« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome :
Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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matières
LIVRE
TROISIEME. LA REGENCE
Les partis. On cherche à renverser le ministère. Le Congrès se
réunit le 18 mai. La majorité témoigne sa confiance dans le cabinet
(page 172) L'envoi d'une députation
officieuse auprès du prince de Saxe-Cobourg avait donné aux hommes sages et
modérés l'espoir fondé d'une solution prochaine et pacifique de la question
belge. Mais cette solution, qui devait consolider l'indépendance du pays,
anéantissait par là même les espérances des partis contre-révolutionnaire et
réunioniste. Ils le sentirent, et redoublèrent d'efforts (page 173) pour embarrasser la marche du gouvernement, en soulevant
contre ses lenteurs involontaires, contre son apparente inactivité,
l'impatience d'un peuple exalté par neuf mois de fièvre révolutionnaire. Ces
partis, hostiles à la nationalité belge, étaient malheureusement aidés par les
passions belliqueuses qui fermentaient dans les masses. Une grande partie du
pays demandait la guerre comme le seul moyen de faire plier la conférence, dût la Belgique se trouver seule
contre l'Europe ! L'Association nationale, animée d'un ardent patriotisme,
propageait cette idée, qui dominait aussi chez un grand nombre de députés. La
marche prudente du ministère était méconnue et blâmée par des patriotes qui
l'avaient d'abord énergiquement soutenu. Le parti réunioniste, exploitant les
illusions de quelques citoyens influents, les excitait à renverser le cabinet ;
il s'agissait de le remplacer par un ministère dont M. de Robaulx eût été le
chef. La réélection du président du Congrès devait être le signal de la
retraite de M. Lebeau et de l'avènement de son adversaire. La situation du pays
était encore aggravée par l'anxiété qui régnait à Anvers ; les Hollandais de la
citadelle, voulant se précautionner contre les travaux que les troupes belges
élevaient sur ce point, s'étaient emparés de vive force, le 15 mai, de la
lunette de Saint-Laurent ; il fallut l'intervention du commissaire anglais et
du général Belliard pour terminer un conflit qui aurait pu avoir les
conséquences les plus graves. Bref, la Belgique se trouvait rejetée dans une véritable
crise, lorsque le Congrès, convoqué le 9 mai par le régent, reprit ses travaux
le 18.
On eut bientôt
la certitude que le gouvernement conservait la confiance et les sympathies de
la majorité. Le renouvellement du bureau leva tous les doutes et dissipa toutes
les craintes. Cent quarante-deux membres étaient présents : M. de Gerlache fut
réélu président par quatre-vingt-six suffrages ; M. Alex. Gendebien, son
compétiteur, en obtint trente-trois ; les autres voix se (page 174) portèrent sur M. Raikem. En prenant pour la troisième
fois possession du fauteuil qu'il devait conserver jusqu'à la constitution
définitive de l'État, M. de Gerlache exprima les préoccupations, les craintes,
les anxiétés, les vœux de la partie sage et modérée de la nation. « J'aime trop
mon pays, dit-il à ses collègues, pour n'être pas ému de son avenir... Vous
avez commencé par lui donner la constitution la plus libérale qui fût jamais ;
vous songiez à achever cette grande œuvre par des institutions qui doivent en
consolider les bienfaits, lorsque la nécessité de fixer au plus tôt le sort de
l'Etat par le choix de son chef a subitement saisi et préoccupé tous les
esprits. Si nous sommes assez heureux pour nous constituer promptement et
définitivement, aucun de nous ne regrettera les sacrifices qu'il a faits au
pays. . . Mais si tout l'espoir dans lequel on nous avait entretenus jusqu'à ce
moment s'évanouit, vous saurez prendre avec calme et fermeté le parti qui
convient à votre dignité, à l'honneur et à l'intérêt de la nation. Chacun de
vous prouvera qu'il est prêt à se sacrifier pour la patrie, mais qu'il ne
sacrifie point la patrie à des opinions et encore moins à des passions. Là
seulement est le devoir ; là sont aussi la gloire et la solide popularité,
qu'il ne dépend de personne de donner ni : de ravir. Mais n'oubliez pas ce que
vous avez déjà fait pour le pays ! Il tient de vous une charte qui n'est point
un mensonge, mais une réalité. Oui, nous voulons être libres, mais non pas à la
manière de ceux de nos voisins chez lesquels il n'y a de liberté, de tolérance,
de justice même que pour le parti qui est au pouvoir. J'en conclus que la Belgique ne peut devenir
l'accessoire d'un autre pays, sans un affreux suicide. Mais, pour atteindre le
but, il ne suffit pas déjà d'être libre, il faut que la loi soit respectée et
que l'autorité soit forte. Vous seconderez donc de tous vos efforts ce
gouvernement qui vous doit l'existence, et qui ne peut opérer le bien si son
action n'est (page 175) appuyée.
C'est l'union qui nous a fait ce que nous sommes : la désunion seule peut nous
perdre. »
Rapport de M. Lebeau sur les relations extérieures de la Belgique. Politique
du second ministère du régent
Le ministre des
affaires étrangères monte ensuite à la tribune pour exposer l'état des
relations extérieures de la
Belgique. M. Lebeau déclare d'abord qu'il n'a plus à faire sa
profession de foi politique ; lorsqu'il accepta le portefeuille des affaires
étrangères, il avait arrêté le plan qu'il se proposait de suivre, et, le 4
avril, il le fit connaître à l'assemblée. Il n'a rien fait, rien tenté depuis
qu'il n'eût clairement annoncé. Si alors la majorité s'était prononcée contre
un plan qui n'était que conçu et qui depuis s'est converti en actes, le
ministre n'aurait pas hésité à se retirer. Il disait, le 4 avril, qu'il fallait
faire marcher de front deux choses : les négociations et les préparatifs de
guerre. Quant aux négociations, il avait pensé qu'il fallait persister à ne
reconnaître à la conférence de Londres que le caractère de médiatrice ;
renoncer à toute politique exclusive, entrer dans un système large, impartial,
et revendiquer l'indépendance et l'intégrité du territoire, en s'appuyant sur
les intérêts généraux de l'Europe ; établir des rapports officiels ou officieux
avec d'autres pays que la
France et l'Angleterre ; tenter de négocier directement avec la Hollande ; enfin, prendre
des renseignements pour faciliter le choix d'un roi. Il disait aussi, le 4
avril, que le rôle de la diplomatie devait être court, très court ; qu'elle
devait parcourir rapidement cette série de négociations. Il ajoutait que si le
gouvernement, en suivant ce plan, n'obtenait pas un résultat conforme aux vœux
du pays et à la dignité nationale, il ne restait d'autre moyen de solution que
la guerre. Il ne présenta donc point la reprise des hostilités comme immédiate,
mais comme subordonnée à l'issue de ces dernières négociations.
