(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)
(page 644) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance avait été indiquée pour midi ; à une heure, il y avait à peine quarante membres dans l'enceinte ; les conversations particulières sont très animées. Les tribunes réservées sont toutes occupées par des dames.
La séance est ouverte à une heure et demie. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; il est adopté. (P. V.)
M. Henri de Brouckere annonce que des circonstances impérieuses l'ont forcé de s'absenter pendant quelques jours. (U. B., 28 déc.)
- Pris pour notification. (J. F., 28 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
MM. Deruesne, curé doyen de Sainte-Waudru, à Mons ; Druart, vicaire de Sainte-Waudru, à Mons ; Vino, doyen à Sainte-Élisabeth ; Maillet, curé de Saint-Nicolas, à Mons ; Gaulet, vicaire, dmandent que tous les curés primaires soient privés de traitement, que le traitement des curés de campagne s'élève à 1,000 francs, que les recteurs soient inamovibles et qu'on ne puisse plus donner aux évêques le titre de Monseigneur. (U. B., 28 déc., et P. V.)
M. de Robaulx – Je demande que cette pétition soit rapportée avant l'examen du budget.
(page 645) Elle est relative au traitement des ecclésiastiques, et il paraît de quelque utilité de la connaître. (Appuyé !) (U. B., 28 déc.)
M. le président – L'assemblée est-elle de l'avis de M. de Robaulx ? (Oui ! oui !) (U. B.. 28 déc.)
M. le président – MM. les rapporteurs voudront bien faire le rapport de cette pétition avant le budget. (U. B., 28 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, continuant :
M. Jennart, pharmacien, présente des réflexions sur la pétition de M. de Rudder.
Dix-sept habitants de Hoogstraeten demandent que le congrès choisisse pour souverain de la Belgique le prince de Salm-Salm.
Soixante habitants de Liége présentent des réflexions sur la cherté des céréales.
M. Beauquesne présente des réflexions sur une partie de la constitution.
M. Cools, de Courtrai, demande que le congrès intervienne pour mettre fin à un procès qu'il a avec la veuve Creupelant.
M. de Peneranda se présente comme candidat à la chambre des comptes.
M. Caymackx réclame le payement d'une prétention qu'il a à charge du canton de Berlaere.
M. Willems présente des moyens de faire face aux besoins financiers de 1831.
M. Adam demande l'organisation de la garde civique.
M. Van Mulder présente un mémoire avec des pièces à l'appui en faveur des habitants de la généralité des francs polders du pays de Waes et de Beveren.
M. François Grenier présente des réflexions sur l'article 4 de la loi du 24 décembre 1829 concernant l'accise sur le sel.
M. André demande l'achèvement de la route de Falmignoul à Beauraing.
M. d'Hudekem d'Acon se présente comme candidat à la chambre des comptes.
Des électeurs d'Habay réclament contre les élections municipales de leur commune.
M. Gerridts, négociant à Eindhoven, demande que les troupes belges entrent dans le Brabant septentrional.
M. Dufour demande que les travaux de la route de Champion à Recogne soient commencés cet hiver. (P. V.) CI
Ces diverses pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
M. Coppieters, rapporteur de la huitième commission de vérification des pouvoirs, propose l'admission de M. Ferdinand Meeus, député du district de Bruxelles, en remplacement de M. Kockaert, décédé. (P. V.)
- Ces conclusions sont adoptées. (P. V.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt fait le rapport de la section centrale sur l'article 12 et sur les amendements qui s'y rapportent.
M. le président – L'assemblée veut-elle reprendre la discussion de l'article 12, ou continuer celle de l'article 14. (U. B.. 28 déc.)
- L'assemblée décide par assis et levé qu'il sera passé à la discussion de l'article 12 amendé par la section centrale. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII – Messieurs, la commission des pétitions ne pourra pas faire le rapport de la pétition des prêtres de Mons. On vient de nous dire que les signatures étaient fausses. On écrira à Mons pour vérifier le fait, et le rapport n'aura lieu qu'après la réponse. (U. B.. 28 déc.)
M. Claus entre dans quelques détails pour montrer la fausseté de la pétition. (C., 27 déc.)
M. de Robaulx – Les journaux en feront justice. (C., 27 déc.)
M. le président – Si, chaque fois que des pétitions parviennent au bureau, il fallait vérifier la vérité des signatures, il faudrait exprès un bureau de vérification. (U. B., 28 déc.)
M. l’abbé Boucqueau de Villeraie – Il me paraît impossible que cette pétition ait été faite par les respectables ecclésiastiques dont elle porte les signatures. Si le congrès la faisait rapporter, il serait censé en reconnaître la vérité, et ce serait une inconvenance pour les ecclésiastiques de Mons, si, comme je le crois, elle n'est pas leur ouvrage. (U. B., 28 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII – (page 646) Je vais donner leurs noms aux journaux. Ces messieurs seront instruits de ce qui se passe, et pourront désavouer la pétition, si bon leur semble. Ce sont :. MM. Deruesne, curé doyen de Sainte- Waudru, à Mons ; Druart, vicaire de Sainte-Waudru, à Mons ; Vino, doyen à Sainte-Élisabeth, à Mons ; Maillet, curé de Saint-Nicolas, à Mons ; Gaulet, vicaire. (U. B., 28 déc.)
M. Claus – J'écrirai à Mons. (C., 27 déc.)
M. le président – M. de Robaulx avait cru nécessaire que le rapport fût fait avant la discussion du budget ; j'ai consulté l'assemblée : elle a décidé affirmativement. Si maintenant l'assemblée veut non, elle peut le décider. (U. B., 28 déc.)
M. de Robaulx – Comme je ne suis pas d'avis que la pétition ne soit pas rapportée, je ferai observer que le congrès peut maintenir sa décision, parce que le budget des dépenses ne sera examiné que dans les premiers jours de janvier, et que d'ici là la presse aura fait justice de la pétition, si elle est fausse ; si elle est vraie, nous pourrons la connaître avant le budget. (Appuyé.) (U. B., 28 déc.)
La discussion est reprise sur l'article 12 (U. B., 28 déc.)
M. Nothomb, secrétaire, donne lecture de cet article :
« Toute intervention de la loi ou du magistrat dans les affaires d'un culte quelconque est interdite. »
La commission, ajoute-t-il, à laquelle les amendements ont été renvoyés propose de remplacer cet article par le suivant :
« L'État ne peut intervenir dans la nomination et l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. » (C., 27 déc., et A. C.)
M. le président – La parole est à M. Camille de Smet. (U. B., 28 déc.)
M. Camille de Smet – Samedi, des applaudissements ont accueilli le rejet de l'inoffensif amendement de M. .le baron de Sécus, qui, par l'influence de la discussion, car je ne puis en supposer d'autres, s'est abstenu de voter. Cette animosité, jusqu'ici inusitée parmi nous, ne m'a que trop révélé que deux partis étaient en présence.
De là les applaudissements et les murmures de cette assemblée, quand MM. Defacqz et de Brouckere ont fait entendre le langage de la conscience et de la conviction.
Dès lors j'ai senti que la raison et les leçons de l'expérience ne seraient pas seules écoutées. Et j'en ai été convaincu quand un orateur nous a conduits sur un terrain où je n'hésite pas à le suivre, il a fait l'éloge d'un grand citoyen, un appel au moins indirect aux masses ; je dirai à cet orateur que si lui ou moi nous pouvions représenter un parti, au nom de ce parti libéral, et je tranche le mot, je n'hésiterais pas à me présenter avec lui à la barre de la nation ; elle déciderait qui de nous est franc ami de la liberté ; elle nous demanderait nos antécédents, elle invoquerait l'histoire ; vous jugeriez, messieurs, qui de nous serait embarrassé.
Mon amendement n'a plus besoin d'aucun développement ; mes honorables amis ont, avec un talent supérieur, convaincu même quelques-uns de nos plus ardents et plus profonds adversaires, qui siègent sur un banc peu éloigné de moi, de la nécessité de mesures restrictives.
