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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 juillet 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1443) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Kupfferschlaeger propose une mesure destinée à s'assurer si l'électeur est suffisamment instruit pour pouvoir écrire son bulletin. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les fraudes électorales.


« La veuve Declercq demande que son fils Charles-Louis, milicien de la classe de 1865, incorporé au 11ème régiment de ligne, soit renvoyé dans ses foyers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Molenbeek-Saint-Jean demande la révision des lois en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. »

- Renvoi a la commission des pétitions.


« Le sieur Libois se plaint de la lenteur mise dans l'impression et dans l'envoi des Documents parlementaires de la Chambre publiés par le Moniteur. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal et des habitants de Marcq demandent l'établissement dans cette commune d'une halte sur le chemin de fer de Hal à Ath. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal d'Herinnes réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir l'établissement dans cette commune d'une halte sur le chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand. »

M. Jamar. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif aux fraudes en matière électorale

Discussion des articles

Article 2

MpVµ ; - La discussion s'engage sur l'amendement de M. Orts, à l'article 2.

M. Nothomb. - Messieurs, je désire vous présenter quelques observations en réponse aux critiques qui des deux côtés de la Chambre ont accueilli la proposition de 1’honorable M. Orts. Elles ont parcouru toute l'échelle, depuis les considérations les plus graves, jusqu'aux plaisanteries les plus acérées. Rien ne lui a été épargné, et cependant je me hâte de dire qu'elles ne me font pas hésiter dans l'appui que j'ai donné à la motion et bien que vivement combattue, ou plutôt parce qu'elle est tant combattue, elle me trouve plus disposé que jamais à vous soumettre encore quelques considérations en sa faveur.

Je le désire encore pour cet autre motif, que moi et plusieurs de mes honorables amis nous nous trouvons en complet dissentiment sur cette question avec d'autres de nos amis politiques que nous avons appris à aimer et à respecter ; pour persister ainsi dans notre opinion, nous devons nous croire profondément dans la vérité.

Je vais rencontrer rapidement ces reproches et ensuite j'examinerai le moyen pratique de M. Orts dans les points par où je m'y rallie et dans ceux par lesquels je m'en éloigne.

Un des premiers griefs qu'on a articulés est basé sur l'inconstitutionnalité de la mesure, si non quant au texte de la Constitution, tout au moins quant aux tendances et à la pensée qui ont guidé le législateur constituant.

Je reviens sur ce reproche parce que dans la dernière séance deux de mes amis, de l'opinion desquels je fais grand cas, y ont de nouveau insisté et selon l'un d'eux, l'honorable M. Van Wambeke, la proposition est positivement en opposition avec la lettre comme avec l'esprit de la Constitution.

Je ne veux pas à cet égard recommencer un long débat. Je m'en suis déjà expliqué. On ne nous a pas convaincus d'erreur. Selon nous, l'article 49 de la Constitution répond pleinement à l'objection ; mais ce qui vaut mieux que tout ce que je pourrais en dire, c'est l'opinion du rapporteur même de ce titre de la Constitution, de l'honorable M. Raikem, qui se trouve consignée dans le recueil de M. Huyttens, à la page 28 du tome II, comme suit :

« M. Raikem. - Messieurs, dans la section centrale on agita la question de savoir si la qualité d'électeur devait reposer sur le cens et on se décida pour l'affirmative, mais on convint d'en laisser la fixation à la. loi électorale. Le projet consacre l'élection directe ; il abandonne la fixation du cens à la loi électorale. L'article est ainsi conçu : la loi électorale fixera le nombre des députés d'après la population. Ce nombre ne pourra excéder la proportion d'un député sur 40,000 habitants. Elle déterminera également les conditions requises pour être électeur et la marche des opérations électorales.

« Il en résulte (continue M. Raikem) que la proposition de M. Defacqz diffère du projet en ce seul point qu'il fixe un minimum et un maximum pour être électeur. La section centrale n'a pas cru que ce fut ici le cas de le fixer, et je crois comme elle que l’on peut s'en rapporter à la loi. Il y n des questions au moins aussi importantes que nous avons déjà abandonnées à la décision du législateur. »

Veuillez remarquer, messieurs, jusqu'où allait M. Raikem ; selon lui on pouvait laisser au législateur ordinaire le soin de fixer même le cens électoral et dans tous les cas il proclamait très nettement qu'on pouvait lui abandonner toutes les autres conditions de l'électorat sans en excepter aucune, et s'en référer, l'expression est significative, à la décision du législateur ordinaire.

Sous ce rapport donc il ne peut subsister de doutes sérieux et tous les scrupules doivent cesser devant une déclaration aussi catégorique émanée de l'homme éminent qui a coopéré dans une aussi large mesure à la rédaction de la Constitution.

Vient un autre reproche que l'on énonce contre la motion, en prétendant qu'elle créerait un privilège en faveur de l'électeur lettré. Si cela était vrai, ce serait assurément sérieux, mais il n'en est rien.

Qu'est-ce qu'un privilège ? C'est le bénéfice d'une position, d'une situation exceptionnelle dont la généralité des citoyens reste exclue, et que tous les efforts individuels ne peuvent faire acquérir ; c'est un avantage exclusivement réservé à une classe ou à quelques individualités. Or, rien de semblable dans la proposition ; tout le monde peut apprendre à lire et à écrire, comme tout le monde peut acquérir le cens. C'est donc une simple condition, dans le sens réel comme dans le sens constitutionnel du mot. Si on pouvait parler ici de privilège, on pourrait peut être avec plus de raison appliquer cette qualification au cens lui-même, qui, bien plus que la simple condition de lire et d'écrire, peut sembler froisser le principe d'égalité.

Enfin, un troisième reproche est celui-ci : Au fond, nous dit-on, votre proposition recèle une atteinte à la Constitution ; elle contient en germe une menace à nos institutions, et ne s'arréêant pas en si beau chemin, l'on ajoute : Votre système va nous lancer dans le suffrage universel !

Si grosse que soit l'assertion, elle ne nous émeut guère : c'est un procédé de discussion bien connu, et une vieille pratique, qui consiste à exagérer l'opinion d'un contradicteur pour en avoir plus facilement raison. N'ai-je pas lu, dans un grave journal de province, qui habituellement est très bienveillant pour moi, que de concert.il faudrait dire de complicité, M. Orts et moi, nous voulons demander le renversement de la Constitution ?

C'est pousser loin l'emploi de l'hyperbole et il faut convenir que l'alliance entre l'honorable membre et moi, dans un pareil but, serait chose fort étrange à laquelle il ne fallait guère s'attendre. Mais je quitte ce domaine de la fantaisie pour déclarer tout simplement que personne ne songe à réclamer le suffrage universel, parce que tous, autant que nous sommes, nous voulons nous maintenir dans la Constitution.

Sans doute il sera permis de parler ici du suffrage universel comme (page 1444) d'une éventualité réservée à l'avenir ; c'est mon opinion personnelle que j'ai déjà exprimée ici et bien arrêtée que, sous une forme ou l'autre, le suffrage universel est la formule d'élection destinée aux générations qui nous succéderont.

Après cela, qu'on aime ou non le suffrage général, qu'on le désire ou qu'on le redoute, peu importe, je tiens pour certain qu'il s'imposera à 'avenir ; quand les temps seront venus ce sera un fait devant lequel il faudra s'incliner tout comme il faudra bien s'accommoder de cet instrument. C'est pourquoi je crois prudent d'y préparer graduellement les esprits et les masses ; c'est pourquoi aussi nous ne cessons de demander, et nous ne demandons que l'extension du droit d'élire, dans les limites de la Constitution, ni plus ni moins. Je repousse donc, quant à moi, comme pour mes amis politiques, comme pour l'honorable M. Orts, cette pensée qu'on nous prête, que rien n'autorise à nous attribuer, de vouloir sortir de la Constitution ; véritable épouvantail, mis en avant pour effrayer les esprits et avoir bon marché de ses adversaires en travestissant leurs idées.

Et cependant, messieurs, faites-y attention : s'il était vrai, comme on nous l'a dit et redit sur tous les tons, que nous ne serions séparés du suffrage universel que par la simple condition contenue dans notre proposition, il faudrait bien convenir que nous en sommes tout près ; ce serait la condamnation la plus formelle de notre système électoral tout entier et ce serait donner trop raison à ceux qui le critiquent.

Nous ne réclamons donc pas le suffrage universel, nous le signalons comme une loi de l'avenir ; entre demander et entre prévoir, la différence est énorme. Mais nous croyons aussi que dans les limites de la Constitution on peut et l'on doit considérablement élargir notre base électorale : pour les Chambres, par l'adjonction des centimes additionnels payés à la province et à la commune ; par les patentes agricoles et par d'autres moyens parfaitement constitutionnels qu'on trouverait certainement le jour oh on le voudrait sérieusement.

Par là le nombre des électeurs pour les Chambres serait considérablement accru ; pour la province et la commune, par un abaissement modéré et graduel, parfaitement constitutionnel. Cela va de soi, et c'est la conséquence rationnelle de l'abaissement de cens qui a eu lieu en 1848 pour les Chambres. J'ajoute que la Belgique, après 34 années de régime constitutionnel, est assez sage, assez mûrie, assez sûre d'elle-même pour pratiquer cette réduction du cens pour la province et la commune, et supporter avec honneur et avantage ce développement nouveau de la vie publique, premier et légitime besoin de notre époque.

Enfin, messieurs, j'insiste sur cette réflexion déjà faite dans une séance précédente par mon honorable ami M. de Haerne et qui a dû vous frapper : C'est qu'en vue précisément de ce suffrage général qui effraye tant certains hommes, la condition de la lecture et de l'écriture devrait recevoir l'approbation de ceux qui ont ces terreurs ; ce serait alors la seule barrière qu'on pourrait y opposer, ce serait un obstacle contre la démagogie, un rempart, le dernier, contre les erreurs, les passions, les convoitises de la multitude.

J'arrive maintenant au côté pratique de la proposition.

En soi, le principe est excellent. Au fond, on ne peut pas le contester, on ne le conteste pas non plus.

Mais ici une chose me surprend : c'est qu'on ne parvienne pas dans une assemblée comme celle-ci à organiser un principe que tout le monde proclame bon, utile, excellent !

C'est un aveu d'impuissance qui, certes, ne tourne pas à l'honneur du régime parlementaire. Il me paraît impossible, et ce serait humiliant, qu'en réunissant tous nos efforts, nous ne réussissions pas à régler un principe dont on ne saurait nier la valeur intrinsèque.

En effet, messieurs, que devons-nous vouloir, que voulons-nous ? Moraliser et éclairer l'élection ; c'est le problème et c'est le but de toute loi concernant le mécanisme électoral.

C'est à ce prix seulement que le régime des peuples libres peut se développer, grandir, et qui sait ! trouver sa durée dans l'avenir.

Eh bien, et quoi qu'on ait pu dire, il n'y a pas de plus sûr moyen de moraliser et d'éclairer l'élection que de n 'appeler à l'exercice de ce droit que ceux qui fournissent des preuves de capacité et d'intelligence. Bien qu'on ait essayé de le contester, il n'y a pas de meilleur témoignage à cet égard que la faculté de savoir lire et écrire. C'est le signe visible de l'intelligence.

