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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 20 janvier 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 519) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Warnier, cultivateur à Cortil-Noirmont, réclame l'intervention de la Chambre pour être indemnisé des pertes qu'il a subies dans ses récoltes par les ouragans du mois de mai 1857. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Tournaye présente des observations contre la demande ayant pour objet la construction d'un chemin de fer de Tongres à Bilsen et prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin d fer de Fexhe ou d'Ans à Tongres, moyennant un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur un capital de deux millions de francs. »

- Même renvoi.


« Des ouvriers charbonniers à Cuesmes demandent l'application des dispositions du Code pénal aux directeurs des sociétés qui se sont réunis, le 29 décembre dernier, à l'effet de s'entendre pour diminuer les salaires des ouvriers, tout en augmentait les heures de travail et proposent des mesures pour améliorer le sort des travailleurs. »

- Même renvoi.


« Des habitants dans le Brabant demandent des modifications aux articles du Code pénal, relatifs aux coalitions, »

- Renvoi à la commission du Code pénal.


« Par dépêche du 19 janvier, la cour des comptes adresse à la Chambre son cahier d'observations relatif au compte définitif de l'exercice 1856 et à la situation provisoire de l'exercice 1857. »

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution.


« M. Savart, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1860

Discussion générale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du budget des travaux publics.

La parole est à M. Jamar pour une motion d'ordre.

M. Jamar (pour une motion d’ordre). - La Chambre a reçu, le 20 juillet dernier, une pétition des commissaires expéditeurs et agents en douanes d'Anvers, qui a été renvoyée à la commission des pétitions. Le 16 août, la même décision a été prise pour trois pétitions des commissaires expéditeurs et agents eu douane de Gand, Verviers et Bruxelles. Enfin le renvoi à la même commission a été décidé pour une pétition des commissaires expéditeurs et agents eu douane de Liège.

Toutes ces pétitions sont signées par des hommes excessivement honorables et justement estimés dans le commerce belge. Les pétitionnaires s'élèvent avec force contre une mesure prise par l’administration du chemin de fer de l'Etat, relative au service des déclarations en douane par l'administration elle-même.

Cette mesure a été annoncée au commerce belge par un avis inséré au Moniteur du 21 juin dernier.

Depuis cette époque, des discussions fort importantes qui avaient pour objet des questions dont la solution ne pouvait être retardée, ont absorbé l’attention et tous les instants de la Chambre, et la commission des pétitions n’a pas eu occasion, jusqu’aujourd’hui, de formuler un rapport sur ces diverses pétitions.

Cependant la mesure prise par l'administration du chemin de fer de l'Etat a reçu un commencement d'exécution, et dans le budget des travaux publics, dont la Chambre va commencer l'examen, il figure aux articles 64 et 65 une demande de crédit de 6,886 fr. pour les traitements et les salaires d'un personnel spécial pour le service des déclarations en douane.

Les questions fort importantes d'ailleurs que les pétitionnaires soumettent à la Chambre se trouveront donc résolues par le vote que vous allez émettre, et il a semblé utile à la commission des pétitions de proposer à la Chambre d'ordonner le dépôt, pendant la discussion du budget des travaux publics, des pétitions que je viens d'avoir l'honneur de signaler à votre attention.

- La proposition de la commission des pétitions est adoptée.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, l'un de ces derniers jours, il vous a été donné connaissance d'une pétition adressée à la Chambre par un grand nombre d'industriels, pétition qui a pour objet de se plaindre de l'insuffisance du matériel du chemin de fer et particulièrement de l'insuffisance des waggons de 10 tonnes, des waggons destinés au transport des marchandises pondéreuses.

Cette pétition, sur ma demande, a été renvoyée à 1a section centrale qui a examiné le budget, avec prière d'un prompt rapport. Ce rapport a été présenté par l'honorable M. d'Hoffschmidt.

La section centrale, tout en paraissant admettre le fondement de la réclamation, ne conclut pas. Elle dit que, n'ayant pas pu s'assurer d'une manière positive jusqu'à quel point il y a lieu de proposer un crédit spécial au budget pour l'augmentation du matériel, elle se borne à recommander la pétition à M. le ministre des travaux publics.

Je n'aimerais pas non plus, messieurs, formuler une proposition. J'ai de la répugnance à demander l'allocation d'un crédit au budget des travaux publics ; je désire que l'initiative soit laissée au gouvernement, mais je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il voudrait bien nous donner quelques explications à cet égard ; je désirerais savoir si au moyen des chiffres portés à son budget il peut satisfaire à la réclamation dont j'occupe la Chambre en ce moment, ou bien, en cas de négative, si son intention serait de demander un crédit spécial pour augmenter particulièrement le nombre des waggons destinés au transport des marchandises pondéreuses.

M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, vous aurez remarqué que la section centrale appelle l'attention de M. le ministre des travaux publics sur les engagements contractés par la compagnie du chemin de fer du Luxembourg, en ce qui concerne l’embranchement vers Bastogne, et sur la nécessité de faire exécuter cet embranchement. Comme la Chambre et même le gouvernement pourraient avoir oublié la portée et la valeur des engagements pris par la compagnie, je crois devoir les rappeler en peu de mots.

C'est en 1845, messieurs, que des capitalistes anglais vinrent demander au gouvernement belge la concession d'un chemin de fer à travers le Luxembourg.

L'honorable M. Dechamps, qui était alors ministre des travaux publics, fit une convention avec ces demandeurs dans laquelle ils s'engageaient à construire un chemin de fer pariant de la vallée de la Meuse, non loin de Dinant et traversant une partie de la province de Namur et la province de Luxembourg.

Les concessionnaires s'aperçurent bientôt que la ligne qu'ils avaient obtenue était dans des conditions défavorables. En effet, une ligne de cette importance partant d'un petit village des bords de la Meuse était évidemment dans de mauvaises conditions.

Les concessionnaires vinrent donc demander au gouvernement une modification à la concession première, en ce sens que le chemin de fer partirait de la capitale, passerait par Namur et traverserait les deux provinces. Cette demande apportait un immense changement aux conditions de la société, car au lieu d'obtenir une ligne peu favorable, elle obtenait la concession de la plus grande ligne concédée du royaume, ligne partant de la capitale et cela malgré la concurrence que cette ligne pouvait faire au chemin de fer de l’Etat. M. le ministre des travaux publics de cette époque consentit à la modification. Mais, de son côté, il demanda à la compagnie concessionnaire l'exécution de deux embranchements dans la province de Luxembourg, en compensation des modifications avantageuses accordées à la compagnie ; l'un se dirigeant vers l'Ourthe, l'autre se dirigeant vers Bastogne. Les demandeurs ne firent pas la moindre opposition à cette proposition ; ils l'acceptèrent.

Une convention fut conclue le 13 février 1846 entre les demandeurs en concession et M. le ministre des travaux publics : voici ce que cette convention porte :

« Art. 1er. Les concessionnaires s'engagent :

« A exécuter à leurs frais, risques et périls, le chemin de fer du Luxembourg sur le pied du cahier des charges annexé aux présentes. »

Le cahier des charges était ainsi conçu :

« Art 1er. Le chemin de fer du Luxembourg aura deux embranchements obligés, l'un vers l'Ourthe, l'autre sur Bastogne. »

Et à l'article 12 :

« Dans les cinq années au plus tard, à dater de la promulgation de la loi, les travaux et constructions devront être entièrement terminés et la ligne pourvue de tout le matériel nécessaire. »

Vous voyez qu'il n'était fait aucune distinction entre la voie principale et les embranchements. Cette convention fut soumise à l'approbation de la législature ; la loi qui la ratifie est du 18 juin 1846 ; elle est ainsi conçue ;

« Article unique : Le gouvernement est autorisé à accorder aux sieurs de Clossman et consorts, la concession du chemin de fer du Luxembourg, d'après les bases posées dans la convention et le cahier des charges signés le 13 février 1846. »

L'arrêté royal de concession définitive porte également, article 2 : « Les conditions de cette concession sont déterminées par la convention et le cahier des charges signés le 13 février 1846. »

Il ne faut pas croire, messieurs, que cet embranchement, lors de la discussion de la loi, a passé en quelque sorte inaperçu dans cette enceinte ; il y eut un amendement de l'honorable et regrettable comte Félix de Mérode, qui demanda qu'un embranchement sur Dinant fut substitué à celui sur Bastogne ; l'amendement fut fortement combattu, et, retiré ensuite par son auteur.

(page 520) L'année suivante, la société concessionnaire sollicita une prolongation de délai ; cette prolongation lui fut accordée ; le délai d'exécution fut porté à 10 ans.

Les événements de 1848, et peut-être les fautes commises par son administration empêchèrent la compagnie d'accomplir ses engagements En 1851, à sa demande, le gouvernement proposa de lui accorder la garantie d'un minimum d'intérêt pour la ligne partant de Namur jusqu'à Arlon. Cette question fut soumise à la Chambre en même temps que la grande loi des travaux publics de cette époque.

Cette proposition fut adoptée par les Chambres, et voici comment est conçu l'article premier de la loi du 21 décembre 1851 :

« Le gouvernement est autorisé à conclure avec les compagnies de l’Entre-Sambre-et-Meuse du Luxembourg et de la Flandre occidentale, des conventions définitives basées sur les clauses et conditions contenues dans les conventions provisoires annexées à la présente loi. »

Je ferai remarquer, en passant, que les compagnies concessionnaires des chemins de fer de l'Entre- Sambre-et-Meuse et de la Flandre occidentale devaient aussi construire des embranchements ; elles se sont parfaitement exécutées, alors que la compagnie du Luxembourg n’a pas rempli ses engagements. Et cependant la nouvelle convention faite avec la société porte :

« Art. 1er. La Compagnie du Luxembourg s'engage à exécuta à ses frais, risques et périls, la ligne de Namur à Aron, avec ses embranchements. »

Et l’article 7 : « L'Etat consent à garantir à la Compagnie, pendant un terme de cinquante ans, un minimum d'intérêt de 4 p. c, portant sur un capital, pour les embranchements, de 2,500,000 francs. »

En 1855 la compagnie n'ayant pas exécuté le chemin de fer, présenta une demande au gouvernement pour être relevée d la déchéance qu'elle devait encourue. Le gouvernement proposa aux Chambres un projet de loi pour proroger les délais fixés pour l'achèvement de la ligne ; les Chambres adoptèrent ce projet de loi qui autorisa le gouvernement à proroger les délais pour l’achèvement des lignes concédées. Ce délai fut définitivement fixé au 1er avril 1859.

