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d’intention
« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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LIVRE
DEUXIÈME.
CHAPITRE
III
Suite de la
discussion sur la séparation de l'Église et de l'État.
(page 354)
L'importante discussion sur la séparation de l'Église et de l'État n'était pas
terminée par le rejet de l'amendement de M. Defacqz. Il fallait maintenant
discuter l'article de la section centrale et statuer sur douze autres
amendements. D'accord sur le principe de liberté générale, ces amendements
avaient pour but d'établir des exceptions en faveur du mariage et des
inhumations. Le 24 décembre, sur la proposition de M. Lebeau, l'assemblée
décida que l'article 12 du projet de constitution et tous les amendements qui
s'y rapportaient seraient renvoyés à la section centrale.
Le
La discussion fut immédiatement reprise. Un
partisan de la république, M. Camille Desmet, s'attachant surtout aux discours
qui avaient été prononcés par les députés ecclésiastiques, défendit (page 356) vigoureusement la
prédominance de l'État sur la société religieuse. « Cette liberté illimitée,
dit-il, qu'invoque une partie de l'assemblée pour le culte, pour l'instruction,
et bientôt pour les corporations, cette liberté quand même, qui, dans les mains
d'un parti, dégénérera bientôt en oppression, je ne la veux pas. Je ne conçois
pas cet amour immodéré de la liberté, à l'ombre duquel marche un parti, habile,
il est vrai, mais oppresseur de tout temps et partout où il a dominé,
oppresseur partout où il domine encore. Pour moi, je ne consentirai jamais à
tendre les mains aux chaînes qui nous sont offertes au nom de la liberté... »
Pour assoupir cette discussion irritante, M. Legrelle présenta, comme moyen de
transaction, un projet de décret tendant à consacrer la primauté du mariage
civil (Note de bas de page : Ce projet était conçu en ces termes :
« Aucun ministre d'un culte quelconque ne peut procéder aux cérémonies
religieuses d'un mariage qu'autant que les parties lui auront fait conster que
le mariage a été contracté devant l'officier de l'état civil, sauf le cas,
constaté par l'autorité civile, où le mariage civil ne pourrait pas avoir lieu
et où il y aurait urgence religieuse, reconnue par l'autorité religieuse. »). M.
Legrelle déclara, au nom de tous les prêtres catholiques, qu'ils voulaient la
liberté en tout et pour tous, et qu'ils se soumettraient aux lois civiles en
tant qu'elles n'avaient rien de contraire ou d'attentatoire à l'indépendance
des cultes. Le renvoi de ce projet de décret aux sections suspendit de nouveau
la discussion.
Elle ne fut reprise que six semaines après, le 5
février. Alors M. Forgeur demanda que des deux côtés on se relâchât un peu des
exigences manifestées antérieurement. Car cette question, disait-il, est d'une
haute importance, et il faut désirer que l'on ne perde pas de vue l'état social
où l'on se trouve. Il proposa d'ajouter à la rédaction présentée le 26 décembre
par la section centrale une disposition ainsi conçue : « Le mariage civil devra
toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions (page 357) à établir par la loi, s'il y
a lieu. » Cet amendement rallia aussitôt l'assemblée presque tout entière. Les
catholiques l'adoptèrent par esprit de conciliation ; les libéraux, de la
nuance de M. Defacqz, parce qu'il consacrait, dans le mariage, la suprématie
qu'ils avaient réclamée ; les libéraux de la nuance de MM. Lebeau et Nothomb,
parce que cette disposition paraissait réunir tout ce qu'il y avait de bon et
de sage dans les deux opinions. M. Jottrand seul se montra inébranlable. «
Plusieurs peuvent craindre, dit-il, d'admettre dans son entier un principe
juste, parce qu'il peut avoir momentanément quelques conséquences nuisibles.
Pour ma part, je ne veux pas encourir le reproche d'inconséquence. La
séparation absolue des affaires civiles et des affaires religieuses me parait
utile, juste. » Après avoir adopté les dispositions qui sont devenues
l'art. 16 de
Traitements
des ministres des cultes.
Dans la même séance, l'assemblée s'occupa des
traitements des ministres des cultes. La section centrale avait déposé le 22
janvier une proposition de la teneur suivante : « Les traitements, pensions et
autres avantages, de quelque nature que ce soit, dont jouissent actuellement
les différents cultes et leurs ministres, leur sont garantis. Il pourra être
alloué par la loi un traitement aux ministres qui n'en ont point, ou un
supplément à ceux dont le traitement est insuffisant. » M. Forgeur fit
remarquer qu'il serait dangereux d'admettre cet article, tel qu'il était rédigé
; car on interdirait à la législature la faculté de faire des économies dans
les traitements du clergé ; on établirait en faveur de ce dernier un privilège
dans
Les
saint-simoniens à Bruxelles.
