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d’intention
« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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LIVRE
TROISIEME.
CHAPITRE X
Retour de lord Ponsonby à Bruxelles
(page 196) Cependant lord Ponsonby,
attendu avec tant d.'impatience, était arrivé à Bruxelles le 26 mai au soir. Il
avait eu immédiatement avec le ministre des affaires étrangères un entretien
qui s’était prolongé fort avant dans la nuit, et il lui avait promis pour le 27
une communication officielle (page 197)
Malgré les
injonctions formelles de la conférence, lord Ponsonby résolut de ne pas
notifier au gouvernement belge le protocole du 2l mai, parce que ce document ne
lui paraissait pas propre à ramener les esprits. Il le remplaça par une lettre
particulière, dans laquelle il faisait connaître positivement les intentions
favorables de la conférence relativement au Luxembourg, mais aussi les dangers
qui menaceraient
M. Lebeau donne, le 28 mai, lecture au Congrès de la lettre qui
lui a été adressée par le commissaire de la conférence. Celle lettre, mal
comprise, soulève la plus vive indignation
(page
198) Dans la séance du
« Monsieur,
«
Je suis arrivé ici hier soir, et je ne veux pas, même pour mieux faire,
différer de vous communiquer quelques idées sur la situation de vos affaires,
en tant que la conférence de Londres y est intéressée. Je me confie donc à
votre indulgence qui, je l'espère, excusera les imperfections d’une lettre
écrite avec la plus grande hâte.
« La
conférence trouve les limites de
« Il
faut observer que, par cette manière de procéder,
« La
conférence est animée d'un sentiment de bonne volonté pour
« La
conférence verrait donc avec plaisir que le congrès élût un souverain quelconque,
lequel ne blessât pas personnellement les droits des autres gouvernements ; et
elle reconnaîtra, avec une satisfaction particulière, le prince sur qui les
Belges semblent avoir surtout jeté les yeux, pourvu que, le congrès lui
permette de se placer lui-même dans le cercle commun des gouvernements.
« D'après
quel principe de raison
« Les
grandes puissances connaissent assez leurs véritables intérêts actuels, pour ne
pas disputer entre elles sur la question belge, c'est-à-dire sur la question
de savoir si les traités doivent être sacrés.
« Au
contraire, elles agiront avec unanimité, et elles auront pour elles le concours
et l’approbation des peuples.
« On
excite
«
« Il
appartient aux hommes d'Etat qui gouvernent les destinées des nations de
calculer les chances de succès ou de défaite ; c'est à eux de faire voir à
leurs compatriotes s'il vaut mieux chercher à réussir dans leurs vues par de
tels moyens, et en de (page 201)
telles circonstances, ou essayer les voies simples, inoffensives et plus
efficaces que présentent les négociations, sous un prince qui soit l'ami de
tous les gouvernements de l'Europe, et dont tous aient intérêt à consolider la
puissance et la sécurité.
« L'hésitation
qu'a montrée S. A. R. le prince Léopold dans les réponses qu'il a faites à
messieurs les députés qui sondaient son opinion relativement à la souveraineté
de
« Peut-il
y avoir une meilleure preuve du changement qui s'est récemment opéré dans
l'opinion et dans les résolutions de la conférence ? Il y a une semaine, la
conférence considérait la conservation de ce duché à la maison de Nassau, sinon
comme nécessaire, au moins comme extrêmement désirable ; et à présent, elle est
disposée à une médiation, avec l'intention avouée de faire obtenir ce duché
pour le souverain de.
« L'honneur
de
« La
conférence ne prétend pas intervenir en ce qui concerne les droits,
l'indépendance de
« La
conférence restera la protectrice des lois et de la liberté contre tous ceux
qui voudraient se faire conquérants et contre ceux qui méconnaîtraient toute
autre loi que leur volonté et bon plaisir. Les Belges ne sauraient regarder
comme d'une sage politique de soutenir le droit de la force et de le
reconnaître comme suprême et absolu, sans s'exposer en temps et lieu à voir
cette doctrine tourner contre eux-mêmes.
