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« Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore JUSTE

 

Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)

 

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LIVRE TROISIEME. LA REGENCE

 

CHAPITRE III

 

Vues dominantes de la politique de M. Van de Weyer, ministre des affaires étrangères

 

(page 44)  En prenant possession du ministère des affaires étrangères, M. Van de Weyer devait naturellement accepter l'héritage du comité diplomatique dont il avait été président. Le comité lui avait légué l'exemple d'une sage et noble résistance, disait-il, aux empiétements des grandes puissances sur les droits de souveraineté de la Belgique. Le nouveau ministre ne pouvait donc répudier les principes qu'il avait lui-même proclamés et qu'il n'avait cessé de soutenir avec un patriotique dévouement. Aussi, en exposant (page 45) au régent ses vues sur la politique extérieure de la Belgique, M. Van de Weyer annonça-t-il que quatre points surtout fixeraient son attention :

1° L'armistice, dont il demanderait l'exécution pleine et entière, en rappelant les notes fournies antérieurement, et notamment celle du 21 février. Si cette exécution était refusée, si la ville d'Anvers n'était point évacuée, si l'on persistait à tenir le pays dans cet état de suspension d'armes, qui n'était ni la paix ni la guerre, et qui produisait pour le pays tous les maux de celle-ci, sans aucun des avantages de celle-là, la Belgique, après avoir donné les preuves les moins équivoques de son désir d'éviter une conflagration universelle, serait autorisée à se déclarer déliée d'un engagement dont aucune condition n'était exécutée, et à reprendre les hostilités.

2° Toutefois, si la reprise des hostilités n'avait pas lieu, le ministre aviserait aux moyens de traiter directement avec la Hollande, et de provoquer la nomination de commissaires chargés de discuter contradictoirement les points en litige, et de jeter les bases d :un traité définitif.

3° Il se proposait de présenter de nouveau, sous son véritable point de vue, la question du Luxembourg, qui paraissait en général mal comprise, et provoquer des explications positives à cet égard.

4° Enfin, il n'oublierait point que la question du chef de l'Etat était la première sur laquelle il dût chercher à préparer une solution qui conciliât tous les intérêts, et mit un terme, d'une part, à cet état de souffrance où l'incertitude avait jeté le commerce et l'industrie, et, de l'autre, aux coupables manœuvres de quelques partisans de la famille déchue. (Note de bas de page : Voir le rapport adressé, par M. Van de Weyer, au régent de la Belgique et déposé dans la séance du Congrès du 31 mais 1831).

(page 46) Tel serait le sens des instructions que le ministre des affaires étrangères se proposait de donner aux envoyés chargés de notifier l'élection du régent aux cours de France et d'Angleterre.

 

Rappel de M. le comte de Celles ; il est remplacé à Paris par M. Ch. Lehon

 

Depuis la tentative malheureuse qui avait été faite pour élever le duc de Nemours sur le trône de la Belgique, M. le comte de Celles ne pouvait plus représenter utilement le gouvernement à Paris. Une partie du Congrès rejetait sur lui la responsabilité de la déception dont on avait été victime ; plusieurs membres avaient même demandé son rappel, l'accusant publiquement ou de s'être laissé tromper par des courtisans, ou d'avoir sciemment trompé le peuple belge. M. Van de Weyer n'osa point se roidir contre des exigences que le passé semblait légitimer. M. le comte de Celles reçut bientôt une dépêche par laquelle le ministre des affaires étrangères l'informait que des raisons de politique intérieure avaient décidé le régent à le rappeler de Paris. Le cabinet français apprit cette détermination avec autant de peine que d'étonnement ; car M. de Celles n'avait pas seulement cherché à favoriser la politique française, il était encore un ami personnel du roi Louis- Philippe (Note de bas de page : M. Sébastiani exprima les regrets du cabinet français dans une lettre adressée, le 7 mars, au général Belliard. « Les Belges, disait-il, ne pouvaient avoir ici un envoyé plus digne de confiance ni plus capable de bien comprendre leurs vrais intérêts et la politique si franchement amicale que nous suivons à leur égard. M. le comte de Celles a loyalement rempli, j'aime à le dire, son importante mission, et laissera de justes regrets chez tous ceux qui ont pu apprécier son caractère et ses qualités. Je viens, par ordre du roi, de lui en écrire, et de lui exprimer les sentiments de bienveillance et d'estime que Sa Majesté a conçus pour lui. Quant à moi personnellement, je vois avec peine le rappel de M. de Celles, et je souhaite vivement, dans son successeur, le même esprit de sagesse et de conciliation, la même entente des intérêts de son pays et des rapports qui doivent exister entre la Belgique et la France. Vous pouvez en parler .dans ce sens à M. de Chokier, ainsi qu'aux ministres belges. » — M. de Celles, irrité de ce qu'il considérait comme un acte d'ingratitude, donna, le 30 mars, sa démission de membre du Congrès, et continua de résider en France. Après l'avènement du roi Léopold, il se fit naturaliser Français. Il mourut, le 2 novembre 1841, sans qu'aucune de ses prédictions sur les calamités qui attendaient la Belgique se fût réalisée). Le régent lui donna pour successeur M. Ch. Lehon, (page 47) tandis que M. le comte d'Arschot était désigne pour annoncer l'élection de M. Surlet de Chokier au gouvernement britannique.

