« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e
tome : Livres III et IV)
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LIVRE
PREMIER. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE
Protestation
du roi Guillaume contre le protocole du 20 décembre et réactions belges.
(page 162) Malgré
les réserves contenues dans le protocole du 20 décembre 1830, cet acte pouvait être
considéré comme un triomphe par les adversaires de la domination hollandaise.
En prononçant la dissolution du royaume-uni des
Pays-Bas, les grandes puissances avaient condamné implicitement le gouvernement
du roi Guillaume, brisé de leurs propres mains l'œuvre qu'elles avaient fondée
en 1815, et légitimé enfin la révolution belge. Aussi la portée du protocole du
20 décembre n'échappa-t-elle point au cabinet de la Haye. Dès le 22, M. Falck
avait protesté contre l'arrêt de la conférence, et cette protestation fut
bientôt réitérée par le roi Guillaume lui-même. Il déclara qu'il considérait le
protocole du 20 décembre comme une œuvre d'iniquité, comme un acte qui
sanctionnait les résultats d'une révolte injuste, comme une mesure qui
compromettait la stabilité de tous les trônes, l'ordre social de tous les
États, et le bonheur, le repos et la prospérité de tous les peuples ! « La
conférence de Londres, ajoutait-il avec amertume , se réunit, il est vrai, sur
le désir du roi ; mais cette circonstance n'attribuait point à la conférence le
droit de donner à ses protocoles une direction opposée à l'objet pour lequel
son assistance avait été demandée ; et. au lieu de coopérer au rétablissement
de l'ordre dans les Pays-Bas, de les faire tendre au démembrement du royaume. »
Non seulement la conférence avait décidé
l'indépendance future de la
Belgique, mais elle voulait aussi obliger le roi Guillaume à
déposer les armes. En transmettant le protocole du (page 163) 20 décembre au comité diplomatique, lord Ponsonby et M. Bresson lui renouvelèrent l'assurance que la
conférence n'avait épargné aucun effort pour convaincre le cabinet de la Haye que les mesures de
précaution , qui entravaient encore la navigation de l'Escaut, devaient être
révoquées dans le plus bref délai ; et ils ajoutaient que, le 27, elle avait
demandé itérativement au gouvernement du roi Guillaume de faire cesser, avec
les hostilités, tout acte qui pourrait être envisagé comme hostile.
Cependant, le protocole du 20 décembre n'avait pas
été mieux accueilli à Bruxelles qu'à la Haye. Comme les Belges devaient ignorer longtemps
encore les protestations du roi Guillaume, ils supposèrent que la conférence
avait voulu le favoriser ; ils ne virent dans le nouveau protocole que des
sacrifices, qui ne leur paraissaient pas compensés suffisamment par la promesse
de l'indépendance future des provinces méridionales. Un arrangement qui ôterait
à la Belgique
Luxembourg , Maestricht, la rive gauche de l’Escaut, serait
la plus misérable combinaison politique, disaient alors les patriotes les plus
modérés et les plus éclairés. Le protocole du 20 décembre, remis au comité
diplomatique le 31 à minuit, fut discuté pendant trois jours dans le sein de ce
comité, réuni au gouvernement provisoire. Le gouvernement belge savait que la
possession du Luxembourg donnerait lieu à des négociations, dont la conscience
de son bon droit ne lui faisait pas redouter l'issue ; mais que l'on en fit une
espèce de condition sine quâ non, voilà ce que rien
ne l'autorisait à supposer. C'eût été braver l’opinion publique et faire preuve
d'inhabileté que d'accepter purement et simplement l'arrêt de la conférence.
L'acceptation conditionnelle prévalut, et la note suivante, empreinte de
dignité, fut envoyée le 3 janvier 1831 à Londres :
« L'équilibre de l'Europe, disait le comité
diplomatique, peut encore être assuré et la paix générale maintenue en rendant la Belgique indépendante,
forte et heureuse ; si la
Belgique était (page
164) sans force et sans bonheur, le nouvel arrangement auquel on pourrait
recourir serait menacé du sort de la combinaison de 1815. La Belgique indépendante a
sa part des devoirs européens à remplir; mais on concevrait difficilement
quelles obligations ont pu résulter pour elle de traités auxquels elle est
restée étrangère. Les commissaires envoyés à Londres (Note de
bas de page : MM. Van de Weyer et H. Vilain XIIII) sont
munis d'instructions suffisantes pour être entendus sur toutes les affaires de la Belgique, et ils ne
pourront laisser ignorer à la conférence que dans les circonstances imminentes
où se trouve le peuple belge, il paraîtra sans doute impossible que la Belgique constitue un
Etat indépendant, sans la garantie immédiate de la liberté de l'Escaut, de la
possession de la rive gauche de ce fleuve, de la province de Limbourg en entier
et du grand-duché de Luxembourg , sauf les relations avec la Confédération
germanique. »
Le même jour, le protocole du 20 décembre et la
note du comité diplomatique furent communiqués au Congrès belge. M. de Celles,
qui présidait le comité en l'absence de M. Van de Weyer, ajouta qu'aucune
communication, aucune insinuation même, relative au choix du souverain, n'avait
été faite, et que rien ne donnait au comité lieu de supposer qu'il fût entré
dans l'esprit des puissances de gêner sur ce point la prérogative du Congrès
national. Il lui paraissait néanmoins urgent que l'assemblée fixât son
attention sur cet objet. M. Ch. Lehon confirma
l'assertion de M. de Celles, et émit la même opinion relativement à la
nécessité de procéder sans délai à l'élection d'un chef. Cependant M. de Robaulx, ne tenant aucun compte des déclarations de MM. Lehon et de Celles, prétendit que la diplomatie voulait,
par l'intermédiaire du comité, dicter un choix au Congrès. Un député, qui
n'avait pas l'habitude de flatter le pouvoir quel qu'il fût, M. Jottrand (page 165),
fit immédiatement justice des insinuations de M. de Robaulx.
Il s'éleva contre les brouillons par système, incapables d'en avoir jamais un.
Lui aussi avait cru que le comité diplomatique était non pas complice, mais
dupe de ce qui se machinait à Londres. La note émanée du comité l'avait rassuré
: il trouvait cette réponse aussi digne et aussi complète que la nation elle-
même aurait pu la faire. A M. Jottrand se joignirent MM. Lebeau, Forgeur, Ch. Rogier et
Nothomb, pour défendre le patriotisme du gouvernement provisoire et expliquer
la situation de la Belgique
par rapport à l'Europe.
« Je félicite le comité diplomatique, dit M.
Lebeau, de la réponse qu'il a faite au protocole du 20 décembre ; il a senti
toute l'étendue de ses devoirs, et il a apprécié très convenablement nos droits
et nos besoins. Oui, messieurs, si on nous veut indépendants, il faut nous
donner de la force et du bonheur, sans lesquels toute indépendance serait
illusoire. Il ne faut pas que les puissances proclament à la fois notre
indépendance et la misère du peuple belge, si elles ne veulent nous réduire à
des partis extrêmes qui amèneraient une conflagration générale. » Les
applaudissements de l'assemblée ratifièrent les paroles de l'orateur et la
conduite loyale du comité diplomatique.
Prise en
compte de l’urgence quant à la question relative au choix du chef de l'État.
