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d’intention
« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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LIVRE DEUXIÈME.
CHAPITRE
IV
La
souveraineté du peuple, origine des pouvoirs. Ordre des juridictions.
(page 385)
La nationalité belge, longtemps comprimée par la domination étrangère, était
sortie triomphante de la révolution qui venait tic s'accomplir. Il était donc
nécessaire de légitimer solennellement cette glorieuse origine. C'est pourquoi
le comité de constitution avait inscrit, dans son projet, que la nation belge
ne reconnaissait à aucun prince, ni à aucune famille, de droits sur
Les pouvoirs, émanés de la nation, devaient être
exercés de la manière indiquée par
Dans les États constitutionnels, le pouvoir
législatif est dominant. Le Congrès décréta qu'il serait exercé collectivement
par le chef de l’État, la chambre des représentants et le sénat. Un partisan de
la forme républicaine, M. Seron, demanda l'exclusion du chef de l'État ; il
prétendit que l'on marcherait inévitablement vers le despotisme, si l'on
accordait au chef de l’État, déjà investi (page
387) du pouvoir exécutif, une part quelconque dans l'exercice du pouvoir
législatif. Mais l'assemblée ne partagea point des craintes qui étaient
puériles, puisque le chef de l'État ne peut par lui- même ni établir ni abroger
aucune loi (Note de bas de page : « Le Congrès aurait méconnu le principe
essentiel de la séparation des trois pouvoirs, s'il avait conféré au roi la
plénitude du pouvoir législatif, tout comme il lui accorde celle du pouvoir
exécutif. Alors, pour nous servir de l'énergique expression de Montesquieu, le
monarque pourrait concevoir le désir de faire des lois tyranniques pour les
exécuter tyranniquement ; mais il ne peut en être ainsi, lorsque le rôle du
chef de l'État se borne à l'exercice des droits que lui confère une
constitution, placée au-dessus de son atteinte, et des lois qu'il n'est pas en
son pouvoir d'établir ou d'abroger. » (Constitution belge annotée, p. 112.))
Le pouvoir
législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire ; limites de ces trois
pouvoirs.
Pour conserver un juste équilibre entre la
puissance exécutive et la puissance législative, l'assemblée décida, sans
discussion, que l'initiative, c'est-à-dire la faculté de proposer directement des
projets de loi, appartiendrait aux trois branches du pouvoir législatif. Il ne
fut fait d'exception que pour les lois relatives aux recettes et aux dépenses
de l'État ainsi qu'au contingent de l'armée. On voulut que les lois de cette
nature fussent d'abord votées par la chambre des représentants, parce qu'elles
consacrent deux espèces de charges publiques qui atteignent principalement les
classes moyenne et inférieure, dont la seconde chambre est l'émanation la plus
directe.
Le Congrès arrêta ensuite que l'interprétation des
lois, par voie d'autorité, n'appartiendrait qu'au pouvoir législatif. Cette
disposition, approuvée sans débat par le Congrès, avait été l'objet d'une forte
discussion à la section centrale. D'un côté, l'on soutenait qu'il était nécessaire
de laisser au pouvoir législatif la faculté d'interpréter les lois, si l'on ne
voulait pas que la marche du gouvernement pût être entravée ; qu'il pouvait
être utile de restreindre cette faculté dans les matières judiciaires, mais
qu'elle (page 388) était surtout
nécessaire pour les lois administratives. D'un autre côté, l'on répondait
qu'une loi interprétative s'applique à des faits antérieurs ; qu'elle a, par sa
nature, une plus ou moins grande rétroactivité; que l'interprétation des lois
était dans les attributions des tribunaux, et qu'on ne devait recourir à
l'interprétation du législateur que lorsqu'on avait acquis la certitude que la
cour, chargée spécialement de connaître de la violation de la loi, sans pouvoir
entrer dans le fond des affaires, était en opposition directe avec les cours
d’appel. En résumé, la majorité de la section centrale pensa que l'on ne
préjugerait rien en adoptant la rédaction proposée ; plus tard le législateur
lui-même pourra, disait-elle, régler en quels cas il y a lieu à une telle
interprétation, et faire une distinction convenable entre les lois
administratives et les lois qui règlent les droits des particuliers (Note de
bas de page : La loi du 4 août 1832, organique de l'ordre judiciaire, a
déterminé les cas dans lesquels il y a lieu de recourir à l'interprétation par
voie d'autorité. — « Dans le cas de renvoi devant une cour d'appel en matière
civile, l'affaire est jugée par deux chambres réunies. Lorsqu'après une
cassation, le second arrêt ou jugement est attaqué par les mêmes moyens que le
premier, la cause est portée devant les chambres qui jugent en nombre impair ;
si la cour annule le second arrêt ou jugement, il y a lieu à interprétation. »).
