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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du mercredi 27 mars 1844
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative à la traduction
flamande du Bulletin officiel (de Haerne, Rodenbach)
2)
Projet de loi établissant un mode définitif de nomination du jury universitaire
(Fleussu, de Mérode,
(+question politique) Verhaegen, de
Haerne, Desmaisières, de
Saegher)
3)
Motion d’ordre relative à une violation de frontière en violation des règles d’extradition,
peine de mort (Dumortier, d’Anethan,
de Theux)
4)
Décès d’un parlementaires (Peeters)
(Moniteur
belge n°88, du 28 mars 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M.
Huveners procède à l’appel nominal à midi et
demi. La séance est ouverte.
M. de Renesse donne lecture du
procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M.
Huveners communique les pièces de la correspondance :
PIECE ADRESSEE A LA CHAMBRE
« Le sieur J.-P. Behaegel, né a
Bailleul (France), prie la chambre de lui accorder la grande naturalisation, si
les lettres de naturalisation qui lui ont été conférées par le roi des Pays-Bas
ne suffisaient pas pour l’admettre à l’exercice de tous les droits politiques
des Belges. »
- Renvoi à M. le ministre de la
justice.
_________________________
« Plusieurs propriétaires
cultivateurs de la commune de Sart, demandent qu’on n’oblige point les communes
à partager ou à vendre les terrains incultes dont elles sont
propriétaires. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
_________________________
« Plusieurs habitants de Gembloux demandent
la construction d’un chemin de fer de Jemeppe à Louvain, en suivant les vallées
de l’Orneau et de la Dyle. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants notables de Courtray
demandent le maintien de l’arrêté royal du 1er janvier 1844, relatif à la
traduction du Bulletin officiel en
langue flamande. »
M. de Haerne. - Messieurs, j’ai été chargé par plusieurs habitants notables de la
ville de Courtray de déposer sur le bureau la pétition dont M. le secrétaire
vient de présenter l’analyse.
La pétition est couverte d’un grand
nombre de signatures honorables ; elle est conçue dans un sens contraire à
celle qui a été adressée à la chambre il y a quelques jours, par des habitants
de la ville de Roulers. Cette dernière pétition demandait le retrait de
l’arrêté du 1er janvier, la pétition de Roulers sollicite le maintien de cet
arrêté.
Messieurs, les pétitionnaires nous
disent que si une requête contraire à leurs sympathies n’était pas émanée d’une
ville de
M.
Rodenbach. - Je demande la parole.
M.
le président. - Je ferai observer à l’orateur que
s’il continue à défendre la pétition, des orateurs vont demander la parole,
pour parler dans un sens contraire.
M. de Haerne. - Je me borne à développer les idées qui sont exprimées dans la
pétition ; je ne fais que ce qu’a fait l’autre jour l’honorable M. Rodenbach
qui a pu développer les idées exprimées dans la pétition de Roulers.
Messieurs, je dis encore une fois que
parmi les signataires de la pétition, figurent les habitants de Courtray les plus
honorables, les plus distingués sous le rapport scientifique. Vous y voyez des
membres de l’autorité communale, d’anciens membres du congrès, qui ont donné
dans cette enceinte des preuves de patriotisme, et dont l’opinion par
conséquent n’est nullement suspecte, par rapport à la langue hollandaise.
J’appuie sur ce point, parce qu’on a voulu contester le patriotisme…
M. le président. - M. de Haerne, je dois vous
interrompre ; ces considérations, vous pourrez les faire valoir, lorsque le
rapport de la commission des pétitions sera en discussion.
M. de Haerne. - Je n’ai plus qu’à ajouter un mot. Je demanderai que la commission
fasse un prompt rapport ; je demanderai aussi, si c’est possible, la traduction
de la pétition qui est un modèle de raisonnement, de style et de modération ;
je fais cette demande pour que les membres de la chambre puissent être mis au
courant des arguments de la pétition.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Il faudrait un traducteur juré.
M. de Haerne. - Je me présente.
M.
Rodenbach. - Si la chambre décide que
la pétition de Courtray sera traduite, je demanderai alors que la pétition de
Roulera soit également traduite.
L’honorable préopinant dit qu’à
Roulers l’opinion n’est pas unanime sur la question traitée dans la pétition de
cette ville ; je lui réponds qu’à Courtray l’opinion n’est pas non plus
générale.
Je demande qu’on veuille faire un
prompt rapport, et alors la chambre décidera ce qu’il y a à faire de ces
pétitions.
- La chambre, consultée, décide que
la pétition sera renvoyée à la commission des pétillons, avec demande d’un
prompt rapport.
La proposition tendant à faire
traduire la pétition n’est pas accueillie.
_________________________
Par dépêche en date du 26 mars, M. le ministre des
finances (M. Mercier) transmet à la chambre des explications sur la
pétition du conseil communal de Martelange, tendant à obtenir remise de la
contribution foncière arriérée depuis 1840.
- Pris pour notification.
_________________________
Par message en date du 20 mars, le
sénat informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi interprétatif de
l’art. 334 du code pénal.
- Pris pour notification,
_________________________
M.
Malou informe la chambre qu’une peut assister à la
séance de ce jour.
- Pris pour information.
_________________________
M. Bosquet, au nom de la famille de
M. P. Peeters, informe la chambre que les funérailles auront lien demain jeudi,
à midi, dans l’église de St-Michel et Gudule.
Discussion générale
M.
le président. - La discussion générale continue.
La parole est à M. Fleussu.
M.
Fleussu. - Messieurs, il n’y a pas longtemps que j’ai eu
occasion d’entretenir la chambre des vices inhérents à la formation du jury
d’examen. Ces vices avaient été signalés dans plusieurs écrits ; M. le ministre
de l’intérieur vous a donné lecture, dans la séance d’hier, de passages
extraits de quelques-uns de ces écrits ; il aurait pu y ajouter les réflexions
d’un professeur de l’université de Liége, que la mort a enlevé beaucoup trop
tôt, de M. Dehaut.
Ces vices, du reste, sont maintenant
généralement reconnus. Ils sont attestés dans les développements du projet, ils
sont également proclamés dans le rapport de la section centrale.
Les paroles que j’ai prononcées, lors
de la discussion du budget de l’intérieur, n’excitèrent dans cette chambre
aucun murmure, elles ne soulevèrent aucune marque de réprobation ; personne
parmi vous ne s’est levé pour les combattre, personne ne s’est levé pour
m’accuser du crime de lèse-liberté.
Quelle a donc dû être ma surprise,
lorsque j’ai vu que la proposition du gouvernement était devenue l’occasion
d’une levée de boucliers ! Comme si de cette proposition dépendaient les
destinées de
Le presse s’est emparée de cette
proposition, et la lutte s’est engagée dans les journaux, avant même qu’elle ne
fût ouverte dans cette chambre. Ceux qui ordinairement soutiennent le
ministère, se sont réunis contre lui, ils ont rassemblé leurs forces ; ils ont
dû chercher des renforts jusque sur les bancs du ministère.
Messieurs, il y a quelque chose de
mystérieux dans ce qui se passe en ce moment. M. le ministre de l’intérieur
nous dit qu’il ne fait pas de la proposition une question de cabinet ; ceux qui
attaquent le projet avec le plus de vivacité, protestent en quelque sorte de
leur attachement au ministère. D’un autre côté, un ministre consent à ce que la
proposition soit présentée à la chambre, puis il se retire pour la combattre. (Erratum Moniteur belge n°89, du 29 mars
1844 :) Explique qui pourra cette position. Si l’honorable M. Dechamps
avait défendu son opinion au sein du cabinet, si, succombant devant ses
collègues, il s’était retiré, oh ! messieurs, j’aurais alors été plein
d’admiration pour sa conduite ; mais ce dont je ne puis me rendre compte, c’est
qu’il ait consenti à la présentation du projet de loi, c’est que ce projet ait
été présenté de son aveu, et qu’ensuite il se soit retiré, pour renforcer le
nombre des adversaires du projet.
Je concevrais l’opposition, si elle
venait d’autre part. Si, par exemple, messieurs, ceux qui n’ont pas toujours à
se louer des nominations du ministère de l’intérieur, lui faisaient opposition
dans cette circonstance ; s’ils lui disaient : La loi que vous sollicitez, ne
la ferez-vous pas tourner contre nous ? Ce langage ne sera-t-il pas justifié
par les actes du ministère ?
Messieurs, il est une autre loi, à
l’adoption de laquelle la plupart d’entre nous ont aussi concouru, je veux
parler de la loi de l’instruction primaire ; nous avons eu notre part dans l’adoption
de cette loi ; avons-nous eu également notre part dans les nominations ?
Vous savez, messieurs, lorsqu’on a discuté le budget du ministère de
l’intérieur, combien de critiques sont parties de nos bancs, et sur les
nominations des inspecteurs civils, et sur la formation des écoles normales.
Nous aurions donc pu, messieurs,
opposer à M. le ministre de l’intérieur ses antécédents. Et cependant nous n’en
faisons rien. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit ici d’un question de personnes, et
que pour nous, pour moi du moins, les questions de personnes s’effacent
toujours devant les questions de principe.
Celui qui assiste au spectacle de ce
qui se passe en ce moment dans cette chambre ; celui qui voit qu’à l’occasion
d’une proposition bien innocente, qui serait du moins très innocente dans tous
les autres pays ; celui qui voit une véritable interversion de rôles, peut le
dire avec un publiciste, qu’il est puéril de vouloir limiter un pouvoir, et on
pourrait ajouter, messieurs, qu’il est dérisoire d’exiger d’une majorité de
déposer les attributions dont elle s’est emparée, et dont elle a usé largement,
ne fût-ce même qu’à titre précaire, à titre provisoire.
Le gouvernement doit sentir la faute
qu’il a commise, en laissant subsister ce provisoire si longtemps. Ce provisoire,
messieurs, on veut maintenant le convertir en un droit définitif ; ce
provisoire sert d’excuse à ceux qui en 1835 votaient pour la nomination du jury
d’examen attribuée au Roi, et qui maintenant paraissent très disposés à
admettre l’intervention des chambres.
Le jury, nous dit-on, n’a pas fait
preuve de partialité ; aucune plainte ne s’est fait entendre sur ce point.
Pourquoi changer le mode de nomination ?
Mais, messieurs, on vous l’a dit, la
question n’est pas là, c’est de la partialité mise dans la formation du jury
que l’on se plaint, et, messieurs, si je voulais m’emparer de quelques paroles
échappées de la bouche d’un honorable préopinant, je serais autorisé à dire
qu’il y a eu de la partialité ; j’aime à croire que les paroles de l’honorable membre
n’ont pas rendu fidèlement sa pensée. Ne vous a-t-il pas dit hier que le jury
s’était montré complaisant pour les élèves sortis de l’établissement qui avait
été le moins avantagé par la chambre ? Mais, messieurs, voilà de la partialité
; je ne suis pas de l’avis de l’honorable M. Dumortier. Je crois, au contraire,
que si les élèves de l’établissement auquel l’honorable membre a fait allusion,
ont été reçus avec faveur, c’est qu’ils ont fait preuve de connaissances.
Messieurs, j’ai une grande confiance
dans les hommes de science, j’ai confiance dans leur délicatesse, et cependant
il faut bien que je vous rende compte d’un bruit qui a circulé dans plus d’une
localité, et peut-être même le faisait-on circuler dans l’intérêt de
l’établissement. N’a-t-on pas dit, n’a-t-on pas répété plusieurs fois que les
élèves de l’université de Louvain avaient plus de facilité que les étudiants
des autres universités, pour obtenir leurs diplômes ? Et sur quoi se fondait-on
? précisément sur cette circonstance, que, grâce aux élections des chambres,
les examinateurs pris dans l’université de Louvain, étaient plus nombreux, et
qu’indépendamment des professeurs de l’établissement, on élisait encore des
personnes qu’on savait avoir de la sympathie pour cet établissement. Voilà ce
qui a accrédité ce bruit. Je n’en crois rien. Je crois qu’on a eu tort de le
répandre, mais il n’en est pas moins vrai que ce bruit a été répandu,
M.
Rodenbach. - Ce sont des cancans.
M.
Fleussu. - Ce sont, dit-on, des cancans ? oui, mais des
cancans que l’on propage exprès pour donner de l’influence à certain
établissement.
Je pense, comme M. le ministre de
l’intérieur, que la liberté de l’enseignement doit être mise hors de cause.
Qu’est-ce en effet que la liberté d’enseignement ? c’est le droit qui
appartient au père de famille d’envoyer ses enfants dans l’établissement qui
lui convient, c’est, comme disait M. le ministre de l’intérieur, le droit de
répandre les connaissances humaines. Oui, c’est en Belgique le droit
d’enseigner les bonnes et les mauvaises doctrines, c’est le droit d’enseigner
la religion et la morale, le droit d’enseigner le panthéisme, le déisme et
jusqu’à l’athéisme ; c’est le droit d’enseigner des doctrines subversives de
l’ordre social, et tant que ces doctrines n’auront pas été traduises en faits,
l’action de la police s’arrête au seuil de l’établissement, puisqu’il ne peut y
avoir de mesure préventive, et que vous ne pouvez poursuivre que les délits.
Chez nous donc la liberté de l’enseignement va jusqu’à la licence.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Il y aurait provocation à des délits.
M.
Fleussu. - La provocation n’est pas un délit. Il faut
qu’il y ait eu des délits commis pour pouvoir poursuivre.
En France, on réclame l’exécution
d’une promesse constitutionnelle. Mais croyez-vous qu’en France, on veuille
désarmer le gouvernement, qu’on veuille lui enlever tout moyen de surveillance
? Nullement. Si j’ai bien compris la lettre des évêques, on accorde au
gouvernement le droit de surveillance.
Vous prétendez que le projet du
gouvernement est une atteinte portée à la liberté d’enseignement. Eh bien, si
en France l’université était abolie et qu’on consultât l’épiscopat sur la
question de savoir si les membres du jury d’examen doivent être nommés par les
chambres, j’en suis sûr, l’épiscopat n’en voudrait pas, il aurait plus de
confiance dans les nominations faites par le gouvernement. Vous voyez donc que
la proposition n’est pas attentatoire à la liberté d’enseignement.
Je sais que d’une manière plus ou
moins indirecte un jury peut exercer de l’influence, peut favoriser tel ou tel
établissement ; mais pour détruire la liberté, il faudrait supposer un jury
permanent composé dans le dessein d’étouffer la liberté et assez corrompu pour
se prêter à un pareil dessein.
J’arrive maintenant au point capital
de la discussion et je me demande auquel des deux projets il convient
d’accorder la préférence. Cette question pour moi n’en est pas une, car, soit
que vous considériez la question au point de vue des règles les plus communes
de l’administration, soit que vous la considériez sous le rapport de la
partialité possible, dans tous les cas, c’est le système du gouvernement qui
doit avoir la préférence. Je le répète, je n’ai jamais conçu que le
gouvernement se soit laissé dépouiller d’une prérogative qui lui appartenait
comme pouvoir exécutif.
Il y a, messieurs, une observation
que je me permets de livrer à votre attention. Deux commissions, vous le savez,
ont été chargées d’élaborer le projet de loi relatif à l’instruction ; aucune
de ces commissions n’a eu la pensée d’attribuer aux chambres une intervention
quelconque dans la nomination du jury. Le premier accordait la nomination au
Roi. Cette faculté était trop éloignée de nos principes constitutionnels, nous
a dit le rapport, c’est pourquoi cette disposition n’a pas été adoptée par la
chambre. J’en demande pardon à la section centrale et à son honorable
rapporteur, là n’est pas la raison ; c’est que ce projet n’a jamais été soumis
aux discussions de la chambre.
Il est certain que si, en 1834, la
chambre avait eu à se prononcer sur ce principe, elle n’aurait pas balancé à
l’admettre. La commission qui a préparé ce projet était composée d’hommes
éminents ayant une parfaite connaissance des attributions constitutionnelles
des divers corps de l’Etat. Le deuxième système était un système mixte faisant
intervenir les membres des universités de l’Etat, et d’autres personnes en qui
on supposait des connaissances. C’est la chambre qui a pris l’initiative de
cette attribution. A-t-elle pu se donner le droit de faire une nomination ?
Quelques orateurs ont traité cette
question ; jusqu’à présent tous se sont prononcés pour la négative, ils ont
même élevé cette question à la hauteur d’une question constitutionnelle. Je
pense qu’il faut être fort circonspect, quand il s’agit de trancher ces sortes
de questions. Je n’oserais pas résoudre aussi hardiment qu’ils l’ont fait celle
qu’ils ont traitée. Cependant, je l’avoue, une foule de considérations se
présentent à l’appui de leur système.
Il faut, messieurs, nous rendre
compte de ce que nous sommes, de ce que nous avons à faire comme pouvoir
législatif. Nos attributions sont toutes définies par la constitution.
