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Congrès national de Belgique
Séance du dimanche 30 janvier 1831

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 2)

(page 320) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)

La séance est ouverte à onze heures et demie. (P. V.)

Lecture du procès-verbal

Plusieurs membres se passent le portrait du duc de Nemours. (J. B., 1er fév.)

M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pièces suivantes :

M. Demoreau-Gerbehaye, à Hautrages, demande à être nommé contrôleur sur la ligne ou receveur des douanes.


M. Delafontaine, notaire à Moerkerke, présente des observations sur les lois du 22 frimaire an VII et du 25 ventôse an XI.


La fabrique de Goidtsenhoven demande l'envoi en possession de certains biens.


M. Casterman, de Tournay, réclame contre les dispositions d'un arrêté du gouvernement provisoire du 31 décembre, concernant les bénéfices simples.


M. Luyten, notaire à Geleen, arrondissement de Maestricht, prie le congrès de déclarer que les fonctions de bourgmestre et de secrétaire sont incompatibles avec celles de notaire.


Cinq tanneurs de Bruges prient le congrès d'imposer les écorces de chêne à leur sortie, ou même de prohiber toute exportation.


M. Thomas Bricher, chevalier de la Légion d'honneur, à Meersch, demande le payement de sa pension.


Les bourgmestre et échevins de Laroche demandent que la régie des bois communaux soit rendue aux administrations communales.


Les membres du conseil de régence de Corbion prient le congrès de nommer aux fonctions de percepteur des contributions directes de Corbion le sieur Pierre Lallemand.


Plusieurs tisserands du district d'Alost signalent quelques abus existant aux marchés de toiles dans les Flandres.


Huit habitants de Louvain demandent pour roi de la Belgique le duc Auguste de Leuchtenberg.


Trente-six habitants de Termonde font la même demande.


M. Lefebvre prie le congrès de choisir pour roi des Belges un prince français.


MM. Putseys et Robert, à Liége, demandent la réunion pure et simple à la France. (J. F., 1er fév. et P. V.)


- Les pétitions relatives au choix du chef de l'État seront déposées au bureau des renseignements ; les autres sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)


Il est fait hommage au congrès de six exemplaires du portrait du duc de Nemours. (P. V.)


M. Meline, à Bruxelles, fait hommage au congrès d'un ouvrage ayant pour titre : Les quatre Journées de Bruxelles, par le général Van Halen ; et d'un autre sous le titre de : Mémoires de don Juan Van Halen.

- Dépôt à la bibliothèque. (P. V.)


Règlement de la chambre

M. le président – Après ce qui s’est passé hier, je crois devoir donner lecture de l'article du règlement relatif à la police de l'assemblée. J'appelle surtout l'attention des tribunes.

« Art. 40. Pendant tout le cours de la séance les personnes placées dans les tribunes se tiennent découvertes et en silence.

« Toute personne qui donne des marques d'approbation ou d'improbation est sur-le-champ exclue des tribunes par ordre du président.

« Tout individu qui trouble les délibérations est traduit sans délai, s'il y a lieu, devant l'autorité compétente. »

Messieurs, c'est aux bons citoyens qui sont dans les tribunes que je confie le maintien de l'ordre et le soin d'expulser celui ou ceux qui seraient assez malintentionnés .pour le troubler et pour empêcher les délibérations de l'assemblée. (U. B., 1er fév.)

Pièce adressée au Congrès

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture d'une lettre par laquelle M. Pettens annonce que, par suite d'une chute qu'il a faite hier, il ne pourra se rendre aux séances du congrès. (U. B., 1er fév.)

- Pris pour notification. (P. V.)

Projet de décret contenant protestation contre le protocole de Londres du 20 janvier 1831 contenant les bases de séparation entre la Belgique et la Hollande

Rapport de la commission spéciale

M. le président – L'ordre du jour est le rapport de la commission chargée de rédiger le projet de protestation contre le protocole de Londres du 20 de ce mois.

M. Nothomb, rapporteur de la commission, a la parole. (J. F., 1er fév.)

M. Nothomb – Messieurs, peu de mots suffiront pour vous faire connaître l'esprit dans lequel est conçu le travail de la commission.

Elle s'est attachée à démontrer que le protocole du 20 janvier change complètement la nature de nos relations diplomatiques, et à établir nos droits sur les provinces ou parties de provinces qu'on nous conteste.

La commission a eu communication de tous les protocoles et de toutes les notes.

Les cinq puissances réunies à Londres, en proposant une suspension d'armes et un armistice, ont formellement déclaré qu'elles n'avaient d'autre but que d'arrêter l'effusion du sang, pour démontrer qu'elles ne s'arrogeaient pas le droit d'intervenir et de résoudre les questions politiques, pour lever tous les doutes, elles ajoutaient que leur proposition était faite sans préjudice des questions politiques dont elles pourraient faciliter la solution.

Tel est le véritable caractère des négociations. C'est à tort qu'on a dit à la tribune de France que le peuple belge a appelé, a accepté l'intervention, qu'il a remis à la conférence de Londres la décision de nos débats politiques.

Aujourd'hui, il ne s'agit plus d'arrêter l'effusion du sang et de faciliter la solution de certaines questions ; les cinq puissances reprennent en sous-œuvre ce qui s'est fait en 1815. Elles déclarent qu'elles ont procédé à l'examen de questions qu'elles avaient à résoudre, elles reconstituent la Belgique, elles posent les bases de notre existence sociale.

La souveraineté nationale est transférée de Bruxelles au Foreign Office.

Une simple mission philanthropique a dégénéré en une intervention.

C'est contre ce système que nous avons protesté ; nous avons solennellement déclaré que le congrès n'a pas abdiqué et n'abdiquera jamais, en faveur des cabinets étrangers, l'exercice de la souveraineté que la nation lui a confié. Nous avons réclamé les droits reconnus à toutes les nations. Sans doute nous ne pouvons prétendre résoudre seuls nos contestations territoriales, mais on ne peut les décider sans nous ; elles peuvent faire l'objet de traités, dans lesquels nous serons partie, qui ne seront obligatoires que par notre concours.

Nous avons réduit aux termes les plus simples les questions politiques ; nous n'avons pas cru pouvoir entrer dans trop de détails ; nous ne pouvions faire un mémoire.

Quant au style, nous avons cherché à éviter la rédaction froide, équivoque de la diplomatie, et le ton emphatique qu'on rencontre souvent dans les documents de ce genre.

M. le rapporteur donne lecture du projet de protestation ; il est conçu en ces termes :

« AU NOM DU PEUPLE BELGE,

« Le congrès national,

« Vu l'extrait du protocole, n° 11, de la conférence tenue au Foreign Office, le 20 janvier 1831, communiqué à l'assemblée le 29 janvier, et relatif aux limites de la Belgique ;

« Considérant que les plénipotentiaires des cinq grandes puissances réunis à Londres, en proposant au gouvernement provisoire de la Belgique la conclusion d'une suspension d'armes et d'un armistice, ont formellement déclaré, dans les protocoles du 4 et du 17 novembre 1830, que leur seul but est d'arrêter l'effusion du sang, sans préjuger en rien les questions dont ils auraient plus tard à faciliter la solution ;

« Que le gouvernement provisoire de la Belgique, en consentant à la suspension d'armes et en acceptant la proposition d'armistice, a également déclaré, dans ses actes du 10 et du 21 novembre. et du 18 décembre 1830, ne considérer la mission de la conférence de Londres que comme toute philanthropique, et n'ayant pour but que d'arrêter l'effusion du sang, sans préjudice à la solution des questions politiques et territoriales ;

« Que, dans tous les actes ultérieurs, et notamment (page 322) dans la réponse faite le 18 janvier au protocole du 9 du même mois, le gouvernement belge a rappelé à la conférence que « toute convention dont l'effet serait de résoudre les questions du territoire ou des finances, ou bien d'affecter l'indépendance ou tout autre droit absolu de la nation belge, est essentiellement dans les pouvoirs du congrès national de la Belgique, et qu'à lui seul en appartient la conclusion définitive ; »

« Que c'est dans ce sens que les instructions ont été données aux commissaires délégués à Londres ; qu'aussi ces derniers, dans la note remise à la conférence le 6 janvier, et dont il leur a été accusé réception, ont déclaré, en fournissant des éclaircissements sur les limites de la Belgique, et en faisant connaître « les uniques bases sur lesquelles on pourrait voir s'établir un traité, que toutes les questions de cette nature ne pouvaient être décidées que par le congrès national, à qui seul en appartient le droit ; »

« Qu'il résulte de ces documents que c'est dénaturer le but de la suspension d'armes et de l'armistice, et la mission de la conférence de Londres, que d'attribuer aux cinq puissances le droit de résoudre définitivement des questions dont elles ont annoncé elles-mêmes vouloir seulement faciliter la solution, et dont, à leur connaissance, le congrès belge ne s'est jamais dessaisi ;

« Que, d'ailleurs, c'est violer, de la manière la plus manifeste, le principe de la non-intervention ; principe fondamental de la politique européenne, et pour le maintien duquel la France et la Grande-Bretagne notamment ont pris l'initiative dans les occasions les plus solennelles ;

« Considérant que ce n'est point par un système de conquête et d'agrandissement que le peuple belge comprend dans son territoire le grand-duché de Luxembourg, le Limbourg et la rive gauche de l'Escaut, mais en vertu du droit post liminii ou par suite de cession ;

« Qu'en effet le grand-duché de Luxembourg et la majeure partie du Limbourg ont appartenu à l'ancienne Belgique, et se sont spontanément associés à la révolution belge de 1830 ;

» Qu'en 1795, et postérieurement, la Hollande a fait cession de la rive gauche de l'Escaut, et de ses droits dans le Limbourg, contre des possessions dont elle jouit actuellement et qui appartenaient à l'ancienne Belgique,

« Déclare :

« Le congrès proteste contre toute délimitation de territoire et toute obligation quelconque qu'on pourrait vouloir prescrire à la Belgique sans le consentement de sa représentation nationale.

« Il proteste dans ce sens contre le protocole du 20 janvier, et s'en réfère à son décret du 18 novembre 1830, par lequel il a proclamé l'indépendance de la Belgique, sauf les relations du Luxembourg avec la confédération germanique.

« II n'abdiquera dans aucun cas, en faveur des cabinets étrangers, l'exercice de la souveraineté que la nation belge lui a confié ; il ne se soumettra jamais à une décision qui détruirait l'intégrité du territoire et mutilerait la représentation nationale ; il réclamera toujours de la part des puissances étrangères le maintien du principe de la non-intervention.