Le chef de l'État fut investi du pouvoir exécutif,
tel qu'il serait réglé par
Pour compléter l'ordre des juridictions, le Congrès
décida que les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux seraient réglés
par les conseils communaux ou provinciaux, d'après les principes établis par
Dispositions
communes aux deux chambres.
Les pouvoirs
constitutionnels étant établis, il importait de tracer le cercle dans lequel
chacun devait se mouvoir. Portant d'abord son attention sur le pouvoir
législatif, le Congrès arrêta des dispositions communes aux deux chambres. Il
décida que les membres des deux chambres représenteraient la nation, et non
uniquement la province ou la subdivision de province qui les aurait nommés; ce
qui ne voulait pas dire que la plénitude de la souveraineté nationale serait
concentrée dans le sein des deux chambres législatives, mais bien que leurs
membres seraient les mandataires de toute la nation, au lieu de représenter
exclusivement le district électoral dont ils auraient obtenu les suffrages. La
publicité des débats parlementaires fut consacrée comme une règle salutaire qui
plaçait sans cesse les députés en face du pays ; elle ne devait souffrir
d'exceptions que dans des circonstances où l'intérêt général pouvait exiger que
le public ne fût pas initié aux débats. Ce fut également pour rendre hommage à
la souveraineté de la nation, source de la puissance législative, que le Congrès
décida que les votes seraient émis à haute voix sur l'ensemble des lois ; on
encourageait ainsi la fermeté de caractère aussi bien que la probité
parlementaire, en prévenant ces capitulations de conscience que couvre le
scrutin secret.
L'indépendance du parlement fut assurée par les
dispositions qui accordaient à chaque chambre le droit de composer son bureau
et de vérifier les pouvoirs de ses membres, en la rendant seule juge des
contestations qui s'élèveraient à ce sujet. L'indépendance parlementaire eut
pour sanction une inviolabilité légale (page
390) Il fut décidé qu'aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne
pourrait être poursuivi ou recherché à l'occasion des opinions et des votes
qu'il aurait émis dans l'exercice de ses fonctions ; que, pendant la durée de
la session, aucun membre du parlement ne pourrait être ni poursuivi ni arrêté,
en matière de répression, sauf le cas de flagrant délit, qu'avec l'autorisation
de la chambre dont il ferait partie ; qu'aucune contrainte par corps ne pourrait
être exercée contre un membre du parlement, durant la session, qu'avec la même
autorisation ; enfin, que la détention ou la poursuite d'un membre de l'une ou
de l'autre chambre serait suspendue pendant la session, et pour toute sa durée,
si la chambre le requérait (Note de bas de page : La disposition
analogue, insérée dans la constitution des Etats-Unis de l'Amérique du Nord,
est rédigée eu ces termes : « Dans tous les cas, excepté ceux de
trahison, de félonie et de trouble à la paix publique, les sénateurs et les
représentants ne pourront être arrêtés, soit pendant leur présence au congrès,
soit en s'y rendant ou en retournant dans leurs foyers. Dans aucun autre lieu,
ils ne pourront être inquiétés, ni interrogés, en raison des discours ou
opinions prononcés dans leurs chambres respectives »). Le
droit d'enquête et un autre droit non moins précieux, qui avait été refusé aux
anciens états généraux par la loi fondamentale de 1815, la faculté d'amender
les projets de loi, complétèrent les prérogatives du parlement belge.
Les
incompatibilités parlementaires.
