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d’intention
« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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LIVRE
TROISIEME.
CHAPITRE VIII
Incident du voyage des députés belges envoyés à Londres
(page 154) Les quatre députes, envoyés auprès
du prince Léopold de Saxe-Cobourg par le ministre des affaires étrangères,
avaient saisi avec empressement l'occasion de servir leur patrie. Partis
immédiatement pour l'Angleterre, ils rencontrèrent à un relais, non loin de la
frontière, M. le comte d'Arschot, qui retournait à Bruxelles, l'esprit
tourmenté par les plus sinistres prévisions sur le dénouement de la révolution
belge. Il était accompagné de M. Jules Van Praet, secrétaire de la légation.
Les commissaires ayant fait connaître le but de leur voyage à M. d'Arschot,
celui-ci objecta (page 155) que les
difficultés étaient insurmontables. « Il n'y a plus rien à faire, ajouta-t-il,
que de rappeler le prince d'Orange. » Doué d'un esprit plus ferme, M. Van Praet
n'hésita point à suivre les députés, qui continuèrent leur voyage avec
confiance. Tel est le résultat des crises politiques pour ceux qui s'y trouvent
mêlés : l'espoir soutient les uns, tandis que les autres faiblissent. Il faut
savoir, dans ces graves circonstances, s'appuyer fermement sur une cause juste,
grandir avec le danger, et envisager d'un œil calme les chances de l'avenir.
Entrevues des députés avec le prince Léopold de Saxe-Cobourg. Le ministre des
affaires étrangères insiste pour une acceptation immédiate et sans condition
Arrivés à
Londres le jour même de la dissolution du parlement, les députés belges furent
reçus pour la première fois, le 22 avril, à Marlborough-House, par le prince
Léopold. Ils le trouvèrent parfaitement instruit de la situation des affaires
en Belgique, des ressources du pays, des besoins de son commerce et de son
industrie, enfin du caractère du peuple belge. Le prince répondit aux députés
que le message dont ils étaient chargés le flattait infiniment, et d'autant
plus qu'ils appartenaient à une nation connue par ses sentiments de loyauté et
de franchise, d'une nation qui surpassait la plupart des peuples en
civilisation. « Je vois surtout avec plaisir, dit-il en s'adressant
particulièrement à M. l'abbé de Foere, que
Cependant la
position difficile des deux parties se dessina dès cette première entrevue. Le
ministère belge, qu'on ne l'oublie point, voulait défendre l'intégrité du
territoire ; il voulait, en outre, et dans toute hypothèse, que l'élection du
roi fût le début et non le terme des arrangements à conclure avec l'Europe. Les
députés envoyés à Londres ne venaient pas prendre le mot d'ordre du ministère
anglais ni se soumettre aux exigences de la conférence ; ils venaient
uniquement, au nom de
Dans le cours
de la conversation, le prince, après avoir fait un grand éloge du roi Louis-Philippe,
signala la nécessité qu'il y avait pour les Belges de conserver des relations
d'amitié et de bon voisinage avec
Lorsque les
détails de cette première entrevue parvinrent au ministre belge qui avait
assumé la responsabilité de cette négociation, ils allégèrent le poids de ses
soucis. « Je vous recommande la persévérance, écrivit-il aux députés. Ne vous
découragez pas, de grâce, aux premiers mots... Le calme le plus parfait
continue à régner en Belgique. I1 tient beaucoup à l'espérance qui est dans
tous les esprits. Ce peuple, qu'on calomnie si indignement, est à conduire avec
un fil de soie, du moment où on le traite avec franchise et loyauté. . Je suis
enchanté que le prince reconnaisse la nécessité politique de prêter le serment
sans restriction et d'accepter
Cependant les
commissaires belges avaient eu avec le prince, le 24 avril, une seconde
entrevue, non moins importante que la première. Le prince ne dissimula ni ses
désirs ni ses appréhensions ; il montra une loyauté et un désintéressement qui
devaient encore le rehausser dans l'esprit des députés, « Vos limites,
leur (page 159) dit-il, sont la
grande difficulté. Le protocole du 20 janvier est chose irrévocable ; les cinq
grandes puissances sont décidées a le maintenir, et
Une nouvelle
entrevue eut lieu le 30. Le prince resta dans la même réserve, malgré les
instances des envoyés. Ils le prièrent à différentes reprises, mais en vain, de
vouloir sinon leur donner une réponse catégorique, du moins les autoriser à
écrire en Belgique qu'il leur avait fait espérer d'accéder à leurs vœux. Sa
réponse fut constamment la même. « Les limites, disait-il, toujours les limites
! » Du reste, il laissait clairement entrevoir qu'il n'éprouverait aucune
répugnance à se rendre aux vœux des Belges, dès qu'ils seraient parvenus à
vider leurs différends. Mais il ne cachait point qu'il serait bien difficile de
