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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 20 avril
1832 (séance du soir)
Sommaire
1) Pièce adressée à la chambre (lettre de
l’inspecteur-général de la garde civique) (Lebeau, Dumortier, Bourgeois, Rogier, H. de Brouckere)
2) Projet de loi portant le budge de l’Etat pour
l’exercice 1832 (département de l’intérieur). Enfants trouvés et abandonnés (Rogier, Mary, Bourgeois,
Barthélemy, Dumortier, Dubus, Delehaye, Jamme,
Fallon, Rogier), subsides aux
établissements de bienfaisance (de Theux, Rogier, Delehaye, de Theux, Jullien, Rogier, A. Rodenbach, Osy, Fallon, de
Theux, Rogier, Fallon),
Moniteur, journal officiel et compte-rendu parlementaire (Jullien,
Dumortier, Gendebien, Nothomb, Ch. Vilain XIIII, C. Rodenbach, Destouvelles,
Jullien, Gendebien, Dumortier, de Muelenaere, Gendebien), archives du royaume (de
Theux, Angillis, Helias
d’Huddeghem, Vilain XIIII, Gendebien,
Dubus, de Theux), subsides aux
villes et communes (Tiecken de Terhove), construction
d’une route dans les provinces du Luxembourg et de Namur et primes pour
construction de navires (Dubus)
(Moniteur belge n°113, du 22 avril 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
L’appel nominal
est fait à six heures et demie.
M. le président. - Messieurs, j’ai reçu une lettre de M. l’inspecteur-général de la
garde civique, qui réclame contre le vote émis ce matin par la chambre sur
l’allocation qui le concerne. Veut-on en avoir connaissance ?
Plusieurs voix. - Non ! non ! C’est une affaire consommée.
Autres voix. - Il y a décision de la chambre.
M. le président. - Messieurs, nous en étions restés à l’amendement de M. Dumortier,
tendant à accorder un crédit de 100,000 fl. pour les enfants trouvés.
M. Lebeau. - Avant d’ouvrir la discussion, je demande à dire un
mot sur la lettre dont on vient de parler. Je conçois très bien, messieurs,
qu’une personne étrangère ne puisse pas prendre part à nos débats ; mais il me
semble qu’on peut considérer la lettre de M. d’Hoogvorst comme une pétition :
en conséquence, j’en demande le renvoi à la commission des pétitions.
M. Dumortier.
- Il n’y a pas de commission de pétitions en ce moment, et le renvoi serait
donc inutile. Depuis ce matin j’ai vu M. le général d’Hoogvorst, qui m’a
démontré l’impossibilité de pourvoir aux dépenses nécessaires avec l’allocation
qui a été votée. Je demande le renvoi de sa lettre à la section centrale.
- Ce renvoi,
appuyée par M. Bourgeois, M. Rogier
et M. H. de Brouckere, est ordonné.
On reprend la
discussion sur le budget de l’intérieur.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE L’ETAT POUR
L’EXERCICE 1832 (DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR)
Discussion des articles
Chapitre XI. - Etablissements de charité
M. Rogier
appuie l’amendement de M. Dumortier.
M. Mary passe en revue toute la législation existante sur les
enfants trouvés ; il pense que les communes doivent contribuer à la dépense
pour moitié ; il rectifie le chiffre donné ce matin par M. Barthélemy sur ce
que coûte l’entretien de ces enfants, et dit que ce chiffre s’élève à 345,000
fl. au lieu de 325 mille ; en conséquence, il propose d’allouer pour cet objet
un crédit de 175 mille fl.
M. Bourgeois trouve insuffisante la somme proposée par M.
Dumortier. Il votera pour l’amendement de M. Fallon.
M. Barthélemy. - L’Etat est obligé pour la partie principale, et,
quand on oppose le décret de 1811, on ne détruit pas l’effet de la loi de l’an
V, car ce décret ne fut que le prélude de ce que Guillaume fit plus tard par
son arrêté de 1822. Napoléon, ayant besoin d’argent pour faire la guerre,
rendit, arbitrairement, un décret qui réduisait les secours à 4 millions de
francs ; mais ce décret était illégal comme l’arrêté de Guillaume. Je voterai
pour l’amendement de M. Mary.
Voix nombreuses.-
La clôture ! la clôture !
M. Dumortier.
- Vous ne pouvez pas mettre aux voix la violation du règlement. J’ai le droit
de développer mon amendement. Je demande la parole contre la clôture.
M. le président. - Vous avez la parole contre la clôture.
M. Dumortier.
- Messieurs, mon honorable ami M. Dubus a trouvé, depuis ce matin, une loi qui
met la dépense à la charge des départements ; il faut que cette loi soit connue
de la chambre.
M. Barthélemy interrompt M. Dumortier par un mot que nous n’avons
pu saisir.
M. Dumortier.
- Je prie qu’on ne l’interrompe pas ; quand M. Barthélemy parlera pour ses
enfants trouvés, je l’écouterai. (Bruit,
interruption. La clôture ! la clôture ! Le tumulte va toujours croissant.)
M. Dubus. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Quand un membre a présenté un amendement, le règlement lui donne le droit de le
développer ; on ne peut se refuser à l’entendre. M. Dumortier doit donc parler,
puisqu’il le demande.
Plusieurs voix. - Il l’a développé ce matin. (La clôture ! la clôture !)
M. le président. - Si on insiste pour la clôture, je ne puis me dispenser de la mettre
aux voix.
M. Dumortier.
- C’est contraire au règlement. (Agitation.)
M. le président met la clôture aux voix ; elle est rejetée.
M. Dumortier.
- Messieurs, lorsque j’ai eu l’honneur de déposer mon amendement, je ne
connaissais pas toutes les lois de la matière, et ceci prouve combien il est
dangereux de lancer ainsi au milieu du budget des questions aussi délicates. Si
je ne considérais que l’intérêt de la localité à laquelle j’ai l’honneur
d’appartenir…
M. Barthélemy. - Vous nous avez dit cela ce matin.
M. Dumortier.
- Il est étonnant que M. Barthélemy…
M. le président. - Silence, messieurs, n’interrompez pas l’orateur.
M. Dumortier
répète sa phrase et ajoute que, sous l’ancien gouvernement, les provinces
portaient à leur budget les sommes nécessaires pour les enfants trouvés et
abandonnés.
M. Delehaye. - On sait cela. (L’agitation
de l’assemblée est constante.)
M. Dumortier.
- Si ces messieurs voulaient me laisser parler ? Depuis ce matin, mon honorable
collègue et ami M. Dubus a trouvé une loi du mois de ventôse an XIII, qui met
au rang des dépenses communales celle des enfants trouvés. L’orateur lit deux
ou trois articles de cette loi pour prouver son assertion, et déclare d’après
cela qu’il ne votera aucune allocation pour les enfants trouvés et qu’il retire
son amendement. (Aux voix ! aux voix !)
