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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 3 février 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 335) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/2 heures.

M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Humbeeck présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Dessart demande que les administrations communales soient invitées à mettre un local à la disposition des sociétés de secours mutuels. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Knosp, ancien chef d'office de S. M. le roi Léopold Ier, né à Stuttgardt (Allemagne), demande la naturalisation pour lui et ses enfants. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Cornu réclame l'intervention de la Chambre pour faire délivrer à la dame Pélagie Laurent un certificat d'indigence qui lui est nécessaire pour obtenir le secours du Pro Deo. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres de la Ligue de l'enseignement, à Malines, prient la Chambre de réglementer le travail des enfants dans l'industrie. »

- Renvoi au ministre de l'intérieur, avec demande d'explications, conformément à la décision du 21 janvier 1869.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 124 exemplaires du rapport de la commission permanente des sociétés de secours mutuels sur les opérations de ces associations pendant l'année 1867. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« M. Wouters, retenu chez lui par une indisposition, et MM. Van Merris et de Clercq, empêchés par des affaires urgentes, demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Communication du gouvernement relative à la mise en œuvre de la loi sur les fondations de bourses

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Plusieurs honorables membres de cette Chambre m'ayant demandé des explications au sujet d'un arrêté royal qui a paru ce matin au Moniteur, et qui est relatif à certaines fondations de bourses d'étude, je m'empresse de les donner à la Chambre.

Vous savez, messieurs, que la loi de 1864 attribue la gestion des fondations de bourses d'étude à des commissions provinciales et aux bureaux des séminaires.

Les bourses destinées à des études laïques appartiennent, de par la loi, aux commissions provinciales et les bourses théologiques aux bureaux des séminaires.

Quant aux bourses mixtes, qui comprennent la théologie, la philosophie et les humanités, la loi les attribue aux commissions provinciales ou aux bureaux des séminaires, selon que les études théologiques ou laïques sont l'objet principal de l'acte de fondation.

Lorsqu'il s'est agi d'exécuter la loi de 1864, le gouvernement décida que les commissions provinciales obtiendraient les bourses mixtes pour des études qui comprendraient un plus grand nombre d'années d'études humanitaires que d'études théologiques ; dans le cas contraire, les bourses devaient revenir aux bureaux des séminaires.

Après avoir établi les bases de l'exécution de la loi, le gouvernement demanda aux bureaux des séminaires s'ils étaient disposés à exécuter la loi de 1864. Ceux-ci, vous le savez, refusèrent leur concours à cette exécution. Force fut alors au gouvernement de remettre aux commissions provinciales toutes les bourses mixtes, même celles qui devaient revenir, d'après la loi, aux bureaux des séminaires, en réservant cependant dans les arrêtés d'attribution les droits des séminaires, pour le cas où ces corps exécuteraient la loi. Cette circonstance, messieurs, vient de se réaliser, c'est pourquoi a paru aujourd'hui l'arrêté royal sur lequel des explications m'ont été demandées.

Les plus graves inconvénients résultaient de l'inexécution de la loi de 1864 par les bureaux des séminaires. Les biens étaient sans gestion, les revenus n'étaient pas touchés, des prescriptions s'acquéraient et enfin les bourses n'étaient pas conférées, au grand préjudice des intéressés. De plus graves difficultés encore allaient se présenter, par suite de l'inexécution prolongée de cette loi.

Dans cette situation, j'ai eu l'honneur d'adresser, à la date du 20 janvier 1869, le rapport suivant au Roi :

« Sire,

« Déjà à plusieurs reprises, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre Majesté que la loi de 1864, relative aux fondations d'instruction et de bourses d'étude, n'était pas exécutée par les bureaux des séminaires. Les inconvénients résultant de cette situation sont des plus graves ; les biens restent sans administration, les revenus ne sont pas touchés, les bourses ne sont pas conférées. Il ne va bientôt plus être possible de ne pas faire connaître aux Chambres ce fâcheux état de choses, et de ne pas leur proposer les moyens d'y remédier. J'apprends en effet que plusieurs débiteurs de fondations de bourses veulent effectuer le remboursement de prêts qu'ils ont obtenus de ces établissements et que l'un d'eux, ayant échoué dans toutes ses démarches auprès du séminaire de Malines, se propose, d'adresser à la Chambre une pétition pour demander que la gestion attribuée par la loi aux bureaux des séminaires ne continue pas à rester sans effet. En présence de ce fait, je pense qu'il serait utile de mettre M. l'archevêque de Malines au courant de ce qui se passe et de lui demander de nouveau l'exécution des prescriptions du législateur en matière de fondations de bourses. Si Votre Majesté approuvait un acte dans ce sens de ma part, je la prierais d'examiner le projet de lettre ci-joint que j'écrirais à M. l'archevêque de Malines.

« Je dois rappeler à Votre Majesté qu'après avoir révisé l'arrêté qui avait attribué certaines fondations aux séminaires, j'ai soumis au Roi un nouveau projet contenant toutes les fondations de bourses qui doivent être remises aux séminaires, dès qu'ils feront connaître leur intention d'en accepter la gestion. »

Sa Majesté, messieurs, approuva les conclusions de ce rapport, et j'écrivis la lettre suivante à M. l'archevêque de Malines à la date du 29 janvier :

« Monsieur l'archevêque,

« Depuis quatre ans, la loi de 1864 sur les bourses d'étude n'a pu recevoir son exécution en ce qui concerne les fondations de bourses théologiques.

« II est inutile de vous signaler tous les inconvénients que cette situation engendre, tant au point de vue de la conservation et de la bonne gestion des biens de ces fondations que dans l'intérêt des personnes appelées à jouir de ces bourses.

« Je crois que l'épiscopat, tout en maintenant ses protestations contre les principes de la loi de 1864, reconnaîtra que le moment est venu pour les bureaux des séminaires d'exécuter les prescriptions du législateur en matière de fondations de bourses.

« En effet, il ne va plus être possible au gouvernement de rester dans l'inaction en ce qui concerne les fondations de bourses sur lesquelles j'ai l'honneur d'appeler votre attention, car j'apprends qu'un débiteur, ne pouvant effectuer le remboursement d'un prêt, qui doit être fait au séminaire de Malines, se propose de saisir la Chambre de cette affaire par une pétition. Vous ne voudrez pas, M. l'archevêque, faire renaître un débat qu'il n'est pas nécessaire de rouvrir, et j'espère que vous pourrez déterminer vos collègues et les bureaux des séminaires à exécuter les dispositions de la loi de 1864 en ce qui concerne la gestion des bourses d'étude qui leur sont attribuées.

« Je n'ai pas besoin d'ajouter que le gouvernement ne demande que l'exécution de ces prescriptions, son intention n'étant pas de faire exécuter le décret de 1813 sur les séminaires autrement qu'il ne l'a été jusqu'à ce jour.

« Je vous prie d'agréer, etc. »

A la date du 31 janvier 1869, M. l'archevêque de Malines me répondit en ces termes :

« Monsieur le ministre,

« J'ai reçu votre lettre en date du 29 de ce mois, par laquelle vous me faites connaître la difficulté sérieuse qui vient de se présenter à cause de la situation incertaine où se trouve encore la question des bourses attribuées aux séminaires par la loi de 1864 relative aux fondations d'instruction et de bourses d'étude.

« Vous le savez, monsieur le ministre, ce ne sont pas précisément les règles administratives établies par le législateur pour la gestion de ces bourses qui ont motivé les réclamations de l'épiscopat, ce sont les principes mêmes sur lesquels la loi repose. C'est d'abord le principe de la loi sur la nature des séminaires et des études ecclésiastiques, principe qui implique la séparation entre les études humanitaires, les éludes philosophiques et les éludes théologiques, la loi les divisant en études laïques et en études théologiques, et réduisant par conséquent à celles-ci les études (page 336) ecclésiastiques. Les humanités et la philosophie ne sont par elles-mêmes ni laïques ni ecclésiastiques, elles sont les humanités et la philosophie, et elles sont nécessaires à l'étude de la théologie comme à l'étude du droit et de la médecine. L'union qui existe de fait entre les lettres, les sciences philosophiques et les sciences théologiques est essentielle à l'enseignement des séminaires ou à l'harmonieux ensemble des études ecclésiastiques. Voilà pourquoi il n'y a pas de séminaire sans ce qu'on appelle vulgairement les petits séminaires, ceux-ci ne constituant en vérité qu'une section du séminaire de chaque diocèse. Telle est la législation de l'Eglise.

« Ce qui a encore motivé les réclamations de l'épiscopat, c'est le principe de la transmission, à des administrations nouvelles, de la gestion confiée par les testateurs à des personnes désignées par eux et dont les fonctions ou qualités garantissent aux fondateurs l'exécution fidèle de leur intention. Les administrateurs et les collateurs des bourses remplissent un mandat et gèrent un dépôt constitué par le contrat librement intervenu entre les fondateurs et les pouvoirs publics. La conscience des évêques ne leur permet donc pas d'adhérer au principe qui enlève à ces administrateurs la gestion de ces fondations. Enfin l'acceptation de la gestion des bourses par les séminaires, dans cette situation, impliquait aussi un cas de conscience, sur lequel le chef de l'Eglise seul pouvait statuer.

« La difficulté qui existait sous ce rapport est levée. Les anciens administrateurs étant mis par la loi dans l'impossibilité de gérer, les évêques sont autorisés par le saint-siège à accepter, pour leurs séminaires, celles des bourses affectées aux études ecclésiastiques qui leur seront remises, mais ils sont autorisés, à le faire à la condition de déclarer qu'en acceptant pour leurs séminaires la gestion de ces bourses, conformément aux règles prescrites parla loi de 1864, ils n'adhèrent, en aucune façon, aux principes de cette loi, et qu'ils renouvellent ici leurs protestations antérieures.

« Je vous prie d'agréer, etc.

« (Signé) Vict.-Aug., archevêque de Malines. »

Comme vous le voyez, M. l'archevêque de Malines diffère avec le gouvernement sur l'appréciation des principes de la loi. Le gouvernement ne peut pas forcer M. l'archevêque de Malines et ses collègues de ne point protester contre les principes de la loi ; il ne peut que leur demander l'exécution de la loi.

Immédiatement après cette lettre, a été pris l'arrêté royal qui a paru ce matin au Moniteur et j'en ai averti M. l'archevêque de Malines par la- lettre suivante, en date du 2 février 1869 :

« Monsieur l'archevêque,

« La lettre, en date du 31 janvier, par laquelle vous m'annoncez que MM. les évêques acceptent, au nom des séminaires, les bourses qui leur sont attribuées, et que ces fondations seront gérées conformément aux règles prescrites par la loi de 1864, met fin à une situation qui présentait de sérieux inconvénients.

« Je me suis empressé de soumettre à Sa Majesté un arrêté d'envoi en possession des bourses que la loi attribue aux séminaires ; vous trouverez cet arrêté au Moniteur de demain, avec l'indication des fondations qui sont remises au séminaire de Malines.

« Je crois inutile, M. l'archevêque, d'entrer dans une discussion au sujet des principes qui ont été consacrés par la législation qui nous régit. De nouveaux débats sur tous ces points ne pourraient aboutir à aucun résultat pratique. Il suffit, pour que le but du législateur soit atteint, qu'il n'y ait plus d'obstacle à l'exécution des dispositions qu'il a cru devoir prescrire pour assurer la bonne administration des bourses par les bureaux des séminaires.

« Je vous prie d'agréer, M. l'archevêque, l'assurance de ma considération la plus haute. »

Ainsi donc, messieurs, toute difficulté a disparu et désormais la loi de 1864 sur les bourses d'étude se trouve exécutée. Je crois que le pays et la Chambre apprendront ce fait avec satisfaction. (Interruption.)

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1869

Discussion générale

M. Gerritsµ. - Messieurs, à l'occasion de la discussion du budget de l'intérieur, trois questions importantes ont été soulevées : celle de la réglementation du travail, celle de l'instruction obligatoire et celle de l'emploi des langues.

A première vue, il semblerait qu'il n'y a, entre ces différentes questions, aucune connexité ; mais quand on les examine de près, on s'aperçoit qu'elles appartiennent au même ordre d'idées.

Toutes les trois se rattachent à ce problème formidable qui, de nos jours, s'impose à tout esprit : Quelle sera, dans la société moderne, la destinée des classes ouvrières ?

Sans cesse on est ramené à l'étude de ce problème, parce que, d'instinct ou par réflexion, on comprend qu'il s'opère une transformation de l'état social sans pareille dans l'histoire. Les couches de l'humanité jusqu'à ce jour les plus immobiles, les plus comprimées, acquièrent une force ascensionnelle dont personne ne saurait indiquer la limite.

