(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 321) M. Liénartµ fait l'appel nominal à 2 1/2 heures.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture des procès-verbaux des deux dernières séances ; la rédaction en est adoptée.
Il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Bruxelles demandent qu'on mette à la retraite les fonctionnaires ressortissant au département de l'intérieur et qui sont âgés de 75 ans. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Alexandre Kurtz, propriétaire a Bruxelles, né à Varsovie, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre, de la justice.
« Les instituteurs communaux du canton de Rochefort proposent des mesures pour améliorer leur position. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de. Tournai demandent l'établissement d'un train partant de cette ville pour Bruxelles entre 7 et 8 heures du matin. »
M. Allard. - Cette pétition présentant un caractère d'urgence, je demande que la commission des pétitions soit priée d'en faire l'objet d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur et la dame Jevenois demandent que M. le ministre de la justice prenne une décision au sujet du legs fait au bureau de bienfaisance de Mons par Mlle Boulanger de la Hainière, »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Ruykhoven, Beeck, etc., demandent que ces hameaux ne soient pas détachés de la commune de Bilsen, dont ils font partie. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Gand demandent la réorganisation des corps de musique militaires et une amélioration de position pour le personnel de ces corps. »
- Même renvoi.
« M. le ministre des affaires étrangères transmet un exemplaire de l’Histoire politique des Pays-Bas dont l'auteur, M. de Bosch-Kemper, l'a prié de faire hommage en son nom a la Chambre des représentants.
- Dépôt à la bibliothèque.
« MM. Julliot, Dethuin, Descamps, d'Elhoungne, Crombez, Orts, A. Vandenpeereboom et De Lexhy demandent des congés pour cause d'indisposition ou d'affaires. »
- Ces congés sont accordés.
M. le président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu le tirage des sections de février ; il sera procédé à cette opération à la fin de la séance. Vient ensuite la reprise de la discussion du budget de l'intérieur.
MfFOµ (pour une motion d’ordre). - M. le ministre de l'intérieur est retenu chez lui par une indisposition ; nous pensons cependant qu'il n'y a pas d'inconvénient a ce que la discussion de son budget continue : mon honorable collègue espère qu'il pourra assister à la séance de demain. Cependant, pour le cas fort improbable où il ne pourrait en être ainsi, je crois que, dans l'intérêt des travaux de la Chambre, on ferait bien, pour cette éventualité, d'annoncer pour demain la discussion du projet de loi portant abolition de la contrainte par corps. De cette manière, les travaux de la Chambre ne seraient pas entravés. Toutefois, je le répète, j'espère que mon honorable collègue pourra se rendre à la séance de demain.
M. le président. - Je dois faire remarquer que le projet de loi portant abolition de la contrainte par corps est un des premiers à l'ordre du jour ; il n'a avant lui que le budget de l'intérieur et le budget de la guerre. Or, l'honorable chef du département de la guerre est également indisposé ; de sorte que l'absence de M. le ministre de l'intérieur à la séance de demain amènerait naturellement en premier ordre la discussion du projet de loi sur la contrainte par corps.
MfFOµ. - Je n'ai fait mon observation que pour avertir la Chambre et prévenir l'objection tirée de ce qu'on ne serait point préparé a la discussion du projet de loi sur la contrainte par corps. Il est donc possible que cette discussion vienne demain.
M. de Maere. - J'ai dit, dès le début de mon discours sur la question flamande, que, dans l'étude des problèmes sociaux, c'était une nécessité évidente de prendre les faits pour base et pour règle ; qu'aucune théorie, qu'aucune idée générale ne pouvait avoir de valeur qu'autant qu'elle fût sortie, en quelque sorte du sein même des faits.
J'ai dit que j'aurais recherché, recueilli et tâché de mettre en lumière, ce qui s'était passé au point de vue du mouvement social en Belgique et plus particulièrement dans les deux grandes fractions du pays qui constituent, l'une, le groupe flamand ; l'autre, le groupe wallon.
J'ai reporté la date de mes recherches au jour même de notre émancipation politique et je les ai poursuivies, sans interruption aucune, jusqu'à la dernière publication statistique officielle.
C'était un devoir, messieurs. C'est, en effet, un devoir pour tous ceux qui s'occupent de statistique, à quelque point de vue que ce soit, d'élargir autant que possible la base de leurs opérations, de multiplier autant que possible le nombre de leurs recherches et de leurs observations. C'est un devoir plus rigoureux encore pour ceux qui s'occupent de cette science encore nouvelle qui s'appelle la statistique morale et qui n'est autre que l'application de la théorie des probabilités aux phénomènes sociaux.
La Chambre se rappellera peut-être à quels résultats désastreux et affligeants je suis arrivé pour celui de ces deux groupes qui renferme les populations flamandes. J'ai été amené à constater que l'infériorité de ce groupe, à tous les points de vue de la civilisation, tant dans l'ordre intellectuel et dans l'ordre moral que dans l'ordre social, était évidente, indiscutable et dépassait toute mesure.
Voilà, en effet, comment je me suis exprimé :
« Dans les quatre provinces méridionales, l'accroissement de. la population, ce critérium de toute prospérité, a été triple de ce qu'il a été dans les quatre provinces septentrionales. Non seulement la densité de la population a augmenté dans ce rapport considérable, mais avec elle tous les phénomènes qui s'y rattachent et qui indiquent un état social plus perfectionné.
« L'écart entre l'instruction des. deux masses n'est pas moins frappant, soit que l'on considère, la quantité ou la qualité des écoles, le nombre des élèves qui les fréquentent, ou la somme d'instruction qu'ils y reçoivent.
« Les chiffres que j'ai cités le démontrent à toute évidence.
« Et quant à la moralité publique, n'est-il pas prouvé aussi que pour tous les degrés du délit et du crime, depuis le simple vol jusqu'à l'assassinat, qu'à tous les âges de l'homme, depuis le jeune délinquant jusqu'au récidiviste endurci, la proportion des provinces flamandes aux provinces wallonnes varie du simple au double, au triple, au quintuple ?
« Si l'on considère, enfin, l'état social des individus, si l'on consulte, (page 322) d'une part, ce que j'appellerai les tableaux de la richesse individuelle, c'est-à-dire les listes électorales, et d'autre part, les tableaux de la misère officielle, à savoir, les comptes des bureaux de bienfaisance, ne découvre-t-on pas qu'à ce point de vue encore l'infériorité du groupe flamand vis-à-vis du groupe wallon dépasse toute mesure ? »
Je suis arrivé, je tiens à le redire, à ce résultat, en donnant à mes recherches la plus grande somme de stabilité, de précision, de certitude possible, c'est-à-dire, en opérant sur la plus longue période uniformément renseignée qu'il m'était donné d'examiner.
Cette période, pour le mouvement de la population et celui de la criminalité s'étendait de 1830 à 1860.
Quant aux renseignements relatifs à l'instruction publique, ils sont extraits du dernier rapport triennal qui avait paru à l'époque où je parlais, et qui s'arrête, comme vous le savez, à l'année 18063.
J'ai été empêché, il m'a été défendu d'aller au delà, non pas que les renseignements ultérieurs manquent, mais ils sont épars dans beaucoup de statistiques officielles distinctes ; ils ne sont pas recueillis, coordonnés, présentés de la même manière ; ils ne sont pas ramenés à une formule unique.
Or, rien n'est plus dangereux, plus inexact, plus puéril même, pour des calculs du genre de ceux qui nous occupent, que de puiser à droite et à gauche ; de prendre un chiffre tantôt ici et tantôt là.
Je n'ai pas voulu procéder de la sorte ; je n'ai pas quitté un seul instant le terrain sûr et stable que j'avais tout d'abord choisi, ou plutôt que j'avais tout d'abord été forcé de prendre.
Et, chose singulière ! c'est précisément cette façon de faire si rationnelle, si équitable, si loyale même, qui m'a valu le premier reproche de l'honorable M. Kervyn.
En effet, que dit l'honorable membre ?
« Dans ses recherches statistiques, l'honorable M. de Maere a embrassé un grand nombre d'années, c'est le premier reproche que je dois lui faire. »
Maintenant, je vous le demande, messieurs, est-ce qu'en statistique l'erreur ne décroît pas en raison du nombre plus grand d'observations faites ? Les probabilités deviennent des certitudes absolues lorsque le nombre des observations faites est infini ; les probabilités deviennent des certitudes pratiques, quand le nombre des observations est considérable. Mais ouvrons le premier livre d'arithmétique sociale venu et nous y verrons cette vérité, comme toutes les vérités mathématiques, traduite en formule.
« Les statisticiens disent que la précision croît avec la racine carrée du nombre des observations. » Ce qui veut dire, dans l'espèce, qu'a priori, pour tout homme de science, mes chiffres, par cela même qu'ils s'étendent à une période de trente-six années, doivent avoir six fois plus de valeur que ceux de l'honorable M. Kervyn, qui ne se rapportent qu'à une année seulement.
Mais, dit l'honorable membre, M. de Maere n'a pas tenu compte de ce fait considérable, de ce fait capital qui domine toute la situation en Flandre, à savoir : la crise épouvantable que la population a traversée en 1846.
Eh bien, non, messieurs, je n'ai pas tenu compte de ce fait ; je n'ai pas dû en tenir compte, je le savais d'avance. Je savais qu'un fait accidentel et passager, quelque violent, quelque énergique qu'il soit, n'est pas de nature à infirmer sensiblement à modifier profondément des résultats généraux, alors que ceux-ci s'étendent à une longue période d'années. Je vais le prouver.
Je. me suis rendu à l'observation de l'honorable M. Kervyn et j'ai défalqué des chiffres que j'avais donnés, tout ce qui se rapporte à la crise flamande ; non seulement l'année 1846, la première de la crise, mais aussi l'année 1847 et encore l'année 1848 (j'ai voulu être large), et voici les résultats auxquels je suis arrivé. J'ai trouvé, que pour le groupe flamand le nombre des condamnations à mort qui se rapportent à ces trois années, était de 93, à savoir : en 1840, 44 ; en 1847, 20 ; en 1848, 31. J'ai trouvé, d'autre part, que le total qui se rapporte, pour les mêmes années, au groupe wallon, était de 18.
Or, j'avais dit que de 1830 à 1860, crise comprise, il y avait eu, dans le groupe flamand, 493 condamnations à mort, contre 168 pour le groupe wallon. Eh bien, je défalque les années de crise et je trouve que le groupe flamand a donné, pour cette période de 30 années, 398 condamnations à mort et le groupe wallon 150. Ce qui fait que le rapport, au lieu d'être de 3 à 1, descend à 2.7 à 1.
J'ai poussé plus loin mes calculs et j'ai défalqué de la même manière les chiffres qui se rapportent aux assassinats proprement dits et aux incendiaires condamnés à mort (dont j'avais donné un relevé spécial), et voici ce que je trouve : c'est qu'avec la crise il y avait eu dans le groupe flamand 136 condamnations à mort du chef d'assassinat et dans le groupe wallon 45, ce qui faisait un rapport exact de 3 à 1. En défalquant ce qui se rapporte aux années 1846, 1847 et 1848, les totaux respectifs deviennent 125 et 40 ; c'est-à-dire, chose singulière, que le rapport augmente ; en d'autres termes, dans les années de calamité dont je parle, il y a eu relativement moins d'assassinats dans les Flandres, mais les attentats contre la propriété ont augmenté dans une proportion complémentaire.
Pour les incendiaires, le rapport que j'avais donné était de 4 à 1, à savoir 140 condamnations à mort du chef d'incendie dans le groupe flamand contre 35 dans le groupe wallon. Eh bien, en tenant compte de la crise, je trouve que ce rapport de 4 à 1 descend à 3 1/2 à 1. Je vous le demande, cela est-il de nature à modifier mes conclusions ? Evidemment non ! Et l'observation de l'honorable membre prouve une fois de plus la précision et l'exactitude des renseignements et des chiffres que j'ai fournis à la Chambre.
L'honorable, membre passe ensuite à l'instruction. Il dit que, comme moi, il examinera cette matière avec la plus grande attention. Et cependant, remarquez-le, messieurs, déjà son point de départ est faux. Il m'accuse d'avoir argumenté principalement des résultats que nous donnaient les recensements des conseils de milice.
C'est inexact, j'ai argumenté surtout de la qualité et de la quantité des écoles qui se trouvaient en Flandre et voici encore textuellement ce que j'ai dit :
« En 1860, les 892 communes du groupe flamand contenaient 2,207 écoles primaires, dont 936 écoles communales et 821 écoles entièrement libres. Les 1,308 communes des provinces wallonnes possédaient en tout 2,538 établissements, dont 1,798 écoles communales et seulement 370 écoles libres ; c'est-à-dire que, dans les Flandres, sur 100 écoles primaires, il y avait 42 écoles communales, et que, dans les provinces wallonnes, ce rapport était de 71 p. c. ; ce qui veut dire, en d'autres termes, que la valeur de l'instruction d'un groupe à l'autre est de 4 à 7, en chiffres ronds, du simple au double.
« Par 1,000 habitants, le nombre total des écoles, toutes les catégories comprises, va de 10 à 15 ; il est en particulier, pour le Luxembourg, du double de ce qu'il est dans la Flandre orientale ; du. triple de ce que possède la province d'Anvers. »
Eh bien, messieurs, le dernier rapport triennal, qui vient de paraître, ne modifie pas sensiblement le résultat que j'ai indiqué. Voici, en effet, ce que j'y trouve : c'est qu'en 1866 le nombre des écoles libres qui se trouvaient dans le groupe flamand était de 750 contre 439 écoles de même nature qui existaient dans le groupe wallon.
Or, messieurs, c'est là le mal. Je crois que l'ignorance est plus grande, dans les Flandres, précisément à cause du nombre plus grand d'écoles libres, affranchies de toute inspection, qui s'y trouvent. (Interruption.)