La voie principale est terminée, mais quant aux embranchements, rien n’est fait encore.

J'oubliais de vous dire que dans la discussion de la loi de 1853 la question des embranchements fut de nouveau soulevée dans cette enceinte ; un amendement fut présenté par l’honorable M. Malou tendant à exempter la compagnie de l’obligation de construire l'embranchement de Bastogne ; l'amendement fut fortement combattu et rejeté à une grande majorité.

II faut en convenir, messieurs, il est impossible de voir des engagements plus formels, plus explicites que ceux de la compagnie ; rien n'est clair non plus plus que la volonté du pouvoir législatif de faire exécuter les embranchements. La loi de concession ne fait pas de différence entre la ligne principale et les embranchements, n'est-il donc point étrange que la compagnie, ne tenant aucun compte de ses engagements antérieurs, ne veuille consulter que ses convenances ?

Jusqu'à présent pas un seul ingénieur n'a été chargé des études, on ne s'est pas occupé de l'achat des terrains, rien n'a été fait ; et les réclamations adressées à la compagnie n'ont pas même reçu de réponse.

Il semble donc que c'est le moment pour le gouvernement d'agir, il ne peut pas permettre qu'une compagnie concessionnaire foule aux pieds, à son gré, ses engagements. Il y a droit acquis pour les populations intéressées.

D'autre part, la compagnie concessionnaire n'a pas eu à se plaindre du gouvernement belge.

Dès 1846, comme vous l'avez entendu, le gouvernement a fait à la compagnie une concession d'une grande valeur en faisant partir la ligne de la capitale ; dans le cahier des charges il y avait aussi des conditions très favorables ; tous les terrains traversés par le chemin de fer, situés dans les forêts domaniales, étaient abandonnés gratuitement par l'Etat ; plus tard quand elle a demandé des prorogations de délais, elle les a toujours obtenus ; en 1851, on lui accorda une garantie d’intérêt à laquelle elle n’avait pas droit d’après son contrat. Toujours la compagnie concessionnaire a été l’objet de la bienveillance du gouvernement.

Quand, même, elle a été sous le poids de la déchéance de ses droits, elle a été relevée de cette déchéance qui l'exposait à la confiscation de son cautionnement et des travaux considérables qu'elle avait exécutés.

Il est vrai que dans ce moment-ci, messieurs, la compagnie, paraît-il, se plaint de l'application qu'on lui fait des articles de la convention en ce qui concerne la garantie du minimum d'intérêt. J'ignore jusqu'à quel pont ses réclamations sont fondées ; je ne sais pas qui a raison dans cette contestation, les tribunaux, du reste, seront probablement appelés à la résoudre.

Mais il me semble que, en ce qui concerne les obligations du gouvernement envers la société concessionnaire il peut la traiter avec bienveillance ; si le texte est douteux, le gouvernement doit, ce me semble, l’appliquer de la manière la plus large.

Or, la compagnie prétend que de la manière dont on interprète les conventions et les lois, la garantie d'intérêt, au lieu d’être de 4 p. c. ne serait plus, en réalité, que de 2 p. c. Si cela est exact, je trouve que cette interprétation ne répondrait nullement aux intentions manifestes en 1851, et par le gouvernement et par la Chambre.

Je crois donc que, dans l’exécution de ses obligations, le gouvernement doit être bienveillant ; mais aussi que, quand il s'agit des obligations contractées par la société, il importe que le gouvernement soit inflexible, car il doit veiller à ce que les intérêts des tiers qui sont ici engagés soient respectés.

Maintenant, messieurs, est-ce qu'on demande à la société quelque chose de bien exorbitant, de bien onéreux ? Nullement, messieurs. L'embranchement vers Bastogne ne coûtera pas plus de 2,500,000 fr., d'après le études qui ont été faites ; placé, sur le plateau de l'Ardenne, il n'y a là ni rivière à traverser, ni grands travaux, d’art à exécuter ; les terrains ne sont pas chers dans ce pays, et les communes céderont, j’en suis persuadé, les terrains communaux gratuitement ; les stations seront modestes, et le matériel de la ligne principale desservira facilement l’embranchement.

D'un autre côté cet embranchement ne laissera pas de produire un trafic assez considérable qui réagira sur la ligne principale ; enfin il y a comme encouragement la somme que l'Etat doit payer à titre de garantie d'intérêt.

Ainsi, on ne demande rien à la compagnie qu'il ne lui soit point facile d'exécuter et qu'il ne soit point de son intérêt même d'exécuter. Dans tous les cas, c'est une position qu’elle a acceptée à 3 ou 4 reprises différentes en compensation de l’avantage qu’elle a obtenu en 1846 et auquel s’attachent des obligations qu’il ne lui est pas permis d’éluder.

Nous n'avons, messieurs, dans le Luxembourg, qu'une ligne de chemin de fer ; sommes-nous condamnés à n'avoir jamais que cette ligne, alors que les autres provinces du royaume ont des réseaux complets ? alors que le Grand-Duché de Luxembourg qui nous avoisine va voir bientôt aussi un réseau complet sur Metz, Trêves, Arlon et Diekirch.

Est-il possible que le Luxembourg reste, au milieu de toutes ces voies ferrées, avec l’unique ligne qu'il possède ? Cette ligne, sans doute, est déjà un grand bienfait pour le Luxembourg ; mais pourquoi ne pourrions-nous pas espérer d'en obtenir le complément ; pourquoi plus de la moitié du Luxembourg resterait-il privé de toute voie ferrée ?

Tous ces motifs se réunissent donc ici pour que mon honorable ami M. le ministre des travaux publics s'occupe activement de cette question et oblige la société concessionnaire à remplir ses engagements. La loi est là, elle lui en fait un devoir ; l'intérêt du Luxembourg, l'intérêt de la société concessionnaire elle-même doit l'y engager.

Je serais charmé d'avoir quelques explications sur cette question qui est de la plus haute importance pour l'arrondissement auquel j'appartiens.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je vais donner sur-le-champ à l’honorable M. d’Hoffschmidt les explications qu’il réclame.

La question est extrêmement simple, et je suis heureux d'avoir l'occasion de m'en expliquer.

Le gouvernement n'use vis-à vis de la compagnie du Luxembourg, dans cette circonstance ni dans aucune autre, d'aucun genre de complaisance. Il ne lui demande pas l'exécution des embranchements vers l’Ourthe et vers Bastogne, tout simplement parce qu'il croit n'en pas avoir le droit, et c'est là le point que je vais démontrer à la Chambre.

Différentes conventions, comme vient de vous le rappeler l'honorable M. d'Hoffschmidt, sont en effet intervenues pour l'exécution de la ligne du Luxembourg. Ces conventions ne se montent pas à moins de cinq.

La première est de 1846 et comme vient de vous le rappeler l'honorable membre, elle stipule en termes formels l'obligation pour la compagnie du Luxembourg de construire les embranchements de l'Ourthe et de Bastogne. Dans aucune des conventions qui sont intervenues postérieurement, cette stipulation n'a été modifiée quant à l’obligation principale de la compagnie.

Aujourd'hui, comme en 1846, la compagnie est obligée à construire les deux embranchements. Mais ce à quoi elle n’est pas obligée, ce que le gouvernement ne peut pas lui imposer, c'est la construction actuelle, immédiate. C'est là que nous sommes sans droit, comme vous allez le voir.

Aux termes de la convention intervenue à la suite de la loi du 21 décembre 1851, garantissant à la compagnie un minimum d'intérêt, certains délais étaient assignés à la compagnie pour l'exécution de ses obligations. Parmi ces obligations figuraient, comme je viens de le rappeler, celles de construire les deux embranchements en question.

Vous savez ce qui est advenu de l'administration d’alors. Vous savez comment cette administration s'est conduite, comment elle a fini.

En 1855, il a donc fallu aviser à mettre la compagnie en demeure de remplir ses obligations dans le délai qui avait été fixé, et à fixer des délais nouveaux. C'est ce que la dernière convention du 7 septembre 1855 prévoit en termes formels.

La compagnie avait à pourvoir à la construction d'une ligne de Namur à Bruxelles, d'une ligne de Namur à Arlon, d'une ligne de jonction entre la station de quartier Leopold et la station du Nord et de l'allée Verte, à la construction des extensions vers les frontières grand ducale (page 521) et française et enfin à la construction des embranchements vers l'Ourthe et vers Bastogne.

La convention portait donc sur cinq parties de ligne différentes. Voici comment s'expriment les articles 1 et 2 de cette convention quant aux délais laissés à la compagnie pour l'exécution :

« Art. 1er. Sous les conditions exprimées aux articles suivants, les délais fixés par la convention conclue avec la société du chemin du fer du Luxembourg, le 13 janvier 1852, sont prorogés comme suit :

« Les travaux de Bruxelles à Namur devront être complètement achevés pour le 1er avril 1856.

« La ligne entre Namur et Arlon devra être complètement terminée au 1er avril 1859. »

« Art. 2. L'exécution des deux extensions du chemin de fer du Luxembourg depuis Arlon jusqu'aux frontières de France et du Grand-Duché de Luxembourg, est et demeure obligatoire pour la société concessionnaire. Toutes les conditions arrêtées par la convention du 13 janvier 185, ainsi que par la présente convention, sont déclarées applicables à ces extensions dont les travaux devront être complètement et respectivement terminés à l’époque où les travaux exécutés dans ces deux pays toucheront la frontière belge, de manière à n'occasionner aucun retard dans l'exploitation des extensions dont il s'agit, sous peine de les voir faire d'office par le gouvernement, qui est, dès à présent, autorisé à saisir, à cet effet, les produits du chemin de fer de Bruxelles à Namur. »

Vous voyez qu'il n'est rien dit quant aux embranchements de l'Ourthe et de Bastogne, tandis que tout est prévu quant aux délais d'exécution des autres parties de la ligne.

Etait-ce une omission due au hasard, une omission imputable à la négligence du gouvernement qui stipulait dans l'intérêt public ? Pas le moins du monde ; c'était une omission motivée par les observations qu'avait faites la compagnie.