Remarquez d’abord cette première
disposition qui se trouve au titre : Des Pouvoirs :
L’art. 25 porte : tous les pouvoirs
émanent de la nation.
Ce n’est pas tout : le paragraphe
suivant ajoute : « Ils sont exercés de la manière établie par la
constitution. »
Ainsi donc, vous ne pouvez sortir de
ces termes de la loi. Vous ne pouvez exercer vos pouvoirs que de la manière qui
est déterminée par la constitution.
Voyons quelles sont les attributions
qui sont définies par la constitution pour l’exercice du pouvoir législatif :
« Art. 26. Le pouvoir s’exerce
collectivement par le Roi, la chambre des représentants et le sénat.
L’initiative, dit l’art. 27,
appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif.
L’interprétation des lois par voie
d’autorité, dit l’art. 28, n’appartient qu’au pouvoir législatif.
(Erratum
Moniteur belge n°89, du 29 mars 1844 :) En effet, vous savez que c’est
un ancien adage qui dit que c’est celui qui a fait la loi qui doit en connaître
l’esprit.
Voilà donc notre pouvoir législatif
bien formellement déterminé pour ce qui concerne la confection des lois. Ce
sont là nos principales attributions ; vous en avez d’autres, vous en avez qui
touchent aux attributions administratives. Mais remarquez que, pour vous les
donner, il a fallu des exceptions formelles dans la constitution même. Ainsi
l’article 40 de la constitution vous donne le droit d’enquête. Quand les abus
sont révélés, signalés à cette tribune et que le ministère se refuse à les
reconnaître, il faut nécessairement, pour que vous puissiez vous en assurer et
y porter le remède convenable, si vous en reconnaissez l’existence, que vous
ayez le droit d’enquête. C’était une nécessité de votre position.
L’article 116 vous donne la nomination
des membres de la cour des comptes. Cette cour est chargée de l’examen et de la
liquidation des comptes de l’administration générale et de tous comptables
envers le trésor public. Elle veille à ce qu’aucun article des dépenses du
budget ne soit dépassé. Elle arrête les comptes des différentes administrations
de l’Etat.
Vous voyez que la cour des comptes
est le contrôleur général de l’administration des finances ; vous sentez, dès
lors, qu’il ne pouvait pas convenir que le gouvernement eût la nomination de
son propre contrôleur. Voilà pourquoi la constitution a encore fait exception
au principe général en vous attribuant la nomination des membres de la cour des
comptes.
Par l’article 99, le sénat est chargé
de faire des présentations pour les candidats à la cour de cassation. Ici c’est
une innovation, une grande innovation qui est due à la réaction dans laquelle
nous nous trouvions au moment où l’on a fait la constitution. La constitution a
voulu une double présentation, la présentation de la cour de cassation pour
avoir l’homme de science et la présentation d’un corps politique comme garantie
de caractère de l’indépendance du magistrat.
Je vous disais tout à l’heure que
c’était là une innovation. Peut-être doit-on regretter l’intervention des corps
politiques dans la présentation des candidats de la magistrature, car
qu’arrive-t-il ? Je ne parle pas du sénat, mais des conseils provinciaux.
L’intrigue a beau jeu. Ceux qui veulent parvenir à une cour commencent par
entrer dans le corps politique, ils exercent de l’influence, s’y font des amis
et se font porter sur la liste des candidats, et vous savez que le gouvernement
ne s’arrête pas toujours aux présentations des corps de magistrature.
Messieurs, vous avez encore le droit
de concéder la nationalité. Voilà toutes les attributions qui vous sont
dévolues par la constitution. Sortir du cercle de ces attributions, c’est
véritablement se mettre en dehors des termes constitutionnels.
Je sais bien que l’on viendra me dire
que tout ce qui n’est pas défendu est permis. C’est un axiome qu’on a invoqué
dans une autre circonstance. Mais ce qui serait vrai en droit criminel, est une
véritable hérésie en droit constitutionnel. N’est-il pas vrai que, si vous
pouvez, par la loi, augmenter vos attributions, vous donnez le droit de faire
des nominations, si vous pouvez vous charger de l’exécution des lois, vous
sortez des termes de la constitution. Était-il nécessaire que la constitution
prévît quelques cas, si la législature pouvait en augmenter le nombre ! (Erratum Moniteur belge n°89, du 29 mars
1844 :) Cette réflexion me paraît condamner l’intervention des
chambres.
On a fait une autre objection : Vous
pouvez attribuer la nomination des jurys d’examen à des corps étrangers. On a
voulu, en effet, en charger la cour de cassation, l’Académie de médecine,
l’Académie des sciences et des lettres, etc. Si vous pouvez déléguer
l’exécution de la loi à ces corps particuliers, pourquoi ne pourriez-vous pas
la déléguer à la chambre elle-même ? Ce raisonnement est spécieux ; mais il
n’est pas du tout fondé. C’est qu’il n’y a pas du tout d’obstacle
constitutionnel à ce que vous déléguiez cette partie du pouvoir exécutif pour
une matière tout exceptionnelle ; il n’y a rien qui défende cette délégation,
tandis qu’il y a défense expresse dans la constitution de donner aux chambres
d’autres attributions que celles qui sont définies par la constitution même.
Prenons garde, messieurs, la force,
la stabilité des Etats consistent principalement dans l’harmonie des pouvoirs.
Tous les pouvoirs, remarquez-le bien, sont tentés de s’étendre. Il en est peu
qui sachent respecter la barrière qui les sépare d’un autre pouvoir.
Lorsque le pouvoir exécutif se sent
assez fort, il gouverne sans loi, il les remplace par des ordonnances et des
décrets, c’est l’histoire de l’empire.
Lorsqu’au contraire c’est le pouvoir
législatif qui usurpe sur le pouvoir législatif, l’administration entre dans
les chambres, les chambres administrent le pays, au lieu de faire des lois.
C’est l’histoire de la convention.
Toutefois, on nous fera peut-être une
observation. Etes-vous admis, nous dira-t-on, à déclarer l’intervention de la
chambre inconstitutionnelle, vous qui l’avez consacrée pendant tant d’années,
après que tous vous vous êtes rendus complices de cette inconstitutionnalité ?
Il y a plus d’une réponse à faire à
cette objection. D’abord je ferai observer qu’il ne peut y avoir prescription
contre la constitution, qu’il ne peut y avoir de droit contre le droit.
Ensuite, on se souvient qu’en 1835,
la question de constitutionnalité n’a pas été traitée, qu’elle n’a été
qu’effleurée. Puis la minorité de la chambre a été liée par la volonté de la
majorité. Celle-ci ayant décidé l’intervention de la chambre, force était à la
minorité de subir la loi. Remarquez, du reste, qu’il n’est pas vrai de dire que
ce droit a toujours été exécuté sans opposition.
Dès ma rentrée en 1839, j’ai protesté
contre ce mode de nomination, et lorsqu’on a demandé la prorogation de la loi
de 1835, je me suis abstenu, me fondant sur ce que je croyais que la chambre
était sortie de ses attributions.
J’aborde maintenant la question de
convenance, et je me demande si, à part la question de constitutionnalité, il
n’y aurait pas avantage à ce que les nominations fussent concédées au pouvoir
royal.
Il arrive dans cette circonstance une
chose extrêmement remarquable ; c’est que les partisans et les adversaires du
projet ministériel se servent des mêmes considérations, les uns pour l’appuyer,
les autres pour le combattre. Cependant la vérité n’est qu’une. Il faut bien
que l’honorable rapporteur ait tort, ou que ce soit l’opinion que je défends
qui invoque à tort ces considérations.
L’opinion publique, dit-on, doit
présider à la formation des jurys d’examen. Les chambres sont une émanation de
la nation ; elles en sont les représentants les plus fidèles. Par conséquent,
les chambres doivent concourir à ces nominations. Je crois que je résume ainsi
les principaux moyens du rapporteur.
Nous disons, nous, au contraire, que
la politique doit rester étrangère à la science, que, par suite, la politique
ne doit exercer aucune influence sur la nomination des jurys, que par
conséquent encore la chambre doit y rester étrangère.
Qui donc est dans le vrai ?
Examinons.
Les garanties constitutionnelles, on
le sait, sont inscrites principalement dans l’intérêt de la minorité. On a
voulu la soustraire aux caprices possibles de la majorité. On sait que les
majorités usent largement de leur droit, et qu’elles ne se font pas faute de se
servir de leur force envers les minorités. C’est donc pour soustraire la
minorité aux caprices de la majorité qu’il a été inséré dans le code
constitutionnel certaines garanties. En effet, les majorités n’ont pas besoin
de garanties. Elles se donnent assez vite, quelquefois beaucoup trop vite ce
qui est en leur faveur.
La liberté d’enseignement, comme
toutes les autres libertés, se trouve donc être le droit de la minorité. C’est
le droit, comme je le disais tantôt, de professer des doctrines qui peuvent
être contraires à l’opinion de la majorité.
Si la majorité forme le jury, vous
sentez qu’elle va sacrifier impitoyablement les intérêts, les droits de la
minorité. Alors, je vous le demande, que deviennent vos garanties
constitutionnelles, pour lesquelles vous vous montrez, à bon droit, si
susceptibles ?
Nous disons que le jury doit être
formé en dehors de l’influence politique. Si cette vérité est reconnue, et elle
a été exposée et développée avec beaucoup de méthode par M. le ministre de
l’intérieur, il s’ensuit que vous ne pouvez intervenir dans la nomination des
membres du jury ; car vous formez le corps le plus essentiellement politique,
et il est de l’essence d’un corps politique de ne poser que des actes
politiques.
M.
Rodenbach. - Et le gouvernement
n’est-il donc pas un corps politique ?
M.
Fleussu. - Sans doute ; mais il a de nombreuses
attributions qui sortent du cercle de la politique.
M.
Henot. - Nous aussi.
M.
Fleussu. - Je vous disais tout à l’heure que tout ce que
vous faites est essentiellement politique. J’aurais pu dire que tout ce que
vous avez fait, notamment pour la formation des jurys, a eu un caractère
politique. En effet, voici quelles ont été les nominations des deux chambres,
de 1830 à 1843 :
(a) Professeurs de l’université de
Louvain :
Nominations faites par la chambre :
40
Nominations faites par le sénat : 25
Total : 65
(a) Professeurs de l’université de Liége :
Nominations faites par la chambre : 8
Nominations faites par le sénat : 10
Total : 18
(a) Professeurs de l’université de
Gand :
Nominations faites par la chambre :
13
Nominations faites par le sénat : 7
Total : 20
(a) Professeurs de l’université de
Bruxelles :
Nominations faites par la chambre : 0
Nominations faites par le sénat : 16
Total : 16
Il s’ensuit que les trois universités
de Bruxelles, de Liège et de Gand n’ont compté que 54 professeurs dans le jury,
tandis que la seule université de Louvain en a eu 65, c’est-à-dire, 11 au-delà
de la moitié.
Il faut, me fait-on observer, tantôt
voir l’ensemble ; mais suivons d’abord l’idée d’où je pars. Je dis que vous
n’avez fait que des nominations politiques. Je vous le prouve par le tableau
que je mets sous vos yeux. On dit voyez l’ensemble. Mais n’est-il pas évident
que par les choix que vous avez faits, vous avez gêné l’action des autres corps
que le sénat a été violenté, qu’il a été oblige de nommer des professeurs de
l’université de Bruxelles, que le gouvernement n’a été libre dans son action,
qu’il a dû nommer les membres du jury, non pas d’après ses inspirations, mais
pour rétablir l’équilibre ; voilà la position que vous avez faite au
gouvernement.
Mais, nous dit-on, vous parlez du
passé. Désormais il n’en sera plus ainsi. Qui donc vous garantit l’avenir !
Lorsqu’on nous proposait, en 1835, de faire intervenir les chambres, n’est-ce
pas en disant que c’était un moyen d’assurer l’impartialité ? N’est-ce pas,
disait-on, pour arriver à un régime conforme à la liberté d’enseignement
proprement dite, pour qu’aucun établissement n’eût un avantage au détriment
d’un autre ? Voilà les promesses qu’on faisait en 1835. Mettez à côté de ces
promesses le jury tel que vous l’avez composé. Votre désormais ne me donne pas plus de confiance que les promesses de
1835.
Dans un gouvernement représentatif,
tout acte posé doit trouver son auteur responsable aux yeux du pays ; je vous
le demande, sur qui pèse la responsabilité pour le jury, tel qu’il est formé
d’après la loi de 1835 ? Sur personne ; elle ne pèse même pas sur vous, aux
yeux de vos électeurs. Car, remarquez-le bien, et vous le savez, du reste, les
nominations se font par bulletins secrets, de manière que vous n’êtes même pas
responsables envers vos électeurs des choix que vous avez faits pour la
nomination du jury.
Et puis, messieurs, je vous le
demande, comment se font-elles, ces élections ? J’en appelle à vos souvenirs,
et je dirai à votre conscience. Les faites-vous toujours en connaissance de
cause ? Ne sait-on pas comment les choses se passent ? Ne sait-on pas qu’au
jour fixé deux listes circulent dans cette chambre, l’une sur vos bancs, et
l’autre sur les nôtres, et que l’une et l’autre sont copiées souvent d’une
manière trop complaisante par les différents membres de la chambre ? Comment
pourriez-vous connaître le corps professoral des quatre universités ?
J’habite une ville où il y a une
université, et si je devais vous donner des renseignements sur tout le corps
professoral de cet établissement, j’avoue que je serais dans l’impuissance de
le faire. Et cependant vous procédez à des nominations que vous prenez dans
tous les points de
Aucun des nombreux inconvénients que
je viens de signaler n’existe lorsque la nomination du jury appartient au
gouvernement. Le ministre est dans la position la plus convenable pour connaître
les hommes capables, les hommes propres, les hommes instruits, les hommes
aptes, je dirai, à pouvoir figurer dans un jury d’examen.
Ne croyez pas, messieurs, que ce sont
toujours les hommes aux plus vastes connaissances qui peuvent le mieux remplir
les fondions de jurés. Non, messieurs ; il faut savoir ne pas embarrasser
l’élève ; il faut savoir poser les questions. Or, je vous le demande, est-ce
que des hommes étrangers à l’enseignement peuvent bien poser les questions ?
Ils peuvent fort bien apprécier le mérite d’une réponse, mais la provoquer est
chose fort difficile. Le gouvernement donc, par sa position, est mieux à même
de connaître où il doit chercher les éléments de la composition du jury.
Le gouvernement, d’un autre côté,
messieurs, ménagera la minorité, parce qu’il a deux intérêts à défendre : celui
de la majorité d’abord, et il doit ensuite ménager, autant que possible du
moins, les susceptibilités de la minorité.
Le gouvernement, en second lieu,
porte la responsabilité de ses actes ; et j’ai été bien étonné, messieurs,
lorsque j’ai entendu sortir de la bouche d’un des plus chauds défenseurs de nos
libertés, cette assertion que la responsabilité ministérielle n’était qu’un
vain mot, qu’un mot vide de sens.
M.
Dumortier. - Vous croyez le contraire ?
M.
Fleussu. - Oui, monsieur, je crois le contraire, et je
serais désespéré pour mon pays, si l’on pouvait ne pas croire le contraire.
Savez-vous ce que c’est que l’absence de responsabilité ministérielle ? C’est
le pouvoir absolu. Quand les ministres n’ont plus de comptes à rendre devant
les chambres, ils deviennent les instruments de la volonté royale.
M.
Lebeau. - C’est très vrai.
M.
Dumortier. - Ce sont des théories, et voilà tout.
M.
Fleussu. - Messieurs, c’est l’intérêt général qui
réclame pour l’exercice de certaines fonctions l’obtention d’un diplôme. On ne
peut livrer la santé et la fortune du public à des gens sans capacité. Ce
serait, messieurs, s’exposer au triomphe du charlatanisme et de l’empirisme.
Quel est donc le véritable
représentant des intérêts généraux du pays ? Evidemment c’est le
gouvernement. Si, ce qui me paraît incontestable, le gouvernement est le
représentant des intérêts généraux du pays, mais c’est lui alors qui doit
désigner les membres qui délivrent les diplômes ; les membres du jury d’examen
sont en quelque sorte les mandataires du gouvernement
Je vous avoue, messieurs, que je suis
étrangement surpris de voir l’opposition que l’on fait à l’attribution que
réclame le gouvernement, alors que dans toutes les autres parties de
l’enseignement il a la nomination des membres du jury, et que personne ne s’en
est jamais plaint.
Ainsi, par exemple, il nomme les
commissions médicales et provinciales qui délivrent les certificats de capacité
aux personnes qui veulent exercer la profession de pharmacien. Messieurs,
remarquez que cette profession mérite aussi une surveillance fort activée. Car
lors même que vous seriez traité par le médecin le plus savant, si le
pharmacien n’exécute pas bien les ordonnances, il est évident que l’art du
médecin doit échouer.
