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TROISIÈME
PARTIE. DE L'ARRIVÉE DU ROI A
1.
Le gouvernement de Muelenaere – de Theux
(page 161) Les circonstances qui m'avaient déterminé à entrer au conseil ayant cessé, je me retirai et j'allai reprendre mes fonctions au parquet de la cour de Liège.
Les élections pour la première formation des Chambres législatives se firent au mois de septembre 1831. Ma réélection par le collège de Huy eut lieu sans difficulté. Bien qu'elle n'eût jamais cessé de paraître assurée, quelques doutes se manifestèrent à cet égard dans le sein du collège de Bruxelles; ils suffirent pour déterminer les électeurs de la capitale à m'honorer de leur mandat. Précieux témoignage d'estime et de confiance qui vint protester contre les attaques dont l'adoption des XVIII articles m'avait rendu l'objet, témoignage d'autant plus flatteur que je n'avais nullement songé à le solliciter.
(page 162) J'adressai mes remerciements aux électeurs de Bruxelles et j'optai pour Huy, ma ville natale, qui, en m'envoyant au Congrès, m'avait ouvert la carrière parlementaire.
Aucun acte politique de quelque importance, autre que l'adoption des XXIV articles, ne signala l'administration nouvelle.
M. de Muelenaere ayant à diverses reprises exprimé l'intention de se retirer, le Roi fit beaucoup d'instances auprès de M. Devaux pour qu'il prit le portefeuille des Affaires étrangères. Mon honorable ami déclina ces offres et motiva son refus sur sa santé qui, déjà frêle par elle-même, avait été fortement ébranlée par les violentes émotions des orageuses séances du Congrès. Sa Majesté voulut bien penser aussi à moi. Mais outre ma répugnance à reprendre un portefeuille à une époque ou les haines suscitées par nos récentes luttes parlementaires étaient encore si vives, à une époque si voisine de celle ou j'avais déclaré ne pas vouloir passer des conseils du Régent dans les conseils du Roi, je pus m'apercevoir que les offres dont j'étais l'objet n'avaient pas cette chaleur, cette sympathie qui se manifestaient en semblable occasion pour d'autres personnages (Note de A. Freson : Ces trois mots: « en semblable occasion », sont en marge dans le manuscrit, de la main de Lebeau. La fin de cette phrase a été corrigée dans la copie comme il suit: ... je pus m'apercevoir, peut-être me trompais-je, que les offres dont j'étais l'objet n'avaient pas cette chaleur, cette sympathie qui sont un encouragement moral très précieux en semblable occasion). Ces raisons, qui ne m'auraient pas arrêté dans des circonstances graves, qui ne m'avaient pas arrêté au commencement d'août 1831, suffisaient dans un moment ou nul péril sérieux ne me paraissait menacer le pays. Je refusai
M. Teichman avait cessé son intérim et repris la direction supérieure des ponts et chaussées. M. de Muelenaere eut provisoirement la signature pour le Département de l'Intérieur. Consultés, M. Devaux et moi, sur le choix d'un titulaire définitif, nous conseillâmes M. de Theux, et à son défaut, (page 163) M. Fallon. M. de Theux appartenait à l'opinion catholique, M. Fallon à l'opinion libérale. M. de Theux, que nous placions en première ligne parmi les candidats au ministère vacant, avait donné au Congrès des preuves de ce sens qui l'abandonna rarement et, chose non moins rare, d’un courage assez remarquable, ayant, quoique député d’une province menacée de morcellement, voté constamment pour les transactions diplomatiques, sans lesquelles, à notre avis, nulle Belgique n'était possible. M. Fallon avait, lui, généralement voté avec l'opposition, mais sans s'écarter dans son langage de certaines formes de modération. Il avait la réputation d'un savant jurisconsulte et passait pour très laborieux. On voit combien à cette époque la classification en parti libéral et en parti catholique était peu tranchée. La division des opinions reposait principalement, alors sur la manière d'envisager la question diplomatique et les attributions du pouvoir royal dans les lois organiques et dans la marche de l'administration. Les catholiques, que les libéraux n’ont jamais repoussés pour leurs croyances mais uniquement pour leurs tendances politiques, étaient loin de montrer alors les prétentions qu'ils ont si ouvertement et si imprudemment manifestées vers la fin du second Ministère de M. de Theux. M. Fallon, à qui des ouvertures avaient été faites, déclina l'offre d'un portefeuille. Des doutes ayant survécu dans l'esprit des négociateurs sur la sincérité de ce refus, le Moniteur publia la nomination de M. Fallon comme Ministre de l'Intérieur. L'honorable représentant fit immédiatement connaître qu'on avait mal compris sa pensée et que sa résolution était irrévocable.