Je ne pourrais jamais admettre qu'un homme sachant lire et écrire ne soit pas dans des conditions d'intelligence supérieures à l'individu privé de ces éléments. Qu'il puisse y avoir des exceptions, soit ; elles ne prouvent rien ; les lois ne sont pas faites pour les exceptions.

Je crois qu'il faut attacher beaucoup plus d'importance à la lecture qu'à l'écriture. Savoir lire implique, scion moi, un plus haut degré d'intelligence. Lire est positivement une science, tandis qu'écrire son nom ou à peu près, peut n'être quelquefois qu'une opération purement mécanique.

Quiconque lit, réfléchit ; lire, c'est la voie ouverte au perfectionnement de l'esprit ; c'est la lumière morale, c'est le foyer auquel s'éclaire réellement l'intelligence, et quiconque a lu une fois voudra lire, et le sens moral grandira avec l'intelligence.

Et l'on a pu dire avec vérité « que la lecture, c'est l'opération de la cataracte au moral. »

Et sur ce point je cite volontiers une parole que j'emprunte à un livre récent d'un écrivain distingué, ami de la liberté autant que de l'ordre :

« Celui qui ne sait pas lire, dit M. Labaulaye, est au milieu de la civilisation, comme l'aveugle-né : on ne saurait lui ouvrir les yeux. »

Lire est donc la chose capitale ; j'accorde à la lecture le pas sur la faculté d'écrire, et tantôt quand j'expliquerai à la Chambre mes moyens organiques, elle verra la différence que j'y fais.

Ces difficultés pratiques sont certainement très sérieuses, très réelles, mais pour cela même méritent le concours de la Chambre.

Ces difficultés, je ne me les suis jamais dissimulées.

Mais pour être grandes, sont-elles donc insurmontables ? On l'a prétendu, et les adjectifs les moins aimables ont été prodigués à notre projet. « Il est ridicule, il est absurde, c'est du gâchis, c'est de l'arbitraire, cela n'a pas le sens commun, etc. » On s'en est donné à cœur joie. Un honorable député de Bruxelles a déjà répondu à cette manière par trop commode de discuter avec ses contradicteurs. Si l'on devait toujours s'arrêter devant les difficultés, on n'aurait jamais fait de lois nouvelles, on se serait toujours traîné dans l'ornière du passé. N'a-t-on pas dit la même chose de la Constitution belge ? Est-ce qu'on ne prétendait pas qu'elle ne pouvait jamais être pratiquée ? (Interruption.)

On me rappelle le mot dont on se servait ; on disait qu'elle n'était pas viable et que l'édifice ne tarderait pas à se disloquer. Et cependant, messieurs, la Constitution a vécu, elle vit, elle s'exécute et j'espère qu'elle marchera longtemps encore. Pourquoi donc désespérer à l'avance de la possibilité de faire mouvoir notre proposition, moins compliquée assurément que la Constitution.

On redoute encore les fraudes, les abus, on voit la porte ouverte, à toutes les vexations, à toutes les injustices, on signale partout des excès dans l'exécution.

Ceci revient à préconiser le système de la méfiance générale, de la suspicion absolue ; dans ce système tout homme qui, de près ou de loin, est chargé de l'application des lois, devient suspect, il faut douter de sa moralité, de son patriotisme. Dans ce raisonnement affligeant, il n'y a plus de braves gens nulle part, il n'y a plus que des corrupteurs, des corrompus, des prévaricateurs ou des niais. Pour l'honneur du pays, je repousse ce système, qui n'est, d'ailleurs, je me hâte de le dire, qu'un fâcheux moyen de discussion.

Il m'a paru, messieurs, que pour mettre en pratique notre idée, il y avait trois conditions principales à remplir ; la première, d'instituer une commission, un jury si l'on veut, d'examen présentant des conditions sérieuses d'impartialité.

La seconde, de préciser l'épreuve à laquelle le candidat électeur sera soumis, de la faire sortir du vague dans lequel elle est jusqu'ici enveloppée, de dire en quoi consistera l'épreuve, et enfin la troisième, de trouver une combinaison dans laquelle l'électeur soit aussi peu gêné, aussi peu intimidé que possible. C'est cette dernière objection qui est la plus sérieuse. C'est l'intimidation, dit-on, qu'on va jeter dans l'esprit de l'électeur. On craint que beaucoup d'électeurs ne veuillent pas affronter cette épreuve et préféreront renoncer à leur droit électoral.

Telle est l'objection, j'en reconnais la valeur et ne veux pas l'amoindrir.

Il y a cependant à répondre. D'abord, j'y oppose une considération générale. Je dis que s'il y a des électeurs de cette trempe ils ne méritent pas que nous prenions d'eux un aussi grand souci. Un électeur qui fait preuve à ce point d'indifférence n'est pas digne de la sollicitude du législateur.

Dans notre système constitutionnel un électeur remplit un véritable mandat. Il a derrière lui de grands, d'immenses intérêts. Il ne stipule pas pour son propre et unique compte. Lui aussi, comme on l'a dit pour (page 1445) d'autres situations, il a charge d'âmes. Il représente les intérêts matériels et moraux de milliers de personnes. J'estime que l'électeur à ce point mou, indifférent ou vaniteux qu'il ne voudrait pas se soumettre à la simple épreuve qu'on lui demande, ne peut pas être un bon électeur pour aucune opinion respectable et qu'il ne vaut pas la peine qu'on sacrifie pour lui un principe juste et fécond en soi.

En second lieu, pour répondre à cette appréhension, je ferai remarquer que tout le monde est à peu près d'accord pour reconnaître que le cas d'un électeur ne sachant ni lire ni écrire est très rare. L'application de la mesure sera donc nécessairement fort restreinte et, en supposant même qu'il y eût quelques électeurs assez peu pénétrés de leur dignité et de l’importance de leur rôle, assez peu animés de civisme pour reculer devant l'épreuve, ce sera pour d'autres un stimulant pour apprendre à lire et à écrire, un encouragement et une véritable prime pour l'instruction. Et une bonne prime. Même quand la mesure nouvelle n'aurait que cet effet, ce serait déjà un grand bien, et un tel germe déposé dans notre législation portera bientôt, soyons-en sûrs, des fruits salutaires dans l'avenir. Je consens volontiers, au prix de quelques difficultés, à acquérir la bénéfice du principe.

D'accord avec l'honorable M. Orts sur le principe même de l'amendement, voici en quels points je me sépare de lui.

Je voudrais que la mise à exécution fût reculée de quelques années, trois, quatre et même cinq. Ce sera un stimulant nouveau pour porter l'électeur à s'instruire.

Ce sera en quelque sorte la mise en quarantaine de l'ignorance et je crois qu'au bout de cinq ans nous trouverions bien peu de gens incapables de subir l'épreuve.

Voici maintenant comment je voudrais formuler des amendements :

« 1° L'électeur dont la capacité sera contestée pourra être appelé à subir une épreuve devant le juge de paix de son canton, assisté de l'inspecteur de l'enseignement primaire et d'un membre choisi par eux parmi les collèges des bourgmestres et échevins du canton.

« En cas de désaccord, ce membre est désigné par la voie du sort.

« L'appel de la décision pourra être interjeté devant la députation permanente qui, outre les dispositions présentes, observera les délais et formes ordinaires. »

En cette matière il faut soustraire le récipiendaire, c'est-à-dire le candidat électeur, à ces petites et souvent mesquines passions de village, Voilà pourquoi je choisis le magistrat de confiance, le juge de paix qui est, qui doit être le magistrat de famille du canton.

Je lui adjoins l'inspecteur civil de l'enseignement primaire qui est un homme spécial et un membre pris parmi les administrations communales du canton.

MjTµ. - Ce sont ceux-là qui vont décider si l'on est électeur ou si on ne l'est pas.

M. Nothomb. - Ils vont décider si l'on sait lire et écrire. Ils auront la première décision.

J'ouvre également, comme l'honorable M. Orts, l'appel à cette décision et je le porte devant la députation permanente de la province qui jugera, en observant les délais et les formes ordinaires.

« 2° Si l'électeur l'exige, l'épreuve sera publique. »

L'épreuve sera publique si l'électeur le demande, mais je n'entends pas le soumettre à la tyrannie d'un réclamant qui viendrait lui imposer cette formalité gênante de la publicité, mais s'il la demande lui-même, il faut l'accorder.

Voici maintenant le point le plus délicat, celui de préciser en quoi consistera l'épreuve de l'électeur. Il faut sortir du vague et empêcher les appréciations arbitraires. Je mets ceci :

« 3° Le titre II de le Constitution, imprimé dans toutes les langues usitées en Belgique, en gros caractère et d'après un type uniforme pour tout le pays, sera seul employé pour l'épreuve de la lecture. »

C'est le titre relatif aux droits des Belges.

- Un membre. - On l'apprendra par cœur.

M. Nothomb. - C'est déjà quelque chose ; le jury choisira un article à volonté. Voilà pour la lecture.

Quant à l'écriture, je la mets en seconde ligne, je l'ai dit tantôt, parce qu'elle ne donne pas au même degré le critérium de l'intelligence d'un homme. Je dirai donc ceci :

« Pour justifier de l'écriture il suffira que l'électeur puisse apposer sa signature ou qu'il produise un acte authentique où il a comparu et signé. »

Ceci devient en quelque sorte la connotation d'un fait matériel où les abus de l'arbitraire trouveraient plus difficilement à s'exercer. L'épreuve principale restera la lecture.

« 4° L'action en contestation de capacité appartiendra à tout citoyen jouissant de ses droits civils et politiques ainsi qu'au commissaire d'arrondissement. »

« 5° Les exploits et généralement tous les actes de procédure seront dispensés de droit de timbre et de greffe. Ils seront enregistrés gratis et le salaire des huissiers sera fixé comme en matière électorale. »

Ces deux dispositions sont empruntées à la loi électorale.

« 6° L'électeur pourra dans tous les cas réclamer la taxe du témoin en matière civile. »

Les frais seront à la charge de l'Etat. Cela paraît juste, car il s'agit ici d'un grand intérêt national.

Enfin j'ajoute une clause pénale pour empêcher qu'on ne puisse, par esprit de vexation, entraîner facilement l'électeur à des dépenses et des ennuis.

« Ces frais pourront, s'ils sont reconnus frustratoires, être mis à la charge du réclamant. »

C'est la peine du fol appel et j'emprunte cette disposition au projet du gouvernement sur la milice qui prévoit également les réclamations téméraires et y met un frein salutaire. Rien de plus juste que de punir ainsi la légèreté ou la mauvaise foi d'un réclamant.

« 7° Si l'électeur refuse de comparaître à l'épreuve, il sera rayé de la liste. »

C'est la sanction obligée du principe.

« 8° Toute décision favorable rendra l'inscription définitive.

« Les décisions défavorables n'auront d'effet que jusqu'à la révision la plus prochaine de la liste. »

Telles sont, messieurs, les quelques idées que je voulais vous soumettre, car je n'ai pas la prétention de présenter un système complet ; j'ai simplement voulu montrer comment on peut organiser le principe sans tomber dans les impossibilités qu'on redoute.

Comme rédaction, ce serait à revoir car j'ai simplement voulu apporter un modeste contingent à une idée que je crois honorable pour le pays dans le présent et avantageuse dans l'avenir.