« Que si les bases énoncées dans cette déclaration pouvaient être méconnues ou violées ; que si l'existence d'un peuple entier pouvait, comme en 1815, être sacrifiée aux intérêts d'une famille ou aux calculs de la politique, les représentants du peuple belge, malgré leur vif désir de concourir au maintien de la paix générale, s'acquitteraient d'un devoir sacré, et, comptant sur la justice de sa cause et sur la sympathie des peuples, ils dénonceraient au monde civilisé l'attentat dont leur patrie serait victime.

« Le pouvoir exécutif est chargé de rendre publique la présente protestation, laquelle sera transmise à la conférence de Londres.

« Bruxelles, le 30 janvier 1831.

« LEBEAU, baron OSY, H. VILAIN XIIII, A. GENDEBIEN, SYLVAIN VAN DE WEYER, NOTHOMB, J. DESTOUVELLES, PAUL DEVAUX, A. DE ROBAULX. » (U. B., 1er fév. et A. C.)

M. le président – Quelqu'un demande-t-il la parole sur cette protestation ? (J. F., 1er fév.)

M. Van Meenen – Je crois la protestation suffisante en ce qui concerne une partie du protocole. Mais il me paraît qu'il y a une lacune à combler pour ce qui regarde les articles 5 et 6. Les dispositions de ces articles ne sont pas claires. Je conçois la neutralité de notre territoire, en cas de guerre, entre les puissances qui nous environnent. Mais je ne la conçois pas hors de là ; s'il nous faudra rester perpétuellement neutres, il nous sera défendu de nous associer à une nation voisine, dans une guerre de principes par exemple ; en cas de guerre même, entre les puissances étrangères, je crois qu'il faudrait s'opposer à cette neutralité, car nous donnerons par là à ces puissances le droit d'intervenir dans nos affaires et de contrôler toutes les mesures que nous pourrons (page 323) prendre pour nous garantir contre toute invasion. Ces observations me conduisent à demander qu'on imprime et distribue le projet de protestation, afin que le congrès puisse l'examiner avec attention. (c., 1er fév.)

M. le comte Duval de Beaulieu – Il me semble que j'ai remarque dans le projet une sorte d'appel aux peuples, de menace indirecte contre toutes les puissances. Il conviendrait, selon moi, de bien examiner ce passage avant d'y donner son adhésion. Je demande donc l'impression et la distribution du projet. (C., 1er fév.)

- Le projet sera imprimé et distribué ; la discussion en aura lieu ensuite. (P. V.)

Proposition ayant pour objet la nomination immédiate du chef de l'Etat

Proposition ayant pour objet d'appeler le duc Auguste de Leuchtenberg au trône de Belgique

Proposition ayant pour objet d’appeler le duc de Nemours au trône de la Belgique

Discussion générale

M. le président – Nous passerons à la discussion sur le choix du chef de l'État. (C., 1er fév.)

M. le chevalier de Theux de Meylandt – Messieurs, deux motifs m'empêchent de voter pour le duc de Nemours, la certitude dé la guerre et la certitude de la perte de notre indépendance.

Les diverses guerres dont notre pays a été le théâtre, les traités anciens, ceux de 1814 et les conférences récentes de Londres prouvent à l'évidence que les puissances alliées considèrent la Belgique comme une barrière indispensable entre elles et la France.

Aussi le roi des Français a-t-il déclaré impérativement qu'il ne pourrait accepter la couronne de la Belgique ni pour lui ni pour le duc de Nemours.

Toutefois je pense que l'élection faite par le congrès donnerait lieu à des négociations avec les puissances alliées ; entre-temps les préparatifs de guerre seraient poussés avec activité, et en définitive la guerre serait déclarée plutôt que de laisser la puissance française s'établir en Belgique.

Mais le roi des Français, pressé par un parti influent, serait forcé d'accepter pour son fils une couronne aussi formellement offerte, et ainsi le congrès serait la première cause d'une guerre dont il est impossible de prévoir le terme et les suites funestes.

La France perdrait immédiatement son commerce maritime, Alger et ses colonies, et courrait risque de succomber même avec nous, sous les forces combinées de toutes les puissances si intimement alliées.

Dans tous les cas, la Belgique serait le théâtre au moins partiel de la guerre, tandis qu'Anvers et Maestricht servent encore de portes à l'ennemi pour y pénétrer.

En cas de défaite, la Belgique serait partagée entre les Prussiens et les Hollandais.

En cas de triomphe, elle serait réduite en départements français, soit à titre d'indemnité, soit sous le prétexte de sûreté commune.

D'ailleurs, en supposant au gouvernement français la bonne foi la plus rigoureuse, la Belgique gouvernée par le duc de Nemours, séparée de la France par une ligne de douanes et privée de son commerce maritime par l'Angleterre, serait obligée de demander comme une faveur sa réunion intime avec la France.

Messieurs, j'appelle toute votre attention sur ces résultats inévitables, et vous vous convaincrez bientôt que votre mandat ne vous autorise pas à les provoquer ; pour éluder la force irrésistible de ces considérations, les partisans du duc de Nemours posent en fait que la guerre est inévitable dans l'état actuel de l'Europe, et qu'ainsi il vaut mieux s'associer d'abord aux destinées de la France : je ne saurais partager leur conviction ; je pense au contraire que la France aussi bien que les autres puissances ont intérêt à maintenir la paix, et leur conduite depuis les événements extraordinaires de l'an dernier semble justifier assez mon opinion.

D'autres orateurs ont pensé que la France obtiendrait l'assentiment de l'Angleterre moyennant la cession d'Alger ; mais si cet espoir avait quelque fondement, le roi des Français n'aurait pas si nettement déclaré l'impossibilité où il se trouvait d'accepter les offres qui pourraient lui être faites par le congrès.

Dans ces circonstances, mon vote doit se porter sur le duc de Leuchtenberg.

Je repousse comme invraisemblable la supposition que la France offensée pourrait donner les mains à un partage de notre territoire : en effet ce partage devrait attribuer à la France les provinces limitrophes avec la ligne de forteresses que les alliés considèrent comme un premier boulevard ; il donnerait à la France une augmentation de population ennemie : au surplus le projet est devenu impossible par la reconnaissance de notre État.

La déclaration faite par le ministre Sébastiani, que ce choix serait regardé comme un acte d'hostilité et donnerait lieu au rappel de l'envoyé, mérite toute notre attention.

Mais, messieurs, je vous prie de vous rappeler (page 324) que, dans la note officielle du 21 janvier, le même ministre a déclaré que la France ne porterait pas la moindre atteinte à la liberté que nous avions de choisir le duc de Leuchtenberg, sauf le droit de ne pas le reconnaître.

Le décret par lequel vous avez chargé le gouvernement de faire prendre des informations à Paris, a dû donner plus d'assurance au ministère, et de là est résultée la nouvelle déclaration pour intimider les esprits irrésolus. Je prévoyais cette conséquence lorsque je m'opposai à cette démarche, aussi n'est-elle pas suffisante pour me faire changer d'opinion.

En tout cas, le rappel de l'envoyé n'est pas une déclaration de guerre ; celle-ci serait odieuse et injuste, et contraire aux intérêts de la France.

Le caractère connu du prince, et la loyauté des Belges, doivent rassurer le gouvernement français contre ses alarmes sur des intrigues quelconques ; ce prince est d'ailleurs étranger à la famille de Bonaparte et n'a aucune prétention à faire valoir en France.

Aussi je ne doute pas que le gouvernement français ne revienne de ce préjugé après l'élection, et qu'il ne reconnaisse, après un court délai, un prince inoffensif, incapable de troubler sa sécurité.

Si, contre toute attente, le gouvernement français cédait plus tard à des vues d'agrandissement, notre élection ne pourrait être qu'un vain prétexte.

Quant aux autres puissances, l'élection du duc de Leuchtenberg ne leur sera pas désagréable ; au contraire, elle les rassurera pleinement contre la crainte de la réunion à la France, et par conséquent elle nous sera utile pour obtenir l'intégrité de notre territoire qu'on tient en suspens, et qu'on nous conteste.

Enfin, l'impossibilité de faire un autre choix propre à consolider l'ordre intérieur justifie mon vote, alors que l'État exige impérieusement un chef. (C., supp., 1er fév.)

M. Masbourg – Je renonce à la parole. (C., 1er fév.)

M. le président – La parole est à M. Maclagan. (J. B., 1er fév.)

M. Maclagan – Je renonce également à la parole pour le moment. (C., 1er fév.)

M. Seron monte à la tribune. (Mouvement d'attention.) L'honorable orateur prononce avec chaleur le discours suivant, qui est entendu par l'assemblée dans le plus religieux silence – Messieurs, quand treize membres du congrès plaidèrent à cette tribune la cause de la république, on les regarda comme des rêveurs, des utopistes, des insensés, des aveugles qui ne connaissaient ni l'esprit du siècle, ni l'état du pays, ni ses besoins. Leur plan de gouvernement fut mis sur la même ligne que la paix perpétuelle de l'abbé de Saint-Pierre. Cependant ils voyaient aussi clair que ceux qui, les regardant en pitié, se croyaient, au moyen de doctrines infaillibles, capables de les guider et de les mettre dans le bon chemin. Il est du moins probable que, si l'on eût adopté la forme républicaine, vous ne seriez pas aujourd'hui dans la situation difficile où vous place l'embarras de choisir le chef de votre Etat naissant.

Quoi qu'il en soit, vous avez voulu la monarchie, et malgré la répugnance que j'ai montrée jusqu'ici à m'occuper des institutions qui s'y rattachent, malgré mon dégoût pour ce gouvernement, et la préférence que je donne à la république avec une conviction que n'ont pas ébranlée les événements de la révolution française, je dois, laissant à part mon opinion, me soumettre, en bon citoyen, aux décisions d'une assemblée qui représente la nation souveraine.

C'est en raisonnant ainsi que j'ai cru devoir signer avec cinquante de mes honorables collègues la proposition qui a été lue et déposée sur le bureau dans votre séance du 25 de ce mois (Note de bas de page : voir page 258), et que je viens prendre part à la délibération ouverte sur l'élection d'un chef héréditaire ; décidé toutefois à m'arrêter si je rencontre sur ma route un précipice, ou, pour parler sans figure, si le choix auquel on va procéder pouvait être tel, qu'il compromît le salut de la patrie et rendît son état futur pire que son état présent.