C'est alors seulement que le Roi et son conseil recoururent à M. de Theux. On voulut toutefois habituer les Chambres et le pays à son entrée au Ministère, que n'avait pas suffisamment préparée le rôle parlementaire, un peu effacé, de l'honorable député du Limbourg. Il fut nommé ministre d'État et chargé en cette qualité et par intérim du portefeuille de l'Intérieur. Le nouveau ministre ayant fait preuve d'une (page 164) capacité que ses amis seuls soupçonnaient, sa transition au poste de ministre définitif, après quelque temps de noviciat, ne causa à personne ni surprise ni mécontentement.
Ce fut à peu près à cette époque que, fatigués et inquiets du ton général de la presse, passée presque tout entière des mains des anciens écrivains belges aux mains d'étrangers ou de jeunes gens dépourvus de toute expérience, méconnaissant les conditions essentielles de tout gouvernement et prolongeant ainsi par un étrange et dangereux anachronisme le rôle de l'ancienne opposition, nous résolûmes, quelques amis et moi, de fonder un journal, consacré spécialement à la défense des idées modérées, du système de transaction en matière diplomatique et des prérogatives du pouvoir central dans la discussion des lois organiques et dans les actes de l'administration.
Ce journal parut à Bruxelles sous le titre de Mémorial belge. Voici les noms des fondateurs: MM. Devaux, Kaufman, Lebeau, Nothomb, Ch. Rogier, Van Praet, H. Vilain XlIII. M. Faure, sténographe du Congrès, en devint l'éditeur. Ce journal défendit sincèrement le cabinet ou figuraient MM. de Brouckere, de Theux, Raikem, parce qu'il pratiquait le système de modération à l'extérieur et jusqu'à certain point celui de la consolidation du pouvoir à l'intérieur; double mission qui aurait valu à tout autre cabinet l'appui persévérant de la nouvelle feuille, car c'était à cette époque, aux yeux de ses fondateurs, le premier besoin du pays.
Les actes principaux du Ministère ainsi complété furent
avant tout la réorganisation de l'armée, à laquelle M. Ch. de Brouckere
d'abord, puis le général Évain, consacrèrent leurs soins éclairés et
persévérants; ensuite l'organisation judiciaire. Dans l'ordre diplomatique on
se borna à réclamer auprès de
M. Van de Weyer, qui, loin de jamais flatter les faiblesses ou les erreurs de son Gouvernement, a toujours cherché à l'éclairer, souvent avec une franchise qu'on a pu quelquefois trouver un peu rude, était d'avis que si l'on insistait, comme condition de la reprise des négociations, sur l'évacuation préalable du territoire, on resterait dans un provisoire indéfini.
Le général Goblet, qui, après l'acceptation des ratifications russes par notre ministre à Londres, avait été adjoint à celui-ci, contre lequel, à cette occasion, l'opinion des Chambres s'était soulevée, pensait comme M. Van de Weyer que le programme du Ministère le maintenait dans une voie sans issue; il conseillait vivement de l'abandonner.
2.
Le général Goblet et
M. de Muelenaere et ses collègues, le premier surtout - car si M. de Theux paraissait quelquefois manquer de portée politique, il ne manquait pas de résolution, - pensèrent alors sincèrement à sortir de ce labyrinthe, et le Ministre des Affaires étrangères, démissionnaire de droit depuis longtemps, voulut enfin l'être de fait, Il fallut dés lors songer sérieusement à le remplacer.
Le Roi demanda au général Goblet s'il oserait venir appliquer à Bruxelles le nouveau programme qu'il conseillait de Londres. Le général, appréciant l'urgente nécessité d'abandonner momentanément le système de l'évacuation préalable, posé comme notre sine quâ non, n'hésita pas à accepter le portefeuille des Affaires étrangères.
