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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 11
décembre 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions relatives à l’impôt sur le
sel (Donny, Rodenbach)
2) Projet
de loi relatif à l’impôt sur le sel. Motion d’ordre (Vilain XIIII, Mercier, Vilain XIIII)
2)
Projet de loi portant le budget des voies et moyens
pour l’exercice 1844. Discussion des articles. Banque de Belgique et société générale
(Zoude), droits de navigation et droits de pilotage du
port d’Ostende (Donny, Mercier, Donny, Mercier), contribution
foncière (Sigart, Mercier),
tarifs des douanes et commission d’enquête parlementaire « de Foere »
(Manilius, Mercier, Dechamps, Manilius, Desmet), droits de douanes avec le grand-duché de Luxembourg
et le Zollverein (de Garcia, d’Hoffschmidt,
de Garcia, Malou), impôt sur les
distilleries (Delfosse, Mercier,
Desmet, Delfosse, Rodenbach), aliénation de la forêt de Chiny (Delfosse, Mercier, Delfosse, Nothomb, d’Huart, Mercier, Pirmez,
Mercier, d’Elhoungne, Delfosse, de Garcia, Jadot, Rodenbach, Verhaegen, Mercier, Verhaegen), droits d’enregistrement et de greffe (Delfosse, Mercier, Malou, Delfosse, Mercier, Angillis, d’Huart), reprise par l’Etat de l’administration du canal
de Mons à Condé (+répartition du produit des barrières) (Lange,
Malou, Castiau)
(Moniteur
belge n°346, du 12 décembre 1843)
(Présidence de M. Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure 1/4.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en
est adoptée.
M. Huveners communique les pièces de la correspondance :
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Birck-Beuret, négociant à Liége, né à Eupen (Prusse), demande la
naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la
justice.
______________________
« La chambre de commerce de Mons
présente des observations contre la proposition faite par la section centrale
du budget des voies et moyens relativement à la reprise du canal de Mons à
Condé par l’Etat. »
- Renvoi à la section centrale du
budget des voies et moyens et dépôt sur le bureau pendant la discussion de ce
budget.
« La chambre de commerce d’Ostende
présente des observations contre la proposition de M. le ministre des finances,
d’imposer l’eau de mer à l’usage des raffineries de sel. »
- Sur la demande de M. Donny, la
chambre ordonne le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion
du projet de loi sur le sel.
______________________
« Quelques habitants de Stevaart demandent que la recette des contributions
directes et accises qui se trouve dans cette commune ne soit pas
supprimée. »
- Renvoi à la commission des
pétitions.
« Plusieurs fabricants de tabac
d’Anvers présentent des observations contre la disposition du projet de loi sur
le sel qui soumet à un droit d’accise le sel nécessaire à la fabrication de
leurs produits. »
- Sur la demande de M. Rodenbach, la
chambre ordonne le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion
du projet de loi sur le sel.
_____________________
M. de Brouckere informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la
séance.
- Pris pour notification.
M. Vilain XIIII - Messieurs, l’année dernière, la chambre a été saisie d’une pétition
des sauniers riverains, de l’Escaut cl des divers affluents de ce fleuve, qui
réclament contre un article du projet de loi sur sel, qui leur défend d’aller
puiser de l’eau de mer plus bas que Lillo. Ces sauniers ont affirmé que pendant
six mois de l’année, pendant les mois d’hiver, l’eau de mer qui arrive à la
hauteur de Lillo n’a pas 3 degrés. La chambre, l’année dernière, a renvoyé
cette pétition à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur
le sel, et, si je suis bien informé, la section centrale ne parle pas de cette
réclamation dans son rapport. Je n’ai pas été à même de vérifier la chose,
attendu que le rapport ne nous a pas encore été distribué. Quoi qu’il en soit,
devant cette affirmation de nombreux industriels très respectables, je
désirerais que M. le ministre des finances voulût bien, d’ici à l’époque où
nous discuterons le projet de loi, faire faire une enquête par les employés de
l’administration, afin de constater si, à la hauteur de Lillo, l’eau de mer a 3
degrés. Cette enquête sera extrêmement facile à faire, il suffira d’envoyer un
ou deux employés sur les lieux pour puiser de l’eau et la peser.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - La disposition dont vient de parler l’honorable membre, se trouvait
dans le projet de loi présenté par mon honorable prédécesseur Je suppose qu’on
ne l’y aura introduite qu’après avoir fait des expériences constatant que l’eau
de l’Escaut, à la hauteur de Lillo, avait réellement trois degrés. Cependant,
puisque des industriels affirment le contraire, je ferai faire de nouvelles
expériences, et je communiquerai à la section centrale les renseignements qui
me seront fournis sur cet objet. Du reste, la disposition dont il s’agit a été
introduite dans le projet par un double motif ; d’abord, parce que l’on
croyait, sans aucun doute, qu’à la hauteur de Lillo l’eau de l’Escaut a trois
degrés ; ensuite, parce que la surveillance de l’administration, qui est
possible a la hauteur de Lillo, devient très difficile plus bas.
M. Vilain XIIII. - Je répondrai, dans la discussion du fond, à la dernière assertion de
M. le ministre des finances, que la fraude serait plus facile si l’on allait
puiser de l’eau plus loin que Lillo. Pour le moment, je suis satisfait de
l’engagement pris par M. le ministre de faire faire une enquête.
Discussion
des articles
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion des articles du budget des
voies et moyens.
M. Zoude. - Dans la séance de samedi, j’avais demandé la parole pour répondre à
l’honorable M. Meeus ; vers 4 heures et 1/2, il y avait encore beaucoup
d’orateurs inscrits, et j’ai vu avec étonnement que la discussion générale
avait été close. L’honorable M. Meeus, dont je regrette de ne pas trouver le
discours au Moniteur, m’a accusé
d’être l’ennemi de l’industrie, en ce sens que je serais opposé à l’abaissement
du taux d’escompte ; il n’en est rien, le taux est diminué et diminuera,
j’espère, encore ; je n’ai attaqué que l’intention qui l’avait fait
baisser brusquement, et cette hostilité d’intention, j’espère la démontrer,
c’est pourquoi je demande que l’on veuille m’accorder la parole sur l’un des
articles du projet.
M. le président. - Vous pourrez prendre la parole quand nous en serons à l’article :
« Banque de Belgique. »
M. Donny. - Messieurs, dans la discussion générale, j’ai annoncé que, dans la
discussion des articles, j’aurais déposé un amendement. Je viens maintenant
proposer cet amendement et je demanderai qu’il soit renvoyé à la section
centrale afin qu’elle puisse encore faire son rapport avant la fin de la
discussion. Voici le texte de mon amendement :
« Il sera perçu un droit de fanal de 5 centimes par
tonneau, sur les navires se rendant d’un port belge à la mer, ou de la mer dans
un port belge.
« Seront exempts de ce droit,
les bâtiments de l’Etat ceux employés à la pêche, les yachts et les navires
d’agrément, ainsi que les bateaux à vapeur servant à la remorque (remorqueurs).
« Les droits de feu perçus au port d’Ostende
en vertu de l’arrêté du 1er février 1816, sont supprimés.
« Les droits de pilotage, sur les navires sortant du même port, sont
réduits aux deux tiers du tarif actuel. «
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Il me semble que ce sont là des dispositions qui pourraient occuper
la chambre pendant plusieurs séances. Je veux bien que l’amendement soit
imprimé, mais je préférerais qu’il fît l’objet d’une loi spéciale. S’il avait
été proposé il y a trois jours, on aurait eu le temps de l’examiner, mais le
budget des voies et moyens peut être voté aujourd’hui, et je regretterais que
la discussion en fût interrompue par une proposition qui pourrait donner lieu à
un long examen.
M. Donny. - C’est précisément pour que l’amendement fût examiné, que j’en ai
demandé le renvoi à la section centrale. Du reste quand on en viendra à la
discussion, l’on verra que la disposition n’est ni compliquée ni difficile. Il
s’agit d’abord de l’établissement d’un droit de fanal dans tous les ports ;
c’est à peu près la même chose que si l’on généralisait ce que la section
centrale a proposé. Il n’y a réellement de disposition nouvelle, en quelque
sorte, que celle qui regarde le pilotage. Quand la section centrale aura mon
amendement sous les yeux, elle verra si l’on doit en détacher un paragraphe
pour en faire l’objet d’une loi spéciale. Je n’ai pas demandé que l’on retardât
la discussion du budget des voies et moyens, je sens que cela n’est pas
possible, j’ai simplement demandé le renvoi de mon amendement à la section
centrale ; je n’ai pu faire ma proposition plus tôt, car ce matin seulement
j’en ai pu réunir tous les éléments.
M. le président. - Si j’ai bien compris M. le ministre des finances, il demande que la
chambre déclare qu’il n’y a pas lieu d’examiner la proposition de M. Donny, à
l’occasion du budget des voies et moyens.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne m’oppose pas à ce que la proposition soit renvoyée à la section
centrale, mais je voudrais qu’elle ne retardât en rien le vote du budget des
voies et moyens. Je pense que la section centrale elle-même, si elle adopte
l’amendement, croira devoir proposer d’en faire l’objet d’une loi spéciale.
M. le président. Je vais mettre aux voix le renvoi à la section centrale.
M. Malou, rapporteur. - Il faudrait d’abord demander si l’amendement est appuyé.
M. Donny. - Alors je devrais être admis à le développer.
M. le président. - Si vous désirez le développer, il faudra attendre que l’on en soit
arrivé à l’article qu’il concerne.
M. Donny. - Si l’on veut l’appuyer sans que je le développe, je n’insisterai pas
; je ne désire nullement faire perdre du temps à la chambre.
- L’amendement est appuyé.
M. le président. - Je mettrai maintenant aux voix le renvoi à la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Il est bien entendu que la discussion du budget des voies et moyens
ne sera, en aucun cas, entravée par cet amendement.
- Le renvoi à la section centrale est
mis aux voix et adopté.
M. le président. - Voici l’art. 1er du tableau annexé au budget :
Impôt foncier
« Principal : fr. 14,985,080
« 5 centimes additionnels
ordinaires, dont deux pour non-valeurs : fr. 749,254
« 10 centimes additionnels
extraordinaires : fr. 1,498,508
« 3 centimes additionnels
supplémentaires sur le tout : fr. 516,985
« Total : fr. 17,749,827 »
M. le président. - La section centrale d’accord avec M. le ministre des finances,
propose les chiffres suivants :
« Principal de la contribution
foncière : fr. 14,988,251
« 5 centimes additionnels
ordinaires, dont deux pour non-valeurs : fr. 749,413
« 10 centimes additionnels
extraordinaires : fr. 1,498,825
« 3 centimes additionnels
supplémentaires sur le tout : fr. 517,095
« Total : fr. 17,753,384 »
M. Sigart. - Messieurs, dans certains cas où il y a lieu à restitution du chef de
la contribution foncière, les réclamants sont souvent obligés à des démarches
dispendieuses et peu en rapport avec l’importance de l’objet réclamé. Ainsi,
par exemple, le chemin de fer enlève à un particulier une portion de son fonds
; le dégrèvement qui en résulte sur sa contribution foncière, ce dégrèvement
n’est pas immédiat ; il y a donc lieu à restitution. Eh bien, pour obtenir ce
dégrèvement, le contribuable est obligé de remplir une foule de formalités
onéreuses. Lorsqu’un individu réclame du chef d’une contribution foncière
inscrite au nom de son père décédé, il est obligé de se procurer un acte de
notoriété publique, attestant qu’il est le seul représentant de son père défunt
; il doit se munir d’un acte de décès et de je ne sais combien d’autres actes encore.
Je comprends très bien le
mérite de ces précautions lorsqu’il s’agit d’une somme importante. Lorsqu’il
s’agit de personnes connues de l’administration, et le plus ordinairement, il
s’agit de sommes minimes ; le plus souvent, le comptable connaît parfaitement
ce dont il demande la preuve.
Je crois que le gouvernement devrait
faire fléchir un peu la rigueur de ces instructions.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, lorsqu’il ne s’agit que du paiement de l’impôt, je crois
que l’intéressé peut s’entendre assez facilement avec le comptable ; mais
lorsqu’il est question d’établir définitivement la mutation, la chose est
différente ; alors il serait difficile de ne pas exiger l’accomplissement des
formalités dont il s’agit, car l’administration serait, en les négligeant,
exposée à inscrire indûment les propriétés d’un contribuable,
- Personne ne demandant plus la
parole, l’article foncier est mis aux voix et adopté.
Personnel
« Principal, fr. 7,841,000
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 784,100
« Ensemble : fr. 8,625,100. »
- Adopté.
Patentes
« Principal : fr. 2,545,455
« Additionnels
: fr. 254,545
« Ensemble
: fr. 2,800,000 »
- Adopté.
Redevances sur les mines
« Principal : fr. 156,000
« 10
centimes ordinaires pour non-valeurs : fr. 15,600
« 5
centimes pour frais de perception : fr. 8,580
« Ensemble
: fr. 180,180 »
- Adopté.
« Droits
d’entrée (16 cent. add.) :
fr. 10,500,000
« Droits
de sortie (id.) : fr. 400.000
« Droits
de transit (id.) : fr. 20,000
« Droits
de tonnage (id.) : fr. 450,000
« Timbres
: fr. 37,000
« Ensemble
: fr. 11,407,000 »
M. Manilius. - Messieurs, je
demande la parole pour faire une interpellation à MM. les ministres de
l’intérieur et des finances.
Il est
temps que nous sortions du dédale où nous sommes placés, quant à notre tarif
des douanes. Une multitude de modifications ont déjà été faites par la
législature. D’autres y ont été introduites par des arrêtés royaux que la
chambre doit encore ratifier. Nous avons, entre autres, un projet de loi
d’entrée qui a été présenté au commencement de la session dernière. Ce projet a
été qualifié, par M. le ministre de l’intérieur, de projet fiscal. Nous avons
encore l’arrêté du mois de juillet qui n’a pas encore et soumis à notre
ratification, et qui concerne les laines et les tissus de laine. Enfin, il
existe un projet sur les fontes. Je pourrais m’étendre sur les modifications
qui ont été faites au tarif général des douanes en 1836, en 1838 et même en
1830, immédiatement après la révolution.
Il est en
résulté que notre tarif est devenu un véritable dédale où il n’est plus
possible de se reconnaître.
Je
demanderai donc à MM. les ministres de l’intérieur et des finances si l’on veut
une bonne fois nous présenter un projet de tarif général des douanes ainsi que
des droits de tonnage, etc.
On me
dira peut-être : attendez l’enquête, toutes ces questions alors seront
examinées.
Mais je
demanderai ce que nous allons discuter à propos de l’enquête ; il n’y rien à
discuter dans l’enquête, à moins que l’on ne veuille discuter
contradictoirement les assertions des industriels et des chambres de commerce
qu’on a interrogés, irons-nous examiner si les industriels de Liége ont mieux
compris et résolu que ceux de Gand les questions qui leur ont été soumises ?
La
commission d’enquête a formulé, entre autres, un projet de loi pour la partie
commerciale. Ce projet de loi consacre le système des droits différentiels. Ce
projet est-il, oui ou non, accepté par le gouvernement ? Le gouvernement est-il
dans l’intention de nous en présenter un autre ?
Je désire
que MM. les ministres répondent à cette question, et je déclare formellement
que si cette réponse n’est pas satisfaisante, je voterai désormais contre tous
les budgets.
Il faut,
je le répète, que nous sortions au plus tôt du dédale de notre législation
douanière. Je défie l’avocat le plus raffiné de comprendre ce que notre tarif
de douanes prescrit de faire lorsqu’on a des opérations commerciales à
poursuivre a l’étranger.