Le Congrès s'émut bientôt des accusations dirigées
contre la police. Dès le 18, deux députés, appartenant à l'opinion catholique,
MM. Ch. Vilain XIIII et l'abbé Andries, déposèrent une proposition tendant à
requérir l'administrateur général de la sûreté publique pour qu'il donnât des
explications sur les empêchements mis par la police à l'enseignement d'un culte
et à l'exercice du droit d'association. Cette proposition fut vivement appuyée
par quelques-uns des membres les plus éminents de l'assemblée. M. Lebeau
s'exprima en ces termes : « J'entends dire autour de moi que la doctrine de
Saint-Simon n'est pas un culte, et qu'on ne saurait invoquer en sa faveur le
principe qui consacre la liberté des cultes. Quand cela serait vrai,
l'oppression qu'on se permettrait à son égard n'en serait pas moins illégale ;
car il y a, dans notre Constitution, un autre principe qui consacre la liberté
d'opinion, et, si on refusait à la doctrine de Saint-Simon le nom de culte, on
serait obligé de reconnaître que c'est au moins une opinion (Note de
bas de page : « Mêlant à des vérités hardies des erreurs cyniques. les
saint-simo mens, dit l'auteur de l'Histoire de Dix Ans, ébranlaient dans le
Globe toutes les vieilles bases de l'ordre social. Que l'industrie fût
réglementée au gré d'un pouvoir issu en quelque sorte de lui-même et juge de sa
propre légitimité ; que la production fût concentrée à l'excès et que ses
bénéfices fussent répartis proportionnellement aux mérites ; que la
transmission des biens fût anéantie comme celle des emplois ; que le mariage,
légalisation de l'adultère, fit place à la souveraineté des penchants et à
l'émancipation du plaisir ; que l'empire de la société fut substitue à celui de
la famille ; voila les doctrines qu'élaboraient alors des jeunes gens mystiques
et sensuels, mais pleins de talent, de verve el d'ardeur. Leur morale, ils la
résumaient dans ces mots : « A chacun suivant sa capacité; a chaque capacité
suivant ses œuvres... » — « Toutefois, écrivait l'abbé Lacordaire dans
l'Avenir, les saint-simoniens ne travaillent pas pour eux. Ils séduiront sans
doute beaucoup d'âmes, beaucoup plus qu'on ne pense : car des temps approchent
où quiconque parlera de Dieu aux hommes les fera pleurer, tant le cœur humain
sera las des hommes! Mais un obstacle plus invincible dans les temps éclaires qu'aux
époques d'ignorance empêchera toujours la propagation d'une foi fondée sur le
seul raisonnement. Le libéralisme de Saint-Simon n'est trop visiblement qu'une
philosophie, qu'une politique recouverte de prétentions religieuses qui ne
subsisteront pas devant l'examen, et qui prouvent seulement la nécessité de la
foi, semblable à ces astres longtemps l'effroi du monde, dont la lumière
errante laisse entrevoir celle de l'étoile immobile...). Eh bien
! cette opinion, comme (page 360)
toutes les autres, a le droit d'être manifestée, et elle ne peut être réprimée
que pour autant qu'elle dégénérerait en délit. Je ferai remarquer d'ailleurs
que la question de la liberté de l'enseignement se mêle à cette question. La
doctrine saint-simonienne peut être enseignée publiquement comme toutes les
autres doctrines... Si la police a mis empêchement à l'enseignement public de
la doctrine, elle a transgressé ses devoirs, et nous ne devons pas permettre
qu'on commette sous nos yeux une infraction aussi évidente aux principes de
liberté que nous avons proclamés. » M. l'abbé Andries monte ensuite à la
tribune pour demander avec loyauté que
Le 19, communication fut donnée au Congrès d'une
pétition par laquelle les disciples de Saint-Simon demandaient pour leur culte
le libre exercice, garanti à tous les cultes parla Constitution belge (Note de
bas de page : Cette pétition était signée de MM. Carniot, Leroux, Margerin,
Laurent et Dugiet). M. Plaisant, administrateur général de la sûreté
publique, lut ensuite un rapport dans lequel il démontrait que la police avait
été complètement étrangère aux démonstrations contre la doctrine
saint-simonienne. Il protestait d'ailleurs, comme volontaire de septembre, de
son inébranlable attachement aux principes de liberté et de tolérance qui
avaient préparé la révolution et qui seuls pouvaient, disait-il, en assurer le
triomphe. L'assemblée déclara qu'elle était satisfaite de ces explications et
de la promesse donnée par l'administrateur de la sûreté publique qu'il saurait
faire respecter le droit justement réclamé par les membres de la mission
saint-simonienne.
Vigueur
des débats relatifs à la liberté illimitée de l'enseignement et obligation d’un
enseignement donné aux frais de l’Etat.