Instruire, moraliser cette masse d'hommes qui s'avance et qui demain, probablement, sera le pouvoir souverain, telle est la âche assignée à quiconque s'occupe de la chose publique. La prudence, autant que la justice, nous commande de poursuivre cette couvre.

Malheureusement, les difficultés que présente la situation nouvelle ne sont pas toujours abordées de front.

Au lieu de marcher droit à la solution pratique, on s'égare trop souvent dans un dédale de spéculations abstraites dont il est difficile de sortir.

C'est ainsi qu'on a recommandé, dans le but de moraliser le peuple, l'interdiction du travail des femmes et qu'on n'a pas songé, à nous expliquer comment serait remplacé le salaire que ces femmes rapportent au ménage.

Certes, la douce influence de l'épouse, de la mère, devrait s'exercer au foyer domestique ; mais n'est-ce pas la dure nécessité qui a poussé les femmes dans les mines et dans les manufactures ? Dès que la misère, cette cause suprême de dégradation, ne sera plus à craindre, il deviendra superflu, je pense, de faire intervenir le législateur pour défendre aux femmes un labeur trop rude. L'ouvrier, autant que tout homme, aime les douceurs de la vie de famille, et s'il en est privé, très souvent il n'y a pas de sa faute.

Ainsi, en définitive, on se trouve devant la question de la réglementation des salaires. Comme il n'appartient pas au gouvernement de résoudre des questions de cette nature, je crains bien que le renvoi à M. le ministre de l'intérieur ne soit un renvoi aux calendes grecques. Des discours très beaux, très éloquents, des intentions très bonnes, je veux bien le reconnaître ; mais quel profit réel pour les classes auxquelles on prétend venir en aide ? Aucun.

D'autre part, on insiste pour que l'enseignement soit rendu obligatoire. Ceci me paraît plus pratique. Forcer les enfants à se rendre à l'école, c'est d'abord assurer leur instruction, c'est ensuite les empêcher de s'étioler dans les fabriques.

Pour ce double motif, je me range parmi les partisans de l'enseignement obligatoire. Seulement, il me paraît fort étrange qu'on ne dise mot des milliers d'enfants qui sollicitent l'admission dans les écoles comme une faveur et auxquels on oppose un refus formel.

La loi de 1842 impose cependant aux communes l'obligation de pourvoir à l'enseignement des enfants pauvres.

La loi communale prescrit que les dépenses pour l'instruction, mises par la loi à la charge des communes, doivent être inscrites d'office dans les budgets communaux.

Cependant parmi les communes qui ne remplissent pas ce devoir, je compte les plus riches, les plus puissantes ; la capitale même du pays reste en défaut.

Pourquoi cette loi de 1842, dans cette disposition qui est indiscutable, incontestablement bonne, n'est-elle pas exécutée ? A mon avis, ceux qui éludent cette loi, quels qu'ils soient, commettent, au détriment des enfants pauvres, une véritable spoliation, que le ministre de l'intérieur peut et devrait empêcher.

En attendant donc qu'on puisse forcer les enfants à se rendre à l'école, on devrait au moins admettre ceux qui se présentent volontairement. Surtout ne devrait-on pas oublier qu'au point de vue de la civilisation rien n'est fait, si l'instruction donnée dans les écoles ne peut être utilisée pour compléter, dans un âge plus avancé, l'éducation du citoyen. A l'école on n'obtient, à proprement parler, que les moyens d'apprendre plus tard, par soi-même, les connaissances qui font la dignité et la valeur de l'homme.

Ici, je touche à la question flamande, à la question de l'emploi des langues.

Singulier préjugé ! cette cause flamande a été méconnue, a été décriée par des personnes qui, de bonne foi, se disent et se croient progressistes.

Il ne faut cependant qu'un peu de réflexion, calme et impartiale, pour se convaincre que cette question de l'emploi des langues est, pour la majorité de nos concitoyens, une question de civilisation ou de barbarie, de liberté ou d'esclavage, de vie ou de mort.

Priver des hommes, dès le moment qu'ils sont parvenus à l'âge de raison, du moment qu'ils quittent l'école, de toute communication avec le monde intellectuel, les repousser, à cause de leur langue, de presque partout où s'acquiert la science, les humilier, les blesser dans leur dignité, (page 337) chaque fois qu'ils se mettent en contact avec les administrations, avec les autorités de leur pays, n'est-ce pas condamner ces hommes à la déchéance ?

Eh bien, c'est ce que le gouvernement belge s'est efforcé de faire depuis qu'il existe, depuis 1830.

Par haine de la Néerlande, poursuivant un but chimérique d'unification, entraînés par leurs sympathies personnelles vers la France, les membres du gouvernement provisoire, au milieu du tumulte d'une révolution, d'un trait de plume, en adoptant la langue française comme seule langue officielle, ont posé un principe en vertu duquel au moins 2 millions de nos concitoyens ont été abandonnés, ont été sacrifiés.

Voici, messieurs, la position dans laquelle se trouvent, vis-à-vis du gouvernement, les citoyens flamands.

En fait de législation, non seulement on ne traduit pas les discours dans lesquels nous motivons dans cette enceinte nos votes ; il n'existe pas d'édition flamande des Annales parlementaires ; mais même il n'y a pas de texte flamand officiel pour les lois auxquelles le peuple belge doit obéissance.

La magistrature applique ces lois pour ainsi dire à l'insu des intéressés. Le Flamand assiste à un procès, dans lequel toute sa fortune peut être engagée, avec autant de. fruit à peu près que si ce procès était plaidé en Chine. Accusé, on le prive d'un droit sacré entre tous, du droit qu'a tout homme libre de contribuer lui-même à la défense de son honneur.

Dans l'armée qui, telle que je la rêve, devrait être une école de dévouement à la patrie et de fierté virile ; le Flamand, quelque instruit qu'il soit, s'il ne connaît pas la langue française, est relégué au dernier rang. Souvent nos miliciens y sont martyrisés parce qu'ils ne comprennent pas assez vite le commandement ou les instructions. Le nom de Flamand leur est jeté, à la tête comme une injure ; je l'affirme, je l'ai entendu.

Vis-à-vis des administrations publiques, à la douane, à la poste, au chemin de fer, le Flamand le plus souvent est traité un peu moins bien que les étrangers. Tout le service administratif se fait en langue française, et, ce qui pis est, presque toutes les instructions, presque, tous les renseignements, a l'usage des citoyens, sont rédigés dans une langue que notre population ne comprend pas. Quand on s'adresse aux fonctionnaires et qu'on parle la langue de la majorité des Belges, c'est à peine s'ils veulent ou peuvent vous répondre. Tous nos collègues des provinces flamandes certifieront que je ne dis que l'exacte vérité.

Messieurs, où est l'homme du peuple flamand, qui, n'ayant pas appris la langue française dès son enfance, quelle que soit son intelligence, quelle que soit son activité, quelle que soit sa probité, qui est parvenu à conquérir une place un peu marquante dans l'un ou l'autre service public ? Il n'y en a pas.

A l’école, l'enseignement se donne en langue française. Parfois on enseigne la langue maternelle, mais c'est au même titre qu'une langue étrangère. Jamais la langue maternelle n'est employée pour la transmission de la science ; jamais elle n'est employée pour former le cœur et l'intelligence de l'enfant. Et ici je constate que les écoles qui sont sous la dépendance du gouvernement se trouvent, quant à l’enseignement de la langue flamande, dans les conditions les plus mauvaises.

Je m'étonne que mon honorable collègue, M. de Maere, ait pu s'imaginer que la situation serait améliorée du moment que les écoles de l'Etat remplaceraient les écoles libres. Je connais, et de très près, une école dépendant du gouvernement dans une des plus grandes, des principales villes flamandes du pays, où l'enseignement du néerlandais n'est plus donné même comme langue étrangère, ou n'est donné que d'une manière très irrégulière depuis un an, sous prétexte que le professeur est malade.

Ce qui est plus fort, dans ces mêmes écoles, pour faire comprendre aux enfants en quelle estime ils doivent tenir la langue populaire, la langue de leurs concitoyens, on leur défend de la parler, même pendant les récréations !

La conséquence de tout ceci, c'est que les hommes instruits de notre pays ont perdu l'habitude de la langue néerlandaise. A force de pression systématique, à force de faveur d'un côté et de dédain de l'autre, on est parvenu à leur faire oublier la langue populaire. Demandez aux hommes instruits, demandez aux docteurs en médecine, aux docteurs en droit, aux membres de cette Chambre, aux membres du gouvernement, combien il y en a parmi eux capables d'écrire une lettre flamande sans fautes grossières ? La réponse vous dira quelle barrière fatale vous avez établie entre les différentes classes de la société.

Pour l'homme du peuple, cette barrière est infranchissable ; car, quoi qu'on dise, l'ouvrier surchargé de besogne depuis sa tendre enfance, entrant à l'atelier depuis l'âge de 11 ans, est dans l'impossibilité de s'approprier une langue étrangère au point de s'en faire un instrument sérieux de civilisation. C'est là le point capital. Il faut que la langue soit connue au point de pouvoir servir à développer la civilisation, et pour cela il ne suffit pas qu'on connaisse quelques mots d'un idiome étranger.

Souvent, des plaintes se sont produites à cet égard dans la Chambre. Il est vrai que c'étaient principalement des membres de l'opposition qui s'en faisaient les organes. Aussi, chaque fois qu'on indiquait les abus, les injustices qui résultent de la préférence exclusive donnée à la langue française, l'un ou l'autre de MM. les ministres se levait pour déclarer que ces réclamations étaient mal fondées, qu'elles n'étaient inspirées que par des sentiments hostiles à son pouvoir, qu'elles n'étaient dictées que par l'esprit de parti.

Aujourd'hui, c'est sur les bancs mêmes de la majorité que la situation a été dépeinte sous les couleurs les plus sombres.

Ce sont des membres de la majorité, par leurs interruptions et par leur attitude, qui ont accentué le discours de l'honorable M. de Maere.

La gauche paraît déjà tellement convaincue de la dégradation des populations flamandes, que l'honorable M. Lebeau s'est écrié : « Les criminels condamnés dans le Hainaut étaient probablement des Flamands ! »

Lorsque la valeur des chiffres de l'honorable député de Gand a été contestée, M. le ministre de la justice s'est déclaré pour la validité des chiffres de M. de Maere.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai dit à M. Kervyn qu'il ne pouvait pas calculer sur une seule année.

M. Gerritsµ. - Donc vous confirmiez les dires de M. de Maere.

Quoi qu'il en soit, je ne me plains pas du tout de ces appréciations, quelque blessantes qu'elles soient pour la race à laquelle j'appartiens.

Ce coup de fouet suffira, je l'espère, pour réveiller grand nombre de mes compatriotes de leur incroyable apathie.

Du reste, la situation étant telle qu'elle a été dépeinte par l'honorable M. de Maere, il est du devoir du gouvernement de prendre des mesures énergiques pour combattre un mal aussi énervant.

Oh ! je le sais bien, chez certains membres de la gauche, en appuyant l'honorable M. de Maere, il y a une arrière-pensée. Vous voudriez rejeter la responsabilité de la situation actuelle sur le clergé catholique.

Voyez, semblez-vous nous dire, vous en êtes convaincus maintenant : il faut, entre l'homme et le monde intellectuel, d'autres liens que ceux de la religion, il ne suffit pas de fréquenter l'église pour se rendre digne du nom de citoyen.

Soit, mais en êtes-vous moins coupables d'avoir brisé ces liens, en rejetant la langue du peuple ; en avez-vous moins de reproches à vous faire de vous être isolés du peuple, même au point de vue de vos principes qui, sous ce rapport, sont aussi les miens ?

Quant à moi, je pense, avec l'honorable M. de Maere, que tout peuple placé dans les conditions où se trouve la population flamande est condamné fatalement à déchoir. Ce n'est qu'une question de temps.

A force d'efforts, on peut, pendant un certain temps, arrêter le progrès du mal. A force de dévouement et d'énergie, on peut obtenir peut-être momentanément une certaine amélioration. Mais, par le système d'isolement et d'humiliation actuellement en vigueur, les efforts les plus généreux, à la longue, deviendraient stériles.

Permettez-moi de le dire, messieurs, et de le dire en toute franchise, si les personnes riches, instruites, de la population flamande continuent à tourner le dos à la population pauvre et ignorante, nous tomberons de plus bas en plus bas, et la misère ira en s'aggravant.