Pourquoi nous en tenir à la loi générale de 1822, qui est rédigée dans
une langue qui n’est plus notre idiome aujourd’hui ? Pourquoi n’aurions-nous
pas notre loi générale ? Il y a 13 ans que vous existez, et vous n’avez pas
encore songé à vous faire un tarit général. La loi de 1822 n’était pas une loi
faite d’emblée ; c’était une loi faite d’après celle de 1816 ; on a reconnu,
après six années d’expérience, que cette dernière loi était susceptible de
modifications ; et chez nous aucun homme d’Etat, depuis la révolution, n’a
songé à doter le pays de quelque chose de raisonnable et de régulier sous ce
rapport.
Les
ministres disent aujourd’hui : Attendez l’enquête que vous ne tarderez pas à discuter.
Moi, je leur dirai de nouveau : Présentez votre projet de loi, et alors nous
connaîtrons vos intentions ; car vous vous êtes opposées à l’enquête que nous
avons ordonnée en dépit de vous. Je ne sais ce qui, dans mes paroles, peut
faire sourire M. le ministre des travaux publics.
Un membre. - Mais
il est un des auteurs de l’enquête.
M. Manilius. - Tant
mieux ; il aura pu apprendre de la bouche des intéressés combien il est urgent
de prendre les mesures que je réclame.
M. le ministre des finances (M. Mercier) -
Messieurs, l’honorable préopinant se plaint de la confusion qui règne dans les
dispositions relatives aux douanes. Il a parlé à la fois du tarif et de la loi
générale.
Quant au tarif, il peut laisser à désirer sous le rapport des droits qui
existent et qui pourraient être remplacés par d’autres ; mais là ne gît pas la
confusion, car nous avons des tarifs qui présentent très clairement l’ensemble
des droits tels qu’ils sont établis par les lois successives. Quant à la loi
générale, elle a été effectivement modifiée déjà plusieurs fois ; à une
interpellation qui m’a été adressée dans cette enceinte, j’ai déclaré que le
département des finances réunissait les éléments nécessaires pour en former une
nouvelle.
Une commission a été formée par les soins du
département de l’intérieur et de celui des finances pour l’examen de chaque
article du tarif. Le travail de cette commission n’est pas encore arrivé à un
point de maturité tel que l’on puisse dès à présent connaître les propositions
auxquelles il pourra donner lieu.
En ce qui concerne le système commercial, le gouvernement n’adopte pas
purement et simplement les propositions qui ont été faites par la commission
d’enquête. Lorsque sera venu le jour de la discussion, il soumettra ses vues à
la chambre ; il indiquera quelles sont les modifications qu’il croit utile
d’apporter à ce travail dans l’intérêt du commerce et de l’industrie.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - J’ai
été étonné d’entendre l’honorable M. Manilius accuser le ministère de s’être
opposé à la proposition de l’enquête commerciale, et d’être contraire aux idées
de protection modérée à l’égard du travail national.
J’ai été plus surpris encore de m’entendre interpeller personnellement,
tandis que chacun sait que j’ai été l’un des auteurs de la proposition tendant
à instituer une commission d’enquête dont j’ai fait partie depuis ; l’honorable
membre sait aussi bien que personne quelles sont les idées commerciales que
j’ai toujours défendues dans cette enceinte.
J’avais espéré que l’honorable M. Manilius, bien loin de faire la guerre
au ministère à ce point de vue, l’aurait encouragé pour être entré dans une
voie d’une prudente protection a l’égard de l’industrie.
L’honorable M. Castiau, dans la discussion
générale, au nom des principes qu’il défend, a, au contraire, reproché au
ministère d’adopter une ligne de conduite qu’il regarde, lui, comme étant
préjudiciable aux intérêts du pays, parce que cette ligne de conduite
s’éloigne des principes de la liberté
commerciale, et se rapproche plus des opinions qui ont été défendues dans cette
enceinte par les amis de l’honorable M. Manilius.
C’est le ministère, il ne faut pas
l’oublier, qui a pris l’arrêté du mois de juillet en faveur des tissus de
laine, et l’arrête en faveur des fontes ; c’est le ministère qui vous a déclaré
formellement dans le discours du Trône l’intention où il était de soumettre à
la chambre des propositions relatives aux conclusions de la commission
d’enquête. Aussi, ai-je eu lieu de m’étonner du ton que l’honorable préopinant
a employé dans les critiques un peu amères qu’il a adressées au ministère à ce
sujet.
M. Manilius. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Je dois répondre à l’imputation que
m’adresse M. le ministre des travaux publics. Je ne lui ai pas fait de
reproches, j’ai seulement exprimé des inquiétudes, j’ai émis des doutes sur la
question de savoir si le gouvernement adopterait les conclusions d’une partie
du rapport de la commission d’enquête. Si vous ne m’aviez pas interrompu, vous
ne vous seriez pas mépris sur mes paroles.
D’ailleurs, M. le ministre nous a dit
: vous aurez une discussion, nous examinerons ce qu’il conviendra de faire. Je
lui répondrai qu’il n’y aura pas de discussion possible, tant que le
gouvernement n’aura pas arrêté un projet de loi.
M. Desmet. - Si je comprends bien les instances de M. Manilius, c’est qu’il pense
utile de prendre au plus tôt des mesures pour assurer à notre industrie le
marché intérieur. Si vous voulez faire des traités de commerce, il faut que
vous ayez les moyens de les obtenir. Si vous conservez un tarif très large en
présence des tarifs prohibitifs des nations qui vous environnent, ces nations,
ayant tout ce qu’elles peuvent désirer, ne vous accorderont rien.
On ne peut pas dire que la misère
soit dans le pays ; ce qui manque en Belgique, c’est le travail ; une grande
partie de la classe ouvrière est, il est vrai, dans la misère, mais à qui la
faute ? Nous donnons du travail à l’étranger et nous n’en gardons pas pour nos
ouvriers. Nous avons fait une concession à l’Allemagne et nous n’avons rien
obtenu en retour, et il serait difficile d’indiquer ce que le Zollverein nous
donnera en retour. Le gouvernement a encore accordé gratuitement une concession
sur le chemin de fer à l’Allemagne
Le tarif de transport fait
dernièrement est en faveur de nos voisins, et il leur donne un avantage pour
concourir plus avantageusement avec nous. Si vous accordez ainsi, sans rien
stipuler, toutes les concessions que vous pouvez faire, vous ne pourrez jamais
rien obtenir. Ce n’est pas seulement sur les marchés lointains que nous devons
chercher des débouchés, mais bien sur le continent ; les droits différentiels
sont des moyens insuffisants ; il faut que notre tarif soit tel que nous ayons
des compensations à offrir aux nations auxquelles nous demanderons des traités
de commerce.
J’ai été enchanté d’entendre
M. le ministre dire que le gouvernement ne se bornerait pas aux mesures
proposées par la commission d’enquête, qu’il proposerait des moyens d’assurer
le marché intérieur. Je désire du moins qu’il le fasse, car le moment est
arrivé d’assurer à
M. de Garcia. - Je n’ai jamais été partisan des mesures prohibitives, non plus que
de la liberté entière du commerce, parce que je trouve l’un et l’autre système
nuisible à l’intérêt général. Mais comme le gouvernement l’a annoncé, il faut
protéger l’industrie du pays, par un tarif modéré calculé sur la valeur des
produits étrangers et la valeur des nôtres.
A propos de cette discussion, je dois
faire une interpellation au gouvernement à raison d’une loi qui blesse les
intérêts du pays, je veux parler de la loi portée en 1839 en faveur de la
partie cédée du Luxembourg. Cette loi établit des avantages au profit
d’industries étrangères au grand détriment de l’industrie belge et notamment
des quelques-unes établies dans la province que j’ai l’honneur de représenter.
Je conçois le sentiment qui a dicté
cette loi. C’est sous l’impression des sacrifices qu’on était sur le point de
consommer en faveur de frères qui avaient partagé les périls de la révolution
et qu’on allait abandonner. Je conçois qu’on l’ait votée alors, mais je ne
conçois pas qu’on la continue, que l’on continue à sacrifier les intérêts du
pays, en présence surtout de cette circonstance que les frères que nous avons
aidés sont plus heureux que nous, au point de vue des débouchés qu’ils ont
obtenu. Le Luxembourg cédé a le vaste marché de l’Allemagne, tandis que
Dans cet état, messieurs, ce n’est
pas sans étonnement que j’ai vu la réponse du gouvernement consignée dans le
rapport de la section centrale chargée de l’examen du budget des voies et
moyens.
La section centrale, pour satisfaire
au vœu de quatre sections à propos des droits d’entrée, adressa au gouvernement
diverses demandes, la troisième qui est la seule dont je veux m’occuper, était
la suivante :
« 3° S’il ne conviendrait pas de
faire retirer par une loi les avantages accordés à quelques industries du
grand-duché de Luxembourg, aujourd’hui que la position de ce pays est
changée. »
La réponse de M. le ministre des
finances à cette troisième question est ainsi conçue :
« Depuis la loi du 6 juin 1839, on
n’a cessé de poursuivre d’abord auprès du gouvernement grand-ducal et, plus
tard, auprès du Zollverein, des compensations plus grandes que la libre sortie
du minerai de fer du Grand-Duché permise à la destination de
« Il n’a pas perdu l’espoir de les
obtenir du Zollverein, avec lequel il est encore en négociation pour arriver à
un arrangement commercial dans lequel il serait tenu compte des concessions
résultant de la loi du 6 juin 1839.
« Il serait d’autant plus à regretter
que, dans cet état de choses, on retirât, sans plus attendre, les concessions
faites par la loi du 6 juin 1839, qu’on a en ce moment même l’espoir d’obtenir
de l’administration grand-ducale, pour l’approvisionnement du sel que le
Grand-Duché tire du dehors pour sa consommation, une disposition favorable à
Cette réponse consiste à vous dire
qu’on poursuit d’autres avantages auprès de tel ou de tel autre gouvernement,
qu’on n’a pas perdu tout espoir. Mais, que signifie, au fond, cette réponse
qu’on nous fait à tout instant et qu’on oppose à toutes les mesures qu’on
propose pour environner l’industrie nationale d’une protection sage et modérée
? Elle ne signifie autre chose qu’on ne fait rien et qu’on ne veut rien faire.
Ainsi, par cette considération
qu’on est en négociation avec le Zollverein, on maintient des lois qui nous
sont nuisibles. Ces arguments ne sont pas soutenables. Il faut que le
gouvernement, pour obtenir quelque chose du Zollverein, maintienne des
avantages que nous avons accordés, il faut le dire, par sensiblerie.
« On ne doit pas perdre de vue
d’ailleurs, que des intérêts belges sont engagés dans la question, en ce sens
que les établissements du Grand-Duché qui profitent des concessions de ]a loi du 6 juin 1839, sont en partie la propriété
d’industriels belges. »
C’est un privilège en faveur de
quelques propriétaires. On veut donner un privilège aux Belges qui ont des
propriétés dans le Grand-Duché, au préjudice de ceux qui ont des propriétés
dans le pays. Une pareille considération, il faut le dire, ne peut se
qualifier. Je demande au gouvernement de déclarer s’il a ou n’a pas l’intention
de rapporter cette loi. Sa déclaration guidera ma conduite.
M.
d’Hoffschmidt. - Il me semble que le moment est
assez mal choisi pour réclamer le retrait de la loi de 1839. L’honorable
préopinant vient de lire la réponse que le gouvernement a faite à la question
qui lui a été adressée à cet égard par la section centrale.
M. de Garcia. - Cette réponse ne me satisfait pas.
M.
d’Hoffschmidt. - La réponse du gouvernement ne
satisfait pas l’honorable membre, mais elle me paraît de nature à satisfaire la
chambre. Nous sommes en négociation avec le Zollverein, et c’est dans ce moment
que nous irions proposer le retrait d’une loi qui accorde certains avantages à
quelques industries du Grand-Duché, avantages qu’il ne faut pas s’exagérer
cependant, et qu’il faudrait mûrement peser s’il s’agissait de discuter le
retrait de la loi de 1839.
Cette loi a d’ailleurs été la cause
de quelques avantages accordés à
Mais il y a un autre motif plus
important qui fait que je trouve que ce n’est pas le moment de discuter la
question du retrait de la loi dont il s’agit. Nous sommes en négociation pour
un objet d’un intérêt très majeur pour la Belgique. Vous voyez par la réponse
du gouvernement, qu’il serait en effet occupé à négocier l’approvisionnement en
sel raffiné du grand duché de Luxembourg, par les industriels belges.
Autrefois, avant la séparation malheureuse dont le Luxembourg a été l’objet,
tout le grand-duché recevait son approvisionnement en sel raffiné de la
Belgique.
Mais quand la séparation a été
consommée, le gouvernement grand-ducal a établi une régie pour la vente au
profit de l’administration du sel et il a fait marché
avec une compagnie française pour l’approvisionnement du grand duché. Il est
possible que les négociations entamées amènent ce résultat, que l’arrangement
conclu avec les industriels français venant à cesser, les industriels belges
leur fussent substitués. Ce serait là un grand avantage pour
M. de Garcia. - L’honorable préopinant trouve
que le moment de s’occuper du retrait de la loi de 1839 n’est pas opportun, Je
ne sais pas quand le moment pourrait être plus opportun. Puisque c’est un moyen
d’augmenter le produit des recettes, et qu’il s’agit ici des droits d’entrée,
droits que la loi de
La réponse donnée à la section
centrale par le gouvernement, ne m’a nullement satisfait, et déjà j’en ai donne
les raisons. Depuis dix ans qu’on nous parle de négociations entamées, qu’on
nous berce d’illusions, qu’avons-nous pu obtenir de la France et de l’Allemagne
? Rien ; nous avons toujours fait des sacrifices, et nous n’avons rien obtenu
en retour.
Je ne comprends pas comment ou peut
se contenter de la déclaration donnée par le gouvernement sous ce rapport. Mais
que penser de ce qu’il dit dans la même réponse, que quelques-uns de ces
établissements appartiennent à des Belges ? Comment ! vous
établissez des privilèges au profit des établissements situés à l’étranger,
mais appartenant à des Belges et ce, au préjudice des établissements situés en
Belgique ! Un pareil système est intolérable d’après ces considérations.
Je ne peux admettre les raisons
données à la section centrale pour ne pas s’occuper du retrait de la loi du 6
juin 1839.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, la section centrale n’a pas délibéré sur le mérite des
réponses de M. le ministre, elle n’a pas admis les motifs donnés pour le
maintien de la loi. J’ai été frappé de cette circonstance que la loi est
temporaire (plusieurs voix. - Non ! non !), elle a été votée pour cinq ou six années (Non ! non !), elle est temporaire par
son texte ; st j’ai bonne mémoire, c’est du reste un point à vérifier.
Si la loi n’est pas temporaire, nous
aurons à examiner si nous voulons continuer au Zollverein, qui ne nous accorde
rien en retour, une concession de cette nature. Quant à moi, je ne le pense
pas.
J’ai été très étonné de voir invoquer
cette considération que des Belges seraient intéressés dans des industries
exercées dans le Grand-Duché ; on peut invoquer ce motif pour soutenir qu’il
faut favoriser toutes les industries étrangères. Je crois que cette mesure
léserait des industries qui se développeraient, si elle était retirée.
- L’article douanes est mis aux voix et adopté.
Droits de
consommation sur les boissons distillées
« Droits
de consommation sur les boissons distillées : fr. 965,000. »
M. Delfosse. - M. le ministre des finances a annoncé l’intention de retirer le projet
de loi sur les boissons distillées. Je désire avoir s’il a l’intention d’en
présenter un autre. Le gouvernement reconnaît, sans doute, que la loi en
vigueur est défectueuse, injuste. Il y a évidemment une grande injustice à
assujettir au même droit les grands et les petits débitants. Il faudrait une
répartition de l’impôt plus conforme aux principes d’équité. Je prie M. le
ministre des finances de nous dire ce qu’il se propose de faire. Je reconnais
que le projet de loi, qui avait été présenté, ne faisait pas disparaître les
plaintes qui ont été articulées dans un grand nombre de pétitions. Je ne blâme
donc pas le gouvernement de vouloir retirer ce projet, mais je pense que son
devoir est d’en présenter un autre.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - En effet, j’ai annoncé l’intention de retirer le projet de loi
présenté, parce que les réclamations portent sur la quotité du droit, qu’on
trouve trop élevé ; or, le projet de loi augmente celui qui est déterminé pour
quelques catégories, et ne le réduit pour aucune. C’est par ce motif que je
n’ai pas cru pouvoir l’appuyer.