Parmi les griefs articulés par l'opposition belge
contre le gouvernement des Pays-Bas, il fallait ranger en première ligne la domination
qu'il s'était arrogée sur l'enseignement tant religieux que laïque. Les
célèbres arrêtés de 1825, qui frappaient de mort les établissements libres et
qui attribuaient à l’État la direction des études ecclésiastiques, ces arrêtés
avaient exaspéré les catholiques. Mais si l'on doit blâmer le gouvernement des
Pays-Bas d'avoir imprudemment cédé aux suggestions du fanatisme calviniste, il
faut, d'autre part, savoir lui rendre hautement justice pour le bien dont il
fut le promoteur. Par des efforts persévérants, par de nobles sacrifices, il
avait fondé ou réorganisé dans (page 362)
le royaume six universités complètes, érigé dans toutes les villes importantes
des athénées ou des collèges, distribué sur toute la surface du pays des écoles
populaires, véritables sources de civilisation universelle ; en outre, il avait
relevé et ennobli le professorat, en lui assurant la plus entière indépendance,
ainsi que les moyens de tenir dans la société le rang honorable qui lui
appartient (Note de bas de page : M. de Keverberg se plaît à signaler les
progrès de l'instruction sous le gouvernement des Pays-Bas et la protection
généreuse qui était assurée à celle branche du service public. Nous puiserons
dans son livre quelques détails intéressants : « Napoléon, dit-il, qui
régnait sur quarante millions de sujets, dota son université d'un apanage de
400,000 francs du rentes inscrites sur le grand-livre, et les dépenses des
universités du royaume des Pays-Bas, dont la population n'excéda jamais de
beaucoup six millions, figurent au budget de l'État en 1830 pour près de
500,000 florins ! — La population des écoles latines ne dépassait guère 1 ,000
élèves en 1818 (pour tout le royaume) ; en 1825, elle s'élevait à 1,560. Les
collèges et les athénées ne comptaient à la première de ces époques que 1,400
élèves ; à la seconde, ils en réunissaient 5,498. En dix ans, le nombre total
des jeunes gens qui participèrent à l'instruction dans les uns et les autres de
ces établissements s'était élevé de 3,400 à 7,048 ; il s'était donc accru de
plus du double. — La dépense de l'instruction primaire était restée, en thèse
générale, ce qu'elle avait été et ce qu'elle est encore partout ailleurs,
essentiellement locale. Toutefois, le gouvernement fit des efforts sensibles
pour venir au secours des communes. Les fonds qu'il consacrait annuellement aux
besoins de l'instruction primaire ne restaient guère au-dessous de 250,000
florins; somme qui doit paraître bien considérable si on la compare aux fonds
destinés en France, sous la restauration. au même objet (150,000 francs). En
1826, sur une population de « 6,157,286 âmes dont le royaume se composait
alors, il n'y avait plus que 241,392 individus (environ la vingt-sixième partie
de la population entière; qui, disséminés dans cinq cent neuf petites communes,
restaient encore dépourvus de tout moyen d'instruction. La partie de la
population comprise dans ce nombre était répartie de manière à ce que les
provinces hollandaises en comptaient 12.673, et les provinces belges 228,717.
Mais, en comparant cette situation des provinces belges à celle qu'elles
offraient au point de départ en 1815, il faut convenir qu'une immense
amélioration y avait été opérée. » (Du Royaume des Pays-Bas, t.1.)
(page 363)
Le gouvernement provisoire avait proclamé, le 12 octobre 1830, la liberté
illimitée de l'enseignement, mais il avait statué en même temps que les
universités et les collèges, ainsi que les encouragements donnés a
l'instruction élémentaire, seraient maintenus. Il sauvait, par cette sage
réserve, le droit imprescriptible de l'État de pourvoir lui-même à
l'instruction des citoyens. La révolution opérée par le décret du 12 octobre
fut néanmoins radicale. Le gouvernement perdit la direction suprême de
l'instruction publique, car son intervention devait être désormais limitée aux
établissements qu'il avait fondés ou qu'il subventionnait ; d'un autre côté,
les communes, de même que les particuliers et les corporations religieuses,
acquirent le droit de fonder et de diriger des écoles, sans être soumises au
contrôle de l'autorité supérieure. Le décret du 12 octobre, attendu avec
impatience, devait immanquablement produire une réaction contre le monopole
naguère possédé par l'Etat. En effet, la proclamation de la liberté de
l'enseignement fut suivie d'une véritable crise, d'une anarchie complète, de la
désorganisation de l'enseignement primaire, de l'enseignement moyen et même de
l'instruction supérieure. Beaucoup de communes refusèrent de subventionner plus
longtemps leurs écoles primaires ; et d'autres renvoyèrent brutalement les
instituteurs dont le seul crime était de devoir leur nomination au régime
précédent ; elles les remplacèrent par des membres de certaines
corporations religieuses. Même réaction, mêmes violences contre les
établissements communaux d'enseignement moyen, à l'exception des athénées ;
plusieurs collèges furent supprimés, d’autres furent désorganisés, ou bien
cédés au clergé. Une sorte d'arbitraire municipal remplaça, (page 364) suivant les expressions d'un
document officiel, l'arbitraire de la haute administration, reproché si
souvent, et avec raison, au gouvernement hollandais. L'organisation
universitaire avait aussi subi des modifications profondes. Un arrêté du 16
décembre supprimait : à l'université de Gand, la faculté de philosophie et
lettres et celle des sciences ; à l'université de Louvain, la faculté de droit
et celle des sciences ; à l'université de Liége, la faculté de philosophie. On
s'était préoccupé naguère, même au sein des états généraux, de l'utilité de
réduire le nombre des universités du royaume; il est donc très probable que le
système d'une université centrale avait également dominé les auteurs du décret
du 16 décembre ; cet acte, qui fut diversement apprécié, aurait donc été
destiné à faciliter la solution d'une question très importante. Au surplus, le
décret du 16 décembre, qui contenait d'autres modifications utiles, n'était que
provisoire ; l'organisation définitive de l'enseignement supérieur devait faire
l'objet d'une loi mûrement délibérée.