faire revenir les puissances de leur protocole du 20 janvier ; il ajouta que,
dans l'adhésion que
Le temps
pressait. Les partis, après le premier moment de surprise causée par la
démarche faite à Londres, commençaient à s'agiter de nouveau en Belgique ; les
orangistes et les partisans de la réunion à
Les députés,
obéissant à leurs instructions et inquiets sur la situation de leur pays,
pressèrent, le 2 mai, le prince de Saxe-Cobourg de leur donner une réponse
définitive. Son Altesse Royale, au courant de ce qui se passait à Londres, leur
répondit : « J'accepterais avec bien du plaisir ; c'est la question du
Limbourg qui me retient seule, parce que c'est une question européenne ; celle
du Luxembourg est une affaire à traiter avec
Entrevues des députés avec lord Grey et lord Palmerston
Le prince
pouvait-il tenir un autre langage ? On en jugera, quand on aura pu apprécier
les conversations que les députés avaient eues avec les ministres anglais. M.
Lebeau avait engagé les commissaires à voir les membres de la conférence et
principalement lord Palmerston ; à les mettre au courant de l'objet de leur
mission, à réclamer leurs bons offices pour amener la solution des difficultés
territoriales et financières de
Le 30 avril,
les députés avaient eu avec lord Palmerston une entrevue qui avait duré plus de
trois heures. Le noble lord défendit le protocole du 20 janvier avec chaleur et
persévérance, assurant de la manière la plus formelle que les Belges ne
devaient nullement espérer qu'on y apporterait le moindre changement, et
ajoutant que, s'ils ne cédaient pas de bonne grâce, ils devaient s'attendre à y
être contraints par la force des armes. Le roi de Hollande, disait-il, avait
rendu aux puissances un véritable service, avait tiré quelques-unes (
Le langage de
lord Grey, chef du cabinet britannique, n'était pas plus satisfaisant, quoique
moins absolu. Tout on approuvant le choix du prince de Saxe-Cobourg, tout en
manifestant le désir de voir un tel choix couronné de succès, lord Grey déclara
qu'il ne pouvait, comme ministre, se départir de ses principes et du texte des
traités. Il insistait aussi, et avec force, pour que les Belges adhérassent du
moins aux principes du protocole du 20 janvier ; et il laissait également
entrevoir la possibilité d'une occupation de
Le 8 mai, sur
la demande spontanée de lord Palmerston, les (page 164) députés belges eurent au Foreign-Officc une nouvelle
entrevue avec lui. Il répéta que l'acceptation du prince de Saxe-Cobourg lui
paraissait très difficile si les Belges ne reconnaissaient pas les principes du
protocole du 20 janvier ; il indiqua également un arrangement pour terminer a
l'amiable la difficulté territoriale, mais cet arrangement différait du plan
indiqué par lord Grey. Suivant le chef du Foreign-Offce, la conférence pourrait
consentir à laisser le Luxembourg aux Belges, pourvu qu'ils renonçassent à tout
l'arrondissement de Ruremonde, à la plus grande partie de celui de Maestricht,
et à Maestricht même. Les députés se récrièrent sur l'impossibilité absolue
d'admettre une telle délimitation ; ils déclarèrent que le Limbourg en entier,
ainsi que le Luxembourg, devait rester a
Les hommes
d'Etat qui eurent la gloire de consolider la révolution belge n'ont pas besoin
d'être absous devant la postérité. Mais aujourd'hui que nous jouissons
paisiblement du fruit de leur pénible labeur, peut-être avons-nous trop oublié
les accusations qui leur furent prodiguées. C'est ainsi que l'on a voulu faire
peser sur leur mémoire la responsabilité des sacrifices douloureux par lesquels
Le ministère
belge ne pouvait changer l'arrêt irrévocable prononcé (page 165) par l'Europe. Le protocole du 20 janvier dominait la
situation ; il formait, depuis le 18 février, un contrat synallagmatique entre
les cinq grandes puissances et le roi des Pays-Bas ; c'était l'écueil contre
lequel venaient se briser les intentions les plus héroïques, car
Efforts des partis réunioniste, démagogique et orangiste pour
provoquer de nouveaux troubles en Belgique. Abus de pouvoir des autorités de
Cependant il
importait de prendre sans retard une détermination, si l'on ne voulait voir
Cette proclamation
était conçue en ces termes :
« Le Messager
de Gand, jaloux de voir régner la tranquillité dans la ville de Gand, annonce
qu'il vient de prendre les mesures nécessaires pour paraître au premier jour ;
il le peut ! Mais lorsque les malveillants viennent abuser de la presse pour
exciter le peuple au désordre par la haine, il est du devoir des autorités de
déclarer que ni gardes civiques ni forces militaires ne sont instituées pour
défendre les ennemis de la cause nationale ; c'est au Messager de Gand à
calculer les suites de son (page 167)
esprit hostile à la chose publique ; il reste responsable devant le peuple de
ses provocations.