Bien que je n’aie pas encore de
système arrêté sur cet objet, il ne fixera pas moins l’attention du
gouvernement. En reprochant à la loi actuelle d’avoir consacré une injustice
par l’établissement d’un droit uniforme, on semble avoir perdu de vue que les
auteurs de cette loi ont voulu faire cesser un grand nombre de débits, et
diminuer ainsi la consommation de ces boissons dangereuses.
M. Desmet. - J’ignore si l’honorable M. Delfosse a voulu attaquer le principe de
la loi ou seulement s’il désire une autre répartition dans l’assiette de cette
loi. S’il est opposé an principe de la loi, je ne puis partager son opinion,
car cette loi est basée sur des motifs de tempérance ; elle tend à diminuer la
consommation des boissons distillées ; et vous savez, messieurs, que c’est cela
que l’on a demandé depuis longtemps dans cette chambre ; car le principal
prétexte qu’on y a fait valoir pour majorer le droit sur la fabrication des
eaux-de-vie indigènes, a toujours été l’abus que l’on faisait dans la
consommation. C’est pourquoi je saisis cette occasion pour faire remarquer que
le produit des eaux-de-vie indigènes est diminué d’un million. Cela prouve
combien on a eu tort d’établir un droit aussi élevé sur la fabrication. On
pourra dire que cette diminution dans la fabrication du genièvre tient au prix
élevé des céréales, ou à tout autre motif ou prétexte ; je pense, au contraire,
qu’elle tient à la surélévation du droit établi à la fabrication. En voici la
preuve : Il y a peu de temps encore qu’en France, dans la partie du département
du Nord, qui est limitrophe de la Flandre occidentale, on ne fabriquait pas de
genièvre ; maintenant on en fabrique et on l’introduit dans le pays, par la Lys
; un homme placé sur chaque rive traîne les barriques qui sont au fond de
l’eau. Cela fait un tort considérable à nos distilleries, un tort tel que
beaucoup de distilleries ont dû cesser.
Si je parle en faveur de la
fabrication, ce n’est certainement pas pour augmenter la consommation du
genièvre, mais bien dans l’intérêt de l’agriculture. On veut défricher et
cultiver les bruyères ; pour cela le meilleur moyen, ce sont les distilleries,
l’engraissement du bétail. Pour engraisser le bétail, pour engraisser les
terres, il n’y a pas de meilleur moyen que les distilleries, Cependant, par
suite de l’élévation des droits, tous les jours les distilleries diminuent.
A voir les pétitions qui sont
adressées tous les jours à la chambre contre le droit de patente, on croirait
cet impôt contraire aux intérêts de la classe ouvrière. Mais l’on se trompe
fortement ; au contraire, tous ceux qui connaissent l’abus qui se fait dans la
consommation des liqueurs fortes c’est certainement dans les petits cabarets
qu’il se commet. J’ai toujours eu pour système, dans le loi des distilleries,
qu’il faille, autant que possible, avantager la fabrication des eaux-de-vie de
grain, et cela en faveur de l’agriculture et pour lutter plus aisément contre
la concurrence étrangère ; mais, d’un autre côté, en arrêter autant que
possible la consommation ; c’était là la but qu’a eu l’honorable M. d’Huart,
quand il a présenté cette loi ; je la trouve très morale ; je la considère
comme un bon moyen pour arrêter l’abus de la consommation de liqueurs fortes.
Je termine en demandant que le
gouvernement fixe son attention sur l’élévation du droit de fabrication, de
l’accise sur les eaux-de-vie indigènes. C’est en faveur de l’agriculture. Si
l’on ne fait pas droit à cette réclamation, on anéantit nos distilleries en
faveur des distilleries étrangères ; ainsi, au lieu de s’enivrer avec des
liqueurs belges, on s’enivrera avec des liqueurs hollandaises, françaises ou
prussiennes.
M. Delfosse. - L’honorable préopinant demande si je veux attaquer le principe de la
loi, ou seulement le mode de répartition de l’impôt. S’il m’avait écouté avec
attention, il saurait que je n’ai pas attaqué le principe de la loi. Je me suis
borné à demander une répartition plus conforme à l’équité. Il est peu
équitable, je le répète, de faire payer le même droit aux débitants qui font de
petits bénéfices et à ceux qui en font de grands.
Je n’en dirai pas davantage en ce
moment. Je prie M. le ministre des finances de ne pas trop tarder à examiner la
question. Depuis quelques années, un grand nombre de pétitions ont été
adressées aux chambres ; elles ont été envoyées au ministre des finances ; il
est du devoir du gouvernement d’y répondre ; il doit dire s’il les trouve
fondées ou non ; s’il les trouve fondées, il doit y donner satisfaction par la
présentation d’un projet de loi.
M. Rodenbach. - Je partage entièrement l’opinion de l’honorable M. Delfosse. Cette
loi n’a pas atteint son but. L’honorable M. d’Huart a cru l’atteindre ; il a
cru obtenir une diminution dans la consommation des boissons distillées.
M. d’Huart. - J’ai voulu obtenir un accroissement dans le produit de l’impôt.
M. Rodenbach. - Ce but, vous l’avez atteint, mais par des moyens injustes.
J’ose dire que cette loi est une des
plus injustes que nous ayons ; car, d’après cette loi, le petit débitant, qui
vend pour cent francs par an, paie aussi cher que celui qui vend pour 100,000
fr. Par cette loi, vous avez ruiné deux ou trois mille petits débitants ; vous
leur avez ôté leur pain.
Si, en établissant une échelle de
droits, vous maintenez des droits élevés, qu’en résultera-t-il ? qu’on vendra clandestinement le genièvre, parce que cette
consommation est dans nos mœurs, comme en Angleterre. Vous ne pourrez pas
l’empêcher. Si, au contraire, vous établissez un droit gradué, modéré, je suis
convaincu que cet impôt rapporterait plus de 900,000 fr. et qu’il pourrait
s’élever jusqu’à 1,200,000 fr. Je me suis, du reste,
entretenu de ceci, l’an dernier, avec l’honorable M. Mercier ; je sais qu’il
est, à cet égard, de mon avis.
- L’article droit de consommation sur les boissons distillées est mis aux vois
et adopté.
Accises
« Sel
(26 centimes additionnels) : fr. 4,000,000. »
« Vins
étrangers (id.) : fr. 1,950,000. »
« Eaux-de-vie
étrangères (sans addit.) : fr. 250,000. »
« Eaux-de-vie indigènes (sans addit.)
: fr. 3,900,000. »
« Bières
et vinaigres (26 centimes additionnels) : fr. 6,300,000
fr. »
« Sucres :
fr. 3,200,000 fr. »
« Timbres sur les quittances : fr. 1,225,000 »
« Timbres sur les permis de circulation : fr. 8,000 fr. »
« Ensemble : fr. 20,833,000. »
- Adopté.
Garanties
« Droits de marque des matières d’or et d’argent : fr.
150,000. »
- Adopté.
Recettes diverses
« Droits
d’entrepôts, y compris ceux de l’entrepôt d’Anvers : fr. 150,000 »
« Recettes
extraordinaires et accidentelles : fr. 10,000. »
« Ensemble
: fr. 160,000. »
- Adopté.
Enregistrement, domaines et
forêts
Droits
, additionnels et amendes y relatives
«
Enregistrement (30 p. c. additionnels) : fr. 11,000,000.
»
« Greffe
(30 centimes additionnels) : fr. 300,000. »
« Hypothèques
(26 centimes additionnels) : fr. 2,000,000. »
« Successions,
(30 centimes additionnels) : fr. 4,400,000 fr. »
« Timbres
(sans additionnels- : fr. 3,000,000 »
« Amende : fr. 150,000 »
« Ensemble : fr. 20,850,000. »
M. Delfosse. - Je prie M. le ministre des finances de vouloir bien nous dire s’il
est en mesure de donner des explications sur l’affaire de la forêt de Chiny,
dont j’ai eu l’honneur d’entretenir la chambre ans une précédente séance.
J’ai fait connaître à la chambre,
d’après des renseignements qui m’ont été donnés, que l’acte de vente de la
forêt de Chiny avait été enregistré en débet, j’ai ajouté que cette mesure
avait dû être prise sous le précédent ministère. L’honorable M. Smits m’a
répondu par une espèce de dénégation, il a dit qu’il n’avait aucune connaissance
du fait que je venais de signaler.
Je désire savoir de M. Mercier
ce qui s’est passé. Je prie M. le ministre des finances de répondre aux trois
questions suivantes :
- L’acte de vente de la forêt de
Chiny a-t-il été enregistré en débet ?
- A combien s’élève le droit qui
aurait dû être perçu ?
- Par qui cette mesure a-t-elle été
prise ?
Il est bon que le pays et la chambre
sachent si la loi a été violée, et par qui elle l’a été.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - II est vrai, messieurs, que cet acte a été enregistré en débet, par
suite des embarras dans lesquels se trouvaient alors les redevables. Je ne me
rappelle pas dans ce moment celui de mes prédécesseurs qui a accordé un délai
pour le paiement des droits ; mais je crois que lorsque l’honorable M. Smits a
paru, dans une précédent séance ne pas se rappeler cette affaire, il a confondu
cette affaire avec une autre qui se rapportait également à la forêt de Chiny,
et dans laquelle il n’était pas intervenu.
Du reste, je ne me rappelle pas si
c’est l’honorable M. de Briey ou l’honorable M. Smits qui a autorisé
l’enregistrement en débet.
Quant à la quotité du droit, je ne me
la rappelle pas non plus ; mais ce que je puis assurer, c’est que depuis le
mois d’août, j’ai donné des ordres pour que le recouvrement de ce droit soit
perçu, et que j’ai lieu d’espérer que la recette en sera faite dans un temps
qui n’est éloigné.
M. Delfosse. - M. le ministre des finances n’était pas en mesure de me donner les
explications que j’ai réclamées, j’attendrai à une prochaine séance ; j’espère
que M. le ministre se mettra en mesure de me les donner.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande la parole.
M. Delfosse. - Je céderai volontiers la parole à M. le ministre de l’intérieur, si
c’est sur l’incident qu’il veut parler ; mais je me réserve le droit de parler
sur l’article enregistrement.
M. le ministre de l’intérieur
(M. Nothomb) - Je ne connais pas assez ces sortes
de question pour entrer dans des détails. Je dirai seulement ce que mon ancien
collègue, l’honorable M. Smits, m’a prié de dire à la chambre. Il a beaucoup
regretté de ne pas trouver l’occasion de rectifier la réponse qu’il avait faite
à l’honorable M. Delfosse. Il a confondu deux choses : l’arrangement primitif
et la mesure subséquente, relative à l‘enregistrement en débet moyennant
caution. (Interruption.)
Je le répète, l’honorable M.
Smits a pensé qu’il était question de l’arrangement primitif ; il a dit que cet
acte ne concernait pas son administration, et il disait vrai, mais quant à
l’enregistrement en débet, il a reconnu, après avoir examiné le dossier, que
cet acte se rapportait à son administration. Il a accordé l’enregistrement en
débet moyennant caution, ce qui, m’a-t-il assuré, s’est fait en d’autres
occasions.
Du reste, M. le ministre des finances
se réserve d’examiner l’affaire de plus près ; je tenais seulement à ce que la
chambre sût qu’il y avait eu confusion de la part de l’honorable M. Smits,
oubli si l’on veut, mais bonne foi.
M. Delfosse. - Je ne donnerai en ce moment aucune suite à mes interpellations ;
j’attendrai les explications de M. le ministre des finances.
M. d’Huart. - Messieurs, l’honorable M. Smits ayant fait connaître que l’acte
relatif à la vente de la forêt de Chiny est antérieur à son administration et
M. le ministre des finances n’ayant point indiqué l’époque à laquelle remontent
les faits dont on a parlé, je tiens à déclarer qu’ils sont postérieurs à 1839.
Lorsque j’étais à la tête du
département des finances, l’administration des domaines s’est trouvée en procès
avec la personne qui avait acheté la forêt de Chiny. Cette personne était
extrêmement en retard de payer ce qu’elle devait du prix et, comme aux termes
du contrat elle pouvait encourir la déchéance de son acquisition, j’ai fait
réclamer activement devant les tribunaux la déclaration de cette déchéance,
parce que j’ai pensé qu’il était du devoir du gouvernement de chercher à
rentrer dans la propriété de ce domaine, reprise qui ne pouvait être que très
favorable à l’Etat ; l’acquéreur n’était d’ailleurs nullement en mesure de
payer sa dette, quoiqu’il eût usé et abusé largement de la jouissance de cette
acquisition, en faisant à son profit des coupes de bois considérables. Je ne me
rappelle pas exactement si, lorsque j’ai quitté le département des finances,
les derniers arrêts des cours étaient intervenus et si le gouvernement avait
irrévocablement recouvré la propriété de la forêt de Chiny. Je ne sais si on a
pu vendre de nouveau la forêt, ou transiger et relever de la déchéance la
personne qui était premier acquéreur ; quoiqu’il en soit, je tenais à ce qu’il
ne demeurât aucun doute que mon administration avait été étrangère aux faits
sur lesquels l’honorable M. Delfosse a demandé des explications.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je crois qu’il ne s’agit, dans la question qui
est agitée en ce moment que des droits enregistrés en débet. M. le ministre de
l’intérieur vous a dit seulement que l’honorable M. Smits avait cru qu’il
s’agissait d’un autre objet auquel il était étranger.
Du reste, une transaction est
intervenue entre le gouvernement et l’acquéreur, qui, ainsi qu’on vous l’a fait
observer, avait largement usé de son droit de propriété. C’est ce qui est
arrivé pour plusieurs ventes domaniales faites sous l’ancien gouvernement ; les
acquéreurs ont exploité les forêts, vendu la superficie, sans avoir acquitté le
prix de vente. Les acquéreurs du bien dont il s’agit, en avaient fait de même.
Le gouvernement a pris, en 1840, avec ces acquéreurs, un arrangement en vertu
duquel ils ont payé le prix du bien, et ces paiements sont maintenant presque
entièrement effectués.
M. Pirmez. - Je ne conçois pas comment les acquéreurs du domaine de Chiny ont pu
couper la forêt, alors qu’ils n’avaient pas rempli les conditions de leur
contrat. Il me semble que le gouvernement avait le droit et le pouvoir de s’y
opposer. Les conditions de ventes des bois domaniaux lui donnaient, à cet
égard, toute la force dont il avait besoin,
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, les droits d’enregistrement dont il s’agit sont relatifs à
l’arrangement intervenu, et non à l’acte d’acquisition première. Quant à ces
coupes dont parle l’honorable M. Pirmez, il s’agit de coupes faites avant 1830.
Malheureusement cela a eu lieu sur de vastes domaines, et dans ce moment encore
nous avons des affaires de la plus haute importance avec certains acquéreurs
qui avaient aussi largement exploité leurs acquisitions. Et voici ce qu’il y a
de fâcheux : ces acquéreurs devaient fournir des cautions ; mais ces cautions
avaient été estimées à deux et trois fois leur valeur, et quand, depuis 1830,
il a été question de recourir à ces cautions, elles ont été trouvées
insuffisantes.
M. d’Elhoungne. -
Messieurs, par un hasard assez singulier, je me trouve en mesure de fournir les
explications qui ont été demandées par l’honorable M. Delfosse relativement à
l’enregistrement du prix de vente de la forêt de Chiny.
Il y a eu deux opérations distinctes.
D’abord l’acquéreur qui, sous l’ancien gouvernement, avait acheté cette forêt,
s’étant trouvé dans le cas d’encourir la déchéance, il est intervenu entre lui
et le gouvernement une transaction, par laquelle celui-ci a reçu la totalité du
prix d’achat qui restait à payer.