Le comité de Constitution avait proposé de définir
en ces termes le nouveau régime créé pour l'instruction publique : «
L'enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite ; les mesures
de surveillance et de répression sont réglées par la loi. L'instruction
publique, donnée aux frais de l'État, est également réglée par la loi. » Cet
article n'avait, pour ainsi dire, rencontré aucune objection dans les sections
; une seule aurait désiré une rédaction telle qu'on ne pût en tirer la
conséquence obligée d'un enseignement aux frais de l'État. Dans la section
centrale, au contraire, la disposition du comité de Constitution avait donné
lieu à des débats et à une division de suffrages. Quatre membres s'étaient
opposés à toute intervention du gouvernement, laissant à la loi à réprimer, sans
qu'il fût permis à personne d’exercer aucune surveillance. Des membres de cette
minorité ne s'étaient pas dissimulé que l'admission de leur principe (page 365) pouvait être dangereuse; mais
ils préféraient les inconvénients de la liberté illimitée aux désagréments de
la surveillance. Toutefois, il était entendu que la surveillance, en vertu du
principe de liberté, serait toute passive et ne pourrait avoir d'autre but que
de tenir le gouvernement au courant de l'état de l'instruction et d'assurer la
répression des délits. Sur seize membres présents à la section centrale, sept
demandèrent, pour garantir davantage la liberté d'enseignement, qu'il fût
stipulé expressément que les mesures de surveillance ne pourraient atteindre
que des délits. Mais la majorité fut d'avis qu'il ne pouvait y avoir doute sur
le sens de la phrase ; que toutes les fois que la loi stipulait des peines pour
des faits, ceux-ci dès lors devenaient délits.
La discussion publique eut lieu le 24 décembre, et
offrit des incidents analogues à ceux qui avaient signalé les débats relatifs à
l'indépendance du clergé. Sept amendements avaient été déposés ; trois
attirèrent l'attention de l'assemblée. M. le baron de Sécus proposait de dire :
« Les délits auxquels l'enseignement peut donner lieu seront poursuivis devant
les tribunaux. Si quelques mesures de surveillance étaient jugées nécessaires,
elles ne pourront être confiées qu'à des autorités élues directement par la
nation. » M. Dams, député du Luxembourg, proposait de remplacer l'article
tout entier par la disposition suivante. « L'enseignement supérieur et moyen
est libre ; toute mesure préventive est interdite; les mesures de surveillance
et de répression sont réglées par la loi. L'instruction publique, donnée aux
frais de l'État, et l'instruction primaire sont également réglées par la
loi. » Enfin, M. Van Meenen proposait de supprimer de l'article le mot
surveillance, parce que ce mot sentait la mesure préventive et que, sous
prétexte de surveiller, on pourrait gêner la liberté ; il proposait, en second
lieu, de dire formellement que les mesures de répression ne seront réglées que
par la loi afin d'empêcher l'arbitraire (page
366) des ordonnances, des arrêtés, ou des règlements émanés du
gouvernement. Cet amendement, accueilli avec faveur par une partie de
l'assemblée, trouva en M. Beyts un adversaire énergique. « La surveillance,
dit-il, doit être maintenue, parce que, appelée à examiner les modes
d'instruction employés, elle s'occupera sans cesse de les améliorer ; en second
lieu, elle est nécessaire pour faire connaître les abus qui pourraient se
glisser dans l'enseignement, et pour que le pouvoir, usant de son initiative,
propose au corps législatif les lois nécessaires pour réprimer ces abus. » M.
Devaux démontra que, même en admettant l'amendement de M. Van Meenen, la
question restait entière. « S'il est incontestable, dit-il, que surveillance ne
soit pas synonyme de répression, il est tout aussi incontestable que répression
suppose surveillance. Pour réprimer les délits qui se commettent dans la
société, il faut nécessairement qu'on la surveille. Il en sera de même dans le
cas prévu par l'article, et si vous accordez le pouvoir de réprimer, vous
accordez nécessairement celui de surveiller. »
Pour entraîner l'assemblée vers la liberté absolue,
M. de Gerlache rappela les luttes que l'opposition belge avait soutenues contre
le gouvernement déchu afin de briser la domination qu'il s'arrogeait sur
l'instruction et sur la pensée ; il rappela, en outre, que les libéraux aussi
bien que les catholiques avaient pris naguère pour devise : Liberté en tout et
pour tous. « Or, poursuivit-il, il n'y a pas de raison d'accorder au
gouvernement la surveillance de l'instruction, qui est une mesure préventive,
lorsque vous avez écarté toute mesure préventive en matière de culte et de
croyances. La surveillance est, comme la censure, une mesure préventive,
suffisante pour anéantir toute liberté, quand il plaira au gouvernement.
Ignorez-vous à quelles inquisitions, à quelles tracasseries on s'est porté
contre certains établissements sous le gouvernement déchu ? On vous dit que le
(page 367) gouvernement a changé.