Pour démontrer
que ses actions ont répondu à ses promesses, le ministre expose ensuite, sans
réticence, l’ensemble des négociations auxquelles il a présidé.
(page 176) La mission du second cabinet
du régent était de réparer l'échec subi par la Belgique après l'élection
du duc de Nemours. Pour faire aboutir la révolution, il fallait chercher une
combinaison qui pût rattacher la
Belgique indépendante à tous les intérêts de l'Europe. Se
soustraire à l'influence exclusive de la France, prendre en Europe une attitude
impartiale, puis ramener tout à cette alternative : l'élection du prince de
Saxe-Cobourg ou la guerre avec la
Hollande, tel était le système du parti national représenté
par le ministère.
Détails sur les missions remplies en Allemagne par MM. T. Michiels
et M. Behr
Il avait
d'abord cherché à détruire les préventions que l'Allemagne nourrissait contre la Belgique, parce qu'elle
la supposait asservie à la
France. C'est pourquoi il avait essayé d'accréditer auprès de
la diète germanique un agent diplomatique. Depuis le mois de décembre 1830
jusque vers la fin de février, un Belge (M. T. Michiels) avait, d'après les
ordres du gouvernement provisoire et du comité diplomatique, résidé à
Francfort. L'intelligence avec laquelle il avait rempli cette mission détermina
M. Lebeau à la lui confier de nouveau dans les premiers jours d'avril. L'envoi
de cet agent ne pouvait blesser la dignité nationale. Un gouvernement qui
armait au moment où tous les cabinets l'abandonnaient à lui-même ; un
gouvernement, qui annonçait publiquement qu'il voulait défendre ses droits,
pouvait négocier en vue de prévenir l'effusion du sang. La politique,
l'humanité lui en imposaient le devoir. Du reste, M. Michiels, qui n'était que
l'agent du ministre, n'eut pas mission de solliciter une reconnaissance ; il
eut mandat de déclarer officiellement, et, à défaut, officieusement, que la Constitution belge
avait respecté les liens du Luxembourg avec la Confédération
germanique ; que l'intention du pays et du gouvernement était d'observer avec
loyauté cet engagement constitutionnel. Il fut chargé de déclarer, en outre,
que la Belgique
n'était disposée à abdiquer son indépendance au profit de personne, et de détruire
ainsi une opinion trop accréditée en (page
177) Allemagne. Fn fait, il s'agissait d'ébranler l'influence de la Hollande au siège même de
la Confédération
germanique. Le 19 avril, l'envoyé belge avait demandé une conférence officielle
à M. de Munch-Bellinghausen, président de la diète. Ce dernier répondit : « Je
suis chargé, au nom de la diète, de vous dire que les conditions de l'existence
politique de la Belgique
faisant encore en ce moment l'objet des délibérations des envoyés des cinq
puissances réunis à Londres, la diète a jugé convenable d'attendre le résultat
définitif des conférences de Londres, avant de se résoudre, en sa qualité
d'organe de la sérénissime Confédération, à entrer en relations avec un agent
diplomatique du gouvernement existant en Belgique. » M. Lebeau ne s'attendait
pas à ce que son agent fût reçu officiellement. C'était beaucoup que d'avoir
obtenu une réponse qui ne respirait pas cette ardeur aveuglément belliqueuse
que l'on attribuait à l'Allemagne ; c'était beaucoup aussi que de voir tolérer
à Francfort un agent qui pouvait, au nom du gouvernement belge, déclarer aux
ministres des puissances allemandes que la révolution de la Belgique, entendue dans
le sens national, n'avait rien d’hostile ni au système de l'équilibre européen
en général, ni au système germanique en particulier. Tel n'était pas, au
surplus, l'unique but de la mission confiée à M. Michiels : il devait joindre
ses efforts à ceux des autres États pour conserver la libre navigation du Rhin,
à laquelle Anvers surtout devait en grande partie sa prospérité commerciale ;
il était également chargé de prendre, sur les lieux mêmes, les renseignements
les plus propres à éclairer la représentation nationale et le gouvernement sur
la conclusion de traités de commerce avec les Etats d'outre-Rhin.
Une mission de
même nature que la précédente avait été confiée à M. Behr auprès de la Prusse. « Attachez-vous a
démontrer, lui mandait M. Lebeau le 10 avril, que la possession toujours
précaire du Luxembourg dans les mains du roi Guillaume peut (page 178) former obstacle à
l'établissement de nos relations commerciales avec l'Allemagne ; faites voir
quel immense avantage celle-ci retirerait de l'exécution du projet de
construire une route en fer, d'Anvers à Cologne, projet auquel je reviendrai
sans cesse, Déclarez bien que le ministère actuel est entièrement belge et
anti-francais, non comme hostile à la
France que nous aimons tous, mais comme anti-réunioniste,
comme voué au principe de l'indépendance nationale... Ce système allemand me sourit
surtout quand je pense que la
Prusse sera d'ici à quelques années gouvernement
constitutionnel... » Il avait paru à M. Lebeau d'une grande importance de
préparer les voies à un arrangement commercial avec la Prusse, au moment où le
principe de la liberté du commerce y faisait des progrès marqués. En Prusse, le
projet d'abolir les douanes élevées entre les divers États de l'Allemagne était
prêt à triompher de toutes les préventions de la vieille école, tandis qu'en
France l'appel ou le retour aux affaires de personnes connues pour être
favorables au système prohibitif semblaient présager le maintien et même le
développement de ce système exclusif des principaux avantages commerciaux que la Belgique devait espérer
d'un traité avec la France.