Les uniques considérations que je ferai encore valoir, et qui, selon moi, méritent toute l'attention du congrès, celles qui dominent toute cette discussion, tiennent à ce que nous ne portons pas assez nos regards sur le passé, et que nous oublions trop vite les quinze dernières années de la France, qui ont trouvé de nombreux partisans en Belgique ; je ne dois pas vous les désigner, ils se sont éclipsés maintenant ; mais ils ne trouvaient alors à M. d'Hermopolis que le petit défaut, que je lui pardonne de tout mon cœur, d'être un peu trop gallican.
Cette liberté illimitée qu'invoque une partie de l'assemblée pour le culte, l'instruction, et bientôt pour les corporations, cette liberté quand même, qui, dans les mains d'un parti, dégénérera bientôt en oppression, je ne la veux pas. Je ne conçois pas cet amour immodéré de la liberté à l'ombre duquel marche un parti, habile il est vrai, mais oppresseur de tout temps et partout où il a dominé, oppresseur partout où il domine encore. (page 647) Pour moi, messieurs, je ne consentirai jamais à tendre les mains aux chaînes qui nous sont offertes au nom de la liberté ; je craindrais trop qu'avec le roi prophète, et par une amère dérision, on ne vienne me dire plus tard : Ils ont des yeux pour ne pas voir.
J'aime l'égalité avant tout, et dût le nom de niveleur partir de cette assemblée, je l'avouerai sans peine, c'est dans cette égalité, à laquelle nous devons tendre, que je trouve la perfection ; je l'ai réclamée quand vous avez donné à une partie de nos concitoyens, sous le nom de sénat, le même pouvoir qu'à la nation entière ; je la réclamerai toujours pour ceux qui savent la comprendre, sans me laisser, par la magie des mots, jeter dans un chaos que des intrigants exploiteraient à leur profit.
Je dirai donc aux prêtres catholiques : « Cette liberté illimitée, je pourrais la concevoir avec l'égalité, mais où est cette égalité ? je la cherche partout et ne la trouve nulle part.
« Fonctionnaires soldés par l'État, vous n'êtes pas nommés par le roi, ni par le peuple.
« C'est une juste indemnité des biens du clergé, me dites-vous ; non, ces biens immenses, c'est par exception à l'égalité que vous les avez acquis ; cette succession de mainmorte a été abolie, et des biens accaparés contre cette règle d'éternelle justice, dont un savant orateur nous a quelquefois parlé, ont été rendus à la société.
« Citoyens, vous ne partagez pas les charges de l'État, vous n'êtes ni soldats, ni gardes civiques !
« Renoncez à vos appointements, aux maisons spacieuses et commodes que vous fournissent les villages, aux suppléments de traitements qu'ils vous accordent ; entretenez vos églises avec les fonds de ceux qui veulent bien vous les donner ; prenez avec nous le mousquet, suivez-nous dans les camps, la patrie réclame quelquefois le sang de ses meilleurs citoyens ; alors, n'étant plus attachés en aucune manière, ne demandant aucun privilège, je concevrai quelques droits à cette fière indépendance, que seuls, au milieu de nous, vous réclamez à grands cris. »
Jusqu'à présent, je dois l'avouer, j'avais cru que les autorités civiles, militaires, religieuses, se prêtant un secours mutuel et concerté, étaient l'ordre des choses établi par la Divinité.
J'avais cru que toute société avait droit de se garantir contre les pernicieuses doctrines, contre les cultes même qui viendraient affaiblir les liens moraux qui unissent les citoyens entre eux.
C'est pourquoi je viens dire ici avec mon honorable collègue M. de Brouckere, que si un culte prêchait la bigamie, j'empêcherais ce culte ; que si un culte défendait le mariage, j'empêcherais ce culte ; que si un prêtre, à quelque secte qu'il appartînt, disait à ses jeunes paroissiens : « Verser le sang est un crime, vous quitterez les rangs de l'honneur lorsqu'il s'agira de marcher à l'ennemi, » j'emprisonnerais ce prêtre : je l'emprisonnerais encore comme escroc, si du haut d'une chaire de vérité il disait que la dîme est de droit divin.
C'est vous dire assez ce que je ferais si, en donnant la bénédiction nuptiale avant le mariage civil, un prêtre venait semer le désordre dans l'État et les familles.
Si vous voulez, au nom de ce vain mot de liberté qui n'existe nulle part, que vous restreignez chaque fois que vous adoptez un article de la constitution, mépriser les leçons de plusieurs siècles, celles des quinze dernières années de la France, eh bien ! méprisez ces leçons en tout et pour tout ; déchirez le Code de nos lois, elles sont toutes restrictives de la liberté !
Nous ne nous attendions pas, a dit un honorable membre de cette assemblée, dont je respecte infiniment le caractère, que du sein de l'assemblée de nos concitoyens s'élèverait une voix qui demanderait notre asservissement, et nous réduirait à l'état d'ilotisme politique. Votre asservissement sera le nôtre, votre ilotisme sera le nôtre ; tous égaux devant la loi, il ne doit pas y avoir deux poids et deux mesures ; vous êtes des citoyens, et rien de plus ; comme les autres, si vous prêchez des doctrines antisociales, vous devez en porter la responsabilité.
Cet orateur a fait entendre le mot d'honneur belge : au nom de l'honneur belge, songeons à l'Europe éclairée qui a les yeux sur nous ; faisons mentir l'ancien archevêque de Malines, quand il a dit avec cette suffisance d'un abbé de cour : Les Belges ont fait la révolution pour les jésuites.
On a fait cette demande : Est-ce la société religieuse qui doit faire des sacrifices ? Est-ce la société civile ? Je répondrai : Dans tous les pays il y eut toujours une société civile ; cette société, presque toujours à la hauteur des besoins politiques momentanés des peuples, fut, dans tous les pays et dans tous les temps, par son essence même, protectrice des droits de chacun. Il n'en fut pas ainsi de la société re1igieuse ; celle-ci fut quelquefois ridicule, absurde, barbare : elle l'est, selon vous, à Constantinople, (page 648) dans l'Indostan ; à Constantinople, dans l'Indostan, on en dit autant de la religion catholique, apostolique et romaine. Je n'hésiterai pas à le dire, la société civile doit avoir la surveillance de la société religieuse, comme de tout ce qui pourrait ébranler les bases de l'édifice social sans lesquelles il n'y a pas de bonheur pour les peuples.
Auteurs d'une funeste dissension, nous avons franchement expliqué notre pensée, a dit l'orateur dont je viens de parler ; je vais en donner une dernière preuve en lui disant que, si le parti auquel il appartient ne jette un regard en arrière, et veut profiter des avantages que lui a donnés une loi électorale vicieuse, il se perdra.
Je m'explique, il excitera la défiance des libéraux : carbonari, illuminés, francs-maçons, nommez-les comme vous voudrez, ils se ressouviendront d'une oppression qui n'est plus actuellement dans les mœurs du clergé, je désire le croire ; mais le croiront-ils ?
Libéraux et mécontents se joindront ; un parti se formera contre le clergé, parce qu'on le regardera comme envahisseur. Tous les vœux se tourneront vers la France. Je passe cette frontière amie et protectrice ; force sera à la loi, je l'espère avec l'ami de Washington ; mais cependant un frisson involontaire s'est emparé de moi, j'ai entendu des cris forcenés, 93 et ses horreurs se sont déroulés devant moi.
Le peuple français, en armes pour la liberté, se défie, vous le savez, messieurs, de l'ombre même de la théocratie : deux fois elle a reparu dans ce beau pays avec une race odieuse et les armées étrangères,
Prouvez, prêtres catholiques, que vous êtes francs amis de la liberté, que vous êtes contents de l'état actuel des choses ; ne tâchez pas d'empiéter sur le civil, et nous tâcherons d'arrêter ensemble l'orage qui gronde sur vos têtes. (U. B., 28 déc.)
M. François – Je parlerai pour soutenir l'amendement de M. de Smet ; comme il vient de parler, je désirerais que l'on entendît avant moi un orateur contre. (U. B., 28 déc.)