Quelque temps après, cette forêt a
été revendue ; mais la revente dépendait du délai qu’on aurait pu obtenir pour
payer les droits d’enregistrement. C’est alors que les nouveaux acquéreurs se
sont rendus chez M. le ministre des finances et lui ont exposé que, s’ils
obtenaient du temps pour payer les droits d’enregistrement, et cela avec toutes
les garanties désirables, le contrat se ferait et le gouvernement aurait à
recevoir ainsi la somme considérable de 192,000 fr, de droits d’enregistrement.
M. le ministre des finances a accédé
à cette proposition ; il a accordé un terme pour acquitter les droits
d’enregistrement moyennant la garantie de l’immeuble, d’abord, laquelle était
de plusieurs millions et ensuite moyennant un cautionnement personnel à sa
satisfaction. De plus, il a été entendu qu’il serait payé à l’Etat un intérêt
sur les droits d’enregistrement dus.
Je pense donc que cette
opération était dans les intérêts du trésor, et que l’honorable M. Delfosse
aura, à cet égard, tous ses apaisements ; d’autant plus que le ministre des
finances, en vertu de la loi de frimaire sur l’enregistrement est
personnellement responsable de l’acte qu’il a posé.
Ainsi, à tous égards, immobilièrement par la forêt de Chiny, personnellement par
les cautions qui se sont constituées, et finalement par la responsabilité du
ministre des finances qui a pris la résolution, l’Etat se trouve parfaitement à
couvert.
M. Delfosse. - Si M. le ministre des finances accepte les renseignements qui
viennent d’être donnés, s’il les croit exacts, je m’expliquerai à l’instant
même sur le fait reproché à son prédécesseur. Si M. le ministre des finances
n’est pas sûr de l’exactitude de ces renseignements, j’attendrai.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Ces renseignements sont exacts.
M. Delfosse. - M. le ministre des finances paraît garantir l’exactitude des
explications données par l’honorable M. d’Elhoungne. Il résulte de ces explications
que j’ai été dans le vrai lorsque j’ai attribué la mesure dont il est question
au précédent ministre des finances. L’honorable M. Smits avait d’abord déclaré
qu’il était étranger à cette mesure, qu’il n’en avait aucune espèce de
connaissance. M. le ministre de l’intérieur, au nom de cet honorable membre,
vient de dire qu’il y avait eu erreur de sa part, qu’il avait cru comprendre
qu’il s’agissait d’une autre opération, et non pas de l’enregistrement en débet
de l’acte de vente. Cependant, je m’étais expliqué fort clairement. C’était
bien la mesure par suite de laquelle l’acte de vente de la forêt de Chiny avait
été enregistré en débet, et non un autre acte, que j’avais signalé ; je ne
comprends donc pas l’erreur de l’honorable M. Smits.
Quoi qu’il en soit, puisqu’il
reconnaît que c’est par lui que la mesure a été prise, tout est dit.
Maintenant, dois-je me contenter de
l’explication donnée par l’honorable M. d’Elhoungne ? Cet honorable membre
paraît nous dire qu’il y a eu là un acte de bonne administration. Messieurs, je
ne puis voir dans cet acte qu’une violation de la loi, et je crois qu’il est en
même temps un précédent très dangereux.
Pourquoi, nous dit l’honorable M.
d’Elhoungne, M. le ministre des finances a-t-il cru devoir autoriser l’enregistrement
en débet ? en d’autres termes, pourquoi a-t-il cru devoir accorder un terme
pour le payement des droits d’enregistrement ? Parce que les acquéreurs
menaçaient de ne pas acquérir, si on ne leur accordait de délai pour le
paiement des droits d’enregistrement.
Messieurs, s’il suffit, pour obtenir
des délais, de menacer de ne pas acquérir, si l’on déclare, dans cette
enceinte, que c’est là un motif plausible, tous ceux qui doivent acquérir ne
manqueront pas de d’adresser les mêmes menaces à M. le ministre des finances,
et la loi qui veut que le payement des droits s’effectue au moment de
l’enregistrement, ne sera jamais exécutée.
L’honorable M. d’Elhoungne dit que M.
le ministre des finances serait personnellement responsable. C’est là une
responsabilité dont je ne me contente pas, parce que les sommes à payer pour
droits d’enregistrement sont quelquefois tellement considérables, que cette
responsabilité pourrait être illusoire. Un ministre des finances, sous prétexte
qu’il est responsable, pourrait causer à l’Etat de grandes pertes dont il ne
pourrait l’indemniser ; sa fortune n’y suffirait pas.
Il n’y a pas seulement eu ici,
messieurs, violation de la loi de frimaire, il y a eu violation de la
constitution. La constitution prescrit formellement qu’il ne soit pas accordé
de privilège en matière d’impôts. Si vous accordez des délais, deux ou trois
ans, pour le paiement des droits d’enregistrement, il y a privilège en matière
d’impôt, il y a violation de la constitution.
Un fait dont on ne vous a pas parlé,
messieurs, et qui m’a été affirmé par la personne dont je tiens mes
renseignements, c’est qu’on est en ce moment en procès pour le paiement des
droits. Vous voyez, messieurs, que la mesure prise par M. le ministre des
finances cause un préjudice au trésor, puisque l’Etat est en ce moment obligé
de soutenir un procès pour obtenir le paiement des droits, tandis que, si la
mesure n’avait pas été prise, les droits auraient été payés à l’instant même où
l’acte a été enregistré ; voilà encore un point sur lequel on ne s’est pas
expliqué. Je persiste à soutenir que le ministre des finances précédent a violé
la loi et la constitution, et que rien ne peut l’excuser.
M. de Garcia. - Messieurs, on a signalé un fait que l’on a prétendu constituer une
violation de la loi, une violation de la constitution ; ce fait consiste dans
un enregistrement en débet. On sait, messieurs, ce que c’est que
l’enregistrement en débet ; c’est un délai accorde pour le payement de
l’enregistrement. Messieurs, cette question est fort délicate. Qui peut
ignorer, par exemple, qu’il est d’usage que, pour les payements des droits de
succession, le ministre des finances accorde souvent des délais ? Quel est le
ministre des finances qui n’en a pas agi de la sorte ? Pourtant les lois sur la
matière fixent des délais dans lesquels doivent s’effectuer le payement de ces
droits. Prenons-y garde ; si nous posons, à cet égard, des principes trop
sévères, trop rigoureux, nous obligerons peut-être le département des finances
à employer des mesures de rigueur, des vexations vis-à-vis des contribuables.
Quant à moi, je suis complètement
satisfait des explications données par l’honorable M. d’Elhoungne sur le fait
particulier qui nous occupe. Il me paraît que, lorsque le gouvernement prend
toutes garanties possibles, lorsqu’aux termes de la loi de frimaire, il est
personnellement responsable, il ne pose point un fait constituent une violation
de la loi ni surtout une violation de la constitution. Je le répète, messieurs,
je ne veux pas par une rigueur extrême, obliger, en quelque sorte, le
département des finances à vexer les contribuables. Il faut nécessairement
qu’il fasse rentrer les deniers de l’Etat, mais il faut bien lui laisser, à cet
égard, un peu de liberté.
Quant à moi, messieurs, peu
m’importe la question de savoir quel est le ministre qui a posé l’acte dont il
s’agit ; certainement, si ce fait présentait à l’évidence une violation de la
loi ou de la constitution, je le déclare, je serais le premier à en demander réparation
; je regarderais cela comme un grief des plus sérieux ; mais, à mes yeux, le
fait qui nous est signalé ne porte pas le caractère qu’on veut lui donner. D’un
autre côté, je ne veux pas, par une sévérité outrée contre la conduite du
gouvernement dans la perception des impôts, l’obliger à exiger immédiatement et
sans ménagement tout ce qui peut être dû à l’Etat. Si les intérêts du trésor
avaient été lésés, je serais le premier à élever ma voix contre le délai qui a
été accordé aux auteurs de la transaction relative à la forêt de Chiny. Je n’en
dirai pas davantage ; je prierai seulement la chambre d’envisager le principe
bien plutôt que le fait.
M. Jadot. - Je ne me proposais pas de prendre part à la discussion, mais ce que vient
de dire l’honorable préopinant me détermine à faire remarquer à la chambre que
la loi du 22 frimaire défend de suspendre le recouvrement des droits et des
amendes, qu’elle désigne les actes qui peuvent être enregistrés en débet, mais
que ceux dont il s’agit ici ne sont pas de ce nombre ; ainsi dans ce cas, le
ministre a violé la loi.
M. Rodenbach. - Je n’entrerai pas dans la question de principe, mais je dirai que
j’ai été frappé du fait qui nous est signalé. Voilà un ou deux ans que
l’acquéreur de la forêt de Chiny aurait dû payer à l’Etat 190,000 fr.. ; eh bien, c’est une somme
d’environ 8,000 fr. par an qu’il enlève à l’Etat, par les intérêts. Il me
semble que, lorsque nous faisons des emprunts, lorsque nous levons des capitaux
dont nous payons les intérêts, le gouvernement devrait bien faire rentrer les
sommes qui sont dues au trésor.
M. Verhaegen. - Il me semble, messieurs, que, lorsque des interpellations sont
faites, le gouvernement doit y répondre. Depuis quelque temps on est dans
l’habitude d’écouter les interpellations et de ne point y répondre. La même
chose arrive encore en ce moment ; mon honorable ami M. Delfosse vient de faire
une observation décisive ; il vient de dire que, d’après les renseignements
qu’il a reçus, il y aurait maintenant une contestation élevée par le nouvel
acquéreur de la forêt dont il s’agit. Eh bien, messieurs, ce fait est capital,
et il faut, à cet égard, une réponse catégorique de la part du gouvernement. Si
cette contestation existe, alors tous les moyens que l’on a fait valoir pour
légitimer ce qui a été fait, s’écroulent par cette seule circonstance ; ce
n’est plus alors un simple délai qui a été accordé ; mais le gouvernement s’est
mis à découvert vis-à-vis du nouvel acquéreur ; il lui a fourni l’occasion de
contester, car, s’il avait fait ce que la loi voulait qu’il fît, il aurait
perçu le droit immédiatement, et alors la contestation élevée par le nouvel
acquéreur n’eût pu porter préjudice à l’Etat. Il faut avouer, messieurs, que,
depuis que ce fait nous a été révélé, la position est tout à fait différente de
ce que nous croyions d’abord qu’elle était.
Je prie le gouvernement de
répondre à l’interpellation directe qui lui a été faite par mon honorable ami
M. Delfosse.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je pense que le gouvernement a répondu à l’interpellation de
l’honorable M. Delfosse autant qu’il était en lui de le faire ; tout en annonçant
que je ne me rappelais pas le chiffre, j’ai répondu catégoriquement sur la
question de fait. Quant à la nouvelle interpellation de cet honorable orateur,
je dirai qu’en effet il y a contestation, et qu’un tribunal, celui de
Charleroy, a déclaré la vente nulle. Sans pouvoir rien préjuger sur les suites
ultérieures de la contestation, je dirai que le gouvernement persiste à
poursuivre le recouvrement des droits.
M. Verhaegen - Ainsi, messieurs, la validité de la vente serait contestée et un
tribunal aurait prononcé la nullité de cette vente. Eh bien, d’après cette
explication, il est évident que le gouvernement a eu tort de ne pas percevoir
immédiatement les droits. Comme le dit fort bien l’honorable M. Jadot, la loi de
frimaire détermine les cas où un délai peut être accordé ; hors de ces cas le
gouvernement n’a pas le droit d’autoriser l’enregistrement en débet. Le
gouvernement ne devait pas se mettre à découvert pour l’éventualité qui vient
de se réaliser, une demande en nullité est levée contre la vente. Maintenant
l’Etat fait une perte réelle il est forcé de plaider, et, comme on l’a fait
observer tout à l’heure, il perd l’intérêt de la somme qu’il aurait dû
recevoir. Les faits étant ainsi posés, je pense, messieurs, que l’honorable M.
de Garcia sera maintenant d’accord avec mon honorable M. Delfosse, pour
reconnaître que le gouvernement a excédé ses pouvoirs, qu’il a violé la lot et la constitution.
M. le président. - Personne ne demandant plus la parole sur l’incident, nous passerons
à la discussion de l’article.
M. Delfosse. - Messieurs, l’année dernière le gouvernement a proposé à la chambre
de voter des centimes additionnes supplémentaires, non seulement aux droits
d’enregistrement, de greffe et de succession dont nous avons à nous occuper en
ce moment, mais encore à l’impôt foncier, à l’impôt personnel et à l’impôt des
patentes. Ces centimes additionnels étaient proposés dans le but de combler le
déficit, qui n’était pas si considérable qu’il l’est cette année.
Les nouveaux centimes additionnels à
la contribution foncière, à la contribution personnelle et au droit de patente
ont été rejetés par la chambre à l’unanimité, moins les quatre voix de MM. les
ministres, chose inouïe dans les fastes parlementaires, MM. les ministres se
sont trouvés dans un isolement complet sur ce point.
Ils ont été plus heureux en ce qui
concerne les 4 centimes additionnels proposés aux droits d’enregistrement, de
greffe et de succession, ces centimes extraordinaires ont été admis à une assez
faible majorité, si mes souvenirs sont fidèles, mais il était bien entendu
qu’ils n’étaient votés que pour une année ; la section centrale, avait fait à
cet égard une réserve formelle, dans le rapport ; elle avait dit qu’elle
n’entendait proposer à la chambre le vote des centimes additionnels
extraordinaires, que pour une année ; c’était une augmentation qui ne devait
être que temporaire, qui devait cesser à l’expiration de l’année 1843.
L’honorable M. Mercier, aujourd’hui
ministre des finances, ne faisait pas partie de la majorité, qui a voté les 4
centimes additionnels aux droits d’enregistrement, de greffe et de succession ;
aujourd’hui cependant il vient proposer à la chambre de continuer pour l’exercice
1844, et même pour les exercices suivants (car ce n’est plus temporairement
qu’il les demande) de continuer pour l’avenir, d’une manière permanente les 4
centimes additionnels extraordinaires votés l’année dernière sur les droits
d’enregistrement, de greffe et de succession. Quelle raison nous donnera-t-on à
l’appui de cette proposition ? On n’en donne aucune, si ce n’est qu’il y a un
déficit à combler.
Mais, messieurs, si cette raison est
bonne, M. le ministre des finances aurait dû reproduire aussi la proposition
qui avait été faite l’année dernière, de voter également de nouveaux centimes
additionnels à la contribution foncière, à la contribution personnelle et au
droit de patente. Ces centimes additionnels seraient tout aussi utiles pour
combler le déficit que les 4 centimes additionnels aux droits d’enregistrement,
de greffe et de succession. Pourquoi donc reproduit-on ces derniers, alors
qu’on ne reproduit pas les autres ? On me dira : « Mais c’est que l’année
dernière la chambre a rejeté les centimes additionnels à l’impôt foncier, à la
contribution personnelle et au droit de patente. » Je répondrai la chambre
n’avait voté les 4 centimes additionnels aux droits d’enregistrement, de greffe
et de succession, que pour une année, et vous allez, par conséquent, contre le
vœu de la chambre, en reproduisant ces 4 centimes additionnels, tout aussi bien
que vous iriez contre le vœu de la chambre en reproduisant les autres. »
Si vous voulez combler le déficit à
l’aide de centimes additionnels, soyez conséquents : comblez-le tout à
fait ; si vous voulez avoir recours à des impôts d’une autre nature, alors ne
faites pas une exception en ce qui concerne les droits d’enregistrement et de
greffe. Cette exception, vous ne pourrez pas la motiver.
Le droit d’enregistrement est un
droit élevé, d’autant plus élevé qu’il porte sur le capital ; l’impôt foncier
ne porte que sur le revenu. Par cela seul que le droit d’enregistrement porte
sur le capital, il est plus onéreux que tout autre ; eh bien, ce droit qui est,
de sa nature, plus onéreux, était déjà chargé de 26 centimes additionnels.
L’impôt foncier n’est chargé que de 18 centimes additionnels, l’impôt personnel
et l’impôt des patentes, que de 10.