« Qu'est-ce
que l'on demande à
« J'ai
confiance dans la raison du gouvernement belge et du pays : je me flatte qu'ils
considéreront avec calme et qu'ils décideront avec sagesse la grande question qui
se présente pour eux, et qu'ils refuseront de se jeter imprudemment dans des
difficultés, qui seraient créées sans besoin et qui pourraient amener jusqu'à
l'extinction du nom belge.
« Quant
à la dette, je puis vous réitérer l'assurance que la conférence n'a jamais
entendu faire que des .propositions.
« Croyez
que je suis, Monsieur, Votre très-humble,
« Ponsonby. »
Le ministre
descendit de la tribune sans ajouter un mot. A peine avait-il pu achever sa
lecture, interrompue fréquemment par les murmures de l'assemblée indignée.
« Vous aurez à opter, (page 203)
s'écria M. Jottrand, entre le protocole du 20 janvier et le droit sacré
d'insurrection, qui a constitué tous les États de l'Europe. Vous aurez à
choisir entre une soumission aveugle aux volontés de
« Les représentants de
« Aujourd'hui, c'est encore aux
protocoles qu'on veut nous forcer d'adhérer, malgré l'énergique protestation de
nos représentants. Les protocoles ! C'est une garnison prussienne dans
Maestricht ; c'est l'abandon de Venloo et d'une grande partie du Limbourg ;
c'est aussi l'abandon ou le rachat honteux du Luxembourg ; c'est la liberté de
l'Escaut livrée aux caprices du roi Guillaume, par sa domination sur la rive
gauche de ce fleuve ; c'est enfin le payement de la dette hollandaise. Belges !
rassurez-vous, jamais le Congrès national ne sanctionnera une pareille infamie.
« Il ne se laissera point intimider par
des menaces qui nous font entrevoir l’anéantissement du nom belge comme la
punition probable de nos efforts généreux pour remplir envers nos frères les
obligations que nous impose l'humanité. Fermement décidée à ne point transiger
avec ce devoir, s'appuyant sur l'engagement qui lie tous ses membres, sur
« Bruxelles, 29 mai 1831.
« Le bureau et les membres du comité
directeur. »). Peu de membres se
doutaient que, loin d'avoir voulu lancer une menace, lord Ponsonby s'était
proposé de donner un conseil prudent, un (page
204) avis sage à
Proposition de M. Nothomb, concernant de nouvelles négociations à
ouvrir avec la conférence
Une proposition
habile, déposée par M. Nothomb conjointement avec MM. H. de Brouckere et Ch.
Vilain XIIII, vient enfin distraire les esprits excités. Elle avait pour but de
déclarer non avenue l'élection du chef de l'État si son acceptation était
subordonnée à la cession du Luxembourg et d'une partie du Limbourg ;
d'autoriser le gouvernement à proposer à la conférence de Londres et au roi
Guillaume de terminer, au moyen de sacrifices pécuniaires à charge de
M. Nothomb
déclara que les auteurs de cette proposition avaient eu pour but de détruire
une idée qui semblait préoccuper et alarmer tous les esprits, à savoir, que
l'élection du prince de Saxe-Cobourg conduirait le Congrès à donner son
adhésion au protocole du 20 janvier ; que, partisans eux-mêmes de l'élection du
prince, ils avaient voulu détruire cette idée, car ils croyaient que l'élection
était un moyen de parvenir sans effusion de sang a la solution des questions de
territoire. M. Nothomb ne puisait pas les droits de
M. Beyts
combattit énergiquement le principe émis par M. Nothomb, à savoir que
l'insurrection constitue pour les peuples le droit de fixer les limites du
territoire. « C'est donner raison, dit-il, à la conférence de Londres. Si vous
sortez de votre territoire en faisant votre insurrection, vous en sortez par la
force, et par la force les puissances voisines vous feront rentrer chez vous et
interviendront s'il le faut. » Suivant M. Beyts, les droits des Belges sur
le Limbourg et la rive gauche de l'Escaut (page
206) dérivaient notamment du traité du 27 floréal an III, qui n'avait
jamais été révoqué.
La section
centrale à l'unanimité adopta la proposition de M. Nothomb, sauf un changement
de rédaction ; et elle fut d'avis qu'il fallait lui accorder la priorité.