Je le dis aux membres de la gauche : Si vous voulez sincèrement relever les classes ouvrières, si vous voulez sérieusement combattre l'ignorance, si vous voulez un peuple qui marche dans la voie du progrès, vous devez nécessairement rétablir vos relations, vos communications avec ce peuple et vous ne pouvez le faire qu'en cultivant, qu'en respectant, qu'en acceptant sa langue.

Il n'y a pas de moyen possible sans cela.

Ainsi, au point de vue social, cette question de l'emploi des langues, à laquelle on a semblé attacher si peu d'importance, est déjà une question de premier ordre, mais elle n'en est pas moins importante au point de vue national.

Mon honorable ami, M. Delaet, vous a signalé quelques-uns des dangers qui résultent, au point de vue de l'indépendance nationale, de la situation actuelle.

Je me permettrai de vous présenter une ou deux observations du même ordre.

Ou bien le peuple flamand se soumettra à son triste sort, jusqu'à ce (page 338) qu'une grande catastrophe survienne ; ou bien la résistance deviendra générale.

Dans le premier cas, les partisans du système français auront triomphé, mais la partie flamande du pays, appauvrie, ignorante, s'attachera aux flancs de la Belgique, comme l'Irlande à l'Angleterre.

Et les provinces wallonnes n'étant, ni assez grandes ni assez robustes, pour supporter ce mal rongeur, le pays tout entier souffrira et périra par la maladie dont sera atteinte la plus grande partie de ses membres.

Oui, les Flandres épuisées, la Belgique périra et elle périra par l'orgueil, par l'aveuglement et par l'égoïsme de ceux qui se sont imaginé que, dans un pays comme le nôtre, on peut impunément créer une classe de 2 millions de parias !

Ou bien, poussées par la honte et l'indignation, les Flandres organiseront la résistance générale. (Interruption.)

Ne croyez pas que je fasse des menaces ; je sais bien que dans une Chambre belge il ne faut pas procéder par menaces. Je ne suppose que la résistance légale. Dans ce cas, un jour arrivera où cette Chambre ne sera plus partagée selon la classification actuelle des partis, mais par division de race. Je suis amené à croire que ce jour n'est pas bien éloigné, et voici pourquoi : c'est que je me rappelle comment se sont réparties les voix l'année dernière sur une question concernant l'emploi des langues, et c'est que je considère comment aujourd'hui déjà sont composés les deux côtés de cette Chambre.

Je le demande, quand les députés des arrondissements flamands siégeront d'un côté de cette salle, les députés des arrondissements wallons de l'autre, quelle sera la position de la Belgique ? Non seulement nous aurons les déchirements à l'intérieur, déchirements continuels, mais le dissentiment prendra un caractère tel, que la position de la Belgique, sera tout à fait fausse et pour ainsi dire impossible vis-à-vis du reste de l'Europe.

Vous le voyez, messieurs, cette question de l'emploi des langues, tant au point de vue social qu'au point de vue national, mérite votre attention la plus sérieuse.

L'égalité parfaite en ce qui concerne l'emploi des langues, tel est notre droit, tel est notre but, je le déclare franchement et hautement.

Mais si vous croyez que dans l'état actuel des choses, maintenant que les abus se sont invétérés depuis trente-neuf ans, il est impossible de faire immédiatement ce que la justice commande, il serait prudent au moins, de la part du gouvernement, de se rapprocher du but que nous nous proposons.

Dans la session dernière, nous avons fait une proposition tendante à ce que la connaissance de la langue néerlandaise fût exigée des magistrats dans nos provinces. Cette proposition a été rejetée. Il est donc parfaitement inutile que nous en reproduisions une autre de même nature, devant le même gouvernement, devant la même majorité.

D'ailleurs, je ne connais pas de mesure plus nécessaire, plus juste et en même temps plus propre à faire comprendre combien il serait utile d'étudier cette langue qui a été par trop dédaignée. Mais puisque nos propositions sont repoussées par esprit de parti, nous pensons que le devoir des membres de la majorité est d'agir à leur tour.

Je ne puis pas comprendre comment la majorité, après les discours qui ont été tenus dans cette enceinte, s'en tienne à des paroles et ne nous fasse pas de proposition formelle. C'est alors que vous ne pourriez plus invoquer contre nous des considérations d'intérêt de parti.

Nous remplissons notre devoir en vous signalant des abus, en vous signalant des dangers, en vous signalant des injustices. A chacun sa part d'action ; à ceux qui ont le pouvoir, toute la responsabilité.

Ceci, cependant, je tiens à le déclarer, ne signifie pas que nous cesserons nos efforts, même si le gouvernement restait impassible, inactif. Non, nous poursuivrons la lutte, dans tous les cas, car moi, ma conscience et mon intelligence me disent qu'il faut être lâche ou idiot pour permettre que la race, à laquelle on appartient, soit traitée aussi indignement, aussi injustement que l'est la race flamande en Belgique. (Interruptions.)

M. Bouvierµ. - Nous protestons contre ce langage.

MiPµ. - Messieurs, il est rare de rencontrer une aussi singulière violence de langage à côté de plaintes aussi insignifiantes que celles que l'on rencontre dans le discours de l'honorable député d'Anvers.

- Voix à gauche. - C'est cela !

MiPµ. - Nous avons vu le pays dépeint comme marchant à une ruine complète ; l'honorable membre n'a pas trouvé de couleurs assez noires pour dépeindre l'avenir.

La Belgique va périr par une division intestine, le pays va se séparer en deux partis !

Les faits, il est vrai, prouvent le contraire ; les dernières élections notamment ont démontré que le pays flamand envoie dans cette enceinte un nombre croissant de députés appartenant à la majorité. Mais peu importe, pour les besoins de la cause, il faut trouver une scission dans le pays !

On a d'énormes griefs ! Seulement on oublie de nous apporter les faits sur lesquels ils se fondent.

Je me trompe, on a cité un fait : l'année dernière, on avait fait ici la proposition de décider que tout magistrat nommé dans les Flandres soit obligé de connaître le flamand, et cette proposition a été repoussée.

Voilà le grief.

Mais pourquoi cette proposition n'a-t-elle pas été acceptée ? Parce qu'elle était parfaitement inutile ; parce qu'on a constaté qu'en fait tous les magistrats nommés dans les Flandres connaissent le flamand.

M. Gerritsµ. - Pourquoi n'avez vous pas accepté notre proposition ?

MfFOµ. - On vient de vous le dire : parce qu'elle était inutile.

MiPµ. - Ainsi, messieurs, on nous montre la Belgique comme étant près de périr, et l'on ne trouve pour grande cause à ce désastre que le refus de voter cette puérilité, de prescrire, par une loi, une chose qui existait de fait. (Interruption.) Mais, messieurs, si l'honorable membre voulait se rendre compte de la situation des Flamands dans le pays, il verrait que, bien loin d'avoir à se plaindre, ils sont dans une situation plus favorable que les habitants des autres parties de la Belgique.

La raison en est bien simple ; il y a un très grand avantage à connaître les deux langues parlées dans le pays, et en fait la plupart des Flamands possèdent cet avantage ; ils ont, par conséquent, la facilité d'arriver à toutes les positions dans le pays ; tandis que les Wallons ne peuvent se placer que dans la partie wallonne du pays.

M. Coomans. - On ne peut pas même devenir caporal si on ne sait pas le français.

MiPµ. - Messieurs, nous avons en Belgique neuf gouverneurs et il y en a huit qui sont Flamands. Je demanderai à l'honorable M. Gerrits s'il proposera d'exclure le dernier gouverneur avec le ministre de l'intérieur, comme on le demande dans certains journaux.

Je suis convaincu que l'honorable membre prétendra que les Flamands sont des martyrs parce qu'on ne lui accordera pas cette dernière satisfaction.

Mais les idées de l'honorable membre, toutes noires qu'elles sont, ont un côté extrêmement plaisant. Il vous montre la tyrannie qui pèse sur les Flandres ; et savez-vous en quoi elle consiste ? En ce que dans les Flandres mêmes, les personnes d'une condition supérieure abandonnent complètement le flamand et finissent par l'oublier.

Mais, messieurs, les Flamands sont parfaitement libres de cultiver le flamand ; on leur donne tous les moyens de l'étudier, et je vous le demande, peut-on s'en prendre aux parties du pays qui ne sont pas flamandes de ce que, dans les parties flamandes, on ne veut pas parler flamand ?

Les docteurs en médecine, les avocats, toutes les personnes des classes supérieures dans les Flandres finissent par oublier complètement le flamand, dites-vous ! Je le regrette ; voulez-vous que ce soit un très grand mal ? Soit ; je demande à l'honorable membre de le guérir ; il peut plus que moi.

Mais, messieurs, n'est-ce pas un droit incontestable pour tous les Belges de parler le flamand ou le français ? Je le demande à l'honorable membre lui-même : Si nous venions, par une loi, forcer les Flamands qui ne veulent pas parler le flamand à le parler, ne serait-il pas le premier à repousser une pareille loi comme un acte de tyrannie ? Et il aurait parfaitement raison.

M. Gerritsµ. - N'est-ce pas vous qui rédigez les programmes d'admission aux écoles officielles ?

MiPµ. - Il ne s'agit pas pour le moment de ces programmes ; j'y viendrai ; je réponds maintenant à cette singulière observation faite par l'honorable M. Gerrits et qui consiste à dire que dans les Flandres toutes les personnes des classes aisées parlent le français.

Mais l'honorable membre a été encore plus loin sur ce terrain ; il a dit : Voyez où nous sommes tombés à cet égard ; parmi les membres de la Chambre qui appartiennent à la partie flamande, il n'y en a peut-être pas deux capables d'écrire une lettre en bon flamand. Je me déclare incapable de voir si une lettre flamande est écrite en bon flamand. Mais l'honorable M. Gerrits, qui forme une exception à cette ignorance générale, affirme un fait que je suis prêt à admettre, je le crois sur parole.

Mais beaucoup de députés flamands appartiennent à la droite ; je voudrais bien savoir comment c'est le gouvernement qui a exercé cette influence (page 339° délétère sur l'orthographe flamande des membres de la droite ; je voudrais bien savoir comment je dois m'y prendre pour chercher à empêcher que les représentants, qui sont nos adversaires, ne fassent des fautes dans leurs lettres flamandes !

Maintenant, voulez-vous que nous empêchions de parler français dans les provinces flamandes ?...

- Quelques membres. - Nous le voulons.

MiPµ. - Mais alors il faut empêcher d'enseigner le français dans les écoles. (Interruption.)

Vous vous plaigniez amèrement que les habitants flamands parlassent le français dans le pays flamand : vous avez tort ; vous le reconnaissez maintenant ; mais je réponds à ce que vous avez dit ; eh bien, si vous voulez empêcher que le français n'ait, dans les Flandres mêmes, cette position envahissante que vous pleurez à si chaudes larmes, je vous dis : Coupez le mal dans sa racine et empêchez d'enseigner le français dans les écoles flamandes. (Interruption.)

Osez donc être logiques !

Vous accusiez tantôt le gouvernement, parce que les programmes de vos écoles sont rédigés de telle manière que le français y a une grande place.

M. Coomans. - La plus grande place.

MiPµ. - Que se passe-t-il, messieurs, dans le pays flamand ?

Il y a bien les instigateurs de ce mouvement flamand, qui inventent des griefs et qui les exploitent ; mais il y a, à côté d'eux, l'immense majorité du peuple flamand, qui demande une chose : c'est d'apprendre cette langue française, qui est la langue la plus répandue à l'heure qu'il est. (Interruption.)

Mon Dieu ! voulez-vous que je retire mon superlatif ? Je dirai donc que. c'est une des langues les plus répandues du monde, et nous serons d'accord.

M. Delaetµ. - Par respect pour la vérité.

MiPµ. - Je dis donc qu'à côté de ces chefs de mouvement flamand il y a l'immense majorité de toutes les classes de la société dans les Flandres qui veut que ses enfants apprennent à connaître cette langue qui estime des plus considérables du monde.

M. d'Elhoungne nous disait dernièrement qu'il suffît d'ouvrir une école dans la ville de Gand pour qu'on se demande de suite : Est-ce une école où l'on apprend le français ?

Si c'est une de ces écoles, elle est immédiatement envahie ; si l'on n'y enseigne pas le français, on n'y envoie pas beaucoup. Cela est très vrai.

M. Coomans. — En vue du budget.

MiPµ. - Mais à Bruxelles, c'est la même chose et cela se comprend parfaitement. Ces enfants qu'on conduit dans les écoles, ils savent le flamand parce qu'ils l'ont parlé ; ils veulent être aptes non pas seulement aux emplois du budget, car, on ne pense guère, dans la classe ouvrière, aux faveurs du budget...

