« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e
tome : Livres III et IV)
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LIVRE
PREMIER. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE
La France soutient
la candidature du prince de Capoue
(page 217)
Conformément à la décision prise par le Congrès, M. de Celles s'était adressé à
M. le comte Sébastiani pour obtenir de nouveaux (page 218) renseignements sur tout ce
qui pouvait être relatif au choix du chef de l'État en Belgique, sous le
rapport du territoire, des intérêts commerciaux et des alliances. La réponse du
comte Sébastiani, communiquée le 24 janvier au
Congrès, était conçue en termes vagues et généraux. Le ministre faisait
remarquer que le choix du souverain était un acte dont dépendrait le sort futur
de la Belgique.
« On ne saurait donc apporter, disait-il, trop de réflexion, de temps, de
maturité : quoique la liberté de ce choix soit absolue, le Congrès ne saurait
cependant oublier que la
Belgique, au moment où elle est devenue un Etat indépendant,
et va occuper une place si importante parmi les puissances européennes, doit
montrer qu'elle sait allier l'exercice de ses droits avec les égards et les
ménagements que conseille avec les autres puissances une sage politique. » Il
se plaignait ensuite de l'époque, beaucoup trop rapprochée, fixée par le
Congrès pour procéder au choix du souverain. Il déclarait aussi que l'étendue du
territoire du nouvel État ne saurait être fixée sans le concours des puissances
intéressées ; mais que la
France ne perdrait jamais de vue que cette étendue devait
être de nature à assurer à la
Belgique des frontières naturelles d'une défense facile et à
ménager avec soin tous ses intérêts agricoles, industriels et commerciaux. Il
ajoutait que la Belgique
devait être bien convaincue que la
France lui assurerait tous les avantages compatibles avec les
intérêts de sa propre industrie et de son commerce. Il finissait par la
question des alliances éventuelles : « Un Etat nouveau et indépendant ne doit
pas, disait-il, se hâter de contracter des alliances. Quant à l'alliance de la France, elle est à jamais
assurée à la Belgique.
Les Belges savent combien cette alliance leur a déjà été
utile, et ils ne doivent pas douter de la continuation de l'affectueuse
sollicitude du gouvernement du roi.
La pensée réelle du cabinet français fut clairement
indiquée dans une lettre très intéressante expédiée, le 24, par M. de celles (page 219) au comte d'Arschot. « La réunion à la France, disait l'envoyé
belge, ne se fera pas, quoi qu'il puisse arriver. Déjà les députés du nord et
autres manufacturiers s'y opposent. C'est une chose certaine, irrévocable. Mais
avec le prince Charles de Naples et une princesse de France, nous avons notre
indépendance, nos lois, la protection de la France, un traité de commerce fort avantageux Le
prince Charles de Naples est la seule combinaison possible pour éviter le
partage de notre pays et tous les malheurs. Il faut que cela soit ainsi, ou
nous succombons… Encore une fois, la réunion à la France, fût-elle demandée
unanimement par la nation et par le Congrès en masse, elle ne se ferait pas. La France ne le veut pas, les
intérêts de son repos, de sa prospérité même, s'y opposent. »
Interpellations
dans le Congrès relativement au blocus de la Meuse.
La communication de la dépêche de M. Sébastiani avait été accueillie avec froideur. Le Congrès, sans
s'y arrêter, porta immédiatement son attention sur d'autres objets. Quatre
députés du Limbourg invitèrent le président du comité diplomatique à donner des
renseignements sur le point de savoir si, depuis que les troupes belges
s'étaient éloignées de Maastricht, des mesures avaient été prises pour assurer
la libre navigation de la Meuse,
bloquée depuis trois mois de Venloo à Liége. M. d Arschot
répondit que le parlementaire envoyé à cet effet par le général commandant les
troupes belges au général Dibbets, commandant de
Maastricht, n'avait pas été reçu par ce dernier. Il fallait donc se servir de
l'intermédiaire des commissaires de la conférence pour traiter cette affaire à La Haye. Cette réponse
excita le courroux de M. de Robaulx contre le
gouvernement hollandais. « Nous avons été dupes de notre bonne foi,
s'écria-t-il, en exécutant l'armistice; ne le soyons pas plus longtemps.