L'un des motifs pour lesquels j'ai déjà donné et donnerai la préférence au duc de Nemours sur le duc de Leuchtenberg, sans les connaître ni l'un ni l'autre, c'est précisément celui que les partisans de ce dernier font valoir en sa faveur. Ils prétendent que la Russie, l'Autriche, la Prusse et l'Angleterre le reconnaîtront ; je prétends, moi, que si la Sainte-Alliance et l'Angleterre le reconnaissent, la France ne le reconnaîtra pas. Je dis la France sans la séparer de son monarque qui ne peut s'appuyer que sur elle, qui doit marcher d'accord avec elle, et qui tomberait du moment où elle viendrait à l'abandonner. Car Louis-philippe n'est pas un roi légitime, un roi par la grâce de Dieu. C'est un roi révolutionnaire né de la rébellion de juillet.

Non, la France ne reconnaîtra pas le duc de (page 325) Leuchtenberg. En effet, messieurs, croyez-vous que, coupable de son insurrection, et, par son exemple, de la vôtre et de celle des Polonais, elle reçoive jamais des monarques de la Sainte-Alliance et de l'Angleterre, toujours d'accord avec eux quand il s'agit d'opprimer les peuples, un pardon qui aurait les suites les plus funestes pour le pouvoir absolu ? Croyez-vous qu'on l'eût laissée tranquille jusqu'à présent si l'on avait cru pouvoir l'attaquer avec quelque apparence de succès ?

Croyez-vous que cette France qui, tout à l'heure, aura sous les armes six cent mille hommes de troupes de ligne prêts à entrer en campagne, ne sente pas sa situation et sa force ? Croyez-vous que, régénérée par sa révolution de juillet, elle soit faite pour rester dans l'état d'humiliation où l'avaient réduite quatre années de revers et deux restaurations plus funestes que ces revers mêmes ? Croyez-vous que, maintenant, elle souffrira que les Prussiens continuent d'occuper Sarrelouis, de menacer sa frontière à l'est avec des positions en deçà du Rhin et une place d'armes telle que Luxembourg ?

Croyez-vous qu'elle consentira à ce que sa frontière au nord soit échancrée par une ligne de forteresses, qu'occuperaient ses ennemis, ou, ce qui serait la même chose, croyez-vous qu'elle souffrira sur le trône de la Belgique un roi qui soit leur allié ?

Et si la France ne reconnaît pas le duc de Leuchtenberg, vous qui l’aurez imprudemment appelé ici, ferez-vous pour l'y maintenir une guerre impie à une nation amie, votre alliée naturelle, votre unique soutien ? Trop faibles pour lutter seuls contre elle, vous qui voulez être libres, par quelle inconcevable contradiction appellerez-vous à votre secours les ennemis mêmes de votre liberté, de la sienne, de toutes les libertés sans exception ? Oublierez-vous que c'est à cette nation, au-dessus de laquelle un orateur vous a si gratuitement placés sous le rapport des connaissances en liberté religieuse, politique et civile, que sont dus les immenses progrès que, depuis trente-six ans, vous avez faits dans la carrière de la civilisation ? Oublierez-vous que, sans le principe de la non-intervention solennellement proclamé par le gouvernement français et signifié aux autres puissances, il y a trois mois que le Rhin eût été franchi par les troupes prussiennes, notre pays envahi et notre sainte insurrection punie ? Et ceux qui calomnient ce même gouvernement ignorent-ils donc que, sans sa protection, ils seraient aujourd'hui pendus ou fugitifs !

Dans le dessein de faire détester la France, que naguère on bénissait, n'a-t-on pas dit qu'elle consentirait à ce qu'on vous imposât le prince d'Orange ? Mais la conduite du gouvernement de Louis-Philippe dément cette infâme accusation, mais le prince d'Orange ne conviendrait pas mieux à la France que le duc de Leuchtenberg. Voulez-vous savoir par qui il serait agréé avec plaisir ? Par l'Angleterre dont il deviendrait le vassal et le fermier comme l'était son père ; alors ce peuple égoïste, perfide, ennemi mortel de la liberté et de la prospérité des autres peuples, ainsi qu'il l'a prouvé par sa conduite envers les Sept-Îles, envers la malheureuse Grèce, envers les Indiens, les Français, les Génois, les Napolitains, les Portugais, les Espagnols, envers vous-mêmes ; ce peuple égoïste, dis-je, aurait un pied-à-terre sur le continent, une barrière contre la population nombreuse, compacte et guerrière de la France, de la France sa rivale depuis sept cents ans, et que, malgré les prédictions de nos grands penseurs, il regardera toujours comme son ennemie à cause de la position géographique des deux pays. Maître du port d'Anvers et de vos autres places fortes, il continuerait de la menacer de vos armées soumises aux inspections du général de la Sainte-Alliance ; il exploiterait à son aise les richesses de la Belgique ; il y verserait les produits de ses manufactures et s'emparerait de votre commerce, de même que depuis plus d'un siècle il s'est mis en possession du commerce du Portugal. Oui, messieurs, le roi qui serait agréable à l'Angleterre c'est le prince d'Orange, autrefois à sa solde en sa qualité d'aide de camp de Wellington, et dont les ancêtres, lâches oppresseurs de la Hollande, furent toujours, par cela même, les constants amis de la Grande-Bretagne et les ennemis de la France. Voilà ce qu'ont appris vos diplomates, et quant à moi je n'avais pas besoin d'aller à Londres pour en être persuadé.

Est-ce de bonne foi qu'on voudrait nous placer sous la protection et le patronage d'une nation qui, sauf ses marchandises, ne peut nous offrir que la misère et l'esclavage ? Est-ce sérieusement qu'on nous dit que sans l'alliance de la France la Belgique peut subsister en corps de nation ?

Est-ce sérieusement qu'à cette tribune on a voulu vous prouver que sans la France notre commerce peut prospérer ? Tout le monde n'est-il pas demeuré convaincu que ceux qui traitaient ainsi la question étaient incompétents pour la décider ? Les industriels, les manufacturiers, les économistes ne sont-ils pas au contraire persuadés que sans l'alliance de la France notre commerce est frappé de mort ?

(page 326) Pour vous éloigner d'elle on vous la peint comme faible, divisée en partis de prêtres, de carlistes, de vendéens, de bonapartistes, de républicains. J'ose dire que ceux qui en jugent ainsi ne l'ont vue que du coin de leur feu ; il est certain au contraire que les principes d'une sage liberté y sont répandus dans toutes les classes de la société, que les partis y sont bien moins dangereux qu'ils ne l'étaient au fort de la révolution ; qu'en un mot la France d'aujourd'hui a plus de forces pour les comprimer et pour vaincre ses ennemis au dehors, si on osait attaquer sa liberté et son indépendance, qu'elle n'en avait en 1793 et 1794, quand elle résista à toute l'Europe conjurée contre elle.

Avec nous elle est bien plus forte encore, et réunis à elle, quels ennemis craindrions-nous ?

On parle de la guerre ! Je suis loin de la croire imminente. Ni l'Angleterre ni la Sainte-Alliance n'y sont préparées ; j'ose dire qu'elles doivent la craindre plus que nous. Mais guerre pour guerre, il vaut mieux mille fois la faire avec la France que contre la France. Avec elle nous sommes libres si nous sommes vainqueurs, sans elle nous sommes esclaves avant de combattre.

On parle de notes contradictoires et menaçantes de la diplomatie : j'avoue que j'en fais peu de cas ; je n'y vois que les ruses de gens qui cherchent à se tromper les uns les autres. Le thermomètre que je consulte c'est la situation des esprits en Europe, c'est l'amour des peuples pour la liberté. Comment pourraient-ils voir d'un œil jaloux l'alliance intime de deux nations qui n'ont nulle envie d'attenter à leur indépendance, qui comme eux veulent la liberté ?

Mais, dit-on, la nation belge demande le duc de Leuchtenberg. Quoi donc ! les cris proférés dans quelques rassemblements, les pamphlets répandus dans le public expriment-ils le vœu de la nation ? Non, messieurs, pas plus que les pétitions qui vous ont été adressées et dont les signatures quelquefois ont été mendiées par l'intrigue. Il est des hommes qui rougiraient peut-être si l'on signalait les honteuses manœuvres qu'ils ont employées pour les obtenir.

Je voterai donc pour le duc de Nemours, mon suffrage sera le fruit de la plus intime conviction, et comme cette conviction est fondée sur des faits, rien ne saura l'ébranler, ni les arguments ni les phrases de ceux qui, n'ayant vu les révolutions que dans les livres, se croient néanmoins plus capables d'en juger que ceux mêmes qui en ont été témoins, ni les menaces affichées sur les murs ou vociférées par les rues.

Qui le croirait ! un de nos honorables collègues, que j'estime beaucoup, m'a dit que les signataires de la proposition en faveur du duc de Nemours étaient, à leur insu, entraînés dans le parti des orangistes !

Il se trompe, messieurs : les signataires de cette proposition sont tous des amis de l'ordre, mais ils ne sont pas aveugles. Ceux-là agissent véritablement dans le sens des orangistes, ceux-là veulent troubler l'ordre et nous conduire à l'anarchie et de l'anarchie au despotisme ; qui inaugurent en public, au théâtre, au milieu de leurs bravos, qui promènent par les rues les images couronnées d'Auguste Beauharnais, qui veulent qu'à leur aspect les citoyens se découvrent et s'inclinent ; qui, prenant la place du peuple souverain dont ils ne sont qu'une très mince fraction, veulent intimider un grand nombre de ses représentants et les forcer à faire un choix qui répugne à leur conscience et qu'ils croient funeste à la nation ; ceux-là n'aiment pas la liberté, qui sont adulateurs et qui s'engouent d'un homme qu'ils ne connaissent pas ; ceux-là sont les vrais orangistes qui sèment l'or de la corruption afin de produire des mouvements que désavouent les bons citoyens.

Ceux-là trompent le peuple qui lui persuadent qu'il aura en abondance du pain et du travail quand nous aurons nommé un roi, car l'état de malaise où se trouve la classe ouvrière vient de la médiocrité des récoltes de 1830, et de la stagnation du commerce, suite de la révolution : deux inconvénients auxquels les rois ne sauraient porter remède. Enfin, ceux-là se trompent eux-mêmes qui croient qu'avec un roi postiche, sans un seul vaisseau, sans le concours de la France, nous allons tout à l'heure entrer en possession et de la citadelle d'Anvers, et du cours de l'Escaut, et de la Flandre maritime, et de Maestricht et de Luxembourg, et nous décharger du fardeau de la dette hollandaise.

Je voterai pour le duc de Nemours et n'ai plus rien à dire. (E., 1er fév.)

M. Jottrand – Messieurs, l'honorable préopinant n'a parlé ni en faveur du duc de Nemours ni en faveur du duc de Leuchtenberg. Il a parlé dans le sens d'une réunion pure et simple de la Belgique à la France. (Dénégations à gauche.) (C., 1er fév.)