 

Préventions des Anglais contre la révolution belge, surtout depuis l'élection du duc de Nemours

 

Jusqu'alors la révolution belge ne jouissait pas d'une grande popularité en Angleterre. Les démêlés des anciennes provinces méridionales du royaume des Pays-Bas avec le roi Guillaume Ier y avaient été présentés sous un faux jour, et, comme on ne comprenait pas ce que l'on appelait l'obstination des Belges, on avait fini par les considérer comme la cause de l'agitation qui régnait en Europe. Il était douteux que le ministère tory du duc de Wellington, s'il avait prolongé son existence, eût reconnu l'indépendance de la Belgique ; le ministère whig de lord Grey, tout en nous montrant des dispositions plus favorables, n'avait pu voir cependant qu'avec un profond déplaisir l'élection du duc de Nemours. Le cabinet anglais attribuait des tendances exclusivement françaises à la plupart des hommes qui avaient jusqu'alors dirigé les affaires de la Belgique ; et la nomination même de M. Surlet de Chokier à la régence du royaume était considérée, au delà du détroit, comme un moyen de favoriser la France  (Note de bas de page : La majorité du comité diplomatique croyait de bonne foi que la Belgique ne devait espérer son salut que de la France, et de la France seule. Tandis qu'une députation du Congrès était allée notifier à Louis-Philippe l'élection du duc de Nemours et que la Belgique attendait avec anxiété la réponse du roi des Français, le comité diplomatique écrivit (le 18 février) à M. de Celles ce qui suit : « Nous ne pouvons rester dans l'incertitude où nous laisse la marche suivie par le gouvernement français. Les efforts des partisans de la république n'ont rien de bien sérieux. Ceux qui professent « un attachement sincère et désintéressé aux institutions républicaines avouent que ce système n'est pas encore populaire. Mais encore faut-il mettre un terme à des discussions de cette nature, qui pourraient finir par n'être pas sans danger pour la tranquillité publique. – 0n paraît donc s'arrêter et se réunir autour d'une seule idée, qui germe plus que jamais et que nous devons faire fructifier si nous voulons réellement servir notre pays. Quelle que soit la décision de S. M. le roi des Français, relativement à l'élection de son fils, le duc de Nemours, comme roi des Belges, qu'il y ait un refus ou une réponse dilatoire, les membres de notre gouvernement et les députés les plus influents du Congrès semblent s'accorder pour proposer la nomination d'un régent qui tiendrait les rênes de l'État au nom de M. le duc de Nemours, roi définitivement élu ; ce régent exercerait le pouvoir suprême jusqu'à l'époque où ce jeune prince, devenu majeur, pût prononcer par là même une acceptation, indépendamment de la volonté du roi son père. Telle est, Monsieur le comte, le projet que je suis chargé de vous communiquer et que vous pourriez faire pressentir au gouvernement français, en même temps que vous consulteriez les membres de la députation belge qui se trouvent à Paris, dans le cas où, à la réception de cette dépêche, nous n'eussions pas encore obtenu de S. M. le roi des Français un consentement décisif et entier, et surtout dans le cas où l'on eût répondu à votre confiance par un refus qui, n'en doutez point, serait considéré avec un sentiment pénible par l'universalité de nos compatriotes, peu disposés à se laisser humilier et encore moins portés à se soumettre aux froids calculs de quelques politiques français qui songeraient à nous asservir. »).Il (page 48) importait donc de détromper sans délai le cabinet britannique, de lui prouver que la Belgique était bien décidée à ne pas abdiquer son indépendance, de lui témoigner enfin que le gouvernement belge, tout en voulant maintenir ses, bons rapports avec la France, ne dédaignait pas l'appui de la Grande-Bretagne.

 

M. le comte d'Arschot est envoyé en Angleterre

 

M. le comte d'Arschot est envoyé en Angleterre pour notifier au roi Guillaume IV l'élection du régent et la résolution immuable du gouvernement de la Belgique de maintenir l'intégrité du territoire et l'indépendance du pays.