Reprenons l’offensive, c'est le seul moyeu d'en finir avec un ennemi sans foi.»
Les applaudissements les plus bruyants accueillirent ce défi. Alors M. de Robaulx reproduisit la protestation, qu'il avait déjà (page 220) présentée dans le comité
général du 16 janvier, contre toute intervention des puissances étrangères dans
les affaires de la
Belgique. Cette proposition, ayant été appuyée, fut renvoyée
aux sections. Aussitôt un membre demande communication de la réponse faite par
le comité diplomatique au protocole du 9 janvier, cette réponse pouvant avoir
une grande influence sur In manière d'envisager la proposition de M. de Robaulx.
La note du comité diplomatique, en date du 18
janvier, était digne et ferme. Le comité annonçait que les troupes belges
reprendraient, le 20 janvier, les positions qu'elles occupaient le 21 novembre;
mais que le gouvernement provisoire, en agissant avec cette entière bonne foi,
avait droit de compter, pour le 20 janvier, sur la complète exécution des
engagements de la Hollande.
« Si ce juste espoir était encore déçu, poursuivait-il, si l'Escaut restait
fermé, après deux mois de réclamations et d'attente vaine, il est dans les
desseins du comité de déclarer qu'il serait extrêmement difficile d'arrêter le
cri de guerre de la nation et l'élan de l'armée. Le gouvernement de la Belgique n'a pas entendu
s'obliger envers les puissances par un engagement dont aucune circonstance ne
put le délier ; il n'a pas abdiqué surtout le droit qui appartient a toute
nation de soutenir elle-même, par la force des armes, la justice de sa cause,
si les lois de la justice étaient, envers elle, violées ou méconnues. Il lui
parait, au surplus, incontestable que toute convention dont l'effet serait de
résoudre les questions de territoire ou de finances, ou bien d'affecter
l’indépendance ou tout autre droit absolu de la nation belge, est
essentiellement dans les pouvoirs du Congrès national ; qu à lui seul en
appartient la conclusion définitive. C'est aussi parce que les propositions des
puissances n'affectaient aucun de ces droits et de ces hauts intérêts ; parce
qu'elles avaient pour objet un état purement temporaire et transitoire, comme
la nature mémo de ses attributions (page
221), que le gouvernement belge a cru pouvoir et a pu, en effet, y donner
son adhésion. Le comité ajoutera cette considération, bien grave, que toute
autre interprétation de l'esprit des négociations suivies jusqu'à ce jour et de
leurs résultats transformerait réellement la démarche amicale des puissances en
une intervention directe et positive dans les affaires de la Belgique, intervention
dont le Congrès a formellement repousser le principe, et qui paraîtrait au
comité non moins incompatible avec la paix générale de l'Europe qu'avec
l'indépendance de la nation. » Cette note, qui reflétait les sentiments de
l'assemblée nationale, fut accueillie avec faveur.
Soutiens
accordés aux deux principaux candidats : le duc de Leuchtenberg et le duc de Nemours. Premières démarches au
sein du Congrès
Le moment fixé pour le choix du souverain
approchait. L'anxiété était vive. Cependant une grande partie de la nation se
prononçait pour le duc de Leuchtenberg ; en quelques
jours, le fils d'Eugène de Beauharnais avait conquis une popularité imposante.
On était avide de détails sur le jeune prince que l'on considérait comme le
chef futur de l'État ; on se disputait ses portraits ; on avait même couronné
son buste au théâtre de Bruxelles. Son acceptation d'ailleurs ne paraissait pas
douteuse, on avait connaissance de l'adhésion qu'il avait transmise au duc de
Bassano. D'autres circonstances contribuèrent à garantir cette adhésion. Le
colonel Méjan, ancien aide de camp du prince Eugène
et chambellan du roi de Bavière, en se rendant à Paris, passa deux jours à
Bruxelles, où se trouvait déjà, depuis une semaine, le chevalier d'Asda, ancien page du vice-roi d Italie. Il affirma de la
manière la plus positive que le prince Auguste accepterait la couronne des
Belges, et qu'il serait à Bruxelles douze jours après l'élection.