Les collègues de M. de Muelenaere, ayant cru devoir se retirer avec lui, consentirent seulement à conserver la signature pour l'expédition des affaires courantes, jusqu'a ce que le nouveau ministre eût formé un cabinet.
Cet état de choses, assez bizarre, d'un seul ministre en (page 166) exercice, a côté de quatre ministres démissionnaires restés, simples administrateurs de leur Département, dura plus de quinze jours (Note de A. Freson : Cet état de choses dura plus d’un mois) ! On est tenté de louer sans réserve le courage d'un homme, seul contre l'opinion des Chambres et des journaux, dépourvu du talent de la parole, incertain, de savoir s'il parviendrait à composer un cabinet, puisant une aussi rare et aussi énergique résolution dans la profonde conviction du succès d'un changement de système et dans la perspective d'un grand service a rendre au pays et au Roi.
Le général me fit offrir le portefeuille de
Je refusai d'abord. Je pensais si peu alors (octobre 1832) à
rentrer au pouvoir que je venais d'échanger mes fonctions de premier avocat
général et celles même de procureur général à Bruxelles, que l'on avait bien
voulu m'offrir, contre la place beaucoup moins lucrative de conseiller a la
cour d'appel de Liège. J'améliorais ainsi ma position parlementaire, puisque
d'agent du Gouvernement, je devenais magistrat inamovible; mais je créais en
même temps un grand obstacle a ma rentrée au Ministère,
J'avais donc la singulière perspective, en devenant
ministre, de devoir faire honneur a cette position avec les 5,000 francs de
traitement attaché à mes fonctions de conseiller (Art 103 de
J'avais accueilli l'idée de rester désormais étranger à une position qui m'avait valu d'indignes outrages, d'affreuses calomnies, la perte de plusieurs amis, la détérioration de ma santé et des chagrins d'intérieur, ma famille, ma femme surtout souffrant beaucoup des attaques violentes dont j'étais l'objet. Fatigué d'ailleurs, je désirais me reposer des luttes auxquelles j'avais eu à faire face, et m'abriter quelque temps contre les haines politiques dans une position indépendante mais modeste, qui me permît de dire la vérité à tous les partis et, s'il le fallait, au pouvoir lui-même, sans qu'aucune arrière-pensée d'ambition personnelle pût m'atteindre. Je mettais, s'il faut le dire, quelque orgueil à me créer une forte et influente position parlementaire, résultat que je plaçais au-dessus de tout. Mais une fois engagé dans la vie politique, qui peut répondre de rester toujours maître de ses résolutions ?
Le général Goblet me mit au courant des négociations et des
dispositions de
La démonstration du mauvais vouloir du Gouvernement
néerlandais ayant été officiellement constatée par les prétentions qu'il mit en
avant des que nous consentîmes à l'écouter, prétentions inconciliables avec le
texte et l'esprit du traité ainsi qu'avec les intentions manifestées par
Les membres de
Les Ministres des trois cours du Nord se déclarèrent à
défaut d'instructions, dans l'impossibilité de s'associer el ces moyens
d'exécution; mais ils n'y firent point opposition et se bornèrent à. annoncer
que leurs Cours resteraient spectatrices de la lutte qui allait s'engager entre
les cabinets de Londres et de Paris et le cabinet de
Tel était le résultat que la courte et habile manœuvre du
général Goblet avait amené. « Empêcherez-vous, me dit-il, (page 169) le
pays d'en recueillir les fruits, en refusant de vous associer à moi? J'ai pu
agir seul à Londres, mais je ne puis agir seul à Bruxelles. J'ai besoin devant les
Chambres de collègues plus façonnés que moi aux luttes de tribune; mon
inexpérience des joutes oratoires me donne une grande défiance de moi-même;
cette idée paralysera tous mes moyens, et avec une cause excellente je pourrai
me trouver embarrassé de répondre immédiatement aux objections les moins
solides. Vous avez beaucoup fait déjà pour votre pays; mais il reste beaucoup à
faire. L'ennemi est au cœur de
Le pouvoir eût-il été sans attrait pour moi, il m'eût été
difficile de résister à un appel ainsi motivé. Procurer la libération du
territoire, faire sanctionner par le canon de deux nations libres en présence
de l'Europe absolutiste et passive,
J'acceptai le portefeuille de
Une explication respectueuse mais catégorique .avec
Le droit de faire et d'exécuter au besoin cette déclaration solennelle fut la condition de notre entrée au pouvoir.
