(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)
(page 1017) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Rossiusµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre/
« Des habitants de l'arrondissement de Huy prient la Chambre de rejeter la disposition du projet de loi sur la milice qui exempte du service militaire les élèves en théologie. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Bochart présente une disposition additionnelle à la proposition de loi concernant le. dépôt d'ouvrages littéraires ou d'art. »
- Renvoi à la commission qui sera chargée d'examiner la proposition de loi.
« La commission administrative de la caisse de prévoyance des mineurs de la province de. Liège adresse à la Chambre 125 exemplaires du compte rendu des opérations de cette caisse, pendant l'année 1868. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. Coremans, retenu chez lui pour affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
« M. Elias, rappelé à Liège pour assister aux obsèques d'un parent, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
« M. Schmitz, retenu chez lui par des affaires de famille très pressantes, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. le président. - Le bureau a composé ainsi qu'il suit la commission chargée d'examiner le proposition de loi de MM. Hymans et Thonissen, relative au dépôt d'ouvrages littéraires et de productions des arts : MM. de Haerne, Orts, Kervyn, Vleminckx, Vandenpeereboom (Alp.), de Vrière et de Naeyer.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
71 membres sont présents.
51 membres répondent oui.
19 répondent non.
1 membre (M. Delcour) s'abstient.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Beke, Broustin, Bruneau, Cartier, Couvreur, Crombez, de Brouckere, De Fré, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Maere, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, de Vrints, Dewandre, Dolez, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Jamar, Jouet, Jouret, Julliot, Lambert, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Mascart, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, Alp. Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Watteeu, Allard, Anspach, Bara et Moreau.
Ont répondu non :
MM. Coomans, de Haerne, de Naeyer, de Zerezo de Tejada, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Tack, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Vilain XIIII, Visart et Wasseige.
M. le président. - M. Delcour est prié de faire connaître les motifs de son abstention.
M. Delcourµ. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre le projet de loi, parce qu'il renferme des crédits affectés à des dépenses qui ont été régulièrement faites ; je n'ai pas voulu voter pour, parce que le crédit de 40,000 francs qui est sollicité pour organiser à Gand une école de sourds-muets aurait dû faire l'objet d'une loi spéciale. Lorsqu'il s'agit d'organiser un enseignement aussi important, il faut une loi aux termes de la Constitution.
MfFOµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour objet d'allouer au département des affaires étrangères, un crédit supplémentaire de 172,000 fr. destiné à couvrir les dépenses du matériel des divers services de la marine.
Je demande que ce projet de loi soit renvoyé à l'examen de la section centrale du budget des affaires étrangères.
- Cette proposition est adoptée.
Le projet de loi sera imprimé et distribué.
M. le président. - La section centrale, d'accord avec le gouvernement, a introduit deux amendements. En premier lieu, à l'article 2, deuxième alinéa, le mot « trimestre » doit être remplacé par le mot « semestre ».
En second lieu, l'article 4 est modifié comme suit :
« Les fonds d'amortissement des dettes à 4 1/2 p. c. qui étaient disponibles au 1er mai 1869 ou qui le deviendront ultérieurement sous le régime actuellement en vigueur seront acquis au trésor.
« Ils seront affectés aux remboursements autorisés par les articles 1 et 3.
« Il pourra être pourvu au complément de ces remboursements au moyen d'une émission de bons du trésor. »
Cet amendement a été introduit par la section centrale de commun accord avec le gouvernement.
La discussion générale est ouverte.
M. Julliot. - Messieurs, je pense qu'il est utile de voter ce projet de loi.
Nous sommes dans le cas d'un débiteur gêné, mais qui a la faculté de reculer l'échéance de sa dette, espérant que sa moisson sera meilleure l'année prochaine. C'est ce qu'on nous propose.
Ce mode d'opérer est préférable à l'emprunt ou à l'établissement de nouveaux impôts.
Mais il ne sera pas défendu de rechercher les causes qui nous placent en face de cette situation.
Pendant une longue période d'années, nos finances ont été administrées de main de maître ; le niveau de la richesse publique s'élevait avec régularité, et, chaque année, nos recettes dépassaient de quelques millions les prévisions du budget.
Or, messieurs, des succès pareils donnent la confiance, et il n'est pas étonnant que, dans cette situation, on ait oublié une adversité toujours possible, et nous avons largement escompté l'avenir en décrétant bon nombre de travaux publics dont les uns très utiles, les autres moins, et d'autres inutiles.
Je n'en accuse pas M. le ministre des finances, qui a résisté souvent ; mais la vraie coupable, c'est la Chambre.
C'est la coalition d'intérêts, que M. Le Hardy de Beaulieu a flétrie un jour dans un remarquable discours, à qui nous devons demander compte de la situation, et j'en sais quelque chose, car un jour j'ai fait partie d'une d'elles.
A cette occasion, il me sera permis d'émettre quelques considérations sur les vrais principes qui devraient diriger les gouvernements.
Messieurs, l'impôt est une atteinte brutale à la propriété, il n'est légitime qu'a concurrence de ce qui est nécessaire au maintien de l’ordre social, et ce rôle réside dans la sécurité des personnes et la conservation de ce qu'elles possèdent.
(page 1018) Aussi l'impôt pour être honnête et légal ne doit être exigé qu'après que l'Etat a retiré de ses immeubles tout ce qu'ils sont capables de donner.
Or, l'Etat possède des forêts, des bâtiments, des canaux et des chemins de fer, et il est tenu, comme tuteur de la nation entière, de retirer de ces propriétés tout ce qu'elles peuvent donner avant de demander un écu a la nation, sous peine d'être un gérant infidèle ou incapable. Telle est la base financière d'un gouvernement juste pour tout le monde, et je dis que ce principe ne peut être contesté que par des intéressés à la pratique du contraire ou par ceux qui n'y comprennent rien.
Messieurs, cette sentence paraît sévère et même audacieuse, mais je la maintiens parce qu'elle est vraie.
Oh ! je connais l'objection. On dit : Le canal, le chemin de fer et son exploitation est une propriété sui generis et n'a pas le même caractère de propriété, qu'une forêt ou qu'un immeuble bâti. Donc on peut exiger des premiers ce qu'on ne demande pas aux seconds.
Eh bien, messieurs, ce ne sont que des mots sans valeur, car quand l'Etat rend des services industriels, il doit les faire payer à leur valeur, ou il vote le contribuable.
D'ailleurs, je vais vous prouver que vous pratiquez largement sur un point ce que vous contestez sur les autres.
Par exemple, les bâtiments de la poste et son service, n'est-ce pas au même titre une propriété sui generis ? Et, cependant, vous cherchez le critérium du péage de la poste qui donne le meilleur revenu.
Et pourquoi refuse-t-on, avec raison, de descendre à dix centimes ? C'est pour ne pas diminuer les ressources du trésor, et on fait bien ; car ce seraient encore les grosses maisons d'affaires qui feraient payer leurs nombreuses lettres par les pauvres diables qui n'écrivent pas, et la même chose est vraie pour les péages, que vous abaissez quand la recette nette s'en trouve diminuée.
Appliquez donc plus ou moins votre système de la poste aux chemins de fer et aux canaux, vous vous soulagerez la conscience, en vous disant que vous êtes justes, tandis que dans le système actuel vous distribuez une foule de primes déguisées à quelques-uns au détriment de la généralité, dont l'impôt doit remplacer ce que vous recevez en moins de vos ressources naturelles.
Hier vous avez acheté les canaux d'embranchement du Centre, après avoir tenu cette contrée dans une infériorité ruineuse pendant des années, vous allez en abaisser les péages et je vous prédis que vous allez nuire à d'autres intérêts qui vont réclamer à leur tour ; vous aurez déplacé le mal, voilà tout.
Vous faites des tarifs de péage, que les compagnies ne peuvent pas adopter sans se ruiner ; or, vous serez obligés d'acheter toutes le mauvaises lignes du pays pour ne pas être accusés de ruiner ces compagnies.
On se dit déjà que l'Etat devrait reprendre tous les chemins de fer, parce que les localités desservies par des compagnies payent plus cher que celles qui sont à portée des chemins de l'Etat.
Eh bien, je dis que l'Etat, pour faire cesser les nombreuses injustices qu'il commet, doit vendre ses chemins de fer et ses canaux en abandonnant complètement à l'industrie privée l'industrie voiturière. (Interruption.) Je sais bien que vous n'êtes pas de mon avis. Cela ne ferait pas le compte des favorisés, mais je dis que l'industrie privée saura se régler de manière à rendre la plus grande somme de services publics, car son intérêt lui dictera d'attirer le plus de mouvement possible sur ses voies de communication, et l'Etat se dégagera d'une responsabilité immense, sous laquelle il succombera tôt ou tard en la développant de plus en plus tous les jours, comme il le fait et il restituera la liberté dans l'industrie des transports comme elle existe dans toutes les autres industries sans distinction.
En attendant, je voterai le projet en discussion.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je dois remercier la Chambre, d'avoir bien voulu ajourner à la séance d'aujourd'hui la discussion du projet de loi qui nous occupe en ce moment. Elle m'excusera sans doute d'avoir été hier absent de mon banc quand elle saura que mon absence avait pour objet de rendre les derniers devoirs à un ami de trente ans.
Messieurs, j'ai demandé à présenter quelques observations sur la proposition, parce que la discussion d'une partie du projet dont il s'agit m'a semblé la meilleure occasion de les faire de façon à arriver à un résultat pratique.
Je ne parlerai pas de la première partie du projet de loi : « Remboursement de l'emprunt de 30 millions à 4 p. c. » C'est une simple opération de trésorerie, et' avec l'amendement de la section centrale, c'est un simple transfert d'argent d'une caisse à une autre ; c'est en adoucissement immédiat apporté à la dette qui pèse si lourdement sur le pays.
Je félicite au contraire l'honorable ministre des finances de la résolution qu'il a prise et je voterai avec empressement cette partie de la proposition qui nous est présentée.
Les observations que j'aurai l'honneur de vous soumettre concernent les modifications apportées au système d'amortissement.
Messieurs, tout ce qui touche à la dette a une importance considérable et il est nécessaire, me semble-t-il, lorsqu'il s'agit de prolonger les délais de remboursement, d'examiner jusqu'à quel point ces propositions seront utiles à la généralité de la nation.
Jusqu'à présent le gouvernement dans ses propositions, et la section centrale, même, dans l'examen auquel elle s'est livrée, semblent considérer le trésor public comme un propriétaire, un gros propriétaire, qui aurait fait certaines opérations, qui l'auraient conduit a contracter des engagements, lesquels engagements, à un moment donné, l'auraient plus ou moins embarrassé. Mais grâce à sa bonne position, il n'a besoin que d'obtenir un peu de temps pour se tirer d'affaire.
Messieurs, je dois examiner la question à un point de vue complètement différent, et c'est pour cela que j'ai demandé aujourd'hui la parole.