Pour faire échouer une candidature dont le succès
paraissait assuré, une contre-proposition fut opposée à celle de M. Lebeau. Le
25, il fut donné lecture au Congrès d'un projet de décret par lequel
cinquante-deux députés, ayant en tête M. Surlet de Chokier, (page 222)
proposaient l'élection du duc de Nemours. La plupart des signataires
appartenaient aux districts industriels du Hainaut et de la province de Liége. M.
Barthélemy, chargé de développer la proposition qui venait d'être soumise à
l'assemblée, présenta le choix du duc de Leuchtenberg
comme un acte d hostilité et d'ingratitude à l'égard de la France. Il ajouta qu'après
avoir tout employé pour écarter la candidature du duc de Nemours,
Louis-Philippe pourrait enfin y adhérer sans être accusé d'ambition. « Si la France cède, dit-il, c'est
pour nous donner la paix, et faire cesser l'une des causes qui pourraient
servir de prétexte à troubler celle de l'Europe. Nous disons prétexte, car
l'avènement d'un prince cadet de la maison de France au trône de la Belgique ne pourra jamais
être regardé, par aucun publiciste, comme étant de nature à occasionner la
moindre perturbation dans l'équilibre des puissances. C'est l'état actuel qui
est une cause de perturbation dans l'équilibre, parce qu'il y a eu abus de la
victoire en 1814, et là où il y a eu action trop violente, il y a cause
perpétuelle de réaction. » Les tendances françaises de l'orateur lui avaient
caché les enseignements les plus clairs de l'histoire moderne. M. de Gerlache
dit ensuite qu'il n'avait pas hésité à signer une contre-proposition en faveur
du duc de Nemours parce que la manière de procéder qu'on voulait faire adopter
au Congrès lui avait paru imprudente et prématurée Il ajouta que, quant à
présent, il n'avait point de candidat de prédilection ; qu'il n'entendait pas
décider entre le duc de Leuchtenberg et le duc de
Nemours, et qu'il se réservait le droit de voter même en faveur du premier.
D'autres députés déclarèrent partager l'opinion de M. de Gerlache et n'avoir
pas entendu se lier en signant la proposition en faveur du duc de Nemours. M.
Lebeau repoussa les reproches que M. de Gerlache lui avait adressés. Sa
proposition n'était pas imprudente, dit-il, car elle tendait à faire un choix
dans lequel il espérait que la (page 223)
Belgique trouverait son bonheur ; elle n'était pas prématurée, car elle ne
tendait pas a faire ouvrir la discussion avant l'époque fixée pur le Congrès.
L'assemblée décida que la proposition en faveur du
duc de Nemours serait également renvoyée aux sections. Dans ce moment, on
déposait le rapport de la section centrale sur la proposition de M. Lebeau,
tendant à la proclamation du duc de Leuchtenberg. Le
rapport concluait à ce que le Congrès se réunit le lendemain en comité général,
à l'effet de procéder à une discussion préparatoire sur les questions relatives
au choix du chef de l'Etat. Ces conclusions furent rejetées par
quatre-vingt-huit voix contre soixante et dix-sept.
De nombreuses pétitions avaient été adressées au
Congrès en faveur des candidats qui occupaient l'attention publique. Il
résultait du dépouillement que Louis-Philippe, le duc de Nemours et le duc de Leuchtenberg avaient obtenu le plus grand nombre de signatures
: Louis-Philippe, 607; le duc de Nemours, 614 ; le duc de Leuchtenberg,
3,695. Le prince de Capoue n'avait fait l'objet d'aucune pétition. Plusieurs
demandaient la réunion à la
France ; ces dernières étaient presque toutes signées par des
habitants de VerViers ou d'autres localités des provinces wallonnes ; elles
représentaient environ 3,720 signatures. M. Osy pria le Congrès de repousser
par l'ordre du jour toutes les pétitions qui demandaient la réunion à la France, parce qu'elles
étaient contraires au décret par lequel l'assemblée nationale avait déclaré la Belgique indépendante. M.
le marquis de Rodes, l'abbé de Haerne, M. Lebeau et M Jottrand
appuyèrent avec énergie la proposition de M. Osy. M. de Robaulx
et deux députés de Verviers, MM. David et Lardinois, la combattirent comme
attentatoire au droit des pétitionnaires. L'assemblée repoussa néanmoins par
l'ordre du jour les pétitions qui avaient pour objet la réunion pure et simple
à la France.