M. Seron, d'une voix forte – Non ! non ! (U. B., 1er fév.)

M. Jottrand – Je maintiens, messieurs, que l'honorable M. Seron n'a parlé que dans le sens d'une réunion de la Belgique à la France, et sans vouloir lui faire un grief de la franchise de son (page 327) opinion, j'ai le droit de la prendre et de l'examiner telle qu'elle a été émise. (C., 1er fév.)

M. Seron – Je n'ai pas parlé de réunion. (U. B., 1er fév.)

M. Jottrand – Si je me trompe, les membres de cette assemblée qui l'ont compris autrement que moi ont le droit parlementaire de me répondre quand leur tour sera venu ; mais je leur dénie le droit de m'interrompre.

Oui, l'honorable préopinant n'a parlé que dans le sens de la réunion de la Belgique à la France ; car s'il en était autrement, à quoi lui aurait servi cette démonstration de la nécessité qu'il y a, selon lui, pour la France, de regagner sa prétendue frontière du Rhin ; de la volonté unanime que, selon lui, la France manifeste de regagner cette frontière ; de la puissance qu'elle possède, toujours selon lui, de la reconquérir et de la conserver désormais ?

Qu'avons-nous besoin de répondre point par point au discours de l'honorable préopinant ? Il nous suffit de l'exposer dans son véritable jour, aux nombreux partisans de l'indépendance de la Belgique, à ceux-là mêmes qui adoptent la combinaison du duc de Nemours, mais dans l'idée que c'est encore une chance pour notre indépendance.

Un point du discours de l'honorable préopinant, sur lequel il est nécessaire cependant de s'arrêter un instant, c'est cette assertion, toute gratuite à mon avis, que le duc de Leuchtenberg ne serait jamais reconnu par le peuple français (je dis, « le peuple français », parce qu'on le considérerait toujours comme l'homme de la Sainte-Alliance).

Je n'aurai pas besoin de faire de grands efforts pour démontrer que l'honorable membre apprécie mal les dispositions de la nation française.

Je n'irai pas consulter pour cela M. Bresson, qui ne m'offrirait pour toute instruction que sa propre manière de voir, que dis-je ? la manière de voir de celui qu'il représente, M. Sébastiani, dont la versatilité et les rétractations ne nous sont que trop bien connues. Je n'irai pas consulter un simple agent diplomatique qui ne me donnerait peut-être qu'une réponse équivoque et à coup sûr qu'une réponse intéressée. Je prendrai l'opinion de la France au milieu de la chambre des députés. Là je trouverai M. Sébastiani lui-même au milieu de ses juges ; et je l'écouterai parler, non plus le langage de ses notes diplomatiques, qu'il est d'ailleurs toujours prêt à désavouer, mais le langage que lui impose toute la France, auditoire dont il est obligé, sous peine d'une retraite immédiate, de capter la bienveillance et d'obtenir l'approbation.

Sans doute vous me permettrez, messieurs, de parcourir rapidement le compte rendu de la séance de la chambre des députés du 27 de ce mois (murmures à gauche) ; vous me le permettrez lorsque je vous rappellerai qu'on ne s'est pas abstenu dans cette enceinte de faire usage quelquefois de documents bien moins authentiques, bien moins dignes de créance que des rapports de journaux semblables à ceux dont je demande à pouvoir me servir. Vous me le permettrez surtout lorsque vous réfléchirez au grand intérêt que nous avons de bien connaître la véritable opinion de la France sur la grave question que nous agitons, lorsque vous vous souviendrez des dangers que nous avons déjà courus en nous en rapportant, pour cette opinion, aux communications mensongères d'une diplomatie sans pudeur.

J'ouvre donc le Courrier Français du 28 janvier, et je' consulte le compte qu'il rend de la séance de la chambre des députés du 27.

Une pensée domine presque tous les orateurs qui ont parlé dans cette mémorable séance : pensée fausse et que j'attribue à une cause dont je parlerai tout à l'heure. Cette pensée, c'est que la grande majorité des Belges demande la réunion de notre pays à la France.

Partant de cette donnée les représentants de la nation française examinent la question d'opportunité ou d'inopportunité pour cette réunion, la question d'avantage ou de désavantage qui peut en résulter pour la France ; les uns reprochent au ministère de n'avoir pas accepté l'offre de la Belgique ; les autres s'en félicitent et l'approuvent.

Mais, après l'examen de cette question, qu'ils jugent avec leurs notions fausses ou intéressées, que disent les députés de la France de l'élection du duc de Leuchtenberg ? Je ne vous citerai ni M. Mauguin ni M. Guizot qui regardent cette élection sous un tout autre point de vue que M. Seron, mais que vous pourriez récuser l'un comme un exagéré, l'autre comme un doctrinaire. Je vous citerai le général Lamarque, je vous citerai cet Eusèbe Salverte dont la loyauté est si connue, dont l'opinion est presque toujours d'accord avec tout ce que la France compte d'hommes à la fois calmes et généreux, amis de la liberté et du repos.

Écoutons d'abord le général Lamarque :

« Vieux soldat de Napoléon, compagnon d'armes de cet Eugène dont on repousse le fils, je dois m'abstenir de traiter la question de l'intervention que nous nous permettons dans les affaires de la Belgique ; je me contenterai de dire qu'ils connaissent bien peu les Français, ceux qui ne (page 328) savent pas que la persécution est un piédestal qui grandit ; qu'ils les calomnient odieusement, ceux qui les croient disposés à détruire leur ouvrage JJ ceux qui ne savent pas que ce peuple généreux ne fut jamais le premier à rompre le contrat synallagmatique qui le liait à ses souverains.

Vous voyez, messieurs, comme le général Lamarque interprète les sentiments de la France. Loin de repousser le duc de Leuchtenberg, le général Lamarque fait entendre que la France lui montrera d'autant plus de sympathie que le ministère emploiera plus de moyens pour l'écarter. Il rassure, au nom de la France, ceux qui redoutent ou feignent de redouter le voisinage du duc de Leuchtenberg pour la dynastie de Louis-Philippe.

Écoutons maintenant M. Salverte :

« M. le ministre des affaires étrangères annonce que le duc de Leuchtenberg ne sera jamais reconnu par la France. S'exprimer ainsi, c'est violer le système de non-intervention que vous avez proclamé. C'est une intervention avec menaces. Dire qu'on ne reconnaîtra jamais un prince élu librement par le peuple belge, c'est porter atteinte au principe de l'existence de notre propre gouvernement. Le ministère a-t-il oublié d'ailleurs qu'il n'y a pas de jamais en politique ? »

Et, messieurs, ces passages que nous venons de citer sont accueillis dans la chambre des députés par les applaudissements des tribunes, par les applaudissements de tout le côté gauche de l'assemblée, ce côté gauche où siégent les Lafayette, les de Schonen, les Odilon Barrot et les Dupont de l'Eure, membres déjà désignés du ministère national qui doit succéder à ce honteux ministère d'intrigues et de coteries que le brave Soult ne sauvera pas de la réprobation générale que lui a fait encourir M. Sébastiani.

Voyons cependant ce que dit ce dernier en présence d'une pareille manifestation de l'opinion française. Parle-t-il de sa dernière note du 26, communiquée au congrès par son agent M. Bresson ? Soutient-il les menaces qu'il fait à la Belgique ? Non, messieurs : fidèle à des antécédents qui vous sont bien connus, s'il ne nie pas sa note dont nos journaux n'ont pas encore renvoyé le texte aux journaux de Paris, il parle comme si cette note n'existait pas encore. Les menaces qu'il nous fait le 26, il semble les avoir oubliées le 27. Il annonce à la chambre des députés qu'il viendra prendre dans son sein les renseignements propres à le guider, si la Belgique élit le duc de Leuchtenberg. Voici ses propres paroles :

« Quant à l'accusation de gêner la liberté des Belges dans le choix de leur monarque, elle ne peut être sérieuse. La France demande à la Belgique une réciprocité de bienveillance. Que son territoire ne puisse devenir sous aucun prétexte un foyer d'intrigues sans cesse inquiétantes pour notre tranquillité intérieure, est-ce donc trop lui demander en retour de tout ce que nous avons fait pour elle ? Mais ici, messieurs, je commence à craindre de m'être laissé entraîner vers ces questions d'avenir sur lesquelles la prudence commande aux ministres du roi la plus grande réserve. A mesure que les événements marcheront, nous nous empresserons de vous en informer et de venir nous fortifier de vos inspirations et de votre assentiment. »

Prenons ces paroles de M. Sébastiani dans leur sens naturel. Elles nous disent : « Si les Belges élisent le duc de Leuchtenberg, nous viendrons vous demander à vous, députés de la France, ce que nous avons à faire. »

Eh ! ministre aussi maladroit qu'imprévoyant, si vous existez encore le jour de l'élection du duc de Leuchtenberg au trône de la Belgique, la chambre consultée par vous vous répondra : « C'est assez vous obliger à démentir vos paroles à l'étranger. Qu'un autre vous remplace pour déclarer à la Belgique que le duc de Leuchtenberg sera reconnu. »

Vous voyez, messieurs, que l'opinion de la France consultée dans la chambre de ses députés n'est pas telle qu'on veut nous le faire croire pour ce qui regarde l'élection du duc de Leuchtenberg. Mais je n'ai pas dissimulé que ces mêmes députés ont parlé avant tout de la réunion de la Belgique à la France. Pourquoi, messieurs ? parce qu'ils pensent que la Belgique tout entière appelle cette réunion, et que c'est nous rendre service que de nous conquérir.

Cette idée des députés français, partagée au reste par tout le ministère Sébastiani , à qui la doivent-ils ? Est-ce aux révélations que leur a faites la presse belge ? Mais tous nos journaux, même ceux de Mons et ceux de Liége, plaident énergiquement contre la réunion et pour l'indépendance de la Belgique. Le Journal de Verviers et deux ou trois feuilles nouvelles, inconnues même dans les villes où elles se publient, ont parlé, il est vrai, pour la réunion ; mais qui le sait en France, quand presque tout le monde l'ignore même en Belgique ?

Est-ce dans les discours des représentants de la Belgique au congrès que la France a appris que nous voulons nous réunir à elle ? Mais deux ou trois d'entre nous ont seuls jusqu'ici parlé dans ce sens. Ceux qui tendent vers la France sont obligés de (page 329) passer par la combinaison du duc de Nemours, comme pour rendre hommage au vœu que fait toute la nation pour son indépendance.