M. Jamme
prononce au milieu du tumulte les paroles suivantes. - Messieurs, je ne
traiterai nullement la question au fond ; assez d’orateurs l’ont fait avant moi
; cette question est d’une haute importance. Nous n’avons aujourd’hui à nous
occuper que d’une mesure transitoire, et je ne la considérerai que sous le
rapport de son chiffre et de l’équité. J’ai déposé sur le bureau un amendement
tendant à élever le crédit pour subside aux communes, pour subvenir à la
dépense que leur occasionnent les enfants trouvés, à 150,000 fl.
Messieurs, si vous
allouez une somme moindre, vous n’aurez adopté qu’une demi-mesure, et, d’après
ce que nous ont dit MM. Fallon et Brabant, il ne faut pas de demi-mesure, et il
y a la plus grande urgence.
Messieurs,
les enfants trouvés doivent être, selon moi, considérés comme les enfants de la
nation ; donc leur entretien constitue une charge de l’Etat. Je ne puis
admettre la proposition de l’honorable M. Mary ; il n’y aurait aucune justice
de vouloir pour le moment que les communes intervinssent pour une partie de la
dépense, parce que la répartition du subside ne pourrait se faire qu’en raison
du nombre des enfants existant actuellement, et que ces enfants se trouvent
accumulés dans les seules villes, où il y a des hospices, où on les a apportés
de tous les points du pays.
Vous ne ferez
jamais rien d’équitable, en laissant cette dépense ou partie de cette dépense
aux charges des communes, parce que toujours il y aura impossibilité de
constater le lieu de naissance de ces enfants qui, communément, sont
transportés loin du lieu qui les a vus naître.
Je désire beaucoup
voir la chambre se ranger à mon opinion. (Aux
voix ! aux voix ! La clôture !)
M.
Fallon. - Je n’ai qu’un mot à dire. Ce que vient de nous dire
M. Dumortier ne prouve rien. Il résulte, en effet, de la loi de l’an XIII ce
qui résulte du décret de 1811, que la dépense principale est à la charge du
gouvernement, et que les communes ou les départements doivent suppléer à ce qui
manque.
- La clôture, réclamée
avec de nouvelles instances, est mise aux voix et rejetée.
Les amendements de
MM. Fallon, Jamme et Mary sont successivement mis aux voix et rejetés.
M. Rogier
reprend l’amendement abandonné par M. Dumortier, qui porte l’allocation pour
les enfants trouvés à 100,000 florins.
- Cet amendement
est mis aux voix en ces termes, qui avaient été proposés par M. Mary dans la
réduction de son amendement : « Subsides pour fournir à l’entretien des
enfants trouvés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fl.
100,000. »
L’épreuve et la
contre-épreuve sont douteuses ; on procède à l’appel nominal dont voici le
résultat : 73 votants ; 44, oui ; 29, non. L’amendement est adopté. Il devient
l’article 3 du chapitre X.
L’article premier
de ce chapitre est adopté en ces termes : « Frais d’entretien et de
transport des mendiants dont le domicile de secours est inconnu et qui tombent
à charge du trésor : fl. 6,000. »
« Art. 2. Secours
à accorder aux établissement de bienfaisance en cas d’insuffisance de leurs
ressources : fl. 100,000. »
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il me semble que d’après le vote émis par la
chambre sur les enfants trouvés, on peut réduire de moitié cette allocation
sans compromettre le service.
(Moniteur belge n°116, du 25 avril 1832) M.
Rogier.
- Messieurs, puisque M. le ministre consent à réduire l’allocation à 50,000 fl.,
j’aurai peu de choses à dire ; mais je dois dire qu’il serait dangereux au
gouvernement de se laisser aller à une générosité trop facile sous prétexte des
souffrances du peuple, car je suis de ceux qui pensent que le peuple n’est pas
dans un état de misère aussi grand que le prétendent ses soi-disant amis.
Pour prouver son
assertion, l’orateur établit par des chiffres que, dans la ville d’Anvers, le
nombre des effets mis en gage au mont-de-piété a été moindre en 1831 qu’il ne
l’avait été dans les six années précédentes ; ainsi, en 1825, il avait été de
143,442, sur lesquels on avait prêté un capital de 535,950 fl. ; en 1826,
161,916 gages, capital 616,231 ; en 1827, 170,235 gages, capital 633,060 ; en
1828, 174,150 gages, capital 650,872 ; en 1829, 183,946 gages, capital 691,026
; en 1830, 172,891 gages, capital, 646,303 ; en 1831, 134,367 gages, et 483,929
fl. de capital.
L’orateur,
interrompu par quelques murmures, continue son énumération ; il prouve que
l’année 1831 a été moins féconde en crimes et en délits, en procès faits par le
fisc, en prisonniers écroués à Saint-Bernard, que les cinq années précédentes ;
il établit aussi que la population du dépôt de mendicité d’Hoogstraeten est
moindre de moitié, qu’il n’y a pas eu plus de faillites à Anvers en 1832 que
les années précédentes, enfin que dans le premier trimestre de 1832 la régence
d’Anvers a accordé 203 autorisations d’ouvrir des cafés ou des cabarets, tandis
que dans toute l’année 1829 elle n’en avait accordé que 183.
(Moniteur belge n°113, du 22 avril 1832)
M. Delehaye. - Messieurs, c’est, il n’en faut pas douter, un
sentiment tout patriotique qui a fait envisager à M. Rogier la position du
peuple comme meilleure qu’elle ne l’est réellement. Si je ne craignais l’inconvénient
qu’il y aurait à prolonger cette discussion, je dirais tout le contraire. Ses
raisons en effet ne sont pas concluantes. Il a dit que, malgré les impôts qui
pesaient sur le peuple, le nombre des engagements au mont-de-piété avait été
beaucoup moindre n 1831. Eh ! messieurs, ce ne sont pas les gens qui paient des
impôts qui mettent leurs effets en gage. (Assez
! assez !)
Le
tumulte que fait la chambre nous empêche d’entendre le peu de mots que
l’orateur ajoute. Nous entendons seulement qu’il termine en disant qu’il votera
contre l’allocation demandée.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). Fait observer qu’on ne peut se dispenser d’accorder
au moins 35,000 fl., puisqu’il y a des engagements contractés pour cette somme
avec l’établissement de Merxplas.
M.
Jullien.
- Il faut s’abstenir, messieurs, de prolonger cette discussion ; sans cela,
j’aurais à dire quelque chose de semblable à ce qu’a dit l’honorable M.