Voici le texte de ce document (fiat insertio) (Note de A. Freson : Il s'agit sans doute du procès-verbal de la première réunion du Conseil qui contient les conditions de la formation du nouveau cabinet. Ce procès-verbal, que je ne trouve pas dans les papiers de Lebeau, a été publié par TH. JUSTE, J. Lebeau, p. 96).
3.
L’action du ministère Goblet et l’intervention militaire franco-britannique
Nous étions à la veille de l'ouverture des Chambres. Il importait au cabinet nouveau, qui avait abandonné le programme sanctionné et presque imposé par la représentation nationale, de ne se présenter devant elle qu'avec des résultats qui justifiassent hautement cette déviation.
Ces résultats, on put les lui offrir. Le discours de
Fort d'un tel succès, jusque-là réputé chimérique et dont l'annonce sous le cabinet précédent avait toujours provoqué les rires incrédules et les sarcasmes de l'opposition, le cabinet (page 171) tenait certain de trouver dans les Chambres un bon accueil de l'appui.
Malheureusement, il n'en fut point ainsi, et le Ministère
avait compté sans les aveugles passions qui obscurcissaient encore le jugement
d'une grande partie de
Forcée de reconnaître la réalisation d'un fait dont la négation
souvent produite devenait par l'événement une source ridicule pour
l'opposition, celle-ci ne se tint pas pour battue, et, exploitant d'une part
l'humeur des anciens Ministres et de leurs amis ('), d'autre part (Note de
Lebeau : L'ancien cabinet avait bien donné, il est vrai, sa démission en
masse, lors de la nomination du général Goblet au Ministère; mais il nous a été
assuré depuis que si dès le principe de la modification ministérielle, et non
lorsqu'elle était déjà presque réalisée, on eût vivement pressé quelques-uns
des anciens Ministres de conserver leurs portefeuilles, ils n'auraient pas été
éloignés de se considérer comme libres de le faire, la retraite de M. de
Muelenaere suffisant à leurs yeux pour légitimer le changement du système diplomatique);
l'inexpérience et la timidité d'une fraction de
Voici comment on raisonna: «
« L’article … (Article 21) du traité du 15 novembre prononçait
une amnistie en faveur des populations qui changeaient de domination. Or,
lorsque
Cette mention nous avait paru inutile puisque les (page 172) puissances, procédant à l'exécution du traité, étaient censées agir d'après l'esprit et l'ensemble de ses clauses, donc sous le bénéfice de l'article …
D'ailleurs, ou l'évacuation serait suivie de la remise immédiate des territoires dans les mains du Roi Guillaume. ou cette remise n'aurait pas lieu. Dans le premier cas, le Roi Guillaume, acceptant ces territoires, adhérait au moins à cette partie du traité et par suite à toutes les clauses qui s'y rattachaient, qui s'y liaient aussi intimement ; dans le second cas, ces territoires nous restaient, ou tout au plus passaient sous l'administration provisoire d'une des puissances garantes et alors la mention de la clause n'avait plus d'objet.
Les ministres et leurs amis eurent beau développer cet argument sous toutes ses faces, l'opposition n'en tint aucun compte. Elle entassa chicanes sur chicanes pour prouver que nous livrions ces populations pieds et poings liés « à leurs bourreaux » (style d'alors).
En réalité, ce qui désolait l'opposition, c'est que l'exécution à main armée du traité que tantôt elle avait sollicitée dans des discours, dans des adresses, que tantôt elle avait déclaré une chimère, une impossibilité, une amère déception, donnait le plus éclatant démenti a ses prophéties et une haute sanction à la politique modérée et pacifique suivie par tous les cabinets précédents et contre laquelle l'opposition avait épuisé le vocabulaire de ses déclamations. Les amendements hostiles furent toutefois repoussés. Un amendement conciliatoire et qui ne préjugeait rien, proposé par M. Dumont et accepté par le Ministère, fut rejeté par.. voix et accueilli par ... (Note de A. Freson : Rejeté par 42 voix et accueilli par 44)
4.
