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« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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LIVRE PREMIER.
LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE
CHAPITRE
XIV
Alternative
entre régence et lieutenance générale
(page 281)
Dans la séance du 19 février, la section centrale avait déposé son rapport sur
la proposition de M. Lebeau tendant à la nomination d'un lieutenant général du
royaume. Elle était d'avis : 1° de nommer un régent ; 2° de déclarer
Il fallait cependant sauvegarder les droits du
Congrès : la nomination d'un régent ne pouvait mettre fin à sa mission ; comme
corps constituant, il ne devait rien aliéner de ses hautes prérogatives. C'est
pourquoi M. Van de Weyer demanda que l'on ajoutât aux conclusions de la section
centrale que le Congrès, en nommant le régent, entendait bien se réserver le
droit de procéder ultérieurement au choix du chef de 1’État. M. Nothomb se
chargea ensuite de définir clairement quelle serait la position du Congrès
après l'élection du régent. « Fixons d'abord nos idées, dit-il, sur la nature
de notre mandat. L'arrêté du 6 octobre 1830 porte qu'il sera convoque un
Congrès, charge de fixer le sort du pays : en nommant un régent, fixons-nous le
sort du pays ? (page 284) Non,
messieurs, nous ne pouvons nous le dissimuler : le provisoire, tel qu'il
existe, ne peut se prolonger, et nous sommes dans l'impuissance de produire du
définitif. On a dit que le cas est prévu par
A la fin de la séance du
M. Surlet
de Chokier, président du Congrès, est nommé régent de
Dès le lendemain, l'assemblée nationale procéda à
la nomination du régent. Deux candidats étaient particulièrement désignés pour
occuper la haute magistrature que l'on venait d instituer. Le vénérable
président du Congrès s'était concilié les sympathies les plus nombreuses ;
quelques membres, catholiques et libéraux, croyaient cependant qu'un frère du
martyr de Berchem représenterait mieux le principe de la révolution. Du reste,
les deux rivaux s'étaient mis d'accord par le compromis le plus honorable. Un
député, leur ami commun, avait reçu de leur part, au commencement de la séance
du 24, un billet signé de tous deux et conçu en ces termes : « Faites ce que
vous trouverez bon : nous sommes d'accord, 24 février. E. SURLET DE CHOKIER.
FÉLIX DE MÉRODE. »
Cet ami se proposait, avec cette autorisation, de
déclarer, si le premier scrutin avait laissé la majorité incertaine, que celui
des deux candidats qui avait obtenu le moins de voix renonçait à la
candidature. Il ne fut pas nécessaire de recourir à ce moyen. Sur cent
cinquante-sept votants, M. Surlet de Chokier obtint cent huit suffrages, M.
Félix de Mérode quarante-trois, et M. de Gerlache cinq. Celui-ci, qui présidait
l'assemblée, proclama en ces termes la nomination du régent :
(page 286)
« AU NOM DU PEUPLE BELGE, LE CONGRÈS NATIONAL,Décrète :
« M. ÉRASME-LOUIS , baron SURLET DE CHOKIER, est
nommé régent de
« Il n'entrera en fonctions qu'après avoir prête le
serment prescrit par l'art. 80 de
Quatre salves d'applaudissements accueillirent
cette proclamation.
Une députation de dix membres, ayant à sa tête M.
de Gerlache, sortit immédiatement de la salle pour faire connaître à M. Surlet
la décision de l'assemblée nationale. Elle se rendit à pied et sans appareil au
modeste logement que le président du Congrès occupait rue des Carrières. M.
Surlet reçut ses collègues avec cette effusion de bonté qui faisait le charme
de son caractère. M. de Gerlache lui dit que son nom, sorti de l'urne, avait
été accueilli par les acclamations générales de l'assemblée ; que sa nomination
était un témoignage éclatant de gratitude nationale, accordée à une vie sans reproche,
à des services signalés rendus à la cause publique dans des circonstances
difficiles. Le régent répondit : « — Après une longue carrière, toute de
dévouement, quel meilleur emploi puis-je faire des jours qui me restent à vivre
que de les offrir à mon pays ? Mais n'oubliez pas que j'ai besoin de votre
confiance, de votre amitié, de votre coopération !... »
Les simples et nobles paroles de M. Surlet,
rapportées au Congrès, excitèrent un enthousiasme qui faisait bien augurer pour
le nouveau gouvernement qui devait être installé le lendemain.
Résolution
irrévocable prise par le Congrès relativement aux décrets du 18 et du 24
novembre 1830 sur l'indépendance nationale et l'exclusion des membres de la
famille de Nassau.
Il importait cependant de se précautionner contre
toutes les éventualités. Aussi M. Devaux avait-il déposé une proposition (page 287) tendant à déclarer
constitutionnels les décrets du 18 et du 24 novembre 1830 sur l'indépendance
nationale et l'exclusion des membres de la famille de Nassau de tout pouvoir en
Belgique. M. Beyts voulut renforcer ces précautions en faisant déclarer que le
Congrès avait rendu les décrets du 18 et du 24 novembre 1830 comme corps
constituant. « La différence, dit-il, est très grande. Si les décrets étaient
déclarés constitutionnels, le corps législatif pourrait les rapporter en vertu
des articles de
Installation
du régent dans la séance solennelle du 25 février.
