. le président – La parole est à M. Eloy de Burdinne.

Un grand nombre de voix – La clôture ! la clôture !

M. Eloy de Burdinne – J’aurai le droit de demander la parole pour un fait personnel.

L’honorable M. Delfosse, selon son habitude, m’a dressé un compliment à sa manière, à propos de bon sens ; je ne crois pas devoir l’en remercier ; mais il me traite comme il a l’habitude de traiter MM. les ministres, à qui il ne manque pas d’adresser, à l’occasion, des choses désagréables. Je n’en dirai pas davantage sur ce point.

On a prétendu que la France produisait assez de céréales pour sa consommation, et que la Belgique n’en produisait pas assez.

J’ai démontré à l’honorable M. Delfosse qu’il était dans l’erreur ; que la France était loin de produire ce dont elle avait besoin, et loin de produire en proportion de ce que la Belgique produit et peut produire, si l’honorable M. Delfosse avait jeté les yeux sur les documents statistiques qu’on nous a distribués. Remarquez qu’il ne s’agit pas de mes recherches statistiques ; l’honorable membre a semblé croire que ce que j’avais avancé était la conséquence d’une statistique que j’ai faite ; il se trompe ; tous mes chiffres sont puisés dans les documents statistiques que nous a fournis le gouvernement.

Voici ce que ces documents vous donnent ; il est entré en… (Interruption.)

Du reste, j’ai ici un relevé qui sera dans le cas d’abréger le temps que je devrais employer pour donner les détails….

Vous le savez : en 1832, la France a été dotée d’une loi, alors le commerce de Marseille et d’autres villes a attaqué le projet ; la discussion est insérée dans le Moniteur Français, vous pouvez y voir quelle était la vivacité des attaques : on criait à la famine, on prétendait qu’on allait faire augmenter le prix des grains. L’inverse a eu lieu ; par le motif qu’on a empêché ces spéculations de la part du commerce, ces accaparements, ces exportations indues dans certains cas. Quoi qu’en dise l’honorable M. Cogels, la loi a été particulièrement revue et changée et 1832 et confirmée en 1833. Il y avait une loi antérieure qui n’était pas aussi protectrice, aussi bonne que celle votée en 1832 et confirmée en 1833. Ne confondez pas la loi qui existait avant 1832 avec la loi votée cette année ; c’est le système de la loi de 1832 que nous avons pris pour point de départ ; c’est celle dont nous voulons doter le pays, celle qui conviendrait à la classe pauvre, à la classe ouvrière ; elle ne convient pas au commerce, aux spéculateurs. Mais on n’a réfuté ni les faits ni les chiffres que j’ai avancés, on n’a pas abordé cette question ; on a détournée la question du véritable terrain où l’on aurait dû la placer.

L’honorable M. Cogels, et ce n’est pas le premier compliment que je reçois de sa part, dans une séance précédente, a dit qu’il était étonné que j’eusse si peu de connaissance en matière de céréales…

M. Cogels – Je n’ai pas dit cela ; j’ai dit que personne n’avait étudié mieux, je veux dire plus que vous la question des céréales.

M. Eloy de Burdinne – L’honorable membre a dit, à propos d’une comparaison des prix de Gand et de Louvain que je ne faisais pas de différence entre le prix du froment blond et celui du froment roux. Il a prétendu que le froment roux valait trois francs de plus que le froment blond. Je sais que le froment des polders ne vaut pas celui qui vient aux environs de Courtray.

Je vais vous dire la différence entre le froment roux et le froment blond. Le froment blond est coté 26 fr. et le froment roux, qui vaut 3 fr. de plus, est coté 25 fr. Taux moyen, le froment blond et le froment roux se vendent au même prix.

Voyez d’après cela si vous pouvez avoir quelque confiance dans les arguments qu’a fait valoir l’honorable M. Cogels pour contrarier mes assertions.

M. le président – La proposition suivante a été déposée sur le bureau :

« Dans le cas où la proposition d’ajournement serait ajournée, je demande que la question suivante soit posée : « Lorsque le prix moyen du froment aura atteint 20 fr. par hectolitre, y aura-t-il un droit protecteur ? »

Plusieurs membres – La clôture !

M. Rogier – Je ne pense pas qu’il soit convenable de prononcer la clôture, au moment où une proposition importante est déposée. Si l’on veut m’accorder la parole immédiatement, pour développer cette proposition, on verra qu’elle est de nature à abréger la discussion.

Je ne comprends pas ce grand empressement de fermer la discussion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est parce qu’on ne serait plus en nombre samedi.

M. Rogier – Tout le monde reconnaît que la question est extrêmement grave et difficile. Sous le prétexte que l’on veut s’en aller dimanche prochain, on ne peut pas s’opposer au développement d’une opinion qui répondrait aux vœux d’une grande partie du pays.

On a parlé de gens affamés. La majorité se montrerait-elle si affamée de droits protecteurs, qu’elle serait sourde à toute observation contraire ?

Je demande à développer en peu de mots ma proposition.

Plusieurs membres – Parlez.

D’autres membres – La clôture !

M. Verhaegen – Quant à moi, je ne pense pas qu’il soit jamais possible de clore, alors qu’une proposition nouvelle est arrivée au bureau avant la demande de clôture ; mais j’ai surtout demandé la parole contre la clôture, parce que j’espérais bien qu’étant inscrit depuis longtemps, on ne me refuserait pas de motiver mon vote négatif alors que plusieurs honorables membres ont parlé 2 ou 3 fois pour motiver leur vote affirmatif.

Je voterai contre la proposition de la section centrale, et je désire dire pourquoi. Messieurs, je n’ai pas encore parlé, et certes il y aura encore assez de justice dans cette assemblée pour ne pas empêcher de développer quelques raisons nouvelles, qui, j’en ai la conviction, seront de nature à exercer une influence dans la discussion. Je désire entre autres établir que la proposition de la section centrale n’est pas aussi anodine qu’on veut bien le prétendre, que c’est une proposition grave, qui doit avoir les conséquences les plus fâcheuses puisqu’elle aura pour résultat d’augmenter le prix du pain.

Il y a une autre raison pour me maintenir mon tour de parole. Si j’ai bien compris, il s’agit de clore non-seulement la discussion générale, mais toute la discussion y compris celle sur les amendements. Or il y a des amendements dont on n’a pas dit un mot jusqu’à présent. Ainsi l’amendement de l’honorable M. Coghen n’a pas été suffisamment développé ; on peut même dire qu’il n’a pas été attaqué ; je désire l’appuyer par des considérations novelles.

Certainement la majorité a le droit de m’imposer silence ; mais si, dans une question où il s’agit des intérêts du peuple, on veut nous fermer la bouche, force nous sera de nous taire, mais nous serons placés sous l’empire d’une violence morale.

M. Dubus (aîné) – Je suis inscrit pour parler à mon tour. Je n’ai pu encore obtenir la parole sur le fond de la loi. Cependant je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’attendre, pour prononcer la clôture, que tous les membres de la chambre aient parlé à leur tour. Je crois que quand on a entendu un certain nombre d’orateurs pour et contre, et que la chambre trouve une question suffisamment éclairée, la chambre a le droit et le devoir de clore la discussion. Le droit ne peut être contesté. Je dis que c’est le devoir de la chambre, pare que son devoir est de ne pas gaspiller son temps ; elle doit l’employer à expédier les affaires du pays.