Non, ce n'est pas dans les journaux, ce n'est pas dans nos débats parlementaires que les députés et les ministres français ont puisé cette idée si fausse sur les dispositions de la Belgique à l'égard de la France. C'est, il faut bien dire ici toute ma pensée, dans les communications de notre diplomatie à Paris. Sans entendre toucher en rien au caractère d'aucun membre du congrès, en leur qualité de députés de la nation, je crois pouvoir communiquer à l'assemblée ce que je pense sur le compte du gouvernement et du comité diplomatique.

M. Sébastiani, qui voulait rendre sans doute indiscrétion pour indiscrétion, n'a-t-il pas dit, dans la séance de la chambre des députés du 28, que la Belgique s'était offerte à la France ? Et par qui, je vous prie, la Belgique a-t-elle pu être offerte à M. Sébastiani ?

En voilà plus qu'il n'en faut sur les révélations de la tribune française. Que ceux qui tiennent à connaître l'opinion de la France sur l'élection du duc de Leuchtenberg étudient cette opinion chez ses véritables rapporteurs, et ils seront rassurés.

Il faut que ce candidat de notre indépendance ait réellement des qualités et des avantages bien évidents à nous apporter, puisque, après avoir surmonté ce qu'on appelle les répugnances de la France, il a pu surmonter jusqu'à présent chez nous les entraves, oui, les entraves, que lui ont opposées et notre gouvernement et notre diplomatie à l'intérieur.

L'honorable M. Seron a parlé tout à l'heure de menées de la part des partisans du duc de Leuchtenberg, Mais que dire de ces ordres donnés depuis quelques jours à la police de notre théâtre pour prévenir les démonstrations inoffensives des spectateurs en faveur du duc de Leuchtenberg ? Que dire de cet à-propos que l'on a su saisir hier pour nous communiquer officiellement, au milieu de la discussion, et après le discours si remarquable de l'honorable M. Lebeau, la dernière lettre de M. Sébastiani déjà arrivée à Bruxelles depuis trente-six heures ? Je le répète encore, messieurs, le candidat des partisans de l'indépendance belge doit avoir bien des qualités pour n'avoir pas échoué devant tous ces obstacles.

- M. Jottrand continue son improvisation par l'énumération rapide des chances nombreuses que nous avons de fonder et de consolider l'indépendance de la Belgique d'une manière avantageuse à nos institutions et à notre commerce. Il termine par quelques observations sur la question du Luxembourg et démontre que l'article 2 du protocole du 20 janvier, en admettant gratuitement que nous nous y soumettions, est loin d'exclure encore la possession de Luxembourg pour la Belgique. Cet article ne fait que déterminer que le Grand-Duché reste dans ses relations avec la confédération germanique.

L'orateur votera pour le duc de Leuchtenberg afin d'épargner la guerre à toute l'Europe et une honte indélébile à la Belgique, qui, après avoir conquis son indépendance, ne la conserverait pas lorsque la Suède, la Hollande, la Bavière, la Suisse, le Portugal, etc., ont maintenu la leur au milieu de circonstances souvent beaucoup moins favorables.) (C., 1er fév.)

M. Alexandre Gendebien – Je demande la parole pour un fait personnel. Messieurs, l'erreur, je ne dirai pas volontaire, mais au moins grossière, dans laquelle est tombé le préopinant, touchant l'éloquent discours de .M. Seron, en prétendant que l'honorable membre avait parlé plutôt en faveur de la réunion que pour le duc de Nemours, cette erreur, dis-je, me dispenserait peut-être de répondre sur un autre point ; personne en effet n'a pu se tromper sur le discours de l'honorable M. Seron, et si l'honorable préopinant n'a pas compris une opinion si noblement, si franchement exprimée, c'est qu'il n'a pas voulu la comprendre. J'en viens au fait personnel : on a dit qu'on avait trompé la France sur les besoins, sur les intérêts, sur les vœux de la Belgique ; on a dit avec affectation, et en appuyant fortement là-dessus, que la diplomatie avait contribué à propager cette erreur, et que les diplomates avaient sans doute proposé la réunion au gouvernement français. Messieurs, je n'ai pas l'honneur d'appartenir à la diplomatie, mais j'ai rempli trois missions à Paris, et je proteste sur l'honneur que j'ai eu souvent à combattre cette opinion, et je l'ai fait ; mais jamais je n'ai proposé la réunion, ni de la part de mon pays, ni de mon propre mouvement : dans mes trois missions à Paris, j'ai acquis la conviction qu'il existait en France une idée fixe, celle de porter les limites jusqu'au Rhin, et de réunir la Belgique à la France ; j'ai combattu cette prétention, et je déclare sur mon honneur et sur ma conscience, que je ne crois pas qu'aucun de nos envoyés à Paris, ni aucun membre du gouvernement... (U. B., 1er fév.)

M. Lebeau – Répondez pour vous. (U. B., 1er fév.)

M. Alexandre Gendebien – Veuillez ne pas m'interrompre, M. Lebeau ; vous avez parlé (page 330) hier pendant plus d'une heure, et je ne vous ai pas interrompu. (U. B., 1er fév.)

M. Lebeau – Vous ne deviez pas parler sur un fait personnel. (U. B., 1er fév.) .

M. Alexandre Gendebien – Quand M. Lebeau aura la police de l'audience, je me conformerai à ses injonctions ; jusque-là il me permettra de m'en rapporter à M. le président. (U. B., 1er fév.)

M. le président – Il est clair que M. Jottrand a insinué que la diplomatie.... (U. B., 1er fév.)

M. Jottrand – Je n'ai rien insinué : j'ai dit, et j'en avais le droit comme représentant de la nation, que notre comité diplomatique et notre gouvernement provisoire avaient, dans mon opinion, mal représenté à Paris les sentiments de la nation belge. (C., 1er fév.)

M. Alexandre Gendebien – Je prie M. Jottrand de dire s'il a entendu parler de moi. (U. B., 1er fév.)

M. Jottrand – J'ai parlé du gouvernement. (U. B., 1er fév.)

M. Alexandre Gendebien avec force – J'adjure M. Jottrand de me répondre d'une manière catégorique : a-t-il entendu parler de moi ? (U. B., 1er fév.)

M. Jottrand – J'ai entendu parler du gouvernement sans désigner personne. (Bruit.) (U. B., 1er fév.)

M. Lebeau demande la parole pour un rappel au règlement – Je pense, dit-il, qu'un membre du gouvernement ne peut être entendu sur un fait personnel. S'il en était ainsi, on ne pourrait pas dire un mot du gouvernement dans cette assemblée sans que ses membres fussent admis à répondre, sous prétexte de parler sur un fait personnel. Cela est impossible, d'autant mieux que les membres du gouvernement en cette qualité n'ont pas accès dans cette assemblée s'ils ne sont en même temps députés au congrès. (U. B., 1er fév.)

M. Alexandre Gendebien – M. Lebeau s'est placé à côté de la question pour se donner le plaisir de faire une péroraison. Je lui ferai observer que je n'ai pas parlé comme membre du gouvernement, ce n'est pas non plus comme membre du gouvernement que j'ai rempli mes missions à Paris ; j'avais donc le droit de parler et de répondre à des insinuations qui auraient pu faire planer des soupçons sur mon compte. J'espère que le congrès appréciera la délicatesse qui m'a fait m'empresser de répondre. (Oui ! oui !) (U. B., 1er fév.)

M. Lebeau – Ce n'est pas comme député au congrès que vous avez été attaqué. (J. F., 1er fév.)

M. Alexandre Gendebien et M. Jottrand continuent leur colloque. (Tumulte.) (J. F., 1er fév.)

M. le président agite la sonnette. Le calme se rétablit difficilement. (J. F., et E., 1er fév.)

M. le comte d’Arschot, vice-président du comité diplomatique – Comme membre du comité diplomatique, j'interpelle à mon tour M. Jottrand, et je lui demande s'il sait que le comité ait fait des propositions de réunion. (U. B., 1er fév.)

M. Jottrand – Quand le congrès mandera devant lui les membres du gouvernement ou du comité diplomatique, je ferai les interpellations que je jugerai convenables et je répondrai à celles qui me seront faites. Jusque-là je me borne à dire que je n'ai parlé que du gouvernement, sans entendre désigner aucun membre de cette assemblée individuellement. (U. B., 1er fév.) .

M. le comte d’Arschot, vice-président du comité diplomatique – Je suis fatigué de voir qu'on veuille nous en imposer, et nous enlever la parole quand on nous accuse. J'ai vu partout dans les assemblées délibérantes que les ministres avaient le droit d'être entendus et de se défendre toutes les fois qu'on attaquait leurs actes ou leurs personnes ; nous avons donc le droit de parler, nous qui sommes en même temps députés. Eh bien, je le déclare, le comité diplomatique n'a jamais proposé la réunion à la France. (U. B., ter fév.)

M. Jottrand – Je ne dis pas le contraire ; mais on a fait des propositions relatives à cet objet, cela est sûr. M. Sébastiani l'a dit positivement dans le discours qu'il a prononcé dans la séance du 28, dont vous recevrez la relation ce soir ou demain, par les journaux de Paris. (C., 1er fév.)

M. le président – M. Le Hon, vous avez demandé la parole. (U. B., 1er fév.)

M. Charles Le Hon, membre du comité diplomatique – Je voulais faire une observation, l'honorable préopinant m'a prévenu. Je dirai seulement que M. Jottrand accusant le gouvernement, abstraction faite des personnes qui le composent, les membres du gouvernement qui sont députés ont certainement le droit de défendre leurs collègues absents. Du reste, quand je parlerai sur le fond, je me réserve de répondre comme il convient à l'honorable membre. (U. B., 1er fév.)

M. le président – Allons, c'est fini. (U. B., 1er fév.)

M. Maclagan monte à la tribune. La plupart des membres quittent leurs places et se groupent (page 331) autour de l'orateur, qui s'exprime en ces termes – Quoique je doive, en conséquence de la prévention qui existe contre moi, m'attendre à n'être écouté qu'avec défaveur, aucune considération ne m'empêchera de parler et de faire mon devoir. Je me le dois à moi-même, je le dois à mes commettants.

La question que nous sommes appelés à résoudre est une question de vie ou de mort, c'est de sa solution que le bonheur ou le malheur de la Belgique va dépendre. Le voile dont les destinées de notre patrie sont couvertes commence à se soulever.

J'ai toujours pensé, et les incrédules ne peuvent plus en douter, qu'il y avait intervention de la part des cinq grandes puissances dans nos affaires. Elles viennent de se prononcer. Je m'étais toujours flatté que nos envoyés se seraient rapprochés d'elles et que, par un heureux arrangement , nous aurions pu conserver la paix de l'Europe. Depuis leur retour j'ai perdu toute espérance.

