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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 19 janvier 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 513) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe présente l'analyse des pétitions suivantes :

« Le sieur Emants, ancien postillon, prie la Chambre de statuer sur sa demande de pension. »

- Renvoi à a commission des pétitions.


« Le sieur Egrix, blessé de 1830, demande la pension de 250 francs qui est accordée aux blesses de septembre. »

- Même renvoi.


« Les secrétaires communaux du canton de Moll demandent une loi qui fixe le minimum de leur traitement et qui leur accorde un subside sur les fonds du trésor. »

- Même renvoi.


« Le sieur Mertens demande une loi sur l'organisation du crédit agricole et transmet des brochures qui se rattachent à cette question. »

- Même renvoi.

« Le sieur Cradannier demande que le gouvernement accorde aux architectes provinciaux la franchise de port et le contreseing avec les administrations communales de leur ressort et avec l'administration provinciale. »

- Même renvoi.


« Le sieur Charles-Louis Joseph Lefebvre, cultivateur à Hérinnes, né à Leers (France), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l’exercice 1860

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des affaires étrangères pour 1860.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et en met la discussion à la suite de l'ordre du jour.

Rapports de pétitions

(Requête des habitants du quartier nord de la ville de Liége (établissement de la Vieille-Montagne)

M. Muller. - Messieurs, dans la discussion à laquelle s'est livrée la Chambre depuis deux jours sur la pétition des habitants des faubourgs du nord de la ville de Liége, dirigée contre l'usine de la Vieille-Montagne, il a été fait état d'actes posés par la députation du conseil provincial.

Je tiens, messieurs, ayant, comme mon honorable collègue M. Koeler, été membre de ce collège et ayant participé à ces actes, à en accepter dans cette assemblée toute la solidarité ; je tiens aussi à les présenter sous leur véritable jour, attendu qu'on les a souvent invoqués, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, en en tirant des conclusions contradictoires et intéressées qu'ils ne comportent pas.

La députation permanente du conseil provincial de Liége, en émettant son opinion dans cette grave affaire, ne s'était préoccupée ni de l'influence que pouvait avoir une société puissante, ni de la pression morale que pouvait exercer à leur tour un nombre considérable de pétitionnaires, réclamant contre l'existence, illégale et nuisible, selon eux, de l'usine de St-Léonard.

Je vous demande pardon, messieurs, du temps un peu long que je prendrai pour vous retracer l'historique, tel que je le connais, tel que je le crois exact, des différentes phases par lesquelles a passé l'établissement liégeois de la société de la Vieille-Montagne ; il importe de remonter à son origine, comme l'a déjà fait l'honorable ministre des travaux publics, avec qui je serai généralement d'accord sur l'exposa des faits.

C’est en 1806 que le premier auteur de la société de la Vieille-Montagne est devenu adjudicataire de mines de zinc situées actuellement partie sur le territoire belge, partie sur le territoire neutre et partie sur le territoire prussien, dans la triple commune de Moresnet. Dans les clauses de cet acte d'adjudication que nous a lues l'honorable ministre des travaux publics, j'avouerai qu’il m'a été impossible de découvrir les preuves d'une autorisation spéciale et régulière en faveur de l'usine de St-Léonard, et ce qui me confirme dans cette opinion, c'est qu'un autre que M. Donny pouvait être éventuellement déclaré adjudicataire ; mais par des actes immédiatement postérieurs, et qui ont été sanctionnés par le gouvernement français, divers encouragements ou faveurs lui furent accordés. Il avait obtenu, notamment, une exemption partielle du droit d’octroi, qui frappait le combustible servant à l'usine de St-Léonard. Ce n’est pas encore là une permission expresse, réglant toutes les conditions de la mise en activité ; mais c'est évidemment une reconnaissance officielle de l’existence du siège de l’industrie du sieur Donny.

Vint la loi du 21 avril 1810, organisant le régime légal qui devait présider à l’exploitation des mines. Elle devait naturellement tenir compte des établissements existants avec autorisation et par tolérance ; c’est ce qu’elle fit, en ce qui concerne la transformation des minerais à la condition de se pourvoir d’une nouvelle permission, et d’en réclamer une. Ici, je dois déclarer que, contrairement au doute exprimé par M. le ministre des travaux publics, qui me semble être allé trop loin sous ce rapport, la nouvelle permission ne devait et ne pouvait pas être une simple formalité ; elle impliquait naturellement l’imposition de certaines mesures et garanties au point de vue de la sécurité et de la santé publiques.

Du reste, si je n'agite pas à fond le point de savoir si l'usine de Saint-Léonard était dûment autorisée et à l'abri de toute conteste, lors de la promulgation de la loi du 21 avril 1810, ce qui n'a pas été démontré, c'est qu’il suffit, pour la placer sous le bénéfice de l'article 78, que son existence à cette époque ne puisse être révoquée en doute. La conclusion doit être la même dans l'un et l'autre cas.

L'établissement avait droit d’être maintenu moyennant une nouvelle permission dont les clauses devaient être déterminées, sans quoi cette dernière eût été inutile, sans quoi l’autorité publique se serait, allant à l’encontre de l’organisation qui le créait, dépouillée du droit, ou plutôt, affranchie du devoir, d’entourer de surveillance et de protection les intérêts qui touchent à ka richesse nationale, à la sécurité publique, à la santé des populations. Le gouvernement avait donc la volonté et le pouvoir d’imposer des conditions et des limites à l’industrie minière, et c’est ce qu’il a fait dans des cas analogies, si pas identiques.

Un délai de trois mois avait été donné à tous ceux auxquels était applicable l'article 78, pour faire régulariser leur position. L'auteur de la société de la Vieille-Montagne a-t-il usé de ce délai ? Nous n'en savons rien, parce que les actes administratifs de cette époque ne sont pas tous restés dans les archives. Quoi qu'il en soit, à la fin de 1819, le successeur de Donny, se conformant à une injonction du gouvernement qui subordonnait à cette condition la non-application des déchéances antérieurement encourues, réclama, dans la forme régulière, la nouvelle permission nécessaire au maintien de la mise en activité de son usine, en invoquant le droit que lui conférait l’article 78 de la loi du 21 avril 1810.

Relativement à ce qui s'est passé dans l'instruction de cette demande, peu de détails peuvent être fournis. Il n'y a même que des conjectures assez incertaines à hasarder. Ainsi, quelle pouvait être, à cette époque-là, l’importance de l'usine, telle que l’autorisation en était sollicitée, on ne peut l'apprécier que d’une manière assez vague car le seul plan qui soit resté au dossier est certifié inexact par l'ingénieur de l’Etat, et ne concorde pas avec la requête, dont les termes eux-mêmes différent de ceux qu'on lit dans les publications faites par l'autorité chargée de l’instruction.

Quant à un rapport quelconque d'ingénieur, on n'en a pas trouvé de trace.

Mais une pièce essentielle a été conservée, c'est celle qui constate officiellement que les publications, faites en vertu de la loi de 1810, pendant quatre mois, n'ont donné lieu à aucune espèce d'opposition ; l'honorable M. Goblet était hier dans l'erreur lorsqu'il émettait un doute à cet égard.

Maintenant, de 1819 à 1826, pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas statué sur la demande d'autorisation de l'usine de Saint-Léonard ?

C'est encore une énigme qu'il me serait impossible d'expliquer, malgré les suppositions auxquelles j'ai pu me livrer avec mes collègues de la députation permanente, sur le point de savoir où toutes les pièces ont pu se perdre, et si le gouvernement en a été saisi.

Ce que nous savons, c'est qu'une réclamation datée de 1826, si ma mémoire est fidèle, émanée d'habitants du quartier du nord de Liége, fut adressée au gouvernement contre l'extension que prenait l’établissement de St-Léonard, et qu'on s'y plaignait du préjudice causé au voisinage.

Celte requête fut écartée par une décision du roi Guillaume, qui réserva en faveur des pétitionnaires un droit incontestable qu'ils possédaient, celui de se pourvoir devant les tribunaux du chef d'indemnité. Narrateur fidèle des faits, je mentionne ici cet arrêté, qui n'a pas été révélé hier à la Chambre, et qu'il est utile de connaître pour apprécier de bonne foi le débat.

En 1836, la société de la Vieille-Montagne obtint un autre arrêté royal, non, il est vrai, de la nature de précédent, mais l'autorisant à importer un million de kilogrammes de minerais provenant du siège prussien de Moresnet, dépendant de la concession, à charge par la société de maintenir en activité au moins onze fours à l’usine de St-Léonard, car celle d'Angleur n'était pas encore créée.

Or, en admettant que la position de la société fût restée irrégulière, et je partage cet avis ; en allant jusqu’à la déclarer illégale au point de vue du droit strict, qui faut-il en rendre principalement responsable ?