Je m'attendais à ces réclamations, mais il n'en est pas moins vrai que j'ai raison. Je vais le démontrer. Commençons par le groupe flamand.
Le Limbourg se trouve au haut de l'échelle. Dans le Limbourg, il n'y a que 49 écoles libres ; la cote d'instruction y est de 0,71.
Arrive en deuxième ligne la province d'Anvers, qui renferme 198 écoles libres et où le degré d'instruction descend à 0,59.
Puis viennent les deux Flandres, la Flandre occidentale avec 223 écoles libres et une cote d'instruction de 0,42, et la Flandre orientale avec 290 écoles libres et un degré d'instruction montant à 0,40.
Les mêmes faits se passent dans le groupe wallon. Le Luxembourg n'a que 17 écoles libres et il se trouve en tête pour le degré d'instruction qui est de 0,85.
Puis vient la province de Namur qui n'a que 42 écoles libres et dont la cote d'instruction est de 0.84.
En troisième lieu, nous avons la province de Liège qui a 155 écoles libres avec un degré d'instruction de 0,60.
Enfin le Hainaut, possédant 225 écoles libres et une cote d'instruction de 0,55.
Vous le voyez, messieurs, la loi est égale pour les deux groupes et j'ai eu raison de dire que c'est le grand nombre d'écoles libres qui cause en partie l'ignorance des populations.
Je ne me suis donc, comme je le disais tout à l'heure, occupé des renseignements fournis par les conseils de milice qu'en ordre subsidiaire. Voici comment je me suis exprimé :
« Si l'on consulte une autre source de renseignements, si l'on s'adresse à la statistique donnée par les conseils de milice, on obtiendra des résultats encore plus concluants.
« En effet, d'après un des derniers tableaux publiés, celui de 1864, le rapport du degré d'instruction, c'est-à-dire le nombre de militaires incorporés qui ont pu signer la déclaration de lecture des lois militaires, était (page 323) pour les provinces flamandes de 45 p. c, pour les provinces wallonnes de 70 p. c, ; de 17 p. c. seulement pour la Flandre occidentale, alors qu'il était de 86 p. c. pour le Luxembourg, c'est-à-dire du quintuple. La Flandre orientale donne 31 p. c, la province de Namur 82 p. c.
« Ainsi, messieurs, en 1864, alors que la loi sur l'instruction primaire fonctionnait depuis bientôt un quart de siècle, il se trouvait encore en Belgique une province peuplée de 666,000 Ames où, sur 100 hommes incorporés, 83 marquaient d'une croix la pièce qu'ils ne savaient ni lire, ni signer. »
L'honorable M. Kervyn conteste mes calculs et il dit : Les chiffres fournis par l'honorable M. de Maere ne sont pas, ne peuvent pas être exacts, et je vais le démontrer immédiatement. »
Il a puisé, dit-il, ses données dans le tome X du Recueil des renseignements statistiques.
« Or, je trouve, moi, dans le tome XII de la même publication que dans la Flandre occidentale la moyenne d'instruction est de 42 p. c. au lieu d'être de 17 p. c, comme l'a dit l'honorable M. de Maere. »
Mais, messieurs, si je rétorquais cet argument, si je disais : Les chiffres puisés par l'honorable M. Kervyn dans le tome XII ne sont pas exacts, puisque ceux du tome X sont bien différents.
(erratum, page 346) M. Kervyn de Lettenhove. - Voyez les chiffres du tome XI ; ils sont les mêmes.
M. de Maere. - Mais non. D'ailleurs vous ne vous êtes pas contenté de ces 42 p. c, vous les avez élevés à 65 p. c. et voici comment vous avez fait. Au nombre des miliciens sachant lire et écrire, vous avez ajouté celui des miliciens qui se sont fait remplacer. Ceux-ci, disiez-vous, ayant les moyens pour s'exonérer du service militaire, peuvent être considérés comme ayant reçu une certaine instruction, et je puis les ranger parmi ceux dont les connaissances sont déjà constatées.
Mais en opérant de la sorte vous quittiez le terrain sur lequel je m'étais placé, et vous entriez dans une catégorie de citoyens supérieurs de condition sociale à ceux (les incorporés) dont je m'étais occupé.
Je vous le demande, cela est-il sérieux ?
Pourquoi alors, vous élevant de catégorie sociale en catégorie sociale, n'êtes-vous pas allé jusqu'aux éligibles au Sénat ? Là vous auriez trouvé apparemment que sur 100 citoyens inscrits, 100 savent lire et écrire !
Et, alors moi, si, de mon côté, je vous opposais les rapports de la chambre de commerce de Roulers et si je vous faisais voir que sur 1,000 ouvriers dans le ressort de cette chambre de commerce, 850 ne savent ni lire ni écrire ; si je vous disais que sur la population totale de la ville de Roulers 70 p. c. sont complètement illettrés, nous n'arriverions évidemment jamais à nous entendre.
Je passe, messieurs, à la criminalité.
Je crois, qu'après la réponse que j'ai déjà faite à l'honorable M. Kervyn, a la séance même où il a traité cette question pour la première fois, il est inutile que je reproduise les chiffres que j'ai donnés alors. J'ai indiqué les colonnes, les tableaux, les pages, les tomes et le titre même de la publication officielle où j'ai puisé mes renseignements. Chacun de vous a pu vérifier l'exactitude de mes assertions.
Cependant, il est une observation de l'honorable membre que je dois rencontrer.
Prenant pour base une seule année, l'année 1867, il a dit que dans cette année, il n'y a eu en Belgique que 34 attentats contre les personnes et 111 crimes contre les propriétés.
Il a ajouté que le groupe flamand comprend le tiers de la population totale du pays, puis, présentant des chiffres propres à ce groupe, il a conclu en affirmant que la criminalité est moindre dans les Flandres que dans le reste de la Belgique. Il prend plus spécialement à partie la province de Luxembourg, et, la comparant à celle de la Flandre occidentale, il nous apprend que le Luxembourg, malgré le haut degré d'instruction dont il jouit, a dépassé, en 1867, la moyenne de la criminalité belge, et que les Flandres, au contraire, sont restées bien au-dessous de cette même moyenne.
Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir la vérité, voulez-vous connaître la réalité des faits ? J'ouvre le second volume de l'exposé décennal du royaume, dont j'ai déjà parlé. Je ne vous donnerai pas, moi, les résultats d'une année unique et qui, dès lors, ne peuvent avoir aucune valeur sérieuse, mais le résumé de la dernière période décennale, 1850 à 1860, et voici ce que j'y trouve :
Dans la Flandre occidentale, il y a eu dans cette période 850 accusés traduits devant la cour d'assises contre 71 dans le Luxembourg. Le nombre des condamnés à mort a été dans la Flandre occidentale de 72, et dans le Luxembourg de 10 ; le nombre des condamnés aux travaux forcés à perpétuité ; Flandre 100 ; Luxembourg, 13 ; le nombre des condamnés aux travaux forcés à temps : Flandre, 301 ; Luxembourg, 6,
Voilà la vérité, vous le voyez, messieurs ; elle s'éloigne singulièrement de cette espèce de mirage que nous a fait entrevoir M. Kervyn.
En finissant son discours, mon honorable contradicteur retourne à la question de la population, que j'avais traitée en premier lieu :
« Mais il y a, dit-il, dans cette question de la population un autre élément dont l'honorable M. de Maere n'a pas tenu compte. Il fallait rechercher d'abord si le nombre des enfants légitimes n'était pas plus considérable en Flandre qu'ailleurs ; si, au contraire, celui des enfants nés hors mariage ne l'était pas moins. C'est ce que l'honorable M. de Maere n'a pas fait, et cependant il y avait là un élément important pour la question de moralité. »
Eh bien, non, messieurs, je n'ai pas fait cette recherche, je n'ai pas eu à la faire. Jamais, le grand nombre d'enfants légitimes, jamais la fécondité des mariages n'ont été considérés comme un critérium de la moralité publique. A ce compte, les pères de famille qui auraient le plus grand nombre d'enfants seraient les hommes les plus vertueux, ceux qui en ont le moins, ceux surtout qui n'en ont pas du tout seraient les hommes les plus immoraux de la terre ! Cela n'est pas sérieux.
Pas plus sérieux n'est l'argument tiré des naissances illégitimes.
Il est certain que dans les grandes villes, dans les grands centres de civilisation, les naissances illégitimes par rapport aux naissances totales sont bien plus nombreuses que dans les campagnes.
On trouve à Paris 1 enfant illégitime sur 3 naissances, à Vienne 1 sur 2, à Stockholm 1 sur 2, à Milan et à Florence 1 sur 4, et ainsi de suite.
Evidemment encore, ces faits ne constituent pas une preuve contre la civilisation ni même contre la moralité d'une nation donnée.
Et maintenant, messieurs, que j'ai répondu point par point aux objections qui m'ont été faites et que j'ai rencontré tous les reproches que m'a adressés l'honorable M. Kervyn, je le demande à la Chambre, qui de nous deux a raison ? J'insiste, et en raison même de la haute et légitime autorité qui s'attache aux paroles de M. Kervyn, en raison aussi de la position que certaine presse cherche à me faire en Flandre, et qui me traite d'insulteur et de calomniateur public et qui ameute contre moi les populations au milieu desquelles je suis obligé de passer ma vie ; je m'adresserai à la loyauté de mon honorable adversaire et je lui demande : En quoi me suis-je trompé ? En quoi ai-je voulu tromper la Chambre ?
Ai-je produit un seul chiffre inexact, ai-je fait un seul calcul erroné ai-je présenté un seul groupement de nombres dans le dessein de faire prévaloir une idée préconçue ; ou, les données officielles à la main, les suivant pour ainsi dire pas à pas, me suis-je borné à exposer la situation intellectuelle et morale des populations flamandes, telle qu'elle se révélait sous l'empire des faits, des faits seuls ? Ai-je cherché à colorer le tableau, ou me suis-je contenté de vous donner le contour exact, froid et sec, le contour, en quelque sorte, géométrique de la civilisation flamande ?
Je n'ai pas voulu vous émouvoir, j'ai voulu vous convaincre.
Si j'avais voulu assombrir le tableau, je vous aurais parlé de l'état sanitaire des Flandres, Je vous aurais lu certains chapitres d'un livre plein de science et d'autorité, dû à un homme des plus compétents, à un de nos médecins les plus distingués. Je ne l'ai pas fait alors, mais je le ferai aujourd'hui et ce sera votre punition. (Interruption.)
Le volume que j'ai à la main est la Topographie médicale de la Belgique, publiée par le docteur Meynne. L'ouvrage a été couronné au concours quinquennal des sciences médicales pour la période de 1861-1865. Voici ce que je lis au chapitre V, qui comprend l'étude, la statistique comparative, sur l'état sanitaire des diverses provinces du royaume. La section première s'occupe du mouvement de la population, et l'auteur arrive exactement aux mêmes conclusions, aux mêmes résultats que ceux que j'ai indiqués ; je n'insisterai donc pas sur ce point et je ne lirai pas cette partie du travail.
Mais je passerai au paragraphe 74, page 101, qui s'occupe de la milice et plus particulièrement de la milice au point de vue physique et sanitaire. Voici ce qu'il porte :
La proportion relative des exemptions de la milice est dans le groupe flamand, de 280 sur 1,000 examinés ; dans le groupe wallon, de 150 sur 1,000 examinés, c'est-à-dire du double.
La différence, ajoute l'auteur, entre les diverses provinces est remarquable, saisissante ; on voit que les infirmes et les malades sont presque deux fois aussi nombreux dans la zone septentrionale et que, par une coïncidence extraordinaire, ce sont toutes les provinces flamandes qui ont un désavantage marqué sur les provinces wallonnes.
Les constitutions faibles se rencontrent dans le rapport suivant, sur mille miliciens de contingent : groupe flamand 119 ; groupe wallon 25. Le rapport est donc du quintuple ; il varie de 3 à 1.
L'auteur passe ensuite aux maladies dyscrasiques, ou par vice (page 324) constitutionnel, et il arrive a ce résultat, que sur mille miliciens le groupe flamand donne 61, le groupe wallon 29 exemptions ; soit encore une fois le double.
Les difformités tenant à des causes constitutionnelles, vices de sang, vices d'hérédité, se trouvent dans la proportion ci-dessous.
Sur 1,000 miliciens : groupe flamand, 134 ; groupe wallon, 92 ; soit de 13 à 9.
Les données sur les petites tailles viennent encore confirmer tout ce qui précède. Les rapports de milice nous indiquent que pour la période quinquennale de 1851-1855 les tailles trop petites pour le service, c'est-à-dire au-dessous de 1 mètre 37 centimètres, se sont trouvées dans la proportion suivante : sur 1,000 miliciens : groupe flamand, 112 ; groupe wallon, 56 ; c'est-à-dire encore une fois le double pour le groupe flamand.
En règle générale, ajoute l'auteur, le nombre des petites tailles correspond à un développement incomplet, à un degré de faiblesse marqué et à l'influence de dyscrasies.
Il suffit d'assister une seule fois à une séance du conseil de milice pour se convaincre de ce fait. Ici, d'ailleurs, la coïncidence des petites tailles et des scrofules est évidente, l'une de ces données vient confirmer les autres.