Démission du ministre de la guerre et du ministre des finances
Tandis que
l'assemblée nationale se trouvait à la veille de prononcer sur le sort de
Le régent avait
jeté les yeux sur le général de Failly : mais cet officier, se défiant beaucoup
de lui-même, déclara que la tâche de ministre de la guerre, dans des
circonstances aussi critiques, était au-dessus de ses forces ; son acceptation,
qu'il fallut lui arracher, fut un acte de dévouement et d'obéissance, non un
calcul d'ambition. La retraite de M. Ch. de Brouckere était motivée par le
nouveau plan de négociations qui devait résulter des dernières communications
de la conférence ; député du Limbourg, M. de Brouckere crut devoir abandonner
le cabinet du moment où l'intégrité de cette province (page 207) se trouvait menacée. Il laissait un grand vide comme
administrateur ; il avait puissamment aidé, par son énergie infatigable, à
préserver de tout désastre la situation financière du pays. Il fut remplacé
provisoirement par M. Duvivier, fonctionnaire supérieur du département des
finances.
Discussion sur les moyens de constituer définitivement l'État. Popularité du
système de guerre immédiate
Le 30 mai était
le jour fixé pour la discussion des moyens de constituer définitivement l'Etat.
Presque tous les députés se trouvaient à leur poste. Jamais, depuis l'ouverture
du Congrès, même aux jours troublés par la rivalité des dues de Leuchtenberg et
de Nemours, l'attention publique ne s'était montrée plus vivement excitée ;
jamais l'affluence des spectateurs n'avait été plus considérable dans les
tribunes et aux abords du palais da
Trois systèmes
étaient proposés pour terminer la grande question qui préoccupait à la fois le
Congrès, la nation belge et la diplomatie européenne.
Le ministère et
ses partisans voulaient élire sur-le-champ le prince Léopold de Saxe-Cobourg ;
ils étaient convaincus que cette élection immédiate, complétée par les
négociations ultérieures indiquées dans la proposition de M. Nothomb, était le
moyen de consolider l'indépendance belge le plus rapidement et avec le moins de
sacrifices pour le pays.
M. Blargnies et
ses adhérents ne voulaient élire le roi des Belges qu'après l'évacuation
préalable des parties du territoire encore occupées par les ennemis et la mise
en possession régulière des parties contestées par le roi Guillaume. Pour
amener ce fait préparatoire, autant que possible sans conflit militaire, ils proposaient
de déclarer nettement et immédiatement à la conférence, admise en cela comme
amiable compositeur seulement, ce que
MM. de Robaulx,
Alex. Gendebien, de Haerne et leurs partisans, voulaient ajourner toute
élection, repousser toutes négociations nouvelles et prendre immédiatement les
armes. La guerre seule devait trancher sur-le-champ la question des limites. La
guerre terminée, les uns se proposaient de décerner la couronne à un chef
indigène ; les autres ne s'expliquaient pas sur la solution à donner à la
question du choix d'un chef pour l'Etat.
Le système de
guerre immédiate était le plus populaire. Il était soutenu par tous les
journaux de
« BELGES,
« Deux nouveaux protocoles achèvent de
nous dévoiler les dernière volontés de
« Il saisit cette occasion pour
repousser de toutes ses forces les calomnies que quelques hommes perfides
répondent sur les vues de l'Association, et qui tendent à lui supposer des
projets contraires à l'ordre de choses localement établi.
« Le comité répète donc que
l’Association belge n'a d'autre but que l'indépendance nationale, l'intégralité
du territoire et l'exclusion des Nassau ; il déclare en outre qu'il emploiera
toute son influence pour maintenir
« Bruxelles 1er juin 1831.