Le gouvernement avait prétendu exiger de la compagnie que les embranchements de l'Ourthe et de Bastogne fussent terminés en même temps que la section de Namur à Arlon. Cependant, dans la convention définitive, ainsi que vous venez de le voir, cette obligation ne figure pas, et cela s'explique par une lettre de la compagnie, que je trouve au dossier et dont je vais donner communication à la Chambre :

« D'après la note que vous avez bien voulu m'adresser, nous devons, pendant ce délai, non seulement achever le tronc principal, mais encore les embranchements. C'est là, M. le ministre, une obligation nouvelle qui nous serait imposée et à laquelle nous ne saurions nous soumettre à aucun prix. Aucun délai n'a été fixé pour la construction des embranchements et moins que jamais nous ne saurions en accepter. Par suite des dilapidations de l'ancienne administration 17 à 18 millions ont été dépensés en pure perte par la compagnie ; il lui reste à peine de quoi atteindre Arlon.

« Ce serait tuer l'entreprise que de l'obliger à exécuter des travaux pour une douzaine de millions et surtout des travaux qui seraient un jour une charge énorme pour l'Etat et dès maintenant une dépense sans compensation pour la compagnie. Les circonstances sont telles, qu'on trouve à peine de l'argent pour faire les choses sérieuses, productives ; comment donc songer à faire ce que tout le monde considère comme une chose sans aucune utilité, un travail dont les frais d'exploitation ne seraient pas même couverts ? Quand une fois la ligne principale aura développé les nombreux éléments de prospérité qui existent dans les pays qu'elle traversera, la construction des embranchements deviendra chose raisonnablement possible, utile au pays, profitable à la compagnie ; mais jusque-là ce ne serait qu'une source de ruine. »

Ainsi la compagnie répondait au ministre qu'à aucun prix elle ne consentirait à l'obligation d'exécuter les embranchements dans le délai fixé par le tracé principal (Interruption.) C’est entre la convention de 1852 et la convention de 1855, que cette correspondance fut échangée, et ce n'est qu'à la suite de cette correspondance qu'est intervenue la convention de 1855, dans laquelle, vous venez de le voir, ne figure aucun délai quant à la construction des embranchements.

Je dis, messieurs, qu'en présence du texte de la convention de 1855, qui fait loi entre la compagnie et le gouvernement, convention qui, je le répète, ne stipule aucun délai pour les embranchements, et en présence surtout de la lettre officielle dont je viens de donner lecture et qui fixe l'esprit de cette convention, le gouvernement ne me semble pas en droit d'exiger la construction immédiate des embranchements. Si la compagnie formulait la prétention inverse, c'est-à-dire de ne construire ces embranchements que quand cela lui conviendrait, est-ce que cette prétention serait plus fondée que le prétendu droit du gouvernement d'exiger la construction immédiate des embranchements ? Je ne le crois pas.

Je crois que la compagnie devra s'exécuter lorsqu'il sera vrai de dire qu'elle est en voie de faire fructifier sérieusement son entreprise.

Il y a donc une appréciation de circonstances à faire. Je crois que le gouvernement ne pourrait, sans contrevenir à la convention de 1855 et sans respecter l'équité, exiger que la compagnie s'exécute immédiatement, quant aux embranchements.

Il ne faut pas oublier, messieurs (et l’honorable M. d'Hoffschmidt a compris combien cette objection est sérieuse), que la compagnie a passé par de grandes épreuves.

La ligne du Luxembourg est à peine ouverte depuis 15 mois et la compagnie est loin d'être sortie des difficultés de toute nature inhérentes à toute exploitation nouvelle. La ligne principale, à la suite des (page 521) dilapidations dont la lettre fait mention, n'a pas pu s'exécuter au moyen du capital en actions ; la compagnie a dû emprunter, et quel est maintenant le résultat financier de l'entreprise ?

C'est que la recette nette excède dans une très faible proportion le service des intérêts et de l'amortissement des obligations seulement. Elle ne pourrait exécuter les embranchements qu'en émettant des obligations nouvelles pour une somme considérable, alors qu'il lui reste beaucoup à faire pour assurer la parfaite exploitation de la ligne de grande communication.

Or, je demanderai à l'honorable membre qui semble vouloir insister pour l'exécution immédiate, au moyen de quels produits la compagnie pourrait aujourd'hui pourvoir au service des intérêts et de l'amortissement de ces nouvelles obligations tout en complétant ses moyens d'exploitation ?

Pour ces diverses considérations, je pense, messieurs, que, pas plus en équité qu'en droit, le gouvernement ne peut, ne doit exiger aujourd'hui de la compagnie l'exécution des embranchements.

L'honorable membre a semblé insinuer que si la compagnie n'est pas dans une position meilleure, c'est à la suite de difficultés que lui aurait créées le gouvernement. (Interruption.)

Vous avez dit, et avec beaucoup de raison, que le gouvernement doit se montrer large en ce qui concerne le règlement du minimum d'intérêts ; mais le gouvernement ne peut pas non plus abandonner les droits que lui donne la convention.

Voici, messieurs, la contestation élevée par la compagnie contre la manière de voir du gouvernement au sujet de l'application du minimum d'intérêt ; la Chambre pourra apprécier quelle est la conduite du gouvernement vis-à-vis de la compagnie du Luxembourg et celle de la Flandre occidentale qui soulève les mêmes difficultés.

Le différend porte sur la supputation du produit net, lorsque la compagnie exploite tout à la fois des sections à garantie d'intérêts et des sections non garanties.

Ces compagnies prétendent faire un compte distinct des dépenses afférentes aux sections à garantie et aux sections sans garantie, tandis que le gouvernement entend établir le montant des dépenses afférentes à chaque section proportionnellement aux recettes effectuées sur chacune d'elles ; parce que le mode préconisé par la compagnie aurait entre autres pour conséquence des contestations inextricables résultant de la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité d'attribuer à chaque section les dépenses qui leur sont propres.

Le gouvernement a-t-il tort ? A-t-il raison ? C'est une question qu'il n'appartient pas plus au gouvernement qu'à la compagnie de trancher. Les tribunaux seuls sont compétents pour la résoudre. C'est une question d'interprétation de contrat dont les tribunaux sont actuellement saisis par la compagnie de la Flandre occidentale, et la compagnie du Luxembourg attend l'issue de ce procès et n'accepte provisoirement les décomptes du gouvernement en ce qui concerne la garantie d'intérêt que sous réserve.

Vous voyez, messieurs, que le gouvernement n'a abandonné ses droits vis-à-vis de personne.

Je répondrai maintenant deux mots à l'interpellation qu'a bien voulu m'adresser l'honorable M. de Brouckere.

L'honorable membre a signalé la pétition du Couchant de Mons relative à l'insuffisance du matériel pour le transport des grosses marchandises et notamment des houilles. Cette insuffisance est réelle. Elle ne date pas d'aujourd'hui, elle remonte assez haut ; mais il faut s'entendre.

Si l'Etat pouvait répartir sur toute l'année les transports qu'il a à effectuer, le matériel du chemin de fer serait amplement en rapport avec l'importance du trafic.

Mais il arrive tous les ans certaines époques où les transports affluent extraordinairement, notamment à partir d'octobre et pendant la fermeture des voies navigables et des barrières. Pendant cette période qui se prolonge plus ou moins longtemps, il est certain que le matériel de l'Etat ne suffit pas aux besoins du commerce et de l'industrie.

Je reconnais néanmoins qu'eu égard à la tendance qu'ont les transports de progresser, l'insuffisance devient chaque année plus grande. Une circonstance particulière a rendu les besoins de matériel plus grands cette année que précédemment, c'est la reprise de la ligne de Mons à Manage, dont le matériel était dans un état déplorable ; une grande partie de ce matériel n'est pas même réparable et doit être complètement remplacée.

Ainsi, messieurs, d'une part le trafic tend à augmenter, d'autre part on a repris un matériel extrêmement délabré ; la Chambre comprendra que, dans cet état de choses, les besoins de l'administration sont assez grands.

J'ajouterai, messieurs, que les dépenses que l'on peut faire pour le matériel sont des plus productives.

L'administration et le trésor public ont un intérêt égal à ce qu'il y ait toujours un matériel suffisant disponible. Seulement il est impossible de rien prélever de ce chef sur les allocations ordinaires du budget. Les sommes à consacrer à ces besoins doivent faire l'objet d'un crédit spécial. Si le gouvernement trouve que la situation du trésor public rende possible cette allocation, j'aurai l'honneur de proposer, dans le courant de la session, un projet de loi spécial à la Chambre.

(page 522) M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, c'est avec surprise que j'ai entendu moi honorable ami. M. le ministre des travaux publics, prétendre qu'il n'y aurait plus d'obligation pour la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg d'exécuter l'embranchement de Bastogne et de l'Ourthe ; qu'il n'y aurait plus de droit acquis à ces chemins de fer, ni pour le gouvernement, ni pour les populations intéressées. M. le ministre des travaux publics est tout à fait dans l'erreur, et je crois pouvoir le démontrer de la manière la plus évidente.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je crois qu'il y a un malentendu. Je ne prétends nullement que l'obligation, pour la compagnie du Luxembourg, de construire les deux embranchements, n'existe plus ; je prétends seulement que l'obligation n'est pas actuellement exigible. Voilà la différence.

M. d'Hoffschmidt. - Quand sera-t-elle exigible ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Lorsque la société se sera développée et qu'elle aura fait des recettes suffisantes.

M. d'Hoffschmidt. - M. le ministre des travaux publics appuie uniquement son argumentation sur ce qu'a fait le ministère en 1855. La première question que soulève la convention, entendue comme vient de l'interpréter M. le ministre des travaux publics, interprétation que je n'admets pas, la première question est celle de savoir s'il appartenait soit au ministre des travaux publics de 1855, soit au gouvernement, d'ajourner indéfiniment l'exécution des embranchements. Par l'exposé que j'ai fait tout à l'heure, j'ai établi que la société concessionnaire avait successivement contracté des engagements tellement clairs, tellement précis qu'ils sont tout à fait incontestables.

Du reste, M. le ministre des travaux publics ne les a pas contestés non plus. Il résnlte des conventions successives et surtout des deux lois de 1840 et de 1851, que la compagnie concessionnaire est obligée de construire les embranchements au même titre que la voie principale.