M. Coomans. - Certainement.

M. Bouvierµ. - A Turnhout peut-être.

MiPµ. - Les fonctions du budget ne sont qu'une fraction homéopathique du nombre des fonctions qui existent dans le pays. Mais les ouvriers comprennent qu'il faut rendre les enfants propres à faire toutes les besognes industrielles et qu'il faut, pour cela, que les ouvriers connaissent les deux langues. Voilà pourquoi il faut apprendre le français et je dis : Quand vous vous y opposez, vous êtes les ennemis les plus acharnés des Flandres et vous ne pourriez pas rendre un plus abominable service à ceux que vous prétendez représenter que de les empêcher d'apprendre le français. (Interruption.)

M. Gerritsµ. - Personne n'a demandé cela.

M. le président. - N'interrompez pas, monsieur Gerrits ; quand vous parliez tout à l'heure, j'ai empêché qu'on ne vous interrompît.

- Plusieurs membres. - On ne l'a pas interrompu !

MiPµ. - Nous venons d'assister au discours le plus effroyablement terrible que j'aie entendu jusqu'ici dans la Chambre. J'espère que je n'imite pas la violence de l'honorable préopinant, mais je suis obligé de lui dire : Tous vos griefs sont imaginaires, et je le constate avec d'autant plus de certitude que chaque fois que je réponds à une observation de l'honorable député, elle disparaît ; elle n'a pas été formulée, le grief s'évanouit.

M. Hymans. - J'aurais voulu parler sur le budget de l'intérieur, mais je vois que ce n'est pas le moment. (Interruption.)

M. De Fréµ. - L'honorable M. de Maere a fait un remarquable travail sur la différence qui existe, d'après lui, entre le groupe flamand et le groupe wallon.

Il a déclaré que la cause de cette différence provient du grand nombre des écoles libres, et que le remède à ce mal était dans la suppression des écoles libres, c'est-à-dire des écoles du clergé.

Je ne discute pas les chiffres qui ont été énoncés à l'effet d'établir que dans les Flandres il y a moins de miliciens sachant lire que dans les provinces wallonnes. Je ne discute pas la question de savoir si la criminalité est plus grande dans les Flandres que dans les provinces wallonnes. Mais ce qui est constant, c'est qu'il y a un abîme entre les Flandres d'autrefois et les Flandres d'aujourd'hui.

Les provinces flamandes étaient au XVème et au XVIème siècles les provinces les plus prospères, les plus instruites et les plus intelligentes de l'Europe. Elles ont lutté avec un admirable courage et contre l'ennemi du dehors et contre l'ennemi du dedans. Les luttes des communes flamandes sont aussi belles et aussi glorieuses que les luttes des républiques antiques.

Comparez les Flandres d'aujourd'hui aux Flandres d'autrefois, et vous constaterez un abîme. C'est le jour et la nuit.

Quelle est, messieurs, la cause de cette décadence ? Ce n'est pas la langue, la langue n'est qu'un moyen de communiquer la pensée. Quand les pensées sont bonnes, le peuple progresse ; quand les pensées sont mauvaises, réactionnaires, compressives, le peuple, s'il n'avance pas, reste au moins stationnaire. La langue flamande, d'ailleurs, est une langue riche, qui se prête à tous les mouvements de la pensée ; elle a été le véhicule par lequel, dans le temps, les idées les plus progressives, et je dirai même les plus énergiques, ont été rendues.

Ce qui a produit la décadence des Flandres, c'est le triomphe de la théocratie. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - C'est incontestable. Voyez l'Espagne

M. De Fréµ. - Laissez-moi, messieurs, développer librement ma pensée.

Il est certain qu'au XVème et au XVIème siècle, il y avait dans les Flandres plus d'écoles communales qu'il n'y a aujourd'hui d'écoles laïques et d'écoles du clergé réunies.

Voici ce qu'un auteur recommandable écrit de l'état intellectuel des Flandres, en les comparant, non pas aux provinces wallonnes, mais en les comparant aux autres peuples de l'Europe.

« Les classes inférieures, dont la condition était si abjecte, dans le reste de l'Europe, à cette époque, ressentirent les heureux effets du progrès général du bien-être et de la civilisation. Il était rare, dit-on, de rencontrer un homme assez illettré pour ne pas connaître les rudiments de la grammaire. Il n'y avait guère de paysan qui ne sût à la fois lire et écrire dans un temps où la lecture et l'écriture constituaient une éducation que ne possédaient pas toujours, en d'autres pays, les hommes du rang le plus élevé. »

Le triomphe du despotisme étranger, inspiré par des doctrines qui vivent encore parmi nous, pour le malheur de la Belgique, a produit cette décadence.

Le despotisme étranger triomphant a eu des effets différents pour les provinces flamandes et pour les provinces wallonnes.

Dans les Flandres l'oppression a été plus violente que dans les provinces wallonnes. Les provinces flamandes avaient lutté avec la dernière énergie ; dans leur élan sublime vers la liberté et l'indépendance, elles avaient été beaucoup plus énergiques que. les provinces wallonnes. Presque toute la Flandre était passée au protestantisme. L'audace de la race flamande était telle que lorsque au profit des doctrines romaines, on lui imposa la servitude religieuse et politique, elle abandonna son ancien culte et passa au culte nouveau pour conserver son indépendance et sa liberté. Les vainqueurs étrangers ont fait expier cette audace aux provinces wallonnes par un despotisme plus écrasant. Voilà la vérité.

L'oppression du despotisme triomphant n'a pas agi sur les provinces wallonnes d'une manière aussi forte que sur les provinces flamandes, et les Wallons ont été sauvés par leur propre langue.

Et ici je vois l'origine du mouvement flamand. Dans ces écoles des Flandres on apprenait le français et le flamand et on n'y a plus appris que le flamand parce qu'on voulait isoler les Flandres du reste du monde. Toutes les écoles communales furent détruites ; il n'y eut plus d'autres écoles que les écoles du clergé, dans lesquelles lui seul faisait l'éducation et la faisait d'une façon d'autant plus oppressive qu'il avait une revanche plus considérable à prendre vis-à-vis des Flamands que vis-à-vis des Wallons, de sorte qu'au XVIIème et au XVIIIème siècle, lorsqu'il n'y avait plus personne en Flandre qui sût le français, le mouvement philosophique qui se fit en France passa en quelque sorte au-dessus de la tête des Flamands, tandis que les Wallons, auxquels on n'avait pas pu enlever la connaissance de la langue française, les Wallons qui, au XVIème siècle, étaient moins avancés, (page 340) moins progressifs, moins instruits que les Flamands, les Wallons subirent la contagion des idées nouvelles ; et il est arrivé ainsi que cette oppression qui dure depuis trois siècles et qui pèse encore sur les Flandres, n’a plus pesé sur les provinces wallonnes, et il y a ce singulier contraste entre ce qui existait il y a trois siècles et ce qui existe aujourd'hui, c'est que les provinces wallonnes sont aujourd'hui, en Belgique, a la tête du progrès, à la tête de la civilisation, tandis que, grâce à cette théocratie imposée par la force et par toutes les cruautés que vous connaissez, les Flandres subissent encore aujourd'hui les conséquences de cette force intolérante, brutale. Je blesse peut-être...

M. Coomans. - Vous blessez l'histoire, voila tout.

M. De Fréµ. - Je vous blesse, mais nous devons tous ici dire nos convictions et nos pensées, et pour moi la conviction la plus douloureuse qu'un citoyen belge puisse éprouver, c'est cet abaissement de la race flamande dû tout entier à cette théocratie dont vous essayez d'être aujourd'hui les pâles, les derniers défenseurs.

M. Coomans. - Je demande la parole.

M. De Fréµ. - Ce monument flamand créé, au XVIème siècle, après le triomphe de Philippe II, à l'effet d'isoler les Flandres du monde entier, d'empêcher que les idées de progrès qui allaient se faire jour, ne vinssent répandre sur ces plages désolées des semences fécondes, ce mouvement flamand continue encore ses ravages.

Messieurs, je suis Flamand. Je connais la langue flamande ; j'en admire les beautés et je considère les Flamands comme des frères qui, certainement, malgré ceux qui les prêchent, seraient, en toute circonstance, les défenseurs énergiques de la patrie et de la liberté.

Nous ne venons pas, nous, parler de désunion, nous ne connaissons que l'union. Il y a des hommes qui se créent un théâtre avec ce mouvement flamand.

Il y a des hommes qui ne sont rien dans la littérature française, mais qui sont de grands orateurs flamands, ceci ne s'adresse pas à mon honorable contradicteur ; eh bien, je dis à ces hommes : Si vous aimez les Flamands, tendez-leur la main et dites-leur : Souvenez-vous de vos pères ; ils étaient intelligents, instruits ; mais vous vous isolez. Voilà la cause de votre infériorité.

Que faut-il faire ? Faut-il que les Flamands continuent de ne savoir que le flamand ? Etant donné un pays comme le nôtre, où il y a deux langues, il est de l'intérêt de tous que chaque citoyen les connaisse. C'est pour chaque homme un double instrument de travail ; pour l'homme d'Etat, pour le poète, pour l'orateur, il y a avantage de connaître les deux langues. C'est un moyen de communiquer, d'une manière plus complète, avec tous les citoyens du pays.

Mais, messieurs, le fait de présenter une langue, qui n'est qu'un moyen, comme le caractère essentiel du peuple, comme le caractère fondamental de la nation, c'est une idée déplorable contre, laquelle tous les bons citoyens doivent protester. Que les Flamands d'aujourd'hui apprennent le français comme les Flamands d'autrefois et ils seront plus forts et plus instruits ; ils ne resteront pas en dehors du mouvement politique et social qui se fait autour d'eux ; ils pourront ainsi se mettre en communication avec leurs concitoyens, développer ensemble les idées de progrès et de liberté et constituer d'une manière solide la fusion nationale.

Messieurs, quel est le remède ? L'honorable M. de Maere vous a dit : le remède est dans la suppression des écoles libres. Les écoles libres des Flandres, ce sont les écoles du clergé. Il faut les supprimer.

Messieurs, si l'opinion libérale, qui est au pouvoir, avait la faculté, la puissance de détruire ces écoles libres, je lui dirais : N'usez pas de ce droit, parce que le jour où ceux dont vous empêchez l'enseignement seront à leur tour maîtres du pouvoir, ils pourront fermer vos écoles et alors il n'y aura plus de liberté pour vous, il n'y aura plus de progrès, parce que nous ne pourrons plus combattre, par notre enseignement libéral, les idées de la théocratie.

Ainsi donc le remède n'est pas dans la suppression des écoles libres, dans la suppression de la liberté. La liberté doit rester l'instrument de tous les citoyens, le moyen de combattre des doctrines contraires, et à faire valoir les siennes.

Chacun a le droit d'user de la liberté, qui doit rester un droit commun ; mais nous avons tous le droit de juger l'usage que chacun fait de la liberté. Vous avez le droit d'enseigner, dans les écoles du clergé, les doctrines qui vous conviennent en vertu de la liberté ; mais le pays a le droit de les combattre en vertu de la même liberté, et j'ajoute le devoir de les combattre s'il les croit fatales, s'il les croit funestes aux destinées de la patrie.

Messieurs, le remède est d'abord dans la propagation de la langue flamande, et ici je suis éclairé par l'histoire et je me dis : Puisqu'il y a eu un temps où vous vous êtes servis de la langue flamande pour isoler le groupe flamand, eh bien, servez-vous aujourd'hui de la langue française pour le faire entrer en communication avec vos citoyens.

Le remède est dans l'énergie individuelle, dans les associations ; il est dans une propagande libérale, et par propagande libérale, j'entends une propagande qui soit de nature à amener entre le groupe flamand et le groupe wallon une fusion complète et à élever ainsi le groupe flamand au niveau du groupe wallon.

Quant au gouvernement, il doit intervenir de la manière la plus efficace pour protéger les autorités laïques qui luttent avec énergie contre des tendances funestes. Le gouvernement doit tendre toujours une main protectrice à ces administrations communales, une main protectrice à ces institutions qui tremblent souvent encore, malgré nos lois, malgré notre Constitution, devant les menaces d'un prêtre, devant les menaces d'un homme qui n'a pas le droit de tourmenter ceux qui agissent pour l'exécution des lois.

Messieurs, j'ai été fort surpris hier de voir faire ici par un membre catholique la glorification du mouvement du XVIème siècle, dont chacun de vous connaît le caractère ; il fut à la fois national et progressif.