Saisissant l'occasion, M. Constantin Rodenbach
propose d'aborder sans délai, dans les sections, l'examen de la question relative
au choix du chef de l'État. A l'appui de cette motion, il allègue non seulement
le désir de la nation de se soustraire à l'influence que veut s'arroger la
conférence de Londres, mais aussi la nécessité de calmer l'agitation qui règne
dans quelques provinces, de mettre un terme aux prétentions hautement
manifestées par les partisans de la maison d'Orange et par les partisans de la
réunion à la France,
d'étouffer l'hydre de la guerre civile et de clore la révolution. L'assemblée
adopta une proposition, (page 166)
qu'il n'était plus possible d'ajourner sans compromettre les destinées de la Belgique indépendante. En
effet, les nations ne peuvent vivre longtemps dans l'incertitude. La fixité est
le nerf du pouvoir et la base la plus sûre de la prospérité des États; le
provisoire amollit le gouvernement, décourage les citoyens et favorise
l'anarchie.
La
Belgique renfermait dans son sein quatre partis : le
parti monarchique orangiste, un parti français, une minorité républicaine, qui
se confondait souvent avec les partisans de la réunion à la France, enfin le parti
national, qui voulait constituer une monarchie sans la maison d'Orange. Les
industriels de Gand et beaucoup de négociants d'Anvers regrettaient l'ancienne
dynastie ; Verviers et d'autres localités de la province de Liége et du Hainaut
pétitionnaient pour la réunion à la France. Quoique l'immense majorité de la nation
ne fût nullement disposée à sacrifier l'indépendance qu'elle avait reconquise,
la situation du pays était cependant fort grave. Le provisoire encourageait
tous les ennemis, tous les adversaires de la révolution : orangistes,
républicains, partisans de la réunion ; le provisoire inspirait au roi
Guillaume la force d'inertie qu'il opposait à la conférence ; le provisoire
pouvait enfin lasser la constance des patriotes même. Il fallait donc adopter
une résolution définitive et marcher en avant.
M. Ch. Rogier prit, au nom du gouvernement,
l'initiative de cette détermination commandée par le salut public. Le 5
janvier, il demande que le Congrès se forme en comité général pour qu'il puisse
démontrer l'urgence de la proposition de M. Rodenbach. L'assemblée est quelque
temps indécise : les uns appuient la motion de M. Rogier; les autres veulent
que les explications du gouvernement soient données en séance publique. Il est
enfin décidé que le soir même le Congrès se formera en comité secret. Après
avoir d'abord signalé les partis qui divisaient la Belgique, M. Rogier
déclara que la majorité de la nation les repoussait (page 167) tous, qu'elle ne voulait ni la restauration, ni la
réunion à la France,
ni la république. Mais quoique le parti orangiste poursuivit une impossibilité
politique, on ne pouvait se dissimuler qu’il avait des complices au sein même
du Congrès. Le parti français pouvait faire valoir des motifs plausibles,
puissants même. Le parti anarchiste avait pour système d'attaquer tout ce qui
existait, n'ayant de chances que dans les bouleversements successifs qu'il
espérait continuellement opérer. C'était dans le provisoire que ces trois
partis trouvaient et retrempaient leur audace et leur activité. D'un autre
côté, le parti national (si cette expression de parti pouvait s'appliquer à la
volonté générale), le parti national s'impatientait, se décourageait, car il ne
voyait pas de terme à la crise. Il était donc urgent de trancher la question du
choix du chef de l'État pour dissiper les espérances, les intrigues et les
complots des ennemis de la révolution. Après que M. Rogier eut donné ces
loyales explications, M. Lebeau s'adresse au comité diplomatique pour savoir
quelles sont les exclusions que la
France a prononcées et qui limitent le choix du Congrès. M.
de Celles répond que la France
ne veut pas la réunion et qu'elle refusera la couronne pour le duc de Nemours ;
il ajoute qu'il n'y a pas d'autre exclusion. Plusieurs députés se prononcent
cependant en faveur du duc de Nemours ; d'autres combattent l'urgence de la
proposition de M. Rodenbach. M. Rogier déclare alors que des complots se
trament et qu'une prompte décision peut seule les déjouer. Un autre député
ajoute que l'on signe publiquement à Gand des pétitions en faveur de la
dynastie déchue.
« Nous exposerions notre responsabilité, dit M.
Devaux, en atténuant les dangers qui nous menacent. Les partis intriguent et
conspirent ; le pays souffre et s'alarme. Il n'y a qu'une voix sur la nécessité
d'en finir. C'est sous les trois couleurs françaises que l'orangisme se réfugie
en désespoir de cause. Ce sont des traîtres qui arborent un drapeau étranger
!... »
(page 168) Après
une orageuse discussion, qui se prolonge pendant quatre heures, l'urgence est
décrétée.
Le choix
d'un prince étranger. Les principaux candidats : le duc de Nemours, le duc
Othon de Bavière et le du duc Auguste de Leuchtenberg.
Dès le surlendemain, M. Raikem déposa le rapport de
la section centrale sur la proposition relative au choix du chef de l'État.
L'urgence avait été reconnue par les sections, et presque toutes s'étaient
prononcées pour le choix d'un prince étranger ; elles croyaient qu'un tel
choix, bien dirigé, procurerait plus d'avantages à la Belgique que celui d'un
prince indigène. Les conclusions de la section centrale tendaient à la
nomination de quatre commissaires extraordinaires pris dans le sein du Congrès
; deux de ces commissaires devaient se rendre à Londres et les deux autres à
Paris, pour traiter de tout ce qui pourrait être relatif au choix du chef de
l'État sous le rapport du territoire, des intérêts commerciaux et des
alliances. Les commissaires envoyés à Paris devaient être spécialement chargés
de rechercher l'alliance d une princesse de la maison d'Orléans pour le futur
chef de l'État, dans le cas où la couronne de la Belgique ne pourrait être
décernée à un prince de cette maison.
Il est incontestable que la majorité du Congrès,
organe de l'opinion publique, inclinait d'abord pour le choix du duc de Nemours
; aussi M. Gendebien avait-il été chargé de faire de nouvelles démarches auprès
du roi des Français. Louis-Philippe fut inébranlable. Dans l'audience qu'il
accorda au député belge, il lui dit :
« - M. Gendebien, vous êtes père d'une famille à
peu près aussi nombreuse que la mienne ; vous êtes donc dans une position à
pouvoir, mieux que personne, apprécier les sentiments qui m'agitent en ce
moment. Il doit vous être facile de comprendre combien il serait doux pour mon
cœur et flatteur pour un père de voir un de mes fils appelé au trône de la Belgique par le vœu libre
et spontané du peuple belge. Je suis même persuadé que son éducation, toute
libérale, serait un sûr garant pour le maintien et le développement des
institutions que vous créez (page 169)
dans ce moment. Il m'est donc doublement pénible de devoir vous dire que je ne
pourrais agréer les vœux du Congrès ; une guerre générale en serait la suite
inévitable ; aucune considération ne pourrait me décider à me faire accuser
d'avoir allumé une conflagration générale par ambition, pour placer mon fils
sur un trône. D'ailleurs, la liberté sort rarement victorieuse de la guerre :
vous avez, comme nous, intérêt à conserver la paix ; mais si votre indépendance
était attaquée, je n'hésiterais pas, je ne consulterais que les devoirs que
m'imposeraient « l'humanité et les vives sympathies que j'éprouve, ainsi que
toute la France,
pour votre cause. Je suis persuadé que je serais secondé par la nation tout
entière. » (Note de bas de page : M. Gendebien rapporta celte conversation dans
la séance du Congrès du 12 janvier 1831).