Nous avons à nous occuper d’autres affaires que le projet en discussion. Peu importe donc que l’honorable préopinant n’ait pas encore été entendu, non plus que moi, sur le fond de la question. Si la majorité de la chambre trouve la question suffisamment éclairée, elle a, je le répète, le droit et le devoir de clore la discussion.

Mais, dit-on, il y a des amendements qui n’ont pas été suffisamment développés. En effet, on a présenté successivement six amendements. De ces six amendements, il y en a deux qui ne sont arrivés qu’au moment où la clôture avait été réclamée, après une discussion antérieure qui paraissait avoir suffi pour éclairer la chambre. Parce que les amendements avaient été envoyés au bureau au moment où la clôture allait être prononcée, on a préféré continuer la discussion.

La même chose arrive au moment où la clôture est demandée ; on dépose un amendement sur le bureau.

(page 1628) M. Rogier – Ma proposition a été déposée avant la demande de clôture.

M. Dubus (aîné) – Je n’en sais rien. La demande de clôture était formée, avant que la chambre eût connaissance de l’amendement.

Je dis qu’on éterniserait les discussions si l’on pouvait les faire recommencer en présentant un amendement, lorsque, dans l’opinion de la majorité, la clôture doit être présentée.

Je crois que la chambre doit être consultée sur la demande de clôture. Si la clôture était prononcée, cet amendement serait tardif.

Au reste, à ce que j’ai compris, cette proposition ne serait qu’un moyen de faire poser une question de principe ; ce ne serait donc pas un amendement.

Sur la position de la question, on peut venir demander que l’on pose une question de principe. Ce n’est pas une raison de prolonger la discussion. Ce n’est pas là un véritable amendement ; ce n’est qu’une observation sur la position de la question ; elle pourra venir, lorsque nous aborderons le vote des différentes questions.

J’insiste sur la demande de clôture. Cette discussion dure depuis samedi ; les séances de samedi, lundi et aujourd’hui mardi ont été consacrées à cette discussion qui n’a d’autre but que de remédier aux abus auxquels a donné lieu la loi de 18347. La question est tellement simple qu’une discussion de quatre séances a dû suffire pour éclairer l’opinion des membres de la chambre.

M. Meeus – J’ai demandé la parole pour m’opposer à la clôture. Je m’étonne vraiment qu’on soit pressé de clore dans une question aussi importante.

En 1834, la discussion a duré trois semaines ; je me le rappelle pour y avoir pris une part importante.

M. Rodenbach – Il s’agissait d’une loi définitive.

M. Verhaegen – Celle-ci est également définitive.

M. Rogier – La loi de 1834 devait aussi être provisoire.

M. Meeus – S’il ne s’agissait que de donner une sanction plus forte à la loi de 1834, en vérité, il ne faudrait pas une bien longue discussion. Je crois que les adversaires mêmes de la loi de 1834 ne voudraient pas s’opposer aux mesures destinées à y donner une sanction. Moi, le premier, qui l’ai combattue, je donnerais mon vote approbatif à ces mesures ; car lorsqu’un projet de loi est devenu loi de l’Etat, quelque opposition que nous ayons faite, nous devons en assurer l’exécution.

Plusieurs membres – C’est le fond.

M. Meeus – Je dis les motifs de mon opposition à la demande de clôture.

D’après la proposition de la section centrale, il y a aggravation de droits. Dès lors, toute la discussion de 1834 peut se reproduire. Il faut donc que chaque membre de cette chambre soit libre de motiver son vote. Je suis au nombre des membres inscrits. Il m’importait de faire connaître le vote négatif que je me propose d’émettre sur la proposition de la section centrale, et pour l’ajournement proposé par l’honorable M. Dumortier. Je m’oppose donc à la clôture. Je ne demande pas mieux, du reste, que de renoncer à la parole si les orateurs qui se feront entendre expriment suffisamment mon opinion.

M. Rogier – On dit que ma proposition n’est pas un amendement ; je le veux bien ; c’est une proposition ; c’est une manière de poser et de trancher nettement la question. S’il est entendu que je pourrai la développer au moment de la position de la question, je suis désintéressé dans la demande de clôture ; et si je m’y oppose, c’est dans l’intérêt de mes collègues qui demandent à être entendus et qui en ont le droit.

Si la chambre est d’accord pour l’ajournement de la loi, rien de plus simple que de clore la discussion ; mais si l’on n’est pas d’accord à cet égard, si ceux qui réclament avec tant d’instance la clôture veulent voter la loi, ils doivent permettre à leurs collègues d’exprimer leurs motifs d’opposition.

Cette demande de clôture en présence d’une pareille loi, a quelque chose de très-inconvenant, je ne crains pas de le dire. Où est la nécessité de clore la discussion ? Est-ce parce qu’on veut se mettre en vacance à partir de samedi prochain ? Mais, messieurs, le mois de mai commence à peine. Qui donc vous commande de précipiter à ce point vos travaux ? Beaucoup de sessions ont duré après le mois de mai. Pourquoi celle-ci ne pourrait-elle pas être prolongée au-delà de samedi prochain ? Quelle est donc la loi souveraine qui vous ordonne de prendre des loisirs à partir de samedi ? Je ne puis voir, dans cette hâte d’en finir, qu’un but de distraction, un but de promenade. Y en a-t-il un autre ? Qu’on le dise.

En tout cas, il me paraît bien difficile d’en finir cette semaine.Vous avez encore de graves questions à résoudre. Vous avez encore trois ou quatre chemins de fer à voter. Ils peuvent entraîner une longue discussion, et quant à moi je ne renonce pas à discuter notamment le chemin de fer de Namur à liège.

M. Rodenbach – C’est pour vous ménager le temps.

M. Rogier – Vous ne pouvez pas, sans manquer à vos collègues, qui n’ont pas encore parlé dans cette discussion, clore en ce moment. Vous ne le pouvez pas sans vous manquez à vous-mêmes. Car, enfin, il n’existe pas un seul motif sérieux pour que la chambre s’ajourne si promptement. Au contraire, tous les motifs se réunissent pour vous retenir ici plus longtemps.

M. le président – Je mets la clôture aux voix.

Plusieurs membres – L’appel nominal !

- La clôture est mise aux voix par appel nominal.

74 membres prennent part au vote.

43 votent pour la clôture.

31 votent contre.

En conséquence, la clôture est prononcée.

Ont voté pour la clôture : MM. Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Wallaert, Zoude, Coppieters, d’Anethan, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, Biebuyck, de Garcia de la Vega, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Saegher de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Dubus (aîné), Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Lejeune et Malou.

Ont voté contre – MM. Manilius, Meeus, Orts, Osy, Pirson, Rogier, Sigart, Thyrion, Van Volxem, Verhaegen, Brabant, Castiau, Cogels, Coghen, David, de Haerne, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Dumont, Duvivier, Fleussu, Jadot, Lange, Lesoinne, Lys et Maertens.

Discussion des articles

Propositions de principe

M. le président – La première proposition à mettre aux voix est celle de M. Dumortier, concernant l’ajournement des dispositions relatives aux droits. (L’appel nominal !)