Tout ce que je désire c'est que ces amendements et le projet de M. Orts soient renvoyés à la section centrale afin d'unir nos efforts pour rechercher une combinaison qui assure l'exécution d'un principe que chacun doit approuver, et qui allie le progrès aux intérêts conservateurs sainement compris.

En terminant je réitère mes regrets que la question ait été prise à rebours ; il fallait commencer par réformer notre base électorale et arriver ensuite aux fraudes électorales. C'était rester dans la logique ; pour en être sortis, nous discutons depuis quinze jours dans le vide et le résultat final, nul, n'apportera de remède ni aux inégalités ni aux fraudes de notre régime électoral.

MpVµ. - Il est arrivé au bureau une proposition ainsi conçue :

« Je propose de formuler de la manière suivante le mode d'exécution de l'amendement proposé par M. Orts :

« Chaque année, lors de la formation des listes électorales, les citoyens qui voudront se faire inscrire sur les listes et qui remplissent les autres conditions exigées par la loi, se présenteront devant l'autorité communale de leur domicile et y rempliront une formule imprimée portant les mots ;

« Nom,

« Prénoms,

« Age (en toutes lettres),

« Profession,

« Domicile.

« Funck.»

La parole est à M. Funck pour développer cette proposition.

M. Funckµ. - Il n'est pas dans mes intentions de rentrer dans le fond du débat. La proposition de M. Orts a été défendue d'une minière brillante dans les dernières séances et, je dois le dire, les attaques que j'ai entendues contre elle n'ont pas ébranlé ma conviction. Mais j'ai aussi entendu formuler des doutes sur la possibilité d'exécuter le principe contenu dans la proposition de l'honorable M. Orts. J'ai donc cru utile de soumettre à la Chambre un mode d'exécution du principe proposé qui, selon moi, est très simple et d'une exécution facile. Nous voulons constater la capacité de l'électeur, constater qu'il sait lire et (page 1446) écrire ; eh bien, en lui soumettant ni bulletin imprimé portant ces mots :

« Nom....

« Prénoms....

« Age....

« Profession....

« Domicile.... »

si l'électeur remplit ce bulletin, il prouve qu'il sait lire et écrire. Cette manière de constater la capacité de l'électeur me semble fort simple, il n'est pas nécessaire de recourir à des jurys d'examen, ni à des commissions. Du moment qu'un électeur remplit ce bulletin, il est constant qu'il sait lire et écrire. Si maintenant il s'élevait une contestation quelconque, si l'autorité communale pouvait se montrer ou impartiale ou injuste, il y aurait appel à la députation permanente, où l'on est certain de trouver, en matière électorale surtout, un juge impartial.

Voilà, messieurs, tout mon amendement ; je pense que, s'il pouvait être admis, le problème posé par l'honorable M. Orts serait facilement résolu.

- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.

M. Orts. - Je prends la parole, non que j'éprouve le besoin d'ajouter quoi que ce soit aux paroles qui ont été prononcées dans la séance de samedi pour défendre mon amendement par MM. de Haerne et Guillery ; je ne dirais rien de mieux ni sur le principe ni sur l'application. Aussi je ne prolongerais pas ce débat si je ne croyais devoir me rendre a des invitations extrêmement bienveillantes qui m'ont été publiquement adressées.

D'abord, je le déclare, je ne tiens en tout ceci qu'à une seule chose : inscrire dans la loi ce principe que l'électeur devra à l'avenir, pour être digne d'exercer le droit électoral, savoir lire et écrire. Quelque moyen pratique que l'on me propose pour permettre la vérification de la capacité de l'électeur, je l'accepterai des deux mains, et je renoncerai sans peine au mien.

Je serai sincèrement reconnaissant à tous ceux qui en auront proposé un meilleur ; et c'est précisément parce que je ne tiens pas plus à un moyen qu'à un autre, que j'ai hésité à faire connaître celui que je croyais le plus pratique, le plus simple, le moins propre à déranger l'électeur, à l'inquiéter, à lui rendre l'exercice du droit électoral désagréable ou frayeux.

Maintenant, la discussion ainsi placée sur ce terrain a suscité chez moi un double sentiment dont je dois compte à la Chambre.

En voyant la direction de nos débats, j'éprouve à la fois un sentiment de tristesse et un sentiment d'humiliation : je me trouve en face de cet aveu d'impuissance, dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Nothomb, aveu d'impuissance qui pèse lourdement sur moi et qui doit peser, je pense, quelque peu aussi sur des amis qui se proclament ici les partisans sincères, dévoués, complets, absolus de mon principe et qui cependant se croisent les bras et me répondent : « Votre moyen pratique ne vaut rien, et nous ne sommes pas capables de trouver un meilleur système que le vôtre. »

Je n'ai rien à reprendre dans les objections qu'ont faites les adversaires radicaux de mon principe ; sous ce rapport, la discussion me semble épuisée ; mais, je le répète, je ne comprends pas ceux de mes amis surtout qui semblent trouver dans l'obligation pour l'électeur de savoir lire et écrire le complément nécessaire de notre système électoral, la garantie de sa sincérité, la garantie de l'indépendance du votant, je ne comprends pas, dis-je, qu'ils me laissent à moi seul le soin de dégager une parole qui, en définitive, n'est pas exclusivement la mienne.

Du reste, si d'autres cèdent sans combattre, seul, s'il le faut, j'accepte la lutte. Je succomberai sans doute, mais du moins j'aurai l'honneur de m'être défendu ; je ne me rendrai pas sans combat.

Je dis, messieurs, que cet aveu d'impuissance de la part de mes amis m'afflige, et pour eux et pour moi ; en effet, messieurs,, ce n'est pas moi seulement qui me suis engagé, solennellement engagé, à venir demander que notre système électoral soit étendu et complété par cette si petite garantie de la capacité que je vous demande de consacrer et d'exiger dorénavant. Souvenons-nous quelque peu,, messieurs, du jour et des circonstances dans lesquelles l'idée de réforme électorale s'est produite pour la première fois dans cette Chambre avec un caractère sérieux et d'application plus ou moins immédiate.

Rappelons-nous le grand débat politique de l'année dernière. Nous étions en 1864 ; nos adversaires politiques de la droite atteignaient presque la majorité et rendaient le gouvernement de la gauche désormais impossible dans les conditions où les partis se trouvaient placés : l'un vis-à-vis de l'autre au sein du Parlement. Une crise ministérielle inévitable se produit. Nos adversaires consultés par la Couronne parlent de réforme électorale ; ils promettent au pays que, s'ils arrivent au pouvoir, ils élargiront le cercle, trop étroit d'après eux, de la capacité politique. Ils appelleront, disaient-ils, par l'abaissement du cens, un grand nombre de citoyens, qui aujourd'hui sont exclus de l'urne, à participer aux élections communales et provinciales, la Constitution mettant obstacle, obstacle que je respecte et que je veux conserver, par parenthèse, à une modification relative aux élections pour les Chambres. Ce programme n'est point accepté par la Couronne ; il s'agit pour la droite de le justifier. Les débats, dont nous avons tous conservé le souvenir, s'ouvrent au sein de la Chambre ; la droite s'explique à la veille d'une dissolution qu'elle appelle, et qui de l'aveu de ceux qui la provoquent a pour but de demander au pays de se prononcer sur les réformes annoncées dans ce programme et repoussées ailleurs.

Qu'ai-je répondu alors, pour ma part ? J'ai dit à l'honorable M. Dechamps : Votre réforme électorale, je n'en veux pas et je demande au pays de ne point se passionner pour elle, parce que cette réforme ne sera démocratique qu'en apparence ; l'abaissement du cens, tel que vous l'offrez, aura ce résultat d'appeler à exercer le droit électoral pour la commune et pour la province les populations qui ne seront point éclairées. Je suis, moi, partisan de l'élargissement du cercle dans lequel se renferme aujourd'hui la capacité des citoyens, mais je veux qu'à mesure que la garantie du cens s'abaisse, la garantie de la capacité s'élève ; et si votre réforme électorale, disais-je, était uniforme et générale pour tous les citoyens, sans distinction de localités ; si, surtout, à côté de l'abaissement du cens vous mettiez l'obligation de savoir lire et écrire, je voterais avec vous. Vous ne le demandez pas. Je demande au pays que vous allez consulter de ne pas vous suivre. Voilà, messieurs, ce que moi je disais, le disais-je seul ?

Je ne parlerai pas, messieurs, quoique les Annales parlementaires me donneraient le droit de le faire, des interruptions sympathiques qui m'accueillirent. Je pourrais rappeler que sur les bancs de la gauche, quand je m'exprimais ainsi, on s'écriait, en m'interrompant : Voilà la bonne démocratie, voilà la vraie démocratie !

Mais j'ai le droit de constater et je constate que personne, parmi mes amis politiques, n'a fait ni une objection ni même une réserve. Maintenant, mieux que cela, la gauche tout entière, la dissolution de la Chambre prononcée, s'adresse officiellement et solennellement au pays, et lui dit quelle était la différence entre sa politique et celle de ses adversaires.

A la veille d'un appel à la nation, c'était son devoir de le dire et c'était surtout son devoir d'être sincère en face du pays, qui allait juger. Que dit la gauche tout entière ? Le programme de la droite, en ce qui concerne la réforme électorale, n'était point un programme libéral, un programme démocratique ; c'est un calcul de parti. Il aura pour résultat d'appeler au scrutin en majorité les électeurs peu éclairés. La gauche en fait un reproche, et un reproche capital à ses adversaires. Je lis dans son programme que, je le déclare hautement, j'ai rédigé et dont, par conséquent, je ne cherche pas ici à décliner la responsabilité, je lis dans ce programme ces mots, qui n'ont de sens douteux pour personne :

« La réforme électorale de 1848 amenait au scrutin la population de nos villes, et cette population ne vote pas avec vous. Il vous convient mieux de remettre le droit de suffrage à l'homme qui ne sait ni écrire son bulletin, ni lire celui qu'on lui impose. »

Et quand nous avons adressé cette accusation à nos adversaires, quand nous leur avons dit que leur réforme prétendument démocratique ne signifiait rien sans l'élévation de la capacité, nous viendrions aujourd'hui nous proclamer impuissants à faire autre chose que ce dont nous avons fait l'objet d'un reproche sanglant au parti de la droite !

Je disais, messieurs, que ces paroles, je les ai écrites et je ne les ai pas signées seul ; on trouve, en effet, au bas du manifeste de la gauche, les noms de MM. Bara, Dolez, Le Hardy de Beaulieu, Moreau, Muller, Orban, Pirmez, E. Vandenpeereboom et Van Humbeeck.

J'avoue que si cette promesse signée de tant de noms devait rester sans exécution, que si seul je croirais devoir dégager ma parole, j'en serais profondément affligé et pour moi et pour mon parti.

Voyons maintenant, puisque j'en suis réduit à moi-même, voyons si les inconvénients que mon système présente, qu'il doit présenter, car il n'y a pas d'œuvre humaine qui n'en présente pas, si les inconvénients, comme le faisait observer judicieusement l'honorable M. Nothomb, ne sont pas de minime importance, lorsqu'on les compare aux avantages du système en lui-même.

(page 1447) Et d'abord on objecte ; Qu'est-ce que savoir lire et écrire ? Vous voulez un examen sans programme.

