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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 23 mai 1844
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition relative à l’impôt sur le tabac (Lejeune),
au droit d’entrée sur le cuivre (Scheyven)
2) Projet de loi accordant des crédits
supplémentaires au budget du département de l’intérieur
3) Conclusions de la commission
d’enquête parlementaire (commission « de Foere ») et système des droits
différentiels. Politique commerciale du gouvernement. Marchandises en provenant
des entrepôts intermédiaires (notamment des Etats-Unis) (Delfosse,
Nothomb, Cogels, Delfosse, Nothomb, Osy,
Nothomb, Rogier, Nothomb, Rogier, (+péage sur
l’Escaut) Nothomb, Cogels,
(+péage sur l’Escaut) Nothomb, Rogier,
Nothomb, Cogels, (+péage sur
l’Escaut) (Pirmez, Nothomb, Rodenbach, Nothomb, Pirmez, Nothomb, Mercier, de Brouckere, Smits, Delfosse, Nothomb, Osy, Rogier,
Nothomb), Delfosse, Nothomb, Delfosse, Nothomb), marchandises en provenant des entrepôts
européens, navigation de la Meuse, droit sur le café (Nothomb,
Osy, Nothomb, Delfosse,
Mast de Vries, Nothomb, Delfosse, Delfosse, Cogels, Nothomb, Fleussu, de Brouckere,
(+industrie cotonnière (+impôt sur le sel) Delehaye, Nothomb, Osy, (+répression de la
fraude douanière) Nothomb, Osy), Delfosse, (+répression de la fraude douanière) Delehaye, Nothomb, Desmet, ((impôt sur le sel) Lys), Rogier, Nothomb, Delfosse, Nothomb, Delfosse, Desmet, Delehaye, Nothomb), discussion
du tarif (Nothomb), Moniteur belge (David,
Nothomb, Vilain XIIII),
entrepôts flottants (de Haerne,
Nothomb), proposition d’ajournement (Lesoinne, Nothomb, Cogels, de Haerne,
Nothomb, Verhaegen, de Haerne, Nothomb,
Coghen, Nothomb, Cogels, Verhaegen, Nothomb, Desmaisières, Nothomb)
(Moniteur
belge n°145, du 24 mai 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M.
Huveners fait l’appel
nominal à midi et un quart.
M.
Scheyven lit le
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M.
Huveners présente
l’analyse des pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Grégoire Gauchin,
capitaine de première classe au régiment d’élite, né à Paris, demande la grande
naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les fabricants et débitants de tabac à Eecloo demandent le rejet du projet de loi sur les tabacs
présenté par la section centrale. »
M.
Lejeune. - Messieurs,
le rapport de la section centrale sur le projet de loi sur le tabac, ayant été
imprimé, je ne serais plus recevable à proposer le renvoi de cette pétition à
la section centrale.
Je me borne donc à demander le dépôt de la
pétition sur le bureau pendant la discussion du projet.
« Les sieurs Cornélis,
Van Cannaert d’Hamale et Capouillet, négociants en cuivre, prient la chambre de
rejeter toute majoration de droits d’entrée sur le cuivre rouge en plaques et
sur le cuivre rouge et jaune battu et laminé. »
- Sur la proposition de M. Scheyven, dépôt sur le bureau pendant
la discussion des conclusions de la commission d’enquête commerciale.
_________________________
Il est fait hommage à la chambre par M. Ch. d’Ans,
secrétaire adjoint du cercle médico-chimique et
pharmaceutique de Liége, de 25 exemplaires d’une lettre adressée à cette
assemblée par le chevalier de Le Bidart de Thumaide,
à propos d’un article publié par la Gazette médicale belge. »
- Distribution à MM. les membres de la chambre.
PROJET DE LOI ACCORDANT DES CREDITS
SUPPLEMENTAIRES AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR
M. Savart-Martel, au nom de la section centrale, dépose le
rapport sur un projet de loi accordant des crédits supplémentaires au
département de l’intérieur.
Sur la proposition de M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb),
la chambre met ce projet de loi à l’ordre du jour de samedi prochain, au
commencement de la séance.
CONCLUSIONS
DE
Discussion des questions de principe
Quatrième question : « Pour les provenances transatlantiques,
admettra-t-on pour certains produits et seulement en faveur du pavillon du pays
d’entrepôt, une catégorie intermédiaire entre les lieux de production et les
entrepôts européens ? »
M. le président. - La discussion continue sur la quatrième
question de principe, ainsi conçue :
« 4° Pour les provenances transatlantiques,
admettra-t-on pour certains produits et seulement en faveur du pavillon du pays
d’entrepôt, une catégorie intermédiaire entre les lieux de production et des
entrepôts européens ?
M.
Delfosse. -
Messieurs, il est déplorable que la chambre s’occupe d’un projet de loi aussi
important, en l’absence d’à peu près la moitié de ses membres, et en l’absence
du rapporteur de la commission d’enquête, qui, dit-on, est malade. Hier on a
adopté un principe d’une haute portée, on a adopté le principe de
l’assimilation des navires des pays de production, par arrêté royal ; c’est là
un principe qui est contraire au projet de la commission d’enquête ; eh bien,
la commission, à cause de l’absence de l’honorable abbé de Foere, n’a pas trouvé
un seul défenseur : les autres membres de la commission d’enquête ont gardé le
silence ; ils ont en quelques sorte abandonné leur projet. Je suis bien
convaincu que si M. le rapporteur avait été présent, il aurait défendu le
principe de la commission avec beaucoup d’énergie. Je ne ferai pas de
proposition, je sais qu’elle n’aurait pas de chance de succès ; mais je puis
protester contre la marche qui est suivie. Tout ce qui se passe, prouve que
nous avions raison de demander l’ajournement.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je regrette infiniment l’absence de
M. le rapporteur de la commission d’enquête, je la regrette surtout, parce
qu’elle a pour cause une maladie ; mais je ne pense pas qu’il soit possible
pour cela d’arrêter le cours de la discussion, et qu’il soit permis de
qualifier de déplorables des décisions prises par la chambre dûment constituée.
La question qui a été décidée hier, l’a été, il est vrai, sans discussion, mais
on se rappellera que deux fois déjà il y a eu un débat entre M. le rapporteur
et moi, une fois en comité secret et une seconde fois en séance publique. (C’est vrai !)
Messieurs, la décision qui a été prise
hier, qu’on la qualifie de déplorable ou non, cette décision subsiste.
M.
Delfosse. - C’est la
marche suivie en cette circonstance, et non la décision prise hier, que j’ai
qualifiée de déplorable.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette marche, on ne peut pas l’attribuer aux
membres présents, ces membres remplissent leur devoir.
M. Cogels. - Messieurs, l’honorable M. Delfosse a paru
étonné de ce qu’aucun membre de la commission d’enquête n’ait défendu l’ouvrage
de cette commission. C’est une erreur. Dans le point qui a été décidé hier, la
commission était d’accord avec le gouvernement. Seulement dans la rédaction de
son projet, il y avait un vice : c’est qu’il donnait au gouvernement
l’autorisation de conclure des traités de réciprocité, autorisation qui lui est
conférée par la constitution ; on donnait à entendre, dans le projet, que le
gouvernement serait dispensé, après cela, de soumettre à la sanction des
chambres les traités à faire. Si on veut se donner la peine de lire l’article 2
du projet de la commission, on verra que son intention était d’autoriser le
gouvernement à accorder l’assimilation, sans devoir en référer aux chambres. Il
était beaucoup plus conforme à l’esprit de notre constitution d’accorder cette
assimilation par arrêté royal.
M. Delfosse. - Comment l’honorable M. Cogels peut-il dire que
la commission était d’accord sur ce point avec le gouvernement ? La commission
proposait d’autoriser le gouvernement à conclure de traités, tandis que le
gouvernement demandait le droit de prendre la mesure par arrêté royal. Si
l’art. 2 du projet de la commission avait été adopté, les traités conclus par
le gouvernement auraient dû être soumis au chambres, ainsi le veut la
constitution. Je persiste à soutenir que la commission a abandonné hier son
projet.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est que la commission voulait avant tout
l’exclusion des entrepôts et les entrepôts sont restés exclus.
M.
Delfosse. - C’était
un autre point.
M. le
président donne une
nouvelle lecture de la quatrième question de principe. (Voir ci-dessus).
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j’ai exposé hier tous les faits qui
se rattachent à la question des entrepôts transatlantiques. J’ai eu l’honneur
de faire remarquer à la chambre qu’il s’agissait de trois genres d’entrepôts
transatlantiques : entrepôts en-deçà du cap Horn et du cap de Bonne-Esperance
(ports des Etats-Unis), entrepôts au-delà du cap Horn (port de Valparaiso), et
enfin les ports au-delà du cap de Bonne-Esperance (entrepôt de Syngapour). On devrait procéder ainsi, par division, pour
que la question soit mieux comprise, et que le jalon que nous posons maintenant
soit encore mieux connu.
Je proposerai donc la division suivante :
« 1° Admettra-t-on une catégorie intermédiaire
pour certains objets en faveur des entrepôts transatlantiques en-deçà du cap
Horn et du cap de Bonne-Espérance ?
« 2° Admettra-t-on l’assimilation aux
provenances des lieux de production pour certains objets d’au-delà du cap Horn
?
« 3° Admettra-t-on l’assimilation, aux
provenances des lieux de production pour certains objets importés d’au-delà du
cap de Bonne-Espérance ? »
Il n’y a rien là de nouveau, c’est seulement une
rédaction plus claire.
M. le président. - Si personne ne s’oppose à la division proposée
par M. le ministre de l'intérieur, je mets en délibération le paragraphe 1er.
M. Osy. - M. le ministre de l’intérieur, en nous
expliquant hier ce qu’il entendait par les entrepôts des Etats-Unis, et par les
ports situés au-delà du cap Horn et du cap de Bonne-Espérance nous a indiqué
plusieurs articles.
Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur,
s’il entend se restreindre à ces seuls objets, dans la loi, ou s’il entend que
tous les produits transatlantiques, qui se trouveront dans ces entrepôts,
pourront être introduits par assimilation.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je sais gré à l’honorable préopinant de me
faire cette question, parce que j’ai encore une autre explication à donner. La
catégorie intermédiaire et les deux cas d’assimilation ne s’appliqueraient qu’à
des objets spécialement désignés. Voila la réponse que je puis faire à
l’interpellation de l’honorable préopinant. Mais je dois dire une seconde
objection, c’est qu’il n’y a encore rien de définitivement préjugé relativement
à la base de ces objets. Nous pourrions dans la discussion du tarif biffer l’un
ou l’autre tarif.
M. de Brouckere. - Il faudrait pourtant une règle générale.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ce que nous faisons en ce moment. Mais,
je le répète, quand nous en serons aux articles, nous pourrons retreindre ou
étendre la disposition. Il est plus probable qu’on la restreindra mais, dans
tous les cas, il est bien entendu que cette disposition ne s’applique qu’à des objets
désignés d’une manière formelle ; la désignation est donc limitative, comme on
dit.
M. Rogier. - Messieurs, la première question a une grande
importance. Pour bien comprendre tout ce qu’elle renferme, j’aurais besoin de quelques
explications de M. le ministre de l’intérieur.
D’après les propositions du gouvernement, les
marchandises venant des entrepôts transatlantiques seront frappés d’un droit
différentiel intermédiaire entre celui des lieux de provenance et celui des entrepôts
européens.
Mais ce droit intermédiaire sera-t-il seulement
établi en faveur du pavillon national et en faveur du pavillon du pays
d’entrepôt ? En d’autres termes, je demande si le pavillon danois-suédois
important du café des entrepôts des Etats-Unis sera admis au droit
intermédiaire ? Je demande, en outre, si l’assimilation du pavillon des
Etats-Unis aura lieu de plein droit ou en vertu d’un arrêté royal et d’une
déclaration du président des Etats-Unis. Lorsque le gouvernement aura satisfait
à mes questions, je reprendrai la parole pour présenter des observations sur la
portée de cet article.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, pour rendre la chose plus
claire, prenons l’exemple du café. Nous créons une catégorie intermédiaire pour
les pays transatlantiques autres que ceux de production, c’est-à-dire, que des
entrepôts transatlantiques ; le pavillon national apportant du café paiera
11 fr. 50 c., le pavillon étranger paiera 13 fr. 50 c.
Ici, il faut entendre par pavillon étranger le pavillon national du lieu
d’entrepôt. Comme il s’agit des Etats-Unis, la deuxième catégorie s’appliquera
au pavillon américain. Le pavillon américain qui importera des entrepôts
américains du café brésilien, paiera 13 fr 50 c. Le pavillon suédois, le
pavillon danois, le pavillon anglais qui irait dans les entrepôts des
Etats-Unis prendre du café brésilien pour nous l’importer, paierait 13 fr. 50
c. La catégorie intermédiaire ne s’applique donc qu’au pavillon belge et au pavillon
national du lieu d’entrepôt.
L’honorable préopinant a fait une autre question.
Il a demandé de quelle manière se fera l’assimilation ? aura-t-elle
lieu de plein droit ? Il n’y aura pas assimilation. Le pavillon américain
important du café brésilien provenant des entrepôts des Etats-Unis paiera
13,50. Il n’est pas au pouvoir du gouvernement belge de soumettre ce café au
droit de 11,50. Je prévois que l’honorable préopinant va exprimer ses
inquiétudes sur ce point. Le statu quo n’est pas changé quant à l’Amérique. Je
ne partage aucune des inquiétudes que d’honorables membres ont conçues.
Certainement que le gouvernement ne se propose pas
d’assimiler l’importation par pavillon américain des entrepôts américains aux
mêmes importations par pavillon belge. S’il juge à propos de traiter, il le
fera et le traité sera soumis à la chambre. Le droit constitutionnel du
gouvernement pour traiter reste intact.
M.
Rogier. - D’après ce
qui avait été dit dans les discussions antérieures, M. le ministre se proposait
de demander le renouvellement du traité avec les Etats-Unis. Il me semble qu’il
en avait fait la déclaration. Il a même annoncé que les Etats-Unis
consentiraient à traiter sur les trois bases, dont l’une, celle des entrepôts,
a été combattue par l’honorable M. de Foere. Si j’ai bien retenu, M. le
ministre de l’intérieur a soutenu que la Belgique devait se réserver de traiter
sur la triple base et que les Etats-Unis s’opposeraient même à tout traité qui
ne reposerait pas sur la triple base.
D’après le traité qui a été soumis aux chambres,
les marchandises sortant des entrepôts des Etats-Unis, étaient admises en
Belgique sous le pavillon américain aux mêmes droits que les marchandises
sortant de ces entrepôts sous pavillon belge. Il est certain que ce statu quo
va être rompu par votre loi. Hier, M. le ministre a dit que c’était un fort
mauvais moyen d’arriver à un traité que de rompre le statu quo. Cette partie de
la discussion est très importante. Si nous n’admettons pas les marchandises d’entrepôt
américain sous pavillon américain aux mêmes conditions que sous pavillon belge,
voici ce qui arrivera :
Les Etats-Unis n’accepteront pas les marchandises
d’entrepôt belge arrivant sous pavillon belge, aux mêmes conditions que les
marchandises arrivant d’entrepôt belge sous pavillon américain. De cette
manière, les marchandises de transit qui, quoi qu’on dise, doivent former la
base principale de nos opérations commerciales vont se trouver frappées d’un
droit de défaveur quand elles arriveront aux Etats-Unis sous pavillon belge.
Les Etats-Unis importeront les marchandises d’entrepôt belge sous pavillon
américain, ou bien ils iront chercher ces marchandises dans les entrepôts de
Brême, de Hambourg, d’Amsterdam ou de Rotterdam, s’ils les y trouvent à des
conditions plus avantageuses. Il y aura réciprocité de faveur ou de défaveur.
Notre législation doit avoir pour résultat
d’encourager le transit Que serait ce que le commerce de la Belgique réduit aux
objets de consommation ? que serait-ce qu’un commerce réduit aux objets de
consommation de 4 millions d’habitants, en admettant même, comme on le dit,
qu’ils consomment comme huit ? Ce n’est que par le transit que nous pouvons
donnera notre commerce toute l’extension que nous désirons lui voir prendre. Par
cette restriction il est évident que vous menacez fortement votre commerce de
transit. Ce serait déjà une très grande restriction apportée au commerce de
transit que de ne pas continuer le statu quo. Quel est l’état des choses
aujourd’hui ? Les marchandises arrivant des entrepôts des Etats-Unis, le sucre,
le café, sont admis aux mêmes droits que quand elles arrivent des lieux de
production. Voilà l’état de choses actuel. Par une première restriction, la loi
frapperait d’un droit différentiel la marchandise sortant d’un entrepôt du pays
dont elle n’est pas originaire.
Il y aurait d’abord à examiner si ce droit
différentiel ne devrait pas être le même pour tout les pavillons ; c’est-à-dire
si les pavillons suédois anglais, belges apportant des marchandises d’entrepôt
des Etats-Unis ne devraient pas être admis aux mêmes conditions.
On veut accorder faveur seulement au pavillon
belge et au pavillon américain, mais avec un droit différentiel encore contre
le pavillon américain et M. le ministre semble s’interdire, au moins il ne
réclame pas la faculté d’admettre le pavillon américain aux mêmes conditions
que le pavillon belge pour les marchandises d’entrepôt. Ces mesures sont
restrictives du transit. On a souvent parlé de représailles, les représailles
se présentent ici naturellement.
Les Etats-Unis vous diront : Vous ne recevez pas
les marchandises d’entrepôt américain aux mêmes conditions par pavillon
américain que par pavillon belge, nous n’acceptons pas vos marchandises
d’entrepôt, c’est-à-dire les marchandises de l’Allemagne passant par la
Belgique, aux mêmes conditions par pavillon belge que par pavillon américain.
Voila le pavillon belge frappé d’une surtaxe en Amérique quand il importera les
marchandises d’entrepôt.
Il importe à l’armateur de pouvoir compléter sa
cargaison au moyen des marchandises venant de la Suisse, de l’Allemagne et
passant par la Belgique. Les droits différentiels auxquels ces marchandises
seraient soumises tomberaient sur le pavillon belge qui ne pourrait plus avoir
le moyen de compléter un chargement. Il a déjà de la peine à lutter. Par la
mesure de réciprocité qui serait prise, le pavillon belge serait exclu du
commerce américain. Ce n’est pas là le résultat que M. le ministre voudrait
atteindre.
Il me semble que l’opinion qu’il a soutenue était
contraire à celle de l’honorable M. de Foere.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.
M.
Rogier. - Vous êtes
donc d’accord avec M. de Foere ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non. J’expliquerai la chose à ma manière.
M.
Rogier. - Dans tous
les cas, j’appellerai l’attention de la chambre sur une question de principe
d’une grande importance d’une haute portée. Il s’agit de savoir si vous voulez
restreindre votre commerce de transit, risquer même de
vous en déposséder au profit des ports de Brême, d’Hambourg ou de Hollande.
Remarquez que dans les ports de Brême, de Hambourg
et de Hollande, qui nous font concurrence pour le transit vers l’Allemagne, les
marchandises venant des pays transatlantiques soit admises à un droit égal,
quel que soit le pavillon qui les importe. Réciproquement les Etats-Unis
admettent à leur consommation les marchandises des entrepôts européens, quel
que soit le pavillon qui les importe. Si vous frappez d’un droit différentiel
le pavillon américain, l’Amérique frappera d’un droit différentiel le pavillon
belge apportant des marchandises d’entrepôt, sans lesquelles un armateur ne
peut souvent compléter sa cargaison.
Nous avons fait des sacrifices immenses pour
favoriser notre commerce de transit. Mettons notre législation en harmonie avec
ce commerce.
Il y a quelque temps que nous avons vu apparaître
dans le Moniteur un projet
établissant un régime très libéral d’entrepôt ; il émanait de l’administration
des finances. Que l’administration soit donc conséquente avec ces principes.
D’après le projet de loi, le café venant d’un
entrepôt des Etats-Unis sous pavillon étranger, autre que le pavillon américain,
sera frappé d’un droit différentiel de 4 fr.
50 c. S’il arrive sous pavillon américain, il sera frappé d’un droit de
2 fr. Les Etats-Unis d’Amérique pourront également frapper nos importations
d’un droit différentiel égal ou plus élevé peut-être. Les marchandises
d’origine allemande, suisse, française, ne vont-elles pas dès lors se détourner
de nos entrepôts ?