La France seule s'est prononcée plus explicitement, quoiqu'en termes très mesurés. Elle nous repousse, elle craint une union qui pourrait compromettre ses intérêts matériels et même son existence. Elle est d'ailleurs assez grande et assez puissante pour ne pas désirer une accession de territoire qui l'entraînerait dans une guerre qui, quelque heureuse qu'elle pourrait être, ne la dédommagerait jamais de la perte de son commerce maritime et de ses colonies, lesquelles, au premier coup de canon, deviendraient la proie de la fière Albion, qui ne veut pas et ne souffrira jamais, tant qu'elle aura un homme sur pied, notre réunion à la France. C'est une politique dont elle n'a jamais dévié et dont elle ne déviera jamais, arrive ce qui pourra. La première guerre avec la France, et dans laquelle elle a persévéré avec tant d'insistance, l'a prouvé ; elle n'a posé les armes qu'après avoir atteint son but. Nous avons tout à craindre si nous nous jetons entre les bras de la France ; elle n'est pas assez forte pour nous défendre. Je vous dirai que vos vrais intérêts sont de rechercher l'amitié et l'alliance de l'Angleterre. La saine politique vous le dit. Je ne chercherai pas à le prouver par de longs raisonnements qui ne peuvent rien contre les préjugés et les passions.

Ne comptez pas sur le peuple français : pouvez-vous lui donner quelque chose qu'il n'a pas ? Si vous avez un parti en France qui peut désirer la réunion, vous en avez un par contre qui n'en veut à aucun prix, c'est celui des industriels et des propriétaires. Les maîtres de forges, les fabricants et les propriétaires, maintenant protégés par des droits, ont tout à redouter d'une concurrence avec nous.

Le roi Philippe est trop sage et aime trop son peuple pour sacrifier son bonheur au vain honneur de donner une couronne à son fils, et quelle couronne encore !

Si la France ne veut pas nous donner le duc de Nemours, si elle persiste à donner l'exclusion au duc de Leuchtenberg, si les autres puissances persistent à se donner mutuellement l'exclusion, qui prendrons-nous ? (Mouvement d'attention.)

Notre embarras est devenu plus grand au sujet du choix d'un prince du sang français depuis la communication du protocole d'hier, qui nous apprend que les cinq grandes puissances à Londres, tout en reconnaissant la Belgique indépendante, l'ont déclarée cependant pays de neutralité perpétuelle, ce qui exclut bien certainement toute idée possible d'une union intime à la France, comme le serait le choix du duc de Nemours. La neutralité perpétuelle suppose l'exclusion de chacune des cinq puissances de la domination dans notre pays, soit directe, soit indirecte.

Je vous avouerai, messieurs, que je suis aussi embarrassé que vous de trouver un candidat digne de nous, surtout dans la position où nous nous sommes placés.

Ce que je sais, et vous aussi, messieurs, c'est que la nation est lasse du provisoire et vous demandera compte de ce que vous avez fait et de ce que vous avez dû faire. Le peuple ne connaît que ses intérêts matériels. Nous ne pouvons pas nous dissimuler que la révolution les a froissés, et qu'il veut sortir à tout prix de cet état de malaise.

L'industriel compte pour peu dans les affaires de l'État, c'est cependant lui qui en est le soutien et qui lui donne la vie. Sans lui, point de finances, et partant point de gouvernement. C'est lui qui habille et nourrit le magistrat ; c'est lui qui concourt le plus à payer les contributions, et c'est précisément lui, qui a le plus d'intérêt dans l'État, qu'on ne consulte pas dans le choix du souverain.

Les contributions se payent encore, mais jusqu'à quand ? Tous les ateliers sont déserts, et trois mille navires qui nous apportaient les richesses du monde ont abandonné nos ports pour chercher des rivages plus paisibles.

Il n'y a pas un état, pas une profession que la révolution n'ait frappé de mort.

Prenez un roi, nous dit-on, et l'âge d'or renaîtra. Si nous prenons le duc de Leuchtenberg, notre situation sera-t-elle améliorée ? Non, nous nous brouillons avec la France, et nous avons la guerre avec la Hollande par-dessus le marché. Si nous (page 332) prenons le duc de Nemours, nous avons la guerre avec toute l'Europe. Si la misère est dès à présent à son comble, qu'est-ce qu'elle ne sera pas quand nous deviendrons le théâtre de la guerre, que nos villes seront incendiées, et nos campagnes dévastées, ravagées ?

On compte trop sur la protection de la France ; si la guerre éclate, comme il n'en faut pas douter, elle aura de la peine à se défendre contre la Prusse, l'Autriche, la Russie et l'Angleterre, et à contenir en même temps les partis intérieurs prêts à la déchirer.

Si nous sommes abandonnés à nos propres forces, est-ce que nous pourrons nous défendre contre tant de puissances ?

Pour faire la guerre et solder une armée, il faut de l'argent. En avez-vous ? Vous n'irez pas bien loi ! avec votre budget de 41 millions, et partant un déficit de 10 millions. Sans argent, sans commerce, sans crédit, comment nous soutenir ? L'Europe qui nous contemple a dû s'étonner quand elle a entendu de graves sénateurs avancer à cette tribune que les propriétaires de la Belgique étaient dans une telle détresse qu'ils ne pouvaient trouver assez d'argent pour payer l'impôt foncier. Si le propriétaire est déjà aux abois, que doit-il en être du pauvre industriel ? S'il a un sou de reste, n'est-ce pas au propriétaire qu'il doit le porter pour avoir du pain ? car il faut qu'il mange !

Il n'y a pas d'autre moyen de ramener la confiance, le commerce et le bonheur, que de conserver la paix ; cette paix dépend de vous. Elle est l'objet le plus ardent des vœux des hommes de tous les pays, qui aiment sincèrement leur patrie. Sommes-nous donc, comme des parias, exclus à toute perpétuité de la grande famille européenne ? N'y a-t-il pas moyen d'y rentrer ? Négocions, messieurs, mais négocions franchement. Est-il possible, est-il croyable que le congrès de Londres n'ait pas fait quelques propositions ? Ces propositions auraient-elles été si dures, si honteuses qu'on n'ait pas osé nous les communiquer ? Toutes les nations n'ont-elles pas subi les lois de l'inflexible nécessité ?

La France elle-même n'a-t-elle pas vu deux fois sa capitale occupée par l'ennemi ? Ses légions ne se sont-elles pas retirées derrière la Loire ? N'ont-elles pas été licenciées ? N'avons-nous pas nous-mêmes partagé ses dépouilles ? C'était cependant le génie de Bonaparte qui les commandait.

Je réserverai mon vote. (On rit.) (V. P., 2 fév.)

M. Wyvekens – Après les développements donnés déjà par d'autres orateurs à l'importante question qui nous occupe, je n'aurai que bien peu de mots à dire pour motiver mon opinion.

Des deux candidats qui fixent davantage notre choix, l'un, le duc de Nemours, n'acceptera pas, si j'en crois les documents officiels qui nous ont été transmis ; et s'il accepte, il sera la cause d'une guerre générale, d'une guerre de peuples et non de principes, d'une guerre dont la Belgique serait le théâtre ; et je recule devant la moindre coopération à une aussi effrayante responsabilité.

D'un autre côté, je crains que cette combinaison n'ait pour résultat plus ou moins immédiat d'opérer notre réunion à la France, et je ne veux jamais coopérer à rien de ce qui peut faire perdre à la Belgique sa nationalité et son indépendance ; si la force des choses et des événements l'emporte, je me soumettrai, et voilà tout.

Le second candidat a pour lui un nom dont il doit soutenir la gloire ; il est déjà populaire dans la nation, et c'est un avantage immense ; il nous sauve des maux d'une régence ; il rend plus incertaines les chances d'une guerre, et, si son trône se consolide, il nous procure avec les gouvernements dont il est l'allié, et notamment avec le Brésil, des alliances qui ne peuvent qu'être très utiles à notre commerce.

Une troisième combinaison recevrait, je le sais, l'assentiment des puissances, mais elle nous donnerait la guerre civile, et je la repousse sans être dominé par aucun sentiment de haine.

Nous sommes, il est vrai, entourés d'écueils, quel que soit le parti que nous adoptions ; mais il y a pour nous nécessité de terminer la révolution et de nommer le chef de l'État.

J'ai longtemps hésité, j'hésite peut-être encore. Mais, à moins que d'autres combinaisons ne me présentent plus de sécurité pour l'avenir et d'avantages pour le présent, je suivrai l'impulsion de ma conscience, et je croirai remplir mon mandat en donnant ma voix au duc de Leuchtenberg. (J. F., 1er fév.)

M. David – J'aborde, messieurs, encore une fois cette tribune pour venir librement vous dire ma pensée ; et dussent les accents de la vérité, que mon cœur me dicte, m'attirer les murmures d'une partie de l'assemblée, et les vociférations des tribunes publiques, les uns ni les autres ne m'intimideront pas.

Pour remplir avec dignité, avec fermeté, messieurs, l'acte important que nous sommes aujourd'hui appelés à exercer, de quoi avons-nous besoin ? de l'indépendance.

Or, c'est précisément ce que nous n'avons pas.

Vous avez en effet tous, messieurs, trop d'esprit, trop de bon sens, pour penser qu'il vous ait (page 333) suffi d'avoir déclaré cette indépendance pour l'obtenir.

Est-on indépendant, quand tous les jours il nous faut dévorer les sanglants affronts d'une diplomatie étrangère ?

Est-on indépendant, quand on commence par envahir une partie de votre territoire, en attendant qu'on vous partage comme la Pologne ? car telle est peut-être la secrète pensée des rois.

Quand j'entends les brillants orateurs de cette assemblée préconiser à cette tribune cette chimérique indépendance, il me semble entendre le fameux orateur d'Athènes exciter, sur la place publique, ses concitoyens aux combats et aux conquêtes, tandis que Philippe de Macédoine était à leurs portes.

Non, messieurs, nous ne sommes pas indépendants : isolés, environnés comme nous le sommes par les grandes puissances, il est même impossible que nous le soyons.

Il existe cependant un moyen bien simple pour l'obtenir, cette chère indépendance, et avec elle de conserver la liberté que nous adorons tous : ce moyen, il ne faut pas être grand politique pour le deviner.