Ces tentatives
utiles ne pouvaient compromettre, répétons-le, ni l'honneur de la Belgique ni la dignité du
chef de l'État, de celui qui représentait la nation au dehors : MM. Behr et
Michiels étaient les simples agents du ministre des affaires étrangères (Note
de bas de page : Ces deux agents travaillèrent activement à dissiper les
craintes que causait en Allemagne l'inclination apparente des Belges pour la France. M. Behr, arrivé
à Berlin le 23 avril, avait dû informer M. Lebeau que pour le moment toute
relation diplomatique entre le gouvernement prussien et le gouvernement belge
était impossible. Il sut néanmoins fournir au ministre belge les renseignements
les plus utiles sur les dispositions de la Prusse et des États voisins à l'égard de la
révolution de septembre).
Tentative de négociation directe avec la Hollande
M. Lebeau avait
promis en outre d'essayer de négocier (page
179) directement avec la
Hollande ; et cette promesse, il l'avait également tenue. Il
était difficile, pour ne pas dire impossible, de tenter avec succès des
négociations officielles en Hollande. M. Lebeau s'arrêta à l'idée d'une
proposition qu'il transmettrait directement au ministre des affaires
étrangères. En conséquence le 9 mai, il avait adressé à M. Verstolk de Soelen
la lettre suivante, qui assignait à la révolution belge son véritable caractère
:
« Le soussigné, ministre des affaires
étrangères du royaume de Belgique, après avoir pris les ordres de M. le régent
et l'avis du conseil des ministres, a l'honneur de présenter à M. le baron Verstolk
de Soelen, ministre des affaires étrangères, à la Haye, les considérations
suivantes qu'il prie Son Excellence de vouloir bien soumettre à son
gouvernement.
« Au point où elle est parvenue, la révolution
belge n'a rien d'hostile aux véritables intérêts de la nation hollandaise ni à
la politique générale de l'Europe.
« La séparation
des deux territoires dont se composait le royaume des Pays-Bas est accomplie en
fait et en droit par la volonté des populations respectives, et par la
déclaration des états généraux, composés des députés des provinces
septentrionales et méridionales.
« Votre
Excellence a dit, dans une occasion mémorable « (12 avril 1826), que la réunion
des deux pays ne dut point son origine aux fruits qu'en recueillerait la Hollande, ni au désir de
lui complaire, mais au besoin de trouver une nouvelle garantie à l'équilibre
européen. » Votre Excellence ajoutait «u'en 1815 on avait uni deux États qui se
trouvaient vis-à-vis l'un de l'autre sur la même ligne, et qu'aucune des deux
parties ne pouvait être rangée dans la catégorie d un accroissement de
territoire de l'autre. »
« Le
soussigné s'estime heureux de pouvoir invoquer les paroles remarquables qui
reconnaissaient l’indépendance de la (page
180) Belgique dans le passé, et qui la sanctionnaient éventuellement dans
l'avenir.
« La Hollande et la Belgique, en recouvrant
respectivement leur indépendance, n'ont pas porte atteinte au système politique
de l'Europe ; la Belgique
ne s'est pas séparée de la
Hollande pour se réunir à un autre peuple, mais pour
redevenir et rester elle-même. La part qu'elle a à remplir dans les devoirs
européens est de maintenir son indépendance en respectant celle des autres
États ; hors de là, l'Europe n'a rien à exiger d'elle
« En Hollande,
depuis le 20 octobre 1830, les députés des neuf provinces septentrionales se
réunissent à part. En Belgique, depuis le 10 novembre, la représentation
nationale réside dans le Congrès. Les deux pays sont donc intérieurement
constitues. Mais, outre la question d'intérêt européen résolue par notre
déclaration d'indépendance, il existe des questions d'intérêt privé entre les
Hollandais et les Belges ; quinze années d'une existence commune laissent
beaucoup de points à régler entre deux peuples au jour de leur séparation, et
une partie du territoire belge est encore occupée par les troupes hollandaises.
« Dans un but
de conciliation et pour maintenir la paix européenne, les envoyés des cinq
grandes puissances se sont réunis à Londres, en novembre 1830, et se sont
adressés aux gouvernements de la
Hollande et de la
Belgique pour arrêter l'effusion du sang, et pour faciliter
par leur médiation la solution des questions qui pouvaient diviser les deux
parties.
« Les
hostilités sont suspendues depuis près de six mois ; mais ni la Hollande ni la Belgique n'ont retrouvé
le repos ni la stabilité. Sous bien des rapports, les deux pays ont besoin l'un
de l'autre, et toutes les relations commerciales sont interrompues ; des
armements considérables épuisent leurs ressources publiques dans l'attente
d'une guerre prochaine et toujours différée : (page 181) et cependant ni l'un ni l'autre peuple ne veut de guerre
de conquête. Chacun d'eux ne veut combattre que pour son sol.
« Dans cette disposition
des esprits, est-il nécessaire de prolonger un état de crise, et de renouveler
une lutte sanglante ? de livrer au sort des armes des questions dont de
communes délibérations auraient pu depuis longtemps préparer la solution ? Nous
sommes à la veille de reprendre les hostilités pour quelques points en litige
qui probablement seraient arrangés si les deux parties belligérantes eussent
essayé, immédiatement après la suspension d'armes, de traiter ensemble, sans
récuser toutefois des conseils désintéressés.