L'Etat n'est pas un propriétaire ; je vous l'ai dit dernièrement encore, l'Etat n'est qu'un tuteur, de mineurs, c'est-à-dire d'intérêts qui ne peuvent se défendre et qui, dans notre système constitutionnel, n'ont pas de protection. Quand il s'agit des mineurs particuliers, il y a les tribunaux, il y a le conseil de famille, il y a une protection pour leurs intérêts. Mais lorsqu'il s'agit de l'Etat, notre Constitution n'a rien prescrit. (Interruption)
L'Etat, pour employer une image que, me suggère l'interruption, est exactement dans la position de l'aîné d'une famille nombreuse, qui seul serait majeur, tandis que tout le restant de la famille serait mineur. Il doit donc gérer les intérêts de cette famille d'après les lois qui règlent la tutelle ; et pour l'Etat, ces lois sont la Constitution.
Je ferai remarquer ici, comme je l'ai fait pour la milice, qu'aucun pouvoir ne nous est donné par la Constitution pour contracter des dettes, pour grever de dettes l'avoir de la nation mineure. Aucun article de la Constitution ne donne ce pouvoir ni au gouvernement ni aux Chambres. Les Chambres et le gouvernement ont seulement le pouvoir de lever les impôts, un pouvoir illimité.
Dans les constitutions d'Amérique (je demande à l'honorable M. de Brouckere la permission de citer encore ce pays), il y a défense formelle de contracter des emprunts, sinon en cas de nécessités urgentes, pour repousser l'invasion, par exemple. Il y a défense formelle d'emprunter pour des travaux publics. Chez nous, la Constitution n'a rien déterminé à cet égard.
Cependant, j'ai lieu de croire que si le Congrès s'était trouvé en temps normal, il aurait adopté la disposition des constitutions des Etats-Unis, et il aurait défendu de faire des emprunts en temps normal.
Messieurs, ce n'est pas une opinion purement théorique que j'émets ici. Je vais vous démontrer par des chiffres que les emprunts sont toujours de mauvaises opérations et des opérations détestables pour les mineurs dont nous gérons les intérêts, même lorsqu'ils sont appliqués à des travaux publics. Je vais vous le prouver d'une façon tellement claire, je l'espère, que la Chambre et le pays y regarderont plus tard à deux fois, avant de rentrer dans ce système.
L'exposé de la situation financière, au 31 décembre dernier, nous donne des détails très minutieux, très circonstanciés sur nos emprunts et sur leur emploi ; l'honorable ministre des finances prouve, dans ce document, que la presque totalité de nos emprunts a été employée en travaux publics. (Interruption.) Evidemment si on n'avait pas emprunté pour les travaux publics, on aurait pu employer à autre chose les ressources ordinaires du trésor et réciproquement, si l'on n'avait pas employé les produits des emprunts aux dépenses de guerre et autres, on aurait pu les employer à des travaux publics.
Messieurs, l'intérêt de 535 millions est de 26,500,000 francs environ, si nous prenons 4 1/2 avec 1/2 p. c. d'amortissement, type que propose d'adopter l'honorable ministre des finances. En allouant cette somme, prise sur les impôts, pendant vingt ans à des travaux publics, nous obtenons 535 millions de travaux. Or, que s'est-il passé ? Les mineurs dont je parlais tantôt ont payé en intérêts et amortissement depuis 1830, 1,172 millions ; et ils doivent encore, à l'heure qu'il est, 692 millions, total 1,864 millions sortis, à ce jour, de la caisse des contribuables.
Si nous retranchons de ce chiffre la somme de 535 millions employés en travaux publics, il nous reste un déficit de 1,331 millions, et si nous retranchons de ce chiffre la somme de 478 millions pour la dette qui nous (page 1019) a été imposée par les traités de 1839 et les intérêts que nous avons payés depuis l'origine de cette dette, il nous reste un déficit de 853 millions.
- Un membre. - Et les produits des travaux publics ?
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Permettez ; les chemins de fer de l'Etat sont encore en dette vis-à-vis du trésor de 12,000,000 de francs environ. (Interruption.) II résulte donc de cet examen que si l'Etat veut faire des travaux publics économiques, bien que je sois d'un avis tout à fait opposé, le système des emprunts est le plus mauvais qu'il puisse adopter.
Je comprendrais, dans ce système, que l'Etat fît des travaux avec l'excédant des impôts ou avec le produit d'impôts spéciaux, parce qu'alors le pays aurait des travaux pour l'argent qu'il paye, et que, dans un moment de crise, il peut s’arrêter et ne rien devoir à personne, tandis qu’avec le système des emprunts, lorsque les travaux sont finis, il faut payer l’intérêt et l’amortissement, et qu’il arrive ainsi à devoir recourir à de nouveaux impôts dans les temps difficiles, alors qu’ils sont les plus onéreux.
Vous voyez donc, messieurs, que le système des emprunts appliqué a des travaux publics est onéreux aux contribuables.
Si je suis entré dans ces considérations, c'est pour arriver à poser la question de savoir ce qu'il y a lieu de faire dans la circonstance dont nous nous occupons.
Y a-t-il lieu de repousser la proposition de l'honorable ministre des finances ? Y a-t-il lieu d'y substituer d'autres propositions ?
C'est pour arriver a l'examen de ces questions que j'ai dit vous donner l'exposé des principes qui me semblent dominer la question de la dette publique.
D'après moi, il faut, dans la situation de l'Etat considéré comme tuteur de la nation qui est en grande partie mineure, rembourser ses dettes le plus tôt possible, décharger le travail, décharger l'industrie, décharger le commerce, la propriété de leurs obligations et cela par les moyens les plus prompts et les plus économiques.
Qu'y a-t-il a faire pour arriver à ce résultat ? Telle est la question sur laquelle j'appelle votre attention.
Faut-il continuer le système d'amortissement proposé par l'honorable ministre : 1/2 p. c. de la dette par an ; cette dette, vous le savez, s'élève, à 534 millions. Il faudra, si l'on adopte la proposition de. l'honorable ministre, 53 ans et quelques mois pour la liquider complètement, en payant chaque année 26 millions et des centaines de mille francs.
N'y a-t-il pas des moyens plus prompts, plus économiques d'arriver au même résultat ?
D'après moi, messieurs, le système d'amortissement fixe est une utopie. C'est une opération de trésorerie tout simplement. On emprunte si l'on n'a pas d'argent pour payer ses dettes ; cela amène le pays a des pertes de temps et d'intérêt. Aussi en Angleterre et en Amérique, depuis bien longtemps n'y a-t-il pas d'amortissement ; on paye avec les excédants de revenus. Lorsque ces excédants sont forts, on paye beaucoup ; lorsqu'ils sont nuls, on ne paye rien du tout.
Les Etats-Unis qui, par les circonstances que vous connaissez, se sont trouvés dans l’obligation d'emprunter depuis 4 ans, ont remboursé deux milliards et demi.
Aujourd'hui, s'apercevant que les impôts qui ont dû être créés occasionnent des perturbations considérables dans l'industrie., on propose, de ralentir le remboursement. Cependant, jusqu'à présent le remboursement le plus rapide a toujours prévalu, et le discours du président qui vient de prendre la direction des affaires peut être traduit en ce sens que lui aussi pousse au remboursement le plus prompt de la dette.
Les financiers anglais sont partagés en deux écoles, l'une pousse au remboursement le plus rapide de la dette et à la tête de cette école se trouve le président actuel du conseil des ministres, M. Gladstone, qui, pour soulager le pays de sa dette, a proposé, l'année dernière, un système d'annuités qui permettrait d'avancer l'époque des remboursements. Je ne sais pas ce que l'honorable ministre actuel des finances va proposer, mais je pense qu'il entrera dans la même voie.
Je cite ces exemples pour vous prouver que les pays industriels qui ont souci de soulager les populations du fardeau de leurs dettes adoptent le système du remboursement le plus prompt possible.
Je crois que nous ferions bien d'adopter également ce système.
Mais, et c'est pour cela, en grande partie, que j'ai demandé à présenter quelques observations dans l'occasion présente. Je pense que nous devons également suivre les financiers anglais dans leurs procédés. Ils n'ont pas, eux, appliqué tout l'excédant de leurs recettes à l'extinction des dettes de la nation ; depuis Robert Peel jusqu'aujourd'hui ils l'ont en grande partie employé à diminuer les charges qui pèsent le plus lourdement sur les classes qui ne prennent point part a la vie politique.
Depuis Robert Peel jusqu'aujourd'hui on a supprimé ou considérablement réduit, à concurrence de plus de 700 millions de francs, des impôts qui, pour la plus grande partie, pesaient sur les classes les plus nombreuses de la société. (Interruption.)
Et malgré ces suppressions, les recettes ont été plutôt en augmentant qu'en diminuant.
Ce n'est point là, messieurs, le système que nous suivons en Belgique. M. le ministre des finances propose de réduire le budget de la dette publique d'une somme de 5 1/2 millions de francs par an. Et croyez-vous, messieurs, qu'il va nous proposer de réduire quelques impôts, pesant spécialement sur les classes qui ont le plus contribué à produire les résultats fabuleux que j'indiquais tout à l'heure, par exemple, l'impôt sur le sel, l'impôt sur la bière ?
Nullement. Au lieu de cela, on nous propose de vastes constructions ; on nous propose d'ériger de nouvelles fortifications, comme si nous n'en avions pas encore assez. Ainsi, messieurs, si nous persévérons dans cotte voie, rien ne nous garantit que dans quelques années nous ne nous trouverons pas exactement dans la même situation qu'aujourd'hui ; c'est-à-dire dans l'obligation de chercher des ressources pour faire fasse à des exigences toujours croissantes.
Eh bien, messieurs, c'est pour vous prémunir contre cette tendance que j'ai cru devoir prendre la parole. Et, pour résumer mon discours, je proposerai à la Chambre et à M. le ministre des finances de vouloir bien suivre désormais la voie que voici : Je lui accorderais la première partie de ses propositions, c'est-à-dire le remboursement du 4 p. c. ; je lui accorderais les sommes indiquées dans le rapport de la section centrale et non employées à l'amortissement du 4 1/2 p. c, et j'ajournerais la question de l'amortissement du 4 1/2 p, c. à la discussion du budget des voies et moyens de l'année prochaine, afin que dans ce budget on puisse nous proposer, outre cette modification, des modifications correspondant à certains impôts, et notamment la suppression complète de l'impôt sur le sel.
Voilà, messieurs, pourquoi j'ai profité de cette occasion toute naturelle de résumer mes propositions et de demander l'ajournement que je vous propose.
M. le président. - Faites-vous une proposition ?
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je vais vous l'envoyer, M. le président.
MfFOµ. - Messieurs, l'honorable préopinant et moi, nous n'avons ni la même manière de raisonner, ni la même manière de calculer. La Chambre a pu constater, en diverses circonstances, que nous avons le malheur, sous bien des rapports, d'être souvent en différend.