M. Van de Weyer essaya d'accréditer un ministre plénipotentiaire auprès du roi Guillaume IV. Comme nous l'avons dit, M. le comte d'Arschot fut chargé de notifier au souverain de la Grande-Bretagne la nomination de M. Surlet de Chokier à la régence du royaume de Belgique pendant la vacance du trône et (page 49) de faire connaître au ministère britannique la résolution immuable du gouvernement du régent de maintenir l'intégrité du territoire et l'indépendance du pays(Note de bas de page : La lettre, par laquelle M. Surlet de Chokier annonçait sa nomination au roi de la Grande-Bretagne, n'a jamais été publiée. Elle était conçue dans les termes suivants : « Je remplis un devoir dont je m'honore de m'acquitter envers le souverain d'une puissante et noble nation, en informant Votre Majesté du choix qu'a fait de moi le Congrès belge qui m'a conféré les fonctions de régent du royaume pendant la vacance du trône. La révolution qui nous a séparés de la Hollande n'a pas besoin d'être justifiée auprès d'un monarque populaire, qui regarde comme la plus belle de ses prérogatives son titre de chef constitutionnel d'un pays où règne le respect pour des lois fondamentales et pour la foi jurée. Les Anglais ont reconquis leur liberté, quand ils ont vu méconnaître et violer par des princes appelés au trône en vertu d'un pacte solennel tous les serments qui seuls donnaient des droits au monarque ; et ils ont offert la couronne à une famille où ils trouvent aujourd'hui le gardien fidèle et le restaurateur de toutes les institutions protectrices. Le monarque et les sujets ont éprouvé, dans la Grande-Bretagne, une juste sympathie pour les Belges. A l'exemple des Anglais, nous avons senti, Sire, qu'après avoir conquis notre indépendance, il fallait nous hâter de présenter aux puissances voisines et amies un gage de notre sincère désir de concilier l'indépendance de la Belgique avec le maintien de la paix de l'Europe, une garantie d'ordre et de stabilité. Le Congrès national, en décrétant une Constitution monarchique, a voulu entourer le trône de ces créations sages et tutélaires dont la Grande-Bretagne a fourni l'exemple et le modèle. Nous croyons pouvoir compter d'autant plus sur l'estime et l'amitié de Votre Majesté que nous avons mieux suivi, dans les dispositions de nos lois, celles qui font la gloire et la prospérité de l'Angleterre.) Le ministre plénipotentiaire ne devait jamais favoriser l'idée que l'on chercherait à se former d'une disposition prochaine ou éloignée de la part du gouvernement belge à faire quelque concession relativement au sol, pas même en ce qui concernait les parties du territoire le plus vivement contestées à la Belgique. « Il serait de la même importance, disaient les instructions remises au comte d'Arschot, « de (page 50) détromper le cabinet britannique, s'il paraissait ne regarder M. le régent que comme une autorité créée provisoirement dans le dessein de préparer la réunion de la Belgique à la France. Une pareille fusion n'entre pas plus dans les vues du chef temporaire de l'État qu'elle n'est conforme aux vœux du peuple belge, dont les plus graves intérêts seraient compromis par cette mesure. Nous avons acquis notre indépendance par d'assez grands sacrifices ; les Belges ont payé assez cher une nationalité dont ils étaient jaloux au plus haut point, et dont la privation violente et forcée formait un de leurs griefs les plus sérieux contre la Hollande ; ils connaissent trop le prix d'une si noble position, pour renoncer à leur droit imprescriptible et sacré d'exister par eux-mêmes et de constituer un peuple qui n'appartienne à aucun autre que par les liens de bon voisinage, de paix et d'amitié. Vous ne sauriez assez protester contre des soupçons de cette nature, aussi injustes et mal fondés qu'injurieux pour le caractère honorable et loyal de notre nation. »

 

L'envoyé belge en Angleterre n'est pas accueilli officiellement. Ses entrevues avec lord Palmerston et le prince de Talleyrand

 

Lorsque M. le comte d'Arschot arriva à Londres, le monde diplomatique était encore ému de la fameuse proclamation du 10 mars. La première visite de M. d'Arschot ayant été pour le secrétaire du prince de Talleyrand, M. Bacourt, qu'il connaissait depuis longtemps, ce dernier lui déclara sans hésiter qu'il arrivait dans un moment extrêmement défavorable, que la proclamation du régent aux habitants du grand-duché de Luxembourg avait fait un effet épouvantable. M. d'Arschot put s'en convaincre dans la première entrevue officieuse qu'il eut avec lord Palmerston, le 22 mars. L'envoyé belge ayant exposé au chef du Foreign-Office le motif de sa visite et de sa mission à Londres, Sa Seigneurie lui dit que le régent et son gouvernement se mettant en état d'hostilité avec toutes les puissances qui faisaient partie de la conférence, les traitant sans (page 51) égard et sans ménagement, il n'était pas possible, dans un pareil état de choses, d'entretenir aucune relation diplomatique avec lui, ni qu'une reconnaissance eût lieu. Lord Palmerston entra ensuite dans de longs détails pour prouver que le gouvernement belge ne cherchait qu'à opérer la réunion avec la France plutôt que de conserver l'indépendance nationale, comme l'honneur devait le lui prescrire. M. d'Arschot put enfin répliquer que le noble lord aurait tout lieu d'être étonné que les Belges eussent assez peu d'honneur national pour sacrifier leur indépendance à la France, si tels étaient leurs sentiments véritables ; mais que le régent avait manifesté les siens de la manière la plus solennelle le jour de son installation, et que tous les Belges pensaient de même ; enfin, que l'élection même du duc de Nemours avait eu pour but de mettre l'indépendance de la Belgique sous l'égide de l'honneur de la France et d'y trouver une garantie contre son ambition . — « Il faut cependant, ajouta-t-il, que nous ayons une existence supportable et que l'on ne nous place pas dans une position où nous serions à la merci de tous nos voisins, sans moyens de défense contre eux. » —La conversation fut naturellement amenée sur les limites réclamées par la Belgique. Lord Palmerston objecta que cette question était irrévocablement décidée par le protocole du 20 janvier, et il ajouta que c'était avec peine que l'on avait obtenu de la Confédération germanique de différer l'occupation du grand-duché, mais que probablement la proclamation du régent déciderait la marche des troupes.