« Ce n'est pas
du dehors que peut nous venir la paix ; c'est à nous-mêmes à nous la donner.
Après la reprise des hostilités, les deux peuples, par la force des choses,
seront toujours ramenés à traiter ensemble, à moins que l'un ne subjugue l'autre.
« Dans ces
circonstances, et par ces considérations, le soussigné a l'honneur d'inviter
Votre Excellence à proposer à son gouvernement de nommer trois commissaires,
qui se réuniront avec autant de commissaires belges, dans une ville étrangère,
par exemple, Aix-la-Chapelle ou Valenciennes ; ils auraient mission de
s’entendre sur les bases d'un projet d'arrangement qui pourrait être soumis à
l'acceptation du Congrès national, et à la sanction du pouvoir que la loi
fondamentale de la Hollande
investit du droit de conclure pareil traité.
« Le Congrès
national est convoqué pour le 18 mai ; il est à croire que si votre
gouvernement pensait ne pouvoir adhérer à la proposition que le soussigné a
l'honneur d'adresser à Votre Excellence, ou s’il gardait envers le nôtre un
silence qui ne pourrait être considéré que comme le rejet de tout arrangement
amiable, la Belgique
devrait immédiatement recourir à la
reprise des hostilités
(page 182) « Le soussigné proteste
d'avance contre toute fausse induction qu'on pourrait tirer de la présente
proposition. S'il s'est efforcé « d'unir la fermeté à la mesure, c'est que la
dignité nationale lui interdisait toute autre attitude, et que la nature de sa
démarche exigeait un langage aussi éloigné de la provocation que de la faiblesse.
»
Malgré les vœux
d’arrangement amiable manifestés dans les anciennes provinces du nord, le
gouvernement hollandais, agissant sous l'influence du roi, ne répondit pas à
cette lettre. Il chargea ses plénipotentiaires à Londres d'appeler l'attention
de la conférence sur la note du ministre belge et d'insister sur l'exécution
des bases de séparation annexées au protocole du 27 janvier.
Véritable caractère de la révolution belge
Les vues
patriotiques, qui avaient engagé le gouvernement à porter son attention sur le
prince Léopold de Saxe-Cobourg, étaient nettement indiquées dans le rapport du
ministre des affaires étrangères. Il exprimait le désir de rendre compte, en
comité général, des détails de la mission officieuse dont s'étaient chargés
auprès du prince plusieurs membres du Congrès. En résumant les actes auxquels
il avait présidé, M. Lebeau signalait l’écueil où pouvait échouer la paix
européenne si l'on persistait à refuser à la Belgique, vivant de sa
propre vie, les moyens de prendre un rang honorable dans l'association des
États. « Vous connaissez maintenant, dit-il à ses collègues, dans quel sens
j'ai dirigé nos relations. J'avais dit que le rôle de la diplomatie devait être
court, très court ; j'ai tout fait pour l'abréger, depuis le peu de semaines
que je suis au pouvoir ; mais il y a des positions plus fortes que la volonté
d'un seul : je ne suis maître au dehors ni des hommes ni des choses. La Belgique n'occupe pas
seule la scène politique ; d'autres intérêts non moins graves agitent le inonde,
et je ne puis leur imposer silence. L'Angleterre accomplit majestueusement une
révolution (page 183) légale, et le
jour même où nos députés arrivaient à Londres, Guillaume IV, par la dissolution
du parlement, faisait un appel au peuple britannique. La France n'est pas non plus
sans embarras intérieurs, et se prépare à de nouvelles élections. Dans des
temps plus calmes, nous aurions pu compter sur un dénouement plus rapproché.
Bien à tort sans doute, l'Europe a cru que notre indépendance nous était à charge,
et que nous n’aspirions qu’à l'abdiquer au profit d'un peuple voisin ; c'est
préoccupés de cette idée fatale, que les plénipotentiaires réunis à Londres ont
arrêté des protocoles contre lesquels vous avez
énergiquement protesté. Mais cette protestation n'était par elle-même
qu'un acte négatif ; elle ne contenait pas, elle ne préparait pas même de
solution. Il fallait remonter plus haut, et imprimer solennellement à notre
politique un caractère européen. Notre révolution n'est ni française, ni anglaise,
ni allemande : elle est belge ; nous n'avons pas secoué la suprématie de la Hollande pour accepter
celle d'un autre peuple, et quelque beau que soit le nom de Français, nous
préférons celui de Belge. La conquête, et non pas notre libre arbitre, nous a réunis
en 1795 à la France,
en 1815 à la Hollande
; le jour de la restauration nationale s'est levé pour nous. Nous avions
autrefois une place parmi les sociétés européennes ; cette place, nous la
revendiquons aujourd’hui sans arrière-pensée. C'est là ce qu'il fallait faire
comprendre à l'Europe ; je ne sais si j'ai réussi ; mais, dans tous les cas, ce
n'était pas trop de six semaines pour détruire une erreur accréditée depuis six
mois. Et si, près avoir présenté aux puissances étrangère une solution propre à
concilier tous les intérêts et à fermer pour longtemps dans cette partie du
continent la carrière des révolutions, nos intentions étaient encore une fois
méconnues, et qu'on persistât à nous imposer d'inacceptables conditions, avant
de faire un appel à la force, nous serions absous aux yeux de l'opinion
publique. »
(page 184) Le comité général, demandé
par le ministre des affaires étrangères, eut lieu le 2l mai. M. Lebeau donna
communication aux membres du Congrès des renseignements recueillis à Londres
sur les dispositions favorables du prince de Saxe-Cobourg et l’influence
heureuse que son élection pourrait exercer sur les déterminations ultérieures
de la conférence. M. Henri de Brouckere, un des députés envoyés auprès du prince,
confirma ces renseignements. Cependant de nouveaux actes diplomatiques, fruit
du revirement de la France,
étaient venus rembrunir la situation.