« Le
téméraire qui brave la vindicte publique se met volontairement hors la loi, du
moment qu'il veut en courir la chance.
« Le
gouverneur, Baron DR LAMBERTS.
« Le général de
division, « Chev. DE WAUTIER.
« Le général de
brigade, gouverneur militaire de
« Les président et membres de la commission de
sûreté publique (qui remplaçait l'administration communale depuis le « mois de
février) ; « CH. COPPENS, L. VAN DE POELE, F. VERGAUWEN, « L. DE SOETER, C. SPILTHOORN.
« Par
ordonnance :, Le secrétaire, LEJEUNE. »
Le ministère ne
pouvait tolérer un tel abus de pouvoir. Il révoqua le gouverneur, cassa la
commission de sûreté, fit entrer des renforts de troupes à Gand et déclara la
ville en état de siège. Cependant il fallut bientôt transiger pour prévenir
l'effusion du sang prêt à couler et à susciter la guerre civile dans d'autres
parties du pays. Sur la demande d'une députation, composée de membres du
Congrès, le cabinet dut se contenter d'une rétractation de la proclamation par
laquelle le gouverneur de
Quelle position
pour un gouvernement ! Devoir reculer devant l'exécution de ses ordres, sous
peine d'engager la guerre civile, de se faire renverser, de donner à ses
ennemis extérieurs les moyens de flétrir le pays, de ruiner une combinaison qui
était devenue le seul espoir de salut pour
Ce n'était pas
seulement à Gand que la tranquillité publique était menacée ; des aventuriers,
accourus du dehors, soufflaient également le feu de la discorde dans la
capitale. De l'or était distribué, et l'on cherchait à réunir des émeutiers
pour saccager l'hôtel du régent et celui du ministre de la guerre. Mais la
ferme attitude de la garde civique et la sagesse du peuple firent avorter ce
détestable complot (Note de bas de page : Les journaux du 10 mai
publièrent la pièce suivante :
« PROCLAMATION.
« Le général en
chef des gardes civiques aux habitants de Bruxelles.
« CONCITOYENS,
« Des étrangers,
ennemis de nos institutions et de notre repos, cherchent à provoquer des
mouvements populaires, et voudraient voir régner le trouble et l'anarchie au
sein de notre belle ville.
« La garde
civique veille !
« Fidèle à
la patrie et à ses serments, elle est résolue à conserver, par tous les moyens,
l'ordre actuel des choses.
« Sans ordre,
point de liberté.
« Nous avons
combattu pour l'une ; nous saurons maintenir l'autre.
« Que les
agitateurs tremblent ! Force restera aux lois, à nos institutions, au
régent que nous avons nommé.
« Tous les
bons habitants n'ont qu'une même pensée.
« Qu'à la
première sommation qui leur sera faite, les citoyens, attires par la seule
curiosité, quittent les groupes des perturbateurs, qui seront dissipés par la
force.
« Baron VANDER
LINDEN D'HOOGVORST. »
Dernière entrevue des députés belges avec le prince Léopold ; il
déclare qu'il s'estimerait heureux d'être à la tête de la nation belge. L'élection du
prince peut devenir le début de l'arrangement à conclure avec l'Europe
(page 169) Tel était l'état des esprits
en Belgique lorsque le 8 mai, à trois heures de l'après-midi, les députés
belges revirent le prince Léopold de Saxe-Cobourg. Ils lui dépeignirent combien
l'incertitude dans laquelle ils se trouvaient exerçait de malaise dans leur
pays et lui représentèrent que le gouvernement craignait, d'un moment à
l'autre, une explosion désastreuse. « Votre position, répondit le prince, est
sans doute fâcheuse, et il est fort à désirer qu'elle cesse au plus tôt. » Il
ajouta qu'il s'estimerait heureux d'être à la tête de la nation belge, si un
arrangement définitif pouvait être conclu ; toutefois il fut presque amené à
convenir que le premier acte du Congrès, vu la gravité des circonstances,
devait être non pas une rétractation de sa protestation du 1er février, mais
l'élection du souverain. Pressé par les députés, qui lui faisaient remarquer
que jusqu'à ce moment le public en Belgique ignorait entièrement le résultat de
leurs démarches, le prince les autorisa à faire connaître que ses intentions
étaient très-favorables aux Belges et que tous ses désirs étaient de voir leur
bonheur, accompli.