») ; (page 209) telles étaient les causes de
l'irritation et du soulèvement de l'opinion contre la diplomatie et contre les
moyens pacifiques adoptés par le ministère. La raison publique était troublée ;
le bon sens d'une partie du pays s'égarait ; on avait trop flatté
l'amour-propre national ; on avait trop cherche à persuader aux Belges
qu'ils pourraient non seulement vaincre
Le Congrès donne la priorité à la discussion sur l'élection
immédiate du chef de l'État, et adopte le nouveau plan de négociations proposé
par M. Nothomb
Cependant la
majorité du Congrès eut la gloire de sauver le pays en ne cédant pas
imprudemment à la pression du dehors. A la fin de la séance du 31 mai, cent
quatre-vingt-cinq membres contre quarante-huit décidèrent que la priorité
serait donnée à la discussion sur l’élection immédiate ; et, le 2 juin, cent
cinquante membres contre quarante adoptèrent le nouveau plan de négociations
proposé par M. Nothomb conjointement avec (page
210) MM. Ch. Vilain XIIII et H. de Brouckere. Mais cette victoire avait été
vivement disputée à la majorité.
Les partisans
de la guerre immédiate n'épargnèrent aucun effort pour faire prévaloir leur
système. Suivant les uns, la diplomatie préparait une nouvelle mystification :
le prince de Saxe-Cobourg, disaient ceux-ci, n'accepterait jamais la couronne,
ou, s'il l'acceptait, il ne serait qu'un roi de transition, forcément condamné
a préparer la restauration de la dynastie hollandaise. Suivant les autres,
l’élection préalable du prince de Saxe-Cobourg ne pourrait se faire qu'aux
dépens de l'honneur national, car, disaient ceux-là, les lettres du général
Belliard et de lord Ponsonby ne modifiaient en rien les décisions antérieures
de la conférence. M. Jottrand était convaincu que le prince de Saxe-Cobourg
pourrait être pour
La proposition
de M. Blargnies fut également défendue avec beaucoup d'énergie. L'élection
immédiate allait compromettre, suivant les partisans de ce système, l'honneur
de la révolution ; les Belges n'auraient fait aucun effort pour la conservation
de (page 211) leur territoire, de
leurs finances et de leur commerce. En cédant volontairement, le Congrès
découragerait l'armée et les volontaires, perdrait toute force morale, toute
consistance à l'intérieur et au dehors. La force du Congrès était dans la
crainte d'une réunion à
Le ministère,
soutenu par la majorité, repoussait également et le système belliqueux, qui eut
fait périr la révolution, et le système de M. Blargnies, qui aurait pu tout au
moins compromettre la solution heureuse qui lui était dès lors promise.
Après huit mois
d'un provisoire que chacun proclamait dangereux, intolérable, était-il prudent,
demandait le ministère, de s'engager dans de nouvelles négociations dont
personne ne pouvait assigner le terme, et cela sous la menace toujours
imminente d'un partage ? Le Congrès était sans appui, sans patron auprès des
cinq cours, et il aurait eu la folle prétention de les faire revenir sur leurs
décisions relatives au territoire belge ! On faisait sonner bien haut la menace
perpétuelle d'une réunion à
En résumé,
l'élection immédiate devait, suivant les prévisions du cabinet, amener les
résultats suivants : arrêter l'anarchie intérieure vers laquelle on marchait
par la double influence du découragement des classes moyennes et supérieures et
de l'audace croissante des partis démagogique, réunioniste et orangiste ; ôter
à la diplomatie, en raffermissant l'ordre dans le pays, le moyen de montrer
Il fallait donc
saisir avec empressement l'occasion qui s'offrait à
On s'écriait
que la bonne foi du ministère était surprise, qu'il allait être victime de
nouvelles déceptions ! M. Lebeau fit remarquer que la situation était
maintenant tout autre qu'à l'époque où il s'agissait de décerner la couronne au
duc de Nemours. « Je montre, dit-il, des lettres avouées de leur auteur et des
lettres qui ne vous provoquent pas à l'élection. Nous ne vous garantissons pas
l'acceptation du prince, mais nous vous disons : Si par la simple
espérance de l’élection vous obtenez le Luxembourg, il est logique d'espérer