(page 514) Ne sont-ce pas les autorités qui n'ont pas statué sur la demande en autorisation ? Un sentiment d'équité doit nous porter à conclure que si en 1827 le gouvernement, par un arrêté royal, rejette les réclamations dirigées contre l'établissement de Saint-Léonard ; si en 1836 il autorise la société à importer un million de kilogrammes de minerais étrangers à la condition de maintenir en activité onze fours dans l'usine, c'est qu'il ne se doutait pas lui-même de l'illégalité de cet établissement- En effet, bien longtemps après il n'en avait pas encore le soupçon, car lorsque l'industrie du zinc se développa à Angleur, l'autorisation d'importation du minerai étranger fut portée de un million à 1800 mille kilogrammes.

C'est le seul fait à signaler, dans le coup d'œil rétrospectif auquel je me livre, depuis 1836 jusqu'en 1847 et 1848.

A cette époque, les propriétaires de St-Léonard veulent agrandir le terrain sur lequel est assis leur établissement. Est-ce pour lui donner une extension industrielle, pour y créer un plus grand nombre de fours, on pour y avoir un espace libre plus vaste ? Peu importe, et je n'ai pas à le rechercher.

Mais c'est une rue qui les gêne, et pour sortir d'embarras, ils proposent à la ville de Liège d’incorporer cette rue dans leur enceinte et d'y substituer une communication nouvelle qu'ils feront à leurs frais, pavage et tout compris. Cette affaire est soumise au conseil communal, et il est à remarquer que les sujets de plainte qu'on pouvait avoir alors contre la Vieille-Montagne ne devaient pas être aussi graves qu'ils le sont devenus depuis, car la demande ne rencontre pas d'opposition et est accueillie unanimement par le conseil communal de Liège. Et quand il s'agit du pouvoir d'expropriation dont la Vieille-Montagne a besoin, par délégation de la ville, pour remplacer la rue qu’elle incorporait par une rue nouvelle, la société, qui veut résister aux prétentions pécuniaires de quelques propriétaires qu'elle trouve déraisonnables, s'adresse de nouveau au conseil communal, qui l'autorise à faire régler judiciairement, en son nom, les indemnités.

Avant de passer aux faits qui se sont ensuite produits à partir de 1853, je dirai qu’à la différence de l'honorable ministre des travaux publics, d'accord avec l'honorable rapporteur de la commission, je ne doute pas que l'usine de Saint Léonard, en se reportant à sa création, en prenant même pour point de départ sa demande d'autorisation de 1810, n'ait gagné un accroissement considérable. Ce point ne peut être contesté à Liège. On comprend donc les plaintes succédant à une longue période de tranquillité.

En 1853, c'était le 20 octobre, des habitants des faubourgs du nord, s'adressant aux autorités, réclamèrent « de promptes mesures propres à atténuer autant que possible les effets pernicieux de la fabrication de zinc à l'usine de Saint-Léonard et demandèrent que dans aucun temps la société ne fût autorisée à agrandir le siège, déjà beaucoup trop vaste, de ses opérations ; qu'enfin il lui fût enjoint de faire usage immédiatement de tous les appareils connus pour remédier à son action délétère. »

Voilà, messieurs, quels étaient les termes de la requête du 20 octobre 1853. Mais le 24 décembre suivant, les mêmes pétitionnaires demandent la suspension ou la fermeture de l'usine, en se fondant sur l'arrêté du 12 novembre 1849, dont, disent-ils, ils avaient ignoré jusqu'alors l'existence.

J'avoue, messieurs, que jamais la députation permanente, qui n'ignorait pas, elle, l’existence de l'arrêté de 1849, n'avait imaginé que cet arrêté fût applicable ; et cela était bien naturel de la part d'une administration qui, comme celle de la province de Hainaut, a constamment à s'occuper de questions de mines.

Il y a donc eu en deux mois de temps, un changement radical dans l'attitude prise par les réclamants ; leur première demande ne les satisfaisait plus, et ils n'attendaient pas la solution avant de la remplacer par une autre.

Quoi qu'il en soit, l'une et l'autre furent instruites, tant parce qu'elles étaient parvenues directement à la députation, que parce qu'elles lui avaient été renvoyées par le gouvernement. Le collège, dont mou honorable collègue M. Koeler et moi nous faisions partie, transmit, dans un rapport, tout l'historique des actes administratifs posés à l'égard de la société de St-Léonard, et il conclut qu'il y ava t lieu d’inviter la société à faire, conformément à la loi du 21 avril 1810, les publications d’une demande en autorisation d'usine, sous réserve des droits que pouvait lui conférer l'article 78. Je dirai, en passant, que dans certaines pièces qui ont été distribuées aux membres de la Chambre, on a omis, en parlant des actes de la députation, de renseigner cette réserve qu'elle avait faite en faveur des droits de la société.

Le gouvernement, ayant partagé l'avis de ce collège, et la société s’étant conformée à son invitation, les publications furent faites ; mais la prescription de cette mesure parut déplaire tout autant aux propriétaires de l'usine qu'à leurs opposants, preuve que l'esprit d'impartialité et le seul désir d'arriver à une situation légale y avaient présidé.

Le délai de quatre mois étant expiré, le conseil communal de Liège de cette époque émit son avis sur la demande et sur les oppositions.

Ce conseil, qui, pour le dire incidemment, n'était nullement dévoué à la Vieille-Montagne, mais qui savait apprécier équitablement, dans sa sollicitude éclairée, d'une part les intérêts d'un établissement dont les bienfaits pour la ville de Liège ne pouvaient être méconnus, et d'autre part la partie légitime des réclamations qui s'étaient fait jour ; le conseil communal, dis-je, se prononça à ce double point de vue, le seul équitable, le seul pratique avant de recourir à des moyens extrêmes : il constata le caractère incommode et insalubre de l'usine, telle qu'elle était alors activée, et après s'être enquis à son tour de tous les précédents qui la concernaient, il invita le gouvernement à user, avec une fermeté qui n'exclut pas les égards, de son influence et de son droit pour contraindre la société à donner satisfaction à des griefs fondés. Voilà en substance, et je crois mes souvenirs assez fidèles, l'avis impartial, et non complaisant, du conseil communal d'alors, et en le résumant j'aurai aussi résumé celui de la députation permanente qui, elle aussi, reconnut un caractère incommode et insalubre à l'établissement, mais tel qu'il était alors mis en activité, et en se gardant bien de proclamer le mal irrémédiable.

Dans cette enceinte et ailleurs, on a tiré, messieurs, de cette énonciation, que je ne crois pas erronée, mais dont on s'est plu à forcer le sens, à dénaturer la portée, des conséquences, je dois le dire, non seulement abusives, mais plus ou moins révoltantes, en méconnaissant une chose très simple et très vulgaire, c'est qu'il y a différents degrés, comme différentes causes d'insalubrité. Ici elle peut être grave et incurable ; là elle sera moindre et il y aura possibilité d'y obvier. Ainsi, je considère, par exemple, tout établissement de hauts fourneaux quelconques, toute usine d'où continuellement s'échappe une fumée épaisse et considérable, comme étant insalubres, de même que toutes poussières qui se déversent avec profusion et qui seraient fréquemment aspirées par l'homme. Sous ces rapports, je maintiens donc qu'il y avait lieu de considérer comme insalubre, dans la signification de nos lois de police sanitaire, l'usine de Saint-Léonard, telle qu'elle fonctionnait de 1853 à 1855.

Mais résulte-t-il de là qu'elle serait un véritable foyer d'empoisonnement pour les populations qui l'avoisinent, pour les ouvriers qu'elle occupe ?

Résulte-t-il de là qu'il y aurait nécessité immédiate et impérieuse de l’interdire, de la fermer, qu'aucun remède, qu'aucune amélioration ne sont probables, ou possibles ?

Evidemment, non, et c'est à les obtenir que doivent tendre les efforts communs.

L'honorable M. Vander Donckt vous a dit, messieurs, que le zinc est un poison (Interruption.)

Vous avez bien dit, à coup sûr, qu'il y a dans le zinc des éléments constituant un poison. Remarquez que je ne tiens nullement à contester le fait. Je désire seulement vous faire une réponse très simple et très courte, pour détruire l'effet de votre argumentation : la nicotine, on le sait, est un poison, et même un poison des plus violents : en conclurez-vous qu'il faut proscrire le tabac d'une manière absolue, malgré les opérations auxquelles il faut se livrer, malgré la quantité sur laquelle on doit opérer pour en extraire la nicotine ?

Je le demande à tous les adversaires consciencieux, je ne fais pas état des autres, qui réclament actuellement la fermeture de l'usine de la Vieille-Montagne : Si elle parvient à réduire considérablement les émanations zinefères, auront-ils à regretter d'avoir été combattus dans cette enceinte ? Je pose ainsi la question en me préoccupant, non des intérêts particuliers de la société de la Vieille-Montagne, mais de ceux de toutes les industries et des populations qui en vivent.

En exagérant les conséquences éventuelles de l’insalubrité de la réduction du minerai de zinc à Saint-Léonard, on a recouru à des raisonnements basés malheureusement sur l'ignorance des faits et de la situation de la ville de Liège.