Il y a encore une autre raison pour
ne pas adopter la proposition du ministre.
Non seulement le droit
d’enregistrement pèse sur le capital, au lieu de peser sur le revenu, mais il
pèse sur celui qui est dans le besoin. Celui qui est obligé d’aliéner ses
propriétés se trouve ordinairement dans le besoin : c’est parce qu’il est dans
le besoin qu’il aliène ses propriétés. Lorsque le droit d’enregistrement est
élevé, l’acquéreur donne un prix moins considérable, l’acquéreur fait entrer
dans ses calculs la quotité du droit d’enregistrement qu’il doit payer. Ce
droit pèse en définitive sur celui qui vend et non sur celui qui achète, c’est
le pauvre qu’il frappe.
Je proposerai donc à la chambre de
réduire les centimes additionnels sur les droits d’enregistrement et de greffe
à 26.
Je ne fais plus la même proposition
pour les droits de succession parce que je reconnais que celui qui est appelé à
recueillir une succession en ligne collatéral, et à plus forte raison lorsqu’il
n’est pas parent du défunt, peut très bien supporter un droit plus fort, il est
assez heureux de la succession qu’il recueille.
Je borne donc ma proposition aux
droits d’enregistrement et de greffe. Je désire d’autant plus que la chambre
adopte ma proposition que, s’il en résulte une diminution dans les recettes, ce
sera une raison pour que la chambre entre sérieusement dans la voie des
économies.
Je dois en outre faire remarquer que,
d’après les propositions de la section centrale, le déficit sera moins
considérable que M. le ministre des finances l’avait indiqué. Les augmentations
des voies et moyens qui résultent des propositions de la section centrale
compenseront jusqu’à un certain point la diminution de recettes qui sera la
conséquence de l’adoption de mon amendement.
Si cette compensation n’est pas
suffisante, M. le ministre des finances qui nous a annoncé la présentation
prochaine de quelques lois destinées à augmenter les recettes de l’Etat,
trouvera, je l’espère, dans les ressources de son esprit financier, les moyens
de dédommager le trésor public de la légère perte qui résultera pour lui de
l’adoption de mon amendement.
M. le président. - Voici l’amendement proposé par M. Delfosse :
« Je propose de réduire à 26 les
centimes additionnels sur les droits d’enregistrement et de greffe. »
- L’amendement est appuyé.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, l’honorable membre a fait d’abord un raisonnement que je
ne puis pas admettre.
Le gouvernement, dit-il, a proposé
l’année dernière des centimes additionnels sur différentes contributions
directes, en même temps qu’il en a proposé sur l’enregistrement ; et, si
j’admets les centimes votés sur l’enregistrement, il faut nécessairement, selon
lui, que j’admette aussi ceux proposés sur les contributions directes.
Ce raisonnement, messieurs, est
d’autant plus défectueux que la chambre a faite elle-même entre ces deux
propositions une distinction essentielle que je reproduis aujourd’hui. Je
conserve les centimes additionnels que la chambre a votés, et je ne propose pas
le rétablissement de ceux qu’elle a rejetés.
Mais, dit l’honorable préopinant, la
chambre n’a entendu voter ces centimes additionnels que pour une année. Je
ferai remarquer d’abord que cela n’est dit nulle part d’une manière explicite,
et je dirai ensuite que le gouvernement, en proposant pour la première fois ces
centimes additionnels, entendait qu’ils fussent accordés d’une manière
permanente, puisqu’il voulait en faire une ressource pour augmenter les
traitements des membres de l’ordre judiciaire. C’est ainsi que, plus tard, ils
ont été compris dans le budget des voies et moyens.
L’honorable orateur m’a mis en cause.
Il a dit que je n’avais pas fait partie de la majorité qui a voté ces centimes
additionnels. C’est vrai, mais je n’ai pas non plus fait partie de la minorité
qui les a rejetés, je me suis abstenu par le motif que j’ai déjà fait connaître
; et puisque j’ai pris la ferme résolution de présenter à la chambre d’autres
voies et moyens pour assurer, améliorer le sort de la magistrature, ainsi que
je l’ai annoncé dans le discours que j’ai prononcé à l’appui de la présentation
des budgets, je me suis cru en droit de conserver ces centimes additionnels,
sinon comme un produit permanent, du moins comme une ressource à maintenir en
1844, afin de concourir au rétablissement de l’équilibre.
Je conviens, avec l’honorable membre,
qu’il y a des améliorations à apporter à notre système des finances. Mais la
première et la plus urgente des améliorations, c’est d’établir d’abord la
balance entre nos recettes et nos dépenses, sauf à voir ensuite comment on
pourra réaliser cette amélioration. Mais commencer encore une fois par démolir,
c’est-à-dire, par diminuer nos ressources actuelles avant d’en avoir créé de
nouvelles, ce serait une grande imprudence. Sans m’attacher à combattre
certains arguments qui ont été présentés par l’honorable membre, je dirai que,
pour le moment, nos besoins sont tels que nous ne devons renoncer à aucun moyen
d’y faire face. Je ne me refuse pas, toutefois, à examiner ultérieurement cette
question avec toute l’attention et la sollicitude que son importance réclame.
J’ajouterai, en réponse à une
observation faite par un autre honorable membre, qu’en ce qui concerne la
contribution foncière, trois centimes extraordinaires ont été votés en 1840,
qu’ils ont été maintenus jusqu’aujourd’hui et qu’ils frappent sur le principal
et les additionnels.
En résumé, je demande que la chambre
maintienne les centimes additionnels, tels qu’ils existent aujourd’hui, parce
que, quant à présent au moins, ils sont indispensables pour rétablir l’équilibre
entre nos recettes et nos dépenses. Ne serait-ce pas commettre une imprudence
que de réduire nos ressources, alors qu’il serait, au contraire, plus opportun
de les augmenter ?
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, j’ai en quelque sorte un double rôle à remplir dans cette
discussion. Comme rapporteur de la section centrale, je dois exposer les motifs
qui ont déterminé la majorité de la section à voter le maintien de ces centimes
additionnels ; d’un autre côté, je tiens à déclarer que je me suis trouvé dans
la minorité sur cette question.
L’opinion de la majorité vient déjà
d’être défendue par M. le ministre des finances. La majorité a craint que, si
cette recette disparaissait du budget, l’équilibre entre les recettes et les
dépenses fût beaucoup plus difficile à rétablir. Il s’agit, en effet, d’une
somme d’environ 600,000 francs, et dès lors il me paraît inexact de dire que
les compensations encore éventuelles que la section centrale a trouvées
rétabliraient l’équilibre.
M. Delfosse. - J’ai dit qu’elles le rétabliraient en partie.
M. Malou, rapporteur. - Ce qui m’a surtout déterminé à ne plus voter ces centimes
additionnels, c’est que je me suis rappelé par quel concours de circonstances
ils ont été portes au budget. J’ai cité, à la page 11 de mon rapport, le
premier projet de loi qui les concerne ; il ne contenait pas, il est vrai, une
affectation spéciale de ces centimes additionnels, en ce sens qu’ils dussent
constituer un fonds sur lequel on aurait prélevé l’augmentation des traitements
des membres de l’ordre judiciaire ; mais il n’en est pas moins vrai que, dans
l’opinion du gouvernement , dans l’opinion de la chambre, ces centimes devaient
être un moyen de faire face à cette augmentation.
Il m’a paru qu’aujourd’hui, en
présence de l’état général des budgets, il n’était guère possible de faire pour
la magistrature ce à quoi elle a droit, ce qui lui a été promis depuis très
longtemps. Dès lors, nous avons cru qu’il convenait de ne pas introduire dans
le budget normal ces quatre centimes qui devaient servir dans le principe, non
comme fonds spécial, mais comme fonds général de recette, pour augmenter les
traitements des membres de l’ordre judiciaire.
M. Delfosse. - M. le ministre des finances me dit qu’il n’y a pas moyen de voter la
réduction que je propose, parce que le gouvernement a besoin d’argent. Mais
c’est précisément l’objection que j’avais réfutée d’avance. La raison alléguée
par M. le ministre peut s’appliquer aux centimes additionnels rejetés l’année
dernière, tout aussi bien qu’à ceux que l’on reproduit cette année, qui n’ont
été votés en 1842 que pour une année. L’année étant expirée, ils sont
aujourd’hui tous sur la même ligne.
Mais, nous dit M. le ministre des
finances, rien ne prouve que la chambre ait voté les 4 centimes additionnels
pour une année seulement.
Messieurs, le vote de la chambre doit
s’expliquer et par le rapport de la section centrale et par les discours qui
ont été prononcés dans la discussion. Eh bien, la section centrale a déclaré
formellement dans son rapport qu’elle ne proposait le vote de ces centimes
additionnels que pour une année, et les membres qui ont pris la parole, à
l’appui de la proposition, ont également déclaré qu’ils entendaient que
l’augmentation ne fût que temporaire.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Les observations de l’honorable membre s’appliquent à toutes nos lois
de finances qui ne sont votées que pour une année. Il s’est trompé quand il a
suppose que tous les membres qui ont voté les centimes additionnels l’année
dernière n’ont entendu les voter que pour une année, car moi qui ne les ai pas
votés, j’ai indiqué, dans les motifs de mon abstention, des raisons qui
impliquaient le maintien de ces additionnels pendant plus d’une année. J’ai
dit, en effet, que je désirais qu’on les conservât pour les employer à
l’augmentation du traitement de la magistrature, et ce motif ne pouvait
s’entendre que pour un vote pendant plusieurs années. Il est possible que
quelques membres n’aient pas agi dans la même pensée, mais il est certain que
la plupart ont été dominés par elle.
M. Angillis. - La question n’est pas de savoir si les quatre centimes ont été votés
pour une ou plusieurs années ; la question est de savoir si on doit les
maintenir. J’ai combattu la proposition lorsqu’on l’a faite l’année dernière,
j’ai dit que les droits d’enregistrement étaient déjà trop élevés et qu’au lieu
de gagner en les augmentant encore, on perdrait. Mais, dans la circonstance
actuelle, faut-il maintenir ce qui a été adopté l’année dernière. Je pense que
oui. Malgré ma répugnance à voter une augmentation sur l’enregistrement, je
suis disposé à maintenir celle qui a été admise. Un des motifs qui me font
voter, quant à présent, pour le maintien, est que la loi de frimaire doit subir
une révision complète. Cette loi qui fut faite pour une autre législation,
n’est plus en harmonie avec la législation introduite par le code civil.
L’application en est devenue si difficile, que l’administration est exposée à
avoir des procès scandaleux, ruineux pour le trésor public et pour les
particuliers. Cette loi doit subir une révision complète, et quand le temps
sera venu, une occasion se présentera. Dans quelque temps, j’aurai l’honneur de
faire toutes mes propositions.
Maintenant je dois rappeler
que l’article 59 porte : « qu’aucune autorité publique, ni la régie, ni
ses préposes ne peuvent accorder de remise ou modération des droits établis et
des peines encourues, ni en suspendre ou
en faire suspendre le recouvrement, sans en devenir personnellement
responsables. »
Il résulte de cet article 59,
qu’aucune autorité ne peut accorder l’enregistrement en débet et que si on le
fait, car la loi prévoit qu’on le fera et cela s’applique à l’incident discuté
tout à l’heure, celui qui aura signé l’arrête autorisant l’enregistrement en
débet sera responsable envers l’Etat.
Pour revenir à la question, je dis
que je suis pour le maintien de l’augmentation de 4 centimes votés l’année
dernière par les motifs que j’ai donnés plus haut.
M. d’Huart. - Il n’y a que les besoins impérieux du trésor qui puissent justifier
le maintien des centimes additionnels votés l’année dernière sur
l’enregistrement. Tout le monde le sait, les droits d’enregistrement sont déjà
énormes, et avec les 26 centimes additionnels, on les a augmentés de plus d’un
quart. Mais, par quel autre moyen convenable pourrait-on remplacer les 350
mille francs de diminution qui résulteraient de la
réduction des 30 centimes à 26. Je ne vois aucun article du budget sur lequel
on puisse les trouver.
L’honorable M. Delfosse a dit : je ne
vois pas de différence entre ces centimes additionnels et ceux qu’on a rejetés
l’année dernière. M. le ministre des finances a agi très sagement en vous
présentant le budget tel qu’il a été adopté l’année dernière, en demandant des
centimes additionnels à l’enregistrement plutôt qu’à d’autres bases d’impôt ;
la proposition de mettre des centimes additionnels à ces bases ayant été
rejetée, comme on l’a rappelé, à l’unanimité moins quatre voix, il eût été
imprudent au ministre de venir demander à la chambre de revenir sur le vote
qu’elle avait émis l’année dernière. il n’en était pas
de même des additionnels sur l’enregistrement ; ils avaient été votés l’année
dernière ; on en demande la continuation. Je désire vivement que l’année
prochaine on puisse trouver moyen de réduire les droits d’enregistrement, mais
je crois que, pour 1844, nous sommes absolument forcés de les maintenir tels
qu’ils sont, Par ces motifs, je voterai pour le maintien des 4 centimes
additionnels dont il s agit.
- L’amendement de M. Delfosse est mis
aux voix. Il n est pas adopté.
La proposition de la section centrale
est adoptée.
Recettes diverses
« Indemnité payée par les
miliciens pour remplacement et pour décharge de responsabilité de remplacement
: fr. 70,000 »
« Amendes en matière de simple
police, civile, correctionnelle, etc. : fr. 150,000 »
« Produits des examens : fr.
47,000 »
« Produits des brevets
d’invention : fr. 35,000 »
« Produits des diplômes des
artistes vétérinaires : fr. 2000. »
« Total : fr. 304,000. »
- Adopté.
Péages
(Enregistrement, domaines et forêts)
« Produits des canaux et
rivières appartenant au domaine, droits d’écluse, ponts, navigation : fr.
800,000 »
« Produits de la Sambre
canalisée : fr. 460,000 »
« Produits du canal de Charleroy
: fr. 1,350,000 »
« (Article nouveau de la section
centrale) Produit du canal de Mons à Condé dont l’administration est reprise à
dater du 1er octobre 1844 : fr. 35,000 »
« Produits des droits de bacs et
passages d’eau : fr. 100,000 »
« Produits des barrières sur les
routes de première et de deuxième classe : fr. 2,000,000 »
« Total : 4,710,000 »
M. Lange. - La reprise par l’Etat de l’administration du canal de Mons à Condé
présente deux points à examiner :
La question de droit strict,
Et la question d’équité.
Au point de vue du droit strict, la
question n’en est pas une, dit le gouvernement ; ce canal est domaine de
l’Etat, c’est ce que nous apprend le rapport de la section centrale. Je dirai,
moi, que ce n’est pas aux frais de l’Etat que le canal de Mons à Condé a été
fait, puisque l’Etat s’est borné à donner un subside (voir décret du 3 avril
1806, art. 4). Si le département de Jemmapes, aujourd’hui province du Hainaut,
n’a fait que concourir à la dépense avec d’autres départements, c’est que dans
le décret cité (3 avril 1806, art. 1er) il ne s’agissait pas seulement du canal
de Mons à Condé, mais aussi d’autres voies navigables, entre autres, du canal
de Saint-Quentin, la rectification de l’Escaut, etc., etc. ; ce qui explique le
concours de divers départements énumérés dans l’art. 2.
Mais ce qui est plus positif encore,
c’est que le canal de Mons à Condé n’était pas terminé lors de la séparation
des départements de la Belgique d’avec la France, et que M. l’inspecteur
Vifquain, dans son rapport sur les voies navigables en Belgique, page 160, nous
atteste que la dépense des travaux d’achèvement fut soldée par les 4 centimes
additionnels imposés sur le département de Jemmapes.
De ce qui précède, on peut conclure,
je pense, que le canal de Mons à Condé peut être considéré comme construit
exclusivement aux frais du Hainaut.
Quant à la question d’équité :
La poser, à mon avis, c’est la
résoudre. Ecoutons d’abord M. le ministre des travaux publics, dans la séance
du 12 janvier 1843 :
Il y a, à l’égard de la reprise du
canal de Mons à Condé, une question d’équité à examiner.