Dans une seconde entrevue, qui fut accordée le surlendemain à l'envoyé belge, le chef du Foreign-Office se montra plus amical. M. d'Arschot commença par faire l'éloge du caractère droit et loyal du régent ; il dit que M. Surlet de Chokier, loin de désirer de conserver longtemps le pouvoir, voulait faciliter au Congrès la nomination d'un souverain ; et qu'il remplissait ses intentions en consultant le cabinet anglais sur les convenances du choix qu'il y (page 52) aurait lieu d'indiquer à cette assemblée. Lord Palmerston répondit qu'il n'avait aucune prévention personnelle contre le régent et qu'il ne s'était plaint que de la politique qu'il suivait ; que, d'ailleurs, il était impossible d'entrer en aucune négociation aussi longtemps que le gouvernement de la Belgique se mettait en état d'hostilité avec l'Angleterre, en rejetant les arrangements auxquels elle avait concouru, et dont elle était fermement résolue à ne pas s'écarter, non plus que les autres puissances, pas même la France. Il lui paraissait donc inutile d'examiner quel serait le choix le plus propre à faire le bonheur de la Belgique, tant que celle-ci imposerait à ce souverain l'obligation de jurer une constitution qui empêcherait les puissances de le reconnaître ; qu'il fallait avant tout déterminer le territoire sur lequel il serait appelé à régner en traçant les limites de la Belgique, conformément au protocole du 20 janvier. A tous les raisonnements que M. d'Arschot présenta pour soutenir les droits de la Belgique, le noble lord opposait la volonté des puissances qui, en consentant à la séparation de la Belgique d'avec la Hollande, n'ôterait pas à celle-ci, sans équivalent, un seul des villages qui lui avaient appartenu avant 1790. — « Mais, fit observer l'envoyé belge, ce principe n'est pas applicable au Luxembourg, sur lequel le roi de Hollande n'a jamais eu la moindre prétention. » — « Si vous pouvez défendre le Luxembourg contre la Confédération germanique, répondit le ministre anglais, nous ne nous y opposons pas ; mais prenez garde de compromettre par une lutte imprudente l'indépendance que nous voulons vous garantir... Pour le Luxembourg, ce n'est proprement qu'un conseil que nous vous donnons dans votre intérêt, la décision de ce point appartenant à la Confédération germanique, qui n'abandonnera pas ses droits ; et M. Cartwright (ministre de Sa Majesté Britannique à Francfort) m'a mandé hier que dans quinze jours elle y ferait entrer des troupes.» - L'envoyé belge opposa l'assurance donnée par M. le comte Sébastiani à la (page 53) tribune française que l'on négociait pour le Luxembourg. — « J'ignore, lui répondit son interlocuteur, ce que M. Sébastiani peut avoir dit, mais nous avons par écrit l'assurance que la France ne s'opposera pas à l'entrée des troupes allemandes dans le grand-duché, et, si vous reprenez les armes, pourrez-vous lutter à la fois contre les troupes de la Confédération et contre l'armée hollandaise ? « - Il finit par déclarer que la suspension d'armes n'avait jamais été applicable au grand-duché, et il conseilla de nouveau, dans l'intérêt de la Belgique, l'acceptation des limites fixées par le protocole du 20 janvier.

M. d'Arschot fut reçu le 25 par M. le prince de Talleyrand, qu'il trouva encore plus prévenu et plus inflexible que lord Palmerston. Le célèbre diplomate, persuadé que la paix du monde reposait sur le maintien des traités de 1814 et de 1815, dissimulait mal les contrariétés que lui faisait éprouver la révolution belge ; et il manifestait même du ressentiment contre le gouvernement qui avait montré peu de respect pour des actes auxquels il avait concouru. Aussi prit-il de très haut la proclamation du régent, allant jusqu’à dire que si le gouvernement belge se permettait encore de pareils actes, la France lui retirerait son appui. Il déclara également que le protocole du 20 janvier était irrévocable.