Le vendredi, 25 février 1831, le Congrès inaugura
le régent. Cette séance fut solennelle.
A une heure, M. de Gerlache, vice-président, monte
au bureau; tous les députés se trouvaient à leurs bancs ; les tribunes étaient
envahies. Un trône en velours cramoisi était placé sur une estrade au-dessous
du bureau ; on y voyait brodée en lettres d'or la devise nationale : L'union
fait la force ; derrière le fauteuil du président, le mur était tapissé d'un
faisceau de lances et de drapeaux aux couleurs belges, surmontés de couronnes
de lauriers. Bientôt le bruit du canon et des acclamations de la multitude, le
son des cloches et le roulement des tambours annoncèrent l'arrivée du régent.
Sa voiture, attelée de deux chevaux seulement, s'avançait lentement au milieu
des flots pressés du peuple. M. Surlet, vêtu d'un simple habit noir, fut reçu
sous le péristyle du Palais de la nation par les officiers généraux de la garde
civique et de l'armée ; il traversa le grand vestibule (page 288) au milieu d'une haie de gardes civiques qui lui
présentaient les armes ; enfin, au pied du grand escalier, il trouva une députation
du Congrès.
A son entrée dans la salle, les membres de
l'assemblée et les spectateurs se lèvent spontanément au milieu des
applaudissements et des acclamations qui éclatent de toutes parts. Le régent
monte les marches de l'estrade et se tient debout à côté du trône; à droite, se
range l'état-major de la garde civique; à gauche, l'état-major de l'armée. Un
des secrétaires de l'assemblée, M. le vicomte Ch. Vilain XIIII, au pied de
l'estrade, donne lecture du décret du Congrès, qui appelle à la régence
Érasme-Louis, baron Surlet de Chokier. «—Je me conforme, répond le régent, à la
volonté du Congrès national. » M. Vilain XIIII donne ensuite lecture du décret
du 24 février qui statue que c'est comme corps constituant que le Congrès a
rendu ses décrets du 18 et du 24 novembre 1830 sur l'indépendance du pays et
sur l'exclusion à perpétuité des membres de la famille d'Orange-Nassau de tout
pouvoir en Belgique. Le régent répond : « — Je me conforme de nouveau à cette
résolution de l'assemblée. » Le même secrétaire, déployant alors une large
feuille de vélin sur laquelle était écrite
Refusant de s'asseoir dans le fauteuil royal, le
régent veut prononcer debout, en avant du trône, le discours qui doit être (page 289) comme le programme de son
administration. Il commence par réclamer le concours sympathique de
l'assemblée, qui lui avait conféré la plus haute magistrature qu'un citoyen
puisse ambitionner. Il poursuit en ces termes : « Dieu, qui protége évidemment,
et d'une manière toute particulière, le peuple belge, l'a doué d'une sagesse,
d'une prudence et d'une modération qui excitent l'admiration des nations
voisines. Elles ont peine à croire que, depuis six mois qu il est en
révolution, il ne se soit souillé d'aucun excès, et que le gouvernement, né des
circonstances, sans force, sans appui, sans armée, sans finances, sans police,
et en présence d'un ennemi menaçant, fort seulement de son dévouement
patriotique à la cause sacrée de la liberté, et de la juste confiance qu'il a
inspirée, et su mériter, dépose aujourd'hui le pouvoir avec la satisfaction de
se dire : « Je n'ai jamais dû employer la force pour réprimer aucun désordre
, tant est grande la sagesse de la nation qui a mis sa confiance en nous :
c'est ainsi quelle a répondu à notre dévouement, à nos constants efforts pour
assurer son bonheur et son indépendance ; c'est aussi pour nous la plus belle,
la plus douce des récompenses qu'elle puisse nous décerner. » Dieu veuille,
messieurs, que nos efforts soient couronnés d'un aussi glorieux succès ! »
Le régent déclare ensuite qu'il s'occupera sans
relâche, avec les ministres, des diverses branches de l'administration publique
; qu'un de ses premiers soins sera de constater l'état actuel du royaume, pour
être à même d'apprécier ses ressources, ses besoins, et pour pouvoir, à
l'expiration de son mandat, rendre compte de son administration ; il ajoute que
l'objet principal de ses soins sera de faire sortir le pays le plus tôt
possible du l'état provisoire pour passer à un ordre de choses définitif. « Par
le serment que je viens de prêter, dit-il en finissant, je promets de maintenir
l'indépendance nationale. Je réitère et répète cette clause de mon serment.
Jamais, non jamais, je ne concourrai (page
290), ni directement, ni indirectement, ni par faiblesse, à aliéner la
nationalité de notre patrie. Si les événements, plus forts que notre puissance,
en disposaient autrement, j'abdiquerais le pouvoir, et, comme simple citoyen,
je me soumettrais à la loi impérieuse de la nécessité, mais comme fonctionnaire
public, jamais ! » En entendant cette énergique déclaration, l'assemblée tout
entière se lève comme par un mouvement électrique, et la voix du vénérable
régent expire dans des acclamations sans fin. L'émotion est peinte sur tous les
visages; les députés ne cachent pas les larmes d'attendrissement qui coulent de
leurs yeux.