Et que deviendra le commerce de transit ?
Nous avons plus d’objets à exporter aux Etats-Unis
par le transit, que les Etats-Unis n’en ont à nous importer par le transit ;
car on s’effraye à tort des importations en Belgique venant des entrepôts des
Etats-Unis. Ces importations ont été en 1843, pour le commerce général : en
café de 187,000 kil , en sucre de 86,000. Ce n’est
donc pas contre des importations pareilles qu’il faut s’armer de dispositions
exagérées.
Si les Etats-Unis viennent à frapper nos
marchandises d’entrepôt d’un droit équivalent ou supérieur à celui dont nous
les frappons, notre perte sera plus considérable ; car les marchandises que
nous envoyons et surtout que nous pouvons y envoyer sont autrement variées,
autrement considérables que celles que les Etats-Unis nous envoient.
Remarquez que lorsqu’il nous vient des Etats-Unis
du sucre ou du café, c’est souvent parce que l’armateur trouve de l’avantage à
les y prendre pour compléter un chargement de coton ou de tabac. Aussi ne nous
en vient-il que des quantités minimes.
Pour empêcher ces quantités insignifiantes
d’arriver en Belgique, il faut se garder de compromettre tout le transit de la
Belgique. Les Etats-Unis pourraient frapper de droits différentiels très élevés
les importations de nos entrepôts.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est inexact.
M.
Rogier. - Est-ce que
M. le ministre de l’intérieur se rend garant des intentions du président des
Etats-Unis ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si l’on ne provoque pas de représailles.
M.
Rogier. - Votre loi les
provoque, puisque le pavillon américain n’est plus admis aux mêmes conditions.
Je sais que le président des Etats-Unis appartient
à cette école de théoriciens, qui considèrent les droits modérés comme une des
conditions d’un bon gouvernement et de la prospérité publique. Je sais que,
dans une proclamation de l’année dernière, cet homme d’Etat s’est prononcé pour
un système de droits modérés. Mais enfin il agira probablement vis-à-vis de la
Belgique comme la Belgique aura agi vis-à-vis des Etats-Unis.
Voilà donc un article où je trouve que le
gouvernement se laisse entraîner trop loin, et où je tâcherai de l’arrêter.
J’avais compris qu’il avait un système contraire à
celui de M. le rapporteur de la commission d’enquête.
J’attendrai les explications de M. le ministre de
l’intérieur.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je croyais m’être clairement expliqué à
plusieurs reprises, dans le comité secret, dans la première séance publique et
dans la séance d’hier. L’honorable membre confond toujours deux choses : ce qui
se fait par proclamation et ce qui se fait par traité. Je me suis servi du mot
proclamation, que nous avons trouvé dans un acte du congrès américain, mot qui
exprime l’idée d’un acte du pouvoir exécutif, qui n’exige, d’une part, aucune
négociation, qui n’est que la constatation d’un fait, et, d’autre part, qui
n’exige pas un référé au pouvoir législatif.
Nous vous avons demandé le pouvoir d’établir la
réciprocité par proclamation, pour deux objets ; en premier lieu les objets du
sol et en second lieu les objets de l’industrie. C’est tout ce que nous vous
demandons à faire par simple proclamation.
Reste un troisième genre d’objets : les
importations d’entrepôt. Ici, nous ne demandons pas le même droit. Mais le
droit constitutionnel du gouvernement reste intact : il négociera, on ne
négociera pas pour ce troisième objet, avec les Etats-Unis d’Amérique, suivant
que les intérêts du pays et les circonstances lui paraîtront l’exiger.
Je prie l’honorable M. Rogier d’être convaincu que
j’ai examiné cette question avec l’attention la plus suivie, et que je ne
crains pas de m’aventurer en ce moment.
Je partage jusqu’à un certain point l’opinion de
l’honorable préopinant que l’on pourrait accepter, dans beaucoup de cas, la
réciprocité pour l’importation des entrepôts, entre autres, quant aux
Etats-Unis d’Amérique. Mais je ne le demande pas, parce que je ne veux pas
jeter au milieu de cette question si difficile une autre question aussi
difficile, et parce que nous avons des ressources vis-à-vis des Etats-Unis pour
obtenir, au moins temporairement, l’admission des produits de nos entrepôts.
J’ai assez indiqué cela hier. Je regrette que l’honorable préopinant n’ait pas
saisi ma pensée. Nous altérons, dit l’honorable préopinant, le statu quo par
rapport aux Etats-Unis.
Il est vrai qu’il y a altération du statu quo ;
mais elle est tout à l’avantage des Etats-Unis. On améliorera leur position.
Les Etats-Unis ne jouissent pas en ce moment de la réciprocité complète ; nous
ne leur avons donné que la remise de la surtaxe de navigation, et de plus, le
remboursement du droit sur l’Escaut ; ils ne jouissent pas de la remise de la
surtaxe de douane, c’est-à-dire qu’ils payent les 10 p. c. Lorsque la loi sera
promulguée, ils jouiront de la remise sur presque tous les objets qu’ils nous
importent ; car les Etats-Unis (l’honorable préopinant l’a reconnu) ne nous
importent, en général, que des matières premières, et, à peu d’exceptions prés,
des produits de leur sol et de leur industrie. Pour ces produits, ils seront
dégrevés par le tarif nouveau de la surtaxe de 10 p. c. C’est ainsi que, pour
le coton, l’Amérique, au lieu de payer 1 fr. 70 c. qu’elle paye en ce moment,
payera un centime.
Je prétends que cet avantage est tel que nous
obtiendrons sans nul doute que la réciprocité pour nous s’étende tout au moins
à ceux des produits de nos entrepôts, qui rentrent dans la réserve faite par
l’article de la législation américaine que j’ai lu hier. Evidemment, tout au
moins pour les produits de l’Allemagne et de la Suisse, nous sommes placés,
comme voie d’écoulement, dans les conditions de cette législation.
Je regrette d’être obligé d’exposer un plan de
négociation que j’avais suffisamment indique hier.
Voici donc notre position vis-à-vis des Etats-Unis
d’Amérique : les importations consistent presque toutes en produits du sol et
de l’industrie des Etats-Unis. Ces importations, à l’avenir, seront dégrevées
de 10 p. c. et de plus, les droits d’entrée seront, à peu d’exceptions près,
complètement annihilés ; il en sera ainsi pour le coton, pour la potasse, pour
les résines, etc.
En outre, nous maintiendrons en faveur de la
marine des Etats-Unis le remboursement du péage sur l’Escaut, remboursement
extrêmement avantageux pour la marine américaine.
Nous demanderons en retour, non pas la réciprocité
de droit (parce que tel n’est pas notre système de négociations) mais plus ;
c’est-à-dire que nous soutenons que si, en retour de la remise de la surtaxe de
10 p. c. sur les produits du sol et de l’industrie et du remboursement du péage
sur l’Escaut, si, en retour de ces deux avantages, les Etats-Unis ne nous
donnaient que la réciprocité de la remise des surtaxes sur les produits de
notre sol et de notre industrie (nous n’importons pas beaucoup), ils ne nous
accorderaient pas assez et nous demanderons en outre qu’il nous soit fait, tout
au moins, application de la réserve que je vous ai fait connaître hier.
Je crois que ce plan de négociation peut réussir.
Je désire que les discussions de cette chambre ne compromettent pas cette
négociation. Je dis ceci sans vouloir le moins du monde blesser l’honorable
préopinant ; mais tout cela se trouve dans mon discours d’hier.
Si nous ne réussissons pas, il nous restera encore
la chance de traiter pour la question réservée des entrepôts, et je suis bien
convaincu que, dans l’intervalle, les Américains ne changeront pas le statu
quo.
M. Smits. - Pourquoi ne pas demander le droit d’assimilation ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne demande pas l’assimilation, parce que je
ne veux pas ajouter cette question aux questions déjà nombreuses que nous avons
à traiter.
Je le répète, je crois que ce plan peut réussir ;
s’il ne réussit pas, il nous restera le droit constitutionnel, si les
circonstances l’exigeaient, de demander par traité la réciprocité pour les
produits des entrepôts. Ce traité serait soumis à la chambre, et, en attendant,
les Etats-Unis maintiendraient l’état de choses actuel, attendu que les
changements qu’on fait à la législation sont tout à leur avantage, et qu’ils
ont encore plus que nous intérêt à maintenir de bons rapports de commerce entre
les deux pays.
M.
Cogels. - Messieurs,
vous vous rappellerez que le motif principal qui a fait ajourner la discussion
du traité conclu avec les Etats-Unis, traité qui est devenu nul maintenant,
c’est la question qui nous occupe et qui rencontrait dans une grande partie de
la chambre, et surtout parmi quelques membres de la commission d’enquête,
beaucoup d’opposition.
Quant à moi, je n’ai jamais attaché à cette
question l’importance qu’on lui donnait. J’ai toujours insisté même pour que
l’on passât outre à la discussion du traité avec les Etats-Unis, parce que je
le regardais comme très favorable, et que j’aurais été fort heureux de nous
voir assurer d’une manière un peu stable tous les avantages qu’il nous
garantissait.
Les importations des entrepôts, ou pour mieux dire
des magasins des Etats-Unis (car il n’y a pas d’entrepôt proprement dit aux Etats-Unis),
les importations des produits étrangers au sol ou à l’industrie des Etats-Unis
n’ont lieu que dans des cas exceptionnels. Ce qui nous avait effrayés un peu,
c’est qu’à la suite de la crise de 1837, qui avait forcé les Etats-Unis à faire
argent de tout ce qu’ils avaient sous la main, les importations de ce pays en
produits étrangers à leur sol avaient été un peu plus considérables. Mais
depuis lors, elles sont devenues insignifiantes, et c’est parce qu’elles sont
devenues insignifiantes, que les Etats-Unis probablement n’y tiendront pas et
ne dérogeront pas, vis-à- vis de la Belgique, à un système qui est généralement
adopté par eux : c’est celui d’admettre comme produits du sol ou de l’industrie
d’un pays les produits de tous les pays du continent qui se trouvent placés
derrière lui, et qui doivent nécessairement faire usage de son territoire pour
l’écoulement de leurs produits vers les régions transatlantiques.
La Belgique sera placée du reste en ce cas
vis-à-vis des Etats-Unis dans la même position où se trouve l’Angleterre.
L’Angleterre, autrefois, avait des mesures extrêmement restrictives,
c’est-à-dire qu’elle n’admettait les produits transatlantiques que par ses
propres navires ; cite n’admettait pas même, par les navires américains, les produits
des Etats-Unis.
Les Etats-Unis ont frappé alors les produits
anglais d’une surtaxe de 10 p. c. et la navigation d’une surcharge d’un dollar
par tonneau ; et c’est pour faire cesser cet état de choses que l’Angleterre à
conclu enfin le traité de réciprocité de 1815 avec les Etats-Unis, par lequel
il y a une assimilation parfaite entre la navigation des deux nations, mais
seulement pour le produits de leur sol et de leur industrie. Les articles
d’entrepôt n’y sont pas compris non plus ; l’Angleterre les a seulement étendus
à sa propre navigation, non pas pour les Etats-Unis, mais seulement pour les
régions de l’Amérique du Sud. Je ne crois donc pas qu’effectivement nous
courrions de grands dangers d’adopter la proposition du gouvernement ; et si
l’on devait discuter la question des entrepôts transatlantiques, que je
voudrais voir cependant résoudre finalement dans le sens indiqué par
l’honorable M. Rogier, cela pourrait peut-être apporter de grandes entraves à
la solution de la question en général.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il faut toujours s’attacher aux
faits. En 1842, les Etats-Unis d’Amérique ont importé en Belgique pour 21,500,000 fr. de produits (page 43 du tableau général). Sur
ces 21,500,000 fr. de produits, il y avait pour
19,753,263 fr. de matières premières, produits du sol des Etats-Unis. Comment
ces 19,753,263 fr. d’importations américaines
ont-elles été traitées ? Elles ont payé les 10 pour cent. Eh bien ! elles vont être dégrevées de ces 10 pour cent. N’est-ce pas
là un bienfait en quelque sorte de la nouvelle législation que nous allons
adopter à l’égard des Etats-Unis ?
Je ne parle pas, messieurs, de tous les autres avantages.
Je veux seulement dissiper les inquiétudes que l’on exprime ici.
Je sais que sur 21,500,000
fr. d’importations des Etats-Unis, il y a pour près de 20 millions de produits
du sol et de l’industrie ; et ces 20 millions, on ne saurait trop le répéter,
et surtout on ne saurait assez le répéter au gouvernement des Etats-Unis, ont
supporté 10 pour cent de plus que les importations par navires belges. II y
aura remise de ces 10 pour cent.
Nous allons même beaucoup plus loin : Il ne s’agit
plus d’une remise de 10 p. c. ; il s’agit de droits différentiels beaucoup plus
élevés, et par conséquent de remises bien autrement importantes, puisque de
fait, par exemple, pour les articles déjà cités, nous annihilons complètement
les droits d’entrée, et pour le pavillon américain et pour le pavillon belge.
Je conçois, par exemple, que la remise de la
surtaxe sur le coton frappé d’un droit de 1 fr. 70 c., et qui, par conséquent,
ne s’élevait qu’à 17 centimes, n’était pas très considérable ; mais elle est
considérable pour beaucoup d’autres articles frappes de droits plus élevés, et
de plus, comme on vient de le dire, pour d’autres, ce n’est plus une simple
remise de 10 p. c., c’est une suppression complète du droit. De sorte qu’il a
réellement changement dans le statu quo, mais changement au profit des
Etats-Unis, la presque totalité de leurs importations en Belgique devant
désormais être affranchie de toute surtaxe et même de tout droit.
L’honorable M. Rogier me demandait tout à
l’heure : Que feriez-vous si les Etats-Unis vous frappaient ? Ce que nous
aurions à faire est extrêmement simple ; je crois que nous l’avons déjà fait
une fois en premier lieu. Nous ne rembourserions plus le péage sur l’Escaut, et
en second lieu, nous cesserions d’assimiler leurs navires aux nôtres pour les
droits de navigation ; et en troisième lieu nous avons une arme nouvelle, les
produis américains paieraient les surtaxes sur des importations de 20 millions.
Je crois, messieurs, que le gouvernement, des
Etats-Unis nous saura gré de la nouvelle législation et je suis sans inquiétude
par rapport à ce pays.
Voilà les faits dans leur réalité ; et je le
répète, si tout à l’heure un mot de moi a blessé l’honorable M. Rogier, c’est
contre mon intention.
M.
Rogier. - Je n’ai
rien vu de blessant dans ce qu’a dit tout à l’heure l’honorable ministre de
l’intérieur ; car s’il y avait eu quelque chose de blessant dans son discours,
c’est contre lui-même qu’il aurait parlé. M. le ministre nous a rappelé, en
effet, qu’il avait exposé dans la séance d’hier son système de négociation.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pas aussi clairement.
M.
Rogier. - Par
conséquent, ce qu’on pourrait dire aujourd’hui ne serait pas de nature à
compromettre ce système de négociation. Je ne saurais croire que M. le ministre
chercherait à excuser un échec éventuel dans ses négociations, en l’attribuant,
à des paroles qui seraient échappées à un membre de cette assemblée.
Messieurs, il paraît que l’on veut réserver la
question de transit pour un traité particulier. Si cela est, je trouve qu’on a
recours à un moyen étrange pour entamer des négociations. M. le ministre de
l’intérieur vient de nous dire qu’il n’y a rien à craindre des Etats-Unis ; car
la loi actuelle leur procure d’immenses avantages. Les Etats-Unis vont être
dégrevés de la surtaxe de 10 p. c. qu’ils ont payée sur les 20 millions de
produits qu’ils ont importés en Belgique. Il me semble, messieurs, que si l’on
veut amener les Etats-Unis à faire un traité qui nous soit favorable, on ne
devrait pas commencer par leur accorder d’aussi grands avantages sans
compensation.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ce qu’on ne fera pas non plus.
M.
Rogier. - Je prie M.
le ministre de l’intérieur de se rappeler ce qu’il nous a dit hier ; il nous a
dit que le lendemain de la promulgation de la loi il y aurait une déclaration
du gouvernement qui assimilerait le pavillon des Etats-Unis au pavillon belge,
quant aux produits du sol et de l’industrie. Il ne s’agissait nullement hier de
négocier avant de faire la déclaration. Si on réservait les grands avantages
dont on vient de parler pour arrivera un traité, je n’aurais plus rien à dire.
Mais d’après ce qui avait été dit et, d’après ce qui vient d’être dit encore,
il ne s’agirait de traiter avec les Etats-Unis que sur la base des entrepôts.
Or il résulte des chiffres et des faits que M. le
ministre vient de nous rappeler (et je suis aussi partisan des faits) que les
Etats-Unis sont grandement intéressés dans leurs relations avec la Belgique,
quant à leurs produits nationaux, mais que pour les entrepôts, ils ne le sont
que faiblement puisque sur 221 millions, leurs marchandises d’entrepôt ne
figureraient que pour 2 millions.
Aussi l’intérêt des Etats-Unis me paraît bien
moindre dans la question des entrepôts que l’intérêt de la Belgique. Ce n’est
qu’accidentellement que les Etats-Unis transitent des marchandises vers la
Belgique, tandis que le transit de la Belgique vers les Etats-Unis doit
constituer une très grande part de ses opérations commerciales
transatlantiques. Si cela n’était pas vrai, il ne fallait pas faire votre
chemin de fer. Il ne fallait pas faire de grands sacrifices pécuniaires
vis-à-vis de la Hollande pour affranchir les eaux intérieures ; il ne fallait
pas réduire vos péages, il ne fallait même pas rembourser le péage de l’Escaut.
En résumé, que veut M. le ministre de l’intérieur
? Veut-il simplement faire un traité sur la base des entrepôts ? Mais pourquoi
réserver pour un traité spécial cette question d’un intérêt relativement
insignifiant pour les Etats-Unis ?
Y a-t-il quelque raison particulière pour en agir
ainsi ? S’il en existe, qu’on ne puisse communiquer en séance publique, eh
bien, qu’on demande un comité général, et qu’on nous y expose la politique
commerciale qu’on veut suivre. Mais, franchement, je ne vois pas quelle raison
d’Etat pourrait empêcher de poser dès maintenant vis-à-vis des Etats Unis la
réciprocité d’entrepôts, comme nous avons posé la réciprocité de provenance.
M. le ministre de l’intérieur, et après
lui l’honorable M. Cogels, se sont portés caution, vis-à-vis de la Belgique,
que les Etats-Unis ne prendraient pas des mesures de représailles, quant aux
marchandises sortant d’entrepôts belges ; je le désire ainsi ; mais l’on sait
que la législation américaine donne au gouvernement le moyen de frapper de
représailles le pavillon du pays où le pavillon américain n’est pas
favorablement traité ; les Etats-Unis ont usé de ce moyen à diverses reprises,
et assez récemment encore vis-à-vis du pavillon de la Belgique. Une pareille
mesure pourrait avoir les conséquences les plus graves. Si vous détourniez le
transit de la Belgique pour un an seulement, vous entraîneriez des pertes
difficiles à réparer. Il faut, au contraire, par tous les moyens, et le plus
tôt possible, attirer le transit en Belgique. Le chemin de fer est achevé. L’on
a attendu avec impatience l’achèvement de cette voie de transit ; favorisons
donc, par notre législation internationale, le transit ; n’y mettons pas des
entraves par nous-mêmes ; ne nous exposons pas à ce que les nations
transatlantiques aillent chercher dans les ports rivaux les marchandises qui
doivent transiter par notre pays.
Le gouvernement peut-il donner à la chambre
l’assurance que les Etats-Unis continueront à recevoir les marchandises
transitées par la Belgique aux mêmes conditions que les marchandises venant des
entrepôts de Hollande ou d’Allemagne ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant nous demande si nous
avons la certitude que le gouvernement américain ne se croira pas autorisé à user de représailles contre nous, et notamment à
frapper les importations de nos entrepôts ? Je crois pouvoir répondre : Rien
n’est plus improbable que cette conduite des Etats-Unis, et j’ai le passé pour
garant de l’avenir. J’ai dit tout à l’heure qu’il est un fait dont on ne tient
pas compte, c’est que les Etats-Unis ne sont pas en ce moment affranchis de
toute surtaxe en Belgique : ils sont frappés de la surtaxe des 10 p. c. ; ils ne le sont pas pour quelques objets insignifiants,
ils le sont pour la presque totalité de leurs importations : 20 millions à peu
près sur 21,500,000 fr. Les Etats-Unis n’ont pas pense cependant qu’ils
devraient user de représailles envers nous ; le fait leur est connu ; les
Etats-Unis sont frappés en Belgique d’un droit différentiel, et nous ne le
sommes pas chez eux ; et pourquoi ne le sommes-nous, pas ? Pour une raison bien
simple ; c’est qu’aux Etats-Unis, on n’a pas cette doctrine de la réciprocité
de droit, on tient compte de la réciprocité de fait : ce que les hommes
positifs doivent toujours faire, et ne pas s’arrêter à une vague et abstraite
réciprocité de droit.