Protocole de la conférence de Londres, du 17 avril, contenant les
propositions finales à faire au gouvernement belge. Nouvelles
instructions transmises au général Belliard
Après avoir
reçu, le 17 avril, l'adhésion officielle du gouvernement français au protocole
du 20 janvier 1831, la conférence avait arrêté, le même jour, les propositions
finales à faire au gouvernement belge sur les bases de séparation entre la Belgique et la Hollande. Ces
propositions reproduisaient les arrangements fondamentaux et irrévocables
consignés dans les protocoles du 20 et du 27 janvier. La retraite des troupes
belges qui se trouvaient dans le grand-duché de Luxembourg, la cessation de
toute ingérence dans les affaires de ce pays, devaient avoir lieu, ou bien un
déploiement de forces militaires de la part de la Confédération
germanique ne pourrait plus y être ajourné.
Du reste, la France était d'accord avec
les autres puissances, ordre était donné au général Belliard d'agir en tout de
concert avec lord Ponsonby, et ce concert devait être franc et net. Voici les
nouvelles instructions adressées le 25 avril par M. Sébastiani au général
Belliard, au moment où celui-ci se disposait a retourner à Bruxelles :
« Notre union
avec les grandes puissances est indissoluble ; nous sommes décidés à leur
prêter un concours direct, positif et efficace, pour faire adopter par le gouvernement
belge, le Congrès et la nation, le protocole du 20 janvier. Il vous appartient
d'accomplir en cela la mission si honorable et si importante (page 185) d'épargner à la Belgique tous les
malheurs qu'entraînerait pour elle sa persistance à repousser cet acte.
L'adhésion qu'elle y donnerait lui assurerait, au contraire, les avantages les
plus précieux en consacrant à jamais sa séparation de la Hollande et son
indépendance, et en lui conciliant l'estime et la bienveillance de l'Europe
entière. Aussi, le gouvernement du roi a-t-il la conviction qu'il donne aux
Belges une preuve nouvelle et frappante de son amitié et de son intérêt pour
eux, en leur conseillant d'accepter, sans restriction comme sans délai, le
protocole du 20 janvier. Dès lors, la libre navigation de l'Escaut et de la Meuse se trouvera assurée,
la citadelle d'Anvers évacuée en même temps que celle de Venloo, et la solution
des questions d'échange de territoires deviendra facile. Vous savez,, par
exemple, que le protocole du 20 janvier établit un principe de contiguïté
favorable à l'échange de la
Flandre hollandaise contre des portions du territoire belge
d'une égale importance en population et en revenus ; la France appuiera cet échange
de toute son influence et avec toute la force que lui donnera la justice d'un
semblable arrangement. Enfin, par l'acceptation du protocole du 20 janvier,
l'ordre et la tranquillité renaîtront en Belgique, et y faciliteront le
développement des nombreux éléments de prospérité que ce pays renferme en lui-même.
Vous mettrez tous vos soins à prémunir le régent contre ces esprits ardents et
irréfléchis qui voudraient sacrifier le repos et le bonheur de leur patrie au
triomphe de leurs doctrines, et peut-être à des vues intéressées el coupables.
Vous lui ferez sentir que l'évacuation du duché de Luxembourg par les troupes
belges ne saurait éprouver de plus longs retards, sans compromettre la
situation présente et l'avenir même de la Belgique. « Vous vous attacherez surtout à
dissiper les folles illusions de ceux qui espéreraient nous entraîner à la
guerre. Lorsque nous avons accepté tous les traités existants pour assurer le
maintien (page 186) de la paix,
lorsque nous n'avons réclamé ni Landau, ni Sarrelouis, ni Mariembourg, ni
Philippeville, ni, en un mot, aucune partie de nos anciennes frontières,
comment les Belges pourraient-ils croire que nous consentirions à soutenir la
guerre pour leur faire acquérir le grand-duché de- Luxembourg ? La possession
de ce pays n'intéresse, au surplus, ni leur sûreté ni leur prospérité. Placé à
l'extrémité de la Belgique
dans une position excentrique, pauvre et sans industrie, aucune raison
politique ne peut conduire les Belges à tout exposer pour se l'approprier. Ils
s'en font, dit-on, un point d'honneur ; mais l'amour-propre et la vanité sont
de mauvais conseillers pour les peuples comme pour les individus... »
En vain le
général Belliard, pendant le séjour qu'il venait de faire à Paris, avait-il
joint ses efforts à ceux de M. Lehon pour éclairer le gouvernement français sur
les dispositions véritables des Belges, sur leur résolution de tout sacrifier
plutôt que de se soumettre à l'arrêt inique de la conférence ; en vain avait-il
appuyé énergiquement les justes prétentions des Belges sur le grand-duché de
Luxembourg ; toutes ses démarches, tous ses efforts, joints à ceux de lord
Ponsonby, n'arrachèrent à la conférence qu'un nouveau délai !