Lorsque le calme se fut rétabli, le président du
Congrès, prenant la parole, rendit un hommage mérité aux vertus de ce vieillard
élevé à la première magistrature par les suffrages de ses égaux. « La nation,
dit-il, voulait une monarchie constitutionnelle. Après avoir tenté un premier
effort pour réaliser son vœu, que pouvait-elle faire de mieux que de concentrer
dans une seule main les pouvoirs jusqu'ici trop divisés ? Vous êtes accueilli
par elle comme ouvrant un avenir nouveau, un avenir de stabilité. » M. de
Gerlache constate ensuite les services déjà rendus par le Congrès « Il ne
m'appartient pas, dit-il, d'en exalter les travaux, et le temps n'est pas venu
de les apprécier ; mais quand nous n'aurions eu que le mérite de réunir en peu
de mots dans notre Constitution toutes les libertés qu'on ne trouve guère
ailleurs que dans les livres, il me semble qu'elle mériterait encore d’être
mentionnée dans l’histoire. Je ne pense pas que jamais assemblée nationale ait
présenté pareille union, pareil accord de vues, pareille condescendance de la
majorité aux désirs de la minorité, pour conserver la paix. » M. de Gerlache
signale, enfin, les orages qui menacent
En ce moment même, le régent se rendit encore plus
populaire par un trait admirable de modestie. A sa sortie du Palais de la
nation, les blessés de septembre et d'autres citoyens voulurent dételer les
chevaux de sa voiture afin de la traîner eux-mêmes. Pour se soustraire à cette
ovation, le régent accepte le parapluie d'un citoyen qui se trouvait auprès de
lui et se dirige à pied vers le Parc. La garde civique ouvre respectueusement ses
rangs et le premier magistrat du pays, se dérobant aux acclamations dont il est
l'objet, regagne sans appareil l'hôtel de
(page 292)
L'installation du régent mettait fin à la périlleuse mission du gouvernement
provisoire. Il venait de faire parvenir au bureau du Congrès l'acte par lequel
il déposait le pouvoir exécutif qui lui avait été conféré. En même temps, il
faisait publier la proclamation suivante, que l'histoire doit recueillir comme
un hommage éclatant rendu à la loyauté, au patriotisme et à la sagesse du
peuple belge :
« PROCLAMATION.
« LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE DE
« En quittant le pouvoir où nous avait appelés
l'énergie révolutionnaire, et dans lequel le Congrès national nous a maintenus,
nous nous faisons un devoir de proclamer, à la face de l'Europe, que la
conduite pleine de loyauté, de bon sens et de dévouement de la nation belge, ne
s'est pas démentie un seul jour pendant toute la durée de noire pouvoir. Le
gouvernement provisoire emporte la satisfaction bien chère de s'être vu, dans
les moments les plus difficiles, toujours obéi, toujours secondé.
« Si, en retour de ses efforts, il pouvait avoir quelque
chose a demander à ses concitoyens, ce serait de les voir continuer à suivre,
sous le vénérable régent que le Congrès vient de leur donner, cette admirable
ligne de conduite qui leur a mérité la réputation du peuple le plus raisonnable
de l'Europe, après s'être montré l'égal des plus braves.
« Vive
« ALEX. GENDEBIEN, Ch. ROGIER, SYLVAIN VAN DE
WEYER, Cte FÉLIX DE MÉRODE , F. DE COPPIN , JOLLY, VANDENLINDEN. »
La nation ne devait pas se montrer ingrate envers
les courageux citoyens qui s'étaient si honorablement dévoués pour elle (page 293) A peine le régent eût-il
quitté le palais législatif que le Congrès, adoptant une proposition déposée
par M. Desmanet de Biesme, décrète par acclamation que le gouvernement
provisoire a bien mérité de la patrie. Cependant M. Beyts fait remarquer que le
Congrès ne doit pas se contenter de voter des remercîments aux citoyens qui
s'étaient placés au premier rang par leur dévouement à la chose publique et par
leur courage au jour du danger. « Parmi les membres du gouvernement provisoire,
dit-il, il en est qui, sortis sans fortune du rang de simples citoyens, vont y
rentrer plus pauvres qu ils n'étaient auparavant : s'ils sont assez
désintéressés pour se contenter d'avoir fait leur devoir, il est impossible que
la nation se contente de leur voter des remercîments. Je demande donc qu'il
soit nommé une commission qui soumettra au Congrès les moyens à prendre pour
leur décerner une récompense nationale , et je pense que j'aurai facilement
l'appui de cinq membres pour ma proposition. » — Oui ! oui ! s'écrie
l'assemblée tout entière en se levant. — La commission fut nommée séance
tenante, et le lendemain le Congrès adopta un nouveau décret qui allouait une
indemnité de cent cinquante mille florins aux membres du gouvernement
provisoire.
Lorsque, après vingt ans,