Il semble constater que les Flamands n'ont été vaincus que parce que les Wallons avaient manqué au suprême combat. Si le pays avait triomphé de l'Espagne, le protestantisme triomphait en Belgique.

Je ne comprends vraiment pas une pareille opinion d'un membre de la droite. Il a l'air de prendre le mouvement du XVIème siècle pour un mouvement catholique. Comme je le disais tout à l'heure, les deux tiers des Flandres, afin de maintenir leurs libertés et leur indépendance, avaient accepté une foi religieuse nouvelle. Marnix, qui défendit Anvers, ce dernier rempart de la nationalité belge, Marnix était protestant ; et je ne sache pas que les aïeux de l'honorable M. Delaet fussent à côté de lui pour soutenir ce grand citoyen dans son énergique et patriotique défense.

Si les aïeux de l'honorable membre professaient les mêmes opinions que lui, et s'ils ont pris part à cette lutte, ils devaient se trouver non à côté de Marnix, mais avec les compagnons de Philippe II, entrant dans la ville d'Anvers avec l'armée ennemie. (Interruption.)

Mais, messieurs, voulez-vous savoir comment ce mouvement du XVIème siècle, comment cette grande défense de la patrie a été jugée et appréciée par tous ceux qui défendent les opinions de la droite. Il y a quelques années, on a érigé, sur une des places publiques de Tournai, la statue la princesse d'Espinoy, de cette noble femme qui a défendu cette ville avec le courage et l'héroïsme d'un homme.

La ville de Tournai, reconnaissante, a voulu perpétuer le souvenir de cette femme remarquable en érigeant sa statue sur une place publique de cette ville, afin de rappeler sans cesse, à la génération actuelle et aux générations futures ce symbole de grandeur et d'héroïsme. La ville de Tournai a voulu que les nouvelles générations s'inspirassent au spectacle de ce souvenir historique, en leur rappelant sans cesse une des plus belles pages de notre histoire.

Eh bien, qu'est-il arrivé ? Un mandement est venu insulter à la gloire de cette héroïne ; un mandement émané de l'évêque de Tournai a traité cette femme d'hérétique parce qu'elle avait héroïquement défendu son pays !

Vous voyez donc bien, messieurs, qu'il y a encore parmi nous des descendants de Philippe II, des héritiers de sa politique intolérante. Vous voyez donc bien qu'il y a encore parmi nous des partisans de cette théocratie qui a triomphé au XVIème siècle, qui a abaissé le niveau intellectuel des Flandres et qui a été la cause de sa décadence.

M. Coremansµ. - J'avais cru ne pas parler dans cette discussion, deux de mes honorables collègues de la députation anversoise s'étant, dans ce débat, chargés du soin de défendre les droits du peuple flamand.

Mais quand j'ai entendu, sous prétexte de réponse à l'un des discours les plus vrais qui aient jamais retenti dans cette enceinte, les plaisanteries de M. le ministre de l'intérieur, plaisanteries sans doute très spirituelles, puisqu'elles ont fait pâmer d'aise plusieurs des collègues wallons de l'honorable ministre, j'ai désiré prendre la parole, ne fût-ce que pour faire connaître à mes compatriotes flamands l'impression que doit avoir produite sur tous les membres flamingants de cette Chambre la parole moqueuse de M. le ministre de l'intérieur.

A écouler M. le ministre, il me semblait, nie reportant à quelque quarante ans, assister à une séance d'un autre parlement, le parlement du royaume des Pays-Bas, et entendre un Van Gobbelschroy, un Van Maanen, répondant aux réclamations de la minorité wallonne qui demandait alors (page 341) le redressement des griefs dont souffraient, prétendait-on, les populations françaises du royaume.

Les griefs dont on se plaignait à cette époque au point de vue des droits de la langue des provinces wallonnes étaient imaginaires, n'existaient pas : il y avait donc, peut-être, quelque excuse en faveur des ministres du roi Guillaume, répondant aux députés de la minorité wallonne, du ton que vient d'affecter M. le ministre de l'intérieur, pour répondre à un député flamingant.

Aujourd'hui les plaintes des populations flamandes sont incontestablement fondées ; beaucoup de Wallons vont même jusqu'à déclarer que le redressement de nos griefs serait désirable ; mais vous en restez à ces vœux stériles sans réaliser, sans faire rien qui puisse donner satisfaction à nos justes exigences.

Si, il y a quarante ans, les Wallons n'avaient pas rencontré plus de générosité chez les Flamands, pour le redressement de leurs griefs imaginaires, que les Flamands ne rencontrent aujourd'hui de justice chez les Wallons pour le redressement de leurs griefs si réels, jamais la Belgique ne se serait faite, et vous, M. Pirmez, ni vos collègues wallons, ne seriez devenu ministre, ignorants, comme vous l'êtes, de la langue de la majorité de nos nationaux.

J'ai dit que les griefs articulés par les Wallons, sous le règne du roi Guillaume, n'étaient pas sérieux, étaient imaginaires. Et en effet, messieurs, tout était resté français dans les provinces wallonnes ; la justice y était rendue en français ; l'administration était française ; l'enseignement, à tous les degrés, depuis l'école primaire jusqu'à l'université y était donné en français.

L'armée seule était flamande.

Aujourd'hui notre armée est entièrement française. (Interruption.)

Comment, notre armée n'est pas française ! Mais le commandement ne s'y fait-il pas exclusivement en français ? Y a-t-il possibilité pour un Flamand d'y arriver à un grade quelconque, même à celui de caporal, sans avoir justifié au préalable de sa connaissance de la langue française ?

Et non seulement dans l'armée, mais dans la douane, dans la gendarmerie, dans l'administration générale, y a-t-il possibilité pour un Flamand si intelligent qu'il puisse être, d'y avoir seulement accès, ou d'y arriver à un degré un peu élevé de la hiérarchie, avec la seule connaissance de sa langue maternelle, comme le peut le Wallon, sans notion d'aucune autre langue que la sienne ?

Montrez-moi les Flamands arrivés dans ces conditions aux emplois publics, et je me tairai. Faites-nous cette preuve ; et, dès ce moment, vous pourriez nous dire que nous inventons des griefs, que nous avons tort de nous plaindre. Mais tant que cette preuve n'est pas faite, vous ne sauriez nous convaincre, ni nous réduire au silence ; nos griefs restent debout et aussi longtemps qu'ils resteront debout, nous en réclamerons, haut et ferme, le redressement.

Les griefs des Wallons, avant la constitution du royaume de Belgique, étaient des chimères. Il est vrai qu'ils ne jouissaient jamais d'aucun privilège. On exigeait d'eux, s'ils voulaient devenir fonctionnaires dans le pays flamand, on exigeait d'eux la connaissance de la langue flamande. Mais ce n'était que justice. Le fonctionnaire doit être le serviteur du peuple qui le paye ; il doit être apte à rendre les services pour lesquels il est rétribué. Exiger de lui la connaissance de la langue des administrés, c'est faire acte de libéralisme, de bonne démocratie.

Aujourd'hui on foule aux pieds ces principes de la saine raison ; vous nommez dans les Flandres quantité de fonctionnaires wallons, et dans la magistrature, et dans l'enseignement, et dans l'administration, et dans l'armée, incapables, par leur ignorance de la langue flamande, de rendre les services auxquels ils sont appelés.

Il y a plus : dans leur propre pays, vous excluez systématiquement les Flamands ; vous les déclarez incapables et indignes du moment qu'ils ne se sont pas assimilé une langue étrangère pour eux ; qu'ils ne se sont pas francisés ; qu'ils n'ont pas répudié leur race.

Est-ce que les Wallons étaient ainsi traités dans le royaume des Pays-Bas ?

L'histoire est là qui répond non !

Est-ce qu'on nommait chez vous des fonctionnaires ne connaissant pas la langue des administrés ? Je défie M le ministre de l'intérieur de me citer un seul cas. Et cependant vous avez fait une révolution, vous avez détruit le royaume des Pays-Bas pour vous soustraire à ces griefs imaginaires.

Et nous, Flamands, nous avons été assez bonasses (interruption), oui, je le répète, assez bonasses, pour vous donner la main et unir nos efforts aux vôtres. Et aujourd'hui, quand nous venons, nous Flamands, vous demander, à vous Wallons, un peu de justice, un peu d'égalité, il y a des ministres, il y a des membres wallons dans cette Chambre qui nous répondent par des éclats de rire.

Eh bien, non, un ministre beige ne devrait pas, à l'exemple des Van Gobbelschroy et des Van Maanen, répondre par des rires et des plaisanteries quand il s'agit d'une question aussi grave, et qui agite tout le pays. (Interruption.)

Oui, vous ignorez peut-être la situation des esprits dans les provinces flamandes.

Vous ne voyez pas, comme nous, les abus de tous genres dont souffrent les Flamands, et devant les tribunaux, et aux bureaux de poste, et aux chemins de fer, et à l'enregistrement, et au bureau des hypothèques.

Presque partout les fonctionnaires dédaignent la langue flamande et trop souvent affectent de ne pas la comprendre.

La Belgique devient petit à petit une succursale de la France ; une antichambre de l'Empire. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Voilà du patriotisme !

M. Coremansµ. - Ah ! voilà du patriotisme, dit-on. Mais est-ce bien à ceux qui révèlent le mal que le reproche doit être fait ? n'est-ce pas plutôt à ceux qui le créent ?

Vous devriez nous remercier de ce que nous vous faisons connaître le mécontentement qui existe dans les populations flamandes.

M. Bouvierµ. - Dans votre imagination.

M. Coremansµ. - On devrait nous en remercier et on nous dit : Voilà du patriotisme !

M. Lebeau. - C'est de la mise en scène.

M. Coremansµ. - Je dis, messieurs, que pour le Flamand il n'est plus rien dans le pays qui fasse respecter sa race, qui lui fasse aimer sa patrie comme l'endroit où il peut trouver de quoi satisfaire ses aspirations de progrès et de civilisation.

Eh bien, vous devriez comprendre, vous qui vous dites libéraux, qu'il faut faire quelque chose pour remédier à cet état malheureux dans lequel vous avez, pendant trente-neuf ans, petit à petit, plongé nos populations.

Il s'agit de faire quelque chose. Agissez, modifiez vos lois sur l'enseignement ; n'exigez plus que pour devenir avocat, médecin, ingénieur, pour occuper une position plus ou moins distinguée dans la société, il faille commencer par répudier sa langue maternelle ; n'exigez pas que tout votre enseignement continue à se donner en français ; permettez que nous autres Flamands nous vivions aussi dans la plénitude de tous nos droits ; que nous soyons des citoyens complets comme vous autres.

Faites qu'il y ait égalité entre les deux races, et dès ce moment vous aurez des Belges ayant confiance dans l'avenir, n'ayant plus rien à se reprocher les uns aux autres, vivant, travaillant, prospérant dans une union complète, dans une entente cordiale.

Tant que cela ne sera pas, vous entendrez les organes du peuple flamand se plaindre ici et revendiquer leurs droits.

Le pays ne sera entièrement tranquille, car cette agitation, vous avez beau la nier, elle existe, et pour ceux qui connaissent les Flandres, son existence n'offre pas le moindre doute ; le pays, dis-je, ne sera entièrement tranquille que lorsque vous aurez fait droit à nos griefs. Alors, quand cette satisfaction nous sera donnée, nous pourrons, sans réserve aucune, aimer la patrie commune. (Interruption.)

Est-ce que la Constitution est faite pour vous seuls ? N'est-elle pas le patrimoine commun de tous les citoyens ? Est-ce que tous les citoyens ne sont pas égaux devant la loi ? Or, où est l'égalité entre le Wallon et le Flamand ? je vous le demande !

Le Wallon, même en dehors de son pays, s'il est traduit devant nos tribunaux trouve des juges qui le comprennent. Il peut participer à sa défense, et se défendre lui-même. Le Flamand, au contraire, non seulement lorsqu'il est traduit devant vos tribunaux wallons, n'est pas compris par les juges, mais dans le pays flamand même, il est traité en étranger.

On requiert contre lui, on le condamne à l'emprisonnement, à des peines infamantes dans une langue étrangère pour lui, et sans qu'il ait pu dire un mot dans le débat.

Le ministère doit convenir qu'il y a quelque chose à faire. Qu'il fasse donc.

- Des membres. - Quoi ? Quoi ?