Qu’est-ce que le président des Etats-Unis aura à
examiner, quand ce nouvel état de choses lui sera connu ? Il examinera si de
fait les Etats-Unis perdent ou gagnent au changement survenu dans le statu quo,
mais rien ne sera plus facile que de démontrer au président des Etats-Unis, que
le changement est tout à l’avantage des Etats-Unis. On lui dira : Vous importez
en Belgique, sur 21 millions et demi de produits, pour 20 millions de produits
de votre sol et de votre industrie, lesquels étaient frappés de 10 p. c. Eh
bien, ces 10 p. c. viennent à disparaître. Le président ne tardera pas à
trouver qu’il y a réciprocité de fait, bien au-delà même de ce qu’il peut
demander.
Voyons nos importations et nos exportations par
rapport à l’Amérique. L’Amérique importe chez nous pour 21 millions 500,000 fr.
et sur ces 21 millions 500,000 fr., 20 millions de matières premières vont être
dégrevés de 10 p. c.
Un membre. - C’est nous qui payons ces 10 p. c.
M. le ministre
de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est évident que ce sont les Etats-Unis qui paient ces 10 p. c. Je
sais parfaitement bien que, d’après les principes de l’économie politique, on
peut prouver qu’en définitive ces 10 p. c. tombent à la charge des consommateurs
; mais là n’est pas la question.
Voyous maintenant nos exportations aux Etats-Unis.
Nous exportons en Amérique (commerce spécial) pour deux millions : ce sont des
produits de notre sol et de notre industrie ; le commerce général s’élève, par
navire belge, à 2,300,000 fr. En présence d’une
importation de produits belges aussi minime, les Etats-Unis croiront-ils que la
réciprocité de fait n’existe plus à leur profit ?
L’honorable préopinant confond toujours
deux choses : ce que nous ferons par proclamation, et ce que nous ferons
peut-être en désespoir de cause, par traité. Si les Etats-Unis nous refusaient
l’admission des produits de notre transit, alors nous ouvririons probablement
une négociation pour arriver à un traité formel ; mais je crois que nous n’en
viendrons pas là ; nous obtiendrons ce que veut l’honorable préopinant à raison
des avantages que nous faisons aux Etats-Unis, nous l’obtiendrons sans devoir
recourir à un traité ; nous ne recourrons à un traité, je le répète, qu’en
désespoir de cause. En attendant, l’arrêté dont a parlé l’honorable préopinant
paraîtra. Je crois que la proclamation faite conditionnellement ne sera pas
repoussée par le gouvernement des Etats-Unis, on acceptera les conditions ; si
on les repoussait, j’ai déjà fait connaître les ressources de notre position ;
nous pourrions suspendre le remboursement du péages de
l’Escaut, suspendre toutes les remises, et laisser retomber sur les produits du
sol et de l’industrie américaine toutes les surtaxes nouvelles.
M. Cogels. - Messieurs, je n’ai nullement entendu me porter
caution, ni des intentions du gouvernement belge, ni de celles du président des
Etats-Unis ; c’eût été de ma part un acte fort présomptueux, et certes je ne
m’y serais pas aventurer. Mais j’ai parlé des probabilités, et j’ai parlé de
l’intérêt qu’avaient les Etats-Unis à agir ainsi que nous sommes autorisés à
prévoir qu’ils agiront. J’ajouterai deux mots : c’est que nous accorderons
maintenant aux Etats-Unis un avantage dont ils ne jouissaient pas auparavant.
Le pavillon des Etats-Unis obtiendra une faveur sur le pavillon suédois, sur le
pavillon du Nord qui à présent est admis dans nos ports aux mêmes conditions
que le pavillon américain, et qui lui fait une certaine concurrence. Cette
faveur n’est pas insignifiante.
M. Pirmez. - Messieurs, je viens d’entendre dire qu’on se
proposerait de faire entrer dans les traités la question du remboursement du
péage de l’Escaut. Il me paraît qu’il y aurait assez de danger à faire entrer
le remboursement de l’Escaut dans les traités. Les idées sont changées du tout
au tout, depuis que nous avons voté le remboursement de l’Escaut. Le
remboursement de l’Escaut est bien l’idée la plus anti-différentielle qui
puisse jamais exister. Nous payons, quant à l’Escaut, une espèce de tribut à la
Hollande. Or, sous l’influence d’idées toutes différentes de celles qui
dominent aujourd’hui, nous avons consenti à rembourser le péage même aux sujets
de la puissance à laquelle nous payons le tribut ; nous avons consenti à
favoriser l’entrée de tous les navires du monde dans le port d’Anvers, au moyen
du remboursement du péage de l’Escaut. Et maintenant, je le répète, après avoir
posé l’acte le plus anti-différentiel qu’un peuple puisse faire, nous sommes
aujourd’hui dans des idées toutes contraires. Il sera vraiment curieux de voir
par quels sophismes on viendra prouver que les droits différentiels ne sont pas
une contradiction avec le remboursement du péage de l’Escaut.
Sans doute nous modifierons encore nos idées
davantage ; il ne faut pas nous mettre dans l’impossibilité de revenir sur ce
que nous avons fait et de dégrever le contribuable, qui n’a été chargé de ce
remboursement que pour atteindre un but que vous repoussez aujourd’hui. Ce que
vous faites aujourd’hui est justement le contraire de ce que vous faisiez
alors. Je pense que nous ne devrions pas faire entrer ce remboursement du péage
de l’Escaut dans les traités ; car, quand les traités seront faits il vous sera
plus difficile d’abolir ce remboursement de péage que maintenant que nous
sommes libres.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est une nouvelle question qu’on veut introduire
dans cette discussion déjà si compliquée. Je dirai que je ne regarde pas la
mesure prise pour le remboursement du péage de l’Escaut, comme étant en
principe contraire au système des droits différentiels. Si la question était
l’objet d’un débat, il me serait facile de prouver ce que j’avance.
Il s’est agi de faire d’Anvers un véritable port
de mer. Si le remboursement du péage sur l’Escaut n’existe pas, Anvers n’est
plus un port de mer véritable, c’est un port intérieur.
Il me suffit de faire cette observation comme
réserve dans l’avenir. Quand la question se présentera, je dirai que je ne suis
pas d’avis que le remboursement doive être accordé sans condition à toutes les
nations indistinctement. Je crois que, quand on peut obtenir un avantage en retour,
on fait bien de le demander et de l’accepter. C’est ainsi qu’on a obtenu des
conditions favorables du Hanovre, du Danemarck et
même de la Suède. On a suspendu le paiement de la restitution du droit sur
l’Escaut, et le Hanovre s’est empressé de faire un traité avec la Belgique. Je
crois qu’on ne s’exposerait à aucun reproche de la part de la chambre si on
demandait aux Etats-Unis un avantage en retour du remboursement du péage sur
l’Escaut.
Cet avantage consisterait dans l’admission
des produits des pays limitrophes de la Belgique, qui, habituellement,
naturellement, empruntent le passage par la Belgique. Voilà l’avantage que nous
sommes fondés à demander en présence de la législation américaine même, et que
je crois que nous obtiendrons sans aucune difficulté.
Que deviendront les stipulations, si la loi du
remboursement du péage sur l’Escaut est révoquée ? Les engagements pris
tomberaient. Le gouvernement ne traitera qu’avec les pouvoirs dont il sera
investi. Le pouvoir législatif reste libre et intact en Belgique.
M. Rodenbach. - J’ai demandé la parole pour répondre quelques
mots à l’honorable M. Pirmez. A la fin de la loi, nous devrons examiner si nous
devons continuer à rembourser le droit sur l’Escaut ; car c’est là un droit
différentiel. Actuellement nous remboursons le péage sur l’Escaut même aux
nations qui ne nous reçoivent pas sur un pied favorable. Je pense qu’il y a là
duperie. Le remboursement du péage sur l’Escaut doit servir pour établir les
droits différentiels. Cette question, je me propose de la soulever à la fin de
la discussion. J’y reviendrai quand le moment opportun sera venu. Nous devons
savoir à qui nous remboursons le péage sur l’Escaut.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce remboursement doit nous servir comme moyen
de négociation. On n’a peut-être pas assez usé de ce moyen.
M. Pirmez. - Ce moyen de négociation, c’est le contribuable
qui vous le donne. Si on veut de semblables moyens de négociations, il est
facile de se les procurer en établissant des contributions.
J’espère qu’on discutera cette question ;
nous verrons comment Anvers est un port de mer quand ou rembourse le péage de
l’Escaut, et cesse de l’être quand on ne rembourse pas ce péage. Anvers est
située à 15 ou 20 lieues de la mer ; pour y arriver, il faut donner à la
Hollande une certaine somme par tonneau ; si le remboursement n’avait pas lieu,
ce seraient les autres nations qui le paieraient. Je ne comprends pas comment c’est
ce remboursement qui fait qu’Anvers est ou n’est pas un port de mer.
Jusqu’à présent il est certain que nous disons et
faisons tout le contraire de ce que nous avons dit et fait quand il s’est agi
du remboursement de l’Escaut. J’ai appuyé le remboursement, mais c’était dans
des idées anti-différentielles, c’est-à-dire contraires à celles qui dominent
aujourd’hui. Maintenir aujourd’hui ce remboursement, soutenir la même chose
dans un autre ordre d’idées, serait dire blanc et noir en même temps.
Je pense que M le ministre, en se prononçant pour
le remboursement du péage de l’Escaut, s’est exprimé de la même manière que
moi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai jamais repoussé l’idée qu’on
pourrait stipuler des avantages en retour du remboursement du péage sur
l’Escaut.
M. le ministre des finances (M.
Mercier) -
L’honorable préopinant demande comment Anvers cesserait d’être un port de mer
si on ne remboursait plus le péage sur l’Escaut. Voici pourquoi : c’est qu’il y
a cette différence entre le péage sur l’Escaut et le droit différentiel, le
droit différentiel ne porte que sur les objets de consommation, tandis que le
péage sur l’Escaut porte et sur les objets de consommation et sur le commerce
d’entrepôt, sur tout ce qui n’est pas consommé en Belgique. Certains objets ne
pourraient pas entrer dans le commerce belge s’ils devaient supporter le péage
établi sur l’Escaut ; ces objets prendraient une autre direction. C’est dans
l’intérêt du commerce belge qu’on rembourse le péage sur l’Escaut.
M. de Brouckere. - Il faut convenir que la discussion soulevée
par l’honorable M. Pirmez est très intéressante, mais aussi qu’elle est sans
opportunité. Nous pourrons nous en occuper ultérieurement. M. le ministre
n’avait pas donné lieu à cette discussion, car il savait bien que le
gouvernement ne peut faire aucun traité sans les chambres. Le gouvernement ne
peut s’engager envers les puissances étrangères que conformément aux pouvoirs
qu’il a entre les mains. Il dépendra toujours du pouvoir législatif de révoquer
la loi relative au remboursement de l’Escaut.
Maintenant je dois faire une observation
en réponse à l’honorable M. Rodenbach, c’est que la loi relative au remboursement
du péage donne au gouvernement le droit de suspendre ce remboursement vis-à-vis
de chaque nation qui prend des mesures contraires à l’intérêt de la Belgique.
Le gouvernement a déjà usé de ce droit, il a suspendu le remboursement du péage
de l’Escaut vis-à-vis du Hanovre et des Etats-Unis, qui un instant avaient pris des mesures tout à
fait contraires à l’intérêt de la Belgique. Qu’ont fait les Etats-Unis ? Ils
sont revenus de cette mesure et ils remboursent les droits qui avaient été
perçus ; de son côté le gouvernement a rétabli les Etats-Unis dans la position
des autres nations, c’est-à-dire qu’il a remboursé les péages de l’Escaut aux
navires des Etats-Unis comme à ceux des autres nations.
M. Smits. - J’ai demande la parole pour faire une
observation à l’honorable M. Pirmez, qui n’est pas grand partisan des droits
différentiels. Je lui dirai que ne pas rembourser le péage sur l’Escaut,
c’était établir un droit différentiel au profit d’Ostende, c’était mettre
Anvers hors du droit commun.
M.
Delfosse. - Je ferai
observer à l’honorable M. Smits que, si le remboursement du péage de l’Escaut
n’avait pas été décidé, on aurait pu prendre des mesures pour assimiler le port
d’Ostende à celui d’Anvers.
L’honorable M. Pirmez a parfaitement
démontré que le remboursement du péage de l’Escaut est une mesure opposée au
système de droits différentiels. Pour les droits différentiels, on fait une
distinction entre les navires belges et les navires étrangers par le
remboursement du péage, on assimile tous les navires. Il est évident qu’il y a
là deux idées qui se heurtent.
On prétend que, si le péage de l’Escaut n’était
pas remboursé, Anvers cesserait d’être un port de mer. Je ne vois pas pourquoi
Anvers cesserait d’être un port de mer parce que le péage de l’Escaut ne serait
pas remboursé. Le gouvernement peut, d’après la loi, suspendre le remboursement
à l’égard des puissances qui prendraient des mesures contraires aux intérêts de
la Belgique. Je suppose que le gouvernement use de ce droit contre plusieurs
puissances, Anvers cesserait-il pour cela d’être un port de mer ? Evidemment
non.
M. le ministre des finances nous dit que le péage
de l’Escaut porte sur le transit comme sur la consommation du pays, et que les
droits différentiels ne porteraient que sur la consommation ; cela prouve
justement qu’au moins en ce qui concerne les objets importés pour la
consommation, il y a opposition entre le remboursement du péage de l’Escaut et
les droits différentiels. La question du péage de l’Escaut se rattache
directement au projet de loi. MM. les députés d’Anvers doivent donc s’attendre
à la voir se reproduire avant le vote définitif.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Voici ce que porte la loi relative au
remboursement du péage sur l’Escaut :
« Toutefois, s’il se présente, l’égard de
l’un des pavillons étrangers, des motifs graves et spéciaux, le gouvernement
est autorisé à suspendre provisoirement, à son égard, l’effet de la présente
loi. »
J’ai pris cette disposition au sérieux. J’ai
toujours pensé que le remboursement du péage de l’Escaut ne devrait pas être
considéré comme tout à fait acquis aux nations étrangères, qu’il fallait
chercher à obtenir d’elles quelque avantage en retour de celui-là.
Si le gouvernement des Etats-Unis
d’Amérique méconnaît la portée de la loi que nous faisons, les avantages qui
résulteront pour l’Amérique de la remise des dix pour cent qui les frappent
aujourd’hui, et du remboursement du péage sur l’Escaut, il y aura des motifs
graves et spéciaux, suffisants pour suspendre, comme on l’a déjà fait une fois,
le remboursement du péage sur l’Escaut.
M. Osy. - Je dirai, en réponse aux honorables
MM. Delfosse et Pirmez, que toutes les marchandises arrivant des pays
transatlantiques, et destinées à l’Allemagne, ne profiteront pas des droits
différentiels parce qu’elles ne paient aucun droit. Si vous faites payer aux
navires étrangers le péage sur l’Escaut, vous frappez le transit ; le chemin de
fer, pour lequel vous avez fait de grandes dépenses, devient sans but. Je ne
concevrais pas que l’on proposât de supprimer le remboursement du péage sur
l’Escaut. Si cette proposition était faite, je suis persuadé qu’elle ne serait pas
accueillie par la chambre.
M.
Rogier. - Ce n’est
pas pour parler du remboursement du péage sur l’Escaut que j’ai demandé la
parole. Nous examinerons ultérieurement cette question, si elle est soulevée.
M. le ministre de l’intérieur a dit qu’il se
proposait de mettre en avant, vis-à-vis des Etats-Unis, le remboursement ou le
non-remboursement du péage sur l’Escaut. S’il y a non-remboursement du péage
sur l’Escaut vis-à-vis des Etats-Unis, nous rentrons dans la proposition qui nous
a été faite par l’honorable député d’Ostende.
L’honorable député d’Ostende nous a proposé la
suppression du remboursement du péage sur l’Escaut (Dénégations de la part de M. Donny.)
Vous avez exprimé cette opinion (Dénégations de la part de M. Donny.)
Permettez : Dans une discussion que l’honorable
député d’Ostende a soutenue contre un honorable député de Gand, il a proposé
d’appliquer à la navigation d’Ostende vers Gand une prime égale au péage sur
l’Escaut, lequel ne serait plus remboursé.
M. Donny. - Me permettez-vous de dire deux mots ?
M. Rogier. - Laissons au surplus de côté l’opinion de
l’honorable députe de Gand.
Mais je demanderai à M. le ministre de l’intérieur
si le remboursement du péage sur l’Escaut n’avait pas lieu, que ferait-il pour
mettre Ostende, Gand et Anvers sur la même ligne ? car
si le remboursement du péage n’a pas lieu, les navires, pour arriver à Anvers
et à Gand, payeront 1 fl. 50 par tonneau, et ce droit n’existera pas pour Ostende.
Nous aurons donc un droit différentiel dans notre propre pays ; or, ce n’est
pas ce que le gouvernement doit vouloir.
J’invite donc M. le ministre de l’intérieur à
consulter, le cas échéant, tous les intérêts du pays, de manière à ne pas
établir des droits différentiels au profit d’un port et au détriment d’un
autre.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant donne une étrange portée
à ma phrase. Il conclut de mes paroles que l’on va supprimer d’une manière
générale le remboursement du péage sur l’Escaut.
M.
Rogier. - Vous l’avez
dit pour les Etats-Unis.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dis que si vous prenez au sérieux la
loi du 6 juin 1839, vous devez admettre la doctrine que j’ai exposée, à savoir
que, dans certains cas, il y a lieu à suspendre le remboursement du péage de
l’Escaut. Vous ne pouvez mettre cela en doute en présence de la disposition de
cette loi, dont j ai donné lecture tout à l’heure.
Je n’ai pas dit que nous n’avions vis-à-vis des
Etats-Unis d’autres armes que la suspension du remboursement du péage sur
l’Escaut. Nous en avons deux autres ; ce serait de laisser le pavillon
américain frappé de toutes les surtaxes de douanes, et de lui appliquer en
outre les surtaxes de navigation. Nous avons donc plusieurs armes ; l’une
n’exclut pas l’autre.
La suspension provisoire du péage de l’Escaut
vis-à-vis des Etats-Unis ne créeraient pas la situation extraordinaire qu’a indiquée
l’honorable préopinant.
D’ailleurs une mesure de ce genre n’est pas
nouvelle ; elle a été prise à l’égard du Hanovre par le ministère de 1840 à
1841 ; ou tout au moins on lui a annoncé qu’on allait suspendre le
remboursement du péage sur l’Escaut. (Interruption.)
N’importe. La disposition que j’ai citée est explicite. La chambre, en
ordonnant le remboursement du péage sur l’Escaut, a entendu ne pas se lier au
point qu’il serait acquis envers et contre tous, quels qu’aient été les motifs
de plainte qu’ait pu donner une puissance étrangère à laquelle s’appliquerait
le bénéfice du remboursement.
Ce que le législateur a décidé par la loi du 6
juin 1839 est assez clair ; la mesure a déjà été prise à l’égard des Etats-Unis
; elle le sera de nouveau, s’il y a lieu. Au reste, le remboursement du péage
sur l’Escaut ne serait suspendu que provisoirement à l’égard des Etats-Unis.
Cette suspension provisoire ne contrariera pas de graves intérêts dans le pays.
Elle tendrait à rétablir de bons rapports commerciaux dans l’intérêt réciproque
des deux Etats.
M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur nous a dit
tantôt que, lorsqu’on aurait pris un arrêté royal assimilant les navires
américains aux nôtres, il en résulterait un grand avantage pour les Etats-Unis
d’Amérique. Ils ont payé jusqu’à présent la surtaxe de 10 pour cent dans les
ports belges. Ils en seront dispensés par suite de l’assimilation, Voilà une
grande faveur tout à fait gratuite ; car qu’obtiendrons-nous en échange ? Rien.