Delehaye. Il me semble que M. le gouverneur d’Anvers, en voulant prouver que le
bien-être du peuple est plus grand aujourd’hui qu’avant la révolution, a
entrepris une tâche trop difficile.
De toutes parts. - Assez ! assez ! Aux voix !
M. Rogier. - Je demande la parole. (Non ! non !)
M. A. Rodenbach. - Je n’ai à dire qu’un seul mot ; je dois dire que,
sans partager absolument la manière de voir de M. Rogier, il est certain
cependant qu’il y a amélioration dans le sort du peuple depuis quelques temps.
A Gand, par exemple, où la misère a été si grande, les ouvriers ont
généralement du travail et même pour toute la journée. Je le dis parce que cela
est vrai. Je suis franc, et si cela n’était pas vrai, je ne le soutiendrais pas
; car j’aime à dire la vérité soit pour soit contre. (Assez ! assez ! aux voix !)
M. Osy, vivement. - Je demande la parole. (Explosion de murmures et de cris : Aux voix
!)
Je ne veux parler
que sur l’amendement… (Il n’y en a pas !)
Il y en a un, messieurs. M. le ministre propose de réduire l’allocation à
50,000 fl., et moi, puisqu’il n’y a d’engagements contractés que pour 35,000
fl., je propose de réduire l’allocation à ce chiffre.
M.
Fallon. - C’est ce que je voulais proposer.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - S’il arrivait quelque cas fortuit pendant l’année,
et qu’il fallût donner à l’établissement de Merxplas des secours
supplémentaires, il serait dangereux de ne pas avoir des fonds pour cela ; car
l’établissement risquerait de crouler. C’est pour parer à un tel inconvénient
qu’il est prudent de voter plus que nous ne devons actuellement. 15,000 fl. ne
sont pas une somme trop forte. (Aux voix
! aux voix !)
M. Rogier. - Je demande la parole. (Non ! non !) pour un fait personnel. (Violents murmures.)
M.
Fallon. - D’après ce que vient de dire M. le ministre, je
propose de majorer la somme à 50,000 fl.
M. Rogier. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Aux voix ! c’est inutile.) Messieurs,
personne ici n’est plus que moi compétent pour savoir si je dois parler sur un
fait personnel.
M. le président. - Vous avez la parole pour un fait personnel.
M. Rogier. - Messieurs, il me semble qu’on a exposé d’une
manière peu réelle ce que j’avais dit. Je n’ai pas dit que la position du
peuple fût brillante, mais j’ai voulu dire et prouver que sa souffrance n’était
pas telle qu’on se plaisait à le répandre. Je suis fâché que MM. Jullien et
Delehaye n’aient pas trouvé à propos d’étayer de quelques faits leurs
assertions. (Aux voix ! aux voix !)
- L’allocation de
50,000 fl. est mise aux voix et adoptée.
Chapitre XI. - Statistique générales
Article
unique
« Art.
unique. Statistique générale : fl. 2,300. »
- Adopté sans
amendement.
Chapitre XII. - Journal officiel
Article
unique
« Art.
unique. Frais d’un journal pour la publication des pièces officielles et
recueillir les séances des chambres : fl. 17,000. »
M. Jullien. -
Messieurs, on vous propose, pour fournir aux frais d’un journal officiel dans
lequel on donne place aux publications du gouvernement et destiné à recueillir
les séances des chambres, de voter un crédit de 17,000 fl. Je déclare que,
quant à moi, j’allouerai tout ce qui sera nécessaire pour un journal qui
rendrait un compte fidèle de nos séance ; mais, s’il s’agit d’un journal qui
les rapport de la manière dont le fait le Moniteur
actuel, je déclare que je ne donnerai pas un denier.
Il faut
reconnaître une chose, messieurs, c’est que le compte-rendu des séances de la
chambre est une dette qu’elle doit payer à la nation. Le pays doit savoir ce
qui se passe et tout ce qui se dit dans cette enceinte, afin de pouvoir juger
la conduite politique de chacun de ses représentants, et jusqu’à quel point ils
continuent de mériter sa confiance. Pour cela, il faut qu’il puisse juger de la
physionomie véritable de nos séances, et il ne peut la juger que si on la lui
expose fidèlement. Or, c’est ce qu’on ne fait pas, ce qui provient peut-être de
tel ou tel rédacteur qui assiste à la séance.
J’entends souvent
des orateurs de l’opposition qui s’expriment avec clarté, même avec une
certaine élégance ; eh bien ! on les y trouve tronqués, défigurés, pleins de
non-sens, souvent même de niaiseries. N’est-ce pas bien pénible de se voir
ainsi attribuer toutes les sottises qu’on met sur votre compte ? C’est bien
assez d’être responsable de choses qu’on a dites, sans l’être encore des choses
qu’on ne dit pas. Pour vous donner un exemple entre mille de la manière dont
les séances sont rendues, je connais un membre de cette chambre, avec lequel je
suis intimement lié, qui, dans une discussion assez animée où il s’agissait de
M. le ministre de la guerre, prononça un discours pour combattre l’opinion de
ce ministre. Le lendemain, voici ce que je lus dans le Moniteur : M. un tel prononça un discours contre la proposition de
M. le ministre de la guerre (hilarité),
pas autre chose. Et que croyez-vous qu’il y avait après ? M. le ministre répond
victorieusement au préopinant (nouvelle
explosion d’hilarité), et il s’étendit complaisamment sur ce que le
ministre avait dit, et même sur ce qu’il n’avait pas dit. Je vous le demande,
est-ce là de l’impartialité ? Ce n’est pas au journaliste à juger de quel côté
sont les arguments victorieux ; c’est le public seul qui le juge, et pour cela
il fallait rapporter l’un et l’autre discours. Quand l’on voit de telle chose,
messieurs, il est impossible de ne pas voir là l’influence du ministère ; et ce
n’est pas pour donner au ministère le plaisir de voir rapporter fidèlement ses
discours, et ceux de l’opposition défigurés, que nous devons consentir au
crédit qu’on nous demande.
On dira : Mais au
moins le Moniteur rapporte les
discours écrits. Eh bien ! messieurs, cela n’est pas encore exact. Je connais
une circonstance dans laquelle l’ami dont j’ai parlé, ayant prononcé un
discours (il s’agissait de la loi des suspects) qu’il remit au Moniteur, vit le lendemain qu’on en
avait retranché la partie la plus intéressante ; il s’en plaignit, et on lui
donna des raisons qui n’étaient rien moins que satisfaisantes. D’ailleurs,
messieurs, qu’est-ce qu’un discours écrit ? Les discours écrits ne s’adressent
pas à la chambre. Ce sont des feuilles que l’on écrit chez soi, que l’on tire
de sa poche, et que l’on débite souvent sans que la discussion y gagne rien,
parce qu’ils ne répondent pas à ce qui vient d’être dit, et que ce n’est pas
par eux que l’on peut juger de la physionomie de la chambre. Ce sont les
discours improvisés qui constituent cette physionomie ; ce sont ceux-là qu’il
est intéressant de reproduire.