Les jeunes gens, pour entrer dans le
corps des ingénieurs des ponts et chaussées, ou dans le corps des ingénieurs
des mines doivent se soumettre à l’examen d’un jury nommé par le Roi, A-t-on
réclamé contre la formation de ce jury ?
Même chose encore, messieurs, pour
ceux qui veulent professer l’art vétérinaire.
Mais ce n’est pas tout. On a été
jusqu’au point de nommer une commission d’examinateurs pour les jeunes gens qui
se destinent à la carrière diplomatique. C’est encore, si je ne me trompe, par
arrête royal que cette commission a été nommée. Vous en êtes-vous plaint ? Pas
le moins du monde.
D’où vient donc qu’à l’occasion d’une
nomination je dirai similaire, une si vise opposition s’élève contre les
prétentions du gouvernement ? Est-ce que par hasard nous serions encore sous un
système de réaction ? Se souviendrait-on, messieurs, de ce qui est arrivé sous
le gouvernement précédent ? Oh, je le sais, les gouvernements oppresseurs des
libertés sont véritablement fâcheux. Ils sont fâcheux quand ils existent ; ils
sont fâcheux, quand même ils n’existent plus, parce que le souvenir de ce qui
s’est passé amène toujours une réaction qu’il est difficile d’arrêter.
Nous en avons, messieurs, plus d’un
exemple, depuis notre révolution. Nous avons consacré la liberté d’enseignement
qui était réclamée, et je le dis très sincèrement, qui était réclamée avec
beaucoup de droit, sous le gouvernement précédent ; la révolution nous a donné
cette conquête. Mais voyez jusqu’où allait le système réactionnaire. N’a-t-on
pas été jusqu’à prétendre que le gouvernement ne pouvait pas avoir des
établissements à lui ? Et comment interprétait-on la disposition
constitutionnelle qui dit que l’enseignement qui sera donné par l’Etat sera
réglé par une loi ? On disait : (Erratum
Moniteur belge n°89, du 29 mars 1844 :) l’Etat ne doit pas nécessairement
donner l’enseignement, il ne doit pas même avoir le droit d’élever des
établissements d’instruction ; il n’a ce droit que pour autant que la loi le
lui accorderait. Et il a fallu les écrits d’un dignitaire ecclésiastique pour
faire tomber cette singulière prétention.
Aujourd’hui, messieurs, le
gouvernement est encore suspect ; il est suspect parce qu’il il est grand
maître des universités de l’Etat ; il est suspect, parce qu’en cette qualité,
il serait juge et partie dans la formation du jury d’examen.
Mais le grand maître prend
l’engagement par la loi même de prendre les membres du jury par nombre égal,
dans les quatre universités, et par le roulement tous les professeurs feront
partie du jury.
Messieurs, si M. le ministre de
l’intérieur est grand-maître des universités de l’Etat, il a aussi quelque
chose à faire en dehors de ces fonctions de grand-maître ; il doit aussi
surveiller le maintien de nos institutions, il doit ne pas y porter une main
téméraire ; de manière, messieurs, que vous devez combiner sa qualité de
ministre et sa qualité de grand-maître, et vous reposer tranquillement sur le
choix qu’il fera pour la nomination du jury d’examen.
Messieurs, jusqu’ici, vous le voyez,
j’applaudis entièrement au projet ministériel. Il est cependant un point sur
lequel je ne suis pas d’accord avec M. le ministre ; je conçois fort bien que,
pour donner un gage d’impartialité, il ait voulu astreindre le gouvernement à
faire son choix dans les quatre universités. Dès lors, messieurs, vous devriez
avoir tous vos apaisements ; car le ministre, forcé par le projet de loi de
prendre le jury dans les quatre établissements, ne peut favoriser l’un d’eux
aux dépens de l’autre.
Tous les professeurs de chaque
établissement doivent avoir leur tour dans le jury d’examen, parce qu’il
s’établit un roulement et qu’il n’y a plus de permanence. De quoi donc
pouvez-vous vous plaindre ? Est-ce que l’université de Louvain est sur un autre
pied que l’université libre de Bruxelles ? Est-ce que l’université de Gand
n’est pas sur le même pied que l’université de Liège ? Il ne peut donc y avoir
de privilège. Le gouvernement s’est restreint ; il s’est en quelque sorte
garrotté.
Eh bien ! messieurs, c’est ce que je
blâme. J’aurais voulu que le gouvernement eût une action libre, qu’il pût choisir
les membres du jury où il croirait pouvoir trouver les plus capables.
On me dit : mais les universités
libres existent par la loi. Messieurs, il y a peut-être une distinction à
faire. Les universités libres existent en vertu de la loi, c’est-à-dire qu’elles
sont un fait qui n’est pas réprouvé par la loi. Mais ne croyez pas pour cela
que les universités libres aient un caractère légal. Pour avoir une existence
légale, il faudrait que la loi eût réglé la formation de ces universités. Or,
il n’en est rien. Elles n’ont qu’une existence de fait. Cette existence de fait
donnera-t-elle au gouvernement toutes les garanties désirables ? Sera-t-il sûr
qu’aucun professeur impropre, qu’aucun professeur en-dessous des conditions
voulues pour être un vrai professeur ne prendra place dans ces universités !
Pourquoi donc veut-il s’obliger à choisir nécessairement dans des
établissements qui lui sont étrangers, qu’il est censé ne pas connaître plus
que tout autre établissement particulier ?
Ensuite, messieurs, l’honorable M.
Vilain XIIII a fait une objection qui mérite une réponse. Il est évident que le
projet, tel qu’on le propose, renferme une lacune, que si un des établissements
libres se refusait à donner son contingent de professeurs, vous n’auriez aucun
moyen de coercition. Car, remarquez-le, on a dit : il n’est personne en
Belgique qui puisse se soustraire à une loi. C’est très vrai ; mais vous ne
pouvez non plus, par la loi, faire violence à la liberté d’enseignement. La loi
dit que vous pouvez consulter, mais la loi n’oblige pas à répondre. De manière
qu’avec le système du gouvernement, il faudrait une disposition qui établît
qu’à défaut d’une des universités libres de vouloir fournir son contingent, le
jury serait complété de toute autre manière.
Du reste, messieurs, j’avoue que ces
craintes sont plus ou moins chimériques, car les universités libres auront
toujours un grand intérêt à être représentés dans le jury d’examen. C’est par
là que l’on peut se donner de l’influence.
Pourquoi donc le gouvernement est-il
si suspect dans cette circonstance ? Mais ne nous a-t-il pas donné beaucoup de
marques de bienveillance pour l’établissement dont vous craignez de voir les
intérêts compromis ? Mais si le gouvernement avait été hostile à cet
établissement, s’il avait voulu détruire une rivalité et une rivalité
puissante, il aurait pu lui susciter bien des entraves, bien des obstacles.
Ainsi, par exemple, les bâtiments de l’ancienne université de Louvain, le
jardin botanique, les serres, les bibliothèques, les collections, les bourses
même ; tout cela, le gouvernement l’a mis à la disposition de l’université
catholique. C’est par une convention faite le 30 novembre 1835, entre le
ministre de l’intérieur et l’administration communale de Louvain, que ces
objets ont été livrés à l’université catholique.
Un membre. - A la ville de Louvain.
M.
Fleussu. - Mais la ville les a mis à la disposition de
l’université, et c’était bien dans ce but qu’on les abandonnait à la ville, car
la ville n’a que faire de toutes ces choses.
Du reste c’est un fait que
l’université catholique est en possession de tous ces objets.
Un membre. - Ils appartenaient à la ville.
M.
Fleussu. - Ils appartenaient si peu la ville que le
gouvernement a réservé ses droits et que ces droits ont été reconnus par la
régence de Louvain. Ce n’est donc qu’à titre précaire que l’université
catholique possède ces objets. Eh bien, messieurs, ce titre précaire, a-t-on
cherché à le faire cesser, et si nous-mêmes nous n’avions pas eu quelque
sympathie pour l’université catholique, n’aurions-nous pas sommé le
gouvernement de réclamer ces objets, qui lui appartiennent ?
J’ai parlé des bourses, messieurs,
comment la collation des bourses s’est-elle faite ? J’ai fait à cet égard un relevé,
et voici comment, depuis 1836 jusqu’en 1843, les bourses ont été réparties :
Liège en a obtenu pour la somme de
72,478 fr. 82 c.
Gand en a obtenu pour une somme de
59,106 fr. 85 c.
Bruxelles, pour une somme de 23,400
fr.
Louvain, pour une somme de 67,927 fr.
18 c.
Louvain est donc ici en deuxième
ligne, Louvain a eu moins que Liége 4,551 fr., mais elle a eu plus que Gand
8,520 fr. Louvain a eu plus que Bruxelles 44,527 fr. 18 centimes. Après cela,
messieurs, plaignez-vous et défiez-vous des intentions du gouvernement !
Il y a ensuite des bourses de voyage
et vous allez voir qu’à l’égard de ces bourses on a suivi la même proportion.
Je me trompe, ici Louvain, félicitez-vous, ici Louvain est en première ligne.
Des bourses de voyage ont été
allouées depuis 1836 jusqu’en 1843, jusqu’à concurrence d’une somme de 35,000
fr. Louvain a eu pour sa part 18,000 fr., Liége a eu 8,000 fr., Bruxelles,
5,000 et Gand 4,000. Ainsi, messieurs, vous voyez que Louvain a eu seule plus
que les trois autres universités réunies. Après cela défiez-vous donc des
intentions du gouvernement.
Messieurs, quand je consulte des
documents semblables, je me dis que ce n’est pas parce que vous tenez le
gouvernement pour suspect que vous combattez sa proposition. Je me dis qu’il
doit y avoir d’autres motifs que vous ne faites pas connaître. Eh bien, ces
motifs, je crois les avoir devinés. Je vals vous dire quelles sont vos
craintes, quelles sont vos espérances. Vous espérez qu’avec le maintien de la
loi de 1835, vous saurez conserver à l’établissement de Louvain la
prépondérance que lui a donnée la formation du jury d’examen. (Erratum Moniteur belge n°89, du 29 mars
1844 :) La majorité de la chambre et du sénat vous sont garants de
cette prépondérance.
M.
Dumortier. - Ce sont des insinuations.
M.
Fleussu. - Ce ne sont pas des insinuations. Ce que je
dis a été dit dans la cinquième section par un homme que j’estime et que
j’honore, parce qu’il dit toujours sa pensée, mais qui ne dit jamais autre
chose que sa pensée.
(Erratum
Moniteur belge n°89, du 29 mars 1844 :) Je viens de vous dire quelles
sont nos espérances, voici vos craintes : Vous craignez que, quand le jury sera
formé d’une manière équitable, comme le prévoit, il faut bien le reconnaître,
le projet du gouvernement, vous craignez que, dans ce cas, il n’y ait coalition
entre les universités de l’Etat et l’université libre de Bruxelles, contre
l’université de Louvain.
Voilà quelles sont vos craintes.
Mais, messieurs, pourquoi cette coalition ? Est-ce que vous prêtez des
sentiments aussi bas aux hommes de science ? Mais, messieurs, si je vous disais
que la véritable rivalité existe entre Gand et Liége, si je vous disais que,
s’il fallait demander la suppression de l’une des universités libres, dans
l’intérêt de la ville que j’habite, ce serait l’université de Bruxelles et non
pas l’université de Louvain que nous voudrions voir supprimer ? Savez vous
pourquoi ? Parce que l’université de Louvain nous fait peu de tort et que
l’université de Bruxelles nous en fait beaucoup. En effet, tous les jeunes gens
du Hainaut et la plupart de ceux de la capitale venaient autrefois à Liége ;
depuis la fondation de l’université de Bruxelles, c’est vers cette université
qu’ils affluent.
Vous voyez donc bien que vos
calculs sont faux, que vos craintes sont chimériques. Prenez-garde, messieurs,
de mêler les sciences à la politique, craignez surtout de confier le sort de
l’instruction aux majorités.
Vous savez, messieurs, que les
destins sont changeants. Il n’est pas de victoires qui n’aient son lendemain.
Que feriez-vous si la majorité venait à se déplacer ? Ce que vous feriez ? Vous
feriez ce que vous avez fait pour d’autres matières ; tant que vous avez cru
être sûrs de l’influence de votre opinion dans les communes, vous avez voulu
désarmer le pouvoir ; quand cette influence vous a échappé, vous vous êtes
réfugiés dans les bras du pouvoir. Voilà ce qui vous arriverait encore.
Messieurs, la science veut une vie
tranquille, elle veut une vie de retraite, l’étude du cabinet, c’est ainsi
qu’elle se développe ; ce n’est pas au milieu des agitations politiques qu’elle
prend son essor. (Très bien, très bien.)
M. de Mérode. - Lorsque le problème
difficile que nous avons à résoudre en ce moment vint s’offrir de nouveau à la
discussion publique par la présentation du projet de loi dont nous sommes
saisis, les passions politiques qui ne dorment point, durent trouver une bonne
fortune et se montrer avides de transformer l’examen d’une question toute de
bonne foi en occasion de renverser le ministère ou du moins d’y faire brèche et
de modifier largement sa composition. Ceci, d’après les précédents, n’étant pas
difficile à prévoir, je m’empressai de demander à M. le ministre de l’intérieur
s’il faisait de l’acceptation de son plan une affaire de cabinet. En effet,
messieurs, je désirais vivement qu’aucun engagement absolu ne fût pris à propos
de l’énigme qu’il fallait expliquer à neuf, après une interprétation temporaire
et provisoire adoptée en 1835.
M, le ministre de l’intérieur
répondit à mon interpellation comme le bon sens me paraissait l’exiger en
pareille occurrence. Il déclara que sa proposition n’était point connexe avec
l’existence du cabinet, qu’il provoquait sur elle un débat libre, appelant les
lumières de tous les membres de cette chambre ; de là donc résultait, à mes
yeux, l’assurance que M. Nothomb et ses collègues ne refuseraient pas de
transiger au besoin sur le thème qu’ils nous offraient d’abord comme le plus
simple, et qui présente effectivement ce caractère, il faut l’avouer. J’ai vu
avec satisfaction, par le discours d’ouverture très conciliant de M. le
ministre de l’intérieur, qu’il confirmait mon attente, et de plus qu’il
partageait mon opinion quant aux droits de la prérogative royale, dont la cause
n’est point liée au présent débat ; son véritable et seul intérêt, comme celui
du pays, étant que la jeunesse belge soit bien élevée.
Dans beaucoup de pays moins
respectueux que le nôtre à l’égard de la plus juste, de la plus morale, de la
plus bien bienfaisante des libertés constitutionnelles et naturelles, celle de
l’enseignement, on s’arrêterait peut-être immédiatement à des combinaisons
faciles pour comparer un jury d’examen, chargé de conférer les grades
scientifiques nécessaires à l’exercice de certaines fonctions. On ne se
donnerait pas la peine, que nous prenons à bon droit, pour organiser ce jury
d’une manière aussi parfaire, aussi sincère que possible. Mais nous pensons que
rien ne mérite davantage notre sollicitude. Nous tremblons devant la moindre
idée de domination exercée sur l’éducation de la jeunesse aux dépens des droits
sacrés du père de famille. Nous sommes infiniment jaloux de les maintenir. Et
cependant, nous reconnaissons la
convenance de ne pas permettre la pratique de certains états sans preuves de
capacité préalables, publiquement et régulièrement fournies conformément aux
lois.
La conciliation complète de ces
garanties avec la liberté bien franche, bien réelle de l’enseignement, offre
encore une sérieuse difficulté, malgré l’essai de huit ans, d’un régime
provisoire. Aussi, ai-je été et suis-je toujours bien loin d’attribuer aucune
intention blâmable à M. le ministre de l’intérieur, parce qu’il a présenté un
moyen décisif de trancher le nœud gordien. Il me permettra toutefois de lui
dire que son génie n’a rien inventé de merveilleux en s’attribuant malgré sa
qualité de grand-maître des universités de l’Etat, la formation de tout le jury
avec certaines conditions moins rassurantes selon moi qu’une omnipotence plus
responsable au fond, telle que je la proposais en 1835.
Je sais que mon système de cette
époque était large envers le gouvernement.
Mais alors aucune expérience de
l’intervention des chambres n’avait eu lieu. L’impartialité du jury formé par
elles et par un ministre du roi ne s’était pas manifestée pendant 8 ans. Or, si
ce n’est pas tout, c’est quelque chose qu’une pareille épreuve, et ici
messieurs, je dois faire observer que les calculs produits par les journaux ou
ailleurs, sur la part qu’ont obtenue les professeurs des divers corps
enseignants dans les fonctions de juré, part plus ou moins inégale, ne
démontrent point un abus. Ce n’est pas dans l’intérêt des professeurs que doit se
nommer le jury d’examen, c’est dans l’intérêt de la société, dans l’intérêt
légitime des jeunes récipiendaires ; il leur suffit, c’est là leur droit,
d’être consciencieusement explorés, et l’autorité qui choisir les examinateurs
ne peut faire abstraction du plus ou moins de confiance que lui inspirent les
établissements divers ; car un établissement libre d’instruction peut offrir
moins de garanties qu’une autre institution, soit libre aussi, soit organisée
aux frais de l’Etat, et réciproquement.