Eh bien, en 1855, la compagnie demande la prorogation du délai ; cette prorogation a fait l'objet de la loi du 6 septembre 1855 ; l'autorisation accordée au gouvernement est conçue en ces termes :

« Le gouvernement est autorisé, sous les garanties et conditions qui lui paraîtront nécessaires, à proroger les délais fixés par l'article 6 de la convention conclue avec la compagnie du Luxembourg, le 13 janvier 1852, sans toutefois que le terme puisse dépasser quatre années. (Article unique de la loi du 7 septembre 1855.) »

Quatre années. Voilà les limites dans lesquelles la prorogation devait être accordée. Dépendait-il du ministère de 1855 d'autoriser la compagnie à exécuter les embranchements quand elle le jugerait convenable ? Dans la discussion de la loi de 1855 et dans les discussions antérieures, a-t-on distingué entre la ligne principale et les embranchements ? Pas le moins du monde. Si telle avait été l'intention du ministre, il aurait dû au moins la faire pressentir dans l'exposé des motifs, devant la section centrale et devant les Chambres ; mais il n'en a rien fait. Je vais vous le prouver.

Dans l'exposé des motifs de la loi de septembre 1855, on ne distingue eu aucune manière entre la ligne principale et les embranchements.

Maintenant si vous parcourez le rapport de la section centrale, rapport rédigé par un ancien collègue, l'honorable M. Tremouroux, vous verrez que le ministre des travaux publics, invité à se rendre au sein de la section centrale, a déclaré :

« Que la base de la convention à intervenir entre le gouvernement et la compagnie était le maintien des engagements antérieurs. »

Et plus loin le rapport porte ;

« Un membre dit : Qu'il ne votera le projet qu'à la condition que la convention à intervenir stipule que la compagnie ne sera affranchie d’aucune des obligations qui lui sont imposées. »

Plus loin on lit :

« Plusieurs membres appuient la manière de voir ci-dessus. Trois d'entre eux insistent pour que la compagnie ne soit pas dégagée de l'obligation qui lui est imposée de construire divers embranchements.

« Le projet de loi est adopté, mais à condition que M. le ministre s'engage à ne traiter qu'aux conditions ci-dessus indiquées. »

Maintenant qu'a-t-on dit dans le cours de la discussion de la loi de 1855 ? M. le ministre des travaux publics a pris deux fois la parole. Voici comment il s'exprime la première fois :

« Je déclare que je me rallie en tous points aux conditions reproduites dans le rapport de la section centrale.

« La compagnie ne sera dégagée d'aucune des obligations qu'elle a contractées par les conventions antérieures. »

L'honorable M. Vermeire et M. Coomans ayant exprimé des craintes sur la portée de la convention ultérieure, M. le ministre des travaux publics, reprenant la parole, les rassura et dit :

« L'honorable membre craint que le gouvernement fasse bon marché des droits légitimes de l'Etat vis-à-vis de la compagnie, j'ai déclaré sur quelles bases il me paraissait équitable de faire la convention. En tous points la compagnie sera tenue à tout ce à quoi elle s'était antérieurement engagée. La convention nouvelle sera la reproduction de toutes les obligations antérieures. »

Voilà ce qu'a dit l'honorable M, Dumon dans la discussion.

Je serais donc fort surpris que cet honorable ministre, manquant à toutes les déclarations qu'il avait faites devant la Chambre, et s'affranchissant des prescriptions de la loi elle-même, soit venu tout à coup prendre cette attitude nouvelle à la suite d'une correspondance dont aujourd'hui seulement nous apprenons l'existence et qui a été échangée entre le ministre et la compagnie. Il semble cependant que les représentants des localités intéressées eussent dû être avertis que des modifications radicales étaient apportées aux engagements contractés antérieurement.

Je devrais être surpris aussi que ce soit l'honorable M. Dumon qui eut dégagé la compagnie, lui le collègue de M. Nothomb, qui dernièrement prenait si chaudement la défense de l'embranchement de Bastogne et reprochait au gouvernement de ne pas le faire exécuter ; comment se fait-il que l'honorable M. Dumon ait pris une résolution si funeste à cet embranchement, sans en parler à ses collègues et à M. Nothomb, qui sans doute s'y serait opposé ?

Et ici je prie la Chambre de bien vouloir faire attention à ce fait qui me paraît incontestable, et je prie également M. le ministre des travaux publics d'y faire aussi grande attention : la compagnie est obligée à l'exécution des embranchements.

Deux lois lui imposent l'obligation de les construire ; c'était une compensation pour elle de l'immense avantage de voir partir sa ligne de la capitale, au lieu d'un petit village sur les bords de la Meuse. Maintenant la loi autorise le gouvernement à lui accorder une prorogation de délai de quatre années, sans distinction entre la ligne principale et les embranchements.

Si le ministre de cette époque croyait qu'il fallait proroger plus longtemps le délai pour l'exécution des embranchements, il fallait soumettre la question au pouvoir législatif ; il n'appartenait ni au gouvernement, ni au ministre de contrevenir à la volonté nationale exprimée par le pouvoir législatif.

M. le ministre vous a donné lecture d'une lettre du directeur de la compagnie concessionnaire ; d'après cette lettre la compagnie n'aurait pas accepté les arrangements qui lui étaient proposés, si elle eût été obligées de construire les embranchements. Mais en 1855, la compagnie se trouvait dans cette position que le gouvernement pouvait provoquer la déchéance, la confiscation du cautionnement et des travaux d'une valeur d'environ 12 millions déjà exécutés.

Il n'est pas à croire que dans cette position, la compagnie se serait refusée aux arrangements qui lui étaient proposés.

Messieurs, si le gouvernement s'est trouvé réellement devant des prétentions aussi incroyables, peut-on dire que s'il ne les eût pas admises le chemin serait resté inexécuté ?

La construction du chemin de fer du Luxembourg a été décidé du moment où l'on a accordé la garantie d'un minimum d'intérêt, si à cette garantie on avait ajouté te cautionnement et les travaux, il est évident qu'on eût trouvé facilement des concessionnaires nouveaux.

La compagnie a éprouvé des difficultés, des malheurs, elle a subi des pertes ; soit. Mais faut-il que l'arrondissement de Bastogne en soit victime ? Partout les compagnies ont rempli leurs engagements ; pourquoi n'y aurait-il d'exception que pour l'arrondissement de Bastogne ? Je persiste à croire que si la convention de 1855 à la portée que M. le ministre lui a donnée, cette convention est illégale.

Mais je ne partage pas l'opinion de M. le ministre. Je vois bien dans cette convention qu'on n'y parle pas d'embranchement, mais j'y lis que la ligne sera complètement terminée dans le délai de quatre ans. Les mots : « la ligne entièrement terminée » comprennent évidemment les embranchements ; on ne peut, en effet, entendre par ces mots que tout ce qui a été voté par les lois précédentes et déterminé par les conventions antérieures.

J'espère que M. le ministre reviendra sur les intentions qu'il nous a annoncées. Je le verrais à regret s'associer à une véritable illégalité, si elle existe.

Nous n'acceptons pas dans tous les cas son interprétation ; si le gouvernement nous abandonne, il ne nous restera que deux recours : l'un vis-à-vis de la Chambre en proposant, si on ne s'exécute pas, de suspendre le payement de la garantie du minimum d'intérêt ; car en définitive les conventions sont des contrats synallagmatiques, elles engagent les deux parties ; si une partie ne remplit pas ses obligations, l'autre peut suspendre l'accomplissement des siennes.

Mais j'espère que nous n'en arriverons pas à cette extrémité ; en examinant sérieusement la question, la compagnie terminera cette difficulté avec la loyauté qui caractérise la nation anglaise, elle ne voudrait pas répudier ses obligations, chicaner (qu'on me passe l'expression) sur les termes d'engagements solennellement acceptés, équivoquer pour s'en affranchir. J'ai à cet égard confiance dans les hommes distingués qui sont à la tête de son administration.

M. de Moor. - Je prie M. le ministre de nous faire connaître la date de la lettre dont il nous a donné lecture. Est-elle antérieure à la convention ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - La lettre est du 10 mai 1856.

M. de Moor. - Je désire autant que l'honorable M. d'Hoffschmidt, l'exécution des embranchements, mais en présence des termes de la dernière convention conclue entre le précédent ministère et la (page 523) compagnie, je ne sais si M. le ministre des travaux pubien n'est pas désarmé vis-à-vis du Grand-Luxembourg. Du reste, je dois déclarer que je n'irai, dans aucun cas, aussi loin que l'honorable député de Bastogne, qui ne reculerait pas devant la suspension du payement du minimum d’intérêt.

Si on pouvait en arriver à une semblable extrémité, je suis convaincu que la compagnie staterait son exploitation. Pour moi je suis trop heureux, pour mon pays, que le tronc principal de cette ligne soit construit et exploité pour affronter dès maintenant une semblable éventualité.

D'après les dates et les pièces dont M. le ministre vient de nous donner lecture, la convention a été conclue par l'honorable M, Dumon. Je dirai qu'il est bien étonnant dès lors que l’honorable M. Nothomb qui, l'autre, jour nous conviait à prendre part lors de la discussion du budget des travaux publics à la réclamation ayant pour but l'exécution de l'embranchement de Bastogne à Neufchâteau, il est étonnant, dis-je, que cet honorable membre qui se proclamait plus Luxembourgeois que les députes luxembourgeois eux-mêmes, ne se soit pas opposé à la signature de cet engagement, dont les Luxembourgeois membres de la Chambre n'ont pas eu connaissance et contre lequel ils eussent protesté énergiquement.

L'honorable M. Nothomb aurait pu se dispenser de nous donner des conseils, car en 1851, alors qu'il venait d’être élu par l’arrondissement de Neufchâteau, il eût dû venir, c’était son devoir, défendre dans cette enceinte notre chemin de fer, cette grande œuvre qui, pour être achevée a passé par de trop rudes épreuves.

En 1851, M. Nothomb n'a pas accepté le mandat de représentant ; dans la discussion dernière du budget de la justice il vous a indiqué les motifs personnels qui l'en ont empêché, mais dans tous les cas l'honorable membre ne peut pas prétendre qu'il ait donné là une grande preuve de dévouement au Luxembourg.