On dit que,
puisque la tribune est ouverte à tous les journalistes, il ne faut pas craindre
que la vérité ne soit pas connue ; car l’un rapporte fidèlement
ce que l’autre aura omis. C’est là une erreur. Le Moniteur seul peut rapporter les séances avec fidélité, parce que
seul, grâce au subside qu’il reçoit, il peut leur donner assez d’étendue. Les
autres journaux ne pourraient y consacrer leurs colonnes sans se condamner à
être fort ennuyeux, et l’exactitude rigoureuse serait peu profitable à leur
entreprise. Tout ce qu’on peut exiger d’eux, c’est de la fidélité dans la
substance des discours dont ils veulent donner une idée. En un mot, messieurs,
ce que je demande, c’est un journal à l’instar de celui qui se publie en
France. Un journal, le Moniteur français,
que l’on a appelé avec raison l’« inexorable Moniteur », parce qu’il offre sans cesse aux yeux de l’homme
public la fidèle expression de ce qu’il fut, de ce qu’il dit en telle ou telle
circonstance, et parce qu’il est toujours là comme un témoin vivant, prêt à
déposer contre tant d’hommes qui viennent se vendre corps et bien à tout
ministre qui consent à les acheter ; ce Moniteur,
combien de lâchetés, de bassesses, de turpitudes, n’a-t-il pas dévoilées, mais
aussi et par cela même n’a-t-il pas empêchées ! Et combien d’hommes n’a-t-il
pas retenu sur le bord du précipice, par la crainte seule de se voir
publiquement dévoilés ! Je voterai pour un pareil Moniteur, mais je n’en veux point d’autre.
M. Dumortier.
- Messieurs, il est indubitable à mes yeux que le gouvernement doit avoir un
journal où il puisse déposer l’expression de sa pensée et consigner la défense
de ses actes. Quand nos séances sont ouvertes, les ministres peuvent venir se
défendre dans cette enceinte ; mais, quand la session est close, comment
feraient-ils, s’ils n’avaient pas un journal à eux pour repousser les attaques
auxquels ils sont exposés journellement ? Mais s’il est vrai que le
gouvernement doit avoir un journal à lui, ce que vous a dit l’honorable M.
Jullien ne l’est pas moins. Il est une vérité déplorable, messieurs, c’est que
les séances sont rapportées avec une partialité choquante. La preuve, c’est que
dans cette discussion les journaux n’ont pas une seule fois rendu compte de nos
discours à nous, membre de l’opposition, tandis que ceux des partisans du
ministère sont fidèlement rapportés. Il faut qu’un pareil état de choses cesse.
Ce que je dis ne s’applique qu’au Moniteur.
Nous ne pouvons
sans doute exiger que le Moniteur
rapporte mot à mot tout ce que nous disons ; mais nous pouvons, nous devons
exiger qu’il soit fidèle, exact et impartial dans ses comptes rendus. C’est ce
qu’il ne fait pas ; et fort heureux encore quand il ne nous fait rien dire, car
en vérité il nous fait parler d’une manière tout à fait contraire à ce que nous
avons dit. Au commencement de la session, M. Ch. Vilain XIIII avait proposé, et
je regrette qu’on n’ait pas adopté sa proposition, de nommer un sténographe qui
aurait été aux ordres de la chambre.
Une voix. - Il faut le payer !
M. Dumortier.
- Sans doute il faut le payer, et nous ne devrons pas y regarder de près si ce que
nous disons est fidèlement rendu, tandis que maintenant il est impossible de
vous plus d’inexactitude dans le détail de nos séances ; et il faut le dire,
cela provient de ce que la même personne donnant son travail à tous les
journaux, s’il y a une faute dans l’un, l’erreur se propage dans tous les
autres, en sorte qu’on nous juge dans le public non sur ce que nous disons,
mais sur ce qu’on nous fait dire. Je déclare donc que, si au commencement de la
session prochaine la chambre n’a pas un sténographe à elle, je voterai contre
toute allocation pour le Moniteur.
M. le président. - Voici un amendement qui vient d’être déposé :
« Je propose à la chambre de rédiger ainsi l’article en discussion :
« Adjudication publique d’un journal pour la publication des actes
officiels et du compte-rendu des séances : fl. 17,000. »
M. Gendebien. - Il me semble, messieurs, que le moyen le plus sûr
d’obtenir, au meilleur marché possible, la publication des actes officiels et
le compte-rendu fidèle des séances, c’est de la mettre en adjudication
publique, et je crois d’ailleurs qu’il est de l’essence du gouvernement
représentatif de toute faire par adjudication publique. De cette manière, vous
trouverez des hommes qui ne demanderont pas mieux que de faire ce travail, et
vous éviterez les inconvénients que l’on connaît et qu’il est inutile de
signaler. Celui qui restera adjudicataire, soumis à la surveillance des
questeurs ou d’une commission de la chambre, remplira ses engagements avec
fidélité. Il est certain qu’un journal créé par le gouvernement est un
véritable monopole. Je le répète, par l’adjudication publique vous évitez tous
les inconvénients signalés, et vous obtiendrez l’impartialité, la fidélité que
la chambre est en droit d’exiger.
M. Nothomb.
- Je commence par déclarer que je considère les plaintes que vous venez
d’entendre comme fondées en ce sens que le Moniteur ne reproduit pas très
fidèlement les séances, et comme non fondées qu’on doive l’attribuer à la
partialité du rédacteur. Sous ce rapport, messieurs, je ne crois pas que les
orateurs de l’opposition aient plus à se plaindre que les orateurs que l’on
considère comme n’étant pas de l’opposition ; car les uns ne sont pas plus
maltraités que les autres. Ce qui peut être vrai, c’est que certains discours
soient parfois relégués dans le supplément, au lieu d’être classé dans le corps
de la séance ; mais cela s’explique par le besoin que l’on a de publier des
suppléments, qu’il faut remplir de discours détachés, afin d’éviter des droits
de timbre. Je n’ai qu’un mot à dire à l’appui de ce que je viens d’avancer
touchant l’impartialité du rédacteur des séances, c’est que le même homme qui
fournit les séances au Moniteur, les
fournit en même temps à des journaux de l’opposition.
Il faut, dit-on,
un journal comme le Moniteur français,
et digne qu’on lui applique comme à celui-ci l’épithète d’inexorable. Je suis
parfaitement de cet avis, messieurs ; mais savez-vous ce que coûte un pareil
journal ? Le Moniteur emploie six
sténographes …
Une voix.- Huit !