M. Le Grelle – J'ai remis sur le bureau un projet de décret. (U. B., 28 déc.)
M. le président – Ce n'est pas un amendement, on ne peut interrompre la discussion sur l'article. (U. B., 28 déc.)
M. Le Grelle – Comme je crois que mon projet de décret pourrait concilier toutes les opinions et faciliter le vote sur l'article 12, je demande qu'il en soit donné lecture. (U. B., 28 déc.)
M. le président – Le congrès veut-il entendre lire le projet de décret ? (Oui ! oui !) (U. B., 28 déc.)
- Le congrès décide que la proposition de M. Le Grelle sera lue. (U. B., 28 déc.)
M. le président – Je vais avant donner la parole à M. Van de Weyer, pour une communication diplomatique. (Vif mouvement de curiosité.) U. B., 28 déc.)
M. Van de Weyer, président du comité diplomatique, – Messieurs, je m'empresse, en arrivant de Paris, de vous communiquer le résultat de nos conférences avec Son Excellence le ministre des affaires étrangères, M. le comte Sébastiani. Dans la crainte que le rapport que je vais vous faire ne soit dénaturé, soit dans un journal, soit dans l'autre, j'ai mis en écrit ce que j'ai à vous dire. Je demande pardon à l'assemblée d'avoir adopté ce mode ; de pareilles communications devraient être verbales, mais le motif qui me fait agir autrement sera mon excuse.
« A peine arrivés à Paris, M. Gendebien et moi, nous écrivîmes à M. le comte Sébastiani, ministre des affaires étrangères, en lui envoyant la copie de nos lettres de créance. Le lendemain nous eûmes l'honneur d'être reçus officiellement ; et M. Sébastiani nous tint, relativement à la Belgique, le langage d'une politique franche et généreuse, expression sincère de la vive sympathie de la France pour la situation de notre pays. La reconnaissance de son indépendance, premier et principal objet de notre mission, se traitait, nous dit-il, à la conférence dé Londres ; et il attendait une prompte solution à cet égard. En effet, le lendemain, M. le comte Sébastiani, dans une seconde conférence, nous annonça que la séparation de la Belgique d'avec la Hollande, et son indépendance comme État séparé, étaient établies en principe par les cinq grandes puissances
« Des commissaires belges, envoyés par le gouvernement provisoire, sont attendus à Londres. Ils y traiteront des graves intérêts de notre pays, dans la limite de leurs pouvoirs en rapport avec le gouvernement provisoire et le congrès national.
« Je n'ai pas besoin d'ajouter que la libre navigation (page 649) de l'Escaut n'est plus une question pour les cinq grandes puissances. Et à cet égard, pour ce qui concerne l'exécution de la part de la Hollande des conditions de l'armistice, le congrès national et le pays peuvent avoir la certitude que les puissances agiront selon des principes d'honneur et de dignité.
« Le commerce et l'industrie doivent se rassurer : la libéralité qui préside aux négociations politiques animera d'un même esprit les relations, commerciales entre les deux pays.
« Enfin, messieurs, il y a aujourd'hui quatre mois que la Belgique a commencé sa glorieuse révolution ; et après un si court espace de temps, elle se voit, à la suite de l'adhésion du gouvernement provisoire au protocole du 17 novembre, admise dans la grande famille européenne comme puissance indépendante. Un pareil résultat n'a pas à besoin de commentaires.
« M. le comte Sébastiani nous annonça, dans la même conférence, que nous aurions sous peu a l'honneur d'être présentés au roi. Mais l'urgence des affaires me rappelant en Belgique, mon collègue, M. Gendebien, sera auprès de S. M. Louis-Philippe l'interprète de nos sentiments de reconnaissance pour la noble attitude qu'a prise la France dans les intérêts de notre pays.
« Reste, pour la Belgique, une question d'un immense intérêt, sur laquelle beaucoup de suppositions étranges ont déjà été faites ; je veux parler du choix du prince ; à cet égard, le congrès national sent qu'il n'appartient ni au gouvernement provisoire, ni au comité diplomatique, de prendre l'initiative ; mais ce que l'un et l'autre peuvent et doivent faire, c'est de se mettre en mesure d'éclairer plus tard la détermination du congrès, qui saura par son choix concilier tout à la fois les intérêts de l'Europe avec les intérêts, la dignité et l'indépendance de la Belgique. »
Quant aux promesses que nous avons faites., de vous communiquer les pièces sur lesquelles sont fondées nos négociations, je répète ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous dire, que dès que tout sera terminé, nous nous empresserons de les mettre sous vos yeux. Il en sera de même pour toutes les questions que le comité diplomatique aura à traiter. Quelques applaudissements se font entendre.) (U. B., 28 déc., et A.)
- Des membres – L'impression ! (U. B., 28 déc.)
- Le congrès ordonne l'impression et la distribution du rapport de M. Van de Weyer. (U. B., 28 déc.)
M. Lebeau – Il n'y a pas lieu de demander, d'après ce que nous venons d'entendre, si notre indépendance sera reconnue ; il semble que les cinq grandes puissances sont décidées sur ce point : mais il est une autre sorte d'indépendance sur laquelle je me permettrai de faire une question. On a parlé du chef de l'État ; je désirerais savoir si l'honorable orateur pourrait nous dire si l'indépendance dont nous avons besoin pour le choix du souverain sera également respectée, et si aucune communication officielle ne viendra nous gêner dans ce choix. (U. B., 28 déc.)
M. Van de Weyer, président du comité diplomatique – Si j'ai touché la question du choix du prince, c'est pour faire tomber les suppositions, j'ose le dire, absurdes et étranges qu'on a faites sur notre voyage à Paris. Maintenant, pour répondre à M. Lebeau d'une manière plus positive, j'aurai l'honneur de lui dire, ainsi qu'au congrès, que dans ma conscience et dans mon intime conviction aucune intervention, surtout du genre de celle dont on a parlé, n'aura lieu. Mais comme la Belgique ne veut pas sans doute être un État isolé, j'ai dit dans mon rapport, et je répète, qu'il faudra que le congrès sache par son choix concilier les intérêts de l'Europe avec les intérêts, la dignité et l'indépendance, de la Belgique. Or, il n'y aurait ni dignité ni indépendance, si l'on prétendait nous forcer dans le choix du souverain. Maintenant, si les puissances ont déclaré que tels ou tels princes pouvaient être agréés ou ne l'être pas, c'est ce que je ne saurais dire, car je n'ai reçu aucune communication à ce sujet. Mais, je le répète, je considérerais comme attentatoire à notre indépendance toute intervention tendante à nous gêner dans le choix du souverain. (Bravo ! bravo !) (U. B., 28 déc.)
- En descendant de la tribune, l'honorable membre reçoit les félicitations de plusieurs de ses collègues. (E., 28 déc.)
M. le président – La discussion sur l'article 12 est reprise. (C., 27 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit le projet de décret suivant proposé par M. Le Grelle :
« LE CONGRÈS NATIONAL,
« Vu l'arrêté du gouvernement provisoire de la Belgique, du 16 octobre 1830 ;
« Considérant qu'il y a urgence de prendre des mesures propres à assurer l'état civil des citoyens, (page 650) et d’établir en règle générale que l'acte civil du mariage doit précéder la bénédiction nuptiale,
« DÉCRÈTE :
« Art. 1er. Aucun ministre d'un culte quelconque ne peut procéder aux cérémonies religieuses du mariage qu'autant que les parties lui auront fait conster que le mariage a été contracté devant l'officier de l'état civil, saur le cas, constaté par l'autorité civile, où le mariage civil ne pourrait pas avoir lieu, et où il y aurait urgence religieuse, reconnue par l'autorité religieuse.
« Art. 2. Toute personne qui, ayant concouru à une bénédiction nuptiale non précédée de la célébration du mariage civil, n'en aura pas fait dans les trois jours la déclaration à l'officier de l'état civil, sera punie des peines déterminées par l'article 546 du Code pénal.
« Art. 3. Les extraits des registres de l'état civil et autres pièces nécessaires à la célébration du mariage, sont exempts de la formalité du timbre et de tous autres frais.
« Art. 4. Le pouvoir exécutif est chargé de l'exécution du présent décret. » (U. B., 28 déc., et A. C.)