Je ne veux pas user de réticence, je
m’expliquerai sans détours. L’université de Louvain est fondée, conservée par
une autorité morale très grave, immuable, par les six évêques du royaume : les
universités de l’Etat par une autorité grave aussi, toutefois moins grave
moralement que celle des évêques, c’est-à-dire l’autorité d’un ministre dont la
position est variable dans un état constitutionnel. Enfin, quelle autorité a
organisé et dirigé jusqu’à ce jour l’université libre de la capitale ? Nous
l’ignorons. Comment donc exiger une confiance absolument égale à l’égard des
quatre universités ? Si l’une d’elles en donnait une plus grande aux parents,
c’est-à-dire aux citoyens belges, que les autres, puisqu’elle aurait plus
d’élèves, serait-il étonnant que plus d’examinateurs y fussent élus ? Le nombre
relatif d’élèves sous un régime vraiment libre est un motif de considération,
de considération morale bien entendu, seule admissible en pareille matière.
L’honorable M. Fleussu vient de vous dire que l’on pouvait en Belgique
professer le panthéisme et l’athéisme ; je suis de son avis, parce que je pense
que les doctrines mystiques ne se réforment point par des condamnations, Mais
en m’abstenant de nommer membres d’un jury d’examen ceux qui les
enseigneraient, je ne croirais pas être partial.
Ah ! si les examinateurs investis
d’une haute mission avaient égard à l’école d’où sort l’étudiant qui se
présente devant eux, comme le pouvoir public est chargé d’apprécier, jusqu’à un
certain point, les diverses écoles, ils commettraient une odieuse iniquité. Je
suis élève : mes parents me font donner l’instruction où ils le jugent à
propos, où ils le jugent possible, quelquefois à raison de leur fortune, de
leur demeure, et vous me regarderiez d’un œil plus ou moins complaisant, en raison
du lieu où j’ai puisé mes connaissances. Certes, ce serait un détestable abus.
Cet abus, on en convient, n’a pu exister sous le régime actuel ; c’est
beaucoup, pour moi. Puis-je en dire autant de la sagesse du jury nommé par M.
le ministre de l’intérieur afin de décerner les prix au concours ? Tel élève a
été couronné dont on n’a pas publié le mémoire au moment où il valut les
lauriers à son auteur. Or, un mémoire couronné doit être assez bon pour
paraître au jour sans redressements considérables, sans corrections
essentielles.
En s’écartant de la nature des
choses, on arrive, il faut en convenir, à de singuliers résultats. L’université
de Louvain inspire, on peut s’en assurer aujourd’hui, une très grande confiance
en Belgique ; eh bien ! elle doit vivre d’aumônes, et non seulement l’Etat ne
la soutient d’aucun subside (sauf quelques bourses indiquées par M. Fleussu.),
mais dès que nous avons voulu lui garantir une existence un peu plus sûre, par
la simple munificence privée, en la reconnaissant, du moins, établissement
d’utilité publique, avec les mots de mainmorte et autres fantômes semblables,
on a force les évêques à demander le retrait d’une si juste proposition ;
maintenant cette respectable institution voit applaudir par ses rivales le
projet de loi de M. le ministre de l’intérieur ; elle le voit applaudir, près
de nous, par le grand maître du monopole scientifique de France ; elle le voit
applaudir par
En considérant ces circonstances
nouvelles qui n’existaient point en 1835, on conçoit la répugnance qu’excite
aujourd’hui le projet ministériel chez la plupart des amis les plus prononcés
de la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire chez ceux qui tiennent
particulièrement à l’alliance de la science et de la religion, qui craignent
l’enseignement dépourvu de direction morale bien définie, d’où naît ensuite
fréquemment pour les élèves, comme l’expérience le prouve, l’indifférence
religieuse et sceptique.
Sous le point de vue théorique
constitutionnel on peut affirmer aussi que l’idée du jury et celle de
nomination des jurés par un ministre est un contre-sens. Je ne conteste pas les
inconvénients de l’intervention parlementaire telle qu’elle a eu lieu jusqu’à
ce jour. Je ne serai pas injuste pour ceux qui l’attaquent et qui produisent à
l’appui de leur répulsion des raisons sérieuses ; si je n’estimais pas la force
de ces raisons, je n’aurais pas qualifié d’énigme la question que nous voulons
résoudre aussi équitablement que possible, je l’espère ; car, messieurs , je
sais que les opinions, plus ou moins rapprochées du rationalisme dans notre
pays, ne se livrent pas généralement aux inconséquences extrêmes, qui
renversent ailleurs la logique libérale à tel point que plus, elle cherche des
libertés, destructives de l’ordre gouvernemental , plus elle repousse, de
concert avec d’odieux privilèges, l’honnête liberté, conforme aux simples lois naturelles,
quand celle-ci pourrait profiter à l’Eglise et au paisible développement de ses
institutions.
J’entends quelquefois se plaindre,
trop vivement peut-être, de ce qu’il existe parfois deux partis dans cette
enceinte ; assurément, je serais heureux de voir tous les enfants de
En outre, le légitimisme, peu content
de deux restaurations transitoires, tâche, au lieu de maintenir le régime
monarchique qui peut subsister, de lui en substituer une troisième. Parmi nous,
au contraire, lorsqu’il s’est agi de la loi récemment discutée des pensions, le
bon accord, quant aux personnes, a prévalu. Si donc nous voulons sagement
apprécier ici l’antagonisme intérieur, mesurons-en la dose chez les autres, et
la balance ne penchera pas vers nous.
Je reviens au jury.
Pour éviter la remise entière de sa
formation entre les mains du pouvoir exécutif et pour éloigner aussi les
embarras de nominations directes par les chambres et les inconvénients réels
indiqués par les mémoires des universités de Gand et de Liége, ne devrait-on
pas décider que chaque chambre choisira, soit dans son sein, soit ailleurs, un
délégué chargé de combiner avec le ministre compétent le choix des jurés ? On
ne peut nier que la plupart des représentants et des sénateurs ne soient forcés
d’adopter une liste de noms qu’on leur présente ; ils ne sont donc pas aptes à
la produire individuellement ; dès lors, puisqu’ils s’en rapportent à
quelqu’un, qu’ils désignent cette personne, au lieu de voter in verbo magistri.
L’avantage de ce mode serait la responsabilité des délégués, responsabilité
meilleure que celle de majorités insaisissables. En outre, je ne doute guère
que presque toujours les délégués et le ministre ne s’entendraient pour agir en
commun. Rarement et au pis-aller ils useraient chacun de son droit,
c’est-à-dire que le délégué du sénat nommerait ses 2 jurés, de même de celui de
la chambre des représentants ; puis le ministre, les trois qui lui resteraient
dévolus. Ce mode éprouvé pendant quatre années écarterait bien des obstacles
d’exécution ; il sauverait le principe fondamental d’un jury, en ce sens qu’il
ne serait pas formé comme une commission administrative, assimilation fâcheuse
qui exerce beaucoup de défiances exagérées, je le veux, mais profondément
empreintes dans une foule d’esprits très dignes d’égards et de ménagements.
La nomination exclusive par le
Roi entraîne le mode définitif sur un sujet encore obscur, car le gouvernement
ne pourrait facilement consentir à mettre la prérogative à l’essai ; ce
n’est pas cependant que je veuille établir une règle sans exception, je me
défie bien trop des théories absolues. Parmi celles qu’on me paraît admettre
d’une manière bien irréfléchie, est l’entente obligatoire et parfaite des
ministres, de sorte que cinq hommes assis sur le banc ministériel doivent
toujours se prononcer absolument de même devant le public, sur toute question,
fût-elle imprévue et propre à diviser les meilleures intelligences.
D’une nécessité pareille naîtront à
jamais de cruels embarras pour des ministres consciencieux qui seraient
habituellement d’accord sur l’ensemble d’une marche gouvernementale, car ils
devront successivement mentir pour ne pas dissoudre le cabinet, au moins une
fois par session. Pendant sept ans j’ai été membre du conseil des ministres, je
ne me suis pas soumis à cette prétendue règle absolue inconnue à l’Angleterre,
et je n’en ai pas moins rempli ma tâche utilement, j’ose le croire, dans
l’intérêt public. Lorsqu’en conversation particulière j’ai soutenu mon système
essentiellement conciliateur et conservateur à la fois, pourvu qu’on en use
avec réserve, on m’a opposé ma démission lors de l’acceptation définitive du
traité du 15 novembre 1839 ; mais alors il s’agissait de l’abandon de 300 mille
compatriotes, la majorité du ministère le croyait indispensable immédiatement ;
moi, non. Nous ne tendions plus au même but. La question du jury d’examen n’est
pas de la même nature, le but avoué est identique, c’est la composition d’un
jury capable et impartial.
Les uns prétendent y arriver par une
voie, les autres par une autre, et toutes sont plus ou moins incertaines.
Personne ne les voit éclairées d’une lumière bien pure dans son reflet. Comment
donc exiger une assurance homogène chez cinq ministres ? Ne pas leur permettre
quelque dissidence sur les moyens, si douteux encore, de composer un jury satisfaisant
pour les exigences légitimes ; ne pas tolérer des changements aux idées
premières, que la discussion peut modifier chez ceux qui d’avance ont déclaré
n’avoir point de parti pris définitif ?
Quant à moi, je m’honore d’être de ce
nombre. Je me félicite de ne pas me croire infaillible. L’œil trompeur est
celui qui s’imagine voir clairement les étoiles dans un ciel couvert de nuages.
M. Verhaegen. - Messieurs, des révélations bien importantes ont été faites dans
cette discussion, des assertions qui, sorties de notre bouche, il y a quelques
mois, auraient été considérées comme des calomnies, sont aujourd’hui des
vérités dans la bouche de nos adversaires politiques.
On a reconnu, et nous nous empressons
de constater cet aveu, que les choix des membres du jury, ont été des choix
politiques ; on est allé plus loin ; on a élevé des doutes sur la nécessité
d’établir l’égalité absolue entre les diverses universités du royaume. Quant à
leur part de représentation dans le jury, si la représentation est admise, dit
l’honorable M. de
De son côté, l’honorable comte de
Mérode, tout en avouant aussi l’inégalité de représentation au jury d’examen, a
voulu justifier cette inégalité par la prétendue supériorité des doctrines
d’une université sur celle d’une université rivale ; et ici, messieurs, tout le
système de nos adversaires est mis à nu vis-à-vis des universités de l’Etat,
ils invoquent tout haut la liberté d’enseignement, ils défendent contre elles
les intérêts des universités libres, et un instant après, placés en présence de
l’université de Bruxelles, ils décrient par des insinuations malveillantes les
doctrines qui y sont professées, ce qui constitue une attaque directe contre la
liberté d’enseigner. En défendant et en attaquant tour à tour une liberté que
la constitution consacre, leur but n’est pas douteux, ils veulent détruire et
les universités de l’Etat et l’université de Bruxelles, et s’attribuer ainsi le
monopole de l’instruction supérieure, comme ils se sont attribué naguère le
monopole de l’enseignement primaire.
Membre de la minorité de la section
centrale, il m’importe, messieurs, de faire connaître quel sera mon vote, et
quels sont les motifs qui lui serviront de base. Mais, avant tout, je tiens à
dire un mot et de la physionomie du ministre, et de la physionomie de la
chambre.
Il n’y a pas bien longtemps encore,
que M. le ministre de l’intérieur s’appuyait avec confiance sur une majorité
qu’il appelait mixte. Cette majorité qu’est-elle devenue dans ce jour solennel
? Où sont donc les membres qui la composent ? Pourquoi l’honorable M. Dechamps
a-t-il subitement quitté le banc ministériel pour se placer sur les bancs de
l’opposition catholique ? A-t-il sérieusement donné sa démission ou
l’attend-t-il ?
La majorité mixte bien certainement
est dissoute, car aujourd’hui nos adversaires politiques, au lieu d’appuyer le cabinet,
font un appel à l’union, ou, ce qui est la même chose, à la coalition pour le
renverser ; qu’on ne se le dissimule pas, et je tiens ici à dire toute ma
pensée, quelles que soient les précautions qu’on a prises, en présentant le
projet de loi, la question que ce projet soulève est en elle-même une question
de cabinet. Et ce qui le prouve, c’est que l’honorable M. Dechamps, au moins
ostensiblement, s’est séparé de ses collègues.
La question est évidemment une
question de cabinet pour chacun des ministres qui adoptera l’opinion de son
collègue de l’intérieur, auteur du projet.
Messieurs, qu’on ne se le dissimule
pas, la question, telle qu’elle a été posée, est une question de principe, une
question grave. La réduire à de mesquines proportions, pour la commodité de la
position, dire qu’il ne s’agit que d’une question de permanence, c’est se
mettre à côté de la vérité. La question de permanence n’a été imaginée que
longtemps après la présentation du projet. La question véritable, soumise à la
législature, est celle qui se rattache à la prérogative royale ; c’est le point
de savoir si l’on maintiendra aux chambres le droit de choisir les membres du
jury d’examen, ou bien si les nominations seront attribuées au pouvoir
exécutif. Voilà la question, il n’y en pas d’autre.
La question de permanence n’est qu’un
prétexte, et je dirai, moi, que si les chambres restaient investies du droit de
nomination, j’aimerais mieux dans le cas maintenir la permanence qui offrirait
au moins une garantie que le projet de la section centrale nous enlève.
Messieurs, nous ne répondons pas à
cet appel de coalition. Pour nous, comme l’a dit mon honorable ami M. Fleussu,
les questions de principes sont tout, les questions de personnes, rien.
Si nous répondions à l’appel fait sur
d’autres bancs nous pourrions contribuer à la chute d’un ministre que nous
avons constamment combattu ; mais, encore une fois, nous faisons taire nos
antipathies. Nous ne suivrons pas l’exemple d’un pays voisin où les questions
de personnes souvent l’emportent sur les questions de choses, nous voulons,
avant tout, l’intérêt du pays.
Nous espérons que, si M. le ministre
de l’intérieur et ses collègues tiennent bon jusqu’à la fin, ceux qui le plus
souvent ont été les adversaires du cabinet feront sa majorité et lui assureront
son succès. S’il en était autrement, et si le cabinet venait à tomber, il
tomberait au moins honorablement.
Voyons maintenant quelle est la
physionomie de la chambre.
Nos adversaires politiques invoquent
les principes de l’union ; ils craignent même pour la nationalité, si on ne
finit pas par s’entendre. En même temps ils menacent le gouvernement de la
force d’inertie. Ils prêchent la désobéissance à la loi.
Messieurs, on a fait des appels à
l’ancienne union ; on a prêché la réconciliation chaque fois qu’on avait besoin
de concessions nouvelles. Nous savons aujourd’hui à quoi nous en tenir sur
toutes ces protestations, et il importe que la mystification ait un terme. Nous
voulons la liberté pour tous, nous la voulons pour nous comme pour vous, et
nous la voulons avec des garanties.
Un honorable préopinant, qui semble
avoir dormi depuis le temps du congrès, et ne s’être réveillé que depuis peu (on rit), a vanté les avantages de
l’union, il a fait ressortir la loyauté et la franchise avec laquelle le pacte
conclu en 1830 aurait été exécuté.
Un autre membre, qui a suivi de près
toutes les phases de la politique et qui, loin d’être une borne, un caillou
inerte, a montré beaucoup d’intelligence, s’est aperçu, d’après les événements
qui se sont déroulés, que certaine opinion avait fait un grand pas, et qu’il
avait eu tort de n’avoir pas adopté en 1835 ce qu’on veut maintenir
aujourd’hui.
Oui, messieurs, l’honorable M. de
Haerne a oublié tout ce qui s’est passé depuis 1830. Oui, l’on avait écrit, à
côté de la liberté d’association religieuse, la liberté d’association civile.
Oui, l’on avait écrit, à côté de la liberté de conscience, la liberté de la
pensée, la liberté de la presse.
Oui, on avait écrit dans le pacte
fondamental la liberté d’enseignement. Oui, des garanties avaient été données à
nos institutions municipales. Oui, des promesses avaient été faites pour
exécuter franchement et loyalement la transaction de 1830.
Cette transaction, religieusement,
nous l’avons exécutée, et jamais sur nos bancs il ne s’est levé aucune
réclamation de ce chef. Avons-nous jamais attaqué la liberté d’association
religieuse ? et cependant nos adversaires, par des actes que leurs amis mêmes
ont blâmés, se sont permis d’attaquer la liberté d’association civile ! La
liberté de la presse n’a-t-elle pas aussi été l’objet de leurs attaques,
n’a-t-elle pas été signalée comme un fléau ? n’a-t-elle pas été stigmatisée par
les princes de l’Eglise, enfin, n’a-t-elle pas été attaquée tout récemment
encore dans une lettre pastorale, dont les effets ont pesé de tout leur poids
sur certains écrits périodiques ?