« Tous les chiffres qui précèdent ont été groupés particulièrement pour donner en quelques pages une idée générale et comparative de l'état sanitaire des habitants des diverses provinces. On voit que cette comparaison est toute à l'avantage de la partie méridionale du pays, surtout du Namurois qui marche constamment en tête, puis du Luxembourg, de Liège et du Hainaut. Partout les Flandres, Anvers et le Limbourg occupent des positions bien moins favorables. En effet, dans ces dernières, la population s'accroît moins rapidement ;
« La mortalité y est notablement plus forte ;
« La vie moyenne y est plus courte ;
« Les mort-nés sont plus nombreux (excepté pour Liège) ;
« Les phtisies pulmonaires y sont beaucoup plus communes ;
« Les exemptions de la milice y sont presque deux fois aussi nombreuses ;
« Les constitutions faibles, les scrofules et le rachitisme, les difformités, la surdi-mutité, les ophtalmies strumeuses, les tailles trop petites pour le service, et même. les affections cancéreuses, les teignes et les aliénations mentales ; toutes ces infirmités et maladies s'y retrouvent dans des proportions bien plus fortes que dans la zone méridionale.
« Il est donc incontestable que la faiblesse physique, les organismes viciés, les maladies héréditaires, les infirmités les plus tristes, sont le partage d'un bien plus grand nombre d'habitants des provinces du nord ; que les maladies graves en général y sont plus fréquentes, que la vie y est plus courte ; en un mot, que l'état sanitaire et physique y est remarquablement inférieur. »
Eh bien, messieurs, après cela, ai-je à retrancher quelque chose de tout ce que j'ai avancé, ai-je été exagéré et l'honorable M. Kervyn a-t-il le droit de dire que rien ne justifie les graves accusations que j'ai formulées ?
J'arrive enfin à la dernière, considération qu'a fait valoir l'honorable membre.
« Ne m'est-il pas permis aussi, a-t-il dit, de demander si ces populations flamandes dont on vous a peint l'infériorité intellectuelle, sont restées en arrière dans le mouvement de notre nationalité ? Ne comptent-elles pas de toutes parts des hommes qui les honorent ? Au faîte du pouvoir, n'ont-elles pas placé des homme d'Etat éminents ? N'ont-elles pas envoyé dans les Chambres législatives des orateurs éloquents et écoutés ? Ne sont-elles pas représentées au barreau d'une manière éclatante ? N'en est-il pas de même dans la magistrature, dans les universités, partout où la science se produit, partout où le mérite se révèle ? »
Messieurs, je vous le demande, dans quelle étrange erreur verse encore ici l'honorable M. Kervyn ? Faut-il lui rappeler, à lui historien savant, que l'époque la plus troublée et la plus calamiteuse de notre histoire correspond précisément à la période la plus glorieuse de nos annales artistiques et littéraires ? Faut-il lui rappeler l'état des nos provinces sous la domination de Philippe II et au commencement du XVIIIème siècle ?
Est-ce qu'à cette époque notre pays ne présentait pas un douloureux et affligeant spectacle ? Est-ce que nos villes n'étaient pas désertes, nos campagnes dépeuplées ? Ne rencontrait-on pas partout le bûcher, l'incendie, la ruine, le pillage et la misère ? Et pourtant jamais, jamais à aucune époque de son histoire, le ciel étoilé de la Belgique n'a resplendi de clartés pareilles !
C'était le siècle de Mercator, d'André Vésale, de Van Helmont, de Simon Stevin, de Juste Lipse. Roland de Lattre que l'Europe entière avait appelé le « prince des musiciens » remplissait le monde de ses productions géniales. Marnix de Sainte-Aldegonde vivait à côté des Elsevier et des Plantins. Déjà Rubens maniait le pinceau ; ce pinceau magique qui devait remplir l'Europe de chefs d'œuvre sans nombre, et donner à la Belgique sa gloire la plus pure et la plus complète. Déjà vivaient Van Dyck, Jordaens, Teniers et tant d'autres... Mais qu'a de commun, je vous le demande, ce splendide rayonnement de tant d'intelligences d'élite, avec la vie misérable d'un peuple décimé ?
Que l'honorable M. Kervyn me le pardonne : mais il confond deux choses essentiellement distinctes, à savoir le développement intellectuel et le développement social d'une population donnée. La civilisation ne consiste pas tout entière dans le développement intellectuel, elle ne consiste pas non plus tout entière dans le développement social ; la civilisation se compose de trois éléments bien distincts et indépendants l'un de l'autre : l'état intellectuel, l'état moral et l’état social.
La civilisation est, si je puis dire, la résultante de trois forces, et chacune de ces forces peut se développer et se mouvoir suivant ses lois propres, et c'est précisément le développement inégal de chacune de ces forces qui donnera à chaque civilisation son caractère particulier.
Tel peuple sera plus intellectuel ; tel autre sera plus moral ; tel autre sera plus social. C'est ainsi, par exemple, que nous voyons la civilisation anglaise dirigée principalement vers le perfectionnement social, vers l'amélioration de la condition extérieure et publique, vers le résultat immédiat ; l'esprit anglais est pratique bien plutôt que. philosophique. Et le contraire ne s'observe-t-il pas en Allemagne ? Est-ce qu'en Allemagne le développement intellectuel n'a pas précédé de beaucoup et de longtemps le développement social ?
Est-ce que les mœurs allemandes n'étaient pas encore d'une brutalité proverbiale, alors que les écrits de ses philosophes avaient placé l'Allemagne au haut de l'échelle des intelligences européennes ?
Certes, je le sais comme tout le monde, à aucune autre époque notre littérature flamande n'a été ni plus vivace ni plus prospère. Est-ce qu'en ma qualité de président du congrès néerlandais de Gand, je n'ai pas été appelé à faire le dénombrement des œuvres remarquables que le mouvement flamand avait produites ? Est-ce qu'ici même, répondant à une interpellation qui m'était adressée, je n'ai pas été amené à refaire ce même tableau ?
Mais qu'a de commun cet épanouissement de tant d'intelligences avec la situation morale et intellectuelle des populations flamandes ? Le. mouvement littéraire flamand, quelque remarquable qu'il soit, n'est-il pas fatalement circonscrit dans une sphère étroite, dans une zone intermédiaire ? Ne l'ai-je pas dit, et le fait n'est-il pas exact, qu'en Flandre les classes supérieures s'inspirent d'une autre civilisation et parlent une autre langue ?
N'est-il pas constant, d'autre part, que les populations inférieures sont plongées dans une ignorance épaisse, vivent dans un complet isolement, et restent forcément étrangères à ce mouvement intellectuel qui se produit à côté et au-dessus d'elles.
Vient alors une troisième couche sociale placée entre les deux autres. Elle se compose, celle-là, de ces hommes de cœur, d'énergie et de conviction qui poursuivent la tâche la plus noble que l'on puisse ambitionner ici-bas, la régénération d'un peuple ; mais leurs efforts ne sont-ils pas fatalement entravés et stérilisés, bornés comme ils le sont en haut par l'indifférence, en bas par l'ignorance ?
C'est la fatale division en classes qui cause le trouble et la décadence de la société flamande. Il n'y a pas de communication, pas de correspondance intellectuelle entre le haut et le bas de l'échelle. Le mouvement ne se transmet pas ; les arbres de transmission manquent : en haut la langue, en bas l'instruction.
Qu'y a-t-il à faire ? Ne l'ai-je pas dit ?
Agir à l'intérieur des Flandres par l'instruction, à l'extérieur par l'administration.
Aujourd'hui les élèves qui quittent nos athénées savent-ils le flamand ? ou, à quelques exceptions près, celles-là précisément qui vont grossir le groupe des lutteurs dont j'ai parlé, ne sont-ils pas aussi ignorants en flamand qu'en grec ? Ils n'ont pas achevé leurs études, que déjà ils ont oublié leur langue maternelle.
Inhabiles à se servir d'elle dans les discussions, dans les écrits, dans la vie publique, ils vont inévitablement augmenter le nombre de ceux qui ont abandonné le peuple ; l'intervalle s'élargit, l'isolement grandit et avec lui la décadence des couches inférieures flamandes.
Mais, me disait l'honorable ministre de l'intérieur, et je regrette de ne pas le voir à son banc, indiquez une mesure, proposez un remède.
Rien n'est plus simple, rien n'est plus facile, rien ne sera plus efficace.
Rendez obligatoire la connaissance du flamand dans les examens que (page 325) vous faites passer à vos fonctionnaires et ne vous occupez pas du reste. Le problème sera résolu. Voilà pour le haut de l'échelle.
Quant au bas, débarrasse/zd'une façon légale, bien entendu, en respectant les droits acquis, en respectant surtout le grand principe de la liberté de l’enseignement, les Flandres des sept ou huit cents écoles libres qui y existent encore. (Interruption.)
Oui, messieurs, je n'hésite pas à le dire, quelque raide que puisse vous paraître celle proposition et quelque paradoxale que puisse vous sembler la forme que je lui donne, pour moi l'ignorance grandit avec le nombre des écoles libres. (Interruption.)
Faites donc cela, et vous aurez rendu un second et un immense service aux populations flamandes.
Imitez en cela le noble exemple que vous a donné la ville de Gand et auquel dernièrement encore vous rendiez un si éclatant hommage.
Aujourd'hui encore, les populations gauloises, et j'en appelle à mes honorables collègues, bénissent le nom de l'homme qui, il v a plus de 35 années, organisa chez elles l'enseignement communal ; imitez encore cet autre exemple non moins glorieux, que vous a donné un des vôtres, qui, lui, en introduisant et en organisant le travail dans les Flandres, a tiré nos populations d'une affreuse misère. Eh bien, vous, par l'instruction, relevez-les de leur déchéance morale et soyez tranquilles : la reconnaissance publique ne vous manquera pas, car le peuple garde la mémoire des services qu'on lui rend, et les noms de ses bienfaiteurs, il les connaît et les honore.
D'ailleurs, de quel droit empêcherions-nous ces populations de s'asseoir au banquet de la vie intellectuelle ? Tous, tant que nous sommes ici, nous avons charge d'âmes, et nous avons un grand devoir à remplir.
Prenez garde. ! nous crie-t-on de toutes parts, la démocratie monte ! Qu'importe, si le flot, tumultueux peut-être, qui nous arrive est enfermé entre deux digues d'une solidité à toute épreuve, l'instruction et la moralisation ? Qu'importe alors ? Ouvrons les écluses et laissons venir les masses.
Je finis, messieurs, et ne dirai plus qu'un mot du second point que j'avais signalé, c'est celui qui concerne le côté extérieur de la question flamande.
J'ai dit que le gouvernement devait, par tous les moyens dont il dispose, faire en sorte que les fonctionnaires de l'Etat connussent les deux langues qui se parlent dans le pays. J'ai dit que la connaissance du flamand et celle du français devaient être la condition première, la condition sine qua non de toute nomination. J'ai dit que l'Etat avait le droit et le devoir de dire à ceux qu'il salarie et qui deviennent dès lors les serviteurs du peuple : Il importe, dans l'intérêt de notre nationalité, que les deux groupes qui occupent notre sol se mêlent. Il importe de faire disparaître jusqu'à la dernière trace d'un dualisme qui peut devenir fatal au pays. Dès lors, il convient que vous, les Wallons, alliez en Flandre et que vous, les Flamands, vous vous rendiez dans les provinces wallonnes ; car l'homme fait la famille et les familles font la nation.
Je regrette de devoir le dire, mais il m'a paru, d'après le compte rendu des journaux (je n'assistais pas à la séance), que l'honorable ministre de l'intérieur s'est moqué de moi. (Interruption.)
Si, puisque la Chambre a ri. Je le regrette, car, du même, coup, l'honorable M. Pirmez s'est moqué de deux des hommes les plus considérables de cette Chambre, M. de Naeyer et M. Dolez, lesquels, en 1861, ont défendu exactement la même thèse que celle que je soutiens aujourd'hui. Voici comment s'exprimait M. de Naeyer :
« Je partage l'opinion de l'honorable M. Janssens (c'est un orateur qui avait parlé dans le même sens). Je ne veux pas non plus parquer les fonctionnaires dans les parties du pays où ils sont nés. Je crois qu'il est bon qu'il y ait dans les provinces flamandes des fonctionnaires wallons et dans les provinces wallonnes des fonctionnaires flamands. »
L'honorable M. Dolez disait : « Quant à moi, je me permets de donner au gouvernement un autre conseil. Je lui demande d'encourager l'étude du flamand dans les provinces wallonnes et que dans les écoles primaires et même dans les établissements d'instruction moyenne, le cours de flamand soit un des plus importants, un des plus honorés et un des plus récompensés. »
Et plus loin : « La langue flamande et la langue française sont nos deux langues nationales ; il est désirable que tous les Belges les apprennent l'une et l'autre. »
Eh bien, messieurs, je n'ai pas demandé davantage. (Interruption.)
J'ai parlé des fonctionnaires et j'ai dit qu'il serait désirable qu'ils connussent les deux langues du pays. Sauf la forme plus élégante que l'honorable M. Dolez a donnée à sa pensée, elle est au fond évidemment la mienne.
M. Mullerµ. - Du moment que vous dites « désirable »...
M. de Maere. - Il va sans dire que je n'ai qu'un vœu à exprimer. Du reste, messieurs, et c'est par cette considération que je termine, dans toute société qui grandit et qui vit, il se produit un mouvement intérieur d'ascension et de conquête qu'il ne faut jamais méconnaître et avec lequel il est bon de compter.
Transiger, c'est-à-dire faire aujourd'hui quelques sacrifices en vue du lendemain, c'est de la sagesse, c'est de l'habileté, c'est une nécessité en politique, c'est la politique même, car, vous le savez comme moi, le temps grandit les causes qu'il ne tue pas.
J'ai dit.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je prolongerai le moins possible cette discussion, et par plusieurs motifs : d'abord je comprends que la Chambre est animée d'un vif désir d'activer ses travaux interrompus par un deuil dont nous ressentons encore la douloureuse émotion ; ensuite il me paraît qu'il n'est ni patriotique ni d'une sage politique, d'insister trop longtemps sur ce qui pourrait constituer une antithèse ou plutôt une opposition entre des populations différentes et de langue et de mœurs ; enfin je m'afflige, je l'avoue, quelle que soit la loyauté de M. de Maere, de trouver pour contradicteur, dans un débat qui touche de si près à l'état de civilisation et de moralité de là Flandre, un honorable, membre de cette Chambre qui a, comme moi, ce que j'appellerai sans hésitation l'insigne honneur de la représenter ici.