Il fallait le soustraire à l'influence dangereuse
du pouvoir exécutif, en plaçant un obstacle entre les membres des chambres et
les faveurs ministérielles. Mais cet obstacle, quel serait-il ? Fallait-il
interdire, d'une manière absolue, aux membres de la représentation nationale,
l'acceptation de fonctions salariées ? Fallait-il se contenter de renvoyer
devant le corps électoral le membre nommé à un emploi salarié par le pouvoir
exécutif ? Avant la discussion publique, les sections du Congrès s'étaient
vivement préoccupées de l'incompatibilité que quelques membres auraient voulu
établir (page 391) entre des
fondions publiques et le mandat législatif. La section centrale refusa son
adhésion à ce système. Elle crut qu’à cet égard il fallait s'en rapporter au
bon sens des électeurs, et qu'une disposition, prescrivant la réélection des
membres de la représentation nationale qui seraient appelés à des emplois
salariés, obvierait à tous les inconvénients. La majorité ne voulut pas même
exclure de la représentation nationale les membres de la cour des comptes, bien
qu'ils dussent tenir leur mandat de la chambre des représentants (Note de
bas de page : Cette exclusion fui néanmoins prononcée par le décret du 30
décembre 1830, organique de la cour des comptes). Elle refusa également de
sanctionner une disposition tendant à empêcher les gouverneurs de se faire
élire dans les provinces dont l'administration leur serait confiée. En résumé,
la section centrale se contenta de proposer au Congrès la réélection des
membres de la représentation nationale, qui accepteraient du gouvernement un
emploi salarié. Dans la discussion publique, un seul amendement fut déposé ; il
avait pour auteur M. de Tiecken de Terhove, et il était conçu dans les termes
suivants : « Les membres des deux chambres ne pourront être revêtus d'aucune
fonction de cour, ni de toute autre fonction amovible, salariée par le
gouvernement. » Cet amendement fut rejeté. Il est donc permis d'affirmer que
les auteurs de
La chambre
des représentants. Conditions requises pour exercer le droit électoral ;
pourquoi le Congrès a fixé le cens.
(page 392)
Après avoir arrêté les dispositions communes aux deux chambres, le Congrès
s'occupa de l'organisation spéciale de la chambre des représentants. La section
centrale avait consacré, dans son projet, le principe de l'élection directe par
les citoyens, mais sans spécifier les conditions requises pour exercer le droit
électoral. M. Defacqz proposa, par amendement, d'attribuer ce droit aux (page 393) citoyens qui payeraient un
cens à déterminer par la loi électorale, cens qui ne pourrait excéder 100
florins d'impôt direct, ni être au-dessous de 20 florins. M. Defacqz fit
d'abord ressortir la grave lacune qui existait dans le projet de la section
centrale, lacune qui pourrait avoir pour conséquence l'introduction du suffrage
universel, utopie irréalisable, disait-il ; il émit l'avis que le cens était la
condition qu'il fallait placer en première ligne pour être électeur (Note de
bas de page : On ne pouvait alors s'attendre de longtemps encore à
l'introduction du suffrage universel dans l'un ou l'autre des États européens.
Les esprits les plus éclairés regardaient l'inégalité dans la distribution des
droits politiques comme la condition inévitable d'une grande société, et comme
la conséquence des inégalités de fait matérielles et intellectuelles qui
existent nécessairement dans son sein. En jetant les yeux par delà l'Océan,
dans les États-Unis de l'Amérique du Nord, on trouvait que si le suffrage à peu
près universel était la loi électorale de cette république exceptionnelle, il
n'était pourtant pas sans restrictions. « Les hommes de couleur, dit M. Michel
Chevalier, en sont exclus à peu près partout en droit, et partout en fait. Dans
certains États, il faut être inscrit au rôle des contributions, même pour une
somme déterminée, ou , à défaut de payer un impôt, il faut être chef de famille
et maître de maison (house-keeper). Dans plusieurs des États de
Le Congrès, déjà éclairé par les débats
préliminaires des sections, arrêta sans discussion que la loi électorale
fixerait le nombre des députés d'après la population ; que ce nombre ne
pourrait excéder la proportion d'un député sur 40,000 habitants ; enfin,
qu'elle déterminerait également les conditions requises pour être électeur, et
la marche des opérations électorales.
Conditions
d'éligibilité à la chambre des représentants.
Il fallut ensuite déterminer les conditions
d'éligibilité. Le Congrès en établit quatre : l'indigénat ou la grande
naturalisation ; la jouissance des droits civils et politiques; l'âge de
vingt-cinq ans (page 396) comme dans
la république des États-Unis (Note de bas de page : M. Nothomb,
secrétaire de la commission de Constitution, avait été chargé, au mois
d'octobre 1830, de rédiger le texte de l'arrêté électoral pour la formation du
Congrès (voir ci-dessus, p. 42). Son travail fait, il alla en donner lecture
aux membres du gouvernement provisoire. Le chiffre à fixer pour l'âge
d'éligibilité était resté en blanc. Après avoir pris connaissance de toutes les
autres dispositions, le gouvernement provisoire revint à cet article, le seul
qui pût offrir matière à discussion. Il allait ouvrir ou fermer la carrière
parlementaire à plusieurs membres du gouvernement qui n'avaient pas encore
atteint l'âge de trente ans accomplis, fixé par l'ancienne loi fondamentale.