Pourquoi accorder cette faveur aux Etats-Unis sans compensation ? Nous n’avons
pas cette compensation. Vous avez dit tout à l’heure vous-même que les
Etats-Unis se contentent de la réciprocité de fait. Vous avez dit que, bien
qu’ils payent la surtaxe de 10 p.c., ils ne soumettent à aucune surtaxe les
navires belges qui viennent dans leurs ports. Vous allez leur accorder une
faveur gratuite que vous refusez aux autres Etats. Vous avez dans votre
conduite deux poids et deux mesures. C’est ainsi que vous autorisez les
représailles.
Ainsi il y a contradiction palpable dans les
opinions de M. le ministre de l’intérieur. Lorsqu’il s’est agi de justifier le
système des provenances directes, il nous a expliqué pourquoi, dans son
opinion, il y avait utilité à favoriser les provenances directes ; il a dit :
quand nous allons chercher les produits dans les entrepôts, nous faisons
l’échange contre des produits manufactures de l’étranger.
Aujourd’hui en opposition avec ce qu’il a dit
l’autre jour, il veut permettre aux navires américains d’importer en Belgique
le produit de leurs entrepôts. Que résultera-t-il de là ? Que nous ferons
l’échange de nos produits déjà échangés contre des objets manufacturés de
l’étranger. M. le ministre de l’intérieur soutient d’un côté un système, et le
détruit de l’autre. Je voudrais qu’il expliquât cette contradiction, qu’il faut
ajouter à cent autres ; car tout est contradiction dans le langage de M. le
ministre de l’intérieur et dans le projet de loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il n’y a aucune contradiction, Il n’y a
qu’oubli de la part de l’honorable préopinant. Ce que j’ai dit aujourd’hui, je
l’ai dit dès le premier jour. J’ai indiqué tous les cas réels d’assimilation.
J’ai appelé dès le premier jour l’attention de la chambre sur cette catégorie
intermédiaire. Il n’est pas exact de dire que l’importation des entrepôts
américains soit assimilée aux importations de lieux de production. C’est une
catégorie intermédiaire ; que l’honorable préopinant veuille bien le remarquer.
Tout ce que j’ai dit sur les probabilités et les
improbabilités d’exportation subsiste.
Puisque l’on a parlé de contradiction, j’en
citerai une qui vous a frappés tous : le premier orateur que l’on a entendu
trouve que vous ne faites pas assez pour les Etats-Unis ; celui-ci trouve que
l’on fait beaucoup trop. Pour moi, je ne suis ni de l’une, ni de l’autre
opinion. Je dis que l’on prend vis-à-vis des Etats-Unis la position qu’il faut
prendre pour obtenir d’eux ce dont nous avons besoin et ce à quoi nous pouvons
justement prétendre pour obtenir une réciprocité de fait, pour obtenir une
partie des avantages qu’ils trouvent dans leurs relations de commerce avec
nous.
M.
Delfosse. - M. le
ministre de l’intérieur a une singulière manière de raisonner. Il dit qu’il y a
contradiction entre les observations que j’ai faites et celles qui ont été
présentées par l’honorable M. Rogier. Est-ce que je suis responsable des
observations présentées par un autre orateur ?
Cette contradiction n’est d’ailleurs
qu’apparente, il n’est pas exact de dire que je trouve que l’on fait trop pour
les Etats-Unis, alors que l’honorable M. Rogier pense que l’on ne fait pas
assez. Lorsque je dis que l’on fait trop, je raisonne dans le système de M. le
ministre de l’intérieur, et non dans le mien.
M. le ministre de l’intérieur nous dit encore :
qu’il a donné des explications en comité secret. Messieurs, quand nous
invoquons ce qui a été dit en comité secret, M. le ministre de l’intérieur se
récrie : il prétend que nous sommes indiscrets ; il prétend aussi que nos
souvenirs ne sont pas fidèles ; de cette manière M. le ministre a beau jeu, il
invoque le comité secret contre nous, et nous ne pouvons pas l’invoquer contre
lui. La partie n’est pas égale.
Si M. le ministre invoque ce qui a été dit en
comité secret, il faut que nous puissions en faire autant. M. le ministre
devrait faire imprimer ses discours, alors la partie serait égale.
M. le ministre de l’intérieur m’objecte que les
importations des entrepôts américains ne sont pas favorisées à l’égal des
importations des pays de production. Il n’en n’est pas moins vrai que les
importations des entrepôts américains sont favorisées, et que cette faveur est
directement contraire au but du gouvernement. Le but du gouvernement est
d’empêcher l’échange des produits manufacturés de l’étranger contre les denrées
coloniales que l’on importe chez nous ; eh bien, en accordant une faveur aux
entrepôts américains, on facilite l’échange des produits manufacturés des
Etats-Unis contre les denrées du Brésil ou de toute autre contrée
transatlantique.
La contradiction que j’ai reprochée à M. le
ministre de l’intérieur reste donc tout entière.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai dit qu’il fallait faire une catégorie
intermédiaire entre les entrepôts transatlantiques et les importations des
lieux de production d’une part, et d’autre part les entrepôts européens. J’ai
dit pourquoi. J’ai dit qu’il ne fallait pas traiter les importations des
entrepôts transatlantiques aussi bien que les importations des lieux de
production ; mais qu’il ne fallait pas les traiter aussi mal que les
importations d’entrepôts européens ; et j’ai encore expliqué pourquoi. J’ai dit
: Ne traitez pas les importations des entrepôts transatlantiques aussi bien que
les importations des lieux de production, parce que la même probabilité
d’exportation n’existe pas ; mais ne traitez pas les importations des entrepôts
transatlantiques aussi mal que les importations des entrepôts européens, parce
qu’à l’égard des entrepôts transatlantiques la même improbabilité d’exportation
n’existe pas. C’est ce que j’ai dit et répété dans un discours qui se trouve
imprimé au Moniteur. Que l’honorable
membre veuille bien revoir ce que j’ai appelé l’échelle des probabilités et des
improbabilités d’exportation, et il verra que je suis d’accord avec moi-même.
- Personne ne demandant plus la parole, la
discussion est close.
Le 1° de la question de principe posée par M. le
ministre de l’intérieur est résolu affirmativement,
« 2° Admettra-t-on l’assimilation aux
provenances des lieux de production pour certains objets importés d’au-delà du
cap Horn ? »
- Cette question est résolue affirmativement.
« 3° Admettra-t-on l’assimilation aux provenances
des lieux de production pour certains objets importés d’au-delà du cap de
Bonne-Espérance ? »
- Cette question est aussi résolue
affirmativement.
Question des droits différentiels sur les
marchandises importées depuis les entrepôts européens
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, nous venons de résoudre les
questions de principe qui se rattachent aux importations des entrepôts
transatlantiques. Il nous reste à nous occuper des entrepôts européens.
Les entrepôts européens forment la dernière
catégorie qui figure au tarif ; c’est la catégorie qui est la moins bien
traitée.
Les motifs de cette distinction vous ont été
exposés à plusieurs reprises. Cette dernière catégorie est généralement
exprimée au projet sous les mots : importation
d’ailleurs. Il s’agit de bien se fixer sur l’étendue de ces mots : nous
entendons par là les importations d’entrepôts européens, soit par mer, soit par
terre, canaux et rivières. La question de la Meuse se rattache donc à la
question des entrepôts.
L’honorable M. Dumortier est absent, et je le
regrette. Il a posé une question qui se rattache aux intérêts de la Meuse.
Cette question est celle-ci : « La navigation de la Meuse sera-t-elle assimilée
au cabotage ? » Je regrette d’autant plus l’absence de M. Dumortier, qu’il
peut y avoir des doutes sur le sens de cette question. Qu’entend-il par
cabotage ? Probablement l’importation de denrées coloniales des entrepôts
européens, c’est le sens naturel dans l’espèce. Je pense qu’il n’est pas
absolument nécessaire d’entendre l’honorable M. Dumortier, parce que nous avons
une autre proposition faite en faveur de la Meuse, et je me félicite, cette
fois, de voir l’auteur de cette proposition présent. L’honorable M. Mast de
Vries vous a demandé s’il ne fallait pas stipuler des exceptions en faveur de
la Meuse ? Je suppose qu’il développera tout à l’heure sa proposition.
Le principe général, messieurs, est de placer sur
la même ligne tous les entrepôts européens, que ces importations se fassent,
soit par mer, soit par canaux et rivières, soit par terre. Toutefois le projet
fait certaines distinctions relativement aux lieux où se trouvent les entrepôts
européens, et ici nous abordons une question dont on vous a entretenus
plusieurs fois, et sur laquelle j’ai déjà donné des éclaircissements, que je
crois devoir reproduire en partie, pour que les faits soient bien connus.
Le tarif propose de faire une distinction
relativement aux lieux où se trouvent les entrepôts européens. Je vais vous
exposer d’abord les motifs de cette distinction.
Nous croyons qu’il faut faire une distinction
quant aux entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique. C’est ce qui est
expliqué dans le projet de loi par les expressions d’importation, soit
d’au-delà du détroit de Gibraltar, soit d’au-delà du Sund.
On propose, quant aux importations d’au-delà du
détroit de Gibraltar, une assimilation aux lieux de production pour certains
articles. Ces articles, les voici. Ils sont épars dans le projet de tarif ; je
les ai réunis ; ils sont au nombre de neuf :
Bois de buis, de cèdre et de gayac ;
Cendres gravelées ;
Cotons en laine, autres que des Indes orientales ;
Fruits ;
Huile d’olive :
Miel ;
Riz, autre que des Indes orientales ;
Soufre brut ;
Sumac.
Voilà pour ce qui concerne les importations
d’au-delà du détroit de Gibraltar. Quant aux importations d’au-delà du Sund, il n’y aurait assimilation aux lieux de production
que pour un seul article, les cendres gravelées.
Il y a une seconde assimilation ; c’est
l’assimilation aux provenances des pays hors d’Europe. Cette assimilation
s’applique, pour les provenances des pays d’au delà du Sund , à trois articles :
Aux chanvres en masse ;
Aux graines ;
Et aux graisses ;
et pour les provenances d’au-delà du détroit de
Gibraltar, à ces trois mêmes articles, et en outre aux cuirs verts ou secs.
Il s’agit principalement, messieurs, dans tous ces
articles qui forment l’objet d’exceptions, de matières premières, et je dois de
nouveau appeler l’attention de la chambre sur cette distinction entre les
matières premières et les autres articles.
Dans les 9 objets d’au-delà du détroit de
Gibraltar auxquels s’applique l’assimilation aux lieux de production, il y en a
7 qui sont des matières premières :
Bois de buis, de cèdre ou de gayac ;
Cendres gravelées ;
Cotons en laines, autres que des Indes orientales
Huile d’olive de fabrique ;
Riz en paille autres que des Indes orientales ;
Soufre brut ;
Sumac.
Vous remarquerez que j’ajoute pour l’huile d’olive
la réserve que c’est l’huile d’olive de fabrique, et pour le riz, que c’est le
riz en paille.
Il y a quatre autres objets qui sont des denrées
de consommation naturelle :
Les fruits ;
L’huile d’olive comestible ;
Le riz pelé ;
Le miel.
Je m’empresse de dire que si l’admission de ces
quatre denrées présentait des difficultés, on pourrait les sacrifier, et n’être
déterminé dans cette question que par le seul intérêt industriel.
Je prie donc les honorables membres qui veulent
bien m’écouter de prendre note, dès à présent, de cette observation, que si
l’on croit simplifier les difficultés en écartant quatre denrées de
consommation naturelle : les fruits, les huiles d’olive comestibles, les riz
pelés et le miel, je n’y verrai pas grand inconvénient.
Il restera alors sept matières premières provenant
d’au-delà du détroit de Gibraltar, et une matière première provenant d’au-delà
du Sund.
Si donc nous écartons les quatre denrées de
consommation dont j’ai parlé tout à l’heure, nous sommes de nouveau dominés
exclusivement par l’intérêt industriel. Il faut faire en sorte que les
industriels belges puissent continuer à recevoir toutes leurs matières
premières de la manière la plus avantageuse, et, s’il est possible, d’une
manière plus avantageuse encore qu’elles ne les reçoivent maintenant.
J’ai dit qu’il fallait surtout s’attacher à la
Méditerranée, parce que si des dispositions spéciales sont admises relativement
à la Méditerranée, les mêmes dispositions seront nécessairement admises pour la
Baltique. Il y a, messieurs, dans la Méditerranée, quatre ports principaux qui
sont des ports francs, ce sont les ports de Marseille, de Gênes, de Livourne et
de Trieste. Nous pensons qu’il est de l’intérêt des industries belges de
pouvoir, sans qu’on ait égard aux lieux de production, recevoir de ces quatre
ports, qui sont les ports principaux de la Méditerranée et de tous les autres
ports de la Méditerranée, recevoir les matières premières que nous avons
indiquées, comme si ces matières premières étaient prises aux lieux de
production. C’est là, messieurs, la portée principale des dispositions
exceptionnelles qui vous sont proposées.
Les motifs que j’ai donnés hier pour appuyer les
exceptions en faveur des entrepôts de Valparaiso et de Syngapore,
ces motifs s’appliquent en majeure partie aux quatre ports de la Méditerranée
que j’ai cités et qui sont devenus des centres d’approvisionnement et
d’écoulement, Il est donc à la fois avantageux pour l’industrie belge de
pouvoir prendre dans ces quatre ports ces matières premières comme si elles
étaient prises aux lieux de production, et avantageux au commerce belge de
pouvoir y porter nos produits industriels qui s’écouleront de là vers tous les
points avec lesquels ces ports ont établi des relations.
Voilà, messieurs, les faits qui se rattachent aux
dispositions qui vous sont soumises. J’attendrai la suite de la discussion et
je répondrai aux observations que je croirai devoir combattre.
M.
Delfosse. -
N’aviez-vous pas dit que vous aviez quelque chose à proposer relativement à la
Meuse ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai simplement dit que ce serait ici
le lieu d’examiner la question de la Meuse, et je crois avoir suffisamment
indiqué comment cette question, soulevée par l’amendement de l’honorable M.
Mast de Vries, se rattache à la question des entrepôts de la Méditerranée et de
la Baltique. Cette dernière question est celle-ci : Fera-t-on, relativement à
certains produits dénommés, une exception en faveur des entrepôts de la
Méditerranée et de la Baltique ?
Eh bien, l’honorable M. Mast de Vries a posé une
autre question, qui doit avoir frappé l’honorable M, Delfosse, et qui est
celle-ci : Fera-t-on une exception quant aux entrepôts, pour certains produits
importés par la Meuse ? Vous voyez, messieurs, que l’exception demandée par
l’honorable M. Mast de Vries se rattache au système des exceptions que j’ai
indiquées tout à l’heure et que j’ai expliquées, exceptions qui concernent les
entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique.
M. Osy. - M. le ministre de
l’intérieur vient de traiter deux questions, la question des entrepôts au-delà
du détroit de Gibraltar, et la question de la Meuse ; il me paraît que nous
ferions mieux de traiter ces deux questions l’une après l’autre, et de
commencer par celle des entrepôts au-delà du détroit de Gibraltar, qui se
trouve renfermée dans la cinquième des questions posées par M. le ministre de
l’intérieur. C’est de cette question seulement que je vais m’occuper.
Je partage tout à fait l’opinion de
l’honorable M. Dumortier, qu’en adoptant le système des droits différentiels,
nous devons avoir soin de mettre toutes les nations sur la même ligne. Or, je
trouve qu’en adoptant la proposition de M. le ministre de l’intérieur, nous
favoriserions certains ports français, les ports autrichiens et les ports de la
Sardaigne, au détriment des ports septentrionaux de la France et des ports
hollandais. Je crois que cette marche n’est pas rationnelle.
M. le ministre de l’intérieur propose notamment de
recevoir les cotons d’Amérique de Marseille aux mêmes conditions que ceux qui
arrivent directement d’Amérique par pavillon étranger, c’est-à-dire au droit de
1 fr. 70 c., tandis que le coton venant du Havre
paierait 2 fr. 25. Voilà donc deux ports français qui ne seraient pas mis sur
la même ligne.
Ensuite, M. le ministre de l’intérieur propose de
recevoir des ports de la Méditerranée entre autres articles, les riz et les
cotons, aux mêmes conditions que s’ils étaient importés directement des lieux
de production par pavillon étranger, tandis qu’on n’accordera pas cette faveur
aux entrepôts de la Hollande.
Vous voyez donc, messieurs, que vous ne mettrez
pas la France, l’Autriche et la Hollande, sur la même ligne. Or, messieurs, je
ne pourrai consentir à l’établissement des droits différentiels que si l’on
traite toutes les puissances de la même manière.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - D’abord, messieurs, je n’admets pas que
l’exception dont il s’agit présente le caractère d’hostilité que lui attribue
l’honorable préopinant, mais une autre observation ne doit pas échapper à la
chambre : s’il était vrai que l’exception eût ce caractère d’hostilité (ce que
je n’admets pas) et si, d’un autre côté, la chambre admettait une exception
quelconque à l’égard de la Meuse, ne pourriez-vous pas trouver dans cette
exception en faveur des entrepôts hollandais, une compensation à ce que l’on
verrait d’hostile dans l’exception relative aux ports de la Méditerranée et de
la Baltique ?
Voilà, messieurs, pourquoi il est important
d’examiner maintenant la question de la Meuse et notamment la proposition de
l’honorable M. Mast de Vries. Je désirerais que l’honorable M. Mast de Vries
voulût bien prendre la parole immédiatement. Beaucoup de députés ont dit qu’il
fallait examiner s’il n’y aurait pas lieu d’admettre à l’importation par la
Meuse une certaine quantité de produits coloniaux hollandais ; comme je désire
que la discussion soit aussi complète que possible, je provoque des
explications sur ce point et je demande qu’on entende l’honorable M. Mast de
Vries le premier.
M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur nous a expliqué
fort clairement ce que nous savions tous. Il nous a expliqué que la proposition
de l’honorable M. Mast de Vries se rattache au principe qui est en discussion ;
mais M. le ministre de l’intérieur ne nous a pas dit ce que nous avons intérêt
à savoir, quelle est l’opinion du gouvernement sur l’amendement de l’honorable
M. Mast de Vries. Je désire que M. le ministre de l’intérieur nous fasse
connaître son opinion. Je désire qu’il nous dise s’il adhère à cet amendement,
ou bien s’il le modifie dans un sens favorable à la province de Liége.
M.
Mast de Vries. -
Messieurs, lorsque j’ai eu l’honneur de faire une proposition en faveur de la
Meuse, j’ai fait un acte qui est dans l’intérêt de la province de Liége, parce
que je désirais que la loi pût rallier autant que possible toutes les opinions,
qu’elle pût être adoptée par une majorité aussi forte que possible.
Je ne sais pas si le gouvernement admettra ma
proposition telle que je l’ai présentée, mais je crois que cette proposition
doit être adoptée. Je crois qu’il ne faut pas enlever à la province de Liége
les relations qu’elle a établies ; elle jouit aujourd’hui d’une importation de
7,000 tonneaux de café, je crois qu’il ne faut pas lui faire perdre cet
avantage.
Je crois, messieurs, que la différence que je
propose d’établir en faveur des importations par la Meuse n’est pas exagérée ;
cette différence ne sera pas de 20 fr. par tonneau, et il faut, d’un autre
côté, tenir compte des frais de transport depuis le port de Rotterdam jusqu’au
centre du pays, transport qui est extrêmement coûteux.
On a dit, et cela a fait une grande impression sur
mon esprit, on a dit : « Si la province de Liége perdait son commerce
d’importation de la Hollande, ses exportations s’en ressentiraient
considérablement ; » je pense que tout cela est tout à fait exact, et
c’est pour ce motif que j’ai demandé une exception en faveur des importations
par la Meuse.
Je crois, messieurs, que l’adoption de ma
proposition ne porterait aucun préjudice à la province à laquelle j’appartiens
et qu’elle rallierait peut-être au projet les voix des députés de la province
de Liége. Or, je le répète, il serait à désirer qu’une loi de cette importance
reçut l’assentiment le plus général possible.
Je dois cependant ajouter que lorsque j’ai fait ma
proposition, je ne m’attendais pas à entendre les observations que l’honorable
M. Delfosse, dans sa réponse à un honorable député d’Anvers, a présentées
relativement au péage de l’Escaut. Je déclare bien formellement que si MM. les
députés de Liége demandaient la suppression du remboursement du péage de
l’Escaut, je retirerais à l’instant même ma proposition.