Rien de plus facile, on le disait déjà sans contradiction aucune, dans la Convention nationale au mois de juillet 1795, rien de plus facile pour un homme de bonne foi que de reconnaître si un autre homme sait ce que, dans le langage de tous les jours, de tout le monde, des affaires, on appelle lire et écrire.

Si je devais me citer comme exemple, je vous dirais que cet examen dont on s'effraye, je le fais subir par an au moins à une centaine d'individus. Appartenant à la section de police du conseil communal de Bruxelles, je suis membre d'un jury d'examen chargé de constater que les individus qui se présentent pour entrer dans la police locale savent lire et écrire.

On ne leur demande que cela. Il n'y a pas de programme et cela ne présente aucune difficulté.

Parlant de cette idée, je ne me suis pas dissimulé qu'il peut y avoir des hommes disposés à trahir les devoirs de la bonne foi et de la loyauté en matière politique ; mais à mon avis ces hommes sont rares, ils sont rares surtout chez les gens qui ont déjà reçu le baptême d'une élection populaire, chez les membres d'un conseil communal, chez les membres d'une députation permanente qui ont eu un double baptême, celui des électeurs d'abord, et ensuite celui de leurs collègues du conseil provincial.

J'ai donc organisé le système de la manière suivante : L'administration communale fera, pour la condition de savoir lire et écrire, tout ce qu'elle fait pour toutes les conditions électorales quelconques ; chaque année n'inscrit-elle pas, sur les listes électorales, les citoyens qui lui paraissent réunir ces conditions ; elle se fait informer par les agents qui sont à sa disposition si ces citoyens payent le cens électoral, s'ils ont atteint la majorité, et si elle a ses apaisements à cet égard, elle inscrit ; eh bien, si mon système est adopté, elle fera informer, en outre, si le citoyen qui se trouve dans les conditions électorales antérieures, y joint la condition nouvelle, celle de savoir lire et écrire.

Maintenant des erreurs involontaires ou calculées se produisent. S'il y a erreur, en ce sens qu'on n'aura pas inscrit sur la liste électorale un citoyen qui sait lire et écrire ; si l'erreur consiste dans l'inscription d'un citoyen illettré, l'électeur exclu à tort ou un autre citoyen viendra contester.

Dans ce cas, l'administration communale appellera l'individu dans son sein. Elle lui fera subir une épreuve. Quelle épreuve ? C'est bien simple. On lui dira : « Vous venez demander votre inscription sur la liste électorale ; voici du papier, de l'encre, une plume, rédigez par écrit le motif de votre visite. »

Devant une épreuve pareille, il n'y a pas de conseil communal, si partial qu'on le suppose, qui osât publiquement nier l'évidence.

Dans tous les cas, pour cette condition électorale, comme pour toutes les autres, l'appel à la députation permanente est ouvert ; saisie de l'appel, la députation fera subir la même épreuve à celui qui se présente devant elle.

On m'a demandé si dans mon système cette épreuve ne devra pas être répétée chaque année. La négative est complètement dans ma pensée : mon amendement même le dit suffisamment : « A dater du jour oh la présente loi sera obligatoire, nul ne pourra être inscrit pour la première fois sur les listes électorales s'il ne sait lire et écrire. »

Donc une fois inscrit sur la liste électorale, il n'est plus question d'épreuves.

Je sais qu'on va me dire qu'à cet égard mon système ne présente pas assez de garanties, en ce sens que des individus sachant lire et écrire finissent par l'oublier. Je réponds par ce que disait l'honorable M. Vanderstichelen dans la discussion de la loi sur les prud'hommes : « Ceux qui ont su lire et écrire et l'ont oublié présentent plus de garanties que ceux qui ne l'ont jamais su. »

Même dans cette hypothèse, j'améliore, dans une certaine mesure, la capacité électorale.

Après tout, on ne fait pas les lois pour les exceptions, et dût mon système permettre encore à quelques ignorants de voter malgré ses précautions, vous aurez toujours obtenu le grand avantage d'avoir beaucoup moins d'électeurs ignorants que vous n'en avez aujourd'hui.

Maintenant quelle objection a-t-on fait à ce système qui a pour lui la garantie de l'opinion publique et de la publicité.

L'honorable M. Van Wambeke m'a dit, et je m'étonne d'avoir entendu faire sérieusement cette objection, qu'en matière politique, on se croit tout permis, sinon l'injustice.

M. Van Wambekeµ. - Pardon, M. Orts, je n'ai pas dit cela ; j'ai dit qu'en politique on ne néglige aucun moyen, qu'on fait usage de tous les moyens légaux.

M. Orts. - Soit ; n'est-ce pas la même chose ? En matière politique donc on croit avoir le droit d'être injuste, de faire tout ce qu'il est possible d'imaginer, sauf le bien. Je ne pense pas cette supposition admissible en Belgique.

L'honorable M. Guillery a répondu à l'argument. Je ne reviendrai pas sur cette réponse.

Je me bornerai à faire observer que, si je comprends l'objection, je me l'explique difficilement, venant de la part d'hommes qui considèrent avec moi comme une garantie essentielle le jugement, par le jury, de tous les délits politiques et de la presse ; je crois l'honorable M. Van Wambeke, l'un des signataires de la proposition de loi émanée d'honorables membres de cette Chambre et qui a pour objet de faire juger par le jury, même les demandes de dommages-intérêts du chef du préjudice causé par des articles de journaux...

M. Van Wambekeµ. - Je n'ai pas signé cette proposition.

M. Orts. - Je me suis donc trompé, mais cette proposition de loi rencontre des sympathies sur certains bancs ; et bien, je ne comprends pas qu'on puisse concilier avec elle l'idée qu'en matière politique on se croit tout permis, même l'injustice.

Si j'avais des idées pareilles et si on pouvait modifier la Constitution dans ce sens, je supplierais les réformateurs de notre pacte fondamental de vouloir faire juger au plus vite les délits politiques et los délits de presse par des magistrats inamovibles ne dépendant ni du gouvernement, ni de la passion populaire. Mais, j'aime à le croire, personne n'hésite à considérer le jury comme une garantie en matière politique. Cette garantie.je veux la maintenir, je veux autant que possible, que le jury juge tous les délits de presse, et je suis tout disposé, tant j'ai confiance dans l'honnêteté de mes concitoyens, même eh matière politique, à me rallier à l'amendement de l'honorable M. Delcour qui demande que les délits créés par la loi que nous discutons soient renvoyés au jury.

On a dit encore que mon amendement allait effrayer les électeurs, que la publicité de l'examen les troublerait ; que de plus la disposition que je proposais donnerait lieu à des vexations.

L'honorable M. Nothomb a répondu parfaitement à la dernière objection, il a proposé quelque chose que je m'étonne de ne pas avoir vu produire par un de ces amis platoniques de mon principe, tant le remède était facile à trouver pour qui voulait chercher : une pénalité pour celui qui, contre toute évidence, voudrait faire ce que l'honorable M. Van Wambeke a appelé une mauvaise niche à un électeur ; contre ceux qui voudraient, par exemple, comme le disait l'honorable M. Dumortier à mon honorable ami M. Guillery, contester que l'honorable M. Guillery sait lire et écrire.

A ceux-là on peut infliger sans hésiter une pénalité, s'ils perdent leur procès. Ce sera bien fait, et je crois qu'une fois la peine appliqués, on ne recommencera plus.

Mais, messieurs, de mon côté, j'allais répondre ceci. J'allai proposer de déclarer, pour prévenir tout abus possible, que tous ceux qui seraient possesseurs d'un diplôme de capacité ou d'un brevet propre à lui faciliter l'entrée d'une profession, délivrée par une autorité belge compétente, ne pourraient voir leur capacité contestée.

Ainsi, les diplômes fournis par les jurys d'examen pour les grades académiques, pour l'élève universitaire, par le jury vétérinaire, même par tous les jurys, et, Dieu merci, nous avons des jurys de quoi atteindre toutes les professions imaginables dans notre pays. Dès lors on ne pourrait plus dire, comme paraît le craindre l'honorable M. Dumortier, à l'honorable M. Guillery qu'il ne sait ni lire ni écrire.

J'ajouterai même quelque chose de plus, car je désire aller au-devant du désir d'honorables collègues de la droite, dont j'ai entrevu l'objection. J'étendrais l'exception à tous ceux qui exercent une profession qu'il est impossible notoirement d'exercer sans savoir lire et écrire. Je fais cela pour le clergé, qui n'est pas examiné devant un jury.

Voilà donc encore une objection qui peut être écartée avec un peu de bonne volonté. (Interruption.)

L'honorable M. Bara fait une plaisanterie. Il me dit qu'il faudra exempter les portiers, parce que, par leur profession, ils doivent lire les adresses des lettres adressées aux locataires.

La députation permanente sera juge de la question soulevée par M. Bara. Elle décidera, comme elle décide aujourd'hui, si tel électeur possède ou non les bases du cens, chose très arbitraire, complètement abandonnée à la décision des juges contre la mauvaise décision desquels, en cette matière, il n'y a pas de recours possible devant la cour de cassation.

(page 1448) L'honorable M. Tack l’a rappelé avec impartialité samedi tout en combattant ma proposition.

On me dit : Vous effrayez les électeurs par la publicité de l'épreuve. Je crois, moi, que cette publicité est pour eux une garantie de sécurité. L'électeur se sauvera plutôt que de venir subir cette épreuve. Si l'électeur se sauve, tant mieux, il y aura au scrutin un mauvais citoyen de moins, un citoyen sans courage civique, sans le courage de son opinion, et je serai charmé de ne pas l'y voir.

Si cette garantie qui résulte de la publicité et du contrôle de l'opinion publique vous effraye, je vais faire ce que je m'attendais à voir faire par d'autres honorables collègues, partisans toujours du principe de ma proposition, mais qui n'approuvent pas mes moyens, je vais proposer moi-même deux autres systèmes avec lesquels il n'y aura plus d'examens ni d'électeur obligé de venir en public justifier de sa capacité.

Au lieu de la publicité comme garantie, n'ayant pas confiance dans les autorités électives qui jugent, voulez-vous investir du droit de décider la question l'autorité judiciaire ?

Voulez-vous de l'électeur lui-même juge dans sa propre cause ? Je vais vous fournir tout cela ; vous choisirez. Je tiens peu aux moyens ; je tiens au principe. Du moment qu'il est introduit dans la loi, je me déclare satisfait ; je renonce volontiers à tous mes moyens, dussé-je les avouer impraticables et ridicules, comme dit l'honorable M. Dumortier.

Voulez-vous du judiciaire ? La magistrature interviendra et il n'y aura plus à craindre les passions politiques.

Dans cet ordre d'idées je vous propose ceci : si l'électeur est contesté, l'administration centrale l'avertit de la contestation dans la forme qu'elle suit aujourd'hui pour l'avertir de toute autre contestation. Elle lui envoie en même temps, et gratis bien entendu, une assignation à comparaître à la première audience du juge de paix. (Interruption.)

- Un membre. - C'est un déplacement.

M. Orts. - Je crois que quand il s'agit, pour l'électeur, aujourd'hui de réunir ses pièces en cas de contestation, il lui faut plus de peine et de dérangement que quand il s'agit de comparaître devant le juge de paix de son canton.