Rapport de
M. Van de Weyer sur sa mission à Londres.
(page 224) Enfin
arriva le jour fixé pour le choix du souverain. La foule des spectateurs, qui
était déjà grande les jours précédents, s'était considérablement accrue dans
les tribunes du Congrès. Cependant l'attente générale fut déçue. La séance du
28 fut absorbée par le rapport de M. Van de Weyer sur sa mission à Londres, et
par la discussion d'un décret sur le mode d'élection du chef de l'État.
Après avoir appris que l'Escaut était libre, les
commissaires belges, envoyés à Londres, avaient demandé, le 23 janvier, à lord
Palmerston, que la conférence voulût bien entrer en communication avec eux. Le
lendemain, lord Palmerston leur fit savoir que la conférence, ayant sous les
yeux les informations nécessaires de la part des plénipotentiaires du roi des Pays-Bas
sur le partage des dettes et sur les arrangements commerciaux qui pourraient
être faits relativement à la
Belgique, désirerait recevoir le plus tôt possible, et par
écrit, des renseignements de la part des commissaires belges sur ces deux
objets. Ils répondirent, le 25, à lord Palmerston, que la nature de cette
demande était telle quelle exigeait qu'ils demandassent eux-mêmes des
instructions à cet égard. En effet, le gouvernement provisoire ne pouvait
traiter ni du partage de la dette, ni du territoire, ni d'aucune question
définitive ; au Congrès seul appartenait la décision de ces questions. MM. Van
de Weyer et H. Vilain XIIII quittèrent Londres en y laissant M. Behr,
secrétaire de la légation belge, pour recevoir, en attendant leur retour, les
communications de lord Palmerston. En terminant son rapport, M. Van de Weyer
toucha la question à l'ordre du jour, mais pour déclarer qu'il n'avait aucune
communication à faire au Congrès. Les commissaires du gouvernement belge
n'ayant pas mission de traiter la question du partage des dettes et des
arrangements commerciaux qui pourraient être faits relativement à la Belgique, à plus forte
raison avaient-ils dû s'abstenir de parler du choix du souverain. Cette
question, comme les autres, ajouta (page
225) M. Van de Weyer, ne peut être décidée que par le Congrés
; aussi tout ce qui a été dit à cet égard, soit de nos rapports avec le prince
d'Orange, soit de nos démarches pour le prince Othon, tous ces bruits sont
dénués de fondement. Si nous sommes revenus de Londres, c'est d'abord pour
communiquer au Congrès ce qui se passe relativement au partage de la dette,
ensuite pour remplir un devoir qui nous est imposé comme membres du Congrès et
comme citoyens ; mais, je dois le dire, nous venons participer à ce grand œuvre,
libres de toute influence étrangère, et nous ne prendrons pas nos inspirations
dans des communications diplomatiques. »
Le Congrès
arrête le mode d'élection du chef de l'État.
Le décret sur le mode d'élection du chef de l'État,
adopté par le Congrès, portait en substance que les votes seraient émis par
bulletins signés, dont le dépouillement serait fait publiquement et à haute
voix par une commission de huit membres, désignés par la voie du sort ; que le
scrutin s'établirait entre tous les candidats indistinctement qu'il plairait à
chaque membre de porter ; que si, au premier tour de scrutin, aucun candidat
n'obtenait la majorité de cent une voix, on procéderait à un second tour de
scrutin, et alors l'élection serait faite à la majorité absolue des votants ;
que si, après trois tours de scrutin, aucun candidat n'avait obtenu la majorité
requise, il serait procédé à un scrutin particulier entre les deux candidats
qui auraient réuni le plus de voix à la dernière épreuve, et que, dans cette
hypothèse, tout suffrage donné à d'autres candidats serait nul. Le 29, le
Congrès adopta le décret sur le mode de proclamation et d'acceptation du chef
de l'État. L'élu devait accepter la Constitution, telle qu'elle serait décrétée par
le Congrès, et jurer de l'observer ainsi que de maintenir l'indépendance et
l'intégrité du territoire.
Déclarations
de lord Ponsonby relativement à la candidature des
dues de Nemours et de Leuchtenberg.
