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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 4 mai 1844

(Moniteur belge n°126, du 5 mai 1844)

(Présidence de M. d’Hoffschmidt, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners fait l’appel nominal à midi et quart.

M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Auguste de Grignart, commis des accises à Boussu, né à Mondercange (partie cédée du Luxembourg), prie la chambre de lui faire connaître si la qualité de Belge lui est acquise. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Plusieurs négociants de Liége présentent des observations contre le système des droits différentiels proposé par le gouvernement. »

- Sur la proposition de M. Lesoinne, la chambre ordonne le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion des conclusions de l’enquête parlementaire et son insertion au Moniteur.


Lettre de M. Zoude, en date de ce jour, faisant connaître qu’une entorse qu’il s’est faite hier le met dans l’impossibilité d’assister à la séance.

Motion d'ordre

Pratiques des ventes à l'encan

M. Delehaye. - Au moment où la chambre s’occupe des mesures à prendre dans l’intérêt du commerce et de l’industrie, il ne sera pas hors de propos d’interpeller le gouvernement au sujet d’une pétition qui lui a été renvoyée, il y a 2 ans, et qui semble dormir dans les cartons, quoique l’objet de cette pétition lui ait été souvent rappelé.

Il y a deux ans, le commerce du pays s’était alarmé des fraudes commises à l’ombre de la loi sur les ventes à l’encan. Il avait adressé à la chambre une pétition signée par un grand nombre de détaillants et d’industriels, appuyée par le commerce et par le conseil communal de Bruxelles. Le gouvernement avait promis de prendre en considération cette réclamation. Nous espérions donc qu’au moment où l’on cherche à faire droit aux justes doléances du commerce et de l’industrie du pays, le gouvernement s’efforcerait d’entraver ces ventes à l’encan à 50 ou 40 p. c. au-dessous du prix de fabrique ; ces ventes, en général, se composent de fabricats étrangers, ce qui, on le conçoit aisément, fait un tort immense à notre commerce et a notre industrie.

La France a donné l’exemple ; elle a modifié la loi relative aux ventes à l’encan. Nous avions espéré que le gouvernement aurait suivi cet exemple.

Je crois qu’il est temps de saisir la chambre d’une loi qui mette un terme aux réclamations du commerce. Je demande si le gouvernement se dispose à la faire.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Depuis deux ans, a rappelé l’honorable membre, une pétition a été renvoyée au gouvernement.

Deux fois déjà, le gouvernement s’est occupé de cet objet d’une manière toute spéciale, lorsqu’il a présenté la loi de 1836, et lorsqu’il a proposé le projet de loi relatif à la patente des marchands ambulants, des marchands qui déballent dans les auberges ; et que l’on a signalés comme vendant à vil prix des marchandises étrangères. Cette loi a déjà produit de bons fruits.

L’honorable membre réclame des dispositions nouvelles sur les ventes à l’encan. Déjà une loi sur les ventes à l’encan a été votée en 1836. Je crois cette loi insuffisante. Depuis quelque temps, je me suis concerté à ce sujet avec M. le ministre de l’intérieur. Mais nos travaux ont été si multipliés, si importants, qu’ils ne nous ont pas permis de donner à cet objet tout le temps qu’il exige. Cependant nous apprécions tout l’intérêt qu’on doit y porter. Nous nous en occuperons avec sollicitude, de manière à saisir le plus tôt possible les chambres d’un projet de loi sur cet objet.

Rapport sur une pétition

M. le président. - La parole est à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je vais donner à la chambre quelques explications sur l’application au commerce des vins de la convention du 16 juillet 1842.

Cette convention est conçue en termes généraux relativement à l’importation des vins de France ; voici quelles sont les dispositions de son art. 2 :

« Art. 2. Le gouvernement de S. M. le Roi des Belges s’engage en outre :

« 1° D’une part, à réduire le droit de douane sur l’importation des vins de France, tant par terre que par mer, cinquante centimes par hectolitre pour les vins en cercles, et à deux francs par hectolitre pour les vins en bouteilles ; d’une autre part, à réduire de vingt-cinq pour cent le droit d’accise maintenant existant sur les vins de France ; bien entendu que, pendant la durée du présent traité, ces droits de douane et d’accise ainsi réduits ne pourront être élevés, et que les vins d’aucune autre provenance étrangère ne sauraient être soumis en Belgique à des droits quelconques plus favorables que ceux acquittés par les vins de France. »

Cette convention fut approuvée par la loi du 6 août. Dès le 19 août, le département des finances prescrivit les mesures nécessaires pour son exécution. Dans les dispositions prises se trouve un paragraphe qui a donné lieu à des réclamations de la part de la France et dont je vais donner lecture à la chambre ; il concerne le droit sur les vins :

« § 18. Afin de prévenir toute incertitude pour la perception des droits sur les vins, il ne sera peut-être pas inutile de faire observer ici que, d’après l’esprit de la convention, la réduction des droits ne peut être accordée que pour les quantités importées directement de France soit par mer, soit par terre. Ainsi tous les uns venant d’autres pays, quoique de cette provenance, doivent être soumis au régime des droits de douane et d’accise établi avant la mise à exécution de la convention. »

D’après cette interprétation les vins devaient arriver directement de France pour pouvoir être admis aux droits réduits.

Le 16 novembre 1842, l’ambassadeur de S. M. le Roi des Français remit au gouvernement belge une note pour réclamer l’entière exécution de la convention ; il fit remarquer que la convention ne faisait pas de distinction entre l’importation par voie directe et l’importation par voie indirecte ; que, par conséquent, les vins d’origine française, importés par les Pays-Bas, devaient jouir de la diminution des droits.

Le gouvernement belge répondit à cette note le 19 novembre. Il convint que, d’après les termes de la convention, la Belgique ne pouvait méconnaître qu’elle devait, si la France persistait dans sa réclamation, réduire les droits sur les vins d’origine française importés par une frontière quelconque ; la réclamation de la France ne fut combattue que par des motifs puisés dans l’intérêt des deux pays ; il a représenté que des vins sophistiqués pouvaient être importés par la Hollande comme vins purs d’origine française, que ce serait un résultat fâcheux pour les deux pays, pour la Belgique qui consommerait des vins de mauvaise qualité, tout en perdant une partie de l’accise, et pour la France qui nous livrerait une moindre quantité de ses propres vins ; par suite de cette réponse, il ne fut provisoirement apporté aucun changement au mode d’exécution de la convention.

Le gouvernement français, voulant s’éclairer sur les craintes que nous avions manifestées, prit des renseignements pour s’assurer si, en effet, il était présumable que de vins préparés de la manière usitée dans quelques localités des Pays-Bas, fussent introduits en Belgique, au lieu de vins d’origine française. Cette information eut pour résultat que le gouvernement français ne crut son commerce menacé d’aucune atteinte par l’admission des vins de France aux droits modérés par la frontière des Pays-Bas ; il fit remarquer d’ailleurs qu’il n’est pas dans nos habitudes de consommer des vins de l’espèce de ceux qui sont travaillés dans les Pays Bas. Ces renseignements, recueillis dans l’intérêt de la France, n’avaient rien de commun avec la question du droit dérivant du traité, question sur laquelle aucun des deux gouvernements n’a élevé de doutes.

Le gouvernement français ayant, en ce qui le concernait, toute sécurité sur les abus dont nous avions indiqué la possibilité, nous adressa, le 11 septembre 1843, une nouvelle note dans laquelle il prenait d’abord acte de l’aveu fait par le gouvernement belge dans sa réponse du 16 novembre 1842, que la convention du 16 juillet ne faisant aucune distinction, nous ne pouvions contester à la France le droit de nous importer des vins d’origine française par une autre voie que par la voie directe, Il nous déclarait ensuite qu’à ses yeux la difficulté que nous signalions n’existait pas, parce que, dans sa conviction, la Belgique ne consomme pas de ces vins qu’on prépare dans les Pays-Bas ; que, par conséquent, il demandait l’exécution complète de la convention. En présence d’une réclamation aussi précise, le gouvernement ne crut pas pouvoir s’abstenir plus longtemps d’admettre, au droit modéré, les vins d’origine française venant par une autre voie que celle de France.

Le 13 septembre, après délibération du conseil des ministres, je fis donc connaître aux directeurs des douanes et accises dans le Limbourg, que les vins d’origine française, arrivant par la frontière du Limbourg n’acquitteraient désormais que les droits réduits. Un peu plus tard, des instructions de même nature furent données aux autres directeurs.

Peut-être des mesures particulières auraient-elles pu être prises pour constater l’origine des vins. Mais jusqu’ici l’on s’est borné à une seule, la dégustation. Les employés des douanes s’assurent, par ce moyen, de l’espèce de vin importé. C’est ce qu’ils ont fait même à Anvers pour des vins arrivés directement de France, et qu’on présumait ne pas être d’origine française.

Si l’on ne s’est pas montré très rigide pour les formalités, c’est qu’à l’époque où des instructions ont été données, les vins d’Allemagne étaient également admis aux droits réduits ; de manière que la substitution de vins étrangers n’était guère à craindre. Il n’y avait donc que la sophistication qui fût possible. Mais nous devons convenir qu’il n’est pas dans nos habitudes de consommer ces vins mélangés, tels qu’on les prépare chez nos voisins ; du reste, nous n’en recevons guère que de Maestricht.

Voyons maintenant quelle a été notre position vis-à-vis de la Hollande, sous le point de vue du commerce des vins.

En vertu de la loi du 31 mars 1828, un droit de 3 fl. frappait tous les vins importés dans les Pays-Bas, autrement que par mer, aussi bien de provenance d’Allemagne que d’origine française. Nous avons été soumis au régime de cette loi de 1828 vis-à-vis des Pays-Bas, comme la France, comme l’Allemagne.

Mais deux traités ont été successivement conclus entre le Zollverein et les Pays-Bas et entre la France et les Pays-Bas.

Le premier de ces traités porte la date du 21 janvier 1839. Par ce traité, le droit sur les vins a été réduit de 3 fl. à 10 cents par hectolitre. Les Etats du Zollverein ont joui pendant un an et demi de cette réduction de droits. Ce traité n’a pas été renouvelé ; il n’existe plus.

Un autre traité, comme je l’ai dit, a été conclu par les Pays-Bas : c’est celui du 25 juillet 1840 avec la France. Il a commencé à recevoir son exécution en vertu de l’arrêté royal du 12 juillet 1841.

Ce traité supprime le droit de 3 fl. sur les vins en cercles, et réduit aux 2 cinquièmes celui sur les vins en bouteilles ; de 5 fl. qu’il était il est réduit à 2 fl.

Ce traité, messieurs, accorde la réduction des droits aux vins français importes dans les Pays-Bas, par voie indirecte. Le dernier alinéa de son article 10 porte : « On déterminera de commun accord les mesures de contrôle et les formalités des certificats d’origine, propres à constater la nationalité des produits énoncés dans le présent article, hors celle de vins et eaux-de-vie directement expédiés de Prince, pour lesquels les manifestes ou lettres de chargement, dont les capitaines, patrons ou bateliers, seront régulièrement porteurs, tiendront lieu de certificats d’origine. »

Il résulte évidemment de cette disposition que des vins non importés directement de France, mais d’origine française, doivent être reçus au droit modéré par le gouvernement des Pays-Bas.

Il se trouve, cependant, messieurs, que nos négociants éprouvent des difficultés, qu’ils se plaignent de ce que leurs vins d’origine française sont frappés du droit de douane de 3 1/2 en Hollande. D’anciennes réclamations relatives à ce droit m’ont été mises sous les yeux il y a quelques jours, mais depuis mon entrée au ministère il ne m’en est parvenu aucune de la part de notre commerce sur ce point ; en d’autres termes aucune observation ne m’a été faite sur l’exécution du traité entre les Pays-Bas et la France. La réclamation dont nous nous occupons fait présumer que le gouvernement des Pays-Bas exige certaines formalités qui ne permettent pas à nos négociants d’user du bénéfice de ce traité en exportant en Hollande des vins d’origine française qu’ils ont en entrepôt ou dans leurs magasins.

Mon opinion est que le gouvernement belge ne doit pas prendre d’autres mesures pour l’exécution de la convention du 16 juillet 1842 que celles que le gouvernement des Pays-Bas peut avoir prescrites pour l’exécution du traité du 25 juillet 1840. Si donc ces mesures sont telles qu’elles empêchent nos négociants d’exporter les vins français en Hollande, avec jouissance de la modération des droits, il me paraît de foute justice que les mêmes formalités soient exigées de la part des négociants des Pays-Bas qui voudront importer chez nous des vins d’origine française.

M. d’Elhoungne. - Quelles sont ces formalités ?

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je crois qu’on exige des certificats d’origine et en outre le manifeste du capitaine du bâtiment, quand il s’agit d’importations par canaux ou rivières, ou bien, si c’est par terre, la lettre de voiture du conducteur. Il résulterait de là qu’il n’y aurait que le transit continu sans interruption, qui jouirait de la faveur de l’importation dans les Pays-Bas par la voie de Belgique des vins de France aux droits réduits, mais que les vins sortant, par exemple, des entrepôts, et ne pouvant plus justifier de la lettre de voiture, ne seraient pas admis avec cette modération de droit.

De nouveaux arrangements devront donc nécessairement être arrêtés ; j’espère que le gouvernement des Pays-Bas, renoncera de son côte, à ce qu’il y aurait de trop rigoureux dans des formalités qui ne permettent pas à notre commerce d’exporter en Hollande des vins d’origine française ; en tout cas, le même régime devra être suivi de part et d’autre. Il est évident que le traité du 25 juillet 1840 doit être exécuté, sous ce rapport, de la même manière que la convention du 16 juillet. Des communications seront faites dans ce sens aux gouvernements français et des Pays-Bas.

M. Osy. - Vous voyez, messieurs, que le gouvernement lui-même avait entendu le traité avec la France en ce sens qu’il n’était applicable qu’aux vins français arrivant directement par terre ou par mer et non aux vins arrivant indirectement par la frontière du Nord.

L’honorable M. Mercier dit qu’il n’avait aucune connaissance des réclamations des marchands de vin. Cependant j’ai ici la copie de lettres et pétitions adressées en 1842 au ministère des finances. C’est une lettre de marchands de vin d’Anvers et une pétition du mois d’octobre 1842 de négociants en vin de Liège. Le gouvernement ne pouvait donc ignorer que le commerce belge réclamait dès 1842, qu’il l’engageait à ne plus faire de concessions à la Hollande avant qu’elle n’eût retiré l’arrêté de 1828, qui ne permet aux Belges d’introduire des vins français chez elle qu’en payant la surtaxe de 3 fl. par hectolitre

Vous voyez, messieurs, que le gouvernement, par sa note du 19 novembre 1842, a déclaré qu’il entendait la convention avec la France comme nous, c’est-à-dire, qu’elle ne s’appliquait qu’aux vins venant par la frontière du Midi et par mer et non aux vins venant par la frontière du Nord. Je crois, messieurs, que tous ceux qui lisent la convention ne peuvent l’interpréter autrement. L’honorable M. Smits, qui a été au pouvoir jusqu’au mois d’avril 1843, s’est constamment refusé de l’entendre d’une autre manière.