Mais, soit. Je vais vous faire la part plus large. Voulez-vous, au lieu d'un juge de paix, un notaire ? Il y a des notaires dans presque toutes les communes.

Je prends le juge de paix. L'électeur vient devant le juge ; il prête entre les mains de ce magistrat le serment qu'il sait lire et écrire et il signe le procès-verbal. Plus de contestation possible.

Mais si le serment est faux, l'électeur sera passible de la peine de faux serment en matière civile et il sera poursuivi devant les tribunaux à la requête du ministère public ou d'un électeur, qui devra se constituer partie civile, c'est-à-dire qu'il s'exposer à à des dommages-intérêts. (Interruption.)

Vous ne voulez pas de garanties administratives. Vous ne voulez pas du contrôle de l'opinion publique. Je vous offre la magistrature, et vous n'en voulez pas davantage.

M. Julliot. - Cela est désobligeant.

M. Orts. - Je ne vois pas en quoi il est désobligeant d'aller prêter serment devant le juge de paix, et je crois que l'honorable M. Julliot irait comme moi prêter sans difficulté un pareil serment.

Voulez-vous quelque chose de moins roide, de moins absolu ? Je vous propose ceci : l'électeur dont la capacité est contestée écrira où il voudra sur une feuille de papier qu'il adressera à l'administration communale ou à la députation permanente, si la contestation s'élève devant cette dernière, tout simplement dix lignes, ou, si vous le préférez, six lignes et il ajoutera au bas : signé et écrit par moi ; il mettra sa signature.

Seulement, au bas de ce corps d'écriture, ainsi signé, je demande l'attestation donnée gratis, toujours par un notaire, que ce qui précède a été écrit en sa présence par l'homme qui a signé.

Et voici, messieurs, ma garantie contre la fraude.

La pièce, dont je viens de parler, est évidemment une déclaration du genre de celle que l'électeur fait lorsqu'il affirme qu'il paye les contributions voulues. Par l'article premier de votre loi, vous punissez les fausses déclarations et ceux qui concourent à les faire. Eh bien, en cas de fausse déclaration de capacité, l'électeur qui l'aura faite et le notaire qui se sera prêté à déclarer qu'elle a été faite devant lui, seront punis des peines comminées par l'article

Je suis, j'espère, accommodant.

Voilà trois systèmes, vous choisirez, ou même vous ne choisirez pas. Je serai encore heureux de voir accepter toutes les corrections proposées par l'honorable M. Funck,

Messieurs, je ne veux pas prolonger ce débat ; je termine par une seule réflexion et je la soumets à tous ceux qui, comme moi, désirent que les conditions actuelles de l'électorat soient élargies et étendues.

Dans l'état des choses et des esprits en Belgique, il est incontestable qu'aucune réforme électorale, tendante à l'abaissement du cens, n'a d'avenir, si vous n'exigez, à mesure que vous diminuez la garantie du cens, des garanties de capacité. Jamais un homme sérieux n'abaissera chez nous le cens - je laisse de côté le suffrage universel, qui ne comporta pas de cens, et que je repousse - si ce n'est en demandant à la classe la moins riche une garantie de capacité.

Il n'y a pas d'avenir chez nous pour une autre réforme.

Et cela est juste et raisonnable. Car le cens aujourd'hui s'abaisse, quoique vous n'y touchiez pas ; à mesure que la prospérité publique se développe, que les ressources de la classe ouvrière et de la fortune augmentent, la valeur de l'argent diminue. Les 42 fr. 52 c . de 1865 ne représentent plus la valeur des 20 florins de 1831. Le cens s'abaisse par lui-même pendant que vous vous croisez les bras.

Vous devez donc demander à l'électeur des garanties nouvelles de capacité et pour cela vous avez le choix entre deux moyens : un moyen démocratique, et je voterai pour ce moyen avec vous, ou un moyen aristocratique ; et celui-là, je le repousserai.

Le moyen démocratique, c'est d'exiger une garantie de capacité simple, d'une capacité que peut acquérir facilement tout citoyen, quelle que soit sa position de fortune et son point de départ, la garantie de savoir lire et écrire.

A côté de cette garantie, il en est une autre que je n'admets pas : c'est d'exiger comme condition de vote, au lieu d'un cens moins élevé, une capacité plus considérable attestée par des diplômes, par des fonctions, des positions spéciales qui ne sont pas le partage du peuple ; et cette adjonction des capacités avec un cens inégal ou même sans aucun cens, je ne la voterai jamais ; parce que si je veux appeler autant que possible au scrutin le peuple intelligent, travailleur, moral et qui possède quelque chose et qui précisément parce qu'il possède peu de chose a plus d'intérêt à défendre ce qu'il possède, que les gros censitaires n'ont intérêt à défendre leur fortune en cas de troubles publics ; si je veux appeler les classes inférieures à une extension du droit de vote, je ne veux pas remettre le sort de mon pays aux mains de médecins sans malades et d'avocats sans causes.

M. Pirmez. - J'ai été fort surpris d'entendre dans le discours de l'honorable préopinant une accusation contre ceux des membres de la gauche qui ont signé le manifeste de l'année dernière et qui aujourd'hui ne voteront pas pour l'amendement de l'honorable M. Orts.

Messieurs, je me hâte de déclarer que je ne suis pas partisan de l'amendement de l'honorable M. Orts ; je ne l'ai jamais été. J'ai cependant signé le manifeste et je le signerais encore dans les termes où il a été rédigé ; mais je suis convaincu que personne ne pourra croire que j'aie pris là un engagement que nous ne remplirions pas et que l'honorable M. Orts serait seul à remplir aujourd'hui.

Je n'ai pas l'habitude, messieurs, de mentir à mes engagements et je ne veux pas qu'on puisse m'accuser d'avoir pris un engagement auquel je manquerais aujourd'hui.

Le programme qui avait été proposé par la droite contenait l'abaissement du cens électoral, nous pensions que cet abaissement du cens électoral avait pour conséquence d'appeler au droit de vote des classes de la société qui n'étaient pas suffisamment préparées et que par conséquent, en appelant ces nouveaux électeurs au droit de voter, nous confierions à une partie de la société qui ne serait pas suffisamment intelligente la capacité électorale.

Voilà ce que nous avons repoussé ; nous n'avons pas fait autre chose, mais en repoussant cette proposition de la droite, nous maintenions intact le système actuel, qui consiste à prendre comme base le cens et à partir du cens pour adopter la présomption de capacité ; nous ne substituions pas à cette règle générale de la présomption un examen individuel.

Or, aujourd'hui que fait-on ? On propose de substituer à cette présomption du cens, qui est la base de notre système électoral, un examen individuel qui remplacerait la présomption générale. Or, lorsque j'ai signé ce manifeste, et je fais appel à tous les membres de la Chambre, je fais appel à l'honorable M. Orts lui-même et je suis persuadé qu'il déclarera qu'en signant ce manifeste, nous ne prenions pas l'engagement d'appuyer une proposition comme celle qui nous est soumise aujourd'hui ; quant à moi, je déclare que si c'est dans ce sens qu'on a entendu le ma-

(page 1449) M. Orts. - L'honorable M. Pirmez pose, en terminant, une hypothèse peu obligeante, mais dont son intelligence doit lui démontrer l'impossibilité ; j'aurais tendu un piège à l'honorable membre en soumettant le manifeste à sa signature. L'honorable membre voit trop clair en toutes matières et surtout en matière politique et dans les circonstances solennelles, pour se laisser prendre à un piège que je n'étais pas, du reste, capable de lui tendre.

Mais si l'honorable membre a compris que le manifeste impliquait l'idée de rester perpétuellement dans les limites actuelles du droit électoral, l'honorable membre a compris le manifeste autrement que je le comprenais.

Cet acte n'a pas été approuvé par mes amis sans avoir été médité ; on a mis deux jours à en entendre la lecture et on a corrigé ; je conviens que la question de réforme électorale n'a pas été discutée sur le terrain du principe de mon amendement, mais pour ma part je n'ai jamais compris la phrase que j'ai citée tout à l'heure que comme étant la conclusion du discours que j'avais eu l'honneur de prononcer en répondant à l’honorable M. Dechamps. Si M. Pirmez l'a compris autrement, c'était son droit ; il a pu le comprendre et le comprendre très loyalement ; mais il me permettra d'affirmer que, personnellement, j'ai mis dans le manifeste la confirmation de ce que j'avais eu l'honneur de dire à la Chambre,

M. Pirmez. - Il y a donc eu malentendu entre M. Orts et moi. J'en suis charmé.

M. Orts. - Je le regrette pour vous et pour moi.

M. Pirmez. - Dans tous les cas, je n'ai pas manqué à mes engagements,

MfFOµ. - Les dernières paroles prononcées par l'honorable M. Orts, et qui viennent d'être relevées par l'honorable M. Pirmez, m'obligent de mon côté à m'expliquer sur la position que l'on semble vouloir faire au gouvernement et à nos amis.

A entendre l'honorable M. Orts, il aurait été décidé au sein de l'opinion libérale qu'à la réforme électorale indiquée dans le programme formulé l'année dernière par la droite de cette assemblée, réforme qui consistait dans l'abaissement du cens, on opposerait l'obligation pour l'électeur de savoir lire et écrire.

Messieurs, jamais cette question n'a été posée dans ces termes, et à plus forte raison elle n'a pu être résolue ainsi que l'honorable M. Orts a paru le faire entendre.

Je ne prétends pas que l'honorable membre n'ait pu s'arrêter, quant à lui, à l'idée de vouloir simplement aboutir à ce qu'il nous propose aujourd'hui, c'est-à-dire à la constatation d'un fait qui ne prouve pas assurément que l'on possède les connaissances nécessaires, que l'on a atteint un développement intellectuel suffisant pour se prononcer sur les affaires publiques ; il est possible que l'honorable membre ait voulu borner là sa réforme électorale, et qu'à cette époque, comme aujourd'hui, il considérait une pareille innovation comme ayant un caractère démocratique. Quant à moi, je dois déclarer tout d'abord que je ne vois absolument rien de démocratique dans le système préconisé par l'honorable membre ; et, d'un autre côté, je m'étonne que l'honorable M. Orts ait considéré l'adjonction des capacités comme étant une réforme aristocratique, à laquelle il ne s'associerait jamais. L'honorable membre m'oblige à lui rappeler que l'opinion libérale, tout entière, s'est associée à une réforme de ce genre.

Lorsque, en 1846, le libéralisme a formulé son programme, quelles idées y a-t-il consignées en matière électorale ? Il a indiqué l'adjonction des capacités aux listes électorales. Il a demandé une réduction du cens au profit des capacités ; il voulait que l'on pût exercer le droit électoral si l'on possédait un diplôme, ou si l'on était inscrit sur certaine liste du jury. Voilà ce qu'on demandait en 1846. Vous admettez, n'est-ce pas, que c'est bien le but que le libéralisme s'était tracé à cette époque, et c'est le système qui aurait été proposé par nous, lorsque nous sommes arrivés aux affaires, si les événements de 1848 n'avaient rendus nécessaire une réforme plus large que celle qui était la veille acceptée par tous les libéraux.