Le 10 mai, les
plénipotentiaires, réunis à Londres, ayant égard aux considérations présentées
par leur commissaire à Bruxelles et par le gouvernement du roi des Français,
décidèrent que lord Ponsonby serait autorisé à ne communiquer officiellement le
protocole du 17 avril au gouvernement belge qu'après avoir, de concert avec le
général Belliard, usé de toute son influence afin de faire généralement sentir
l'avantage que les Belges recueilleraient d'une acceptation immédiate et
franche des bases de séparation, auxquelles le roi des Pays-Bas avait déjà
complètement adhéré. Du reste, il était décidé que la communication officielle
aurait lieu en tout état de choses avant le 1er du mois de juin. Si ces (page 187) bases n'étaient pas acceptées
par le gouvernement belge le 1er juin, les plénipotentiaires étaient convenus
pour ce cas : 1° qu'une rupture absolue de toute relation aurait lieu entre les
cinq puissances et les autorités qui gouvernaient la Belgique ; 2° que les
cinq puissances, loin de s'interposer ultérieurement auprès de la Confédération
germanique, comme elles l'avaient fait jusqu'alors, pour retarder l'adoption des
mesures que la
Confédération s'était décidée à prendre dans le grand-duché
de Luxembourg, ne pourraient que reconnaître elles-mêmes la nécessité de ces
mesures ; 3° que les cinq puissances, vu l'intimité des relations qui
subsistaient entre elles et la
Confédération germanique, demanderaient à la diète de
Francfort de leur donner un témoignage d'amitié, en faisant communiquer à la
conférence de Londres des renseignements confidentiels sur les intentions de la Confédération
relatives au nombre et a l'emploi des troupes qu'elle ferait entrer dans le
grand-duché de Luxembourg ; 4° que si les Belges enfreignaient l'armistice
qu'ils devaient observer à l'égard de la Hollande et attaquaient son territoire, les cinq
puissances, avec lesquelles ils se mettraient ainsi ipso facto en état
d'hostilité par la violation des engagements qu'ils avaient contractés envers
elles dès le 21 novembre 1 830, auraient à concerter les mesures qu'elles
croiraient de leur devoir d'opposer à de telles attaques, et que la première de
ces mesures consisterait dans le blocus de tous les ports de la Belgique ; 5° enfin, que
si ces déterminations se trouvaient insuffisantes, la conférence de Londres,
agissant au nom des cinq cours, arrêterait d'un commun accord les mesures
ultérieures que les circonstances pourraient exiger dans le même but.
Lord Ponsonby se rend à Londres, afin d'éclairer la Conférence sur l'état
véritable des choses en Belgique
A la réception
de ce protocole, qui pouvait avoir pour résultat de pousser les Belges au désespoir,
lord Ponsonby résolut de se rendre lui-même a Londres (il partit le 13 mai)
dans le but d'exposer en personne a la conférence l'état véritable des choses
en (page 188) Belgique et tâcher
d'obtenir des conditions moins dures. Cette démarche était faite avec le plein
assentiment du général Belliard, qui en avertit le prince de Talleyrand en le
priant de seconder les efforts du diplomate anglais. L'initiative prise en
cette circonstance par le général Belliard reçut d'ailleurs l'approbation du
gouvernement français, très disposé à favoriser les Belges du moment où cette
prédilection ne pouvait contrarier l'Angleterre.
Un revirement se manifeste dans les dispositions des puissances.
Note du général Belliard à M. Lebeau, relative à l'acquisition du Luxembourg
La mission
véritable de lord Ponsonby en Belgique était de faire prévaloir les principes
de l'équilibre européen : c'est pourquoi il avait soutenu les prétentions de la
maison de Nassau tant qu'il avait pu craindre la rupture de l'équilibre par la
réunion directe ou indirecte de la
Belgique à la France. L'attitude impartiale du second ministère
du régent l'ayant rassuré, il n'avait pas hésité à délaisser les Nassau et à
prêter au gouvernement belge un concours franc et loyal, pour faire triompher une
combinaison plus propre a maintenir la balance entre les grandes puissances que
la restauration de l'ancienne dynastie.
Dès ce moment, la Belgique allait
recueillir les fruits des négociations ouvertes auprès du prince de
Saxe-Cobourg par le ministre des affaires étrangères, et de l'appui que lui
prêtait le commissaire de la conférence. Un revirement se manifesta dans les
dispositions des puissances ; après s'être montrées jusqu'alors inflexibles,
elles se montrèrent disposées à modifier des résolutions qu'elles avaient
elles-mêmes déclarées irrévocables.
Le 23 mai, M.
Lebeau donne lecture au Congrès d'une note qui lui avait été transmise le matin
même par le général Belliard. Cette note était de la teneur suivante :
« Le général
Belliard est heureux de pouvoir annoncer à M. le ministre des relations
extérieures de la Belgique,
qu'il reçoit avis de son gouvernement que les propositions remises par lord
Ponsonby ont été accueillies par la conférence de Londres, (page 189) qui va ouvrir une négociation
pour faire obtenir à la
Belgique la cession du duché de Luxembourg, moyennant une
indemnité.
« La Belgique verra sans doute
dans cette résolution de la conférence une nouvelle preuve des dispositions
bienveillantes des grandes puissances à son égard, et elle s'empressera sans
doute d'y répondre en faisant connaître promptement, et d'une manière nette et
conciliante, ses intentions relativement à l'indemnité au moyen de laquelle
elle doit désirer de s'assurer la possession du Luxembourg. »
M. de Robaulx
demande aussitôt si les propositions remises par lord Ponsonby étaient faites
de la part de la Belgique,
et si on voulait faire acheter aux Belges ce qu’ils avaient déclaré leur
appartenir. M. Lebeau répondit qu’il n'avait pu ni dû charger lord Ponsonby de
faire des propositions tendant à céder une partie quelconque du territoire ;
que si ce diplomate avait fait des propositions de ce genre, il n'avait pu agir
que d'une manière officieuse.
Le ministre donna
également connaissance d'une lettre qui lui était adressée par sir Ralph
Abercrombie, remplaçant lord Ponsonby. Elle lui demandait, au nom du
gouvernement anglais, une description authentique du pavillon national de la Belgique, attendu que des
ordres avaient été donnés pour admettre dans les ports britanniques les
bâtiments portant ce pavillon.