Il consiste, messieurs, à s'appuyer sur une grande nation qui par elle-même, par ses propres et uniques forces, soit indépendante et libre, une nation à laquelle les puissances et leurs diplomates n'oseraient impunément faire la millième partie des outrages qu'ils nous font subir, de ces outrages qui soulèvent l'indignation dans les cœurs généreux. Cela posé, je demande combien il existe en Europe de nations à laquelle la nôtre puisse se confier pour obtenir son salut ? Quant à moi, messieurs, je n'en connais qu'une seule, c’est la France.

Remarquez-le bien, messieurs, je ne m'occupe pas, ainsi que l'honorable M. Lebeau l'a fait très longuement, de ce que feront ou doivent faire les cabinets et leur politique : les ministres et leurs conceptions existent aujourd'hui, demain ils ne seront plus ; je ne vous entretiens pas de ce qui est variable de sa nature, mais de ce qui est immuable, de ce que la force la plus universellement reconnue, la force de la nécessité, exige : elle commande impérieusement, cette force, que le peuple belge soit à toujours l'ami, l'allié fidèle du peuple français.

Ce sont ces principes, messieurs, qui déterminaient mon suffrage, pour choisir le roi des Belges dans la famille du roi des Français, pour décerner la couronne à son fils puîné, le duc de Nemours.

Avec ce prince, nous aurons stabilité dans nos institutions, et liberté publique ; il consolidera le bonheur civil, le bonheur domestique dans les familles ; il fera, par une alliance et des traités de commerce avec la France, revivre et prospérer notre industrie aujourd'hui dans la détresse.

Avec ce prince, la guerre civile est impossible, et si la guerre étrangère devenait inévitable, au moins nous n'aurions pas le malheur d'en voir le théâtre au sein de nos provinces : la lutte s'engagerait sur les rives du Rhin, ou dans l'Allemagne.

Le fils d'Eugène Beauharnais, s'il était notre roi, pourrait-il, messieurs, gratifier la Belgique d’un bien-être aussi grand, aussi assuré ? Je ne le pense pas.

S'il était élu, la France nous retirerait son amitié : par quels traités, par quelles alliances pourrait-il compenser une aussi immense perte ?

Pour obtenir avec ce prince des alliances et des traités, il faudrait que nos éternels ennemis devinssent tout à coup nos amis, que les grands et les petits despotes de l'Allemagne et du Nord, ou l'Angleterre, devinssent pour nous ce que la France nous était et pouvait nous être ; pour voir, messieurs, une telle métamorphose, if faut reculer jusqu'aux siècles des miracles, car on sait que dans celui-ci il ne s'en opère plus.

Loin de voir pour la patrie des avantages, par l'élection du fils d'Eugène, je vois au contraire les plus grands malheurs fondre sur elle.

Quel appui ce jeune prince, tout à coup transplanté parmi nous, aura-t-il ?

Si une guerre éclate entre les grandes puissances, par quels moyens, par quelles forces, par quelles alliances, pourra-t-il en éloigner le théâtre de nos villes et de nos campagnes ?

Tour à tour, victime des puissances belligérantes, ne pouvant, faute d'alliés et d'amis fidèles, recouvrer notre liberté et notre indépendance, notre malheureuse patrie, déchirée, dévastée, deviendra la proie d'un vainqueur, ou les conquérants s'en partageront les lambeaux ! J'ai dit. (E., supp., 1er fév.)

M. le baron Beyts – Indépendance, nationalité, voilà, messieurs, quelle est ma devise ; j'y serai fidèle, car je l'ai promis à mes commettants. Je voterai pour le duc de Leuchtenberg, à qui je tiens encore davantage depuis que j'ai entendu M. Lebeau, dont le discours est véritablement un monument d'éloquence.

- Après ce début, l'orateur entre dans un long récit historique, pour prouver que la Belgique a toujours eu sa nationalité. Il arrive enfin à l'examen du mérite des deux candidats. Toutefois il fait précéder (page 334) ses observations à cet égard de quelques réflexions sur la conduite du cabinet français, dans la question relative au choix du souverain. Il censure cette conduite et dit : – Le gouvernement français nous a proposé trois princes, tels qu'il faudrait peut-être chercher cent ans pour en trouver de plus inadmissibles. (On rit.) Nous ne pouvons pas vous donner le duc de Nemours, mais nous vous offrons un prince de Naples. Nous, nous n'en voulons pas, et nous avons d'assez bonnes raisons pour cela. (Nouveau rire.) Alors on nous offre le jeune Othon de Bavière, un prince mineur et qui a été longtemps malade (éclats de rire) ; nous n'en voulons pas plus que du prince de Naples. Prenez François de Paule, dit-on alors. François de Paule, à qui nous n'avons jamais pensé ! Ce prince porte un beau nom assurément ; je veux croire que ses qualités personnelles y répondent ; mais enfin, il est probablement peu fait pour régner sur nous, et ses idées ne sont pas probablement à la hauteur du siècle, sons le rapport de la liberté. Cette conduite du cabinet français ne décourage pas quelques membres de cette assemblée, et ils retombent sur le duc de Nemours. Mais on vous le refuse, le roi son père ne veut pas vous le donner. Nous l'y forcerons, d'ailleurs la nation sera de notre avis ; on n'aime pas M. Sébastiani, il tombera : et son successeur cédera à nos vœux, et alors vous n'aurez pas de réunion. Là-dessus on s'arrange, on se met à l'aise ; on trouve mille avantages à cette combinaison. Alliés de la France, nous combattrons ensemble. Je le veux bien. Mais si nous sommes vaincus, je vois qu'il n'y aura rien pour nous, et c'est ce qui me fâche. On se plaint des ministres français, on a raison peut-être ; mais enfin, les ministres français ne sont pas payés pour travailler dans notre intérêt. Il me semble que leur conduite devrait nous servir d'exemple, et que nous devrions oser faire ce que nous croyons avantageux pour nous.

- L'orateur ajoute quelques observations aux précédentes ; il conclut ainsi - En un mot, je voulais l'indépendance de mon pays : avec le duc de Nemours, je ne la crois pas possible ; je voulais la nationalité, nous ne l'aurons pas. Je reporte donc tout mon espoir sur le duc de Leuchtenberg.

Mais, dit-on, peut-il nous apporter des alliances ? Mais d'abord il n'est pas marié ; il peut par un mariage nous assurer une alliance avantageuse. Ne croyez pas, messieurs, que je pense à le marier avec la princesse Marie ; car je ne suis pas de ces gens qui marient notre roi futur, sans savoir si la princesse qu'on lui destine lui conviendrait. Il faut bien croire en effet que notre roi sera un homme comme un autre, et qu'avant de se marier il voudra savoir s'il pourra aimer sa femme et si son cœur parlera pour elle. On s'embarrasse peu de tout cela, je le sais ; mais on a tort. Allez dans les estaminets de Bruxelles, et vous entendrez des gens vous dire : « Le duc de Leuchtenberg, nous le marierons avec la princesse Marie, et nous serons tous contents. » (On rit.) Ceux qui tiennent ce langage ne s'embarrassent pas du reste. Eh ! messieurs, laissons faire le prince. Son mariage est une affaire qui le regarde. Ne vous en embarrassez pas. Il est assez joli garçon pour trouver une belle princesse (hilarité générale) et pour choisir. Soyez sans inquiétude, il fera du mieux qu'il pourra à cet égard, et en travaillant pour lui il travaillera pour nous. (Nouvelle explosion d'hilarité.)

Au reste ; quoique j'aie dit qu'il fallait s'en rapporter à lui, ce n'est pas une raison pour désespérer de lui voir épouser la princesse Marie ; je désirerais pour ma part, de tout mon cœur, que ce mariage leur convînt à tous deux. (Nouveaux rires.) La princesse Marie doit aussi désirer un mari. (On rit plus fort.) Les princesses ne trouvent pas beaucoup d'occasions de se marier convenablement, ça ne leur arrive pas tous les jours (éclats de rire bruyants et prolongés) ; et les filles de France, ne pouvant pas succéder au trône, ne demandent pas mieux que de trouver un placement. (L'hilarité est portée à son plus haut point.) Espérons donc : je n'en dirai pas davantage sur ce sujet, car en matière aussi grave je serais fâché de prolonger votre hilarité.

- L'orateur parle encore quelque temps, et conclut en faveur du duc de Leuchtenberg. (U. B., supp., 2 fév.)

M. Charles de Brouckere – Messieurs, il ne me reste presque rien à dire après le discours éloquent de M. Seron. Ce discours est resté gravé profondément dans tous les esprits, et j'aurais pu me dispenser de prendre la parole si mon silence, dans une occasion si solennelle, et après avoir pris part pendant cinq ans à tous les débats parlementaires, n'avait pu être faussement interprété. Si je tombe dans des redites, vous voudrez bien me le pardonner ; toutefois je les éviterai autant que possible.

Les partisans du duc de Leuchtenberg nous ont prêté, avant même que nous eussions pris la parole, une opinion qui n'est pas la nôtre. Ils ont établi que nous regardions la guerre comme inévitable dans tous les cas, et ils sont partis de ce point pour combattre la candidature du duc de Nemours. Selon moi, messieurs, la guerre n'est (page 335) pas inévitable, mais elle est imminente ; si elle éclate, avec qui la ferons-nous ? sera-ce avec la France contre le reste de l'Europe ? ou bien, faisant cause commune avec les Prussiens, qui ont voulu nous imposer le roi Guillaume, marcherons-nous contre cette France qui nous a épargné cette humiliation, et qui, comme l'a dit l'honorable M. Seron, est cause que nous avons encore la tête sur nos épaules ? En cas de défaite, si nous marchons contre la France avec les Prussiens et avec les Russes, nous partageons le sort des vaincus : Louis-Philippe, l'élu de la nation française, tombe de son trône populaire ; Charles X y remonte, et nous, nous retombons sous le joug du roi Guillaume. Alors vingt-cinq années s'écouleront de nouveau, pendant lesquelles tous les peuples porteront des chaînes. Où renaîtra la liberté ? Dans cette France que nous aurons humiliée, dans cette France où, dans l'espace de quarante années, la liberté a deux fois brisé les fers du despotisme. Mais cette France oubliera-t-elle que nous aurons été la cause de son asservissement, et que deux fois nous aurons rivé ses chaînes ? Non, messieurs : que fera-t-elle alors ? Alors, elle nous retirera sa protection, elle nous abandonnera à nous-mêmes, et, si elle est victorieuse, elle nous traitera en province conquise. Dans nos produits, elle profitera de tout ce qui lui sera nécessaire, et rejettera le reste ; en un mot, elle nous réduira à l'humiliation réservée aux peuples vaincus. Au contraire, par son alliance nous augmenterons les avantages de notre position, sous tous les rapports, et si nous sommes vaincus, nous le serons ensemble ; notre sympathie pour elle en recevra une nouvelle vigueur, et nous augmenterons la force du parti opprimé.