M. Le Grelle développant sa proposition – En décrétant, il y a trois jours, la liberté des cultes, vous avez eu en vue de déclarer le pouvoir ecclésiastique distinct du pouvoir civil ; cette séparation présente une question, grave, parce qu'il est des circonstances où le pouvoir ecclésiastique se trouvera en opposition avec les règlements de la loi civile. Dans la section centrale, trois nuances d'opinion se sont manifestées. L'orateur fait connaitre les moyens qu'elles ont présentés. Il termine en disant : Je vous le déclare, au nom de tous les prêtres catholiques, et ceux qui sont ici pourront m'appuyer, ils veulent la liberté en tout et pour tous, et se soumettent aux lois civiles en tant qu'elles n'ont rien de contraire ou attentatoire à l'indépendance des cultes. (E., 28 déc.)
M. de Robaulx – Je demande à parler contre le projet. (E., 28 déc.)
M. le baron de Stassart – Je demande le renvoi aux sections. (U. B., 28 déc.)
M. de Robaulx – Si l'on l'envoie aux sections la proposition de M. Le Grelle, que devient la discussion sur l'article 12 ? (C.. 27 déc.)
M. le président – Cette discussion continuera ; la proposition de M. Le Grelle forme un décret à part en dehors de la constitution. (C.. 27 déc.)
- Le renvoi aux sections est prononcé sur la demande d'un grand nombre de membres. (P. V.)
M. Devaux (pour une motion d’ordre) demande que la discussion de l'article 12 ne soit reprise qu'après le rapport de la section centrale sur le projet de décret de M. Le Grelle. (J. B., 28 déc.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt – C'est un décret indépendant de la constitution. On peut continuer la discussion de l'article 12. (J. B., 28 déc.)
M. Destouvelles – Ce sont des objets connexes, il faut surseoir à toute discussion. (C., 27 déc.,)
M. Charles Le Hon appuie le sursis – La question de l'état civil est constitutionnelle, et si l'on ouvre la discussion sur l'article 12, je ferai comme amendement une proposition analogue à celle de M. Le Grelle. (C.. 27 déc.)
M. Van Meenen – Il y a connexité ; en adoptant l'article 12, la proposition de M. Le Grelle serait virtuellement écartée. (C., 27 déc.)
M. de Robaulx – La proposition de M. Le Grelle ne sera qu'un décret législatif, tout ce qui est en dehors de la constitution n'a que le caractère législatif. Il n'y a pas connexité. (C., 27 déc.)
- L'assemblée décide que toute discussion sur l'article 12 sera ajournée jusque après le rapport sur le décret proposé par M. Le Grelle. (P. V.)
« Art. 14. Chacun a le droit de se servir de la presse et d'en publier les produits, sans pouvoir jamais être astreint ni à la censure, ni à un cautionnement, ni à aucune autre mesure préventive, et sauf la responsabilité pour les écrits publiés qui blesseraient les droits soit d'un individu, soit de la société.
« Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi, sauf la preuve de la complicité. L'imprimeur ne peut être poursuivi qu'à défaut de l'éditeur, le distributeur qu'à défaut de l'imprimeur. » (A. C.)
Plusieurs amendements ont été déposés par MM. Van Meenen, le vicomte Charles Vilain XIIIII, Devaux, Nothomb, le chevalier de Theux de Meylandt, le baron Beyts, Raikem, François et Van Snick.
(page 651) M. Nothomb – Tout est dit sur la liberté de la presse ; nous sommes rejetés bien loin des débats qui ont rempli ces dernières années, et j'aime à croire que la discussion d'aujourd'hui n'est guère qu'une question de texte, une difficulté de rédaction.
Vous avez déclaré en général que la manifestation des opinions en toute matière est garantie, qu'elle ne peut être sujette à des mesures préventives, que notre système pénal ne peut être que répressif.
Vous avez pensé que cette déclaration, un peu abstraite, ne suffisait point, et qu'il était nécessaire d'organiser le principe dans ses rapports avec les différents modes d'après lesquels les opinions peuvent se manifester.
Vous avez donc consacré des articles particuliers au culte, à la presse, à l'enseignement, au droit d'association.
En prenant pour point de départ le principe général, la rédaction de ces dispositions, en quelque sorte secondaires, devenait facile.
Un exemple éclaircira ma pensée.
Voici en quels termes vous avez établi la liberté de l'enseignement :
« L'enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits n'est réglée que par la loi. »
La liberté de l'enseignement et la liberté de la presse étant identiques, il n'y a qu'un mot à changer dans cet article, il faut substituer l'expression la presse, à celle de l'enseignement.
La commission nommée par le gouvernement avait suivi ce procédé ; seulement, pour éviter la répétition des mêmes termes, elle avait dit :
« La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. »
Et pour affranchir les écrivains de la censure des industriels auxquels ils doivent recourir, elle avait ajouté :
« Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi. »
L'article du projet primitif n'a donc pas été rédigé au hasard ; c'est le résultat d'une marche rationnelle que la section centrale a abandonnée, pour placer la presse hors du droit commun, et pour prendre à son égard des précautions qu'elle n'a pas jugées nécessaires à l'égard des autres libertés qui dérivent du même principe. .
Je le demande à cette majorité qui a voté l'article 13, n'eût-elle pas repoussé une disposition qui eût porté : .
« Chacun a le droit d'enseigner, sauf la responsabilité des leçons qui blesseraient les droits, soit d'un individu, soit de la société. »
N'eût-elle pas regardé ces expressions comme vagues, susceptibles d'une extension indéfinie ?
Un honorable orateur (M. le vicomte Charles Vilain XIIII), dont les paroles en matière religieuse sont moins suspectes que les miennes, vous a déjà démontré que, par les mots soit de la société, l'article 14 proscrit tout enseignement par la presse de doctrines contraires aux systèmes de fait politiques ou religieux. Je ne répéterai pas ce qu'il vous a dit avec un si heureux choix d'expressions. Nous sommes parvenus à une époque où nul n'exerce la dictature de l'intelligence, et où la raison de chacun s'est proclamée souveraine. On peut déplorer cette absence de toute doctrine dominante, s'effrayer de cette anarchie des esprits ; mais c'est un fait qu'on ne saurait nier, et qui ne peut se détruire que par lui-même ; le monde est livré en pâture à nos disputes, et le législateur ne peut venir clore la discussion pour le reste des siècles.
Cependant je ne pense pas qu'il faille supprimer purement et simplement les mots : soit de la société, sans rien mettre à leur place. Les individus seuls seraient protégés, et l'État, comme être moral, serait sans protection.
Les expressions droits d'un individu me paraissent vagues ; le sens en est subordonné à une distinction que le projet ne fait pas. Ces expressions doivent se restreindre à la vie privée ; transportées dans la vie publique, elles détruiraient tout droit de critique, toute responsabilité morale des fonctionnaires.
Les mots droits d'un individu ou de la société sont empruntés à l'article 227 de la loi fondamentale de 1815, et M. Van Maanen en argumentait pour maintenir l'arrêté du 20 avril. N'eussé-je (page 652) que ce motif, j'en demanderais le retranchement.
La section centrale a remis en doute une question qui, dans nos débats judiciaires, a été mainte fois agitée et sur laquelle l'opinion publique semblait fixée. Elle a déclaré l'imprimeur non responsable, lorsque l'auteur est connu, sauf preuve de la complicité. C'est remettre en question la liberté de la presse même. Il y a contradiction entre la première et la deuxième partie de l'article premier ; d'un côté on accorde à chacun le droit de se servir de la presse et d'en publier les produits sans pouvoir jamais être astreint à la censure, et d'un autre côté, on astreint tout écrivain à la censure de l'imprimeur qui partage forcément sa responsabilité.
Messieurs, dès que vous dites pas de censure il faut rester conséquents avec vous-mêmes, et rejeter la censure de l'imprimeur comme celle du gouvernement. M. Tielemans, dans un mémoire très connu, a donné à ce raisonnement l'évidence d'une vérité mathématique.