Ainsi, de très bonne foi, l'honorable rapporteur a invoqué, à l'appui de l'opinion qu'il soutenait, la différence relative d'accroissement de la population depuis une longue période d'années, dans les divers quartiers de la ville de Liège ; on lui avait appris que, bien qu'il y eût eu partout augmentation, le quartier du Nord était distancé par d'autres, et notamment par celui du Sud, qui marche en première ligne.

Mais on lui a laissé ignorer, à lui qui ne connaît pas les localités, que le quartier du Nord a une étendue, une superficie, infiniment moindre que celle des quartiers de l'Est et du Sud, et quoi qu'on fasse, ce dernier, qui est le plus en faveur, parviendra, dans l'avenir, à balancer en population des autres réunis. L'augmentation moindre de la population du quartier du Nord n’est donc aucunement le résultat d’une cause d’insalubrité, et la preuve, c’est qu’envisagé isolément elle a été considérable.

Ai-je besoin, messieurs, d'ajouter quelques mots à la réponse péremptoire qu'a faite hier l'honorable M. de Brouckere au rapporteur de la commission, qui avait établi des présomptions sar des statistique dressées à l'époque où le choléra a fait, comme partout ailleurs, de nombreuses victimes à Liège ? Comme le bourgmestre de Bruxelles, j'ai pu apprécier, à l'administration provinciale, les conjectures statistiques faites à propos du choléra ; j'ai essayé de les étudier et de les mettre d'accord entre elles, et j'ai dû conclure que les hommes de science eux-mêmes sont dans une dissidence complète.

Un seul point est certain : c'est que là où il y a malpropreté invétérée ou insuffisance de moyens de vivre, le fléau sévit avec beaucoup plus d'intensité qu'ailleurs.

(page 515) Quant aux autres causes, elles sont passagères, fugitives, et elles vous échappent : celles que vous découvrez aujourd'hui, et dont vous avez tiré des conséquences prétendument logiques, vous les verrez détruits par des faits contradictoires du lendemain. Il y a quelques années, dans l'arrondissement de Verviers, une commune a été frappée d'une manière horrible, c'est celle de Pepinster, qui perdit alors le dixième de sa population. Pepinster se divise en deux parties : le vieux et le nouveau ; dans l'une le choléra sévissait de la manière la plus affligeante, et dans l'autre il y avait bien moins de cas ; la cause de cette différence de rigueur est restée inconnue.

Quant à l'argumentation que l’on a prétendu tirer du choléra dans le débat qui nous occupe, vous allez juger combien peu elle est concluante. Je n’ai pu lire le discours de l'honorable M. Goblet dans le Moniteur, mais je l'ai entendu citer les différents faubourgs de Liège comme n’ayant pas été atteints, à beaucoup près, au même degré ; par exemple, ceux de Saint-Laurent et de Sainte-Walburge ; or, il convenait d’ajouter qu’il n’y avait âs là agglomération d’habitants ouvrières et de population industrielle. C’est une première marque ; en voici une second, plus péremptoire : On a mentionné le faubourg Vivegnis comme ayant été plus épargné que celui de Saint-Léonard ! Eh bien, je vais vous indiquer la situation exacte des localités. Figurez-vous que l’usine de Saint-Léonard soit représentée par la table de nos sténographes, le faubourg Saint-Léonard sera le couloir existant entre cette table et le bureau ; le faubourg Vivegnis, c’est le couloir séparant la même table de celle de notre honorable greffier.

En présence de cette carte topographique, que prouve-t-on en disant que le faubourg Saint-Léonard a été plus fortement atteint que le faubourg Vivegnis ? On détruit soi-même la base de son argumentation. N est-ce pas là, messieurs, la démonstration la plus convaincante que les inductions de cette nature n'ont bien souvent rien de sérieux ? N'en résulte-t-il pas que c'est uniquement par suite de l'ignorance des faits et de la situation des localités, ignorance très naturelle, d'ailleurs, de la part de ceux qui ne connaissent pas Liège que s’énoncent oci des convictions erronées ?

A la suite de l'avis de la députation dont je viens de parler, survint l'arrête de 1856, qui prescrivit à la société de la Vieille-Montagne l’emploi de certains appareils qui avaient été recommandés par les ingénieurs des mines et par une commission spéciale que le gouvernement avait instituée.

La principale dépense qu'entraînaient ces appareils consistait en une cheminée très élevée ; on avait calculé qu’au moyen d'un tirant d'air, en lançant les poussières zincifères sur un espace plus étendu, on obtiendrait une grande amélioration, un résultat très-favorable, la députation permanente l’espérait également, et elle avait obéi à un devoir de conscience en contribuant antérieurement à imposer une condition semblable à l'usine d'Angleur.

Mais il est arrivé un fait qui a quelque peu ébranlé la confiance qu'on pouvait avoir dans cet appareil : ce sont les expériences qui ont eu lieu dans la province de Namur, quand on a reconnu la nécessité de prévenir les inconvénients des fabriques de produis chimiques. Là, où les causes d'insalubrité étaient notoires et graves, on a constaté qu'au lieu de les amoindrir, on les dispersait sur une circonscription beaucoup plus large, et qu'au lieu d'avoir, par exemple, 100 mètres de rayon on en avait 200 ou 300.

L'arrêté du 31 mars 1856 imposait à la société de la Vielle-Montagne l'obligation d’appliquer cet appareil et les accessoires en deux années : durant la première, une moitié des fours de réduction devait y être soumis ; pendant la seconde, l'autre moitié. Après un silence et une inaction qui durèrent trop longtemps, et qui provoquèrent de nouvelles plaintes, la société déclara au gouvernement que son intention n'était pas d'exécutée cet appareil dont elle ne reconnaissait pas l’efficacité, qui l'exposait à un surcroît d'indemnités à payer au voisinage, et dont on exigeait la destruction, au nom de l'autorité, dans des établissements d'une nature autre, il est vrai, et plus compromettante.

C'est alors, je dois le dire, que cette affaire n'a plus été conduite administrativement d'une manière régulière et convenable, et c'est ce qui a contribué à aigrir de plus en plus les plaignants du quartier du Nord, qui. depuis leurs réclamations, avaient vu s'élever un nouveau massif de fours.

Nos autorités électives ont eu alors le droit d'être froissées d'être tenues à l'écart, d’être laissées dans l’ignorance de ce qui se passait : on usait de réticence envers elles, et ici je rencontre une objection de M. le ministre des travaux publics, atténuante pour l’un de ses prédécesseurs. Suivant lui, le gouvernement n’avait pas strictement besoin de consulter le conseil communal, ni la députation. Pour le conseil communal, ce peut n’être qu’un devoir de convenance d’après la loi du 21 avril 1810, mais il n’en était pas moins impérieux. En ce qui concerne la députation permanente, il y avait obligation légale ; et voici pourquoi : les attribution déférées aux préfets par la loi du 21 avril 1810, comme par une foule d'autres lois, sont devenues le partage des députations, sous l'empire de nos institutions constitutionnelles : ce point est d'une application constante et non contestée : donc, la députation, sous le rapport exclusivement légal, devait être consultée.

D'ailleurs, et en résumé, qu'avait-on fait auparavant ? On avait consulté le conseil communal, aussi bien que la députation, avant la prise de l’arrêté de 1856. Comment procéda-t-on depuis lors, en présence de nouveaux faits pouvant donner lieu à une nouvelle appréciation de la part des autorités électives ?

Vers la fin de 1856 ou au commencement de 1857, le gouverneur de la province reçoit une requête tendant à la fermeture de l’usine, et après un certain délai, on informe les pétitionnaires que leur réclamation est devenue sans objet, attendu que la société de la Vieille-Montagne renonce à maintenir son établissement de Saint-Léonard. C'était bien jusque-là ; mais, sans que la députation et le conseil communal aient eu connaissance d'un changement de résolution, apparaître 20 mai 1857, un arrêté royal qui statue sur des pétitions récentes, favorables à la société de la Vieille-Montagne, ce dont la députation et le conseil communal ignoraient l’existence alors qu’on leur avait communiqué antérieurement toutes les autres réclamations pour et contre.

C'est ce procédé très regrettable qui, j'en ai la conviction, a beaucoup contribué à surexcité les esprits. La députation a dû se plaindre, à propos de l’arrêté de 1857, qui accordait un nouveau délai de deux ans à l’usine de Saint-Léonard et qui ne lui prescrivait rien de fixe, de ce qu’on avait manqué aux convenances et aux règles administratives ; elle avait d’autant plus raison sous ce rapport qu’elle n’a jamais eu la prétention exorbitante d’apprécier les résultats de procédés techniques, conseillés au gouvernement qui en était juge par une commission d’hommes spéciaux nommée par lui ; elle ne s’était nullement récriée contre l’arrêté de 1856, par lequel, sans lui en référer, l’application de certains appareils de préservation ou pour le voisinage fut imposée à l’usine d’Angleur.

Ce qui fut également fâcheux, c’est qu’on chargea, de très bonne foi, mais d’une manière peu prudence, de l’instruction de cette nouvelle phase de l’affaire un fonctionnaire de la police locale, pour faire, tout seul, une enquête sur l’honorabilité ou la notabilité des différents pétitionnaires. Or, on devine quel effet a dû produire l’intervention inusitée et exclusive de la police en pareil cas. Certes, elle n’a pas été un élément de pacification.