Ils avaient de vingt-sept à vingt-neuf ans. On proposa vingt-neuf ans, puis
vingt-huit, puis vingt-sept. M. Nothomb, qui n'avait que vingt-cinq ans et
quelques mois, avait écouté silencieusement ces propositions. Il prit alors la
parole pour dire : « Ce ne sont pas des chiffres à mettre dans une loi : il faut
vingt-cinq ou trente; tout autre chiffre vous trahit. Et, pour être vrai,
j'avouerai que vingt-cinq me rend éligible. » Celui qui parlait avait déjà
prouvé, par son exemple, qu'à vingt-cinq ans on pouvait aspirer au rôle d'homme
d'État. Le chiffre de vingt-cinq fut accueilli à l'unanimité, et inséré dans
l'arrêté du 10 octobre, d'où il passa dans
Vive
discussion sur l'indemnité accordée aux représentants.
L'assemblée nationale avait consacré le principe
démocratique de l'admissibilité de tous les citoyens aux emplois ; pour rester
conséquente, elle devait attribuer une indemnité au mandat de (page 397) représentant. La majorité
pensa qu il serait impolitique de suivre l'exemple de
M. le comte de Celles, venant en aide à M.
Delehaye, plaida en faveur du mandat gratuit. « Si le député, dit-il, s'est
attaché à la carrière parlementaire, après avoir acquis de la fortune, il n'a
pas besoin de rétribution. S'il veut faire son chemin par la carrière parlementaire,
il sera suffisamment récompensé par la réputation qu il aura acquise après
quelques sessions ; et comme avocat ou comme candidat, il recueillera ensuite
dans le public la récompense de son mérite par la confiance que lui accorderont
ses concitoyens. » M. Forgeur combattit énergiquement cette singulière théorie.
« Si vous refusez aux députés un traitement raisonnable, dit-il, vos sessions
durant, quoi qu'on en ait dit, cinq ou six mois, qui se présentera dans la
législature ? Qui ? L'aristocratie. Vous l'avez déjà dans le sénat ; elle
envahira encore la seconde chambre, parce que ceux-là seuls voudront être
députés, qui posséderont une fortune considérable. « M. de Celles nous a dit
que cela n'était pas à craindre ; que les jeunes gens qui n'auront pas dix
mille livres de rente viendront à la tribune pour se faire un nom ; que c'est
le meilleur moyen de se faire connaître et d'acquérir de la fortune et des
places. Mais c'est précisément ce que nous voulons empêcher. Nous ne voulons
pas que les jeunes gens soient dirigés vers la tribune par des idées d'ambition
; nous ne voulons pas que leurs votes puissent être payés par des places ou par
de l'argent ; nous ne voulons pas, en un mot, qu'un pouvoir corrupteur nous les
enlève ; mais qu'ils restent dans une honorable indépendance, à l'abri du
besoin et dans les rangs populaires. La question que vous allez décider est de
la plus haute importance dans un (page
401) gouvernement représentatif. C'est une question d'existence et de
vitalité pour le pays. La classe moyenne peut seule le représenter
convenablement ; sans cela, adieu la liberté, adieu les intérêts de ce bon
peuple que je défends ! » L'amendement de M. Delehaye, tendant à rendre le
mandat des députés gratuit, fut rejeté.
Obéissant également à des idées exagérées
d'économie, M. de Rouillé avait proposé de fixer à la somme de 150 florins
l’indemnité mensuelle qu'il voulait accorder aux représentants. Cet amendement
trouva encore un énergique adversaire en M. Forgeur. «A quoi tend tout cela ?