- La proposition d’ajournement faite par M. Dumortier est mise aux voix par appel nominal.

77 membres prennent part au vote.

36 votent l’adoption.

41 le rejet.

En conséquence, la proposition n’est pas adoptée.

Ont voté l’adoption – MM. Manilius, Meeus, Orts, Osy, Pirmez, Rogier, Sigart, Smits, Thyrion, Troye, Van Volxem, Verhaegen, Brabant, Castiau, Cogels, Coghen, David, de Haerne, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Meester, de Saegher, de Tornaco, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Dumont, Duvivier, Fleussu, Jadot, Lange, Lesoinne et Lys.

Ont voté le rejet : MM. Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Pirson, Rodenbach, Scheyven, SimonsThienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Wallaert, Zoude, Coppieters, d’Anethan, Dechamps, de Corswarem, Biebuyck, de Garcia de la Vega, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Dubus (aîné), Dumont, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Lejeune, Maertens et Malou.


M. le président – Vient maintenant la question de la proposition de M. Rogier sur la position de la question.

Plusieurs membres – Non ! non ! l’amendement de M. Coghen.

M. Malou, rapporteur – Il me semble, messieurs, que, dans l’ordre logique des idées, il faudrait savoir si l’on fixera un terme dans la loi. Nous venons de décider qu’il n’y aura pas d’ajournement quant au tarif. Nous avons maintenant une autre question à décider, c’est celle qui se trouve résolue par l’amendement de l’honorable M. Smits.

Après cela nous nous occuperons de l’amendement de l’honorable M. Coghen et du second amendement de l’honorable M. Dumortier, qui portent sur des paragraphes du projet. Mais il s’agit ici de décider une question de principe qui porte sur le projet tout entier.

M. Verhaegen – Messieurs, la question que soulève l’amendement de l’honorable M. Coghen touche à tout le projet, et, par cela même, est très-important ; elle effet, elle doit avoir pour résultat de démontrer aux plus incrédules que ceux qui la repoussent veulent autre chose que d’éviter la fraude, c’est-à-dire qu’ils veulent une augmentation de droits.

M. Coghen veut laisser au gouvernement une faculté dont il usera dans des circonstances extraordinaires ; c’est une marque de confiance, et chose inouïe, le gouvernement n’en veut pas ; c’est que la majorité lui a imposé des conditions, et qu’il n’ose pas lui désobéir.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cette faculté est illusoire.

M. le président donne une nouvelle lecture des amendements proposés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, vous venez de décidez que vous n’ajournez pas la partie des propositions qui est relative aux droits. En d’autres termes, la chambre vient de décider que, dans le projet de loi qu’elle se propose de voter, il y aurait des droits au-delà du prix de 20 fr. Or, l’amendement de M. Coghen suppose qu’on ne s’occupera pas, dans le projet, d’un droit quelconque.

M. Osy – Beaucoup d’honorables membres ont dit que le principal but de la loi était d’empêcher que la loi de 1834 ne fût éludée. Eh bien, l’honorable M. Coghen a trouvé un moyen d’atteindre ce but, moyen que je touve très-rationnel et que j’appuierai. M. le ministre de l'intérieur lui-même nous a dit qu’il renoncerait à l’augmentation des droits si l’on trouvait le moyen d’empêcher que la loi ne fût éludée. Il me semble donc qu’il faut voter sur la proposition de l’honorable M. Coghen qui atteindrait infailliblement ce but. Lorsqu’on aura voté sur cette proposition, tout le monde sera juge de la question de savoir s’il faut augmenter les droits.

M. Malou, rapporteur – Je n’insiste pas sur ma demande de priorité.

M. Cogels – A moins que j’aie mal compris la portée de l’amendement de M. Dumortier, cet amendement a un double but ; mais le but principal est de résoudre d’une manière indirecte la question qui avait été posée d’une autre manière, c’est d’ajourner la seule question sur laquelle il se soit élevé des contestations, c’est-à-dire celle qui concerne le droit d’initiative. Voilà quelle était la véritable portée de la proposition de l’honorable M. Dumortier. Eh bien, cette question a été jugée hier, mais ce qu’on (page 1629) n’a pas décidé, c’est le point de savoir s’il y aurait une aggravation de droits.

M. Malou, rapporteur – J’avais demandé la priorité et j’ai déclaré que j’y renonçais. (Aux voix ! aux voix !)

- La proposition de M. Coghen est mise aux voix par appel nominal.

77 membres prennent part au vote.

35 adoptent.

42 rejettent.

En conséquence, la proposition n’est pas adoptée.

Ont voté l’adoption – MM. Manilius, Mast de Vries, Meeus, Orts, Osy, Pirmez, Rogier, Scheyven, Sigart, Smits, Thyrion, Troye, Van Volxem, Verhaegen, Brabant, Castiau, Cogels, Coghen, David, Dedecker, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Tornaco, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Dumortier, Duvivier, Fleussu, Henot, Jadot, Lange, Lesoinne et Lys.

Ont voté le rejet : MM. Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Pirson, Rodenbach, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Wallaert, Zoude, Coppieters, d’Anethan, Dechamps, de Corswarem, Biebuyck, de Garcia, de Haerne, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Dubus (aîné), Dumont, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Lejeune, Maertens et Malou.


M. le président – Nous avons maintenant l’amendement de M. Smits et celui de M. Lys.

M. Rogier – Et ma proposition. On vient d’offrir au gouvernement un moyen administratif de parer aux inconvénients qui ont été signalés. Il l’a refusé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si j’avais pu parler, j’aurais prouvé que la disposition était illusoire.

M. Rogier – Le gouvernement vient de refuser le remède qu’il réclamait pour prévenir les inconvénients de la loi de 1834. Voilà donc un côté de la question que l’on peut considérer comme épuisé. Il reste un deuxième côté de la question, le côté fiscal. La section centrale propose une aggravation au tarif actuel, et bien, je pose la question de savoir s’il y a lieu de voter cette aggravation. On ne peut pas se refuser à ce que cette question soit mise aux voix. (Interruption.) La chambre veut-elle me permettre de développer ma proposition ?

Un membre – Vous ne pouvez parler que sur la position de la question.

D’autres membres – M. Dubus a dit que la proposition pouvait être développée.

M. Dubus (aîné) – Je conçois qu’on se borne à poser une question de principe, pour faciliter le vote ; mais quand on s’attache à établir les motifs qui militent en faveur de la réponse affirmative ou négative à cette question, c’est rentre dans la discussion qui est close.

M. Verhaegen – Messieurs, la proposition de l’honorable M. Rogier n’a pas seulement pour but de faciliter la délibération, mais elle a encore pour but de mettre à nu la portée de la proposition qui nous est soumise. Nous avons dit et répété que tout ce qui a été allégué à l’appui des conclusions de la section centrale, ne constitue que de vains prétextes et qu’en définitive on veut une augmentation de droits. Eh bien, messieurs de la majorité, ayez donc le courage de votre opinion, osez dire au pays que vous voulez augmenter les droits sur les céréales ! Nous disons tout haut que nous n’en voulons pas !