C'est à tort que l'on prétend que le système de la section centrale diffère de celui qu'avait consacré la jurisprudence de la cour de Bruxelles. après un examen attentif, on acquiert la conviction que le système est le même. La cour de Bruxelles n'a jamais présumé l'imprimeur responsable, sauf la preuve contraire ; comme la section centrale, elle l'a présumé non responsable, sauf la preuve de la complicité. Et cette preuve, voici comme elle l'établissait, et comme on l'établirait à l'avenir. L'article 60 du Code pénal porte :
« Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit, ceux qui auront avec connaissance aidé ou assisté l'auteur ou les auteurs de l'action dans les faits qui l'auront préparée ou facilitée, ou dans ceux qui l'auront consommée ! »
La cour trouvait la preuve de l’aide avec connaissance, dans les circonstances suivantes :
- La présence de l'imprimeur dans son atelier ; .
- Son degré d'instruction littéraire ;
- L'esprit du journal qui lui était connu.
Ces circonstances se rencontraient presque toujours, et dès lors la preuve de la complicité était acquise à l'accusation. L'imprimeur ne trouvait son salut que dans la preuve de l'alibi, preuve difficile et toujours incomplète.
Nos parquets, conséquents avec l'article 60 du Code pénal, ont même fait un pas de plus dans les derniers temps ; ils ont regardé comme éditeurs tous les propriétaires d'un même journal, et la définition était grammaticalement juste. Dès lors il leur fut permis de rendre la responsabilité d'un écrit commune à tous ceux qui coopéraient à la rédaction et même à la gestion. C'est dans cet état que notre révolution a trouvé la presse périodique ; sa dernière heure était venue ; elle aussi a été sauvée dans les journées de septembre.
On dit que les imprimeurs étant déclarés non-responsables dans tous les cas où ils produisent un auteur, se procurent des prête-nom. On ne réfléchit pas que le système contraire laisse la même latitude à la fraude ; si vous déclarez à la fois les écrivains et les imprimeurs responsables, les auteurs ne se nommeront jamais, et ils auront un imprimeur responsable, à tant par jour. Celui-ci vous exhibera même un acte authentique constatant qu'il est seul propriétaire du journal, et vous cachera les contre-lettres.
Quelque système que vous adoptiez, la fraude est possible ; en France on a imaginé l'institution des gérants responsables, mais ce n'est encore là qu'une fiction. Le véritable auteur reste impuni. Celui qui supporte la peine est un homme à qui il est même physiquement impossible de lire chaque jour tous les articles dont il assume cependant la responsabilité.
M. Devaux vous propose de revenir au système de la commission et reproduit comme amendement l'article du projet primitif. Je me réunis à l'honorable député, et je ne présente de mon côté des amendements que pour le cas où sa proposition n'obtiendrait pas la priorité ni l'assentiment de l'assemblée. Je crois néanmoins qu'on pourrait aller plus loin que la commission, et limiter le droit de répression en déclarant que les mesures répressives ne peuvent porter atteinte au droit de discussion et de critique des actes des autorités publiques. Cette limitation me semble nécessaire ; c'est une garantie contre les législatures qui doivent nous succéder. La censure n'est pas le seul moyen d'anéantir la presse ; des mesures répressives très vagues comme l'arrêté de 1815, qui créait la tendance, et des dispositions semblables à celles du Code pénal de 1810, qui défend toute imputation propre à blesser la délicatesse des fonctionnaires, ne sont pas moins destructives de toute liberté. Je voudrais empêcher le retour d'une loi comme celle du 16 mai 1829, qu'on a dite si libérale et qui cependant maintenait tout le système du Code de 1810 sur l'injure et la calomnie. (U. B., 28 déc.)
M. l’abbé Verduyn – (page 653) Messieurs, fidèle au principe de liberté que nous avons invoqué jusqu'ici, nous en réclamons le bienfait pour la presse et surtout pour la presse périodique, avec toute la chaleur que mérite une liberté que nous regardons comme la plus vitale et la plus sacrée, parce qu'elle est la sauvegarde et le palladium de toutes les autres.
Aujourd'hui que les opinions sont tellement divisées, tous ceux qui ont foi dans celles qu'ils professent, doivent désirer ardemment que cette liberté soit pleine et entière ; ils doivent unir leurs efforts pour faire tomber toutes les entraves que le despotisme a inventées pour enchaîner la circulation de la pensée. Ceux-là seuls pourraient s'y opposer qui ne veulent de liberté que pour eux et qui ne trouvent pas de meilleur moyen pour faire triompher leurs opinions que de bâillonner ceux qui ne les partagent pas. Pour nous, messieurs, un triomphe qui serait, non le fruit d'une libre discussion, mais seulement l'effet de la contrainte, nous paraîtrait funeste à la vérité ; et je crois que l'histoire est loin de me démentir.
Je voterai donc pour la liberté de la presse la plus large et la plus étendue, ainsi que pour tout ce qui tendrait à la favoriser, et, dans ce sens, je suis prêt à adopter tous les amendements qui me paraîtront modifier, dans l'intérêt de cette liberté plus étendue, l'article qui est soumis à votre délibération. En agissant autrement, je croirais agir contre les intérêts de la vérité. En effet, messieurs, il m'a toujours paru que la vérité se suffisait à elle-même ; elle ne demande, pour faire tout le bien qui est dans sa nature, que d'être libre, c'est-à-dire, de jouir de l'exercice de tous ses droits. La protection que le pouvoir temporel a voulu lui accorder n'a été que trop souvent illusoire et oppressive, outre que cette apparente protection l'a rendue solidaire de tous les excès du pouvoir.
Nous ne demandons que la liberté pour tous, et vous avez tous donné trop de preuves de votre dévouement à cette cause, pour que je puisse craindre que cette demande soit rejetée par vous. S'il en était, soit dans l'enceinte de cette assemblée, soit ailleurs, qui voulussent nous enlever cette liberté, nous leur dirions : De deux choses l'une ; ou, lorsque nous combattions ensemble, vous entendiez la liberté telle que nous la demandons aujourd'hui, la liberté pleine et entière, et alors comment se fait-il qu'aujourd'hui vous vouliez la restreindre ? ou bien vous ne combattiez pas avec nous, et vous trouviez tolérable le joug que d'autres ébranlaient avec courage, vous receviez en silence la loi du despote, et alors nous vous dirons : Jouissez tranquillement du bienfait que d'autres que vous ont conquis, jouissez-en ; car notre intention n'est pas d'en priver personne, mais ne prétendez pas que d'autres en soient exclus.
En réclamant la liberté de la presse la plus entière, nous prouverons que nos intentions sont droites, qu'elles ne cachent aucune arrière-pensée. Penserait-on que nous ne demandons la liberté que pour en abuser au détriment des droits de nos concitoyens ? Nous ne craignons pas, messieurs, que le clergé belge, si dévoué aux intérêts de la patrie, vous paraisse avoir justifié des soupçons si peu honorables ; nous ne croyons pas que plusieurs de vous partagent cette crainte ; mais en tout cas, nous dirions à ceux qui la manifesteraient : Eh bien ! la presse périodique sera là, elle vous avertira journellement de l'usage que nous ferons de notre liberté, et s'il arrivait jamais que quelques-uns de nous voulussent en abuser, nous sommes intimement convaincus que, dans le clergé même, se trouveraient des hommes qui seraient les premiers à vous en signaler les abus.
En réclamant la liberté de la presse, nous avons en vue l'intérêt de tous ; nous voulons que toutes les opinions puissent librement se manifester, parce qu'il y aurait injustice pour l'État, qui déclare toutes les opinions libres, d'en enchaîner aucune. Ce n'est donc pas notre intérêt particulier que nous avons en vue, en demandant cette liberté, mais l'intérêt de tous. Et je vous prie de le remarquer, messieurs, il en est de même pour toutes les autres. En effet, pourquoi demandons-nous la liberté de l'enseignement, si ce n'est afin que l'on cesse d'opprimer le père de famille, en l'empêchant de remplir un devoir sacré, celui d'élever son fils comme il l'entend ? Pourquoi demandons-nous avec anxiété la liberté de la religion ? parce que notre ministère nous mettant en relation avec toutes les classes de la société, nous sommes à même de connaître quel est le vœu le plus général, comme le besoin le plus pressant de nos concitoyens. Croyez-moi, messieurs, le vœu le plus ardent du Belge religieux est celui de voir sa religion libre, et vous ne pouvez pas entraver le ministre du culte dans l'exercice de ses fonctions, sans que le coup dont vous le frappez retentisse dans la cabane du pauvre, et autour du chevet de l'infirme. C'est là surtout où la religion seule peut soulager l'humanité souffrante, là où seule elle peut verser le baume de la consolation, là où gisent de grandes infortunes, que l'on sent tout le prix de la liberté religieuse.