M. le
président. - M. Osy a
proposé la division de l’article.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je désire qu’on continue à discuter ces
questions réunies, et j’accepte la discussion, telle que l’a présentée
l’honorable M. Delfosse.
La chambre voudra bien se rappeler quels efforts
j’ai faits en comité secret, pour obtenir que cette discussion ne fût pas livrée
à la publicité ; il y a eu publicité, nous devons aujourd’hui subir toutes les
conséquences de la publicité.
D’une part, on vous a signalé comme hostiles à la
Hollande, les exceptions proposées en faveur des entrepôts de la Baltique et de
la Méditerranée, opinion qu’ont soutenue les partisans mêmes du projet de loi.
D’un autre côté, les adversaires du projet vous ont signalé le système entier
comme hostile à la Hollande.
Sans doute, messieurs, tout gouvernement doit
rester responsable des événements, mais seulement jusqu’à un certain point,
mais seulement dans les limites qu’il avait voulu lui-même assigner aux
discussions, avec les chances qu’il avait acceptées lui-même.
Je pense qu’en égard à l’intérêt industriel que
j’ai signalé tout à l’heure, il faut maintenir au moins temporairement les
exceptions proposées en faveur de certaines matières premières importées des
entrepôts de ta Baltique et de la Méditerranée. Mais je m’associe de tout cœur
à la proposition qui a été faite d’établir également une exception en faveur
d’un article de provenance hollandaise. Je veux parler du café.
Voyons d’abord, messieurs, quelle sera notre
position, par rapport à l’importation du café hollandais.
Irons-nous jamais chercher directement du café
hollandais dans les colonies hollandaises ? Non : il y a impossibilité
d’importation directe du café des colonies hollandaises. Je vais le démontrer
en peu de mots.
Si le café javanais est importé à Anvers
directement de Java sous pavillon belge, le navire belge paierait d’abord 17 fr.
20 c. à la sortie de Java ; il est vrai qu’en Belgique il paierait un droit
d’entrée de 9 francs seulement, ce qui ferait ensemble 26 fr. 20 c. par 100
kil. Ainsi, le café que le navire belge irait prendre directement à Java,
supporterait un droit de 26 fr. 20 par 100 kil.
Voici, au contraire, ce que payera le café qu’un
navire belge irait prendre par rivière en Hollande ; il payera, à la sortie de
Hollande, 6 fr. 88 c. ; pour l’entrée en Belgique, il payera 15 fr. 50 c. Total
22 fr. 38 c. J’ai dit tout à l’heure que le navire belge qui irait prendre
directement du café à Java, paierait 26 fr. 20 c., différence en faveur de
l’importation, par pavillon belge, des entrepôts hollandais, 3fr. 82 c. ; vous voyez donc que le pavillon belge n’ira
pas, ne peut pas aller prendre du café aux colonies hollandaises,
Pour rendre cette importation directe, il faudrait
aller beaucoup plus loin que l’on ne va dans aucun système des droits
différentiels.
Il y aurait deux moyens à cet effet. Au lieu de
payer seulement 15 fr. 50 c. pour les importations des entrepôts européens, il faudrait
porter le droit à 19 fr. 32 c. Alors, messieurs, on paierait de part et
d’autre, tant pour l’importation directe de Java que pour l’importation des
entrepôts hollandais 26 fr. 20 c. Resterait toujours la grande difficulté
d’aller prendre le café hollandais dans les colonies hollandaises.
J’ai dit qu’il y aurait deux moyens. Je viens
d’indiquer le premier ; le deuxième moyen, ce serait de réduire encore le droit
de 9 francs, établi pour l’importation directe du café par pavillon belge, et
de n’avoir plus qu’un droit de 5 fr. 18 c., en
maintenant néanmoins l’importation par pavillon étranger à 11 fr. 50 c.
Vous voyez donc que l’une et l’autre opération
sont également impossibles.
D’un côté, il est impossible d’ajouter 3 fr. 82 c.
au droit de 13 fr. 50 c. ; d’un autre côté, on ne peut
non plus réduire de 3 fr. 82 c. le droit fixe de 9 fr.
Cet état de choses est dû au régime colonial
adopté relativement à Java ; il est dû au droit de sortie stipulé à Java ;
droit qui a été établi dans le but de transporter en Hollande, dans la
mère-patrie, tout le marché du café hollandais, comme vous l’a exposé
l’honorable M. Cogels.
Vous n’irez donc pas prendre du café hollandais
dans les colonies hollandaises. Néanmoins, vous continuerez à consommer du café
hollandais ; vous le recevrez donc des entrepôts hollandais, et vous le
recevrez à des droits très élevés.
Je m’arrête ici, pour aller au-devant d’une objection
qui se sera déjà présentée à l’esprit de chacun de vous, et qui est celle-ci :
Si vous faites une exception en faveur de l’introduction du café hollandais que
devient votre système ?
Messieurs, notre système d’encouragement ne repose
pas sur le café seul, importante denrée coloniale sans doute ? Je n’ignore pas
qu’une opinion généralement répandue, c’est que le grand élément du système
différentiel doit être le café. C’est là une erreur. Ou pourrait faire une
exception de plusieurs millions, quant à l’importation du café, sans détruire
le système des droits différentiels. Savez-vous à quelle quantité
d’importations s’applique le système des droits différentiels ? A 104,246,27 f. pour le commerce spécial. Il est évident que, si
quelques millions de café hollandais venaient se soustraire au système des
droits différentiels, le système ne serait pas détruit, quand vous opérez sur
une quantité de produits transatlantiques de plus de 100 millions.
Ainsi une exception de quelques millions ne
détruit pas le système sur sa base, ce système reste intact, je m’empresse de
le dire, parce que peut-être on trouverait encore ici une inconséquence, une
contradiction.
Je ferai du reste imprimer le tableau que j’ai
sous les yeux et dont il m’est impossible de donner lecture ; la chambre
pourra, en le parcourant, apprécier toute l’étendue du système protecteur que
nous sommes occupés à organiser, système auquel il serait porté une bien légère atteinte, si l’on faisait une exception en
faveur d’une certaine quantité de cafés hollandais.
Il y a plus, c’est que si l’importation directe du
café hollandais, par pavillon belge, et même par pavillon étranger, était une
des bases du système, le système reposerait sur une illusion, car vous n’auriez
d’importation ni par pavillon belge, ni par pavillon étranger, directement des
lieux de production.
J’ai donc rédigé l’article suivant, dont je vais
avoir l’honneur de donner lecture à la chambre. C’est le résumé des
observations que je viens de faire.
Il y aurait un article nouveau auquel on
assignerait plus tard la place, et qui serait ainsi conçu :
« Article (nouveau). Pendant les deux années
qui suivront la promulgation de la présente loi :
« 1° Pour les sept articles suivants :
« Bois de buis, de cédre
et de gayac,
« Cendres gravelées,
« Cotons de laine, autres que des Indes
orientales,
« Huiles d’olive de fabrique,
« Riz en paille, autres que des Indes
orientales,
« Soufre brut,
« Et sumac.
« les provenances
d’au-delà du détroit de Gibraltar ; et, pour les cendres gravelées, les provenances
d’au-delà du détroit du Sund, seront assimilées aux
lieux de production, tant pour le pavillon belge que pour le pavillon du lieu
d’où la marchandise est importée.
« 2° Pour les trois articles suivants :
« Chanvre en masse,
« Graines
« Et graisses,
« les provenances
d’au-delà des détroits de Gibraltar et du Sund ; et,
pour les cuirs verts et secs, les provenances d’au-delà du détroit de
Gibraltar, seront assimilées aux provenances des pays hors d’Europe, tant pour
le pavillon belge que pour le pavillon du pays d’où la marchandise est
importée.
« 3° Indépendamment des importations qui se
feront en réalité directement du lieu de production, il sera admis à
concurrence d’une quantité annuelle de … millions de kilog.,
par navires de Belgique ou des Pays-Bas, par les bureaux à désigner par le
gouvernement belge, des cafés originaires des colonies hollandaises des Indes
orientales, au droit applicable aux provenances directes sous pavillon belge
des lieux de production, avec addition de 11 p.c.
« Les dispositions qui précèdent cesseront
leur effet à l’égard des pays au bénéfice desquels elles sont établies, si,
dans ces pays, il intervient des changement de tarif ou d’autres dispositions
préjudiciables au commerce ou à l’industrie belge. »
Ainsi nous ne proposons qu’un système temporaire
d’exception quant à la Méditerranée et quant à la Baltique, parce que, d’ici à
l’expiration des deux années, les relations dans la Méditerranée et dans la
Baltique, par pavillon belge, se seront assez régulièrement établies pour qu’on
puisse compter davantage sur le pavillon belge pour l’importation des matières
premières dont il s’agit. Il y a une autre considération, messieurs, à laquelle
il faut avoir égard, et je répondrai ici à une observation de la chambre de
commerce d’Anvers. La chambre de commerce d’Anvers, en indiquant elle-même ces
exceptions, les a considérées comme des faveurs et elle a ajouté que le
gouvernement belge devait chercher à obtenir en retour de ces faveurs, des
faveurs équivalentes ; cette observation de la chambre de commerce d’Anvers n’a
été faite que pour les exceptions relatives à la Méditerranée et à la Baltique,
mais elle s’applique à plus forte raison au troisième cas, qui est nouveau, à
l’exception en faveur de l’importation du café hollandais. Cette importation
aura lieu pendant deux années et cet intervalle sera consacré à régulariser la
position.
Nous croyons, messieurs, qu’il faut se borner à
l’exception concernant le café, parce que c’est à la fois l’intérêt le plus
important pour la Meuse et l’intérêt le plus important pour la Hollande. Les
importations de café java se sont élevées jusqu’à neuf millions, mais la
moyenne n’est que de sept millions. On pourrait donc admettre la moyenne de
sept millions pour l’importation du café hollandais. C’est la consommation
faite dans le pays en moyenne et cette consommation continuera à se faire. Or,
à moins de donner un caractère outré au système des droits différentiels, vous
n’irez pas vous-mêmes à Java et le café de Java ne vous sera pas importé directement.
Je propose donc de dire :
« 3°Indépendamment des importations qui se
feront en réalité directement des lieux de production, il sera admis à
concurrence d’une quantité annuelle de sept millions de kilogrammes par navires
de Belgique ou des Pays-Bas, par les bureaux à désigner par le gouvernement
belge, des cafés originaires des colonies hollandaises des Indes orientales, au
droit applicable aux provenances directes sous pavillon belge des lieux de
production, avec addition de 11 p. c. »
S’il y avait, messieurs, quelque chose d’exagéré
dans cette moyenne, je m’en féliciterais, en ce sens qu’il y aurait dans cette
exagération une compensation pour les surtaxes dont se trouvent frappés
d’autres objets importés par la Meuse.
Ce n’est donc pas, messieurs, parce que je crois
que le système renferme quelque chose d’hostile pour la Hollande, que je vous
soumets aujourd’hui ces propositions. Qu’on veuille bien ne pas prendre le
change sur mes intentions, c’est parce qu’il m’est démontré en fait que vous
êtes dans l’impossibilité de recevoir directement le café Java soit par votre
propre pavillon, soit par pavillon étranger ; d’un autre côté, il y a également
impossibilité de renoncer à la consommation du café hollandais, (On rit.) Si toutefois cela entrait dans
nos intentions, vous attendriez deux ans pour modifier vos goûts.
Ainsi, messieurs, je n’hésite pas à dire que vous
êtes en présence de deux impossibilités : impossibilité de nous priver du café
hollandais, et impossibilité de le faire venir directement des lieux de
production. Dès lors, messieurs, où le prendrez-vous ? Vous le recevrez des
entrepôts hollandais. Eh bien, je vous propose de faire de bonne grâce pendant
deux ans, ce que vous ferez forcément, et d’ouvrir ainsi à votre gouvernement
une très belle voie de négociation.
Je serais, messieurs, péniblement trompé
dans mon attente, si les dispositions que j’ai eu l’honneur de développer
devant vous, étaient méconnues. Autant que possible, nous ne voulons pas de
secousse, pas de perturbation ; nous voulons atteindre le but que nous avons en
vue dans l’établissement des droits différentiels ; nous voulons l’atteindre
graduellement sans froisser des intérêts ni au-dedans ni au-dehors.
L’importation, portée ainsi à une moyenne de 7
millions, ne se fera pas seulement par la Meuse, elle se fera aussi vers
Anvers, par les eaux intérieures. (Interruption.)
Nous la limitons à 7 millions pour tout le pays…
M.
Delfosse. - Comment
fera-t-on la répartition ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le gouvernement fera la répartition.
Croyez-vous donc qu’on ira méconnaître nos intérêts dans cette répartition.
M.
Delfosse. - Je vous
ai demandé comment vous feriez cette répartition.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous savons ce que vous recevez maintenant, on
ne vous assignera pas une part moindre. Vous recevez maintenant pour environ 1,200,000 francs ; certainement dans la part qu’on vous
assignera, on ne descendra pas au-dessous de ce chiffre.
Ainsi, messieurs, on limitera à 7 millions,
moyenne de l’importation actuelle, la quantité qui pourra être importée tant
par la Meuse que par les eaux intérieures et par les canaux, par le canal de
Terneuzen, par exemple, le tout d’après une répartition à faire par bureaux
d’entrée.
Messieurs, quel sera le droit que nous fixerons
pour cette importation ? L’idée naturelle serait de dire : le droit actuel,
mais cette expression, droit actuel,
emporterait en quelque sorte un droit acquis, une impossibilité de modifier le
tarif à l’avenir. C’est ce à quoi nous ne devons pas nous exposer. Le droit
actuel est de 10 fr., sans réduction, puisque, comme vous pouvez vous en assurer
en consultant le tableau de la statistique générale, puisque maintenant
l’importation se fait toujours autrement que par mer. Elle se fait, quant à
Anvers, par les eaux intérieures, et quant au reste du pays, soit par le canal
de Terneuzen soit par la Meuse. Eh bien, le droit nouveau pour le pavillon
belge venant des lieux de production est de 9 fr. ; en augmentant ce droit de
11 p. c. vous arriverez au chiffre de 9 fr. 99 c., c’est à un centime près le
droit actuel de 10 fr. Je proposerais donc de dire : « Au droit applicable aux
provenances directes par pavillon belge avec addition de 11 p. c. »
La dernière disposition dont j’ai donné lecture
met une condition à toutes ces exceptions, c’est qu’elles viendraient à cesser
si des changements de tarif ou d’autres dispositions intervenaient, soit dans
les Etats méditerranéens, soit dans les Etats de la Baltique, soit de la part
de la Hollande au préjudice du commerce et de l’industrie belges ; c’est en
quelque sorte une garantie du maintien du statu quo, introduite dans la loi.
Nous croyons, messieurs, en vous faisant
cette proposition aller au-devant de vos intentions, compte tenu de l’effet
qu’a produit cette discussion, tenir compte aussi des progrès que la question a
faits dans tous les esprits, tenir couple des appréhensions qu’a fait naître le
projet chez quelques personnes ; sans détruire les justes, les grandes
espérances que le système en lui-même fait concevoir.
Nous ne croyons pas être en contradiction avec nous-même et d’ailleurs eussions-nous pris une position
plus absolue, nous ne nous arrêterons jamais devant des questions
d’amour-propre, nous tiendrons toujours compte des progrès que fait une
question par la discussion.
Je sais, messieurs, qu’il est impossible de
statuer sur cette proposition aujourd’hui, nous la ferons imprimer. La question
générale serait celle-ci :« Ajoutera-t-on des exceptions pour certains objets
pour deux années, quant aux entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique et
pour une certaine quantité de café d’importation hollandaise ? » (Interruption.) L’exception se borne au
café, et ainsi réduite, elle est suffisante. Si maintenant l’on voulait établir
qu’il faut aller plus loin et si la discussion devait rester publique, je dois
le dire, je prie les honorables membres de ne pas me mettre sur ce terrain, je
ne pourrais pas accepter une semblable discussion en séance publique.
M. Delfosse. - Messieurs, nous examinerons la portée des
propositions que M. le ministre de l’intérieur vient de faire, mais je pense
qu’on ferait bien de se borner d’abord à poser cette question ; y aura-t-il une
exception pour les entrepôts de la Hollande ? Il est inutile de décider avant
le vote des articles, si l’exception ne s’appliquera qu’à un article, comme le
propose le gouvernement ou si elle s’étendra à
d’autres articles. Il suffit que l’on décide dès à présent qu’il y aura
une exception sans en déterminer les limites. Cette décision ne préjugerait
rien. La chambre resterait libre de limiter l’exception au café comme le
propose le gouvernement ou de l’entendre à d’autres articles comme nous
pourrons le proposer.
Le gouvernement appuiera probablement ma
proposition ; il n’a pas d’intérêt à ce que la chambre limite sa prérogative
avant le vote des articles ; cela serait d’ailleurs inutile, ce que la chambre
aurait décidé pourrait être remis en question lors du vote des articles ; des
membres qui sont absents pourraient venir déplacer la majorité. Je demande donc
que l’on se borne à décider qu’il y aura une exception. On déterminera plus
tard quelle en sera l’étendue.
M.
Cogels. - Je suis
charmé que l’honorable M. Delfosse veuille bien laisser la question intacte,
quant à l’extension qu’on voudrait lui donner. Cela me dispense de répondre à
l’honorable M. Mast de Vries, dont la proposition est trop étendue ; lui-même
peut-être n’en a-t-il pas mesuré toute l’extension. En effet, d’après le
système de M. Mast de Vries, Il y aurait assimilation générale des arrivages
par la Meuse, aux entrepôts transatlantiques. Je me demandais d’abord : sera-ce
aux arrivages par pavillon belge ou aux arrivages par pavillon étranger que
seront assimilés les arrivages par la Meuse ? Il vous a dit que c’était le
chiffre du pavillon étranger qu’il fallait appliquer. Mais vous concevez que,
pour les arrivages par la Meuse, on établit ainsi pour les cafés une réduction
de deux francs sur les cafés venant de Londres par Rotterdam en comparaison des
mêmes cafés arrivant par l’Escaut ou Ostende par pavillon belge ; or, ce qu’il
y avait de vicieux dans ce système disparaît dans la manière dont la question
est posée. Il n’est pas nécessaire de s’en occuper en ce moment.
Nous pouvons admettre le principe restreint tel
que le propose l’honorable M. Delfosse.
M.
Delfosse. - Mon
principe n’est pas restreint ; il est au contraire très général.
M.
Cogels. - Il peut
être restreint, car de la manière dont vous le posez, on peut l’appliquer à un
seul article ; c’est en ce sens que je dis qu’il est restreint. Mais,
maintenant je ne m’occuperai plus de la Meuse. La question se réduit aux
entrepôts de la Méditerranée et de la mer Baltique. Je ne partage pas
complètement l’avis de mon honorable ami M. Osy, qui pense que, dans l’exception
qu’on veut faire en faveur de ces entrepôts, il y a quelque chose d’hostile
contre une puissance quiconque.
Il faut faire attention à une chose qui existe
pour les entrepôts de la Méditerranée et de la Baltique et qui n’existe pas
dans ceux des autres pays : c’est qu’il y a des produits dont il est impossible
de connaître exactement les lieux de production, parce que la Méditerranée
comprenant sur son littoral des territoires différents qui ont des produis
similaires, il est impossible de distinguer dans les entrepôts de Marseille et
de Trieste si les produits sont de France, d’Autriche ou d’Italie. La même
chose existe aujourd’hui en Angleterre ; elle n’a pas existé toujours ; mais,
d’après l’acte de 1834, qui est le dernier acte de navigation, on admet par
pavillon anglais et par pavillon des lieux d’importation une foule d articles
qui ne sont pas des produits de ce même pays.
Il y a des articles qui sont compris dans
la liste de M. le ministre, que je voudrais voir excepter. Je ne les signalerai
pas maintenant, parce que je croirai plus utile de le faire quant nous en
serons aux articles eux-mêmes. Je citerai seulement le coton, car là
l’observation de M. Osy a été extrêmement juste. Il ne faut pas que les cotons
des Etats-Unis soient soumis au droit de 1 fr. 70 quand ils viennent de
Marseille, et au droit de 2 fr. 25 quand ils viennent du Havre. Je n’y vois
aucune utilité, d’autant moins qu’il arrivera très rarement qu’on nous
importera de Marseille des cotons provenant des Etats-Unis. Ce seraient des cotons
d’Egypte, de Smyrne, non pas des cotons des Indes orientales, mais des échelles
du Levant, de l’Algérie.