Nous avons dit que la force du parti de Leuchtenberg s'était accrue. Les injonctions du cabinet du
Palais-Royal, le ton hautain de M. Sébastiani,
avaient fait passer de son côté toute l'autorité (page 226) des sentiments généreux et la puissance du patriotisme.
L'éloge du fils d'Eugène de Beauharnais volait de bouche en bouche, et son
élection paraissait désormais assurée. Sa candidature toutefois n'était
protégée par aucun des représentants des grandes puissances ; elle avait pour
adversaire non seulement M. Bresson, mais aussi lord Ponsonby.
Ce diplomate, qui contribua loyalement plus tard à consolider l'indépendance
belge, avait reçu de la conférence la mission de sauver de la combinaison de
1815 tout ce qui pourrait être sauvé. Il devait à tout prix essayer de
soustraire la Belgique
à la prépondérance française. C'était là le but du cabinet anglais et de la
politique européenne ; le reste n'était qu'une question de moyens. Lord Ponsonby crut d'abord que le meilleur serait l'avènement au
trône de Belgique d'un membre de la maison de Nassau. Mal instruit des dispositions
du pays, par une coterie qu'il prit pour un parti puissant, il pensait encore
que l'avènement du prince d'Orange était le désir secret des populations, et
qu'une sorte de terreur, inspirée par les patriotes en possession du pouvoir,
contenait seule l'élan national. Lord Ponsonby se
trompait, mais il partageait cette erreur avec beaucoup de Belges. Il était
manifeste cependant que depuis le bombardement d'Anvers, la cause des Nassau
était définitivement perdue en Belgique. Interrogé par plusieurs membres du
Congrès sur ce qui adviendrait si le duc de Nemours était élu, lord Ponsonby répondit que la guerre éclaterait aussitôt.
« Et si nous élisons le duc de Leuchtenberg ? — La France ne le reconnaîtrait
pas. — Et les puissances ? — Elles ne le reconnaîtront pas davantage ; il
existe un traité qui s'y oppose. » Il signalait, enfin, le choix du duc de
Leuchtenberg comme hostile à la dynastie d'Orléans,
peu agréable aux autres cabinets, et n'apportant aucun appui a la nationalité
belge (Note de bas de page : Un député, qui soutenait avec persistance la
candidature du duc de Leuchtenberg, crut devoir éclairer lord Ponsonby sur les dispositions véritables du pays et du
Congrès. « Il n'y a rien à faire, lui dit-il, pour le prince d'Orange ; la
lutte sera entre le duc de Leuchtenberg et le duc de
Nemours. » Poussé à bout et démentant cette fois sa réserve accoutumée,
lord Ponsonby s'écria : « Nommez plutôt le diable que
le duc de Nemours. » ) Mais (page 227) il ne put convaincre les nombreux partisans du prince
Auguste.
Efforts du
cabinet français pour faire échouer la candidature du duc de Leuchtenberg. Mission remplie par M. de Lawoestine
à Bruxelles.
De son côté, le cabinet du Palais-Royal, voyant que
l'influence de M. Bresson à Bruxelles était compromise, s'était décidé à lui
adjoindre M. le marquis de Lawoestine, colonel de
cavalerie et parent du maréchal Gérard. Pendant la Restauration, il
avait habité la Belgique
et s'y était concilié une grande estime par sa loyauté et sa franchise
militaire. Il vit les membres du gouvernement provisoire et du comité
diplomatique, et il acquit la conviction que le choix du duc de Leuchtenberg était certain, si on ne lui opposait pas
formellement le duc de Nemours (Note de bas de page : Nous
avons trouvé ces détails sur la mission de M. de Lawoestine
dans un journal qui était bien informé. Voir le Courrier des Pays-Bas, du 18
février 1831). Mais comment donner un démenti aux dépêches officielles de M. le
comte Sébastiani ? Comment atténuer l'effet de ses
refus réitérés ? Comment faire disparaître cet obstacle et porter de nouvelles
convictions dans les esprits inquiets ? Le temps pressait. Le 26 janvier, M.