Je n’ai pas compris que M. Nothomb nous ait, nous ses anciens amis députés libéraux et toujours décidés à marcher sous le même drapeau, qu'il nous ait mis en cause dans cette discussion. Qu'il me permette de lui dire, il a été quelque peu maladroit, ou bien il faut que M. Dumon, son collègue des travaux publics ait eu bien peu de confiance en lui pour ne pas lui soumettre un projet de convention de cette importance, ou que le ministre de la justice se soit montré bien indifférent aux intérêts de la province à laquelle il se fait gloire d’appartenir.

Ce que je désire, c’est que les embranchements dont il vient d’être parlé soient exécutés dans le plus bref délai possible. J’en appelle à la loyauté de l’administration du chemin de fer de Luxembourg.

Mais je ne puis pas admettre, comme le demande l'honorable M. d'Hoffschmidt, que l'on impose à la compagnie un délai fatal pour l'exécution de es embranchements. Tout ce que j'ose espérer en présence de la déplorable convention du 7 septembre 1855, c'est que le gouvernement obtienne la construction de ces embranchements dans un délai assez r approché.

Ce que je désire aussi, c'est que la ligne principale soit lise le plus tôt possible dans de bonnes conditions d'exploitation ; c'est-à-dire que nous ayons sur la ligne du Luxembourg un matériel convenable, des stations et des gares où les voyageurs et les marchandises soient à couvert.

Je suis convaincu que d'ici à peu de temps, lorsque la ligne de Luxembourg sera parachevée et en communication directe avec l'Allemagne et la France, les caisses de l'Etat n'auront plus à payer de minimum d’intérêt ; eh bien, le jour où l'exploitation de la ligne principale produira ce résultat, nous pourrons réclamer, et je crois avec succès, l'exécution des embranchements.

Je demande donc que M. le ministre des travaux publics cherche à obtenir de la compagnie que son matériel d'exploitation, ses stations et ses gares soient mis le plus tôt possible en situation de satisfaire à toutes les exigences du service.

J'insiste sur ce point parce que je suis convaincu que les améliorations que je réclame auraient une grande influence sur la prompte exécution des embranchements. Je fais appel encore une fois aux sentiments de justice de la compagnie anglaise et je suis convaincu qu'une fois sortie des tribulations qu’elle éprouve encore actuellement par suite d'une trop longue et détestable direction, elle cherchera à exécuter les embranchements si vivement désirés par nos populations.

M. Nothomb. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir m’accuse d’avoir été indifférent aux intérêts du Luxembourg dans la grande question des chemins de fer. Ce reproche, messieurs, est bien injuste et je m’étonne vraiment que l'honorable M. de Moor me l'ait adressé.

Il me reproche d'avoir naguère soulevé ici la question de l'embranchement de Bastogne. Est-ce là montrer de l'indifférence pour les intérêts du Luxembourg ? J’ai, dernièrement, dans une occasion qui me paraissait opportune, convié mes honorables collègues du Luxembourg à insister sur l’exécution pleine et entière de la loi de 1846 et je constate aujourd’hui avec la plus grande satisfaction que mes honorables collègues ont répondu à cet appel.

Est-ce là manquer d'adresse ? Ai-je été aussi maladroit que l'honorable membre le dit ?

J'ai eu la bonne fortune de précéder peut-être mes honorables collègues dans leurs interpellations et je ne crois pas avoir montré pour cela de l’indifférence à l’égard de la province dans laquelle je me fais honneur d’être né.

Mais, ajoute l'honorable M. de Moor, vous avez montré de l'indifférence en 1855, car alors vous n'avez pas stipulé pour les intérêts du Luxembourg et principalement pour les intérêts de l'arrondissement de Bastogne.

Ici, messieurs, je dois m'élever avec énergie contre un reproche aussi dénué de toute justice ; et si l'honorable membre reconnaissait tout ce qui s'est passé en 1855, il m'eût, épargné une inculpation que je ne mérite certainement pas.

M. de Moor. - Nous n'avons rien connu du tout.

M. Nothomb. - Comment se présentait la situation en 1855 en ce qui concerne le chemin de fer du Luxembourg ?

Cette situation était déplorable ; à beaucoup de personnes même elle apparaissait comme désespérée. La compagnie était dans le désarroi le plus complet ; une enquête judiciaire venait d'avoir lieu qui avait signalé les dilapidations les plus graves, les plus extraordinaires : 18 millions, 20 millions avaient disparu !

Personne de vous ne peut avoir oublié ces faits ; personne n'ignore que la position de la compagnie était des plus critiques. D'autres causes et plus funestes encore exerçaient alors leur influence sur la société ; je veux parler de la déchéance encourue. Il fallait donc, d’un côté, relever le crédit moral de la compagnie, et d'un autre côté, lui rendre l'existence légale qu’elle avait perdue. Voilà dans quelle situation le ministère du 30 mars 1855, dont j'avais l'honneur de faire partie, a trouvé la question.

Que demandait alors la compagnie ? Elle demandait avec instance d'être relevée de la déchéance ; et, messieurs, à cette époque, je puis le dire puisqu'on m'y oblige, et je le dis avec un légitime orgueil, j'ai pris une large part à l'acte qui a relevé la compagnie de cette déchéance et comme ministre, toute ma part d'un acte qui a puissamment contribué à doter le Luxembourg d'un chemin de fer qu'à juste titre vous considérez comme un bienfait.

A cet égard, je n'hésite pas à faire appel à mes anciens collègues du ministère ; ils savent quelle est l'attitude que j'ai eue alors. J'ai été jusqu'à faire de cette question de la déchéance de la compagnie une condition de mon maintien au ministère. J'en appelle à mes anciens et honorables collègues ; ils ne me contredirent pas.

J'ai voulu que la compagnie fût relevée de la déchéance et qu'elle fût mise à même de construire le chemin de fer ; je l'ai voulu, et je répète que je m'en fais un titre à la considération de mes concitoyens. Et je remercie les honorables membres de m'avoir fourni l'occasion inespérée de faire cette publique déclaration.

La reproche d'indifférence qui m'est adressé ne saurait donc me toucher.

M. de Moor. - Je n'ai pas fait allusion à la question de déchéance.

M. Nothomb. - Mais moi j'y fais allusion et je tiens à rappeler dans tous ses détails ce qui s'est passé en 1855 ; je rappelle la part que j'ai prise à cette convention ; j'ai partagé à cet égard l’opinion de mon honorable collègue, M. Dumon, et je puis dire que parmi les membres du cabinet, ce sont les ministres des travaux publics et de la justice qui se sont le plus occupés de cette question.

Que nous disait la compagnie ? Elle disait : Ma position est mauvaise ; M. le ministre des travaux publics vient encore de le rappeler en vous lisant la lettre de la compagnie. La détresse est grande ; la société n’avait plus de fonds, plus de crédit, plus rien.

Il fallait donc lui venir en aide. Si nous nous étions montrés rigides jusqu’à la dernière limite, si nous avions voulu l'exécution littérale et rigoureuse de toutes les clauses du cahier des charges, croyez-vous que nous aurions abouti ? Non, il fallait avant tout faire la grande ligne ; c'était là le principal. Il fallait marcher d'accord avec la compagnie ; il fallait pousser à l'exécution des travaux ; il ne fallait pas la décourager davantage par de trop grandes exigences.

Voilà, messieurs, dans quel esprit nous avons agi, nous le cabinet du 30 mars 1855. Nous avions compris que, pour arriver aux grands résultats, il fallait nous montrer faciles quant aux détails d'exécution. C'est dans cet esprit que la compagnie a été relevée de la déchéance et que la convention de 1855 a été conclue. Mais est-il entré dans l'intention de l'honorable M. Dumon ou d'aucun de ses collègues de dégager la compagnie d'aucun de ses engagements, de la décharger de l'obligation d'exécuter les embranchements de Bastogne et de l'Ourthe ? Nullement, messieurs. Nous connaissions parfaitement la loi ; nous savions fort bien que nous ne pouvions pas, par un simple acte ministériel, relever la compagnie d'aucune de ses obligations légales, et j'ajoute que je n'y eusse jamais consenti.

L'embranchement de Bastogne restait toujours dans notre pensée, comme une dépendance nécessaire, inévitable de la grande ligne. Mais quant à l'exécution même, c'était une affaire de temps ; nous ne pouvions pas alors raisonnablement dire à la compagnie : Vous ferez à la fois et la ligne principale et les accessoires ; nous n'y avons point pensé ; cela n'eût pas été sérieux. Tout ce que nous devions vouloir et avons voulu c'était de constituer la compagnie en demeure d'exécuter un jour ces embranchements et c'est ce que nous avons fait ; c'est ce que la (page 524) convention a spécialement réservé en stipulant que les clauses antérieures étaient maintenues dans toutes leurs charges et conséquences. Lisez entre autres l'article 17 de la convention. La fixation du terme dans lequel la compagnie devait exécuter les embranchements a seule disparu. (Interruption.)

Disparu de la convention, mais non de la loi du 7 septembre 1855, qui fixe un terme de quatre années, sans distinction ; or, quel argument légal peut-on tirer de cette omission ? Je ne veux pas soulever ici une question de droit ; nous ne sommes pas une cour de justice ; je constate seulement que la fixation du délai d'exécution des embranchements a seule disparu de la convention, de sorte qu'aujourd’hui, je vous concède, si vous y tenez, qu'il n'y en a plus. Mais en quoi, je le demande, cette circonstance rendrait-elle meilleure la position de la compagnie ?

En quoi cette circonstance allégerait-elle ses obligations vis-à-vis de la loi et de son contrat ? Une obligation primitivement à terme serait devenue sans terme. Que dit le vieil axiome ? Qui a terme ne doit rien pour le moment ; qui n'a pas le terme, doit. Telle est la position de la compagnie. Et d'ailleurs qui ne sait qu'à défaut de terme convenu pour l'exécution d'une obligation, il y a celui que la raison indique : celui du temps nécessaire pour l’accomplissement du contrat. C’est là un principe élémentaire de droit auquel on voudrait vainement résister.

Mais, je le répète, ce n'est pas à ce point de vue que nous nous sommes placés. Nous avons traité la question largement des deux côtés, avec une intention loyale, avec l'intention d'aboutir et de donner, le plus tôt possible, au Luxembourg la voie ferrée qui lui manquait. Voilà dans quel esprit nous avons agi.