Or, aujourd'hui une réforme dans ce sens, qui serait une réforme démocratique dans la bonne acception du mot, et non pas une réforme aristocratique comme l'honorable membre paraît le craindre, cette réforme, qui ne pourrait d'ailleurs s'appliquer qu'aux élections communales ou provinciales, et qui consisterait, non pas à s'arrêter à quelques catégories de personnes comme celles que l'on avait en vue en 1846, mais à étendre par la loi le droit électoral à des catégories très larges de citoyens, à raison de leur aptitude constatée, à raison de la profession qu'ils exercent, et qui jouiraient du droit électoral, quoique ne payant pas en totalité le cens requis d'une manière générale ; une réforme de ce genre serait conforme, je ne dirai pas aux promesses, mais à l’opinion exprimée dans le manifeste que l'honorable membre a rappelé.

Pour ma part, messieurs, je ne me prononce, quant a présent, sur aucune réforme électorale à opérer ; je m'étonne seulement que l'on introduise des réformes électorales ou plutôt des idées de réforme dans la discussion actuelle. Que fait-on d'ailleurs de pratique en cette matière ? Quelle est la signification, quelle est la portée de la proposition que nous discutons ? Elle aboutirait uniquement, sans aucune autre conséquence pratique, à la déclaration d'un principe abstrait, impossible à organiser d'une manière sérieuse, et consistant à faire dire dans la loi : pour être électeur, il faut savoir lire et écrire !

Et tandis que l'on agite cette question de la réforme électorale, tandis que l'on affirme avec une assurance singulière que cette réforme est à l'ordre du jour partout en Europe, qu'elle devra nécessairement s'accomplir également ici, qu'elle est, au surplus, le remède souverain même aux fraudes électorales, voilà tout ce que l'on trouve à proposer ; c'est-à-dire que l'on ne propose rien, on ne formule absolument rien, on ne soumet aucune proposition sur laquelle nous aurions à délibérer.

M. le Hardy de Beaulieuµ. - On opposerait la question préalable.

MfFOµ. - On a opposé aussi la question préalable à la proposition : que nous discutons ; mais la majorité de la Chambre a décidé que ce n'était point un amendement à écarter par la question préalable. Rien donc ne doit plus vous arrêter. Faites les propositions que vous annonciez et qui doivent assurer le salut de la société. Ne vous contentez pas de dire qu'une réforme serait le seul moyen de réprimer les fraudes électorales.

Messieurs, en entendant ainsi parler, il semble, en vérité, que l'on dédaigne les leçons, aussi bien de l'histoire ancienne que de l'histoire moderne. On peut cependant, puiser d'utiles enseignements sur la matière qui nous occupe. On s'imagine que lorsque le cens est abaissé, les fraudes électorales sont rendues impossibles. Eh bien, dans quels pays donc, avec des cens moins élevés que celui que nous avons ici, en allant même jusqu'au suffrage universel, a-t-on supprimé les fraudes électorales, la pression électorale, les abus d'influence qui s'exercent en matière électorale ?

Est-ce que dans l'antiquité, à Rome, par exemple, les manœuvres électorales n'ont pas existé ? On y a fait beaucoup de lois sur les brigues électorales ; et si ces lois ont été jugées nécessaires, c'est qu'il y avait des abus à réprimer.

Nous avons, en divers pays, le suffrage universel. Croit-on que les fraudes électorales aient disparu sous ce régime ? Personne assurément n'oserait le soutenir.

Quelles sont, en définitive, les fraudes électorales que l'on veut réprimer ici ? C'est principalement la pression qui s'exerce sur certains électeurs à raison de la situation peu éclairée dans laquelle ils se trouvent. On veut déjouer les moyens qui sont mis en œuvre pour capter leurs suffrages. Les moyens d'argent que l'on a, d'ailleurs, beaucoup exagérés, consistent ici en certaines dépenses, et notamment en repas électoraux, comme on les désigne. Et l'on s'imagine qu'avec un abaissement du cens on aura fait disparaître ces moyens d'influence sur des individus encore moins indépendants et encore moins éclairés ! On s'imagine que parce que l'on aura l'abaissement du cens, c'est-à-dire quand on aura un corps électoral qu'on pourra traiter non plus avec du vin, mais avec de aà bière ou du genièvre, on s'imagine, dis-je, que l'on aura fait un grand pas dans le sens de la moralité et de l'indépendance électorales ! Je le demande, des hommes sérieux peuvent-ils agiter ces questions en leur donnant une pareille solution !

Messieurs, on veut bien décorer l'amendement qui entrave la discussion de la loi, et qui contribuera à empêcher probablement qu'elle ne soit votée, on veut bien le décorer du titre de proposition généreuse, de proposition libérale, qu'on ne peut en quelque sorte repousser sans commettre une hérésie en fait de libéralisme.

Eh bien, messieurs, je me demande, moi, ce qu'il y a de généreux dans une pareille proposition ? moyen, peut être bon ou mauvais, de s'assurer si les citoyens qui composent le corps électoral sont suffisamment capables, ce qui est sans doute désirable, je le veux bien ; mais quel caractère de générosité peut-on lui trouver ? Assurément il n'y a rien là de généreux. Et de libéral ? Mais en quoi ? Le libéralisme, dans son expression la plus large, signifie, à mon sens, (page 1450) l'extension aussi grande que possible de la liberté individuelle dans toutes les manifestations de l'activité humaine. Je l'ai compris ainsi jusqu'à présent, dans l'ordre politique comme dans l'ordre religieux et économique. Les nécessités sociales, l'état des mœurs, le degré de civilisation, rendent plus ou moins étendus les droits individuels. C'est à les développer qu'il faut tendre, et dans l'application il y a là des questions à apprécier.

Or, on vient nous dire : Aux conditions qui sont imposées aujourd'hui pour l'exercice du droit électoral, on en ajoutera d'autres ; on se montrera plus difficile, plus exigeant ; il ne suffira plus de payer le cens ; on ne se contentera plus d'une présomption de capacité, il faudra subir un examen devant un jury, afin que les conditions soient plus difficiles à remplir et que les droits soient plus restreints. Et l'on appelle cela du libéralisme ! Ne dénaturons ni les mots ni les choses. La mesure opérerait dans le sens d'une restriction du droit des citoyens. Il s'agit de savoir si elle est utile, si elle est juste. Elle n'a rien d'injuste, et elle peut être utile si l'on réussit à l'organiser, afin de s'assurer qu'un citoyen est apte à exercer ce droit, ou plutôt à remplir ce que j'appelle, moi, une fonction.

C'est donc bien plutôt une restriction du droit électoral, et un honorable membre, M. Guillery, l'a ainsi qualifiée. C'est un moyen de conservation qu'il faut essayer d'opposer aux conséquences qui pourraient résulter d'un abaissement exagéré du cens électoral. Cessons donc de parler de mesures libérales. C'est une mesure qui peut avoir son utilité à un point de vue exclusif, que l'on peut examiner et étudier ; mais ce n'est pas au point de vue de son prétendu libéralisme qu'il faut l'apprécier.

Cette mesure est-elle donc bonne en elle-même ? Je réponds : Oui, si l'on peut la mettre en pratique. Sans doute, il vaudrait mieux que le corps électoral fût composé tout entier d'individus sachant lire et écrire, d'individus ayant reçu les éléments de l'instruction. Mais cela ne suffit pas, et je veux que l'honorable auteur de la proposition le retienne pour qu'il n'y ait pas de malentendu ni de fausse interprétation, et que l'on ne dise pas que c'est un critérium, le moyen suprême à l'aide duquel on peut juger de la capacité électorale. Je dis que c'est un moyen très faible et très insuffisant, qui, s'il pouvait être organisé, pourrait concorder, si tel était le vœu constaté du pays, avec certain abaissement du cens. Mais ce n'est pas, comme quelques-uns se l'imaginent, le moyen de supprimer le cens pour le remplacer par la condition, pour l'électeur, de savoir lire et écrire.

Ici, messieurs, je rencontre les désespoirs de l'honorable auteur de l'amendement. Il a, dit-il, constaté avec peine l'impuissance de ses amis ; il a constaté l'impuissance de ceux mêmes qui se déclarent les partisans de sa proposition.

L'honorable membre devrait être un peu plus indulgent. Nous l'avons entendu aujourd'hui démolir la première formule de sa proposition pour arriver à d'autres formules qui ont soulevé les susceptibilités de l'assemblée.

Je demande ce qu'il a constaté ?

Rien sans doute que l'impossibilité d'organiser et d'appliquer le principe qu'il a préconisé. Il est très fâcheux que l'on arrive avec des propositions qui ne sont pas suffisamment étudiées, et que l'on vienne dire à une assemblée ou à ses propres amis : Voici mon principe, voici ma théorie : c'est à vous de l'appliquer ; chargez-vous de l'organiser. Si vous ne le pouvez pas, c'est que vous êtes impuissants !

A cela, messieurs, je répondrai à l'honorable membre : Commencez par l'organiser vous-même. Et si vous n'y parvenez pas, ne venez pas vous prévaloir de ce que vous nommez l'impuissance de ceux qui vous combattent, alors que vous n'avez pu faire mieux qu'eux.

Je ne veux pas, messieurs, entrer de nouveau dans la discussion approfondie des divers amendements qui ont été examinés et critiqués par honorables membres qui ont pris la parole avant moi.

A mes yeux, l'amendement de M. Orts a ce très grave inconvénient de donner naissance à un genre de fraude électorale devant laquelle cet amendement tomberait à sa première application. Le corps électoral que nous avons n'est pas un corps électoral idéal, arrivé à la perfection. Ce corps électoral n'est pas composé de tous citoyens qui veulent avec ardeur s'occuper des affaires publiques ; il se compose pour une certaine partie, et peut-être pour celle qui fait, en réalité, les élections dans les collèges électoraux oh la lutte est la plus vive, de citoyens qui ne demanderaient pas mieux que de pas se voir inscrire sur les listes électorales.

- Des membres. - C'est vrai.

MfFOµ. - Oui, les sollicitations et les intimidations dont certains électeurs sont l'objet les préoccupent et les inquiètent ; ils craignent pour leur commerce ou leur petite industrie ; ils redoutent de perdre les terres qu'ils tiennent à bail, et ils n'ont souvent qu'un regret, c'est de se trouver inscrits sur les listes électorales.

Eh bien, on dit par l'amendement : Pourvoyez-vous contre ceux qui sont inscrits sur les listes électorales et qui ne savent ni lire ni écrire. Et, de part et d'autre, on se pourvoira contre ceux qui seront supposés des adversaires politiques, et le plus souvent on atteindra des électeurs qui ne voudront pas user des moyens qui leur seraient donnés de faire constater leur capacité, soit devant le juge de paix, soit devant la députation permanente, soit devant le collège échevinal. Du moment que leur capacité sera contestée, ils n'agiront pas par des raisons diverses, et surtout parce qu'ils ne demandent pas mieux que de ne pas être inscrits sur les listes électorales.

L'honorable membre croit avoir trouvé un remède contre des abus possibles et qui lui ont été signalés. Il ne les méconnaît pas ; mais il dit : J'infligerai une amende à ceux qui se seront pourvus, lorsqu'il sera démontré qu'ils ont fait un pourvoi non fondé.

Mais jusqu'à quel point ce remède serait-il efficace en matière électorale ? Jusqu'à quel point serait-il juste de l'appliquer ? Je ne veux pas l'examiner ; je me borne à faire remarquer qu'il n'atteindrait pas les pourvois dirigés contre les électeurs qui ne réclameraient point, parce qu'ils ne demandent qu'à ne pas être inscrits sur les listes des électeurs.