Et l’on viendra nous parler de la
transaction de 1830, et de l’exécution loyale et franche de cette transaction ?
Et qu’a-t-on fait de la liberté
d’enseignement, de cette liberté si précieuse dont il s’agit encore dans le
présent débat ?
Messieurs, depuis que je siège dans
cette enceinte et avant qu’il ne fût question de discuter la loi de
l’instruction primaire, j’ai signalé les tendances de nos adversaires en fait
d’instruction, j’ai constaté leurs empiétements, et, plus d’une fois, j’ai
averti le gouvernement que, s’il restait dans l’inaction, l’instruction
primaire passerait tout entière aux mains du clergé.
Ce que j’ai dit est arrivé. Alors que
l’instruction primaire était de fait passée aux mains du clergé, on a voulu
sanctionner le fait par le droit, et le droit a été la loi, la fâcheuse loi de
l’instruction primaire.
Je vois aujourd’hui avec plaisir que
plusieurs de mes honorables amis, qui à certaine époque se sont laissé entraîner
par des protestations, par des appels à la conciliation, conviennent enfin
qu’ils ont été dupes, et qu’ils continueront à l’être s’ils n’apportent pas
avec nous un remède au mal qui existe.
La loi de l’instruction primaire,
contre laquelle je me félicite d’avoir voté, est une loi qui nous enlève l’une
de nos libertés les plus précieuses, pour en faire un monopole au profit du
clergé, et cependant ceux qui ont voté cette loi, ont-ils fait la moindre
opposition à ce que les inspecteurs civils fussent nommés par le
gouvernement ? quoique la nomination des inspecteurs civils soit beaucoup
plus importante par rapport à l’instruction primaire que la nomination des
membres du jury d’examen ne l’est à l’égard de l’instruction supérieure. Mais
on voulait atteindre un but. Ce but, on l’a atteint et la loi d’instruction
primaire est un fait accompli.
Et quels moyens n’a-t-on pas employés
lors de la discussion de cette loi pour atteindre ce but ? D’un côté on faisait
comme aujourd’hui des appels à l’union, à la conciliation ; d’un autre côté,
comme aujourd’hui on faisait des menaces de la nature de celles qui sont
sorties de la bouche de l’honorable M. Vilain XIIII. N’a-t-on pas entendu dire
et répéter que si l’on ne donnait pas au clergé une part très large dans l’instruction
primaire, il s’abstiendrait et qu’il répondrait par la force d’inertie aux
efforts du gouvernement ?
A-t-on oublié cette lettre adressée
par l’évêque de Liége à un de nos honorables amis, M. Dolez, au mois de mars
1841 :
« Il faut, disait-il, au clergé
une part, et c’est ici le point qui nous divise, il lui faut une part dans le
choix, ou la nomination de tous les professeurs et maîtres des écoles ou
collèges où vous l’appelez à concourir à vos travaux, sinon vous l’obligez à la
retraite.
« Oui, nous voulons le monopole de
l’enseignement religieux et moral, parce qu’à nous seuls appartient la mission
divine de le donner.
« Ni la puissance de l’empereur
Joseph II, ni les ruses et la violence d’un autre gouvernement n’ont pu
ébranler notre attachement à ces principes. »
Vous le voyez, messieurs, c’étaient
les mêmes menaces ; alors il s’agissait de l’instruction primaire, aujourd’hui
il s’agit de l’instruction supérieure ; alors on citait l’exemple de Joseph II
et de Guillaume Ier, on faisait allusion aux conséquences de leur obstination.
Aujourd’hui, c’est en d’autres termes la même chose, on va jusqu’à la
désobéissance aux lois ; un pas de plus et l’insurrection serait le prêcher
plus sacré des droits.
Messieurs, je soutiens le projet du
gouvernement parce que je le crois meilleur que la loi existante, et pour
soutenir ce projet, il a fallu que mes convictions fussent bien fortes ; car
certes, comme l’a dit un de nos honorables amis, la conduite du ministère à
l’égard de l’établissement auquel je donne mes sympathies, n’était pas de
nature à lui donner mon appui. La partialité avec laquelle il a traité cet
établissement devait me mettre en état de suspicion contre lui.
A tout ce qui a été dit par
l’honorable M. Fleussu, je pourrais ajouter que, pendant que le ministère
dotait une université, l’université de Louvain, de bâtiments et de collections
considérables, de richesses de toute espèce, il expulsait l’université de
Bruxelles du seul local qui lui avait été réservé par les magistrats de la
commune, et prenant pour prétexte la convention décrétée par les chambres, il
lui laissait à peine le temps de transporter son mobilier. Malgré ces justes
motifs de plainte, nous avons fait abstraction de la question de personnes pour
ne nous occuper que de la question de principe, et c’est sur cette question que
nous allons vous faire connaître notre opinion.
Il est aujourd’hui reconnu par nos
adversaires eux-mêmes que les choix des membres du jury ont été des choix
politiques. Je dirai plus, ces choix ne pouvaient être que des choix
politiques, abandonnés qu’ils étaient aux chambres ; eh bien, je donne la
préférence au projet du gouvernement, parce qu’avec ce projet, j’ai au moins
une garantie que je n’ai pas avec le système de la loi actuelle et beaucoup
moins encore, comme je le démontrerai quand il s’agira des articles, avec le
système de la section centrale.
Qui donc est responsable lorsque les
choix faits par les chambres sont marqués au coin de la partialité et de
l’injustice, à qui peux-je m’en prendre ? Les choix des chambres se font sous
le voile de l’anonyme, au scrutin secret ; on ne connaît pas ceux qui ont fait
partie de la majorité ou de la minorité ; l’empire de la presse sur une
majorité qu’elle ne peut pas saisir est donc complètement nul.
Le ministère, au contraire, est
responsable, et quels que soient, d’après les lois actuelles, les effets de
cette responsabilité, il est évident qu’un ministère qui se rendrait coupable
d’injustices patentes et incessantes telles que celles qu’on reproche aux
chambres, ne résisterait pas longtemps aux justes attaques des journaux. J’ai
trop de foi dans la loyauté de mon pays pour conserver des craintes à cet
égard. Certains actes isolés peuvent bien échapper à l’attention publique, mais
des actes souvent répétés et qui renferment tout un système, signalés tous les
jours par la presse, ne sauraient pas rester impunis.
Messieurs, en défendant le projet de
loi, je défends l’intérêt permanent de la science, je défends l’intérêt
permanent de la liberté d’enseignement, enfin je défends l’intérêt permanent de
la réputation de loyauté et de franchise de mon pays.
D’abord je défends l’intérêt de la
science. Tous les discours, messieurs, que vous avez entendus, vous ont
suffisamment convaincus que l’intérêt de la science veut un changement à la
législation actuelle et que le projet du gouvernement est, jusqu’à présent, le
meilleur qu’on ait indiqué pour atteindre le but qu’on se propose.
Toutefois je dois excepter
l’amendement de mon honorable ami, M. Delehaye. Pour ceux qui rejettent le
projet du gouvernement sous le prétexte qu’ils ne veulent pas étendre les
prérogatives royales et qui cependant protestent de leur impartialité, de leur
sincérité et de leur loyauté, la mesure proposée par M. Delehaye doit réunir
toutes les conditions de garantie ; pour mon compte, si je pouvais croire à
cette sincérité et par suite à un certain concours, j’accepterais l’amendement
; je fais donc un appel à ceux de mes honorables collègues qui veulent
franchement et loyalement l’impartialité dans la composition du jury.
M.
d’Huart. - On ne peut pas douter de cela.
M. Verhaegen. - Si on n’en doit pas douter, l’amendement de M. Delehaye a des
chances de succès, mais je n’ai pas assez de confiance dans ces protestations
pour ne pas continuer à appuyer le projet du gouvernement.
M.
le président. - L’honorable membre ne peut
admettre que ceux qui repousseraient l’amendement manqueraient de loyauté ; il
doit supposer loyauté et franchise chez ceux mêmes qui voteraient contre cet
amendement,
M. Verhaegen. - On ne m’a pas compris.
J’ai eu l’honneur de dire, en réfutant
certains arguments de mes honorables adversaires, que, s’ils rejetaient le
projet du gouvernement et que si cependant ils voulaient de la loyauté, de la
franchise dans la composition du jury, ils devaient adopter l’amendement de
l’honorable M. Delehaye. Il n’y a là rien de personnel. C’est une réponse à un
argument.
Voici, messieurs, ce que disait, en
1835, un de nos honorables amis qui ne fait plus partie de cette chambré, mais
dont les sentiments sont suffisamment connus, je puis dire dont la parole fait
autorité, lorsqu’il s’agit de liberté : j’entends parler de l’honorable M.
Gendebien. Voici ce qu’il disait, en 1835, après avoir proposé par amendement
de donner une voix à chaque université de l’Etat, deux voix à l’université de
Bruxelles et deux voix à celle de Louvain.
« Si avec de pareils
accommodements vous vous plaignez encore, ne dites plus qu’il y a défaut de
garanties ; dites que vous voulez un monopole a votre profit ; voilà la
conséquence qu’on pourra tirer de vos exigences, car (je me sers d’une
expression triviale) je vous aurai mis au pied du mur. »
Et plus loin :
« Je renonce à la parole, M. Devaux a
dit qu’on rejetterait son amendement parce qu’il est trop long, mais je prévois
qu’on rejettera le mien parce qu’il est trop court, parce qu’il est trop clair,
parce qu’il est compris de tout le monde, trop bien compris de tout le monde. »
Voilà les paroles de l’honorable M.
Gendebien.
Je ne sais pas si l’honorable M.
Vilain XIII a compris cet amendement en 1835, mais ce que je sais très bien,
c’est qu’il comprend parfaitement aujourd’hui les avantages qui résultent pour
son opinion de la loi actuelle ; en effet l’honorable M. Vilain XIIII s’est
prononcé à cet égard avec une franchise à laquelle je m’empresse de rendre
hommage. Il a exprimé d’abord le regret que l’université de Bruxelles n’ait pas
eu quelques nominations de plus et l’université de Louvain quelques nominations
de moins. C’était là un regret tardif et rien de plus, mais l’honorable M.
Vilain XIIII a fait un aveu non moins précieux :
« Si la chambre, a-t-il dit, avait
seule fait les choix, ses choix auraient été déplorables ; ils seraient
entachés de la plus révoltante partialité ; mais, a-t-il ajouté, la chambre, en
faisant ces choix, savait que le gouvernement était là pour rétablir
l’équilibre ; elle avait confiance dans le ministre de l’intérieur, qui faisait
des nominations en sens contraire de celles de la chambre. »
Peut-on être plus explicite, peut-on
être plus naïf ? Un établissement a été maltraité, on en convient, on se borne
à en exprimer ses regrets, s’il n’y avait eu que l’intervention des chambres
les choix auraient été déplorables, la partialité aurait sauté aux yeux de tout
le monde, on en convient encore ; mais le ministère est arrivé, et mettant tout
dans la balance, il a rétabli l’équilibre, il a fait cesser les effets de
effets de la partialité et de l’injustice de la législature.
Et cependant l’honorable M. Vilain
XIIII qui a une si grande confiance dans le gouvernement quand il s’agit de
réparer une injustice commise, n’a plus aucune confiance en lui quand il s’agit
de prendre des mesures pour que de nouvelles injustices ne soient commises à
l’avenir. Singulière logique.
Les choix par les chambres ont été
des choix politiques. Vainement voudrait-on contester aujourd’hui ce qui est
écrit dans le rapport de la section centrale ; car je vais même plus loin et je
dis que ces choix ne pouvaient être que des choix politiques, car les majorités
des chambres représentent toujours une opinion politique et par suite elles
n’agissent que par une impulsion à laquelle la politique ne peut pas rester
étrangère, puisqu’elle est de son essence.
Messieurs, on vous l’a démontré,
d’après la constitution, les chambres n’ont pas le droit de nommer les membres
du jury et y eût-il même quelque doute sur la prérogative royale, encore ne me
serait-il pas démontré que cette prérogative dût être attribuée aux chambres,
car les chambres n’ont d’autres droits que ceux qui leur sont assures par la
constitution. Ce qui le prouve à la dernière évidence, c’est l’observation de
l’honorable M. Fleussu basée sur les dispositions exceptionnelles relatives à
la cour des comptes et à la présentation de candidats par la cour de cassation,
toutes exceptions qui confirment la règle. Je désire qu’on réponde à cet
argument ; car la question constitutionnelle doit aussi entrer dans la balance.
Un autre point, messieurs, qui mérite
de fixer votre attention, c’est que la constitution, alors qu’elle a assuré des
garanties pour l’exercice des libertés qu’elle consacre, ce n’est pas contre la
minorité, mais bien contre la majorité qu’elle a stipulé ; en effet, la
majorité n’a besoin ni de garanties ni de protection. Ces garanties, cette
protection elle les trouve dans ses propres forces, elle peut défaire demain ce
qu’elle fait aujourd’hui. C’est donc la minorité qui doit être sauvegardée
contre les tentatives de la majorité.
Les majorités, que sont-elles
d’ailleurs ? Ce n’est pas pour mon opinion une question d’actualité, une
question d’intérêt du jour. Je vois les choses à un point de vue plus élevé.
Qui vous dit que dans deux ans la
majorité ne deviendrait pas minorité, et que la minorité actuelle ne déplacera
pas la majorité qui règne aujourd’hui. Si je demande des garanties, je les
demande tout autant contre mon opinion que contre celle que je combats. C’est
en quelque sorte une précaution contre les empiétements possibles de mes amis
comme de mes adversaires politiques, car quand on marche appuyé par une
majorité, bien souvent on est ébloui par des succès ; on ne voit plus où on va,
on marche toujours, sans voir l’abîme vers lequel on court.
Messieurs, un grand argument qu’ont
fait valoir les adversaires du projet, est celui basé sur l’impartialité du
jury. Pourquoi donc, ont-ils dit, ne voulez-vous plus de la législation
actuelle ? Pourquoi n’adoptez-vous pas avec empressement le projet de la
section centrale ? Le jury tel qu’il est et tel que le maintient la section
centrale, a consciencieusement procédé ; tous les autres ont été marqués au
coin de l’impartialité, personne ne s’est plaint de ces décisions. Un honorable
membre, c’est l’honorable M. Dumortier, a été jusqu’à dire qu’un établissement
au nom duquel on se plaignait, avait spécialement été favorisé ; que les
membres du jury avaient été indulgents à l’égard de ses élèves, parce qu’ils
craignaient d’être l’objet du reproche public.
Messieurs, s’il en était ainsi, les
membres du jury auraient été partiaux, ils auraient été injustes, ils auraient
manqué à leur conscience ; mais l’honorable M. Dumortier le sait bien ; ce que
le jury a fait, ce qu’il n’a pu éviter à moins d’être injuste ; et si les
élèves dont on parle ont réussi devant lui, si le nombre des rejets ou des
ajournements pour cet établissement a été beaucoup moindre que pour les autres,
c’est que les études de ces élèves avaient été plus fortes et plus solides et
c’est qu’ils avaient dû procéder avec la conviction dans laquelle ils se
trouvaient que pour eux, la base de l’examen était l’inconnu.
Oui, pour eux c’était l’inconnu ;
pour d’autres c’était le connu ; le connu qui donne à la fois facilité et
confiance et ce qui le prouve, c’est encore l’observation de l’honorable M.
Dumortier. Cet honorable membre, en nous parlant des matières d’examen, est
allé jusqu’à nous dire que ces matières sont tellement compliquées que s’il y
avait un inconnu absolu, il y aurait aussi impossibilité absolue pour les
élèves de réussir dans les examens. Messieurs, c’est encore là un aveu
précieux. Avec l’inconnu il y a impossibilité d’obtenir du succès dans un examen
: il faut le connu. Et en faveur de qui donc est le connu ? contre qui pèse
l’inconnu ? Mais le connu est en faveur de ces élèves dont les professeurs se
trouvent au jury d’examen ; l’inconnu est pour ceux qui appartiennent à
l’établissement qui n’y est pas représenté.
Si je ne considérais que l’intérêt de
la science, si je n’avais à répondre que comme père de famille, voulant une
instruction forte pour mes enfants, je préférerais peut-être le système actuel,
mais je le repousse parce qu’avant tout, il faut un système juste, un système
d’égalité pour tout le monde, il faut, s’il y a inconnu, que l’inconnu soit
pour tous ; il faut qu’il n’y ait pas du connu pour les uns et de l’inconnu
pour les autres.
Il y a eu, dit-on, impartialité dans les
décisions du jury. Mais que nous fait l’impartialité dans les décisions du
jury, et que nous font d’ailleurs les succès de tels élèves mis en rapport avec
tels autres ? Que nous importe, pour la question que nous discutons, si telles
études ont été plus fortes que telles autres ? Je ne veux pas mettre des
établissements similaires en parallèle et je ne suivrai pas sur ce terrain
l’honorable comte de Mérode.