que l'acceptation suivra, et qu'elle nous vaudra la modification des
protocoles. »
On reprochait
encore au cabinet de vouloir passer outre à l'élection, en sacrifiant
l’intégrité du territoire et en acceptant le partage arbitraire de la dette. Le
cabinet repoussait avec énergie cette accusation. Comment pouvait-on insinuer
au peuple que l'on voulait imposer à
M. Forgeur, sans incriminer les
intentions du cabinet, avait moins de confiance dans les dispositions de la
diplomatie. Entraîné par l'improvisation, il s'écria: « Vous n'aurez ni le
Luxembourg ni le Limbourg ; mais vous aurez la dette ! » Or cette
triste prédiction ne pouvait effleurer la bonne foi du ministère. Puisant ses
convictions dans des documents officiels, le ministère avait le droit d'espérer
une autre solution pour le pays. Que prouvaient les lettres de lord Ponsonby et
du général Belliard ? Que la question de la dette était encore entière ;
et, d'autre part, que la conférence proposait de laisser le Luxembourg à
On
objectait au ministère la déclaration contenue dans le protocole du 21 mai et
dans la lettre de lord Ponsonby, déclaration (page 215) de laquelle
il résultait que le gouvernement belge avait émis le vœu de s'assurer la
possession du Luxembourg à titre onéreux. M. Lebeau déclara hautement que ce
vœu avait été émis par le gouvernement provisoire ; qu'il était formellement
exprimé dans la lettre adressée de Londres, le 10 janvier 1831, par M. Van de
Weyer à M. de Celles, vice-président du comité diplomatique (Note
de bas de page : Dans cette lettre, qui avait été communiquée au Congrès,
le 13 janvier
Or, cette
pièce, connue de tous, avait pu très bien suffire pour autoriser lord Ponsonby
à dire que le gouvernement belge désirait acquérir la possession du Luxembourg.
Quant au ministère actuel, il n'avait pas fait cette offre ; il n'en avait pas
même exprimé le vœu. Les commissaires envoyés auprès du prince de Saxe-Cobourg
avaient pu en parler ; mais le ministre des affaires étrangères ne leur avait
pas donné de telles instructions.
M. le comte
Félix de Mérode déclara que si les commissaires, envoyés auprès du prince de
Saxe-Cobourg, avaient parlé d'indemnité, ce n'avait été que d'indemnité
pécuniaire ; quant à faire un échange entre le Limbourg et le Luxembourg, les
commissaires (page 216) avaient dit
qu'ils n'y consentiraient jamais. M. d'Arschot fit une déclaration analogue.
Le Congrès mit
fin à ces débats préliminaires, en adoptant, le 2 juin, un décret de la teneur
suivante :
« I. L'élection
du chef de l'État sera proclamée dans les termes fixés par le décret du 29
janvier 1831. (Voir t. I, p. 225)
« II. Le
gouvernement est autorisé à ouvrir des négociations pour terminer toutes les
questions territoriales, au moyen de sacrifices pécuniaires, et à faire des
offres formelles dans ce sens.
« III.
L'arrangement qui pourra intervenir sur ces négociations sera soumis à la
ratification du Congrès ; et, dans tous les cas, il sera fait, au plus tard le
30 juin, un rapport sur l'état des négociations à l'assemblée, qui statuera
immédiatement si elles doivent être continuées ou rompues. »
Discussion sur le choix du chef de l'Etat
Le Congrès
aborda, le 3 juin, la discussion sur le choix du chef de l'État. La physionomie
de l'assemblée resta à peu près la même. Les partisans du système belliqueux et
ceux qui adhéraient à la proposition de M. Blargnies reproduisirent les
arguments qu'ils avaient fait valoir dans les débats des jours précédents. Les
députés républicains repoussaient le prince de Saxe-Cobourg parce que, suivant
eux, il apporterait pour dot à
Plusieurs
députés, appartenant à ces diverses nuances, s'unirent pour proposer le choix
d'un chef indigène, c'est-à-dire de M. Surlet de Chokier. Mais cette
proposition ne pouvait avoir un résultat sérieux, car le vénérable régent avait
déjà déclaré publiquement qu'il n'aspirait qu'à rentrer dans la foule des
citoyens. Le 27 mai, il avait adressé cette belle lettre à un journal qui le
mettait en comparaison avec le prince de Saxe-Cobourg : « Je n'ai jamais dû