Il est inutile d'ajouter que le nouveau moyen indiqué par l'honorable M. Nothomb, qui veut constituer un jury présidé par le juge de paix, assisté de l'inspecteur de l'enseignement primaire, chargés de s'adjoindre au troisième expert pour vérifier si l'électeur sait lire et écrire, laisse subsister toutes les objections que soulève la proposition de l'honorable M. Orts. Lorsqu'il s'agit de reconnaître un droit à un citoyen ou de le lui dénier, ces moyens sont insuffisants ; ils ne démontreraient pas la capacité de l'individu ; ils feraient naître beaucoup de vexations, et enfin ils ouvriraient la porte à de nouvelles fraudes électorales, bien loin de contribuer à leur répression comme nous avons tenté de le faire par le projet de loi sur lequel vous délibérez en ce moment.

M. Orts. - C'est en réalité pour un fait personnel que je demande la parole.

J'ai dit tout à l'heure, et je le répète, parce que c'est mon opinion, et si cette opinion était en contradiction avec une opinion antérieure, la croyant meilleure, je la maintiendrais sans honte ; j'ai dit qu'à mon avis admettre au droit électoral les capacités dans des conditions de cens privilégiées, serait une réforme aristocratique, et que je ne la volerais pas.

M. le ministre des finances me répond que je suis coupable d'une réforme de ce genre, que je suis coupable au moins de l'avoir désirée, parce que j'avais accepté le programme du congrès libéral de 1846.

II y a là une inexactitude. L'honorable ministre des finances était au congrès libéral de 1846, je n'y étais pas et j'avais refusé d'en être, parce que croyais, et dans l'association libérale bruxelloise d'alors, à l'Alliance, je soutenais l'opinion que le congrès libéral était une chose dangereuse.

- Une voix. - C'est vrai.

M. Orts. - Je soutenais cette opinion avec l'honorables collègues qui malheureusement ne sont plus au milieu de nous.

Je n'étais donc pas au congrès libéral de 1846, l'honorable ministre des finances y était (interruption) ; un instant, j'y arrive : L'honorable ministre des finances était au congrès libéral de 1846 et il sait très bien par la part qu'il y a prise et par les votes que son éloquence a provoqués, il sait très bien, dis-je, qu'au sein de ce congrès deux opinions très divergentes existaient sur le caractère à donner à la dernière réforme électorale, que tout le monde sollicitait ; que le parti libéral à cette époque appelait pour faire cesser pour les villes l'injustice que l'honorable ministre et ses collègues ont fait cesser en 1848.

Quelques-uns voulaient abaisser le cens uniquement au profit des capacités. C'était l'avis de l'honorable M. Frère.

D'autres voulaient l'uniformité du cens, qui a triomphé en 1848, et si l'honorable ministre n'était pas de ceux-là, moi j'en étais.

Lorsque je suis arrivé à accepter comme programme politique l'œuvre du congrès de 1846, c'était en posant ma candidature en juin 1848 ; mais alors la question n'existait plus puisque vous aviez vous-même abaissé le cens avant mon acceptation du programme officiel et ce jusqu'aux dernières limites de la Constitution. Je ne me suis donc jamais engagé à faire triompher une réforme qui n'était pas dans ma pensée. Je n'ai jamais voulu d'un privilège, j'ai demandé l'uniformité du cens ; je l'ai et je désire la maintenir.

(page 1451) Voilà l'histoire vraie du congrès libéral de 1846 et de mon adhésion à ses principes.

MfFOµ. - L'honorable M. Orts ne peut contester que les principes auxquels j'ai fait allusion aient été inscrits dans le programme de l'opinion libérale, et qu'ils aient été acceptés par l'opinion libérale tout entière...

M. Orts. - Comme transaction.

MfFOµ. - Il n'y a pas eu de transaction ; il y a eu délibération, résolution prise à une immense majorité et acceptée par tous. Pour ce qui me regarde, au surplus, les opinions que je professais alors sont conformes à celles que je défends aujourd'hui.

- Des voix. - La clôture !

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

MpVµ. - Je crois que pour procéder avec ordre, il faut mettre d'abord aux voix la première partie de l'amendement de M. Orts.

- Voix nombreuses. - L'appel nominal !

M. Mullerµ (sur la position de la question). - Je désire savoir ce qui arrivera si la première partie de la proposition est adoptée et si l'on rejette les moyens d'exécution ?

MpVµ. - Pourquoi ?

MfFOµ. - Il faut savoir ce qu'on va faire.

ML le président. — Il y aura un vote d'ensemble après les votes partiels.

MfFOµ. - Alors il est inutile de voter séparément sur le premier paragraphe de la proposition de M. Orts.

M. Dolezµ. - J'avoue que je ne comprends pas la marche proposée par M. le président.

Je ne comprends pas un vole sur le principe, si l'on doit aboutir ensuite à un vote d'ensemble. Il est évident qu'on va voter sur une abstraction, sans aucune utilité. Il me paraît impossible de séparer le principe d'avec les moyens d'exécution. Il ne s'agit pas ici d'une de ces questions complexes qui peuvent être divisées. Il faut la voter telle qu'elle est. Il n'y a qu'un seul vote possible ; c'est un vote sur l'ensemble.

MpVµ. - La division est de droit quand elle est demandée. Je dois faire remarquer maintenant qu'à la première partie de l'amendement de M. Orts il n'y a aucun sous-amendement, tandis qu'à la partie relative aux moyens d'exécution se rattachent trois ou quatre sous-amendements.

Il faut donc bien commencer par voter sur les sous-amendements. Fait-on une autre proposition, je la mettrai aux voix.

M. Dolezµ. - La division est de droit, me dit M. le président, quand elle est demandée. Oui, elle est de droit, maïs pour autant qu'elle soit possible. Or, selon moi, elle est tout à fait impossible dans le cas actuel.

MpVµ. - Faites-vous une proposition ?

M. Dolezµ. - Je demande que l'on vote sur l'ensemble de la proposition de M. Orts.

ML Dumortierµ. - Je ne crois pas qu'il soit possible de mettre aux voix un principe abstrait, qui consiste tout simplement à diviser les Belges en deux catégories, les mandarins ou les lettrés et les non mandarins ; il est impossible, dis-je, de mettre un tel principe aux voix en le séparant des moyens d'exécution.

Si demain un de nos collègues venait nous proposer de déclarer que pour être électeur il faut savoir les deux langues, et si l'on demandait un vote sur cette proposition, sans examiner la possibilité...

- Plusieurs membres. - Ce n'est pas la question !

MpVµ. - Il s'agit de déterminer la marche à suivre.

M. Dumortier. - Eh bien, je suis d'avis qu'il faut d'abord mettre aux voix les amendements.

M. Pirmez. - La proposition de l'honorable M. Orts se compose de deux parties. La première est ainsi conçue : « A dater du jour où la présente loi sera obligatoire, nul ne pourra être inscrit pour la première fois sur les listes électorales s'il ne sait lire et écrire. » Je crois que cette proposition doit être mise aux voix en premier lieu. (Interruption.) Nous savons tous à quoi nous en tenir sur le principe et sur les amendements. Il est évident que même les partisans de la proposition de l'honorable M. Orts, mais qui sont convaincus qu'il n’est pas possible de la mettre à exécution, voteront contre cette proposition. Il faut donc mettre d'abord aux voix le principe et ensuite examiner les moyens d'exécution.

M. Guillery. - S'il s'agissait réellement de voter sur une question de principe abstrait non formulée dans l'amendement, je pourrais citer les précédents de la Chambre, et je pourrais dire que, dans toutes les grandes discussions, la Chambre a commencé par voter un principe abstrait, sauf à voter ensuite sur les différentes propositions qui étaient faites. Cela s'est fait dans la discussion de la loi sur l'enseignement primaire ; cela s'est fait dans diverses autres circonstances qu'il serait inutile d'énumérer ; mais il ne s'agit pas de cela aujourd'hui : la proposition se compose de plusieurs paragraphes et on demande le vote par division ; il me semble impossible de ne pas voter ainsi ; non pas que j'admette l'interprétation que l'honorable M. Pirmez donne au vote qui sera émis, car nous n'avons pas le droit de scruter la conscience d'autrui ; mais chaque membre a le droit de demander le vote par division, et la Chambre, je pense, doit satisfaire à cette demande.

MjTµ. - Il importe, messieurs, qu'il n'y ait de surprise pour personne et que nous sachions maintenant ce que nous allons faire.

L'honorable M. Orts a, si je ne me trompe, fait deux propositions : l'une consacre le principe, l'autre énonce les moyens d'exécution. Je suppose qu'on mette d'abord aux voix la question de principe et qu'elle soit adoptée ; nous passons ensuite aux moyens d'exécution, - seconde proposition - et je suppose que celle-ci soit rejetée, qu'arrive-t-il ? (Interruption.)

- Un membre. - Il y aura un troisième vote sur l'ensemble.

MjTµ. - Quel ensemble ? Mais il ne restera plus que la première partie de la proposition, celle qui aura été adoptée, et par conséquent il n'y aura plus à revenir sur le premier vote. (Interruption.) C'est ainsi, et c'est pourquoi il faut s'expliquer bien catégoriquement.

Quant à moi, je ne suis nullement embarrassé, je voterai contre la proposition ; mais je désire qu'on sache parfaitement ce qui adviendra. Encore une fois, la première proposition étant adoptée et les moyens d'exécution rejetés, qu'arriverait-il du premier vote que la Chambre aurait émis ? Voilà une question sur laquelle je prie le bureau de bien vouloir nous éclairer. Pour moi, je crois qu'il n'y a qu'un seul vote à émettre, un vote sur l'ensemble de la proposition.

M. de Theuxµ. - J'appuie les observations de M. le ministre de la justice. Si la proposition principale était adoptée, elle devient article de loi et les moyens d'application seraient laissés à l'arbitraire des autorités qui forment les listes électorales.

MpVµ - Il y aurait un vote sur l'ensemble.

MfFOµ. - Mais non, il. n'y aurait plus qu'une proposition qui resterait debout et celle-là aurait été adoptée.

MpVµ. - Il est de règle, quand à une proposition principale se rattachent des amendements, de commencer par voter sur ceux-ci.

M. Schollaert. - Il n'y a pas d'amendement à la partie de la proposition qui consacre le principe.

M. Guillery. - M. le président, sans y être provoqué par aucun membre de la Chambre, a indiqué d'abord la marche à suivre, et je trouve que c'est la plus simple, la plus rationnelle, la plus convenable, parce qu'elle satisfait toutes les consciences.

M. le ministre de la justice vient de dire qu'il votera contre le principe ; eh bien, si la majorité de la Chambre se prononce comme lui, il n'y aura plus à voter sur le reste. Si le premier paragraphe est adopté, au contraire, on passera ensuite aux amendements et il y aura un vote sur l'ensemble. (Interruption.)

Dans tous les cas, il y aura un second vote ; par conséquent, si on avait été surpris, si on avait donné un vote, sans en calculer toute la portée, il serait toujours loisible à la Chambre de revenir sur l'amendement.