Je pense donc que de la manière dont la question
est posée, elle peut être résolue affirmativement. En la maintenant dans sa
rédaction générale, on peut l’admettre sans aucun danger, parce que, quand nous
serons à la discussion des articles, nous pourrons en faire l’application à
chaque article ou la refuser, selon que nous le trouverons utile.
M. le président. - Voici comment M. le ministre propose de poser
la question.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je maintiens qu’il ne faut pas aller au-delà de
ce que j ai proposé. Si j ai fixé la moyenne à 7 millions, c’est que je pense
que l’exception ne doit être faite que pour le café. Si Liége a besoin d’autres
matières premières elle les recevra toujours par la Hollande par
l’intermédiaire d’Anvers. Du reste, nous ne préjugeons rien. S la chambre croit
qu’une discussion spéciale sur cette question est nécessaire, il faut un
huis-clos et un huis-clos très sérieux.
M.
Fleussu. - (Note du webmaster : l’intervention de
M. Fleussu est reprise à la fin du compte-rendu de la séance au Moniteur du 24
mai 1844, sans indication du moment où elle a eu lieu au cours de cette même
séance.) La divergence qui semble exister entre les intérêts des provinces
dont se forme la Belgique, divergence qui s’est produite dans la discussion qui
se trame péniblement depuis trois ou quatre semaines, pourrait faire naître de
pénibles réflexions sur l’avenir de notre nationalité : une mesure, qui paraît
favoriser les intérêts d’une province est-elle proposée, les députés des autres
provinces crient au privilège, et ce qui se passe en ce moment en est encore un
exemple.
Je ne sais vraiment pas pourquoi, à propos
des nouvelles propositions du gouvernement, la province de Liège est seule en
cause ; il n’y a point que cette province qui soit traversée par la Meuse ; le
Limbourg et Namur jouissent également de la navigation de ce fleuve. Le
Luxembourg, par sa proximité, a presque les mêmes intérêts que je viens
d’indiquer.
Le Hainaut a un intérêt égal au nôtre à ce que
l’on prenne toutes les mesures propres à éviter des représailles de la part de
la Hollande. Il y a plus : c’est que Gand est, de toutes les localités de la
Belgique, celle qui doit surtout désirer que nos relations avec la Hollande ne
soient point rompues. Je le prouverai à l’évidence, dans le comité secret, car
je reconnais qu’il s’agit ici d’une question internationale. Je me bornerai à
dire, en ce moment, que nous livrons à la Hollande des matières premières. Non,
messieurs, ce sont des produits manufacturés dont la Hollande se passerait plus
aisément que des nôtres. En est-il de même des produits que Gand introduit en
Hollande par le canal de Terneuze ?
C’est donc à tort qu’on envisage les propositions
du gouvernement comme une faveur accordée à la province de Liège.
M.
de Brouckere. - Si j’ai
bien compris le but de M. Mast de Vries, en faisant sa proposition, il voulait
appeler l’attention du gouvernement et des chambres sur la question de savoir
s’il n’y aurait pas possibilité de faire une exception au système général, dans
l’intérêt de la province de Liége. C’est là, je pense, le but que s’est proposé
M. Mast de Vries. Il l’a atteint en ce sens que le ministre vient de formuler
une proposition qui doit donner toute satisfaction à cet égard. J’ai donc lieu
de penser que l’honorable membre ne persistera plus dans sa proposition en la
laissant dans la généralité primitive. Je fais cette observation parce que j’ai
entendu l’honorable M. Cogels combattre cette proposition telle qu’elle est
conçue.
M.
Mast de Vries. - Ma
proposition était une mesure de conciliation.
M.
de Brouckere. - Par
conséquent, j’ai bien interprété votre pensée. La proposition primitive de M. Mast
de Vries disparaît. Nous n’avons à nous occuper que de celle de M. le ministre.
Un député de Liège a déjà exprimé l’opinion que la question devrait être posée
dans des termes autres que ceux proposes par M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre, dans son discours, n’avait
parlé que du café. L’honorable M. Delfosse aurait voulu que la question fût
posée dans des termes généraux. Je ne fais qu’une seule observation : c’est que
les arguments qui s’appliqueraient au café, ne s’appliqueraient pas aux autres
marchandises. Ce que je dis, c’est pour simplifier la discussion. Il va sans
dire qu’il dépend d’un membre de faire une proposition supplémentaire et de
dire : je demande l’extension de la proposition du ministre à tels autres
objets, comme un autre pourra proposer que le maximum de 7 millions soit porte
à un chiffre plus élevé.
Je crois, comme M. le ministre de l’intérieur, que
si cette question doit être approfondie, ce doit être en comite secret. Il est
impossible que cette question, qui comprend tout ce qui est relatif aux
représailles, puisse être discutée à fond en public. Si l’honorable M. Delfosse
désire discuter la proposition de M. le ministre de l'intérieur sous le point
de vue de savoir si l’on doit l’étendre à d’autres marchandises ou porter le
maximum à un chiffre plus élevé, il me semble incontestable qu’une discussion
de cette nature ne peut avoir lieu qu’à huis-clos.
(Moniteur
belge n°146, du 25 mai 1844) M. Delehaye. - Le but que l’on s’était proposé par
le système des droits différentiels était d’assurer l’exportation de produits
de notre sol et de notre industrie. Réduit aux chétives proportions que propose
M. le ministre de l’intérieur, il ne répondra que bien difficilement à votre
attente. Toutefois il aura produit cet avantage, que les localités qui ont
réclamé contre ce système auront obtenu certaines concessions. C’est ainsi que
M. le ministre des finances, si bienveillant pour certaine industrie, vous a
proposé, il y a quelques jours, un projet de loi relatif à la restitution du
droit sur la quantité de sel supposée employée dans la fabrication des
fromages, proposition qui certes lui méritera les bénédictions du pays,
quoiqu’il y a quelque temps il ait cru devoir refuser pareille faveur aux
fabricants de tabacs, sans doute parce que l’importance de leur commerce et de
leur industrie ne méritait guère son attention.
C’est encore ainsi qu’on donne satisfaction aux
réclamations des riverains de la Meuse, dans le seul but sans doute d’obtenir
des députés de ces localités un vote approbatif.
C’est à tort alors que le gouvernement propose la
nouvelle mesure, qui ne tend d’ailleurs qu’à détruire complètement le système
des droits différentiels.
Liége réclamait certains avantages qui lui ont été
fort contestés au commencement de la discussion, et qu’hier encore on lui
refusait. On disait que l’on ne pouvait point établir une exception quelconque,
parce que si vous en établissiez une, vous poseriez par là même un acte qui
légitimerait des représailles de la part des puissances exceptées de la mesure.
Aujourd’hui, l’on ne craint plus ces représailles
puisqu’on veut excepter de la mesure générale les entrepôts de Hollande. C’est
ainsi que cette loi, à laquelle le pays attachait une grande importance, que
les droits différentiels qu’on croyait propres à relever notre industrie,
seront réduits à des proportions si mesquines, qu’au lieu d’être favorables au
pays, ils ne feront que favoriser quelques localités aux dépens des autres.
Je représente une localité fort importante, il me
semble qu’elle a droit aussi à réclamer des faveurs ; elle, dont l’industrie
occupe un nombre considérable d’ouvriers. Cependant le gouvernement demeure
insensible à ses justes réclamations. Est-ce que par hasard, l’industrie qui
s’occupe de la fabrication des fromages serait plus utile au pays que
l’industrie cotonnière ? La première cependant constituant une spécialisé, n’a
guère à craindre la concurrence étrangère ; la seconde, grâce à l’apathie du
gouvernement, n’est pas même en possession de notre marché. Ill faut,
messieurs, que le fromage possède une grande vertu pour mériter à ce point la
bienveillance tout exceptionnelle de M. le ministre des financés ; il néglige
les intérêts des grandes industries : l’agriculture même, dans ce qu’elle a de
plus précieux, dans l’élève du bétail, n’a pas trouve grâce devant lui. Mais le
fromage ! Ah c’est bien autre chose ! Le fromage destiné à la consommation
étrangère, sera désormais exempté du droit sur le sel ?
En vain démontrons-nous que le système qu’on
nous propose ne saurait être favorable à l’industrie. Mon honorable ami, M.
Manilius, l’a démontré à toute évidence, la matière première sera frappée d’un
renchérissement. En vain les raffineurs de sucre se plaignent-ils. Le commerce
de cabotage élève inutilement la voix. Le gouvernement garde une impassibilité
désespérante.
Ce n’est pas tout : non seulement on ne
fait pas droit à nos réclamations, mais voyez, messieurs, quelle belle
perspective nous présente le projet en question. Augmentation dans le prix de
la matière première, conséquence inévitable du système des droits
différentiels, et, ce qui n’est pas moins à redouter, c’est ce dont vient de
nous menacer l’honorable M. Pirmez. Il trouve que rien n’est plus
anti-différentiel que le remboursement du péage sur l’Escaut ; nous aurions
donc encore à craindre des entraves à la navigation.
Quant au droit sur la matière première, il a été
prouvé que les calculs de l’honorable M. Manilius sont de la plus grande
exactitude. Les journaux qui se sont occupés de cette discussion ont prouvé que
l’opinion de M. le ministre des finances est complètement erronée. Malgré cela,
M. le ministre des finances prétend que la matière première, le coton, sera
moins imposée. Je persiste à soutenir que cela n’est pas.
En résumé, je le répète, voici notre perspective :
renchérissement de la matière première et suppression du remboursement du péage
sur l’Escaut. Je pense que cela suffit pour que tous les députés des Flandres
se concertent afin d’obtenir des concessions. J’engage mes commettants à faire
les démonstrations légales. Alors sans doute le gouvernement fera en notre
faveur ce qu’il fait aujourd’hui en faveur de Liége.
(Moniteur
belge n°125, du 24 mai 1844) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me
permettrai de demander à l’honorable préopinant ce qu’au fond il veut en faveur
de l’industrie cotonnière. Veut-il une augmentation de droits ? On ne la lui a
pas refusée ; on lui a à plusieurs reprises annoncé qu’on examinerait la
question. On a assez fait entendre qu’on pourrait admettre un droit plus élevé
pour les tissus imprimés.
On a dit qu’on examinerait la question. Que
veut-il de plus ? Une chose que la chambre lui a refusée, pour laquelle il n’y
a pas en ce moment de majorité. Il demande donc l’impossible en demandant ce
que la chambre a refusé. II veut l’estampille et la recherche à l’intérieur. Je
ne veux pas discuter ces questions purement industrielles, et qui n’ont aucune
connexité, aucun rapport avec l’objet qui nous occupe.
Il me suffira de dire qu’il y a 18 mois, il n’y a
pas eu majorité en faveur de cette mesure.
Laissez faire au temps. Si la loi sur la
répression de la fraude est insuffisante, vous obtiendrez un renforcement de la
loi, soit par les mesures qui sont vos moyens favoris, soit par d’autres
mesures que nous découvrirons.
L’honorable préopinant soutient de nouveau qu’il y
aura renchérissement sur les matières premières, qu’on a empiré la situation de
l’industrie cotonnière et d’autres industries. Combien de fois faut-il
démontrer que c’est l’erreur la plus évidente, que vous recevrez en presque
totalité au droit d’un centime les cotons qui supportent aujourd’hui un droit
de 1 fr. 70 c. C’est une chose prouvée, sans réplique possible. il faut nous démontrer par des chiffes que nous avons tort.
Si vous nous démontrez par des chiffres que nous avons tort, vous nous
trouverez disposé à atténuer encore le tarif.
Déjà nous l’avons fait, puisque nous avons
annoncé, comme principe général, que les matières premières, là où il y a
augmentation, ne seraient pas passibles de cette augmentation la première
année.
Le système de droits différentiels va le réduire à
rien, dit l’honorable préopinant. D’un côté, il trouve que ce système empire la
situation de l’industrie (nous ne pouvons assez le répéter, les matières
premières seront, à l’avenir, favorisées) ; après avoir ainsi alarmé
l’industrie, il dit au commerce : Vos espérances vont s’évanouir. Le système
des droits différentiels croule par sa base.
J’avais prévu cette objection : nous proposons une
exception pour 7 millions de produits coloniaux, de café, que vous êtes dans
l’impossibilité d’aller chercher aux lieux de production, ni de recevoir des
lieux de production. Il se trouve donc que, par le fait, ces 7 millions sont exceptés
de votre système.
Le système entier s’applique à 104,246,270 fr. Déduisez-en 7 millions, restera 97 millions
d’importations, presque entièrement coloniales, sur lesquelles vous allez
opérer. N’est-ce rien ? Et la base du système vient-elle à disparaître, parce
que 7 millions, exceptés par la force des circonstances, sont exempts de droit.
Que faisons-nous ? Nous substituons le droit au fait ; nous admettons
officiellement un résultat que les circonstances rendent inévitables.
C’est en présence d’une démonstration aussi
évidente qu’on vient dire que le système des droits différentiels croule par sa
base.
Si cette non-importation directe de 7 millions de
café java suffit pour détruire votre système de droits différentiels,
établissez un droit tel que l’importation indirecte de café java soit
impossible ; c’est ce que vous ne proposerez pas ; c’est ce que ne proposeront
pas tous ceux qui sont partisans de droits modérés. Dans ce système, ce n’est
pas 2 fr. 50 mais plus de 7 fr. de droits différentiels qu’il faudrait.
Le système, tel qu’il a été formulé dans toutes
les propositions, ne consacre, de fait pour le café java, qu’une importance
directe purement nominale. Que nous fait alors l’exception proposée ? En
réalité, elle n’altère aucunement la portée du système. Elle ne fait que
consacrer de droit ce qui serait dans tous les cas la réalité.
En vérité, on nous place dans une position bien
difficile, je dois l’avouer. Les démonstrations, fondées sur des faits, sur des
chiffres, nous ne cessons de les reproduire. On ne cesse de reproduire des
allégations vagues et inexactes. Qu’on discute les chiffres en fait. Qu’on
prouve que le coton est renchéri, que 7 millions de café java importés
indirectement suffisent pour détruire le système. Qu’on ne s’arrête pas à des
allégations vagues.
Quant à moi, je persiste à soutenir que le système
n’est pas anti-industriel, d’une part, et que, de l’autre, il conserve son
caractère protecteur, dans une limite modérée, en faveur de notre marine, avec
toutes les espérances qu’on y a rattachées.
Nous demandons qu’on accepte avec nous la
discussion des faits et des chiffres.
Quant aux réclamations en faveur de
l’industrie cotonnière, nous pourrons prouver que nous savons protéger le travail
national. J’en appelle à l’honorable préopinant lui-même. A plusieurs reprises,
il a reconnu que nous avions protégé le travail national.
Ce qu’on a fait pour les tissus de laine, et
autres objets manufacturés, pourra se faire pour les cotons imprimés, quand
l’instruction sera achevée.
Mais ne demandez pas l’impossible.
Demander l’estampille et la recherche à l’intérieur, c’est nous demander
l’impossible du moins pour le moment, c’est demander l’impossible à la chambre.
(Interruption.)
Je dis que c’est impossible législativement. Il
faut savoir attendre. Nous examinerons la question. Il y a 18 mois que nous
l’avons examinée, et qu’il n’y a pas eu de majorité dans la chambre, Nous
l’examinerons de nouveau. L’honorable préopinant verra si la majorité est
changée. Sous un gouvernement de majorité, toute chose est impossible, s’il n’y
a pas une majorité qui la veut.
M. Osy. - Messieurs, sans m’expliquer encore sur
l’amendement dont vient de donner lecture M. le ministre de l’intérieur, je
dois dire qu’il me sourit, parce que les scrupules que j’avais, que nous étions
injustes envers la Hollande, en favorisant les entrepôts de la Méditerranée,
tombent entièrement.
Je n’entrerai pas dans les détails de l’amendement
proposé par M. le ministre, parce que je crois, comme l’honorable M. de
Brouckere, qu’il convient mieux de le discuter en comité secret.
Je dois déclarer, messieurs, que je ne
comprends pas comment les députes de Gand peuvent encore être opposés aux
droits différentiels. L’honorable M. Delehaye nous dit que l’honorable M.
Manilius nous prouvé à l’évidence que nous faisions du tort à l’industrie
cotonnière. Je crois, au contraire, que plusieurs honorables orateurs ont
prouvé qu’il n en était rien, et si nous voulions prouver de nouveau que
l’industrie cotonnière sera favorisée, cela ne nous serait pas difficile.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous discuterons cela l’article coton.
M. Osy. - Nous pourrons le discuter. Mais je
crois que les honorables députés de Gand sont dans une complète erreur. Je suis
persuadé que les industriels de cette ville importeront à l’avenir leurs cotons
avec une réduction de 50 p. c. sur les droits d’entrée ; qu’au lieu de payer
120,000 fr., ils ne payeront plus que 60,000 fr. de droits. Je ne comprends
donc pas, je le répète, l’opposition de la ville de Gand. Je suis enchanté que
M. le ministre de l’intérieur ait trouvé le moyen de faire quelque chose pour
la Meuse ; car, moi aussi, j’accorde toutes mes sympathies à la Meuse. Je crois
qu’en présence de la proposition nouvelle, toute crainte d’hostilité de la part
de la Hollande doit disparaître.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - N’ai-je pas encore donné hier une preuve de
l’intérêt que nous portons aux industriels des Flandres, en vous signalant une
chose qui a frappé tout le monde ? c’est l’espèce de
prime accordée à la marine belge, au cabotage pour l’importation de tissus
étrangers.
M.
Delehaye. - C’était
assez connu.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous n’en avez jamais rien dit.
M.
Delehaye. - C’est la
fraude qui nous introduit surtout les tissus étrangers.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne m’occupe pas ici de
l’introduction en fraude,, qui n’est qu’une
conjecture, je m’occupe d’un fait : l’introduction officielle. Or, je dis que
l’introduction officielle est protégée par une prime qui s’élève jusqu’à 80,000
francs. C’est là un fait que j’ai signalé le premier et que vous n’aviez jamais
signalé.
M. Osy. - J’ajouterai un mot à ce que je viens
de dire : c’est que je trouve très fondée l’observation de l’honorable M.
Delehaye, quant à la faveur qu’on veut faire à l’industrie des fromages. Il est
bien certain que les blanchisseries qui arrangent les toiles de Gand, auraient
autant de droits à cette faveur. C’est une observation que j’ai déjà faite au
commencement de la semaine, en appuyant une pétition qui la réclamait.
M.
Delfosse. - Je n’ai
pas demandé la parole pour m’occuper des fromages (on rit) ; nous nous en occuperons lorsque le moment sera venu, mais
pour répondre quelques observations qui ont été présentées par l’honorable M.
de Brouckere et par l’honorable M. Delehaye.
L’honorable M. de Brouckere nous a dit que la
proposition de l’honorable M. Mast de Vries disparaissait en présence de celle
du gouvernement. C’est là une erreur, M. le ministre de l’intérieur a proposé
un mode d’exception pour les entrepôts hollandais ; l’honorable M. Mast de
Vries en a proposé un autre. Lorsqu’on examinera l’exception proposée par M, le
ministre de l’intérieur, il faudra en même temps examiner la proposition de M.
Mast de Vries. L’une de ces propositions ne disparaît pas devant l’autre.
L’honorable M. de Brouckere a ajouté qu’il
y aurait de l’inconvénient à examiner la question en séance publique. Le moment
n’est pas venu, messieurs, de décider s’il y aura recrudescence de comité
secret ou non. Le règlement a tracé des formes qu’il faut suivre. La chambre ne
peut se former en comité secret que sur la demande du président ou de dix
membres, et ce n’est que lorsqu’on est en comité secret, que l’on discute si la
discussion sera publique ou si elle aura lieu à huis-clos.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est vrai.
M.
Delfosse. - Je suis
charmé d’avoir, cette fois, l‘approbation de M. le ministre de l’intérieur,
cela ne m’arrive pas souvent (On rit.)
M. Dolez. - Et vice versa.
M.
Delfosse. - Je crois,
messieurs, que la chambre fera bien de fixer un jour pour la discussion de
cette question spéciale.
Il est nécessaire que nous ayons quelque temps
pour réfléchir sur la portée de la proposition de M. le ministre.