M. le ministre nous dit : « Le 11 septembre 1843, j’ai reçu une nouvelle note de la France. » Et qu’a fait le gouvernement belge ? Il s’est hâté, le 13 septembre, c’est-à-dire, deux jours après cette note, d’y faire droit, et au lieu de prendre un arrêté royal pour que tout le monde sache ce qui se passe, c’est par une petite circulaire de quatre lignes aux directeurs de la douane, circulaire dont je vais vous donner lecture, qu’il tranche la question :

« 13 septembre 1843.

« Je vous prie de donner des ordres, pour qu’à partir du 20 de ce mois, la réduction des droits établis par la convention du 16 juillet 1842, soit appliquée aux vins de France qui seront importés par les bureaux de terre et de rivière ouverts à l’entrée des marchandises d’accises sur la frontière du Limbourg hollandais. »

Messieurs, je demanderai si ce n’est pas là la manière la plus irrégulière de faire les affaires du pays. Ce n’est pas par une circulaire qu’on décide des affaires aussi importantes, on prend un arrêté motivé et on le fait insérer au Moniteur, pour que chacun sache à quoi s’en tenir et puisse faire des réclamations. Comme je l’ai déjà dit et comme je l’expliquerai encore tout à l’heure les Hollandais sont plus favorisés que les Belges ; un négociant de Liége est venu me trouver au mois de février, et m’a prié de faire des réclamations à la chambre. Comme je n’ai pas l’habitude de faire des réclamations sans les appuyer de pièces, je lui ai dit : Prouvez-moi ce que vous dites et je ferai toutes les réclamations que vous désirez.

Je vous ai déjà parlé de cette affaire au mois de mars ; mais j’ai cru qu’il valait mieux remettre mes observations à aujourd’hui, que nous nous occupons des divers traités avec l’étranger.

Messieurs, je vous ai déjà prouvé que nous étions mal traités par la Hollande puisqu’elle maintenait son arrêté de 1828 envers nous. Je dis donc que le gouvernement belge, considérant lui-même que la convention du 16 juillet n’était applicable qu’aux vins venant par la frontière du Midi, n’aurait pas dû permettre ni par arrêté royal ni par circulaire, leur importation par la frontière du Nord, avant qu’elle n’eût retiré son arrêté de 1828 qui était hostile à la France.

Je vous disais, messieurs, que les marchands de vin hollandais étaient plus favorisés que les marchands belges. Je rappellerai ce que j’ai déjà dit à cet égard.

Les marchands hollandais reçoivent de petits vins de Bordeaux qu’ils mêlent avec des vins d’Espagne. J’ai vu, dernièrement encore, dans les annonces des journaux hollandais, qu’il était arrivé de l’Espagne des chargements de vins. Nous sommes obligés de payer les droits d’accises entiers sur les vins d’Espagne. Les marchands hollandais coupant des petits vins de France avec les vins d’Espagne, les importent en Belgique comme vins français, et ils obtiennent la réduction sur les droits d’accises. Vous voyez donc que le marchand hollandais est favorisé au détriment du marchand belge.

Ce n’est pas tout, messieurs, il se commet une autre fraude, ou si elle ne s’est pas encore commise, elle se commettra. Je puis le dire, parce que les négociants hollandais connaissent leurs intérêts.

Le vin de Grave de France ressemble beaucoup au vin du Rhin. Les marchands hollandais vont prendre des barriques de vin de Grave et y mettent des vins du Rhin qu’ils exporteront ensuite en Belgique comme des vins de France, avec la réduction du droit.

Messieurs, je dois donc blâmer le gouvernement d’avoir pris une mesure aussi importante par une circulaire, il faut, quand on explique une convention, que ce soit à la vue de tout le pays et par arrêté royal.

Nos marchands de vin, messieurs, faisaient, avant la révolution, un très grand commerce de vin avec la Hollande, parce que nous avons surtout dans le pays l’art d’arranger le vin de Tours qu’on place beaucoup dans les pays catholiques et que nous exportions en fortes quantités dans le Brabant septentrional, dans le Limbourg et même dans la Gueldre. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus exporter ces vins. Nous avons une commune hollandaise vis-à-vis Anvers, c’est Hulst, où nous pouvons arriver en deux heures. Eh bien, nous ne pouvons y exporter du vin qu’en payant 15 francs par barrique. Pour ne pas payer ce droit, nous serions obligés d’envoyer nos vins à Rotterdam, mais les frais de transport par mer coûteraient au moins 1 1/2 à 2 florins.

Messieurs, nous avons souvent demandé le retrait d’un arrêté ; je demanderai formellement à mon tour le retrait de la circulaire de M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable préopinant trouve étonnant que ce soit par une circulaire que l’on indique aux agents de l’administration la manière dont le traité doit être exécuté. Or jamais on n’a suivi une autre marche. L’honorable membre ne fait pas d’observation sur ce que l’exécution du traité tout entier ait été réglée par une simple instruction, par une simple décision administrative, et il trouve étonnant que lorsque le gouvernement reconnaît que sur un point cette exécution n’a pas en lieu d’une manière complète, la première instruction soit modifiée par une instruction de même nature ; la première instruction, je le répète, était aussi une décision ministérielle et non pas un arrêté royal. L’honorable membre ferait-il une distinction entre une longue instruction et une instruction plus courte ? Mais si la première instruction était plus longue que la seconde et avait par cela même un caractère plus respectable à ses yeux, c’est que l’une concernait le traité tout entier, tandis que l’autre ne se rapportait qu’à un seul point de ce traité.

La question est de savoir, si l’on a pu donner la première instruction par une décision ministérielle, et si ensuite on n’a pas pu modifier cette première instruction par une autre décision ministérielle. Quant au traité nous n’y ajoutons rien, nous n’en retranchons rien, nous reconnaissons seulement, que moyennant certaines précautions à prendre, nous sommes tenus d’admettre les vins d’origine française par d’autres frontières que celle de France.

Voilà, messieurs, ce que nous avons reconnu et ce qui n’avait pas été contesté par le ministère précédent. Le ministère précédent n’avait fait des représentations au gouvernement français, que sous le point de vue des intérêts mêmes de la France ; et n’avait nullement refusé à la France le droit d’exiger l’importation de ses vins par toutes les frontières.

Depuis lors, le gouvernement français nous a déclaré qu’il n’avait pas l’intérêt que nous lui supposions à ce que nous n’admissions pas les vins français par la frontière hollandaise, et qu’il réclamait l’exécution complète du traité. Nous avons reconnu le fondement de cette réclamation comme le ministère précédent l’avait reconnu, et nous y avons fait droit, nous avons rectifié dans ce sens un paragraphe de l’instruction ministérielle, relative à l’exécution du traité, et nous l’avons fait par une autre instruction ministérielle. Fallait-il autre chose ? Fallait-il un arrêté royal pour modifier une décision ministérielle ? Mais, messieurs, c’eût été là une chose tout à fait insolite.

Maintenant, messieurs, si nous avons reconnu que nous ne pouvions pas nous refuser à admettre les vins d’origine française par toutes les frontières, nous convenons qu’il y a des précautions à prendre pour constater la réalité de cette origine. Si précédemment il n’a pas été pris de très grandes précautions à cet égard, c’est, je le répète, que nous n’y avions pas le même intérêt qu’aujourd’hui, parce qu’alors les vins d’Allemagne arrivaient aussi aux droits modérés. Aujourd’hui il n’en est plus de même, et de nouvelles précautions devront être prises.

J’ai ajouté, messieurs, que des mesures analogues devront être adoptées par les deux gouvernements. Je croyais que cette déclaration était de nature à satisfaire l’honorable membre, qui désire surtout que les relations interrompues avec les Pays-Bas puissent être reprises. Quant au retrait pur et simple de la mesure, c’est chose impossible : nous n’avons pris de nouvelles dispositions, nous n’avons fait que reconnaître un droit qui résulte de la convention, et qui avait été reconnu également par le précédent ministère ; je dis par le précédent ministère, car il ne s’agit pas ici de l’opinion individuelle du ministre des finances ; le ministre des finances n’a fait ici qu’agir conformément à l’opinion du cabinet tout entier, qui est, du reste, je me hâte de le dire, tout à fait conforme à mon opinion personnelle.

Je dois encore relever une erreur commise par l’honorable préopinant. Le droit de 3 florins que les Pays-Bas perçoivent sur les vins importés indirectement, ce droit n’existe pas seulement à notre égard ; depuis que le traité de 1839 est expiré, ce droit est perçu également à l’égard du Zollverein. Le tarif des Pays Bas ne fait, sous ce rapport, aucune distinction ; la France seule, en vertu de son traité, se trouve dans une autre position que nous.

L’honorable membre a dit que certains vins du Rhin ressemblent à ces vins de France et qu’on les importera chez nous en transit par la Hollande. C’est là, messieurs, une fraude que nous devons prévenir par des formalités que nous prescrirons. Nous exigerons, par exemple, des certificats d’origine. Dans tous les cas, la chose fût-elle difficile, ce ne serait pas pour nous un motif de ne pas exécuter la convention.

Je me résume, messieurs, en répétant qu’il faudra avoir recours à des mesures autres que celles qui ont été prises jusqu’à présent et que ces mesures devront être les mêmes pour les deux pays.

M. Osy. - Messieurs, je ne partage pas du tout l’opinion de M. le ministre des finances qu’il pouvait modifier l’exécution du traité avec la France par une simple circulaire ; l’exécution du traité a été annoncée au public par un arrêté royal, et lorsque le gouvernement a cru devoir apporter des changements à cette exécution, il aurait dû également en informer le public au moyen d’un arrêté royal, ou au moins par une instruction insérée dans tous les journaux et dont chacun pût avoir connaissance. Je maintiens donc qu’une grande irrégularité a été commise. La France prétend interpréter le traité dans un sens qu’elle dit lui être favorable, et qui, selon moi, n’est favorable qu’à la Hollande. Quoiqu’il en soit, nous avions également des réclamations à faire à la France. Le gouvernement français a défendu l’emploi de nos toiles pour l’habillement des troupes ; eh bien, cela est contraire à l’esprit du traité ; le gouvernement belge aurait dû s’en plaindre, il aurait dû demander le retrait de cette prohibition et y subordonner la mesure que réclamait la France ; mais notre gouvernement n’ose jamais lever la tête ; nous ne savons que ramper.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable M. Osy vient de dire qu’il a été pris un arrête royal pour l’exécution du traité avec la France ; mais cet arrête n’a été pris que pour régler les droits à percevoir ; ce n’est pas cet arrêté que nous avons modifié ; ce que nous avons modifié, c’est l’instruction ministérielle du 19 août 1842. Quant à l’arrête royal dont l’honorable M. Osy a parlé, voici ce qu’il porte à l’égard des vins :

« Le droit d’accise sur les vins étrangers, maintenu à 23 fr. 85 c. par hectolitre, par la loi du 29 décembre 1841, est réduit d’un quart pour les vins de France et reste fixé à 17 fr. 80. »

Maintenant, comme je l’ai fait observer tout à l’heure, l’instruction du 19 août 1842 exige que les vins viennent directement de France. C’est à cette instruction ministérielle qu’il a été dérogé par une autre instruction ministérielle.

Quant à la dernière observation de l’honorable membre, je ne pense pas que, du moment où nous reconnaissions que la France ne réclamait que l’exécution complète du traité, il eût été loyal de notre part de vouloir subordonner cette exécution à telle ou telle condition. Je pense que nous étions tenus à faire purement et simplement droit à la réclamation de la France, puisque nous reconnaissions que cette réclamation était fondée en droit.

M. Delehaye. - Le gouvernement est d’accord avec nous que la manière dont la Hollande a exécuté les dispositions du traité relatives à l’importation des vins, est tout à fait nuisible à notre commerce ; seulement le gouvernement, pour exécuter les mesures qu’il a prises, invoque la convention faite entre la Belgique et la France. Je concevrais que le gouvernement français exigeât que la Belgique prît les mesures nécessaires pour empêcher l’importation de vins sophistiqués, mais je ne conçois pas que le gouvernement hollandais vienne invoquer des faveurs que nous n’avons accordées qu’à la France. Le commerce français doit souffrir ; les commerçants français sont les premiers lésés par l’importation en Belgique de vins falsifiés. La mesure prise par le gouvernement belge doit donc avoir un autre motif que les réclamations de la France ; cette mesure doit avoir des motifs que l’on vous cache, car, je le répète, le gouvernement hollandais ne peut pas invoquer une concession que nous n’avons faite qu’à la France, et la France, de son côté, est autant que nous au moins, intéressée à ce qu’on n’importe pas en Belgique des vins sophistiqués, sous prétexte que ce seraient des vins venant de France.

Messieurs, je n’ai pas sous les yeux la convention qui a été conclue avec le gouvernement français ; mais, si je ne me trompe il est dit dans la convention : les vins venant de France.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - La convention porte : les vins français.

M. Delehaye. - Soit ; j’admets que la convention s’exprime de cette manière ; mais il n’est pas dit de quelle façon ces vins seront importés.

Messieurs dans une circonstance précédente, en parlant de la convention faite avec la France, relativement aux toiles, il m’est arrivé de dire que le gouvernement français avait bien fait, non pas sans doute au point de vue de l’intérêt belge, mais au point de vue de l’intérêt français ; avait bien fait, dis-je, de ne pas admettre les toiles belges pour la confection des habillements militaires,

La convention n’oblige pas en termes exprès la France à admettre les toiles belges en concurrence avec les toiles françaises pour l’approvisionnement de l’armée. Si vous vouliez que nos toiles fussent appelées à concourir à cet approvisionnement, vous deviez vous expliquer à cet égard d’une manière catégorique dans votre traité. Vous ne l’avez pas fait ; vous vous plaignez de la mesure nouvelle qui a été prise par le gouvernement français ! Dans ce cas, vous agissez encore au rebours du gouvernement français, et si, comme le pense notre gouvernement, le gouvernement français a manqué de loyauté dans l’exécution de la convention, c’était un motif de plus pour repousser des frontières de la Belgique, les vins français venant par la Hollande ; mais cette fois-ci, comme toujours, le gouvernement est resté sourd aux réclamations du commerce belge.

La loyauté, la bonne foi, nous imposent le devoir de remplir rigoureusement les obligations contractées ; aller au-delà n’est plus que duperie.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, l’honorable préopinant paraît croire que c’est l’intérêt d’une puissance étrangère à la convention qui nous avait préoccupé, et que nous n’avions cédé qu’à ses instances.

J’ai eu soin cependant de citer les notes que nous avons reçues du gouvernement français. Sans doute le gouvernement des Pays-Bas est intervenu de son côté ; mais je ne pense pas que l’on prétende que sa réclamation dût être un motif pour repousser les prétentions du gouvernement français, qui demandait l’exécution complète de la convention.