Ainsi donc, messieurs, soit que nous parlions (page 654) de la liberté de la presse, soit de toute autre, nous ne sommes pas ici pour soutenir des prétentions particulières, mais les droits de tous, et en premier lieu de ceux qui ont le plus besoin que l'on plaide leur cause, du pauvre et de l'infirme. Messieurs, j'espère que le clergé belge pourra toujours se présenter avec confiance devant l'assemblée de sa nation, avec ses principes et sa conduite ; il n'a pas besoin de répondre aux suppositions si peu honorables pour lui, et, j'ose le dire, si gratuites, auxquelles s'est livré devant vous un honorable orateur. (U. B., 28 déc.)
M. Charles de Brouckere, rapporteur – J'ai été interpellé, dans la dernière séance, par un orateur. Cependant le rapport avait fait assez connaître que je n'avais pas été de l'avis de la majorité, relativement à l'article 14 qui n'a été adopté que par dix voix contre neuf. L'amendement de M. Devaux me semble infiniment préférable à l'article de la section centrale. La rédaction de cet article est vague ; elle se ressent de je ne sais quel embarras. Chacun a le droit de se servir de la presse et d'en publier les produits. Les mots : la presse est libre, me semblent plus français et plus explicites. M. Devaux n'exclut que la censure et le cautionnement. Il n'ajoute pas, comme la section centrale : et toute mesure préventive. La minorité dont je faisais partie a trouvé que ces derniers mots auraient pour effet l'abolition du timbre, mesure à la fois préventive et financière. C'est comme mesure financière, comme impôt de consommation que je veux le maintien du timbre ; c'est en considération de cet impôt qu'on a diminué les frais de port, et qu'on les a réduits à un cent la feuille d'impression. Les abonnés éloignés de la capitale, car ces lois nous viennent de la France, trouvent leur profit dans cet arrangement. L'impôt du timbre se répartit avec une égalité parfaite entre tous les abonnés ; des droits de port, calculés d'après les distances, établiraient des charges inégales. Le timbre, porté à un taux exorbitant, devient une mesure préventive. La législature, si vous abolissez le timbre, pourra toujours augmenter le droit de port et obtenir par ce moyen ce que vous lui refusez. Le prix des journaux, quoique non timbrés, ne ferait qu'augmenter.
Je passe à la deuxième partie de l'article. M. Devaux efface les mots : sauf la preuve de la complicité. J'ai été du même avis dans la section centrale ; la minorité a pensé qu'admettre la complicité, c'est en d'autres termes établir la censure des imprimeurs, censure cent fois plus nuisible à la liberté que celle du pouvoir, que d'ailleurs c'est déférer au juge l'appréciation des facultés intellectuelles des éditeurs et des imprimeurs ; c'est créer un arbitraire effrayant dans l'application de la loi, ce sont les expressions du rapport.
Je supprime avec M. Devaux la dernière partie de l'article du projet primitif : « A défaut de l'imprimeur, l'éditeur ; à défaut de l'éditeur, le distributeur est responsable. » La question des éditeurs est très difficile, et on peut l'abandonner sans danger à la législature. Un éditeur offre peu de garantie par lui-même ; le premier venu peut prendre ce titre, et ici les hommes de paille sont faciles à trouver. Un imprimeur a un établissement, l'éditeur peut ne pas en avoir. Je crois que cette dernière partie de l'article qui établit une responsabilité par cascades doit être abandonnée à la loi qui peut entrer dans plus de détails.
L'honorable M. Nothomb a proposé d'ajouter un paragraphe ainsi conçu : « Les mesures répressives ne peuvent être telles qu'elles interdisent le droit de discussion et de critique des actes de l'autorité publique. » Cette disposition est textuellement empruntée à la loi de M. Van Maanen ; l'auteur de l'amendement croit renforcer l'article premier ; il affaiblit à mon avis, les expressions si larges : la presse est libre.
M. Beyts propose de regarder l'imprimeur comme non responsable lorsque l'auteur donne sûreté pour l'exécution du jugement. Ce serait placer l'écrivain dans une position moins avantageuse que l'assassin ; ce serait d'ailleurs rétablir la censure des imprimeurs toujours intéressés à examiner d'avance les écrits, exposés qu'ils sont à devoir consigner une certaine somme pour sûreté de l'exécution des jugements.
En résumé, la disposition la plus complète est celle de M. Devaux ; elle obtiendra mon assentiment. (C., 27 déc.)
M. François fait l'éloge de la liberté de la presse : Il faut des garanties contre la licence. Je conviens que la responsabilité des imprimeurs crée une censure préalable, mais n'est-il pas des cas où cette censure est salutaire ? Ne pourrait-on pas rendre l'imprimeur responsable dans le cas d'attaque contre la vie privée ? L'orateur le pense et admet cette exception ; cette garantie lui sembla la seule garantie contre la calomnie qui s'en prend aux actions privées. (C. 27 déc.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt – Messieurs, il est évident que la rédaction de l'article 14 laisse un doute important ; les uns pensent que la justice peut rechercher l'auteur véritable ; les autres, qu'elle ne peut rechercher que celui qui se déclare tel, fût-il même un simple prête-nom.
(page 655) Mon amendement tend à consacrer cette dernière opinion, fondée sur ce que le prête-nom est toujours véritablement coupable, alors même qu'il est incapable de discerner par lui-même ce que l'écrit incriminé renferme de répréhensible. La raison en est qu'il n'aura jamais prêté son nom pour publier l'ouvrage d'un autre, s'il n'en a reçu quelque récompense ; ainsi d'une part la récompense reçue, d'autre part le soin que l'auteur véritable prend pour rester inconnu, avertissent, à l'évidence, le prête-nom du danger de la publication et lui font mériter la vindicte publique, à d'autant plus juste titre, qu'il est la cause immédiate de la publication, qui peut-être n'aurait jamais eu lieu sans lui.
La recherche de l'auteur véritable présente d'ailleurs beaucoup d'inconvénients ; elle expose l'imprimeur et tous ses collaborateurs à des interrogatoires en justice ; il y a des perquisitions capables de rendre l'imprimeur trop craintif et de le porter à refuser ses presses, quand il appréhenderait cette espèce de tracasseries.
Quant à la complicité, il me semble qu'il y a lieu de faire en faveur de la presse une exception au principe général en matière de délits ; je ne puis admettre la disposition proposée par la section centrale qui autorise indéfiniment à faire la preuve de la complicité : car sous prétexte de faire cette preuve, on peut tracasser et inquiéter l'imprimeur et les autres personnes désignées dans l'article ; et s'il y a prévention suffisante, on peut les traduire devant le jury conjointement avec l'auteur.
Or, l'imprimeur étant, par la nature des choses, dans le cas d'être souvent tracassé de cette manière, il ne peut conserver aucune indépendance.
Cependant, pour concilier ce que peut exiger l'intérêt des tiers et l'intérêt de la société avec une sage liberté de la presse, j'ai l'honneur de proposer premièrement que la complicité ne pourra être recherchée qu'après la condamnation de l'auteur principal ; par là l'imprimeur est garanti contre les poursuites qui n'ont pas pour objet un écrit déjà jugé criminel ou répréhensible.
En outre, il résulte de mon amendement que même en cas de condamnation de l'auteur principal, l'imprimeur ne peut pas être recherché, si l'écrit ne contient pas une provocation directe à un crime ; par là l'imprimeur est mis à l'abri de toute responsabilité pour des écrits dont il n'a pu voir clairement la répréhensibilité légale.