Bresson partit subitement pour Paris et en rapporta, le 28 , l'autorisation
expresse, dit un historien français (Note de bas de page : Louis
BLANC, Histoire de Dix Ans, chap. VII. — Nous devons faire remarquer que les
renseignements donnés par cet écrivain concordent avec ceux du Courrier des
Pays-Bas et avec les informations que nous avons recueillies d'autre part) de
promettre que la couronne, si elle était offerte au duc de Nemours, serait
acceptée pour lui par son père. L'acceptation, présentée comme certaine, releva
le courage des amis de la
France et devait entraîner les représentants encore
irrésolus. Cependant les dépêches officielles de M. Sébastiani
étaient toujours opposées aux (page 228)
assurances verbales du moment. Des lettres venues de Paris et adressées par de
hauts personnages à des membres du Congrès détruisirent cette dernière
objection. Enfin, M. de Lawoestine lui-même n'hésita
pas à déclarer devant les membres du gouvernement provisoire que sa mission
était autorisée; et, comme on balançait encore, il crut pouvoir engager sa
parole d'honneur.
Le
ministère français informe qu'il considérera l'élection du duc de Leuchtenberg comme un acte d'hostilité envers la France. Renoncement
du duc de Leuchtenberg et persistance de ses
partisans.
Le 29 janvier, une réunion préparatoire de membres
du Congrès eut lieu au Waux-Hall ; il s'y trouvait au
delà de quatre-vingts députés appartenant à toutes les opinions. MM. d'Arschot, Ch. Lehon , Ch. de
Brouckere, Nothomb et deux membres du gouvernement provisoire, MM. Rogier et
Gendebien, instruisirent leurs collègues des dispositions de la France, en s'appuyant non
sur de nouvelles pièces diplomatiques et officielles, mais sur des lettres
particulières venues de Paris et sur des entretiens qu'ils avaient eus avec MM.
de Lawoestine et Bresson.
Le gouvernement provisoire recevait en même temps
communication d'une dépêche menaçante adressée, sous la date du 26, par M. le
comte Sébastiani à M. Bresson. Elle était conçue en
ces termes : « Le conseil du roi, qui s'est assemblé aujourd'hui, a été unanime
sur la nécessité de déclarer au gouvernement provisoire que le gouvernement
français regarderait le choix de M. le duc de Leuchtenberg
comme un acte d'hostilité envers la France. Dans le cas où le Congrès, malgré cette
déclaration, procéderait à cette élection, vous quitteriez immédiatement
Bruxelles. »
Une circonstance imprévue vint servir la politique
du cabinet du Palais-Royal. Le duc de Leuchtenberg
refusait le trône, qu'il avait d'abord accepté ! M. le duc de Bassano avait
écrit à M. de Stassart, sous la date du 25 janvier : « Le prince Auguste
ne pourrait accepter une élection à laquelle la France s'oppose et qui
priverait la Belgique
des rapports les plus nécessaires a sa prospérité. Cette détermination du
prince et de sa mère est (page 229)
irrévocable. Je crois devoir, puisque je suis en mesure de le faire, vous en informer
confidentiellement pour que vous et vos amis vous abandonniez une candidature
désormais sans objet; mais je vous prie de ne faire aucun usage public de ma
lettre. » Le 27, M.
de Stassart avait communiqué cette lettre a quelques-uns de ses collègues, qui
se montraient disposés comme lui à appuyer la candidature du duc de Leuchtenberg. Elle n'ébranla point leur résolution. M. le
comte Méjan n'ayant pas écrit à M. de Stassart pour
dégager sa parole, ce dernier se considérait comme obligé par l'honneur à voter
pour le duc de Leuchtenberg. Il informa cependant M.
de Bassano que si le duc de Nemours obtenait un plus grand nombre de suffrages
au premier tour de scrutin, il croirait devoir, au second tour, se rallier à
ses partisans. Plusieurs députés du Luxembourg avaient pris le même engagement.
Quant aux autres partisans du duc de Leuchtenberg,
ils lui restèrent fidèles jusqu'au bout, tant ils avaient confiance dans cette
combinaison, tant ils redoutaient les conséquences funestes que pouvait avoir
la rupture de l'équilibre européen.
Communication
du protocole du 20 janvier 1831, contenant les bases de séparation entre la Belgique et la Hollande. Nomination
d’une commission pour protester contre le morcellement du territoire et
l'intervention des puissances.