Nous avons reçu, je le répète, deux notes du gouvernement français, l’une du 16 novembre 1842, l’autre du 11 septembre 1843 ; nous n’avions pas à rechercher si ces notes avaient été faites à l’instigation du gouvernement des Pays-Bas. Il suffisait que la France réclamât l’exécution complète de la convention, pour que nous ne puissions pas nous y refuser. Du reste, il est à notre connaissance que des réclamations fort vives avaient été adressées au gouvernement français par le commerce de Bordeaux. Au résumé, nous n’avons fait qu’appliquer loyalement une convention passée entre le gouvernement belge et le gouvernement français ; abstraction faite de tous autres intérêts, que nous désirions ne pas froisser, nous ne pouvions pas nous refuser à l’exécution de la convention.

En réponse à une observation faite par l’honorable préopinant, je ne puis que reproduire l’observation déjà faite, que lorsque nous avons reconnu la portée d’une convention passée avec un Etat étranger, nous ne pouvons mettre à l’exécution de cette convention une condition quelconque.

L’honorable préopinant a pris à tâche de justifier certaines mesures qui ont été prises relativement aux tissus de lin. Nous convenons qu’il s’agissait là d’un acte d’administration intérieure et que la convention ne renfermait, à cet égard, aucune disposition expresse ; mais nous avons pensé que la saine interprétation de cette convention exigeait que nos toiles fussent admises à concourir sur le marché français avec les toiles indigènes, sans aucune espèce d’exclusion.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, la réclamation des pétitionnaires soulève une question d’interprétation de la convention, faite le 16 juillet 1842 avec la France. C’est donc une question d’interprétation d’une loi du pays, et quelle que soit la conviction de M. le ministre des finances, sur le sens à donner au traité, c’est toujours aux chambres qu’il appartient, en définitive, de décider cette question.

Pour mon compte, je ne pense pas que la chambre puisse partager la conviction de M. le ministre des finances, aussi longtemps que le traité du 16 juillet 1842 n’a pas reçu l’assentiment du pouvoir législatif de France. La simple comparaison du traité fait entre la France et la Belgique, avec la convention faite entre les Pays-Bas et la France me semble lever la difficulté.

En effet, dans le traité entre la Belgique et la France, l’on n’établit pas spécialement que les faveurs de tarif s’appliqueront aux arrivages indirects comme aux arrivages directs. Or, en thèse générale, lorsqu’il n’y a pas de stipulation spéciale pour les expéditions indirectes dans les traités, on a toujours en vue les arrivages directs. J’en puise déjà la preuve dans la convention faite entre les Pays-Bas et la France. Dans cette convention, si l’on n’avait pas fait une mention expresse des arrivages indirects, on aurait encore pu l’induire même de la situation des deux pays ; eh bien ! l’on a jugé que cela ne suffisait pas, et nous trouvons dans le dernier paragraphe de l’article 10 cette clause significative : Que les formalités pour constater la provenance des arrivages indirects, seront arrêtées contradictoirement entre les deux puissances contractantes. Cette clause est significative. Pourquoi ? Parce que s’il avait été donné à un seul gouvernement, à celui des Pays-Bas, de prescrire les formalités auxquelles on reconnaît la provenance des arrivages indirects, ce gouvernement aurait eu de fait entre les mains le droit de fermer son marché à ces arrivages.

Dans notre traité avec la France, il n’y a aucune trace d’une semblable stipulation pour les arrivages indirects. Il n’y est pas non plus stipulé que les formalités à arrêter pour reconnaître la provenance des arrivages indirects, le seraient par les deux parties contractantes. On ne peut donc admettre que ce traité reconnaisse la légalité des arrivages indirects. Mais il en serait autrement, que ce serait au gouvernement belge qu’il appartiendrait toujours de régler les formalités pour reconnaître et constater la provenance. Je répète donc que si l’on veut interpréter le traité, comme l’interprète M. le ministre des finances, il n’en dépendra pas moins de notre gouvernement de décider que les vins entrant par telle ou telle frontière de terre comme vins de France, ne seront admis comme vins français, qu’aux conditions les plus rigoureuses. Or, cela peut équivaloir à une véritable exclusion : cela doit suffire encore.

D’après ces considérations je pense donc qu’il aurait fallu considérer le traité fait entre la Belgique et la France, comme ne concernant pas les arrivages qui ont lieu indirectement. Et j’ajouterai encore que si l’on applique dans le même sens la convention aux soieries, à quels abus cela ne mènerait-il pas ?

Quoi qu’il en soit, je pense que M. le ministre des finances devra multiplier les précautions pour les arrivages indirects, afin de rendre les arrivages à peu près impossibles. La convention faite avec la France est extrêmement onéreuse à la Belgique ; il faut en restreindre l’effet autant qu’on peut.

Une dernière observation, messieurs ; j’ai remarqué que, d’après M. le ministre des finances, le gouvernement des Pays-Bas paraîtrait interpréter en notre faveur le traité que ce gouvernement a fait avec la France, c’est-à dire, que le gouvernement des Pays-Bas applique la diminution du droit d’entrée aux vins français qui entrent par la Belgique en Hollande. Mais, sur ce point, M. le ministre des finances se trouve en contradiction avec les pétitionnaires ; les pétitionnaires nous disent que ce sont les droits établis par l’arrêté de 1828, que le gouvernement des Pays-Bas applique à tous les vins français qui arrivent en Hollande par la Belgique. Or, si l’on observe le traité fait par les Pays-Bas avec la France, à l’égard des vins français importés en Hollande par la Belgique, on devrait réduire les droits des trois cinquièmes.

Messieurs, sous tous les rapports, la réclamation des marchands de vin me paraît devoir être renvoyée à M. le ministre des finances, qui voudra bien la prendre en sérieuse considération. Que si la chambre estime que M. le ministre des finances n’a pas mal interprété la convention du 16 juillet 1842, il n’en restera pas moins, pour le gouvernement, l’obligation de prendre des mesures rigoureuses pour constater que les vins venant de Hollande en Belgique, sont réellement des vins français.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je suis d’accord avec l’honorable préopinant, qu’à la chambre, en dernière analyse, appartient l’interprétation de tout traité, comme de toute loi. Mais il y a, en ce qui concerne les traités, une autre partie qui a aussi son mot à dire, celle avec laquelle ils sont conclus. Une interprétation à laquelle les deux parties n’interviendraient pas pourrait avoir pour effet d’annuler le traité. D’ailleurs, la distinction dont a parlé l’honorable préopinant ne se trouve pas, selon moi, dans le traité de 1840, comme il l’a dit tout à l’heure.

L’honorable membre a parlé, si je ne me trompe, de deux dispositions qui se trouveraient dans le traité conclu entre les Pays-Bas et la France, la première faisant une distinction entre les provenances, et la seconde, établissant des formalités pour reconnaître l’origine. Mais, messieurs, il ne trouve dans ce traité qu’une disposition dans le sens de ses observations, c’est celle qui est relative aux formalités à prendre pour constater l’origine des vins. Mais de ce qu’il n’y a pas de disposition formelle pour admettre les importations indirectes aux droits réduits, je conclus que si la disposition relative aux formalités n’existait pas, il ne s’ensuivrait aucunement que les vins français ne pourraient pas arriver par une autre frontière que par la frontière française. Le contraire me paraît plutôt résulter du dernier alinéa de l’article 10 du traité.

Je dois combattre aussi une autre objection de l’honorable membre. « Vous recevrez donc aussi, dit l’honorable membre, les soieries qui viendront par d’autres frontières ?» S’il avait examiné les termes de la convention, il aurait vu qu’ils ne sont pas les mêmes en ce qui concerne les soieries que lorsqu’il s’agit des vins. En effet, la disposition relative aux vins porte : « Le gouvernement de S. M. le Roi des Belges s’engage l° à réduire le droit de douane sur l’importation des vins de France, tant par mer que par terre ; 2° à réduire le droit sur les soieries venant de France.

Voilà donc une distinction, et cette distinction n’a pas été insérée sans motif à l’article 2. Au surplus, le renvoi de la pétition au département des finances est la solution que je désirais voir donner à ce débat. Mais j’ai déjà dit quelles seraient les démarches qui seraient faites, pour que les traités conclus avec la France fussent exécutés d’une manière uniforme de part et d’autre.

En terminant ma réponse, j’ajouterai que l’honorable préopinant s’est trompé, quand il a cru que j’avais dit que le gouvernement des Pays-Bas, moyennant certaines précautions, allait admettre aux droits réduits les vins français arrivant par la Belgique. Jusqu’à présent, ce gouvernement ne s’est pas expliqué sur ce point ; je n’ai fait qu’exprimer l’opinion et les intentions du gouvernement belge.

M. Lys. - Je suis aussi d’avis que les premières instructions de M. le ministre des finances étaient conformes au traité ; d’autant plus que je ne vois aucun intérêt à ce que la France fasse voyager ses vins en Hollande, en Angleterre ou en Allemagne pour les faire arriver en Belgique. Je pense que l’intérêt des négociants français est le même que celui des négociants belges. Il est de leur intérêt commun que les vins français arrivent en Belgique intacts, sans être soumis à aucune sophistication quelconque. C’est ce qui me fait penser que les dernières instructions de M. le ministre des finances ne sont pas conformes à la saine interprétation du traité, car nous ne devrions recevoir aucun vin livré à la consommation en Hollande, en admettant le système que, d’après le traité, la France pût faire transiter ses vins par la Hollande pour nous les envoyer, c’est-à-dire que les vins français, pour pouvoir être importés chez nous comme vins de France, devraient avoir été entreposés en Hollande, et de là expédiés en Belgique par des négociants français. Car les vins que peuvent nous envoyer des négociants hollandais sont des vins livrés à la consommation et dont tous les certificats du monde ne peuvent constater ni l’origine, ni la pureté. Si vous n’admettez, par la frontière hollandaise, comme vins de France, que les vins sortant des entrepôts de Hollande, vous exécuterez le traité et vous ne vous exposerez pas à recevoir des vins sophistiqués pour des vins de France.

M. Simons. - Si je prends la parole dans cette discussion, ce n’est pas pour me montrer l’admirateur de la convention du 16 juillet 1842. J’ai été du petit nombre de ceux qui ont eu le courage de refuser leur approbation à cette convention dont les conséquences devaient évidemment être contraires aux intérêts de la Belgique. Chose singulière, la plupart des membres qui ont voté pour cette convention, si fâcheuse pour le commerce intérieur du vin, sont aujourd’hui les premiers à réclamer contre ses conséquences.

S’il s’agissait aujourd’hui d’examiner de nouveau cette convention, il n’y en aurait plus seulement 10, sur 86 qui étaient alors présents, qui voteraient contre son approbation, mais la grande majorité la repousserait.

Comme il ne s’agit plus ici du fond de la convention, mais de son exécution, je me bornerai à présenter quelques courtes observations, pour démontrer que le gouvernement a fait une juste interprétation de la convention telle qu’elle a été approuvée par mes adversaires eux-mêmes. Pour vous en convaincre, il suffit de prendre lecture des articles 1 et 2 de la convention, dont les termes sont tellement explicites que je ne conçois pas qu’il puisse y avoir divergence d’opinion.

Quand les termes d’une convention sont clairs, ne prêtent pas à double sens, on ne peut pas rechercher les intentions. Voici ce que porte l’art. 1er de la convention : « Les droits d’entrée en France sur les fils et les tissus de lin ou de chanvre importés de Belgique par les bureaux situés d’Armentières à la Malmaison près Longwy exclusivement, seront rétablis tels qu’ils existaient avant l’ordonnance du gouvernement français du 6 juin 1842 ; et les droits d’entrée en Belgique sur les fils et tissus de lin ou de chanvre, importés de France par la frontière limitrophe des deux pays, seront maintenus tels qu’ils existent actuellement sans que ces différents droits puissent être augmentés, de part ni d’autre, avant l’expiration du présent traité. »

Que résulte-t-il de cet article ? que lorsque les deux parties contractantes ont voulu restreindre à un territoire donné, à une limite donnée, l’importation, elles s’en sont expliquées d’une manière claire et précise ; elles ont déterminé de quelle manière l’importation devait se faire. Vous voyez, d’après l’article 1er, que l’importation des fils et tissus dont il y est question ne peut se faire que par le territoire qui y est déterminé d’une manière positive.

Voyons si, à l’article où il s’agit des vins, on a fait la même distinction.

« Le gouvernement de S. M. le Roi des Belges s’engage en outre :

« 1° D’une part, à réduire le droit de douane sur l’importation des vins de France, tant par terre que par mer à 50 c. par hectolitre pour les vins en cercles, etc. »

On ne limite pas là le territoire par lequel l’importation peut se faire. Elle peut donc se faire pour tel territoire que la France trouve intérêt à emprunter.

Maintenant on dit : La France est tout à fait désintéressée, c’est une question d’intérêt entre la Hollande et la Belgique. Je ne conçois rien à un pareil raisonnement. Est-ce qu’une maison française ne peut pas avoir intérêt à avoir un entrepôt à Rotterdam, à Amsterdam ou à Maestricht ? Si une maison française voulait établir un entrepôt dans une de ces villes, est-ce qu’elle ne pourrait pas importer ses vins en Belgique ? Attendu qu’aucune limite n’a été posée par la convention, je conclus que l’importation qui a été stipulée par l’art. 2 en faveur de la France peut se faire n’importe par quel territoire, pourvu que ce soient des vins de France. On a dit : Ce ne sont pas des vins de France ; si cela était démontré, de quelque côté qu’on voulût faire l’importation, on pourrait l’empêcher.

Il se fait, en réalité, très peu d’importations de vins de la Hollande en Belgique ; la seule qui se fasse, c’est de Maestricht ; ce sont des marchands de Maestricht qui exploitent un marché dont ils sont en possession depuis longtemps et qu’on leur enlèverait si on exécutait le traité, comme le veulent mes adversaires.

On prétend que c’est du vin falsifié qu’on nous introduit par cette voie. On perd de vue qu’il y a impossibilité de vous faire des importations de vins mélangés. Ce commerce, en Hollande, est soumis au même régime qu’en Belgique ; c’est-à-dire qu’on ne peut faire une exportation de vin avec jouissance de la restitution du droit que pour autant que ce vin sorte de l’entrepôt. Or, dans les entrepôts, on ne permet jamais de faire des mélanges, il est impossible d’en faire : le gouvernement, l’administration s’y opposerait. Il faut donc que le vin sorte sans mélange, sans falsification, pour que le gouvernement restitue le droit que ce vin a payé.

Maintenant y a-t-il possibilité d’introduire du vin falsifié ? D’abord la restitution du droit ne serait pas accordée. Mais, dit-on, on fabrique du vin en Hollande, comme si on importait en Belgique du vin de cette sorte.

Ceux qui connaissent cette fabrication savent que c’est un petit vin fabriqué pour le petit peuple, pour remplacer la bière, et que la valeur de ce vin ne permet pas qu’on l’importe, parce que le droit d’importation serait double de la valeur du vin.

Je crois donc que ces considérations suffisent pour vous démontrer que la circulaire du ministre ne peut pas être révoquée, parce qu’elle est conforme à la saine interprétation qu’on doit donner au traité.

Qu’on prenne des mesures rigoureuses pour vérifier et constater l’origine française du vin, je suis le premier à les provoquer ; mais qu’on veuille, en quelque sorte, par un simple vote, modifier un traité qui a été stipulé entre deux parties, et adopté par les deux chambres, je ne pense pas que nous puissions aller jusque-là.