Le choix du duc de Nemours était le plus populaire,
sans doute ; mais, comme l'avait fait entendre Louis-Philippe, c'était, de toute
manière, une question de guerre. On devait être convaincu que l'Angleterre
emploierait tout ce qu'elle avait d'influence et de puissance pour empêcher
l'avènement du prince français, parce que cet avènement équivaudrait à ses yeux
à une réunion, et qu'elle n'en voulait à aucun prix. Le cabinet du Palais-Royal
ne pouvait accorder le duc de Nemours au vœu des Belges que dans deux
hypothèses : en recommençant la lutte que Louis XIV avait soutenue au siècle
dernier contre l'Europe entière dans l'intérêt de son petit-fils, le duc
d'Anjou ; ou bien, en profitant de l'affaiblissement des autres puissances
continentales, si la Pologne
et la Finlande
insurgées arrêtaient les Russes prêts à se lancer sur l'Occident, et si
l'Allemagne devenait aussi le théâtre d'une révolution. Mais dans les deux
hypothèses, la guerre était inévitable, et le roi des Français s'annonçait
comme le plus ferme soutien de la paix.
(page 170)
Cependant M. Gendebien ne s'était pas découragé. Le 3 janvier, tandis que le
Congrès était saisi d'une proposition relative au choix du chef de l'État, M.
Gendebien adressa au général Sébastiani une note dans
laquelle il s'exprimait en ces termes : « Les événements deviennent si
pressants en Belgique qu'une résolution prompte et définitive de la France est indispensable et
urgente. Nous allons nous trouver dans la funeste nécessité du comprimer par la
force un élan patriotique vers la
France, et par suite nous exposer à la guerre civile, si la France ne prend pas le
parti d'accéder au vœu des Belges pour un fils de S. M. le roi des Français.
Quel que soit le parti que prenne le gouvernement français, il est
indispensable que sa résolution soit prompte et définitive, car la pire de
toutes les situations pour la
Belgique, c'est l'état d'incertitude dans lequel elle se
trouve. »
La réponse du ministre français fut remise le jour
même au député belge. Après avoir rappelé l'entrevue dans laquelle
Louis-Philippe avait fuit connaître ses intentions, M. Sébastiani
ajoutait : « La France
n'accepte point et n'acceptera pas la réunion de la Belgique à ses provinces.
Sa Majesté ne peut pas accorder le prince-duc de
Nemours aux vœux des Belges. »
Déjà plusieurs sections du Congrès, à défaut du duc
du Nemours, avaient jeté les yeux sur le prince Othon, deuxième fils du roi
Louis de Bavière (Note de bas de page : Le prince Othon, né le
1er juin 1815, avait alors quinze ans et demi. - Le duc do Nemours, né le 25
octobre 1811, avait seize ans et trois mois). Pour satisfaire au vœu de ces
sections, le comité diplomatique chargea, le 4 janvier, M. Gendebien de
pressentir le ministère français sur les limites territoriales de la Belgique et sur le choix
éventuel du jeune prince bavarois, que l'on pourrait unir à une princesse de la
maison d'Orléans Cette combinaison, suivant le comité diplomatique (page 171) donnerait aux Belges l'appui
de la France
et leur assurerait en outre un allié en Allemagne. Il repoussait, au surplus,
la réunion à la France,
qui serait le signal de la guerre, dont la Belgique deviendrait le principal théâtre, comme
de tout temps. « Nous repoussons, disait-il, cette chance funeste, et il faut
obtenir notre indépendance complète et la délivrance du joug hollandais à
meilleur prix. »
Les
réactions du gouvernement français sur les candidatures envisagées par le
Congrès
M. Gendebien reçut le courrier du comité
diplomatique, le 5, à quatre heures du soir ; il s'empressa d'entrer en
conférence avec le ministre des affaires étrangères. A neuf heures, il écrivit
les détails de son entrevue. Sur la première question, relative au chef de
l'Etat, M. Sébastiani lui avait répondu que la France accéderait à toutes
les combinaisons politiques qui pourraient constituer définitivement le
gouvernement et assurer le repos et le bonheur des Belges ; il lui avait donné
l'assurance que le choix du prince Othon de Bavière serait agréé par le
gouvernement de S. M. le roi Louis-Philippe, et il avait ajouté que l'alliance
du roi futur de la Belgique
avec la princesse Marie d'Orléans serait acceptée. Quant à la seconde question,
relative aux limites territoriales, le ministre avait répondu, en substance,
que la France
n'oublierait jamais que la
Belgique fut son berceau ; la conformité de mœurs, de
religion, de langue et de principes, fournissait d'ailleurs des motifs durables
de sympathie qui assureront toujours à la Belgique le plus vif intérêt et la protection
constante de la France
et de son gouvernement dans toutes les questions qui toucheraient les intérêts
et l’honneur national des Belges ; en conséquence, la France les soutiendrait
dans la discussion de leurs limites lorsque le bon droit serait de leur côté,
et elle ne souffrirait aucune intervention qui tendrait à les forcer à faire
des concessions territoriales.
Tandis que M. Gendebien rédigeait cette dépêche, un
nouveau courrier du comité diplomatique était sur la route de Paris. Il (page 172) arriva dans cette ville le 6,
à quatre heures du soir, avec la réponse du comité au protocole du 20 décembre.
M. Gendebien. se trouvant indisposé, chargea M. Firmin Rogier, secrétaire de la
légation, de voir M. Sébastiani et de mettre cette
réponse sous ses yeux. Le langage noble et ferme du comité fit une vive
impression sur le ministre des affaires étrangères. Du reste, le cabinet du
Palais-Royal ne supportait qu'impatiemment les provocations continuelles du roi
Guillaume, parce qu'elles tendaient à rallumer une guerre qu'il voulait éviter
à tout prix.
« - Si le roi Guillaume, dit M. Sébastiani
à M. Rogier, n'avait pas enfin consenti à la libre navigation de l'Escaut, nous
aurions bien su l'y contraindre d'accord avec l'Angleterre ; et dix frégates
que nous aurions envoyées, s'il l'avait fallu, auraient bientôt rendu le fleuve
libre. »
Il confirma que le prince Othon de Bavière, élu par
le Congrès, serait immédiatement reconnu par la France ; la Prusse aussi se
prononcerait sur-le-champ en sa faveur.
M. Rogier aborda ensuite la question la plus
délicate.
« - Vous n'ignorez pas, dit-il à M. Sébastiani, quel mouvement éclate dans plusieurs de nos
provinces en faveur de la France
; des pétitions arrivent de toutes parts au Congrès pour demander la réunion (Note de
bas de page : Un ancien membre du Congrès a fait remarquer que M. F.
Rogier était bien mal renseigné ; qu'à l'exception d'un petit nombre
d'industriels, personne en Belgique ne désirait la réunion a la France. (Histoire du royaume de Pays-Bas, par M. DE
GERLACHE, t. II, p. 156.)) ; au sein même de l'assemblée de nos
députés, un parti nombreux se déclare dans ce sens ; s'il venait à l'emporter,
le gouvernement français persisterait-il à nous dire : Non, et à ne pas vouloir
de nous ? »
« - Cette réunion, que peut-être nous désirons
autant que les Belges, est cependant impossible, répondit le ministre français.
(page 173) Elle amènerait
nécessairement une guerre générale : jamais l'Angleterre n'y consentirait.
Cette guerre, qu'il faudrait soutenir, ravagerait vos belles contrées, et chez
nous remettrait en question tout ce que nous avons conquis par notre dernière
révolution. Il y faut renoncer. Si la Belgique venait s'offrir à nous, ou nous demander
un de nos princes pour roi, quelque douloureux qu'il fût pour nous de prononcer
un refus, il le serait pourtant. Rien ne peut faire départir le gouvernement de
cette résolution.