M. Coremansµ. - Qu'il commence par modifier sa loi sur les examens ; par réorganiser l’enseignement ; que l’enseignement soit flamand pour nous comme il est français pour vous autres, depuis l'école primaire jusqu'à l'université. Nous voulons une université flamande. Voilà déjà pour commencer.

(page 342) Ensuite, ne nommez plus dans les Flandres des fonctionnaires qui ne savent pas le flamand.

MfFOµ. - Il n'y en a pas un seul.

M. Coremansµ. - Tous ceux qui connaissent nos provinces savent le contraire.

D'ailleurs, peu importe que nos fonctionnaires soient Wallons, du moment qu'ils connaissent la langue flamande ; car on accueille ceux-là chez nous à bras ouverts. Faites pour le pays flamand ce que vous faites pour le pays wallon.

Vous vous garderiez bien de nommer dans les provinces wallonnes des fonctionnaires qui ne connaîtraient que le flamand. Si vous le faisiez, vous seriez ridicules et absurdes. Eh bien, nos populations flamandes trouvent ridicule et absurde que vous nommiez chez elles des fonctionnaires qui ne savent pas le flamand. Voilà donc déjà deux points que je vous cite.

Réorganisez l'enseignement et ne nous envoyez plus des fonctionnaires ne sachant pas le flamand.

Ainsi vous rendrez service à nos populations flamandes et à vous-mêmes.

M. le président. - La parole est à M. le ministre, de l'intérieur. Je vous engage tous à écouter avec calme.

MiPµ. - Je puis donner l'assurance à l'honorable président que je ne manquerai pas de calme ; l'ardeur de l'honorable député d'Anvers ne m'a pas ému ; elle m'a étonné ; j'ai admiré qu'il ait pu se battre assez les flancs pour arriver à l'éloquence passionnée dont vous avez été les auditeurs.

Il s'indigne de ce que j'aurais répondu par des plaisanteries au discours de M. Gerrits ; je n'ai fait que reproduire ses paroles, ses arguments, et si les observations que j'ai présentées ont paru être plaisantes, l'honorable M. Coremans n'a qu'à s'en prendre à son collègue, à qui ces arguments appartiennent.

Mais franchement dans le discours de M. Coremans il est aussi des choses que je. ne puis pas prendre au sérieux. Est-ce sérieusement que l'honorable membre évoque le souvenir des séances des états généraux qui ont précédé la révolution et qu'il croit voir en moi le trop fameux Van Maanen ?

M. Coremans parle comme s'il avait assisté à ces séances des états généraux. Que d'efforts il doit faire pour se figurer assister à ces séances, tenues à une époque où, comme moi, il était pas né !

L'honorable membre prétend que les Wallons ont fait la révolution de 1830 et qu'ils n'avaient aucune espèce de raison pour faire cette révolution et l'honorable M. Kervyn disait hier que les Wallons...

M. Kervyn de Lettenhove. - Je n'ai pas dit cela. (Interruption.)

MiPµ. - Je me trompe : c'est l'honorable M. Delaet. C'est encore mieux.

Hier donc l'honorable M. Delaet disait que les Wallons n'étaient pour rien dans la révolution de 1830. Ce sont donc les Flamands qui ont fait la révolution. Tâchez, MM. les députés d'Anvers, de vous mettre d'accord.

L'honorable M. Coremans a besoin de griefs et il dit qu'il n'y a pas un douanier qui sache le flamand. Eh bien, M. le ministre des finances me donne l'autorisation de déclarer que c'est complètement inexact. (Interruption.)

MfFOµ. - J'ai des douaniers qui ne savent que le flamand.

- Un membre. - Combien ?

MfFOµ. - Tous ceux qui se sont présentés.

MiPµ. - L'honorable membre affirme qu'il n'y a pas de douaniers ne sachant que le flamand. Nous disons que c'est complètement inexact et maintenant il veut savoir combien il y en a. Il triomphe parce que ce nombre ne sera pas relevé ou qu'il ne sera pas présent à la mémoire du ministre !

J'arrive aux receveurs de l'enregistrement.

Je demande s'il est un seul membre de cette Chambre qui puisse croire à cette allégation ?

M. Coomans. - Oh !

MiPµ. - Vous n'y croyez pas vous-même.

M. Coomans. - Si, si.

MiPµ. - Comment voulez-vous qu'un receveur de l'enregistrement ne sachant pas le flamand puisse enregistrer des actes faits en flamand et recevoir les droits d'enregistrement perçus sur la nature de l'acte ?

Si cela était, ce serait un grand bonheur pour les Flandres, car les receveurs ne pourraient opérer la recette.

L'honorable membre dit qu'il n'y a pas dans les Flandres de juges sachant le flamand. Mais qu'on indique donc le juge ne sachant pas le flamand. Il ajoute qu'il y en a dans le pays wallon qui ne savent pas le flamand et qu'il peut arriver qu'un Flamand n'y soit pas compris.

Il n'y a à cela qu'un remède, c'est de ne nommer que des Flamands partout et de faire pour les juges comme pour les gouverneurs, de supprimer les juges ne sachant pas le flamand.

Dites donc que c'est là ce que vous voulez.

M. Coremans nous dit encore : Mais il y a un mécontentement très vif dans les Flandres, auquel on doit prendre garde, et vous devriez nous remercier de venir vous faire connaître cette situation.

Je ne remercierai pas l'honorable membre, car ce mouvement c'est lui et ses amis qui l'excitent. Si ce mouvement vous déplaisait si fort, au lieu d'imaginer des faits pour le faire grandir, faits que je viens de réfuter, vous vous garderiez de l'alimenter avec des griefs chimériques. Il faut que le mouvement soit bien dans vos intentions, puisque vous cherchez à le maintenir par des faits inexacts.

Je disais tantôt, en répondant à l'honorable. M. Gerrits : Mais vous voulez donc qu'on n'enseigne pas le français dans les écoles flamandes pour maintenir le monopole du flamand ?

L'honorable M. Gerrits a protesté, il proteste encore par geste, mais l'honorable M. Coremans est venu et dit : Réformez vos programmes ; que depuis l'école primaire jusqu'à l'université tous les cours se donnent en flamand. Voilà donc bien la suppression du français.

M. Coremansµ - Pas du tout.

MiPµ. - A moins que vous ne vouliez donner des cours doubles : l'un en français, l'autre en flamand. C'est là une prétention assez singulière.

Vous n'osez pas bien dire ce que vous voulez, vous avez besoin d'articuler des griefs, vous ne pouvez les préciser, et vous dites : On ne peut devenir avocat, médecin, sans renier sa race (c'est votre expression), sans avoir abandonné sa langue.

Je demande à l'honorable membre quelle espèce de barreau il ferait de gens ne sachant que le flamand.

M. Coremansµ. - Et le barreau hollandais ?

MiPµ. - Vous n'avez pas un ouvrage de droit écrit en flamand. (Interruption.)

On me prouvera peut-être qu'il y a quelques ouvrages.

M. E. de Kerckhoveµ. - Il y a des bibliothèques entières d'ouvrages de droit en flamand.

MiPµ. - On n'a jamais traduit en flamand Pothier, Merlin, Demolombe. (Interruption.)

Je dis aux honorables membres : Vous ne pouvez avoir des avocats ne sachant que le flamand. Voilà ce que vous voulez, et cela est impossible, car vous n'avez pas de jurisprudence flamande.Où sont donc vos jurisconsultes ? M. Coomans nous répond : Est-ce que vous avez traduit les ouvrages qui sont en allemand ? Je ne le prétends pas le moins du monde, mais il existe à côté des ouvrages allemands toute une bibliothèque d'ouvrages de droit français.

Cependant si l'on veut suivre ce. système, il y a moyen ; les honorables membres auxquels je réponds ont beaucoup d'autorité sur certains établissements, sur l'université de Louvain, par exemple, qui est établie dans une ville éminemment flamande ; qu'ils fassent donc donner les cours à cette université en flamand.

M. Coomans. - Et les diplômes ?

MiPµ. - Usez de votre autorité pour en arriver là. (Interruption.)

Oh ! vous ne le tenterez pas, car le prélat éminent qui devrait vous y autoriser ne le ferait jamais. Il aurait d'abord bien quelques raisons personnelles, pour cela ; ensuite il devrait sacrifier les professeurs extrêmement distingués qui honorent cette université.

Mais il y a une raison bien plus forte pour laquelle il ne l'autoriserait pas, c'est que si l'on donnait à l'université de Louvain les cours en flamand, cette université ne compterait bientôt plus un seul élève.

M. Coomans. - A cause des diplômes.

MiPµ. - Mais pas du tout.

M. Coomans. - Essayez donc de les supprimer.

MiPµ. - Je prends l'engagement formel de présenter aux Chambres un projet de loi pour faire passer les examens en flamand le jour où il y aura une université en Belgique qui donnera les cours en flamand.

- Un membre. - Cela existe aujourd'hui ; on a le droit de passer ses examens en flamand.

(page 343) MiPµ. - On me fait remarquer, avec beaucoup de raison, que tout le monde aujourd'hui a le droit de passer ses examens en flamand, en sorte que le prétexte des diplômes échappe à M. Coomans ; il peut tenter de faire appliquer de suite son système à Louvain.

Messieurs, j'ai le droit de dire à M. Coremans, en terminant : Ne vous contentez pas de déclamer, citez-nous des faits et surtout dites-nous ce que vous voulez.

Quand je cherche dans votre discours ce que vous demandez, je n'y trouve qu'une seule chose et une chose que M. Gerrits lui-même repousse de toutes ses forces, à savoir le remaniement des programmes dans le sens de la proscription du français et l'obligation d'enseigner en flamand partout et toujours.

Maintenant, messieurs, je suppose qu'on fasse apprendre le flamand aux Wallons, croyez-vous que l'on aurait rendu un grand service aux Flamands ? Mais non ; aujourd'hui ils sont admissibles aux emplois dans tout le pays, les Wallons ne le sont que dans la moitié du pays. Si vous parvenez, par une mesure coercitive, à forcer tous les Wallons à savoir le flamand, il en résultera nécessairement que les Wallons seront dans la même position où sont les Flamands ; ceux-ci auront perdu leur position privilégiée.

M. Coomans. - Très sincèrement dit, je ne comptais pas prendre la parole, mais je l'ai demandée quand j'ai entendu répéter, pour la dixième fois peut-être, cette assertion inexacte, fausse, injurieuse, dangereuse : que la race flamande a dégénéré, qu'elle est très inférieure à la race wallonne ; que les observations de l'honorable M. de Maere sont fondées dans leur ensemble et que la dégénérescence est telle, que cette même Flandre, qui fut à la tête de l'Europe, du monde même, pendant des siècles, se trouve bien près d'être à la queue de toutes les nations.

Je crois que si l'honorable M. De Fré, qui s'est rendu le dernier organe de ce thème, avait osé formuler toute sa pensée, il se serait servi de cette expression.

Je ne sais, messieurs, où cet honorable membre et d'autres ont appris l'histoire nationale, mais j'affirme que les livres dont ils se sont servis ne sont pas ceux que j'ai lus ; les livres de ces messieurs, je ne les connais pas, et j'aime à croire, pour l'honneur de la république des lettres, qu'ils sont purement imaginaires ou qu'ils resteront inédits.

Quoi ! messieurs, on se vante d'être patriote, d'avoir beaucoup plus de patriotisme que nous, Flamands dégénérés, abâtardis, et l'on s'efforce, par toute sorte de sophismes plus ou moins habilement présentés, de prouver que nos pères, tous ou presque tous, ont vécu, pendant des siècles, sous le despotisme le plus humiliant, le plus dégradant, sous le despotisme étranger le plus rétrograde.

Messieurs, quand même cela serait vrai, je ne pense pas qu'il serait convenable, ni surtout utile, dans les circonstances actuelles, de se battre les flancs pour le démontrer. Mais la thèse est fausse, radicalement fausse et les arguments dont on s'est servi pour l'étayer sont plus faux encore.

Il n'est pas vrai qu'à aucune époque de notre histoire les Belges flamands ou wallons, ici je les enveloppe dans la même défense, dans le même éloge aient subi un despotisme quelconque. A toutes les époques, au contraire, les provinces belges, particulièrement les provinces flamandes, brabançonne, et liégeoise, à toutes les époques nos provinces ont joui d'autant de libertés réelles qu'aucun autre peuple de l'Europe.

Ce qui a fait illusion à quelques professeurs superficiels d'histoire imaginaire, c'est la domination nominale de l'étranger dans nos provinces. Je dis « domination nominale », car elle n'a jamais eu d'autre caractère.