dit-il. A donner à l'aristocratie une double représentation. L'aristocratie
envahira tout, parce que, dans votre économie mesquine et lésineuse, vous aurez
voulu épargner quelques milliers de florins. Ne soyez pas les dupes de cette
manœuvre. L'aristocratie veut écarter les fortunes moyennes de la
représentation... Mais je dirai à l'aristocratie : On vous a fait votre lit
dans la chambre haute, là est votre place ; voulez-vous encore usurper celle de
la démocratie ? Si vos intentions étaient pures, si vous vouliez véritablement
le bien de votre pays, vous vous contenteriez de la large part qu'on vous a
faite ; vous n'insisteriez pas pour nous enlever la seule portion qui nous
reste. Messieurs, prenez-y garde ! je l'ai déjà dit et je le répète, parce
que j'en ai l'intime conviction, vous allez décider une question d'existence et
de vitalité pour le pays. Répondez à son attente ! » L'orateur, sous
l'influence des sentiments les plus libéraux, avait parlé avec feu ; M. le
comte Duval de Beaulieu lui répondit avec vivacité. « Qu'entend-on,
s'écria-t-il, par ce mot d'aristocratie sans cesse répété ? Qu'est-ce que le
sénat que nous avons fait ? J'ai beau le regarder sous toutes .ses faces, je ne
vois pas qu il soit plus aristocratique que démocratique ; je dis plus, c'est
que je crois que les hommes qui auront de la fortune ou du talent préféreront (page 402) être de la chambre des
représentants plutôt que du sénat. Que faut-il à un député ? De l'indépendance
de fortune, et encore plus de l'indépendance de caractère. Si vous voulez lui
donner de quoi vivre somptueusement ou l'indemniser de l'abandon de son état,
ce n'est pas deux mille florins qu'il faut lui donner, mais six à huit mille.
Vous trouverez toujours des hommes recommandables qui tiendront à honneur de
représenter leur pays, et qui se contenteront d'une indemnité suffisante pour
vivre... Ne nous laissons pas éblouir par des déclamations; repoussons ces
distinctions que l'on veut établir par les mots« de démocratie et
d'aristocratie, qui ne sont propres qu'à signaler des hommes honorables aux
fureurs populaires. Nous sommes venus tous ici avec des idées désintéressées,
et tous animés de l'amour du bien public. » M. Devaux répliqua que M. le comte
Duval s'était plaint à tort de la division établie entre l'aristocratie et la
démocratie ; que cette division avait été introduite par ceux qui voulaient
exclure la classe moyenne de la représentation. « Je ne conçois pas,
ajouta-t-il, comment on s'offense si fort de ce mot d'aristocratie ; dans ma
bouche, il ne représente que la grande propriété. Nous avons voulu lui donner
une large part dans le sénat ; c'est pour cela que nous avons fixé un cens de
1,000 florins d'impôt. C'est contre ce cens qu'il fallait s'élever si on
n'avait pas voulu de distinction entre la grande et la petite propriété. M.
Duval a prétendu que nous ne manquerions pas d'hommes généreux qui
représenteraient le pays, moyennant une légère indemnité. Je réponds à M. Duval
: « Un homme qui a cinq mille francs de rente est de la classe moyenne, et je
demande si, avec ce revenu, il pourra vivre lui, sa femme, ses enfants, et s'il
pourra faire élever convenablement sa famille ? Personne n'oserait dire oui.
Voulez-vous exclure toute la classe moyenne ? Voulez-vous que, par leur peu de
ressources financières, ceux qui, pauvres, seront appelés à la représentation,
(page 403) ne puissent fréquenter
leurs collègues et vivre comme eux ? Vous en êtes les maîtres ; mais c'est mal
entendre le bien de votre pays. Consentez donc à donner une juste compensation
à l'homme qui sacrifiera sa profession ou son industrie au service de son pays,
et si vous refusez, ne vous étonnez pas que nous rappelions souvent une
division que vous-même aurez établie en prononçant l'exclusion de la classe
moyenne. » L'amendement de M. de Rouillé fut également rejeté. Par
quatre-vingt-sept voix contre soixante et douze, l'assemblée décida,
conformément à une proposition déposée par M. de Langhe, que les représentants
jouiraient d'une indemnité de 200 florins par mois, pendant la durée de la
session.
M. de Langhe demandait que l'on privât de cette
indemnité les fonctionnaires de l'État, qui accepteraient le mandat législatif,
ainsi que les représentants qui habiteraient Bruxelles. M. Lebeau appuya la
première partie de cette proposition, parce qu'il fallait proscrire le cumul,
et la seconde, parce que du moment où l'on accordait une indemnité au lieu d'un
traitement, il n'y avait nulle justice à placer les députés, habitants de
Bruxelles, sur la même ligne que les députés du Luxembourg, par exemple. M. Devaux
ne fut pas de cet avis. Suivant lui, l'amendement de M. de Langhe établissait
une certaine égalité entre les députés ; mais, comme le Congrès, en répudiant
le traitement, venait d'exclure de la représentation toute la classe moyenne,
il voulait que cette exclusion s'étendit le moins possible, et, sous ce
rapport, il demandait que les députés, habitants de Bruxelles, fussent
indemnisés comme les autres. Quant aux fonctionnaires publics, il aurait fallu
établir une quotité, après laquelle il n'aurait pas été permis de toucher
l'indemnité, ou les obliger à opter entre leur traitement et l'indemnité. M. H.