Avant d'aborder la question de droit que l’'honorable M. Goblet a soulevée dans son rapport, et dont la solution légale doit, selon moi, être diamétralement opposée à ses conclusions, il me reste à ajouter que je ne comprends pas qu'on ait pu incriminer l'arrêté de 159 au même titre que celui de 1857...

M. de Decker. - Je ne vois pas la distinction.

M. Muller. - Comment ! vous ne voyez pas la distinction ? Je viens de dire que l'arrêté de 1857 avait été pris, alors qu'on avait laissé ignorer entièrement aux autorités électives, consultées précédemment, l’existence d’une pétition demandant le maintien de l’usine, alors que la société avait déclaré qu'elle y renonçait ; ce revirement subit était assez grave pour être signalé à la députation, qui l'aurait porté à la connaissance des opposants, pour qu'ils ne fussent pas induits en erreur.

Maintenant que je crois avoir impartialement retracé et apprécié les fais, j’examinerai quel droit avait créé l'arrêté de 1857 en faveur de la Vieille-Montagne.

Evidemment cette société a acquis celui de se livrer à de nouveaux essais, non précisés, pendant deux ans ; quant à la renonciation qu'elle avait faite, l'honorable M. Goblet croit, à tort, que c'est un acte accompli et irrévocable. Pour qu’il eût un caractère public et officiel le seul dont les tribunaux puissent tenir compte, il fallait que l'arrêté de 1856 fut rapporté par un autre arrêté royal ; cela est de principe élémentaire ? Jusque-là, la société pouvait retirer sa renonciation, son droit est resté intact. Cela est si vrai que le ministre, répondant à la lettre de M. Le Hon, lui annonçait qu’il soumettrait au Roi un arrêté portant retrait de celui de 1856.

Qu'a donc pu faire le ministre des travaux publics de 1859, et quelle était sa position ? C'est bien à tort que le rapport prétend qu'il a prorogé le délai d'expérimentation dans les mêmes conditions où se trouvait le ministre de 1857 ! Il était lié, l'autre s'était vu libre.

Ce n'est, d'ailleurs, qu'après des essais sérieux sur un procédé déterminé, permettant d'espérer un plein succès sur les fours à vent, ce n'est qu'après avoir reçu des rapports précis présentant ce procédé comme devant être non seulement d'une efficacité ordinaire, mais de nature à amener un grand bienfait dans toute l'industrie de la réduction des minerais, c'est alors, dis-je, que fut accordé un délai de huit mois à la société de Saint-Léonard. qui comprenait l'impérieuse nécessité d’améliorer son usine au point de vue des inconvénients qu'en ressentait le voisinage.

Eh bien, à ceux qui critiquent cet acte, je demande : qu'auriez-vous pu équitablement et loyalement faire d'autre ?

Déclarer la société déchue ! Nul ne l’aurait osé consciencieusement dans de telles circonstances, lorsqu'elle était sur le point de voir heureusement aboutir sa dernière tentative d'amélioration.

Que l'on dise que le ministre de 1857 était en droit de fermer l'usine, qu'il pouvait retirer l’arrêté de 1856 en prenant acte de la renonciation qui lui était notifiée, on le comprend ; mais quand cela n'a pas eu lieu ; quand la renonciation a été effacée ; quand des procédés d'une importance majeure sont expérimentées, depuis quelques mois, après un labeur considérable et beaucoup de peines et d'argent dépensés ; quand on est (page 516) à la veille de réussir, quel et le ministre qui eût assumé la responsabilité de refuser un sursis de huit mois ?

Voyons maintenant comment il a procédé pour le choix de la commission constituée au mois d'octobre dernier. Il y a appelé le doyen de la députation permanente, ainsi que le bourgmestre de la ville de Liège, pour contrôler les opérations d’essai définitif et s'assurer que tout se passe avec une entière loyauté et avec une scrupuleuse attention.

Sous ce rapport, on peut affirmer que personne dans la ville de Liège n'a eu la pensée de suspecter l'impartialité de la commission qui continue encore actuellement ses travaux.

En présence d'un tel état de choses, pourrait-on justifier les conclusions du rapport qui vous sont soumises ? pourrait-on vouloir, notamment, qu'on applique en ne tenant compte ni des faits, ni du droit, l'arrêté du 12 novembre 1849 à l'établissement de la Vieille-Montagne, qui n'est qu'une usine de réduction de minerai ; cet arrêté de 1849, que les pétitionnaires opposants n'avaient pas découvert tout d'abord, qu'ils ont trouvé deux mois après, et qui est proposé aujourd'hui comme le seul système dont on ne puisse pas sortir sans enfreindre la légalité ?

Eh ! messieurs, c'est précisément tout le contraire. Interrogez la pratique constante de l'administration et la jurisprudence judiciaire ; elles vous apprendront que la loi du 21 avril 1810 doit exclusivement nous servir de règle ! (Interruption.)

Mais l'arrêté d'Angleur, dites-vous ? Il vous condamne et me donne raison. Voici ce que j'y ai lu : c'est qu'on y vise les lois du 21 avril 1810, le décret du 15 octobre 1810 et l'arrêté de 1824. Vous avez inféré de ce simple visa, mis en tête de l'acte d'autorisation, que l'instruction a eu lieu d'après les bases générales de l'arrêté de 1824, combinées avec celles de la loi du 21 avril 1810.

C'est, vous a dit M. Goblet, l'application simultanée des deux législations qui a eu lieu !

Faisons d'abord remarquer que dans son rapport écrit, adopté par la commission, l'honorable membre n'avait pas même soupçonné qu'il y eût une loi du 21 avril 1810. En effet, il n'en a pas fait la moindre mention et ne s'est occupé que du décret du 15 octobre 1810, de l'arrêté de 1824 et de l'arrêté de 1849. Il n'avait pas encore pensé à une application simultanée de deux régimes.

Quoi qu'il en soit, il me sera très facile d'expliquer la mention, en tête de l'acte d'autorisation d'Angleur, de l'arrête de 1824, dont par parenthèse l'honorable rapporteur a parlé avec trop de discrétion hier, en s'attachant, de préférence, à celui de 1849.

Il est vrai qu'il y a dans l'arrêté de 1824 un article 12 ou 13, qui déclare formellement que les usines à réduction de minerais tombent sous l'application exclusive de la loi de 1810, et voilà la seule portée que l'on peut assigner à la mention qui en est faite, ainsi que du décret du 13 octobre 1810 et de l'arrêté de 1824 dans l'acte de 1836.

On a invoqué des enquêtes faites alors, pour en inférer qu'il y en aurait eu de nature différente ; mais c'est là le résultat d'une erreur ; on n'a fait qu'une seule espèce d'enquête pour la société d'Angleur ; mais elle a dû s'étendre à plus d'une commune, parce que la création de l'établissement intéressait à la fois les habitants de plusieurs, particulièrement ceux de Chênée et d Angleur.

Ne perdons pas maintenant de vue que l'arrêté de 1849 n'est guère que la reproduction de celui de 1824, sauf qu'on a jugé avec raison qu'il y a ait un certain nombre d’industries qui n'entraient ni dans l’une ou l'autre des trois catégories des établissements incommodes et insalubres, et qu'il était nécessaire de subordonner à une autorisation et à des mesures d'ordre et de police dans l'intérêt général.

Croyez-vous qu'alors que l’arrêté de 1824 n’a pas voulu et n'a pas pu vouloir déroger à la loi du 21 avril 1810 (il n'est pas besoin de répéter ce qu'a dit hier M. de Brouckere, qu'un arrêté ne peut pas être contraire à une loi, et qu'en pareil cas les tribunaux le repoussent), croyez-vous, dis-je, que l'arrêté du 12 novembre 1849 ait pu sous l'empire de notre Constitution, qui est formelle à cet égard, avoir une prétention que n'avait pas eue celui de 1824 ?

Comprendrait-on que d'une concession accordée en vertu de la loi sur les mines, d'une manière indéfinie, moyennant l’observation de conditions de l'octroi, le pouvoir exécutif puisse faire quelque chose de temporaire, à l'aide d'un arrêté royal ? Comprendrait-on qu'on puisse, au bout d'un terme plus ou moins déterminé, sans l'intervention de la législature et contrairement à l'une de ses prescriptions, enlever ou réduire des droits que l'on considère comme étant acquis ?

Si une semblable prétention se produisait de la part du pouvoir exécutif au sein du parlement, elle y soulèverait les plaintes les plus énergiques ; on se demanderait sous quel régime nous vivons.

En vain on a prétendu qu'il résultait de la circulaire du 17 septembre 1850 que tels étaient la portée et le but de l'arrêté du 12 novembre 1849 ; on a même reproché à M. le ministre des travaux publics de n'avoir lu qu’n passage de cette circulaire, tandis qu'un autre était favorable au système que je combats avec lui.