On ne peut méconnaître que la
province du Hainaut est une de celles qui ont fait jusqu’ici les plus grands
sacrifices pour l’exécution des travaux publics, non seulement dans l’intérêt
particulier de la province, mais dans l’intérêt général du pays.
La province du Hainaut qui a fait
tant de sacrifices dans l’intérêt général du pays, disait M. le ministre ; qui
peut le contester ? On ne peut pas oublier, d’une part, que le congrès
national, par son décret du 6 mars 1831, fit revivre la disposition de l’art.
225 de la loi fondamentale de 1815, qui avait été foulée aux pieds par le roi
Guillaume, puisqu’on lit dans l’art. 3 de ce décret :
« Les droits payés aux barrières
sont exclusivement affectés à l’entretien et à l’amélioration des routes.
L’excédant, s’il y en a, demeure réservé pour des dépenses de même nature dans
la même province, à la seule exception des droits perçus sur les grandes
communications du royaume, dont l’excédant peut être employé aux mêmes fins, là
où le gouvernement l’ordonne.
« Sont considérées comme grandes
communications du royaume, les routes portées à la première classe dans les
tableaux arrêtés. »
D’autre part, on ne peut oublier non
plus que, quant au crédit d’abord de 6 millions, puis de deux autres millions,
ouvert au gouvernement pour constructions de routes, un caractère de généralité
a été imprimé aux revenus des barrières par la loi du 2 mai 1836, puisqu’il y
est dit :
« Art. 2. La dépense sera
couverte au moyen d’un emprunt dont les intérêts et l’amortissement seront
prélevés sur l’excédant du produit des barrières. »
C’est ici, messieurs, le moment de
faire ressortir le grand sacrifice imposé, à la province du Hainaut, dans
l’intérêt général du pays.
Si j’ai recours à l’exposé des
motifs, à l’appui de la loi sur la taxe des barrières, présenté, en la session
de 1837 à 1838, par M. le ministre des travaux publics, j’y vois (page 13) que
le produit des barrières de première et de deuxième classe, pour tout le
royaume, a été, en 1837, de 2,375,645 fr.
D’après le même exposé (page 13),
dans la province de Hainaut, le produit des barrières, en 1837, des routes de
première classe, a été de 221,975 fr, et de deuxième classe, de 418,850 fr.
Ensemble, 640,825 fr.
Ainsi, le Hainaut contribue pour près
de 1/3 dans le paiement des intérêts et de l’amortissement des 8 millions
empruntés dans l’intérêt général du pays.
En présence de pareils sacrifices,
n’avais-je pas raison de dire que poser la question d’équité, c’était la
résoudre !
En effet, messieurs, le gouvernement
précédent, en dépouillant le Hainaut du produit de ses routes, au mépris de la
disposition de l’art. 225 du pacte fondamental de 1815, dont, à juste titre, on
lui a fait un grief capital, et que le congrès national s’empressa de
redresser, lui avait au moins laissé la jouissance du produit du canal de Mons
à Condé.
Serait-il équitable, de la
part du gouvernement actuel, d’enlever à la province du Hainaut ce produit, si
minime comparé à celui de ses routes, dont plus des 7/8 ont été construites et
payées par la province et les autres agrégations provinciales et communales qui
composent cette province aujourd’hui, et cela sans lui rendre le produit de ses
routes, lui garanti par le décret du congres national
du 6 mars 1831 ? Non, messieurs, mille fois non.
Pour être équitable, le gouvernement
ne peut pas dire au Hainaut : Je commence par vous enlever le canal de Mons à
Condé, et j’examinerai après s’il y a lieu de vous accorder une indemnité en ce
qui concerne les routes ; pour être équitable, le gouvernement doit examiner
ces deux questions simultanément. Et j’ose espérer qu’ainsi il en agira, si la
question de strict droit venait à être décidée contre le Hainaut.
M. Malou, rapporteur. - Dans la question qui s’agite en ce moment, l’honorable membre voit
deux points différents : la question de droit et la question d’équité. Qu’il me
soit permis d’agrandir un peu cette question. Nous avons à examiner la question
de fait (l’honorable membre y a touché) ; la question de droit ; la question
d’équité ; la question de convenances administratives.
Quant aux faits, je les rappellerai
brièvement.
En 1806, intervint une loi qui
décrétait un ensemble de travaux publics à exécuter. Plusieurs départements
français et quelques provinces belges, alors départements français, furent
imposés pour concourir à ces travaux. Le Brabant, la Flandre orientale, la
Flandre occidentale et la province d’Anvers sont dans ce cas. L’art. 1er de la
loi portait que ces contributions seraient affectées notamment à compléter le
fonds de canalisation de la Haisne, c’est-à-dire le
canal de Mons à Condé. L’art. 3 portait que le produit de ces contributions
serait versé à la caisse d’amortissement ; l’art. 4, que le trésor public
fournirait chaque année une somme égale à la contribution versée par les divers
départements imposés.
En 1807, un décret impérial ordonna
l’exécution du canal de Mons à Condé. Ce canal, si j’en crois les
renseignements contenus dans le rapport de M. Vifquain, était achevé, en 1814,
sur le territoire belge ; il l’a été plus tard sur le territoire français. Dans
cette contribution on a voulu faire dériver un droit de propriété pour le
Hainaut. Qu’il me soit permis de faire remarquer que, dans le système existant
sous l’empire, pour l’exécution des travaux publics, il n’en était pas ainsi.
Les provinces n’avaient pas alors l’individualité qu’elles ont aujourd’hui, la
contribution était imposée à un ou plusieurs départements, par extension de la
loi de 1807, qui décrétait que ceux qui profitaient de l’utilité des ouvrages
devaient y contribuer. Ce principe, que malheureusement nous avons mis en oubli
pendant plusieurs années, à été appliqué ensuite à plusieurs travaux, par
exemple au canal de la Campine, au canal de Zelzaete. C’était, je le répète, une
extension du principe de la loi de 1807, sans qu’il pût en résulter aucune
espèce de droit de propriété ou de copropriété.
Dans un mémoire, qui a été distribué
aux membres de cette chambre, la députation provinciale du Hainaut cite un
décret de 1813 d’où serait résultée l’obligation pour cette province de
concourir pendant plusieurs années encore aux frais de construction du canal.
Je dois déclarer que, malgré des recherches minutieuses je n’ai pas trouvé ce
décret.
Les faits cités dans le rapport de M.
Vifquain rendent peu probable la contribution de la province après 1814,
jusqu’alors le canal était achevé sur la partie belge.
M. Dumortier. - On ne peut guère mettre en doute l’existence d’un décret invoqué par
une députation provinciale.
M. Malou, rapporteur. - Ce décret peut exister et ne pas être ici applicable. Je serais
fâché qu’on donnât à mes paroles une portée quelles n’ont pas. Je ne connais
pas ce décret. S’il existe, qu’on le produise afin que nous puissions
l’apprécier.
Le système suivi en matière de
travaux publics, sous l’empire, changea après les événements de 1815. La loi
fondamentale, imprégnée de l’esprit des anciennes provinces unies, conforme à
notre ancienne existence provinciale, vint substituer à une centralisation
excessive, ce que j’appellerai une excessive décentralisation. La loi
fondamentale de 1815 posa en principe la remise des travaux publics aux
autorités provinciales. Les différentes mesures qui ont été prises ensuite et dont
je donnerai une rapide analyse, ne sont que l’expression, la conséquence de ce
système.
Et d’abord, l’arrêté du 17 novembre
1819 qui forme aujourd’hui le titre du gouvernement, titre que la province
invoque de son côté, n’est pas seulement, comme on a paru le croire, relatif
aux canaux et autres voies navigables, aux cours naturels d’eau ; il est
également applicable aux routes ; il organise ce système de décentralisation
dont je parlais tout à l’heure.
Un autre arrêté qui en est le
corollaire, règle comment seraient gérés, par les provinces, les travaux
qu’elles devaient reprendre, comment serait exécutée cette espèce de haute
surveillance que le gouvernement s’était réservée.
L’art. 1er de l’arrêté royal du 17
décembre 1819 cite d’abord les dispositions de la loi fondamentale ; puis
décrète que tous les travaux publics, mentionnes dans un état annexé à cet
arrêté, seront remis aux provinces. On y lit notamment cette clause :
« Nous nous réservons cependant la faculté de reprendre par la suite et suivant
les occurrences, sous la direction générale, et à la charge du trésor, tel
ouvrage mentionné ci-dessus que nous jugerons convenable. »
L’art. 2 détermine l’époque de la
remise.
L’art. 3 met toutes les dépenses à la
charge des provinces.
L’art. 4 prescrit la mise à la
disposition des administrations provinciales de tous les revenus des ouvrages
dont il s’agit.
L’art.
« Art. 5. Nous fixerons
ultérieurement la manière dont il sera rendu compte de la recette et de
l’emploi des revenus mentionnés dans l’article précédent afin que nous
puissions statuer sur l’emploi à faire de l’excédant que les recettes
pourraient présenter et plus spécialement pour que, conformément au contenu de
l’article 225 de la loi fondamentale, et après payement des frais d’entretien
que lesdits ouvrages entraînent, nous puissions affecter, en premier lieu, le
provenu des droits perçus sur les routes, ponts, canaux et rivières, formant
les grandes communications du royaume (pour autant que la direction en sera
confiée par nous aux états-provinciaux, en suite des dispositions contenues
dans l’art. 1er ci-dessus) au payement des rentes et à l’amortissement des
capitaux négociés sous garantie de l’Etat, en vertu des lois des 24 février
1818 et 30 janvier 1817, et, en deuxième lieu, à l’usage prescrit par l’art.
225 susdit. Aussi longtemps que l’amortissement des
négociations susdites n’aura point été entièrement effectué, il ne pourra être
affecté plus d’un tiers des revenus perçus sur les grandes communications,
construites ou à construire, des fonds levés par lesdites négociations, à
l’entretien desdites grandes communications ; les deux autres tiers resteront
réservés pour le payement des routes et l’amortissement de dette. »
Une première remarque, c’est que la
province n’a pas en vertu de l’art. 5, le droit de disposer de l’excédent du
revenu, que le gouvernement se réservait expressément de disposer de l’emploi
qui serait fait de cet excédant.
Il y avait, d’ailleurs, messieurs,
dans la législation antérieure à l’arrêté de 1819, un motif spécial pour faire
ces réserves. C’est ainsi que tous les excédants de produits que devaient
présenter les travaux remis aux provinces, étaient affectés en vertu de la loi,
à l’amortissement d’un emprunt décrété par la loi du 30 janvier 1837 ; et
d’après les conditions du remboursement de cet emprunt, l’amortissement ne
devait en être effectué qu’en 1829 au plus tôt.
L’art. 6 contient une clause
favorable aux provinces. Il leur était loisible de s’adresser au gouvernement
en cas d’insuffisance des produits de ces ouvrages.
J’insiste, messieurs, sur ces
diverses dispositions, pour qu’il en résulte évidemment qu’il n’y a pas autre
chose dans cet acte qu’une remise de la jouissance sous des conditions
définies, avec des restrictions très importantes, qu’en un mot, on ne peut en
aucune manière faire dériver de l’arrête de 1819 le moindre droit de propriété
en faveur de la province du Hainaut.
Diverses mesures ont été prises à la
même époque à l’égard des routes. C’était aussi une conséquence des
dispositions de la loi fondamentale.
Il a été dressé un tableau des
grandes communications du royaume (arrêté du 25 juillet 1816). Plus tard il
paraît en effet que des réclamations ont surgi ; mais le gouvernement n’y a pas
eu égard, et, par un arrêté du 9 avril 1820, il a maintenu l’arrêté précédent.
Un membre. - C’était un provisoire.
M. Malou, rapporteur. - C’était un provisoire qui a été définitif ; le gouvernement a
maintenu constamment la mesure qu’il avait prise quant aux routes.
En cette matière encore, je crois
inutile d’insister davantage. La remise aux provinces n’était qu’une remise de
jouissance limitée, un titre défini ; ce n’était autre chose que l’application
du système général suivi en matière de travaux publics.
Depuis 1830, on s’est arrêté à un
système que j’appellerai mitoyen, mixte. Deux fois la classification des routes
a été remise en question. Une première fois la question a été résolue par le
décret de 1831, dont l’honorable préopinant vous a parlé. Elle l’a été une
seconde fois à l’occasion du vote de la loi sur les barrières, loi qui porte,
je pense, la date du 18 mars 1833.
Quant aux canaux et aux autres voies
navigables, ce même système a été appliqué depuis 1838.
Le gouvernement avait proposé en 1837
un projet de loi pour la canalisation de l’Escaut et de la Lys. Ce projet avait
pour but de donner aux provinces un temps pour accepter elles-mêmes les
concessions de la canalisation de ces deux rivières. Il n’y a pas été donné
suite et plus tard le gouvernement a porté au budget des travaux publics un
article conçu à peu près dans les mêmes termes que celui que la section
centrale vous propose aujourd’hui.
Lors de la discussion de cet article,
les droits du gouvernement résultant de l’arrête de
Le gouvernement avait fait aussi des
réserves pour l’avenir, et dans un mémoire adressé à la section centrale il
disait que plus tard, l’avenir déciderait jusqu’à quel point l’utilité publique
ou la justice envers les provinces exige que d’autres ouvrages rentrent encore
sous l’administration de l’Etat.
La loi de budget de
Voyons, messieurs, quelle a été alors
l’opinion de la députation permanente du Hainaut. A-t-elle contesté cette
propriété ? Elle s’est plainte de ne pas avoir été entendue préalablement, et
elle ajoutait qu’elle espérait bien que le gouvernement tiendrait compte au
Hainaut de la diminution des recettes qui résulterait pour lui de la reprise de
l’Escaut. Dans l’exposé de 1839, page 174, je lis en effet :
« Un article du budget du
département des travaux publics pour l’exercice 1839, est ainsi conçu : Chap.
IV, art. 9, construction d’un barrage entre Tournay et Audenaerde sur l’Escaut,
dont l’Etat reprend l’administration à
partir du 1er janvier 1840. Une semblable disposition a été adoptée pour la
Lys et la Meuse. L’autorité provinciale n’a pas été consultée sur cette mesure
et elle n’a reçu jusqu’ici du gouvernement aucune communication relative à son
exécution.
« La province éprouve de ce chef une
diminution de produits de près de 20,000 fr., dont le gouvernement cherchera
sans doute les moyens de lui tenir compte. »
Evidemment, messieurs, si le droit du
gouvernement avait paru contestable à cette époque, ce n’est pas à une question
d’étiquette, ce n’est pas à la demande que le gouvernement tînt compte de la
privation de revenus, que la députation provinciale du Hainaut se serait
arrêtée.
Par diverses lois de budget et
toujours dans la même forme, d’autres travaux publics ont été repris. Il en
est, je le reconnais volontiers, qui ont été repris, parce que les provinces
n’y trouvaient pas de ressources, et désiraient elles-mêmes cette reprise. Mais
je dois faire remarquer qu’il n’était pas ainsi pour toutes et notamment pour
l’Escaut, puisque dans le même document que j’ai cité tout à l’heure, je
trouve, à la page 11, que les recettes de l’Escaut dépassaient de beaucoup les
dépenses.
L’année dernière encore, par la loi
de budget des travaux publies, les canaux de Gand à Ostende ont été repris, et
à cette époque, dans les développements qui nous ont été distribués, le
gouvernement a reconnu lui-même que, cette reprise opérée, il ne resterait plus
aux provinces « que le canal de Mons à Condé, si l’on en exceptait quelques
voies de navigation d’une importance tout à fait secondaire. » C’est le texte
même des développements du budget.
J’ai insisté, messieurs, sur ces
considérations, parce que, dans la brochure dont je parlais tout à l’heure, et
après avoir en quelque sorte abandonné la question de droit, la députation
permanente du Hainaut appelle le canal de Mons à Condé notre canal et en considère la reprise comme une iniquité. Il
fallait donc que ce mot notre fût
complètement discuté.