Je le répète, je suis un de ceux qui ont voté contre le traité. Sur 86 membres présents, 10 seulement ont voté dans ce sens. C’est alors qu’il fallait faire valoir les considérations qu’on invoque aujourd’hui. Mais maintenant qu’elle a passé, il faut que nous subissions les conséquences d’une convention que nous avons acceptée peut-être à la légère, vous savez en quelles circonstances : on parlait de la misère des Flandres ; on considérait le traité comme une panacée universelle ; on disait qu’il allait faire revivre l’industrie linière. Ces considérations ont déterminé le vote de la loi, bien qu’elle enlève annuellement un million au trésor.

Si nous étions de nouveau appelés à examiner le fond de la convention, je serais, comme en août 1842, le premier à m’opposer à son adoption. Mais puisque la chambre l’a approuvée, il faut que nous l’exécutions loyalement.

Soyons plus prudents à l’avenir. N’adoptons plus, mus par des considérations de localités, des conventions ruineuses pour le pays. Mais quand elles sont adoptées, soyons de bonne foi, exécutons-les loyalement, parce que si nous voulons que les traités qui nous sont favorables ne soient pas violés à notre détriment, il faut, je le répète, il faut que nous respections de notre part les conséquences de ceux que nous avons adoptés, quelque désavantageux qu’ils soient.

Je regrette d’être obligé de faire valoir ces considérations. Ce n’est pas moi qui ai fait cette position au commerce intérieur. Cette position a été faite par la convention du 16 juillet 1842, qui est devenue loi pour nous, et à laquelle nous sommes obligés de nous soumettre,

M. Dumortier. - J’ai entendu avec la plus grande surprise les paroles prononcées par un honorable préopinant, M. Delehaye, au sujet de la mesure du gouvernement français qui exclut nos toiles des fournitures pour l’armée française.

Lorsque nous avons conclu avec la France un traité de réciprocité, nous avons fait un très grand sacrifice, car nous avons réduit d’un million au moins les revenus de l’Etat, c’était donc un avantage bien positif que nous faisions à la France, à son industrie vinicole, à son commerce de vins. D’autre part, la France avait consenti à nous accuser en retour un avantage en admettant nos toiles sur l’ancien pied.

Je ne saurais donc m’expliquer comment mon honorable collègue a pu soutenir dans cette discussion que le gouvernement français était dans son droit en prenant la mesure relative aux toiles destinées à l’armée française. Il est évident, au contraire, que le gouvernement français n’ôtait pas dans son droit. En effet, lorsqu’une convention intervient entre deux gouvernements, elle est générale ; elle ne comporte pas des exceptions, des réserves, qui n’y sont pas stipulées.

On a imposé à la Belgique des restrictions telles que non seulement il lui a fallu diminuer les droits perçus au profit du trésor public sur les vins, objet éminemment imposable, mais encore que le gouvernement a dû s’engager à ne pas permettre à nos villes d’augmenter leurs octrois. Après que nous avons pris cette mesure qui non seulement est fatale au trésor public, mais qui de plus peut être fatale aux revenus de la plupart de nos villes, le gouvernement français vient exclure nos toiles de la fourniture de l’armée française. Certes, ce n’est pas là de l’équité ; et je persiste à penser que le gouvernement français n’avait pas le droit d’agir ainsi. Il est du devoir de notre gouvernement de réclamer énergiquement contre cette mesure.

C’est sous ce rapport que je regrette vivement que l’honorable député de Gand se soit exprimé comme il l’a fait ; car n’est-il pas à craindre que lorsque notre gouvernement réclamera, le gouvernement français ne lui réponde : « Un député du chef-lieu des Flandres, un député de Gand trouve que nous sommes dans notre droit ; comment pouvez-vous soutenir que nous avons tort, lorsque cet honorable député, dont la sympathie pour l’industrie minière est connue, s’est chargé de prouver dans la chambre belge que nous avons raison. »

Voilà quelle influence fâcheuse peuvent avoir les paroles de l’honorable député de Gand ; c’est pour cela que je me vois obligé de les réfuter.

Lorsque la Belgique a exécuté loyalement les clauses onéreuses de la convention, elle ne doit pas consentir à ce qu’on rende illusoires les clauses qui lui sont avantageuses ; or c’est ce qui arrive ; aujourd’hui on exclut nos toiles de la fourniture pour l’armée française ; demain on les exclura des fournitures pour les collèges, pour tous les établissements dépendant du gouvernement.

On sait qu’une partie notable des toiles belges, consommées en France, l’était pour le service de l’armée. Les expériences qui ont été faites ont démontré que la toile est d’un meilleur usage que le coton, et que la toile à la main est d’un meilleur usage que la toile à la mécanique. Donc, en bonne administration, le gouvernement français a intérêt à se servir de toiles à la main, pour l’usage de son armée, et la Belgique ne faisant que des toiles de ce genre, avait un grand intérêt à ce que ses toiles ne fussent pas exclues de la fourniture pour l’armée.

Les dispositions de la convention relatives au droit sur les vins, nous sont préjudiciables. Il est évident que nous devons y trouver une compensation dans l’introduction de nos toiles en France.

Vous vous rappelez que déjà le gouvernement français a réclamé vivement au sujet d’une prétendue augmentation de droits à Anvers ; on a soutenu alors que la Belgique ne pouvait pas augmenter sur les vins. Si le gouvernement français a toujours cette prétention, il ne doit pas maintenir une interprétation de la convention, qui équivaudrait à peu près à la prohibition de nos toiles.

Je maintiens donc que le gouvernement belge doit réclamer énergiquement. Si sa réclamation n’est pas accueillie, il doit faire en sorte que nos toiles remplissent les conditions pour être admises dans les fournitures pour l’armée française.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Que faut-il faire pour cela ?

M. Dumortier. - Acheter quelques coupons de toile fabriquée en France pour qu’on puisse en fabriquer de semblable en Belgique. Si ce n’est pas possible, c’est un motif de plus pour défendre les intérêts du pays et pour faire valoir auprès du gouvernement français les considérations que j’ai invoquées.

J’insiste pour que notre gouvernement fasse auprès du gouvernement français les démarches nécessaires pour obtenir le retrait de l’ordonnance qui exclut nos toiles des fournitures de l’armée française.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je m’empresse de répondre à l’honorable préopinant que le gouvernement belge a tenté tous les efforts possibles. Il a été répondu que l’ordonnance rendue sur la proposition de M. le maréchal, ministre de la guerre en France, n’innovait pas, que l’on n’avait fait que régulariser ce qui existait avant la convention du 16 juillet 1842.

Je prie la chambre de croire que je ne suis ici que rapporteur. Je veux faire connaître les faits.

Le gouvernement français a déclaré qu’avant la convention du 16 juillet, on n’admettait à la consommation pour l’armée que les toiles françaises, et qu’en fait les toiles belges étaient seulement admises à la consommation générale.

Depuis la convention du 16 juillet (c’est toujours le gouvernement français qui parle), la consommation générale est restée ouverte aux toiles belges. Mais la consommation spéciale de l’armée est restée réservée aux toiles françaises.

Mais pourquoi, dira-t-on, a-t-on rendu une ordonnance ? En voici le motif : Pour éviter la fraude, a-t-on dit, il fallait une précaution nouvelle. Voici quelle a été cette précaution. Désormais on n’admettra à la consommation spéciale de l’armée que les toiles traversées d’une raie rouge en coton ; or, comme le coton est prohibé, toutes les toiles où se trouve cette raie de coton rouge, sont repoussées à la frontière, non parce que ce sont des toiles, mais à cause de la raie de coton rouge qui s’y trouve.

Voilà les faits dans toute leur exactitude.

Vous voyez que j’avais raison de dire que l’introduction des toiles belges pour l’armée française est devenue impossible.

Puisque j’ai la parole, je ferai quelques observations qui n’ont pas été présentées, pour démontrer à la chambre qu’il ne peut y avoir de doutes dans l’interprétation de la convention du 16 juillet. Je ferai cette preuve en confrontant les termes de cette convention avec les termes d’autres conventions.

La convention du 16 juillet 1842 porte que le gouvernement belge s’engage à permettre, avec réduction de droits, l’importation des vins de France, tant par terre que par mer. On ne parle pas de pavillon. On ne fait aucune distinction de pavillon. L’expression est générale.

L’honorable M. d’Elhoungne s’est demandé si l’expression étant générale, la distinction de pavillon n’était pas admissible. Il a semblé hésiter sur la réponse à donner. Je m’étonne, messieurs, de cette hésitation. C’est avec intention au moins de la part du gouvernement français, qu’aucune distinction n’a été faite. On a stipulé la réduction du droit pour l’importation des vins de France soit par terre, soit par mer, sans indication de pavillon.

Il ne résulte pas qu’une autre puissance que les deux puissances contractantes aurait pu de plein droit réclamer le bénéfice de la convention. Je me permets d’appeler votre attention sur ce point. Il n’aurait pas suffi, par exemple, que la Hollande demandât à être admise au bénéfice de la convention du 16 juillet en ce qui concerne l’importation des vins de France. Il fallait la déclaration du gouvernement français ; et c’était un droit pour ce dernier de dire que les expressions étant générales, il entrait dans ses intentions que la convention fût appliquée, notamment à la Hollande ; que, quant à elle, il lui suffisait que l’origine française des vins fût bien constatée. Mais si le gouvernement français s’était abstenu, s’il avait déclaré que l’application de la convention à la frontière du Nord était contraire à ses intérêts, cette application n’aurait pas eu lieu malgré les réclamations du gouvernement hollandais.

A cet égard, pour le gouvernement hollandais, la convention serait restée ce qu’on appelle res inter alios acta.

Nous avons conclu, messieurs, dans la même année 1842, une autre convention ; c’est la convention avec l’Espagne, et ici, messieurs, comme la réclamation avait déjà été faite par la Hollande et par le gouvernement français, nous avons mieux pris nos précautions.

Voici ce que porte l’art. 3 de la convention conclue avec le gouvernement espagnol le 25 octobre 1842 :

L’art. 3, n°1, accorde la réduction de droit d’entrée et d’accise dont jouissent les vins français, aux vins d’Espagne, directement importés par mer, sous pavillon belge ou espagnol.

Nous avons eu soin d’établir ici la distinction ; il faut que ce soit sous pavillon belge ou espagnol.

Le même article 3 accorde encore des réductions :

2° Des deux tiers des droits aux huiles d’Espagne.

3° Des deux tiers des droits aux fruits d’Espagne.

Dans l’un et l’autre cas, il est dit que ces produits espagnols doivent être importés directement d’Espagne par mer sous l’un des deux pavillons belge ou espagnol.

Vous voyez donc, messieurs, en confrontant les deux textes, que ces deux conventions ont des sens différents. Les expressions de la convention du 16 juillet 1842 sont générales et dès lors, du moment que le gouvernement français déclarait que l’application de la convention à l’importation des vins par la Hollande était conforme aux intérêts français, il nous était impossible de refuser cette application.

Il n’en est pas de même pour la convention conclue avec l’Espagne. Là nous avons inscrit une limite ; nous avons dit que l’exportation devait se faire par l’un ou l’autre pavillon belge ou espagnol, de sorte qu’une tierce puissance ne pourrait venir demander le bénéfice de la convention avec l’Espagne, quand même celle-ci y consentirait.

On vous a cité, messieurs, un autre traité, le traité de commerce et de navigation conclu le 25 juillet 1840 entre la France et les Pays-Bas. Comme on a négligé de vous lire le texte même, je vous demanderai la permission de le faire. Cette lecture éclaircira un peu la question, qui n’est pas présentée d’une manière bien nette dans la réclamation des marchands de vin, réclamation où il y a une confusion d’idées, où il doit y avoir une erreur de fait.

L’art. 10 de ce traité porte :

« S. M. le Roi des Pays-Bas consent :

« A affranchir de tout droit de douanes, à l’entrée de ses Etats d’Europe, les vins, eaux-de-vie et esprits-de-vin en cercles ;

« 2° Et à réduire de 3/5 pour les vins en bouteille et de 1/2 pour les eaux-de-vie et esprits aussi en bouteilles les droits d’entrée. »

Cet article ajoute, et remarquez bien ceci :

« Lorsque lesdits vins, eaux-de-vie et esprits, tant en cercles qu’en bouteilles, seront importés par mer, sous l’un ou l’autre des deux pavillons ; et par terre et par les fleuves et rivières spécifiées en l’article 8, sous pavillon quelconque.»

L’art. 8 que l’on invoque ici, cite tous les fleuves et cours navigables compris dans l’acte du congrès de Vienne, en ajoutant les eaux intermédiaires dans le royaume des Pays-Bas.

Ainsi l’on n’a fait qu’une distinction pour l’importation des vins de France en Hollande. Quand ces vins sont importés par mer, il faut, pour jouir du bénéfice de la convention du 25 juillet 1840, que ce soit par pavillon hollandais ou par pavillon français. Mais il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de l’importation par la Meuse, par exemple, ou par les eaux intérieures ; alors vous pouvez invoquer le bénéfice de la convention.

C’est là qu’il y a, qu’il doit y avoir une erreur dans la réclamation des marchands de vin. Les eaux intérieures étant comprises dans les voies navigables indiquées par l’art. 8 du traité du 25 juillet, l’introduction des vins français par cette voie doit se faire avec le bénéfice de ce traité. Cependant les marchands de vin d’Anvers disent que les vins de France ne sont pas admis avec la remise des droits par les eaux intérieures, Ceci est positivement contraire au texte de l’art. 10 du traité du 25 juillet, et s’il en est ainsi, je dis que le gouvernement belge doit faire une réclamation, et invoquer le texte de cet article 10.

M. de Haerne. - Messieurs, je conçois que M. le ministre de l’intérieur, en parlant en séance publique, s’exprime de la manière que vous venez d’entendre, sur l’interprétation que le gouvernement français, par l’organe du maréchal Soult, a donnée à la convention du 16 juillet 1842, relativement à la consommation des toiles pour l’usage de l’armée. Mais je suis porté à croire que M. le ministre de l’intérieur se serait exprimé autrement, si nous avions été en comité secret, ce qui prouve, soit dit en passant, que le huis-clos est bon à quelque chose.

J’espère bien que M. le ministre de l’intérieur tiendra aussi, dans ses relations diplomatiques avec le cabinet de Paris, un autre langage, ou du moins qu’il fera entendre qu’il n’est pas d’accord avec le ministère français à cet égard.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai dit que je ne citais que des faits.

M. de Haerne. - J’ai bien compris.

Messieurs, je ne puis admettre l’explication donnée par le gouvernement français, car elle est tout à fait contraire à des faits qui se sont passés. Il est connu, dans les Flandres, qu’antérieurement à la convention du 16 juillet, les toiles belges étaient employées pour l’usage de l’armée française, et, s’il le fallait, je pourrais vous citer des maisons françaises, des maisons de Lille qui étaient dans l’habitude de venir acheter sur nos marchés des toiles de Flandre pour la consommation de l’armée. Je dirai plus ; il est à ma connaissance que des régiments français tout entiers ont renoncé à l’usage de la toile française qui, faite à la mécanique, ne présentait pas la solidité qu’elle aurait dû avoir, et sont revenus aux toiles belges.