Savez-vous, messieurs, quel a été à cette époque, dans ma pensée et dans celle de mes collègues, le délai dans lequel les lignes accessoires devaient s'exécuter ? Je le dis franchement. Ce délai était avant tout un délai moral. Nous ne nous attendions certes pas alors que la compagnie pût venir un jour soulever une question préjudicielle, des questions de forme, des chicanes, comme vient de le dire l'honorable député de Bastogne. Et je doute encore qu'aujourd'hui la compagnie le fasse sérieusement. Oui, à cette époque, nous avions en vue un délai moral et ce délai, c'était celui-ci.

Nous voulions que la compagnie pût d'abord exécuter la grande ligne et qu’elle fût mise en jouissance du minimum d'intérêt, c'est-à-dire que les charges principales qui pesaient sur la compagnie eussent disparu. Eh bien, ce jour est venu. J'entends vanter souvent la prospérité de l'entreprise, la grandeur des recettes ; les charges font place aux avantages, et la Compagnie est nantie du minimum d’intérêt. Dès ce jour, la compagnie est, à certains égards, indemne, puisqu'elle touche la garantie de 4 p. c.

Notre double condition est donc atteinte : et la confection de la ligne principale et la mise en jouissance du minimum d'intérêt. Le délai moral est échu. Je persiste à soutenir qu'en justice et en droit la compagnie est tenue de mettre enfin la main à l'exécution des embranchements de Bastogne et de l'Ourthe dont la loi lui fait une obligation formelle, et l'équité un impérieux devoir.

M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, l'honorable M. Nothomb vient de faire une protestation chaleureuse sur la part qu'il a prise à la convention et à la loi de 1855. Je crois que lorsque l'honorable membre prenait part à cette convention et à cette loi, ce n'était pas pour acquérir de la gloire qu'il le faisait ; c'était pour lui un devoir comme Luxembourgeois ; il devait tenir à l'exécution des engagements antérieurs pris par la compagnie et à la construction de notre chemin de fer.

L'honorable membre vous a i t que dans cette convention on n'avait pas voulu porter atteinte aux engagements antérieurs. Dès lors il en résulte que toutes les obligations de la compagnie subsistent dans toute leur force. Je ne comprends donc pas ce qu'il a voulu dire par un engagement moral, par une obligation morale.

M. Nothomb. - J’ai parlé d'un délai moral.

M. d’Hoffschmidt. - Il eût été bien préférable de prévoir ce délai moral dans la convention ou plutôt dans la loi elle-même. On n’en a pas parlé. La loi primitive fixait un seul délai, c'était celui de quatre ans. Ce délai était fixé, pour la voie principale et pour les embranchements. Il eût été préférable que cette difficulté fût prévue dans la loi qui a été proposée à la Chambre.

Certes, messieurs, les populations intéressées n'ont pas été extrêmement exigeantes.

Voilà quatorze années que cet engagement est pris et c'est seulement maintenant qu'elles viennent réclamer. Et encore nous ne voulons pas exiger qu'immédiatement on mette la main à l'œuvre, nous tenons compte des embarras de la compagnie, mais ce que nous ne voulons pas, c’est qu’il lui soit libre de déclarer qu'elle suivra ses convenances, qu’il n’y a pas de délai déterminé, que cela reste dans le vague, que c’est un délai moral ; de sorte que si la compagnie ne faisait pas d'excellentes affaires, on ne pourrait jamais exiger l'exécution des embranchements ! Cette position, il est impossible que nous la lui reconnaissions.

Je dirai quelques mots aussi en réponse à mon honorable ami, M. de Moor. L’honorable M. de Moor n'a pas traité la question de droit. Il s’est montré très facile vis-à-vis de la compagnie. Il a dit qu'a fallait lui donner des facilités, qu’il fallait avant tout s’occuper de la voie principale.

Evidemment, messieurs, il faut avant tout que la voie principale soit dans de bonnes conditions d'exploitation, mais quand le droit est acquis en faveur des embranchements, je ne crois pas que l'honorable M. de Moor devrait relever la compagnie de ses obligations.

M. de Moor. - Je ne l'ai pas relevée.

M. d'Hoffschmidt. - Vous êtes seulement disposés à lui accorder de grandes facilités, je suis disposé pour ma part aussi à les lui accorder, pourvu qu'elle reconnaisse que dans un délai déterminé elle doit exécuter ses obligations. Mais ce que je ne veux pas, comme je le disais tout à l'heure, c'est rester dans le vague. Cela n'est pas possible. Car une obligation qu'on peut remplir quand on voudra, n'en est pas une, et nous ne pouvons pas renoncer à nos droits.

L'honorable M. de Moor dit : Je ne voudrais pas m'associer, quant à moi, à une demande qui tendrait à dégager le gouvernement du payement de la garantie d'intérêts, parce que la compagnie n'exécuterait pas ses engagements dans le moment actuel. Certainement, ce serait là une mesure extrême qu'il nous répugnerait à tous d'adopter.

Cependant s'il n'y avait pas d'autre moyen ; s'il plaisait à une compagnie concessionnaire quelconque de dire ; Je n'entends pas exécuter telle stipulation de mon contrat, la législature devrait bien en venir à cette mesure qui ne serait alors que légitime.

Je n'en dirai pas davantage. J'ai un peu abusé des moments de la Chambre ; mais il m'a paru que la question dont il s'agit était importante et dans son principe et dans son application.

M. H. Dumortier. - Lorsque j'ai entretenu dernièrement la Chambre de l'administration des chemins de fer concédés, j'ai demandé que les rapports des commissaires du gouvernement près de ces chemins de fer fussent déposes sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics. M. le ministre des finances nous a promis que dès que la Chambre exprimerait un vœu à cet égard, il y serait satisfait. Je demande l'exécution de cette promesse.

Je ferai encore une observation.

Si le bruit qui court est fondé, la compagnie du Luxembourg ferait de grandes difficultés, pour ne pas dire quelle refuserait de délivrer au commissaire du gouvernement les pèces dont il a indispensablement besoin pour faire son rapport.

S'il en était ainsi, j'appellerais sur ce point toute l'attention de M. le ministre et je crois qu'une telle situation devrait cesser à l'instant même.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, vous venez d’entendre, par la déclaration d'un des auteurs de la convention de 1855, que la portée que j'ai attribuée à cette convention est bien sa portée réelle.

L'honorable M d'Hoffschmidt nous dit que si telle était la portée de la convention de 1855, le gouvernement aurait excédé les pouvoirs qu'il tenait de la loi. Voici ce que porte cette loi :

« Le gouvernement est autorisé, sous les garanties et conditions qui lui paraîtront nécessaires, à proroger les délais fixés par l'article 6 de la convention conclue avec la compagnie du Luxembourg, le 13 janvier 1852, sans toutefois que le terme puisse dépasser quinze années. »

Le gouvernement est donc autorisé à proroger les délais fixés par l'article 6 de la convention de 1852. Or, comment s'exprime cet article ?

« Art. 6. Les travaux entre Namur et Arlon seront commencés au printemps prochain, au plus tard. Ceux de la ligne de Bruxelles à Namur seront repris pour la même époque.

« La moitié des travaux de la ligne de Bruxelles à Namur et la moitié de ceux de h ligne de Namur à Arlon seront terminés avant le premier janvier 1855.

« Les deux lignes devront être entièrement terminées avant la fin de l'année 1856. »

Il est très exact, messieurs, qu'aux termes de la loi de 1855 le gouvernement n'aurait pas eu le droit d'ajourner au-delà de quatre années dans la convention de 1855, la construction des embranchements si l’article 6 de la convention de 1852 avait entendu par ces mots « ligne de Namur à Arlon » la section de Namur à Arlon avec ses embranchements.

C'est là l'interprétation de l'honorable M. d'Hoffschmidt, mais ce n'a jamais été telle du gouvernement ni celle de la compagnie ; celle-ci a toujours prétendu que la convention de 1852 était muette quant au délai dans lequel devaient s'exécuter les embranchements et c'est pour cela que dans la lettre dont j'ai donné connaissance à la Chambre il est dit ;

« C'est là, M. le ministre (en parlant de la construction des embranchements endéans le même terme que la ligne principale), une obligation nouvelle qui nous serait imposée et à laquelle nous ne saurions nous soumettre à aucun prix. Aucun délai n’est fixé pour la construction des embranchements et, moins que jamais, nous ne saurions en accepter. »

Ainsi, messieurs, la portée de la convention de 1855 est parfaitement déterminée par la correspondance et elle vient de l'être surabondamment par la déclaration de l'honorable M. Nothomb. (Interruption.) Il y a obligation, il n'y a pas de terme de rigueur pour l'exécution.

C'est une question d'interprétation. Seulement je ne suis pas d'accord avec l'honorable M. Nothomb, quand il dit que le délai moral est expiré depuis que le tronc principal est eu exploitation et que la compagnie a été mise en possession du minimum d'intérêt.

(page 525) S'il en était ainsi, le délai moral ne serait en réalité pas accordé à la compagnie, selon moi, le délai moral doit être entendu comme l'indique la concession, c'est-à-dire qu'elle devra exécuter les embranchements lorsqu'elle aura eu (permettez-mot cette expression vulgaire) le temps de s'asseoir, lorsqu'elle aura eu le temps et les moyens de compléter son exploitation et de développer les éléments de prospérité que lui offre l'avenir. (Interruption.)

Je dis que le moment n'est pas arrivé, parce que, comme je l'ai démontré à la Chambre, la compagnie ne pourrait faire les embranchements sans emprunter et qu’elle n'a pas aujourd'hui les ressources nécessaires pour couvrir l'intérêt et l'amortissement de l'emprunt qu'elle aurait à contracter. Cette circonstance me paraît décisive.

Je pense cependant, messieurs, que le moment n'est pas éloigné où les embranchements pourront être exécutés. A peine la ligne est-elle achevée jusqu'à Arlon, que déjà il y a des produits inespérés. La Chambre se rappellera qu'un honorable membre calculait jadis les produis de cette ligne sur le produit des barrières.

Eh bien, la ligne de Namur à Arlon, ouverte depuis 15 mois à peine, a donné en 1859 la somme de près de 1,200,000 fr. Or, elle a été alimentée exclusivement par le trafic intérieur, qui est très loin d'être l'unique ressource de la ligne. La compagnie a compté et devait compter sur le transit vers la France la Suisse et l'Allemagne.