M. Malou, rapporteur – Messieurs, ce serait une chose sans exemple dans une assemblée législative que de qualifier un droit qu’une loi établit.

Messieurs, il y a une disposition de la section centrale, qui propose de fixer un droit de 12 fr. 50 au-delà de 20 francs. On parle d’une différence de rédaction. Je dis que la rédaction de l’honorable M. Rogier n’est qu’une variante d’un article proposé par la section centrale. Nous n’avons pas procédé par questions de principe, nous ne devons pas procéder par questions de principe.

Maintenant je dirai un mot sur un autre point : tout à l’heure je me suis prononcé fortement pour la clôture, quoique l’honorable membre demande à développer sa proposition : je l’ai fait pour un motif bien simple c’est que la proposition de l’honorable membre est la conséquence du discours qu’il a prononcé dans la séance d’hier.

M. le président – M. Rogier propose la question suivante :

« Lorsque le prix moyen du froment aura atteint 20 francs par hectolitre, y aura-t-il un droit protecteur ? »

M. le ministre des finances (M. Mercier) – La proposition de l’honorable M. Rogier est complètement inutile. Nous sommes saisis d’un projet qui tend à augmenter les droits ; les honorables membres qui adopteront ce projet, répondront d’une manière pertinente à la demande de l’honorable M. Rogier ; la mettre aux voix, ce serait nous forcer de voter deux fois sur la même question. La chambre, en se prononçant soit en faveur de la proposition de la section centrale, soit pour celle de M.Lys, fera connaître sa volonté de la manière la plus positive ; on s’écrie qu’il faut que le pays sache ce que veut la chambre ; mais le pays le saura bien mieux et plus efficacement de cette façon que si l’on se bornait à un vote stérile sur une simple question de principe.On demande une déclaration explicite ; on ne peut certes en faire de plus explicite qu’en émettant un vote sur la proposition formelle d’un nouveau droit.

M. le président – Lorsqu’une proposition est mise sur le bureau, le président ne peut pas s’empêcher de la mettre aux voix.

M. Dubus (aîné) – Avant de mettre la proposition aux voix, il faut que la chambre décide s’il y a lieu de la mettre aux voix.

On présente cette question comme devant faciliter la délibération de la chambre ; au lieu de la faciliter, elle ne peut que l’embarrasser et l’entraver, elle nous fera voter inutilement une fois de plus, et elle ne décidera rien, car il restera à définir ce qu’on doit entendre par un droit protecteur. Si je pense qu’un droit de 12 fr. 50. n’est pas un droit protecteur, si je suis de cette opinion, ne pourrais-je pas répondre non à la question, et ensuite voter le droit ?

Vous voyez que la question ne décide rien dans l’opinion d’un grand nombre de membres de la chambre. Il vaut mieux mettre simplement aux voix les chiffres en commençant, suivant nos antécédents, par les chiffres les plus élevés.

M. Rogier – Messieurs, la voie que je propose n’est pas nouvelle. Je m’étonne de la grande chaleur qui vient de saisir tout à coup M. le ministre des finances pour la combattre, après le silence complet qu’il a gardé dans la discussion. La voie que je propose devait être d’autant moins combattue sur les bancs ministériels que constamment M. le ministre de l'intérieur propose de procéder par questions de principe.

Si l’on parcourait les antécédents de l’honorable M. Dubus qui combat ma proposition, on trouverait aussi des demandes de position de questions, comme on y trouverait des discours bien autrement nombreux et étendus que ceux que nous avons prononcés, et cela sur des questions beaucoup moins importantes que celles dont il s’agit en ce moment. (Interruption.) L’honorable M. Dubus, qui nous reproche de gaspiller le temps de la chambre a occupé souvent et pendant de longues heures les instants de l’assemblée pour des questions bien moins graves.

M. Lejeune – Vous ne parlez pas sur la position de la question.

Des membres – Aux voix ! aux voix !

M. Rogier – D’où vient cette grande rumeur qu’excite ma proposition ? Je vais vous le dire : Elle a le malheur d’être trop claire ; on voudrait ne pas avoir à s’expliquer catégoriquement.

En 1834 lorsqu’il s’est agi de fixer des droits nouveaux, on n’a pas hésité à procéder par questions.

Je demande s’il y a quelque chose de plus simple et de plus clair que cette demande : « Y a-t-il lieu d’aggraver le tarif ? »

Je consens volontiers à retrancher le mot « protecteur », puisqu’il paraît que ce mot exerce une si singulière influence sur l’esprit des honorables MM. Dubus et Malou.

Maintenant, j’espère, il n’y aura plus matière au moindre doute.

A parti de 20 fr., il y a libre entrée sous le régime actuel. A cette libre entrée, la section centrale propose de substituer un droit de 12 fr. 50 c., y a-t-il lieu de voter cette augmentation de droit ? Voilà toute la question.

Des membres – C’est cela.

M. Dubus (aîné) (pour un fait personnel) – Messieurs, l’honorable préopinant, je ne sais à quel propos, a rappelé d’autres circonstances, où j’aurais prononcé de nombreux et longs discours sur des objets moins importants que celui qui est maintenant en discussion.

Je ne sais de quelle utilité il était de rappeler des discours que je puis avoir prononcés dans d’autres circonstances. Certes, j’ai parlé plus d’une fois devant cette chambre ; mais je ne me souviens plus dans quelles circonstances, j’aurais pu prononcer les discours auxquels l’honorable préopinant a fait allusion. Mais je ferai remarquer que l’importance des questions de chiffre, et surtout d’une question de chiffre comme celle-ci, n’est pas la même à tous les yeux. L’honorable membre dit que c’est un droit protecteur ; mais en 1833, un chiffre beaucoup plus minime lui paraissait un droit protecteur pour l’agriculture, puisqu’en 1833, comme ministre de l’intérieur, il est venu proposer un droit fixe de 49 centimes environ par hectolitre, pour toute protection ! C’était, selon lui, un droit protecteur, et moi, j’appelle cela un droit illusoire.

Vous voyez donc qu’il n’est pas vrai de dire que la question est trop claire ; au contraire, la question qu’on nous présente, ne peut qu’entraver la délibération, puisqu’il faudrait d’abord nous mettre d’accord sur c qu’on entend par un droit protecteur. Mais ce qui est clair, c’est de mettre aux voix le chiffre proposé. Sur ce point, tout le monde pourra se décider à dire oui ou non ; il n’y aura ni malentendu, ni hésitation possible.

M. Malou, rapporteur – Messieurs, la différence qu’il y a entre la proposition de l’honorable M. Malou et le vote de l’article du projet de la section centrale, c’est que, dans la proposition de l’honorable membre on vous demande le motif de ce vote.

Pourquoi pose-t-on dans la chambre des questions de personnes ? si ce n’est pas pour faciliter le vote ? N’est-ce pas le seul motif qu’on puisse invoquer ?

Eh bien, je demande quelque différence il y a entre déclarer qu’il y aura un droit au-dessus de 20 fr., et voter le droit posé par la section centrale. Quand nous aurons voté la question de principe, nous n’aurons rien fait, il faudra encore voter le droit.

Je demande la priorité pour le projet de la section centrale.