Je viens maintenant, messieurs, à la
question d’équité.
L’équité pour le gouvernement, c’est
d’agir envers toutes les provinces de la même manière ; l’équité, c’est de ne
pas laisser au Hainaut des revenus dont d’autres provinces ont été privées.
Cette proposition, que je reproduis
d’après le rapport de la section centrale, est tellement simple qu’il suffit de
l’énoncer.
On objecte la privation du revenu, la
lésion qui en résulterait pour la province de Hainaut. C’est en effet cette
objection qui a surtout été agitée au mois de janvier dernier ; c’est encore
celle que j’ai retrouvée dans les exposés de la situation de la province.
Dans l’exposé de 1841 je vois que le
conseil provincial s’était proposé, sans trop de gêne, d’aliéner quelques
terrains dépendant du canal de Mons à Condé et que le gouvernement lui avait
refusé son autorisation en lui faisant connaître qu’il serait vraisemblablement
amené à reprendre le plus grand nombre de voies de navigation confiées aux
provinces par l’arrêté de 1819. La députation signale ensuite les conséquences
fâcheuses qu’aurait pour la province la privation de ces revenus.
« Vous pressentez comme nous,
dit-elle, les conséquences vraiment désastreuses que cette mesure entraînerait.
Elle briserait l’équilibre entre nos recettes et nos dépenses ; elle jetterait
le désordre dans nos finances et la perturbation dans toutes les branches du
service provincial. Les revenus du canal de Mons forment l’une de nos
principales ressources. Ce sont ces revenus qui nous ont engagés à donner une si rapide impulsion à tous les travaux d’utilité
publique, à tous les projets d’amélioration. C’est sur ces ressources que vous
avez compté quand vous dotiez si généreusement la bienfaisance publique,
l’instruction, le culte, quand vous décrétiez ces institutions et ces travaux
qui devaient porter si haut l’importance de cette province, quand enfin vous
répandiez partout des promesses de bien-être moral et matériel et que vous
engagiez en quelque sorte l’avenir. »
Ces observations, messieurs, sont
très justes, et, en comparant le budget de la province de Hainaut aux budgets
des autres provinces, j’ai trouvé qu’en effet le Hainaut puisait dans les
ressources de ce canal les moyens de se créer une grande existence. J’ai fait
notamment un travail comparatif entre la part que demande la province du
Hainaut et les parts que demandent les autres provinces à l’impôt direct. Il
est résulté de cette comparaison que de toutes les provinces du royaume, le
Hainaut est la seule où les centimes additionnels aux contributions directes
soient seulement au nombre de 7. Dans la plupart des autres provinces, ces
centimes sont portés à 9, 12 13. Il en est une où ils sont portés à 28 et 29.
Je me propose, si la chambre le permet, d’insérer ce tableau en note au Moniteur. Il en résulte que sur un budget
de recettes de 926,000 fr. (je prends le dernier budget voté, celui de 1844),
la part de l’impôt direct est seulement, pour le Hainaut, 256,000 fr., tandis
que dans d’autres provinces la plus grande partie du budget est demandée à
l’impôt direct.
Faudrait-il donc que la province
augmentât d’une manière notable les charges qui pèsent sur ses habitants, si
elle était privée des revenus du canal de Mons à Condé ? Evidemment non,
messieurs, la province du Hainaut ne devrait pas même imposer ses habitants au
point où sont imposés les habitants du Brabant, par exemple ; le produit de 3
centimes additionnels qui porteraient les centimes additionnels perçus
actuellement, de 7 à 10, tandis que, dans le Brabant, il s’en perçoit 13,
suffirait pour compenser la privation des revenus du canal de Mons à Condé.
Cette considération prouve, messieurs, combien est peu justifiable l’exception
que l’on voudrait maintenir à l’égard de la province du Hainaut.
La question d’équité se présente
encore sous un autre point de vue. « La province du Hainaut, dit-on, a
fait d’énormes sacrifices. » Mais, messieurs, je répondrai d’abord que la
province du Hainaut a profité le plus directement de ces sacrifices. En second
lieu, je dirai qu’il ne peut plus être question d’équité, lorsque depuis 1839
jusqu’en 1843, la province du Hainaut a touché et appliqué à son profit les
revenus de ce canal.
Je passe, messieurs, à la question
des convenances administratives. Ce n’est pas sans raison que l’on est revenu
sur la mesure désastreuse prise par l’arrêté de 1819. On l’a fait après que les
discussions qui avaient eu lieu dans les chambres eurent démontré que le
gouvernement seul pouvait imprimer à tous ces travaux une direction unique,
convenable, conformé aux vrais intérêts du pays. Ou bien il faut en revenir à
l’arrêté de 1819, ou bien il faut compléter le système par lequel on s’est
écarté de cet arrêté.
Mais cette exception, à quel canal
s’applique-t-elle ? Elle s’applique à une voie navigable qui déjà en 1818,
d’après le rapport de M. Vifquain, se rattachait à un système de navigation
d’un développement de 260 lieues. Depuis lors, un canal de l’Etat a été
construit qui est venu se lier au canal de Mons à Condé. Entre ces canaux tout
est commun : Questions de péages, questions de régime des eaux, toutes les
mesures en un mot qui touchent à l’administration de ces canaux sont communes.
Aussi, comme on l’a rappelé dans les précédentes discussions, dans bien des
circonstances, il a fallu négocier pour obtenir l’acquiescement de la
députation permanente du Hainaut à des mesures que le gouvernement doit être
libre de prendre seul, lorsqu’il juge que l’intérêt du pays les réclame.
En outre, le canal aboutit sur le
territoire étranger et, lorsqu’il s’est agi de la reprise de la Lys et de
l’Escaut, on a fait valoir avec force ce motif très grave que, dans plusieurs
circonstances, il a fallu négocier avec un gouvernement étranger relativement à
ces voies navigables dont l’une est en partie mitoyenne et dont l’autre prend
aussi sa source en France.
Les convenances publiques exigent
encore, sous un autre rapport, la reprise du canal. Il est évident, messieurs,
qu’en présence de l’état général de nos budgets, lorsque péniblement et à
l’aide de nouvelles lois d’impôt, nous arrivons à établir un équilibre tel quel,
l’Etat doit réunir toutes ses ressources, il doit faire rentrer au trésor tout
ce qui lui appartient, tout ce qui n’aurait jamais dû en être distrait.
Je me résume, messieurs, je dis,
qu’en fait l’Etat a toujours été propriétaire du canal. La contribution
décrétée par la loi de 1806 n’a point conféré un droit de propriété à ceux qui
l’ont payée. La loi de 1819 n’a point porté aliénation du domaine public. Ce
principe a été reconnu plusieurs fois par le gouvernement, par les chambres et
par la députation permanente du Hainaut elle-même L’équité exige que l’on
agisse envers toues les provinces de la même manière. En équité, la province du
Hainaut, d’après ses budgets eux-mêmes, ne peut faire valoir le moindre motif
contre la reprise ; l’objection tirée de la classification des routes ne peut
avoir aucune valeur, attendu que cette question est entièrement indépendante et
doit rester entièrement distincte de celle dont il s’agit aujourd’hui. Enfin,
toutes les convenances administratives et tous les motifs d’intérêt public se
réunissent pour exiger que la reprise ait lieu.
En insistant ainsi en faveur
du principe de la reprise, je n’entends point me prononcer d’une manière
absolue sur le mode d’exécution. Depuis que la section centrale s’est occupée
de cet objet, une autre idée a été émise ; on a parlé de décréter la reprise
immédiate du canal à partir du premier janvier 1844, mais de ménager la
transition administrative en laissant à la province du Hainaut la jouissance
des 3/4 du revenu net, en 1844, de la moitié en 1845 et du 1/4 en 1846. Eh
bien, messieurs, pour prouver que je ne suis animé par aucune idée hostile, que
je désire voir exécuter une mesure de justice, avec tous les ménagements compatibles
avec les intérêts d’une de nos plus importantes provinces, je déclare qu’en
insistant en faveur du principe de la reprise, je n’entends nullement, en ce
qui me concerne, exclure ce mode, si les intéressés eux-mêmes reconnaissent
qu’il est plus avantageux à la province.
(Moniteur
belge n°347, du 13 décembre 1843) M.
Castiau. - Messieurs, après les débats si
remarquables qui déjà ont eu lieu dans cette assemblée, dans le cours de la
dernière session, à l’occasion de la reprise du canal de Mons, je croyais que
cette question ne serait plus reproduite. En effet, tout avait été dit alors,
tout avait été dit avec l’autorité de la raison, avec l’autorité du droit, avec
l’autorité de l’équité et l autorité du talent, pour prouver la légitimité de
la possession du canal de Mons par la province du Hainaut. J’espérais, je
l’avouerai, que ceux de mes honorables collègues qui avaient été les premiers à
soulever ce malencontreux débat dans cette enceinte, avaient été aussi les
premiers à reconnaître le peu de fondement de leur réclamation et à
l’abandonner définitivement.
Il n’en est pas ainsi et tout espoir
s’est évanoui depuis la présentation du rapport de la section centrale. On
revient aujourd’hui à la charge, et, malheureusement pour nous, nous n’aurons
plus à lutter, comme l’année dernière, contre l’expression d’un vœu isolé ;
c’est maintenant une section centrale qui vient avec une imposante majorité
décider résolument contre nous une question si épineuse et si difficile.
Je comprends que l’on ait trouve le
moment favorable pour lancer au milieu de vous cette proposition et pour vous
entraîner à l’adopter sans examen en quelque sorte.
Depuis que nous sommes réunis dans
cette enceinte nous voyons, en effet, constamment se dérouler devant nous le
tableau le plus effrayant et le plus vrai malheureusement, de notre situation
financière.
Nous sommes poursuivis, constamment
poursuivis et absorbés par l’inexorable chiffre d’un déficit chaque jour
grossissant.
C’est là l’argument qu’on ne cesse de
produire dans cette enceinte et qu’on remarquait encore, il n’y a qu’un
instant, pour repousser les demandes de réduction d’impôts les plus justes et
les mieux fondées. Je conçois que l’on ait pensé que dans un pareil moment et
en la pressant avec de tels moyens, la chambre serait disposée à décider
d’entraînement une question qui avait été ajournée et, en quelque sorte,
ajournée indéfiniment dans la dernière session.
L’empressement de la section centrale
a été tel, dans cette occurrence, qu’elle s’est mise en quelque sorte aux lieu et place du gouvernement lui-même et qu’elle a
voulu administrer pour lui. Ainsi, dans le cours de la dernière session, il
avait été convenu, d’assentiment unanime, que si la question devait être
reproduite, elle ne pouvait l’être convenablement que sous les auspices du
gouvernement. Il avait été reconnu que les considérations de toute espèce,
considération de droit, d’équité, de convenance administrative, d’opportunité,
qui viennent d’être traitées par l’honorable préopinant, devaient être
préalablement étudiées par le gouvernement lui-même. Alors, du moins, on
procédait avec une sage lenteur ; alors on sentait le besoin de respecter les
droits, les prérogatives du Hainaut ; aujourd’hui, on écarte brusquement
l’action du gouvernement, on prend l’initiative avant que le gouvernement ait
pu même poser la question ; on ne lui laisse pas le temps de chercher les
moyens de concilier tous les intérêts, d’écarter toutes les difficultés qui se
rattachent à cette affaire, et la section centrale vient décider ex abrupto
cette question si difficile ; elle vient la décider alors que le gouvernement
lui-même n’avait pas cru devoir la poser.
Et tel est l’entraînement, la
préoccupation de la section centrale, qu’elle n’a pas même vu, elle qui, par
l’organe de son rapporteur, vient de venir vous parler de droit, d’équité et de
convenance, qu’elle violait, dans ses conclusions, tous les droits de la
propriété et toutes les règles des convenances et du droit administratif. En
effet, elle vous propose de reprendre le canal, à compter du 1er octobre 1844,
et d’en faire tomber le produit, dès cette époque, dans les caisses du trésor
de l’Etat. Elle a donc oublié que ces revenus figurent pour toute l’année 1844
au budget provincial du Hainaut. Elle a oublié que ce budget a reçu
l’approbation royale, conformément à la loi provinciale, et que les droits
qu’il confère sont aussi inviolables que la loi elle-même. Dès le jour de
l’approbation, il y a eu affectation des revenus du canal, pour toute l’année 1844,
aux besoins du service provincial du Hainaut. C’est un droit acquis, c’est un
véritable droit de propriété, et il n’y a pas de puissance au monde qui puisse
légalement nous l’enlever pendant la durée de l’exercice.
On a cependant senti le besoin de
s’arrêter dans cette voie réactionnaire et violente, s’il faut en croire les
dernières paroles que vient de prononcer l’honorable rapporteur. On consent,
paraît-il, à se montrer plus accommodant ; une sorte de transaction est
offerte. Au lieu d’une reprise brusquée et immédiate, on se contenterait d’une
reprise successive qui, après trois ou quatre ans seulement, réaliserait, dans
son intégrité, la spoliation qu’on prémédite.
Je proteste, quant à moi, et je
proteste de toutes mes forces contre ce terme moyen, comme j’aurais protesté
contre les premières exigences de la section centrale. A part la question de
temps, la prétendue transaction n’en est pas moins attentatoire à nos droits et
à nos intérêts que la dépossession immédiate. Convaincus de la légitimité du
droit qu’on nous conteste, nous tenons à le défendre et à le maintenir dans son
intégrité. Examinons donc les dernières questions qui viennent d’être
successivement traitées par M. le rapporteur.
La question de droit d’abord.
Quant à la propriété du canal, nous
disons, et ici je suis bien obligé de reproduire les arguments répétés à
satiété déjà dans cette enceinte ; nous disons que le canal de Mons est à nous,
habitants du Hainaut, qu’il est à nous, parce que nous l’avons payé et
construit de nos deniers et avec des centimes provinciaux spéciaux.
L’intervention de quelques autres provinces dans le paiement de la contribution
commune s’appliquait à d’autres travaux également importants qui complétaient
les grandes lignes de navigation projetées par l’empire. Le mémoire de M.
Vifquain, si souvent cité dans la discussion de l’année dernière, prouve à
l’évidence que la charge de la construction est retombée presqu’exclusivement
sur le Hainaut. Le fait d’avoir fourni les sommes nécessaires pour la
construction de ce canal n’est-il pas, en droit comme en équité, l’un des
éléments constitutifs du droit de propriété ?
Je sais bien que M. le rapporteur
vient de s’efforcer de détruire la force de cet argument, en prétendant que le
concours de la province pour le payement des frais de construction ne constitue
pas un droit de copropriété. C’est ainsi qu’il vous a cité des canaux et des
travaux récents, pour la réalisation desquels l’on avait exigé le concours
pécuniaire des provinces intéressées, sans en abandonner, pour cela, la
copropriété à ces provinces. Mais ces provinces ont-elles supporté
exclusivement la totalité ou la presque totalité de la dépense, comme le
Hainaut ? Puis, y a-t-il eu, comme pour le Hainaut, dépossession de la part du
gouvernement, envoi en possession de la province, et enfin une longue
jouissance, une jouissance d’un quart de siècle, une jouissance presqu’égale en
durée à celle qu’exige la loi civile pour prescrire.
Si j’ai bien compris l’interpellation
qui m’est adressée, on me dit cette possession est à titre précaire. Oui, sans
doute, s’il n’y avait que la possession et l’octroi royal de 1819 ; mais il y a
ici le fait de la dépense de construction supportée presqu’en entier par les
habitants du Hainaut, et c’est le concours de ces deux circonstances qui
constituent, dans l’espèce, le droit de propriété. L’envoi en possession n’est
donc pas une jouissance à titre précaire, c’est la reconnaissance d’un droit
antérieur qui suffirait déjà, à lui seul, pour l’établissement et la
justification du droit de propriété.