Le 10 mai, M.
Devaux, membre du cabinet, se rendit à Londres pour hâter la solution si
impatiemment désirée ; il put se convaincre des bonnes dispositions du prince
Léopold, mais aussi de la nécessité de se soumettre à l'arrêt prononcé par les
puissances (Note de bas : Voici des détails puisés dans une dépêche
adressée, le 12 mai, de Londres, par le prince de Talleyrand au comte Sébastiani,
et communiquée par celui-ci au général Belliard : « ... Je vous ai mandé, par
ma lettre du 9, combien les membres de la conférence étaient pressés de unir,
mais ils ont voulu vous donner une marque de condescendance en reculant au 1er
juin, ainsi que vous l'avez désiré, le dernier délai accordé aux Belges. — La
députation belge vient de s'augmenter d'un membre. M. Devaux, qui fait partie
du Congrès et du conseil des ministres, est arrivé ici ; mais il n'a pas plus
de pouvoir que ceux qui l'ont précédé. — Le prince Léopold a vu M. Devaux, et
lui a dit, ainsi qu'à ses collègues, qu'il était toujours disposé à accepter
leurs offres, mais qu'il ne donnerait pas cette acceptation tant que l'État
belge serait vague, incertain, et surtout tant que les Belges ne seraient pas
dans des rapports de bonne harmonie avec les principales puissances de
l'Europe. — Le prince a terminé son dernier entretien avec ces députés par leur
conseiller de donner leur adhésion au protocole du 20 janvier, en exprimant
dans cette adhésion le désir qu'il pût s'opérer, relativement à la partie
territoriale du grand-duché de Luxembourg, des arrangements à la convenance
réciproque des Belges et du roi de Hollande, et qui auraient pour résultat
d'effectuer plus tard une réunion qui maintenant ne pourrait avoir lieu... »).
(page 170) La députation officieuse,
envoyée par le ministre des affaires étrangles auprès du prince de
Saxe-Cobourg, avait été chargée de pressentir les intentions de Son Altesse
Royale pour le cas où le Congrès lui décernerait la couronne de Belgique. Ces
intentions, on l'a vu, étaient favorables : le prince n’avait pas caché qu’il
serait fier et heureux de se trouver à la tête du peuple belge. L'élection
pouvait donc être, suivant les vœux du cabinet, le début et non le terme de
l'arrangement à conclure avec l'Europe pour consolider l'indépendance du pays.
Revêtu d'un titre officiel, élu de la nation, le prince emploierait en faveur
des Belges la grande influence dont il jouissait, et deviendrait leur défenseur
auprès de la conférence. Son concours serait alors complètement efficace.
Hâtons-nous de
dire, cependant, que le rôle du prince Léopold de Saxe-Cobourg fut entièrement
désintéressé et strictement passif pendant les débats qui devaient avoir un si
heureux dénouement. « Pas une ligne ne fut écrite par lui, ou toute autre
personne de sa maison, jusqu'à ce que son élection eut été consommée ; pas la
moindre somme d'argent ne fut dépensée pour gagner le peuple ; aucun article ne
fut inséré dans les journaux ; on ne chercha à exciter les sympathies publiques
ni par des (page 171) chansons, ni
en prodiguant les bustes et les portraits, moyens qui avaient été employés avec
profusion pour soutenir les autres combinaisons. L'élection du prince Léopold
fut fondée sur des raisons de morale et de politique de l'ordre le plus élevé ;
elle fut accomplie sans le moindre effort et sans l'intervention directe ou
indirecte de l'auguste personnage le plus intéressé à son issue. » (CH.
WHITE, Révolution belge de 1830, t. III). Le prince Léopold de Saxe-Cobourg ne voulut tenir la couronne
que de la spontanéité, de la sagesse et du patriotisme des représentants de la
nation belge.