Ce sont là des faits positifs, d’où il résulte qu’il est impossible d’admettre l’explication donnée par le gouvernement français.

Mais il y a plus. Lorsque la convention du 16 juillet a été conclue, ou du moins quelque temps auparavant, vous savez que des réclamations unanimes sont parties des intéressés des Flandres contre cette convention, et cela dans l’espoir de la faire restreindre ou d’y faire ajouter quelque disposition. Messieurs, nous étions alors dans des termes assez défavorables vis-à-vis la France, pour ce qui concerne le commerce des toiles ; nous étions déjà sous le coup du funeste amendement de Lespaul. Vous vous rappellerez que de vives réclamations ont été faites contre cet amendement par plusieurs chambres de commerce, par plusieurs marchands de toile et notamment par la députation des Flandres qui s’est réunie à l’hôtel de l’Univers, et que l’on a engagé le gouvernement à ne négocier avec le cabinet de Paris que sous la condition du retrait de la proposition de Lespaul.

Messieurs, j’ai déjà eu l’honneur d’appeler en comité secret votre attention sur ce point ; j’ai demandé des explications à M. le ministre des affaires étrangères. Il a bien voulu me communiquer plus tard quelques notes qui ont été échangées à cet égard, mais je dois déclarer que je n’ai pas eu toute la satisfaction que je désirais, et j’espère que le gouvernement ne cessera pas d’insister sur ce point auprès du cabinet français.

Messieurs, je dois vous entretenir un moment de l’amendement de Lespaul, dont la portée n’est pas connue de tout le monde.

M. le président. - Je ferai remarquer à l’orateur que cet objet n’est pas pour le moment en discussion.

M. de Haerne. - Cela se rattache à la convention du 16 juillet. Je puis citer quelques faits qui sont essentiels pour faire connaître la portée de cette négociation. (Parlez ! parlez !)

M. le président. - Ce n’est point la convention du 16 juillet qui est en discussion. Si cependant la chambre le permet, la parole vous sera continuée.

M. de Haerne. - Je vais seulement avoir l’honneur de vous citer quelques chiffres de l’amendement de Lespaul. D’après cet amendement, qui compte les fractions de fil tombant sous la coupe, nos toiles peuvent être rangées en trois catégories. D’abord, un bon tiers des toiles que nous importons en France, subit une augmentation de 33 p. c., prise sur le montant des droits tels qu’ils étaient perçus avant l’adoption de l’amendement de Lespaul. Un autre bon tiers de nos importations subit une augmentation de 25 p. c. ; enfin, un cinquième de nos importations est soumis à une augmentation de 16 p. c. Cela fait en moyenne une augmentation de 24 à 25 p. c. C’est là une entrave extrêmement considérable pour notre commerce de toiles, et cet amendement nous fait perdre en quelque sorte tous les avantages que le traité semblait nous accorder. Si nous tenons compte de l’avantage que les Anglais trouvent dans la fabrication à la mécanique, nous devons reconnaître qu’en France nos toiles sont mises absolument sur la même ligne que les toiles anglaises

Voilà, messieurs, les faveurs que la France nous a accordées. Je ne rappellerai pas l’ordonnance relative aux toiles blondines, ni les entraves apportées à l’importation de nos fils, ni les obstacles que l’on oppose au transit de nos toiles vers l’Espagne, ni une foule d’autres vexations.

La France parle de morale, mais ce n’est qu’à notre égard qu’elle déploie une morale sévère ; elle n’est pas du tout aussi difficile lorsqu’il s’agit des fraudeurs français ; là, c’est bien autre chose, là, la morale est complètement perdue de vue.

Faut-il après cela concéder bénévolement à la France une faveur qu’elle nous demande, et à l’égard de laquelle le traité n’est nullement clair ? Il me semble qu’il aurait fallu saisir cette occasion, pour insister auprès du gouvernement français, afin qu’il fît droit aux réclamations que nous avons à lui adresser.

Du reste, messieurs, je crois que la France est la première intéressée à ce que nous n’admettions pas les vins venant de la Hollande, et qui sont presque toujours des vins fabriqués.

Je crois, d’un autre côté, qu’en n’admettant pas ces vins, nous agissons dans le sens du Limbourg ; en effet, messieurs, j’ai vu, il y a quelques jours, dans un journal, une pétition adressée au gouvernement hollandais par les habitants de Maestricht, afin d’obtenir l’importation, au droit de 10 cents, des vins français, importés par la frontière belge. C’est là l’intérêt de la généralité des habitants du Limbourg, et je crois que nous devons appuyer leur réclamation ; car, s’ils ne sont pas soutenus, ils sont en trop petit nombre pour obtenir justice. Nous ne devons pas tout concéder de prime abord. Nous devons commencer par exiger que l’on nous fasse justice. De cette manière nous pourrons en venir à un arrangement sur ce point avec le gouvernement hollandais. Lorsque le gouvernement hollandais permettra l’importation au droit de 10 cents des vins français venant de Belgique, nous pourrons aussi accorder ce que le gouvernement hollandais demande à l’égard des vins français venant des Pays-Bas, qu’ils soient sophistiqués ou non.

Je dois m’élever contre des paroles qui ont été prononcées dans cette enceinte par un honorable membre qui voudra bien, j’espère, les expliquer d’une manière satisfaisante ; car ces paroles pourraient produire un mauvais effet dans le pays et surtout dans les Flandres.

Nous avons entendu dire par M. le ministre de l’intérieur que le gouvernement français n’a rien innové en défendant l’emploi de nos toiles pour la confection des objets nécessaires à l’armée. L’honorable membre auquel je fais allusion a été plus loin ; il a dit que le gouvernement français avait agi loyalement. Il s’est sans doute fondé sur ce qu’avait dit M. le ministre de l’intérieur. Quoi qu’il en soit, j’espère qu’il voudra bien donner une explication satisfaisante de ses paroles.

M. Osy. - M. le ministre de l’intérieur convient lui-même que, en vertu du traité entre la France et les Pays-Bas, nous avons le droit d’importer du vin français en Hollande au droit de 10 cents.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pas par mer.

M. Osy. - Par les eaux intérieures.

Je demande le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances, avec prière de donner connaissance à la chambre des négociations qui seront suivies relativement à cet objet.

M. Delehaye. - La chambre fait toujours bien d’engager le ministère à protester contre toutes les mesures prises par un gouvernement voisin contre ses intérêts ; comme mes honorables collègues, j’ai protesté dans le temps contre l’ordonnance prise en France au préjudice de notre industrie linière ; autant que qui que ce soit, j’ai été alarmé de cette mission ; mais lorsque des réclamations, des négociations ont repoussé vos réclamations, il est temps alors d’envisager les choses avec la raison, remettant le sentiment à d’autres circonstances. C’est ce que j’ai fait, je savais que la mesure contre les toiles n’était point nouvelle ; que, toujours dans l’intérêt de son industrie, la France avait prescrit l’emploi exclusif des toiles françaises dans le confectionnement de l’habillement de l’armée. Je savais aussi qu’on éludait cette mesure en appliquant sur des toiles belges, la marque qu’on appliquait sur les toiles françaises.

Lorsque j’ai su que le gouvernement français avait repoussé nos réclamations, j’ai examiné la question, dégagé de toute prévention patriotique, et il m’a paru que la France avait agi comme je voudrais que notre ministère le fît toujours, c’est-à-dire qu’après avoir rempli ses devoirs envers ses voisins, il ne consultât que les convenances de son commerce et de son industrie.

Il est temps, messieurs, de faire entendre au pays la vérité, et je crois en avoir acquis le droit ; lorsqu’il s’agit des intérêts des Flandres, je ne les ai point négligés ; souvent messieurs, vous m’avez accusé d’être animé par esprit de localité, je suis douloureusement affecté de voir que la vérité que je ne saurais cacher doive m’attirer aujourd’hui, je dirai presque un rappel à l’ordre. J’ai plus de confiance dans l’impartialité du pays, lui aussi dira avec moi que le sentiment doit faire place à la vérité.

On se plaint du grand sacrifice que nous a imposé la convention avec la France ; ce sacrifice est grave, mais il ne consiste point dans les 700,000 ou 800,000 fr. que le trésor perçoit de moins ; ce n’est point la France qui a reçu cette somme, ce sont les consommateurs belges qui l’ont gardée en poche ; il fallait, pour remplacer le vide que cette convention laissait dans le trésor, frapper l’aisance, le riche d’un impôt équivalent. A mes yeux le grand sacrifice, c’est qu’il nous a liés envers la France ; nous n’avons pour le moment aucune réserve contre elle ; sans la convention, vous pouviez forcer la France à vous traiter plus favorablement, vous pouviez atteindre ses fabriques de soie, ses vignobles, ses bijouteries. Aujourd’hui vous êtes liés et malheureusement la France vous tient dans l’impossibilité de frapper différents produits.

M. Simons a fait un singulier raisonnement. La convention, d’après lui, est bien nuisible à la Belgique. Eh bien, messieurs, cette convention n’est point encore approuvée par la législature française. Que l’honorable membre se joigne à nous, nous pouvons aujourd’hui interpréter cette convention. Si notre interprétation ne convient pas à la France, les chambres la repousseront, et M. Simons aura atteint son but.

Messieurs, ce n’est point en récriminant contre la France que nous améliorerons notre position ; imitons ce pays, que notre gouvernement imite celui de cette nation ; et le commerce et l’industrie n’auront qu’à s’en applaudir ; l’affection du pays sera acquise à ceux qui, mettant de côté toute sensibilité, n’écouteront que la raison, qui toujours préférera les mesures les plus utiles au travail national.

M. Delfosse. - Je ferai remarquer en commençant, que l’on vient de traiter en séance publique des questions au moins aussi délicates que celles pour lesquelles on avait réclamé le huis clos.

Je ne puis admettre que le gouvernement français aurait violé la convention du 16 juillet en excluant nos toiles de l’habillement des troupes françaises ; le gouvernement français est libre d’habiller ses troupes comme il l’entend, la convention ne lui a pas enlevé ce droit ; si le gouvernement français, au lieu de mettre la fourniture des toiles en adjudication, avait trouvé bon de les acheter à main ferme, il aurait certes pu s’adresser aux fabricants français, il ne serait entré dans la pensée de personne de l’en blâmer ; et cependant les toiles belges auraient été exclues. Ce que le gouvernement français pourrait faire dans un marché à main ferme, pourquoi lui serait-il interdit de le faire dans un marché par adjudication publique ?

Ceux qui soutiennent que la convention a été violée, doivent aller jusqu’à dire qu’elle serait également violée par une réduction de l’armée française, car l’effet de cette mesure serait de diminuer la consommation de toiles ; une telle opinion est trop exagérée pour qu’elle ait des chances de succès dans cette chambre.

J’arrive à l’objet en discussion : on paraît généralement d’accord que le traité entre la France et les Pays-Bas doit être exécuté en Hollande, dans le même temps que le traité entre la France et nous l’est en Belgique ; sans cela la Hollande serait favorisée à nos dépens. Les marchands hollandais pourraient vendre des vins en Belgique, les marchands belges ne pourraient pas en vendre en Hollande ; déjà les marchands de Liège ont perdu le débouché qu’ils avaient dans la partie cédée du Limbourg.

Le gouvernement vient de reconnaître la nécessité de faire exécuter les deux traités dans le même sens ; mais, puisqu’il a cette conviction, je lui demanderai pourquoi il n’a pas encore remis une note au gouvernement des Pays-Bas ; lorsque le gouvernement des Pays-Bas, appuyé par la France, nous a remis une note pour réclamer l’exécution du traité conclu entre la France et la Belgique, dans un sens favorable aux intérêts hollandais, notre gouvernement aurait dû en remettre une pour réclamer l’exécution du traité conclu entre la France et les Pays-Bas, dans un sens favorable aux intérêts belges ; si notre gouvernement avait suivi cette marche, l’exécution identique des deux traités aurait pu être simultanée et les intérêts belges n’auraient pas été froissés.

L’inaction de notre gouvernement dans cette circonstance prouve ce qui malheureusement est prouvé par beaucoup d’autres faits, que les gouvernements étrangers montrent plus de sollicitude pour leurs indigènes que le gouvernement belge n’en montre pour les siens.

M. Desmaisières. - Messieurs, je ne viens pas parler de la question des toiles, car, selon moi, on en a trop parlé ; je dirai seulement que, dans mon opinion, le gouvernement français n’a pas agi avec justice envers la Belgique, lorsqu’il a décidé que les toiles destinées à la consommation de l’armée française seraient exclusivement des toiles fabriquées en France. Le gouvernement français n’a pas même consulté en ceci l’intérêt de l’armée, puisque, ainsi que l’a fort bien démontré l’honorable M. de Haerne, il résulte de cette mesure que l’on habille les troupes françaises avec de la très mauvaise toile.

Quant à la question des vins, l’honorable M. Simons vous a donné lecture de l’article du traité du 16 juillet qui y est relatif ; cette simple lecture doit donner la conviction que du moment que les vins sont véritablement de France, ils doivent être admis en Belgique au droit réduit, par quelque partie de nos frontières qu’ils soient présentés.

Mais, d’un autre côté, nous devons aussi avouer que les plaintes de nos marchands de vin sont fondées, en ce sens que d’abord il résulte du silence gardé par le traité sur les mesures à prendre pour constater que les vins sont véritablement de France ; il résulte, dis-je, de ce silence, que le gouvernement belge a le droit de prescrire les formalités à remplir pour qu’il soit constaté que les vins qu’on importe sous le sceau de vins de France, de Hollande en Belgique, sont véritablement des vins de France.

Les plaintes de nos marchands de vin sont assez fondées, en ce sens qu’ils demandent, de la part de la Hollande, le retrait de l’application de la loi de 1828, à l’égard des vins que nous importons en Hollande. La loi de 1828 a été une loi de représailles ; cette loi a été décrétée lorsque nous étions réunis à la Hollande ; elle a été prise contre la France, et il se trouve qu’aujourd’hui elle nous est appliquée et ne l’est plus à la France, par suite du traité que les Pays-Bas ont fait avec la France. Il y a donc une injustice flagrante de la part du gouvernement des Pays-Bas à nous appliquer la loi de 1828.

Cette injustice serait encore beaucoup plus grave, s’il était vrai, comme le prétendent nos marchands de vin, que malgré le traité conclu par nous avec les Pays-Bas, les vins que nous importons en Hollande par les eaux intérieures sont frappés du droit qui avait été établi par la loi de 1828 contre la France.

Vous avez appris, messieurs, par ce que vous a dit M. le ministre de l'intérieur, que, d’après le traité que nous avons fait avec la Hollande, on ne devait pas au moins percevoir en Hollande ce droit sur les vins que nous importons par les eaux intérieures.

Je ne puis donc qu’engager le gouvernement à profiter de tout ce qui s’est dit dans cette discussion, pour obtenir du gouvernement hollandais le retrait de l’application de la loi de 1828, pour les vins que nous importons en Hollande, aussi bien par les eaux intérieures que par mer. Je crois que notre gouvernement peut d’autant plus faire cette réclamation, que la Hollande a contribué avec la France à nous demander l’autorisation d’importer les vins de France par Maestricht.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close.