Vers les élections
Les Ministres ayant fait partie de cette faible majorité, crurent ne pouvoir conserver leurs portefeuilles et dès le jour même ils prièrent Sa Majesté de leur donner des successeurs, annonçant qu'ils continueraient néanmoins à expédier les affaires courantes et de pure administration.
(page 173) Le Roi fit successivement appeler MM. de Theux, Fallon, Muelenaere, et probablement quelques autres personnes parlementaires. M. de Muelenaere, en homme prudent, déclina, vu la gravité des circonstances, toute mission. M. de Theux fit plusieurs tentatives pour composer un cabinet. Je pense que M. Fallon essaya aussi d'arriver à ce résultat. Deux ou trois semaines furent consacrées à ces essais, qui aboutirent à une déclaration d'impuissance.
En attendant et pendant que
Après l'inutilité bien constatée des essais tentés pour composer un nouveau cabinet, le Roi fit appeler les Ministres démissionnaires et leur exposa la nécessité, en présence des circonstances graves où se trouvait le pays, de mettre un terme à la vacance ministérielle. Il n'y avait rien à objecter contre une telle proposition. Les Ministres obéissaient à un devoir aussi naturel qu'impérieux en reprenant leurs portefeuilles.
Le Moniteur annonça cette résolution en peu de mots. L’impuissance de former un cabinet nouveau avait été assez notoirement constatée pour que les Ministres pussent venir se rasseoir à leurs bancs sans autre explication.
Quelques jours après leur rentrée, les braves troupes commandées par le maréchal Gérard firent capituler la citadelle d’Anvers, et dans cette même Chambre, où peu de semaines auparavant beaucoup de députés déclaraient que l'entrée de l'armée française en Belgique et la libération d'Anvers opérée par elle sans la coopération de l'armée belge flétrissaient notre drapeau et blessaient l'honneur national, on vota pour le même fait des remerciements à l'armée française, et une épée d'honneur à son illustre chef, le maréchal Gérard ! C'était à désespérer de la durée du système représentatif en (page 174) Belgique, si on n'eût pas fait une large part à l'inexpérience de nos premières assemblées délibérantes.
Le Ministère, coupable, en déjouant toutes les prévisions de
l'opposition, d'avoir eu trop raison et de pouvoir montrer un grand fait
accompli qui se rattachait directement à sa politique, aux « roueries de
la diplomatie », comme on disait dans le style d'alors, devait rencontrer
de nouvelles difficultés. En butte aux attaques de la gauche, il était
faiblement défendu par la droite, qui conservait toujours un peu d'humeur pour
l'avoir vu prendre la place de ses hommes de prédilection; il parait en effet
que, malgré leurs démissions données un peu à contre-cœur à la suite de celle
de M. de Muelenaere, de vives instances les eussent peut-être décidés à
reprendre leurs portefeuilles. Leurs successeurs, croyant que les démissions
étaient toutes irrévocables, avaient eu le tort involontaire de ne faire que
tardivement des propositions à l'un des anciens Ministres que la droite
affectionnait le plus et à qui les sympathies de cette fraction de
Peut-être gardait-on aussi quelque rancune de ce côté aux Ministres qui n'ayant pas voulu se séparer avaient ainsi empêché qu'un nouveau cabinet s'établît à la faveur d'une scission dans les éléments de l'ancien.
Quoi qu'il en soit de ces considérations ou de ces
conjectures, les Ministres ne comptaient pas faire longtemps bon ménage avec
Ces prévisions ne tardèrent pas à se réaliser. Ce fut à
l'occasion du budget de
La section centrale, voyant bien que la résistance du
Ministère transformait sa proposition en une question de cabinet, (page 176) et
paraissant peu désireuse d'en venir là, voyant bien aussi que
C'en était assez sans doute pour des hommes qui n’eussent
été soucieux que de la conservation de leur portefeuille, mais il nous parut
que laisser ainsi méconnaître la prérogative royale et le vœu de
La majorité, croyant faire acte de patriotisme et intimider
Le Ministère prit immédiatement la résolution de ne plus reparaître devant une Chambre qui pour la seconde fois lui rendait l'administration moralement impossible. Il exprima cette résolution devant le Roi et présenta à Sa Majesté, comme seuls moyens de terminer ces embarras, un changement de cabinet ou une dissolution, émettant le vœu qu'on essayât d'abord du premier expédient.