En effet, messieurs, nous ne pouvons l'oublier, la Flandre a eu dans l'histoire cette noble mission de placer l'asile du commerce et le berceau des arts sous la protection des institutions les plus généreuses, et de rayonner sur l'Europe par la triple influence de la liberté, de l'industrie et de l'art. Dans toutes nos villes, à l'ombre des monastères et des cathédrales, à côté des corporations et des gildes, partout s'offrait l'école, et au milieu de la barbarie qui régnait ailleurs, nos populations se signalaient par leur développement intellectuel à ce. point que ce fut parmi elles que l'on vint chercher les savants qui fondèrent Oxford et la Sorbonne, c'est-à-dire les deux grands centres de lumières de l'Angleterre et de la France.
Parfois cette situation a pu se modifier ; elle a pu être voilée ou troublée par les désastres des invasions étrangères et par toutes les calamités qui ont pesé sur notre pays ; mais toujours nos populations se relevaient par le travail. Est-ce à nous qu'il appartiendrait de leur reprocher leurs souffrances séculaires ?
Je tiens à démontrer à la Chambre qu'au XIXème siècle, comme dans les époques précédentes, en dehors de l'influence passagère de ces calamités exceptionnelles, les populations flamandes sont restées fidèles à cette grande loi du travail, qui répare tous les désastres, que toujours elles se s'ont replacées elles-mêmes à leur véritable rang.
Mais avant de scruter les résultats de la statistique, il faut se demander quelles sont les règles qui doivent présider à son étude sérieuse et consciencieuse.
La première, assurément, c'est de prendre des termes exacts de comparaison, c'est de ne pas mettre, d'un côté, l'homme sain, de l'autre, l'homme malade ; d'un côté, une population qui grandit par la prospérité, de l'autre, une population qui gémit dans la détresse.
Qui de nous ne se rappelle que, il y a peu d'années, il y avait une de nos provinces, la Flandre occidentale, où l'on comptait un tiers de la population inscrit sur les registres des bureaux de bienfaisance, où dans certains districts il y avait 42 p. c. de pauvres, vivant de la charité publique ? Et si dans ces circonstances il y a eu quelques vols justifiés, légitimés même par la plus pressante nécessité ; si, en ce moment, le mouvement ascendant du chiffre de la population s'est trouvé subitement arrêté ; si les enfants ont déserté le chemin de l'école pour aller au coin de la borne tendre la main aux passants, afin d'obtenir un peu de pain pour leurs parents expirant de faim, nous n'avons pas le droit de les en blâmer.
Nous devons constater plutôt que ces populations ont souffert avec une patiente résignation, et les hommes politiques de ce temps n'ont eu qu'une chose à leur reprocher : c'est ce qu'on a appelé leur apathie, leur inertie.
Il m'eût été facile, messieurs, de mettre sous les yeux de la Chambre les éloges qui ont été donnés alors à ces populations dans des documents officiels ; il m'eût été facile aussi de citer d'autres documents officiels, des rapports administratifs, même des exposés de motifs de projets de lois, qui expliquent pourquoi il a fallu, dans d'autres provinces, augmenter le personnel des tribunaux, accroître le nombre des gendarmes, créer des commissaires de police exceptionnels, solliciter même des garnisons ; il m'eût été aisé d'introduire ici les sombres images des bandes noires, des grèves, du mauvais gré, que sais-je encore ?
Ce que je tiens seulement à constater, c'est que lorsqu'on fait de la (page 326) statistique,, il faut prendre des situations identiques et ne pas se prévaloir des temps de détresse que la Flandre a traversés, où l'ouvrier voyait, à la fois, lui manquer l'alimentation préparée pour sa subsistance et le travail même qui eût pu lui permettre d'acheter d'autres aliments.
Les économistes les plus autorisés sont unanimement d'avis qu'il ne faut pas s'occuper seulement des années 1846, 1847, 1848, comme l'a fait l'honorable représentant de Gand, mais que la détresse des Flandres, si profonde, si effrayante, a laissé des traces bien plus longues et qu'elle s'est fait sentir jusqu'en 1860.
Eh bien, messieurs, j'accepte volontiers toutes les statistiques que. l'honorable M. de Maere voudra bien nous présenter, pourvu qu'elles embrassent un certain nombre d'années postérieures à 1860. C'est ce travail que je compte faire moi-même. J'aime à croire que l'honorable M. de Maere, avec la loyauté sur laquelle il s'appuie et à laquelle je me plais à rendre hommage, voudra bien reconnaître, non pas qu'il a cherché à tromper la Chambre, mais qu'il s'est trompé lui-même ; et il le regrettera sans doute profondément, alors surtout qu'il s'agit de ces populations flamandes pour lesquelles nous professons l'un et l'autre la même affection et les mêmes sympathies.
J'espère, messieurs, que l'étude a laquelle je vais me livrer et que j'abrégerai le plus possible, en mettant dans les Annales des tableaux dont je ne citerai ici que quelques chiffres, j'espère, dis-je, que ces calculs embrassant toute une période d'années dans une situation normale, conduiront à la certitude la plus manifeste que ce que l'honorable M. de Maere appelle « un résultat désastreux et affligeant » n'a jamais existé ; que cette infériorité intellectuelle et morale que l'honorable M. de Maere considère « comme indiscutable, comme dépassant toute mesure » n'existe, pas ; que la Flandre, au contraire, marche d'un pus rapide dans la voie des progrès et qu'il faut la féliciter et la glorifier de sa situation intellectuelle et morale.
L'honorable M. de Maere s'est beaucoup occupé de l'instruction ; j'aborde immédiatement cette partie de son discours.
Je désirerais d'abord qu'il fût bien établi qu'avant la crise qui a pesé sur les Flandres, l'état du développement intellectuel était aussi favorable en Flandre que partout ailleurs.
Voici des chiffres qui le constatent :
En 1840, la Flandre occidentale, que l'honorable M. de Maere a citée comme étant surtout en retard dans le développement intellectuel du pays, envoyait plus d'élèves aux écoles primaires que le Hainaut.
La Flandre occidentale, comptait dans les écoles primaires, 70,234 élèves, soit 11 p. c. de sa population. Il n'y en avait que 75,745 dans le Hainaut, environ 10 1/2 p. c.
Arrive la crise dont je parlais tout à l'heure. Les enfants abandonnent l'école. En 1860, on ne trouve plus dans les écoles primaires communales ou inspectées des deux Flandres que 22,444 élèves. Mais à partir de ce moment, la crise cesse, la prospérité renaît, l'enfant reprend le chemin de l'école ; et ici, messieurs, j'appelle l'attention de la Chambre sur les résultats vraiment admirables qui ont été atteints. En effet, des 22,444 élèves qui fréquentaient les écoles dont je parlais, en 1860, on arrive, au 31 décembre 1866, à un chiffre de 118,181 élèves, de telle sorte que pour les deux Flandres, où les établissements d'instruction primaire réunis ne présentaient en 1860 qu'un total de 36,900 élèves, nous constatons en 1866 un chiffre de plus de 155,000 élèves, c'est-à-dire en six années une augmentation de 116,000 élèves. Et ce n'est pas là un résultat dont il est permis de se féliciter et qui répond à toutes les objections de M. de Maere !
Mais, il y a autre chose que des établissements d'instruction primaire, et combien de fois n'avons-nous pas entendu dans cette enceinte d'honorables membres et MM. les ministres eux-mêmes insister sur ce point, que souvent, le jeune homme ne poursuit pas la première instruction qu'il a reçue à l'école primaire et qu'il oublie trop vite ce qu'il a péniblement appris ?
Eh bien, jetons un coup d'œil rapide sur les écoles d'adultes et sur les ateliers d'apprentissage.
Le tableau qui nous a été distribué, il y a quelques jours, nous apprend que dans toute la Belgique les écoles d'adultes comprennent un peu moins de 98,000 élèves et que les Flandres seules en comptent plus de 84,000, c'est-à-dire les 17,20 de la population totale. Si nous appliquons la même recherche aux ateliers d'apprentissage, nous remarquons que dans la Belgique entière, il y a moins de 24.000 jeunes gens qui les fréquentent, et que les deux Flandres en comptent 22,546, c'est-à-dire plus des 9/10.
Et l'on oserait soutenir que dans ces populations le développement intellectuel est inférieur à ce qu'il est dans le reste du pays ! Non, messieurs, il n'en est pas ainsi ; les Flandres ont traversé une période de détresse honorablement, avec dignité, avec résignation ; mais, dès qu'elles ont pu recouvrer leurs forces, elles se sont appliquées, avec une persévérance et un courage dont il faut leur tenir compte, à reconquérir leur ancienne prospérité, et en même temps que l'aisance matérielle renaissait, le développement intellectuel s'affirmait de toutes les manières.
De quoi vient donc se plaindre l'honorable M. de Maere ? Je crois avoir exactement pris note des expressions dont il s'est servi. Cette situation désastreuse qui, selon moi, n'existe pas, il faut l'attribuer « au grand nombre d'écoles libres. » « Il faut, dit M. de Maere, débarrasser les Flandres de 700 à 800 établissements libres. » « L'ignorance, ajoute-t-il, y croît avec le nombre des écoles libres. » « L'ignorance, dit-il encore, y est plus grande, parce qu'il y a un nombre plus grand d'écoles libres. » Ce sont là exactement, je pense, les paroles de l'honorable M. de Maere.
Examinons donc, messieurs, la valeur de ces griefs.
Parmi ces 155,000 élèves des écoles primaires dont je parlais tout à l'heure, savez-vous, messieurs, quel est le nombre de ceux qui suivent les cours des écoles libres ? Il y en a 21,482, c'est-à-dire 14 p. c, moins de 1/7, et c'est cette situation que l'honorable M. de Maere vient de vous dépeindre comme funeste, comme dangereuse, comme menaçante. !
Mais quelle part M. de Maere veut-il donc faire à l'enseignement libre ?
Je crains bien de devoir le reconnaître, l'honorable M. de Maere, dans cette partie de son discours, s'est surtout inspiré des théories de l'honorable M. Funck qui, il y a quelques jours, préconisait d'une manière souveraine et presque absolue l'enseignement officiel.
Je saisis cette occasion pour le déclarer, lorsque l'honorable M. Funck me reprochait d'avoir confondu l'enseignement obligatoire avec la suppression, avec l'exclusion de la liberté d'enseignement, il avait mal compris ma pensée ; voici ce que j'avais voulu dire : c'est que je ne comprenais pas que la liberté d'enseignement pût être maintenue là où l'Etat seul contrôlerait l'instruction donnée par le père de famille, là où l'Etat pourrait placer comme une barrière à l'entrée de la vie sociale, un programme officiel, un examen officiel.
Lorsque Robespierre (l'honorable M. Funck est remonté jusqu'à cette époque) disait que l'enfant est la chose de l'Etat, lorsque Rabaut-Saint-Etienne, renchérissant sur le langage de Robespierre, ajoutait que l'Etat pouvait étendre sa main sur l'enfant, même avant sa naissance ; lorsque, au mois de décembre 1793, la Convention nationale décrétait que tous les enfants seraient conduits, même par la force, à l'établissement officiel et puis qu'après trois ans d'études on les conduirait de nouveau à la Fête de la Jeunesse, où on les soumettrait à un examen public, croyez-vous qu'on ait efficacement servi la cause de l'instruction et de la liberté ?
Dans la sphère de l'instruction, on est arrivé à l'université impériale ; et dans la sphère de la liberté, par l'évolution inévitable qui se produit toujours de l'anarchie sans frein à l'autorité sans limite, la hache du licteur s'est bientôt transformée dans l'épée du conquérant qui a entraîné la jeunesse loin de ses études, loin de ses fêtes sur tous les champs de bataille de l'Europe. Etait-ce servir la cause de l'instruction et de la liberté ? et le souvenir de la Convention ne se dresse-t-il pas devant nous pour séparer de la liberté que nous honorons et que nous servons, la liberté dont nous ne voudrons jamais ?
Quant à moi, messieurs, je n'hésite pas à le dire, et ici je me sépare complètement de l'honorable M. de Maere : ce que je regrette le plus, c'est que l'enseignement libre ne se développe pas davantage.
L'enseignement libre, selon moi, est le témoignage le plus éclatant chez un peuple de l'activité de sa vie sociale. C'est aussi un noble et touchant hommage rendu à la puissance, à l'utilité de l'instruction ; et c'est encore, dans mon opinion, l'élément le plus considérable du progrès.
Je veux bien reconnaître, messieurs, que l'instituteur diplômé est souvent plus instruit que l'instituteur libre ; mais il y a dans l'enseignement officiel quelque chose qui doit le conduire à un état d'infériorité ou de stérilité : c'est la fixité de la règle et l'uniformité de la méthode.
L'enseignement libre, au contraire, peut descendre très bas, mais il se relève avec la même facilité ; il choisit, à son gré, la voie dans laquelle il croit devoir marcher ; il place à côté de la diversité des intelligences la diversité des méthodes.
M. de Cormenin a fort bien dit qu'en cette matière il fallait répandre l'instruction et non la concentrer.
En ce qui me touche, l'enseignement officiel me représente toujours une nation en tutelle, une nation qui accepte la tutelle précisément là où elle devrait la repousser, dans le domaine de la pensée.
L'enseignement libre, au contraire, me représente une nation appréciant (page 327) les bienfaits de l’instruction et comprenant que l'homme ignorant est aujourd'hui le seul qui ne vive pas dans son siècle.