Quant aux délits concernant les individus, l'imprimeur ne peut non plus être poursuivi que sur une plainte spéciale et seulement après le jugement de l'auteur.
Enfin, messieurs, je dois déclarer que la crainte de voir adopter la proposition de la section centrale, touchant la complicité, est le principal motif qui m'a déterminé à faire une proposition beaucoup plus favorable à l'indépendance des imprimeurs, et par suite à la liberté de la presse. (J. F., 28 déc.)
M. Van Snick – Je retire mon amendement et je me réunis à celui de M. Devaux. (U. B., 28 déc.)
M. de Robaulx – Après une discussion qui paraît épuisée, je ne me propose pas de parcourir tous les raisonnements qui ont été présentés en faveur de la liberté la plus large de la presse, liberté que j'appelle de tous mes vœux ; j'appellerai cependant votre attention d'abord sur l'opinion de notre honorable collègue M. de Brouckere, qui voudrait voir effacer de l'article 14 les mots : toute mesure préventive est interdite. Je dois l'avouer, messieurs, les motifs qu'il avance pour faire opérer le retranchement de cette phrase sont justement ceux qui me donnent la conviction qu'elle doit y demeurer. M. de Brouckere ne veut rejeter que deux mesures préventives : la censure et le cautionnement, il voudrait conserver le timbre et les droits de poste qui peuvent être portés à un tel taux qu'ils soient réellement une meure préventive.
Messieurs, si le pouvoir peut abuser du timbre et des droits de poste, et ce de manière à opprimer et rendre impossible la liberté de la presse, alors c'est une véritable mesure préventive que je voudrais voir disparaître de notre constitution ; il faut qu'on ne puisse détruire la presse par un pareil moyen détourné ; celui qui l'aura fait sera coupable de la violation d'une de nos plus belles libertés constitutionnelles, et c'est contre cette possibilité que je m'élève.
Maintenant je me propose de soumettre au congrès une disposition additionnelle qui, je crois, mérite d'être prise en mûre considération.
La voici :
« Des mesures répressives ne peuvent porter atteinte au droit d'examen et de critique de la vie publique et des actes des autorités. »
Messieurs, notre honorable collègue M. Devaux nous a dit que par les mots la presse est libre, le but de l'amendement est atteint ; quant à moi. je crois que dans une constitution on ne peut trop soigneusement indiquer, même surabondamment, les garanties nécessaires ; il est essentiel de déclarer que la vie publique et les actes des autorités sont le domaine de la discussion libre ; je fais d'ailleurs observer que, suivant la législation actuelle, (page 656) article 367 du Code pénal, la médisance et la calomnie sont synonymes, puisque l'imputation d'un fait vrai est punie comme s'il était mensonger, et ce serait en vain que vous offririez de prouver, les articles 367 et suivants condamneraient sans admettre la preuve ; ainsi, par exemple, imputez à un fonctionnaire qu'il a reçu de l'argent pour le faire dévier de ses devoirs, offrez de prouver que le fait est vrai, vous n'en serez pas moins condamné comme calomniateur.
C'est ce danger imminent que je veux prévenir en rendant à la presse sa liberté ; la presse porte avec elle son contre-poison lorsqu'elle nuit, puisque le fonctionnaire qui est lésé pourra se servir de la même voie pour rectifier les faits inexacts.
Tels sont les motifs qui m'ont dirigé en présentant ma proposition que je crois l'énonciation d'un principe reconnu et admis par tous ceux qui m'écoutent. (E., 28 déc.)
M. l’abbé de Foere – Messieurs, si je viens réclamer, avec mon honorable collègue M. l'abbé Verduyn, la liberté de la presse dans toute son intégrité et dans toute son étendue, c'est pour vous donner une nouvelle preuve publique que, sans exclusion, sans catégorie, sans restriction aucune, comme sans arrière-pensée, nous voulons la liberté la plus pure, en tant qu'elle est conciliable avec la conservation de la société. Nous serons et nous voulons être conséquents en tout et jusqu'au bout. Pour dissiper les craintes que quelques personnes pourraient éprouver à l'égard des influences pernicieuses que la liberté entière de la presse pourrait exercer sur l'ordre social, j'établirai en principe que, si nous continuons de déposer dans la constitution les droits de tous, et de garantir leurs libertés, sans restriction aucune, comme nous l'avons fait jusqu'à présent, j'établis qu'alors les résultats de la presse seront, en thèse presque générale, favorables à l'ordre social et à sa stabilité. La raison en est évidente : tous seront intéressés au maintien et à la consolidation d'un ordre de choses dans lequel tous trouvent la garantie de leurs droits et de leurs libertés. La malveillance n'aura aucun succès ; elle sera étouffée par l'opinion générale qui sera intéressée au maintien de l'ordre social, tel que nous l'aurons libéralement établi.
Telle est, messieurs, l'histoire de la liberté de la presse en Angleterre. Elle y est parvenue, depuis longtemps, à ce résultat que la presse s'y développe tout entière dans l'intérêt de la société politique et de son maintien. Je ne reconnais à la presse anglaise d'autre hostilité réelle aux pouvoirs établis que celle qui s'oppose aux abus parlementaires et à d'autres abus qui se rattachent encore à quelques-uns de ces pouvoirs. Mais toujours est-il vrai de dire que cette hostilité est tout entière dans l'intérêt de l'ordre social.
Si nous ne continuions pas, messieurs, à porter dans la constitution les principes d'une véritable liberté, alors je ne pourrais vous répondre des résultats funestes que la liberté de la presse pourrait amener ; alors nos institutions mêmes seraient vicieuses dans leur fondement : alors la presse ne pourrait cesser de les combattre jusqu'à entière destruction de ces principes vicieux.
Je voterai pour l'amendement de M. Devaux parce qu'il garantit à mes yeux, plus que tout autre, la liberté entière de la presse. Si cependant, dans le cours de vos délibérations, quelque autre amendement atteint mieux ce but, je me prononcerai pour cet autre amendement. (C., 27 déc.,)
M. le baron Beyts – Il y a quatre jours que j'ai déposé un amendement ; je ne me plains néanmoins pas d'avoir dû attendre si longtemps. L'article comprend deux parties ; j'admets l'amendement de M. Devaux en y ajoutant les mots : toute mesure préventive est interdite. Sur la deuxième partie je propose un amendement ainsi conçu :
« Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, et donne sûreté pour l'exécution du jugement à intervenir, l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne peuvent être poursuivis comme tels, sauf la poursuite spéciale contre eux comme coauteurs, s'ils se sont, par d'autres faits particuliers, rendus coupables de ce dernier délit. »
On ne demande pas de cautionnement en cas d'assassinat, pour un motif bien simple : c'est que personne ne cautionne sa tête pour un autre. Je ne veux pas de l'article 60 du Code pénal, qui est trop vague et qui a donné lieu à trop d'abus ; je rends l'imprimeur responsable dans certains cas, non comme complice, mais comme coauteur ; le ministère public ne pourra plus puiser dans l'article 60. (C., 27 déc.)