L'honorable membre a une conception de l'Etat qui lui est tout à fait propre, je pense. L'Etat pour lui est un tuteur ; il est chargé de défendre les intérêts de mineurs ; il doit agir, en conséquence, suivant les lois qui régissent la tutelle. Or, la loi qui régit la tutelle de l'Etat, c'est la Constitution ; et la Constitution, dit-il, n'accorde pas à l'Etat le pouvoir d'emprunter. Nous avons donc jusqu'à présent commis une violation flagrante et permanente de la Constitution, en contractant des emprunts qui ont accablé de charges énormes les populations mineures soumises à notre tutelle.
Messieurs, cette proposition ainsi formulée, et je crois reproduire bien exactement la pensée, de l'honorable membre, cette proposition ainsi formulée ne me paraît pas nécessiter une bien longue ni bien sérieuse réfutation.
L'Etat n'est nullement un tuteur ; l'Etat est chargé de gérer les intérêts de la nation, suivant certaines formalités, avec certaines garanties et sous certains contrôles qui sont déterminés par la loi constitutionnelle et les lois organiques. Jusqu'ici, personne ne s'était imaginé de contester à la puissance publique, aux représentants de la nation, le pouvoir d'emprunter lorsque les intérêts du pays le commandent.
Messieurs, je suis disposé à concéder à l'honorable membre, mais par des raisons entièrement différentes de celles qu'il a fait valoir, qu'il convient d'emprunter très modérément, qu'il vaudrait même mieux de ne pas emprunter, ou tout au moins de n'emprunter que dans des circonstances graves et exceptionnelles ; parce que tout emprunt, surtout lorsqu'il est à long terme, est une atteinte portée à la liberté des générations futures, qui se trouvent nécessairement grevées par des mesures financières qui ont engagé une partie des ressources du pays pour une longue suite d'années. Une génération pourrait, en abusant de l'emprunt, confisquer toute la liberté d'action des générations futures ; elle se serait donné ainsi le moyen de faite beaucoup de choses, dans l'idée parfaitement fausse, (page 1020) dans l’espérance irréalisable que les générations futures n’auraient plus rien à accomplir. Erreur manifeste, parce que les générations successives se trouvent inévitablement en présence de besoins nouveaux, qui naissent des transformations qui s’accomplissent de siècle et siècle, aussi bien dans l’ordre moral et intellectuel que dans l’ordre matériel.
Si l’on pouvait réaliser tout ce que l'on croit utile et sage, je voudrais des emprunts à court terme ; ils devraient pouvoir être intégralement remboursés, vingt-cinq ans, par exemple, après leur création.
Quoi qu'il en soit de ces idées, il faut reconnaître, pour ce qui nous regarde, en présence de l'exiguïté de notre dette comparée aux valeurs qu'elle a servi à créer, il n'y a guère lieu de se préoccuper des théories que je viens d'indiquer.
Lorsqu'il s'agit d'emprunts qui ont pour objet d'augmenter la richesse publique par des travaux qui ont pour résultat de mieux outiller le grand atelier national et d'accroître la production du pays, les avantages sont tellement considérables, non pas au point de vue du trésor, comme l'a dit l'honorable membre, mais pour l'ensemble de la nation, et dans le temps présent et dans les temps à venir, qu'ils sont non seulement faciles à supporter, mais qu'ils se trouvent compensés par une contre-valeur dont on lire, même un profit direct.
L'honorable membre ne l'entend pas ainsi, et c'est à ce sujet que nos calculs différent.
L'honorable membre nous dit : « Vous avez, emprunté, depuis 1830, une somme de 600 millions. Si à ces capitaux j'ajoute les intérêts payés et à payer, j'arrive 'une somme d'un milliard 800 millions dont vous avez grevé le pays. Vous avez donc fait une opération désastreuse. »
Mais l'honorable membre, comme on le lui a fait remarquer immédiatement en l'interrompant de toutes parts, n'a pas mis à côté de cette charge, d'ailleurs énormément exagérée, ce que les emprunts ont procuré de bien-être et de richesse, au pays. Il n'a pas dit dans quelle mesure se sont développées, grâce à ces emprunts et aux travaux qu'ils ont permis d'entreprendre, les forces productrices du pays.
L'honorable membre, raisonne ici comme s'il s'agissait, dans la question, de deux êtres absolument distincts, ayant des intérêts tout à fait opposés, et dont l'un agirait exclusivement à son profit, en imposant à l'autre toutes les charges et tous les sacrifices. Il nomme le premier, l'Etat, le gouvernement, le trésor public. ; l'autre, c'est la nation. Mais c'est là un raisonnement vicieux, complètement faux et insoutenable. Pour être logique, il faut raisonner comme s'il s'agissait d'un particulier empruntant et agissant au mieux de ses intérêts ; mais ne créez pas deux êtres distincts et de pure fantaisie ; prenez ce qui existe en réalité, un seul et même être, et faites le compte de la nation.
Examinez si elle a emprunté pour exécuter des travaux publics d'une utilité réelle. Voyez si les fonds ont été bien employés, si les travaux ont été productifs, s'ils ont amélioré les conditions du travail national, et au lieu de supposer que les fonds ont été en quelque sorte gaspillés en pure perte, demandez-vous de combien s'est accrue la richesse de la nation.
Or, vous ne pouvez pas dire qu'elle ne se soit considérablement augmentée à l'aide des travaux qui ont été exécutés. (Interruption) Ils ne se seraient pas moins exécutés, dit l'honorable membre, si l'Etat ne les avait pas entrepris !
Cela est très discutable. Je veux cependant bien concéder que ces travaux se fussent exécutes sans l'intervention de l'Etat ; c'est un peu une question de mœurs que je ne veux pas examiner en ce moment. Mais, au point de vue général, le résultat n'eût-il pas été le même ? Il eût fallu également contracter des emprunts. Les particuliers, les compagnies eussent dû faire ce qu'a dû faire l'Etat. Et, en définitive, c'est toujours la nation qui aurait payé les services qui lui auraient été rendus.
Quoi qu'il en soit, après ces prémisses, l'honorable membre est arrivé à cette conclusion : que l'amortissement devrait être supprimé ; que l'amortissement, tel qu'on l'opère est une fausse opération ; qu'aussi longtemps qu'on n'obtiendra pas d'excédant on n'aura qu'un amortissement fictif, puisque, d'une part, on en est réduit à emprunter, pour amortir d'autre part la dette antérieurement contractée.
Messieurs, c'est une question qui est très controversable que celle de savoir si l'amortissement est inutile. Elle ne se présente pas ici, quoi qu'en dise l'honorable membre, et je ne pense pas qu'il y ait lieu de prononcer l'ajournement de la discussion actuelle pour examiner s'il est plus on moins avantageux pour un Etat d'amortir ou de ne pas amortir sa dette.
Qu'est-ce que nous avons à nous demander, abstraction faite de toute théorie ? Il s'agit de savoir si, l'amortissement n'ayant pas existé en Belgique ; si, comptant sur la sagesse des législateurs pour effectuer le remboursement exclusivement à l'aide des excédants éventuels des budgets, la dette à 1 p. c. se trouverait éteinte à l'époque actuelle, et si la dette à 3 p. c, qui va être remboursée, se trouverait également dans cette situation ?
Eh bien, messieurs, je ne suis pas complètement fixé à cet égard ; je ne suis pas bien sûr que, placées devant la nécessité de créer des impôts afin d'avoir des excédants pour satisfaire à l'extinction de la dette, les assemblées se seraient montrées bien disposées à agir de la sorte, et si l'on ne se serait pas bien volontiers laissé entraîner à appliquer aux besoins actuels les excédants dont on aurait pu disposer, sauf à déclarer solennellement chaque année qu'ils seraient appliqués dorénavant à l'extinction de la dette.
J'hésite beaucoup à me prononcer entre ces deux hypothèses, et je crains fort que la première n'eût été appliquée de préférence.
Quoi qu'il en soit, il ne peut pas être question de supprimer l'amortissement. L'amortissement existe en vertu de contrats. Il y aurait lieu d'examiner la question de l'amortissement, si l'on faisait une conversion de la dette. Ce serait seulement dans ce cas que la question pourrait se présenter utilement. Pour aujourd'hui, ce serait une discussion purement théorique à laquelle nous aurions à nous livrer.
L'honorable membre a cru l'occasion favorable pour faire remarquer que dans d'autres pays, par exemple en Angleterre et aux Etats-Unis, l'amortissement a été supprimé. On a eu dans ces pays des excédants considérables qui ont été employés, partie à l'extinction de la dette, et partie à des réductions d'impôts. Nous sommes bien loin, dit-il, d'avoir suivi un pareil système.
Messieurs, je ne relèverai qu'en passant les chiffres fort exagérés de l'honorable membre, qui suppose qu'en Angleterre les réductions d'impôts atteindraient une somme de 700 millions annuellement. C'est là une erreur évidente. Mais je fais remarquer à l'honorable membre qu'en faisant l'éloge de l'Angleterre et des Etats-Unis, éloge que je n'entends pas du tout contester, il oublie un peu ce que nous avons fait nous-mêmes. Est-ce que depuis 1830 nous n'avons pris aucune disposition semblable à celles qu'il loue si fort dans d'autres pays ? Est-ce que, pour ne pas remonter jusque-là, depuis ces dernières années, depuis 1857, depuis que nous sommes au pouvoir, nous n'avons absolument rien fait dans l'ordre d'idées qu'indique l'honorable membre ?
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Certainement.
MfFOµ. - Il me semble qu'il aurait fallu le dire, et il n'est peut-être pas inutile que je le rappelle à la Chambre.
Messieurs, la section centrale qui a examiné le budget des voies et moyens de 1865 a demandé au département des finances un tableau indiquant les modifications apportées aux lois d'impôt depuis 1830 jusqu'en 1863. Ce tableau a été imprimé à la suite du rapport de cette section centrale. J'en extrais les chiffres suivants :
Pour les années 1857 à 1863, je dirai en peu de mots tout à l'heure ce qui s'est fait encore de 1863 à 1869, les augmentations d'impôts ont été de 11,385,000 francs. Mais, dans le même temps, les diminutions se sont élevées à 20,245,000 francs.
Depuis 1865 jusqu'au mois de mai 1869, il y a eu encore de notables réductions dans les charges publiques. Elles ne se sont pas élevées à moins de 3,856,000 francs. Je ne cite que deux chiffres pour ne pas entrer dans de longs détails, qu'il serait assez inutile de mettre aujourd'hui sous les yeux de la Chambre : les péages sur les rivières et canaux ont été réduits de 850,000 fr. et la suppression des barrières a entraîné une diminution de 1,800,000 fr. dans les ressources du trésor public. Donc, de ces deux chefs seulement 2,650,000 francs.
Ainsi, de 1857 à 1869, nous avons eu 24,100,000 francs de réductions d'impôts ; les augmentations n'ont été que de 11,385,000 francs. Reste 12,716,000 francs de diminution des charges annuelles.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Tout en voyant les recettes augmenter !
MfFOµ. - Certainement, c'est incontestable. Mais je ne suis encore qu'au chapitre des recettes ; nous allons arriver au chapitre des dépenses.