m'attendre à cet honneur, que je ne crois pas mériter. Je vous prie de vous
borner à discuter le mérite des choses, sans y mêler celui des personnes ; il
me sera agréable que vous vous absteniez de prononcer mon nom dans toutes les
occasions où il pourra être question du choix du chef de l’État. J'ai obtenu
dans ma patrie tout ce qu'un citoyen peut ambitionner : les suffrages de mes
collègues, sanctionnés, à ce que je crois, par l'assentiment de la nation. Cela
suffit à ma satisfaction personnelle. Je n'ai plus qu'un vœu à réaliser : c'est
d'amener, avec le concours du Congrès, le vaisseau de l'État à bon port, d'en
remettre la conduite à celui qui sera choisi pour chef, enfin de déposer les
pouvoirs dont je suis temporairement investi, et que je déclare ne vouloir
jamais accepter définitivement. »
Les nombreux
partisans du prince de Saxe-Cobourg proclamaient qu'ils voyaient, dans cette
combinaison, patrie, honneur, liberté, prospérité publique ; ils rappelaient
que c'était ce même prince que les Anglais si jaloux, si fiers de leur
nationalité et de leurs libertés, avaient été chercher en pays étranger pour le
faire asseoir sur le trône de
M. l'abbé de
Haerne, fidèle à ses opinions républicaines et partisan du système belliqueux,
avait cherché à effrayer le Congrès en déclarant que le prince Léopold ne
rencontrait aucune sympathie dans la nation, tant sous le rapport religieux que
sous le rapport politique, « On ne peut se dissimuler, disait-il, que l'opinion
catholique se prononce contre la candidature du prince. » « - Je dis
et j affirme sans crainte de me tromper, répondit M. l'abbé Boucqueau de
Villeraie, que si jamais il y eut dans le monde une assertion fausse et
erronée, c'est celle énoncée par l'honorable membre. C'est une contre-vérité
évidente pour tous ceux qui connaissent l'état de l'opinion publique en
Belgique de dire qu’à cet égard le peuple pense et sente différemment que ses
représentants. Et en ceci je ne sépare certainement pas l'opinion du clergé en
général de celle de la nation. La nation aspire à la conservation de la paix,
et elle regarde la combinaison de Saxe-Cobourg comme une garantie de cette
conservation. La nation, du moins l'immense majorité du peuple belge, envisage
la candidature de ce prince comme la dernière planche de salut qui nous reste
pour échapper au naufrage et sortir de l'état aussi insupportable que dangereux
dans lequel nous nous trouvons ; comme le moyen le plus probable de nous
garantir des malheurs politiques qui nous menacent et nous pressent de tous
côtés, c est-à-dire de l'anarchie sous le nom de république, et de la perte de
nos précieuses libertés, surtout de nos libertés religieuses par une réunion
plus ou moins prochaine de
Le prince Léopold de Saxe-Cobourg est élu roi des Belges, le 4
juin, à une grande majorité. Une députation est chargée d'offrir officiellement
la couronne de Belgique au prince de Saxe-Cobourg
La discussion
ayant été close dans la même séance, l'élection du chef de l'État eut lieu le
lendemain, 4 juin. Il avait été décidé que les députés voteraient par bulletin signé,
comme lors de l'élection précédente. Un des secrétaires fit l'appel nominal. Il
constata la présence de cent quatre-vingt-seize membres. Chaque député, à
l'appel de son nom, monta à la tribune et remit son bulletin au président, qui
le déposa dans l'urne.
Nous ferons
connaître, en suivant l'ordre alphabétique des provinces, les détails de ce
vote mémorable (Cette énumération, qui va de la page
219 à la page 225 n’a pas été reprise dans cette version numérisée. On renvoie
au texte intégral de la séance plénière du 4 juin 1831 disponible sur le
présent site).
(page 225) En résumé, le prince Léopold
de Saxe-Cobourg avait obtenu cent cinquante-deux suffrages, M. Surlet de
Chokier quatorze, dix-neuf membres s'étaient abstenus de voter, dix avaient
voté contre le prince de Saxe-Cobourg, un bulletin avait été annulé.
Le président du
Congrès proclama en ces termes la décision de l'assemblée :
« AU NOM DU
PEUPLE BELGE,
« LE
CONGRÈS NATIONAL DÉCRÈTE :
« ART. 1er S.