La commission propose le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances.

M. Osy propose le même renvoi, avec demande de faire connaître le résultat des négociations.

- La proposition de M. Osy est d’abord mise aux voix, elle est adoptée.

Commission d'enquête parlementaire sur la situation du commerce extérieur

Discussion générale sur les conclusions

M. le président. - La parole est à M. Rodenbach.

M. Rodenbach. - Messieurs, dans la séance d’hier, M. le ministre de l’intérieur m’a fait observer, avec raison, que j’avais commis une erreur, en déclarant qu’on n’accordait pas de protection aux navires nationaux. J’ai en effet oublié de parler de la livre sterling que le gouvernement propose d’accorder par tonneau de 1,000 kilog. aux navires du pays. Mais cette livre sterling ne fait que 2 fr. 50 c. par 100 kilog. de café, soit 2 centimes 1/2 par kilo de café, soit enfin 1 centime 1/4 par livre de café. Cette protection n’est évidement pas suffisante.

L’honorable sénateur Cassiers pense, avec moi, que les Américains qui arriveront à Anvers avec des cafés, ne prendront pas en retour des marchandises de notre pays. Il en sera de même des Anglais, qui iront aux Indes, au Brésil, vendre leurs fabricats, et y chargeront des cafés qu’ils viendront importer en Belgique. Or, le bénéfice qu’ils réaliseront sur la vente de leurs marchandises nationales sera bien supérieur au droit différentiel d’un centime et un quart de centime par livre de café qu’ils payeront a Anvers. Les Hollandais jouiront aussi d’un immense avantage ; et puisque la Belgique doit encore rembourser le péage sur l’Escaut, il s’ensuit que les bâtiments néerlandais et ceux des autres puissances feront de très brillantes affaires en Belgique ; et que par suite notre marine nationale ne sera pas suffisamment protégée.

Ainsi, je ne puis que répéter ce que j’ai dit hier : il serait nécessaire d’augmenter d’un franc le chiffre de la proposition ministérielle. Je ne veux pas aller aussi loin que la commission d’enquête ; elle qui propose de faire payer 11 francs aux navires étrangers, et 7 francs aux navires indigènes ; mais je crois qu’il y a lieu de majorer d’un franc le chiffre proposé par le gouvernement ; un honorable député de Tournay s’est concerté avec moi, pour déposer un amendement dans ce sens. Je ne puis assez le répéter, une protection de 2 1/2 centimes par kilogramme est trop minime. On ne doit pas perdre de vue que lorsque nos navires iront à Batavia (et il est à présumer qu’ils s’y rendront), ils auront à payer, à la sortie, un droit de 7 francs que les Hollandais ne doivent pas payer.

Ainsi donc nous ne pourrons pas, avec une protection d’une livre sterling par tonneau, atteindre le but que nous nous proposons. Si nous n’avons pas un droit différentiel plus élevé, les Américains iront vendre leurs farines à la Havane ou au Brésil, où ils prendront du café, qu’ils emporteront, en payant 2 1/2 centimes par kilog., sur le marché d’Anvers, au détriment des bâtiments nationaux. Cependant, comme nous n’avons guère que 134 bâtiments, il ne faut pas établir un droit trop élevé parce qu’ils seraient insuffisants pour nous apporter toutes les denrées dont nous avons besoin, et nous en éprouverions un préjudice ; mais on peut provisoirement adopter le système du ministère, en majorant un peu le chiffre, car s’il était trop faible, la mesure n’aurait aucun résultat. Au reste, j’attendrai les débats. Mais je déclare dès à présent que je suis disposé à appuyer un amendement qu’on se propose de présenter dans le sens que je viens d’indiquer.

M. David. - Messieurs, en relisant le discours que j’ai prononcé il y a trois jours dans le comité général, je suis forcé de revenir sur l’idée que j’émettais dans la phrase suivante : « Le port d’Anvers,, par l’organe, bien entendu, de ses gros commerçants, perd de vue dans cette circonstance tout le tort que lui ferait la concurrence des autres ports de la Belgique. Il oublie que les droits différentiels l’amoindrissent, le dissolvent dans les quatre ports que possède la Belgique. »

(Erratum Moniteur belge n°127, du 6 mai 1844 :) Je pensais, messieurs, bien sincèrement, lorsque j’ai prononcé ces paroles, que nos ports de deuxième classe pourraient élever des chantiers au détriment d’Anvers, mais aujourd’hui, je viens humblement confesser que j’étais dans le faux et voici pourquoi : Quel intérêt auraient les ports secondaires à construire des navires, eux qui, sans doute, n’ont pas la prétention de faire la navigation au long cours et ne pourraient la faire. Evidemment aucun. Quelle est la seule navigation qu’ils puissent avoir ? celle du cabotage avec les entrepôts européens et pas d’autres. Manquera-il de navires pour celle-là ? Oh ! certainement non : on pourra, au contraire, se mettre à l’œuvre pour dégrever ceux qui sont construits, car les droits différentiels anéantissent manifestement le commerce et la navigation du cabotage ; et la navigation du cabotage n’est pas seulement détruite pour tous ces ports, elle l’est pour Anvers elle-même… A cette vie, à cette activité aux bassins d’Anvers aujourd’hui, qu’allez-vous voir succéder lorsque vous aurez décrété les droits différentiels ? L’ennui, le vide à ces mêmes bassins...

Sans cabotage, point de vie pour Anvers ; la mort de la navigation pour tous les petits ports.

Maintenant, ils sont avertis : en réfléchissant au sort qui les attend, il est, à la rigueur, peut-être encore temps de faire parvenir leurs protestations dans cette enceinte par la voix de leurs représentants. Je forme des vœux pour qu’ils méditent mes paroles. Mon opposition dans la question qui nous occupe n’a rien de passionné. Je dis ce que je pense ; je signale les dangers que court mon pays.

Entre autres motifs que signale l’honorable M. Dumortier pour nous rassurer sur les représailles de la Hollande, il nous dit que toujours nous pourrons paralyser ses mesures en entrant chez elle par la voie de l’Allemagne. Mais M. Dumortier y a-t-il pensé ? M. Dumortier s’est-il dit que l’Allemagne jouit vis-à-vis de la Hollande d’avantages auxquels elle n’a droit qu’en fournissant des certificats d’origine, et que la Hollande peut ainsi, sans blesser l’Allemagne, élever les droits sur cette frontière. Il est évident que la mesure serait prise en Prusse du jour au lendemain, dès que nous voudrions éluder les justes représailles que nous nous serions justement attirées.

Et puis, le beau remède d’aller emprunter cette frontière ! Abandonner toutes nos routes, nos canaux. Oh ! messieurs, espérons que la sagesse de la chambre détournera de nous tant d’entraves, tant de calamités !

Nous recevons ici, messieurs, un journal d’une ville secondaire, à la vérité, mais un journal dont les articles de fond en fait de vues commerciales ne le cède en rien à nos grands journaux. Je veux parler du journal L’industriel de Verviers, dont je me permettrai de citer textuellement, quelques lignes. Vous verrez, messieurs, lorsque vous les aurez méditées, si l’on peut rien avancer de plus concluant contre l’adoption des droits différentiels.

Plusieurs voix. - Un journal maritime de Verviers !

M. David. - Messieurs, nous n’avons pas l’immodestie de nous poser en port de mer. Nous savons ce que nous valons. Verviers donne l’exemple de l’exportation, Verviers connaît les opérations maritimes autant par expérience que vous semblez les connaître par théorie.

Dans tous les cas, Verviers permettra à Bruges de s’immiscer dans les questions industrielles, nous devons avoir le droit de toucher aux questions maritimes.

« Pour faire accueillir les droits différentiels par l’industrie, les prôneurs de ce système prétendent qu’en favorisant les importations directes par navires belges et étrangers, mais par navires belges surtout, on favorise l’industrie, puisqu’on lui offre des chances d’exportation.

« Nous consommons des marchandises coloniales pour 100 millions, dont 59 millions nous sont importés des pays de production par navires belges et étrangers ; 41 millions nous arrivent des entrepôts. Il n’est pas difficile d’établir que, bien que les importations directes soient supérieures à celles qui se font des entrepôts d’Europe, nos exportations, aux entrepôts d’Angleterre et de Hollande seulement, sont supérieures à nos exportations directes.

« En 1842, nos importations des pays transatlantiques et nos exportations ont donné les résultats suivants (en francs) :

« Singapore : importations : 1,784,500 ; exportations : 427,7000 ; fabricats : 343,000

« Java : importations : 912,300 ; exportations : 123,800 ; fabricats : 87,700

« Etats-Unis : importations : 22,543,900 ; exportations : 3,287,800 ; fabricats : 1,647,500

« Mexique : importations : 128,800 ; exportations : 580,000 ; fabricats : 464,000

« Cuba et Porto-Rico : importations : 6,897,100 ; exportations : 831,200 ; fabricats : 739,300

« Haïti : importations : 6,880,400 ; exportations : 14,500 ; fabricats : 10,600

« Brésil : importations : 12,534,600 ; exportations : 2,058,600 ; fabricats : 1,121,000

« Rio de la Plata : importations : ;9,325,600 exportations : 366,100 ; fabricats : 295,900

« Chili : importations : 432,800 ; exportations : 175,400 ; fabricats : 145,900

« Total : importations : 51,437,000 ; exportations : 7,965,100 ; fabricats : 4,854,700 »

« Voilà certainement des pays avec lesquels nous avons des relations directes par nos navires et les navires étrangers et, en échange de 51 millions de marchandises qu’ils nous ont fournies, nous ne leur en avons livré que pour 8 millions, dans lesquels notre industrie participe pour 5 millions tout au plus.

« Ce tableau prouve, à moins que l’on ne soit égaré par des préventions, que les importations faites par un pays dans un autre ne se payent pas avec les exportations de ce dernier faites spécialement pour le premier. » (Dénégations à plusieurs bancs).

Messieurs, je vous prie de ne pas m’interrompre. Vous me répondrez. Vous avez entendu hier mon honorable ami, M. Lesoinne, qui nous expliquait d’une manière si pratique, si claire, ce qui se passe au-delà de l’Atlantique, et vous reviendrez de vos utopies, je n’en doute pas.

(L’orateur reprend :) « Les navires des nations transatlantiques qui arrivent dans nos ports préféreraient en emporter des marchandises plutôt que d’y retourner sur lest, ou de se rendre aux entrepôts d’Europe pour se charger des fabricats d’Europe, et s’ils ne nous en prennent pas, c’est que nous n’avons pas de spanihs streeps pour Singapore, des draps des cotons, des toiles, en un mot, des produits manufacturés tels que les nations transatlantiques en demandent et tels que l’Angleterre, entre autres, sait en fournir. Les industriels belges fabriquent, en général, pour l’intérieur et pour les nations d’Europe, et quand ils voudront fabriquer pour les nations transatlantiques, quand ils auront des capitaux qui permettront d’exporter, ou une classe d’hommes achetant des produits pour l’exportation, nous verrons nos exportations se diriger vers les nations transatlantiques. De même qu’un capitaliste n’achète pas sur place des fabricats, s’il n’a pas la certitude de les vendre à l’étranger de même les navires qui touchent à nos ports préfèrent partir sur lest plutôt que de se charger de marchandises qu’ils ne pourraient réaliser.

« Voyons maintenant ce que nous avons importé des entrepôts de la Hollande et de l’Angleterre, et à quelle somme s’élèvent nos exportations dans ces pays (en francs) :

« En Hollande :

« Marché colonial : importations : 19,451,200 ; exportations : 26,397,500 ; fabricats : 18,218,715

« Autres : importations : 19,632,600

« Angleterre :

« Marché colonial : importation : 17,299,700 ; exportations : 9,073,200 ; fabricats : 1,904,100

« Autres : importations : 30,932,400

« Total : importations : 77,315,900 ; exportations : 35,470,700 ; fabricats : 20,222,815

« Pays transatlantiques : importations : 51,437,000 ; exportations : 7,965,100 ; fabricats : 4,854,700

« La simple comparaison de ces chiffres prouve que nos relations avec les entrepôts d’Europe sont plus utiles à l’industrie que nos relations directes avec les pays transatlantiques, et que nous fournissons aux premiers quatre fois autant de produits manufacturés. Ce tableau prouve encore que c’est contre la Hollande et notre industrie que le système des droits différentiels est dirigé ; lorsque l’on nous aura fermé la Hollande, qui consomme nos fabricats à concurrence de 18 millions, sera-ce la marine belge que nous donnera, comme débouchés, les pays transatlantiques ? »

Ainsi que je l’ai dit les jours passés, messieurs, je remarque à l’atmosphère de la chambre qu’il y a parti pris en faveur des droits différentiels. Dans cette situation désespérée, savez-vous, messieurs, ce qui pourrait nous arriver de plus heureux ? Ce serait l’adoption de la proposition la plus exagérée, plus avancée, s’il était possible, que celle de la section centrale. Le remède ainsi serait plus près de nous ; l’expérience du système ne serait pas de longue durée. Nous ne perdrions ainsi qu’une année ou deux. Si, au contraire, on est modéré, si l’on adopte le projet du gouvernement, par exemple, nous n’aurons fait que vivoter plus longtemps phtisiques ; nos maux seront graves en raison de la lenteur de notre agonie. Mieux vaut arriver tout à coup au paroxysme, que voir renforcer, retoucher chaque année au système. C’est ce qui arriverait infailliblement si l’on adoptait que le projet du gouvernement. On ne manquerait pas de croire alors que l’inefficacité de la loi des droits différentiels n’a pour cause que l’inanité des tarifs. Mieux vaut faire d’emblée l’expérience complète, le salta mortale.

Messieurs, je termine en disant, ainsi que je l’avais annoncé dans mon dernier discours, quelques mots sur l’intérêt de ma province et en venant protester contre des mesures qui la compromettent au dernier degré.

La province de Liége est ébranlée, elle est atteinte jusque dans ses fondements. (Mouvement.) Et c’est par un sourire d’incrédulité, messieurs, que vous accueillez de semblables paroles ! Je vous en prie, messieurs, écoutez-moi jusqu’au bout, vous verrez si mes appréhensions sont fondées.

M. Delfosse. - Ecoutons, écoutons, messieurs, la chose est assez sérieuse.

M. David. - Cette belle province, elle à qui la Providence a donné la double fertilité de la surface du sol et de ses entrailles, voit paralyser toutes ces bénédictions. Elle qui jouit d’un mouvement d’exportation s’élevant à 200,000 tonneaux par la Meuse du seul côté de la Hollande, elle est ruinée ; car elle n’a pas l’espoir qu’on la ménage, elle sera englobée dans la réprobation générale, et cette ruine, c’est vous qui allez la consommer. Vous frappez d’un coup des industries puissantes ; vous frappez des populations qui ne se plaignent pas et qui ne vous demandent pas la charité. Vous jouez ce riche patrimoine sur un coup de dés avec toute l’imprévoyance des enfants prodigues ou des hommes passionnés ! Vous exposez froidement une des plus riches, des plus éclairées, la plus vivace, à coup sûr, des provinces du royaume, et tout cela pour entrer dans le vague et dans le hasard, pour créer une industrie nouvelle que je voudrais voir fleurir sans doute, mais qui, après tout, existe à peine, et que vous allez faire grandir à son tour avec un germe de mort dans son sein. Non, messieurs, la province de Liège ne peut pas accepter le lot que vous voulez lui faire, sans gémir et sans protester par la voix de ses députés contre la ruine que vous décrétez contre elle !