Et si j'ajoute à cette réduction de 12,716,000 fr., l'abaissement des tarifs des chemins de fer, qui est incontestablement un avantage pour les particuliers, quelque opinion qu'on se forme au point de vue du trésor (et tout ce qu'on a dit à cet égard est parfaitement exagéré)... (interruption.)
(page 1021) Cet abaissement des tarifs est incontestablement un avantage considérable pour le commerce, pour l'industrie en général, aussi bien que pour chaque particulier qui voyage en chemin de fer ; cela est hors de doute...
M. Coomans. - Il y a beaucoup d'étrangers qui en profitent.
MfFOµ. - Les étrangers comptent pour très peu de chose dans l'ensemble des produits du chemin de fer.
Il y a donc incontestablement un avantage pour le public dans l'abaissement des tarifs. Eh bien, si j'ajoute le montant de cette réduction telle qu'elle est estimée par ceux qui critiquent la mesure, nous arrivons à une somme de 15 à 16 millions de réduction-par an.
Voilà ce qui a été fait depuis 1857.
Maintenant, dans le même temps, pendant que nous opérions ces réductions de charges de diverses natures, les dépenses s'accroissaient dans une proportion extrêmement notable. Le budget de 1857 était de 65,511,112 francs ; il est pour 1870 de 127,217,647 francs. C'est une différence en plus de 31,706,535 francs.
Eh bien, messieurs, dans cette somme de dépenses nouvelles que nous faisions en même temps que nous diminuions les charges publiques, il se trouve pour 27 millions d'augmentations de dépense sur des articles qui recevront assurément, pour la plupart, l'approbation de l'honorable membre.
La voirie vicinale exigeait 708,000 francs, en 1857 ; elle figure au budget de 1870 pour 1,166,000 francs.
La dotation de l’enseignement supérieur s'élève de 792,000 francs, chiffre de 1857, à 1,013,000 francs, en 1870 ;
L'enseignement moyen, de 785,000 francs à 1,133,000 francs ;
L'enseignement primaire, de 1,447,000 fr. à 4,709,000 fr., et celle somme sera encore dépassée.
Le budget des travaux publics, qui était de 21,506,581 francs en 1857, est monté à 40,521,160 francs en 1870.
Le service des chemins de fer, qui n'exigeait à cette époque que 15,128,000 francs, exige aujourd'hui une dépense, de 25,368,000 francs.
La dépense pour les postes s'est élevée de 2,127,000 francs à 4,267,000 francs, et celle des télégraphes de 180,000 francs à 1,567,000 francs.
Enfin les traitements de tous les fonctionnaires publics ont été augmentés d'une somme de plus de 5 millions de francs.
Voilà donc toute une série de dépenses que nous avons faites, qui étaient indispensables et qui ont reçu l'approbation de la Chambre ; nous les avons faites en même temps que nous opérions des réductions considérables dans les charges publiques.
Eh bien, messieurs, malgré ces suppressions d'impôts et malgré ces accroissements de dépenses dans le même espace de temps, nous avons employé, à des travaux publics, 102,418,000 francs provenant des excédants de nos ressources ordinaires sur les dépenses de même nature. Mais nos excédants se sont affaiblis et les travaux extraordinaires votés ont excédé de quelques millions les ressources immédiatement disponibles.
Qu'ai-je dit en présence de cette situation, lorsque j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre l'exposé de la situation du trésor au 1er janvier 1869, et ce qui a été, par une sorte d'aberration que je ne m'explique pas, considéré comme la dénonciation d'une situation déplorable du trésor public ? J'ai dit, messieurs : Veuillez-y prendre garde ; vous avez diminué vos ressources, vous avez accru vos obligations ; les excédants qui étaient autrefois de 7, 8, 10 millions de francs, ne sont plus aujourd'hui que de 3 millions environ, ce qui, d'ailleurs, n'est déjà pas très mal. Quand on paye toutes ses dettes, que l'on satisfait à tous les services publics et que l'on a un excédant de ressources de 3 millions pour des dépenses extraordinaires, on ne peut pas dire que l'on se trouve dans une situation bien fâcheuse.
Voilà donc pour les recettes et les dépenses ordinales.
L'exposé que j'en donnais n'avait pas pour but, comme je viens de le dire, d'accuser une situation déplorable ; c'était accuser une situation bonne, mais qui avait été et que l'on pouvait encore désirer meilleure.
Quant aux 52,948,000 francs de dépenses extraordinaires, j'ai dit : Vous avez voté des travaux et il n'y a des ressources disponibles en ce moment que pour une somme de 44,688,000 francs, ce qui fait une différence de 8,260,000 fr. Il y a là un découvert. Il faut donc être prudent ; il ne faut ni dépouiller le trésor de ses recettes, ni accroître les dépenses sans une nécessité bien constatée.
Je conviais donc à la prudence et j'annonçais que, dans le désir de retrouver des excédants plus considérables pour faire face à des nécessités nouvelles, je proposerais certaines mesures qui ont été celles dont la Chambre est actuellement saisie, et qui me semblent généralement approuvées.
Ces mesures consistent à rembourser l'emprunt à 4 p. c. dont il ne reste que quelques millions à amortir. D'accord avec la section central» nous employons à cette opération les fonds d'amortissement qui n'ont pas été utilisés au rachat du 4 1/2 p. c.
Tout le monde, je pense, approuvera cette opération.
La seconde consiste à ramener à un taux uniforme l'amortissement de nos divers emprunts. La plupart des séries de notre dette à 4 1/2 p. c. sont dotées d'un amortissement de 1/2 p. c. Une seule série était dotée d'un amortissement de 1 p. c. Nous rétablissons l'uniformité.
Cet amortissement différent n'exerce d'ailleurs aucune influence sur le cours des fonds des différentes séries à la Bourse ; on ne distingue pas dans la cote ; cela importe fort peu aux porteurs de la rente. Il n'y a donc pas de difficulté sous ce rapport.
En même temps, nous déclarons que les intérêts des titres amortis maintenant ne seront plus affectés à l'amortissement.
Vous le voyez, messieurs, ces opérations son fort simples. Elles n'ont été critiquées à l'extérieur que d'une seule façon. On a dit qu'il valait mieux faire la conversion ; que ce que nous proposons est un expédient, tandis que la conversion eût été une véritable opération financière.
Mais on n'a pas remarqué que la conversion donnait précisément et identiquement les mêmes résultats que la proposition qui est soumise à la Chambre, sauf qu'on y ajoutait de plus la réduction de l'intérêt de la dette.
Or, tout revient à savoir si la réduction de l'intérêt de la dette aurait été opportune dans les circonstances actuelles. Je ne l'ai pas pensé. Je ne crois pas que, dans ce moment, on ferait une opération sage et prudente ; en effectuant la conversion du 4 1/2 en un fonds donnant un intérêt moins élevé.
Cet intérêt quel pourrait-il être ? Cela dépendrait de beaucoup de circonstances ; mais je ne pense pas que pour le faible avantage, qui pourrait éventuellement en résulter, comparativement aux avantages certains et immédiats que nous obtenons sans aucune chance mauvaise, il faille courir le risque de faire des conversions dans des circonstances qui ne me paraissent pas les comporter.
Tels sont les motifs qui m'ont déterminé à formuler la proposition qui est actuellement soumise à l'examen de la Chambre et qui, je l'espère,, recevra son approbation.
M. le président. - Voici une proposition que m'a fait parvenir l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu :
« Supprimer l'article 2 et en ajourner l'examen au budget des voies et moyens de 1870. »
M. Dumortier. - Lorsqu'il s'agit d'une loi qui a pour but de modifier la dette publique, la première chose à examiner, c'est l'intérêt des preneurs de la dette nationale. Or, il est clair que la conversion de la dette a toujours pour résultat de réduire la position des preneurs.
Quelle est la situation des détenteurs de la dette en Belgique ? Le gouvernement interdit aux communes, aux établissements de charité, aux hospices, aux bureaux de bienfaisance d'acquérir des biens-fonds ; il leur dit : Vous prendrez des titres de la rente ; eh bien, le jour où l'on décrète une réduction de la renie, ce sont ces établissements qui en deviennent les victimes. Ce n'est pas là un système qui a mon approbation.
Oui, messieurs, les victimes de la réduction de la rente ce sont précisément les établissements de charité, c'est-à-dire, en résumé, les pauvres.
Aussi, messieurs, j'ai toujours été très peu partisan de la conversion des emprunts ; j'aime beaucoup mieux que l'amortissement suive sa voie naturelle et produise peu à peu l'extinction de l'emprunt.
En décembre 1831, pour faire face aux besoins de la révolution, nous avons décrété un premier emprunt de 100 millions de florins pour consolider l'existence nationale. Cet emprunt a été contracté par deux hommes très capables, M. Osy et M. Ch. de Brouckere. Au moyen de l'amortissement qui était fixé, si ce système était resté debout, l'emprunt devait être remboursé en 34 ans.
La dette devait donc être amortie en 1866 ; n'était-ce pas là une bonne chose ? En 1866 l'Etat était entièrement dégrevé de cet emprunt de 200 millions de francs.
L'amortissement des emprunts est une première nécessité et sur ce point je partage complètement l'avis de M. le ministre des finances.
Il ne faut pas qu'une génération quelconque puisse grever l'avenir des générations qui doivent lui succéder et la prudence doit être la première règle en matière d'emprunts.
Je comprends l'emprunt lorsqu'il s'agit d'un grand intérêt national, mais en dehors de ces circonstances, il faut user d'une réserve excessive, et dans tous les cas c'est une faute que de vouloir supprimer l'amortissement.
L'amortissement, quand il fonctionne régulièrement, produit cet excellent résultat qu'après un certain nombre d'années, vous vous trouvez (page 1022) sublevés d'une charge plus ou moins considérable qu'il a fallu imposer à la nation.
M. Thonissenµ. - Et vous contractez alors un nouvel emprunt.
M. Dumortier. - Et vous faites alors un nouvel emprunt pour les besoins nouveaux qui peuvent se produire sans augmenter les charges de l'avenir. Vaut-il mieux, par hasard, entasser emprunt sur emprunt, mettre Pélion sur Ossa.
M. Sabatierµ. - Mais c'est vous qui voulez cela.
M. Dumortier. - Pas du tout ; c'est précisément le contraire que je veux ; je vous ai dit tout à l'heure que je n'admets l'emprunt que dans le cas de nécessite absolue, et à la condition qu'il soit amorti successivement, de manière à débarrasser le trésor de la charge qui le grève de ce chef. Qu'on ne me fasse donc pas dire le contraire de ma pensée.
Supprimer l'amortissement, c'est faire de la politique financière d'expédient ; c'est vous mettre dans l'impossibilité de contracter de nouveaux emprunts dans des moments difficiles ; et, dans tous les cas, c'est grever l'avenir au profit du présent, situation que signalait tout à l'heure l'honorable M. Frère-Orban en la critiquant.