M. Lys – On demande la priorité pour le projet de la section centrale. L’amendement que j’ai présenté n’a d’autre différence que de réduire à 6 fr. le droit de 12 fr. 50 c. que propose la section centrale. La deuxième partie de mon amendement tend à réduire l’échelle. Je demande qu’on (page 1630) vote sur mon amendement avant de voter sur la proposition de la section centrale.

M. Dumortier – Je ne comprends pas comment on fait des objections à la proposition de l’honorable M. Rogier. Je pense que si l’on avait laisser voter, le vote de la proposition de la section centrale aurait eu lieu également. Nous avons mis plus de temps à la discuter… (Interruption.) Permettez, M. Van den Eynde ; je défends la proposition que vous avez signée avec moi et que maintenant vous abandonnez. (Nouvelle interruption.) Maintenant à quoi la proposition revient-elle ? l’agriculture est-elle suffisamment protégée, oui ou non ? Moi je n’hésite pas à déclarer qu’elle n’est pas suffisamment protégée.

Mais, dit-on, mettez les chiffres aux voix ; nous réclamons la priorité pour le projet de la section centrale ; moi je la réclame pour le projet des 21.

M. de Garcia – La clôture est prononcée !

M. Dumortier – C’est ici que j’attendrai ceux qui ont voulu tourner la question. Vous avez beau vouloir l’éviter, vous y passerez. Vous avez déclaré que le projet de la section centrale était le projet de loi principal ; mais j’ai déclaré que je reprenais la proposition des 21, que je n’ai d’ailleurs jamais abandonnée ; voyons si les 21 seront conséquents, s’ils voteront le projet qu’ils ont signé ; c’est sérieusement qu’ils l’ont présenté. J’ai fait de l’opposition au projet de la section centrale parce que je voulais qu’on votât notre proposition ; je demande qu’on lui donne la priorité.

M. Dubus (aîné) – On vient de prétendre que la proposition des 21 était la proposition principale, et devait être mise la première aux voix. Mais elle n’est pas même en délibération. La proposition principale, celle sur laquelle s’est établie la discussion, c’est le projet formulé par la section centrale. J’en appelle au procès-verbal. Lorsque la discussion a commencé, les 21 collègues signataires de la proposition ont été interpellés de déclarer s’ils se ralliaient au projet de la section centrale. L’honorable M. Eloy de Burdinne a répondu en son nom et au nom de ses collègues qu’il se ralliait quant à présent.

Un membre – M. Dumortier n’était pas là.

M. Dubus (aîné) – S’il n’était pas là, il n’a pas pu faire d’opposition à la déclaration de M. ; Eloy de Burdinne.

L’honorable M. Eloy de Burdinne, reconnaissant qu’au moment où nous étions arrivés, il n’était pas possible de discuter le projet qu’il avait présenté avec 21 de ses collègues, a dit qu’il ne l’abandonnait pas, mais qu’il se réservait de le faire discuter quand le moment serait opportun. D’après cette réponse qui n’a été contredite par aucun des 20 autres signataires, la discussion s’est établie sur le projet de la section centrale. C’à été là la proposition principale. Il est vrai qu’un membre pouvait mettre en délibération la proposition des 21, en en faisant un amendement, mais vous savez bien qu’aucun amendement semblable n’a été déposé sur le bureau. L’honorable M. Dumortier s’est réservé de le faire, s’il le jugeait à propos. Il le juge à propos maintenant que la discussion est close, il est trop tard.

M. Verhaegen – Il est malheureux vraiment que dans une discussion aussi grave on nous réponde constamment par des fins de non-recevoir. Quand une fois on abandonne la ligne droite, on est condamné à recourir à des faux-fuyants indignes d’une chambre législative. (Interruption.)

Vous vous rappellerez, messieurs, que lorsque j’ai voulu discuter la question de constitutionalité, relativement au projet du sénat, on m’a objecté qu’il ne s’agissait nullement de ce projet, que la discussion devait se restreindre à la proposition de la section centrale, ayant pour base le projet de loi des 21 ; vous vous rappellerez aussi que j’ai fait mes réserves et qu’il a été entendu alors par M. Dubus lui-même qu’il me serait permis de traiter la question constitutionnelle, lors de la discusion du fond ; or, quand il s’est agi du fond, mon tour de parole étant arrivé, on m’a fermé la bouche par la clôture ! Je ne puis pas croire qu’on ait l’intention de mystifier la minorité et d’user de surprise….

L’honorable M. Dumortier, quelle que puisse être son opinion sur la question des céréales, a au moins le courage de son opinion. Aussi vient-il franchement déclarer qu’il reproduit la proposition des 21, tandis que ses cosignataires reculent devant leur œuvre et cherchent par toute sorte de petits moyens d’échapper au moins momentanément au vote que naguère ils considéraient comme tellement urgent, qu’ils réclamaient la discussion du jour au lendemain.

Quoi qu’il en soi, dans la proposition des 21, il s’agit bien de la hauteur des droits ; il s‘agit encore de la hauteur des droits et dans la proposition de M. Lys et dans la proposition de la section centrale ; la question de principe proposée par M. Rogier est donc utile ; je dirai même indispensable. Quand on aura répondu à cette question affirmativement, on verra alors auquel des trois chiffres il faudra donner la préférence. De cette manière, chacun saura remplir son devoir, et la majorité répondra en face du pays de la décision grave qu’elle va prendre.

M. Dumortier – On prétend que la proposition des 21 n’est pas en délibération. Quand j’ai voulu discuter le projet du sénat, on m’a répondu : ce n’est pas le projet du sénat qui est en discussion, c’est celui de la section centrale. La proposition des 21 membres est considérée comme amendement. J’accepte cette position, parce qu’elle a pour conséquence de faire voter sur la proposition des 21 avant celle de la section centrale, car tout amendement est mis au voix avant la proposition principale. Mais, dit-on, M. Eloy de Burdinne a déclaré qu’il retirait sa proposition ; il a dit qu’il l’ajournait ; mais encore, il a parlé en son nom et au nom des collègues qu’il a consultés. Je n’ai donné mandat à personne de parler pour moi. Je suis signataire de la proposition ; comme signataire j’ai le droit de ne pas l’abandonner. J’ai déclaré que je ne voulais pas la laisser escamoter, c’est pour empêcher qu’on ne la fît disparaître que j’ai proposé d’ajourner la partie de la proposition de la section centrale relative à la tarification. Vous n’avez pas voulu de cette proposition très-sage qui ne compromettait pas l’agriculture, vous avez voulu de la proposition de la section centrale. On vous avait déclaré que c’était l’enterrement de notre proposition.

Je n’ai pas voulu assister à cet enterrement sans vote de la chambre.

On me dit : Vous n’avez pas déposé votre amendement sur le bureau ; mais cette proposition avait été prise en considération, toutes les formalités prescrites par le règlement avaient été remplies, et il faudrait encore la déposer sur le bureau ! Ce serait une plaisanterie. En pareil cas, le règlement est formel, il suffit de déclarer qu’on reprend la proposition. D’ailleurs, je ne l’ai pas abandonnée, je ne veux pas l’abandonner, j’ai le droit d’en demander le vote.