Maintenant, il me paraît impossible de voter sur les moyens d'exécution, avant que la Chambre se soit prononcée sur le principe ; on ne peut pas voter sur l'adjectif avant de voter sur le substantif ; il faut d'abord qu'on sache si, oui ou non, le principe sera inscrit dans la loi.

Pour satisfaire tout le monde, veut-on remplacer le premier paragraphe de l'amendement par un principe abstrait, de telle sorte que l'admission de ce principe ne sera pas un article de loi ; ce qui répond à une objection que vient de faire l'honorable M. de Theux. Très souvent, on a voté dans cette Chambre sur un principe abstrait, sauf à le faire entrer (page 1452) ensuite dans la loi. On peut formuler une question de principe, si on le désire...

- Des membres. - Non ! non !

M. Guillery. - Pour ma part, je pense qu'il y a lieu de voter simplement sur le premier paragraphe ; chacun connaît la pensée du vote qu'il émettra.

MpVµ. - Messieurs, puisqu'il y a doute, il faut suivre le règlement dans toute sa teneur et mettre d'abord aux voix les amendements.

MfFOµ. - Je voulais précisément justifier l'opinion que M. le président vient d'émettre. L'honorable M. Guillery se trompe quand il pense que, la majorité le décidant, on peut voter sur des questions de principe ; on ne vote sur des questions de principe que de l'assentiment unanime de la Chambre.

Le texte qu'on présente comme une question de principe ne l'est pas ; c'est une proposition de loi qui est soumise à la Chambre, et la Chambre doit statuer sur cette proposition. Comment procède t-on dans ce cas ? Tous les amendements sont mis aux voix avant la proposition principale.

C'est dans l'hypothèse qui nous occupe le moyen d'éviter toute espèce de difficultés. Votons d'abord sur les moyens d'application, qui sont les amendements. Ces moyens seront adoptés ou rejetés. S'ils sont adoptés pas de difficultés : la disposition principale de la proposition est admise ; si ces moyens sont rejetés, alors rien de plus facile que d'émettre un vote sur la proposition principale.

Je veux éviter toute espèce d'équivoque. Je veux que le vote soit franc et net ; je ne veux pas qu'abstraction faite des moyens, on se trouve lié sur les principes.

Votons franchement et loyalement. Quand nous aurons reconnu qu'il y a des moyens pratiques, et ces moyens forment l'objet des amendements, nous pourrons voter le principe ; mais si nous ne trouvons pas de moyens pratiques, nous rejetterons le principe.

M. Orts. - Comme M. le ministre des finances, je veux que le vote soit franc, net, et qu'il n'y ait pas d'équivoque ; mais je désire aussi qu'on ne se fasse pas, dans cette Chambre, cette position facile de se déclarer pour un principe, avec l'intime conviction de rendre le principe d'une application impossible en rejetant tous les amendements. (Interruption.)

Qu'on dise franchement, nettement, sans équivoque, que le principe est mauvais ; car un principe abstrait qui n'est pas susceptible d'application pratique est un mauvais principe.

Je rentre dans la position de la question.

Je crois qu'il est impossible de voter autre chose que ce qu'a proposé l'honorable président au début de cet incident ; voici pourquoi : c'est qu'en réalité j'ai fait deux propositions ; j'ai proposé, par deux rédactions différentes, le principe d'abord, les moyens d'exécution ensuite ; si l'on adoptait tout ce que j'ai proposé, on adopterait deux articles de loi ; j'ai proposé les moyens d'application à dix jours de distance du principe ; les impressions de la Chambre en font foi.

Votons donc les deux articles séparément.

MpVµ. - Je propose de mettre d'abord aux voix les amendements en commençant par celui, conformément au règlement, qui s'en éloigne le plus.

L'amendement qui s'éloigne le plus de la proposition principale est celui de M. Funck.

Cet amendement est ainsi conçu :

« Chaque année, lors de la formation des listes électorales, les citoyens qui voudront se faire inscrire sur ces listes et qui remplissent les autres conditions exigées parla loi se présenteront devant l'autorité communale de leur domicile e’ y rempliront une formule imprimée portant ces mots :

« Nom.

« Prénoms.

« Age (en toutes lettres).

« Profession.

« Domicile. »

Je mets cet amendement aux voix.

- Des membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

75 membres y répondent.

23 membres répondent oui.

47 membres répondent non.

5 se sont abstenus.

En conséquence, la Chambre n'adopte pas,

Ont voté l'adoption :

MM. Goblet, Guillery, Jamar, Laubry, Le Hardy de Beaulieu, Orts, Royer de Behr, Sabatier, Van Humbeeck, Vleminckx, Bara, Cartier, Couvreur, Debaets, de Conninck, de Florisone, De Fré, Delaet, de Macar, de Rongé, Dewandre, Funck et Giroul.

Ont voté le rejet :

MM. Grosfils, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Muller, Pirmez, Reynaert, Rodenbach, Rogier, Tack, Tesch, Thonissen, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Wambeke, Warocqué, Allard, Bricoult, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, Delcour, de Liedekerke, de Moor, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Woelmont, Dolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban et Ernest Vandenpeereboom.

Se sont abstenus :

MM. Hymans, Nothomb, Schollaert, de Haerne et de Muelenaere. Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Hymans. - Je n'ai pu voter ni pour ni contre l'amendement, parce que, comme on le dit vulgairement, pour faire un civet il faut un lièvre. Or, on vient de vouloir faire le civet et le lièvre n'existe pas.

Je ne comprends pas qu'on s'occupe d'appliquer un principe, lorsque ce principe n'est pas voté.

M. Nothomb. - Je me suis abstenu, parce que je n'ai pu émettre un vote avec connaissance de cause et que l'amendement que j'ai proposé avec d'honorables amis me paraît mieux atteindre le but.

M. Schollaert. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Nothomb.

M. de Haerne. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'a énoncés dans la discussion générale et dans la séance de samedi, relativement au mode d'exécution et aussi principalement quant au délai de la mise à exécution que j'aurais voulu fixer à trois ou quatre ans.

M. de Muelenaere. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Nothomb.

MpVµ. - Vient l'amendement de MM. Nothomb, Schollaert, Debaets, de Muelenaere, Royer de Behr, Delaet, de Coninck et Reynaert. Il est ainsi conçu :

« 1° L'électeur dont la capacité sera contestée pourra être appelé à subir une épreuve devant le juge de paix de son canton, assisté de l'inspecteur de l'enseignement primaire et d'un membre choisi par eux parmi les collèges des bourgmestre et échevins du canton.

« En cas de dissentiment, ce membre sera désigné par la voie du sort.

« Appel de la décision pourra être interjeté devant la députation permanente de la province qui, outre les présentes dispositions, observera les délais et les formes ordinaires.

« 2° Si l'électeur l'exige, l'épreuve sera publique.

« 3° Le titre II de la Constitution imprimé dans les différentes langues usitées en Belgique, en gros caractères et d'après un texte uniforme, pourra seul être employé pour l'épreuve de la lecture.

« Pour justifier de l'écriture il suffira que l'électeur puisse apposer sa signature ou qu'il produise un acte authentique oh il a comparu et signé.

« 4° L'action en contestation de capacité appartiendra à tout citoyen jouissant de ses droits civils et politiques, ainsi qu'au commissaire de l'arrondissement.

« 5° Les exploits et généralement tous les actes de procédure seront dispensés du droit de timbre et de greffe ; ils seront enregistrés gratis et le salaire des huissiers sera fixé comme en matière électorale.

« 6°L'électeur pourra, dans tous les cas, réclamer la taxe des témoins en matière civile.

« Les frais seront à la charge de l'Etat.

« Toutefois pour les cas où ils paraîtront frustratoires, ils pourront être mis à la charge du réclamant.

« 7° L'électeur qui refusera de comparaître à l'épreuve sera rayé de la liste.

« 8° L'épreuve reconnue favorable à l'électeur rendra son inscription définitive.

(Page 1453) « Les décisions défavorables n'auront d'effet que jusqu'à la révision ]a plus prochaine de la liste. »

- L'appel nominal est demandé.

En voici le résultat :

73 membres sont présents.

27 votent pour l'amendement.

45 votent contre.

1 s'abstient (M. Hymans).

En conséquence l'amendement n'est pas adopté.

Ont répondu oui :

MM. Goblet, Guillery, Jamar, Laubry, Le Hardy de Beaulieu, Nothomb, Orts, Reynaert, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Van Humbeeck, Vleminckx, Carlier, Couvreur, Debaets, de Conninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, Delaet, de Macar, de Muelenaere, de Rongé, Dewandre, Funck et Giroul.

Ont répondu non :

MM. Grosfils, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Muller, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Tack, Tesch, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Wambeke, Warocqué, Allard, Bara, Bricoult, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, Delcour, de Liedekerke, de Moor, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Woelmont, Dolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban et Ernest Vandenpeereboom.

M. Hymans. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai donnés au vote précédent.

MpVµ. - Restent les deux articles proposés par M. Orts.

Le premier est ainsi conçu :

« A dater du jour où la présente loi sera obligatoire, nul ne pourra être inscrit pour la première fois sur les listes électorales, s'il ne sait lire et écrire.3

- Il est procédé au vote par appel nominal sur cet article.

74 membres sont présents.

27 votent la proposition.

43 votent contre.

4 s'abstiennent.

En conséquence la Chambre n'adopte pas.

Ont répondu oui :

MM. Goblet, Guillery, Jamar, Laubry, Le Hardy de Beaulieu, Nothomb, Orts, Reynaert, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Van Humbeeck, Vleminckx, Bara, Carlier, Couvreur, Debaets, de Conninck, de Florisone, De Fré, Delaet, de Macar, de Muelenaere, de Rongé, Dewandre, Funck, et Giroul.

Ont répondu non :

MM. Grosfils, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Muller, Pirmez, Rodenbach, Tack, Tesch, Thonissen, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Wambeke, Warocqué, Allard, Bricoult, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, Delcour, de Liedekerke, de Moor, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt de Terbecq, de Theux, de Woelmont, Dolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban et E. Vandenpeereboom.

Se sont abstenus :

MM. Hymans, Rogier, Crombez et de Haerne.

M. Hymans. - Messieurs, je n'ai pu voter la proposition, par les motifs que j'ai indiqués dans mon discours de samedi, et parce que je ne veux pas commencer une réforme électorale par un vote qui aurait pour résultat immédiat de diminuer le nombre des électeurs.

Je n'ai pas voté contre la proposition, parce que je ne veux pas rejeter le principe d'une mesure qui, organisée dans de bonnes conditions, aurait pour effet de développer l'instruction.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'ai pas voté contre l'article parce qu'il proclame un principe que je trouve excellent en lui-même. Je n'ai pas voté pour l'article parce que, malgré tous les efforts qu'on a faits de tous côtés pour trouver des moyens pratiques d'exécution, on n'est pas encore parvenu à en indiquer.

M. Crombez. - Je ne suis pas opposé d'une manière absolue au principe de la proposition de l'honorable M. ;Orts, mais les moyens d'exécution proposés ne m'ont pas semblé satisfaisants.

M. de Haerne. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai indiqués tout à l'heure, en motivant mon abstention sur l'amendement de l'honorable M. Funck.

MpVµ. - La deuxième partie de l'amendement tombe.

- La séance est levée à 5 heures.