Pour mon compte, je ne suis pas du tout partisan de toutes ces manœuvres financières qui, en définitive, finissent toujours par grever l'avenir.
Nous avons, depuis 1830, contracté beaucoup d'emprunts,, les uns nécessaires, les autres sans utilité. J'eusse préféré, quant à moi, qu'on eût amorti d'abord l'emprunt que nous avons contracté il y a 38 ans. L'honorable M. Le Hardy a dit une chose très juste ; c'est que si vous débarrassiez le trésor public des charges qu'il subit du chef des emprunts, vous pourriez réduire certains impôts qui pèsent si lourdement sur le peuple et avant tout cet impôt, odieux entre tous, sur le débit des boissons distillées. (Interruption à gauche.)
Oh ! je sais fort bien pourquoi vous riez, vous persécutez les pauvres petits cabaretiers pour en faire des électeurs à votre profit. Voilà pourquoi vous maintenez cet impôt odieux. Demandez-leur s'ils trouvent que cet impôt est juste et vous verrez ce qu'ils vous répondront.
Personne, messieurs, n'est plus dupe de toute cette fantasmagorie, dont le but purement électoral est trop manifeste pour qu'on puisse s'y méprendre encore.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas moins vrai que l'impôt dont je m'occupe est le plus odieux de tous, attendu qu'il n'est pas proportionnel à la fortune de ceux qui le payent, et que c'est l'un de ceux dont la suppression est la plus urgente.
Mais comment espérer une telle suppression ? Que fait-on aujourd'hui ? On se jette dans de grandes entreprises ; on veut imiter Louis XIV, non seulement dans la politique, mais encore en se jetant dans des constructions grandioses.
Et voilà pourquoi vous êtes forcés de faire des emprunts.
Messieurs, quand on est arrivé ici avec des demandes de 49 millions pour les fortifications d'Anvers, que je n'ai pas votées, le pays entier a été effrayé de la somme de 49 millions qui était réclamée pour ces fortifications. Et, en effet, il y avait lieu d'être effrayé d'une dépense aussi exorbitante. Or, si vous vous étiez abstenus de trois, quatre ou cinq dépenses complètement inutiles, vous auriez réalisé une économie d'un chiffre tout aussi considérable.
Mais vous avez bien eu soin de ne pas vous abstenir de faire ces dépenses inutiles. Que dirai-je, par exemple, du palais de justice qui se construit à Bruxelles ? Si je suis bien informé, il est déjà certain que le chiffre de la dépense, excédera le chiffre de 25 millions de francs, et ou m'affirme qu'il dépassera 25 millions, ce qui est la moitié de la dépense qu'oui occasionnée les fortifications d'Anvers.
On lésine quand il s'agit de la défense nationale, et quand il s'agit de bâtir des locaux pour les tribunaux, on prodigue l'argent, on construit des palais !
Un honorable membre m'interrompt, pour rappeler la nouvelle église de Laeken ; en effet, cet édifice devait coûter 800,000 francs ; il a déjà coûté plusieurs millions ; et il faudra encore des millions pour l'achever.
Oui, vous avez voulu élever un monument d'architecture : encore une fois, vous voulez faire comme Louis XIV, et vous arriverez au même résultat que lui !
Messieurs, on ne se borne pas à faire des palais pour les magistrats ; les prisons cellulaires qu'on élève pour les coquins sont de véritables palais ; et, ma foi, on serait tenté de commettre un crime pour aller se loger dans des palais aussi splendides.
Je dis que ce n'est pas de cette manière qu'on doit traiter les coquins. Quand vous dépensez des millions pour la construction de prisons luxueuses, monumentales, vous allez au rebours du bon sens.
Je vous l'ai déjà dit, nous sommes en train de faire l'organisation de la coquinerie en Belgique. Pour les assassins et pour les grands scélérats, on a voulu, on veut encore supprimer la peine de mort. On veut supprimer (et nous nous en occuperons demain) la contrainte par corps pour les coquins de second ordre, pour les calomnies faites par la voie de la presse, etc. Pour les petits fripons, on a supprimé la garantie des matières d'or et d'argent ; pour les grands fripons, on a supprimé le taux légal de l'intérêt ; un fils de famille peut emprunter à 12, à 15, à 20 p. c, et celui qui prête son argent à ce taux usuraire peut le faire impunément. (Interruption.)
Cependant, M. Pirmez, vous qui m'interrompez, si vous aviez un enfant qui, se conduisant mal, empruntât au taux usuraire de 20 p. c. par exemple, vous n'auriez aucun recours contre celui qui aurait rendu ce mauvais service à voire enfant. Après tout cela, vous construisez des palais de friponnerie, de coquinerie ; vous dépensez des millions, et vous faites des dettes énormes, sans aucun avantage pour le pays.
Ce n'est pas tout. Je vais tomber dans le domaine des architectes qui poussent aux grandes dépenses pour faire de gros profils à raison de 5 p. c. des sommes dépensées. Que fait-on maintenant ? On fait des stations pour des millions.
En effet, combien de millions ne coûtera pas cette très inutile station du Midi qui n'aura d'autres résultats que de faire faire aux personnes qui s'y rendent un quart de lieue de plus ?
Mais, messieurs, dans toutes les villes de. la Belgique, on est en train de vouloir faire des dépenses de millions et c'est pour cela qu'on nous propose des emprunts.
Vous construisez des stations qui coûtent deux, trois millions, mais est-ce avec vos ressources normales que vous faites ces dépenses ? Pas le moins du monde : c'est avec l'emprunt, et vous grevez l'avenir avec toutes ces dépenses que j'appelle des dépenses insensées.
Je crois, messieurs, qu'il vaudrait beaucoup mieux être plus modeste dans les constructions que d'opérer avec tant de luxe.
Mais, messieurs, quelles sont les personnes intéressées à voir ces palais, ces prisons, ces stations construites à des conditions aussi onéreuses ? D'abord l'architecte, qui a 5 p. c. sur la construction.
Si la construction coûte un million, il reçoit 50,000 francs ; si elle coûte deux millions, il reçoit 100,000 francs ; il a donc tout intérêt à pousser la gouvernement aux grandes dépenses.
Puis, à côté de cela, vous avez toutes les personnes qui ont, dans le voisinage de la station, des terrains qui auront une plus-value considérable, qui recevront, pour des terrains de peu de valeur, des sommes de 200,000 ou 300,000 fr.
Voilà comment vous vous lancez dans les déficits, parce que vous jalousez aujourd'hui la situation de Louis XIV et que vous voulez faire partout des monuments.
Je conçois les monuments ; je les veux beaux, splendides ; mais je ne veux pas qu'on fasse des monuments de toute chose ; je désapprouve également les grandes dépenses de l'église de Laeken, mais je dois reconnaître que. là, du moins, vous aurez un monument.
Pourquoi maintenant dépenser vingt-cinq millions pour la construction d'un nouveau palais de justice ? Est-ce que la justice ne se rendait pas bien dans le palais actuel ? et est-ce que la justice de M. Bara vaudra mieux que la justice de M. Raikem ?
Je dis que c'est là une dépense exorbitante que vous couvrez avec l'emprunt.
L'honorable M. Frère.-Orban, tout en reconnaissant qu'il ne faut pas grever l'avenir au moyen des emprunts, admet cependant qu'il faut en contracter pour les travaux publics.
Je ne puis me rallier à cette opinion ; faites vos dépenses de travaux publics avec les économies que vous pourrez réaliser sur vos budgets. Mais quand vous faites des emprunts pour les affecter à des dépenses improductives, je prétends que c'est l'avenir que vous grevez, que vous grevez éternellement ; et si vous continuez dans la voie où vous êtes entrés, vous aurez mis cet avenir dans une situation telle, que la dette publique finira par absorber une notable partie des ressources de l'Etat et qu'il faudra en arriver à d'autres emprunts.
Messieurs, dans la loi qui vous est présentée, il y a trois choses. Il y a d'abord le remboursement des titres de l'emprunt à 4 p. c. Je reconnais qu'au remboursement de cet emprunt, qui ne comporte plus qu'un petit capital, il n'y a pas grande objection à faire ; c'est plutôt ici une régularisation. Mais il n'en est pas de même des emprunts 4 1/2 p. c. Vous avez ici deux opérations distinctes. On propose d'abord de réduire l'amortissement, et cela je le regrette et le désapprouve vivement. Mais on propose (page 1023) autre chose ; on propose de ne plus faire profiter l'emprunt de l'intérêt des titres remboursés.
C'est là, messieurs, une chose excessivement grave, car c'est bouleverser du tout au tout le système de tous nos emprunts. C'est transformer complètement ce système.
L'intérêt des titres acquis jusqu'aujourd'hui continuera-t-il à profiter à l'emprunt ?
MfFOµ. - Non.
M. Dumortier. - C'est donc ce que je vous dis. L'intérêt des titres acquis aujourd'hui ne profitera plus à l'emprunt, tandis que dans le système dans lequel nous vivons depuis 1830, l'intérêt des titres acquis profite à l'amortissement.
C'est là une différence capitale, et je le répète, c'est un renversement complet du système suivi jusqu'ici ; c'est une révolution complète dans le système des emprunts.
L'intérêt des capitaux remboursés profitant à l'amortissement, l'extinction de l'emprunt marche avec, rapidité, de telle sorte qu'en 30, 34 ou 35 ans l'emprunt est complètement amorti ; tandis que si, à partir de l'année prochaine, vous commencez de nouveau à amortir, sans tenir compte du passé, en fait vous diminuez votre amortissement de 4 millions.
Vous prolongez ainsi vos emprunts d'une manière indéfinie, et cela me paraît d'une gravité excessive. J'avoue franchement que je ne pourrais donner mon assentiment à une pareille mesure. C'est bien grever l'avenir au profit du présent.
Et pourquoi fait-on cela ? Mais c'est très simple. C'est à cause des réductions qu'on a fait subir aux tarifs des chemins de fer. On a fait sur ces tarifs des réductions immodérées qui ont mis le trésor public dans une situation excessivement déplorable et fâcheuse.
L'honorable M. Frère vous disait tout à l'heure que les réductions sur les tarifs des chemins de fer profitaient à la population. Sans doute, en thèse générale, toute réduction profile à une partie quelconque de la population. Mais il reste bien certain que. les réductions sur le prix des tarifs des chemins de fer ne profitent pas à l'immense partie de la population qui ne va pas en chemin de fer. Elles ne profilent qu'à ceux qui vont, en chemin de fer, c’est-à-dire à ceux qui ont le moyen de payer. Les tarifs des chemins de fer avaient cela d’avantageux, que les payaient qui voulait. C’était celui qui voulait payer qui payait, tandis que pour les impôts ordinaires, que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, l’Etat vient mettre la main dans votre poche et prend.