 

But de la mission confiée à M. Lehon

 

Cependant les instructions remises par M. Van de Weyer a M. Ch. Lehon, nommé ministre plénipotentiaire auprès du roi des Français, n'étaient qu'une longue protestation contre ce protocole que la force voulait imposer aux Belges. Le ministre plénipotentiaire devait demander au cabinet français une explication franche et catégorique sur ce que les Belges avaient à craindre et a espérer de la part de la France, dans le cas de la reprise des hostilités entre eux et la Hollande, par suite de l’impossibilité où les mettait le sentiment de l'honneur national et de la dignité du peuple de souscrire volontairement aux intolérables conditions (page 54) du traité définitif imposé par la majorité des plénipotentiaires à la conférence de Londres, signataires des protocoles auxquels M. le ministre des affaires étrangères de France avait déclare que son gouvernement ne pouvait adhérer. Il importait au gouvernement belge de savoir promptement si la France, voyant succomber la Pologne et l'Italie, dans une lutte inégale avec le pouvoir absolu, se proposait de rester simple spectatrice des combats des Belges contre les alliés que trouverait le roi de Hollande parmi les États dont les ministres avaient signé des protocoles attentatoires à l'indépendance de la Belgique ; en un mot, si le gouvernement de Louis-Philippe comptait souffrir que la Belgique fût écrasée au profit de la maison de Nassau. Le cabinet du Palais-Royal, éclairé sur ses véritables intérêts, se proposait-il, au contraire, de prendre l'initiative que semblait commander le soin de sa propre défense, à une époque où des armées formidables s'avançaient, menaçantes et longuement préparées, contre la civilisation et la liberté ? Dans cette hypothèse, il fallait instruire sans délai le gouvernement belge de cette résolution généreuse, afin qu'il pût prendre les mesures nécessaires pour seconder les efforts des armées françaises. Le ministre plénipotentiaire de la Belgique était invité à ne rien négliger pour se mettre en mesure de donner à son gouvernement les informations les plus précises et les plus exactes sur les questions de la paix ou de la guerre, et de la neutralité ou de l'intervention de la France dans les débuts des Belges avec les alliés éventuels du roi de Hollande. Il devait invoquer pour les Belges rendus à la liberté la protection que leur promettait le roi des Français, quand ce monarque témoigna aux députés du Congrès le regret de ne pouvoir accepter, comme père et souverain, la couronne de Belgique offerte solennellement au duc de Nemours.

 

Ministère français du 13 mars 1831, présidé par M. Casimir Périer. Opinion de M. le comte Sébastiani sur la proclamation adressée par le régent de la Belgique aux Luxembourgeois

 

M. Lehon arriva à Paris le 12 mars, au moment où M. Laffitte se retirait de la scène pour faire place à M. Casimir Périer, le (page 56) second fondateur de la monarchie de juillet, qu'il affermit en lui donnant a l'intérieur l'ordre pour base, et qu'il fit respecter par l'Europe en conciliant le principe de non-intervention avec l'attitude la plus fière. Le ministère fut constitué le 13, et, dès le lendemain, M. le comte Sébastiani, qui conservait le portefeuille des affaires étrangères, se hâta d'informer le général Belliard que les changements survenus dans le personnel de la haute administration n'en apporteraient aucun dans le système de la politique extérieure de la France. « Ce système, disait-il, trouvera au contraire un nouveau gage de force et de durée dans l'homogénéité du ministère actuel, dans la parfaite unanimité de vues qui existe entre tous ses membres. Nous continuons d'attacher le plus grand prix au maintien de nos relations de bonne harmonie avec les autres États. Nous voulons sincèrement la paix : seulement nous la voulons digne et honorable pour l'Europe entière, au surplus, comme pour nous-mêmes ; car la dignité et l'honneur ne sont pas des biens moins précieux que la paix ; les gouvernements, ainsi que les peuples, ne sauraient y renoncer sans compromettre leurs intérêts les plus chers, et nous sommes fermement résolus à ne pas souffrir qu'on porte atteinte aux nôtres. Telles sont, ajoutait M. Sébastiani, les courtes explications qu'il m'a paru nécessaire de vous adresser, pour vous mettre en mesure de rectifier les idées inexactes qu'on pourrait se former, dans le pays que vous habitez, sur les changements qui viennent de s'opérer dans notre administration. » La proclamation du régent ne devait donc pas être accueillie avec plus de satisfaction à Paris qu'à Londres. Dès la première (page 56) entrevue que M. Lehon eut avec M. le comte Sébastiani, celui-ci lui déclara (le 14 mars) que cette proclamation l'avait frappé d'étonnement par le ton qui y régnait et qui avait jeté l'alarme parmi les diplomates étrangers. On allait jusqu'à la considérer comme une déclaration de guerre à la Confédération germanique. M. Sébastiani ajouta qu'il ne comprenait point l'urgence de ce manifeste, qui pouvait tout perdre et tout compromettre, d'après les droits qu'avait la Confédération germanique de se mêler des affaires du grand-duché. L'envoyé belge présenta ce manifeste comme un acte de représailles légitimes contre la proclamation du roi de Hollande, dont le ton était hostile non seulement à la Belgique, mais encore aux puissances représentées à Londres ; et il ajouta que le régent, lié par son serment, devait aux habitants du grand-duché, menacés d'une restauration, la profession de la conduite qu'il tiendrait à leur égard. Comme la diplomatie étrangère combinait la proclamation du régent avec la présence du général Belliard à Bruxelles, M. Sebastiani détruisit tous les soupçons par la dépêche qu'il adressa le 15 à l'envoyé français. « Il eût été vraiment, à désirer, disait-il, que de plus mûres réflexions eussent détourné le régent de publier la proclamation qu'il vient d'adresser aux habitants du grand-duché de Luxembourg. Le roi n'a pas été moins surpris qu'affligé d'une mesure si imprudente, je dirai même si inconvenante, tant pour le fond que pour la forme. Le gouvernement belge, en affectant un tel caractère de prépotence au sujet du duché du Luxembourg, a tout à fait oublié que la question relative à ce pays n'a rien de commun avec la question belge, qu'elle en est même entièrement distincte et séparée. Il n'a pas réfléchi qu'en la tranchant ainsi de sa seule autorité, il se « mettait en opposition avec l'Europe entière, ou du moins avec toute la Confédération germanique. Enfin, il est inconcevable que le gouvernement belge n'ait pas compris qu'en repoussant (page 57) les actes de la conférence de Londres aussi légèrement, et lorsque ses motifs pour le faire ne sont pas d'une justice évidente, il porte lui-même une grave atteinte à l'autorité de ceux de ses actes qui lui sont le plus favorables, et notamment de ceux qui ont reconnu son indépendance. Au surplus, la proclamation dont il s'agit ici n'est pas seulement un acte impolitique et dangereux, elle est encore un véritable manque d'égards envers la France, et certes, nous avons lieu d'être étonnés qu'avant de prendre une semblable détermination, le gouvernement belge n'ait pas cru devoir nous en prévenir et nous demander des avis qui ne lui ont jamais manqué. On doit savoir à Bruxelles combien l'appui de la France est nécessaire à la Belgique, et que cet appui, auquel elle est redevable de son indépendance, peut seul la lui conserver. Mais nous ne saurions continuer de soutenir les Belges qu'autant qu'ils ne se jetteront pas sans aucun motif dans des voies susceptibles de compromettre la paix de l'Europe. Nous ne voulons faire la guerre qu'autant qu'elle sera juste et inévitable. Or, je le répète, la proclamation du régent n'est propre qu'à attirer gratuitement à la Belgique les plus graves et les plus sérieuses complications. C'est une sorte de défi porté à la Confédération germanique, ou, pour mieux dire, à une armée de trois cent mille hommes ! Si les Belges veulent affronter de telles forces sans en avoir éprouvé aucune attaque, ils en sont bien libres assurément ; mais alors ils ne doivent compter que sur eux seuls pour soutenir la lutte... »