Mais ici encore il y a eu une très grande confusion : tout administrateur sait qu'un établissement peut dépendre, sous plusieurs rapports, de régimes différents.

Je suppose que l'établissement de la Vieille-Mont gue ait besoin de placer une machine à vapeur ; il doit suivre les prescriptions de l'arrêté de 1849. Mais quand il s'agit de l'autorisation de son existence, comme fonderie de minerai de zinc, c'est la loi du 21 avril 1810 qui est exclusivement applicable. Or, c'est là précisément la distinction qu'explique la circulaire du 17 septembre 1850.

On a parlé avec un effroi assez naturel de l'avalanche de documents dont nous avons été inondés et, en effet, nous avons reçu, de part et d'autre, beaucoup de pièces d'un intérêt douteux ; mais parmi ces pièces il en est une très sérieuse et dans laquelle la question dont je m'occupe en ce moment est élucidée à fond, non par l'intéressé, mais par des extraits d'un réquisitoire de l'un des magistrats les plus éminents de la Belgique, et d'un arrêt de la cour de cassation. C'est M. Jules Vilain qui rapporte ces extraits dans son ouvrage qu'on a inconsidérément invoqué à l'appui d'un système contre lequel il protesterait comme nous, s'il avait pu le prévoir.

Voici comment M. le procureur général Leclercq s'exprimait, en 1850, devant la cour de cassation, sur le sujet qui nous occupe :

« Les raisons qui font, de la loi du 21 avril 1810 sur les mines, la règle complète de l'érection des fonderies de minerais, et ce, à l'exclusion du décret du 15 octobre 1810 et de l'arrêté du 31 janvier 1824, restent entières. Aussi, nouvelle preuve de cette vérité, le décret du 15 octobre 1810 n'a été porté (cela ressort de l'ensemble de ses dispositions) que pour les manufactures et les ateliers qui pouvaient alors être formés sans une permission de l'autorité administrative. Il ne touchait donc pas aux fonderies de minerais, et, dans la réalité, on ne les comprend pas dans le tableau des établissements industriels qu'il divise en trois classes. Sur ces tableaux on ne trouve pas, quoi qu'on en ait dit, les fonderies de minerais ; car on ne peut confondre avec elles les fonderies de métaux, chose toute différente, et pour laquelle le décret n'exige qu'une simple autorisation du préfet.

« Ce que nous venons de dire du décret de 1810, nous devons le dire de l'arrêté royal du 31 janvier 1824. Cet arrêté n'est, à proprement parler, qu'une reproduction et qu'un acte d'exécution des dispositions de ce décret, appliqué aux progrès que l’industrie avait faits depuis quinze ans et aux nouvelles institutions du pays. Il se renferme tellement dans les mêmes limites, qu'à son exemple il ne concerne pas les établissements tels que les fonderies de minerais qui étaient soumis à une autorisation du gouvernement en vertu d'une loi spéciale. Il ne les comprend point parmi ceux qu'il énumère ; il a soin même de renvoyer expressément à cette loi spéciale (et c'est ce qu'il fait dans un article particulier, l'article 11, pour la loi du 21 avril 1810).

« Un arrêt de la cour de cassation du 25 mai 1850, rendu sur les conclusions de M. le procureur général Leclercq, porte textuellement, dans ses considérations, que « l’établissement des usines servant à la fonte et au traitement des substances minérales, est d’intérêt général, au même titre que l’exploitation des mines auxquelles elles se rattachent. » Il ajoute que « l’arrêté royal du 31 janvier 124 ne s’occupe point des usines servant à la fonte des minerais, lesquelles sont spécialement régies par la loi du 21 avril 1810. »

Les citations que je viens de faire sont assez péremptoires, je pense ; mais ce n'est pas tout ce que j'ai à opposer. Je demanderai comment il serait possible de procéder à la fois à une double instruction administrative, en vertu de l'un et de l'autre régimes qu'on confondrait ensemble. Remarquez comme je l'ai dit que, dans le rapport de la commission des pétitions, il n'était pas question de la simultanéité de l’application de la loi du 21 avril 1810 avec l'arrêté du 12 novembre 1859 ; on en ignorait l’existence.

Depuis lors, le système s'est modifié parce qu'il était sapé dans sa base, et l'on réclame maintenant une fusion tout aussi insoutenable ; car tandis, par exemple, que la loi du 21 avril 1810 exige 4 mois de publications préalables, pendant lesquels les oppositions peuvent se faire jour, l'arrêté de 1849 ne fixe qu'un délai infiniment moindre.

Comment, d'autre part, décidera-t-on dans le cas suivant ? La loi de 1810 confère un droit illimité de durée lorsque l'autorisation est accordée et tant qu'on se conforme à ses clauses ; l'arrêté de 1849 n'accorde ce droit que pour 30 ans ! Lequel des deux régimes sera déclaré avoir la prédominance sur l’autre, puisqu'on les met sur un pied d'égalité ?

Après s'être fourvoyé de bonne foi dans un premier système, est-il possible de retomber ainsi dans un autre, qui serait, lui, tout à fait impraticable ?

Je viens, messieurs, de prendre la défense du droit et de la pratique administrative qui s'y est toujours conformée. Si j'ai insisté sur une question qu'aucun jurisconsulte ou administrateur ne peut considérer comme douteuse, c'est pour raffermir cette conviction dans l'esprit des industriels qui auraient pu concevoir à cet égard des inquiétudes.

On a signalé comme étrange l'intervention dans cette affaire de quelques-uns d'entre eux qui sont aussi à la tête de fonderies de minerais de zinc ; mais elle s'explique, soit qu'elle ait eu lieu spontanément, soit même qu'elle ait été sollicitée. En effet, la société de la Vieille-Montagne n'est pas seule menacée par les conclusions de la commission : toutes les autres industries qui vivent sous un régime similaire, celles mêmes qui réduisent d'autres minerais, pourraient voir soulever contre elles des prétentions analogues qui paralyseraient toutes espèces d'améliorations importantes, quand ces dernières entraîneraient l'emploi d'un capital dont on ne trouve le remboursement qu'au bout d'un certain nombre d'années.

(page 517) Après cela, qu’importe que M. Delaminne, l’un des signataires en faveur de la Vieille-Montagne, ait intenté un procès à l’un de ses cosignataires, du chef de ce qu’une partie de son bois aurait péri par suite des émanations de l’usine de Corphalie ? A Corphalie, messieurs, et je relève ici une erreur encore involontaire qui a été commise, à l’égard de Saint-Léonard, on calcine le minerait de zinc. L’honorable M. Goblet vous a dit que cette opération du grillage est celle qui est le plus préjudiciable au voisinage ; il avait raison et parfaitement raison. Mais à Liége, on ne calcine pas le minerai, et il y a pour cela un motif bien simple : c’est que le minerai doit être transporté de très loin, il faut qu’l arrive de Mresnet.

Or, le minerai de zinc contient en moyenne un tiers d'eau cristallisée et de silice, qui doit être détaché pour parvenir à la fusion. Il y a donc une économie notable sur les frais de transport à faire cette opération sur le lieu même de l'extraction.

Ainsi, sous ce rapport, l'un des plus graves dangers qu'on signale n'existe pas dans l'usine de Saint-Léonard ; j'ajouterai qu'il y a une grande différence entre la réduction du minerai de zinc et la réduction de la blende et de la galène, parce qu'il n'y a, comme je vous le disais tantôt, dans le minerai zincique que de l'eau cristallisée et de la silice, tandis que vous avez une substance bien plus nuisible dans la blende et dans la galène : le soufre ; et, à ce point de vue, les établissements qui traitent ces derniers minerais sont réellement plus incommodes et plus insalubres pour le voisinage.

Que si l'on venait demander aujourd'hui qu'au milieu d'un faubourg de Liège, là où il n'y a pas de droits de possession, là où l'on n'existe pas depuis à peu près cinquante ans, là où l'on n'a pas créé pour le pays une industrie nouvelle qui a pris des développements immenses, on pût élever un grand établissement identique à celui de Saint-Léonard, alors qu’il peut fixer son siège ailleurs, je n’hésiterais pas à le refuser ; mais tout autre est la question ; il s’agit de savoir, cette établissement existant, s’il a des droits qui exigent des ménagements, et s’il est juste de le fermer quand il est résolu à donner des satisfactions efficaces aux plaignants. Si, contre toute probabilité, l’on ne parvenait pas à obvier aux plus graves inconvénients, il serait encore temps, dans tout système de droit qu’on soutienne, de prendre des mesures radicales dans l'intérêt du voisinage, dans celui de la salubrité publique.

Heureusement, nous n'en sommes pas là, et l'on peut espérer qu'une question qui a agité trop longtemps une fraction de la population liégeoise ne tardera pas à recevoir une solution de nature à concilier les intérêts respectables qui sont en présence.