Ainsi, messieurs, il n'y a là aucune espèce de similitude ; il y a deux choses qui diffèrent totalement : la première, c'est que celui qui ne se sert pas du chemin de fer ne profite pas de la réduction ; la deuxième, c'est que celui qui ne peut pas payer ne va pas sur le chemin de fer et quand on y va, on paye volontiers. Ce n'est pas ici un impôt, mais c'est une rémunération facultative ; l'impôt est obligatoire pour tout le monde,
Il était donc infiniment plus sage, de revoir cette malheureuse affaire de la réduction immodérée des tarifs et de rétablir un chiffre quelconque, un chiffre intermédiaire, de manière à rendre la situation financière facile.
Il n'était pas du tout nécessaire de placer l'origine de la situation où vous la placez ni de recourir au moyen que vous proposez. Encore une, fois, en retirant à l'amortissement l'intérêt des capitaux amortis, vous prolongez d'une manière, indéfinie la durée des emprunts et, comme vous réduisez en même temps la dotation à 1/2 p. c, vous arriverez peut-être à faire durer vos emprunts pendant près d'un siècle. (Interruption.) Je prierai l'honorable M. Pirmez de consulter les tables : si 1 p. c. avec,l'intérêt cumulé donne 34 ans, que donnera 1/2 p. c. sans intérêt cumulé ? Je dis que vous renvoyez l'extinction de vos emprunts à une époque que l'imagination repousse, et dans l'intervalle vous aurez besoin de contracter de nouveaux emprunts, surtout si vous continuez à en faire pour des dépenses futiles.
Tous les emprunts qui ont été faits depuis l'établissement des chemins de fer ont été contractés pour des dépenses improductives, et les chemins de fer eux-mêmes, vous les avez rendus improductifs par vos réductions déplorables des prix de transport. Maintenant, au lieu de revenir sur vos pas, au lieu de nous donner le rapport que nous attendons depuis si longtemps et de nous mettre à même de discuter cette affaire, au lieu de suivre cette marche rationnelle, c'est l'avenir que vous compromettez.
Mais, messieurs, cette tarification, c'est une chose réellement absurde. Croiriez-vous que, pour aller d'Ostende à la frontière prussienne, ce qui coûtait autrefois 28 francs, on ne paye plus que 7 francs en première et 3 fr. 50 c. en troisième ? Si vous vouliez réduire, ce n'était pas pour les grandes distances qu'i fallait le faire, c'était pour les petits parcours. Mais est-ce que vous vous imaginez que c'est à cause d'une réduction de 15 francs sur le trajet d'Ostende à Verviers que vous avez un voyageur de plus ?
Vous avez accordé un avantage aux grosses bourses, aux grosses fortunes au détriment du trésor public et vous n'avez rien fait pour les classes inférieures.
Eh bien, dans une telle situation, il valait bien mieux reconnaître son tort. La triste expérience que nous avons faite était suffisante pour démontrer la fausse voie dans laquelle nous étions entrés et le plus sage était de ramener un tarif modéré, intermédiaire qui aurait comblé le déficit du trésor public.
Je suis persuadé que si l'honorable ministre des finances voulait agir dans ce sens, il aurait bientôt rétabli les finances du pays.
MfFOµ. - Il n'y a aucun déficit.
M. Dumortier. - Comment pouvez vous dire cela ? Vous savez fort bien le contraire. Vous savez fort bien que les excédants qui se présentaient chaque année et sur lesquels vous imputiez des travaux publics, ont cessé de se réaliser.
MfFOµ. - Ils sont réduits.
M. Dumortier. - Ils sont annulés. Il y avait chaque année un accroissement de deux millions sur les recettes du chemin de fer ; de l'accroissement, nous sommes tombés dans la déception.
Il vaudrait mieux reconnaître, qu'on a fait une faute, une triste expérience, et ramener une situation qui, sans causer préjudice à personne, serait très avantageuse pour l'Etat.
Voilà ma manière de voir, qui est, je pense, partagée par beaucoup de personnes dans cette Chambre et dans le pays.
(page 1025) M. Sabatier, rapporteurµ. - L'honorable membre a terminé son discours en exprimant la pensée que si l'on faisait un retour vers les tarifs des voyageurs tels qu'ils étaient établis avant 1866...
M. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.
M. Sabatier, rapporteurµ. - ... on aurait un excellent moyen d'enrichir le trésor, et l'on pourrait, dès lors, se passer des ressources que doit donner la loi qui nous est présentée.
M. Dumortier. - Je n'ai pas dit qu'il fallait rétablir les anciens tarifs, mais j'ai dit qu'il fallait prendre un système intermédiaire.
M. Sabatier, rapporteurµ. - L'honorable membre a rappelé que le gouvernement avait promis de déposer un rapport constatant les résultats obtenus depuis la réforme introduite par l'honorable M. Vanderstichelen, et il a ajouté que si l'on modifiait les tarifs actuels, on arriverait à un accroissement de recettes tel, que la présentation du projet de loi en discussion eût été inutile.
La section centrale est d'accord avec l'honorable membre pour insister auprès du gouvernement pour que celui-ci dépose le plus tôt possible le rapport qui nous a été promis sur les résultats obtenus par la réforme introduite dans le tarif des voyageurs en 1866.
Lorsque ce travail nous aura été remis et que nous aurons pu apprécier et comparer les chiffres, une discussion pourra s'ouvrir et nous verrons quelles modifications devront être apportées, le cas échéant, dans le tarif des voyageurs.
En supposant avec l'honorable membre qu'il y ait dans ces modifications une source nouvelle de revenus, nous ne devons cependant avoir aucun regret de la présentation du projet de loi qui nous occupe et de son adoption, bien entendu ; car, pour ce qui me concerne, je déclare bien franchement que si une augmentation sensible des recettes était obtenue quant aux voyageurs, je demanderais que l'on en profitât pour revenir aux tarifs des marchandises de 1864. Le bas prix de transport des matières premières, voilà ce qu'il faut à toutes les industries, et rien n'est plus capable d'enrichir le pays que d'aider au développement de la production.
Puisque l'on parle d'accroître les ressources du trésor indépendamment de la proposition mise en discussion, je rappellerai au gouvernement qu'il possède le moyen de faire produire à l'impôt foncier un chiffre supérieur de 735,000 francs à celui actuel, et, en effet, la loi présentée en décembre 1866, sur les évaluations cadastrales et la péréquation de l'impôt foncier, cette loi, dis-je, réservait formellement le droit qu'avaient la Chambre et le gouvernement de s'en rapporter au chiffre du revenu imposable au 31 décembre 1865 pour asseoir l'impôt foncier.
De 1853 à 1865, le revenu imposable est resté fixé à une somme inférieure de 6,400,000 francs à celle du 31 décembre 1865. On devait évidemment appliquer à ces 6,400,000 francs la proportion admise de 0,987 du revenu cadastral, et je le répète, le gouvernement, dans l'exposé des motifs, s'est réservé le droit de régulariser la position qui résulte de ce que de 1852 à 1865 il n'a pas été tenu compte des nouvelles constructions. Chacune reconnaîtra que 735,000 francs ne sont pas a dédaigner.
En somme, quels que soient les moyens que l'on ait d'augmenter les ressources du trésor sans impôts nouveaux, il n'en faut pas moins adopter la loi qui nous est présentée et que je défends au nom de la section centrale.
Les arguments produits par l'honorable ministre des finances me dispenseraient de rien ajouter, si l'honorable M. Dumortier n'avait jugé convenable de parler de la question d'amortissement.
Le rapport de la section centrale ne dit rien ou presque rien de cette question, et la raison en est simple : c'est que, ni dans les sections, ni dans la section centrale, elle n'a été soulevée.
J'étais d'autant moins disposé à entrer dans des dissertations à ce sujet, que tout ce qui se rattache à l'amortissement a été discuté à diverses reprises, notamment en 1844, lors de la conversion en 4 1/2 de l'emprunt de 1831 a 5 p. c.
Un débat fort intéressant a été soulevé à cette époque et M. Dumortier y a pris une très large part. Je dois dire que l'honorable membre est resté fidèle à ses convictions d'alors.
En 1844, M. Mercier a fait précisément ce que propose de faire l'honorable M. Frère, aujourd'hui : et en effet, la conversion devait avoir inévitablement pour résultat que l'amortissement ne pouvait plus porter que sur les sommes restantes à rembourser. Il y avait pourtant cette différence qu'avant 1844, l'amortissement de l'emprunt qu'il s'agissait de convertir se faisait sans interruption, c'est-à-dire, quel que soit le taux de cet emprunt et lorsqu'il dépassait le pair, on procédait à l'amortissement par un tirage au sort. On a réformé ce système vicieux, l'amortissement n'opère plus lorsque le pair est dépassé, mais le fait de ne l'appliquer qu'au capital restant dû est commun au projet de 1844 et à celui actuel.
J'ai dit il y a un instant que ce n'est pas la seule fois que l'on a traité dans cette enceinte la question de l'amortissement. Elle s'est présentée en 1838 lorsque. M. d'Huart proposait déjà de convertir l'emprunt de 1831. En 1844 elle a été discutée, résolue ; la Chambre croyait alors si bien le sujet épuisé qu'en 1836 lorsque la conversion de l'emprunt de 26 millions, contracté en 1852, eut lieu, elle se refusa à une nouvelle discussion.
L'honorable M. Dumortier ne l'entend pas ainsi ; il reprend le sujet, à peu près dans les mêmes termes qu'en 1844 et m'amène ainsi à entrer dans quelques considérations. Je tiendrai du reste compte du désir qu'a la Chambre de terminer aujourd'hui la discussion, et je serai très bref.
Il est d'abord permis de se. demander s'il faut un amortissement. L'honorable membre et l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu répondent très affirmativement et même ils veulent un remboursement prompt des dettes et conséquemment un amortissement élevé. Quant à moi, je ne pense pas que cette question puisse être résolue d'une manière absolue ; les circonstances dans lesquelles on se trouve doivent avoir de l'influence sur la détermination à prendre, et la preuve c'est la diversité des idées qui ont prévalu dans, différents pays. En thèse générale, je considère cependant qu'il est plus conforme aux intérêts d'un pays de régler d'une certaine manière le remboursement de sa dette et faire montre de la confiance que l'on a dans ses propres ressources.
L'amortissement peut présenter encore cet avantage de soutenir les cours de la rente et de raffermir ainsi le crédit public. Mais évidemment, ces idées générales prévalent, reste la question fort importante du meilleur mode, d'amortissement à suivre.
On a cité comme un exemple à suivre ce qui se pratique en Angleterre et aux Etats-Unis. Je m'étonne qu'on n'ait pas aussi cité la Hollande et la France ; mais, messieurs, c'est surtout en cette matière qu'il n'y a rien d'absolu, ce qui convient à un pays peut ne pas être applicable, dans la même mesure, à un autre.
L'honorable M. Le Hardy nous a dit qu'en Angleterre et aux Etats-Unis on amortit par les excédants de revenus.
Nous le savons parfaitement, mais il faut remarquer qu'en Angleterre la dette est tellement considérable que si l'on voulait y affecter un amortissement fixe, on se trouverait parfois dans cette situation très fâcheuse de ne pouvoir amortir qu'en empruntant. Il peut donc y avoir utilité à n'amortir que dans des cas déterminés.