J'ai à peine besoin de prouver, si ce n'est à quelques membres peut-être, que dans tout le cours du moyen âge les provinces dites belges jouirent d'une liberté égale à celle des peuples considérés come les plus avancés du monde civilisé, à savoir, les républiques d'Italie, un ou deux Etats de l'Espagne et quelques villes de l'Allemagne. Pendant toute cette période, la Flandre eut des libertés telles, qu'elles parurent à presque tous les rois incompatibles avec ce qu'on appelait alors les principes conservateurs.

Messieurs, j'aborde immédiatement l'époque que M. De Fré s'est efforcé de déshonorer, l'époque qui a suivi la chute de la domination de Philippe II et qui n'a fini qu'à l'arrivée du sans-culottisme, sans-culottisme qui, pour le dire en passant, n'a trouvé des adhérents en Belgique que parmi les impérialistes, les kaiserlichs, dont l'opinion est défendue aujourd'hui par un parti soi-disant libéral. (Interruption.) Oui, les kaiserlichs se transformèrent en partisans de la France, puis en orangistes, puis en doctrinaires.

En 1598, la Belgique redevint indépendante et libre. Permettez-moi de vous le dire : tous les privilèges tant vantés par ceux qui ne les connaissent pas, tous les privilèges tant vantés dont jouirent les Flamands pendant ces deux siècles furent maintenus par Albert et Isabelle et restèrent debout jusqu'à la domination française, époque à laquelle ils furent confisqués et supprimés par le libéralisme français.

Oui, tous les privilèges restèrent debout ; je n'admets aucune exception ; il y eut, au contraire, accroissement. Je sais bien que ce qui vous préoccupe, c'est que le pouvoir d'alors, pouvoir unanimement adopté par les populations, à tort ou à raison, était catholique. Le pouvoir était populaire.

Voilà ce que vous méconnaissez dans vos thèses présentes ; mais au point de vue de la liberté, vous n'avez pas là un argument ; car enfin l'immense majorité des Belges voulait être gouvernée d'après ce que vous appelez les principes cléricaux ; c'était leur droit, et en les gouvernant ainsi, on ne faisait que respecter leur liberté.

Aujourd'hui il vous est aisé de venir critiquer beaucoup de lois qu'en effet ni vous ni moi nous n'approuverions plus ; mais ces lois n'étaient pas seulement acceptées par nos pères, elles étaient encore faites par eux ; elles étaient approuvées par tous les philosophes les moins croyants de cette époque.

Quand on reproche à nos aïeux de n'avoir pas pratiqué ni connu la liberté des cultes, la liberté de la presse et de l'enseignement, la liberté d'association, etc., pourquoi ne pas leur faire un crime de n'avoir pas inventé les chemins de fer et le télégraphe électrique ? Les deux accusations auraient la même valeur. Nulle part, en Europe, on ne comprenait ni ne demandait la liberté de faire ce qu'on croyait mal ; on n'admettait que la liberté personnelle et politique dans les choses permises et douteuses. Joseph II ne croyait qu'à celle-là et encore en restreignait-il fort les limites. Telle était, je le répète, l'opinion des réformateurs libéraux. Aucun ne préconisa les grandes libertés que nous trouvons aujourd'hui si naturelles, par exemple les libertés de la presse, de l'enseignement et d'association.

Est-ce que Voltaire lui-même aurait adhéré à la constitution belge ? Non il l'eût traitée de mauvais chiffon de papier ; il eût dit que c'était la consécration du règne des manouvriers et des valets de ferme, qu'il avait en profond dédain.

Pour juger d'une époque, il faut bien la connaître et se placer au point de vue des contemporains ; or plusieurs principes admis aujourd'hui auraient offusqué et blessé nos pères. Tout ce qui est à démontrer par nous c'est que nos pères ont agi librement, souverainement, et qu'ils n'ont jamais subi cette domination fantastique dont vous voulez flétrir aujourd'hui leur mémoire.

Je prie les honorables membres auxquels je réponds, de me citer, dans le cours de ces deux siècles d'esclavage, un seul acte légal qui n'ait pas été consacré par le vote presque unanime des représentants de la nation.

Il y a quelque chose de plus : c'est que le gouvernement si clérical d'Albert et d'Isabelle était plus avancé que les populations de l'époque et que plusieurs de ses propositions ont été repoussées par ce qu'on appelait le pays légal.

La liberté réelle est celle qui ne gêne pas les consciences et qui respecte tous les intérêts. Nos pères en jouirent constamment. Le self-government en est la meilleure garantie. Ils l'eurent toujours, n'étant gouvernés que par eux-mêmes.

L'empereur d'Autriche n'était presque rien en Belgique ; il était simple duc, simple comte, simple marquis, et on le traitait comme simple duc, comme simple comte, dans toutes les circonstances importantes. Il n'avait presque rien à dire ; à peine 50,000 florins sortaient, par an, du pays pour la caisse impériale.

Pas un seul fonctionnaire qui ne fût Belge, de par la constitution ; pas un seul, dis-je, les gouverneurs exceptés ; dans le pays flamand, pas un seul fonctionnaire qui ne sût parfaitement le flamand et, dans quelques parties de la Belgique, pas un seul fonctionnaire qui ne fût né natif de la contrée où il avait à fonctionner.

Voilà bien la vérité.

Quant au despotisme dont vous parlez (interruption), où et comment exista-t-il ? Citez des faits, je n'en connais pas un. Vous avez de singulières idées sur nos pères ; vous leur attribuez une lâche mansuétude qu'ils ne montrèrent jamais.

Vous vous donnez parfois le plaisir de crier bien fort contre la révolution brabançonne, de la considérer comme une œuvre rétrograde indigne même des siècles du moyen âge.

Messieurs, cette révolution brabançonne, si injustement décriée, forme une des pages les plus intéressantes et les plus glorieuses de l'histoire de notre pays.

Le droit, le droit strict, était du côté des Belges ; tous les Belges étaient (page 344) unis ; il n'y avait de dissidents que les partisans de l'étranger ; il n'y avait de dissidents que les kaiserlichs, devenus ce que j'ai dit tout à l'heure.

Certes, les kaiserlichs, les impérialistes avaient pour prétexte (on en a toujours quand on défend de mauvaises causes) que Joseph II était un prince philosophe, qu'il voulait le progrès, et ils étaient pour Joseph II contre leurs compatriotes, qualifiés d'ennemis du progrès, trop attachés à ces vieilles lois du XIIIème siècle, à ces affreuses constitutions jurées à tort par l'empereur-duc.

Ainsi parlaient les amis de l'étranger, ces prétendus libéraux qui ne voyaient la liberté que dans la réglementation des intérêts religieux.

Toutes les innovations de Joseph II n'étaient pas bonnes ; certes, il en est dans le nombre que nous trouvons bonnes à présent, mais beaucoup sont frappées du coin de la tyrannie la mieux caractérisée.

Ah ! oseriez-vous encore, comme Joseph II, descendre dans les détails de la toilette des nonnettes ? (Interruption.) Oui, Joseph II s'est amusé pendant des mois à tailler lui-même le froc des moines et la robe des nonnettes et à imposer ses dessins, par la force, aux populations étonnées.

Je dis que beaucoup de ces innovations n'étaient pas bonnes, mais j'ajoute que, quand même elles l'eussent été, Joseph II n'avait pas le droit de les faire sans l'assentiment de la nation. N'a-t-il pas violé tous les droits des peuples belges, parmi lesquels le peuple flamand et le peuple brabançon se distinguèrent en première ligne ?

Quoi ! Joseph II jure, en 1780, sur les Evangiles (un serment très respectable pour l'époque et qui le restera bien longtemps encore, M. De Fré !), il jure sur les Evangiles de respecter la constitution, de la pratiquer, de la faire pratiquer dans son ensemble et dans tous ses détails, et il permet au peuple de lui refuser tout service, de lui résister, de se mettre en rébellion, s'il manque à quelqu'un de ses engagements. Il souscrit au « sinon non » de notre droit public. Puis il commet un parjure éclatant, avoué, humiliant pour la nation ; il dit que son serment ne tient pas ; il rompt seul un contrat synallagmatique, il délie le peuple et provoque les événements de 1780 et 1790.

Je me suis assez occupé de cette période de notre histoire pour que vous daigniez accorder quelque autorité a mes paroles. Je vous ferai cette confidence, que j'ai perdu bien des journées et des nuits, pendant plusieurs années, à examiner de près les événements de 1780 à 1792. J'ai recueilli et lu 5,000 ouvrages concernant la révolution brabançonne. (Interruption.) J'en ai le catalogue écrit de ma main, et je n'ai cessé ce travail herculéen et inutile que lorsque, j'ai appris d'une bouche très autorisée qu'il y en avait 7,000.

M. Bouvierµ. - Vous étiez presque au bout !

M. Coomans. - Je sais qu'a la bibliothèque de Bruxelles, il y en a à peu près 6,000 aujourd'hui.

Eh bien donc, messieurs, nos pères ont commencé unanimement, je vous prie d'en prendre acte, à réclamer contre les innovations plus ou moins philosophiques, mais, dans tous les cas, fort tyranniques de l'empereur-duc et comte.

L'opposition commença dès 1781 ; elle s'exerça légalement, pacifiquement jusqu'en 1789, sauf quelque sang répandu dans les émeutes à Louvain et ailleurs ; nos pères, fidèles par anticipation à la doctrine du fameux O'Connell, décidèrent de n'agir que légalement et ils multiplièrent les remontrances respectueuses, mais fermes.

Quand les moyens légaux furent épuisés, on fit ce que font tous les faibles qui se sentent forts, on se mit en rébellion, et l'on eut un plein succès.

Cette révolution finit assez misérablement, je pourrais me servir d'un adverbe plus dur encore, principalement à cause de l'insuffisance des hommes. Hélas ! pendant ces douze années, la Belgique n'eut que deux hommes dignes ou capables de conduire un peuple : Vonck et Vander Meersch. Mais qu'est-ce à dire ? Est-ce le succès qui légitime les actions des peuples et des hommes ? Vous n'oseriez pas le prétendre.

Si la révolution avait triomphé, si nous avions maintenu cette belle et libérale république de 1789, nous occuperions aujourd'hui tous ensemble, Flamands et Wallons, la première place dans l'histoire de la civilisation moderne, car nous aurions été unis, sages et libres. Le peuple belge était aussi capable que le peuple hollandais de former et de maintenir une république.

Nos républicains de 89 échouèrent, ayant tous les droits pour eux, et ils échouèrent devant deux choses presque irrésistibles : l'invasion de l'Autriche et l’attachement aux idées françaises.

En 1790, l'union de 89, commencée en 81, fut rompue. Beaucoup de Belges se séparèrent de la masse de leurs compatriotes et inclinèrent, les uns vers l'empereur d'Autriche, les autres vers le philosophisme français.

Nous échouâmes, mais avec honneur et gardant le bon droit pour nous ; ceci sera accordé par quiconque a étudié cette partie de notre histoire. Loin de regarder la révolution brabançonne comme inférieure à celles du moyen âge, dont l'honorable M. De Fré a fait tantôt l'éloge immérité, je la tiens pour juste, bonne, pour cent fois plus honorable que nos affreuses guerres civiles.

Je n'ai jamais admiré ces luttes dites glorieuses, mais funestes et stupides, des Flamands contre les Hennuyers et les Brabançons, des Brabançons contre les Liégeois et vice-versa, et je déplore que dans toutes nos écoles, toutes presque sans exception, on qualifie de glorieuses ces horribles dissensions, ces boucheries fratricides dans lesquelles près de deux millions de Belges s'entre-massacrèrent avec acharnement.

On devrait, au contraire, enseigner la véritable philosophie sociale et chrétienne à notre jeunesse, la prémunir contre les entraînements du faux patriotisme, atténuer l'antipathie naturelle des races et lui dire : « Tous ces beaux lutteurs du moyen Age, tous ces brillants héros plus chargés de préjugés que de fer, étaient des batailleurs animés peut-être d'intentions généreuses, mais c'étaient des patriotes a courte-vue, des patriotes de clocher, des fous trop passionnés, des imbéciles honorables, et gardez-vous bien, chers enfants, de les imiter. Ne partagez pas les haines stériles de ces preux de châteaux et de carrefours, de ces gentilshommes irritables, de ces bourgeois jaloux, qui se souciaient bien plus de se montrer Flamands, Gaulois ou Brugeois, que chrétiens raisonnables. »

Voilà ce qu'il faudrait enseigner à notre jeunesse, au lieu d'admirer des désastres lamentables, au lieu de passionner les Wallons contre les Flamands.