M. Malou, rapporteur – Messieurs, on parle d’enterrement, de courage ! de peur, de quoi s’agit-il ? de terminer une question de la meilleure manière possible. Toutes ces expressions sont blessantes pour la section centrale. Elle a expliqué les motifs qui ne lui permettaient pas maintenant d’examiner d’une manière complète la législation des céréales, on appelle cela escamoter, escobarder, enterrer ; le mot escobarder n’a pas été employé par l’honorable membre, mais toutes ces expressions, qui sont très-désobligeantes pour la section centrale, ont été répétées plusieurs fois dans la discussion.

M. le président – Je n’ai pas entendu ces expressions.

M. Malou – Puisque la proposition des 21 est reproduite, je ne vois plus qu’on puisse s’abstenir de voter sur la proposition de l’honorable M. Rogier.

M. Castiau – Eh bien, votons sur cette proposition !

M. Malou, rapporteur – Depuis le changement que l’honorable M. Rogier y a fait, je n’ai plus d’objection à élever. Ce que j’attaquais, c’étai le mot « protecteur » qui indiquait le but et non le moyen.

M. Dubus (aîné) – J’ai demandé la parole pour donner lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; il est ainsi conçu :

« L’ordre du jour appelle en premier lieu la discussion du projet de loi sur les céréales.

« M. le ministre de l'intérieur déclare se rallier au projet de la section centrale, sauf à modifier le dernier paragraphe de l’article unique.

« M. Eloy de Burdinne, au nom des 21 signataires de la proposition de loi sur les céréales, déclare se rallier au même projet.

« La discussion générale est ouverte. »

Ainsi vous le voyez, d’après ce procès-verbal, la proposition des 21 membres n’est aucunement en délibération. Il est vrai qu’on pouvait le mettre en délibération, en en faisant un amendement. Pour cela il fallait déposer un amendement ; il fallait qu’il fût développé et pris en considération par la chambre. Rien de cela n’a été fait. On s’était réservé de le faire. Mais la discussion a été close sans qu’on l’ait fait. Ainsi, il est évident que cet amendement n’a pas été présenté, et qu’on ne peut le mettre aux voix.

En conséquence, je demande la priorité pour la proposition de la section centrale.

M. Eloy de Burdinne – Autant que l’honorable M. Dumortier, je tiens à ce que la proposition des 21 soit examinée avec maturité, et si j’ai consenti à me rallier à la proposition de la section central, j’y ai mis pour condition que je ne renonçais nullement à ce que ma proposition fût examinée. C’est en quelque sorte l’honorable M. Castiau qui m’y a déterminé en déclarant, lorsque j’ai développer ma proposition, que le temps ne suffirait pas pour l’examiner convenablement. Comme je ne veux pas que l’on vide à la légère une question aussi importante où il s’agit de donner une preuve de sympathie à la classe malheureuse, comme je veux qu’on se pénètre des sentiments dont je suis moi-même animé, ou qu’on me réfute, je désire une discussion approfondie.

Si l’on me démontre que ma proposition peut aggraver la position des malheureux, je serai le premier me combattre moi-même.

Mais si l’on votait comme le demande M. Dumortier, je crois que les trois quarts au moins des membres de cette assemblée devraient s’abstenir, parce que la question n’a pas été mûrement examinée.

M. le président – Voici comment M. Rogier a modifié la question qu’il a posée :

« Lorsque le prix moyen du froment aura atteint 20 fr. par hectolitre, y aura-il un droit nouveau ? »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – « Y aura-il un droit ? » puisque maintenant il n’y en a pas.

M. Rogier – Soit, y aura-t-il un droit ?

Je désire ajouter deux mots.

Ma proposition, vous le remarquerez, a pour but d’abréger la discussion. Nous nous trouvons en présence de trois droits : nous avons le droit de la proposition des 21, si tant est qu’elle existe encore.

Plusieurs membres – Certainement.

D’autres membres – Non ! non !

M. Rogier – Les uns disent oui, les autres disent non

Nous avons ensuite le droit propose par l’honorable M. Lys, puis celui proposé par la section centrale.

Si, répondant à la question que j’ai posée, la chambre décide qu’il n’y a pas lieu d’admettre un droit, la proposition des 21, celle de l’honorable M. Lys et celle de la section centrale viennent à tomber. Il est donc évident que nous gagnerions plusieurs votes. Je demande que ma proposition soit mise aux voix.

(page 1631) M. Verhaegen – Je demande à lire ce qu’a dit hier l’honorable M. Malou.

M. le président – Ce n’est pas la question.

M. Verhaegen – Pardon ; c’est la question ; voici comment s’est exprimé M. Malou (Agitation.)

M. Vanden Eynde – Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Malou, rapporteur – Je demande qu’on laisse l’honorable membre lire ce que j’ai dit hier.

M. Vanden Eynde – Il y a eut clôture ; on ne peut plus parler sur le fond. On ne peut parler que sur la position de la question. Je demande que la discussion se restreigne à ce point, ou qu’on procède au vote. Je demande que M. le président fasse exécuter le règlement.

M. le président – Je le fais exécuter autant qu’il est en moi. La discussion est ouverte sur la question de priorité ; je ne puis refuser la parole aux membres qui la demandent sur cette question.

M. Verhaegen – Il me semble que je doive toujours être aux prises avec l’honorable M. Van den Eynde. Hier, il a demandé mon rappel au règlement pour un mot que je n’avais pas dit ; aujourd’hui il le demande, supposant une clôture qui n’existe pas.

Je laisse là M. Van den Eynde et je continue mes observations :

Voici ce que disait l’honorable M. Malou dans une séance précédente :

« La question posée par l’honorable M. Dumortier, est celle-ci : Quel est le projet principal ? Eh bien, c’est une question qu’on n’a jamais faite à la chambre ; c’est une question qu’on ne doit ni poser ni résoudre.

« Vous délibérez sur un projet proposé par la section centrale. Dès lors, le projet de la section centrale est la proposition principale. Je vais, à mon tour, pousser l’interpellation plus loin ; je dis que la chambre est saisie de la proposition des 21, et que si l’honorable M. Dumortier est embarrassé d’avoir un projet principal, je l’engage à reproduire, comme sienne, la proposition des 21, à la soutenir dans la discussion et a provoquer un vote sur cette proposition ; alors il ne demandera plus s’il y a une proposition principale, ce sera évidemment celle là. »

Plusieurs membres – Mais M. Dumortier n’a pas reproduit la proposition des 21.

M. Verhaegen – Oui, l’honorable M. Dumortier a reproduit la proposition des 21, mais on cherche à la repousser par des petits moyens, par des chicanes.

M. Malou, rapporteur – C’est avant la clôture que j’avais admis que la proposition pouvait être reproduite.

Un grand nombre de membres – La clôture !

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

La chambre consultée accorde la priorité à la question suivante, posée par M. Rogier : « Lorsque le prix moyen du froment aura atteint 20 fr. par hectolitre, y aura-t-il un droit ? » Cette question est mise aux voix par appel nominal ; voici le résultat du vote :

Nombre des votants, 74.

47 membres répondent oui.

27 membres répondent non.

En conséquence, la question est résolue affirmativement.