Aussi, messieurs, ai-je vivement applaudi aux paroles que prononçait, il y a quelques jours, M. le ministre de l'intérieur lorsqu'il disait qu'on se trompait étrangement en croyant que l'Etat peut et doit tout faire, et que c'était surtout par l'action individuelle qu'il fallait favoriser (c'était son expression) l'épanouissement des facultés intellectuelles.
M. De Fréµ. - Je demande la parole.
M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai exprimé l'intention d'abréger le plus possible ; la Chambre voudra bien reconnaître que j'ai été entraîné à ces développements de ma pensée par les paroles de l'honorable M. de Maere. J'arrive à la question de criminalité, et ici je serai très bref.
J'ai déjà eu l'honneur de faire observer à la Chambre qu'une appréciation statistique, pour être exacte et sincère, devait embrasser la période I860 à 1867 ou 1868.
Examinons donc, messieurs, en ce qui touche la question de criminalité, la statistique des années 1861 à 1867.
Voici quel est le résultat : le nombre des délits commis contre les personnes et les propriétés a été de 116 dans la Flandre orientale, de 139 dans la Flandre occidentale et de 163 dans le Hainaut, dont la population est à peu près égale à celle de la Flandre orientale.
Il y a donc ici une supériorité évidente pour les provinces flamandes.
La proportion est encore bien plus favorable si l'on étudie la statistique des peines correctionnelles et de police.
Il est encore une autre question, sur laquelle je suis également loin de m'entendre avec l'honorable M. de Maere.
Et d'abord, j'ai quelque peu été surpris de la distinction qu'il a faite tout à l'heure entre ce qu'il appelle l'élément social, l'élément moral et l'élément intellectuel. Je m'étais toujours figuré que l'élément social se composait de l'élément moral et de l'élément intellectuel réunis ; et qu'en dehors de ces deux éléments, il ne pouvait pas y avoir d'élément social.
J'ai été plus étonné encore, lorsque j'ai entendu l'honorable M. de Maere affirmer que la question de fécondité des mariages et celle du nombre des naissances illégitimes étaient complètement étrangères à la moralité d'une population.
L'honorable M. de Maere sait parfaitement, comme moi, que depuis peu de temps, une des classes les plus importantes de l'Institut de France, l'Académie des Sciences morales et politiques, par l'organe de plusieurs de ses membres les plus éminents, s'est occupée de ces deux questions, et qu'elle a considéré la diminution de la fécondité des mariages comme un des signes les plus effrayants de la démoralisation d'un peuple ; et quant au nombre des naissances illégitimes, la valeur de cette appréciation statistique du degré de la moralité d'une population est tellement évidente, tellement placée en dehors de toute contradiction, qu'il me semble inutile d'insister sur ce point.
Eh bien, ici encore, messieurs, nous pouvons rendre un hommage éclatant à nos populations flamandes : elles sont les plus morales de la Belgique.
J'ai ici un tableau où j'ai comparé, la Flandre orientale et le Hainaut, parce que ces provinces ont à peu près la même population.
En 1861, il y a 756 naissances illégitimes dans la Flandre orientale, et 1,729 dans le Hainaut. Les années suivantes offrent les mêmes rapports de chiffres.
En 1866, la Flandre orientale présente encore le même chiffre, 738 naissances illégitimes, mais le Hainaut en compte 1,809. Le total des six années présente pour la Flandre orientale 4,644 naissances illégitimes et 10,555 pour le Hainaut ; d'une part, une moyenne de 774, d'autre part, une moyenne de 1,759 : c'est-à-dire, qu'avec une population à peu près égale, les chiffres du Hainaut s'élèvent bien au delà du double.
M. de Maere. - Voulez-vous, M. Kervyn, me permettre une observation ?
M. Kervyn de Lettenhove. - Certainement.
M. de Maere. - A propos des naissances légitimes, si M. Kervyn avait pris connaissance du tableau que renferme le tome dixième du Bulletin de la commission centrale de statistique, il aurait vu ce qui suit.
Il aurait vu que des 17 pays qui s'y trouvent renseignés, la Russie pour le nombre de naissances légitimes l'emporte sur tous les autres et que la France arrive en tout dernier lieu.
La Russie, en effet, donne 1 naissance légitime pour 20 habitants ; la France 1 naissance pour 40 habitants, soit la moitié. L'Angleterre arrive au milieu avec 1 naissance légitime pour 30 habitants.
Et pourtant la France et l'Angleterre ne sont-elles pas plus civilisées que la Russie ?
- Un membre. - Cela n'est pas une preuve de moralité.
M. de Maere. - Dans tous les ouvrages de statistique et d'économie politique vous verrez que la moralité ne se mesure pas à la fécondité des mariages.
M. Kervyn de Lettenhove. - Tout à l'heure l'honorable M. de Maere me reprochait de ne pas avoir tenu compte dans mes calculs des villes où certainement les naissances illégitimes sont plus nombreuses et où l'immoralité est plus grande.
Je pense que l'honorable M. de Maere n'a pas remarqué que j'ai eu déjà l'honneur de faire observer à la Chambre que je ne m'occupais que des communes rurales.
En effet, si l'on introduisait dans ce travail de statistique les chiffres des grandes villes, les éléments en deviendraient fort inexacts.
J'ajoute que les chiffres que je viens de mettre sous les yeux de la Chambre, pour la Flandre orientale et le Hainaut, se rapportent également aux communes rurales, et ils donnent lieu à cette conclusion que dans le Hainaut il y a une naissance illégitime sur treize, tandis que dans la Flandre orientale il n'y en a qu'une sur vingt-quatre.
Il y a un point que j'avais omis dans mon premier discours : je m'en occuperai aujourd'hui sans m'y arrêter longtemps, c'est le degré d'aisance des populations.
Si en Flandre le salaire est moins élevé qu'ailleurs, l'ouvrier vit toutefois avec plus d'aisance, et par un motif qui mérite toute la sympathie de la Chambre ; c'est qu'il y a en Flandre beaucoup plus d'ordre et beaucoup plus d'économie. Nulle part la population n'est plus nombreuse ; nulle part elle n'est plus active.
Mais puisque l'honorable M. de Maere a insisté sur le signe politique de l'aisance, j'en dirai aussi quelques mots. Je veux parler de l'accroissement du nombre des électeurs dans la partie flamande et dans la partie wallonne du pays.
Ici je ne sais si la supériorité qu'a invoquée M. de Maere est bien réelle.
Le Hainaut, par exemple, a 46,000 habitants de plus que la Flandre orientale. Or, en 1866 il y avait dans le Hainaut 18,325 électeurs et il y en avait 18,156 dans la Flandre orientale. Aussi bien que je puis aligner ces chiffres et en tirer une conséquence mathématique, il en résulte pour moi qu'il y a un nombre proportionnel plus élevé d'électeurs dans la Flandre orientale que dans le Hainaut.
Il y a, du reste, dans ces chiffres quelque chose à analyser avec soin. D'où provient dans le Hainaut l'augmentation des électeurs ? Elle tient à l'augmentation du nombre des débits de boissons fortes. De 1864 à 1866, 236 débitants de boissons fortes se sont fait inscrire sur les listes électorales du Hainaut pour les élections législatives.
Poursuivons de plus près cette comparaison entre deux provinces d'une population presque égale.
Dans la Flandre orientale, il y a 11,602 débits de boissons fortes ; il y en a 23,074 dans le Hainaut.
Quelle est l'influence de cette situation sur la statistique électorale ?
En 1864 on complaît sur les listes électorales du Hainaut 2,362 débitants de boissons ; il y en a 2,602 en 1866. Augmentation, en deux années plus de 10 p. c.
En 1864, il y avait sur les listes électorales de la Flandre orientale 1,939 débitants de boissons ; il n'y en a plus que 1,755 en 1866. Diminution près de 10 p. c.
Vous voudrez bien reconnaître, messieurs, que les populations les plus dignes de servir d'exemple, celles où règne le plus d'ordre et d'économie (page 328) sont toujours celles où il y a le moins de consommation de boissons alcooliques, et vous venez de voir de quel côté est l'aggravation du mal, de quel côté est le progrès. Il y a là encore un élément de moralité dont il faut tenir compte.
Messieurs je disais tout a l'heure que je tenais a ne pas donner à cette discussion un caractère qui pourrait la rendre trop vive, et dès lors peu conforme aune sage politique, peu patriotique. Je reviens sur ce point.
Je suis convaincu que la Flandre a des traditions de travail, d'ordre, de liberté, de civilisation, auxquelles elle sera toujours fidèle. Mais, comme j'ai déjà eu occasion de l'indiquer dans une autre circonstance, il y a de plus, dans la grave question que nous discutons, des intérêts supérieurs que nous ne pouvons perdre de vue ; c'est la question industrielle, c'est la question agricole.
Je suis tout disposé à penser (et j'espère que mes honorables collègues du Hainaut me sauront quelque gré de cette concession) que les populations agricoles de cette province sont laborieuses, honnêtes, excellentes comme celles de la Flandre, et je crois aussi que, pour nos populations industrielles de la Flandre, nous nous trouvons en présence des mêmes dangers que vis-à-vis des populations industrielles du Hainaut. Il y a aujourd'hui, dans la société, une grande crise ; on déserte l'agriculture et l'on ne moralise pas l'industrie. Ce n'est pas une simple question politique, c'est une grande question sociale.
Si je défends avec une vive et ferme conviction les populations flamandes, c'est que je les considère surtout comme représentant cet élément agricole si digne de toutes nos sympathies. Tel était le terrain sur lequel j'avais voulu me placer, il y a quelques jours, en répondant à l'honorable M. de Maere ; et, en sortant de cette enceinte, j'ouvris un livre où je cherchai le tableau de ce qu'était la Flandre épuisée mais calme, affaiblie mais résignée dans sa période de détresse. Ce livre était écrit par un des plus illustres économistes de notre temps, qui, lui aussi, avait voulu apporter le contingent de ses conseils à cette situation si intéressante. Cet illustre économiste, M. Wolowski, je puis le nommer ici, disait en 1848 aux pope, lalions flamandes : « Le métier qui vous faisait vivre se dérobe à vous, mais vous avez devant vous la terre. L'agriculture est la ressource inépuisable du travail, ne l'abandonnez pas ; elle ne vous manquera jamais. Là est le remède à toutes les souffrances, à toutes les crises. »
Sous l'empire de ces souvenirs et en me rappelant combien la Flandre avait eu à se féliciter d'avoir suivi ces conseils, j'ai cru devoir écrire aussitôt à M. Wolowski pour lui poser la question qui nous agite. Je lui ai demandé ce qu'il pensait de l'influence qu'exerce sur l'état social, d'une part le développement rapide du travail industriel, d'autre part le délaissement progressif, non interrompu de l'agriculture ; j'ai aussi soumis à sa haute autorité cette question non moins grave de savoir si, lors même que l'instruction se concilierait mieux avec le travail industriel, le travail agricole ne se recommandait point par quelque chose de supérieur même à l'instruction, par l'éducation. La Chambre me permettra de citer la réponse que M. Wolowski voulut bien m'adresser dès le lendemain. Je ne saurais mieux terminer ce discours :
« Mon cher confrère,
« Vous me demandez mon opinion sur la condition des ouvriers de la campagne comparée à celle des ouvriers employés aux travaux industriels. Il faudrait un volume pour répondre à une question aussi délicate et aussi complexe, et je ne puis consacrer que, quelques instants à ma réponse. Je n'hésite pas cependant à vous l'envoyer sous une forme rapide.
« La condition des ouvriers de l'industrie éveille de nos jours une légitime sollicitude. Groupés autour d'un labeur incessant, ils sont plus accessibles aux séductions de toute espèce, et la passion exerce sur eux un périlleux empire, surtout au contact d'idées fausses qui les représentent comme des victimes et qui excitent leur convoitise par un parallèle du labeur auquel ils doivent se consacrer et des avantages du capital, avantages qu'on se plaît à exagérer. Notre immortel Bastiat a parlé, avec sa pénétrante sympathie, des illusions nées au spectacle de ce que l'on voit, alors que l'on ne réfléchit point sur ce qu'on ne voit pas.
« C'est le succès obtenu qui leur apparaît seul ; ils ne tiennent aucun compte des hasards comme des pertes subies, des efforts multipliés que demande la direction des affaires et qui rétablissent trop souvent une inévitable compensation entre les bénéfices recueillis et les désastres affrontés. L'habitant des campagnes peut mieux se rendre compte de la nature de son concours et de la mesure de la récompense.
« D'ailleurs en contact plus direct avec la famille, il s'élève et se forme au contact bienfaisant du foyer domestique. Je n'entends point tomber dans l’idylle, je ne me dissimule en aucune manière les conséquences qu'entraîne pour lui le défaut d'instruction, mais l'éducation maternelle, les exemples qui l'entourent, le spectacle vivifiant de la nature, l'atmosphère qu'il respire, trempent son âme en même temps qu'ils fortifient son corps. Il cède avec moins de facilité aux entraînements du nouveau ; il conserve des idées plus droites et une vigueur plus ferme. Il est plus disposé à ne pas s'absorber dans l'exaltation doses pensées et comprend avec un instinct plus sûr l'empire du devoir aussi bien que les inspirations religieuses. Son isolement le préserve alors même que les lumières lui font défaut.