 

L'envoyé belge est reçu par le roi des Français. Politique du ministère français à l'égard des Belges ; il veut faire prévaloir le système pacifique

 

Le 18, M. Casimir Périer communiqua à la chambre des députés les vues qui dirigeraient la politique extérieure du nouveau cabinet. « Nous soutiendrons, dit-il, le principe de non-intervention en tout lieu par la voie des négociations ; mais .l'intérêt ou la dignité de la France pourraient seuls nous faire prendre les armes. Nous ne concédons à aucun peuple le droit (page 58) de nous faire combattre pour sa cause, et le sang des Français n'appartient qu'à la France. Les cabinets qui nous ont précédés ont repoussé l'intervention armée en Belgique. Cette politique eût été la nôtre ; cet exemple nous l'adoptons. En de telles questions, la France, n'en doutez pas, tiendra toujours le langage qui sied à son nom. Jamais nous ne nous défendrons d'une vive sympathie pour les progrès des sociétés européennes ; mais leurs destinées sont dans leurs mains, et la liberté doit toujours être nationale. Toute provocation étrangère lui nuit et la compromet. De la part des particuliers, c'est un mauvais service à rendre aux peuples ; de la part des gouvernements, c'est un crime contre le droit des gens. La France n'exhortera le monde à la liberté que par l'exemple pacifique du développement régulier de ses institutions et de son respect pour le droit de tous. »

Malgré la contrariété que lui faisait éprouver la proclamation aux Luxembourgeois, le gouvernement français était loin cependant de vouloir repousser l'envoyé du régent de la Belgique. Le 19, M. Lehon fut reçu en audience particulière par le roi Louis-Philippe, la reine et les autres membres de la famille royale, avec le cérémonial usité à l'égard des ministres des puissances étrangères. Le roi accepta la lettre dans laquelle M. Surlet de Chokier lui annonçait sa nomination, et témoigna la plus grande bienveillance pour le vénérable régent ainsi que le plus vif intérêt pour la cause de la Belgique. Il fit l'éloge de la sagesse du Congrès qui avait su apprécier, disait-il, ce que réclamaient les circonstances difficiles où la Belgique s'était trouvée au retour de la députation chargée d'offrir la couronne au duc de Nemours. Cette réception de M. Lehon par le roi des Français équivalait réellement à la reconnaissance de la Belgique par la France. Du reste, Louis-Philippe ne tarda point à répondre à la lettre par laquelle M. Surlet de Chokier lui annonçait son avènement (page 59) à la régence. Cette réponse du roi des Français était conçue en ces termes :