Avant d'aller plus loin, je dois répondre à deux arguments par lesquels on a prétendu prouver que l'élection du duc de Nemours rendrait la réunion inévitable. On a comparé la position de Louis-Philippe par rapport au duc de Nemours, roi des Belges, à celle de Napoléon par rapport à son frère, roi de Hollande. On a prétendu que, la position étant semblable, la conduite serait la même. Mais, messieurs, a-t-on oublié que le système continental était établi par Napoléon, et que son frère, en se permettant d'enfreindre ce système, sapait le trône de celui de qui il tenait le sien ?

Mais, ajoute-t-on, l'union intime qui doit exister entre les armées de deux nations combattant ensemble servira de prétexte à la fusion des deux pays. Mais, en rétorquant l'argument, il s'ensuivrait que nous deviendrions Prussiens en combattant avec eux, ou Hollandais ; car, messieurs, dans toute la discussion, on n’a pas parlé de la Hollande, on n'en a tenu aucun compte, et cependant il faudrait bien que nous devinssions ses alliés si nous prenions parti contre la France : la Hollande, en effet, ne serait pas la dernière à se joindre aux armées de la Sainte-Alliance.

On a parlé de la suppression de la ligne des douanes : la France a moins d'intérêt que nous à cette suppression ; elle serait une ruine pour elle, et ne produirait pour nous qu'une légère secousse.

On répète sans cesse le mot d'indépendance. J'en suis aussi partisan que qui que ce soit, mais je veux une indépendance qui assure le bonheur de mon pays, et, s'il faut l'acheter au prix de la liberté, je la répudie ; et s'il me fallait choisir entre l'indépendance de la Belgique, sous la protection de la Sainte-Alliance, ou la réunion, mon dernier cri serait encore : France !

Mais, dit-on, si nous combattons contre la France, nous portons le théâtre de la guerre au sein de la France. Et ceux-là mêmes qui tiennent ce langage nous disent que la France est inexpugnable chez elle. Conciliez cette contradiction. Mais en 1815 les Prussiens étaient en Belgique : où se fit la guerre cependant ? en Belgique. Si nous combattons avec la France, la Belgique sera inévitablement le théâtre de la guerre : Luxembourg n'est pas à nous, Maestricht pas davantage ; l'Escaut est ouvert à l'Angleterre, qui nous inondera de ses troupes. Luxembourg n'est pas à nous, dites-vous, mais Metz, mais Sedan sont là pour nous défendre. Maestricht n'est qu'un point, et quant à l'Escaut, souvenez-vous de ce qui s'est passé sous l'Empire : jamais la guerre n'a été dans notre pays, même quand les armées de l'empereur étaient au fond de l'Allemagne et que leurs succès n'étaient rien moins que certains. Voilà donc ce qui nous attend inévitablement : si nous combattons contre la France, la Belgique sera le théâtre de la guerre ; si nous combattons avec elle, la guerre aura lieu sur le Rhin.

Un orateur nous a dit hier : La guerre est certaine avec le duc de Nemours, et elle est tout au plus possible avec le duc de Leuchtenberg. Selon moi, messieurs, le choix du candidat ne fera rien à la guerre ; la guerre est imminente, et si elle éclate, elle sera agressive de la part de la France, parce qu'une fois mis en mouvement, le peuple français est le plus difficile à contenir.

Le même orateur, usant de retenue à l'égard de lord Ponsonby, alors qu'il attaquait avec tant de légèreté le ministère français, nous a dit que le choix du duc de Nemours serait pour l'Angleterre une cause immédiate de guerre ; et l'orateur s'est (page 336) arrêté là. Pour moi, messieurs, qui n'ai aucune raison qui m'empêche de dire comment les choses se sont passées, ni de taire les noms, j'irai plus loin. Lord Ponsonby, interrogé sur ce qui adviendrait si le duc de Nemours était élu, a répondu que la guerre éclaterait aussitôt. On lui a demandé alors : Et si nous élisons le duc de Leuchtenberg ? - La France ne le reconnaîtra pas ; - Et les puissances ? - Elles ne le reconnaîtront pas davantage ; il existe un traité qui s'y oppose. - Mais que ferons-nous alors, sans débouchés, sans commerce, sans relations avec personne ? Le marasme nous tuera, et au bout de trois mois peut-être, le duc de Leuchtenberg repartira sans avoir pu rien faire pour notre bonheur ?

Je vous le demande, messieurs, à ce prix la guerre ne vaut-elle pas mieux cent fois que la paix ? Du reste, je dois le dire, l'opinion de lord Ponsonby n'est pas pour moi l'expression du cabinet anglais ; je ne la considère que comme son opinion personnelle, et jusqu'ici aucune pièce, aucun document ne prouve que l'Angleterre soit disposée à faire la guerre. Il existe au contraire, et vous le savez tous, des pièces officielles par lesquelles la France a déclaré qu'elle ne reconnaîtrait pas le duc de Leuchtenberg. Mais, dit-on, ce n'est là que l'opinion du ministère ; la nation pense d'une manière tout opposée. Messieurs, l'expression du ministère français est à mes yeux l'expression vraie de la situation de la France, et j'en ai la preuve, du moins il me le semble, dans les besoins actuels de ce pays. La France veut vivre en paix et voir fructifier la liberté qu'elle a conquise ; elle évitera donc tout prétexte de trouble, et suivra la marche de son gouvernement. Voyez-en la preuve dans ce qui s'est passé à l'occasion du procès des ministres, où pas un seul coup de fusil n'a été tiré !

Voyez encore l'effet qu'a produit la démission de Lafayette, le drapeau national ! Le gouvernement en a-t-il été ébranlé ? non, et cependant toute la nation sympathise avec l'illustre vétéran de la liberté. Et vous voulez que, pour faire reconnaître le duc de Leuchtenberg, la France renverse son gouvernement !

Mais, je veux que toutes les puissances reconnaissent le duc de Leuchtenberg. Que fera la France ? elle vous laissera livrés à vous-mêmes ; n'ayant aucun intérêt à être votre soutien, elle vous laissera en butte à vos ennemis. Alors les Prussiens entrent à Luxembourg, et ce ne sera pas, aux yeux de la France, une violation du principe de non-intervention, à cause des droits de la confédération germanique. Dès lors, vous délivrerez Maestricht, la citadelle d'Anvers ; vous ferez ouvrir l'Escaut (car l'Escaut sera fermé le jour où la Hollande saura que vous avez perdu l'appui de la France) , si vous êtes assez forts pour opérer tous ces prodiges. Mais non, vous reconnaîtrez bientôt votre faiblesse : alors vous serez obligés de négocier avec les puissances, de solliciter leur protection, vous qui avez vu leurs envoyés, vous a-t-on dit, venir demander, chapeau bas, de traiter avec vous d'égal à égal ; et vous n'obtiendrez rien. Voilà ce qui vous attend, messieurs ; voilà le sort que l'on réserve à la Belgique. Pour moi, comme citoyen belge, et comme membre du congrès, il m'est impossible de consentir au démembrement du Limbourg. Or, avec le duc de Leuchtenberg le démembrement est inévitable : je m'opposerai donc de toutes mes forces à son élection.

Le choix du duc de Leuchtenberg ne peut qu'être agréable aux puissances, dit-on, parce que c'est la seule combinaison propre à maintenir les traités de 1814 et de 1815. Admirez, messieurs, la puissance de ce raisonnement, et comme le moment est bien choisi pour tenir un pareil langage ! Il maintiendra les traités de 1814 : vous les voulez donc ces traités ? mais vous protestez contre le protocole du 20 janvier, qui a été rédigé dans leur esprit et pour leur exécution. Vous voulez le maintien des traités, parce que les puissances le demandent. Mais vous voulez donc vous mettre sous le joug des puissances ? En retour de tant de déférence, les puissances vont faire de vous un pays neutre ; votre ligne de forteresses leur servira d'appui contre votre seul allié. En un mot, vous deviendrez les geôliers de la France ; et c'est le fils d'Eugène que vous voulez nommer le chef de ces geôliers ? le fils d'Eugène ! ah ! les cendres de Napoléon en frémiraient sur le rocher de Sainte-Hélène !

Le choix du duc de Nemours entraîne la guerre avec l'Angleterre, dit-on. Je dis, moi, que rien n'est moins certain. Le ministère anglais, occupé de la réforme parlementaire, ne peut pas faire la guerre en ce moment. Un ministère tory seul pourrait la faire. Elle serait à craindre si Wellington était encore à la tête des affaires ; avec un ministère whig, je le répète, la guerre ne se fera pas. Le 3 février, le parlement doit s'assembler. Croyez-vous qu'il s'occupe d'abord de projets belliqueux ? Non. Il a des affaires plus importantes à régler. Outre les embarras que peut lui causer l'Irlande, il faut procéder à la réforme parlementaire, et ce projet seul suffirait à l'occuper. Craindriez-vous la Russie ? Mais la Russie n'a-t-elle pas les affaires de Pologne ? L'Autriche ? elle tremble pour l'Italie, dont les peuples sont mûrs pour la liberté, et se (page 337) soulèveront le jour où le premier coup de canon sera tiré. Et pourquoi l'élection du duc de Nemours serait-elle une cause de guerre ? Est-ce la France, colosse continental, qui menace l'indépendance de l'Europe ? Ferait-on la guerre à cause du port d'Anvers ? Mais que ce soit le duc de Nemours ou tout autre qui soit notre roi, l'Angleterre interviendra-t-elle dans les traités de commerce que nous ferons avec la France ? non, sans doute. Est-ce comme port de commerce que l'Angleterre considérerait le port d'Anvers ? mais elle sera admise à le fréquenter comme les autres nations. Serait-ce comme refuge en cas de défaite ? mais le port de Flessingue est dans l'Escaut, et Flessingue n'appartient pas à la Belgique.

Dans la position où nous sommes, ne possédant ni Maestricht, ni Anvers, et en présence du protocole du 20 janvier, la Belgique doit choisir un appui chez un peuple fort et puissant, et dont les principes soient conformes au principe de la révolution ; il n'y a que la France qui puisse satisfaire à ces conditions. Ces motifs déterminent mon vote en faveur du duc de Nemours, sans m'occuper à réfuter les arguments personnels à l'un ou à l'autre des candidats, parce que je ne crois pas qu'il soit convenable de le faire à la tribune. (U. B., 1er fév.)

- La séance est levée à trois heures et demie. (P. V.)