Par mon vote contre la loi, par mon vote pur et simple, je ne me sentirai donc pas suffisamment soulagé. Je veux encore protester contre elle au nom de la province que j’ai l’honneur de représenter. Je veux protester au nom de notre industrie que vous allez amoindrir, au nom des représailles que vous allez attirer sur notre jeune existence. Je proteste contre la loi que vous occupe au nom de tout votre passé, au nom du péage de l’Escaut dont vous avez voté le remboursement, au nom de notre chemin de fer qui porte au Rhin l’embouchure de notre fleuve envié, au nom de la navigation transatlantique que nous vous avons arrachée, au nom de la Meuse que vous amputez du côté de la France comme du côté de la Hollande. Je proteste au nom du principe gouvernemental qui ne peut pas, lui, sacrifier des droits à des doutes, une existence supportable à une décadence assurée, je proteste enfin au nom de la justice, au nom de la politique, et songez-y bien, et chambre et gouvernement, au nom d’un immense péril pour l’existence, pour l’union, pour l’intégrité du pays !

M. Van Cutsem. - Messieurs, le travail national est considéré partout comme une condition sine qua non, d’ordre, de moralité d’aisance et de bien-être.

Pour que tous les citoyens d’une nation soient à l’abri de la misère, il faut que chaque homme valide ait constamment du travail assuré, et que ce travail produise de quoi subvenir à sa consommation et à celle de sa famille : c’est au gouvernement, c’est à la législature qu’incombe le devoir de mettre la nation dans cette position par une législation commerciale et industrielle, qui, comme toutes les autres parties de la législation ordinaire, devienne une cause de bien-être et d’indépendance pour le pays.

Depuis près d’un siècle l’économie politique est partagée en deux systèmes qui s’excluent mutuellement ; la plupart des gouvernements sont attachés au régime prohibitif, les hommes de lettres préconisent la liberté de commerce. La Belgique a, depuis 1830, suivi les préceptes des hommes qui n’avaient pour eux que des théories ; elle a dédaigné l’expérience des peuples qui, à l’aide d’un système protecteur, avaient vu grandir leur commerce et leur industrie ; lorsque toutes les nations qui l’entourent accordaient leur protection à leurs industries, elle a admis les fabricats étrangers avec des droits excessivement minimes, et elle a répondu par un régime libéral de douane aux tarifs prohibitifs de la généralité des Etats européens. En adoptant la liberté commerciale préconisée par les théoriciens, la Belgique a été exploitée par ses voisins, qui ne lui ont fait, en retour, que des concessions insignifiantes, et cela pour une raison fort simple : c’est qu’en leur demandant des faveurs, elle n’avait rien à leur accorder. C’est ainsi que, quand elle a voulu sauver l’industrie linière du coup dont elle était menacée par l’ordonnance française du 26 juin 1842, elle a dû prendre sur ses impôts intérieurs la concession que réclamait la France en échange de celle que nous lui demandions. Si nous avions eu un tarif protecteur pour nos industries, nous aurions pu lui faire des concessions sans altérer nos ressources financières et, en obtenant un avantage pour nos beaux fabricats de lin, nous faisions encore recevoir dans ce pays nos fers, nos fontes et un grand nombre d’autres produits. Pour que la liberté commerciale, qui est belle en théorie, le soit aussi en pratique, il faut qu’elle soit admise par tous les peuples ; établie au milieu de nations qui ont chez elles le système de protection pour leur commerce et leur industrie, elle n’est et ne peut être qu’une duperie.

Les peuples ont besoin de faire leur apprentissage, nous avons fait le nôtre ; mais à présent que nous voyons combien la liberté commerciale a été fatale à la Belgique, ne persévérons pas plus longtemps dans une voie, qui, suivie par nous jusqu’au bout ne manquerait pas de nous donner cette aisance dont jouissent la Suisse et la Saxe, aisance si peu désirable, qu’elle ne donne à ceux qui la possèdent que les moyens de satisfaire, les besoins de la vie animale ; or une pareille position irait mal à une nation qui, comme la nation belge, consomme, pour une population de quatre millions d’hommes, les produits qui suffiraient à huit millions d’hommes d’un peuple habitué à moins de bien-être physique.

Avec le système aujourd’hui en vigueur, notre propre commerce d’échange s’est, au grand détriment de l’industrie belge, vu réduire à celui de commission.

Pour remédier à cet état de souffrance on pouvait recourir à différents moyens, entre autres aux traités internationaux ; mais, pour négocier avec avantage des traités de commerce avec les peuples voisins, nous eussions dû, comme ces peuples, avant de chercher des débouchés à l’étranger, en chercher d’abord à l’intérieur par un régime plus protecteur et ménager dans le pays même à l’industrie nationale un débouché qu’on peut, sans exagération, porter à 30 millions de francs, et donner, par des droits différentiels de navigation et de douane, à notre marine une protection autre que celle qu’elle a aujourd’hui, et qui se réduit sur l’importation de 100 kil. de café à 80 cent., lorsque l’Angleterre, forcée de protéger les produits de ses colonies, impose un droit énorme d’un schelling trois pence à la consommation d’une livre de café et qu’elle frappe le sucre étranger d’un droit d’environ de 82 fr. par 50 kilog.

Si nous avions suivi l’exemple de la Grande-Bretagne en prenant d’aussi sages dispositions, notre marine marchande, dont nous nous occupons spécialement dans cette discussion comme moyen d’exportation de nos produits, ne compterait pas seulement comme aujourd’hui 136 navires de mer, dont la moitié est seulement propre aux voyages transatlantiques, et le quart au plus à la navigation des Indes orientales et des parages de l’Amérique méridionale, nos bassins posséderaient encore ces belles frégates marchandes qui faisaient leur ornement, en même temps que la richesse du pays avant 1830.

Au lieu de suivre cette marche, qui était indiquée par la raison et les exemples qui nous étaient donnés par toutes les nations marchandes et industrielles du globe, nous nous sommes mis à la poursuite de traités de commerce sans rien obtenir, par cela seul que nous avons commencé par où il aurait fallu finir.

Le résultat de nos négociations commerciales ne doit donc surprendre personne pour cette première raison ; il ne doit pas encore nous étonner, puisque jusqu’aujourd’hui on ne peut citer aucun traité par lequel des Etats européens se soient accordé au moyen de l’abaissement mutuel de leurs tarifs la faculté d’importer dans leurs pays respectifs des fabricats qu’ils produisent eux-mêmes en quantités suffisantes pour leur consommation, ou qu’ils sont en voie de produire pour suffire à leurs propres besoins. Les traités de commerce ne se négocient aujourd’hui qu’au moyen d’articles dissimilaires produits spécialement par l’une partie contractante et consommée par l’autre.

Ne nous laissons pas leurrer plus longtemps par l’étranger qui, depuis plusieurs années, a pris des voies indirectes pour donner le change à la Belgique et la détourner des seuls moyens qui pouvaient faire prospérer son commerce. On peut nous pardonner de nous être nourris, pendant les premières années de notre existence comme nation, de fausses espérances, d’avoir cru à des associations commerciales, à des réunions douanières, lorsque nous ne connaissions pas la vive opposition que font les populations industrielles à la concurrence des produits étrangers similaires ; mais aujourd’hui que nous avons 14 années d’existence, que nos nombreuses négociations diplomatiques n’ont rien produit pour nous ; nous serions sans excuses si nous maintenions ce système commercial, par lequel l’étranger a comprimé l’essor de notre esprit d’entreprises commerciales et maritimes ; nous serions sans excuses encore parce que le droit public de l’Europe, tel qu’il est établi aujourd’hui, reconnaît aux Etats de tout rang le droit de gouverner leurs affaires commerciales comme ils l’entendent, et que nous sommes certains qu’aucune voix ne s’élèvera chez les peuples voisins pour nous menacer de la guerre, comme cela a eu lieu au parlement anglais en 1824, quand un membre de cette assemblée proposait à ses collègues de faire la guerre à la Prusse, parce que cette puissante avait pris des mesures utiles à son commerce et défavorables à celui de la Grande-Bretagne. Quant aux représailles, qu’avons-nous à craindre ? Nous sommes vis-à-vis des peuples voisins dans une position telle qu’ils ne peuvent nous nuire ; nous importons peu de chose aujourd’hui chez eux ou presque rien ; presque rien ou rien, la différence sera imperceptible, et nous pourrons nous résigner d’autant plus facilement à cette position, qu’elle doit nous arriver un peu plus tôt, un peu plus tard, puisque les marchés de l’occident de l’Europe qui se resserrent chaque jour pour la France, pour l’Angleterre, doivent finir par nous être entièrement fermés comme à ces deux peuples. S’il est vrai que ces marchés consommateurs se resserrent de plus en plus pour les nations étrangères au pays de consommation, et qu’ils doivent se resserrer de plus en plus, il me paraît évident que nous devons faire ce que font les nations voisines, nous assurer le marché intérieur et rechercher des marchés lointains et ne pas oublier que le monde commercial est constitué comme le monde politique, et que, pour y avoir sa place, il faut en suivre les règles.

L’Angleterre, malgré quelques modifications plutôt apparentes que réelles, a encore, pour régler son système commercial, l’acte de navigation d’Olivier Cromwell, elle n’admet à la consommation intérieure que les produits de ses colonies et ne reçoit les produits de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique qu’importés par ses propres navires ; si Huskisson a fait réduire le tarif anglais de manière à n’avoir que des droits de 30 p. c., si le ministre Robert Peel a fait imposer les matières premières d’un droit de 5 p. c. à leur entrée en Angleterre, les produits à demi travaillés d’un droit de 10 p. c., les objets entièrement manufacturés d’un droit de 20 p. c., ils n’en ont agi ainsi, que parce qu’ils n’avaient rien à craindre pour la plus grande partie de leurs industries, dans lesquelles ils ont une supériorité marquée ; et si les Anglais prêchent aujourd’hui la liberté commerciale, ils ne la vantent que parce qu’ils n’ont plus besoin de protection pour la plupart de leurs fabricats. Lorsque des produits étrangers doivent faire concurrence aux leurs, ils ne les dégrèvent pas des énormes droits qui pèsent sur eux à leur entrée en Angleterre ; c’est de cette manière qu’ils ont maintenu ceux qui existent sur les soieries et les vins étrangers ; c’est encore ainsi que, s’étant aperçus que nous importions chez eux pour quelques cent mille francs de chicorée, ils ont frappé cette denrée de droits prohibitifs, quoique nous leur prouvions qu’ils importaient annuellement chez nous pour environ cinquante millions de francs de leurs produits.

L’Amérique, qui est loin encore d’avoir atteint en industrie la supériorité à laquelle l’Angleterre est parvenue, s’est, pour y arriver, appropriée le tarif anglais, et par suite de l’adoption de ce tarif, l’Angleterre, qui envoyait dans ce pays pour 290 millions de francs de ses produits, n’en expédie plus que pour environ 90 millions de francs.

La France s’est donné, sous la restauration, le système commercial anglais, et ce système n’a pas été changé depuis lors dans ce pays, pas plus qu’en Angleterre depuis Cromwell.

L’Allemagne a un tarif modéré, mais supérieur au nôtre. Toutefois elle n’est pas encore constituée commercialement ; elle le sera d’après toutes les apparences, comme la France et l’Angleterre, d’ici à peu d’années.

Le système commercial de la Hollande, comme celui de la Belgique, est écrit dans la loi de 1822 ; toutefois la Belgique n’est plus dans la position où elle était lorsqu’elle adopta la législation commerciale de 1822 ; elle n’a plus son système colonial, différence notable entre ce qui existait alors pour elle et ce qu’elle a aujourd’hui. Le régime maritime actuel était suffisant pour le royaume des Pays-Bas, parce que le privilège colonial assurait de larges avantages à l’industrie et au commerce maritime du pays : sous l’empire de ce privilège l’une trouvait des débouchés assurés et l’autre des moyens efficaces de développement et de prospérité. Aujourd’hui ce même régime ne peut suffire à la Belgique : d’abord la déduction de 10 p. c. sur le montant des droits de douane est tout à fait insignifiante, à cause de l’extrême modicité des droits d’entrée, sur la presque totalité des articles que nous recevons par mer et qui servent d’aliment au commerce maritime ; ensuite par cela même qu’elle est accordée d’une manière uniforme pour toutes les importations par mer sous pavillon national, aussi bien pour les provenances des entrepôts de France et d’Angleterre que pour celles des contrées transatlantiques, cette réduction ne peut avoir pour effet de donner quelque impulsion aux armements nationaux vers les contrées transatlantiques.

L’Espagne, le Portugal, la Suède, le Danemark stipulent comme la France, l’Angleterre, l’Amérique et la Hollande contre les autres nations à l’égard de leur commerce colonial, soit des prohibitions, soit des droits différentiels majeurs.

Aucune nation ne peut importer dans ces pays, sinon pour la réexportation ou en transit des sucres ou des cafés ; en face de pareils faits peut-on dire que nous ne devions pas majorer dans l’intérêt de nos exportations nos droits différentiels sur les importations directes et indirectes ?

Si on ne veut pas adopter les droits différentiels, qu’on nous dise alors par quels moyens nous parviendrons à créer un commerce extérieur, comment nous arriverons sur les marchés lointains, les seuls qui nous soient ouverts, comment nous pourrons échanger nos produits, comment nous lutterons contre les importations de l’étranger et comment nous pourrons trouver dans nos propres importations le moyen d’exporter nos produits ?

La Belgique possède le marché de la Turquie, celui de l’Amérique du nord, celui du Mexique, du Brésil, de la république argentine, du Chili, du Pérou, de la Colombie, de la Havane, de Manille, de l’Egypte. Dans tous ces marchés notre pavillon est reçu sur le pied des nations les plus favorisées, et quels ont été cependant les résultats de ces avantages pendant les années qui viennent de s’écouler ? Est-ce qu’ils ont développé son commerce ? Non, et ils ne pouvaient le développer, parce que nous n’avions pas favorisé nos importations de manière à pouvoir faire des exportations sur ces marchés, et aussi longtemps que nous ne favoriserons pas nos importations, les nations étrangères, qui ont des droits différentiels sur les importations, resteront maîtresses de ces lieux de consommation, en y exportant leurs marchandises qu’elles échangeront contre les produits de ces contrées lointaines, pour les importer avec avantage dans leur propre pays, ou si leurs propres marchés sont encombrés, pour les déverser dans des pays comme la Belgique, où ils sont reçus sans devoir payer sur leurs marchandises des droits plus élevés que ne payent les marchandises importées sous pavillon belge.