« D'où viennent les tristes suggestions auxquelles cèdent trop facilement les ouvriers de l'industrie ? De la fausse entente de leurs véritables intérêts. II en résulte une nécessité plus grande de répandre parmi eux l'instruction et de ne rien négliger de ce qui peut contribuer à l'éducation. Pour les robustes campagnards comme pour l'armée industrielle, je suis prêt à répéter avec l'éloquent évêque d'Orléans : « Je ne crains que l'ignorance, » mais celle-ci entraîne le péril le plus instant pour les ouvriers. »
Je répéterai avec M. Wolowski, pour rencontrer une conclusion que je me félicite de ne pas trouver dans le discours de M. de Maere, mais que certains organes de la presse y ont ajoutée, que nos populations agricoles sont plus morales parce qu'elles sont plus religieuses, et j'ajouterai aussi qu'elles sont plus éclairées parce qu'elles sont plus morales ; car si jamais il pouvait être démontré qu'ailleurs, en quelque endroit que ce soit, la corruption des mœurs et l'instruction peuvent marcher ensemble, suivant le même progrès, offrant le même développement, nous aurions, messieurs, le droit non pas de repousser l'instruction, mais de rechercher ce qui lui manque pour y joindre le corollaire qui ne doit jamais s'en séparer, la moralisation.
M. Delaetµ. - Messieurs, tout à l'heure, au début de son discours, l'honorable M. de Maere s'est plaint de la presse. Il a dit qu'une partie de la presse flamande l'avait dépeint comme un ennemi des populations parmi lesquelles il était destiné à vivre, et qu'il aime, autant que n'importe qui parmi nous. Il s'est plaint aussi de la première réponse, très sommaire, que lui avait faite, il y a dix jours, l'honorable M. Kervyn.
Je ne m'occuperai pas de ce dernier point. L'honorable député d'Eecloo a, je crois, parfaitement répondu par des chiffres aux chiffres mis en avant par l'honorable député de Gand.
Mais l'honorable M. de Maere. s'est trompé lorsqu'il a dit que la presse flamande l'avait représenté comme un ennemi des populations au milieu desquelles il vit.
M. de Maere. - J'ai dit certaine presse.
M. Delaetµ. - J'ai lu à peu près tout ce qui a été écrit par la presse flamande à propos du dernier discours de l'honorable M. de Maere et je n'y ai vu qu'une chose : c'est qu'on s'est plaint de l'erreur commise par lui et qui est de ne prendre comme niveau de l'intelligence et de la moralité d'une population, que la criminalité directe, celle qui tombe immédiatement sous l'application du code pénal, et de négliger toutes les autres parties de la moralité publique.
M. de Maere. - Et l'instruction, et le. mouvement de la population, et l'augmentation de la richesse ?
M. Delaetµ. - Nous en parlerons tout à l'heure. Mais c'est surtout sur la criminalité que vous vous êtes basé. Quant au degré d'instruction, l'honorable M. Kervyn vient de vous répondre ; je n'ai pas à m'en préoccuper pour le moment.
Vous vous êtes proposé un double but :l'un, que vous n'obtiendrez pas, surtout de la façon dont vous vous y prenez, qui tend à astreindre tous les candidats fonctionnaires à faire preuve d'une connaissance suffisante de la langue flamande. Ceci, je le répète, vous ne l'obtiendrez pas ; car, depuis 1840, tous les ministères qui se sont succédé (vous voyez que je ne fais pas de l'affaire une question politique) ont refusé de faire droit à cette équitable demande. Les mieux disposés ne nous ont donné que quelques palliatifs.
Votre second but est de voir supprimer l'enseignement libre.
Eh ! mon Dieu, pour parvenir à cela, vous n'aviez pas à tracer ce tableau désolant que vous avez déroulé à nos yeux, car vous allez au-devant des vœux du gouvernement.
Je me permets de douter que l’enseignement de l'Etat et même l'enseignement communal, comme il est organisé dans les grandes villes, et même à Gand, peuvent être un des meilleurs moyens de sauver les Flandres des maux que vous avez indiqués.
Le résultat pratique des conclusions de l'honorable M. de Maere, sera donc nul, d'une part, et d'autre part, inefficace. Quant à ses prémisses et à l'appréciation faite de ces prémisses, j'affirme que s'il a à se plaindre d'une (page 329) partie de la presse, c'est de la presse non flamande. Elle aussi, elle a jugé le discours de l'honorable député de Gand, et en a tiré de tout autres conclusions que l'auteur et que la presse flamande. Elle a dit :
« Il faut s'applaudir que le gouvernement soit peu disposé à étendre au pays wallon la civilisation flamande dont les résultats déplorables ont été mis en lumière par M. de Maere. »
Voilà le jugement du discours, et ce jugement, ce n'est pas la presse flamande qui l'a rendu, c'est un journal de Bruxelles, et peut-être le journal le plus lu de Belgique.
A mon tour, messieurs, j'ai voulu voir si, en réalité, la population flamande, à laquelle je me fais gloire d'appartenir par la naissance et par l'éducation, par la tête et par le cœur, était aussi déchue qu'on a bien voulu nous le dire, et je n'ai pas eu, pour cela, à dépouiller de longues et complaisantes statistiques.
Je savais que d'autres avaient assumé cette tâche. Pour être rassuré, il m'a suffi de rapprocher quelques chiffres et quelques dates.
Je vous ai dit que l'honorable député de Gand s'était surtout préoccupé de la criminalité pénale. Mais il y a une autre criminalité : c'est la criminalité morale, dont on a touché un mot tout à l'heure, mais qu'on n'a peut-être pas suffisamment étudiée dans les deux ou trois groupes qui divisent le pays, et qui s'apprécie par le nombre des naissances illégitimes, par la non-fécondité des mariages et par la fréquence des divorces.
Or, sous ce rapport, il est évident que les Flandres sont infiniment supérieures aux autres parties du pays.
Je n'entends point parler ici de la population rurale proprement dite, je suis heureux de reconnaître que presque partout les populations rurales atteignent le même étiage. Le Luxembourg seul est à un niveau supérieur par suite sans doute du peu de densité de sa population et de l'absence de toute grande industrie dans les parties rurales de cette province.
Voici comment, en 1865 et 1866, se répartissent les naissances illégitimes par nombre d'habitants :
La province d'Anvers compte dans les villes une naissance illégitime par 269 habitats, dans les communes 1 naissance illégitime sur 609 habitants.
La Flandre occidentale compte dans les villes 1 naissance, illégitime sur 374 habitants, dans les communes 1 sur 802.
La Flandre orientale compte dans les villes 1 naissance illégitime sur 294 habitants, dans les communes 1 sur 754.
Le Hainaut compte dans les villes 1 naissance illégitime sur 314, dans les campagnes 1 sur 381.
La province, de Liège compte dans les villes 1 naissance illégitime sur 295 habitants, dans les communes 1 sur 545.
Le Limbourg compte dans les villes I naissance illégitime sur 491 habitants, dans les communes 1 sur 688.
Le Luxembourg compte dans les villes 1 naissance illégitime sur 576, dans les communes 1 sur 1,600.
La province de Namur compte dans les villes 1 naissance illégitime, sur 358, dans les communes 1 sur 950.
Pour le Brabant, messieurs, la proportion est bien au-dessous du niveau commun, quant aux villes. Il y a là une naissance illégitime sur 143 habitants ; pour les communes ce. chiffre, s'élève, à 406 ; mais je. présume que si les faubourgs de. Bruxelles étaient comptés dans l'agglomération urbaine, les communes brabançonnes se rapprocheraient sensiblement du niveau des communes flamandes.
Pour les divorces, en prenant les deux mêmes années 1865 et 1866, nous trouvons les résultats suivants : Provinces d’Anvers 2 divorces, de Brabant 63, de Flandre occidentale 4, de Flandre orientale 3, de Hainaut 14, de Liége 25, de Limbourg 1, de Luxembourg 1, de Namur 5.
Ainsi, messieurs, en divisant ces éléments divers en trois groupes, nous trouvons :
Pour le groupe bruxellois 63, pour le groupe flamand 10, pour le groupe wallon 44.
La différence, comme vous le voyez, est considérable.
Pour les naissances illégitimes, nous trouvons :
Pour le groupe bruxellois 6,775, pour le groupe flamand 8,190 et pour le groupe wallon 8,450. Et l'on sait que la population de ce dernier groupe est plus faible que celle du groupe flamand.
Tout à l'heure on nous a dit que jamais aucun recueil de statistique, aucune œuvre d'économie politique n'avait considéré les naissances illégitimes et les divorces comme pouvant servir à établir le niveau moral d'une population. Je ne sais pas si les économistes, qui, après tout, traitent des faits matériels et non des faits moraux, ont eu à se préoccuper de ce point, mais ce que je sais, c'est qu'en dehors de l'Académie des sciences morales et politiques qui s'en est très vivement préoccupée en France, un homme que personne ne. suspectera d'avoir professé de trop profondes sympathies pour le catholicisme, ni même pour les idées religieuses, M. Proudhon a dit, écrit et répété, que la société actuelle périrait par la bâtardise, que c'était par la bâtardise seule que les sociétés pouvaient périr ; que si les Etats périssaient par d'autres causes, les sociétés ne périssaient que par la dissolution des mœurs, par le mépris de la famille.
Or, qu'est-ce que. le nombre des enfants illégitimes, si ce n'est un symptôme, d'un état des mœurs qui porte à ne point créer de famille ? Qu'est-ce que le divorce, si ce n'est la révélation du nombre des adultères, le symptôme du mépris de la famille, même dans le mariage ?
Voilà, messieurs, la criminalité indirecte, et, sous ce rapport, je suis fier de le dire, les Flandres, malgré toutes leurs épreuves, se sont maintenues au niveau des populations les plus morales.
Mais, messieurs, si l'état déplorable. de la criminalité qui vous a été signalé, il y a une dizaine de jours, était un état permanent, régulier, s'il n'était pas la conséquence de certaines années calamiteuses, faudrait-il s'en étonner ? Il faudrait s'enquérir des causes de cet état des mœurs, et s'étonner seulement de ce que ces causes n'aient pas produit d'effets plus graves encore et plus déplorables.
Rien ne sert de faire ici du patriotisme théorique et lyrique. Pourquoi donc ne pas chercher le mal là où il est ?
Ce n'est pas la révélation d'un mal, mais l'existence de ce mal qui constitue un danger pour le pays.
Messieurs, disons-le franchement : en Belgique, il y a une très grande ignorance, une ignorance que les écoles du gouvernement, les écoles des communes, l'enseignement moyen et l’enseignement supérieur sont impuissants à faire disparaître ; car c'est une ignorance bien déplorable et bien profonde, une ignorance que j'oserai appeler en quelque sorte volontaire et obstinée.
La moitié de. la Belgique ignore l'autre moitié. Nous avons la division des races. Cette division est en elle-même un fait plutôt heureux que malheureux. Mais la politique adoptée, depuis 1830, sous prétexte de s'éloigner davantage de la Hollande, a fait de la Belgique un pays qui n'est pas dans un état normal, mais dans un état de violence permanente.
En 1830, il y avait en Belgique deux populations à peu près égales, qui devaient avoir les mêmes droits et le même avenir. Et pourtant qu'est-ce qui s'est fait alors et depuis lors ?
Je le répète, sous prétexte de réagir contre la Hollande, la Belgique a réagi contre elle-même ; elle a réagi contre la moitié de ses citoyens, la moitié des Belges ; elle l'a fait en partie tout d'un coup ; puis lentement, graduellement, mais toujours violemment.
Aujourd'hui, est-il vrai oui ou non que le Belge, pour jouir de tous les droits politiques, pour jouir même de ses droits civils, pour être admis aux emplois, pour être considéré comme un citoyen dans le plein et vrai sens du mot, a besoin d'apprendre, la langue française, de s'identifier eu quelque sorte avec cette langue ? (Dénégations.)
Il est beaucoup plus facile de nier qu'il ne l'est de prouver la négation. Moi qui affirme, ai-je besoin de prouver l'affirmative ? Y a-t-il un membre dans cette enceinte, y a-t-il dans le pays entier un homme intelligent et équitable, qui osât affirmer qu'un Flamand, fût-il le plus savant homme du monde, fût-il un homme de génie, peut être admis à des fonctions quelconques, aux fonctions les plus modestes, s'il ne sait pas le français ?
M. Bouvierµ. Et M. Henri Conscience ?
M. Debaetµ. - On me cite Henri Conscience ; je n'aurais pas en ce moment-ci prononcé dans cette enceinte ce nom célèbre. M. Conscience est soumis à une bien rude épreuve ; hier il a assisté aux funérailles de son fils aîné ; il veille au chevet de son dernier fils, atteint de l'épidémie.
Mais puisqu'on l'a cité, il doit m'être permis de vous demander si M. Conscience, malgré sa réputation européenne, universelle, puis-je dire, aurait été admis comme directeur des musées de l'Etat s'il ne savait par faire en français ses rapports au ministre de l’intérieur qui, on l’assure, (page 330) ne veut signer aucune pièce rédigée en flamand, par la raison qu'il ne comprend pas cette langue ?
Je le répète, il est plus facile de nier les faits que de prouver la négation, et mon honorable contradicteur lui-même vient de vous en donner la preuve sur l'heure.
Je dis que dans un pays libre et démocratique c'est chose violente que de voir la moitié des habitants, pour ainsi dire, privée des droits de citoyen belge.
Voilà où est le mal. Le danger est incontestable et au point de vue intérieur et au point de vue extérieur.
Il est incontestable au point de vue intérieur, en ce sens que si nous avons inscrit dans la devise nationale « L'union fait la force », dans la pratique nous divisons le plus possible.
Je ne veux pas ici faire allusion à nos divisions politiques ; je ne sors pas de la question qui nous occupe et je dis que nous divisons le pays en Flamands et en Wallons. Nous le divisons par l'accession des uns et l'exclusion des autres aux emplois, à cause de la langue maternelle, nous divisons le pays en vainqueurs et en vaincus.
- Plusieurs membres. - Oh ! oh !
M. Delaetµ. - Oui, en vainqueurs et en vaincus.
M. Bouvierµ. - Où sont les vaincus ?
M. Delaetµ. - Partout où il se trouve des Belges de langue flamande
Ce n'est pas nous qui voulons faire une distinction entre Flamands et Wallons : nous vous invitons, au contraire, à la faire disparaître.