« - Mais alors si chez nous le parti républicain
l'emportait ? »
« - Jamais vous ne seriez reconnus par les
puissances de l'Europe, et l'on aurait bientôt trouvé prétexte à une
intervention dans vos affaires. »
« - Et si les voix se portaient sur un citoyen
belge pour l'élever sur le trône ? »
« - Les puissances verraient un tel choix avec
presque autant de déplaisir que l'établissement d'une république, et vos
espérances d'obtenir des traités de commerce avantageux ne se réaliseraient que
très difficilement. Que la majorité de votre « Congrès, animé de ce bon sens et
de cette sagesse qui l'ont dirigé jusqu'ici, fasse un choix que tous les
anciens Etats de l'Europe puissent immédiatement approuver. Le prince Othon, je
pense, est celui qu'il vous faut, et la Russie elle-même, malgré ses liens de parenté avec
la maison d'Orange, ne tarderait pas à le reconnaître. »
Le 8, le Congrès discutait la disposition
constitutionnelle qui défend au roi, en Belgique, d'être en même temps chef
d'un autre État, sans l'assentiment des chambres. M. Pirmez, député de Charleroy,
demanda la suppression de cet article, parce qu il avait l’intention de voter
pour Louis-Philippe, c'est-à-dire pour la réunion. Cette opinion ne fut pas
appuyée, mais un autre membre révéla tout à coup que des dépêches de M.
Gendebien (page 174) étaient
parvenues dans la nuit même au comité diplomatique et avaient été communiquées
à la section centrale. Après un vif débat, le Congrès décida que ces pièces
seraient lues en séance publique. En conséquence, M. le comte d'Arschot monte à la tribune et donne lecture des lettres
confidentielles adressées au comité diplomatique par MM. Gendebien et F.
Rogier.
Ces lettres impressionnèrent vivement l'assemblée.
Plusieurs députés firent toutefois remarquer que M. Sébastiani
s'était trompé en affirmant que l'Escaut était libre. D'autres demandèrent que
l'on mît le roi de Hollande en demeure de lever le blocus du fleuve, puisqu'on
était sûr de l'appui de la
France. Les cris de : Guerre à la Hollande!
retentirent de nouveau dans l'assemblée. Toutefois la majorité, prudente et
sage, recula devant la responsabilité d'une déclaration prématurée. Elle
espérait, suivant la promesse faite par des membres du comité et par lord Ponsonby lui-même, que l'Escaut serait définitivement libre
le 20 janvier.
Cependant une autre candidature venait de surgir et
de rallier un grand nombre d'adhérents ; c'était celle d'Auguste-Charles-Eugène-Napoléon,
duc de Leuchtenberg, fils aîné d Eugène Beauharnais
et de la princesse Amélie de Bavière. Un ancien et fidèle serviteur de
Napoléon, M. le duc de Bassano, avait le premier jeté les yeux sur ce prince et
appelé sur lui l'attention de M. le baron de Stassart. A cet effet, il lui
avait envoyé, dès le principe, M. Goubaud, ancien
dessinateur du cabinet impérial. M. de Stassart répondit que le fils du prince
Eugène avait toutes ses sympathies, mais que les Belges avaient besoin de liens
plus intimes avec la France,
et qu’aussi longtemps qu'il lui serait permis d’espérer de voir les deux pays
sous le même sceptre, il ne pourrait donner les mains à d'autres combinaisons.
Dans la pensée de M. de Stassart, il n'y avait alors de résultat convenable,
pour la Belgique,
qu'une quasi-réunion, de manière à garantir (page 175) la prospérité de Bruxelles au moyen d'un prince français,
qui eût été gouverneur général des provinces belges. Mais lorsqu'il fut
démontré à M. de Stassart que Louis-Philippe ne réaliserait point ce vœu , et
que chaque jour de nouveaux candidats sans consistance seraient inscrits sur la
liste des prétendants, il proposa le choix du duc de Leuchtenberg
à quelques-uns de ses collègues, partisans de la réunion comme lui. Bientôt il
put mander à M. de Bassano que le fils d’Eugène Beauharnais aurait des chances.
Fidèle aux souvenirs de la première partie de sa vie, aux traditions de l'empire
français qu'il avait servi avec honneur, M. de Stassart voyait dans le choix du
duc de Leuchtenberg, à défaut du duc de Nemours, un
acheminement vers la réunion de la
Belgique à la France. Gendre du roi des Français, le nouveau
roi des Belges, disait-il, serait le plus ferme appui du trône de
Louis-Philippe; en cas de guerre (et une guerre générale lui paraissait
inévitable), on pouvait le mettre à la tête d'une armée française au delà des
Alpes ; peut-être la fortune des batailles lui réserverait le trône d'Italie,
et alors la Belgique
serait placée sous le même sceptre que la France. Mais la
plupart des partisans du duc de Leuchtenberg étaient
loin de concevoir à ce point de vue la combinaison dont il était l'objet; le Congrès renfermait un grand nombre de
députés qui, redoutant la prépondérance française, voulaient placer la
nationalité belge sous la sauvegarde de l'équilibre européen. Indépendamment de
la gravité de ces raisons politiques, le prince Auguste de Leuchtenberg,
alors âgé de vingt ans (Note de bas de page : Il était né à Milan, le
9 décembre 1810), leur paraissait encore propre par ses qualités
personnelles à consolider le nouvel État. Doué d'une intelligence remarquable, il
avait reçu l'éducation la plus soignée sous la direction de M. le comte Méjan, ancien secrétaire des commandements du vice-roi
d'Italie, et sous les yeux d'une (page 176) mère, le modèle de toutes les
vertus. En 1826, il suivit les cours de l'université de Munich, et trois ans
après, il avait accompagné au Brésil la princesse Amélie, sa sœur, devenue la
femme de l'empereur don Pedro. A son retour, il était entré dans l'armée
bavaroise, et il se trouvait, à Anspach, uniquement occupé des exercices militaires
lorsqu'une partie du Congrès songea à l'appeler au trône de Belgique.
Dès qu'il fut question du duc de Leuchtenberg, M. Bresson alarmé déclara officieusement que
ce choix ne serait pas reconnu. Un membre de la section centrale, chargée de
l'examen des questions relatives au choix du chef de l'État, démontra la
nécessité de connaître officiellement l'opinion du cabinet français sur la
nouvelle combinaison. En conséquence, M. de Celles, comme président du comité
diplomatique, chargea le commissaire belge à Paris de pressentir le cabinet du
Palais-Royal. « La principale raison que l'on oppose au choix du prince Othon,
lui disait-il, c'est qu'il est mineur. On redoute une régence. On va jusqu'à
insinuer que des personnes ont en vue d'être régents en présentant cette
combinaison. On redouterait moins cette même régence s'il s'agissait du duc de
Nemours. Enfin, il faut avoir réponse de la France sur le duc de Leuchtenberg.
Voilà pourquoi je vous expédie un courrier à quatre heures après-midi,
aujourd’hui samedi (8 janvier). Il est indispensable que je puisse avoir votre
réponse avant mardi 11 de ce mois, vers dix heures du matin, c'est-à-dire en
soixante-six heures, si c'est possible... Deux cents personnes occupées du
choix d'un souverain, c'est une situation politique sans antécédents dans notre
histoire moderne constitutionnelle. »
Le courrier du comité diplomatique arriva à Paris
le 9 janvier, à quatre heures du soir. M. Gendebien étant parti pour Bruxelles,
ce fut M. Firmin Rogier qui reçut la dépêche de M. de Celles. Il se rendit
sur-le-champ chez le ministre des affaires étrangères, (page 177) écrivit à onze heures et demie du soir les détails de son
entrevue, et sa réponse parvint au comité diplomatique le 11 janvier, à deux
heures du matin.