Si nous ne recevons les denrées coloniales que de seconde main, pourquoi la Belgique serait-elle posée comme l’intermédiaire des échanges entre l’Allemagne, la Suisse, le nord de la France et les contrées transatlantiques, par la seule raison que le chemin de fer rattachera le Rhin à l’Escaut ? Les ports hollandais, prussiens et anséatiques seront-ils assez bénévoles pour s’effacer devant le port d’Anvers ? Les voies de transport par eau vers le Rhin et la Suisse, ne seront-elles pas préférées, à raison de leur bas prix, aux voies de transport par terre et ne les baissera-t-on pas si le chemin de fer leur faisait une concurrence désastreuse ?

La Hollande, notre rivale la plus dangereuse, ne pourra-t-elle pas favoriser le transit par des conventions internationales ?

Soyez convaincus, messieurs, que si nous conservons notre législation actuelle, nous ne parviendrons pas à créer à Anvers ces marchés qui existent à Rotterdam, à Amsterdam, à Hambourg et au Havre ; les denrées coloniales, malgré notre beau réseau de chemins de fer, continueront à nous arriver en grande partie par cabotage des entrepôts d’Europe ; les prix en seront affectés par des doubles frais de commission de transport, de chargement et de déchargement et dans de pareilles conditions, peut-on croire que l’Allemagne ou la Suisse trouveraient leur compte à prendre chez nous des marchandises de seconde main, les seules que nous aurions à leur livrer ? Pour moi, j’ai la profonde conviction que les importations faites par navires nationaux sont la condition impérieuse de l’exportation des produits de notre pays. En doublant, en triplant nos importations directes, nous doublerons, nous triplerons les exportations et le travail du pays et nous en éloignerons dans la même proportion la misère et le désordre.

Toutes les nations commerciales et industrielles des différentes parties du globe sont parties de ce principe : plus les navires d’un pays industriel fréquentent les ports des différentes nations du monde, plus il est assuré d’importer favorablement les produits du dehors qui lui sont nécessaires, et d’exporter avec avantage les objets qu’il destine à la consommation extérieure ; pour atteindre ce but, elles ont accordé de grandes faveurs aux importations par navires nationaux.

Si notre marine n’est pas assez développée dans ce moment pour suffire aux besoins de toutes nos importations et que nous ayons à craindre pour ce motif la hauteur des frets, nous n’avons qu’à ne pas frapper de prime abord les navires étrangers de droits élevés. Accordons, d’année en année, à la navigation nationale une protection progressive au moyen de laquelle elle pourra s’agrandir et prendre en peu d’années les proportions des besoins maritimes et commerciaux du pays.

Je viens de vous dire qu’une marine nationale ouvrira des voies d’écoulement de nos produits ; en effet, sa destinée étant intimement liée à celle de nos diverses industries dont elle est l’auxiliaire indispensable, tous ses efforts tendront constamment à entretenir et multiplier ce grand commerce d’échanges qui fait la richesse des Etats.

S’il n’en était pas ainsi, pourquoi aurions-nous, depuis plusieurs années, décrété des primes d’encouragement pour la construction des navires ? Pourquoi le gouvernement aurait-il, avec l’assentiment du pays entier, établi une navigation régulière par navires nationaux à voiles avec les Etats-Unis ? Qu’on ne le dissimule donc pas, c’est parce que les administrations qui se sont succédé au pouvoir, ont été effrayées de la ruine progressive de notre commerce extérieur et de notre industrie d’exportation, malgré l’affluence des navires étrangers ; c’est parce qu’elles ont vu que le pays ne s’ouvrait pas de nouveaux débouchés qu’elles ont eu recours à l’établissement d’une navigation nationale, pour arrêter les progrès effrayants du mal qui rongeait le pays ; elles ont senti qu’il fallait faire pour la Belgique de 1830 ce que fit pour la Belgique de 1722 la célèbre compagnie d’Ostende, lui donner une marine marchande pour exporter le trop plein de ses fabricats, la mettre à même de ne pas faire peser les frets tout entiers, ou en grande partie sur la cargaison de sortie, parce que les marchandises s’en trouvant chargées sur les marchés du dehors ne pourraient soutenir la concurrence contre les mêmes qualités de marchandises, transportées dans les mêmes contrées lointaines à un fret plus bas.

Que les pays qui n’ont pas de ports de mer empruntent les ports étrangers pour s’approvisionner, cela doit-être ainsi ; mais il est absurde que la Belgique, qui possède des ports de mer sûrs, ait recours aux ports de ses voisins pour s’approvisionner de denrées tropicales, et pour exporter au loin ses produits industriels ?

Le système de droits différentiels que nous réclamons pour la Belgique n’est pas aussi rétrograde qu’a voulu le dire un orateur qui veut pour la Belgique la liberté commerciale, puisqu’on trouve des hommes de la nouvelle école politique qui le défendent, tandis qu’ils traitent le système du laissez-faire et du laissez-passer, d’oppresseur et d’imbécile.

Les adversaires du système que nous défendons disent que nous n’avons pas besoin de droits différentiels, puisque notre commerce maritime s’accroît progressivement ; cette progression, sur laquelle ils s’appuient, existe-elle en réalité ? c’est ce que nous allons voir : en 1836 nous avons exporté des marchandises pour une valeur de 60 millions ; en 1837 pour une somme de 56 millions ; en 1838 pour 59 millions ; en 1839 pour 56 millions ; en 1840 pour 49 millions et en 1841 pour 51 millions. Peut-on dire à présent qu’il y a progression du commerce maritime, quand le chiffre des exportations en 1840 et 1841 a été inférieur à celui des années précédentes ? Est-ce à présent, parce que nous aurions en 1842 seulement exporté 6 ou 7 millions de plus de nos produits qu’en 1836, que l’on pourra dire que notre commerce maritime s’accroît progressivement, alors encore que, sur les 67 ou 68 millions de produits exportés en 1842 vingt environ seulement ont été transportés dans des contrées lointaines, les pays transatlantiques compris, où nous avons importé pour quatre millions et demi de nos fabricats. Les droits différentiels seraient moins nécessaires si nous exportions une plus grande quantité de nos produits dans les contrées transatlantiques et moins sur les marchés voisins parce qu’ayant d’autres garanties que celles que nous avons aujourd’hui, notre position serait plus belle.

La Belgique, qui n’exporte, année commune, que pour 50 millions de francs de ses produits sur toutes les parties du globe, voit importer chez elle chaque année pour 60 à 68 millions de produits transatlantiques seulement, et sur ces 68 millions de produits transatlantiques importés chez elle, il ne lui en arrive que pour quatre millions et demi par navires nationaux ; le surplus lui est porté par ses concurrents en industrie, qui échangent, à notre grand préjudice, leurs fabricats contre ces denrées coloniales.

Ne suffit-il pas de connaître de pareils faits pour devoir dire qu’un pareil état de choses doit cesser, que nous devons échanger nous-mêmes les produits transatlantiques, dont nous avons besoin, contre des produits belges ? Prendre une pareille décision ne suffit pas pour atteindre le but proposé, je le sais ; il y a un problème à résoudre pour parvenir à cette fin ; mais ce problème ayant été résolu par d’autres nations qui étaient dans la même position que nous, nous n’avons qu’à le résoudre de la même manière qu’elles, quoique nous n’ayons pas les colonies qu’elles possèdent. La Belgique n’a pas besoin de colonies pour avoir des relations directes avec les pays lointains à l’aide de droits différentiels ; en effet, les pays qui ont les colonies propres n’exploitent pas seulement ces colonies mais ils trafiquent encore avec leurs ci-devant colonies, c’est avec ces dernières seulement que la Belgique a la prétention d’entrer en relation au moyen de droits différentiels à établir en faveur de sa marine marchande.

La France exporte chaque année 60 à 80 millions de tissus de coton dans les colonies libres ouvertes à la navigation belge, aux mêmes titres et aux mêmes conditions qu’à la navigation française.

Les Etats-Unis exportent tous les ans dans les pays lointains 20 à 25 millions de tissus communs de coton et ils auraient encore doublé, depuis 5 à 6 ans, cette somme d’exportation en Asie dans l’Amérique méridionale, si le dérangement de leurs marchés d’argent, causé par une circulation abusive de leur papier monnaie n’avait pas augmenté le prix de revient de 25 à 30 p. c.

L’Angleterre expédie à ses propres colonies pour à peu près 125 millions de francs de coton, et en fait parvenir une quantité bien plus forte aux colonies libres. Pourquoi la Belgique, qui possède tous les éléments pour être une des nations des plus florissantes de l’univers, ne pourrait-elle pas faire ce que font la France, les Etats-Unis et l’Angleterre, la Belgique qui a des manufactures qui jouissent, comparativement à quelques autres pays, de la triple faveur du bas prix de la matière première, d’une population ouvrière très nombreuse et d’une provision abondante de houille et de fer fournie par le pays même !

Il résulte, messieurs, de ce que je viens de vous exposer, qu’il faut adopter en Belgique le système des droits différentiels pour développer le commerce maritime belge, pour former dans notre pays un grand marché qui puisse rivaliser avec les grands centres de commerce des Etats voisins, et enfin pour débarrasser nos fabriques de leur trop plein.

Si, à mon avis, la Belgique a besoin de droits différentiels pour donner un nouvel essor à son commerce maritime et à son industrie, je pense toutefois que, pour ne pas manquer ce double but, elle doit n’entrer qu’avec prudence et modération dans ce système, en ne touchant pas à tout ce qui pourrait nuire fortement à la grande consommation et surtout compromettre les facilités à accorder à l’industrie nationale soit pour l’approvisionnement des matières premières qu’elle tire du dehors, soit pour l’exportation du pays.

Je dois l’avouer, sous ce rapport, le projet du gouvernement me convient mieux que les conclusions de l’enquête commerciale dans lesquelles on oublie que, lorsqu’il s’agit de remplacer un système ancien par un système nouveau, il y a toujours une transition à ménager ; c’est parce que le projet du gouvernement est transitoire, qu’il pourra être renforcé, si le besoin se fait sentir, en repoussant représailles par représailles, que jusqu’ores j’y donne mon assentiment, avec la ferme conviction que le commerce et la navigation pourront être, à l’avenir, le partage de la Belgique comme de la France, de l’Angleterre et des autres nations maritimes et industrielles si on l’adopte.

M. Savart-Martel. - Je demande à ne m’expliquer qu’à une prochaine séance. Mon intention serait d’établir qu’il y a nécessité pour la Belgique et d’un de nos voisins de s’entendre dans un intérêt commun. Je ne dois m’expliquer à cet égard qu’avec réserve, et cette réserve même commande que mes observations soient écrites. Si je n’ai pas profité du comité secret pour présenter mes idées, c’est que le comité a été clos au moment où, me trouvant indisposé, j’avais dû quitter la séance.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, j’ai promis de déposer sur le bureau les documents statistiques relatifs aux importations et aux exportations par la Meuse. Des tableaux m’ont été remis tout à l’heure, mais n’y ayant pas trouvé tous les détails que je voulais y comprendre, je les ai renvoyés pour les compléter. Je les ferai insérer ensuite dans le Moniteur soit demain, soit après-demain.

M. Delfosse. - Je suis étonné que M. le ministre n’ait pas encore pu nous fournir les renseignements que j’ai demandés, car il y a plus de huit jours que la demande a été faite. Je ne puis prendre part à la discussion que quand j’aurai lu ces pièces. Je prie M. le ministre de faire en sorte qu’elles soient insérées dans le prochain numéro du il.

M. Verhaegen. - Messieurs, dans la commission d’enquête se trouvait l’un des ministres, l’honorable M. Dechamps. Des conclusions ont été formulées par cette commission : trois systèmes ont été présentés à la suite de ses indagations : un de ces systèmes a été adopté par trois voix, un autre par deux voix et un troisième par trois voix. Je ne serais pas fâché, pour ma part, puisque nous connaissons à peu près l’opinion de M. Nothomb, de savoir quelle est l’opinion de l’honorable M. Dechamps. Adopte-t-il l’opinion de M. de Foere ou celle d’autres honorables membres qui faisaient partie de la commission d’enquête, ou bien adopte-t-il l’opinion de son honorable collègue, M. Nothomb ? Dans une question aussi importante, il faut que nous sachions si le ministère est homogène, si le ministre des travaux publics pense comme le ministre de l’intérieur.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, le projet du gouvernement est conforme à l’opinion que j’ai toujours défendue, et j’aurai soin, quand la discussion sera plus avancée, de faire connaître sur quels motifs cette opinion repose. L’honorable membre demande à quel système je me suis rallié dans le sein de la commission d’enquête, parmi ceux qui y ont été présentés. Je lui répondrai que, dès le début, trois systèmes ont été formulés dans les trois annexes B, C et D, qui sont comprises dans les documents de l’enquête. Je crois pouvoir dire sans indiscrétion que l’annexe B a été rédigée par l’honorable M. de Foere, l’annexe C par moi et l’annexe D par l’honorable M. Smits.

Ces trois documents déterminaient les trois nuances d’opinion représentées dans la commission d’enquête. J’étais d’accord avec l’honorable M. de Foere sur le fond des idées, sur les principes essentiels ; la chambre sait que j’ai eu plusieurs fois l’occasion de les défendre ; mais quant aux modes d’application, nous étions séparés par quelques nuances. Sur l’article café, par exemple, auquel l’honorable membre a fait allusion, j’ai voté pour le chiffre intermédiaire.

L’honorable M. Verhaegen sera sans doute satisfait de cette explication. Du reste, si j’avais changé d’opinion, je ne ferais aucune difficulté de le reconnaître ; en pareille matière, tout en restant fidèle au fond même du système, on pourrait modifier sa manière de voir sur les moyens d’application. Ainsi, il est clair que l’art. 3 du projet du gouvernement, qui autorise un renforcement de droits, pourrait déterminer ceux qui auraient admis sans cela des droits plus élevés à se rallier à une application plus modérée du système.

L’honorable M. David, qui vient de parler avec plus que de la chaleur contre le système des droits différentiels, tout en n’étant pas dans la commission d’enquête un partisan effréné de ce système, a voté cependant pour des chiffres différentiels plus élevés que ceux proposes par la chambre de commerce d’Anvers.

M. David. - J’ai toujours voté en désespoir de cause pour les chiffres les plus bas. Cependant, je dois dire que je n’ai pas toujours été un adversaire aussi acharné des droits différentiels que je suis aujourd’hui.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - M. David reconnaît donc que son opinion s’est modifiée ; j’aurais la même excuse que l’honorable préopinant, si j’avais varié dans la mienne ; mais je n’ai pas besoin de cette excuse, car j’ai conserve l’opinion que j’ai toujours défendue pendant toutes les opérations de la commission d’enquête.

M. Delfosse. - J’ai considéré l’interpellation de mon honorable ami, M. Verhaegen, comme entièrement inutile. Il devait être évident, pour lui, comme pour moi que M. le ministre des travaux publics adhérait au projet du gouvernement. Car si M. le ministre des travaux publics n’avait pas adhéré à ce projet, il aurait dû, pour être conséquent, quitter provisoirement le banc ministériel et remonter à son banc de député pendant la discussion, pour reprendre sa place au banc des ministres après le vote de la loi.

- La séance est levée à 4 heures.