La seule question est celle-ci : y
a-t-il eu impartialité dans la nomination des membres du jury ? Peut-il y avoir
impartialité en maintenant la loi actuelle ?
Autre chose est, messieurs, la
composition d’un tribunal et autre chose est le résultat accidentel de ses
jugements. De ce qu’une commission militaire ou une cour prévôtale aurait rendu
des sentences équitables, faudrait-il en conclure qu’il y a lieu à maintenir
ces tribunaux d’exception ? Certes personne n’oserait admettre une pareille
opinion. Ces tribunaux resteraient mauvais, quoique leurs décisions fussent
marquées au coin de l’impartialité ; le résultat accidentel qui serait la
conséquence de l’existence d’un tel tribunal, d’une telle commission ne leur
enlèverait pas le vice de leur constitution.
Messieurs, il y a eu partialité dans
la composition du jury. Personne ne révoque ce fait en doute, il a été constaté
par l’honorable M. Vilain XIIII lui-même, pour faire cesser l’injustice, lui
qui a voulu que le ministère intervînt pour rétablir l’équilibre. Quelle doit
être la conséquence de cette partialité ? C’est qu’un établissement l’emportera
sur un autre à raison de l’inégalité dans le choix des membres du jury, et
lorsque l’honorable rapporteur de la section centrale a laissé entrevoir qu’un
établissement, à raison du nombre de ses élèves, à raison de son importance,
devrait avoir une représentation proportionnelle, il a resté dans un cercle
vicieux ; car le nombre des élèves dépendra toujours du nombre des membres du
jury. On ne se demandera pas, le jury sera-t-il impartial ? Mais on se
demandera quel est l’établissement qui est le mieux représenté au jury, et ce
sera à cet établissement que l’on donnera la préférence. Il n’est donc pas
étonnant que l’établissement qui, depuis
En voulez-vous une preuve évidente ?
Je la trouve encore dans le discours de l’honorable M. Dumortier.
Il y avait une école vétérinaire
libre à Liége, et il y avait une école vétérinaire du gouvernement. Le
gouvernement a fait tomber l’école vétérinaire libre.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
C’est inexact.
M.
Dumortier. - C’est très exact.
M. Verhaegen. - Je réponds à l’objection de l’honorable M. Dumortier. Que le fait
soit imputable à tel ou à tel ministre, peu importe, je n’en fais pas une
question de personne.
Le gouvernement a fait tomber l’école
vétérinaire libre. Et comment s’y est-il pris d’après M. Dumortier ? Le
gouvernement, de la manière dont il a composé le jury, a favorisé son école
vétérinaire. Est-ce que les membres de ce jury ont opéré d’une manière partiale
? Est-ce qu’on s’est plaint de ses décisions ? Personne n’a élevé la voix ; et
cependant l’école libre est tombée. Pourquoi donc cette école est-elle tombée ?
C’est, a dit M. Dumortier, parce qu’il y a eu partialité de la part du
gouvernement dans la composition de ce jury, il n’y avait en effet aucun autre
motif.
Mais n’en est-il pas de même dans la
composition du jury pour les universités ? La partialité dans la nomination de
ses membres ne doit-elle pas donner à un établissement la prépondérance sur
d’autres ? Vous voyez, messieurs, que les observations de nos adversaires
viennent à l’appui de notre opinion.
Nous avons donc raison de dire que
c’est au nom de la liberté, que c’est au nom de la science que nous demandions
autre chose que ce qui est aujourd’hui. Et c’est encore, messieurs, au nom de
notre réputation de loyauté et de franchise que nous vous faisons cette
demande. Y aurait-il, en effet, de la loyauté, de la franchise, à perpétuer ce
que tout le monde reconnaît être mauvais, et reconnaît être injuste ? Ceux dont
je combats les opinions ont reconnu qu’il y avait inégalité, qu’il y avait
partialité ; ils sont allés jusqu’à dire que le gouvernement a dû intervenir
pour mettre fin à ces actes de partialité, et ils voudraient perpétuer cet état
de choses, ils voudraient perpétuer les résultats que chacun de nos connaît !
Non, messieurs, il n’en sera pas ainsi. Puisqu’un vice est reconnu, il faut
avoir le courage de le faire disparaître ; il faut avoir le courage de déblayer
le terrain et de mettre la place de la loi ancienne une loi nouvelle qui pare
aux inconvénients.
Le système de la section centrale y
parera-t-il ? Non, messieurs, car, ce système est, selon moi, beaucoup plus
mauvais encore que la loi actuelle ; le système de la section centrale donne
moins de garantie, beaucoup moins de garantie que la loi actuelle.
On croit avoir fait beaucoup en
disant qu’une université ne pourra avoir, dans chaque branche du jury, plus de
deux représentants. Mais avec ce système, l’université privilégiée peut avoir
dans le jury beaucoup plus de représentants qu’aucune université n’en a eu jusqu’à
présent, et lorsque nous serons arrivés aux articles, je vous le prouverai.
Vous paraissez faire une concession ; et au lieu de cela vous aggravez le mal,
vous perpétuez l’injustice.
Et puis vous mettez certains
établissements dans l’impossibilité de voir arriver au jury leurs hommes
spéciaux. En vain, dit-on, qu’il ne faut pas supposer que l’on employer pareils
manèges. Car n’avez-vous pas entendu hier par la lecture de l’ouvrage de
l’évêque de Liége, que lui-même les a prévus ? Ainsi, ce qui paraissait si
extraordinaire à la section centrale, alors qu’une objection avait surgi de
notre part, a été reconnu possible par le prélat lui-même dont M. le ministre
de l'intérieur a cité hier les paroles.
Puis la section centrale croit avoir
beaucoup fait en nous donnant une disposition d’après laquelle le jury ne sera
plus permanent, en nous donnant un système de roulement. Eh bien, messieurs,
c’est ici que je dois répéter ce que j’ai dit tantôt : si vous conservez aux
chambres le choix des membres du jury, j’aime encore beaucoup mieux la
permanence que le roulement, et c’est encore ici que je prie M. le ministre de
l'intérieur de faire attention aux conséquences de son système pris en
lui-même. La question n’est pas une question de permanence prise isolément ; la
permanence ne peut amener de résultat utile à la science qu’en tant qu’elle
soit jointe à la nomination par le pouvoir exécutif. C’est ce que je vois
établi.
Si les jurés que vous appelez à
examiner les élèves ne sont pas permanents dans le sens que vous attachez à ce
mot, s’il y a plus de facilité pour les chambres de les éloigner indéfiniment,
il en résultera que, pour être favorisés d’un vote, les professeurs qui
désireront être nommés devront adopter l’opinion de la majorité, que la
majorité ne les admettra qu’autant qu’ils suivront les impulsions ; la
non-permanence, loin d’être utile, serait donc fâcheuse avec l’intervention des
chambres.
Pour ne pas excéder les bornes d une
discussion générale, et sauf à revenir plus tard sur les détails du projet de
la section centrale, je ne dirai que quelques mots sur les autres amendements.
Messieurs, l’amendement de M. Cogels
m’a singulièrement étonné. L’honorable membre, dans son discours, avait appuyé
le système du gouvernement, il avait donné à ce système la préférence sur celui
de la section centrale. D’après cela, je devais croire que la voix de M. Cogels
était acquise au projet du gouvernement, mais sa conséquence n’a pas répondu à
ses prémisses ; après avoir appuyé le projet du gouvernement, l’honorable M.
Cogels est venu proposer un amendement tendant, d’après les explications qu’il
a données pendant la séance, à faire l’essai du projet de la section centrale
pendant 4 années. Toutefois, je dois le dire après avoir lu l’amendement qui a
été imprimé, j’ai reconnu que cet amendement reste maintenant dans le vague et,
soit que l’on adopte le projet du gouvernement, soit que l’on adopte celui de
la section centrale, la portée de l’amendement est que ni l’un ni l’autre de
ces deux projets n’aura d’effet que pour 4 ans. C’est là un moyen d’échapper à
un vote sur la question qui s’agite en ce moment. Il me semble que l’honorable
M. Cogels aurait été au moins logique s’il avait dit : « J’appuie le
projet du gouvernement, il est beaucoup meilleur que le projet de la section
centrale, que la loi existante. Eh bien, essayons encore du projet du
gouvernement pendant 4 ans ; si l’on trouve ensuite des inconvénients, la
législature avisera aux moyens de les faire disparaître. »
On a essayé pendant 8 ans ; on a
reconnu les inconvénients de cette loi, et l’honorable M. Cogels les a reconnus
lui-même puisqu’il donne la préférence au projet du gouvernement ; eh bien
qu’il essaie donc du projet du gouvernement qu’il croit être meilleur que celui
de la section centrale, alors l’honorable M Cogels serait d’accord avec
lui-même en suivant une autre voie ; il est en contradiction flagrante avec ses
premières paroles.
Un système a été présenté par
l’honorable M. de Haerne. Je dois, messieurs, rendre justice aux sentiments qui
ont guidé cet honorable membre, car je crois, qu’il veut, lui, franchement,
l’impartialité, la justice pour tout le monde. Je reconnais là les principes de
liberté qu’il a toujours professés dans cette enceinte et dont il ne veut point
dévier encore ; mais le système qu’il a présenté ne peut pas atteindre le but
auquel nous voulons arriver ; c’est toujours l’intervention des chambres,
intervention dont nous avons signalé les vices. Et puis, je dois le dire, au
lieu de simplifier la chose, il la complique. Il y aurait dans son système un
jury de première instance et un jury d’appel, c’est là une complication dont
vous appréciez tous les inconvénients.
L’honorable M. Donny a également
présenté un amendement. Cet amendement continue aussi l’intervention des
chambres ; le seul point sur lequel il diffère de ce qui existe aujourd’hui,
c’est que les chambres nommeraient quatre jurés au lieu de deux et que le sort
réduirait ensuite de moitié le nombre des jurés ainsi nommés. Les chambres
feraient donc deux fois ce qu’elles font une fois aujourd’hui, mais le feraient
toujours dans le même sens. Leurs nominations ne présenteraient donc aucune
garantie d’impartialité ; au fond ce serait absolument la même chose que ce qui
existe aujourd’hui.
Messieurs, je n’en dirai pas davantage
sur ce point. La discussion générale ne comporte pas l’examen des articles en
détail. Je crois avoir expliqué suffisamment pourquoi je donnerai mon assentiment au projet
présenté par le gouvernement, et là doit se borner ma tâche.
Messieurs, en appuyant ce projet je
ne me mets nullement en contradiction avec mes antécédents. J’ai défendu et
avec chaleur, dans cette enceinte, nos franchises communales. Je n’ai jamais
été partisan de l’extension du pouvoir exécutif, toujours j’ai tâché d’opposer
une barrière à ses empiétements, et aujourd’hui encore en appuyant le projet du
gouvernement, je ne consacre pas un principe contraire à mes convictions.
Oh ! si je venais appuyer un
système d’après lequel le gouvernement serait libre de faire ses choix n’importe
où, si je venais demander qu’il ne fût pas obligé de prendre les examinateurs
parmi les élus de la science, oh ! alors on pourrait m’accuser de soutenir une
thèse contraire à celle que j’ai soutenue dans la discussion de la loi
communale, mais en adoptant le projet du gouvernement je reste d’accord avec
mon opinion d’abord.
Il y avait aussi, autrefois, deux
systèmes entièrement opposés, sur la loi communale, l’un et l’autre de ces
systèmes étaient des extrêmes. On soutenait, d’un côté, que les bourgmestres ne
pouvaient être nommés que par les électeurs, d’un autre côté en soutenant que
les bourgmestres devaient être au choix du pouvoir exécutif. Une troisième
proposition a été faite, elle tenait un milieu entre les deux extrêmes, et
c’est cette troisième proposition qui a été accueillie en 1836, elle attribuait
au gouvernement le choix des bourgmestres au sein des conseils communaux. C’est
cette opinion que j’ai défendue dans la discussion de la loi apportant des
modifications à la loi communale, c’est ce terme moyen auquel je me suis rallié
en demandant que l’on conservât le statu quo. Eh, bien, lorsque je demande
aujourd’hui que le gouvernement puisse nommer les membres du jury d’examen
parmi les professeurs des quatre universités, parmi les élus de la science, je
suis d’accord avec moi-même, je défends la même opinion que celle que je
défendais naguère quant à la nomination des bourgmestres par le roi dans le
sein des conseils.
Je n’en dirai pas d’avantage. Je me
réserve de présenter de nouvelles observations dans la discussion des articles.
M. de Haerne. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M.
le président. - Je doute qu’il y ait eu quelque
chose de personnel à M. de Haerne dans le discours de M. Verhaegen.
M. de Haerne. - Je vous demande pardon, M. le président ; on a parlé de
mystification, une explication est nécessaire. On pourrait croire que je suis ou
un mystificateur ou l’objet d’une mystification. J’aime à croire que
l’honorable membre n’a pas eu l’intention de m’adresser des paroles
désobligeantes ; cependant je n’en crois pas moins de mon devoir de réfuter ces
paroles.
M.
le président. - Je vous prie de vous restreindre
au fait purement personnel.
M.
Rogier. - Loin de vouloir blesser l’honorable
préopinant, M. Verhaegen lui a fait un compliment.
M. de Haerne. - Je commence par remercier l’honorable M. Verhaegen de la franchise
avec laquelle il m’a attaqué. On devrait toujours en agir ainsi dans cette
chambre ; alors il y aurait peut-être plus d’espoir de parvenir à cette union,
à cette réconciliation que je crois nécessaire.
L’honorable membre a dit que j’avais
dormi depuis le temps du congrès : mais il n’est facile de rétorquer l’argument
et de dire à l’honorable préopinant que peut-être il a dormi depuis le temps du
congrès jusqu’à l’époque où il est entré dans cette chambre ; j’ajouterai, pour
être juste, que si, en 1830, l’honorable membre, précédé de la réputation qu’il
s’était acquise, en défendant, dans une circonstance mémorable, le clergé
opprime contre un gouvernement arbitraire ; si l’honorable membre, dis-je,
s’était présenté aux suffrages des électeurs, la chambre n’aurait pas été si
longtemps privée de sa présence...
Un membre. - L’honorable M. Verhaegen a été
nommé au congrès, mais il n’a pas accepté.
M. de Haerne. - Si j’ai dormi depuis le temps du congrès, si, politiquement parlant,
j’ai été inactif depuis cette époque, peut-on m’en faire un reproche ? Certes,
s’il avait dépendu de moi de rendre plus tôt au pays les services que je suis
appelé à lui rendre en ce moment, je n’aurais pas fait défaut.
Des membres. - Il n’y a là rien de
personnel.
M. de Haerne. - Je ne dormais pas, lorsqu’après l’élimination que j’ai subie, il
s’est agi de moi, en 1833, dans le collège électoral de Bruxelles. Je demande
pardon à la chambre de lui parler de moi. ; mais je suis forcé d’entrer dans
ces détails. Je ne dormais pas non plus dans d’autres circonstances, lorsqu’on
a fait un appel à mon patriotisme, lorsqu’au nom de principes de l’union que je
n’ai jamais reniés, on m’a porte comme candidat à la représentation nationale,
à Audenaerde et dans d’autres collèges électoraux encore. C’est au nom de ces
principes qui ne sont pas une mystification, que je suis rentré dans cette
chambre. Et le fait de l’élection de Courtray est bien significatif. Car,
messieurs, avant l’élection, j’avais de nouveau proclamé la nécessité de
l’union, et c’est grâce à cette manifestation d’opinion, que j’ai réuni presque
tous les suffrages des électeurs. Voilà un fait sur lequel j’appelle votre
attention. Voilà un fait qui prouve que cette union n’est pas une chimère, et
qu’elle est encore au fond la pensée de la nation.
J’aime à croire que
l’intention de l’honorable membre n’a pas été de donner à entendre que je
voulais faire moi-même une mystification. (De
toutes parts : Non ! non !) Mais il a pu croire que je serai dupe d’une
mystification ; voila où est le fait personnel ; ce serait là une chose
déshonorante pour moi, et je la repousse de toutes mes forces.
Mais à quoi se rapporterait cette
mystification ?
Si je puis m’expliquer la pensée de
l’honorable membre, cette mystification consisterait en ce que l’opinion à
laquelle j’appartiens donnerait la préférence à telle liberté sur telle autre
liberté.
M.
le président. - M. de Haerne, je ne puis pas vous
laisser continuer, il n’y à là rien de personnel ; je vous ai inscrit, et quand
votre tour de parole viendra, vous aurez le droit de répliquer à M. Verhaegen.
La parole est M. Desmaisières inscrit
sur le projet.