A midi et demi, le Congrès se réunit pour s'occuper
de l'élection du chef de l'État. Les tribunes étaient remplies de spectateurs
impatients. M. de Celles donna immédiatement lecture de la lettre de M. Firmin
Rogier. Celui-ci faisait connaître que, après avoir communiqué à M. le comte Sébastiani la dépêche du comité diplomatique relative au
duc de Leuchtenberg, le ministre lui avait répondu
que, de toutes les combinaisons, c'était peut-être la plus fâcheuse et la plus
fatale ; que le gouvernement français ne pouvait bien certainement ni l'appuyer
ni l'approuver ; que jamais il ne consentirait à reconnaître le duc de Leuchtenberg pour chef des Belges, et qu'on pouvait
regarder comme une chose à peu près certaine que le cabinet anglais serait dans
les mêmes dispositions que la
France ; que l'on se flatterait en vain que le roi de France
consentit à accorder une de ses filles au fils d'Eugène de Beauharnais ; que
jamais une telle union ne se ferait ; que
l'on se trompait en croyant que le parti bonapartiste n'avait plus de racines
en France ; qu'au contraire, il était aujourd'hui très redoutable (Note de
bas de page : Le passage, imprimé en italique, ne se trouve pas dans la
copie publiée par ordre du Congrès ; nous avons cru devoir le rétablir, d'après
l'original qui nous a été communiqué) ; que la Belgique, gouvernée par
le duc de Leuchtenberg, deviendrait le foyer où
toutes les passions des partisans napoléoniens fermenteraient, et qu'enfin la France, au lieu d'ouvrir
avec les Belges le plus de communications possible, serait obligée de
s'entourer de barrières et de s'éloigner d'eux. M. Rogier demanda à M. Sébastiani si cette résolution était irrévocable. « - Oui,
sans doute, avait-il répondu, et vous allez en juger. » Alors, faisant appeler
son secrétaire, il lui avait dicté, pour (page
178) M. Bresson. une lettre dans laquelle les intentions du gouvernement
français, relativement à un projet de réunion à la France, à la candidature du
duc de Nemours et à celle du duc de Leuchtenberg,
étaient clairement et formellement exprimées. M. F. Rogier n'avait pas cru,
dans une affaire si importante, devoir s'attacher seulement à connaître la
pensée du ministère français ; il avait cru convenable de savoir aussi
l'opinion et de recueillir les sentiments du roi. Il s'était donc rendu, en
sortant de chez M. Sébastiani, auprès du maréchal
Gérard, très avant dans l'intimité de Louis-Philippe. Déjà il l'avait visité le
matin et l'avait prié d'entretenir le roi des divers candidats qui se
présentaient au suffrage du Congrès belge et particulièrement du prince Othon
de Bavière et du duc de Leuchtenberg
Voici ce qu'il recueillit de la bouche de
l'illustre maréchal :
« - Le roi désire de voir la Belgique libre, heureuse
et indépendante dans tout ce qui pourrait augmenter le rapprochement et les
rapports de bon voisinage de la
Belgique avec la
France ; voilà pourquoi ne pouvant, lié qu'il est par des
engagements antérieurs et arrêté par la certitude d'une guerre générale,
accorder son fils le duc de Nemours à la grande majorité des Belges, il aurait
vu, avec plaisir, l'élection du prince Othon , auquel il n'aurait pas hésité de
donner une de ses filles. Le roi croyait que le jeune âge du prince, loin de
nuire à sa candidature, était au contraire un des motifs qui auraient engagé le
Congrès à l’élire, parce qu'on aurait pu diriger son éducation
constitutionnelle et le former à l'amour des institutions belges. Le roi ne
comprend pas quelles puissantes raisons paraissent pousser le Congrès à donner
la préférence au duc de Leuchtenberg : assurément les
Belges sont libres dans leur choix , et à Dieu ne plaise qu'on cherche en rien
à gêner la libre manifestation de leurs vœux ; mais si le Congrès pense qu'il
importe aux intérêts de la
Belgique de conserver la France pour amie, (page 179) s'il veut se réserver les moyens d'obtenir d'elle
protection et appui au besoin, et surtout un traité de commerce avantageux, «
s'il veut que la ligne des douanes disparaisse , s'il songe enfin à multiplier
les relations amicales avec la
France, au lieu de les interrompre tout à fait, qu'il ne se
montre donc pas favorable au fils de Beauharnais. Jamais la France ne reconnaîtra le
duc de Leuchtenberg comme roi des Belges, et jamais
surtout le roi Louis-Philippe ne lui donnera une de ses filles pour femme. De
toutes les combinaisons possibles, Louis-Philippe n'hésite pas à dire que celle
de proposer le jeune duc de Leuchtenberg pour roi en
Belgique serait la plus désagréable à la France, et la moins favorable au repos et a
l'indépendance des Belges. »
M. le comte de Celles donna ensuite lecture d'une
lettre que M. Bresson venait de lui adresser. M. Bresson déclarait que
l'élection du duc de Leuchtenberg jetterait la Belgique dans de graves
embarras ; que ce prince ne serait certainement pas reconnu par les grandes
puissances, et, dans aucun cas, par la France. Il ajoutait que le roi Louis-Philippe
ayant à plusieurs reprises manifesté l'intention de ne consentir ni à la
réunion de la Belgique
à la France,
ni à l'élection de M. le duc de Nemours, l'insistance qu'on mettrait à reproduire
ces questions décidées n'aurait d'autre résultat que d'agiter la Belgique et de remettre
en question la paix de l'Europe que le roi voulait conserver. Il terminait en
disant que le comité diplomatique ne devait voir dans cette communication qu'un
nouveau témoignage de l'intérêt si vrai que le roi et son gouvernement
portaient à la cause de la
Belgique. « Elle n'aura jamais, disait-il, d'ami plus sincère
que le roi des Français ; les conseils qu'il donne aux Belges sont pour ainsi
dire paternels; il ne veut exercer d'autre influence que celle qui calme les
passions, qui montre la vérité, et dirige vers un but honorable et utile. »
(page 180)
M. Alex. Gendebien, de retour à Bruxelles depuis le 10 janvier au soir, prit la
parole pour confirmer la sincérité des renseignements transmis par M. F.
Rogier. Il résultait des informations prises par lui-même, durant son dernier
séjour à Paris, la certitude que le duc Auguste de Leuchtenberg
ne serait pas reconnu par le gouvernement français ; en conséquence, il
engageait le Congrès à renoncer à ce choix.
Agitation
orangiste et proclamation du prince d'Orange du 11 janvier 1831.
Tandis que l'assemblée nationale était ballottée
entre ces diverses candidatures, les partisans de l'ancienne dynastie songeaient
à profiter des embarras du Congrès pour sauvegarder les droits du prince
d'Orange. On disait hautement que le gouvernement néerlandais cherchait à
corrompre les officiers supérieurs de l'armée belge, et on ajoutait que les
grandes puissances, moins la
France, voulaient imposer par des voies indirectes le prince
d'Orange au choix du Congrès. Il était certain que les amis du prince d'Orange
s'agitaient dans l'intérieur du pays comme au dehors, et que le prince lui-même
n'était pas inactif à Londres. Quoi de plus naturel ? Héritier du trône des
Pays-Bas, chef futur de la maison de Nassau, pouvait-on exiger de lui, qui
avait cimenté de son sang en 1815
l'union des Belges et des Hollandais, pouvait-on lui
demander une abnégation que sa postérité lui eût justement reprochée un jour ?