Mais les gouvernements ne changent guère, parce qu'au fond les hommes qui
exercent le pouvoir sont toujours les mêmes et cherchent incessamment à étendre
le cercle de leurs attributions. C est dans les institutions qu'il faut
chercher des garanties durables. J'aimerais mieux tolérer quelques abus
inévitables que de mettre le droit lui-même en péril. Ma conviction est telle à
cet égard que je n'hésite pas à dire que, si même par la suite une surveillance
était jugée nécessaire, ce n'est pas au gouvernement qu'elle devrait
appartenir. Le gouvernement ne peut exercer de surveillance que sur les
établissements qu'il salarie ; les communes ne peuvent exercer de surveillance
que sur les établissements qu'elles salarient. Du reste, aucune surveillance
n'est possible ni tolérable. » M. Dams allégua ensuite les raisons qui
l'obligeaient à combattre des théories aussi absolues et à restreindre à
l'enseignement supérieur et moyen la liberté que l'on désirait avec tant
d'ardeur. « C'est en parcourant les campagnes, en s assurant de la manière dont
les choses s'y passent, dit-il, que l'on est bientôt convaincu des effets
fâcheux que peut produire la liberté de l'enseignement. Déjà l'on remarque dans
beaucoup de localités les résultats funestes de ce principe consacré dans un
arrêté du gouvernement provisoire ; des écoles fréquentées l'année dernière par
des élèves qui y faisaient des progrès satisfaisants sont presque désertes; le
peu d'assiduité des enfants et le découragement des instituteurs, dont l'avenir
n'est rien moins que rassurant, préparent une triste perspective pour
l'instruction. En établissant notre état social sur des bases larges, en
assurant aux citoyens toute la liberté compatible avec le maintien de l'État,
nous devons aussi veiller à ce que la jeunesse reçoive une instruction telle
que les Belges puissent apprécier leurs institutions libérales et jouir du
bonheur qui en découlera. A quoi serviraient-elles à (page 368) tant de citoyens peu fortunés, s'ils restaient esclaves
de l'ignorance, du fanatisme et de l'erreur ? La liberté illimitée en matière
d'instruction primaire serait sans doute la plus grande garantie que le
gouvernement ne s'emparerait pas de la direction de l'instruction de la
jeunesse ; mais ne transporterait-elle pas le monopole dans d'autres mains ?
Les extrêmes se touchent ; gardons-nous, en voulant éviter un précipice, de
tomber dans un autre. Il est une classe qui, cherchant toujours à augmenter son
importance sociale, ne manquerait pas de saisir avec empressement cette liberté
illimitée pour augmenter son influence et diriger ou faire diriger
l'instruction populaire à son gré. Combien aurions-nous à regretter cet état de
choses, si les membres de ce corps étaient un jour opposés à la marche du «
gouvernement ! » Ces graves considérations, exposées avec une franchise un peu
brusque mais louable, agitèrent les catholiques. M. l'abbé Van Crombrugghe
s'éleva vivement contre les orateurs qui demandaient des restrictions à la
liberté de l'enseignement, de peur peut-être, disait-il avec ironie, que les
jésuites ne s'emparent de l'instruction publique ; il ajouta que c'était aussi
pour prémunir les Belges contre l'influence des jésuites que l'on avait
détruit, en 1825, tant de beaux établissements religieux d'instruction et mis
les parents des provinces catholiques dans la triste nécessité d'aller chercher
à l'étranger des maisons d'éducation pour leurs enfants ; il crut pouvoir
affirmer (mais il se trompait) que la proclamation de la liberté de
l'enseignement n'avait pas exercé une influence désastreuse sur les écoles
primaires ; enfin, il déclara que la surveillance que l'on voulait établir
n'aurait d'autre effet que d'effrayer, de torturer les consciences, d'empêcher
l'établissement de bonnes écoles, et de prolonger l'ignorance d'un peuple qui
aime l’instruction, mais qui s'en passerait plutôt que de se la voir imposer
administrativement et de par les caprices du pouvoir.
(page 369)
La position prise dans ce débat par M. le baron de Sécus, vétéran de l'ancienne
opposition catholique, fut remarquable. Redoutant les abus qui pouvaient
résulter de la liberté illimitée de l'enseignement, il avait proposé, comme on
l'a vu, de confier la surveillance aux autorités électives. Il avait reconnu
loyalement qu'il pouvait y avoir danger d'abandonner au premier venu la liberté
d'ouvrir un établissement d'éducation et de le diriger à sa fantaisie. Il
voulait donc confier la surveillance des établissements libres, autres que les
écoles ecclésiastiques, aux autorités élues directement par la nation. « Quand
la surveillance, circonscrite par la loi dans les bornes nécessaires, sera
conférée, disait-il, à des autorités indépendantes et intéressées à consulter
dans leurs démarches le vœu de ceux de qui elles tiennent leur pouvoir et aux
suffrages desquels leur résolution doit être soumise, il n'y a à craindre ni
esprit de parti, ni vexation, ni injustice. Cette surveillance consisterait
d'ailleurs a découvrir les délits et à les dénoncer aux tribunaux, qui
pourraient seuls les juger. »
L'assemblée, suffisamment éclairée, ne voulut pas
prolonger cette discussion. Elle adopta d'abord l'amendement de M. Van Meenen,
dont la rédaction définitive était ainsi conçue : « L'enseignement est libre ;
toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits n'est réglée
que par la loi. » On allait voter ensuite sur la disposition présentée par M.
de Sécus, lorsque celui-ci déclara qu'il la retirait, parce qu'il avait reconnu,
disait-il, qu'elle blessait la liberté de l'enseignement; ou plutôt parce que
les catholiques croyaient à tort ou à raison qu'elle tendait à gêner la liberté
religieuse, ajouta M. Legrelle. Mais aussitôt un membre du parti libéral, M.