A propos de cela, messieurs, qu'il me soit permis, avant de terminer, de regretter qu'on ait fait intervenir ici les luttes communales dans cette affaire. On a été bien maladroit en invoquant un verdict du corps électoral en faveur de ceux qui poursuivent l'établissement de Saint-Léonard. Oui, une fois l'on a abusé ce corps électoral ; mais la question de la Vieille-Montagne n'est pas ce qui l'avait ému : elle ne fut qu'une occasion et qu'un prétexte auxquels vinrent se joindre des froissements personnels et irritants au sein de l’administration communale. Un beau programme de réformes qui était séduisant pour les petits électeurs, mais qui avait le tort grave de dénaturer les actes et les faits, et de n'être qu'un leurre, voilà ce qui surtout contribua à les égarer. On entreprenait ainsi la guerre des petits contre les grands, tandis que dans une ville tout le monde doit être sur le pied de l'égalité. Puisque M. Goblet réveillait ces souvenirs, il aurait pu vous dire que les leçons de l'expérience ont profilé ; que, depuis lors, trois élections successives ont eu lieu dans lesquelles des candidats avaient été présentés sous le patronage du comité du Nord, et que ces candidats ont été repoussés par la majorité du corps électoral de Liége.

Voilà, messieurs, comment, lorsqu'on aborde sans nécessité, dans une question d'intérêt matériel, un terrain politique qu'on ne connaît pas, des membres de cette Chambre qui n'avaient pas l'intention de prononcer une parole d'irritation quelconque, se voient obligés de défendre et leurs amis et leur cause, en rétablissant la vérité des faits.

Au surplus, nous avons en ailleurs de semblables exemples d'erreurs électorales. Dans la ville de Gand, il y a quelques années, de petites querelles locales ont déchiré momentanément le libéralisme, et il y a toujours des gens habiles qui profitent de ces tristes circonstances pour diviser leurs adversaires, pour déclasser les opinions.

Voilà, messieurs, tout ce que j'avais à dire à la Chambre, qui voudra bien excuser la longueur de mon discours, duquel il ressort suffisamment qu'il me sera impossible de voter les conclusions de la commission, avec la signification qu'elle y attache. Accepter le renvoi à M. le ministre de l'intérieur, en même temps que le renvoi au ministre des travaux publics, ce serait implicitement reconnaître que la thèse soutenue par la commission a un fondement quelconque de légitimité ; ce serait prolonger l'incertitude de l'industrie.

Je voterai donc, messieurs, simplement le renvoi à M. le ministre des travaux publics, convaincu, ce qu'il a déjà fait le prouve, qu'il prendra une décision juste, sans avoir égard à ce qu'il peut y avoir d'exagération dans les prétentions des parties en cause ; convaincu qu'il saura prendre en considération, d'une part, les intérêts de l'industrie, qui mérité des ménagements, et d'autre part, les plaintes qu'elle suscite, dans la limite de leur légitimité. J’ai l’espoir, du reste, qu'il sera possible de concilier prochainement les deux intérêts.

Quant à de nouvelles publications, préalables à une instruction qui serait à recommencer, encore sur ce point en désaccord avec la commission, je pense qu'en aucune manière, à aucun titre légal, on ne pourrait les imposer à la société de la Vieille-Montagne ; elle a fait ses publications conformément à la loi de 1810, on lui a accordé une autorisation conditionnelle par un premier arrêté, elle en a obtenu le maintien par un deuxième, par un troisième ; il reste à statuer sur l'exécution qu'elle a donnée aux obligations qui lui étaient imposées en denrier lieu ; mais nous n'avons pas le pouvoir de lui dire : « Rien n'est fait, vous n'avez aucun droit ; tout est à recommencer. »

(page 539) M. Vander Donckt. - Je regrette, messieurs, de devoir prendre une deuxième fois la parole dans une question qui ne me concerne ni directement ni indirectement. J’ai dit, en commençant mon discours, que si je prenais part au débat, c'était uniquement parce que, comme président de la commission des pétitions,, j'entendais prendre ma part de responsabilité au rapport de l'honorable M. Goblet, rapport qui est resté intact, qui n'a pas été entamé.

Ce qui m'engage à parler de nouveau, ce sont les paroles inexactes prononcées par un honorable collègue et que je serais en droit de considérer comme une attaque personnelle en ce qui me concerne.

Voici, messieurs, ce que cet honorable membre m'a fait dire : « Mais quand j'ai entendu hier un de nos honorables collègues vous dire : « Je suis docteur en médecine, le zinc est un poison donc, etc., etc.,» ces paroles sont parfaitement inexactes et je donne à l'honorable membre un démenti formel à cet égard. Voici ce que j'ai dit. En ma qualité de docteur en médecine, je crois devoir présenter quelques observations, quelques citations ; car je ne me suis pas appuyé sur ma propre autorité, et afin qu'on ne se méprenne pas une deuxième fois sur le sens de mes paroles je citerai de nouveau ces autorités.

D'abord l'honorable membre nous dit : «Quand j'ai entendu dire dans cette enceinte... » Je ferai remarquer à l’honorable membre et je constate qu'il n'était pas présent à la séance lorsque j’ai prononcé mon discours, il n'a donc pas pu entendre ce que j'ai dit.

Il a été probablement induit en erreur par la lecture de son journal ; je dis qu'il est regrettable, et c'est pour la deuxième fois, que certaines organes de la presse me font dire toute autre chose que ce que j'ai dit, ces inexactitudes des journaux d'ordinaire, nous les méprisons... (Interruption). Certes nous les méprisons. Nous aurions beau faire s’il fallait les relever à chaque instant. Mais lorsque d’honorables membres de cette Chambre viennent reproduire dans cette enceinte ces assertions inexactes et erronées, oh ! alors il est de notre devoir de protester et de les combattre, et c'est avec un sentiment pénible de regret que je dois le dire, je ne m'attendais pas à des attaques aussi injustes qu'imméritées de la part d'un homme aussi sérieux, aussi haut placé, qu'il accueillait avec une légèreté inconcevable des assertions absurdes de son journal qu'il m'attribue et sur lesquelles il fonde toute une argumentation qui pèche par sa base.

Voici donc ce que j'ai dit : Je trouve dans une brochure distribuée à tous les honorables membres de cette Chambre de la part de la société de la Vieille-Montagne elle-même, et intitulée : « Protestations collective des principales industries de zinc de la Belgique contre l’accusation erronée d’insalubrité, etc. ; » dans cette brochure je trouve à la page 27 à la fin : « De tous les poisons minéraux, a dit Orfila, les sels à base de zinc sont les moins dangereux. » Et j’ai ajouté : « Je vous le demande, messieurs, quand Orfila, un des premiers chimistes de l’Europe, a classé les sels de zinc dans la catégorie des poisons minéraux, si l’on est bien fondé à soutenir que les préparations de sels de zinc ne sont pas dangereux et délétères ! Certes il en est de plus dangereux, mais il ne s’agit pas ici du plus ou du moins ; je me suis bien gardé de dire que le zinc à l’état de métal est un poison mais je pourrais demander à l’honorable membre si, en sa qualité de bourgmestre de la capitale, on n’a pas soulevé des plaintes contre les tuyaux des pompes à bière dont on se sert dans les estaminets et les cafés et si aujourd’hui on n'a pas supprimé ces tuyaux parce que la bière en y stagnant forme un sel de zinc par l'acide qu'elle contient et devient ainsi une boisson dangereuse et nuisible à la santé.

J'ai cité une autre, autorité encore, c'est la pharmacopée de Belgique ; or, vous savez, messieurs, que la nouvelle pharmacopée a été élaborée par tout ce que les sciences chimiques renferment d'hommes distingués dans le pays. J'y trouve dans le tableau III, page 385, Médicaments dangereux, que le pharmacien doit conserver et délivrer avec un soin tout particulier, et parmi ces médicaments je trouve rangé le sulfate de zinc, et au tableau n°VII, page 371, qui comprend les contre-poisons, j’y trouve une prescription pour le cas d’empoisonnement par les sels de zinc.

Il est donc prouvé, à la dernière évidence que les sels à base de zinc sont des poisons. Je n'ai pas dit autre chose dans mon discours.

L'honorable membre qui m'accuse d'avoir dit que le zinc est un poison, a longuement parlé de confusion ; je lui rétorque l’argument ; et je lui reproche, moi, d’avoir confondu le zinc avec le sel de zinc et avec les préparations de zinc ; toute son argumentation n’est que confusion.

Je le répète, je ne m'attendais pas de la part de l'honorable membre, d'un homme aussi sérieux, aussi haut placé, à des paroles aussi peu bienveillantes envers un collègue ; je ne m'attendais pas à ce qu'il adopterait si légèrement la version erronée de son journal qui l’a induit en erreur sur le sens de mes paroles.

Je n'ai pas dit que le zinc fût un poison ; il est de toute évidence que le zinc à l'état de métal ne l'est pas.

Il ne faut même être ni docteur en médecine, ni pharmacien, ni autre chose, pour savoir que les métaux, à l'état de métal, ne sont pas des poisons ; qu’ils ne deviennent poisons que quand ils sont à l'état d'oxydes. Prenons pour exemple le cuivre. Tous les jours on vous apporte du lait dans des vases de laiton ou de cuivre ; eh bien, laissez aigrir le lait dans un de ces vases, et vous verrez se produire immédiatement du vert-de-gris ; et je n'ai pas besoin de dire que c'est un poison très violent.