Si le devoir des Belges était de lutter avec persévérance contre les obstacles
qui s'opposaient à la reconstitution de leur nationalité, le prince ne pouvait,
de son côté, abandonner prématurément la scène où se décidaient les destinées
de sa maison. Au moment où le Congrès abordait la question du chef de l'État,
le prince, fort de l'appui de la
Russie, adressa à la nation belge un nouveau manifeste. Dans
cette proclamation, datée du 11 janvier , le prince s'exprimait en ces termes :
« Le choix d'un souverain pour la Belgique, depuis sa
séparation d'avec la Hollande,
a été accompagné de difficultés qu il (page
181) est inutile de décrire. Puis-je croire sans présomption que ma
personne présente aujourd'hui la meilleure et la plus satisfaisante solution de
ces difficultés ? Nul doute qu'après avoir uni leurs efforts avec tant de
désintéressement pour terminer les malheurs qui pèsent sur nous, les cinq
puissances, dont la confiance est si nécessaire à acquérir, ne voient, dans un
tel arrangement, le plus sûr, le plus prompt, le plus facile moyen de raffermir
la tranquillité intérieure et d'assurer la paix .générale de l'Europe. Nul
doute que les communications récentes et détaillées, venues des villes
principales et de plusieurs provinces de Belgique, n'offrent la preuve
frappante de la confiance que m'accorde encore une grande partie de la nation,
et ne m'autorisent à nourrir l'espoir que ce sentiment pourra devenir unanime,
quand mes vues et mes intentions seront suffisamment comprises. »
Le prince faisait connaître ces intentions et ces
vues : « Le passé, en tant qu il me concerne, sera voué à l'oubli. Je
n'admettrai aucune distinction personnelle, motivée sur des actes politiques,
et mes constants efforts tendront à unir au service de l'État, sans exclusion
et sans égard à leur conduite passée, tous les hommes que leurs talents et leur
expérience rendent le plus capables de bien remplir des devoirs publics. Je
vouerai mes soins les plus assidus à assurer à l'Église catholique et à ses
ministres la protection attentive du gouvernement et à les entourer du respect
de la nation. Je serai prêt en même temps à coopérer à toutes les mesures qui
pourraient être nécessaires pour garantir la parfaite liberté des cultes, de
telle sorte que chacun puisse exercer sans obstacle celui auquel il appartient.
Un de mes plus vifs désirs, comme un de mes premiers devoirs, sera de joindre
mes efforts à ceux de la législature, afin de compléter les arrangements qui,
fondés sur la base de l'indépendance nationale, donneront de la sécurité à nos
relations (page 182) au dehors, et
viendront à la fois améliorer et étendre nos moyens de prospérité intérieure.
Pour atteindre ces grands objets, je compte avec confiance sur l'aide des
cours, dont toutes les vues sont dirigées vers la conservation de I’équilibre
européen, et vers le maintien de la paix générale. »
Cette profession de foi politique fut publiée par
les journaux de Londres ; en outre, le prince l'adressa lui-même à ses agents
en Belgique. Ils devaient s'en servir pour rassurer ceux qui, parmi les Belges,
pourraient se croire trop fortement compromis et par là même craindre une
réaction. Le prince insistait sur l'oubli du passé et rappelait qu'il n'avait
jamais faussé sa parole (Note de bas de page : Voir la lettre adressée
le 14 janvier par le prince d'Orange à un colonel au service de la Belgique, dans la notice
sur Guillaume II, par A. Orts (Les Rois contemporains, p. 114.). Cette lettre,
adressée au lieutenant-colonel Ernest Grégoire, fut saisie après l'insuccès de
l'échauffourée de Gand, dont on trouvera les détails plus loin.)
Débats
préliminaires sur le choix du chef de l'État. Les réunionistes
Déjà le Congrès avait abordé la discussion des
conclusions prises par la section centrale sur la proposition de M. C.
Rodenbach relative au choix du chef de l'État. Ces débats préliminaires
occupèrent trois séances (du 11 au 13 janvier) et servirent à constater l'état
des opinions qui divisaient la
Belgique.
Un député de Mons, M. Blargnies,
prit le premier la parole pour appuyer la proposition de la section centrale
tendant à l'envoi de commissaires du Congrès à Paris et à Londres. Il voulait
que ces envoyés eussent mission d'offrir à Louis-Philippe le trône de la Belgique et d'appuyer
cette résolution à Londres. Du reste, il ne demandait pas une réunion pure et
simple, mais l'annexion de la
Belgique à la
France avec une vice-royauté à Bruxelles et l'acceptation de la Constitution belge.
Cette combinaison, suivant l'orateur, assurerait à la Belgique une prospérité
sans (page 183) laquelle elle
maudirait la révolution. N'était-elle pas indiquée par la nature elle-même ? La France et la Belgique ne sont-elles
pas unies par le langage, les mœurs, les habitudes, les nécessités de leur
commerce et d'une défense commune ? Et la France souffrirait-elle que les Belges permissent
aux puissances du Nord de pouvoir en quelques jours de marche s'élancer sur
Paris ? La vraie politique de Louis-Philippe appelle au Rhin. Or, il n'est que
deux modes d'existence pour la
Belgique : elle doit être l'avant-garde de la France ou celle de ses
ennemis. La neutralité est impossible (Note de bas de page : Nous
aurons plu» d'une fois à revenir sur ce grand principe de la nationalité belge.
Il nous suffira de faire connaître ici l'opinion émise par M. Thiers en 1831 :
« Il s'agissait de savoir quelle condition on ferait a la Belgique. On l'a
faite neutre. Cette neutralité fait sourire de grands politiques. Tant pis pour
leur intelligence. La neutralité sera ou ne sera pas respectée. Si elle l'est, la Belgique est à l'abri de
toute attaque, elle jouit de l'inviolabilité, et elle nous couvre, au lieu de
nous menacer, comme elle faisait, quand existait le royaume des Pays-Bas. Si la
neutralité n'est pas respectée, la
Belgique nous a pour alliés obligés, et nous avons droit
d'occuper militairement la
Meuse. Elle est respectée dans un cas, nous sommes obligés de
la soutenir dans l'autre, et nous étendons notre frontière jusqu'à la sienne.
De pareilles considérations nous portent à croire qu'on aimera mieux respecter
sa neutralité. » (La
Monarchie de 1830, p. 106.)). Ce discours de M. Blargnies avait captivé l'attention de l'assemblée ; il eut
aussi du retentissement au dehors, car il flattait les idées favorites d’une
certaine fraction de la chambre des députés de France. Quatre jours après, le
général Lamarque rappelait à la tribune française le décret du 9 vendémiaire an
IV ; et M. Mauguin s écriait que, dans ses idées, la Belgique était toujours
France !
Dans le sein du Congrès belge, les idées
développées par M. Blargnies furent appuyées par
d'autres députés des provinces wallonnes, et notamment par les députés de
Verviers, organes (page
184) des fabricants de cette industrieuse cité. Ils rappelaient que
Verviers avait joui, sous le règne de Napoléon et du système continental, des
immenses débouchés de l'empire français. A la chute de l'empire, les draps de
Verviers, exclus de la France,
avaient trouvé d'autres débouchés, notamment les échelles du Levant, que leur
avait ouverts le commerce hollandais, ou plutôt la bonne qualité et le bas prix
des tissus. Depuis que la révolution avait brusquement interrompu le mouvement
industriel, Verviers se plaignait d'autant plus vivement qu'il prospérait
davantage avant la rupture avec la
Hollande ; et c'était vers la France qu'il voulait
pousser le Congrès. Si la réunion s'était effectuée, il est certain qu'elle
aurait procuré d'abord de grands avantages aux industriels de Verviers ; mais
il est fort douteux que cette prospérité se fui maintenue. On rappelait que
Sedan, Louviers, Elbeuf, avaient aussi des fabriques de drap. Verviers, à cause
du bon marché de ses produits, aurait pu sans doute ravir momentanément à ces
villes rivales une bonne partie de leurs placements ; mais bientôt elles se
seraient efforcées de se placer sur le même rang, et l'écoulement facile et
extraordinaire des produits verviétois eût été
arrêté.