M. de Maere vous a demandé aujourd'hui, comme il y a dix jours, d'astreindre les Wallons qui prétendent à des fonctions dans les provinces flamandes à apprendre le flamand. Il voudrait envoyer de préférence dans les Flandres les Wallons parlant le flamand, dans les provinces wallonnes les Flamands parlant le français. Tous les Flamands se rallieront à cette idée, non pas afin de régénérer les Flandres qui, Dieu merci, n'ont pas besoin de régénération, mais afin de fusionner la famille belge. Les Flamands se sont déjà ralliés à cette proposition, car elle date de 1815.
M. Coomans. - Elle date de 500 ans.
M. Bouvierµ. - Ils ne sont pas d'accord.
M. Delaetµ. - Elle a été formulée en 1845 dans un article publié par le journal Het Taal verbond, en réponse à un article de M. Devaux, dans la Revue nationale. Tout le monde, en Flandre, s'accorde à reconnaître que ce système équitable et rationnel produirait des résultats plus rapides et surtout plus durables que le système violent contre lequel nous n'avons cessé de réclamer depuis 1840.
Il y a encore une autre division, qui existe dans la Flandre cette fois, et qui n'en est que plus facheuse, plus déplorable au point de vue social. C'est la crainte de voir surgir cette division qui a fait, au moins en partie, naître ce qu'on appelle le mouvement flamand.
C'est cette division de la population flamande en deux classes superposées qui, vivant sur le même sol, se touchent à peine et ne se confondent jamais, et c'est elle qui doit nous amener fatalement à tomber au plus bas de l'échelle sociale, à nous abâtardir.
M. Bouvierµ. - Allons donc !
M. Hymans. - Parlez pour vous.
M. le président. - Je prie les honorables membres de ne pas interrompre l'orateur.
M. Delaetµ. - Je suis Flamand de longue date ; je puis prouver depuis l'an 1400 l'indigénat de ma famille. Quand il s'agit d'abâtardissement, je n'ai donc pas à parler de moi. Ni par moi ni par mes parents, je n'ai jamais renié ni ma nationalité ni le Dieu de mes pères.
M. Hymans. - Qu'est-ce que j'ai renié, moi ?
M. le président. - N'interrompez pas ; on a tort de relever ces paroles.
M. Delaetµ. - Je dis, messieurs, qu'il était inévitable qu'après un certain laps de temps, une population parfaitement isolée, sachant que sa langue n'est plus une langue au moyen de laquelle elle puisse atteindre à rien, pas même à un certain degré de civilisation, ne tombât dans le marasme et dans l'apathie.
Mais, messieurs, ce que vous ont dit divers orateurs qui m'ont précédé à telle tribune, prouve que cette population n'a pas dégénéré, même sous une action qui aurait fait dégénérer tout autre peuple ; et je ne sais pas, si les choses avaient pu être interverties ; si, en 1830, au lieu de bannir la langue flamande, on avait banni la langue française ; si les hautes classes, dans le pays wallon, s'étaient mises à parler le flamand, comme les hautes classes, dans le pays flamand, se sont mises à parler le français, on aurait aujourd'hui dans les classes populaires du pays wallon et ce degré de civilisation, et ce degré d'instruction, et ce degré de moralité que, malgré toutes les causes qui auraient dû produire le contraire nous pouvons, Dieu merci, constater parmi nos compatriotes flamands.
Et pourquoi donc devrions-nous nous mettre à genoux, nous autres, Flamands, pour demander notre place au soleil dans cette Belgique que nous avons faite ? (Interruption.)
Les rires, messieurs, non seulement ne sont pas des raisons, mais ils prouvent une chose déplorable, c'est que non seulement ceux qui rient ne connaissent pas l'état actuel des choses en Belgique, mais ne savent pas même dans quel sol fécond a poussé l'arbre de la nationalité belge.
Comment ! nous n'avons pas fait la Belgique ? Mais, parmi les provinces wallonnes, il n'y en a qu'une seule, et c'est la dernière venue parmi les provinces belges, Liège, qui puisse revendiquer hautement un passé de lutte pour la liberté du citoyen et pour l'indépendance du sol. Lisez l'histoire des Flandres.
Les Flandres n'ont-elles pas tout créé sur notre sol ? Ne vous ont-elles pas tout donné ? Où sont les grandes villes belges ? J'en excepte encore Liège. Il n'y a pas si longtemps que Bruxelles était une ville flamande, avec une petite colonie wallonne. Et Gand ? Et Anvers ? Et Bruges ? Et Louvain ?
Mais les traces de notre action, de notre énergie, de notre virilité, pas n'est besoin de les chercher dans les livres, vous les trouvez sur le sol des Flandres. Partout où la langue flamande est parlée, vous trouvez et les superbes cathédrales et les magnifiques hôtels de ville.
M. Allard. - Même à Tournai.
M. Coomans. - Dans l'histoire, la ville de Tournai est bien plus française que belge.
M. Delaetµ. - L'exception, ici comme partout, confirme d'ailleurs la règle et ne l'infirme pas.
Messieurs, ne sont-ce pas d'autre part les Flamands qui ont créé, en Belgique, la commune, qui, au sortir du moyen âge, à la veille des croisades, ont constitué ces grandes communes qu'on a appelées les écoles primaires de la liberté, et d'où est sortie l'Europe libérale et libre ? N'est-ce pas la Flandre qui a créé la première industrie que nous a empruntée l'Angleterre ?
N'est-ce pas la Flandre qui, en Belgique, a créé les arts, l'agriculture, le commerce, la navigation qui, plus tard, ont émigré en Hollande ?
Ici, et je le regrette, il me faut rappeler un triste souvenir. Lorsque nous livrions nos grands combats aux troupes de Philippe II, certaines provinces wallonnes ne nous ont-elles pas abandonnés, retardant ainsi de plus de deux siècles l'émancipation de la patrie ?
On vous a parlé tout à l'heure de Philippe II. Qu'avons-nous fait au XVIème siècle ? Nous avons lutté, lutté jusqu'à la fin contre l'influence étrangère.
M. De Fréµ. - Les protestants.
M. Delaetµ. - Lisez l'histoire, M. De Fré ; les catholiques comme les protestants ont combattu Philippe II. II n'y avait pas là de question exclusivement religieuse ; il y avait, avant tout, une question nationale. Ne lisez pas l'histoire dans un seul feuillet ; tournez la page et vous trouverez la vérité.
Je dis que si certaines provinces wallonnes ne nous avaient pas abandonnés alors, il y aurait eu des Pays-Bas libres en 1588. Voilà ce que nous enseigne l'histoire.
Ce que vous avez encore de territoire, c'est nous qui vous l'avons conservé. Il y a longtemps, sans cela, qu'on ne parlerait plus des provinces wallonnes et que ces provinces seraient françaises. C'est, je le répète, aux provinces flamandes que la Belgique doit sa conservation.
Après cela, qu'avons-nous laissé aux Espagnols ? On vous l'a dit, et on l'a dit avec vérité, un sol dévasté et des villes en ruine. Mais en dehors de ceux qui s'étaient expatriés, il restait, en Flandres, des hommes énergiques et ceux-là ont su sauver le pays en tenant tête à l'Espagne, en refusant de lui sacrifier aucune de nos libertés communales. En maintenant la commune libre, ils ont pu préparer nos destinées d'aujourd'hui.
Et les Flamands n'auraient contribué en rien à la nationalité belge ?
Messieurs, je ne sais pas si justice nous sera rendue de sitôt ; mais je suis trop fier de ma race, et de sen histoire et de ses grandes qualités, pour jamais venir la mendier dans cette Chambre ; nous maintiendrons son drapeau haut et ferme, et un jour, j'en suis certain, l'esprit politique de nos hommes d'Etat, n'importe qui sera alors assis sur les bancs des ministres, et l'esprit d'équité de nos compatriotes wallons fera cesser l'état d'injustice et de négation du droit qui pèsent sur nous aujourd'hui.
Messieurs, les Flandres n'apportent-elles pas encore, en ce moment même, leur part à tout le mouvement intellectuel et à tout le mouvement matériel de la Belgique ? Est-ce que les Flandres ne nous donnent pas aujourd'hui leurs prosateurs, leurs poètes, leurs savants ? On vous a parlé tout à l'heure de M. Conscience. Je vous ai dit pourquoi j'aurais voulu ne (page 331) pas introduire ce nom dans ce débat. M. Conscience, l'Europe vous le dit, est la gloire du nom belge. Aucun écrivain belge, qu'il fasse emploi de la langue française ou de la langue flamande, n'est aussi connu que lui, n'a acquis un tel degré de célébrité.
Mais, il n'y a pas que Conscience, et si la moitié de ce pays n'ignorait l'autre moitié, si même parmi les classes supérieures de nos Flandres, il n'y avait pas d'hommes qui se sont assez éloignés de la masse populaire pour ne plus prendre intérêt à ce qui s'y fait, vous sauriez qu'à côté de Conscience il y a vingt autres noms d'auteurs dont les œuvres sont traduites dans presque toutes les langues de l'Europe et qui sont connus hors de leur pays bien plus qu'ils ne le sont en Belgique. Je ne parle pas de la Belgique flamande, mais de la Belgique wallonne et de certaines classes de la Belgique flamande qui ne connaissent pas ces auteurs aimés en Allemagne, en Angleterre et même en France.
Et nos peintres ! Ont-ils donc tant dégénéré ? N'est-ce pas encore la Flandre qui représente le mieux au dehors l'art belge ?
Et même cette expression d'art belge, nous l'employons ici par patriotisme- Mais où est-elle employée en dehors de la Belgique ? On dit partout l'art flamand. Allez en Italie, en France, en Allemagne, partout on vous parlera de l'art flamand, jamais de l'art belge.
En Italie, il y a cinquante ans, on ne connaissait pas le nom de Belges ni de Wallons. Tous étaient des « Fiaminghi ».
Eh bien, messieurs, si nous ne sommes pas déchus, si nous sommes encore cette race forte d'autrefois, n'avons-nous pas le droit de nous plaindre ? Que demandons-nous ? Des privilèges, de la protection ? Pas du tout. Nous réclamons simplement le droit d'être administrés dans la langue que nous comprenons et que comprennent seule deux millions d'entre nous. Ce n'est pas là un privilège, c'est le droit strict.
Ce. droit obtenu, et je souhaite pour la Belgique entière plutôt que pour les Flandres qu'il soit obtenu, nous ne vous demandons rien. Faites que nos administrateurs nous comprennent, qu'ils nous administrent dans la langue que nous comprenons, et vous aurez fait tout ce que nous pouvons demander du gouvernement. Le reste nous incombe. Nous connaissons notre devoir, que dis-je ! nous n'avons qu'à obéir à notre nature.
Cessez de traiter en parias les populations flamandes ; cessez de leur dénier un droit naturel et venez dans vingt ans, si vous l'osez, si vous le pouvez encore, parler d'une infériorité quelconque de la race flamande.
Je suis sûr qu'un jour ce droit nous sera rendu, mais je suis trop au courant de la situation pour ne pas craindre que le moindre des droits réclamés par nous ne soit considéré encore comme une chose excessive, comme un privilège spécial dont nous voulons faire un moyen de domination. Mais les majorités changent et le droit est immuable.
Messieurs, je conclus. Je remercie l'honorable M. de Maere d'avoir de nouveau soulevé ce grand débat dans cette enceinte. Je me joins à lui pour réclamer, non pas à cause d'une déchéance existante, mais à cause d'une déchéance inévitable si l'état actuel des choses persiste, contre la situation qui est faite aux populations flamandes.
Il est temps que le Belge flamand soit mis au même rang que le Belge wallon et qu'il ne soit plus astreint à se servir d'un interprète, alors qu'il a à plaider sa cause soit devant les jurys, soit devant l'administration publique.
Rétablissez l'égalité entre les citoyens belges, et vous aurez fait justice ; vous aurez mis fin à une situation violente et rendu au pays tout entier, à la pairie commune, le plus grand service que les délégués de la nation aient pu lui rendre depuis le vote de la Constitution par le Congrès. Il ne suffit pas de constituer une nationalité, il faut aussi la maintenir, et la justice seule peut l'asseoir sur une base immuable.
- Des voix. - A demain !
M. le président. - Il n'est que quatre heures et demie.
M. Delaetµ. - Il est près de 5 heures moins le quart, M. le président.
M. le président. - La parole est à M. Gerrits.
M. Gerritsµ. - M. le président, il me serait de toute impossibilité de finir aujourd'hui.
M. le président. - Je vous demande, messieurs, de vouloir bien continuer la séance ; nous avons eu dix jours d'interruption de nos travaux ; il importe maintenant de prouver notre zèle.
M. de Theuxµ. - Mon intention est d'être très court, et si la Chambre le permet, je pourrais remplir le reste de la séance.
M. le président. - Je dois faire remarquer que M. Lelièvre est inscrit avant M.de Theux ; par conséquent si M. Gerrits renonce à la parole, c'est à M. Lelièvre que je devrai la donner.
M. Gerritsµ. - Je n'y renonce pas, M. le président.
- Une voix. - Vous parlerez demain.
M. le président. - La parole est à M. Lelièvre.
M. Lelièvreµ. - La discussion du budget de l'intérieur me donne l'occasion d'appeler l'attention du gouvernement sur quelques questions que je livre à son examen.
Lorsque en 1867 on a discuté le projet de réforme électorale, certaines modifications à la loi communale avaient été proposées et discutées. Il s'en trouvait qui répondaient à des nécessités généralement reconnues. Je prie M. le ministre de l'intérieur d'examiner les dispositions qui avaient été soumises alors à la législature. A l'égard de quelques-unes de ces prescriptions, le gouvernement a cru devoir ajourner la discussion.