En Belgique, la dette ne s'élève qu'à un chiffre relativement petit si on la compare à celle de l'Angleterre qui est de 19 milliards, et si notre dette arrivait aux mêmes proportions, si elle était de 3 milliards, nous serions sans doute aussi forcés de renoncer à l'amortissement réglé.
Fort heureusement, nous ne sommes pas dans cette situation. On ne nous convie pas moins à imiter le mode d'amortissement suivi en Angleterre.
Mais qu'est-ce donc, messieurs, qu'amortir quand il y a des excédants ? Cela veut-il dire qu'on doit appliquer la totalité des excédants de recettes à éteindre ses emprunts ? Pas du tout, et ni l'Angleterre ni les Etats-Unis n'ont jamais procédé de la sorte. On n'applique qu'une partie des (page 1026) excédants de recettes à l'amortissement ; ce qui veut dire que l’on en attribue une forte part à des choses que l'on considère comme plus nécessaires, et toute latitude semble être laissée à cet égard au ministre des finances, et vous avouerez que l'on doit être souvent tenté de réduire de plus en plus la part réservée à l'amortissement pour augmenter celle que l'on réserve à des dépenses d'une utilité immédiate.
En un mot, amortir sur des excédants de recettes, c'est s'exposer à n'amortir que peu ou point.
En tous cas, je demanderai quel sera le plus grand ministre : celui qui se sera ingénié à beaucoup amortir ou celui qui aura fait profiter le présent de la bonne situation du trésor ?
Le choix ne sera généralement pas douteux ; on voudra mériter dans le présent la qualification flatteuse et l'on se dira que les dépenses utiles à la génération présente le seront encore assez aux générations futures pour ne pas avoir comme objectif unique l'allégement de l'avenir.
M. Coomans. - Pour moi, ce sera celui qui réduira le plus d'impôts.
M. Sabatier, rapporteurµ. - L'honorable ministre dos finances a répondu déjà à cette interruption et a rectifié l'un des chiffres posés erronément par l'honorable M. Le Hardy en ce qui concerne les réductions d'impôt que l'on croit être l'apanage de l'Angleterre.
Il a rappelé quelles ont été, en Belgique, les diminutions de charges depuis douze ans. Je crois même qu'il a oublié les 2 1/2 millions provenant de la suppression des octrois.
MfFOµ. - Pardon, ils sont compris dans mon chiffre.
M. Sabatierµ. - Je reviens à mon sujet et je dis que si le système anglais est un peu dicté par les circonstances, la hauteur de la dette entre autres, notre système à nous est parfaitement applicable à notre situation et que nous ne devons pas l'abandonner, alors surtout que ce qu'il a d'excessif peut être aisément mitigé. La loi qu'on nous présente en est la preuve, je m'explique.
Le fonds d'amortissement se compose de 1/2 p. c. du capital nominal emprunté et des intérêts des titres amortis. Lorsque 1'amorlisscrnent a fonctionne pendant un certain nombre d'années, on comprend qu'il acquiert une force d'autant plus grande que le capital restant à rembourser est plus réduit. Il est donc progressif dans une mesure d'autant plus considérable que l'on approche davantage du moment de l'extinction. C'est là précisément ce qu'a d'excessif notre système d'amortissement.
Pour être logique et pour ceux qui considèrent, je ne suis pas du nombre, que l'amortissement a une influence décisive sur le cours de la rente, on devrait faire le contraire, si possible ; le taux d'émission ne s'en porterait que mieux.
Le gouvernement a donc compris que dès maintenant la somme consacrée à l'amortissement du 1 1/2 pouvait être réduite sans inconvénient, et cela est si vrai que tous les emprunts à 1 1/2 sont confondus, nonobstant des différences considérables, dans la dotation afférente aux diverses séries.
Ainsi la première série reçoit une dotation d'amortissement de 5 1/2 p. c. du capital ; la deuxième, 2 p. c. ; la troisième, 1 p. c. ; la quatrième, 3/4 p. c. et les deux autres 1/2 p. c. ; il y a un peu plus pour la cinquième parce qu'une petite somme de 612,000 fr. a déjà été remboursée ; mais l'influence de ce remboursement est tout à fait insignifiante.
Vous voyez donc, messieurs, que la différence de dotation varie dans la proportion de 1 à 7, et c'est en présence de ce fait que l'honorable M. Dumortier vient dire sérieusement que la question de l'amortissement exerce une grande influence sur le crédit public et que notre devoir est d'amortir le plus promptement possible. La meilleure preuve du contraire, c'est que nos fonds publics sont actuellement au même taux pour les six séries.
J'ai oublié de citer tout à l'heure l'exemple de la France. Depuis 1848, la France a presque complètement supprimé son amortissement.
Est-ce pour ce motif que le 3 p. c. ne monte guère au delà de 72 ? Mais il y a des pays où l'on n'amortit pas, et les fonds y sont cotés à des taux très élevés.
En Angleterre, où l'amortissement est irrégulier, le 3 p. c. est à 93.
On en doit conclure que le temps plus ou moins long que l'on met à éteindre une dette n'exerce guère d'influence sur le cours, mais que l'on doit les différences constatées à une situation spéciale, à une question de confiance, qui ne se commande pas, mais que chacun apprécie.
En définitive, le système proposé, je l'ai dit déjà, est rationnel, il dégrève le présent en allégeant cependant l'avenir. Il tient compte des droits des créanciers de l'Etat et il modifie heureusement notre système d'amortissement, pour le moment actuel.
M. le ministre a très justement fait observer que si le moment n'était point opportun pour la conversion du 4 1/2, au moins nous jouissions immédiatement des avantages à retirer de cette mesure, pour ce qui a rapport au chiffre de l’amortissement, et ils sont considérables puisqu'il s'agit de réduire le budget de la dette publique de plus de 4,300,000 fr.
L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a supposé que la section centrale approuvait surtout le projet de loi parce qu'il faisait sortir le trésor d'une situation momentanément difficile. C'est là une erreur que je dois rectifier. Sans doute, l'opportunité de la mesure n'est point contestée, à ce point de vue nous approuvons ; mais ce n'est pas ce motif seul qui nous guide ; la section centrale, a dit nettement que, en tout cas, la proposition de l'honorable M. Frère-Orban constituait un acte de bonne administration, et quand bien même j'aurais la certitude de voir très promptement les bonis atteindre le chiffre de 10 ou 12 millions, je donnerais sans réserve mon appui au projet de loi. On n'est jamais trop riche et l'on n'a jamais trop de ressources pour exécuter des travaux utiles ou se faire une grande position financière.
N'est-il pas évident que s'il avait convenu au ministre des finances de rétablir l'équilibre, assez promptement même, entre les engagements pris et les ressources nécessaires à leur accomplissement, il pouvait tout simplement retarder l'exécution de certains travaux ?
Il a fait mieux que cela, il donne de l'activité aux entreprises commencées et par suite de la mesure qu'il nous convie à adopter il présente une demande nouvelle de crédits destinés à des dépenses utiles.
Messieurs, pour revenir un peu sur le passé, lorsque en 1844, l'honorable M. Dumortier a énoncé la pensée qu'il a reproduite tout à l'heure, il y avait dans l'assemblée un membre, l'honorable M. Devaux, qui partageait un peu cette opinion, à savoir qu'on ne pouvait pas toucher aux conditions primitives de l'amortissement, qu'il y ait ou non conversion. Sans aucun doute, l'appui que trouvait l'honorable M. Dumortier donnait plus d'importance encore au débat. Celui-ci fut très approfondi et les pronostics fâcheux ne manquèrent pas de se produire.
L'honorable membre supposait que la dotation de l'amortissement ne comprenant plus désormais les intérêts des titres acquis jusque-là, et cet amortissement venant à être suspendu lorsque la rente dépasserait le pair, il n'y aurait plus d'amortissement que très exceptionnellement, et que nos dettes montant à 300 millions, régies de la même façon, deviendraient en quelque sorte des dettes perpétuelles.
Je dirai qu'il eût été désirable que ce pronostic vînt à s'accomplir ; cela aurait prouvé que le crédit public était si bien consolidé que la rente dépassait toujours le pair.
Il n'en a pas été ainsi, et le montant des dettes rachetées depuis 1844 en est la preuve.
L'honorable membre encore trouvait que la dette était sacrée et que l'on ne pouvait pas détourner de leur destination les sommes consacrées à l'amortissement. La Chambre ne s'est point rendue à ces raisons et a voté à la presque unanimité le projet présenté alors.
Le fait est qu'il aurait eu pour conséquence de faire élever à 2 p. c. peut-être la dotation de l'amortissement.
Si la conversion nous avait été proposée, nous serions arrivés également à ce résultat et je vous demande ce que l'on eût pensé si les idées économiques de l'honorable M. Dumortier avaient prévalu et si, en manière de progrès, on avait d'un coup porte l'amortissement d'un demi a 2 p. c.
Pour parfaire une pareille dotation, on risquerait fort de devoir emprunter et cependant l'honorable membre ne s'est pas fait faute de blâmer les emprunts.
De plus, pour rester dans le strict droit dont parle l'honorable M. Dumortier, et dans les principes de l'économie politique, selon lui, il faudrait appliquer à chacune des séries d'emprunt un amortissement particulier et plus ou moins considérable à raison de ce que pour chaque série une partie différente de titres a été rachetée déjà. Je crois inutile d'insister.
Je termine en disant encore qu'il est bon d'alléger l'avenir. Mais il ne faut pas grever tellement le présent que nous soyons exposés à emprunter d'une main pour rembourser de l'autre.
Des chiffres vous ont été donnés dans l'exposé de la situation du trésor au 1er janvier 1869. Je les ai rappelés dans mon rapport. Il en résulte que la génération présente a doté la Belgique de richesses immenses qui font la gloire du pays : chemins de fer, canaux et autres travaux qui lui profitent dans une large mesure. Les générations futures profiteront également de ce que nous avons fait, et je suis convaincu qu'elles nous approuveront d'avoir un peu ménagé les intérêts du trésor et des contribuables au besoin (page 1027) au profit de ceux mêmes qui ont consacré tant de capitaux à développer la richesse nationale.
En consacrant un demi p. c. seulement à l'amortissement de la première série de l'emprunt à 4 1/2 p. c., et en ne laissant profiter cet amortissement sur les quatre premières séries que de l'intérêt des capitaux restant à rembourser, on arrive à une sorte de moyen terme qui corrige ce que notre système, s'il était continué sans interruption, présente d'excessif, et je pense que, dans un certain nombre d'années, le ministre qui sera aux affaires recourra exactement au même moyen si besoin est.
(page 1023) M. Dumortier. - Messieurs, tout en reconnaissant que j'étais conséquent avec ma précédente, manière, de voir dans cette affaire, l'honorable membre a traité avec beaucoup de légèreté cette manière de voir.