Les partisans de la réunion ou de la quasi-réunion
trouvèrent, au surplus, d'éloquents adversaires. M. Jottrand
démontra, en s'appuyant sur les annales du pays, que, depuis le démembrement de
l'empire de Charlemagne, la nationalité belge n'avait jamais voulu expirer dans
la nationalité française. La
Belgique avait été conquise plus d'une fois ; mais les mœurs
nationales, le caractère particulier du peuple, avaient survécu à toutes les
catastrophes. Répondant ensuite aux maîtres de forge du Hainaut et aux
fabricants de draps de Verviers, qui pétitionnaient en faveur de la réunion, M.
Jottrand leur prouva que cette combinaison,
préjudiciable aux autres producteurs, ne pouvait leur offrir, à eux, dans toute
hypothèse, que des avantages temporaires (page
185). M. Lebeau soutint aussi que le projet de réunion était impraticable,
impossible, après les déclarations réitérées du roi des Français et de son
gouvernement. « Cette réunion, ajouta- t-il, serait un motif de guerre
générale, de guerre à mort, non-seulement de l'absolutisme contre les idées
libérales, mais une guerre mortelle aux intérêts de la France et de la Belgique. L'Angleterre
sent trop bien tout ce que son industrie et son commerce auraient à souffrir
d'une telle réunion, pour ne pas s'y opposer. Souvenez-vous de ce que disait un
de ses plus grands ministres, l'illustre Canning : La possession du port d'Anvers par la France serait un sujet immédiat de guerre. »
L'orateur appuie ensuite l'envoi de commissaires à
Londres et à Paris. « Je n'ai pas perdu le souvenir, dit-il, qu'il avait été
question de nous donner pour roi un prince de Saxe, en réunissant à la Belgique les provinces
rhénanes. Cette combinaison a été agitée par le cabinet français, qui ne l'a
abandonnée que depuis peu de jours. Je voudrais que la France fût encore consultée
par nos commissaires sur cette réunion. Je demande aussi qu'ils soient
autorisés à poser la question du duc de Leuchtenberg
à Londres et à Paris. Si la répugnance de la France est invincible, il faudra nous soumettre ;
car nous devons ménager la
France : sans elle, sommes-nous assez forts pour faire ouvrir
l'Escaut, pour nous assurer la possession du Luxembourg ? Non, sans doute.
Mais, je le répète, avant de renoncer au duc de Leuchtenberg,
il faut que la répugnance de la
France soit bien constatée. Il faut aussi protester hautement
contre une minorité; il faut que nos commissaires fassent connaître notre
profonde répugnance pour tout ce qui ne nous ferait pas sortir immédiatement du
provisoire ; et si l'on nous réduit à la dernière extrémité, déclarer que la Belgique se constituera
en république. La question ainsi posée (page
186) entre le duc de Leuchtenberg et la
république, il est possible que la
France fasse de plus sérieuses réflexions et change de
détermination à notre égard. »
M. de Gerlache s'efforça également de modérer
l’élan irréfléchi qui se manifestait pour une réunion déguisée à la France ; suivant lui, ce
serait replacer la Belgique
dans la position où elle se trouvait en 1815.
« En effet, dit-il, si, poussée par une
aveugle ambition, la France
vous reçoit dans ses bras, malgré sa force invincible sur terre, elle peut
succomber dans la lutte, parce que l'Angleterre, terrible, invulnérable dans
son île, comme dans une citadelle, portera d'abord des coups mortels à sa
marine et à son commerce ! Combien celle qui a pu renverser le colosse élevé
par Napoléon ne doit-elle point paraître redoutable au pouvoir naissant et
encore mal affermi d'un souverain nouveau, ayant pour ennemis tous les
mécontents de l'intérieur et tous les partisans de la dynastie déchue ! Il
s'oppose d'ailleurs à ce que le Congrès s'occupe immédiatement de l'élection d
un chef de l'État ; avant de prendre une résolution définitive, il faut,
suivant lui, obtenir la libération réelle de l'Escaut, l'évacuation de la
citadelle d'Anvers et de Maestricht, puis encore lu possession incontestée de
Venloo. »
Les
candidatures « alternatives » : le prince Othon de Bavière, le
prince d’Orange, le prince Léopold de Saxe-Cobourg
Les membres du gouvernement, entraînés par les
dernières communications du Palais-Royal, s'étaient ralliés unanimement à la
candidature du prince Othon de Bavière Elle fut successivement défendue par MM.
Ch. Rogier, Félix de Mérode et Alex. Gendebien. Ce dernier déclara qu'il ne
voyait pas d'autre combinaison possible, et il en fit valoir tous les
avantages. Mais la candidature du prince Othon était peu populaire dans le sein
de l'assemblée ; on craignait, comme nous l'avons dit, les périls d'une
minorité.
M. de Robaulx surtout
s'éleva vivement contre une régence, et (page
187) se rendit même l'écho des accusations que les mécontents dirigeaient contre
le gouvernement provisoire.
M. Alex. Gendebien releva le gant. « ... Nous avons
commis des fautes, dit-il. Mais qui n'en eût pas commis à notre place ? Le
gouvernement provisoire s'est installé à l’hôtel de ville de Bruxelles, ayant
pour tout mobilier une table de bois blanc prise dans un corps de garde, et
deux bouteilles vides surmontées chacune d'une chandelle. Nos ressources, la
caisse municipale renfermait fl. 10-36; et c'est avec ces moyens que nous
n'avons pas désespéré de la victoire, que nous avons commencé à organiser en
entier l'armée, l'ordre judiciaire, l'administration des finances. Nous avons
pu faire des fautes, mais des gouvernements qui ont employé quinze ans pour le
même travail n'ont pas su s'en préserver ; et comment n'en aurions-nous pas
fait, nous qui avons tout organisé en six semaines, et pour ainsi dire au
milieu du champ de bataille ? L'élection du Congrès, l'installation du Congrès,
l'organisation de l'armée, la tranquillité rétablie, la confiance que les
provinces ont témoignée au Congrès national et au gouvernement provisoire,
malgré les basses intrigues, malgré les infâmes calomnies, fruits de quelques
amours-propres froissés, de quelques ambitions déçues, calomnies trop absurdes
pour nous atteindre, et auxquelles on ne donnerait quelque consistance qu'en
daignant les relever : voilà, messieurs, quelle a été notre tache ; et quoi
qu'en disent quelques esprits chagrins, je pense que nous avons fait quelque
bien et peu de mal. »
L'archiduc Charles d'Autriche, le duc Jean de Saxe,
le prince de Wasa et d'autres prétendants avaient
trouvé quelques adhérents dans le sein de l'assemblée. Mais ces candidatures
avaient passé presque inaperçues lorsque, dans la séance du 12, M. Maclagan,
député d'Ostende, monte à la tribune et s'exprime en ces termes :
(page 188)
Nous avons beau discuter ici, c'est ailleurs que notre sort se décidera.
Souvenez-vous de notre révolution de 1790. Les souverains ne consultèrent pas
nos intérêts, mais les leurs. Il est une combinaison qui concilierait tous les
intérêts et rétablirait nos relations commerciales avec la Hollande. Que nous
importerait l'origine du prince que nous choisirions ? Nos institutions, notre
armée, resteraient belges. Il n'y a... » On interrompt vivement l'orateur ; et
plusieurs membres s'écrient :
« - De qui parlez-vous ? »
M. Maclagan : «- Du
prince d'Orange!...»
L'assemblée est debout et proteste contre cet
audacieux défi : elle exige que l'orateur soit rappelé à l'ordre.