Le Roi fit à diverses reprises des tentatives auprès des
personnages parlementaires qu'on croyait le plus propres a composer un nouveau
Ministère. Elles furent comme les essais précédents sans aucun résultat. Le
vote de
Une autre raison encore, c'est que l'on était à la veille du
renouvellement de la moitié de
Le Gouvernement adopta donc la dissolution. Comme mesure préliminaire, les Chambres, qui s'étaient séparées et qui devaient se réunir le … (22 avril), furent ajournées au ... (6 mai).
Le ... (28 avril) parut l'arrêté royal qui prononçait la
dissolution de
Les électeurs qui se réunissent aux simples chefs-lieux d'arrondissement avaient été convoqués pour le ... (23 mai).
(page 178) Les électeurs dont la réunion s'opère aux chefs-lieux d'arrondissement qui sont en même temps chefs-lieux de province, devaient s'assembler seulement huit jours après.
Cette mesure avait été prise pour conserver les moyens de réparer les pertes qu'on pourrait faire aux premières élections. Bien en prit au Ministère, car quoique cette précaution servît aussi à l'opposition, elle sauva deux Ministres sacrifiés dans les premières élections à quelques intrigues de localité, aidées d'un côté par la défection d'un commissaire d'arrondissement.
Ce fut la capitale, ou les élections ont toujours eu un
caractère plus large, plus politique qu'ailleurs, qui élut le Ministre de
Chose bizarre, qui s'est reproduite depuis, et que le progrès des mœurs politiques peut seul prévenir, c'est que ces mêmes électeurs de Bruxelles qui reportèrent à leur siège parlementaire MM. Lebeau et Goblet rendirent à l'un des membres les plus prononcés de l'opposition, M. H. de Brouckere, le mandat que venaient de lui retirer les électeurs de Ruremonde, ceux-là mêmes qui l'avaient envoyé au Congrès et à la première Législature.
M. Fleussu, membre aussi de l'opposition, succomba à Waremme
et ne revint siéger à
En somme, bien que le résultat des élections n'eût pas entièrement répondu à l'attente du Gouvernement, il était cependant défavorable à l'opposition et permettait de croire que la marche de l'administration en deviendrait plus facile.
On a critiqué la dissolution. Des amis mêmes du cabinet en ont contesté l'opportunité et les résultats.
A cela il y a une première réponse très facile à faire et
qui (page 179) dispenserait de toute autre: c'est qu'elle était indispensable.
Après deux votes hostiles, deux votes emportant défiance envers le cabinet, il
n'y avait, selon nous, que l'alternative d'une retraite ou d'une dissolution.
La retraite, deux fois nous l'avions tentée sincèrement, sans arrière-pensée.
Deux fois elle n'avait servi qu'a constater l'impuissance de constituer un cabinet
nouveau. Nous savons que, matériellement parlant, la marche de l'administration
était possible; qu'on avait accordé des crédits, et que, ceux-ci épuisés,
malgré toutes les protestations anticipées, on en allouerait d'autres. Nous
savons quelle part il fallait faire a la légèreté, a l'irréflexion, a
l'inexpérience de
Nous pensions aussi a la valeur des précédents; nous pensions qu'il pouvait être utile que la prérogative gouvernementale effacée devant les habitudes de prépondérance du Congrès, habitudes qu'il avait léguées a la première Législature, ne se montrât point par trop humble et commençât a se relever dans l'opinion par un acte d'autorité qui témoignât de son indépendance et de quelque énergie de résolution.
Si la dissolution peut se justifier comme indispensable,
elle se justifie en outre comme utile, comme ayant atteint son but, le
rétablissement de l'harmonie entre
5.