Le zinc qui servait aux usages culinaires, ne l'a-t-on pas supprimé complètement, parce qu'il était très susceptible de s'oxyder, de produire des sels qui sont dangereux pour la santé publique.

Maintenant, on a dit que les vapeurs qui s’échappent par les cheminées de l'établissement de la Vieille-Montagne n'ont rien qui incommode. Cependant nous voyons les rapports authentiques de la commission médicale qui a visité les lieux ; dans ces rapports, ne déclare-t-on pas que des vaches ont été malades, pour avoir brouté l'herbe dans le voisinage de l'établissement ? D'un autre côté, la commission a constaté que le linge qu'on faisait blanchir dans ces prairies était couvert de paillettes métalliques. Etait-ce du zinc ? Certainement.

L’honorable M. Ch. de Brouckere, pendant les cinq ans qu'il a passés à Angleur avec sa famille, y a constamment joui d'une parfaite santé ; cela ne m'étonne pas le moins du monde : la société a pris toutes les mesures de préservation possibles dans l’intérêt de la santé de ses ouvriers, et des habitants de l’établissement, même pour le bétail, pour les chiens et les serins renfermés dans l’usine ; mais elle a failli à son devoir, en ne faisant pas assez pour les voisins ; eh bien, nous engageons précisément le gouvernement à exiger que la société fera plus qu’elle n’a fait, qu’elle condense les vapeurs, les émanations dangereuses et nuisibles. Or, il a été prouvé à toute évidence que les émanations du zinc ne sont pas seulement incommodes, mais qu’elles sont encore dangereuses et nuisibles pour les habitants du quartier Nord.

Je ne puis pas admettre, comme, je l'ai dit, qu'il y ait à liège, 800 personnes assez méchantes pour réclamer contre un grief imaginaire ; je n admettrai jamais que s’il n'y avait pas ici un danger réel, jamais on n'aurait pu pousser 800 Liégeois à réclamer contre l'usine de Saint-Léonard.

Messieurs, l'instinct de conservation est tout puissant chez tous les êtres qui ont reçu la vie ; évidemment. Ce sentiment de conservation et pour leur bétail et pour leur personne doit naturellement exciter les habitants du quartier St-Léonard à demander le redressement des griefs très fondés qu'ils ont fait valoir.

Je le déclare, en terminant : à mon avis, le rapport de la commission, rapport remarquable à tous égards, et qui a été attaqué avec tant de virulence, ce rapport reste complet ; j’ajoute que si ce document a été l'objet d'attaques si violentes, c'est parce que nous avons frappé juste, c’est parce que nous avons mis le doigt sur la plaie. Voilà ce qui a provoqué les récriminations de la part de ceux qui ont pris la défense de la société, soit parce qu’ils y sont intéressés, soit par camaraderie, soit pour tout autre motif.

Au reste, la commission, dans son rapport, ne demande pas la suppression immédiate de l'usine ; jamais nous ne l'avons provoquée ainsi ; mais nous avons demandé qu'on employât des moyens propres à parer aux dangers que nous avons signalés, et à atténuer le mal que la fumée produit, et nous persistons à le demander. Nous croyons qu'il est juste que, dans l’intérêt de la santé des populations voisines de l'établissement, des mesures efficaces soient prises sans désemparer.

Si, comme l'honorable ministre des travaux publics l'a dit, la société est sur le point de réussir, c'est un motif de plus pour pousser les expériences jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'on ait trouvé moyen de remédier au mal.

Malheureusement la politique s'en est mêlée ; on vous a dit qu'il y avait trois partis à Liége ; j'ai déclaré que quant à la question de droit je la déclinais, que je ne voulais pas intervenir dans la discussion politique, que je voulais seulement prouver qu'il y avait danger, qu'il y avait grief réel pour les populations voisines de l'établissement de Saint-Léonard, et engager la gouvernement à insister auprès de la compagnie pour qu'elle prenne des mesures afin d’atténuer les faits.

(page 517) M. Ch. de Brouckere. - Je demande la parole pour un fait personnel. Hier, au moment où je pris la parole, le Moniteur étant encore muet à l'égard de l’honorable membre, j'ai reçu, je l'avoue en toute humilité, mes impressions de deux grands journaux, qui apportaient de la même manière le compte rendu de la séance. Les journaux, comme moi ; nous avons oublié le mot « sel ». Je vais le rétablir :

« Les sels de zinc sont des poisons ; donc la fabrication du zinc empoisonne. »

L'honorable membre cite Orfila comme une autorité. Il me permettra de m'appuyer sur la même autorité. Eh bien, Orfila a constaté que deux onces du poison le plus violent parmi les sels de zinc, que deux onces de sulfate de zinc n'empoisonnaient pas. Le même Orfila a administré à un chien une once de sulfate de zinc et il a fallu lui lier l'œsophage pour que mort suivît la troisième potion d'une once.

La valérate de zinc est-ce, par hasard, un poison ? C'est un nouveau remède employé depuis peu de temps et d’une manière constante, par la médecine.

M. Vander Donckt. - C'est inexact.

M. Ch. de Brouckere. - Je vous prie de ne pas m'interrompre, j'ai écouté avec patience votre philippique.

M. Vander Donckt. - Je n'ai fait que répondre à la vôtre.

M. Ch. de Brouckere. - L'honorable membre a parlé du danger de se servir de vases de zinc pour la cuisine ou de tuyaux pour les pompes. Il peut se montrer dans quelques cas de petites quantités d'acétate ou de citrate de zinc ; mais, MM. Devaux, ancien professeur de chimie à l'université, et Dejaer, docteur en médecine à Liège, ont administré jusqu’à un gros de citrate de zinc sans obtenir le moindre effet appréciable.

Toutefois, la question n'est pas là ; que les sels de zinc soient pernicieux ou non, cela importe peu au débat, si l'on ne prouve pas d'abord qu'un sel peut se former par la distillation du minerai. Or, cela est impossible On mettrait du soufre à plaisir dans la cornue, que l'on n'obtiendrait pas du sulfate de zinc ; il se formerait de l'acide sulfureux et de l'oxyde de zinc, une matière inerte qui ne peut nuire que mécaniquement.

Le zinc a peu d'affinité pour les autres substances ; il se combine difficilement. Ainsi, avec la meilleure volonté du monde, on ne saurait, pour la fabrication du métal, produire aucun sel ; tous les chimistes vous diront que c'est impossible. Il y a mieux. La calamine ne contient aucune substance propre à la formation des sels réputés dangereux, selon l'honorable membre. On n'y trouve que de la silice et de l'eau. J’ai analysé la calamine, non pas une fois, mais cent fois ; j'affirme qu'elle ne contient pas un atome de soufre.

Ainsi, dans les fabriques de zinc, l'élément poison manque, et cet élément fût-il inévitable, la calamine renfermât-elle du soufre, il n'en résulterait pas de sels de zinc, c'est impossible. C’est ce que la science enseigne par l'organe de ses princes, les Thénaid, les Gay-Lussac,

Ainsi donc, messieurs, mon argumentation reste entière, malgré la restitution que je viens de faire à l'honorable membre, dont le discours n'est pas encore imprime au Moniteur.

M. B. Dumortier. - Messieurs, je ne vous tiendrai pas longtemps, mais il m'est impossible de ne pas prendre la défense des populations qui se plaignent du dommage que leur cause la Vieille-Montagne. Je ne demande pas mieux que de voir cet établissement industriel se développer en Belgique, mais c'est à la condition qu'il ne sera pas nuisible aux populations.

Je ne puis pas admettre qu'un établissement industriel fasse de gros bénéfices et rejette les inconvénients sur ceux qui n'y participent pas ; et c'est le cas qui se présente ici.

On a dit que les établissements de zinc n'étaient pas nuisibles, on a même été plus loin, il me semble qu'on a dit que si l'on voulait vivre longtemps et se bien porter, il fallait aller demeurer près d’une usine de zinc ; du moins c'est la conclusion que j'ai tirée.

- Un membre. - Certainement.

M. B. Dumortier. - Eh bien, c'est ce qu'il n'est pas possible d'admettre. Il est un fait incontestable, c'est que les émanations des fabriques de zinc ont le privilège de détruire la végétation ; la vie cesse et la mort arrive pour les végétaux. Or, pour qui connaît la physiologie, il est constant que l'action sur la vie est la même et pour les animaux et pour les végétaux. Il est donc impossible d'admettre que des émanations qui tuent les plantes n'ont aucun effet sur la santé des hommes. Quand on vient parler de la possibilité de conserver des serins dans les (page 518) établissements de zinc, je dis que tout cela peut être considéré comme des arguments préparés pour la cause et n'a rien de concluant.

Je pense que tous les établissements de ce genre doivent être soumis à toutes les lois qui régissent la matière ; il ne faut pas, parce qu'un établissement est puissant, dire qu'il sera maintenu, tandis qu'il serait fermé s'il était petit ; mon intérêt et mon appui sont assurés aux petits, les grands savent se défendre, ils trouvent assez d'avocats pour faire valoir leurs droits, tandis que les petits sont souvent abandonnés à eux-mêmes.