de Brouckere soutint la même opinion. M. Ch. Rogier proposa de décider que les
députés, qui seraient en même temps fonctionnaires salariés par l'Etat, (page 404) à moins qu'ils ne
renonçassent à leur traitement pendant la durée de la session, ne jouiraient
d'aucune indemnité. Cet amendement ne fut pas adopté ; l'assemblée repoussa de
même la proposition tendant a priver de l'indemnité les fonctionnaires qui
accepteraient le mandat législatif, mais elle admit l'autre proposition de M.
de Langhe, relative aux députés, habitants de Bruxelles.
Le sénat.
Le sénat devait avoir la même origine que la
chambre des représentants, c'est-à-dire l'élection directe par le même corps
électoral (Note de bas de page : Nous avons rapporté, livre 1, chap. VIII, les
débats relatifs à l'institution du sénat). Mais comme le sénat était
établi pour représenter l'élément aristocratique et conservateur, on exigea de
ses membres l'âge de quarante ans et un cens d'éligibilité consistant dans le
payement en Belgique de mille florins au moins d'impositions directes ; en
outre, on refusa tout traitement ou indemnité aux sénateurs. Une autre
disposition fixa le nombre des sénateurs à la moitié des députés de l'autre
chambre : cette limitation était la conséquence nécessaire de l'adoption du
principe de l'élection directe et la condition première de la représentation
réelle de l'aristocratie. Enfin le mandat des sénateurs reçut une durée double
de celle du mandat des membres de l'autre chambre : cette prolongation se
rattachait au caractère même du sénat, destiné surtout à maintenir la stabilité
des institutions. En renouvelant le sénat tous les quatre ans, disait M.
Devaux, on s'exposerait à un changement continuel dans la législation ; et cela
nuirait non seulement aux institutions, mais encore aux relations extérieures,
parce qu'un gouvernement variable n'inspire pas une grande confiance.
Le Congrès décida que les ministres n'auraient voix
délibérative dans l'une ou l'autre chambre que quand ils en seraient membres :
mais que, alors même qu'ils ne seraient pas membres (page 405) du parlement, ils auraient le droit d'assister aux
délibérations des chambres et d'être entendus quand ils le demanderaient. Il
eût été inique, en effet, d'empêcher les chefs responsables de l'administration
générale d'expliquer leurs actes devant ceux qui sont appelés à les contrôler.
Mais, d'un autre côté, les chambres reçurent le droit de requérir la présence des
ministres parce qu'elles doivent toujours être à même de prononcer en parfaite
connaissance de cause.
Prérogatives
du chef de l'État. Les titres de noblesse. Droit de dissoudre les chambres.
La limitation du pouvoir royal est une des
conditions fondamentales des monarchies constitutionnelles ; c'est par cette
limitation qu'il acquiert ce caractère essentiellement modérateur qui fait sa
force. Aussi le Congrès décida-t-il que le roi n'aurait d'autres prérogatives
que celles qui lui seraient formellement attribuées par
Quelques observations furent néanmoins présentées au
Congrès sur l'article par lequel la section centrale proposait de consacrer
l'inviolabilité du chef de l'État. M. Masbourg fit remarquer que la prérogative
d'inviolabilité, dont on voulait investir le souverain, pouvait être considérée
sous deux rapports. Lui conférerait- elle le droit de n'être déposé dans aucun
cas, ou mettrait-elle seulement sa personne à couvert de l'action des lois
répressives ? La proposition de la section centrale, énonçant seulement que le
chef de l'État est inviolable, ne préjugerait-elle pas la question ? Son
adoption ne consacrerait-elle pas une inviolabilité, qui conclurait même à
l'impossibilité de la déchéance ? L'orateur pensait qu'il était du plus haut
intérêt de laisser au moins intacte cette importante question ; aussi proposa-t-il
de dire :
L'article qui attribuait au roi le droit de
conférer des titres de noblesse donna lieu à des débats plus vifs. M. Seron en
demanda la suppression. « Je ne sais, dit-il, de quelle utilité la noblesse (page 407) peut être dans une monarchie
constitutionnelle, telle que la vôtre ; mais ce qui est évident, c'est que des
distinctions même puériles, des privilèges, quels qu'ils soient, blessent
l'égalité, base principale de notre Constitution , et tendent à empêcher
l'union des citoyens, l'union, véritable source de la force et de la prospérité
des États; ce qui me paraît évident, c'est que ces distinctions sont peu en
harmonie avec le bon sens et les lumières du siècle. » M Ch. Rogier répondit
qu'il eût compris cette motion, si elle avait été faite par un des nobles qui