Fleussu, reprit comme article additionnel l'amendement abandonné par M. de
Sécus. Comprenant et partageant les craintes des catholiques, M. Raikem demanda
la question préalable ; elle fut écartée par quatre-vingt-sept voix (page 370) contre soixante-trois. La
situation devenait critique pour une certaine fraction de l'assemblée. Aussi M.
l'abbé de Haerne proposa- t-il un autre amendement ainsi conçu : « La
surveillance ne pourra s'exercer que sur les établissements du gouvernement. »
Après un débat très vif, un nouvel appel nominal fut demandé afin de statuer
sur le sort de l'amendement de M. de Sécus, repris par M, Fleussu. Soixante et
onze membres votèrent pour la proposition de M. Fleussu ; soixante et seize
votèrent contre. M. de Sécus s'abstint. (Remarque pour cette édition
numérisée : l’édition originale reprend en note de bas de page les votes
nominatifs. On renvoie pour ceux-ci à la partie de ce site consacrée au texte
intégral des séances du Congrès).
(page 371)
Pourquoi nous appesantir sur la signification de ce vote décisif ? Il nous
suffira de faire remarquer qu'aucun membre du Congrès ne proposa, dans la
discussion publique, de placer le gouvernement du pays hors du droit commun, de
lui interdire la faculté de posséder et de diriger exclusivement des
établissements soutenus par le trésor publie. L'art. 17 de
Liberté de
la presse.
(page 372)
La liberté de la presse ne donna pas lieu à de longues discussions. Passée déjà
dans les habitudes de la nation, sanctionnée par l'opinion publique, il n'était
plus possible de la déraciner ni même de l'ébranler Il fallait considérer la
liberté de la presse comme la clef de voûte de l'édifice constitutionnel, parce
qu'elle protége et sauvegarde toutes les autres libertés. Le comité de
Constitution avait proposé une rédaction remarquable par son énergique
concision : « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ;
il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs.
Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou
le distributeur ne peut être poursuivi. » Quoique cette rédaction ne laissât
rien à désirer, la section centrale aurait voulu la remplacer par la disposition
suivante : « Chacun a le droit de se servir de la presse et d'en publier les
produits, sans pouvoir jamais être astreint ni à la censure, ni à un
cautionnement, ni à aucune autre mesure préventive, et sauf la responsabilité
pour les écrits publiés qui blesseraient les droits soit d'un individu, soit de
la société. Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur,
l'imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi, sauf la preuve de
complicité... » M. Devaux fit remarquer avec raison que cette disposition était
conçue en termes vagues, et qu'elle avait l'inconvénient de rétablir la censure
des imprimeurs, dont on s'était plaint avec tant de vivacité sous l'ancien
régime ; il proposa, comme amendement, l'article primitif du projet de Constitution.
M. Ch. Vlain XIIII, sous l'influence des doctrines de l’Avenir, signala l'abus
que l'on pourrait faire de la responsabilité attachée aux écrits qui
blesseraient les droits de la société. « Dans l'état d'anarchie où (page 373) sont les esprits, dit-il,
toute doctrine attaque les droits de la société, et dès lors aucune ne doit
pouvoir légalement les attaquer, sans quoi il n'y aurait plus de liberté pour
personne. Si vous laissiez subsister
cette disposition, vous verriez l'arbitraire s'asseoir dans le sanctuaire de la
justice ; vous verriez le ministère public poursuivre et le jury condamner à
tort et à travers les doctrines les plus divergentes... Avec ce membre de
phrase, Rousseau ne pourrait pas produire son Contrat social ; l'abbé de
Lamennais ne pourrait pas rendre au genre humain ses lettres
d'affranchissement, ses titres de liberté qui étaient égarés. Avec ce membre de
phrase, vous réprimeriez la voix de tous les extrêmes, de toutes les sommités,
vous imposeriez silence au génie qui toujours devance son siècle. Dans l'état
actuel de la société, il faut laisser toutes les opinions, toutes les doctrines
librement se produire ; il faut les laisser se débattre et s'entrechoquer entre
elles ; celles qui sont de verre se briseront, celles qui sont de fer
persisteront, et la vérité finira par l'emporter par sa propre force. Sa
victoire alors sera glorieuse ; elle sera légitime, car elle aura été conquise
sur le champ de bataille, à armes égales. » L'expérience démontre, en effet,
que les peuples, chez lesquels existe la liberté de la presse, s'attachent à
leurs opinions avec une conviction inébranlable ; ils les aiment parce qu'elles
leur semblent justes et vraies, et ils y tiennent parce qu'elles ont été
librement acceptées par la raison publique. M. Nothomb combattit très vivement
aussi la rédaction de la section centrale. Il déclara que l'article du projet
primitif n'avait pas été rédigé au hasard ; que c'était le résultat d'une
marche rationnelle, tandis que la section centrale voulait placer la presse hors
du droit commun et prendre a son égard des précautions qu'elle n'avait pas
jugées nécessaires à l'égard des autres libertés qui dérivent du même principe.