Le 29 janvier, une foule immense encombrait les
tribunes du Congrès et les abords du Palais législatif. Les cris de : Vive le
duc de Leuchtenberg ! retentissaient au dehors et
dans la salle même. On allait ouvrir la discussion sur le choix du chef de
l'Etat, lorsqu'un des secrétaires donna lecture d'un nouveau protocole remis au
gouvernement provisoire. C'était celui de la conférence tenue à Londres le 20
janvier et contenant les bases de séparation entre la Belgique et la Hollande. Il avait été envoyé
au gouvernement provisoire, le 28, à dix heures du soir, par lord Ponsonby seul, M. de Talleyrand n'ayant donné au protocole
qu'une adhésion conditionnelle. Encore le gouvernement provisoire n'avait-il
reçu qu'un extrait comprenant les six premiers articles de la teneur suivante :
(page 230)
« I. Les limites de la Hollande comprendront
tous les territoires, places, villes et lieux qui appartenaient à la ci-devant
république des Provinces-unies des Pays-Bas, en l’année 1790.
« II. La Belgique sera formée de tout le reste des
territoires qui avaient reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas dans le
traité de l'année 1815, sauf le grand-duché de Luxembourg, qui, possédé à un
titre différent par les princes de la maison de Nassau, fait et continuera à faire
partie de la
Confédération germanique.
« III. Il est entendu que les dispositions des
articles. 108-147 inclusivement, de l'acte général du Congrès de Vienne,
relatifs à la libre navigation des fleuves et des rivières navigables, seront
appliquées aux rivières et aux fleuves qui traversent le territoire hollandais
et le territoire belge.
« IV. Comme il résulterait néanmoins des bases
posées dans les art. 1 et 11 que la
Hollande et la
Belgique posséderaient des enclaves sur leurs territoires
respectifs, il sera effectué, par les soins des cinq cours, tels échanges et
arrangements entre les deux pays qui leur assureraient l'avantage réciproque
d'une entière contiguïté de possession et d'une libre communication entre les
villes et places comprises dans leurs frontières.
« V. La
Belgique, dans les limites telles qu'elles seront arrêtées et
tracées conformément aux bases posées dans les art. I, Il et lV du présent protocole, formera un État perpétuellement
neutre. Les cinq puissances lui garantissent cette neutralité et
l'inviolabilité de son territoire dans les limites mentionnées ci-dessus.
« VI. Par une juste réciprocité, la Belgique sera tenue
d'observer cette même neutralité envers tous les autres États, et de ne porter
aucune atteinte à leur tranquillité intérieure ni extérieure
(Note de bas de page : Les deux articles,
restés secrets, étaient ainsi conçus : « VII. Les plénipotentiaires
s'occuperont, sans le moindre délai, à arrêter les principes généraux des
arrangements de nuances, de commerce et autres, qu'exige la séparation de la Belgique d'avec la Hollande. Ces
principes, une fois convenus, le présent protocole, ainsi complété, sera
converti en traité définitif, el communiqué sous cette forme à toutes les cours
de l'Europe, avec invitation d'y accéder. » - « VIII. Quand les
arrangements relatifs à la
Belgique seront terminés, les cinq cours se réservent
d'examiner, sans préjudice du droit du tiers, la question de savoir s'il y
aurait moyen d'étendre aux pays voisins le bienfait de la neutralité garantie à
la Belgique.
»)
(page 231)
Cette lecture produisit une extrême agitation dans l'assemblée. M. de Robaulx propose de nommer immédiatement une commission qui
sera chargée de présenter au Congrès une protestation énergique contre
l'intervention étrangère. D'autres membres demandent avec instance l'ordre du
jour ; les tribunes crient. Le chef de l'État ! Au milieu de ce tumulte, M. de Robaulx développe sa proposition : « Hâtons-nous de
protester, s'écrie-t-il ; car les puissances veulent étouffer la liberté et
replacer sous le joug du despotisme les peuples qui ont levé la tête... » M.