Le rétablissement de l’autorité gouvernementale
Des questions politiques et administratives de la plus haute
importance furent agitées depuis devant
Nous allons en citer quelques exemples.
Un représentant, commissaire de l'arrondissement d'Alost, M.
Eugène Desmet, s’était signalé par une opposition aussi systématique dans le
fond que violente dans la forme. Il ne procédait guère contre les Ministres que
par le reproche et l'injure. Le cabinet ne crut pas pouvoir plus longtemps
laisser à ce fonctionnaire une position dont il se servait évidemment pour se
faire envoyer à
Dans le même moment des renseignements furent donnés au Ministère sur la conduite de M. Doignon, commissaire d'arrondissement à Tournai, à propos des élections auxquelles on allait procéder par suite de la dissolution. D'après ces renseignements, non seulement M. Doignon ne se montrait pas favorable aux candidatures de M. Le Hon, notre Ministre à Paris, et de M. le général Goblet, membre du cabinet, mais il ne restait pas même neutre entre les diverses opinions; il travaillait sourdement à sa propre élection et à celle de MM. Dubus et Dumortier, ardents adversaires du cabinet.
M. Doignon, mandé à Bruxelles, donna des explications embarrassées et peu catégoriques, et confirma plutôt qu'il ne détruisit les soupçons auxquels sa conduite donnait lieu.
L'événement prouva combien ces soupçons étaient fondés. La
candidature de M. Doignon devint bientôt notoire ; il fut élu avec MM. Dubus et
Dumortier. MM. Le Hon et Goblet (page 181) furent éliminés. Ainsi, par
l'influence d'un agent du Gouvernement, l'envoyé du Roi à Paris et le Ministre
du Roi à Bruxelles perdaient leurs sièges au Parlement et le cabinet était
ébranlé par la main d'un de ses subordonnés. Il aurait fallu mettre en oubli
toute notion d'obéissance hiérarchique, toute idée de responsabilité et tout
sentiment de dignité gouvernementale pour laisser vingt-quatre heures dans ses
fonctions un agent qui en faisait un si étrange usage. Aussi M. Doignon
reçut-il un arrêté de révocation presque en même temps que l'annonce de son
élection à
M. Doignon, en se montrant depuis l'implacable adversaire du
Ministère, prouva que nous l'avions bien jugé. Nous ne lui ferons pas l'injure
d'attribuer à une misérable rancune la position qu'il prit à
Dès que
Le Ministère ainsi que ses amis dédaignèrent, comme une
prudence étroite le leur conseillait, de se retrancher dans le silence d'une
fin de non-recevoir et de son droit. Il aborda franchement toutes les questions
que soulevait la motion; il soutint qu'il pouvait et devait éloigner un
fonctionnaire politique qui se déclarait son adversaire systématique à.
Un autre projet de blâme fut présenté par l'opposition. Elle voulait faire censurer l'acte même de dissolution. Le terrain était bien plus facile à défendre ici que dans l'autre discussion. Aussi la motion fut-elle rejetée à la majorité de... voix contre... (Note de A. Freson : Il n'y eut pas deux propositions de blâme, comme le dit Lebeau. Il n'y en eut qu'une, celle de MM. Dubus et Fallon, rejetée par cinquante-quatre voix contre trente-sept et qui portait sur les deux questions à la fois. Voyez VAN DEN PEEREBOOM, Du Gouvernement représentatif. t. l, p. 161).
Ainsi le cabinet venait, à ses risques et périls, de faire
reconnaître implicitement par
Il est difficile de se refuser à l'idée que cette immunité
solennellement accordée au droit de dissolution et au droit de révocation n'ait
pas exercé, même a leur insu, quelque influence sur la conduite de divers
membres de
6.
La convention du 21 mai 1833
La citadelle d'Anvers nous avait été remise. L'armée française
avait quitté le territoire belge, emportant les félicitations de ceux-la mêmes
qui avaient déclaré son entrée en Belgique et son action, sans la coopération
de l'armée belge, un crime du Ministère. Le roi Guillaume, comme cela était
facile à prévoir, n'avait voulu adhérer aux sommations de
Bientôt les souffrances du commerce hollandais et les plaintes de ses organes devinrent tellement vives que l'opiniâtreté même du Roi dut fléchir et des pouvoirs furent donnés à ses agents pour discuter les bases d'un armistice indéfini, proposé par le cabinet anglais. Les négociations aboutirent bientôt à un résultat et la convention du 21 mai 1833 fut signée.