Il est impossible qu'il y ait deux lois, une pour les petits établissements, une autre pour les grands. De deux choses l'une, les lois sur les établissements insalubres sont utiles ou elles ne la sont pas ; si elles sont utile il faut les appliquer aux grands établissements comme aux petits ; si elles ne sont pas utiles, il faut les abroger ; il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures pour les grands et pour les petits établissements. L'insalubrité des émanations de la Vieille-Montagne vous est dénoncée, si la plainte n'était pas fondée, vous ne verriez pas les dégâts que cet établissement occasionne dans son voisinage.

Qu'on s'adress, dit-on, aux tribunaux.

Je n'admets pas cette réponse ; le riche peut plaider, mais le pauvre ne peut pas le faire ; avec ce système, il faudrait supprimer les pouvoirs politiques, car nous sommes établis pour défendre les petits contre les grands, les faibles contre les forts quand ils ont raison.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans les limites de la justice !

M. B. Dumortier. - Je suis d'accord avec vous, M. le ministre ; mais la condition du petit n'est pas la même que celle du grand.

Les petits n'ont pas le moyen de plaider ; ils ne peuvent pas, comme les grands, s'adresser aux tribunaux ; c’est pourquoi l'appel au parlement a pour eux une très grande valeur, parce que, pour nous, il n'y a ni grands ni petits. Nous ne devons donc pas écarter les demandes qui nous sont adressées, sous prétexte qu'il y a des tribunaux. Si la justice est du côté des petits, notre devoir est de la faire prévaloir en leur faveur. C’est pour cela que j'ai pris la parole.

Maintenant, je le demande, s'il n'y avait pas de souffrances réelles, verriez-vous, dans cette importante cité de Liège, un mouvement aussi considérable se produire contre un établissement qui y répand de grands bienfaits ?

S'il n'y avait pas de souffrances réelles serions-nous assaillis de pétitions, d'écrits de toute espèce qui nous disent que, dans l'intérêt même de la paix, de l'ordre public à Liège, il faut faire cesser cet état de choses, et que ce n'est pas en écartant les demandes raisonnables, faites en faveur des réclamants, que vous parviendrez à ramener la tranquillité dans cette ville importante ?

Il est tout à fait hors de doute qu'il y a quelque chose à faire, qu'il est indispensable de prendre des mesures. M. le ministre des travaux publics nous a fait part d'un procédé nouveau au moyen duquel il serait possible de faire disparaître tous les inconvénient qui ont existé jusqu'à présent.

Je désire vivement que cette invention amène les résultats qu'on en attend. Ce sera un véritable bienfait pour les habitants de Liège, et nous verrons alors cesser leurs plaintes Car, messieurs, il me paraît évident qu'ils ne se plaindraient pas si l'établissement de Saint-Léonard ne répandait pas d'émanations méphitiques, et d'un autre côté l'établissement lui-même pourrait alors continuer librement sa fabrication, et la population ouvrière continuerait à jouir des bienfaits qu'il répand. Mais je dois protester ici contre l'opinion que les émanations produites par la fabrication du zinc ne sont pas nuisibles. L'honorable M. Ch. de Brouckere prétendait hier qu’elle n'était pas plus nuisible à la végétation que la poussière des chemins.

Cela est complètement inexact : la poussière des champs ne détruit nullement la végétation, puisqu'elle n'empêche en aucune façon l'exsudation des végétaux ; et si les arbres et les plantes des champs souffrent parfois en été, ce n'est qu'à cause de la sécheresse plus ou moins prolongée qui se produit ; les feuilles des arbres ne tombent que lorsqu'elles subissent l'action d'un principe délétère. Eh bien, ce principe, nuisible aux végétaux, l'est également à la santé humaine, (Interruption.) Les feuilles des arbres du parc de Bruxelles tombent plus tôt du côté de la rue Royale que du côté de la rue Ducale, parce que les arbres y sont plus exposés à l'action du soleil.

J'ai dû faire cette protestation, messieurs, parce que je ne veux pas qu'il semble résulter de cette discussion que la fabrication du zinc n'engendre pas un principe morbide ; je ne veux pas que l'on puisse dire que la Chambre a voulu justifier l’établissement de St-Léonard parce que la fabrication de ses produits ne contiendrait pas un principe morbide. Comment ce principe procède-t-il ? C’est ce que je n'ai pas à examiner ; il opère et cela me suffit. La santé publique est une chose assez sérieuse pour qu'on ne repousse pas par une fin de non-recevoir des réclamations présentées en vue d'un intérêt aussi sacré.

M. le président. - Deux membres de la commission viennent de transmettre au bureau les nouvelles conclusions que voici :

« Sans trancher la question de légalité, la commission vous propose le renvoi de la pétition à MM. le ministre de l’intérieur et des travaux publics, en engageant le gouvernement à agir dans cette question avec la plus grande prudence ; mais en accélérant, autant que possible, la conclusion de cette affaire et en respectant les droits de tous.

« (Signé) David et Vander Donckt.”

Nous sommes donc en présence de deux propositions : les conclusions du rapport de M. Goblet et la proposition nouvelle dont je viens de donner lecture.

M. Ch. de Brouckere. - Il y a une troisième proposition : Nous avons conclu au renvoi pur et simple à M. le ministre des travaux publics.

M. le président. - Plusieurs membres, en effet, se sont prononcés dans ce sens ; mais aucune proposition n'a été faite.

M. Ch. de Brouckere. - Eh bien, j'en fais la proposition.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je m'y ralle.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je remarque que l'on propose le renvoi au ministre de l’intérieur ; je ferai observer que cette affaire n'a jamais occupé le département de l'intérieur : la police des établissements dont il s'agit est par exception attribuée au département des travaux publics qui a les mines dans ses attributions. Dès lors, je ne vois pas l'utilité du renvoi de la pétition au département de l'intérieur. Si ce renvoi était ordonné, je ne pourrais que renvoyer la pétition à mon collègue des travaux publics, comme je l'ai fait des autres pièces relatives à cette affaire.

M. le président. - Ce renvoi au département de l'intérieur avait une signification spéciale dans la pensée de ceux qui l'on proposé. La difficulté qui a préoccupé la Chambre est celle-ci : l'usine de Saint-Léonard rentre-t-elle dans les dispositions de l'arrêté royal qui règle les établissements insalubres et incommodes ? Voilà ce que soutient la commission. Or, pour lui donner raison, il faut naturellement renvoyer la pétition au département qui a dans ses attributions les établissements insalubres. D'un autre côté. M. le ministre des travaux publics et les membres qui partagent son opinion croient, contrairement à la commission, que c'est l'administration des mines, c'est-à-dire le département des travaux publics, qui est seul compétent. Il est donc très rationnel, dans cet ordre d'idées, de proposer le renvoi pur et simple au département des travaux publics.

M. de Theux. - Je pense que la Chambre n'entend pas du tout résoudre la question ; c'est une question essentiellement administrative. Je pense qu'en renvoyant la réclamation au département des travaux publics on doit sous-entendre que si la salubrité publique y est intéressée, le département de l'intérieur aura à intervenir. Nous ne pouvons évidemment pas trancher la question de savoir si la salubrité publique est plus ou moins intéressée dans cette affaire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cette question même est à traiter par le département des travaux publics.

M. de Theux. - Il me semble que les deux propositions des honorables M. David et de Brouckere se rencontrent. Voici la seule différence qu'elles présentent. La proposition de l'honorable M. David est un commentaire que je considère comme inutile, car toutes les recommandations administratives sont de plein droit, de sorte que le plus simple, selon moi, est d'ordonner le renvoi au ministre des travaux publics, celui-ci sachant fort bien quelles règles administratives il aura à suivre à cet égard.

M. Muller. - Je crois qu'on peut très facilement faire cesser l'incertitude qui paraît exister dans l'esprit de l'honorable M. de Theux. L'honorable membre craint qu'en envoyant la réclamation à M le ministre des travaux publics, seulement la question de salubrité soit écartée. Or, en matière de mines, le département des travaux publics a à se préoccuper tout autant que le département de l'intérieur de toutes les questions de salubrité, pour tous les objets qui tombent sou» les dispositions de l'arrêté de novembre 1849. Dans l'un et l'autre système donc les questions de salubrité publique seront pleinement sauvegardées.

M. de Decker. - Je ferai remarquer, à l'appui de la motion de l'honorable M. de Brouckere, que, jusqu'à présent, sous tous les ministères qui se sont succédé, c'est le ministre des travaux publics seul qui a contresigné les arrêtés, précisément parce que, en Belgique, on a toujours considéré la loi de 1810 comme étant seule applicable à ces sortes d'établissements.

- La proposition de M. de Brouckere, tendante au renvoi pur et simple de la réclamation au département des travaux publics, est mise aux voix et adoptée.

- La séance est levée à 4 3/4 heures.