Ont répondu oui : MM. Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Wallaert, Zoude, Coppieters, d’Anethan, Dechamps, de Corswarem, Biebuyck, de Garcia, de Haerne, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Lejeune, Maertens, Malou et d’Hoffschmidt. .

Ont répondu non : MM. Manilius, Meeus, Orts, Osy, Pirmez, Rogier, Sigart, Smits, Thyrion, Van Volxem, Verhaegen, Brabant, Castiau, Cogels, Coghen, David, Dedecker, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Tornaco, Devaux, de Villegas, Fleussu, Lange, Lesoinne et Lys.


M. le président – Nous avons maintenant à mettre aux voix la proposition de la section centrale.

Plusieurs voix – Non ! non ! la proposition des 21 ! C’est le droit le plus élevé.

M. Vanden Eynde – Je demande qu’on mette d’abord aux voix le projet de la section centrale, comme proposant le droit le plus élevé.

M. Osy – Les 21 membres ont proposé le droit le plus élevé ; et leur proposition ne porte pas seulement sur le froment, mais sur le seigle, l’orge et l’avoine. Nous devons commencer par voter la proposition des 21.

M. le président – Je consulterai l’assemblée, mais cette proposition n’a pas été déposée sur le bureau.

M. de Haerne – L’observation de l’honorable M. Osy prouve que la proposition des 21 ne peut être mise en délibération, puisqu’il s’agirait de voter sur des dispositions relatives au seigle, à l’orge et à l’avoine, et que ces dispositions n’ont pas été discutées.

Je ne m’oppose pas à ce qu’on mette la proposition des 21 aux voix ; mais, ce qui en résultera, c’est que, tous, nous nous abstiendrons.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, vous ne pouvez mettre aux voix une proposition qui n’est pas en délibération.

M. Delehaye – Elle est en délibération.

M. Dubus (aîné) – Elle n’a pas été discutée. Je vous ai donné tout à l’heure lecture du procès-verbal de la séance de samedi. La proposition en délibération est celle de la section centrale. On pouvait, par amendement, présenter la proposition des 21 membres, mais cet amendement n’a pas été déposé.

Un honorable député de Bruxelles vous dit : maintenant que cette proposition est faite, on ne veut pas la laisser mettre en délibération, tandis qu’on avait provoqué mon honorable ami de la mettre en délibération. Mais, messieurs, on vient proposer de la mettre en délibération, lorsque la discussion est close, lorsqu’il n’est plus possible de la discuter. Si elle avait été présentée assez tôt, de la même manière qu’on aurait pu l’attaquer, on aurait pu la défendre. Ais vous avez mis les membres qui auraient voulu l’attaquer, comme ceux qui auraient voulu la défendre, dans l’impossibilité de le faire.

Cette proposition, messieurs, est très-complexe, et on ne s’est occupé d’aucun de ses détails. On s’est occupé d’un droit unique, du droit proposé par la section centrale sur le froment alors que le prix s’élève au-delà de 20 fr. Vous voyez donc bien que vous ne pouvez voter sur une proposition qui comprend sept ou huit autres questions dont il ne s’est pas agi.

Je demande qu’il soit déclaré par la chambre qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la proposition des 21 membres.

M. Verhaegen – Messieurs, je n’y comprends plus rien. L’honorable M. Dubus vient de vous dire que l’on n’a pas discuté sur le mérite de la proposition des 21 membres, et c’est lui qui a appuyé de tous ses efforts la clôture.

Je me proposais, messieurs, de combattre la proposition des 21 membres, et j’étais tellement dans mon droit que lorsque j’ai attaqué la constitutionnalité du projet du sénat, l’honorable M. Dubus et d’autres membres m’ont attaqué en disant qu’il n’était pas question de ce projet, mais qu’il s’agissait de la proposition des 21 dont le projetd e la section centrale n’était que la conséquence.

M. Dubus (aîné) – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Verhaegen – J’insiste sur ce point, messieurs, parce qu’en définitive, je me croirais l’objet d’une mystification, si les choses se passaient de cette manière. Comment ! j’ai voulu parler sur la proposition du sénat, on m’a arrêté en me renvoyant à la proposition des 21 ; lorsque mon tour de parole est venu, on m’a fermé la bouche par une demande de clôture ; et maintenant qu’on demande que cette proposition soit mise en délibération, on répond qu’il est trop tard.

Messieurs, j’ai une dernière question à adresser à ces messieurs de la majorité. Je leur demanderai si la proposition des 21 est définitivement mise de côté, oui ou non ? Je prie l’honorable M. Dumortier de bien vouloir me donner à cet égard des explications.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, j’ai encore une fois à m’expliquer sur un fait personnel, puisqu’on m’impute une mystification…

M. Verhaegen – Je ne vous ai rien imputé, j’ai dit que je serais mystifié.

M. Dubus (aîné) - …Et qu’on dénature mes paroles.

Je ne sais comment m’expliquer moi-même relativement aux observations de l’honorable membre. Car je suis obligé de reconnaître qu’il a une grande intelligence de tout ce qui se passe dans l’assemblée ; et je suis à me demander comment il n’a pas compris le débat, et comment il a pu se faire illusion au point de croire que la proposition des 21 était en délibération.

De quoi s’agissait-il lorsqu’on a voulu poser la question constitutionnelle ? Il s’agissait uniquement de savoir si la chambre et si la section centrale avaient été valablement saisis de la question des céréales ; et j’ai dit qu’il ne pouvait n être autrement, puisque nous avions été saisis de la proposition des 21.

Mais résultait-il de là que cette proposition était demeurée un des objets de la discussion. En aucune manière. Du moment que les auteurs de cette proposition s’étaient ralliés au projet de la section centrale, il n’y avait plus que ce dernier projet en délibération, et la proposition des 21 ne pouvait plus y venir que par forme d’amendement.

C’est là ce qui est connu de tout le monde ; car c’est ce que nous avons toujours pratiqué jusqu’ici, et je m’étonne que l’honorable membre ne comprenne pas cela. Il faut qu’il ait été habituellement étranger à nos discussions , pour n’être pas au courant de cette partie de notre règlement.

Il n’y a donc aucune contradiction entre ce que je soutiens maintenant et ce que j’ai soutenu alors. J’ai dit qu’on avait été valablement sais de la question des céréales, puisqu’on avait été sais de la proposition des 21 ; et je dis maintenant, comme précédemment, que cette proposition n’est pas en délibération parce que les auteurs se sont ralliés au projet de la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je propose la question préalable sur la proposition de l’honorable M. Dumortier. (La clôture ! la clôture !)

M. Dumortier – J’ai demandé à dire deux mots. On vient prétendre que ma proposition n’a pas été déposée sur le bureau en temps utile. Mais il s’agit d’une proposition qui a été imprimée et distribuée depuis longtemps et que j’ai déclaré reprendre. (Aux voix ! aux voix !)

- La question préalable demandée sur la proposition de M. Dumortier est mise aux voix et prononcée.


M. le président – La proposition de la section centrale porte le chiffre le plus élevé…

(page 1632) M. Lys – Messieurs, on vote d’abord sur le chiffre le plus élevé quand il s’agit d’accorder des crédits. Il n’en est pas de même ici. Mon amendement a été appuyé, il doit être mis aux voix, et il ne le serait pas si l’on donnait la priorité au projet de la section centrale.