La conférence
venait de faire un premier pas dans la voie des concessions. Le 21 mai, les
représentants des puissances avaient constaté d'abord qu'il résultait des
renseignements donnés par lord Ponsonby : 1° que l’adhésion du Congrès belge
aux bases de séparation de la
Belgique d'avec la Hollande serait essentiellement facilitée, si les
cinq cours consentaient à appuyer la Belgique dans son désir d'obtenir, à titre
onéreux, l'acquisition du grand-duché de Luxembourg ; 2° que le choix d'un
souverain (page 190) étant devenu
indispensable pour arriver à des arrangements définitifs, le meilleur moyen
d'atteindre le but proposé serait d'aplanir les difficultés qui entraveraient
l'acceptation de la souveraineté de la Belgique par le prince Léopold de Saxe-Cobourg,
dans le cas où, comme tout autorisait à le croire, cette souveraineté lui
serait offerte. En conséquence, les plénipotentiaires étaient convenus
d'inviter lord Ponsonby à retourner à Bruxelles et de l'autoriser à y déclarer
: 1° que les cinq puissances ne sauraient tarder plus longtemps à demander au
gouvernement belge son adhésion aux bases destinées à établir la séparation de la Belgique d'avec la Hollande, bases
auxquelles Sa Majesté le roi des Pays-Bas avait déjà adhéré ; 2° qu'ayant égard
au vœu énoncé par le gouvernement belge de faire, à titre onéreux,
l'acquisition du grand-duché de Luxembourg, les cinq puissances promettaient
d'entamer avec le roi des Pays-Bas une négociation dont le but serait
d'assurer, s'il était possible, à la Belgique, moyennant de justes compensations, la
possession de ce pays, qui conserverait ses rapports actuels avec la Confédération
germanique ; 3° qu'aussitôt après avoir obtenu l'adhésion du gouvernement belge
aux bases de la séparation, les cinq puissances porteraient à la connaissance
de la Confédération
germanique cette adhésion, ainsi que l'engagement pris de leur part d'ouvrir
une négociation à l'effet d'assurer à la Belgique, s'il était possible, moyennant de
justes compensations, la possession du grand-duché de Luxembourg. Les cinq
puissances inviteraient en même temps la Confédération
germanique à suspendre, pendant le cours de cette négociation, la mise à
exécution des mesures arrêtées pour l'occupation militaire du grand-duché ; 4°
que lorsque le gouvernement belge aurait donné son adhésion aux bases de
séparation, et que les difficultés relatives à la souveraineté de la Belgique se trouveraient
aplanies, les négociations nécessaires pour mettre ces bases à exécution
seraient aussitôt ouvertes avec le souverain (page 191) de la
Belgique et sous les auspices des cinq puissances ; 5° enfin
que, si cette adhésion n'était pas donnée au 1er juin, lord Ponsonby, de
concert avec le général Belliard, aurait à exécuter les instructions consignées
dans le protocole du 10 mai et à faire connaître au gouvernement belge les
déterminations que les cinq cours avaient arrêtées, pour ce cas, par ledit
protocole.
L'élection immédiate du prince de Saxe-Cobourg, comme roi des
Belges, est proposée par quatre-vingt-quinze députés
Assurément, le
protocole du 21 mai dénotait des intentions plus favorables à l'égard de la Belgique ; mais il était
loin encore de résoudre les difficultés et de satisfaire le sentiment national
si vivement excité dans nos provinces. Pour obtenir un résultat sérieux, il
fallait sortir sans retard du provisoire, ébranler la conférence par un acte
décisif. Le ministère belge ne pouvait douter que l'idée de régner sur la Belgique n'eût flatté
l'esprit du prince de Saxe-Cobourg ; il pensa, en conséquence, que son concours
devait être recherché pour aplanir les difficultés résultant de la question
territoriale. Mais ce concours ne pouvait être complètement efficace qu'autant
que le prince aurait pour l'exercer un titre officiel. Faire des démarches au
nom et dans l'intérêt de la
Belgique auprès des représentants des puissances, alors que
le Congrès belge pouvait rejeter la proposition d'offrir la couronne au prince,
c'eût été de sa part aller au-devant de mécomptes éventuels, fâcheux pour sa
dignité. La prudence ne lui permettait point de s'y exposer. Comprenant donc
combien la position du prince était fausse, le ministre des affaires étrangères
résolut de faire cesser ce premier obstacle. Il suggéra spontanément à des
membres du Congrès l'idée de proposer son élection immédiate. Il n'eut pas de
peine à les persuader, car cette candidature était déjà accueillie
favorablement par l'opinion.
Le 25 mai,
quatre-vingt-quinze députés proposèrent le prince Léopold de Saxe-Cobourg pour
roi des Belges. M. Van de Weyer développa les motifs de cette proposition.
« Depuis longtemps, dit-il en substance, le prince de Saxe-Cobourg avait
été désigné (page 192) aux suffrages
de l'assemblée par les officiers de la garde civique ; pendant quelque
temps des préventions injustes avaient empêché de donner suite à cette
combinaison : on y revient aujourd’hui, et on doit s'en féliciter. Cette
candidature n'est pas hostile aux institutions de la Belgique. Le prince
de Saxe-Cobourg a vécu dans un pays qui jouit depuis longtemps du régime
constitutionnel ; il sait en apprécier les avantages, et il a sous les yeux
l'exemple du roi d'Angleterre, qui vient de se placer à la tête du mouvement
libéral pour doter la nation d'une réforme longtemps désirée. Les craintes
manifestées pour les intérêts commerciaux du pays ne sont pas mieux fondées. Il
ne faut pas oublier que, d'après la Constitution, ce n'est pas au gouvernement seul qu'il
appartient de conclure des traités « de commerce. C'est à la nation, c'est à la
législature qu'il est donné de les ratifier ou de les rejeter, en sorte que si
le prince souscrivait des traités nuisibles aux vrais intérêts du pays, il
serait bientôt arrêté par la législature dans sa marche anti-nationale. En
remettant l'élection au 1er juin, suivant la proposition faite par
M. C. Rodenbach, et en supposant que l'acceptation ne suivit pas, nous
n'aurions rien compromis ; au contraire, nous aurions donné aux puissances une