Sans cela le minimum d'intérêt n'aurait peut-être jamais été accordé. Ce sont ces relations étendues qui donnaient véritablement à la ligne un caractère national.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que le raccordement avec la ligne du grand-duché n'a eu lieu que depuis quelques semaines et que la compagnie n'a profité jusqu'ici que dans une bien faible mesure des éléments de richesse qui lui appartiennent. Ce n'est certainement pas exagérer que d'évaluer à 25 p. c. l'accroissement prochain de trafic que la ligne va obtenir.

Eh bien, l'on arrivera ainsi à une recette brute de quinze à seize cent mille francs et en supposant que les frais d'exploitation s'élèvent de 50 à 60 p. c., il en résultera que l'Etat n'aura plus à servir un centime de minimum d'intérêt, probablement à partir de cette année même

Voilà, messieurs, la situation de la compagnie vis-à-vis de l’Etat, et je dis que si mes prévisions se réalisent, l'époque est prochaine où le gouvernement pourra équitablement et légalement demander à la compagnie l'exécution des embranchements.

Quart à la question posée par l’honorable M. Henri Dumortier, l'honorable membre se trompe d'adresse ; c'est à M. le ministre des affaires étrangères qu'il aurait dû la faire. Pour ma part, je n'ai aucun rapport avec le commissaire de la société du Luxembourg. Du reste, je ne pense pas que mon honorable collègue des affaires étrangères fasse la moindre opposition au dépôt des pièces réclamées.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut pourtant qu'on s'entende. Le rapport demandé par l'honorable M. Henri Dumortier, est-ce le rapport du commissaire que le gouvernement charge de vérifier les comptes de la compagnie, au point de vue de la garantie d'un minimum d'intérêt ? Ou est-ce le rapport de l'agent qui est chargé de surveiller l'exécution des statuts dans l'intérêt des actionnaires ?

M. H. Dumortier. - Je vais préciser ma demande de manière à ne laisser aucun doute à M. le ministre. J'entends parler du rapport du commissaire dont le gouvernement a supprimé dernièrement le traitement. Je demanderai, en temps utile, des explications sur ce dernier fait.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je suis prêt à donner des explications.

M. H. Dumortier. - Vous avez dit tout à l'heure que la question de savoir s'il y avait lieu de déposer sur le bureau le rapport du commissaire, ressortissait aux attributions de M. le ministre des affaires étrangères ; je devais croire dès lors que la question du retrait du traitement de ce commissaire concernait, à plus forte raison, ce ministre. Quoi qu'il en soit, si M. le ministre des travaux publics veut bien nous donner quelques explications sur ce point, nous l'écouterons avec plaisir.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs-, il a déjà été dit, dans une autre séance, qu’il y avait, près des compagnies concessionnaires des chemins de fer, deux espèces de commissaires. Nous avons d’abord les commissaires du gouvernement chargés de vérifier les comptes des compagnies au point de vue de la garantie d’intérêts ; il y a ensuite près de quelques compagnies un commissaire chargé de veiller à la stricte exécution des statuts, dans l’intérêt des actionnaires. Les premiers commissaires sont nommés par le département des finances et par celui des travaux publics.

Quant à ce qu'on nomme proprement le commissaire aux statuts, celui-ci est nommé par le département des affaires étrangères et ses fonctions ressortissent exclusivement à ce département.

Maintenant, en ce qui concerne le retrait du traitement du sieur Hauman, voici ce qui s'est passé : La Chambre se rappellera qu'une discussion s'est élevée en 1856, si je ne me trompe, précisément au sujet de ce traitement.

Des interpellations ont été à cette époque adressées au gouvernement ; des membres de la Chambre regardaient comme illégale l'imputation du même traitement sur le budget du département des travaux publics.

Je dois dire tout d'abord d'une manière fort catégorique, que je partage entièrement cette opinion. La cour des comptes avait eu le même scrupule, et ce n'est pas sans difficulté que le gouvernement est parvenu à faire liquider le traitement du sieur Hauman.

L'article 16 de la convention de 1855 était ainsi conçu :

« Le gouvernement se réserve le droit de faire vérifier par un commissaire, à sa nomination, toutes les opérations de la compagnie, les livres de comptabilité, ainsi que les éléments des dépenses portées en compte dans les livres. »

Il s'agissait donc là de créer ce qu'on appelle un commissaire aux statuts, chargé de surveiller les opérations de la compagnie dans l'intérêt des actionnaires. Maintenant, dans un assez grand nombre d'actes de concession où le gouvernement se réserve le droit de nommer un commissaire aux statuts, il existe une clause qui met le traitement de ce commissaire à la charge de la compagnie. Or, la convention de 1855 ne contient aucune stipulation de ce genre ; il est simplement dit que le gouvernement pourra nommer un commissaire, mais il n'est pas dit que le commissaire sera rétribué ; il est dit encore moins que le commissaire sera rétribué par la compagnie.

En exécution donc de l'article 16 de la convention, le gouvernement nomme un commissaire, à la fin de 1855, si je ne me trompe, en faisant cette nomination, le gouvernement était parfaitement dans son droit ; mais où le gouvernement s'est créé une difficulté, c'est lorsqu'il a attribué un traitement de 4,000 francs à ce fonctionnaire.

Je dois dire qu'à ma connaissance, aucun autre commissaire aux statuts n'a obtenu un traitement aussi élevé en vertu des conventions passées avec les compagnies. Dans un grand nombre de conventions, il y a un commissaire sans traitement, dans un petit nombre de conventions, le commissaire a un traitement ; mais il n'en est aucune où le commissaire avait un traitement de 4,000 francs.

Quoi qu'il en soit, on a alloué un traitement de 4,000 francs au sieur Hauman ; on a demandé à la compagnie de payer ce traitement ; comme il n'était nullement question dans la convention de cette intervention pécuniaire de la soi été, celle-ci, à bon droit, selon moi, s'est refusée, à faire ce cadeau au commissaire ou au gouvernement.

Que fit-on alors ?

Après des négociations entre les départements des affaires étrangères et des travaux publics, celui-ci s'est résigné à imputer, en vertu d'un arrêté royal, les 4,000 fr. sur le crédit affecté au personnel de l’administration centrale.

Voilà donc un agent du département des affaires étrangères rétribué sur le budget du personnel de l'administration centrale du département des travaux publics.

- Des membres. C’est une illégalité.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Oui, c'est une illégalité flagrante, et je ne m'étonne pas que la cour des comptes ait fait des observations.

Cette imputation, opérée indûment sur le budget des travaux publics, devait cesser aux termes mêmes de l’arrêté qui a décidé l'imputation, après l'achèvement complet de la ligne et de ses dépendances.

Or, la ligne principale, avec ses dépendances, a été achevée à la fin de 1858.

Ainsi, conformément au texte de l'arrêté de 1856, j'ai contresigné un arrêté portant que l’imputation à charge du département des travaux publics venait à prendre fin. Cet arrêté est du 18 août 1859.

On a prétendu que le traitement du sieur Hauman avait été retiré avec effet rétroactif, c'est une erreur ; le sieur Hauman sera payé, s'il ne l'est déjà, sur mon budget jusqu'à la date de l'arrêté du mois d'août 1859, bien que la ligne d’Arlon ait été livrée à la circulation à la fin de l'année 1858.

Le traitement est donc venu à disparaître à charge de mon département, conformément à la lettre et à l'esprit de l'arrêté qui en avait déterminé l’imputation sur ce budget. Je n'éprouve au surplus aucune difficulté à déclarer à la Chambre que si le terme de l'imputation n'était pas venu à échoir naturellement, je n'aurais pas hésité à provoquer le retrait de l'arrêté de 1856, et ce par des considérations de droit en même temps que par des considérations de fait et d'équité.

Par des considérations de droit, parce que, d'après moi, il n'y a pas l'ombre d'un doute que l'imputation était illégale ; la Chambre vote par l'article 2 de mon budget une allocation pour le personnel du département des travaux publics et non pour un agent quelconque dépendant d'un autre département, pour un agent nommé par le ministre des affaires étrangères.

Par des considérations des faits et d'équité, ai-je ajouté.

En effet, depuis que j'ai l'honneur de diriger le département des travaux publics, je m'aperçois que beaucoup de fonctionnaires d'un dévouement absolu et d'une très grande intelligence ne jouissent pas d'un traitement en rapport avec leur mérite et leur abnégation. En pareille circonstance, quand les appointements des agents directs de l'administration sont au-dessous des besoins de la vie et des services rendus à 1 Etat, l’équité interdit de distraire de leur destination une seule obole des fonds votes par les Chambres.

Ce serait une injustice flagrante et permanente au détriment du personnel de mon administration et c'en une chose à laquelle je ne prêterai jamais les mains.

(page 526) M. H. Dumortier. - M. le ministre des travaux publics a dit que le traitement du commissaire dont il s'agit ne devait pas être imputé sur budget. Cela est possible.

Je ne pourrais d'ailleurs pas suivre M. le ministre dans les détails dans lesquels il est entré, je n'ai pas en mains les pièces nécessaires pour vérifier les faits, notamment, les statuts de la compagnie ; mais je ferai remarquer que j'ai presque toujours vu, et je puis en parler en connaissance de cause, ayant été revêtu du mandat de commissaire du, gouvernement près d'une compagnie de chemin de fer, gratuitement bien entendu, j'ai toujours vu dans les statuts des compagnies du chemin de fer que le gouvernement se réservait la faculté de nommer un commissaire et de faire rétribuer ce commissaire à charge de la compagnie.

C'est une clause généralement usitée ; quoiqu'il en soit j'examinerai la réponse de M. le ministre et je reviendrai sur a sujet s'il y a lieu par la suite.

Si les compagnies sont dans le cas de devoir rétribuer un commissaire, je ne sais pas pourquoi la compagnie du Luxembourg devrait en être déchargée ; il y a lieu là peut-être plus qu'ailleurs d'avoir un homme qui exerce un contrôle sévère, chose ardue et difficile, sur la gestion de la compagnie, et vous n'aurez un contrôle sérieux et efficace que quand on rémunérera d'une manière convenable les hommes chargés de ce service.