M. Desmaisières. -
Messieurs, je n’ai point pris part à la discussion de la loi de 1835, sur
l’instruction publique, et je comptais encore ne pas prendre part à la
discussion actuelle.
Mais des faits se sont produits, des
manifestations publiques ont eu lieu au-dehors de cette enceinte, et dès lors,
pour qu’il n’y ait pas d’équivoque possible, pour que personne ne puisse se
méprendre sur les motifs et la portée de mon vote, j’ai cru devoir les exposer
ici publiquement.
Le ministre nous a fait à tous, de
son côté, un appel à l’expression libre de nos convictions. Cet appel, je n’en
fais aucun doute, est sincère, et je crois, par conséquent, devoir y répondre
non moins sincèrement.
Je dois toutefois le déclarer,
messieurs, désirant la conciliation et l’union, j’ai longtemps hésité à me
prononcer de nouveau, comme en 1835, pour l’intervention des chambres dans la
nomination des jurys d’examen ; intervention qui, au fond, est toute la
question qui nous divise. Mais les manifestations, auxquelles je viens de faire
allusion, m’ont naturellement porté à revoir la discussion de 1835, et j’y ai
puisé bientôt des motifs puissants qui ont tout à fait raffermi mes convictions
d’alors sur ce point.
Lorsqu’il s’agit d’un principe
constitutionnel, je ne me demande jamais si l’on a bien ou mal fait de déposer
cc principe dans la constitution ; je n’examine jamais si tel ou tel projet de
loi, basé sur ce principe ou s’en écartant plus ou moins, est oui ou non favorable
à telle ou telle opinion politique, je me décide avant tout et sans me laisser
influencer par toute autre considération pour le projet qui rend la
constitution une vérité.
« Je jure d’observer la
constitution, » tel est le serment que nous avons tous solennellement
prêté en entrant dans cette enceinte. Telle est la seule condition, la seule
obligation qui nous a été imposée pour l’exercice du mandat honorable dont nous
avons été investis par la nation.
Quels que soient donc nos intérêts
privés ; quel que soit notre désir de défendre ces intérêts, de les protéger,
de les favoriser, nous ne pouvons le faire sans nous rendre coupable de
violation de serment, dès qu’il en résulte que nous n’observons pas la
constitution.
Si je m’exprime ainsi, ce n’est pas,
je me hâte de le dire, que je sois d’opinion que la constitution défende de
prendre en considération les intérêts de localité ; ce n’est pas non plus que
je croirais agir en opposition avec les intérêts de ma localité, en votant
contre la non-intervention des chambres, soutenue par la majorité du ministère.
La constitution porte :
A l’article 32, que les membres des
deux chambres représentent la nation et non uniquement la province ou la
subdivision de la province qui les a nommés.
A l’article 48, que les élections se
font par telles divisions de province et dans tels lieux que la loi détermine.
On voit donc que les auteurs de la
constitution ont voulu faire prévaloir dans nos actes parlementaires les
intérêts généraux de la nation, sans que toutefois les intérêts des localités
puissent être négliges ou méconnus.
On voit aussi que la composition des
chambres présente toutes les garanties désirables pour qu’aucun intérêt général
ou particulier ne puisse être méconnu soit par oubli, soit autrement, dans les
délibérations de la législature.
On voit donc enfin que l’intervention
des chambres dans la nomination du jury d’examen, intervention qui est, je le
répète, en quelque sorte aujourd’hui comme en 1835, toute la question à
décider, on voit donc enfin, dis-je, que cette intervention ne peut être que
favorable à 1’université de ma localité à l’université de Gand, à l’université
flamande, si je puis me servir d’une dénomination, impropre à la vérité, mais
dont s’est servi en 1835 un ancien ministre de l’intérieur, avec cette
franchise et cette loyauté habituelle qui lui font honneur, lorsqu’il demanda
la suppression des universités de Gand et de Liége pour n’en conserver plus
qu’une seule à Louvain.
Permettez, messieurs, que je vous
rappelle en peu de mots ce qui se passa alors.
La proposition de cet honorable
représentant était ainsi conçue :
« Il y aura pour toute
« Elle sera établie à
Louvain. »
Voici quelques extraits des
développements qu’il vous soumit. Je les ai pris dans le Moniteur :
« Messieurs, dit-il alors, ce système
de n’avoir qu’une seule université en Belgique n’est pas nouveau. Pendant
quatre siècles nous n’avons eu qu’une seule université et les trois universités
n’ont existé chez nous que pendant un espace de 18 ans. Encore vous devez vous
rappeler que vers la fin du gouvernement déchu ces trois universités
n’obtenaient pas grande faveur ; qu’elles étaient considérées par beaucoup de
monde comme un abus qui était sur le point d’être élevé au rang de grief.
« Je ne mets pas en doute que si
le régime hollandais avait continué à peser sur nous, des pétitions seraient
parties de tous ses points du royaume contre les trois universités et
probablement on serait tombé d’accord pour n’en conserver qu’une seule.
« Ceci, messieurs, est tellement
vrai que le gouvernement provisoire qui, ainsi que vous le savez, a fait cesser
beaucoup d’abus et aboli beaucoup de griefs s’est pris corps à corps aussi avec
les trois universités. Je sais qu’on lui a fait un crime des coups de hache
qu’il a portés sur chacune d’elles ; mais à mon avis il ne faisait que
commencer la démolition d’un système qu’il fallait détruire. Remarquez qu’en
portant la hache sur les universités, le gouvernement provisoire a déclaré que
l’enseignement avait besoin d’améliorations radicales et qu’en autorisant la
réouverture des universités il a bien établi que c’était sans préjudice de la
réorganisation définitive de l’enseignement, toujours dans un esprit de réforme
radicale.
« Le gouvernement provisoire
était en cela, comme il a été dans beaucoup d’autres choses, le véritable
représentant des vœux du pays.
« Au mois de septembre
« La première commission chargée de
s’occuper de l’organisation de l’enseignement qui remit son travail en mars
1832, se prononça pour le principe d’une université unique.
« Les motifs qu’elle fit valoir
méritent d’être rappelés et je l’eusse fait si déjà l’orateur qui a parlé le
premier ne vous les avait communiqués.
« Une seconde commission, fut
nommée pour le même objet et son travail est le projet qui est maintenant en
discussion.
« Ce n’est pas sans hésitation que
cette commission, composée d’hommes sages et impartiaux, se prononça pour le
système de deux universités.
« Elle avait une grande tendance
à se décider pour une seule, et elle l’eût fait, si elle avait eu, dit-elle, à
décider sur la question en thèse générale. »
Plus loin ensuite le même honorable
orateur a dit :
« Dans la seconde espèce de partisans
d’une double université, nous avons ceux qui veulent de bonne foi un
enseignement supérieur aux frais de l’Etat, mais qui craignent de mécontenter
deux villes importantes et puissantes dans le pays ; je conçois les scrupules
de ces derniers. Mais je leur demanderai s’il n’y a pas pour ces villes de
compensation possible. L’une d’elles (Gand) a obtenu une cour d’appel avec un
ressort d’une étendue qu’elle n’aurait pu espérer obtenir sous le gouvernement
précédent. Elle a obtenu une école industrielle qui, vu l’importance et les
progrès de l’industrie dans notre pays, ne peut manquer de prendre chaque jour
un plus grand développement. »
Ici, messieurs, je dois faire
observer que l’honorable membre s’est trompé. Gand était en possession de son
école industrielle sous le gouvernement des Pays-Bas. Cette école a été
instituée en 1825, et jouissait d’un subside annuel de 4,800 fl. Le
gouvernement provisoire avait réduit ce subside à 3,440 fr. ; mais, l’honorable
M. Rogier qui était alors ministre de l’intérieur, proposa, au budget de 1834,
de reporter le subside à 10,000 fr. C’est une justice que j’aime à lui rendre.
La section centrale crut devoir proposer le rejet de la majoration ; mais, sur
mes instances et celles de mon honorable collègue et ami, M. Dellafaille, la
chambre accorda les 10,000 fr,, et depuis lors, l’école industrielle de Gand a
continué de jouir annuellement de ce subside.
Voici maintenant les compensations
que l’honorable auteur de la proposition de supprimer les universités de Gand
et de Liège, croyait devoir offrir à la ville de Liége.
« L’autre ville (Liège), nous a-t-il
dit alors, a un chemin de fer qui doit porter son industrie et son commerce à
un haut degré de prospérité. Elle peut avoir l’école militaire à laquelle il
faudra joindre nécessairement l’école polytechnique. Cette même ville où
siègent volontiers les arts, pourra augmenter son école de musique, de dessin ;
des subsides à cet effet ne pourront lui être refusés. »
Tels furent, messieurs, les
principaux motifs dont se servit l’honorable M. Rogier à l’appui de sa
proposition de supprimer les universités de Gand et de Liége, pour ne plus
conserver qu’une seule université de l’Etat à Louvain.
Lorsqu’on en vint au vote sur cette
proposition, la division fut demandée, mais très peu de membres se laissèrent
aller aux illusions que pouvait leur présenter cette division, et la première
partie de la proposition, qui se bornait à poser purement et simplement le
principe d’une seule université de l’Etat, ne fut guère adoptée que par les
membres de la chambre qui ne voulaient pas en même temps l’intervention des
chambres dans la nomination du jury d’examen. Les chiffres vont en donner la
preuve :
Des 32 membres qui votèrent pour
qu’il n’y ait plus qu’une seule université de l’Etat, 4 ne furent pas présents
lors du vote sur la question d’intervention des chambres ; 5 seulement votèrent
en faveur de cette intervention, et les 23 autres votèrent contre : et
lorsqu’on en vint au vote définitif de la loi, 8 seulement votèrent pour et 24
contre.
Des 37 membres au contraire qui
votèrent pour la conservation des universités de Gand et de Liége, 2 furent
absents lors du vote sur la question d’intervention des chambres, 4 seulement
votèrent contre, 27 votèrent pour et 4 ministres s’abstinrent, à cause de
l’ordre adopté pour les divers votes à émettre, mais déclarèrent se prononcer
pour l’intervention des chambres.
Ainsi, sur 37 membres qui votèrent
contre la suppression des universités de Gand et de Liége, 31 se déclarèrent
pour l’intervention des chambres ; et lors du vote définitif de la loi, 34
votèrent en faveur de la loi, un fut absent et 2 seulement votèrent contre.
L’article premier de la loi fut
adopté sans appel nominal ; il est ainsi conçu :
« Art. 1er. Il y aura deux
universités aux frais de l’Etat, l’une à Gand, l’autre à Liége.
« Chaque université comprendra les
facultés de philosophie et lettres, des sciences mathématiques, physiques et
naturelles, de droit et de médecine. »
Ainsi, du côté de ceux qui voulaient
l’intervention des chambres dans la nomination des jurys d’examen, se
trouvaient aussi presque tous ceux qui voulaient le maintien des universités de
Gand et de Liège ; du côté, au contraire, de ceux qui ne voulaient pas de
l’intervention des chambres, se trouvait un très grand nombre de ceux qui
voulaient la suppression de ces deux universités.
Est-il étonnant, d’après cela, qu’il
y ait des personnes aujourd’hui qui pensent que les mêmes moyens employés
doivent conduire au même but.
Loin de moi, messieurs, mille fois
loin de moi est cette pensée ! Je suis persuadé, au contraire, que personne
dans cette enceinte, que l’honorable auteur de la proposition de 1835 lui-même,
ne veut pas arriver à attendre ce but aujourd’hui. Mais, ministres et
représentants, nous n’avons tous qu’une mission temporaire ; nous sommes tous
destinés à avoir des successeurs, et si l’intervention des chambres dans la
nomination des jurys d’examen se trouvait écartée après huit années
d’expérience, elle ne pourrait plus probablement être décrétée de nouveau dans
l’avenir et le maintien des universités de Gand et de Liége ne pourrait aussi
plus avoir encore cette sauvegarde dans l’avenir.
Le principe de la liberté de
l’enseignement est écrit en toutes lettres dans la constitution. Pour moi,
l’intervention des chambres dans la nomination des jurys d’examen est autant
que celle du gouvernement la sauvegarde nécessaire de cette liberté, et par
conséquent, je croirais violer le serment que j’ai prêté en entrant dans cette
enceinte, si je ne votais pas en faveur de l’une comme de l’autre de ces
interventions, à l’abri desquelles, quoiqu’on en dise, les deux universités de
l’Etat ont acquis une prospérité beaucoup plus grande que celle dont elles
jouissaient auparavant.
De toutes les objections, de tous les
motifs qui ont été mis en avant dans cette chambre par les partisans de la
non-intervention des chambres en 1835, l’expérience de 8 années que nous venons
de faire, n’en a laissé aucun debout. On n’en parle même plus pour ainsi dire
aujourd’hui.
Le seul argument qu’on oppose
maintenant à l’intervention des chambres est nouveau. C’est la stabilité, la
permanence des jurys. Chose qui vous étonnera peut-être, messieurs, c’est qu’en
1835, il n’en a été parlé que vaguement et par un seul des membres de la
chambre qui ne voulaient pas de l’intervention, et il l’a présentée comme une
chose désirable et qui avec l’intervention des chambres ne pouvait s’obtenir.
Voici ce que disait l’honorable M. de
Brouckere, après avoir présenté à la chambre divers autres inconvénients qu’il
opposait à l’intervention des chambres. « Enfin l’étude des sciences
demandant de la stabilité, le jury doit être à l’abri de tous les revirements
politiques, des fluctuations de l’opinion politique, des impressions du
moment. »
Vous le voyez messieurs, c’était
alors de l’instabilité et non pas de la stabilité, de la permanence, qu’on
attendait de l’intervention des chambres et on votait contre cette
intervention, parce que dans l’intérêt des sciences on voulait de la stabilité.
Ce n’est pas toutefois pour ce qui me
concerne, que je donne tout à fait tort à l’opinion que professait alors
l’honorable membre sur la nécessité d’une certaine stabilité dans la
composition du jury d’examen.
Lorsque le jury est composé d’hommes
capables, qui se tiennent au courant des progrès des sciences, lorsqu’il est
juste et impartial, et sous ces divers rapports on ne fait aucun reproche aux
divers jurys qui ont exercés depuis 8 années, lorsque le jury réunit en lui ces
diverses conditions, je crois qu’il est de l’intérêt des bonnes études qu’il y
ait une certaine stabilité dans sa composition.
Ce ne peut donc être qu’au nom de la
liberté d’enseignement, au nom de la libre concurrence entre les divers
établissements, qu’on demande aujourd’hui la non-permanence du jury d’examen.
Puisque c’est au nom de la liberté de
l’enseignement qu’on la demande, il faut au moins l’organiser de manière à ce
qu’elle ne porte pas une beaucoup plus grande atteinte à la liberté
constitutionnelle. Il faut de plus chercher à satisfaire aux intérêts des
sciences en suppléant aux garanties que pourraient trouver ces intérêts dans
plus de stabilité par des programmes détaillés qui puissent servir de guides
aux élèves et à leurs professeurs dans la direction des études des premiers.
Car, messieurs, prenons-y garde, si
nous allions organiser par la loi un mouvement continuel trop prononcé dans la
composition du jury et si en même temps les programmes ne contenaient comme à
présent que la simple dénomination des sciences qui font l’objet des examens,
il y aurait anarchie complète dans les hautes études en Belgique, et il
pourrait fort bien arriver que le hasard servît tellement bien un mauvais élève
dans la direction donnée à ses études et d’un autre côté tellement mal un bon
élève, que celui-ci serait rejeté par le jury et l’autre accepté avec
distinction.
C’est du reste par des programmes
détaillés qu’on opère avec succès à l’égard des examens pour l’école militaire,
pour les écoles du génie civil et des mines et pour les admissions dans les
corps des ponts et chaussées et des mines.
Tous les différents jurys d’examen ne
pourraient-ils pas être tenus de faire aussitôt après la clôture de chaque
session, un rapport général au gouvernement, sur les résultats de ces examens
et sur les modifications qu’il conviendrait d’apporter aux programmes, dans
l’intérêt des bonnes études ? Le gouvernement ne pourrait-il pas être tenu de
publier ces rapports dans le Moniteur ?
Ne pourrait-il pas être tenu aussi de publier chaque année, un mois ou deux
avant l’ouverture des cours universitaires, les programmes détaillés des
examens qu’il aurait arrêtés, après avoir pris l’avis de la cour de cassation
pour la faculté de droit, de l’académie des sciences et belles-lettres pour les
facultés des lettres et sciences, et de l’académie de médecine pour la faculté
de médecine ?
Ces questions m’ont amené, messieurs,
à proposer l’amendement suivant :
« Tous les ans, un mois au moins
avant le commencement de l’année scolaire des universités, le gouvernement
publiera les programmes des examens qui auront lieu pendant le cours de
l’année.
« Ces programmes seront arrêtés
par le gouvernement, après avoir pris l’avis de la cour de cassation, pour la
faculté de droit, de l’académie royale des sciences et belles-lettres pour les
facultés des sciences et des lettres, et de l’académie royale de médecine pour
la faculté de médecine.