M. Nothomb.
- … qui, à raison de 5,000 fr. par an, coûtent déjà 30,000 fr. Le Moniteur français que je lis tous les
jours, se compose d’une feuille et de deux ou trois suppléments par jour, pour
lesquels il se fait des frais énormes d’impression. Savez-vous au contraire ce
que coûtent les séances du Moniteur ?
Le sténographe du Moniteur belge
reçoit 15 fr. par séance. C’est un homme seul qui a fait toutes les séances du
congrès ; il y a eu à peu près 112 séances, en sorte que pour tout cet énorme
travail, cet homme a eu un peu plus de 1,500 fr. : certes, on conviendra que ce
n’est pas trop.
Nous sommes à la
séance, nous, sans y prendre beaucoup de peine. Eh bien ! un homme tous les
jours vient à cette séance, il écoute tout ce qui se dit, il prend note de tout
; quand la séance est terminée, notre tâche finie, alors la sienne commence ;
il doit rédiger et mettre en ordre ce qu’il a entendu, et ce n’est pas 24
heures après, mais après quelques heures seulement qu’il doit livrer son
travail à l’impression. Eh bien ! pour ce pénible travail cet homme gagne 15
fr. par jour, et si je voulais comparer son traitement avec l’indemnité allouée
à chaque représentants… (Murmures
violents et prolongés.) Je ne comprends pas ces murmures, messieurs : on ne
juge jamais mieux les choses que par comparaison, et celle-ci n’est choquante
pour personne. La rédaction des séance est un travail intellectuel et
honorable. (Nous ne recevons pas de
traitement !) Je sais bien qu’on ne prétend pas payer les représentants, et
que le traitement qu’ils touchent n’est qu’une indemnité ; mais enfin, je ne
vois pas pourquoi il ne me serait pas permis de faire la comparaison que j’ai
faite.
En
résumé, je suis parfaitement d’accord avec les honorables préopinants que le Moniteur a imparfaitement rendu compte
de nos séances ; mais, avec la faible somme attribué à cette rédaction, on nous
a en donné pour notre argent. Je voudrais que le gouvernement eût les fonds
nécessaires pour obtenir plus d’étendue et plus d’exactitude dans les comptes
rendus de séances, et toutes les plaintes cesseraient bientôt.
M. Ch. Vilain XIIII. - Je demande la parole pour expliquer à M. Dumortier
comment ma proposition n’a pas eu de suite. Aussitôt après l’avoir faite, je
pris des renseignements à Paris ; on n’en a donné que j’ai lieu de croire
exact. On m’a dit que le Moniteur avait
six sténographes, et que ce journal, avec les suppléments qu’il est obligé de
publier, coûte au gouvernement 200,000 fr. Vous savez que la chambre ne s’est
pas contentée du Moniteur, auquel
elle trouvait une teinte un peu ministérielle ; elle a voulu un journal à elle.
Elle a fait un arrangement avec les éditeurs du « Sténographes, » qui
n’est pas un journal du gouvernement, et qui n’est soumis à la chambre que pour
le compte-rendu des séances ; eh bien ! ce journal ne reçoit pas moins de 5,000
fr. par mois. J’avoue, messieurs, qu’effrayé de ces chiffres, je n’ai pas cru
devoir donner suite à ma proposition.
M. C. Rodenbach. - Je crois devoir, messieurs, appuyer par quelques
mots l’allocation demandée pour un journal officiel.
La publication
d’une feuille de cette nature me paraît d’autant plus nécessaire qu’elle est en
quelque sorte le seul moyen convenable que possède le gouvernement pour donner
une grande publicité aux actes officiels. La législation n’en retire pas moins
d’avantages. Le Moniteur est
ordinairement le journal qui rend le compte le plus étendu des séances des deux
chambres : chose utile, essentielle même pour l’interprétation des lois. L’on
pourrait dire que le journal officiel est le véritable dépôt des archives de la
représentation nationale.
Si l’on se plaint
du Moniteur comme étant dépourvu
d’intérêt et comme donnant peu d’articles originaux sur la situation du pays,
c’est qu’on ne considère pas que la circonspection, la modération doivent être
l’apanage d’un journal officiel, surtout lorsqu’il traite des affaires
publiques.
Je pense, messieurs, que dans un moment de schisme, dans un moment où
les passions politiques sont encore dans l’effervescence, il est juste
d’accorder aux ministres une arène dans laquelle ils puissent défendre les
actes de leur administration, repousser les attaques et neutraliser les
calomnies auxquelles ils sont souvent en butte.
Pour ces divers
motifs, messieurs, j’admets en principe l’existence d’un journal officiel, que
je considère comme une conséquence, comme une nécessité du gouvernement
représentatif.
Je voterai donc
pour la somme demandée et contre l’amendement de l’honorable M. Gendebien,
parce qu’il me semble qu’un journal officiel appartient plus particulièrement
au pouvoir exécutif.
M. Destouvelles. - Messieurs, il n’est que trop vrai que les séances
ne sont pas rendues avec toute l’exactitude désirable. Mais faut-il en conclure
qu’il y a partialité de la part du rédacteur ? Non sans doute. C’est la
conséquence d’un fait qu’on est forcé de reconnaître. C’est que le personnel
des sténographes pour la rédaction du Moniteur
n’est pas suffisant. Il est impossible, en effet, que pour une somme aussi
modique vous ayez des séances sténographiées d’une manière irréprochable. Nous
avons eu dans la section centrale quelque explication avec l’éditeur du Moniteur ; il nous a dit que ce n’est
pas un sténographe, mais deux qu’il faudrait.
Je
demande, en conséquence, une majoration de 8,000 fl. sur la somme portée au
budget. Je ne crois pas que l’adjudication publique, proposée par M. Gendebien,
puisse atteindre le but qu’on se propose. Si d’un côté il est juste que la
chambre soit jugée d’après le compte exact de ses séances, il est juste d’autre
part que le gouvernement ait une feuille pour la défense de ses actes et du
système qu’il s’est tracé. Mais je le répète, si on veut un travail
satisfaisant, il faut renforcer le personnel des sténographes, et qu’ils soient
deux au moins, pour que, quand l’un finit, l’autre commence. C’est ainsi qu’à
Paris il y en a plusieurs au Moniteur,
de manière que quand l’un cesse d’écrire, l’autre en est averti par un coup de
coude, et commence à son tour ; ils coordonnent ensuite leur travail respectif,
et ils obtiennent ainsi la régularité nécessaire.
M. Jullien. - L’honorable M. Nothomb veut bien reconnaître la
vérité de quelques-uns de nos griefs, mais il refuse de convenir d’une sorte de
partialité dans la manière dont se fait le Moniteur.