siégeaient dans l'assemblée, mais que, de la part d'un franc républicain, il ne
la concevait pas. « En empêchant le chef de l'État de créer des nobles, non
seulement, dit-il, vous privez la jeunesse ou les hommes de la génération
nouvelle de l'espoir de recevoir une récompense pour les services qu'ils
peuvent rendre au pays, mais vous donnez en quelque sorte une nouvelle vie aux
titres de la noblesse ancienne ; car vous la concentrez dans le nombre
d'individus qui en jouissent, et vous savez que la noblesse a d'autant plus
d'éclat qu'elle est moins prodiguée. En un mot, vous perpétuez dans le pays une
caste à part, qui en sera d'autant plus fière que le nombre de ses membres sera
plus restreint. » Il ajouta que si, en instituant le sénat, on avait donné
des prérogatives aux sénateurs, il se serait élevé contre cette mesure, parce
qu'elle aurait été destructive de l'égalité devant la loi ; mais que, tant que
la noblesse se bornerait à la possession de quelques titres, elle n'offrait
aucun danger. M. Jottrand pensait, au contraire, que le droit que l'on
proposait d'attribuer au chef de l'État pourrait devenir menaçant pour
l'égalité si, ce qui pourrait arriver, on perdait de vue les intentions
véritables du Congrès. M. de Robaulx se joignit à M. Seron pour demander la
suppression d'un article en contradiction formelle avec le principe d’égalité,
déjà voté sur la proposition de M. le baron Beyts. Interpellé directement, M.
Beys (page 408) fit connaître quelle
avait été son intention lorsqu'il avait proposé de décréter qu'il n'y aurait
plus dans l'Etat de distinction d'ordres. Il avait entendu par là que tout
privilège serait constitutionnellement détruit, à tel effet qu'il ne put jamais
revivre. « Ainsi je n'ai plus voulu, dit-il, d'ordre équestre dans les états
provinciaux , pas plus que l'ancienne distinction entre l'ordre des villes et
l'ordre des campagnes. Mais je n'ai pas touché à la question de savoir si une
noblesse future était possible, et encore moins ai-je voulu ravir à l'ancienne
des titres auxquels elle attache un grand prix avec juste raison, puisqu'ils
sont la preuve de l'illustration de ses ancêtres, et que, si elle n'y tient pas
pour elle personnellement, elle peut y tenir pour ses enfants , à qui ces
titres pourront être chers. » En résumé, le Congrès laissa au chef de
l'État le droit de conférer des titres de noblesse, mais avec cette restriction
importante (admise sur la proposition de M. Fleussu) que le roi ne pourrait
jamais attacher a ces titres aucun privilège.
Quoique le vote annuel des impôts dût avoir pour
conséquence la convocation régulière des chambres, le Congrès statua, pour se
précautionner contre toutes les éventualités, que les chambres se réuniraient
de plein droit le deuxième mardi du mois de novembre de chaque année, à moins
qu'elles n'eussent été convoquées antérieurement par le chef de l'État. Il
décida, en outre, que les chambres resteraient réunies chaque année au moins
quarante jours. Mais au chef de l'Etat seul devait appartenir le droit de
prononcer la clôture de la session ; il pourrait aussi convoquer
extraordinairement la législature, enfin il pourrait dissoudre les chambres,
soit simultanément, soit séparément. Le droit de dissolution, dévolu au chef de
l'Etat, est eu réalité un hommage rendu a la souveraineté nationale, un appel a
l'opinion du pays, puisque les électeurs doivent être convoqués dans les
quarante jours, et les nouvelles chambres réunies dans les deux mois. (page 409) Cependant M. Defacqz avait
dépose un amendement qui tendait a priver le chef de l'État de la faculté de
dissoudre, pendant sa première session, la chambre qui succéderait à une
chambre dissoute. On devait, par cette restriction, empêcher le chef de l'État
de paralyser la représentation nationale, en prononçant la dissolution des
chambres au fur et à mesure qu'elles auraient été composées par de nouvelles
élections. Mais on fit observer que la dissolution n'avait pas lieu seulement
dans l'intérêt du pouvoir ; que souvent elle était réclamée dans l'intérêt des
libertés populaires. On ajouta que le système proposé par M. Defacqz aurait pu
être approuvé, s'il n'y avait eu qu'une chambre élective, mais qu'il y en avait
deux, et que la dissolution pourrait être souvent nécessaire pour rétablir
l'équilibre entre elles. Indépendamment du droit absolu de dissolution, on
reconnut au roi le pouvoir d'ajourner les chambres. Mais comme ce remède, moins
violent, pourrait réellement dégénérer en abus, on décida que l'ajournement ne
pourrait excéder le terme d'un mois, ni être renouvelé dans la même session
sans l'assentiment des chambres.