J’arrive maintenant aux observations de
l’honorable M. Delehaye.
Je suis surpris des craintes que mon honorable ami
a témoignées. Mon honorable ami a paru croire qu’il y avait une transaction
entre les députés de Liége et le gouvernement, et qu’à la suite de cette
transaction, les députes de Liège allaient donner un vote favorable à la loi.
Mon honorable ami peut se tranquilliser ; la
concession qu’on nous offre, nous l’accepterons, si nous ne pouvons avoir mieux
; mais elle ne nous décidera nullement à donner un vote favorable à la loi.
J’espère que l’honorable M. Delehaye se joindra à nous pour la rejeter. Nous
trouvons le principe mauvais, et ce n’est pas pour une concession de détail que
nous donnerons notre assentiment à la loi.
Il n’y a pas eu de transaction entre le
gouvernement et les députés de Liége ; M. le ministre de l’intérieur ne nous a
pas fait appeler dans son cabinet, comme il a fait appeler les députés de Gand
; il n’a pas cherché à s’entendre avec nous, comme il a cherché à s’entendre
avec eux.
L’honorable M. Delehaye paraît croire que
c’est aux démarches, aux démonstrations des industriels liégeois, qu’est due la
concession que M. le ministre de l’intérieur vient de proposer, et il dit :
Nous aussi nous ferons des démonstrations ; nous aussi nous viendrons à
Bruxelles. Mais je ferai remarquer à mon honorable ami que nous n’avons pas donne
l’exemple ; il sait très bien que ce sont les industriels de Gand qui ont donné
l’exemple.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est très vrai, j’ai reçu deux fois des
démonstrations monstres.
M.
Delfosse. - Les
industriels de Gand sont venus en très grand nombre à Bruxelles ; ils ont été
reçus par le Roi et à leur tête se trouvait l’honorable M. Delehaye. (Hilarité.)
(Moniteur
belge n°146, du 25 mai 1844) M. Delehaye. - M. le ministre de l’intérieur se
plaint que nous lui ayons fait une position très difficile ; mais cette
position a été rendue difficile par le gouvernement lui-même.
Vous vous rappelez, messieurs, que, bien des fois
déjà, dès le commencement de la session, plusieurs branches d’industries nous
avaient adressé des pétitions pour demander des protections, et toujours M. le
ministre de l’intérieur avait proposé que ces pétitions fussent déposées sur le
bureau pendant la discussion actuelle, parce qu’alors, disait M. le ministre,
on prendrait les mesures sollicitées. Au commencement de cette discussion nous
avons rappelé ces pétitions ; et que nous a répondu M. le ministre de
l’intérieur c’est qu’il ne s’agissait pas de prendre des mesures en faveur de
l’industrie, mais de statuer sur l’établissement des droits différentiels.
C’est donc M. le ministre de l’intérieur qui s’est fait la position difficile
où il se trouve en ne tenant pas la promesse qu’il nous a faite.
M. le ministre de l’intérieur vient de nous
donner, comme une grande marque de sa sympathie, l’opinion qu’il a émise, hier,
touchant la prime accordée aux navires qui importent des objets fabriqués. M.
le ministre le l’intérieur n’est nullement admis à réclamer la priorité de
cette invention ; car l’honorable M. de Haerne
lui-même, dans le projet dont il a saisi la chambre, en fait mention à l’art. 4
: il demande que les importations des objets fabriqués d’Europe soient frappés
d’un droit beaucoup plus considérable que les autres fabricats ; ou plutôt il
demande que, pour l’importation de ces fabricats, on accorde moins d’avantages
qu’à d’autres produits. C’est donc à tort que M. le ministre de l’intérieur
réclame l’honneur d’avoir signalé le premier ces importations comme nuisibles à
l’industrie indigène.
Mais une chose qui doit étonner tout le monde,
c’est que M. le ministre de l’intérieur, qui reconnaît les inconvénients de cet
état de choses, ne propose pas d’y apporter immédiatement un remède. Comment ! vous prétendez avoir indiqué le premier ces inconvénients,
bien qu’ils eussent déjà été signalés par les intéressés eux-mêmes, par
l’honorable M. de Haerne ; et vous qui avez en main
les moyens d’y porter remède, vous ne vous empressez pas de nous proposer une
mesure pour atteindre ce but ? Vous voyez, messieurs, qu’il y a beaucoup de
prétentions d’un côté, et déclaration de l’autre qu’on ne veut rien faire pour
l’industrie.
Messieurs, chaque fois que j’ai parlé de
l’industrie de ma localité, M. le ministre de l’intérieur a cherché à effrayer
la chambre par l’épouvantail de l’estampille ; il vous a dit : La chambre ne
veut pas de l’estampille. Ainsi, remarquez que M. le ministre de l’intérieur,
tout en protestant de ses sympathies pour l’industrie, n’a qu’un seul but, c’est
de vous effrayer de l’estampille.
Messieurs, j’ai déjà démontré que, dans les pays
où l’on a admis l’estampille, on vit aussi libre, aussi heureux qu’en Belgique.
Mais je dois déclarer que je ne suis pas moi-même grand partisan de
l’estampille ; je ne la veux que parce que, sans elle, la fraude ne peut être
réprimée. Je veux qu’on accorde une protection suffisante à l’industrie et
surtout à la main-d’œuvre, au travail national ; je veux qu’on sache se
soumettre à quelques privations pour favoriser le travail national. Nous devons
savoir nous imposer des sacrifices dans l’intérêt général. Ne devons-nous pas
faire partie de l’armée ? Cette mesure de la milice n’est-elle pas bien plus
vexatoire que l’estampille ?
D’ailleurs, messieurs, l’estampille n’est pas une
chose si effrayante ; car, comme je vous l’ai dit à une autre époque, il n’ya
pas d’exemple, dans les pays où elle est établie, que l’on ait fait des visites
domiciliaires sans qu’elles n’aient eu du succès. On ne fait de pareilles
visites que lorsqu’on est certain de trouver des marchandises fraudées. Ces
recherches se font encore aujourd’hui dans une partie considérable du pays,
dans le rayon de la douane, sans que personne ne s’en plaigne ; or, ce que l’on
supporte dans le rayon, pourquoi donc ne le supporterions-nous pas, alors
surtout que cette mesure pourrait mettre un terme à la fraude, l’un des plus
grands obstacles au développement de l’industrie ? -
Il n’y a donc pas de quoi s’effrayer de
l’estampille ; tout ce qu’il y a d’évident, c’est que M. le ministre de
l’intérieur ne vent pas prendre des mesures en faveur de l’industrie.
On a dit aussi que le projet que nous discutons
n’amènerait pas un renchérissement de la matière première. Comme on l’a fait
observer, c’est quand nous parviendrons à l’article Coton et à l’article Sucre,
que nous pourrons examiner cette question. Qu’il me soit permis cependant de
vous soumettre une seule considération : c’est que par cela seul que vous
empêchez l’industrie de prendre ses matières premières dans les entrepôts
d’Europe, vous empirez sa position ; car, en détruisant le cabotage, vous
empêchez de profiter des bas prix qui peuvent se présenter sur les marchés du
Havre et de Liverpool.
Vous remarquerez qu’au commencement de la séance
vous avez établi une différence entre Marseille et le Havre. Ne peut-il pas se
faire que les sucres, les cotons présentent des avantages précisément dans les
ports pour lesquels vous retirez la faveur, et par cela même que vous
soustrayez quelque marché à l’industrie pour l’achat de la matière première,
vous empirez sa position.
Au reste, comme j’ai eu l’honneur de le dire, je
me réserve de revenir sur ce point, quand nous arriverons aux articles du tarif
: Sucre et coton.
Je dois un mot de réponse à mon honorable ami M.
Delfosse qui a dit que je m’étais rendu chez M. le ministre à la tête d’une
députation monstre.
M.
Delfosse. - Je n’ai
pas dit monstre ! (On rit.)
M. Delehaye. - Soit ! on le dit à
mes côtés. Je veux bien que ce soit une députation monstre, et que je l’ai
accompagnée chez M. le ministre. D’abord on a tort d’en faire un reproche à la
ville de Gand. Ce n’étaient pas des Gantois qui composaient cette députation,
mais des intéressés de l’une et de l’autre Flandre.
L’honorable membre remarquera que je ne
lui en ai pas fait un reproche. S’il a engagé ses commettants a se rendre à Bruxelles il a très bien fait. Quand de graves
intérêts sont menacés, nous faisons bien d’engager nos commettants à faire une
démonstration, en se renfermant toutefois dans les bornes prescrites par les
lois.
C’est parce qu’une députation de 150 personnes des
deux Flandres est venue à Bruxelles, que l’industrie cotonnière a obtenu
quelque chose. C’est à cause de la députation de Liége qu’a été présentée la
proposition en discussion.
J’ai lieu d’espérer que lorsque les industriels de
ma localité feront connaître, toujours légalement, leurs griefs et leurs
légitimes prétentions, le gouvernement ne manquera pas de soumettre à la
chambre les mesures qui pourront les soustraire aux effets désastreux de la
France.
(Moniteur
belge n°145, du 24 mai 1844) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je
désire qu’on ne donne pas un faux caractère à la proposition que j’ai faite. Un
gouvernement de publicité doit tenir compte de toutes les manifestations
légitimes qui se produisent dans le pays. Si c’est ainsi que l’honorable
préopinant entend les démonstrations dont il a parlé, je ne repousse pas ses
observations. Certainement, le gouvernement doit saisir avec empressement
l’occasion de rassurer une province aussi importante que celle de Liège.
Mais je ne suis pas seulement dominé par des idées
locales, provinciales, mais par une idée politique. C’est parce qu’une grande
idée politique, une idée d’intérêt général se rattache à la proposition qu’elle
a été faite.
Que l’honorable préopinant provoque toutes les
manifestations légitimes qu’il jugera convenables. Mais il y a un obstacle
légitime, devant lequel l’honorable préopinant devra s’arrêter ; cet obstacle,
c’est la majorité parlementaire.
Toutes les démonstrations, quelque légitimes qu’elles puissent être, seront vaines quand elles
seront repoussées par la majorité parlementaire.
Si la majorité parlementaire acquiesce la proposition,
ce n’est pas seulement parce qu’elle est dans l’intérêt de telle ou telle
province mais c’est parce qu’elle a reconnu qu’il y une nécessite politique.
Qu’un jour une majorité du même genre se
produise dans cette chambre en faveur des mesures que réclame l’honorable
préopinant, nous l’en féliciterons. Nous attendons avec lui qu’elle se
produise. L’honorable préopinant croit qu’il y a peu de chose à faire sans la
recherche à l’intérieur et l’estampille. Je le prie de croire que l’estampille
et la recherche à l’intérieur ne m’effrayent guère personnellement. Mais qu’il
fasse attention aux répugnances qui existent dans cette chambre et dans le pays
contre cette mesure.
J’ose faire un appel à l’honorable membre. Pense-t
il que ces mesures seraient acceptées par la chambre ? Non, sans doute.
Je dis donc que ce n’est pas à cause d’un intérêt
local qu’est présentée la proposition, mais parce qu’il y a un grand intérêt
politique en cause.
M.
Desmet. - Il est certain
que l’on fait une concession à la Hollande. Pourquoi ? Je l’ignore ; mais il
est positif qu’on en fait une. L’exception que l’on veut faire au système, qui
lui fait une grande brèche est certainement une concession gratuite !
Quant à des représailles, je ne les crains pas.
D’une nation qui nous importe 40 millions, et à qui nous n’importons que 8 à 10
millions, il n’y a pas de représailles à craindre car, quand on trouve dans la
statistique commerciale de 1842, que nos exportations vers la Hollande se sont
élevées à 18 millions, on doit observer que depuis cette année ce chiffre a
considérablement diminué et s’est réduit à moins de 10 millions ; alors
l’article des tissus figurait assez grandement, tandis qu’aujourd’hui nous
expédions bien peu de ces articles, et surtout les indiennes ou toiles de coton
imprimées ; les Anglais se sont emparés du marché hollandais, on peut dire
qu’ils y ont le monopole.
Eh ! messieurs, quand on fait
des concessions gratuites, on n’en pèse pas toujours le danger ; comment
veut-on obtenir des traités de commerce quand on donne aux autres nations tout
ce qu’elles désirent et même ce qu’elles ne demandent point ? Je ne puis assez
blâmer ce déplorable système, c’est la ruine de l’industrie et du commerce du
pays. Mais, dit M. le ministre de l’intérieur, vous ne pouvez pas vous passer
du café des Hollandais, du café java, vous n’en employez pas d’autre, vous en
avez le goût, vous ne pouvez vous mettre du jour au lendemain à en employer
d’autre. Mais que l’honorable ministre veuille voir la chose de plus près, il
verra que sur les 24 millions de café qui entrent en Belgique, il n’y en a que
8 millions qu’elle reçoit des possessions hollandaises. Il verra que nous en
recevons aussi 8 millions du Brésil, 5 millions de Haïti et les trois autres
millions encore de quelque autre pays de production. Ainsi l’on ne peut pas
dire qu’on ne peut se passer du café Java, que les Belges en ont besoin comme
de leur pain quotidien ; au besoin nous pourrons nous en passer, et très
aisément remplacer le java par le brésilien ou par d’autres provenances. La
concession que nous faisons donc en faveur de la Hollande est purement gratuite
et très défavorable aux intérêts de la Belgique. Lorsque vous faites ces
concessions gratuites et dont le commerce ni l’industrie belges ne retirent
aucun bien, faites du moins quelque chose dans ce cas-ci en faveur du commerce
et pour le besoin de l’industrie nationale, faites des concessions utiles.
Si, pour les entrepôts d’Europe vous faites
l’exception seule en faveur de la Hollande, vous négligez ceux que le commerce
et l’industrie du pays réclament. Où prenez-vous l’indigo que votre industrie a
nécessairement besoin ? Pouvez-vous le prendre autre part que des entrepôts de
l’Angleterre ? et cependant le ministre ne songe pas
cet objet d’importance, à cette matière première indispensable.
Pour le coton anglais, c’est encore la même chose,
on est encore obligé d’avoir recours quelquefois aux entrepôts anglais, non pas
pour le prix, comme on pourrait le croire, mais surtout pour les qualités. Car,
messieurs, c’est souvent dans les qualités de coton qui manquent, où se trouve
la cause que nous ne pouvons faire le même fil que les Anglais. Mais M. le
ministre le reconnaît lui-même ; l’amendement qu’il a présenté hier ne le
démontre-t-il pas suffisamment que nous ne pourrons pas nous passer, dans la
première année, du coton que nous prenons en Europe, et que le tarif
différentiel qu’il prescrit agit sur le coton brut, de manière que l’on ne
pourra pas se le procurer si facilement qu’actuellement ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le coton à Londres reste soumis à un droit de 1
fr. 70 c. C’est le droit d’entrepôt.
M.
Desmet. - Le fait est
que pour l’industrie vous ne pouvez vous passer du coton de l’Angleterre, à
cause de la qualité.
M. le ministre de l'intérieur dit que l’on avait
fait de grands avantages à la fabrique de coton de Gand.
M. le ministre veut parler de la proposition qu’il
a faite hier pour l’entrée des tissus de coton. Nous devons l’en remercier.
Mais je me permettrai de lui faire observer que cette idée ne lui appartient
pas, elle est la propriété de l’honorable M. Cassiers ; elle appartient à ce
système des droits différentiels que M. le ministre a attaqué avant-hier avec
tant de véhémence et même d’une manière peu parlementaire. Si, avant de
critiquer si fortement un projet, on l’avait plus mûrement examiné et étudié, je
crois qu’on aurait vu qu’il y avait du bon, et M. le ministre l’a même prouvé
par l’amendement dont je viens de parler : il a reconnu que le système n’était
pas si mauvais qu’il l’avait cru de prime-abord et qu’il méritait bien
l’honneur de l’examen. Je dirai, comme je l’ai encore dit, que c’est bien
dommage que le ministre, qui a examiné le système présenté par la chambre de
commerce d’Anvers n’ait pas aussi examiné celui
projeté par M. Cassiers. Je pense que, s’il avait voulu voir ce système
dans son ensemble et s’il l’avait étudié et médité, il n’aurait pas dû proposer
une exception pour les entrepôts de Hollande, parce que, dans le système de
l’honorable sénateur, on peut accepter les arrivages des entrepôts d’Europe,
puisqu’on atteint le but en assurant l’exportation que nous recevrons des
entrepôts, peu importe, si nous exportons par ce moyen. Dans ce cas,
l’importation des entrepôts est fort utile.
C’est ainsi qu’est résolue dans ce système
la question difficile des entrepôts d’Europe, et que ce système sait concilier
tous les intérêts et qu’il donne un apaisement complet aux plaintes des
représentants de la province de Liége ; qu’on veuille encore le voir avec
impartialité et quelque attention, On verra qu’il résout aussi complètement
toutes les questions que présente le système des droits différentiels.
M. le ministre de l'intérieur veut vous faire peur
quand il parle de l’estampille et de la recherche à l’intérieur que l’industrie
cotonnière réclame pour pouvoir exécuter le tarif. On dirait que rien n’est
plus vexatoire que cette mesure. Mais je dois être étonné d’entendre ainsi
parler un membre du gouvernement dans un moment qu’on nous présente une loi,
par laquelle nous allons voir revivre la régie des droits réunis. Ainsi l’on
s’effarouche au gouvernement d’une mesure dont l’on a besoin dans le pays pour
garantir l’industrie et le travail contre la concurrence étrangère, et l’on ne
craint pas de rétablir les droits réunis pour vexer et chagriner le
cultivateur. J’ai dit.
M. Lys. - Je crois devoir répondre à mon
honorable ami M. Delehaye, que voulant s’occuper de grandes choses, il s’est
attaché à une infiniment petite, celle qui concerne la proposition de loi
concernant le drawback à accorder pour la sortie des fromages de Limbourg. Il a
reproché à M. le ministre ses finances la présentation de ce projet comme une
faveur accordée aux cultivateurs de cette contrée, tour en se plaignant que
l’on ne faisait rien en faveur de l’agriculture ; c’est la une contradiction,
et j’ajouterai que le ministre, en faisant cette présentation, acquittait une
promesse faite au sénat lors de la discussion de l’impôt sur le sel,
renouvelant ainsi ce qu’il m’avait dit, lorsque je me plaignais de l’impôt qui
n’avait cessé de peser sur ces cultivateurs, pendant que d’autres industries et
jusqu’à celle du tabac jouissaient d’une exception.
Le projet de loi dont s’agit ne fait aucune
faveur, il n’affranchit pas de l’impôt, ce qui se consomme à l’intérieur, il ne
présente rien autre qu’une restitution lors de l’exportation. C’est là un acte
de justice et il devient d’autant plus urgent de hâter la discussion de cette
loi, que cette industrie est en souffrance, ainsi que cela m’est affirmé par M.
Moreau, bourgmestre de Herve, qui depuis longtemps ne cesse de solliciter ce
drawback actuellement en discussion, pour remédier autant que possible en ce
moment à l’état malheureux des cultivateurs, qui aujourd’hui vendent au prix de
vingt-cinq francs, ce qui l’année dernière leur rapportait cinquante francs.
(Moniteur
belge n°146, du 25 mai 1844) M. Rogier. - L’honorable M. Desmet a dit que l’on
avait tort d’avoir peur de l’estampille et de la recherche à l’intérieur ; à
entendre M. le ministre de l’intérieur, il n’aurait pas peur de l’estampille et
de la recherche à l’intérieur, mais il aurait peur de n’avoir pas une majorité
qui voulût les voter. Que l’honorable M. Desmet se rassure donc, il les aura
dès qu’une majorité se sera prononcée. Le gouvernement s’empressera alors de
proposer ces mesures.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas dit cela. C’est dénaturer ma
pensée.
M.
Rogier. - Pardon : à
deux reprises vous avez déclaré qu’il n’y a pas encore de majorité pour
l’estampille et la recherche à l’intérieur, d’où la conclusion que M le
ministre de l’intérieur proposerait l’estampille et la recherche à l’intérieur,
aussitôt qu’il y aurait une majorité pour les voter.
Pour que je ne dénature pas sa pensée, je l’engagerai
à l’exprimer nettement.
(Moniteur
belge n°145, du 24 mai 1844) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai
dit que si la loi récemment votée était insuffisante, on la renforcerait ; je
n’ai pas dit de quelle manière je n’ai pas effrayé la chambre sur l’estampille
et la recherche de l’intérieur. J’ai dit que personnellement je n’étais pas
effrayé de ces mesures qu’il fallait discuter.