preuve de plus, une garantie nouvelle, de notre ferme volonté de rester Belges,
et de ne pas perdre notre indépendance par notre réunion à une puissance
étrangère. »
Contre-proposition de M. Blargnies
Une
contre-proposition avait été déposée en même temps par M. Blargnies,
conjointement avec MM. Claes (de Louvain) et d'Elhoungne. Elle avait pour objet
de déterminer définitivement les limites du royaume avant l'élection du prince
de Saxe-Cobourg. Le Congrès devait, dans le plus bref délai, faire connaître à
la conférence de Londres et au prince lui-même l'indemnité qu'il croirait
pouvoir offrir pour le Luxembourg et les arrangements auxquels il croirait
pouvoir consentir quant au Limbourg et à la Flandre (page
193) zélandaise (Note de bas de page : Les Belges
revendiquaient la part de souveraineté qui avait appartenu dans Maestricht au
prince-évêque de Liége, et ils faisaient dériver leurs autres prétentions sur
le territoire contesté du Limbourg, ainsi que sur la Flandre zélandaise et la
rive gauche de l'Escaut, du traité conclu le 27 floréal an III (16 mai 1795)
entre la république française et la république batave. L'art. 12 de ce traité
était conçu en ces termes :
« Art. 12. Sont réservés par la
république française, comme une juste
indemnité des villes et pays conquis restitués par l'article précédent :
« 1° La Flandre
hollandaise, y compris le territoire qui est sur la rive gauche du Hondt ;
« 2° Maestricht, Venloo et leurs
dépendances, ainsi que les autres enclaves et possessions des Provinces-Unies,
situées au sud de Venloo, de l'un ou de l'autre côté de la Meuse. »
En prenant pour base, comme la
conférence de Londres, l'état de possession de 1790, on trouvait qu'à cette
époque la république des Provinces-Unies possédait effectivement la rive gauche
de l'Escaut, une moitié de Maestricht (la souveraineté étant partagée avec le
prince-évêque de Liége) et Venloo en entier. Elle possédait, en outre, dans le
Limbourg cinquante-trois villages connus sous la dénomination de villages de la
généralité : treize de ces villages étaient situés sur la rive gauche et
quarante sur la rive droite de la
Meuse). « Si nous
élisons le prince de Saxe-Cobourg, remarquez-le, dit M. Blargnies, nous ne
sommes pas constitués, notre territoire n'est pas défini. Une fois l'élection
consommée, notre mandat expire, nous nous retirons. Eh bien ! alors, toute
transaction sur notre territoire devient possible. J'en puise la preuve dans
l'art. 68 de la
Constitution, qui permet au chef de l'État de consentir à toute
cession ou échange de territoire, avec l'assentiment des chambres. Le Congrès
serait-il le grand, serait-il le seul obstacle aux projets des puissances
alliées ? C'est ce qu'on n'a pas osé avouer. N'aurait-on pas un désir secret de
se débarrasser de nous, dans l'espérance d'avoir meilleur marché d'une
prochaine législature ?... Allons plus loin. Si vous élisez, vous aurez un roi
qui acceptera, dit-on, qui viendra ; mais si (page 194) les négociations sur les questions de territoire durent
deux, trois mois, et si elles finissent à notre désavantage, dans quelle
position sera le prince à l'égard de la Belgique ? Il ne sera plus regardé, n'en doutez
pas, par tous les Belges, que comme un moyen de spoliation... Il faut sortir du
cercle de fer qui nous serre et nous blesse de toutes parts. Appelons à notre
aide le bon sens, la bonne foi, l'énergie. Voyons bien notre position. Nous
sommes, dit-on, une cause de perturbation, de guerre en Europe ; on ne veut pas
que cet état de choses dure plus longtemps ; on veut de la paix à tout prix. Eh
bien ! indiquons franchement aux puissances comment nous pouvons contribuer au
maintien de la paix... Nous ferons connaître nos résolutions à la conférence et
au prince, et nous dirons que si dans tel délai ces propositions sont
acceptées, nous élirons le prince de Saxe-Cobourg. Nos conditions seront
raisonnables, dignes et proposées de bonne foi. L'Europe saura quels efforts
nous aurons tentés pour le maintien de la paix ; nous ferons ainsi cesser les
accusations qu'on nous adresse d'être une cause de guerre, et nous aurons mis
un terme aux lenteurs qui, vu l'état du pays, m'effrayent...»
M. de Robaulx réclame la reprise des hostilités
Une troisième
proposition, extrême, périlleuse, avait été déposée par M. de Robaulx. Il voulait
que le pouvoir exécutif fût chargé de prendre immédiatement des mesures, même
par la force, pour établir les lois et les autorités belges dans toutes les
parties du territoire de la
Belgique encore occupées par les ennemis. « Nous sommes moins
avancés qu'en décembre, dit M. de Robaulx pour appuyer sa proposition. Nous
marchons en arrière ; nos questions vitales n'ont pas été débattues. Il faut
prendre une attitude ferme et énergique, attitude que la nation peut se créer
et garder, sans provoquer une guerre générale ; car je demande seulement que
les Hollandais soient repoussés, et que l'attaque cesse après leur expulsion
hors du territoire. »
Rapport de la section centrale
(page 195) Le 27 mai, M. Raikem déposa
le rapport de la section centrale sur les diverses propositions faites au
Congrès dans la séance du 25. Il résultait de l'examen des procès-verbaux des
dix sections que cent vingt-deux membres y avaient été présents.« De ce nombre,
quatre-vingt-seize s'étaient prononcés en faveur de l'élection du prince
Léopold de Saxe-Cobourg au trône de Belgique. Deux membres s'étaient prononcés
contre cette élection, et vingt-quatre s'étaient réservé leurs suffrages. A la
section centrale, la proposition d'élire le prince de Saxe-Cobourg roi de la Belgique avait été
adoptée à l'unanimité des onze membres qui la composaient. En résumé, la
section centrale proposait de porter à l'ordre du jour du 1er juin la question
du choix du chef de l'État ; d'élire, le jour qui serait fixé, le prince
Léopold de Saxe-Cobourg roi de la
Belgique ; de passer à l'ordre du jour sur la proposition de
M. Blargnies et de rejeter la proposition de M. de Robaulx.
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