Les
ministres. Responsabilité ministérielle.
Pour consacrer la haute importance des fonctions
ministérielles, le Congrès circonscrivit le choix du chef de l'Etat dans
certaines limites. Il exclut de ces fonctions trois classes de personnes : les
étrangers, les Belges par naturalisation ordinaire et les membres de la famille
royale. Cette dernière exclusion était motivée pur la crainte de faire peser la
responsabilité ministérielle sur les membres de la famille du chef de l'État.
On disait que les suites de cette responsabilité sont quelquefois de nature à
jeter la déconsidération sur le ministre qui l'encourt, et que cette
déconsidération pourrait ainsi rejaillir sur le roi, si un membre de sa famille
subissait les condamnations que cette responsabilité peut entraîner. En effet,
la responsabilité ministérielle devait être une responsabilité positive, ayant
pour sanction soit des réparations civiles, soit des peines correctionnelles ou
criminelles. Le Congrès (page 410)
se borna néanmoins à poser le principe de cette responsabilité ; il laissa au
pouvoir législatif le soin de déterminer par une loi particulière les cas de
responsabilité, les peines à infliger aux ministres, et le mode de procéder
contre eux, soit sur l'accusation admise par la chambre des représentants, soit
sur la poursuite des parties lésées. Pour que le chef de l'État ne pût pas
couvrir ses agents de son inviolabilité, le Congrès reproduisit textuellement
la disposition de la constitution française de 1791, statuant que, dans aucun
cas, l'ordre verbal ou écrit du roi ne pouvait soustraire un ministre à la
responsabilité. Il décida, en outre, que le chef de l'État ne pourrait faire
grâce au ministre condamné par la cour de cassation que sur la demande de l'une
des deux chambres. Cette grande question résolue sans discussion importante par
le Congrès avait fait antérieurement l'objet de débats approfondis dans les
sections. On avait d'abord examiné dans quels cas la responsabilité
ministérielle doit avoir lieu ; et, pour se fixer sur cette matière, on avait
passé en revue les dispositions successivement adoptées depuis 1789. La
constitution française de 1791 disposait que les ministres seraient
responsables de tous les délits par eux commis contre la sûreté nationale et la
constitution ; de tout attentat à la propriété et à la sûreté individuelle ; de
toute dissipation des deniers destinés aux dépenses de leur département. La
constitution directoriale ou de l'an III se bornait à décréter que les
ministres seraient respectivement responsables tant de l'inexécution des lois
que de l'inexécution des arrêtés du Directoire. La constitution consulaire ou
de l'an VIII énumérait les cas de responsabilité ; les ministres étaient
responsables : de tout acte du gouvernement signé par eux et déclaré
inconstitutionnel par le sénat; de l'inexécution des lois et des règlements
d'administration publique; des ordres particuliers qu'ils auraient donnés, si
ces ordres étaient contraires à la constitution, aux (page 411) lois et règlements. Enfin, la charte française de 1814
statuait que les ministres ne pourraient être accusés que pour fait de trahison
ou de concussion, laissant à des lois particulières le soin de spécifier cette
nature de délits et d'en déterminer la poursuite. En présence de cette
divergence de textes, la section centrale crut qu'il serait dangereux de poser,
dans l'acte constitutionnel, des limites invariables à l'action des ministres ;
elle estima qu'il valait mieux de n'attribuer l'immutabilité d'une règle
constitutionnelle qu'au principe fondamental de la responsabilité, et de
laisser à la législature la faculté d'appliquer ce principe à des cas
particuliers, que la direction et les besoins du pouvoir exécutif la mettraient
à même de déterminer. Il y avait eu unanimité pour investir la chambre des
représentants du droit d'accuser les ministres ; mais les uns voulaient que le
jugement fût déféré à la cour de cassation ; les autres, en petit nombre,
réclamaient un haut jury national nommé d'avance et, moyennant certaines
conditions d'éligibilité, pour un terme désigné. Lorsqu' un acte ministériel
attaque