Cependant je lui signalerai une petite particularité qui m’a frappé. Un jour M.
Nothomb nous prononça un discours sur les divers systèmes politiques et sur la
diplomatie, et je vis, le lendemain, ce discours imprimé en gros caractère que
l’on appelle, je crois, cicéro (hilarité
générale), tandis que tous les discours de la pauvre opposition sont
toujours imprimés en caractère de pied de mouche (nouvelle hilarité), et de manière à empêcher, à la seule vue, les
lectures d’en entamer la lecture. Voilà un fait vrai, et M. Nothomb a tort de
bonne foi pour ne pas en convenir. On a parlé des grands frais que coûte le Moniteur en France. Messieurs, nous
sommes moins nombreux que les députés de France et moins vertueux aussi ; deux
sténographes nous suffiraient donc, et, à 5,000 fr. chacun, leur traitement
serait assez élevé, et je crois qu’un Moniteur,
impartialement rédigé, ayant l’avantage de la publication des pièces
officielles, et par cela seul que nul ne peut donner les séances avec autant
d’étendue que lui, ferait de tout aussi bonnes affaires que tel autre journal
que ce fût.
M.
Rodenbach a parlé de la nécessité pour le ministère d’avoir un journal destiné
à repousser les attaques dont il peut être l’objet. Je ne veux pas retirer
cette faculté au ministère. Cet avantage, je consens bien à le lui accorder, et
même à ce que cette feuille soit une cassolette où fumerait tous les matin
l’encens de lui ou de ses amis ; mais il ne s’ensuit pas que nous n’ayons le
droit d’exiger que cette même feuille contienne un détail fidèle et impartial
de ce qui se dit à nos séances. J’appuie donc l’amendement de M. Destouvelles,
et on nous accordera par ce moyen tout ce que nous avons le droit de demander.
M. Gendebien. - Je pense que, si on consent à l’adjudication
publique, il ne sera pas nécessaire de majorer la somme. Il n’y a pas de
journal qui croirait se compromettre en acceptant par adjudication la charge de
faire ce qu’on veut exiger du Moniteur.
Il y a certains journaux qui répugneraient à traiter avec le ministère par un
acte secret. Mais, par adjudication publique, il n’en est pas un seul qui ne
s’empressât de traiter. Et je puis affirmer, car j’en ai la conviction, que
vous atteindrez, par ce moyen plutôt que par tout autre, le but que vous vous proposez.
Sans entrer dans
la question s’il est ou non nécessaire au ministère d’avoir un journal à lui,
je répète qu’il n’y a pas de journal qui ne fût bien aise, en touchant tous les
trois mois une part aliquote de la somme allouée, de publier et les actes
officiels et les séances des chambres. Du reste, de quelque manière qu’on
agisse, peu importe, pourvu que désormais les séances soient rendues avec
impartialité.
M. Dumortier. -
Je ne suis pas étonné que M. Nothomb se montre satisfait du Moniteur, puisqu’il y est si bien
traité. On convient que les séances ne sont pas rapportées fidèlement, et on
conteste qu’il y ait partialité ; eh bien ! je soutiens qu’il règne dans des
comptes rendus une partialité scandaleuse. Je ne puis m’empêcher de le dire, et
je pourrais citer un fait qui m’est personnel pour le prouver. Pendant six
semaines, j’ai parlé fréquemment comme rapporteur du budget ; pas un seul de
mes discours n’a été rendu dans le Moniteur
; n’est-ce pas, je le répète, une partialité scandaleuse ? On a dit que le
rédacteur des séances ne gagnait que 15 fr. par jour : qu’on en donne 30, s’il
le faut, et que les séances soient bien rendues. On a dit encore qu’en sortant
d’ici, il fallait que le rédacteur s’occupât de faire la séance ; mais c’est
précisément ce que je ne veux pas. Je ne veux pas qu’on la fasse la séance ;
nous ne voulons pas une fabrique de séances . (Violents murmures.) Il faut au contraire que les séances du Moniteur ne soient que le miroir fidèle
de ce qui se passe ici.
Deux sténographes
sont indispensables, pour se contrôler mutuellement ; ayons donc des hommes
capables, mais je demande que dans aucun cas le sténographe de la chambre ne
puisse être attaché à un journal appartenant à des membres de cette chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Je pense aussi que le Moniteur doit
rendre fidèlement compte des séances, et, quant à moi, je n’ai jamais cru que
le ministère dût en influence la rédaction le moins du monde. Quant à la
partialité dont on a parlé, il est hors de doute que quelques individus, par
leur relation avec le Moniteur, peuvent
exercer une certaine influence sur ce journal, comme d’autres personnes sur
d’autres journaux.
Le seul moyen de
faire cesser les plaintes qui s’élèvent, c’est de majorer la somme demandée
pour le journal officiel ; car il est incontestable que la somme allouée est
beaucoup trop minime.
Quant à
l’adjudication publique proposée, elle est impossible, et voici pourquoi : Vous
savez que, sous le gouvernement du régent, un contrat fut passé avec le sieur
Feuillet-Dumus pour la publication du Moniteur.
Ce contrat fut fait à des conditions fort onéreuses, et, entre autres clauses,
on y en trouve une par laquelle l’impression du Moniteur ne pourra être accordée à un autre éditeur qu’à la
condition de payer à M. Feuillet-Dumus un dédit de 12,000 fl. (L’orateur lit
l’article du contrat portant cette clause.)
Une voix. - Mais il y a faculté de résilier.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Oui, messieurs, l’article 10 donne au gouvernement le droit de résilier le
contrat en prévenant l’éditeur six mois à l’avance, mais en payant encore une
indemnité de 3,000 fl.
Je pense
qu’indépendamment du compte rendu des séances, il est indispensable que le
gouvernement puisse exposer son opinion dans un journal à lui. Dans le cours de
la session, il est peut-être utile qu’il ne soit en contact qu’avec la chambre
; mais, après la session, il doit pouvoir rendre compte de ses actes par la voie de la presse, et librement, dans un
journal qui ne puisse lui refuser cette satisfaction. Je crois donc que le seul
moyen pour faire cesser les plaintes, c’est de majorer la somme demandée ;
ensuite, de prendre des mesures pour que le compte rendu des séances soit
soumis à l’approbation de MM. les questeurs ou de tous autres membres de
l’assemblée. (La clôture ! la clôture !)
- La clôture est
prononcée.
M. le président. - Il y a deux amendements : celui de M. Gendebien…
M. Gendebien. - Je le retire.
Celui de M. Destouvelles,
restant seul, est mis aux voix et adopté.
Chapitre XIII. - Archives du royaume
Article
premier
« Art. 1er.
Archives du royaume : fl. 22,800. »
La section
centrale propose de réduire l’allocation à 15,300 florins.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) combat la réduction proposée par la section centrale.