« Dans les quinze jours qui
suivront la clôture de la session, chacun des jurys d’examen adressera au
gouvernement un rapport sur les résultats des examens et sur les modifications
qu’il conviendrait d’apporter aux programmes.
«
Ces rapports seront publiés dans le Moniteur. »
Messieurs, il en est dans mon opinion
des lois politiques comme des lois d’impôt, il faut se garder de changer trop
complètement de système et ne s’y résoudre que lorsqu’il y a impossibilité
absolue de faire autrement,
Quand une loi politique a pour elle
une épreuve de 8 années ; quand elle n’a donné lieu à aucun des inconvénients
qui lui ont été opposés lors de son adoption par la législature ; quand on ne
lui oppose au fonds qu’un seul inconvénient, un inconvénient grave, je le veux
bien, mais un inconvénient unique et nouveau, eh bien, que faut-il faire ? Il
faut s’efforcer d’apporter remède à cet inconvénient, mais il ne faut pas aller
au-delà ; et j’en conviens, si l’on ne peut avoir de certitude sur l’efficacité
du remède, il faut que l’on ne fasse que du provisoire.
Un de mes honorables collègues de
Gand, dans le but de maintenir intact le principe constitutionnel de la liberté
de l’enseignement et dans le but probablement de donner encore plus de
garanties pour leur maintien aux universités de l’Etat, a proposé de substituer
l’intervention des universités elles-mêmes à celle des chambres.
Je dois l’avouer franchement, ce
système serait encore préférable à celui de la nomination exclusive par le
gouvernement. Mais, ainsi que je viens de le dire, quand un système est
pratiqué depuis huit années, il ne faut pas se résoudre trop vite à y
substituer un autre trop nouveau.
Ensuite messieurs, la constitution
nous commande de ne point porter la moindre atteinte à la liberté de
l’enseignement ; elle nous commande aussi de baser nos votes sur les intérêts
généraux du pays, sans méconnaître 1es intérêts des localités, et sous tous ces
rapports l’amendement présenté par l’honorable M. Delehaye me semble
satisfaisant. Mais il a le tort, d’après moi, de s’en remettre, pour
représenter ces divers intérêts, à des personnes qui ne les représentent pas ou
du moins qui ne les représentent pas aussi complètement que les représentants
de la nation.
Nous avons déjà vu plus d’une
mutation s’opérer non seulement entre les professeurs des universités de
l’Etat, mais aussi d’une université de l’Eta à une université libre.
Je ne vois donc pas dans la
proposition de l’honorable M. Delehaye assez de garanties contre les
envahissements de l’une ou de l’autre université opérés aux dépens des autres ;
et je crois que nous, mandataires temporaires de la nation, nous ne devons pas,
nous ne pouvons pas abdiquer la prérogative de l’intervention des chambres pour
la remettre en d’autres mains ; alors surtout que cette abdication
constituerait un fait tellement grave que jamais il ne serait plus possible
peut-être au législatures futures de ressaisir cette prérogative.
Qu’il me soit permis à moi aussi,
messieurs, en terminant d’exprimer mes regrets de ce qu’en présence de la
grande question du système de législation commerciale, industrielle et agricole
qu’il est de la plus grande urgence de discuter, si nous voulons enfin pouvoir
donner pleine satisfaction à tous les intérêts matériels du pays, qu’il me soit
permis de regretter profondément qu’alors que toutes les candidatures aux dernières
élections générales se sont principalement appuyées sur la satisfaction, sur la
protection à donner législativement aux trois grandes branches de la fortune
publique, et cela parce que de ce côte étaient et se trouvent encore les vœux
du pays tout entier ; qu’il me soit permis de regretter, dis-je, que lorsque
nous touchions au moment de voir enfin ces justes espérances de nos nombreux
travailleurs se réaliser, nous allons peut-être nous trouver dans
l’impossibilité de remplir, je ne dirai pas nos engagements, mais nos devoirs
les plus impérieux.
L’esprit de conciliation, l’esprit
d’union doit nous animer tous, toujours, mais surtout lorsqu’il s’agit d’aussi
grands intérêts.
N’oublions donc pas, messieurs, je
vous en conjure, que la devise du pays, que la constitution de notre
nationalité, c’est l’union qui fait la
force.
M. de Saegher. - Messieurs, j’ai été inscrit pour parler contre le projet du
gouvernement, parce que, d’après le règlement de la chambre, la parole est
exclusivement réservée aux orateurs qui auraient des amendements à proposer. Je
n’ai demandé la parole que pour présenter des considérations générales en
faveur de l’amendement de l’honorable M. Cogels.
Messieurs, deux années ne sont pas
encore écoulées, depuis que votre section centrale, conformément à l’avis de
toutes les sections, vous proposa à l’unanimité, de conserver le mode actuel de
nomination des membres du jury d’examen. La section centrale vous proposait
aussi à l’unanimité et d’accord avec le ministre de l’intérieur, la suppression
de l’art. 42 de la loi sur l’enseignement supérieur.
Elle fondait cette dernière
proposition sur ce que l’expérience avait justifié la disposition provisoire
votée en 1835 (art. 42) et que le temps était venu de lui donner le caractère
d’une disposition législative.
Aujourd’hui, dans l’opinion du
gouvernement, le moment semble venu de prendre une résolution définitive, et il
propose un nouveau mode de nomination du jury universitaire.
Dans l’opinion de la section centrale
aussi, le moment serait venu d’adopter une résolution définitive, et elle
propose de maintenir l’ancien mode de nomination par les chambres, mais en
établissant un roulement de personnes et quelques autres garanties pour
l’avenir.
Mais, messieurs, est-ce donc bien
vrai que le moment soit venu de prendre une résolution définitive ?
C’est cette question d’opportunité
soulevée par l’honorable M. Cogels, sur laquelle nous venons à notre tour
appeler l’attention de la chambre, dans les circonstances où nous nous
trouvons.
Ce qui démontre, à notre avis, que le
temps n’est pas venu de résoudre définitivement une question aussi importante,
c’est cette espèce de revirement qui s’est opéré depuis deux ans, et cette
divergence d’opinions qui se manifeste de toutes parts.
Naguère encore, la section centrale
et le gouvernement paraissaient d’accord pour conserver, sans aucune
modification, le principe actuel de nomination du jury. Aujourd’hui, le
gouvernement proposa un nouveau mode de nomination, et la section centrale,
tout en voulant maintenir l’ancien principe, reconnaît cependant des
inconvénients dans la permanence du jury et propose des moyens pour y remédier.
Ainsi, un intervalle de moins de deux
ans a déjà sensiblement modifié les opinions et nous ne voyons pas trop
pourquoi il faudrait se presser aujourd’hui, que la question est loin d’être
complètement éclaircie.
En effet, il est incontestable que
les convictions les plus consciencieuses sont profondément divisées sur l’objet
qui nous occupe.
Les uns voient dans le projet du
gouvernement une atteinte portée à la liberté de l’enseignement ; d’autres
considèrent la composition actuelle du jury comme préjudiciable au progrès, au
développement des sciences ; d’autres enfin prévoient dans l’adoption définitive
de l’un ou de l’autre des deux modes de nomination, la destruction prochaine de
telle ou de telle université à laquelle leurs principes font donner la
préférence. Nous sommes loin de partager ces craintes que l’on a surtout
propagées dans les villes universitaires ; nous sommes convaincus que le
système que l’on adopte ne pourra entraîner, en aucun cas, la ruine ni la
décadence d’aucun établissement existant, mais nous vous le demandons,
messieurs, en présence de semblables appréhensions, de semblables dissidences
dans le pays, est-ce bien le moment de résoudre définitivement la difficulté ?
Nous ne le pensons pas, et notre
opinion est encore établie sur cette considération d’un autre ordre, c’est que
l’adoption définitive de l’une ou de l’autre proposition pourrait faire naître
ou renouveler de funestes scissions dans cette enceinte et au-dehors, scissions
qui, sous tous les rapports, seraient préjudiciables au pays, scissions qui,
peut-être, entraveraient la marche du gouvernement, et feraient remettre
indéfiniment la solution des questions industrielles et commerciales que le
pays attend avec tant d’impatience. Car, ne nous y trompons pas, messieurs, la
solution immédiate de ces graves questions d’intérêt matériel, voilà ce que le
pays réclame avant tout ; les nombreuses requêtes déposées chaque jour sur le
bureau, dans cette chambre, ne permettent pas le moindre doute à cet égard.
Quant au nouveau provisoire qu’il
conviendrait d’adopter, je pense que la nécessité d’écarter le principe de
l’intervention des chambres dans la formation du jury n’est pas démontrée par
l’expérience.
En effet, il est un seul point sur
lequel on est généralement d’accord ; c’est la nécessité d’établir pour
l’avenir certaines règles à suivre dans la nomination du jury d’examen, afin
d’obvier à des inconvénients que l’expérience a fait connaître.
Mais est-il suffisamment établi déjà,
qu’il est impossible de remédier à la plupart de ces inconvénients, tout en
maintenant l’intervention des chambres dans la formation du jury ? C’est ce
dont il est au moins permis de douter, et il suffit qu’il y ait doute, pour que
dans une question aussi sérieuse une nouvelle expérience soit nécessaire avant
de porter atteinte à un principe.
A l’appui du projet du gouvernement
on a fait valoir des considérations très graves.
C’est ainsi que l’on a signalé les
inconvénients résultant de la permanence du jury.
Ces inconvénients existent, on ne
peut le méconnaître, et il est urgent d’y porter remède.
Mais est-il aussi vrai, que de
l’expérience du passé on peut conclure que les chambres ont reconnu
l’impossibilité de rien changer à leurs nominations premières et que les
membres du jury élus par elles peuvent se considérer comme inamovibles ? Est-il
déjà démontré que les chambres sont incapables de former à l’avenir un jury
non-permanent dont la composition échappe aux prévisions des élèves. En un mot, la permanence est-elle un vice inhérent
au mode même de composition du jury par les chambres ?
Cela ne nous paraît pas prouvé, et
tout ce que l’on a dit à cet égard ne sont encore que des suppositions. Car un
moyen propre à établir un roulement, que déjoue le calcul des élèves, a été
proposé par un de mes honorables amis, M. de Corswarem, et adopté par la
section centrale. La section centrale pense que la tâche des chambres se
trouvant ainsi simplifiée, et leur permettant de donner une attention plus
grande aux choix qui leur restent à faire, le but que l’on se propose, celui
d’arriver à une bonne composition du jury, se trouvera atteint. Or,
l’expérience seule pourra nous apprendre si cette opinion de la section
centrale est fondée.
D’ailleurs, si le moyen proposé
paraît insuffisant pour atteindre le but, que l’on prenne d’autres mesures, que
l’on impose d’autres conditions au mode de nomination par les chambres. Pour
moi, je suis décidé à adopter toutes les modifications, à appuyer tous les
amendements qui seraient reconnus propres à empêcher l’inamovibilité des
membres du jury nommés par les chambres. Tout ce que je désire, c’est qu’on ne
change pas le principe et qu’on ne prenne pas de résolution définitive, avant
qu’une deuxième expérience nous ait éclairés.
On a fait valoir encore, que dans un
jury chaque établissement devait être appelé à son tour à représenter les
sciences principales.
Il est vrai que le projet de la
section centrale ne remplit pas cette question, mais le projet du gouvernement
a été également critiqué sous ce rapport. Au surplus des hommes très compétents
sont loin d’être d’accord sur le point de savoir, s’il est de l’intérêt bien
entendu des bonnes études, de remplacer successivement dans un jury les
examinateurs d’une science principale quel que soit d’ailleurs leur mérite. Au
reste, on vous l’a déjà fait remarquer, messieurs, il s’agit ici d’une
innovation. Il n’existe pas de pays ou ce roulement ait lieu. C’est donc encore
ici l’expérience seule qui pourra nous indiquer quel sera, quant au roulement,
le mode définitif que plus tard il conviendra d’adopter.
Dans le rapport de la section
centrale nous trouvons aussi de motifs à l’appui de l’amendement de l’honorable
M. Cogels. « La principale objection du ministre contre l’intervention des
chambres, dit le rapport, est ce qu’il a appelé la permanence du jury. Mais
sous ce rapport, le système de 1835 n’est pas jugé, les leçons de l’expérience
peuvent conduire à le compléter, mais ce n’est point ici un motif pour le
détruire.
« Le système de 1835 ainsi
amendé, ne donnera-t-il plus lieu à aucune objection ? C’est ce que nous ne
prétendons point. On le sait, les objections sont communes à tous les systèmes,
mais nous croyons celui que nous recommandons comme préférable au projet qui
vous est soumis.
S’il en est ainsi pourquoi la section
centrale n’a-t-elle pas proposé de maintenir l’art. 42 de la loi ? Pourquoi
proposer d’admettre définitivement le système qu’elle préfère ?
Ainsi, messieurs, des observations
que nous venons de vous soumettre, il nous semble résulter, que le parti le
plus sage à prendre dans l’occurrence, c’est d’adopter un nouveau provisoire
qui ne préjudicie en rien à la décision que nous aurons à prendre, après qu’une
nouvelle expérience, de trois ou quatre années, nous aura fait connaître quel
sera le mode définitif à adopter.
Et à qui, je le demande, ce nouveau
délai pourrait-il porter préjudice ? M. le ministre de l’intérieur nous l’a dit
avec franchise : aucun acte spécial d’injustice n’a été reproché au jury ; les
élèves n’ont pas eu à se plaindre. Voilà pour les élèves. En ce qui concerne
les sciences mêmes, on vous l’a dit encore et c’est une vérité reconnue, jamais
les études n’ont été plus fortes en Belgique, que dans ce moment.
On pourrait donc sans aucun
inconvénient proroger le mode actuel de nomination de jury universitaire, saur
à réunir aujourd’hui nos efforts pour introduire dans la loi toutes les
améliorations dont elle paraît susceptible.
En conséquence je voterai pour
l’amendement de M. Cogels.
M.
Dumortier. - Messieurs, un événement grave vient de se
passer sur notre territoire. Les journaux du matin nous apprennent qu’une
violation de territoire a eu lieu dans
Messieurs, j’ai trop de confiance
dans le gouvernement français pour ne pas croire que de semblables violences
seront immédiatement désavouées, mais les représentants du peuple belge et son
gouvernement ont des devoirs à remplir en pareil cas.
Une loi d’extradition existe. C’est
au gouvernement à voir si la personne qui a été arrêtée se trouve dans l’un des
cas déterminés par cette loi, et par suite à accorder ou à refuser
l’extradition, mais nous ne pouvons tolérer une violation de territoire. Tout
en ayant confiance dans le gouvernement français, je viens demander à notre
gouvernement quelles mesures il a prises pour faire respecter le territoire
national.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, j’ai reçu un matin un rapport du procureur-général de la
cour d’appel de Gand, relativement au fait que vient de signaler l’honorable
préopinant.
Il y a deux jours, vers sept heures
du soir, quelques individus sont venus du territoire français sur le nôtre où
ils ont saisi, à 500 pas environ de la frontière, une personne qu’ils ont
garrottée et conduite sur le territoire français. La personne arrêtée est
Belge, elle a été paraît-il, condamnée en France à la peine de mort. Les
individus qui ont opéré l’arrestation ne portaient pas d’uniforme, je suis
convaincu qu’ils n’étaient pas des agents de l’autorité française ou du moins
qu’ils n’ont pas agi d’après les ordres de cette autorité.
Je me suis empressé de communiquer à
M. le ministre des affaires étrangères le rapport que j’avais reçu. Nous ferons
auprès du gouvernement français les démarches nécessaires pour que l’individu
arrêté chez nous en violation de notre territoire nous soit rendu, et nous ne
doutons pas un instant que les explications qui seront données par le
gouvernement français ne soient satisfaisantes, et ne donnent satisfaction à
notre juste réclamation.
M. de Theux. -
Messieurs, je ne doute pas que dans la circonstance présente, le gouvernement
français ne continue à suivre les principes qu’il a professés. Dans une
occasion analogue, lorsqu’il y a quelques années, des gendarmes français
avaient saisi sur le territoire français des déserteurs de l’armée belge.
A mon avis, il importe très peu qu’il
ait été saisi par des agents de l’autorité ou par de simples particuliers. Les
simples particuliers de la France n’ont pas plus de droit d’opérer une
arrestation en Belgique que les agents de l’autorité française. Je pense que
cette difficulté ne peut pas être sérieuse. On n’a qu’à se reporter au
rétroacte et invoquer les principes posés par le gouvernement français
lui-même. Je suis sûr qu’il les appliquera de réciprocité.
M.
le président - Je suis informé que les
funérailles de M. Peeters auront lieu à l’église de SS. Michel-et-Gudule. Les
voitures iront prendre les membres de la députation.
- La séance est levée à 4 1/2 heures.