A. R. Léopold-George-Chrétien-Frédéric, prince de Saxe-Cobourg, est proclamé
roi des Belges, à la condition d'accepter
« ART. 2. Il ne
prend possession du trône qu'après avoir solennellement prêté, dans le sein du
Congrès, le serment suivant :
« Je jure
d'observer
« Charge
le pouvoir exécutif de l'exécution du présent décret. »
M. White,
secrétaire de lord Ponsonby, partit immédiatement pour Claremont afin
d'annoncer au prince le vote qui l'appelait au trône de Belgique.
Les
vœux du prince devaient être satisfaits : il avait été élu à une grande
majorité. L'opposition même, sauf quelques rares exceptions, ne s'était pas
attaquée à la personne du candidat, mais avait condamné le morcellement
territorial, Elle supposait, (page 226) à tort, que le choit du
prince de Saxe-Cobourg préjugeait le démembrement du territoire, tandis que ce
choix était le moyen le plus sûr de le prévenir, si les résolutions des cinq
cours n'étaient pas irrévocablement arrêtées.
Le Congrès
nomma, séance tenante, une députation chargée d'offrir officiellement la
couronne de Belgique au prince de Saxe-Cobourg. Il désigna : MM. Félix de
Mérode, Van de Weyer, l'abbé de Foere, d'Arschot, H. Vilain XIIII, Osy,
Destouvelles, Duval de Beaulieu et Thorn. Le président du Congrès faisait
partie de droit de la députation. Elle n'avait d'autre mission que celle de
remettre au prince Léopold le décret d'élection.
MM. Devaux et Nothomb sont nommés commissaires du régent auprès de
la conférence de Londres, pour terminer, par des sacrifices pécuniaires, les
contestations territoriales. Lettre du régent de
Cependant il
fallait encore, et avant tout, faire disparaître les obstacles qui se
présentaient à l'acceptation du prince, obstacles résultant des protocoles du
20 et du 27 janvier. Le même jour, 4 juin au soir, un arrêté du régent,
contresigné par le ministre des affaires étrangères, nomma commissaires près de
la conférence de Londres, M. Devaux, membre du Congrès national et du conseil
des ministres, et M. Nothomb, membre du Congrès national et secrétaire général
du ministère des affaires étrangères (Note de bas de
page : M. Lebeau avait proposé de leur adjoindre MM. Van de Weyer,
d'Arschot et Destouvelles ; mais ceux-ci, qui faisaient partie de la députation
du Congrès, n'acceptèrent point le mandat du gouvernement). MM. Devaux et Nothomb reçurent des instructions conformes
à celles dont avaient été chargés les quatre députés qui avaient bien voulu se
rendre auprès du prince avant son élection. Ils devaient faire ressortir les
inconvénients d'une acceptation conditionnelle ; insister vivement pour une
acceptation pure et simple ; faire les plus grands efforts pour conserver
l'intégrité du territoire fixé par
« MESSIEURS,
« Le Congrès national,
par un décret solennel, a élu comme roi des Belges S. A. R. le prince de
Saxe-Cobourg.
« Une
députation choisie par l'assemblée constituante et législative s'est rendue à
Londres pour offrir au prince la couronne que lui décerne l'immense majorité
des représentants du peuple, interprètes fidèles de l'opinion publique et des
vœux de la nation .
« L'art. 2 du
décret, en date du 2 juin, autorise le gouvernement à ouvrir des négociations
pour terminer, par des sacrifices pécuniaires, toutes les contestations
territoriales qui existent entre
« Les cinq
grandes puissances de l'Europe, représentées par Vos Excellences, réunies à
Londres, n'ont cessé d'interposer leurs bons offices, depuis le mois de
novembre, pour que la révolution belge se terminât sans une nouvelle effusion
de sang, au moyen d'une médiation amicale et bienveillante. La conférence a
ouvert des voies pacifiques où les Belges espèrent que bientôt ils ne rencontreront
plus d'obstacles ; c'est encore par vous, messieurs, que seront communiquées
aux deux parties belligérantes les propositions qui peuvent amener la
conclusion d'un traité définitif.