« - Je
rappelle à M. Maclagan, dit le président, qu'un décret
du Congrès a prononcé l'exclusion à perpétuité de la famille des Nassau, et
qu'il manque à l'ordre en demandant le rappel d'un membre de cette famille. »
M. Maclagan demande qu'il
lui soit permis d'expliquer sa pensée, en lisant la dernière phrase de son
discours : « Il n'y a, continue-t-il, entre nous et cette famille qu'un décret
du Congrès ; que ce décret soit rapporté!...»
« - Non! non! » s'écrie l'assemblée irritée. Des
murmures, des imprécations, des huées couvrent la voix de l'orateur orangiste
qui est enfin obligé d'abandonner la tribune (Note de bas de page :
Le 17 janvier, M. de Ryckere, député de Gand, donna
sa démission, en la motivant sur le mauvais accueil fait à M. Maclagan. Dans l'état où se trouvait la Belgique, il avait pensé
que l'indépendance du pays, l'intégrité de son territoire et son bien-être
matériel ne pouvaient être assurés que par une mesure exceptionnelle en faveur
du prince d'Orange à l'arrêt de déchéance prononcé contre la maison de Nassau.
« Telle est l'opinion, ajoutait-il, que j'aurais hautement exprimée en
présence de mes collègues, si une expérience récente ne m'avait convaincu de
l'impossibilité de faire écouler une semblable proposition au sein de
l'assemblée, et bien plus encore d'être admis à en déduire les motifs. »)
Plusieurs députés opposent à la candidature du
prince d'Orange (page 189) celle d
un chef choisi en Belgique même. Cette opinion est soutenue particulièrement
par quelques-uns des ecclésiastiques qui siégent au Congrès. M. Devaux attire
l'attention de l'assemblée indécise sur le prince Léopold de Saxe-Cobourg. « Il
me semble, dit-il, que la question a été un peu rétrécie ; on ne nous a
présenté d'autre alternative qu'un prince français, le duc Auguste de Leuchtenberg, ou le prince Othon de Bavière. Je crois
cependant qu'il est d'autres princes qui pourraient également nous convenir, et
sur lesquels on a passé légèrement peut-être; et, parmi ceux-là, je citerai le
prince Léopold de Saxe-Cobourg. Je sais la prévention qui existe dans cette
assemblée contre un prince anglais ; je sais que tout ce qui touche à
l'industrie se soulève contre un pareil choix ; mais on oublie que le prince de
Saxe-Cobourg n'est Anglais que par alliance, et que s'il s'alliait à la France, en acceptant la
couronne de la Belgique,
il deviendrait plus Français qu'Anglais. L'histoire nous apprend d'ailleurs,
messieurs, qu'un prince ne sacrifie pas les intérêts du pays qu'il est appelé à
gouverner à ceux d'un pays qui lui est devenu étranger. L'opinion générale est
encore défavorable à ce prince, parce qu'elle se prononce en faveur d'un
catholique. La manière dont j'ai voté sur les questions, mi-partie politiques,
mi-partie religieuses, qui ont été soumises à l'assemblée, me donne le droit
d'exprimer librement mon opinion sur ce sujet. J'ai pensé alors que la loi ne
devait être ni catholique ni anticatholique, mais seulement juste et libérale ;
et dans le même sens, je ne puis concevoir l'exclusion d'un prince non
catholique ; s'il est catholique, c'est bien ; s'il ne l'est pas, c'est bien
encore, et je dirai plus, si dans l'élection (page 190) il pouvait y avoir une préférence, elle devrait être pour
un prince non catholique; car d'après les bases de notre future constitution ,
il n'y a plus qu'une oppression à redouter, c'est celle de la majorité. Toute
notre organisation politique repose, en effet, sur le système électif, et le
système électif est le règne de la majorité. La majorité étant catholique chez
nous, il serait peut-être à désirer que le chef du pouvoir exécutif ne le fut pas.
»
M. C.
Rodenbach dépose une nouvelle proposition tendant à fixer un jour pour procéder
au choix du chef de l'État.
Les conclusions de la section centrale n'avaient
pas trouvé beaucoup d'adhérents. Les uns les repoussaient afin de s'affranchir
de la tutelle des grandes puissances ; les autres pour ne pas faire peser des
soupçons injustes sur les délégués du gouvernement provisoire. Le 13 janvier,
l'assemblée décida par cent dix-sept voix contre soixante-deux qu’elle
n'enverrait pas des commissaires à l'étranger. Elle rejeta aussi une
proposition de M. Devaux, qui tendait à adjoindre quatre membres du Congrès au
comité diplomatique pour se concerter avec lui sur toutes les mesures à prendre
à l'effet d'éclairer l'assemblée nationale dans le choix du chef de l'État.
Alors M. C. Rodenbach déposa une nouvelle proposition, par laquelle il
demandait que le Congrès national fixât définitivement un jour pour procéder au
choix du chef de l'Etat. Une autre proposition de M. Duval de Beaulieu était
ainsi conçue :
« 1° Les
commissaires belges, envoyés auprès de la conférence à Londres, sont chargés de
prendre et de transmettre au Congrès, dans le plus bref délai, des
renseignements positifs sur tout ce qui peut être relatif au choix du chef de
l'État en Belgique, soit sous le rapport du territoire, soit sous le rapport
des intérêts commerciaux, soit sous le rapport des alliances.
« 2° Ils s'assureront, en outre, et
spécialement, si un accroissement de territoire au moyen d'échange, soit avec
le roi de (page 191) Saxe, soit avec
le duc de Brunswick , soit par d'autres combinaisons, ne pourrait pas
satisfaire à l'objet indiqué au protocole du 20 décembre dernier : « un juste équilibre en Europe, et assurer le
maintien de la paix générale. »
Le 14,
M. C. Rodenbach fut admis à développer sa proposition.
« Les menées du parti orangiste sont flagrantes,
dit-il. S'il faut en croire des nouvelles particulières de Londres, il parait
que les cabinets anglais, russe et prussien, intriguent ouvertement en faveur
d'un prince que nous avons exclu, et cherchent, pour atteindre leur but, a
retarder, par des voies détournées, la possession du Luxembourg et la libre
navigation de l'Escaut. Oui, la faction orangiste cherche à semer le trouble ;
elle provoque le désordre ; elle appelle la guerre civile. N'a-t-elle pas
trouvé un écho dans cette enceinte même où nous avons proclamé la déchéance des
Nassau ? »
M. Rodenbach signale ensuite d'autres intrigues : «
Des agents de divers partis excitent l'armée à pétitionner en faveur d'un prince
; si vous laissez venir les choses à ce point, que répondrez-vous à l'armée?
Vous élèverez-vous contre elle ? Encore un peu de temps, et les divisions qui
commencent à régner vont nous entraîner vers l'anarchie. »
Il ajoute que, dans les provinces, le peuple
murmure de lassitude ; qu'il est prêt à embrasser le parti qui lui présentera
une apparence de calme, de tranquillité, ce parti fût-il le plus désastreux
dans ses suites. Or il importe d'enlever à jamais aux ennemis de la Belgique de vaines et coupables
espérances.
« Je le déclare hautement, ajoute-t-il en
finissant, il faut être ennemi de son pays, ou conserver quelque arrière-pensée
pour ne pas vouloir reconnaître la nécessité urgente du choix du chef de
l'État... «
Ces dernières paroles excitent un violent tumulte
dans une (page 192) partie de
l'assemblée. Plusieurs membres demandent à grand cris le rappel à l'ordre de
l’orateur. Mais, impassible à la tribune, il laisse passer cet orage. L'orage
se calma, en effet, lorsque le président eut déclaré que l’intention de M.
Rodenbach avait été mal interprétée.
L'assemblée, reconnaissant ensuite l'urgence des
propositions déposées par MM. C. Rodenbach et Duval de Beaulieu
, les renvoie l'une et l'autre aux sections.
Chapitre suivant