Des améliorations notables peuvent être réalisées. Il est certain, par exemple, que tous les citoyens domiciliés dans une commune au moment de la formation de la liste électorale, doivent pouvoir être inscrits sur cette liste quoiqu'ils soient venus habiter la commune (erratum, page 346) postérieurement au 1er janvier.
D'autre part, le projet discuté en 1867 présentait des dispositions très remarquables relativement à la délégation du cens électoral consentie par les veuves.
Ce serait chose utile, que faire en sorte que la législature statue le plus tôt possible sur des innovations dont (erratum, page 346) l'utilité me semble incontestable.
J'appelle aussi l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les mesures à décréter relativement aux chemins vicinaux, lorsque des voies ferrées viennent à les traverser ou les intercepter.
La législation actuelle est muette à cet égard, de sorte que souvent (erratum, page 346) la voirie vicinale éprouve des dommages considérables.
La cour de cassation a même décidé qu'en pareille matière les tribunaux sont incompétents, de sorte qu'il est essentiel d'édicter de nouvelles prescriptions propres à sauvegarder tous les intérêts. Les principes ordinaires concernant l'expropriation pour cause d'utilité publique ne sont pas applicables à cet ordre de choses qui doit être réglé par des dispositions spéciales.
Je pense aussi que dans diverses matières contentieuses qui relèvent du département de l'intérieur on pourrait introduire avec fruit le pourvoi en cassation, surtout quand des intérêts privés sont en jeu.
Le recours en cassation, dans toutes les parties où il a été introduit, a produit les meilleurs résultats au point de vue de la justice et de la saine application des lois en vigueur. Généraliser la mesure, c'est réellement assurer la bonne administration de la justice administrative.
Les mêmes motifs qui ont dicté l'introduction de la mesure en diverses matières militent pour l'étendre à tous les cas où il s'agit d'intérêts privés. C'est donc là une question qui mérite l'attention spéciale du gouvernement, et je ne saurais assez la recommander à ses méditations.
II est une dernière observation sur laquelle j'appelle l'attention de M. le ministre. Il y a quelques années, la ville de Gembloux jouissait de l'établissement du haras qui avait exercé une grande influence sur la prospérité de cette commune.
Lors de la suppression de l'institution, le gouvernement avait fait espérer à Gembloux certain dédommagement, consistant dans un autre établissement dont on aurait doté cette localité. Je viens rappeler cet objet à l'honorable M. Pirmez et je le prie de prendre en considération la position d'une ville qui a réellement droit à une indemnité par la privation d'une institution sur laquelle elle avait droit de compter.
M. de Theuxµ. - L'honorable M. de Maere s'est complètement trompé lorsqu'il vous a dit qu'il avait tellement étudié la question de la moralité flamande que la Chambre pouvait se prononcer sur ses allégations.
Je crois trop aux sentiments éclairés de la Chambre pour admettre cette conclusion ; je suis persuadé que s'il s'agissait de prononcer un jugement, elle voudrait s'entourer de beaucoup d'autres lumières, et je n'hésite pas à dire qu'il n'existe pas en Belgique un tribunal soit de première instance, soit d'appel, qui osât considérer la cause comme instruite.
Il ne suffit pas d'apporter ici des chiffres de la statistique pour décider semblable question, il faut examiner les faits. Il faut examiner les causes ; c'est après seulement qu'on peut conclure.
Prenons pour exemple la question judiciaire qu'il élève en ce qui concerne la province de Limbourg. Que trouvons-nous dans le dernier volume de statistique publié par le ministère de la justice ?
Nous trouvons que de 1832 à 1860 il y a eu dans le Limbourg un accusé sur 57,135 habitants. Et que voyons-nous, en décomposant cette statistique ? Nous voyons que de 1836 à 1839 le nombre d'accusés augmente jusqu'à un sur 34,383.
Vous vous direz peut-être : Quelle triste province l
Arrêtez votre jugement, messieurs. De 1850 à 1860 nous trouvons dans le Limbourg un accusé sur 193,100 habitants et nous constatons que cette province occupe le plus haut degré du moralité au point de vue des cours (page 332) d'assises, si l'on en excepte toutefois la province de Namur, qui ne la surpasse que d'une manière insignifiante.
Et pourquoi ce grand nombre d'accusés dans la période 1836 à 1839 ? Mais, messieurs, le Limbourg à cette époque était en état d'armistice armée vis-à-vis de la Hollande ; elle était le rendez-vous de tous les défenseurs du pays et d'une quantité d'étrangers qui venaient là sur nos frontières.
Alors nous comprenons ce grand nombre d'accusés. Mais à partir de la conclusion de la paix, lorsque le Limbourg lut rendu à lui-même, la situation changea immédiatement : pour la période de 1856 à 1860, nous ne trouvons plus qu'un seul accusé sur 193,100 habitants. Voilà, messieurs, le meilleur élément d'appréciation du degré de moralité du Limbourg et je pose en fait que pas une seule de nos autres provinces n'est plus morale que le Limbourg.
Est-ce aux écoles communales qu'il faut attribuer le mérite d'une plus grande moralité, comme l'a dit l'honorable M. de Maere ? En aucune manière.
La loi de 1842 n'a commencé à fonctionner sensiblement qu'à partir de 1845 et ce n'est pas de 1845 à 1860 que les mœurs ont pu subir l'influence de cette loi. Les jeunes gens qui ont fréquenté les écoles communales à partir de 1845 n'avaient pas encore atteint l'âge ordinaire des criminels appelés devant les cours d'assises.
L'instruction libre n'a pas plus baissé, dans le Limbourg que dans d'autres provinces, et si, dans certaines de celles-ci, on compte un plus grand nombre de ces écoles, c'est que la population y a une densité plus forte, que dans le Limbourg.
Chose remarquable, messieurs, c'est que dans les provinces wallonnes les corporations religieuses enseignantes pour l'instruction primaire sont plus répandues que dans les provinces flamandes. Mais dans les provinces flamandes, on trouve plus d’écoles gardiennes et dominicales, et l'on ne prétendra pas, je pense, qu'on ait là moins de souci de la moralité que. dans les écoles communales.
Si maintenant nous comparons les deux Flandres au point de vue du nombre des prévenus criminels, nous trouvons, pour la Flandre orientale que la proportion, qui était autrefois de 1 sur 65,750, est maintenant de 1 sur 96,679.
Dans la Flandre occidentale c'est l'inverse : la criminalité quant aux accusés, qui était de 1 sur 106,706, est montée à 1 sur 65,156. Est-ce à dire que la population de la Flandre occidentale est moins morale que celle de la Flandre orientale ? Personne, bien certainement, ne le prétendra : dans les deux provinces c'est la même langue, le même caractère, ce sont les mêmes mœurs, il y a le même degré d'instruction ; en un mot, il n'y a aucun motif de différence. Mais la grande cause, la cause passagère de l'infériorité que je viens de signaler, c'est la crise dont la Flandre occidentale a souffert beaucoup plus que la Flandre orientale, crise qu'il ne faut pas apprécier par des raisons isolés, mais qui est une période de décadence ; c'est, en second lieu, la proximité de la France, qui fait qu'un grand nombre d'ouvriers se rendant fréquemment dans ce pays négligent davantage l'éducation de leur famille.
Nous en avons la preuve dans le Limbourg ; là aussi certain nombre d'ouvriers passent dans d'autres provinces, laissant leurs familles dans l'abandon et ne s'occupant pas de l'éducation de leurs enfants.
Et nous n'admettons nullement que les populations rurales de cette province aient besoin sous aucun rapport d'aller chercher des leçons de moralité dans le pays wallon.
Vous le voyez, messieurs, il ne suffit pas d'aligner des chiffres, il faut les juger, les apprécier d'après les circonstances.
On dit : « Le nombre des électeurs diminue dans les provinces flamandes, et progresse dans les provinces wallonnes. »
Mais on a oublié qu'il y a eu deux abaissements considérables d'impôts directs dans les deux Flandres et dans la province d'Anvers : de là nécessairement une diminution du nombre des électeurs, tandis qu'il y a en une augmentation de contributions dans les provinces wallonnes, parce que leur prospérité s'est accrue davantage ; de là encore un plus grand nombre d'électeurs.
Mais indépendamment de la crise linière qui a si gravement affecté la Flandre occidentale, une autre considération générale a été complètement perdue de vue : c'est que depuis 1830 l'industrie des mines, l'industrie métallurgique a pris un développement considérable dans les provinces wallonnes ; qu'elle a été la source d'un grand accroissement de richesse et d'aisance, et que conséquemment on y a trouvé beaucoup plus facilement des moyens d'existence.
Une chose qui m'a étrangement étonné, messieurs, c'est qu'on soit venu alléguer ici l'état sanitaire des provinces wallonnes, comparativement à celui des provinces flamandes. Qu'est-ce que cela a de commun avec la moralité des provinces wallonnes et des provinces flamandes ? Les provinces flamandes en général occupent un territoire plus bas, conséquemment moins sain ; cela est évident ; les provinces flamandes n'ont pas eu le même développement de richesse, cela est encore évident.
Que vient donc faire ici l’état sanitaire des provinces wallonnes, comparé à celui des provinces flamandes ? Absolument rien. La nourriture est plus abondante, plus substantielle dans les provinces wallonnes que dans les provinces flamandes. Cela est incontestable. Mais avant que l'industrie des mines, l'industrie métallurgique eût pris les développements que nous lui voyons aujourd'hui, les provinces flamandes ont eu ce degré de prospérité dont jouissent aujourd'hui les provinces wallonnes.
Pourquoi a-t-on abaissé les .contributions dans les provinces flamandes ? C'est qu'on a reconnu qu'il y avait là un changement de situation dont il fallait tenir compte ; et ce seul point de l'abaissement des contributions explique parfaitement la situation des provinces flamandes, comparée à la situation des provinces wallonnes.
Je ne veux pas en dire davantage, parce que cela me paraît complètement inutile. Je dois aussi déclarer à la Chambre que je n'ai aucun motif de prédilection, ayant toujours ou à peu près les mêmes rapports avec les provinces wallonnes et avec les provinces flamandes. Les observations que je présente ne me sont donc pas dictées par un sentiment de partialité, mais uniquement par un sentiment de justice.
Je crois que cette discussion n'aboutira en aucune manière, et qu'elle n'est pas appelée à constituer d'une façon définitive l'état moral et intellectuel des provinces flamandes, comparé à celui des provinces wallonnes.
On a agité dernièrement la question de l'intervention du gouvernement dans le travail des mines et des manufactures. Eh bien, on n'est pas arrivé à une conclusion.
J'ai eu l'occasion de parler à des députés appartenant à des localités industrielles considérables, et je me suis enquis de leur opinion sur cette question. Je citerai deux villes, Saint-Nicolas et Verviers, où la classe ouvrière ne laisse rien à désirer.
Beaucoup d'autres exemples dans les centres industriels et miniers peuvent être constatés, et je suis persuadé que si le gouvernement faisait une enquête sérieuse et complète sur les moyens à employer pour arriver à la moralisation et au bien-être de l'ouvrier, et s'il publiait ce rapport afin d'y donner une grande publicité, cela stimulerait la spontanéité de ceux qui peuvent influer sur les classes ouvrières. Pour le moment, je .suis d'avis qu'il n'est pas urgent de recourir à l'intervention du gouvernement pour réglementer l'industrie, et encore moins pour améliorer la situation morale du pays flamand.
M. Liénartµ. - La Chambre semblait avoir décidé tout à l'heure, sur la proposition du ministre des finances, que, en cas d'absence de M. le ministre de l'intérieur à la séance de demain, la discussion aurait cédé le pas au projet de loi sur l'abolition de la contrainte par corps.
Il y a plusieurs orateurs inscrits pour la question flamande et le rapporteur lui-même doit encore prendre la parole sur cet objet.
De sorte que, même en l'absence du ministre de l'intérieur, nous pourrions bien continuer la discussion demain.
MfFOµ. - Il est évident que la proposition que j'ai faite à la Chambre n'avait d'autre but que d'empêcher une nouvelle interruption de ses travaux. Dans le cas où l'on ne pourrait pas continuer la discussion du budget de l'intérieur, la Chambre aurait un autre objet à l'ordre du jour et pourrait s'en occuper.
M. Liénartµ. - En supposant que M. le ministre de l'intérieur soit absent demain, la Chambre ne ferait-elle pas mieux d'aborder la discussion de petits projets de loi ?
Cela serait plus pratique ; car si l'on aborde demain la discussion du projet de loi sur l'abolition de la contrainte par corps, il faudra abandonner cette discussion pour reprendre celle du budget de l'intérieur. Nous ne pourrons évidemment pas finir en une séance.
MfFOµ. - Je ne crois pas que la discussion du projet de loi sur l'abolition de la contrainte par corps soit de nature à donner lieu à de longues discussions. La question se réduit aujourd'hui à des termes très clairs ; je ne sache pas qu'il y ait à l'ordre du jour un projet de loi qui puisse donner lieu à moins de discussion. J'insiste donc pour le maintien de ce projet à l'ordre du jour de demain, pour le cas où la discussion du budget de l'intérieur serait interrompue.
M. Liénartµ. - Je fais remarquer qu'il y a de petits projets de loi (page 333) qui pourraient être votés plus vite que le projet de loi sur la contrainte par corps.
Il y a notamment l'érection de plusieurs communes et on pourrait parfaitement commencer par là.
M. le président. - Il ne faut pas enlever la priorité à ce projet de loi. Demain l'on continuera la discussion du budget de l'intérieur, et s'il fallait interrompre cette discussion, on procéderait a la discussion du projet de loi sur la contrainte par corps.
Il est procédé an tirage des sections du mois de février.
- La séance est levée à 5 1/2 heures.