Des députés ecclésiastiques, imitant M. Ch. Vilain XIIII, plaidèrent également
en (page 374) faveur de la liberté
absolue de la presse. « Je voterai, dit M. l'abbé Verduyn, pour la liberté de
la presse la plus large et la plus étendue, ainsi que pour tout ce qui tendrait
à la favoriser... En agissant autrement, je croirais agir contre les intérêts de
la vérité. En effet, il m'a toujours paru que la vérité se suffisait à
elle-même ; elle ne demande, pour faire tout le bien qui est dans sa nature,
que d'être libre, c'est-à-dire de jouir de l'exercice de tous ses droits. La
protection que le pouvoir temporel a voulu lui accorder n'a été que trop
souvent illusoire et oppressive, outre que cette apparente protection l'a
rendue solidaire de tous les excès du pouvoir... En réclamant la liberté de la
presse la plus entière, nous prouverons que nos intentions sont droites,
qu'elles ne cachent aucune arrière-pensée. Penserait-on que nous ne demandons
la liberté que pour en abuser au détriment des droits de nos concitoyens ? Nous
ne craignons pas que le clergé belge, si dévoué aux intérêts de la patrie, vous
paraisse avoir justifié des soupçons si peu honorables ; nous ne croyons pas
que plusieurs de vous partagent cette crainte ; mais en tout cas, nous dirons à
ceux qui la manifesteraient : Eh bien ! la presse périodique sera là ; elle
vous avertira journellement de l'usage que nous ferons de notre liberté, et
s'il arrivait jamais que quelques-uns de nous voulussent en abuser, nous sommes
entièrement convaincus que, dans le clergé même, se trouveraient des hommes qui
seraient les premiers à vous en signaler les abus... » L'amendement de M.
Devaux réunit enfin l'assentiment général. Il fut adopté et devint l'article 18
de
Les clubs,
le droit de réunion et le droit d’association. La personnalité civile refusée
aux corporations religieuses
Des sociétés politiques avaient été essayées en
Belgique par le parti progressif, durant la révolution brabançonne, et
violemment dissoutes par le parti oligarchique. La révolution française (page 376) avait fait ensuite éclore les
clubs de Paris qui voulurent bientôt gouverner les esprits. « Agitateurs sous
la constituante, ils devinrent dominateurs sous la législative. L'assemblée
nationale ne pouvant contenir toutes les ambitions, elles se réfugiaient dans
les clubs, où elles trouvaient une tribune et des orages. C'était là que se
rendait tout ce qui voulait parler, s'agiter, s'émouvoir, c'est-à-dire la
nation presque entière. Le peuple courait à ce spectacle nouveau, il occupait
les tribunes de toutes les assemblées, et y trouvait, dès ce temps même, un
emploi lucratif, car on commençait à payer les applaudissements. » (THIERS,
Histoire de
Le Code pénal (art. 291) statua que nulle
association de plus de vingt personnes dont le but serait de se réunir tous les
jours ou à certains jours marqués pour s'occuper d'objets religieux,
littéraires, politiques ou autres, ne pourrait se former qu'avec l'agrément du
gouvernement et sous les conditions qu'il plairait à l'autorité publique
d'imposer à la société.
Par son décret du 16 octobre 1830, le gouvernement
provisoire de
La majorité des sections du Congrès avait également
reconnu la nécessité d'annuler l'art. 291 du Code pénal et de prévenir le retour
d'une disposition aussi tyrannique; en conséquence, la section centrale proposa
de définir le droit de réunion de la manière suivante : « Les Belges ont le
droit de s'assembler paisiblement et sans armes, en se soumettant aux lois.
Aucune autorisation préalable ne peut être requise. » Toutefois, dans la
discussion préparatoire, deux sections s'étaient formellement prononcées contre
une disposition qui consacrait le droit de s'assembler sans autorisation
préalable ; la minorité de la section centrale avait également pensé qu'il
pourrait y avoir des moments où l'exercice de ce droit serait dangereux, et
qu'alors la nécessité d'une suspension se ferait utilement sentir.
M. de Langhe n'hésita pas à exprimer cette opinion
à la tribune du Congrès : « Je vois de plus en plus, dit-il, qu'une idée
prédomine parmi nous; c'est d'écarter à jamais la possibilité d'établir aucune
mesure préventive. Ce principe, que j'adopte en général comme conservateur de
nos libellés, me semble cependant devoir, dans quelques cas, être subordonné à
un principe supérieur, le maintien de l'ordre public... En certaines
circonstances, dont il est impossible de peser en ce moment la gravité, il faut
donner à la loi la faculté de modifier et même de restreindre le droit qu'ont
les Belges de s'assembler. On dira que s'il se commet des délits dans ou à
l'occasion de ces assemblées, ils seront réprimés par la loi pénale. Mais comme
ces assemblées peuvent être très nombreuses, s'élever même à plusieurs milliers
d'individus, le mal qui en résulterait pourrait (page 378) être de nature à ébranler la société; et c'est, à mon
avis, ce qu'il faut empêcher, fût-ce par des moyens préventifs. Nous devons, ce
me semble, mettre tous nos soins à organiser une bonne législation et lui
accorder quelque confiance sans trop la lier par notre loi fondamentale, car il
arrivera de deux choses l'une : ou il faudra violer
M. de Langhe voulait donc que la loi déterminât le
cas où une autorisation préalable serait nécessaire ; cet amendement fut
vivement appuyé par MM. de Sécus, Ch. Lehon, Barthélemy, Duval de Beaulieu,
l'abbé de Foere et Blargnies. Ce dernier montra tous les dangers des
rassemblements et des coalitions dans les districts industriels. «Nous avons
dans le Hainaut, dit-il, soixante mille ouvriers pour exploiter les houilles.