« MONSIEUR LE RÉGENT,

« J'ai reçu la lettre par laquelle vous m'annoncez que les suffrages du Congrès national vous ont appelé à la régence de la Belgique. Ce choix m'a causé beaucoup de satisfaction, car, vous connaissant personnellement, j'ai pu apprécier les qualités supérieures qui vous donneront les moyens de remplir avec dignité et courage les honorables et importantes fonctions qui vous sont confiées. Si de nombreux obstacles environnent un gouvernement nouvellement constitué, la justice, la modération et la stricte exécution des lois parviennent presque toujours à les faire surmonter. Je suis donc persuadé que vos efforts, soutenus par le zèle et le concours de vos concitoyens, vous aplaniront toutes les difficultés, et que vous saurez vous concilier l'entière confiance d'un peuple éclairé et généreux, qui sera reconnaissant des soins que vous prendrez pour son bonheur Je vous ai déjà fait connaître ma pensée sur la Belgique : elle est invariable, et je prends à son sort l'intérêt le plus vif. Aussi, je forme des vœux pour qu'elle soit libre et heureuse, et surtout pour que la sagesse de son gouvernement, en assurant sa prospérité, sa gloire et son indépendance, offre encore à l'Europe un gage de paix et de concorde pour tous les peuples. Vous devez compter sur mon appui pour tout ce qui pourra concourir à un but si salutaire, et vous trouverez toujours en moi les dispositions les plus favorables pour maintenir et accroître l'union et l'heureuse harmonie si nécessaires aux avantages réciproques des deux pays. Je me plais à vous répéter l'expression de ces sentiments qui sont dans mon cœur, et c'est avec un véritable plaisir, Monsieur le Régent, que je choisis une (page 60) occasion si intéressante pour vous assurer de la considération, de la haute estime et du très sincère attachement que j'ai pour vous.

« Écrit au Palais-Royal, à Paris, le 23 mars 1831.

« LOUIS-PHILIPPE. »

L'envoyé du régent n'avait pas perdu un moment pour exécuter ses instructions en défendant avec intelligence et fermeté les droits des Belges. « Il y a, disait en substance M. le comte Sébastiani, il y a deux moyens d'affermir un ordre politique nouveau : la paix ou la guerre. Nous avons étudié la situation, l'intérêt et les vues de toutes les puissances ; nous avons des raisons de penser que la paix peut être maintenue, par l'effet même du sentiment que la vieille Europe a de la puissance de l'Europe nouvelle, nous avons choisi la paix. Telle est la politique du nouveau ministère. Si les Hollandais viennent attaquer les Belges sur le territoire de la Belgique proprement dit ( le Luxembourg excepté ) nous considérerons cette hostilité comme un acte d'intervention armée, attendu que la Belgique est reconnue indépendante. Si les Belges déclarent la guerre à la Hollande, nous sommes d'avis de les laisser faire ; ils subiront seuls les conséquences d'une mesure qu'ils auront prise malgré nous '. Mais quant à l'entrée des troupes hollandaises (Note de bas de page : Cette déclaration était réitérée dans une lettre adressée, le 26 mars, par M. Sébastiani au général Belliard. « Nous avons reconnu l'indépendance de la Belgique de la manière la plus formelle, disait-il, en recevant son ministre... Nous sommes décidés à la défendre contre tous ceux qui voudraient l'attaquer ; que pourrions-nous faire de plus ? Si le prince d'Orange veut, par la guerre civile, arriver jusqu'au trône de Belgique, nous nous y opposerons. Le Congrès choisira librement son souverain. Mais si le Congrès prend l'initiative de la guerre, nous ne le suivions pas dans une carrière où il s'engagerait malgré nous. I1 faut qu'il sache bien qu'il sera seul responsable de toute agression contre ses voisins… ») (page 61) dans le Luxembourg, elle n'aurait pas, aux yeux de la France, le caractère de l'invasion d'un peuple par un autre peuple, parce que cette province n'a pas été comprise dans la Belgique, telle que les puissances l'ont reconnue indépendante. Sous ce rapport, la guerre entre les Hollandais et les Belges serait une lutte particulière, dont la France ne se mêlerait pas. En ce qui concerne la Confédération germanique, l'opinion actuelle du cabinet serait que les troupes des États confédérés pourraient entrer dans le Luxembourg pour y soutenir la cause du grand-duc Guillaume sans violer le principe de non-intervention ; mais, d'après les arguments que vous nous opposez, nous suspendons toute résolution à cet égard jusqu'à ce que vous ayez produit toutes vos preuves. Enfin, nous voyons de grandes difficultés à ramener l'attention des puissances sur la convention d'armistice, les choses ayant été poussées trop loin depuis lors par les protocoles. » Au résumé, le système de la paix, dans l'ordre des intérêts exclusifs de la France, semblait dominer toute la politique du nouveau cabinet. Le ministre belge combattit ce système dans tout ce qu'il avait d'injuste et d inhumain à l'égard de la Belgique, s'il tendait à l'abandonner, après qu'une médiation pacifique l'aurait poussée aux terribles extrémités du désespoir et de la guerre. il le combattit aussi dans l’intérêt de la France dont l’étranger en armes toucherait bientôt peut-être la frontière. Enfin, il rappela comment, après avoir arrêté le succès des Belges, en vue d'un armistice, on avait laissé les conditions de cet armistice à l'écart, pour enlacer un peuple trop confiant dans les protocoles, trancher la question sans lui et malgré lui, démembrer son territoire et l'abandonner ensuite, fatigué d’incertitudes et épuisé de sacrifices, aux horreurs de la (page 62) guerre, contre un ennemi qui avait eu tout le temps et tous les moyens d'augmenter ses forces.