Van de Weyer, président du comité diplomatique, paraît alors à la tribune. Les
spectateurs croient qu'il vient justifier les puissances, et il est accueilli
par des sifflets. Indignés, les députés se lèvent et se disposent à sortir de
la salle. Mais la tempête se calme, et M. Van de Weyer demande que l'on passe à
l'ordre du jour et que l'on nomme à la fin de la séance la commission proposée
par M. de Robaulx. — « Il me semble, ajoute-t-il, que
la présence des députés du Luxembourg, la part qu'ils prendront à la
discussion, le vote qu'ils émettront ; il me semble que tout cela est une
protestation plus vivante et plus efficace que toute autre. » — « Notre
présence au Congrès, répond M. Nothomb, n'est pas une protestation ; on dira
que c'est un acte de pure tolérance; il nous faut une protestation positive,
solennelle, qui consacre le droit et le fait... Le Congrès n'existe (page 232) plus, à moins que vous ne
protestiez contre le protocole qui annule les titres d'un dixième de cette
assemblée... » — « Pour ma part, s'écrie M. Alex. Gendebien. je déclare
d'avance protester contre tout acte, de quelque nature qu'il soit, qui aurait
pour but de morceler le territoire belge, et les Russes fussent-ils à la porte
de Louvain et les Hollandais à la porte de Schaerbeek, je protesterais
encore... » Le président clôt enfin cette orageuse discussion par ces mots
décisifs : « Il n'y a qu une idée ; nous sommes unanimement d'accord : il faut
protester. »
La commission est nommée, séance tenante, et
composée de neuf membres, afin que toutes les provinces y soient représentées.
C'était le moyen de donner plus de solennité à l’acte dont le Congrès allait
assumer la responsabilité patriotique. La commission fut composée de M. Van de
Weyer, représentant le Brabant ; M. Nothomb, représentant le Luxembourg; M. Destouvelles, représentant le Limbourg; M. Lebeau,
représentant la province de Liége ; M. de Robaulx,
représentant la province de Namur ; M. Alex. Gendebien, représentant le
Hainaut; M. H. Vilain XIIII, représentant la Flandre orientale ; M. Devaux, représentant la Flandre occidentale ;
enfin de M, Osy, représentant la province d'Anvers.
Le lendemain, M. Nothomb, rapporteur de cette
commission, soumit au Congrès le projet de protestation qu'elle avait arrêté. «
La souveraineté nationale, dit-il, est transférée de Bruxelles au Foreign-Office. Une simple mission philanthropique a
dégénéré en une intervention. C'est contre ce système que nous avons protesté.
» Il donne ensuite lecture de la protestation, que l'assemblée, par cent
soixante-trois voix contre neuf, adopta le 1er février en ces termes : « Au nom
du peuple belge, le Congrès national proteste contre toute délimitation de
territoire et toute obligation quelconque qu'on pourrait vouloir prescrire à la Belgique, sans le
consentement de sa représentation nationale. Il proteste (page 233) dans ce sens contre le protocole du 20 janvier, en tant
que les puissances pourraient avoir l'intention de l'imposer à la Belgique et s'en réfère à
son décret du 18 novembre 1830, par lequel il a proclamé l'indépendance de la Belgique, sauf les relations du Luxembourg avec la Confédération
germanique. Il n'abdiquera, dans aucun cas, en faveur des cabinets étrangers,
l'exercice de la souveraineté que la nation belge lui a confié ; il ne se
soumettra jamais à une décision qui détruirait l'intégrité du territoire, et
mutilerait la représentation nationale ; il réclamera toujours de la part des
puissances étrangères le maintien du principe de la non-intervention. »
Expression du sentiment national opprimé,
témoignage de l'union et de la fierté d'un peuple libre et indépendant,
condamnation de l'abus de la force, cet acte eut un immense retentissement. Il
ne parvint pas, dit l'éloquent publiciste qui l'avait rédigé, à annuler le
protocole du 20 janvier, mais il tint la conférence en suspens pendant six
mois, il laissa aux esprits le temps d'étudier le protocole même, et d'y
découvrir les éléments d'une compensation territoriale qui d'abord n'était dans
la pensée de personne (NOTHOMB, Essai sur la révolution belge, chap. VI ). Le
protocole du 20 janvier fut, en effet, un acheminement vers le célèbre traité
des dix-huit articles ; mais il fallut surmonter le ressentiment bien légitime
causé par le droit exorbitant que les grandes puissances s'étaient soudainement
arrogé sur la Belgique
émancipée, en changeant l'arbitrage dont elles étaient originairement investies
en intervention directe et menaçante.
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