Ces ouvriers se coalisent lorsqu'ils veulent faire hausser le prix de leurs
journées. Si vous permettez aux citoyens de se rassembler sans autorisation,
qu'arrivera-t-il? C'est que quand le travail pressera le plus, ils se
coaliseront sans craindre de pouvoir en être empêchés, et résisteront d'autant
plus qu'ils sauront que l'autorité aura été désarmée par
Le droit d'association, sanctionné par l'art. 20 de
Le droit
de pétition, l’inviolabilité du secret des lettres, l’emploi facultatif des
langues sauf en matière officielle. Responsabilité des fonctionnaires publics.
Pour compléter son œuvre, le Congrès reconnut le
droit de pétition, mais en réservant prudemment aux autorités publiques la
faculté d'adresser des requêtes en nom collectif ; il consacra l'inviolabilité
du secret des lettres en déclarant qu'une loi déterminerait quels sont les
agents responsables de la violation de ce secret (Note de
bas de page : « L'État s'étant réservé le monopole du transport des
lettres, il faut de toute nécessité qu'il se rende digne de la mission qu'il
s'impose. En forçant les citoyens à recourir à son intermédiaire, le
gouvernement doit leur offrir les garanties nécessaires. L'art. 187 du Code
pénal actuel punit aujourd'hui la violation du secret des lettres, en disposant
que toute suppression, toute ouverture de lettres confiées à la poste, commise
ou facilitée par un agent du gouvernement ou de l'administration des postes,
sera punie d'une amende de 16 francs à 300 francs. Le coupable est, de plus,
aux termes du même article, interdit de toute fonction ou emploi quelconque
pendant cinq ans au moins ou dix ans au plus. » (Constitution belge annotée, p.
96.)) ; enfin, il rendit facultatif, comme sous le régime autrichien,
l'emploi des langues usitées en Belgique. Il décida que cet emploi ne pourrait
être réglé que par la loi et seulement pour les actes de l'autorité publique et
pour les affaires judiciaires. En résumé, le Congrès voulait une langue unique
pour les actes du gouvernement, et cette langue ne pouvait être autre que le (page 383) français (Note de
bas de page : Une loi du 19 septembre 1831 dispose que « les lois seront
insérées au Bulletin officiel aussitôt après leur promulgation, avec une
traduction flamande ou allemande, pour les communes où l'on parle ces langues,
le texte français demeurant néanmoins seul officiel. »). En
jouissance de ce privilège depuis la réunion des provinces belges sous le
sceptre des ducs de Bourgogne, cette langue universelle reprit en 1830 la
prééminence qui lui avait appartenu en Belgique pendant quatre siècles. En
effet, depuis la formation d'une administration centrale et la première réunion
des états généraux en 1460, le français avait été la langue officielle du
gouvernement, des conseils d'État, des assemblées nationales ; c'est en
français que Charles-Quint, quoique bon Flamand, avait prononcé devant les
députés du pays l'acte de son abdication ; c'est en français également que les
prédécesseurs de Charles-Quint et ses successeurs s'entretenaient avec les
représentants de la nation et correspondaient avec les diverses autorités. Le
Congrès se proposa donc de rendre au français le rang qu'il avait dû céder
momentanément à la langue néerlandaise ; mais, du reste, il ne voulut pas gêner
le goût, la prédilection, les habitudes des citoyens. Il leur fut permis de
choisir, même dans les tribunaux et les assemblées représentatives, la langue
qu'ils préféraient.
Il restait une dernière mesure à décréter pour
affermir les libertés publiques et garantir les citoyens contre l'arbitraire du
pouvoir. Il fallait briser le bouclier dont le gouvernement impérial avait
couvert les agents de l'autorité. Déjà le prince souverain des Pays-Bas, par son
arrêté du 4 février 1815, avait abrogé la disposition de la constitution
consulaire ou de l'an VIII statuant qu'une décision du conseil d'État était
nécessaire à l'effet de poursuivre les agents du gouvernement, autres que les
ministres, pour des faits relatifs à leurs fonctions. Le Congrès refusa
également (page 384) ment de
conserver une disposition qui lui paraissait subversive de la responsabilité
des personnes auxquelles l'autorité est confiée et de nature à constituer un
privilège en faveur d'une certaine catégorie de citoyens. La nomenclature des
droits des Belges fut terminée par un article conçu en ces termes : « Nulle
autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre les
fonctionnaires publics pour faits de leur administration , sauf ce qui est
statué à l'égard des ministres. »