 

Dissolution du ministère belge. Dernières dépêches de M. Van de Weyer à M. Lehon.

 

Tandis que M. Lehon déployait toutes les ressources que l'on pouvait attendre de son éloquence et de son habileté pour justifier la Belgique et lui concilier la protection efficace d'une nation puissante, le ministère belge était en pleine dissolution et le pays devenait le théâtre de désordres qui le menaçaient d'une anarchie mortelle. Le 23, à cinq heures du matin, l'envoyé belge à Paris reçut un courrier qui lui apportait deux dépêches, les dernières signées par M. Van de Weyer. L'une, portant la date du 21, avait pour but de justifier la fameuse proclamation du régent : elle invitait M. Lehon à remettre au gouvernement français des explications écrites sur cet acte si mal interprété. Il devait exposer que le Luxembourg était compris, par la Constitution, au nombre des neuf provinces dont se compose la Belgique ; que le régent, lors de son installation, avait juré de maintenir l'intégrité du territoire ; que c'était une garantie qu'il avait donnée aux habitants des provinces dont la possession pourrait être contestée à la Belgique ; que si le gouvernement belge ne s'était pas élevé contre le projet d'invasion dont on menaçait le Luxembourg, il se serait mis en opposition avec la volonté du Congrès, il aurait compromis son honneur et sa propre existence. Dans l'autre dépêche, qui portait la date du 20, le ministre des affaires étrangères exposait la situation du pays et la nécessité de fixer sans retard le sort de la Belgique. Cette dépêche, que l'on pouvait considérer comme le testament politique du premier cabinet du régent, contenait en substance que, depuis le refus de la couronne par le duc de Nemours, les adversaires de la révolution belge avaient conçu de nouvelles espérances ; qu'ils ne cessaient de s'agiter au dedans comme au dehors pour replacer la Belgique sous la domination des Nassau ; que le roi Guillaume qui, à l'aide de l'armistice, avait réuni une armée nombreuse, méditait, croyait-on, de ressaisir (page 63) pour lui une couronne qu'il semblait naguère résigné à abandonner à son fils ; que l'arrivée du prince d'Orange en Hollande, alors que toutes les troupes du roi Guillaume étaient réunies sur les frontières belges, donnait une nouvelle consistance au bruit d'une invasion prochaine ; et que cette situation critique avait engagé le régent à convoquer le Congrès national pour le 29 du mois. Tout portait à croire, suivant le ministre des affaires étrangères, que l'immense majorité des députés belges se prononcerait pour le maintien de l'élection du duc de Nemours si l'on avait la certitude que Louis-Philippe révoquerait son premier refus. Ce changement de détermination, ajoutait le ministre, s'appuierait aujourd'hui sur de puissants motifs et des nécessités politiques qui pourraient être appréciés par les autres puissances, dont tous les efforts tendent au maintien de la paix en Europe ; car depuis le refus solennel et bien désintéressé du roi des Français et depuis la profession de foi du cabinet du 13 mars, l'acceptation de la couronne belge ne pourrait, dans tous les cas, être attribuée à des vues d'ambition de famille ou d'agrandissement de territoire. « Nous accepterons, disait enfin M. Van de Weyer, toutes les combinaisons plutôt que de courir la chance de retomber sous la domination de la maison de Nassau. Le Congrès n'hésitera point, soit à élire le prince de Saxe-Cobourg, soit à donner son suffrage, même au prince Charles de Naples, si nous sommes assurés que la France persiste à nous refuser le duc de Nemours et qu'elle consente à reconnaître comme roi des Belges le prince que nous aurons choisi. » Cette dépêche était terminée par une déclaration exprimant le découragement que n'avait pu surmonter le gouvernement, impuissant à conjurer les tempêtes qui menaçaient l'édifice encore chancelant de 1830. « S'il fallait, disait le ministre des affaires étrangères, renoncer à l'appui que nous avons invoqué (l'appui de la France), le Congrès, soyez-en convaincu, n'hésiterait point à réclamer le secours (page 64) d'une autre puissance, afin de nous mettre promptement et pour toujours à l’abri de la plus ignominieuse des calamités, une restauration de la dynastie expulsée. La Belgique, plutôt que de subir ce malheur, se jetterait entre les bras de l'Angleterre... »

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