M.
Rogier. - Etes-vous
contre ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je suis contre ; en ce moment, je partage
toutes vos répugnances ; j’attends qu’on les détruise.
Vous avez dit que j’étais toujours prêt à céder à
la majorité. Prenez garde que je ne vous renvoie ce reproche, en signalant
l’attitude que vous avez prise dans cette discussion.
M.
Rogier. - Sans
vouloir discuter la question de savoir si M. le ministre de l'intérieur était
toujours prêt à céder à la majorité, je me suis borné à dire qu’il avait
déclaré que la majorité n’était pas encore pour l’estampille et la recherche à
l’intérieur, donnant ainsi à entendre qu’aussitôt que la majorité se serait
prononcée pour l’estampille, le gouvernement l’admettrait.
Maintenant M. le ministre de l’intérieur vient de
nous dire qu’il était contre l’estampille, et la recherche, nous verrons s’il
sera encore contre, lorsque la majorité se sera prononcée pour.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai dit la chose la plus simple du
monde ; c’est que vous avez contre l’estampille non seulement mon opinion
personnelle, l’opinion du gouvernement, mais encore quelque chose de plus fort
que le gouvernement, la majorité parlementaire. Je m’étonne que l’honorable
membre ait pu se méprendre sur le sens de mes paroles.
Maintenant, messieurs, je demande que la chambre
veuille bien voter sur la question que nous venons de discuter et sur la
rédaction de laquelle on est d’accord.
M. Delfosse. - Nous sommes d’accord M. le ministre de
l’intérieur et moi sur la manière dont la question doit être posée ; nous
désirons l’un et l’autre qu’elle soit posée en ces termes : Y aura-t-il une
exception pour les entrepôts hollandais ? Mais, M. le ministre de l’intérieur
veut ajouter que l’exception sera temporaire. C’est là un point qu’on n’a pas
encore discuté.
Je pense que l’on doit pour le moment se borner à
décider qu’il y aura une exception, et laisser intact le point de savoir si
l’exception sera temporaire et à quels articles elle s’appliquera.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Qu’on pose la question comme on voudra, mais je dis qu’on dénaturerait
complètement ma proposition si l’on ne l’admettait pas avec les deux limites que
j’ai indiquées : c’est qu’elle soit temporaire et qu’elle ne s’applique qu’au
café javanais.
Du reste, nous discuterons cela en comité secret.
Je consens à ce qu’on ne préjuge rien.
M.
Delfosse. - Ainsi M.
le ministre ne demande pas que l’on décide en ce moment si l’exception sera
temporaire. Il consent à ce que ce point soit débattu ultérieurement.
M. Desmet. - Messieurs, je n’ai pas jugé les intentions de
M. le ministre de l’intérieur d’une manière aussi favorable à mon opinion que
vient de le faire l’honorable M. Rogier, je pense au contraire qu’il a cherché
à effrayer l’assemblée par les mots de recherche à l’intérieur et d’estampille
; et pour preuve, c’est que j’ai dit que j’étais fort étonné de voir que le
gouvernement s’opposait à un moyen d’exécuter le tarif en faveur de l’industrie
et du travail national, dans le moment même qu’il nous propose, à l’occasion de
l’impôt sur les tabacs, le retour aux droits réunis, pour agir contre les cultivateurs.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de M. le
ministre de l’intérieur.
M.
Delehaye. - Je
demande que la question des entrepôts hollandais soit remise à demain. C’est une
question très importante que nous n’avons pas suffisamment discutée.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande, moi, que la question soit mise aux
voix. Je ne m’oppose pas à ce que l’alternative soit placée dans la question ;
qu’on ajoute les mots temporairement ou indéfiniment.
- La question, ainsi modifiée, est mise aux voix ;
elle est résolue affirmativement.
« Fera-t-on une distinction entre les produits
naturels de consommation ou travaillés, d’une part, et, de l’autre, les
matières premières de l’industrie ? »
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, nous avons à résoudre une dernière
question de principe, mais cette question est très peu importante. Tout le monde
est d’accord à cet égard. Je pense que la chambre veut sérieusement que nous
fassions quelques progrès. Je voudrais qu’on pût clore aujourd’hui la série des
questions de principe et demain nous aborderons le tarif. Mais il importe qu’on
sache qu’on abordera le tarif dans l’ordre indiqué. Je dis dans l’ordre
indiqué, parce qu’il faut que tout le monde soit prévenu. Mais je le répète, la
dernière question de principe à résoudre n’est pas contestée. Je demande à la
chambre la permission de lui donner lecture de cette question :
« Fera-t-on une distinction entre les produits
naturels de consommation ou travaillés, d’une part, et, de l’autre, les
matières premières de l’industrie : 1° en appliquant le régime des droits
différentiels aux premiers, par des surtaxes sur le pavillon étranger et sur
les provenances indirectes, et en appliquant, au contraire, ce régime aux matières premières par des réductions de
droits en faveur du pavillon national et de la provenance directe ; 2° en
adoptant des encouragements comparativement plus modérés pour les matières
premières que pour les objets de consommation naturels ou les objets
travaillés ? »
Il y aura ce grand avantage que nous pourrons
enfin aborder le tarif.
Je pense, messieurs, qu’il faudra suivre l’ordre
du tarif tel qu’il est établi, c’est-à-dire, l’ordre alphabétique, et je ferai
remarquer dès à présent, que les premiers articles du tarif sont le suivants :
d’abord l’article baleines qui
probablement ne soulèvera pas une grande discussion (on rit) ; ensuite l’art. bois, et cet article est important ; il faut donc que nous
soyons préparés à le discuter ; en 3ème lieu vient l’art. boissons distillées, qui est sans grandes importance, mais après cet
article nous aurons les cacao et les cafés. Vous voyez donc, messieurs, que
nous devons décider, dès à présent, que nous aborderons demain le tarif, afin
que nous puissions nous préparer à discuter ces articles importants que nous y
rencontrons dès le principe. La chambre me permettra aussi de dire un mot de
moi-même. Si nous n’adoptons pas une pareille marche, il me sera impossible
d’arriver ici convenablement préparé. Si l’on voulait demain par forme de motion d’ordre, demander que l’on
commençât, par exemple, par l’un des derniers articles, je dois bien le dire,
il me serait impossible de donner de mémoire tous les éclaircissements
nécessaires. Je demande donc qu’il soit bien entendu que l’on suivra l’ordre
alphabétique du tableau.
M. David (pour une motion d’ordre). - Je suis obligé de revenir encore sur une
demande que j’avais faite. La chambre avait bien voulu consentir à ce que l’on
insérât au Moniteur d’aujourd’hui la
traduction des discours qui ont été prononcés dans la dernière discussion du
parlement anglais, discussion que l’on avait qualifiée de très intéressante. Je ne sais pas si à cette occasion, on est de
nature à nous fournir quelques révélations ; je suis disposé à le croire, car
je ne puis m’expliquer la persistance que l’on met à ne pas faire droit à ma
proposition. Il me semble qu’il doit y avoir là quelque chose de caché ; je
demande que la traduction dont il s’agit soit insérée dans le Moniteur de demain et s’y l’on s’y
refuse je traduirai cette discussion moi-même.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable membre désirait savoir quelle avait
été l’issue de la discussion ; eh bien, la motion a été immédiatement rejetée.
M. le président. - Il a été écrit au directeur du Moniteur conformément à la décision de la
chambre, j’ignore la cause qui a pu empêcher l’insertion dans le numéro de ce
matin.
M.
Vilain XIIII. - Le
directeur du Moniteur n’a reçu la
lettre que hier soir, et alors il était trop tard pour que la traduction pût être
faite et insérée dans le numéro d’aujourd’hui.
M. de Haerne. - M. le ministre de l’intérieur vient de
manifester le désir de voir clore la discussion des questions de principe. Je
pense qu’il est encore une question de principe très importante qui doit être
traitée ; c’est celle des entrepôts flottants.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette question a été traitée et l’on pourra du
reste y revenir dans la discussion des chiffres, si on le juge convenable.
L’honorable membre pourra démontrer alors que ce qu’il appelle les entrepôts
flottants est trop favorisé, et si nous trouvons ses observations fondées, nous
les prendrons en considération.
M. de Haerne. - Je sais bien que cette question pourra
être traitée dans la discussion des chiffres, mais cette observation pouvait
s’appliquer à toutes les questions de principe que nous avons examinées ; il me
semble que si cette question était résolue d’abord sous la forme d’une question
de principe, la discussion des chiffres en serait beaucoup simplifiée.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pense pas que l’on puisse ouvrir une
discussion séparée sur cette question. Je crois qu’il faut attendre les
chiffres.
M. Donny. - Je dépose sur le bureau un amendement sur l’article bois. Je le développerai demain.
M. Lesoinne. - Peut-on clore avant que 1a commission d’enquête n’ait fait son rapport
sur la proposition de l’honorable M. de Haerne ? Je
demande que jusque-là le débat reste ouvert.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si l’on fait une motion d’ajournement, je
demanderai la question préalable. La chambre a décidé que l’on continuerait la
discussion ; quant à moi, je ferai l’impossible, pour que la décision de la
chambre soit maintenue. Je ne me laisserai fatiguer, ni décourager par aucune
motion d’ordre, par aucun genre d’entrave. Je demande que l’on mette aux voix
la dernière question de principe. Cette question, je le répète, ne comporte pas
de discussion, tout le monde est d’accord à cet égard.
La motion d’ordre de l’honorable M. Lesoinne
viendra ensuite.
M. Cogels. - Je ne vois aucune utilité à la
suspendre jusqu’à ce que la commission d’enquête ait pris une résolution sur la
proposition de l’honorable M. de Haerne.
- La chambre, consultée, résout affirmativement la
dernière question de principe posée par M. le ministre de l’intérieur.
M. le
président. - M.
Lesoinne a proposé d’ajourner la continuation de la discussion, jusqu’à ce que la
commission d’enquête ait présenté son rapport sur les propositions qui lui ont
été enseignées.
M. le ministre de l’intérieur a demandé la
question préalable sur cette proposition.
M. de Haerne. - Messieurs, la commission d’enquête
s’est occupée de ma proposition. Différentes opinions se sont manifestées au
sein de la commission. Une idée, entre autres, a semblé prévaloir dans l’esprit
de plusieurs de ses membres. Cette idée consisterait à établir une double
échelle. Je vous le demande, si l’on ne se décide pas, avant d’aborder les
chiffres, que le système qui favorise l’exportation d’une manière plus ou moins
directe, sera admis ou non, comment pourra-t-on discuter les chiffres en
connaissance de cause ? Je pense donc que la chambre doit d’abord être saisie
du rapport de la commission, avant d’entamer la discussion des chiffres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il me sera facile de
démontrer que l’honorable préopinant est dans l’erreur. L’idée à laquelle vient
de faire allusion l’honorable préopinant, je la connaissais, ce serait
d’accorder une faveur différentielle plus forte aux navires qui auraient
exporté. Ainsi, l’on dirait que le navire qui exportera jouira en outre, d’un
droit différentiel de 25 p. c., par exemple, ou d’une
réduction de 25 p. c. quant à la surtaxe. Je vous le demande, messieurs, si
tout le tarif était fait, ne pourriez-vous pas encore adopter cette idée, si
vous la jugiez réalisable ? Nous pouvons donc aborder le tarif. Je persiste, en
conséquence, à demander la question préalable sur la motion de l’honorable M.
Lesoinne.
M.
Verhaegen. - Si je
comprends bien l’honorable M. de Haerne, les chiffres
que nous allons voter dans le tarif doivent dépendre de l’acceptation ou du
rejet de la proposition de cet honorable membre. Je m’empare de l’exemple qu’a
supposé M. le ministre de l’intérieur : on accorde, a-t-il dit, une déduction
d’autant, pour tel objet à l’importation. Eh bien, je suppose qu’on veuille
aussi favoriser l’exportation : donnerez-vous encore autant à l’importation
quand vous favoriserez aussi l’exportation ? Partagerez-vous également la
faveur entre l’exportation et l’importation ? Le chiffre ne sera peut-être pas
aussi fort pour l’importation, si vous favorisez en même temps l’exportation ;
de manière que si le principe de l’honorable M. de Haerne
est admis, on fera concourir les faveurs de l’exportation avec les faveurs de
l’importation.
M. de Haerne. - M. le ministre de l’intérieur aurait
parfaitement raison, s’il s’agissait d’adopter une seule et même base pour les
chiffres. Alors je conçois très bien qu’après avoir discuté et adopté les
chiffres, on pourrait décider s’il y aurait une différence entre les navires
qui exportent et les navires qui n’exportent pas. Mais il ne s’agit pas, dans
la pensée de la commission, d’établir une différence unique et uniforme entre
les deux sortes de navires ; mais il s’agit d’établir une différence proportionnelle,
d’après la nature de chaque objet. Ainsi, si vous discutez et adoptez d’abord
le tarif, vous ne pourrez pas revenir sur ma proposition, à moins de discuter
le tarif une seconde fois.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dis que la remise proportionnelle
est toujours applicable au tarif. Je prie l’assemblée de vouloir bien ajouter
foi à mes paroles, car j’ai fait l’essai de ce système. Je demande donc qu’on
passe à l’ordre du jour. On ne peut pas venir, par des motions de ce genre,
arrêter une discussion commencée, une discussion publique, une discussion qui a
lieu devant tout le pays. La chambre peut être convaincue qu’elle ne se mettra
pas dans l’embarras, en passant outre.
M. Coghen. - Il me paraît impossible d’ajourner la discussion du tarif. Le système
que pourrait proposer la commission d’enquête ne pourrait pas affecter le
tarif. Je suppose qu’on propose une réduction sur les droits d’entrée pour les
navires qui exporteraient les produits du pays, il faudrait alors élever tout
le tarif ou cette différence deviendrait illusoire. Comment voulez-vous
accorder une réduction sur le droit d’un centime que payeront les cotons ? On
se plaint déjà d’une augmentation de 55 centimes qu’on n’aura à supporter que
dans des cas très rares.
M. de Haerne. - C’est pour cela qu’il faudra voter des
chiffres différents.
M. Coghen. - Il est impossible de songer à cela. Si
vous voulez faire quelque chose, il faut donner une prime par tonneau de
capacité ou suivant la valeur de la marchandise exportée ; mais quant à établir
une réduction de tarif pour favoriser les exportations, c’est impraticable.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce qu’on demande n’est pas nouveau,
vous avez un système semblable dans la loi de 1822. Je vous demande s’il a
fallu examiner tout le tarif, article par article, pour établir le système
protecteur qu’elle renferme. On a décidé d’une manière générale que dans tel ou
tel cas il y aura réduction de tant pour cent.
M.
Delehaye. - La
commission présentera un système nouveau.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande qu’on ne sorte pas de la question
pour se jeter dans l’inconnu. Je demande la question préalable sur la
proposition ; je demande ensuite que demain on aborde le tarif.
M. Cogels. - Pour appuyer la proposition de M. le ministre
de l’intérieur, je dirai à la chambre ce qui s’est passé à la commission
d’enquête. Elle a eu deux réunions ; elle s’est bornée à entendre MM. de Haerne, Cassiers et Eloy de Burdinne, sans s’arrêter à
aucun plan. Seulement on a signalé les difficultés que soulevait la question.
Vous concevez que si la commission parvient à
formuler une proposition, avant qu’elle n’y arrive, son travail pourra encore
durer assez longtemps. Dans tout état de cause, l’application de la résolution
pourrait se faire au tarif après l’adoption comme préalablement, car ce sera
une mesure qui aura un caractère de généralité.
M.
Verhaegen. - Pour
voter, il faut le faire en connaissance de cause ; on peut subordonner son vote
à l’admission de la proposition de M. de Haerne. Tel
membre qui désire quelque chose en faveur de l’industrie du pays, ne votera le
chiffre proposé qu’autant qu’il sera sûr que la proposition de M. de Haerne sera accueillie favorablement.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous voterez contre.
M. Verhaegen. - Ce serait voter à l’aventure. Je n’ai
pas envie, le moins du monde, de voter à l’aventure. Voici comment je comprends
la chose :
Il s’agit d’un chiffre. On veut donner une
faveur à l’importation, cette faveur est déterminée par un chiffre. Ce chiffre
sera-t-il le même, si en même temps on donne une faveur à l’exportation ? Si
par exemple vous accordez cinq francs en faveur de l’importation, donnerez-vous
encore 5 fr. pour l’exportation ou diviseriez-vous la faveur de manière à
donner quelque chose à l’importation et quelque chose à l’exportation ? Vous
voyez qu’avant de voter le chiffre, il faut savoir si après avoir donné quelque
chose à l’importation, vous donnerez aussi à l’exportation.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant n’a pas saisi la
question. Il s’agit d’une remise proportionnelle comme celle qui existe
aujourd’hui.
Je demande la question préalable sur la motion
d’ajournement. Il faut maintenir la décision de la chambre.
M. Desmaisières. - Je désire qu’il n’y ait pas
d’ajournement ; cependant je dois faire connaitre les
faits tels qu’ils sont. La chambre a renvoyé à l’examen de la commission
d’enquête une simple question : Mettra-t-on à la jouissance des droits
différentiels, la condition d’exporter des produits du sol ou de l’industrie du
pays ? Nous avons pensé que, pour répondre à cette question, nous en avions
deux autres à examiner. La première est celle-ci : serait-il désirable
d’accorder des faveurs aux navires qui exporteraient des produits belges ? A
cette question la commission a été unanime pour répondre oui. Des lors que nous
reconnaissions tous qu’il était désirable de pouvoir accorder des faveurs à
l’exportation des produits du sol et des manufactures, nous avions à rechercher
quels moyens pratiques devaient être employés pour arriver à ce but ; nous
avons entendu dans leurs développements M. l’abbé de Haerne
et M. Eloy de Burdinne.
Un membre de la commission a jeté en
avant, sans en faire une proposition entièrement formulée, l’idée, non pas
d’accorder une remise proportionnelle sur le tarif tel qu’il serait adopté par
la chambre, en faveur de l’exportation des produits du sol et des manufactures
belges, mais de diviser chacune des deux colonnes du tarif proposé en deux, et
d’établir deux chiffres pour le pavillon national et deux pour le pavillon
étranger, Le chiffre le plus élevé frapperait le navire qui n’exporterait pas
de produits du pays, et le chiffre moins élevé le navire qui en exporterait.
Ainsi, pour parler par un exemple, je prendrai le
premier article du tarif différentiel du gouvernement, l’article Baleines.
Pour 100 kil. de fanons de baleines de la pêche étrangère, importés
directement des pays transatlantiques, le droit est de 12 fr. par pavillon
national et de 14 fr. par pavillon étranger. On conserverait ou on augmenterait
le droit de 12 fr. dans la première colonne des deux, qui concerneraient le
pavillon national et on porterait un chiffre moindre dans la seconde en faveur
des navires qui exporteraient des produits belges. On en agirait de même pour
le droit de 14 fr. à payer par pavillon étranger.
Des augmentations de droits pour les navires qui
n’exporteraient pas, pourraient être rendues nécessaires afin de rendre la
différence entre ces droits et ceux qui frapperaient les navires qui
exporteraient assez forte pour constituer, en faveur de ces derniers navires,
un avantage suffisant.
J’ai cru, messieurs, devoir donner ces
explications, et je laisse maintenant à la chambre à juger s’il est possible de
commencer par arrêter le tarif des droits différentiels, sans attendre que la
commission ait pu faire un rapport sur la question qui a été renvoyée à son
examen.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La difficulté ne consiste pas à trouver cette
stipulation qu’il sera accordé avec une remise proportionnelle d’autant pour
cent, mais à trouver les moyens d’exécution. Je désire que la commission
continue son travail, j’espère que j’y serai associé ; malgré ma déclaration
que je ne crois pas à la possibilité de la réussite, je fais des vœux pour le
succès de ses recherches ; mais je désire, d’un autre côté, que la discussion
continue sur le tarif. Si les moyens de favoriser l’exportation sont trouvés,
je me fais fort de les appliquer au tarif immédiatement.
- La chambre consultée, prononce la question
préalable sur la proposition d’ajourner la discussion jusqu’après le rapport de
la commission d’enquête sur la question qui lui a été renvoyée.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous nous occuperons demain des articles du
tarif dans l’ordre alphabétique.
La séance est levée à 3 heures.