M. Angillis. - Messieurs, les archives d’un pays sont une
propriété nationale, et une propriété si précieuse que toutes les nations
apportent un soin religieux à sa conservation ; et ce n’est pas sans raison ;
car c’est par la conservation des actes de ceux qui nous ont précédés sur la
scène du monde, que le passé se lie au présent ; c’est dans ce dépôt que le
diplomate peut se convaincre que ses confrères des temps passés ne ressemblent
pas mal, sous le rapport de la franchise et de la bonne foi, à ses confrères du
temps présent ; c’est là que le législateur, par des études approfondies,
nourrir sa raison par l’expérience et les connaissances de nos ancêtres ; c’est
là enfin que d’immenses matériaux sur notre histoire politique et législative
sont mis à la disposition de tous les amis de la science, et que l’homme qui
sent le besoin d’apprendre, trouve d’abondantes ressources pour orner son
esprit et éclairer sa raison.
Nos archives,
messieurs, sont d’une richesse peu commune, et, quand on songe que, pendant des
siècles, la Belgique a été dominée par des puissances qui nous traitèrent comme
de très humbles serviteurs des circonstances, et qui avaient plus à cœur nos
écu que la gloire et l’honneur du pays, et que chaque changement de domination
a été marqué par des enlèvements considérables d’une partie de nos documents
nationaux, on doit être étonné de se voir en possession d’un trésor aussi
précieux.
Maintenant,
messieurs, il s’agit de conserver ce qui nous reste ; il s’agit encore d’autre
chose, il faut classer ces archives pour les rendre utiles : il faut que nous
sachions ce que nous avons, et que nous puissions trouver sans beaucoup de
peine, dans cette immense collection, les pièces dont on peut avoir besoin, et
pour cela, il ne faut pas seulement classer, il faut encore faire des
catalogues ; toutes ces opérations, messieurs, sont plus ou moins dispendieuses,
mais, en ce qui tranche la question, c’est qu’elles sont indispensables.
La section
centrale, animée d’un ardent désir, très louables sans doute, de nous donner en
perspective cette espèce de gouvernement qu’on est convenu d’appeler
gouvernement à bon marché, propose une réduction proportionnellement très
considérable sur ce chapitre ; je dis très considérable, car, sur une somme de
22,800 florins, elle vous propose de retrancher 7,600 florins : c’est tout
justement le tiers de la somme. Si la section centrale avait raison, ce
gouvernement à bon marché, que j’ai toujours considéré comme une plaisanterie,
serait réellement possible. Mais, messieurs, il ne suffit pas de faire des
réductions sur les dépenses de l’Etat ; car, de même que la proposition d’allocations
doit être justifiée par la nécessité, la proposition de réduction doit être
justifiée par la possibilité qu’elle puisse se faire sans que le service en
souffre, et, dans le chapitre que nous examinons, j’ai la conviction que si la
réduction que la section centrale a proposée était adoptée, la classification
de nos archives nationale deviendrait impossible, et ce précieux dépôt serait
pour la nation à peu près comme s’il n’existait pas.
Je
dois à la vérité de déclarer, messieurs, que lorsque j’eus l’honneur de
présider la commission des crédits provisoires, je pensais qu’on pouvait porter
de l’économie dans cette partie du service public ; mais alors je ne
connaissais pas toute l’importance de nos archives ; je suis franchement revenu
de cette première opinion, et j’ai la certitude que tous ceux qui partagent
cette opinion avoueront leur erreur, s’ils veulent se donner la peine de
visiter ce dépôt.
Je voterai donc
pour l’allocation demandée.
(Moniteur belge n°116, du 25 avril 1832)
M.
Helias d’Huddeghem. - Messieurs, personne de nous n’ignore l’importance
des archives du royaume de la Belgique sous le triple rapport, comme l’expose fort
bien l’auteur d’une brochure qui nous a été remise il y a quelques temps 1° de
l’histoire de la patrie, 2° de l’administration publique, 3° des intérêts des
citoyens. Les archives du royaume se trouvent depuis 1822, dans la partie des
bâtiments du palais de justice qui regarde la rue de la Paille et la place du
grand Sablon ; je dois vous déclarer, messieurs, qu’on ne pourrait leur
assigner un local plus dangereux : par le défaut d’espace, une partie des
archives se trouvent reléguées dans le grenier, et ainsi exposées à des
détériorations journalières. Au-dessous des pièces qui contiennent la plus
grande partie du dépôt, sont les bureaux des tribunaux civils et du commerce :
le bâtiment est même exposé aux dangers du feu, puisqu’il est contigu à une boulangerie.
Les archives ne peuvent donc, sans de graves inconvénients, demeurer dans les
bâtiments qu’elles occupent aujourd’hui.
Tous
les gouvernements qui se sont succédé dans ce pays ont eu grand soin de ces
archives, qui sont un dépôt vraiment digne de l’attention de la législature ;
nous montrerons-nous moins jaloux de leur conservation, je ne le crois pas.
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, la section centrale a proposé une
réduction de 6,600 fl. sur le chapitre XV. J’appuierai plusieurs de ces
réductions, entre autres celle de l’article 6 relatif aux documents à publier
pour l’histoire du pays. Sans aucun doute que ces dépenses peuvent être remises
à de meilleurs temps ; mais je ne saurais approuver celles des articles 1, 3 et
5 demandées pour les soins à porter aux archives existantes à Bruxelles, pour
celles déposées dans les divers locaux des provinces, et pour les frais de
recouvrements des archives belges détenues chez des puissances étrangères ; une
grande partie de ces dernières ont été transportées à La Haye, d’autres à Paris
et à Vienne, et le devoir impérieux du gouvernement sera de réclamer ces dépôts
aussitôt la paix conclue. Il serait impossible d’opérer ces translation avec
une somme de 1,000 fl., puisqu’outre les frais de transport, il importera
d’envoyer sur les lieux des archivistes capables. Ces frais, du reste, ne
seront que temporaires, et c’est sous ce titre qu’ils sont portées au budget.