Les conséquences politiques et financières de cette convention qui terminait si heureusement le programme diplomatique du Ministère furent immenses.
D'abord à une simple suspension d'armes que le roi Guillaume
pouvait à chaque instant dénoncer, qui tenait tous les esprits, toutes les
affaires en suspens chez nous, succédait un traité solennel entre
Aussi la sécurité revint-elle aussitôt dans tous les esprits. On sait quelle recrudescence se manifesta dans nos relations commerciales; on sait quels développements se manifestèrent dans l'industrie; on donna même à la production un essor imprudent, aveugle, qui contribua puissamment à amener cette crise fatale dont le pays souffre encore aujourd'hui (Note de A. Freson : Lebeau écrivait entre les années 1841 et 1845).
La convention du 21 mai, en même temps qu'elle nous affranchissait de l'obligation de payer notre part dans la dette (page 184) commune de l'ancien royaume des Pays-Bas, nous laissait l'espoir d'être autorisés à refuser plus tard les échéances arriérées. .
En même temps il nous fut permis de réduire le budget de
On a quelquefois demandé s'il n'eût pas été préférable de se
refuser à toute convention provisoire et de demander le maintien des mesures
coercitives, dans le dessein d'obtenir un traité final et la reconnaissance du
roi Guillaume. Est-il bien sûr d'abord que l'Angleterre, assaillie par les
réclamations de
En conservant ces populations pendant une longue période d'années, ne pourrait-on pas invoquer un jour le fait de la possession, cette sorte de prescription qui a toujours exercé une si grande influence dans les transactions diplomatiques?
Ensuite, si nous utilisions bien le temps pendant lequel
durerait cette convention à terme indéfini, ne pourrions-nous pas vaincre peu à
peu les préventions qui nous avaient fait refuser ces territoires? Quel intérêt
conserveraient les puissances du Nord et l'Angleterre à nous les retirer, à
opérer un déchirement cruel, impolitique en ce qu'il blessait notre
patriotisme, notre honneur, et portait ainsi au sentiment national une profonde
atteinte, si nous parvenions à leur prouver que la garde de ces territoires
serait aussi bien confiée à
(page 185) Les raisons d'État eussent-elles milité toutes en faveur de l’exécution immédiate et complète du traité du 15 novembre, les raisons d'humanité, les devoirs imposés par une fraternité politique étaient d'une nature si puissante qu'il ne pouvait venir a l'esprit d'aucun Ministère de repousser le sursis accordé a l'exécution d'une condamnation cruelle, d'une douloureuse séparation. Ce fut ainsi qu'en jugèrent le pays et les Chambres. Nulle part il ne s'éleva de critique contre la convention du 21 mai. La majorité et l'opposition furent d'accord pour l'approuver.
Pour mettre à exécution la convention du 21 mai, le Gouvernement belge dut régler, de commun accord avec le Gouvernement néerlandais, les communications de celui-ci avec la ville de Maestricht et le passage des troupes qui se rendaient dans cette place et qui en sortaient. Il fallut aussi déterminer dans quelle proportion on pourrait y introduire des armes, vivres et munitions. La nécessité pour les Pays-Bas d'emprunter a cet effet le territoire resté provisoirement dans notre possession rendait cet arrangement indispensable.
La convention de Zonhoven, qui réglait ces différents
points, servit de texte à l'opposition pour prendre une sorte de revanche de la
convention du 21 mai contre laquelle elle n'avait osé rien dire et que
plusieurs de ses membres avaient même louée.
Une loi réglant les formalités à suivre pour l'extradition
des étrangers accusés de crime dans leur pays fut également votée. On avait été
amené à présenter cette loi par une circonstance dont on peut lire les détails
dans l'Essai sur
Affaire des troubles de Gand, affaire des pillages, à traiter avec développement. (Note d’A. Freson : Les causes de la chute du cabinet se trouvent dans la quatrième partie).