M. Muller. - L'objet qui préoccupe le moins l'honorable préopinant dans sa réponse est celui qui m'a frappé le plus vivement. J'ai appris par les explications de M. le ministre des travaux publics qu'on avait commis un acte qui réellement mérite un blâme sévère. Je ne sais plus quelle garantie le parlement pourra avoir quant à l'application loyale des sommes votées aux budgets, comment il pourra prévenir des distractions en faveur d'objets pour lesquels il n'a pas accordé de crédit, si l'on peut se permettre, comme étant une chose toute naturelle, de prendre sur les sommes votées pour rétribuer les fonctionnaires de l'Etat attachés au département des travaux publics, quatre mille francs, pour les attribuer à un commissaire spécial qui n'est pas, en réalité, fonctionnaire de l'Etat, qui n'a pas droit à la pension, et à qui aucun traitement n'a pu être attribué sur le trésor public.

C'est là un abus d'autant plus intolérable qu'il constitue une injustice qui lèse les employés de l’Etat ; à part la question de la prérogative parlementaire, c'est une violation d'une loi, et cette loi c'est celle du budget que vous votez annuellement. Il ne faut pas qu'on puisse, même une seule fois, considérer un tel fait comme ayant passé inaperçu dans une Chambre belge. Les représentants du pays l'ont ignoré jusqu'ici, et c’est aujourd'hui seulement que, par suite d'une interpellation, il nous est révélé.

M. B. Dumortier. - L'honorable préopinant va extrêmement loin en blâmant un fait de l'administration de mon excellent ami M. Dumon. Ce qui s'est passé a eu lieu au su de tout le monde ; le fait doit avoir été annoncé à la Chambre ; ce qu'il y a de certain, c'est que la cour des comptes a validé le payement, et elle est trop honorable pour valider un acte qui mériterait un blâme sévère.

Je crois que l'honorable membre se trompe ; du moment qu'il y a eu validation de l'imputation, on ne peut pas dire qu'il y a eu distraction des deniers publics.

Pour moi la question se présente autrement que pour l'honorable député de Liège. Je vois une compagnie qui paraît vouloir se mettre en dehors de son cahier des charges ; une partie de la séance a été consacrée à demander que cotte société remplit ses engagements ; tout à l'heure M. d'Hoffschmidt réclamait avec raison l'exécution des embranchements.

Ils sont une des conditions de la concession ; ils sont une des conditions de la garantie du minimum d'intérêt que nous avons voté ! Eh bien, la société se met au-dessus du cahier des charges ; elle n'exécute pas les embranchements et vous avez entendu M. le ministre des travaux publics vous dire qu'il n'a pas le moyen de forcer la société à remplir ses engagements.

Pour mon compte, j'aurais dit à la société : Je ne vous payerai pas de minimum d’intérêt aussi longtemps que nous n'aurez pas rempli vos engagements.

Voire contrat contient une obligation qui vous lie comme moi ; eh bien, vous exécuterez votre contrat, ou, si vous ne le faites pas, je ne m'exécuterai pas de mon côté.

Il s'agit ici d'un contrat synallagmatique par lequel les deux parties sont respectivement liées. (Interruption.) M. Dumon n'était plus là quand on a terminé le chemin de fer. Vous avez bien tort, M. de Moor, de mettre mon honorable ami dans cette affaire ; il est absent et il était dans son droit, c'est pourquoi je prends ici sa défense.

Une autre disposition du cahier des charges exige, comme l'a dit M. le ministre des travaux publics, qu'il y ait un commissaire du gouvernement près de la compagnie ; car, messieurs, quand on dit que le gouvernement pourra nommer un commissaire, cela implique l’idée qu’il en nommera un. Ce commissaire, d’ailleurs, était indispensable, dans l’intérêt des actionnaires, pour veiller à ce que les statuts fussent maintenus dans toute leur intégrité.

C'est là, évidemment, la disposition la plus conservatrice des intérêts particuliers que contiennent les cahiers de charges en pareille matière ; car si cette garante n'était pas offerte aux intéressés, à quels dangers ne seraient pas exposés entée les mains des étrangers, pour la plupart, qui sont à la tête de ces exploitations, les capitaux de tous les Belges qui sont venus, se fiant à notre loi, déverser leurs fonds dans ces entreprises ! C'est là, je le répète, la garantie principale des bailleurs de fonds.

Eh bien, cette garantie aussi, il semble que la compagnie veuille la repousser. Cependant, messieurs, vous trouvez de semblables garanties dans une foule d'autres administrations. A la Banque Nationale il y a un président nommé par le gouvernement.

M. H. de Brouckere. - Pas du tout, il y a un commissaire auquel la Banque paye un traitement de 6,000 francs.

M. B. Dumortier. - Oui, mais le gouvernement nomme, en outre, un président. (Interruption.)

Eh bien, quand on dit qu'il y aura un président nommé par le gouvernement, un commissaire nommé par le gouvernement, il n'est nullement stipulé que la Banque devra payer leur traitement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si ! si !

M. B. Dumortier. - Je ne le pense pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si cela n'était pas stipulé, la Banque ne payerait pas.

M. B. Dumortier. - Quoi qu'il en soit, si de pareilles mesures sont prises, il est évident que ce ne peut être que dans l'intérêt des actionnaires et il est rationnel dès lors que ceux-ci payent le traitement de l'agent qui est spécialement chargé de veiller à leurs intérêts.

Pour mon compte, je n'élève pas le moindre doute à cet égard ; c'est à la société à payer ; c'est là une clause corrélative à la création des administrateurs et des gérants. Dès lors les commissaires doivent être payés comme ceux-ci par la société et non par l'Etat. Au surplus, si le contraire m'était démontré, je préférerai encore voir le trésor public grevé du traitement des fonctionnaires qui doivent contrôler des opérations si importantes et qui touchent de si près à la fortune du pays, plutôt que de voir les compagnies se soustraire à cette garantie si importante pour la bonne gestion des deniers publics.

Je dis donc que lorsqu'une société cherche par tous les moyens à se soustraire à toutes les garanties que l'Etat lui a imposées, garantie pour la construction des embranchements, garantie pour la nomination du commissaire chargé de surveiller les opérations, elle doit être mise en demeure de s'exécuter et je ne doute point que M. le ministre des travaux publics n'hésitera pas un instant à l'obliger à remplir ses engagements.

L'honorable M. d’Hoffschmidt a exprimé tout à l'heure une idée que je ne puis pas admettre. Il a dit que, dans tout ce qui a trait au trésor public, l'Etat doit être large quant à la manière dont...

M. d'Hoffschmidt. - Je n'ai pas dit cela.

M. B. Dumortier. - Pardon, mon cher collègue ; j'ai tenu bonne note de vos paroles ; du reste, si je me suis trompé, nous serons vite d'accord.

M. d'Hoffschmidt. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. B. Dumortier. - Je dis, pour ma part, que dans cette matière comme dans beaucoup d'autres, l'Etat doit s'en tenir au texte des contrats ; je trouve que M. le ministre des travaux publics a très bien fait de maintenir les droits du gouvernement, sur ce point et je l'engage vivement à persévérer dans cette voie. L'Etat doit faire exécuter purement et simplement les conditions du cahier des charges et ne passe montrer large en pareille matière. J'ajouterai que le gouvernement encourrait une grave responsabilité vis-à-vis des Chambres, si, en voulant se montrer large, il le faisait au détriment du trésor public.

M. d'Hoffschmidt (pour un fait personnel). - Vous comprenez, messieurs, que je ne puis pas laisser sans réponse l'interprétation que l'honorable M. Dumortier a donnée à mes paroles. Je n'ai nullement dit que l'Etat devait se montrer très large en tout ce qui concerne le trésor public ; j'ai dit que le gouvernement devait être bienveillant pour les compagnies concessionnaires et que, dans l'exécution de ses obligations envers elles, .il devait être plutôt large que restrictif. Mais il est évident que quand une disposition est clairement écrite dans la loi, le gouvernement ne peut que rigoureusement s'y conformer et qu'il doit au contraire se montrer, dans ce cas, strictement économe des deniers du trésor public. Je n'ai pas dit autre chose.

M. Muller. - Je ne puis, non plus, laisser sans une courte réponse les observations que l’honorable M. Dumortier a faites en réponse aux miennes. Je maintiens qu’il est inexcusable de prendre sur un fonds voté par les Chambres en faveur des fonctionnaires et employés du département des travaux publics une somme quelconque pour rétribuer un commissaire près d'une société de chemin de fer. L'honorable M. Dumortier, qui tient tant aux prérogatives de la Chambre, a perdu de vue que la cour des comptes, qu’il invoque en quelque sorte pour amoindrir le droit de contrôle du parlement et qui n'est que notre émanation, a résisté longtemps à cette imputation abusive de fonds ; qu'elle l'a considérée elle-même comme irrégulière.

Comment a-t-on pu, enfin, parvenir à les lui faire ratifier ? Probablement, messieurs, en faisant passer, dans le mandat, le commissaire du gouvernement comme un fonctionnaire du département des travaux (page 527) publics, car je défie qu'on puisse expliquer autrement, de sa part, une illégalité qui me paraît flagrante.

Je n'ai pas besoin, je crois, d'ajouter que ce n'est pas contre un ministre passé, mais au besoin contre les ministres présents et futurs que j'ai caractérisé ce fait comme n'étant susceptible d'aucune espèce d'excuse. Il faut, en définitive, que nous restions convaincus que, lorsque nous votons des fonds avec une destination déterminée, ils ne seront pas détournés de cette destination et affectés à un autre emploi. Je maintiens donc complètement les observations critiques que j'ai présentées tantôt.

M. B. Dumortier. - Je crois que l'honorable membre n'a pas bien réfléchi quand il m'accuse de vouloir invoquer contre les droits de la Chambre le témoignage de la cour des comptes. Ces droits, je les ai toujours défendus et je les défendrai toujours. Mais ce que l'honorable membre doit savoir, c'est que le ministère actuel lui-même a imputé pendant deux ans ce traitement comme on l'a fait à l'orig.ne.

M. Muller. - Si c'est sciemment, il a eu gravement tort.

M. B. Dumortier. - Vous l'avez eutendu.il l'a imputé jusqu'au mois d'août 185, c'est-à-dire pendant plus d'un an. Ainsi le gouvernement reconnaissait lui-même que les droits de la Chambre n'étaient pas là en question. D'ailleurs la cour des comptes a-t-elle, oui ou non, validé la somme ? Elle l'a validée ; donc tout est fini.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je tiens à constater que du moment où j'ai reconnu l'erreur, je l'ai rectifiée.

Je pense du reste que mon honorable prédécesseur, s'il avait eu connaissance de la nature du fait, se serait empressé de le rectifier.

- L'incident est clos.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.