La révolution brabançonne fit le contraire des révolutions précédentes ; elle rassembla en un faisceau toutes les forces nationales, et, remarquez-le bien, c'est de cette époque que date le nom de Belgique. Les Etats-Belgiques-Unis furent son œuvre. Les Etats-Belgique»-Unis ! Le beau titre ! Ce n'était pas encore un substantif, mais nos pères en auraient fait un substantif, une substance, si on les avait laissés faire. C'est la révolution brabançonne qui a introduit la Belgique dans le droit public européen. Soyons justes : quelles qu'aient été les fautes de Vandernoot, cet homme actif et honnête, mais étroitement entêté, est le vrai précurseur de la nationalité belge. Il eut le premier l'idée et l'amour de notre indépendance, il la rendit populaire, il la fit accepter à Berlin, à La Haye et à Londres,

Les catholiques de 1789 furent même les vrais défenseurs de la liberté, car, selon moi, la liberté gît dans le pouvoir de faire ce qu'on veut. Ils ne concevaient pas cette liberté réformatrice qui consiste à obliger les gens à se. conformer à des mœurs, à des usages, à des lois peut-être, théoriquement meilleurs que les leurs, mais qui, n'étant pas de leur choix, les réduisaient à l'état d'esclaves.

Je suis heureux, que cette occasion se soit présentée de me décharger le cœur au sujet de ces insultes presque quotidiennes que l'on adresse à nos aïeux.

Il est faux que jamais, à aucune époque de notre histoire, l’étranger ait pesé sur nos provinces. Sa domination n'a été que nominale ; chose remarquable, ce sont des princes belges qui ont essayé de tyranniser la Belgique. (Interruption.) La Belgique n'a jamais été tyrannisée que par des Belges.

Philippe le Bon, Charles-Quint, voilà les vrais oppresseurs auxquels vous devriez vous abstenir d'élever des statues. Ceux qui ont respecté notre liberté, ce sont des princes étrangers.

- Un membre. - Philippe II ?

M. Coomans. - Philippe II était Belge, Je le regrette, aussi je le joins à Philippe de Bourgogne et à Charles-Quint. Nous voilà d'accord en ce point.

Albert et Isabelle n'étaient pas Belges. Toute la série des souverains autrichiens n'étaient pas Belges. Tous ces princes-là se sont bien conduits en Belgique. La preuve en est la popularité immense et réelle dont ils ont joui et dont plusieurs jouissent encore ; tandis que nulle part Philippe II n'est populaire en Belgique, et je regrette que Charles-Quint le soit à Gand. Il est vrai que ce n'est que dans les classes élevées et officielles qui lui ont érigé des statues et qui ont donné son nom à une des plus belles rues de Gand ; mais le peuple ne dit pas : rue Charles-Quint, il dit : d'Arlequin-straat (interruption), et les Gantois ont bien raison.

Messieurs, comme je ne suis ici que pour exprimer ma pensée à moi et comme je considère de mon devoir de ne pas la dissimuler, voici mon opinion sur la formation ethnologique de ce royaume.

J'attache peu d'importance à la distinction des nationalités, des races et des langues. Je ne crois point qu'un peuple doive être homogène pour être bien gouverné. Je suis bien plutôt tenté de croire, au contraire, que quand il y a dans un Etat deux ou trois races, deux ou trois langues, la lutte bienfaisante qui existe entre elles s'opère et se résume toujours au profit de la liberté.

(page 345) Ce sont les gouvernements homogènes, trop homogènes, et les populations trop homogènes qui sont toujours tentés de faire du despotisme.

Ainsi voyez la Suisse, voyez la Hollande, voyez les Etats-Unis. Ces peuples, quoique formés de races différentes et parlant des langues différentes, s'entendent bien sur le terrain de la liberté.

La Belgique est dans une admirable situation pour prospérer à tous les points de vue, pour devenir l'honneur de la civilisation ; mais, je le reconnais avec d'honorables amis, la condition sine qua non c'est que la justice, c'est que la liberté président à toutes les actions gouvernementales.

La liberté est le terrain neutre sur lequel toutes les difficultés se résolvent facilement, naturellement, forcément.

Quelle que soit la composition d'un peuple, avec la liberté, l'état social pourra devenir prospère et pacifique, mais il faut que la justice y préside, il faut que mes chers compatriotes wallons se débarrassent d'une idée très fausse et très dangereuse, à savoir, que les griefs des Flamands sont imaginaires. Il n'en est rien. Ces griefs sont réels. Je pourrais le démontrer, car je puis attester personnellement l'exactitude de la plupart des assertions produites par mes honorables amis. Mais je dirai au gouvernement que quand même ces griefs seraient imaginaires, son devoir serait encore de s'en préoccuper, car, en politique, un préjugé a la valeur d'un fait.

Eh bien, le fait est, M. le ministre, que sur dix Flamands, il y en a neuf (interruption), j'en connais plus que vous, qui donneront raison aux honorables députés d'Anvers contre nos six ministres.

Il est une accusation produite tout à l'heure par l'honorable M. Pirmez, qui provoque une réponse. L'accusation est très grave : C'est nous qui avons créé l'agitation flamande.

On a la gracieuseté de ne pas nous dire pourquoi, mais le sous-entendu est clair : Nous avons besoin d'un thème quelconque pour nous en servir contre le ministère, auprès de nos électeurs, dans un intérêt de parti, je ne sais lequel.

Messieurs, il n'en est rien ; l'agitation est réelle et nous en sommes, nous, très innocents ; en voulez-vous une preuve, M. le ministre ? Je suis persuadé que vous me considérez comme un ultra dans le mouvement flamand ?

MiPµ. - Je n'en sais rien.

M. Coomans. - Oh ! si ; quelques-uns de vos collègues me l'ont dit. Enfin, n'importe ; je suis persuadé que beaucoup de membres ici croient que je suis un des agitateurs dans le mouvement flamand.

Or, la vérité est celle-ci : c'est que je passe, dans l'arrondissement que je représente, pour un défenseur très tiède, très insuffisant de la cause flamande.

Il y a quelques années, plusieurs honorables collègues proposèrent d'obliger tous les notaires du royaume à faire preuve de la connaissance de la langue flamande. Je pris la liberté grande, trop grande aux yeux de bon nombre d'électeurs, de dire que je croyais la proposition excessive, qu'on devait, selon moi, se borner à exiger une parfaite connaissance du flamand des notaires en pays flamand, mais que je ne voyais pas la nécessité d'obliger tous les notaires du royaume à apprendre la langue flamande.

Eh bien, messieurs, cette réserve, modérément formulée par moi, a été tournée contre moi, et les libéraux de Turnhout m'en ont fait un crime !

Mais les Flamands ont bien d'autres griefs ; on nous met au défi d'en citer, et l'on a tort.

Je déclare, et on me fera l'honneur de me croire sur parole, que beaucoup de fonctionnaires du pays flamand ne savent pas assez le flamand pour se mettre en relation intime avec leurs administrés ; en second lieu, que beaucoup de juges considérés comme sachant le flamand le savent si peu qu'ils supplient les avocats de ne pas employer cette langue, ce qui nécessairement engage les avocats à s'en abstenir, car l'avocat tient beaucoup moins à parler le flamand qu'à gagner sa cause.

Au sujet de l'enseignement, les Flamands ont aussi à se plaindre. Tous les programmes sont rédigés au profit de la langue française et l'on tâche de supprimer autant que possible l'instruction flamande.

Quant à l'armée, n'est-il pas incontestablement vrai qu'aucun Flamand ne peut devenir sergent ni même caporal, s'il ne sait le français ? Eh bien, cela est excessivement grave, puisqu'on peut devenir le plus grand conquérant du monde en ne sachant qu'une langue, le flamand par exemple. Il ne m'est pas démontré que les officiers hollandais qui ne savent pas le français sont inférieurs, militairement parlant, aux nôtres.

A propos de la Hollande, M. le ministre de l'intérieur, qui se plaît dans des animations très risquées, a prétendu que le droit, n'étant formulé qu'en français, n'est pas du tout accessible au Flamand, que les grands ouvrages de droit n'existent pas en flamand.

L'erreur est incroyable de la part d'un homme aussi instruit que M. le ministre.

Je connais des avocats hollandais très distingués qui ne savent pas un mot de français ; je connais également des officiers hollandais qui ne connaissent que leur langue. Evidemment, cela ne fait pas leur éloge, n'allez pas m'attribuer cette sottise, mais je constate que la connaissance du français n'est pas du tout indispensable pour devenir un avocat distingué. Des centaines d'ouvrages de droit existent en langue néerlandaise, laquelle sert à l'enseigner. Même remarque pour les provinces rhénanes.

Je suis persuadé que beaucoup de membres de cette assemblée pensent qu'il est impossible, en Belgique, d'apprendre le droit sans savoir le français et que l'enseignement des langues anciennes doit se faire en français.

Eh bien, messieurs, permettez-moi ce petit détail. J'ai fait en flamand toutes mes études ; tout l'enseignement que j'ai reçu, humanités, mathématiques, histoire, géographie, grec, latin et quelques autres choses encore, tout cela, je l'ai appris en flamand. (Interruption.) Oui, on m'a enseigné le droit en latin et en hollandais. (Nouvelle interruption.) Par exemple, c'est un peu fort d'oser me dire, à moi, qui ai passé dix ans sur des bancs de toutes sortes d'écoles, que j'ai oublié dans quelle langue j'ai appris le peu que je sais !

Mais, messieurs, il y a quelque chose de plus fort encore ; c'est que l'enseignement de la langue française était défendu dans les écoles que j'ai fréquentées. Je parle naturellement d'une époque antérieure à 1830, car je date malheureusement de cette époque-là. (Interruption.) Je dis « malheureusement » au point de vue de l'âge, car cette époque n'était pas pire que celle-ci.

Je vous engage donc, messieurs, à retirer votre dénégation, car elle me prouverait de deux choses l'une, et toutes deux me seraient également désagréables : c'est que vous poussez loin l'audace du démenti ou que j'ai perdu la mémoire. L'usage de. la langue française était en quelque sorte défendu dans le collège de Gand.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si vous voulez, je vous donnerai des cours d'université en latin.

M. Coomans. - Je ne dis pas qu'on n'enseignait pas le droit français en latin, puisqu'on l'a enseigné ainsi sous mes yeux ; mais je dis que la plupart des professeurs étaient Hollandais, que les commentaires verbaux se donnaient en hollandais et que le français était généralement proscrit des écoles primaires et moyennes du gouvernement néerlandais.

Chez nos voisins du Nord, le droit français est enseigné en flamand, et il l'est en allemand dans les provinces rhénanes.

J'ajouterai que je n'y ai jamais appris le français, que je n'ai jamais eu de maîtres de français, et cela par une excellente raison, c'est que, fils d'un fonctionnaire public, j'ai dû, sous ce gouvernement soi-disant libéral, fréquenter les écoles du gouvernement, sous peine, pour mon père, de perdre sa place.

En résumé, il est inique, dangereux et faux de présenter nos pères comme ayant été gouvernés par des tyrans. Soyons aussi bons citoyens qu'eux, et nous jouerons un rôle honorable dans le monde. Il est temps et plus que temps que vous donniez satisfaction aux populations flamandes. La plupart de leurs griefs sont réels et insupportables. Le remède est urgent.

MiPµ. - Lequel ?

M. Coomans. - On en a indiqué plusieurs, mais il est 5 heures 10 minutes ; je vous développerai cela une autre fois.

Composition des bureaux des sections

M. Van Humbeeck. - Les bureaux des sections pour le mois de février se sont constitués comme suit.

Première section

Président : M. Vleminckx

Vice-président : M. Van Cromphaut

Secrétaire : M. Van Humbeeck

Rapporteur de pétitions : M. de Zerezo de Tejada


Deuxième section

Président : M. Ansiau

Vice-président : M. de Vrints

Secrétaire : M. Elias

Rapporteur de pétitions : M. Dethuin


Troisième section

Président : M. Muller

Vice-président : M. de Maere

Secrétaire : M. Couvreur

Rapporteur de pétitions : M. Bieswal


Quatrième section

Président : M. Lefebvre

Vice-président : M. Le Hardy de Beaulieu

Secrétaire : M. de Montblanc

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Cinquième section

Président : M. Jonet

Vice-président : M. Lesoinne

Secrétaire : M. Descamps

Rapporteur de pétitions : M. Beke


Sixième section

Président : M. Thonissen

Vice-président : M. Kervyn de Lettenhove

Secrétaire : M. Preud’homme

Rapporteur de pétitions : M. Lambert

- La séance est levée à 5 heures et un quart.