M. Devaux – Messieurs, je n'abuserai pas longtemps de votre attention, car je n'ai que quelques mots à dire contre les amendements qui ont été proposés. Toutefois, je dois auparavant répondre aux reproches qui ont été adressés au mien. On m'a accusé, d'une part, de ne pas aller assez loin, et de l'autre, d'aller plus loin qu'il ne fallait. Ma réponse sera facile : par exemple, à l'égard du timbre, j'ai voulu la question indécise, et, si j'ai mis aucune poursuite préventive, c'est que j'ai cru que toutes se réduisaient au cautionnement et à la censure. J'ai donc cru que la question (page 657) du timbre pouvait être mise de côté. Je sais bien que le timbre pourrait être porté si haut, que la liberté de la presse s'en trouverait entravée ; mais, messieurs, la patente aussi pourrait être taxée à un taux exorbitant, et tel que l'industrie et le commerce en fussent entravés, et cependant personne n'a songé à demander la suppression des patentes.
il y a à l'égard de l'éditeur une question difficile à résoudre. Pour l'auteur et l'imprimeur, il sera toujours facile au juge de discerner si celui qui se présente comme auteur est en effet capable d'avoir fait l'ouvrage inculpé. Ce sera encore plus facile pour l'imprimeur ; mais pour l'éditeur ce sera beaucoup plus difficile, car tout le monde peut être éditeur. Eh bien ! ce sera au juge à faire tous ses efforts pour discerner la vérité, et la poursuite de l'imprimeur ne pourra être permise que dans le cas où il sera impossible de découvrir l'éditeur. L'honorable M. François ne veut pas aller si loin, il voudrait que la complicité de l'imprimeur fût toujours permise dans les questions de calomnie ; ce serait, j'ose le dire, bien dangereux. Tous les jours les journaux rapportent des faits qui pourraient être calomnieux, et cependant on ne pourrait les poursuivre sans injustice. Par exemple, un journaliste apprend qu'un crime a été commis ; il l'insère dans son journal, et il dit : Dans telle société, dans telle et telle circonstance, M. un tel a commis un crime. Les autres journaux s'emparent de ce fait et le répètent. Voulez-vous que tous les autres journaux soient poursuivis pour l'avoir rapporté ? C'était le système de Van Maanen. Mais vous sentez que les journaux de province ne peuvent pas, à chaque nouvelle qu'ils veulent prendre dans un journal, envoyer une estafette au lieu où il s'imprime, pour en vérifier l'exactitude. C'était, je le répète, le système de Van Maanen. Vous vous souvenez que lorsque le Courrier des Pays-Bas l'a accusé d'avoir donné de l'argent à Libry-Bagnano, il voulut mettre en prévention tous les journaux qui avaient répété ce fait.
On a dit : Mais dans de pareils cas vous présenterez un auteur, et vous aurez toujours la même garantie ;'il ne faut donc pas permettre la poursuite de l'imprimeur. On ne la permettra, répond-on, que dans le cas où l'auteur aurait disparu ; mais pourquoi la permettre dans ce cas ? Faut-il, parce que la loi ne pourra atteindre l'auteur du délit, que l'imprimeur en soit puni ? Mais un assassin peut disparaître aussi : s'avisera-t-on, dans ce cas, de poursuivre un individu qui est innocent de son crime ? Non, sans doute. Du reste, messieurs, croyez-le bien, un homme n'ira pas s'expatrier pour avoir le triste plaisir de lancer une calomnie contre quelqu'un, et je n'hésite pas à croire que nous aurons peu à craindre de délits de ce genre. N'oublions pas, d'un autre côté, que le jury jugera les délits de la presse ; et les jurés seront toujours sévères pour les calomniateurs. D'ailleurs, les délits de calomnie sont rares : en France on en a fait, il y a quelque temps, la nomenclature ; je ne me souviens pas précisément du chiffre, mais il était très petit.
M. Nothomb propose d'établir que l'examen des actes publics sera toujours permis. M. de Robaulx a étendu la disposition de M. Nothomb jusqu'à la vie publique des autorités. La rédaction de M. Nothomb ne dit pas assez ; celle de M. de Robaulx dit trop, et je crois qu'il vaut mieux s'en tenir au principe général. (U. B., 28 déc.)
M. Nothomb – J'ai modifié ma rédaction en ces termes :
« Les mesures répressives ne peuvent porter atteinte au droit d'examen des actes du pouvoir. » (U. B., 28 déc.)
M. Devaux – Cela revient au même. Quant à la rédaction de M. de Robaulx, ce principe va trop loin. L'examen peut être tel en effet qu'il soit nécessaire d'en poursuivre les auteurs en calomnie. Mais, dit-on, d'après le Code pénal il sera impossible de rien écrire sans être coupable de calomnie. Je conviens que l'article 567 est défectueux sur ce point, et je blâme le principe qui y est consacré. Il faut effacer ce principe, et dans la loi de la presse il faudra que celui de M. de Robaulx soit écrit comme il l'a été en France ; il suffit pour le moment du principe général posé dans la constitution.
M. Beyts est embarrassé pour savoir comment feront les tribunaux pour déclarer que l'auteur n'est pas connu, lorsqu'il s'en présentera un qui sera, comme on dit, un homme de paille. Je crois que s'il s'élève des doutes pour savoir s'il est l'auteur, le ministère public sera intéressé à soutenir qu'il ne l'est pas, et alors on présentera deux questions au jury : par la première on fera décider si celui qui se présente est l'auteur de l'écrit incriminé ; par la seconde on demandera s'il est coupable. Je pense donc qu'il n'y aura nul embarras, et si le ministère public a des raisons de croire que celui qui se présente n'est pas l'auteur, il les déduira, et il sera presque toujours facile de décider. M. Beyts demande aussi que l'auteur donne sûreté pour l'exécution du jugement à intervenir ; il s'ensuivrait que celui qui n'aurait pas une somme de 10,000 francs ne pourrait pas (page 658) écrire. Messieurs, que pour exercer le droit électoral on exige une certaine fortune, je ne vois rien là que de raisonnable ; mais qu'il en soit de même pour un écrivain, non seulement une telle mesure serait injuste, mais encore elle porterait un notable préjudice à la société. Il est certain que si personne n'eût pu écrire qu'à ces conditions, une foule d'excellents ouvrages seraient perdus pour nous. M. Beyts propose encore de dire que quand l'imprimeur déclarera qu'il est l'auteur de l'écrit, il puisse être poursuivi. Ceci est par trop évident ; mais dans ce cas il ne sera pas poursuivi en sa qualité d'imprimeur, mais en sa qualité d'auteur.
Je crois avoir parcouru les diverses objections ; il m'en restait encore une que j'ai perdue de vue... (Aux voix ! aux voix !) (U. B., 28 déc.)
- Plusieurs orateurs inscrits renoncent à la parole. (C., 27 déc.)
M. Camille de Smet – Je demande la priorité pour l'amendement de M. Devaux. (U. B., 28 déc.)
M. le président – Il y a d'autres amendements pour lesquels on fera la même demande. (U. B., 28 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII – Je retire mon amendement. (U. B., 28 déc.)
M. Nothomb – Je retire aussi le mien.( Bruit.) (U. B., 28 déc.)
M. Van Meenen et d’autres membres demandent à dire quelques mots. (U. B., 28 déc.)
M. le président – Vous me permettez aussi de dire quelques mots, et ces mots les voici : C'est que le budget presse. Nous nous rassemblerons à six heures et demie en section centrale pour entendre le rapport sur les voies et moyens, qui est prêt ; on pourrait l'entendre demain, et discuter après-demain. (Appuyé ! appuyé !) (U. B., 28 déc.)
M. Fleussu – Je demande que l'article de M. Devaux, qui paraît réunir l'assentiment général, soit mis aux voix. (Oui ! oui ! La clôture ! la clôture !) (U. B., 28 déc.)
- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée. (U. B., 28 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, secrétaire, donne lecture de l'amendement de M. Devaux :
« La presse est libre. La censure ne pourra jamais être établie. Il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs.
« Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi.» (U. B., 28 déc., et P. V.)
- Cet amendement est mis aux voix et adopté ; il remplace l'article 14 du projet. (P. V.)
M. Lebeau propose un paragraphe additionnel conçu en ces termes :
« Dans tout procès pour délit de la presse, la déclaration de culpabilité appartient au jury. » (P. V.)
- Ce paragraphe additionnel est adopté sans discussion. (P. V.)
- On met aux voix la disposition additionnelle de M. de Robaulx, ainsi conçue :
« Des mesures répressives ne peuvent porter atteinte au droit d'examen et de critique de la vie publique et des actes des autorités. ») (P. V.)
- 40 membres environ se lèvent pour cette disposition ; elle est rejetée. (C.,27 déc.)
M. le président – L'article 14 est épuisé. Il nous reste assez de temps pour entendre le rapport sur les voies et moyens. M. Fallon a la parole. (U. B., 28 déc.)
M. Théophile Fallon fait le rapport de la commission chargée d'examiner le projet de décret pour la perception des impôts en 1831.
- L'impression et la distribution en sont ordonnées. (P.V.)
La séance est levée à cinq heures. (P. V.)