Cette possession, du reste, fût
elle-même dégagée des considérations que nous puisons dans le concours
pécuniaire du Hainaut dans la construction du canal de Mons, cette possession
ne pourrait pas encore être considérée comme étant à titre précaire. Nous ne
pourrions y voir, nous habitants du Hainaut, que l’indemnité et l’indemnité fort incomplète de la dépossession de toutes ces routes
importantes et productives construites par le Hainaut, et qui lui ont été
enlevées pour enrichir le domaine public.
Cette possession, fût-elle à titre
précaire, ne nous aurait pas indemnisés non plus de la spoliation dont les
péages de nos routes ont été l’objet. Ces péages se sont élevés chaque année,
pendant longtemps, à près d’un demi-million ; ils devaient être alloués au
Hainaut et affectés à des travaux d’utilité publique dans cette province. Ainsi
le voulait la disposition si formelle de l’art. 225 de la loi fondamentale des
Pays-Bas. Eh bien, toutes ces sommes ont été enlevées, chaque année, au Hainaut
qui, depuis lors, n’a eu que la part la plus insignifiante dans les subventions
de l’Etat pour les travaux publics.
A ce propos, l’honorable rapporteur
vient de s’écrier contre le système introduit par la loi fondamentale
hollandaise. Il l’a qualifié de système de décentralisation exagérée. Il me
permettra de ne pas partager son opinion à cet égard et de croire à l’utilité
de ces fonds spéciaux créés dans les provinces pour les travaux publics. Le
gouvernement ne peut tout faire par lui-même. Il est bon parfois de faire
appel aux forces individuelles et de profiter de l’émulation de l’esprit de
localité. Abandonner aux provinces le produit des routes, c’était les
encourager à en construire de nouvelles. Cette mesure était d’autant plus juste
qu’en réalité la plus grande partie des péages sont payés par les habitants de
la province.
C’est en vertu de ce même art. 225 de
la loi fondamentale, que nous réclamerions, s’il en était nécessaire, les
revenus du canal de Mons alors même que vous décideriez que le gouvernement a
le droit d’en reprendre l’administration. La loi fondamentale, en posant le
principe de l’affectation spéciale de ces revenus aux provinces, a créé en leur
faveur, un véritable droit acquis. L’arrêté royal de 1819 n’est que l’exécution
de cette disposition. Le canal de Mons a été compris parmi les voies navigables
dont le produit devait appartenir au Hainaut. Peu importe l’abrogation de la
loi fondamentale ; le droit qu’elle a créé reste et lui survit.
Mais, vous a dit M. le rapporteur, la
députation du Hainaut a reconnu elle-même le droit de reprise du gouvernement à
l’occasion de l’Escaut. Elle a bien, vient-il de vous dire, soulevé, en cette
circonstance, une question d’étiquette ; elle s’est plainte de n’avoir pas été
consultée, mais elle n’a jamais pensé à mettre en doute le droit du
gouvernement. Non, certes, et pourquoi ? C’est qu’il n’y avait aucune analogie
entre l’Escaut et le canal de Mons. L’Escaut n’avait pas été creusé, comme le
canal, avec des deniers provinciaux ; il n’était pas un objet d’intérêt
exclusivement provincial. Traversant diverses provinces et appelant de
nombreuses améliorations, il exigeait une direction uniforme et l’application
d’un plan d’ensemble pour la navigation comme pour les travaux.
Avant d’arriver à la question
d’équité, je dirai deux mots de la question de convenance administrative qui
vient également d’être traitée par l’honorable rapporteur. Il convient, a-t-il
dit, que l’administration du canal de Mons rentre dans les mains du
gouvernement, parce qu’elle se lie à celle du canal d’Antoing, et que tout doit
être commun entre ces deux lignes de navigation. Si quelque conflit était à
craindre entre les deux administrations, je comprendrais la prévoyance de
l’honorable rapporteur. Mais ces deux voies de navigation sont soumises à la
surveillance des mêmes agents, les ingénieurs des ponts et chaussées. L’accord
le plus parfait n’a cessé de régner entre le gouvernement et la province, qui a
adopté toutes les mesures d’amélioration qui lui ont été indiquées. Faut-il
donc, dans la crainte d’un danger chimérique, commettre préalablement un acte
de spoliation aussi grave, aussi attentatoire aux droits et aux intérêts du
Hainaut ?
J’arrive enfin à la question
d’équité, la première, la principale, la seule question, en quelque sorte, pour
moi. Je ne m’y arrêterai pas longtemps cependant, car toutes les considérations
invoquées pour établir le droit du Hainaut à la propriété du canal, se
présentent ici avec une nouvelle force, et deviennent, au point de vue de
l’équité, d’irréfutables arguments et des autorités irrésistibles. Je compte
donc sur vos souvenirs, et je crois devoir m’interdire ici des répétitions
inutiles.
A toutes ces considérations de droit,
de fait et d’équité, qu’oppose-t-on ? un argument, un
seul argument, toujours le même. On invoque contre nous la loi de l’égalité. On
nous dit qu’on a enlevé aux autres provinces leurs voies navigables et que le
Hainaut doit subir, à son tour, l’application de cette mesure générale.
Quoi ! parce
qu’on aurait été injuste envers les autres provinces, parce qu’on leur aurait
enlevé leur propriété, parce qu’on aurait porté atteinte à leurs droits comme à
leurs intérêts, on serait autorisé à se montrer aujourd’hui injuste et
impitoyable pour le Hainaut ! Etrange logique, en vérité ! Au lieu de
perpétuer, d’aggraver l’injustice, qu’on la répare. Si d’autres provinces ont
été victimes de l’injustice, eh bien ! qu’elles
réclament, les députés du Hainaut appuieront leurs réclamations, si elles sont
fondées. Nos frères de Liége et des Flandres pourraient, dans de telles
circonstances, compter sur notre parole comme sur notre vote.
Mais les autres provinces ne
réclament pas, et pourquoi ? c’est que les voies
navigables étaient devenues pour elles plus onéreuses que productives. Elles exigeaient
d’important et longs travaux d’amélioration qui en
absorberont pour toujours peut-être les bénéfices. Les provinces intéressées
ont pris elles-mêmes l’initiative, si je ne me trompe ; elles ont négocié avec
le gouvernement la reprise de ces voies navigables, trop heureuses d’échapper
par ce moyen à des charges qui allaient devenir écrasantes.
Du reste, cette loi d’égalité qu’on
nous oppose aujourd’hui, on est loin de l’avoir appliquée partout et avec la
même rigueur. Il est d’autres travaux faisant partie du domaine public qui ont
été abandonnés à des villes et à des provinces, dont on respecte encore la
possession. La jouissance du port d’Anvers a été abandonnée à cette ville ;
Ostende jouit également de son port ; d’autres canaux sont restés encore en la
possession des provinces flamandes. Et c’est en présence de tels faits qu’on
vient nous parler d’égalité et de justice !
Mais, sans entendre dépouiller les
autres, j’en reviens au canal de Mons et à la question. Si ce canal est un
canal provincial par sa construction, il l’est encore par ses péages et par ses
produits. C’est à l’industrie des mines, à cette industrie toute provinciale,
qu’on doit et l’immense mouvement de navigation qui existe sur le canal et les
revenus qui en sont la conséquence.
Et ne croyez pas que la province
seule profite de cette navigation et de ces revenus ! les
revenus de nos canaux sont portés à votre budget pour 800,000 fr. Eh bien, les
seuls revenus du canal d’Antoing figurent dans cette somme pour 467,000 fr.,
pour plus de moitié. Puis vient la Sambre canalisée qui produit 460,000 fr. ;
enfin le canal de Charleroy qui rapporte l’énorme somme de 1,350,000
fr. Voilà près de 2,300,000 fr. de produits pour
l’Etat, rien que pour les péages des canaux alimentés par l’industrie minérale
! Qu’on se rappelle, ensuite, que le Hainaut supporte, à lui seul, le cinquième
de notre énorme budget, et l’on reconnaîtra qu’il paie sa part et qu’on est
assez peu fondé à venir lui disputer aujourd’hui une misérable somme annuelle
de 92,000 fr.
J’entends dire à mes côtés que les
droits de péage sont supportés par les consommateurs et non par les
producteurs. Ceci peut être vrai, quand la production peut faire la loi à la consommation
et dicter ses prix. Mais il n’en est pas de même pour la vente des houilles.
Une active et redoutable concurrence met sans cesse aux prises les trois
bassins houillers que possède le Hainaut ; elle fait descendre le prix de vente
à ses dernières limites ; elle enlève au producteur tous ses bénéfices et
l’oblige parfois à vendre à perte.
Après tout, quel usage pensez-vous
donc que le Hainaut ait fait des revenus du canal de Mons ? II les a en partie
consacrés à des travaux d’utilité publique ; il les a employés à des
constructions de routes destinées à accroître la prospérité du pays. Depuis
1836 surtout, il a consacré, chaque année, à des travaux d’utilité publique,
des sommes bien supérieures à celles qu’il retire des produits du canal de Mons.
Qu’allez-vous donc faire, messieurs,
si jamais vous pouviez vous associer à la pensée spoliatrice de la section
centrale ? Ce que vous allez faire ? Vous allez enlever au Hainaut une de ses
principales ressources ; vous allez jeter le désordre dans ses finances et sa
perturbation dans son administration ; vous allez paralyser les travaux
commencés et enchaîner tous les projets d’utilité publique pour lesquels le
Hainaut, non content d’épuiser ses ressources ordinaires, avait encore voté un
emprunt de 3 millions.
Voilà, messieurs, comment le Hainaut
s’est créée cette grande existence,
dont parlait, il n’y a qu’un instant, M. le rapporteur. Le Hainaut s’est créé
une grande existence ! Qu’est-ce à dire ? Qu’il aurait dépense avec une sorte
de magnificence et de prodigalité les produits du canal et ses autres revenus ?
Non, non, j’ai besoin de protester contre une telle insinuation, si elle avait
été dans la pensée de l’honorable rapporteur. Le Hainaut a fait un bel et noble
usage de ses ressources et de ses revenus. Il s’en est servi pour les intérêts
moraux comme pour les intérêts matériels. En construisant des routes, il n’a
pas oublié ce qu’il devait à l’humanité et à l’intelligence. C’est avec ces
revenus qu’il a eu l’honneur d’appliquer le premier à l’enseignement
l’institution si féconde des concours, qu’il a élevé une école des mines, et un
institut pour les aveugles, qu’il a doté deux écoles des sourds-muets et
l’école des arts et métiers de Tournay, et qu’en ce moment même il se proposait
de réaliser la plus urgente des réformes, celle du régime des aliénés. Voilà ce
que le Hainaut a fait, ou se propose de faire avec ses revenus. Maintenant, je
puis m’emparer de votre expression, et. je dirai avec
vous : oui, le Hainaut s’est créé une grande existence, si l’on entend par là
une existence honorable, active et utile, une existence destinée, autant que
possible, à adoucir toutes les souffrances et à satisfaire tous les intérêts.
Et ce sont ces améliorations qui nous
ont coûté si cher et qui ont été réalisées ou projetées sur la foi de la
conservation des revenus du canal de Mons, ce sont ces améliorations qu’on
semble nous envier aujourd’hui ! On ne tient pas compte de nos embarras
financiers et du déficit que la perte des revenus du canal produirait.
On vient nous dite durement :
Adressez-vous au contribuable ; Vous avez la ressource des contributions
directes ; frappez-le de nouveaux centimes additionnels ; car enfin, le Hainaut
ne paie que 7 centimes additionnels, pendant que le Brabant en paie 13, et d’autres
provinces 20.
Ainsi, c’est en excitant contre nous
l’esprit de prévention et les hostilités locales, qu’on veut assurer le succès
de la dépossession qu’on a projetée !
Le Hainaut ne paie que 7 centimes
additionnels ! Mais vous ignorez, sans doute, que, depuis 1836, il a vu, par
suite de la péréquation cadastrale, son impôt foncier augmenter de plus de
600,000 fr., de plus de 55 p. c. si je ne me trompe. Vous ignorez que les
classes agricoles sont écrasées par cette surcharge et qu’après une pareille élévation
de charges, il devient impossible, physiquement et moralement, impossible de
penser à aggraver encore un fardeau qui déjà les ruine et les écrase.
Et dans quel moment ? C’est lorsque
la province de Hainaut a tant de peine à se remettre, c’est lorsqu’elle ne se
remettra jamais, peut-être, des secousses que lui ont imprimées les crises
industrielles que nous venons de traverser. En vérité, on se fait, dans cette
enceinte, une idée par trop fausse de la situation du Hainaut et des ressources
du contribuable dans cette province. Aujourd’hui, c’est M. le rapporteur qui
vient parler avec pompe de la grande existence du Hainaut ; hier, c’était un
autre orateur qui prenait cette province comme point de comparaison, pour
prouver que sa prospérité avait atteint, en quelque sorte, son apnée. Que je
désirerais que toutes ces exagérations fussent fondées ! Malheureusement, ce
sont là des peintures d’imagination que la réalité fait évanouir. Le Hainaut,
sans doute, a eu ses jours d’espérance, de prospérité et de grandeur, si vous
le voulez ; mais les jours d’épreuve, de tourmente et de décadence n’ont pas
tardé à leur succéder. Que l’honorable orateur auquel je fais allusion veuille
bien parcourir maintenant nos districts agricoles comme nos districts
manufacturiers ; il pourra se convaincre que la misère maintenant est venue
jeter son voile de deuil sur le brillant édifice de prospérité élevé par son
imagination. Il verra le drapeau de détresse flotter sur nos usines
métallurgiques ; il y verra l’industrie des mines obligée de ralentir,
d’abandonner parfois ses travaux et de laisser improductifs plusieurs de ses
principaux établissements ; il y verra enfin une autre industrie, moins
importante, sans doute, mais qui déjà offrait aux classes agricoles
d’abondantes ressources, celle du sucre indigène condamnée à disparaître et à
disparaître sans indemnité par la rigueur des dispositions de la loi qui a été
faite contre elle.
Et c’est au milieu de ces désastres
et de ces sinistres que vous venez nous parler d’imposer encore nos populations
! Mais vous voulez donc les ruiner et les écraser, en faisant impitoyablement
retomber sur elles les coups de la misère et le fardeau d’impôts intolérables.
Et tout cela pour arriver à quoi ? A
un résultat négatif ; à moins que rien, à zéro. Les péages du canal de Mons
ont, en effet, été augmentés par suite de l’abandon fait à la province du
montant des revenus de ce canal. L’industrie a accepté cette augmentation de
droits, parce qu’elle y trouvait une compensation dans l’affectation toute
provinciale des produits du canal. S’ils perdent ce caractère, que fera
l’industrie ? Elle réclamera, et elle réclamera avec raison contre l’élévation
des péages. Et c’est ce que fait déjà la chambre de commerce de Mons, dans la
pétition qui a été présentée à la chambre au commencement de la séance. Cette réduction , vous ne pourrez la refuser, et c’est à peine si
les revenus du canal égaleront alors les frais d’entretien.
Il n’en sera pas ainsi, messieurs,
car nous avons autant de foi dans votre justice que dans l’impartialité et
l’élévation de votre raison. En supposant que la question de droit et de
propriété laissât quelques doutes dans vos esprits ; il n’y a pas, il ne peut y
avoir de doute sur la question d’équité.
Il n’y a plus de question d’équité, vous
disait-il n’y a qu’un instant, M. le rapporteur. Et moi, je vous dis que toute
la question en définitive se résume dans la question d’équité. Ainsi posée,
elle est résolue en notre faveur, et nous sommes sans crainte. L’équité, après
tout, n’est-ce donc pas le fondement, la règle et la sanction du droit ?
N’est-ce pas le cri de la conscience et de la vérité ? N’est-ce pas la
première, la plus sainte des autorités ? N’est-ce pas la loi, la seule loi des
assemblées législatives ? Oui, messieurs, l’équité est la seule limite que la
raison et la conscience opposent à notre omnipotence. Cette limite, vous la
respecterez comme toujours, messieurs, en consacrant d’une manière définitive
le droit du Hainaut à la possession de son canal.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.