M. Huveners – Messieurs, je voterai pour le projet de la section centrale, mais, si ce projet n’est pas adopté, je voterai pour la proposition de M. Lys. Comment voulez-vous que je me prononce, si l’amendement de M. Lys est mis aux voix le premier ?

M. Smits – La chambre a décidé qu’il y aurait un droit après le prix de 20 fr. Quel sera le chiffre de ce droit ? Quant à moi, j’irai comme je l’ai déclaré, jusqu’au chiffre de la section centrale, bien entendu que je me rallierai à un chiffre inférieur ; mais je désire que la loi ne soit pas définitive ; ainsi, messieurs, pour que je puisse voter avec confiance il faut que je sache si la loi sera temporaire comme je l’ai demandé. Je prie donc la chambre d’accorder la priorité à mon amendement.

- La chambre décide qu’elle votera d’abord sur la proposition de la section centrale.

Il est procédé au vote par appel nominal, sur cette proposition.

74 membres sont présents.

2 s’abstiennent.

46 adoptent.

26 rejettent.

En conséquence, la proposition est adoptée.

Ont voté l’adoption : MM. Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Wallaert, Zoude, Coppieters, d’Anethan, Dechamps, de Corswarem, Biebuyck, de Garcia, de Haerne, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Lejeune, Maertens et Malou.

Ont voté le rejet : MM. Manilius, Meeus, Orts, Osy, Pirmez, Rogier, Sigart, Thyrion, Van Volxem, Verhaegen, Brabant, Cogels, Coghen, David, Dedecker, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Tornaco, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Fleussu, Lange, Lesoinne et Lys.

MM. Smits et Dumortier se sont abstenus.

M. Smits – Je me suis abstenu pour le motif que j’ai indiqué tout à l’heure, ne connaissant pas le sort réservé à mon amendement.

M. Dumortier – Vous savez, messieurs, que je suis très-porté à accorder à l’agriculture une juste protection. Je n’ai pas voulu voter contre la protection proposée parce que c’est une protection ; je n’ai pas voté pour cette protection parce qu’elle ne me semblait pas suffisante.


M. le président – Nous avons maintenant l’amendement de M. Zoude.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il m semble, M. le président, qu’il y a maintenant une question qui se présente tout naturellement : Le paragraphe qui vient d’être voté contiendra-t-il l’indication d’un terme fatal où il cessera d’avoir ses effets ? Cette question est soulevée par l’amendement de M. Smidts, qui tend à faire insérer dans le paragraphe les mots : « jusqu’au 31 octobre 1847. »

M. le président – L’amendement s’applique à tout l’article.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Pardon, M. le président ; le terme ne s’appliquerait qu’au droit. La fixation de mercuriales serait permanente ; les paragraphes suivants de l’article seraient permanents. Ce n’est que le droit qui viendrait à cesser à l’expiration du terme indiqué par l’honorable M. Smits.

- L’amendement de M. Smits est mis aux voix ; il n’est pas adopté.


M. le président – Nous avons maintenant l’amendement de M. Zoude.

M. Lys – Il y a une partie de mon amendement qui doit être mise aux voix ; c’est celle où je propose de réduire le droit à 25 francs lorsque le pris du froment est de 18 à 20 francs.

Plusieurs membres – C’est écarté.

M. Lys – Ce n’est pas écarté.

M. le président – C’est écarté par le vote de la proposition de la section centrale.

M. Lys – La proposition de la section centrale n’est applicable que lorsque le prix du froment est de 20 à 24 fr. ; ma proposition s’appliquerait que le prix est de 18 à 20 francs. (Aux voix ! aux voix !)

- L’amendement de M. Zoude est mis aux voix et adopté.


M. le président – Je mettrai maintenant aux voix l’article additionnel proposé par M. de La Coste. M. de La Coste a déclaré se rallier au sous-amendement de M. Manilius.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je m’y rallie également.

- La proposition de M. de La Coste, sous-amendée par M. Manilius, est mise aux voix et adoptée.


M. le président – Nous avons maintenant l’amendement de M. Dumortier d’après lequel le taux moyen devrait s’être maintenu pendant quatre semaines pour que la loi fût applicable.

M. le ministre se rallie-t-il à cet amendement ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Non, M. le président.

- L’amendement est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

Second vote des articles et votes sur l'ensemble du projet

M. le président – Il y a eu un amendement ; veut-on renvoyer le vote définitif à une autre séance ?

Plusieurs membres – Non ! non !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il n’y a pas d’amendement dans l’art. 1er. Quant à l’article 2, c’est une addition sur laquelle nous sommes tous d’accord.

M. Verhaegen – Messieurs, il y a quelques-uns de nos amis qui ont quitté la salle ne croyant pas qu’on voterait aujourd’hui sur l’ensemble de la loi. (Interruption.) Il y a un amendement, vous aurez beau dire, beau faire, l’article 2 est un amendement, et nous avons le droit d’exiger que le vote définitif soit renvoyé à une autre séance.

M. le président – Je vais consulter la chambre.

M. Delehaye – On ne peut pas mettre aux voix l’exécution du règlement. (Aux voix ! aux voix !)

- La chambre décide qu’elle procédera immédiatement au vote définitif.


Il est procédé au vote par l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi.

Voici le résultat de cette opération :

72 membres répondent à l’appel nominal.

46 répondent oui.

26 répondent non.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Wallaert, Zoude, Coppieters, d’Anethan, Dechamps, de Corswarem, Biebuyck, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Dubus (aîné), Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Lejeune, Maertens et Malou.

Ont répondu non : MM. Manilius, Meeus, Orts, Osy, Pirmez, Rogier, Sigart, Simons, Thyrion, Van Volxem, Verhaegen, Brabant, Cogels, Coghen, David, Dedecker, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Tornaco, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Fleussu, Lange, Lesoinne, Lys et d’Hoffschmidt.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je pense qu’il serait indispensable que la chambre ait deux séances par jour. J’annonce que j’en ferai la proposition demain.

Une voix – A quelle heure la séance de demain ?

Des membres – A midi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – A 11 heures.

M. Delfosse – Je m’oppose à ce que la séance ait lieu à 11 heures, je demande qu’elle soit fixée à midi. Les ministres demandent que la séance soit fixée à 11 heures, nous arrivons à 11 heures, nous sommes à notre poste, et MM. les minitres n’arrivent qu’à 11 heures et demie.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’étais présent à 11 heures.

M. Delfosse – Vos collègues n’y étaient pas, et c’est se jouer de nous que de demander qu’on se réunisse à 11 heures et puis de nous faire attendre pendant une demi-heure. Je ne m’oppose pas à ce que la chambre se réunisse à 11 heures, mais il faut que les ministres prennent l’engagement de se trouver à leur poste à cette heure.

M. Verhaegen – Nous sommes ici depuis 11 heures et il est maintenu 5 ¾ heures. Si vous voulez, outre cela, une séance du soir, MM. les questeurs devront appeler des sténographes supplémentaires, car il est impossible que MM ; les sténographes en exercice continuent de nous donner leurs soin sans succomber à l’œuvre.

- La chambre n’est plus en nombre.

La séance est levée à 5 heures ¾.