« M. le régent
de
(page 228) J'ai l'honneur, messieurs, de
vous donner connaissance officielle de cet arrêté du chef de l'Etat, et de vous
inviter à vouloir bien donner une entière créance à tout ce que vous diront MM.
Devaux et Nothomb, dans la limite de l'autorisation contenue en ce décret du
Congrès national. Ils feront toutes offres de sacrifices pécuniaires pour
obtenir ou conserver la paisible possession des parties contestées du
territoire qui doit composer le royaume de Belgique, aux termes de
« Je prie Vos
Excellences d'agréer, etc.
« Le ministre
des affaires étrangères, LEBEAU »
MM. Devaux et
Nothomb arrivèrent à Londres le 7 juin au soir. Ils précédèrent d’un jour dans
la capitale de l'Angleterre les députés du Congrès. Ceux-ci étaient porteurs
d'une lettre que le vénérable régent adressait au prince élu roi des Belges,
pour le conjurer de s'interposer entre la conférence et la nation qui
l'appelait à sa tête. Cette lettre était conçue en ces termes :
« Prince,
« Le Congrès
vient de décerner, au nom du peuple belge, la couronne à Votre Altesse Royale.
Par cet acte de souveraineté, il confie les destinées de la nation à votre
sagesse, et place l’honneur national sous la sauvegarde de l'honneur personnel
de Votre Altesse, qui est désormais inséparable de l'autre.
« Les Belges
comptent sur vos puissants efforts, réunis à ceux des députés du Congrès
envoyés vers vous, et sur ceux des commissaires du gouvernement, pour obtenir
des plénipotentiaires de la conférence à Londres la reconnaissance de nos
justes droits.
« C'est le
premier gage que nous attendons de votre amour (page 229) pour le peuple belge. Ce peuple, méconnu et calomnié à
l'étranger, saura prouver à Votre Altesse, devenue son roi, qu'il est digne
d'un sort meilleur que celui qu'on semblait vouloir lui préparer, mais qu'il
était bien déterminé à ne jamais subir, quoique disposé à faire, pour le
maintien de la paix générale, tous les sacrifices compatibles avec son honneur
et la sûreté de son existence comme nation indépendante.
« Je crois
devoir prévenir Votre Altesse royale que de la promptitude des négociations
dépend le sort de
« Je suis
convaincu qu’il est de la plus haute importance que la conférence évite avec
soin de pousser au désespoir une nation généreuse, qui a tout fait pour se
constituer en harmonie avec les autres gouvernements européens, et qui vient
d'en donner une nouvelle preuve par l'élection de Votre Altesse.
« Je n'hésite
pas a le dire, si, contre toute attente, et malgré nos efforts, ses offres
venaient à être dédaigneusement accueillies ou repoussées, elle ne verrait
alors d'autre salut que d'en appeler à son épée.
« C'est à Votre
Altesse qu'il est réservé de conjurer l'orage, et de détourner de nos têtes les
malheurs qui nous menacent et qui s'étendraient sur toute l'Europe.
« Jamais prince
ne s'est trouvé dans une situation plus belle que la vôtre ; vous êtes, par
votre position, l'arbitre de la paix et de la guerre ; tout dépend maintenant
de vos efforts auprès de la conférence, pour faire triompher la juste cause
d'un peuple qui vous a nommé son roi.
« Vous
répondrez, je n'en doute pas, à son attente, et je vous en adjure au nom de la
patrie.
« Le régent de
« Bruxelles, ce
6 juin 1831. »
(page 230) Le pays avait accueilli avec
faveur, mais sans enthousiasme, la nouvelle de l'élection du prince de
Saxe-Cobourg au trône de Belgique. Il était facile d'expliquer cette attitude.
Le refus du duc de Nemours avait laissé de profonds souvenirs dans les esprits
; depuis lors, le peuple était devenu défiant, et il n'osait compter sur
l'acceptation du prince Léopold. Il n'y avait d'ailleurs, dans la classe
populaire, ni sympathie ni antipathie pour un candidat qu'elle ne connaissait
pas encore ; mais elle désirait son prompt avènement qui mettrait fin,
croyait-elle, à la crise dont souffraient si cruellement l'industrie et le
commerce.