Quant au salaire
des employés et aux frais d’administration du dépôt central à Bruxelles, que
l’on veut réduire, je ne puis y souscrire, surtout au moment où c’est dans ces
archives que l’on s’efforce de rechercher les anciens titres de la nationalité
belge, que l’on a besoin de s’appuyer des documents de notre histoire ou de
notre ancienne administration, pour réclamer à l’extérieur l’exécution des
traités, pour fournir à l’intérieur toutes les pièces nécessaires aux communes
ou aux particuliers pour faire valoir leurs droits de concessions et
d’indemnités à charge de l’Etat. C’est ainsi que, par rapport aux négociations
à ouvrir pour l’écoulement des eaux des Flandres, on trouvera aux archives tous
les anciens procès-verbaux, tous les documents relatifs à cette affaire entamée
jadis sous Joseph II. C’est ainsi que, par rapport aux engagères et autres
dettes dues par l’Autriche et la Hollande à des citoyens
belges, on pourra s’enquiescer aux archives de la réalité des réclamations et
les appuyer de preuves suffisantes. C’est ainsi encore que les particuliers ou
les villes qui jadis possédaient des routes, des passages d’eau et d’autres
concessions, pourront là recueillir leurs diplômes. Toutes ces recherches
doivent être rétribuées ; elles sont considérables et ne peuvent être couvertes
que par l’allocation demandée. Déjà on a demandé que le travail des concessions
fût soumis aux chambres, et il sera sans doute reconnu que sa prompte
expédition est nécessaire. A cet effet, il faut qu’un certain nombre
d’écrivains et d’employés soient mis à l’œuvre pour terminer cette besogne, et
qu’ainsi une somme suffisante soit accordée au ministre. Je demanderai donc
qu’une augmentation de 5,100fl. soit ajoutée au chiffre de la section centrale,
proposition qui diminuera cependant le chiffre du ministère de 2,500 fl.
(Moniteur belge n°113, du 22 avril 1832)
M. Gendebien
combat la réduction proposée ; il fait observer qu’on n’improvise pas un
archiviste comme un commis de douanes, qu’il faut pour remplir de telles
fonctions des hommes spéciaux et capables ; sans cela, on aurait des archives
pour le seul plaisir de les avoir, mais elles ne seraient d’aucune utilité.
- L’article
premier du chapitre, relatif au traitement de l’archiviste et aux fournitures
de bureau, est mis aux voix et adopté, nonobstant l’opposition de M.
Dubus, qui s’est attaché à
justifier les réductions proposées par la section centrale. Le chiffre de cet
article est de 10,000 florins.
Article
2
L’article 2 porte 2,000
fl. pour frais de translation des archives ; il est adopté sans amendements.
Articles
3 à 6
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) propose un article 3 ainsi conçu : « Loyer et
appropriation d’un location pour la translation des archives : fl.
3,000. »
- Cet article est
adopté aussi bien que les articles 4, 5 et 6 ; le premier relatif aux archives
de l’Etat dans les provinces, dont le chiffre est de 2,000 fl. ; le deuxième,
frais dans d’inspection des archives les provinces, 3,300 fl. ; et le dernier,
indemnité pour publication de documents relatifs à l’histoire du pays, 1,500
fl.
Chapitre XIV. - Subsides aux villes et communes
Article
unique
« Art.
unique. Subsides aux villes et communes, secours, médailles pour actes
d’humanité : fl. 807,500. »
(Moniteur belge n°116, du 25 avril 1832)
M. Tiecken de Terhove. - Messieurs, il me semble que ce n’est pas à l’Etat à
venir au secours des villes et communes ; le trésor ne doit avoir de
destination que pour tout ce qui es d’utilité et d’intérêt général. Chaque
commune doit établir son budget de dépenses en raison de ses ressources ; mais
beaucoup de villes, et surtout les grandes villes, n’ont pas suivi ce principe
; la manie des embellissements en a saisi quelques-unes, les a obérées, et
aujourd’hui elles trouveraient fort commode que l’Etat payât leurs folies.
C’est justement ce que nous, mandataires de la nation, nous ne devons, nous ne
pouvons permettre ; il doit y avoir égalité pour tous, et quelques localités ne
doivent pas être favorisées aux dépens des autres. S’il y a des communes qui,
malgré une administration sage et économe, n’ont pas les moyens de satisfaire à
des besoins urgents (et il en existe peut-être, surtout parmi les petites
villes et les communes rurales, qui anciennement ont été obérées par des
prestations de guerre, dont les charges les accablent encore aujourd’hui), ce
serait plutôt à l’administration provinciale à venir à leur secours ; elle
seule sera à même de juger avec connaissance de cause de leurs besoins, et, si
les demandes en secours sont fondées, en adoptant ce principe on évitera les
surprises, on écartera l’intrigue, et rien ne sera accordé à la faveur et à
l’obsession. Si contre mon attente cette allocation était accordée, je
craindrais beaucoup que les petites communes, qui généralement ont le moins de
ressources, n’y participassent guère. Il me semble, messieurs, qu’en nous
demandant une somme si considérable, M. le ministre aurait dû nous présenter un
tableau du nombre des villes et communes qui sont destinées à participer à
l’allocation demandée, et le contingent de chacune d’elles. Je dois croire que
ce tableau doit exister déjà, pour avoir pu déterminer le chiffre. Dans tous
les cas, mes honorables collègues qui seraient disposés à accorder la totalité,
ou une partie de cette somme, seront sans doute charmés d’avoir quelques
éclaircissements à cet égard, pour ne pas devoir voter en aveugles ; pour moi,
qui refusais cette allocation et qui en demande la suppression, je n’y tiens
pas.
(Moniteur belge n°113, du 22 avril 1832)
La section centrale propose de réduire l’allocation à 157,600 fl. M. le
ministre se rallie à cette proposition, qui est adoptée.
Chapitre XV. - Dépenses imprévues
Article
unique
La chambre adopte
ensuite le chapitre XV et dernier, intitulé : Dépenses imprévues, dont
l’article unique sera ainsi rédigé : Crédit ouvert pour dépenses imprévues,
20,000 fl.
Chapitre III. - Travaux publics
Article
additionnel
M. Dubus
fait ensuite, au nom de la section centrale, un rapport sur les amendements de
M. d’Huart, tendant à accorder un crédit de 5,000 fl. pour l’achèvement de la route
de Virton à Arlon ; de M. Fallon, tendant à accorder un crédit de 36,000 fl. à
la province de Namur, pour la route de Charleroy vers Rocroy, et de M. Osy,
tendant à allouer celui de 230,000 fl., pour payer les primes à payer aux
armateurs de navires.
La section
centrale a été d’avis de rejeter les trois amendements, le premier, parce qu’il
suffira de vérifier que le gouvernement a contracté l’obligation d’aider les
communes à construire la route, pour qu’il puisse rendre les fonds suffisants
soit sur les 150,000 fl., alloués pour l’agriculture, le commerce et
l’industrie, soit sur les dépenses imprévues ; celui de M. Fallon, parce qu’on
n’a pas eu le temps de vérifier la justice de la demande, et qu’on pourra,
d’ailleurs, demander plus tard un crédit spécial pour cet objet ; enfin, celui
de M. Osy, comme intempestif.
- Ces conclusions
sont adoptées sans débat notable, et le vote définitif sur le budget, renvoyé à
samedi matin à 9 heures.