Vous nous refaites toujours, a-t-il dit, le même discours depuis 30 ans. Et quand cela serait ? Je vous l'ai dit, la répétition est une belle figure de rhétorique. ; c'est la plus belle, surtout lorsqu'on est dans le vrai, et j'ajouterai même que c'est la plus rare dans un parlement.
Que vous dit l'honorable membre ? Nous avons un amortissement grossissant sans cesse ; l'intérêt des capitaux remboursés profitant à l'amortissement, l'amortissement se fait beaucoup plus rapidement dans les dernières années que dans les premières. Et l'honorable, membre critique un pareil système ! Mais c'est ce qu'il y a de plus sage, de plus honnête, de plus raisonnable ; c'est le moyen le plus certain d'arriver à la fin de nos emprunts.
Vous me dites qu'on n'amortit plus en France, et en Angleterre. Pourquoi ? Parce qu'on n'a pas suivi notre système ; parce qu'on a créé emprunts sur emprunts, et qu'on n'a pas appliqué un système d'amortissement sagement pondéré qui conduit à la fin des emprunts. Aussi on arrive à des milliards. On est arrivé à 19 milliards, me dit l'honorable abbé de Haerne, en Angleterre, et en France, je ne sais à combien de milliards !
Voilà où vous arrivez, quand vous supprimez le système si sage d'amortissement que nous avons créé en 1831 sous la direction de très habiles financiers, MM. Osy et Ch. de. Brouckere.
Au contraire, on vous convie aujourd'hui, et l'honorable membre, représente cela comme le souverain bonheur, à ne plus avoir aucun amortissement, ou à n'avoir qu'un amortissement homéopathique. Il faut à l'honorable membre un amortissement à doses homéopathiques. Il conserve le mot ; il supprime la chose.
M. Hymans. - Aux voix !
M. Dumortier. - Tout à l'heure, quand j'aurai fini. M. le président, je demande à continuer demain. (Non ! non !) Si les estomacs appellent ailleurs, qu'on lève la séance.
- Des membres. - Continuons.
M. Dumortier. - Dans ce cas, veuillez m'écouter.
L'honorable orateur qui vient de se rasseoir prétend tirer un argument des différentes séries de 4 1/2 p. c ; il nous a dit que pour l'une de ces séries on amortit à 7, tandis que pour une autre on amortit à 1/2, et que cependant toutes les séries ont le même cours à la Bourse. Mais, messieurs, cela est tout simple : toutes les séries ne font qu'un bloc et l'amortissement de l'une profite aux autres. La confiance s'étend à l'emprunt tout entier parce qu'on est toujours sûr d'arriver à la fin des emprunts.
L'honorable membre a trouvé une ressource ; il voudrait bien augmenter l'impôt foncier de 750,000 francs. .Mais ne savez-vous donc pas que c'est toujours l'impôt foncier qui est grevé dans les grandes circonstances ? Ah ! je conçois le système de l'honorable membre : il voudrait voir réduire tout ce qui touche au commerce et à l'industrie et augmenter (page 1024) l’impôt foncier. On réduira les tarifs, on arrivera à ce résultat, que tous les services rendus par l'Etat seront gratuits pour MM. les industriels et la terre payera le déficit. Je crois, moi, que la terre paye déjà assez et que nous faisons beaucoup trop de choses pour l'industrie. Vous voulez que l'Etat rende des services à l'industrie et qu'il supporte toutes les chances de perte sans avoir aucune chance de bénéfice et vous voulez que ce soit la terre qui paye toutes les charges. Vous voulez que les industriels fassent de gros bénéfices et que l'agriculture paye tous les impôts. Un semblable système, il suffit de le signaler pour qu'il soit condamné.
Quand l'honorable membre nous dit que le système proposé est un système de bonne administration, je dois protester ; je dis que supprimer l'amortissement régulier des emprunts, c'est un système de mauvaise administration et de très mauvaise administration.
Je sais bien qu'on y a eu recours en 1844, mais avez-vous oublié qu'à cette époque nous nous trouvions dans des circonstances tout à fait exceptionnelles ? On venait de nous imposer une dette considérable de dix millions de rente, et la perte du Limbourg et du Luxembourg avait réduit nos revenus. Force nous a été de recourir à des expédients pour éviter de faire peser de nouveaux impôts sur le peuple. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans une situation pareille ; nous n'avons pas dix millions à payer à la Hollande ; nous ne sommes plus en présence de l'état de choses qui avait été amené par la perte du Limbourg et. du Luxembourg ; il n'y a aucune espèce de crise ; et vous choisissez ce moment pour faire un acte qui est un acte de mauvaise administration quand il n'est pas motivé par une situation extraordinaire, comme celle où nous nous trouvions en 1844. En 1844 j'ai voté contre la loi.
M. Sabatier, rapporteurµ. - Vous vous êtes abstenu.
M. Dumortier. - Je me suis abstenu parce que nous étions devant une circonstance sérieuse, mais, par respect pour les principes, je n'ai pas voulu voter cette mesure.
Comme aujourd'hui, nous n'avons pas une situation pareille et que nous avons des moyens très simples de rétablir la situation, non pas comme me l'a fait dire l'honorable membre, en rétablissant les tarifs des voyageurs tels qu'ils étaient avant 1866, mais en prenant un système intermédiaire, je ne puis donner mon vote au projet de loi.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé, à rembourser le capital restant de l'emprunt de trente millions de francs, à 4 p. c.
« Il fixera la date à laquelle les détenteurs des titres de cet emprunt cesseront de jouir des intérêts. »
- Adopté.
« Art. 2. Les fonds affectés à l'amortissement des quatre premières séries de la dette de l'Etat à 4 1/2 p. c. se composeront à l'avenir : 1° d'une dotation fixe et annuelle de 1/2 p. c. du capital nominal des titres en circulation à la date du 1er mai 1869, et 2° des intérêts des capitaux qui seront successivement amortis.
« Ceux de ces fonds qui, par suite de l'élévation des cours au-dessus du pair net, demeureraient sans emploi pendant tout un trimestre seront attribués au trésor.
« Les dispositions du présent article pourront, ultérieurement, être étendues aux emprunts à 4 1/2 p. c. compris dans les 5ème et 6ème séries. »
M. le président. - La section centrale, propose de remplacer, dans le deuxième paragraphe, le mot « trimestre » par le mot « semestre ». C’est le redressement d'une faute d'impression. C'est à l'article 2 que vient l'amendement de l'honorable M. Le Hardy, qui propose l'ajournement.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je suis disposé à retirer mon amendement moyennant une explication que je vais demander à l'honorable ministre des finances.
D'après le second paragraphe de l'article 2, l'amortissement est virtuellement aboli. Le 4 1/2 ne descendra plus au-dessous du pair qu'en cas de crise, et c'est précisément alors qu'il est le plus difficile pour les Etats comme pour les particuliers de se procurer des fonds.
Je consens donc, à retirer mon amendement, mais je demanderai à l'honorable ministre des finances de laisser la question entièrement ouverte jusqu'à la discussion du budget des voies et moyens de 1870 ; je proposerai alors des moyens pour assurer l'amortissement dans le sens que vient de développer l'honorable rapporteur et, en même temps, de supprimer certains impôts.
MfFOµ. - L'honorable M. Le Hardy n'a pas besoin de faire des réserves. Qu'il retire son amendement, et s'il trouve bon de faire des propositions dans d'autres circonstances, il sera parfaitement dans son droit en les produisant. Je me réserve, de mon côté, le droit de les combattre.
- L'amendement est retiré.
L'article est adopté.
« Art. 3. Sans préjudice du droit du gouvernement de rembourser leurs titres au pair, les propriétaires d'obligations ou d'inscriptions des emprunts, et dettes à 4 1/2 p. c. auront la faculté d'en obtenir le maintien sous le régime d'amortissement actuel, pourvu que leur demande, appuyée des titres mêmes, soit déposé dans le délai à fixer et entre les mains des agents à désigner par le ministre des finances.
« Les titres qui seraient remboursés pourront être négociés et placés sous le régime nouveau mentionné à l'article 2. »
- Adopté.
« Art. 4. Il sera pourvu ans remboursements autorisés par les articles premier et 3, au moyen d'une émission de bons du trésor et, éventuellement, au moyen des fonds d'amortissement des dettes à 4 1/2 p. c. qui n'auraient pas été employés avant le 1er mai 1869. »
M. le président. - La section centrale propose, d'accord avec le gouvernement, la nouvelle rédaction que voici :
« Les fonds d'amortissement des dettes à 4 1/2 p. c. qui étaient disponibles au 1er mai 1869 ou qui le deviendront ultérieurement sous le régime actuellement en vigueur seront acquis au trésor.
« Ils seront affectés aux remboursements autorisés par les articles premier et 3.
« Il pourra être, pourvu au complément de ces remboursements au moyen d'une émission de bons du trésor. »
- L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 5. Un crédit spécial de trente-cinq mille francs (35,000 francs) est ouvert au ministre des finances, pour subvenir aux frais à résulter de l'exécution des articles premier à 4. Il sera couvert par les voies et moyens ordinaires. »
- Adopté.
« Art. 6. Le gouvernement fixera l'époque à laquelle la présente loi sera exécutoire. »
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.
70 membres y prennent part.
65 répondent oui.
5 répondent non.
En conséquence, la Chambre adopte ; le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Beke, Broustin, Bruneau, Cartier, Couvreur, Crombez, de Clercq, De Fré, Delcour, d'Elhoungne, de Maere, de Montblanc, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, de Vrints, Dewandre, de Zerezo de Tejada, Dolez, Dupont, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Janssens, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Lambert, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Magherman, Moncheur, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tack, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Merris, Vilain XIIII, Visart, Vleminckx, Watteeu, Wouters, Allard, Anspach, Bara et Moreau.
Ont répondu non :
MM. de Liedekerke, Dumortier, Mulle de Terschueren, Notelteirs et Wasseige.
MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui apporte quelques modifications à la loi du 16 mars 1865 sur la caisse générale d'épargne et de retraite.
- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.
M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné le projet de rectification de la limite frontière du Zwin.
- Impression, distribution et mise à la suite de l’ordre du jour.
M. Vander Maelenµ. - On a décidé hier que le projet de loi sur la contrainte par corps serait discuté dans la séance de demain. Cette résolution a été prise dans la prévision que tous les petits projets de loi auraient pu être votés aujourd'hui. Cependant, il reste un projet important qui n'a pas été discuté : celui relatif aux concessions de chemins de fer.
Je demanderai qu'on s'occupe de cet objet à la séance de demain, avant la contrainte par corps.
MtpJµ. - Il y aurait un moyen de s'entendre. On pourrait décider que la contrainte par corps sera maintenue à l'ordre du jour, mais que si la discussion n'en était pas terminée samedi, on aborderait la discussion des projets de concession de chemins de fer afin que le Sénat pût en être saisi dans sa prochaine réunion.
J'en dis autant des crédits spéciaux.
- Cette proposition est adoptée.
Il est procédé au tirage des sections pour le mois de juin.
La séance est levée à 5 heures.